Le Droit dans tous ses états

LE DROIT DANS TOUS SES ETATS

Preuve: la notion d’écrit

==> L’appréhension de l’écrit par l’ancien droit

Très tôt, l’écriture est apparue comme un formidable moyen pour l’Homme de fixer sur des supports les plus divers (tablettes de pierre, papyrus, parchemins etc.) les récits de son vécu.

Assez paradoxalement, ce n’est à partir du XVIe siècle que les juristes lui ont accordé une place prépondérante dans le système probatoire.

Si une hiérarchie des modes de preuve relativement sophistiquée avait été établie dans l’ancien droit, la preuve par écrit a occupé pendant longtemps un rang bien inférieur à celui conféré aux preuves irrationnelles telles que les ordalies, le duel judiciaire ou encore le serment.

Ce n’est qu’à partir de l’ordonnance de Villers-Cotterêts édictée en août 1539 par François 1er que l’écrit a commencé à supplanter les autres modes de preuve.

Domat justifiait la primauté de la preuve littérale en avançant que « la force des preuves par écrit consiste en ce que les hommes sont convenus de conserver par l’écriture le souvenir des choses qui se sont passées et dont ils ont voulu faire subsister la mémoire, pour s’en faire des règles, ou avoir la preuve perpétuelle de la vérité de ce que l’on a écrit ».

Ainsi poursuit-il « on écrit les conventions pour conserver la mémoire de ce qu’on s’est prescrit en contractant et pour se faire une loi fixe et immuable de ce qui a été convenu ».

==> L’absence de définition de l’écrit dans le Code civil de 1804

Cette place réservée à la preuve par écrit à compter du XVIe siècle a été reconduite par les rédacteurs du Code civil en 1804.

Curieusement, ces derniers n’avaient toutefois pas jugé utile de définir ce que l’on devait entendre par écrit.

Tout au plus, l’ancien article 1359 du Code civil prévoyait que « il doit être passé acte devant notaires ou sous signatures privées de toutes choses excédant une somme ou une valeur fixée par décret, même pour dépôts volontaires, et il n’est reçu aucune preuve par témoins contre et outre le contenu aux actes, ni sur ce qui serait allégué avoir été dit avant, lors ou depuis les actes, encore qu’il s’agisse d’une somme ou valeur moindre ».

Cette disposition définissait donc le domaine de la preuve littérale sans pour autant préciser le sens de la notion.

Pour certains auteurs, ce silence trahit l’état d’esprit dans lequel se trouvait le législateur en 1804 qui ne concevait pas que l’on puisse dissocier l’écrit de son support.

La preuve littérale ou preuve par écrit n’a pas été définie tant il était évident, à l’époque, que l’adjectif littéral désignait « une écriture apposée en signes lisibles sur un support tangible ».

Pour les promoteurs du Code napoléonien, l’écrit faisait nécessairement qu’un avec le support destiné à le recevoir, en l’occurrence pour les actes juridiques, le papier. Or le papier est une notion qui ne requiert pas qu’on la définisse ; sa signification relève de l’évidence.

L’absence de définition de la preuve littérale dans le Code civil ne soulevait aucune difficulté tant que les actes juridiques étaient dressés sur des supports papiers.

L’apparition des nouvelles technologies de l’information et de la communication a toutefois complètement bouleversé la conception que l’on se faisait de l’écrit.

La possibilité offerte aux opérateurs économiques de conclure et d’exécuter des opérations par voie dématérialisée a contraint les juristes et les pouvoirs publics à réfléchir à l’adaptation du droit de la preuve aux nouvelles technologies de l’information.

Dès la fin du XXe siècle une partie de la doctrine a plaidé pour interprétation souple des textes alors en vigueur.

Ces derniers n’en demeuraient pas moins inadaptés aux actes conclus par voie électronique.

Comme relevé par le Conseil d’État, dans son rapport intitulé « Internet et les réseaux » publié le 2 juillet 1998, « la notion d’original n’a pas de sens s’agissant d’un message numérique et il serait dangereux de considérer comme satisfaisant à l’obligation d’une signature un procédé dont la loi n’aurait pas fixé les conditions de validité ».

Cela n’a toutefois pas empêché la Chambre commerciale de la Cour de cassation de construire une jurisprudence tendant vers une assimilation des documents électroniques offrant certaines garanties à un écrit.

Dans un arrêt remarqué du 2 décembre 1997, elle a ainsi jugé que « l’écrit constituant, aux termes de l’article 6 de la loi du 2 janvier 1981, l’acte d’acceptation de la cession ou de nantissement d’une créance professionnelle, peut être établi et conservé sur tout support, y compris par télécopies, dès lors que son intégrité et l’imputabilité de son contenu à l’auteur désigné ont été vérifiées, ou ne sont pas contestées » (Cass. com. 2 déc. 1997, n°95-251).

Pour la Chambre commerciale, c’est donc aux juges du fond qu’il revenait d’analyser les circonstances dans lesquelles avait été émis l’écrit pour établir s’il pouvait ou non être retenu comme établissant la preuve d’un acte.

Cette position n’a pas été partagée par toutes les chambres de la Cour de cassation.

Dans un arrêt du 14 février 1995, la Première chambre civile a, par exemple, estimé qu’une photocopie ne pouvait pas être assimilée à un écrit et ne pouvait dès lors valoir que commencement de preuve par écrit (Cass. 1ère civ. 14 févr. 1995, n°92-17.061).

Si le droit en vigueur autorisait à prendre en compte les documents électroniques au titre des exceptions prévues par la loi à l’exigence de preuve littérale, la doctrine s’accordait à dire qu’il ne permettait pas, en revanche, de leur reconnaître la même valeur probatoire qu’un écrit.

D’où l’appel du Conseil d’État émis dans son rapport de 1998 à procéder à « une reconnaissance rapide de la valeur juridique du document électronique [qui] s’impose et rend nécessaire une adaptation du Code civil ».

==> L’apparition tardive d’une définition de l’écrit dans le Code civil

Il a fallu attendre l’adoption de la loi n°2000-230 du 13 mars 2000 portant adaptation du droit de la preuve aux technologies de l’information et relative à la signature électronique pour voir apparaître dans le Code civil une définition de l’écrit.

Cette définition a d’abord eu pour siège l’ancien article 1316 du Code civil. Puis, elle a été transférée à l’article 1365 consécutivement à l’adoption de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit de la preuve.

Selon ce texte, « l’écrit consiste en une suite de lettres, de caractères, de chiffres ou de tous autres signes ou symboles dotés d’une signification intelligible, quel que soit leur support. »

Comme précisé dans les travaux parlementaires, la définition retenue de la preuve littérale a été formulée en des termes suffisamment généraux pour couvrir, non seulement l’écrit électronique, mais également toute autre forme d’écrit susceptible de résulter des évolutions technologiques à venir.

Si cette définition présente indéniablement l’avantage d’embrasser tout le champ des possibles, certains auteurs ont souligné qu’elle demeurait malgré tout « incomplète »[1].

En effet, l’article 1365 du Code civil se limite à présenter l’écrit comme consistant « en une suite de lettres, de caractères, de chiffres ou de tous autres signes ou symboles dotés d’une signification intelligible ». Il est pourtant bien plus que cela.

Le législateur a omis d’intégrer dans la définition de l’écrit sa raison d’être : faire la preuve de ce qu’il constate.

Dans son sens juridique, l’écrit est indissociable de sa finalité probatoire. Il n’est autre que le support qui a vocation à fixer la volonté de ceux qui l’établissent à produire des effets de droit.

La notion d’écrit conjugue, autrement dit, ce que l’on appelle le negocium et l’instrumentum.

Pour mémoire :

  • S’agissant du negocium
    • Il consiste en l’acte juridique, soit l’opération voulue par son auteur.
    • L’article 1100-1 du Code civil définit les actes juridiques comme « des manifestations de volonté destinées à produire des effets de droit. »
    • Exemple : la vente d’un bien, la fourniture d’un service, la location d’un immeuble, l’acceptation d’une succession etc.
  • S’agissant de l’instrumentum
    • Il s’agit du support qui constate une manifestation de volonté destinée à produire des effets de droit, soit un acte juridique.
    • L’instrumentum renferme ainsi l’opération juridique telle que voulue, à tout le moins décrite, par son auteur.
    • Autrement dit, l’instrumentum est le contenant, tandis que le negocium est le contenu

L’écrit au sens juridique du terme fait la synthèse entre ces deux notions : il consiste en l’instrumentum qui constate le negocium.

À l’analyse, la définition formulée à l’article 1365 du Code civil ne rend pas compte de cette double dimension de l’écrit.

Pour ce faire, il aurait fallu qu’elle exprime la nécessité pour qu’une suite de signes puisse valoir écrit que celle-ci ait été établie en vue de faire la preuve de l’acte juridique qu’elle constate.

Absente de la définition de l’écrit, cette exigence est éclatée entre les différents articles relevant de la sous-section du Code civil consacrée aux dispositions générales applicable à la preuve par écrit.

 

[1] G. Lardeux, Preuve : mode de preuve, Dalloz, Rép. de Droit Civil. n°15.

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