Le Droit dans tous ses états

LE DROIT DANS TOUS SES ETATS

Le cautionnement souscrit par une personne morale (société) en garantie de la dette d’un tiers: régime

S’il n’est pas interdit aux sociétés de souscrire des cautionnements en garantie de la dette de tiers, cette opération n’en demeure pas moins très encadrée.

Un cautionnement est un acte grave qui engage le patrimoine de la personne morale, de sorte que, en cas d’appel en garantie, il peut emporter de lourdes conséquences financières pour cette dernière.

Afin de prévenir ce risque, à tout le moins de le limiter, la jurisprudence, suivie par le législateur, a posé des conditions à la souscription d’un cautionnement par une société.

Tandis que certaines de ces conditions sont communes à toutes les sociétés, d’autres sont spécifiques aux SARL et SA.

I) Les conditions communes à toutes les sociétés

Pour être valable, l’engagement de caution pris par le représentant légal d’une société doit être :

  • D’une part, conforme à l’objet social
  • D’autre part, conforme à l’intérêt social

A) L’exigence de conformité du cautionnement à l’objet social

À l’instar des personnes physiques, les personnes morales sont dotées de la capacité juridique.

Il en résulte qu’elles sont aptes à être titulaire de droits et à les exercer, ce qui les autorise notamment à contracter.

À ce titre, il est admis que les personnes morales puissent souscrire un engagement de caution au profit de tiers.

Reste que cette capacité juridique qu’on leur reconnaît est limitée, en ce sens qu’elles ne peuvent exercer que les seules activités comprises dans leur objet social.

Cette règle a été consacrée par l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.

Le nouvel article 1145, al. 2e du Code civil issu de cette ordonnance prévoit que « la capacité des personnes morales est limitée par les règles applicables à chacune d’entre elles ».

Aussi est-il fait interdiction aux personnes morales d’accomplir des actes qui seraient étrangers à son objet.

Cette limitation de la capacité de jouissance des personnes morales se répercute sur les pouvoirs dont sont investis leurs représentants légaux qui ne peuvent agir que dans la limite de l’objet défini dans les statuts.

Appliqué au cautionnement, ce principe dit de spécialité signifie qu’un représentant légal ne peut valablement souscrire un engagement de caution au nom et pour le compte de la personne morale qu’à la condition que cet acte entre directement ou indirectement dans l’objet social de cette dernière.

La sanction encourue diffère toutefois selon que la personne morale représentée est une société à responsabilité limitée ou illimitée.

Tandis que dans le premier cas l’irrégularité de l’acte sera inopposable au tiers, dans le second cas le cautionnement sera frappé de nullité.

Il en résulte une différence de régime, s’agissant de l’exigence de conformité du cautionnement à l’objet social, entre les sociétés à responsabilité limitée et les sociétés à responsabilité illimitée

1. Les sociétés à responsabilité limitée

==> Principe

Dans les sociétés à responsabilité limitée, bien que, en application du principe de spécialité, les actes accomplis par le dirigeant doivent être conformes à l’objet social de la personne morale, la violation de cette règle n’a de conséquence que dans l’ordre interne.

En effet, en cas d’accomplissement d’un acte en dépassement de l’objet social, la société demeure engagée à l’égard du tiers contractant.

Cette règle est exprimée pour les SARL à l’article L. 223-18 du Code de commerce qui prévoit que « La société est engagée même par les actes du gérant qui ne relèvent pas de l’objet social, à moins qu’elle ne prouve que le tiers savait que l’acte dépassait cet objet ou qu’il ne pouvait l’ignorer compte tenu des circonstances, étant exclu que la seule publication des statuts suffise à constituer cette preuve. »

Les articles L. 225-56 et L. 225-64 instituent le même principe pour les Sociétés anonymes avec Conseil d’administration et Conseil de surveillance.

Ce principe est énoncé dans les mêmes termes pour les SAS à l’article L. 227-6 du Code de commerce.

Les actes accomplis en dépassement de l’objet social d’une société à responsabilité limitée lui sont donc opposables, sauf à démontrer que le tiers avait connaissance de l’irrégularité.

S’agissant du cautionnement, il ne déroge pas à la règle, ce qui conduit à admettre que la non-conformité d’un engagement de caution à l’objet social de la société est sans incidence sur sa validité.

Tout au plus, l’acte accompli en méconnaissance de l’objet social engagera la responsabilité de son auteur. Reste que la société demeurera tenue d’exécuter l’engagement pris à l’égard du tiers.

==> Tempérament

Par exception au principe d’opposabilité du cautionnement souscrit en dépassement de l’objet social d’une société à responsabilité limitée, il est admis que la garantie puisse être annulée dans l’hypothèse où il serait démontré que le créancier bénéficiaire était de mauvaise foi (V. en ce sens Cass. com. 2 juin 1992, n°90-18.313).

La mauvaise foi du tiers fait néanmoins l’objet d’une appréciation restrictive, le législateur ayant notamment interdit qu’elle puisse se déduire de la publication des statuts.

Lorsqu’elle est établie, la mauvaise foi est sanctionnée par la nullité de l’acte accompli en dépassement de l’objet social (Cass. com. 19 sept. 2018 n 17 17.600)

2. Les sociétés à responsabilité illimitée

a. Principe

En application du principe de spécialité, lorsque le représentant légal d’une société à responsabilité illimitée agit en dépassement de l’objet social, il n’engage pas la société.

L’article 1849 du Code civil prévoit en ce sens, pour les sociétés civiles, que « dans les rapports avec les tiers, le gérant engage la société par les actes entrant dans l’objet social. »

La même règle est énoncée pour les sociétés en nom collectif à l’article L. 221-5 du Code de commerce. Cette disposition s’applique également aux sociétés en commandite.

Cette limitation des pouvoirs du représentant légal dans l’ordre externe s’explique par le souci de protection des associés qui prime les intérêts des tiers.

En effet, dans ce type de groupement, la responsabilité des associés, parce qu’illimitée, peut être recherchée – conjointement ou solidairement selon la forme sociale retenue – au-delà de leurs apports respectifs.

Pratiquement cela signifie que les associés peuvent être poursuivis par les créanciers de la société pour toutes les dettes souscrites au cours de la vie sociale.

À ce titre, ils sont tenus à l’obligation à la dette, outre leur contribution aux pertes qui interviendra au jour de la dissolution de la personne morale.

Aussi, afin de prévenir les agissements intempestifs de dirigeants susceptibles de faire peser sur les associés d’importants risques financiers, il a été décidé par la jurisprudence que les sociétés à responsabilité illimitée ne devaient pas être engagées par des actes accomplis en dépassement de leur objet social et que, par voie de conséquence, de tels actes devaient être frappés de nullité.

La Cour de cassation n’a pas manqué d’appliquer très tôt cette règle au cautionnement, en jugeant, par exemple, dans un arrêt du 6 mars 1979 que l’engagement de caution souscrit par le gérant d’une société civile immobilière visant à garantir le prêt d’une autre société n’était pas valable, car « étranger à l’objet social » de la SCI (Cass. 1ère civ. 6 mars 1979, n°77-14.827).

La Chambre commerciale a adopté la même solution dans un arrêt du 26 janvier 1993 où il était question cette fois-ci d’un cautionnement réel consenti par une société en nom collectif (nantissement de son fonds de commerce) en vue de garantir le prêt contracté par l’acquéreur de parts sociales de cette société.

Après avoir relevé que la garantie souscrite par la personne morale n’entrait pas dans son objet social, les juges ont estimé qu’il devait être regardé comme nul (Cass. com. 26 janv. 1993, n°91-12.566).

Cette solution a été réitérée exactement dans les mêmes termes dans un arrêt rendu le 14 juin 2000, la Cour de cassation ayant considéré, au cas particulier, que « les dettes ainsi garanties par des cautionnements hypothécaires donnés par la SNC ne correspondaient pas à des dettes sociales, mais à des dettes personnelles d’un associé, d’où il résultait que les garanties litigieuses ne constituaient pas un acte entrant dans l’objet social » (Cass. com. 14 juin 2000, n°96-15.991).

Afin d’apprécier la validité d’un cautionnement fourni par une société à responsabilité illimité, il est ainsi procédé à un contrôle systématique de son objet social, lequel doit comprendre la souscription de sûretés pour garantir la dette d’autrui.

À défaut, la garantie constituée par la personne morale est frappée de nullité, sauf à satisfaire à des conditions supplémentaires instituées par la jurisprudence.

b. Tempérament

Il est désormais admis que lorsqu’un cautionnement souscrit par une société à responsabilité illimitée est étranger à son objet social, il peut être sauvé s’il répond à l’un des deux critères suivants :

  • Il existe une communauté d’intérêts entre la personne morale qui fournit le cautionnement et la personne garantie
  • La conclusion du cautionnement procède d’une décision unanime des associés

Dans un arrêt du 8 novembre 2007, la Cour de cassation est venue préciser qu’il s’agissait là de deux critères alternatifs.

Elle a affirmé en ce sens que « le cautionnement donné par une société n’est valable que s’il entre directement dans son objet social ou s’il existe une communauté d’intérêts entre cette société et la personne cautionnée ou encore s’il résulte du consentement unanime des associés » (Cass. 1ère civ. 8 nov. 2007, n°04-17.893).

i. L’existence d’une communauté d’intérêts

Très tôt, la Cour de cassation a jugé que lorsqu’un cautionnement souscrit par une société est étranger à son objet social, il demeure valable dès lors qu’il existe une communauté d’intérêts entre cette dernière et le débiteur principal.

Dans un arrêt du 15 mars 1988, elle a ainsi validé un cautionnement qui avait été consenti par une SCI aux fins de garantir la dette d’une société exploitant une concession automobile au motif « que le cautionnement souscrit se rattachait indirectement à l’objet social de la société civile immobilière en raison de la communauté d’intérêts unissant cette société à la société débitrice principale » (Cass. 1ère civ. 15 mars 1988, n°85-18.312).

Dans un arrêt du 1er février 2000, elle a encore affirmé que « si le cautionnement donné par une société n’entre pas directement dans son objet social, ce cautionnement est néanmoins valable lorsqu’il existe une communauté d’intérêts entre cette société et la société cautionnée » (Cass. 1ère civ. 1er févr. 2000, n°97-17.827).

En somme, pour la Première chambre civile, l’existence d’une communauté d’intérêts permet de pallier la non-conformité du cautionnement à l’objet social.

La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par « communauté d’intérêts ».

La notion n’étant définie par aucun texte, c’est vers la jurisprudence qu’il y a lieu de se reporter.

À l’analyse, la communauté d’intérêts est le plus souvent admise lorsque deux sociétés ont des dirigeants en commun et lorsqu’elles entretiennent des liens économiques étroits entre elles.

Cette situation se rencontre notamment lorsqu’un groupe est structuré de telle façon que les sociétés qui détiennent le patrimoine sont distinctes de celles qui exercent l’activité procurant au groupe ses ressources.

Dans cette configuration, la communauté d’intérêts résulte de la perception de loyers par les sociétés porteuses de l’immobilier du groupe (le plus souvent constituées sous forme de SCI) en contrepartie de la location de locaux à la société d’exploitation qui exerce son activité commerciale dans lesdits locaux.

Tel était le cas dans l’arrêt du 15 mars 1988 aux termes duquel la Cour de cassation reconnaît l’existence d’une communauté d’intérêts entre la SCI et la société concessionnaire (Cass. 1ère civ. 15 mars 1988, n°85-18.312).

La première chambre civile a reconduit cette solution dans l’arrêt rendu en date du 1er février 2000.

Dans cette affaire, une SCI s’était portée caution au profit d’une banque aux fins de garantir le prêt consenti à la société d’exploitation qui appartenait au même groupe.

Après avoir relevé que la société caution était propriétaire des locaux donnés à bail à la société cautionnée, dont elle tirait ses seules ressources, la Cour de cassation considère que l’existence d’une communauté d’intérêts était établie et que, à ce titre, elle « rendait valable le cautionnement litigieux » (Cass. 1ère civ. 1er févr. 2000, n°97-17.827).

L’existence d’une communauté d’intérêts a également été admise en présence d’un bail à construction conclu entre la société caution et la société cautionnée, les deux sociétés ayant, au surplus, en commun, d’être administré par le même dirigeant social (Cass. com. 3 déc. 2003, n°02-11.163).

Ainsi, la communauté d’intérêts sera le plus souvent reconnue, lorsque deux sociétés appartiennent à un même groupe et que l’une tire ses ressources de l’autre.

ii. L’existence d’une décision unanime des associés

==> Principe

L’existence d’une communauté d’intérêts n’est pas la seule circonstance permettant de sauver un cautionnement qui aurait été conclu pour le compte d’une société à responsabilité illimitée en dépassement de son objet social.

La jurisprudence a admis que cette irrégularité pouvait être couverte dès lors que l’engagement de caution a été approuvé par l’unanimité des associés.

Dans un arrêt du 20 octobre 1992, la Cour de cassation a, par exemple, validé un cautionnement souscrit pour le compte d’une SCI alors que cet acte était étranger à son objet social.

Au soutien de sa décision, elle affirme que « selon l’article 1854 de ce code, l’unanimité des associés, requise par l’article 1852 pour les décisions qui excèdent les pouvoirs reconnus au gérant, peut résulter du consentement de tous les associés exprimé dans un acte ».

Elle en tire la conséquence que les juges du fond qui ont débouté la caution de sa demande d’annulation de son engagement « étaient fondés à dire que le cautionnement avait été valablement consenti par [le gérant] agissant tant en son nom personnel qu’en qualité de mandataire de tous les associés » (Cass. 1ère civ. 20 oct. 1992, n°90-21.628).

Si, dans un premier temps, la Chambre commerciale a refusé de faire application de cette solution aux SNC (Cass.com 26 janv. 1993, n°91-12.566), elle est finalement revenue sur sa position dans un arrêt du 18 mars 2003 (Cass. com. 18 mars 2003, n°00-20.041).

Il est donc indifférent que la personne morale qui a irrégulièrement fourni son cautionnement en garantie de la dette d’un tiers soit une société civile ou une société commerciale, dans les deux cas, la décision unanime des associés permet de couvrir l’irrégularité.

À cet égard, il peut être observé que, conformément à l’article 1836, al. 2e du Code civil, la décision des associés d’approuver à l’unanimité la conclusion d’un cautionnement qui ne serait pas compris dans l’objet social, doit être prise dans les mêmes formes que les actes visant à modifier les statuts de la société.

==> Exception

Dans un arrêt du 14 décembre 1999, la Cour de cassation est venue préciser que dans l’hypothèse où le cautionnement a été souscrit par la société en fraude des droits de ses créanciers sociaux, il doit être annulé peut importe qu’il résulte d’une décision unanime des associés.

Dans cette affaire, il était établi qu’une collusion frauduleuse existait entre la banque, bénéficiaire de la caution et le débiteur principal.

La Chambre commerciale considère que cette circonstance devait conduire à l’annulation du cautionnement, peu importe qu’il ait été approuvé par une décision unanime des associés (Cass. com. 14 déc. 1999, n°97-15.554).

B) L’exigence de conformité du cautionnement à l’intérêt social

S’il est admis de longue date que, pour être valable, le cautionnement fourni par une société aux fins de garantir la dette d’un tiers doit nécessairement entrer dans son objet social ou, le cas échéant, répondre à l’un des critères palliatifs fixés par la jurisprudence, il n’en va pas de même s’agissant l’exigence de conformité de l’engagement de caution à l’intérêt social qui a été diversement appréciée par la jurisprudence et qui a donné lieu à un important débat doctrinal.

La question qui, au préalable, se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par « intérêt social ».

1. Les différentes approches de la notion d’intérêt social

Le droit français ne définit pas explicitement en quoi doit consister l’intérêt des sociétés. Il y fait seulement parfois référence, de manière irrégulière, dans des articles s’appliquant à encadrer la gestion de certaines sociétés.

Ainsi, le gérant d’une société civile « peut accomplir tous les actes de gestion que demande l’intérêt de la société » (art. 1848 C. civ.). De même, le gérant d’une société de personne ou d’une SARL peut, « dans les rapports entre associés, et en l’absence de la détermination de ses pouvoirs par les statuts, […] faire tous actes de gestion dans l’intérêt de la société » (art. L. 221-4 C.com.).

En l’absence de support textuel, la notion d’intérêt social est utilisée par les juges dans des circonstances variées de conflits d’intérêts, qui ne concernent pas seulement les dirigeants. Elle y est utilisée comme une « boussole »[1], afin d’apprécier le caractère prétendument fautif d’un comportement.

Tel est par exemple le cas pour apprécier si une garantie consentie par la société au profit d’un tiers a été valablement constituée par le dirigeant.

De façon générale, en fonction de chaque situation et du résultat recherché, les juridictions ont dégagé des solutions prétoriennes pour, tantôt retenir un intérêt propre de la société, tantôt protéger les intérêts des associés.

Quant à la doctrine, elle est divisée. Les auteurs se disputent plusieurs approches, qui se polarisent autour de la question suivante : l’intérêt social est-il réductible à l’intérêt des associés ou faut-il considérer un « intérêt social », supérieur, de la société, distinct de celui des associés ?

  • L’approche contractuelle
    • Selon cette approche, parce que toute société procède de la conclusion d’un contrat, l’intérêt social se confondrait avec l’intérêt commun des associés.
    • Elle implique que les associés sont libres de gérer la société comme ils l’entendent, dès lors que tous sont d’accord et qu’aucune décision sociale ne porte atteinte à l’ordre public.
    • L’approche contractuelle devrait donc conduire à admettre la validité de d’un cautionnement dont la conclusion serait contraire à l’intérêt social de la société, prise en tant que personne morale autonome, mais qui aurait été approuvée par les associés à l’unanimité.
  • L’approche institutionnelle
    • Cette approche repose sur le constat que l’acquisition par la société de la personnalité juridique fait d’elle une personne autonome.
    • À ce titre, elle détient des intérêts potentiellement distincts de ceux des associés.
    • L’intérêt social s’analyserait donc ici en l’intérêt général de la société, qui ne se confondrait pas avec la somme des intérêts des associés qui la composent.
    • À la différence de l’approche contractuelle, l’approche institutionnelle conduit à considérer qu’un cautionnement dont la conclusion aurait été approuvée à l’unanimité des associés, mais qui serait contraire à l’intérêt social, devrait être regardé comme nul.
  • L’approche issue de la théorie de l’entreprise
    • Selon cette approche, l’intérêt social s’étendrait au-delà de l’intérêt de la société, prise comme personne morale.
    • Il correspondrait à l’intérêt de l’entreprise, entendue comme une réalité économique, humaine et financière organisée sous forme de société, comprenant les associés, les salariés, les créanciers, etc.
    • Cette thèse, développée en France par l’école de Rennes, trouve un équivalent anglo-saxon dans la « stakeholders theory».
    • C’est une approche maximaliste qui pourrait entraîner une compréhension large de l’intérêt à agir de tiers à la société (clients, sous-traitants, etc.) contre certaines décisions de gestion des dirigeants sociaux.
    • La conclusion d’un cautionnement qui donc mettrait péril, à tout le moins menacerait l’intérêt des salariés, pourrait, selon cette approche, être remise en cause par ces derniers, puisque contraire à l’intérêt social.

Sans consacrer l’une ou l’autre de ces approches, la loi la loi n°2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises (PACTE) a inscrit la notion d’intérêt social à l’article 1833, al. 2e du Code civil.

Cette disposition prévoit que « la société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité. »

Cette inscription dans la loi de la notion d’intérêt social vise à affirmer un aspect fondamental de la gestion des sociétés : le fait que celles-ci ne sont pas gérées dans l’intérêt de personnes particulières mais dans leur intérêt autonome.

2. L’élévation de l’exigence de conformité du cautionnement à l’intérêt social au rang de condition

S’agissant du cautionnement, la jurisprudence a oscillé entre l’approche contractuelle et l’approche institutionnelle.

Dans un arrêt du 4 février 1971, la Cour de cassation a opté pour l’approche contractuelle en décidant que « l’administrateur d’une société civile peut valablement engager la société par une convention étrangère à l’objet social ou même nuisible aux intérêts sociaux, conclue au profit de tiers, si ledit administrateur a reçu, à cette fin, des pouvoirs réguliers émanant de l’unanimité des associés » (Cass. 3e civ. Févr. 1971, n°69-11.047).

Elle a, par suite, retenu l’approche institutionnelle en jugeant que pour qu’un cautionnement soit valable, il ne suffisait pas qu’il ait été approuvé par l’unanimité des associés, il fallait encore qu’il soit conforme à l’intérêt social (Cass. com. 14 déc. 1999, n°97-15.554).

Cette solution a été reconduite par la Chambre commerciale dans un arrêt du 28 mars 2000 aux termes duquel elle valide la décision d’une Cour d’appel qui, après avoir relevé qu’une SCI avait donné tous pouvoirs à sa gérante à l’unanimité par assemblée générale extraordinaire du 5 décembre 1990 pour accorder son cautionnement, avait considéré que dès lors qu’il n’était pas allégué que le cautionnement était contraire à l’intérêt social, la garantie consentie par la société était pleinement valable (Cass. com. 28 mars 2000, n°96-19.260).

À ce jour, la jurisprudence semble avoir majoritairement opiné pour cette seconde approche, les juges estimant que l’intérêt de la société pouvait ne pas coïncider avec celui des associés.

Parce que la société possède un intérêt autonome, qui n’est pas une juxtaposition d’intérêts des parties prenantes ni de ceux de ses seuls associés, le cautionnement conclu par ses dirigeants au profit de tiers doit, pour être valable, nécessairement être conforme à l’intérêt social, peu importe qu’il ait été ou non approuvé par les associés à l’unanimité.

Bien que cette exigence soit désormais reconnue comme étant la règle, l’analyse de la jurisprudence révèle que son appréciation diffère selon que le cautionnement litigieux a été consenti par une société à responsabilité limitée ou par une société à responsabilité illimitée.

  • Le cautionnement a été consenti par une société à responsabilité limitée
    • Pour mémoire, les sociétés à responsabilité limitée regroupent les sociétés de capitaux (SA et SCA) ainsi que les SARL et les SAS.
    • Dans ce type de sociétés, les actes accomplis par les dirigeants en dépassement de l’objet social engagent la société, le législateur ayant pris le parti de faire primer l’intérêt des tiers sur celui de la personne morale.
    • Aussi, la validité d’un cautionnement souscrit par une SA, SARL ou SAS n’est pas subordonnée à sa conformité à l’objet social.
    • Reste que la constitution de la garantie peut être contraire à l’intérêt social de la société.
    • Or dans les sociétés à responsabilité limitée, et notamment dans les sociétés de capitaux, l’intérêt social est particulièrement marqué dans la mesure où la personnalité des associés est, a priori, moins importante que les apports qu’ils font à la société.
    • Les SA et SCA sont, la plupart du temps, composées de plusieurs milliers d’actionnaires, de sorte qu’il n’est pas évident de réduire l’intérêt de la société à l’intérêt de ces derniers.
    • C’est la raison pour laquelle, la notion d’intérêt social remplira une fonction importante en ce qu’elle devra guider les décisions prises par les dirigeants.
    • Les décisions prises par les juridictions en matière de cautionnement en sont l’illustration.
    • Régulièrement, la Cour de cassation rappelle, en effet, que le cautionnement consenti par une société à responsabilité limitée est frappé de nullité s’il a été souscrit en contrariété à l’intérêt social.
    • La Chambre commerciale a statué en ce sens dans un arrêt du 13 novembre 2007 où il était question d’un cautionnement hypothécaire constitué par une société appartenant à un groupe en garantie d’un prêt contracté par la société mère.
    • Alors qu’il était établi qu’une communauté d’intérêts existait entre les deux sociétés, la Haute juridiction approuve la décision des juges du fond qui avait annulé le cautionnement au motif que la sûreté litigieuse avait pour effet de priver la société garante, sans aucune contrepartie, de ressources éventuelles, en grevant lourdement son patrimoine immobilier de sorte que la souscription de cette sûreté était contraire à l’intérêt social de cette société ( com. 13 nov. 20007, n°06-15.826).
    • Dans un arrêt du 12 mai 2015, la Cour de cassation est venue préciser, s’agissant de la souscription d’un cautionnement hypothécaire par une SARL que « serait-elle établie, la contrariété à l’intérêt social ne constitue pas, par elle-même, une cause de nullité des engagements souscrits par le gérant d’une société à responsabilité limitée à l’égard des tiers» ( com. 12 mai 2015, n°13-28.504).
    • Cette solution a été reconduite par la Chambre commerciale notamment dans un arrêt du 14 février 2018 ( com. 14 févr. 2018, n°16-16.013).
    • Elle a vocation à jouer pour toutes les sociétés à responsabilité illimitée (V. en ce sens pour la SAS com. 19 sept. 2018, n°17-17.600).
  • Le cautionnement a été consenti par une société à responsabilité illimitée
    • Les sociétés à responsabilité illimitée regroupent, pour rappel, les sociétés de personnes au nombre desquelles figurent notamment les sociétés civiles et les sociétés en nom collectif.
    • À cet égard, les actes accomplis par les dirigeants d’une telle structure en dépassement de l’objet social – et c’est là une différence majeure avec les sociétés à responsabilité limitée – n’engagent pas la personne morale.
    • La raison en est que les associés répondent indéfiniment du passif social. Le législateur a donc estimé qu’il y avait lieu de faire primer leur intérêt sur celui des tiers.
    • Aussi, la validité d’un cautionnement souscrit par une société à responsabilité illimitée est-elle toujours subordonnée à sa conformité à l’objet social.
    • Quant à l’exigence de conformité de l’acte à l’intérêt social, elle est moins évidente dans la mesure où, dans ce type de sociétés, l’intuitu personnae est particulièrement marquée.
    • Parce que la personne des associés compte davantage que les capitaux apportés la notion d’intérêt social est plus effacée, à tout le moins elle joue, a priori, un rôle moins important que dans les sociétés à responsabilité limitée.
    • Est-ce à dire que la contrariété d’un cautionnement à l’intérêt social d’une société à responsabilité illimitée serait sans incidence sur sa validité ?
    • Telle n’est pas la voie que la jurisprudence a choisi d’emprunter.
    • Il est désormais admis que, pour être valable, la garantie constituée par une société à responsabilité illimitée doit être conforme à son intérêt social.
    • Cette exigence se dégage, par exemple, d’un arrêt rendu par la Cour de cassation en date du 28 mars 2000.
    • Dans cette décision, la chambre commerciale a refusé d’annuler un engagement de caution souscrit pour le compte d’une SCI au motif « qu’il n’était pas allégué que le cautionnement était contraire à l’intérêt social» ( com. 28 mars 2000, n°96-19.260).
    • Une seule incertitude subsiste s’agissant de la condition tenant à l’intérêt social : sa portée.
    • Sur cette question, deux thèses s’affrontent :
      • Première thèse
        • Selon cette thèse, l’exigence de conformité du cautionnement à l’intérêt social serait une condition distincte qui s’ajouterait celle relative à la conformité à l’objet social.
        • Autrement dit, la conformité de la garantie à l’objet social de la société ou, faute pour cette condition d’être remplie, l’existence d’une communauté d’intérêts ou d’une décision unanime des associés, ne serait pas suffisante. Pour être valable, l’engagement de caution doit, en outre, être conforme à l’intérêt social.
        • Dans un arrêt du 3 juin 2008, la Cour de cassation a jugé en ce sens que quand bien même un cautionnement souscrit en dépassement de l’objet social est couvert par l’existence d’une communauté d’intérêts, il y a lieu, malgré tout, de vérifier si la garantie n’est pas contraire à l’intérêt social (V. en ce sens com. 3 juin 2008, n°07-11.785).
        • Dans un arrêt du 8 novembre 2011, la Chambre commerciale a encore affirmé que « la sûreté donnée par une société doit, pour être valable, non seulement résulter du consentement unanime des associés, mais également être conforme à son intérêt social» com. 8 nov. 2011, n°10-24.438)
        • Il ressort de ces deux décisions que, l’exigence de conformité de la garantie à l’intérêt social est érigée en condition distincte et supplémentaire
      • Seconde thèse
        • Selon cette thèse, le respect de l’exigence de conformité du cautionnement à l’intérêt social serait sans incidence sur la validité de la garantie.
        • D’aucuns soutiennent que l’intérêt social, parce qu’il s’agit là d’une notion trop insaisissable, s’exprimerait en réalité à travers l’existence d’une communauté d’intérêts ou d’une décision unanime des associés.
        • Autrement dit, la garantie serait nécessairement conforme à l’intérêt social dès lors, soit qu’une communauté d’intérêt existerait entre la société garante et la société garante soit qu’elle a été approuvée par les associés à l’unanimité.
        • Cette position s’appuie notamment sur un arrêt rendu par la Première chambre civile en date du 8 novembre 2007 aux termes duquel elle affirme que « le cautionnement donné par une société n’est valable que s’il entre directement dans son objet social ou s’il existe une communauté d’intérêts entre cette société et la personne cautionnée ou encore s’il résulte du consentement unanime des associés, sans préciser, à défaut d’une décision de l’assemblée générale des associés, que le cautionnement remplissait l’une de ces conditions» ( 1ère civ. 8 nov. 2007, n°04-17.893).
        • L’un des principaux enseignements de cette décision est que la Cour de cassation ne subordonne pas la validité du cautionnement à sa conformité à l’intérêt social.
        • En d’autres termes, le cautionnement consenti par une société en garantie de la dette d’autrui serait valable, dès lors que l’une des trois conditions alternatives suivantes serait remplie :
          • Conformité de la sûreté à l’objet social de la société garante
          • Accord unanime des associés
          • Existence d’une communauté d’intérêts entre la société garante et la société débitrice
        • Certains auteurs ont estimé qu’il y avait lieu d’approuver cette position dans la mesure où, selon eux, elle « devrait clarifier et conforter la situation des bénéficiaires de cautionnements de sociétés civiles tant il est difficile pour le tiers, bénéficiaire d’un tel cautionnement, d’apprécier l’intérêt pour la société civile de le souscrire»[2].
        • Selon eux, l’intérêt social se déduirait donc de l’assentiment unanime des associés ou de l’existence d’une communauté d’intérêts entre la société garante et la société garantie
    • L’analyse de la jurisprudence relève que la Cour de cassation semble avoir finalement opté pour la première thèse.
    • Dans un arrêt du 18 octobre 2017, la Première chambre civile s’est, en effet, ralliée à la position de la chambre commerciale en admettant qu’un cautionnement qui avait été souscrit en contrariété des intérêts de la société garante puisse être annulé, alors mêmes qu’il avait été adopté à l’unanimité des associés ( 1ère civ. 18 oct. 2017, n°16-17.184).
    • Plus tôt, c’est la Troisième chambre civile qui, dans un arrêt du 12 septembre 2012, s’est alignée sur cette jurisprudence en jugeant que « le cautionnement même accordé par le consentement unanime des associés n’est pas valide s’il est contraire à l’intérêt social» ( 3e civ. 12 sept. 2012, n°11-17.948).
    • De son côté, la Chambre commerciale ne manque pas de rappeler, lorsque l’occasion se présente, que la validité du cautionnement consenti par une société en garantie de la dette d’un tiers est subordonnée à la conformité de la sûreté à l’intérêt social ( com. 23 sept. 2014, n°13-17.347; Cass. com. 14 févr. 2018, n°16-16.013).

Au bilan, il apparaît que l’exigence de conformité du cautionnement à l’intérêt social de la société garante constitue une condition distincte et supplémentaire qui donc s’ajoute à celle tenant à l’objet social et ses ersatz.

Des auteurs ont toutefois relevé que, dans certains arrêts, la Cour de cassation ne se référait qu’au seul critère de l’intérêt social.

Dans un arrêt du 2 novembre 2016, elle a, par exemple, estimé que « le cautionnement litigieux a permis à la SCI d’acquérir un patrimoine immobilier et de percevoir les revenus tirés du bail commercial exploité par le débiteur cautionné ou par les exploitants ultérieurs et retient que, sans ce cautionnement, elle n’aurait pu se doter ni d’immeubles, ni de revenus fonciers ; que de ces constatations et appréciations, la cour d’appel, qui n’était pas tenue de procéder à la recherche, dès lors inopérante, du risque pouvant peser sur l’existence même de la société en raison du possible engagement de son entier patrimoine en cas de réalisation de la sûreté, a pu déduire que le cautionnement litigieux n’était pas contraire à l’intérêt social de la SCI » (Cass. com. 2 nov. 2016, n°16-10.363).

Il ressort de cette décision que la Chambre commerciale ne fait ici nullement mention de la conformité de la garantie souscrite à l’objet social. Pour valider la sûreté, elle ne vérifie que sa conformité à l’intérêt social.

Est-ce à dire que l’intérêt social constituerait une condition alternative à l’objet social ?

La doctrine s’accorde majoritairement à dire qu’il n’en est rien. Au cas particulier, le contrôle de l’objet social est, certes, passé sous silence par les juges. Reste que, le cautionnement avait été approuvé par les associés à l’unanimité. La haute juridiction n’a donc vraisemblablement pas jugé utile de s’attarder sur le contrôle de la conformité de la garantie à l’objet social qui, en tout état de cause, était couverte.

Aussi, l’exigence de conformité du cautionnement à l’intérêt social de la société garante est une condition, non pas alternative, mais cumulative.

3. La mise en œuvre de la condition tenant à la conformité du cautionnement à l’intérêt social

Pratiquement, pour déterminer si le cautionnement souscrit par une société est conforme à son intérêt social, la jurisprudence se réfère à deux critères :

  • D’une part, la constitution de la garantie ne doit pas compromettre l’existence même de la société garante
  • D’autre part, la souscription du cautionnement doit être assortie d’une contrepartie suffisante

==> L’absence de risque susceptible de compromettre l’existence même de la société

L’analyse de la jurisprudence révèle que lorsque la souscription d’un cautionnement en garantie de la dette d’autrui a pour effet de grever trop lourdement le patrimoine de la société garante à telle enseigne que cet engagement est de nature à compromettre son existence même, elle sera regardée comme contraire à l’intérêt social de la personne morale.

Dans un arrêt du 13 novembre 2007, la Cour de cassation valide ainsi l’annulation d’un cautionnement au motif notamment que « la sûreté litigieuse avait pour effet de priver la société Chelloise, sans aucune contrepartie, de ressources éventuelles, en grevant lourdement son patrimoine immobilier » (Cass. com. 13 nov. 2007, n°06-15.826).

Dans un arrêt du 3 juin 2008, elle reproche encore à une Cour d’appel qui avait validé un cautionnement de n’avoir pas vérifié « si le cautionnement n’était pas contraire à l’intérêt de la SCI, dès lors que le montant de l’engagement était tel qu’en cas de défaillance de M. X…, la société devait réaliser son entier patrimoine pour l’honorer, ce qui était de nature à compromettre son existence même » (Cass. com. 3 juin 2008, n°07-11.785).

La Chambre commerciale a statué dans le même sens dans un arrêt du 23 septembre 2014 aux termes duquel elle affirme de façon limpide que « n’est pas valide la sûreté accordée par une société civile en garantie de la dette d’un associé dès lors qu’étant de nature à compromettre l’existence même de la société » (Cass. com. 23 sept. 2014, n°13-17.347).

Tel sera notamment le cas lorsqu’il s’agira pour une SCI de constituer une hypothèque sur le seul immeuble qu’elle détient en garantie de la dette d’un tiers.

La raison en est que, en cas de mise en œuvre de la garantie, la société se retrouvera dans l’impossibilité de réaliser son objet social. Or c’est là une cause de dissolution de la personne morale (V. en ce sens Cass. com. 8 nov. 2011, n°10-24.438).

La question qui alors se pose est de savoir si le cautionnement encourt la nullité dès lors que sa souscription est de nature à mettre en péril l’existence même de la société ?

Un arrêt rendu par la Cour de cassation en date du 12 septembre 2012, le suggère. Dans cette décision, elle reproche à une Cour d’appel, qui avait validé le cautionnement hypothécaire souscrit par une SCI en dépassement de son objet social mais approuvé par ses associés à l’unanimité, de n’avoir pas recherché « si la garantie consentie par la SCI n’était pas contraire à son intérêt social, dès lors que la valeur de son unique bien immobilier évaluée à 133 000 euros était inférieure au montant de son engagement et qu’en cas de mise en jeu de la garantie, son entier patrimoine devrait être réalisé, ce qui était de nature à compromettre son existence même » (Cass. 3e civ. 12 sept. 2012, n°11-17.948).

La Troisième chambre civile semble ici considérer que la seule circonstance que la souscription du cautionnement fasse peser un risque, en raison de son montant, sur l’existence même de la société suffit à affecter la validité de la garantie.

Cela signifierait donc que lorsque cette circonstance se vérifie, le cautionnement concerné devrait automatiquement être frappé de nullité.

À l’analyse, la solution retenue par la Cour de cassation dans l’arrêt du 12 septembre 2012 est isolée.

La tendance de la jurisprudence est plutôt à estimer que, quand bien même la garantie est susceptible de compromettre l’existence même de la société, elle demeure valable dès lors qu’elle est consentie moyennant une contrepartie suffisante.

==> L’existence d’une contrepartie suffisante

Pour déterminer si la souscription d’un engagement de caution par une société est conforme à son intérêt social, la mise en péril de son existence n’est pas le seul critère à vérifier.

Dans de nombreuses décisions, la Cour de cassation estime qu’il y a lieu également de tenir compte de l’octroi d’une contrepartie suffisante à la société.

Dans un arrêt du 2 novembre 2016, la Cour de cassation a ainsi validé un cautionnement souscrit par une société en garantie de la dette d’un associé au motif que cet engagement avait permis à une SCI « d’acquérir un patrimoine immobilier et de percevoir les revenus tirés du bail commercial exploité par le débiteur cautionné ou par les exploitants ultérieurs » alors même que, au cas particulier, il existait « un risque pouvant peser sur l’existence même de la société en raison du possible engagement de son entier patrimoine en cas de réalisation de la sûreté ».

La Chambre commerciale estime néanmoins que « le cautionnement litigieux n’était pas contraire à l’intérêt social de la SCI » (Cass. com. 2 nov. 2016, n°16-10.363).

Cette exigence posée par la Haute juridiction tenant à l’existence d’une contrepartie suffisance s’explique par la nature du but poursuit par toute société.

Qu’elle soit à responsabilité limitée ou illimitée, une société poursuit nécessairement un but lucratif.

Aussi, n’a-t-elle pas vocation accomplir des actes qui mobilisent sa capacité financière sans en tirer avantage.

Cette exigence vaut pour la souscription d’un cautionnement en garantie de la dette d’autrui, laquelle doit donc être assortie d’une contrepartie.

Par contrepartie il faut entendre un avantage octroyé à la société garante résidant, soit dans le maintien de son activité, soit dans la perspective que l’opération cautionnée lui procure des ressources.

La Cour de cassation se montre particulièrement vigilante quant au respect de cette exigence.

Dans un arrêt du 8 novembre 2011, la Chambre commerciale a, par exemple, approuvé une Cour d’appel d’avoir décidé qu’un cautionnement était contraire à l’intérêt social d’une société après avoir relevé que « l’opération ne lui rapportait aucune ressource mais grevait ainsi très lourdement son patrimoine, exposé à une disparition totale sans aucune contrepartie pour elle, au risque donc de l’existence même de la société garante » (Cass. com. 8 nov. 2011, n°10-24.438).

L’un des enseignements qui peut être retiré de cette décision est que la conformité de la garantie à l’intérêt social est appréciée au regard notamment de la présence d’une contrepartie financière qui, au cas particulier, faisait défaut.

Parfois cette contrepartie consistera en une chance de survie pour la société garante.

L’arrêt rendu par la Cour de cassation en date du 10 février 2015 en est une illustration.

Dans cette affaire, elle a estimé qu’un cautionnement qui engageait l’entier patrimoine d’une SCI n’en demeurait pas moins conforme à son intérêt social dès lors qu’il « s’inscrivait dans le processus de sauvegarde des autres sociétés du groupe » (Cass. com. 10 févr. 2015, n°14-11.760).

Il n’était donc pas question ici de contrepartie financière pour la société garante. La souscription du cautionnement litigieux visait néanmoins à assurer la survie du groupe auquel elle appartenait.

Cette circonstance est, selon la Chambre commerciale, suffisante pour caractériser la conformité de la sûreté à l’intérêt social de la caution.

À l’analyse, la solution retenue en l’espèce par la Cour de cassation suggère que le critère de la présence une contrepartie suffisante primerait le critère du risque de mise en péril de l’existence de la société.

Pour la doctrine, il n’en est rien. On ne saurait dégager une règle générale de l’arrêt rendu le 10 février 2015 en raison de la particularité de l’espèce qui était soumise à la haute juridiction.

Les auteurs s’accordent à dire que les deux critères seraient alternatifs, en ce sens que la présence d’une contrepartie suffisante ne devrait pas couvrir un cautionnement dont la souscription est susceptible de compromettre l’existence même de la société.

Inversement, un cautionnement qui ne mettrait pas en péril l’existence de la société garante mais qui ne serait assorti d’aucune contrepartie suffisance sera regardé comme contraire à l’intérêt social[3].

II) Les conditions spécifiques aux SARL et aux SA

Parce les sociétés sont, bien que dotées de la personnalité juridique, dépourvues de toute capacité d’exercice, elles ne peuvent agir que par l’entremise de leur représentant légal.

Aussi, lorsqu’une société s’oblige à cautionner la dette d’autrui, cet engagement est pris, en réalité, par le mandataire social.

Si, en principe, celui-ci est tenu d’agir strictement dans l’intérêt de la personne morale qu’il représente, il n’est toutefois pas exclu qu’il soit tenté d’exploiter le crédit de cette dernière à des fins purement personnelles.

Afin de prévenir ce risque, à l’occasion de l’adoption de la loi n°66-537 du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales, le législateur a institué des règles spécifiques pour les SARL et les SA.

A) Règles spécifiques instituées pour les SARL

==> Principe

L’article L. 223-21 du Code de commerce pose l’interdiction pour gérants ou associés d’une SARL « de contracter, sous quelque forme que ce soit, des emprunts auprès de la société, de se faire consentir par elle un découvert, en compte courant ou autrement, ainsi que de faire cautionner ou avaliser par elle leurs engagements envers les tiers. »

Cette disposition empêche ainsi les personnes visées par l’interdiction de se faire cautionner une dette personnelle par la société.

Il est indifférent que le cautionnement soit souscrit conformément à l’intérêt social de la SARL.

L’interdiction énoncée par l’article 223-21 s’applique dès lors la garantie intéresse un engagement pris par le gérant ou un associé de la SARL envers un tiers.

À cet égard, dans un arrêt du 12 mai 2015, la Cour de cassation a jugé que « serait-elle établie, la contrariété à l’intérêt social de la sûreté souscrite par une société à responsabilité limitée en garantie de la dette d’un tiers n’est pas, par elle-même, une cause de nullité de cet engagement » (Cass. com. 12 mai 2005, 13-28.504).

Pour déterminer si le cautionnement est nul, il y a donc lieu de vérifier, non pas sa conformité à l’intérêt social de la SARL, mais son objet.

==> Domaine

  • Domaine quant aux personnes
    • Principe
      • L’interdiction instituée à l’article L. 223-21 du Code de commerce vise les seuls cautionnements souscrits en garantie des dettes personnelles :
        • Du gérant personne physique de la SARL
        • Des associés personnes physiques de la SARL
        • Des conjoint, ascendants et descendants du gérant et associés personnes physiques de la SARL ainsi qu’à toute personne interposée.
    • Exception
      • Ne sont pas visés par l’interdiction instituée à l’article L. 223-21 du Code de commerce :
        • Les associés personnes morales, étant précisé que, s’agissant du gérant, dans les SARL il s’agit nécessairement d’une personne physique
        • Les personnes tierces à la SARL ( com. 25 mai 1993, n°91-13.0704).
    • Exception à l’exception
      • L’article L. 223-21 du Code de commerce prévoit que « si la société exploite un établissement financier, cette interdiction ne s’applique pas aux opérations courantes de ce commerce conclues à des conditions normales.»
      • Lorsqu’ainsi la SARL est agréée en tant qu’établissement de crédit ou société de financement, le gérant et associés personnes physiques sont autorisés à se faire cautionner leurs engagements personnels, à la condition toutefois que l’opération soit réalisée selon les conditions normales du marché.
  • Domaine quant aux garanties
    • Dans la mesure où l’article L. 223-21 du Code de commerce ne vise que les cautionnements ou avals, il est admis que l’interdiction ne s’appliquerait pas aux sûretés réelles aux nombres desquelles figure notamment le cautionnement réel.
    • Dans un arrêt du 23 mars 2017 la Cour de cassation a jugé en ce sens « qu’une sûreté réelle consentie pour garantir la dette d’un tiers, laquelle n’implique pas un engagement personnel à satisfaire à l’obligation d’autrui, n’est pas un cautionnement, lequel ne se présume pas» ( 3e civ. 23 mars 2017, n°16-10.766).

==> Sanction

En application de l’article L. 223-21 du Code civil, le cautionnement consenti par une SARL en violation de l’interdiction posée par ce texte est frappé de nullité.

Dans un arrêt du 25 avril 2006, la Cour de cassation a précisé que « la nullité fondée sur les dispositions de l’article 51 de la loi du 24 juillet 1966, devenu l’article L. 223-21 du Code de commerce, est une nullité absolue […] » (Cass. com. 25 avr. 2006, n°05-12.734).

Elle peut donc être soulevée par toute personne justifiant d’un intérêt à agir et notamment par un associé.

L’article L. 235-12 circonscrit toutefois l’action en nullité en disposant que « ni la société ni les associés ne peuvent se prévaloir d’une nullité à l’égard des tiers de bonne foi. »

Quant au délai de prescription de cette action en nullité, la Cour de cassation a jugé, dans un arrêt du 12 mars 2015 qu’elle « n’était pas soumise à la prescription triennale de l’article L. 235-9, alinéa 1er, du code de commerce », soit la prescription de l’action en nullité des actes et délibérations de la société (Cass. com. 12 mai 2015, n°13-28.504).

La prescription qui joue n’est autre que celle applicable à toutes les conventions. Que le cautionnement présente un caractère civil ou commercial, le délai pour agir en nullité est de 5 ans à compter du jour où le titulaire de l’action a eu connaissance des faits lui permettant de l’exercer.

B) Règles spécifiques instituées pour les SA

Les cautionnements donnés par une SA sont encadrés par deux séries de règles : les unes interdisent formellement l’engagement de caution, tandis que les autres subordonnent sa souscription à autorisation.

1. Les cautionnements objets d’une interdiction

a. Les cautionnements donnés en faveur de dirigeants

==> Domaine

Les articles L. 225-43 (SA avec conseil d’administration) et L. 225-91 (SA avec directoire) du Code de commerce prohibent purement et simplement la souscription d’un cautionnement ou d’un aval en faveur des dirigeants.

  • Dans les SA avec Conseil d’administration sont visés :
    • Les administrateurs personnes physiques
    • Le directeur général
    • Les directeurs généraux délégués
    • Les représentants permanents des personnes morales administrateurs
    • Les conjoint, ascendants et descendants des personnes visées par l’interdiction, ainsi que toute personne interposée
  • Dans les SA avec Directoire sont visés
    • Les membres du Directoire personnes physiques
    • Les membres du Conseil de surveillance personnes physiques
    • Les représentants permanents des personnes morales membres du conseil de surveillance
    • Les conjoint, ascendants et descendants des personnes visées par l’interdiction, ainsi que toute personne interposée.

Il peut être observé que, dans les deux cas, sont exclus du domaine de la prohibition :

  • Les associés personnes physiques et personnes morales
  • Les dirigeants personnes morales

Par ailleurs, les articles L. 225-43 et L. 225-91 du Code de commerce prévoient que « si la société exploite un établissement bancaire ou financier, l’interdiction ne s’applique pas aux opérations courantes de ce commerce conclues à des conditions normales ».

Lorsqu’ainsi la SA est agréée en tant qu’établissement de crédit ou société de financement, les dirigeants personnes physiques, en principe visées par l’interdiction, sont autorisés à se faire cautionner leurs engagements personnels, à la condition toutefois que l’opération soit réalisée selon les conditions normales du marché.

==> Sanction

La violation de l’interdiction énoncée aux articles L. 225-43 et L. 225-91 du Code de commerce est sanctionnée par la nullité du cautionnement.

Dans un arrêt du 10 juillet 1981, la Cour de cassation, réunie en chambre mixte, a précisé que « la nullité résultant de la violation de l’interdiction faite aux administrateurs d’une société anonyme, par l’article 40 de la loi du 24 juillet 1867, de faire cautionner par elle leurs engagements envers les tiers, est d’ordre public et sanctionnée par une nullité absolue » (Cass. ch. Mixte, 10 juill. 1981, n°77-10.794).

b. Les cautionnements donnés en faveur de l’acquéreur de titres

==> Principe

L’article L. 225-216 du Code de commerce prévoit que « une société ne peut avancer des fonds, accorder des prêts ou consentir une sûreté en vue de la souscription ou de l’achat de ses propres actions par un tiers. »

Il ressort de cette disposition que l’acquéreur de titres d’une SA ne peut obtenir de celle-ci un engagement de caution en garantie du financement de l’opération de rachat d’actions.

Autrement dit, il s’agit d’interdire à une société d’avancer des fonds, d’accorder des prêts ou de consentir une sûreté en vue de la souscription ou de l’acquisition de ses propres actions par un tiers.

Cette prohibition se justifie par le souci d’éviter que la société ne prête une partie de son actif pour des opérations portant sur son capital social.

Dans son préambule, la directive 77/91/CEE du Conseil, du 13 décembre 1976 prévoit en ce sens que la règle énoncée vise à « préserver le capital, gage des créanciers, notamment en interdisant d’entamer celui-ci par des distributions indues aux actionnaires et en limitant la possibilité pour une société d’acquérir ses propres actions »[4].

À l’analyse, l’interdiction posée par l’article L. 225-216 du Code de commerce s’applique indifféremment à tous tiers, soit à toute personne physique ou morale autre que la société elle-même. Il peut donc s’agit d’un actionnaire.

==> Exceptions

Par exception, cette interdiction ne s’applique pas :

  • D’une part, aux opérations courantes des établissements de crédit et des sociétés de financement
  • D’autre part, aux opérations effectuées en vue de l’acquisition par les salariés d’actions de la société, d’une de ses filiales ou d’une société comprise dans le champ d’un plan d’épargne de groupe

==> Sanctions

La violation de l’interdiction posée par l’article L. 225-216 du Code de commerce est sanctionnée par deux sanctions : l’une civile et l’autre pénale

  • Sanction civile
    • Dans un arrêt du 19 décembre 2000, la Cour de cassation a jugé que la méconnaissance de l’interdiction était sanctionnée par la nullité de la sûreté ( com. 19 déc. 2000, n°96-22.172).
  • Sanction pénale
    • L’article L. 242-24, al. 2e du Code de commerce dispose que, est puni de 150 000 € d’amende, le fait […] « pour le président, les administrateurs ou les directeurs généraux d’une société anonyme, d’effectuer, au nom de celle-ci, les opérations interdites par le premier alinéa de l’article L. 225-216. »

2. Les cautionnements soumis à autorisation

a. Principe

En application des articles L. 225-35 et L. 225-68 du Code de commerce, les cautionnements souscrits en faveur de tiers débiteurs sont soumis à l’autorisation du Conseil d’administration ou du Conseil de surveillance.

Il s’agit là d’une dérogation à la règle qui confère au Directeur général ou au Président du Directoire, les pouvoirs les plus étendus pour agir au nom et pour le compte de la société dans les rapports avec les tiers.

Reste que la constitution d’une sûreté au profit d’un tiers est un acte qui peut avoir de lourdes conséquences financières pour la société, raison pour laquelle le législateur a estimé qu’il y avait lieu de le soumettre à un régime d’autorisation.

b. Domaine

==> Domaine quant aux sociétés assujetties au régime d’autorisation

  • Principe
    • Sont soumises au régime d’autorisation :
      • Les SA avec Conseil d’administration
      • Les SA avec Directoire et Conseil de surveillance
  • Exception
    • Ne sont pas soumises au régime d’autorisation les SA agréées en tant qu’établissement de crédit ou que société de financement.
    • La raison en est que, pour ces sociétés, la fourniture de garanties à des tiers relève de leur objet social.
    • Dans un arrêt du 24 mars 2004, la Cour de cassation a précisé que cette dispense ne s’appliquait pas aux sociétés régies par le Code des assurances ( com. 24 mars 2004, n°00-13.447).

==> Domaine quant à la garantie consentie

Les articles L. 225-35 et L. 225-68 du Code de commerce visent « les cautions, avals et garanties donnés ».

Si les notions de « cautions » et d’« aval » ne soulèvent pas de difficultés, car renvoyant à des figures juridiques bien identifiées, plus délicate est l’interprétation de la notion de « garanties ».

Pour échapper au régime d’autorisation, certains dirigeants ont cherché à engager la société en lui faisant souscrire des lettres d’intention.

La question s’est alors posée de savoir si cette technique ne pouvait pas être qualifiée de garantie au sens des articles L. 225-35 et L. 225-68 du Code de commerce.

Dans un arrêt du 8 novembre 1994, la Cour de cassation a répondu positivement à cette question en jugeant que dès lors que la lettre comporte « l’intention ferme et définitive du signataire de faire le nécessaire pour que » le débiteur puisse honorer ses engagements avec le créancier, elle peut être qualifiée de garantie (Cass. com. 8 nov. 1994, n°92-18.307).

Il en résulte qu’elle doit, au même titre qu’un cautionnement ou un aval, être soumise à l’autorisation du Conseil d’administration.

Cette jurisprudence a donné lieu à une controverse sur la portée de l’engagement pris dans la lettre d’intention.

Pour être soumis au régime d’autorisation, fallait-il que la lettre fasse peser sur l’auteur de l’engagement une obligation de résultat ou une obligation de moyens ?

Dans un premier temps, la Cour de cassation semble avoir opté pour la première solution en admettant, que parce que la lettre mettait à la charge de celui qui souscrit une obligation de résultat, elle était bien constitutive d’une garantie et que, par voie de conséquence, elle devait être soumise à l’autorisation du Conseil d’administration, ce qui n’avait pas été le cas en l’espèce (Cass. com. 23 oct. 1990, n°89-12.924).

Dans un deuxième temps, la Chambre commerciale est revenue sur sa position en reconnaissant que la lettre d’intention stipulant une simple obligation de moyens était également soumise au régime d’autorisation (Cass. com. 9 déc. 1997, n°96-17.916).

Dans un troisième temps, la Cour de cassation a finalement renoué avec la solution initiale en jugeant que parce que l’obligation souscrite dans la lettre litigieuse n’était que de moyens, « elle ne constituait pas une garantie au sens de l’article 98 de la loi du 24 juillet 1966 et ne nécessitait pas une autorisation préalable du conseil d’administration » (Cass. com. 26 janv. 1999, n°97-10.003).

Dans un quatrième temps, elle a toutefois assoupli sa jurisprudence en admettant, dans un arrêt du 26 février 2002, que l’engagement pris par le souscripteur d’une lettre d’intention « de faire le nécessaire » s’analysait en une obligation de résultat (Cass. com. 26 févr. 2002, n°99-10.729).

Il s’agissait là manifestement d’une approche pour le moins libérale de la notion d’obligation de résultat.

Elle n’a toutefois pas eu le temps de prospérer, en raison de la réforme du droit des sûretés opérée, quatre ans plus tard, par l’ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006.

La lettre d’intention a, en effet, été élevée par ce texte au rang de sûreté personnelle aux côtés du cautionnement et de la garantie autonome.

La conséquence en est qu’il est désormais indifférent que l’engagement stipulé mette à la charge du souscripteur de la lettre une obligation de moyens ou une obligation de résultat.

Dans les deux cas, la lettre d’intention doit être regardée comme une garantie au sens des articles L. 225-35 et L. 225-68 du Code de commerce.

Quel que soit son contenu, elle est donc nécessairement soumise à l’autorisation préalable du Conseil d’administration.

c. Régime

==> Principe

Les articles L. 225-35 et L. 225-68 du Code de commerce prévoient que l’autorisation donnée par le Conseil d’administration ou le Conseil de surveillance quant à la souscription par la société d’un cautionnement doit être spéciale.

Il appartiendra donc à ces organes sociaux de se prononcer spécifiquement sur la délivrance d’une autorisation pour chaque opération qui lui est soumise.

Aussi, dans l’hypothèse où l’autorisation est délivrée pour la souscription d’un cautionnement solidaire, le dirigeant ne pourra pas contracter une garantie autonome.

Dans un arrêt du 22 mai 2001, la Cour de cassation a ainsi refusé de valider un cautionnement qui avait été souscrit pour un contrat de crédit-bail portant sur un véhicule, alors que la garantie avait été donnée par le Conseil d’administration pour une opération d’acquisition (Cass. com. 22 mai 2001, n°98-17.386).

==> Exception

Par exception, le législateur a admis que l’autorisation donnée par le Conseil d’administration puisse être globale.

Cela signifie, pratiquement, que le dirigeant sera dispensé de solliciter l’accord du Conseil d’administration pour les cautionnements souscrits dans les limites fixées.

Ces limites tiennent au montant de l’autorisation et à sa durée.

  • S’agissant du montant de l’autorisation
    • Principe
      • L’article R. 225-28, 1er du Code de commerce prévoit que le Conseil d’administration peut :
        • Soit autoriser le cautionnement dans la limite d’un montant total qu’il fixe
        • Soit fixer, par engagement, un montant au-delà duquel le cautionnement ne peut être donné.
      • Lorsqu’un engagement dépasse l’un ou l’autre des montants ainsi fixés, l’autorisation du conseil d’administration est requise dans chaque cas.
    • Exceptions
      • Première exception
        • L’article L. 225-35, al. 4e du Code de commerce prévoit que le conseil peut donner cette autorisation globalement et annuellement sans limite de montant pour garantir les engagements pris par les sociétés contrôlées au sens du II de l’article L. 233-16 du présent code.
        • Il peut également autoriser le directeur général à donner, globalement et sans limite de montant, des cautions, avals et garanties pour garantir les engagements pris par les sociétés contrôlées au sens du même II, sous réserve que ce dernier en rende compte au conseil au moins une fois par an.
      • Seconde exception
        • L’article R. 225-28, al. 3e prévoit que le directeur général peut être autorisé à donner, à l’égard des administrations fiscales et douanières, des cautions, avals ou garanties au nom de la société, sans limite de montant.
  • S’agissant de la durée de l’autorisation
    • Le texte dispose que la durée des autorisations délivrées par le Conseil d’administration ne peut être supérieure à un an, quelle que soit la durée des engagements cautionnés, avalisés ou garantis.

Dans l’hypothèse où le cautionnement a été donné pour un montant total supérieur à la limite fixée pour la période en cours, le dépassement ne peut être opposé aux tiers qui n’en ont pas eu connaissance, à moins que le montant de l’engagement invoqué n’excède, à lui seul, l’une des limites fixées par la décision du conseil d’administration.

Dans un arrêt du 6 mai 1986, la Cour de cassation a précisé qu’il appartenait au bénéficiaire du cautionnement de « vérifier la réalité de l’autorisation alléguée » par le représentant légal de la société pour le compte de laquelle l’engagement est souscrit.

Il s’évince de cette décision que la mention de l’autorisation dans l’acte de cautionnement est insuffisante (Cass. com. 6 mai 1986, n°85-12.862).

Aussi, le créancier devra-t-il exiger, pour justifier avoir fait preuve de diligence et se prévaloir de l’opposabilité de l’acte à la société, la production du procès-verbal de délibération du conseil d’administration mentionnant l’autorisation, le cas échéant par voie judiciaire (Cass. com. 5 mars 1996, n°94-13.151).

À cet égard, la Cour de cassation refuse systématiquement d’admettre la théorie de l’apparence pour reconnaître l’opposabilité du cautionnement qui aurait été donné sans autorisation (Cass. com. 4 oct. 1988, n°86-16.560).

==> Sanction

La nature de la sanction appliquée au cautionnement qui aurait été consenti par une SA, sans que le Conseil d’administration ou le Conseil de surveillance ne l’ait préalablement autorisé, suscite la controverse.

Deux sanctions sont envisageables : la nullité et l’inopposabilité de la garantie.

  • S’agissant de la nullité
    • Il est admis que la sanction naturelle d’un acte accompli en dépassement des pouvoirs de son auteur est la nullité, à tout le moins lorsque le cocontractant est de bonne foi.
    • L’article 1156, al. 2e du Code civil prévoit en ce sens que « lorsqu’il ignorait que l’acte était accompli par un représentant sans pouvoir ou au-delà de ses pouvoirs, le tiers contractant peut en invoquer la nullité. »
    • S’agissant de la souscription d’un cautionnement sans l’autorisation du conseil d’administration, elle devrait donc être sanctionnée par la nullité.
    • La Cour de cassation a statué en ce sens dans un arrêt du 25 novembre 1980 ( com. 25 nov. 1980, n°79-11.442).
    • S’agissant de la nature de la nullité, elle devrait, selon la doctrine, être relative dans la mesure où la violation du principe d’autorisation porte seulement atteinte à l’ordre de public de protection.
    • Il en résulte que l’acte accompli irrégulièrement devrait pouvoir être confirmé ou ratifié a posteriori par le Conseil d’administration ou par l’assemblée générale des actionnaires.
    • Telle n’est pourtant pas la voie empruntée par la Cour de cassation qui, après avoir hésité, a finalement opté pour la sanction de l’inopposabilité de la garantie
  • S’agissant de l’inopposabilité
    • Alors que la doctrine majoritaire se prononce en faveur de la nullité du cautionnement qui aurait été souscrit pour le compte d’une SA sans l’autorisation du conseil d’administration, la jurisprudence a adopté la solution inverse en optant pour l’inopposabilité.
    • La Cour de cassation a, par exemple, retenu cette solution dans un arrêt du 28 avril 1987.
    • Après avoir relevé que le cautionnement avait été donné par le président de la société sans avoir recueilli l’autorisation du conseil d’administration, elle approuve la décision de la Cour d’appel qui avait déclaré l’acte inopposable à la société ( com. 28 avr. 1987, n°85-16.956).
    • La chambre commerciale a eu l’occasion de reconduire cette solution à plusieurs reprises (V. notamment en ce sens com. 8 déc. 1998, n°96-11.542; Cass. com. 1er avr. 2003, n°00-14.070).
    • La conséquence attachée à l’inopposabilité est que l’acte irrégulier est insusceptible de faire l’objet d’une confirmation ou d’une ratification a posteriori ( com. 15 octobre 1991, n°89-19.122)
    • Le cautionnement souscrit

Faute d’opposabilité à la société du cautionnement souscrit irrégulièrement, la question s’est posée de savoir si le dirigeant qui a accompli l’acte en dépassement de ses pouvoirs ne devait pas être personnellement tenu comme garant.

La doctrine n’y est pas favorable, au motif que pour être engagé comme caution, il faut l’avoir expressément voulu.

Quant à la responsabilité du dirigeant, si certaines juridictions ont admis qu’il pouvait être condamné à indemniser le créancier en réparation du préjudice subi (CA Paris, 3 juill. 1998, n°96/84539), la Cour de cassation a refusé d’emprunter cette voie.

Dans un arrêt du 20 octobre 2003, elle a ainsi jugé que « c’est à bon droit que la cour d’appel a retenu que si M. X… avait commis une faute en ne vérifiant pas qu’il détenait toujours le pouvoir de consentir des cautionnements au nom de la société, cette faute n’était pas séparable de ses fonctions de directeur général et qu’il n’était ainsi pas établi que sa responsabilité personnelle était engagée » (Cass. 20 oct. 1998, 96-15.418).

Aussi, pour que la responsabilité du dirigeant soit recherchée il faut que soit établi que celui-ci a commis une faute détachable de ses fonctions.

Or tel n’est pas le cas de la faute consistant à avoir souscrit un cautionnement sans l’autorisation préalable du conseil d’administration.

Au bilan, ni la société, ni le dirigeant n’engage leur responsabilité à l’égard du tiers en cas de cautionnement contracté en dépassement des pouvoirs de l’auteur de l’acte.

Dans un arrêt du 15 janvier 2013, elle Cour de cassation a ainsi jugé, s’agissant d’un cautionnement souscrit sans l’autorisation du Conseil d’administration « qu’en l’absence d’une telle autorisation, cet engagement était inopposable à cette société et ne pouvait faire peser sur elle aucune obligation » (Cass. com. 15 janv. 2013, n°11-27.648).

[1] M. M. Cozian et A. Viandier, Droit des sociétés, Litec, 8e éd., n° 465

[2] A. Cerlès, Les conditions de validité du cautionnement délivré par une société civile, éd. LexisNexis, Actes Pratiques et Ingénierie Sociétaire n° 97, Janvier 2008, 1

[3] V. en ce sens F. Danos, « Sûreté pour autrui et intérêt social », Bulletin Joly Sociétés, mai 2015, n°5, p. 234.

[4] Deuxième directive 77/91/CEE du Conseil, du 13 décembre 1976, tendant à coordonner pour les rendre équivalentes les garanties qui sont exigées dans les États membres des sociétés au sens de l’article 58 deuxième alinéa du traité, en vue de la protection des intérêts tant des associés que des tiers, en ce qui concerne la constitution de la société anonyme ainsi que le maintien et les modifications de son capital

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