Validité du cautionnement: le pouvoir des époux communs en biens de se porter caution (art. 1415 C. civ.)

Sous l’empire du droit antérieur à la grande loi portant réforme des régimes matrimoniaux, les dettes nées du chef d’un conjoint étaient toutes soumises au même régime juridique : elles étaient exécutoires sur les propres du débiteur et sur les biens communs, dès lors qu’il était établi que l’engagement avait été pris au cours du mariage.

Dans le cadre des travaux parlementaires qui ont donné lieu à l’adoption de la loi du 23 décembre 1985, il est deux catégories de dettes qui ont attiré l’attention du législateur.

Il s’agit des emprunts et des cautionnements dont la souscription est susceptible d’emporter des conséquences financières particulièrement graves pour le ménage et représentent donc un danger pour le patrimoine familial.

Aussi, par souci de protection des intérêts de la famille, a-t-il été décidé d’instituer une exception au principe posé à l’article 1413 du Code civil.

Cette exception est énoncée à l’article 1415 du Code civil qui prévoit que « chacun des époux ne peut engager que ses biens propres et ses revenus, par un cautionnement ou un emprunt, à moins que ceux-ci n’aient été contractés avec le consentement exprès de l’autre conjoint qui, dans ce cas, n’engage pas ses biens propres. »

Il ressort de cette disposition que lorsque la dette née du chef d’un conjoint consiste, soit en un emprunt, soit en un cautionnement, la dette n’est pas exécutoire sur les biens communs.

Ainsi est-ce pour un cantonnement du gage des créanciers aux seuls revenus du souscripteur de l’emprunt ou du cautionnement que le législateur a opté en 1985. Le principe ainsi énoncé est, non pas une règle de pouvoir, mais bien de passif.

En effet, l’article 1415 du Code civil ne retire, ni ne limite les prérogatives dont sont investis les époux. Ces derniers demeurent libres de souscrire, sans le consentement de l’autre, un emprunt ou un cautionnement. Cette faculté relève de la gestion concurrente, le législateur ayant écarté la cogestion pour cette catégorie d’actes. La raison en est qu’il a souhaité préserver le crédit du ménage et l’indépendance professionnelle des époux.

Pour assurer la protection du patrimoine de la famille, c’est donc une règle de passif qui a été adoptée et plus précisément une règle qui intéresse l’obligation à la dette. Le gage consenti aux créanciers est le même que celui dont bénéficient les créanciers titulaires d’une dette contractée avant le mariage ou se rattachant à une succession ou une libéralité, à la différence près toutefois que ce gage n’est pas figé.

Le dispositif prévu par l’article 1415 présente la particularité d’opérer une distinction selon que l’emprunt ou le cautionnement ont été ou non contractés avec le consentement du conjoint.

Lorsque ce consentement a été donné, les biens communs sont réintégrés dans le gage des créanciers.

Lorsque, en revanche, il fait défaut, quand bien même l’engagement d’emprunt ou de cautionnement a été pris dans l’intérêt de la famille, la dette ne sera exécutoire que sur les propres et les revenus du débiteur.

Bien que l’économie générale de l’article 1415 ne soulève pas de difficulté particulière, la règle énoncée par ce texte n’en a pas moins fait l’objet d’un contentieux abondant, tant s’agissant de son domaine d’application, que s’agissant de ses modalités de mise en œuvre.

Nous ne nous focaliserons ici que sur le cautionnement.

I) Le domaine d’application de la règle excluant les biens communs du gage des créanciers pour les dettes de cautionnement

A) Définition

Les emprunts ne sont pas les seules opérations susceptibles de mettre en péril les intérêts de la famille, le législateur a estimé que l’acte de cautionnement représentait également un danger pour le patrimoine du ménage.

C’est la raison pour laquelle le cantonnement du gage des créanciers opéré par l’article 1415 du Code civil joue également pour les cas où un époux souscrirait seul un engagement de caution.

La question qui alors se pose est de savoir quelles sont les garanties qui donnent lieu à l’application de cette disposition protectrice ? À l’analyse, à l’instar de la notion d’emprunt, la jurisprudence a adopté une approche extensive de la notion de cautionnement.

Dans son sens ordinaire, le cautionnement se définit comme le contrat par lequel une personne appelée caution s’engage envers un créancier à exécuter l’obligation de son débiteur au cas où celui-ci n’y satisferait pas lui-même.

En somme, le cautionnement consiste à octroyer au créancier un second débiteur, la caution, dont le patrimoine est affecté en garantie du paiement de la dette contractée par le débiteur principal.

Le cautionnement est régi aux articles 2288 à 2320 du Code civil. Cette sûreté présente la particularité d’être assortie d’un régime particulièrement protecteur lorsqu’elle est consentie par une personne physique.

B) Extension du domaine de l’article 1415 aux sûretés personnelles

Bien que l’article 1415 du Code civil vise expressément le cautionnement, garantie dont le domaine est parfaitement défini par le code civil, la jurisprudence a admis que ce texte pouvait également trouver à s’appliquer pour d’autres garanties.

Dans un arrêt du 20 juin 2006, la Cour de cassation a, par exemple, jugé, que l’article 1415 du Code civil était applicable à la garantie à première demande.

Au soutien de sa décision, elle affirme que comme le cautionnement, la garantie à première demande, qui est une sûreté personnelle, « consiste en un engagement par lequel le garant s’oblige, en considération d’une obligation souscrite par un tiers, à verser une somme déterminée, et est donc de nature à appauvrir le patrimoine de la communauté » (Cass. 1ère civ. 20 juin 2006, n°04-11.037).

Dans un arrêt du 4 février 1997, la Chambre commerciale a tenu le même raisonnement pour l’aval donné en garantie d’un billet à ordre (Cass. com. 4 févr. 1997, n°94-19.908)

À cet égard, l’aval se définit comme l’engagement pris par une personne de régler tout ou partie d’un effet de commerce (lettre de change, billet à ordre, etc.), à l’échéance, en cas de défaut de paiement du débiteur garanti.

L’aval se rapproche de la garantie à première demande et du cautionnement en ce qu’il consiste en l’adjonction au rapport d’obligation principal existant d’un rapport d’obligation accessoire qui confère au créancier un droit de gage général sur le patrimoine du garant en cas de défaillance du débiteur initial

C’est parce que, fondamentalement, l’aval et la garantie à première demande ont le même mode de fonctionnement que le cautionnement que la Cour de cassation a considéré qu’il y avait lieu de les assujettir au régime de l’article 1415 du Code civil.

Cette extension du dispositif prévu par ce texte est néanmoins demeurée cantonnée au domaine des sûretés personnelles.

La Cour de cassation a ainsi refusé de faire application de l’article 1415 à l’engagement pris par un associé de souscrire des parts sociales dans une société à risque illimitée.

Dans un arrêt du 17 janvier 2006, elle a affirmé en ce sens que « le contrat de société civile, qui fait naître à la charge de l’associé une obligation subsidiaire de répondre indéfiniment des dettes sociales à proportion de sa part dans le capital, ne saurait être assimilé à un acte de cautionnement » (Cass. 1ère civ. 17 janv. 2006, n°02-16.595).

En l’espèce, l’enjeu portait sur la question de savoir si l’associé d’une SNC pouvait opposer aux créanciers sociaux l’application de l’article 1415 du Code civil.

À cet égard, le créancier de la société envisageait de saisir les biens communs du couple.

Pour la Cour de cassation, l’article 1415 du Code civil n’était pas applicable dans la mesure où l’engagement pris par l’associé en nom collectif ne s’analysait nullement en un acte de cautionnement.

Un auteur justifie cette solution en arguant que « s’il est vrai que le contrat de société à risque illimité a en commun avec le cautionnement de donner, éventuellement, naissance à une obligation de payer la dette d’autrui, en revanche, il s’en distingue fondamentalement par son effet spéculatif résultant d’une recherche directe, par la mise en commun de biens ou d’industrie, d’un bénéfice ou d’une économie qui profitera à la communauté et qui justifie que cette dernière en supporte les risques »[1].

Aussi, cette différence fondamentale qui existe entre le contrat de société et le contrat de cautionnement expliquerait-elle pourquoi dans le premier la communauté doive répondre des dettes nées de ce contrat et que, pour le second, elle échappe au droit de gage général du créancier bénéficiaire de la garantie.

C) Exclusion du domaine de l’article 1415 des sûretés réelles

Tel n’est pas le cas, en revanche, des sûretés réelles qui consistent en l’affectation, non pas d’un patrimoine en garantie de la dette d’autrui, mais d’un bien au paiement préférentiel du créancier.

Autrement dit, elles se caractérisent par l’affectation spéciale et prioritaire d’un ou plusieurs éléments d’actif du débiteur en garantie de l’obligation souscrite. Parmi les sûretés réelles on distingue les sûretés réelles immobilières des sûretés réelles mobilières.

Parce que celui qui constitue une sûreté réelle ne contracte pas un engagement personnel auprès du créancier, mais lui consent un droit réel – accessoire – sur un bien dont il est propriétaire, la jurisprudence refuse d’étendre l’application de l’article 1415 du Code civil à cette catégorie de garantie.

Dans un arrêt du 22 septembre 2016, la Cour de cassation a ainsi validé la décision d’une Cour d’appel qui avait refusé d’appliquer l’article 1415 à un nantissement de meuble incorporel constitué par un époux au motif qu’il consiste en « une sûreté réelle consentie pour garantir la dette d’un tiers, laquelle n’implique aucun engagement personnel à satisfaire à l’obligation d’autrui et n’est pas dès lors un cautionnement, lequel ne se présume pas » (Cass. 1ère civ. 22 sept. 2016, n°15-20.664).

Si l’exclusion des sûretés réelles du domaine de l’article 1415 a toujours été très majoritairement admise, tant par la doctrine, que par la jurisprudence, tel n’est pas le cas de ce que l’on appelle le cautionnement réel.

D) La controverse portant sur le cautionnement réel

Une controverse est née s’agissant de l’application de l’article 1415 du Code civil au cautionnement réel qui est une garantie présentant une nature hybride.

  • D’un côté, il s’agit pour un tiers de s’engager à garantir la dette d’un débiteur principal, ce qui rapproche l’opération du cautionnement
  • D’un autre côté, le garant affecte en garantie du paiement de la dette principale, non pas son patrimoine, mais un ou plusieurs biens déterminés, ce qui rapproche cette garantie d’une sûreté réelle

Compte tenu de cette double facette qui caractérise le cautionnement réel, il a, pendant longtemps, été soumis, tant aux règles applicables aux sûretés réelles, qu’à certaines règles propres au cautionnement.

Très tôt, il a ainsi été reconnu à la caution réelle le bénéfice de cession d’actions ou de subrogation édicté par l’ancien article 2037 du Code civil (V. en ce sens Cass. req. 27 avr. 1942).

Puis à partir du milieu des années 1990, la nature du cautionnement réel a été vivement discutée dans le cadre d’un débat portant sur le domaine d’application de l’article 1415 du Code civil.

Pour mémoire, cette disposition prévoit que « chacun des époux ne peut engager que ses biens propres et ses revenus, par un cautionnement ou un emprunt, à moins que ceux-ci n’aient été contractés avec le consentement exprès de l’autre conjoint qui, dans ce cas, n’engage pas ses biens propres. »

Autrement dit, la souscription d’un cautionnement par un époux seul n’engage les biens communs qu’à la condition que le conjoint ait donné son accord.

À défaut, la dette de caution ne sera exécutoire que sur les seuls revenus de l’époux souscripteur.

Pour que la règle énoncée à l’article 1415 du Code civil s’applique, encore faut-il que l’opération accomplie par un époux seul s’analyse en un « cautionnement ».

Or le texte ne précise pas si par cautionnement il faut entendre seulement les cautionnements personnels ou s’il faut également inclure les cautionnements réels.

La position de la Cour de cassation sur cette question a connu plusieurs évolutions.

1. Évolution jurisprudentielle

==> Première étape

Dans un premier temps, la Cour de cassation a jugé que la règle énoncée par l’article 1415 du Code civil était pleinement « applicable à la caution réelle » (Cass. 1ère civ. 11 avr. 1995, n°93-13.629).

Elle en déduit, dans l’affaire qui lui était soumise, que le nantissement constitué par le mari sur des titres dépendant de la communauté était nul, faute d’avoir obtenu l’accord préalable de son épouse.

En faisant application de l’article 1415 du Code civil, la Première chambre civile assimile donc le cautionnement réel au cautionnement personnel, à tout le moins elle lui applique la même règle.

D’aucuns ont justifié cette position en avançant qu’il y avait lieu de faire application du principe ubi lex non distinguit : là où la loi ne distingue pas, nous ne devons pas distinguer.

Autrement dit, dans la mesure où l’article 1415 du Code civil n’opère aucune distinction, tous les cautionnements seraient visés par le texte. Or le cautionnement réel constituerait une variété à part entière de cautionnement.

Bien que cette solution soit séduisante en ce qu’elle vise à protéger le ménage de l’accomplissement par un époux seul d’actes graves, elle n’est pas à l’abri des critiques.

La position adoptée par la Cour de cassation conduit, en effet, à dénaturer la sanction attachée à la violation de l’article 1415 du Code civil.

Contrairement à ce qui est suggéré par l’arrêt du 11 avril 1995, la règle énoncée par cette disposition consiste, non pas en une règle de pouvoir, mais en une règle de passif.

La conséquence en est que lorsqu’un époux se porte caution sans avoir obtenu, au préalable, l’accord de son conjoint, la sanction devrait être le cantonnement du gage des créanciers.

En aucun cas, le législateur n’a entendu sanctionner la violation de la règle par la nullité de l’acte litigieux.

Il suffit pour s’en convaincre de relire l’article 1415 qui prévoit expressément que « chacun des époux ne peut engager que ses biens propres et ses revenus, par un cautionnement ».

Si la sanction consistant à réduire le gage du créancier ne soulève pas de difficulté lorsque l’acte accompli en dépassement des pouvoirs d’un époux est un cautionnement personnel, la mise en œuvre de cette sanction devient bien moins évidente, sinon impossible, en présence d’un cautionnement réel.

  • L’acte accompli en dépassement des pouvoirs d’un époux est un cautionnement personnel
    • Le cautionnement personnel confère un droit de gage général à son bénéficiaire sur le patrimoine de la caution.
    • Pour réduire l’assiette de ce droit de gage, il suffit dès lors d’exclure certains biens de son assiette.
    • C’est ce que prévoit l’article 1415 du Code civil en interdisant le bénéficiaire d’un cautionnement personnel d’exercer ses poursuites sur les biens dépendant de la communauté.
    • Son gage est dès lors cantonné aux seuls biens propres et revenus de la caution.
  • L’acte accompli en dépassement des pouvoirs d’un époux un est cautionnement réel
    • À la différence du cautionnement personnel, le cautionnement réel ne confère aucun droit de gage général à son bénéficiaire sur le patrimoine de la caution.
    • Le gage du créancier se limite aux biens spécifiquement affectés en garantie par la caution.
    • La mise en œuvre de la sanction prévue par l’article 1415 du Code civil se heurte dès lors à l’assiette de ce gage.
    • Cette sanction ne se conçoit, en effet, que s’il peut être procédé à un cantonnement du gage.
    • Par cantonnement, il faut entendre une réduction du gage à hauteur des biens propres et des revenus de la caution.
    • Comment néanmoins atteindre cet objectif lorsque l’assiette de la garantie comprend un ou plusieurs biens communs déterminés, ce qui correspond à la situation du cautionnement réel ?
    • Dans cette hypothèse, le cantonnement du gage revient à priver le créancier de tout droit sur les biens de la caution.
    • C’est la raison pour laquelle, en jugeant que l’article 1415 du Code civil s’appliquait au cautionnement réel, la Cour de cassation n’avait d’autre choix que d’en tirer la conséquence que, en cas de dépassement par un époux de ses pouvoirs, la sanction applicable devait être la nullité de l’acte.

Au bilan, si la solution retenue dans l’arrêt du 11 avril 1995 se justifie à certains égards pour les raisons ci-avant exposées, elle n’en reste pas moins critiquable en ce qu’elle conduit à dénaturer la sanction prévue par l’article 1415 du Code civil.

La Première chambre civile n’est manifestement pas restée insensible aux critiques émises par une frange importante de la doctrine puisque, quelques années plus tard, elle est revenue sur sa position, à tout le moins lui a apporté un ajustement.

==> Deuxième étape

Par trois arrêts rendus en date du 15 mai 2002, la Cour de cassation a jugé que si « le nantissement constitué par un tiers pour le débiteur est un cautionnement réel soumis à l’article 1415 du Code civil », le créancier n’en reste pas moins autorisé à exercer ses poursuites sur les biens propres et les revenus de la caution.

Plus précisément, elle affirme dans cette décision que « dans le cas d’un tel engagement consenti par un époux sur des biens communs, sans le consentement exprès de l’autre, la caution, qui peut invoquer l’inopposabilité de l’acte quant à ces biens, reste seulement tenue, en cette qualité, du paiement de la dette sur ses biens propres et ses revenus dans la double limite du montant de la somme garantie et de la valeur des biens engagés, celle-ci étant appréciée au jour de la demande d’exécution de la garantie ; qu’ainsi l’arrêt est légalement justifié » (Cass. 1ère civ. 15 mai 2002, n°00-15.298).

À l’analyse, la Première chambre civile raisonne ici en deux temps :

  • Premier temps
    • La Cour de cassation réaffirme sa position adoptée dans l’arrêt du 11 avril 1995 : l’article 1415 du Code civil s’applique au cautionnement réel.
  • Second temps
    • La mise en œuvre de la sanction prévue par l’article 1415 du Code civil consiste, en présence d’un cautionnement réel, à :
      • D’un côté, rendre inopposable à la communauté et au conjoint l’acte de constitution de la sûreté réelle accompli en dépassement des pouvoirs d’un époux
      • D’un autre côté, inclure dans le gage du créancier les biens propres et les revenus de l’auteur de l’acte dénoncé à concurrence de la valeur du bien donné en garantie

Comme relevé par les auteurs, il se dégage de la solution retenue par la Cour de cassation « une conception double du cautionnement réel, composé à la fois d’une sûreté réelle et d’un engagement personnel »[2].

Selon cette conception, le cautionnement réel aurait pour effet, outre la constitution d’une sûreté sur le bien donné en garantie, de créer un engagement personnel au profit du créancier qui, faute de pouvoir exercer ses poursuites sur le bien grevé, pourrait les rediriger vers la caution qui donc serait tenue sur son patrimoine.

Cette approche présente indéniablement l’avantage de concilier la sanction prévue par l’article 1415 du Code civil, qui consiste à cantonner le gage du créancier, avec la particularité du cautionnement réel dont l’assiette se limite à un ou plusieurs biens déterminés.

Bien que séduisante, là encore la solution retenue par la Cour de cassation n’est pas totalement satisfaisante. Elle fait fi, en effet, du caractère exprès du cautionnement personnel.

L’ancien article 2292 du Code civil, devenu l’article 2294 prévoyait que « le cautionnement ne se présume point, il doit être exprès ».

Autrement dit, pour que les biens propres et les revenus de la caution réelle puissent être inclus dans le gage du créancier, encore faut-il que l’époux souscripteur de la garantie ait expressément donné son accord.

Certes il a agi en dépassement de ses pouvoirs. Si toutefois l’on admet que le créancier est investi d’un droit de gage général sur le patrimoine de l’époux caution, c’est que l’on considère que ce dernier est, d’une certaine façon, tenu au titre d’un cautionnement personnel.

Or la conclusion de cette variété de cautionnement requiert un engagement exprès de la caution.

Pour cette raison, les arrêts rendus par la Cour de cassation ont été vivement critiqués par une doctrine quasi unanime.

Si, dans un premier temps, la Chambre commerciale a adhéré à la solution adoptée par la Première Chambre civile (V. en ce sens Cass. com. 13 nov. 2002, n°95-18.994), son ralliement fut de courte durée.

Moins d’un an plus tard, la Chambre commerciale, dans une affaire où l’application de l’article 1415 n’était pas en cause, est revenue à une conception classique du cautionnement réel.

Dans un arrêt du 24 septembre 2003, elle a jugé en ce sens que « le nantissement d’un fonds de commerce consenti en garantie de la dette d’un tiers est une sûreté réelle qui n’a pas pour effet de faire peser sur le propriétaire du fonds une obligation personnelle au paiement de cette dette » (Cass. com. 24 sept. 2003, n°00-20.504).

Pour la chambre commerciale, la conclusion d’un cautionnement réel n’emporte donc pas création d’un engagement personnel de la caution, ce qui dès lors interdit au créancier d’exercer ses poursuites sur un bien autre que celui donné en garantie.

==> Troisième étape

En réaction à la divergence de positions qui s’était installée entre la Première chambre civile et la Chambre commerciale, la Cour de cassation s’est réunie en chambre mixte aux fins de définitivement trancher le débat.

À cet égard, par un arrêt rendu le 2 décembre 2005, elle a considéré « qu’une sûreté réelle consentie pour garantir la dette d’un tiers n’impliquant aucun engagement personnel à satisfaire à l’obligation d’autrui et n’étant pas dès lors un cautionnement » (Cass. ch. Mixte, 2 déc. 2005, n°03-18.210).

Il ressort de cette décision que la chambre mixte ne retient finalement aucune des solutions qui avaient été adoptées par les deux chambres en conflit.

Elle opère, au contraire, un revirement de jurisprudence en refusant de faire application de l’article 1415 du Code civil au cautionnement réel.

Pour la Cour de cassation, cette garantie ne saurait être assimilée au cautionnement personnel, seul visé par le texte. Elle évite d’ailleurs soigneusement de la désigner sous le nom de « cautionnement réel ». Elle lui préfère le qualificatif de « sûreté réelle ».

Les auteurs ont interprété cette éviction du terme « cautionnement réel » comme traduisant la volonté de la Cour de cassation de le « bannir de l’arsenal des concepts juridiques »[3].

Ainsi, pour la haute juridiction, la garantie consistant à affecter un bien déterminé au paiement préférentiel de la dette d’un tiers, ne présenterait aucun caractère hybride. Elle s’analyserait en une simple sûreté réelle. Les règles du cautionnement lui seraient dès lors inapplicables.

Cette position adoptée par la chambre mixte, qui sera reconduite à plusieurs reprises (V. en ce sens notamment Cass. 3e civ. 15 févr. 2006, n°04-19.847 ; Cass. 1ère civ. 20 févr. 2007, n°06-10.217) ne peut qu’être approuvée.

L’affectation d’un bien en garantie de la dette d’un tiers ne saurait emporter création d’un engagement personnel.

Quant à l’article 1415 du Code civil, la sanction qu’il prévoit ne peut jouer qu’en présence d’un cautionnement personnel.

Le seul inconvénient que l’on peut trouver à l’interprétation restrictive de ce texte c’est qu’elle conduit à refuser une protection à l’époux dont le conjoint affecterait en garantie, sans son accord, un bien commun à la dette d’un tiers. Or cet acte est susceptible de priver le ménage d’un actif important.

Cette situation n’est pas sans avoir attiré l’attention du législateur qui a cherché à y remédier à l’occasion de l’adoption de l’ordonnance du 23 mars 2006.

2. Consécration légale

==> L’ordonnance du 23 mars 2006

Dans le cadre de la première réforme des sûretés qui a été opérée par l’ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006, le législateur a entendu consacrer la solution retenue par la Chambre mixte de la Cour de cassation dans son arrêt du 2 septembre 2005.

À cette fin, il a complété :

  • D’une part, le régime du gage en précisant que lorsque le gage est consenti par un tiers, « le créancier n’a d’action que sur le bien affecté en garantie» de telle sorte que le tiers ne prend aucun engagement personnel.
  • D’autre part, l’article 1422 du Code civil en y ajoutant un second alinéa disposant que les époux « ne peuvent non plus l’un sans l’autre, affecter (un bien de la communauté) à la garantie de la dette d’un tiers».

Par ces deux ajouts, il a ainsi été mis fin aux difficultés d’interprétation suscitées par la notion de « cautionnement réel » en jurisprudence.

En soumettant notamment la conclusion d’un cautionnement réel au principe de cogestion, le législateur confirme que, non seulement cette garantie ne relève pas de l’article 1415 du Code civil, mais encore qu’elle est étrangère au concept de cautionnement personnel.

==> L’ordonnance du 15 septembre 2021

Après que l’ordonnance du 23 mars 2006 a classé le cautionnement réel dans la catégorie des sûretés réelles, il en a été tiré la conséquence que les règles du cautionnement personnel ne lui étaient pas applicables.

Reste que le cautionnement réel s’analyse en un acte grave en ce qu’il représente, la plupart du temps, un danger important pour celui qui affecté un bien en garantie de la dette d’un tiers.

D’aucuns se sont alors émus de l’absence de protection réservée à la caution réelle, à plus forte raison lorsqu’il s’agit d’une personne physique.

Conscient du silence de la loi et du risque encouru par la conclusion d’un cautionnement réel, le législateur a, lors de l’élaboration de l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés, souhaité remédier à cette situation, sans pour autant revenir sur sa qualification de sûreté réelle.

Aussi, le nouvel article 2325 du Code civil rappelle qu’une « sûreté réelle conventionnelle peut être constituée par le débiteur ou par un tiers. ». Il ne fait désormais plus aucun doute que le cautionnement réel appartient à la catégorie des sûretés réelles.

L’alinéa 2 du texte précise d’ailleurs que « le créancier n’a d’action que sur le bien affecté en garantie ».

En rupture toutefois avec le droit antérieur, le cautionnement réel se voit désormais appliquer un certain nombre de règles protectrices de la caution.

Il demeure toutefois exclu du domaine d’application de l’article 1415 du Code civil.

II) La mise en œuvre de la règle excluant les biens communs du gage des créanciers pour les dettes de cautionnement

L’article 1415 du Code civil prévoit donc que, en cas de souscription d’un cautionnement par un époux seul, le gage des créanciers est cantonné aux revenus de ce dernier, à moins, précise le texte, « que ceux-ci n’aient été contractés avec le consentement exprès de l’autre conjoint qui, dans ce cas, n’engage pas ses biens propres. »

Ainsi, l’étendue du gage des créanciers varie selon que le conjoint a ou non donné son consentement à l’opération.

À ces deux situations envisagées traitées par l’article 1415, il y a lieu d’en envisager une troisième. Il s’agit de l’hypothèse où le conjoint ne fait pas que consentir à l’acte de cautionnement : il y souscrit.

A) Le conjoint ne consent pas à l’acte de cautionnement

1. Validité de l’engagement pris

Tout d’abord, il peut être observé que l’article 1415 du Code civil n’interdit en aucune manière un époux de contracter seul un cautionnement.

Si le doute existait, cette disposition vient au contraire confirmer que la souscription d’un tel engagement par un époux est pleinement valable.

La conséquence attachée à l’absence d’accord du conjoint, c’est seulement le cantonnement du gage des créanciers.

Il s’agit là d’une exception au principe de corrélation entre le pouvoir de gestion et le pouvoir d’engagement.

Cette exception se justifie par la volonté du législateur de protéger le patrimoine conjugal contre des engagements susceptibles d’emporter des conséquences pécuniaires graves.

2. Cantonnement du gage des créanciers

==> Principe général

L’article 1415 du Code civil prévoit que lorsqu’un époux contracte un cautionnement sans l’accord de son conjoint, il n’oblige que ses biens propres et ses revenus.

Il en résulte qu’il est fait interdiction aux créanciers :

  • Soit de saisir les biens communs en dehors des revenus de l’époux souscripteur de la dette.
  • Soit de constituer une sûreté réelle sur un bien relevant de la masse commune (V. en ce sens 1ère civ. 2 juill. 1991, n°90-12.747).

En de violation de l’interdiction de saisie, la jurisprudence estime qu’il y a lieu à restitution du bien indûment saisi (Cass. 1ère civ. 20 mai 2003, n°01-12.436).

Dans un arrêt du 18 février 2003, la Cour de cassation a précisé qu’il était indifférent que le paiement de la dette au moyen des deniers communs procède d’une action volontaire de l’époux débiteur : le conjoint est fondé à réclamer leur restitution (Cass. 1ère civ. 18 févr. 2003, n°00-21.362).

S’agissant de la violation par les créanciers de l’interdiction de constituer une sûreté réelle sur les biens communs, elle est sanctionnée par l’inefficacité de la garantie prise par le créancier.

À cet égard, le cantonnement du gage des créanciers perdure aussi longtemps que la communauté n’est pas définitivement liquidée.

Dans un arrêt du 28 mars 2008, la Cour de cassation a jugé en ce sens que l’insaisissabilité des biens communs produit ses effets y compris lorsque, après que la communauté a été dissoute, le bien est devenu indivis (Cass. 1ère civ. 28 mars 2008, n°07-13.388).

Quant à l’étendue du cantonnement, elle est circonscrite aux seuls biens propres et aux revenus du souscripteur de la dette de cautionnement.

Si l’identification de la première catégorie de biens ne soulève pas de réelle difficulté, plus délicate est la détermination du périmètre de la seconde catégorie. Que recouvre la notion de revenus ?

==> Identification des revenus

Si donc les revenus peuvent être saisis par les créanciers de l’époux qui a souscrit un cautionnement sans l’accord de son conjoint, encore faut-il déterminer ce que recouvre cette notion.

En premier lieu, de l’avis général des auteurs, les revenus comprennent :

  • Les gains et salaires
    • Classiquement on distingue deux catégories de rémunérations qui sont comprises dans le périmètre des gains et salaires :
      • Les rémunérations du travail
      • Les substituts de rémunérations du travail
  • Les revenus de propres
    • Il s’agit des fruits et des produits attachés à un bien propres
      • S’agissant des fruits, ils correspondent à tout ce que la chose produit périodiquement sans altération de sa substance.
      • S’agissant des produits, ils correspondent à tout ce qui provient de la chose sans périodicité, mais dont la création en altère la substance

En second lieu, pour être saisissables, il est indifférent que les revenus de l’époux soient au stade de simple créance ou qu’ils aient été perçus.

Reste que, une difficulté survient, au stade de la perception, lorsque les revenus consistent en une somme d’argent, ce qui sera le cas la plupart du temps.

En effet, l’argent est une chose fongible. Lorsque, dès lors, il est mélangé avec d’autres sommes d’argent, il devient difficile de l’individualiser.

La question qui a alors se pose est de savoir si le dépôt de revenus sur un compte bancaire n’a pas pour effet de les rendre insaisissables.

En somme, leur inscription en compte n’aurait-elle pas pour effet de leur faire perdre leur nature de revenus et de les transformer en acquêts ordinaires s’ils sont notamment mélangés avec des deniers communs ?

À l’analyse, l’article 1415 du Code civil est silencieux sur ce point. Aussi, est-ce vers la jurisprudence qu’il convient de se tourner.

Pour la Cour de cassation, pour que des revenus soient saisissables, il appartient au créancier de démontrer qu’ils ont été déposés sur un compte exclusivement alimenté par des revenus (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 3 avr. 2001, n°99-13733).

Dans un arrêt du 14 janvier 2003, elle a également précisé que le créancier devait démontrer que les revenus perçus par l’époux débiteur ne se sont pas transformés en acquêts ordinaires (Cass. 1ère civ. 14 janv. 2003, n°00-16078). Tel sera le cas lorsqu’ils auront été économisés.

Cette dernière exigence posée par la jurisprudence n’est pas sans soulever une difficulté de mise en œuvre.

La notion d’économie n’est définie par aucun texte. Dans ces conditions, comment déterminer la date à compter de laquelle les revenus se transforment en acquêts ordinaires et, par voie de conséquence, ne sont plus saisissables ?

Est-ce à partir du moment où ils sont inscrits sur un compte bancaire ? Cette situation se rencontrera néanmoins, en pratique, presque systématiquement,

Doit-on se focaliser, au contraire, sur la volonté de l’époux d’économiser ses revenus ? Comment, toutefois, établir cette volonté ? Doit-elle être présumée lorsque lesdits revenus ne sont pas consommés dans un certain délai ? Mais alors, quel délai retenir ? Et l’on en revient à la question initiale relative à la détermination de la date de transformation des revenus perçus en revenus économisés.

De l’aveu même d’André Colomer la définition de la notion d’économie se laisse difficilement appréhender.

Aussi, est-ce la raison pour laquelle des auteurs ont suggéré une autre approche pour identifier les revenus saisissables.

D’aucuns ont proposé de faire une application, par analogie, de la règle énoncée à l’article 1414 du Code civil.

Cette disposition prévoit que les gains et salaires d’un époux ne peuvent être saisis par les créanciers de son conjoint.

Le montant de la somme insaisissable est toutefois plafonné par l’alinéa 2 du texte qui, pour la détermination de ce plafond, renvoie au décret n° 92-755 du 31 juillet 1992 instituant de nouvelles règles relatives aux procédures civiles d’exécution.

Aux termes de l’article 48 de ce décret lequel a été codifié par le décret n°2012-783 du 30 mai 2012 à l’article R. 162-9 du Code des procédures civiles d’exécution, lorsqu’un compte, même joint, alimenté par les gains et salaires d’un époux commun en biens, fait l’objet d’une mesure d’exécution forcée ou d’une saisie conservatoire pour le paiement ou la garantie d’une créance née du chef du conjoint, il est laissé immédiatement à la disposition de l’époux commun en biens une somme équivalant, à son choix :

  • au montant des gains et salaires versés au cours du mois précédant la saisie ;
  • au montant moyen mensuel des gains et salaires versés dans les douze mois précédant la saisie.

La règle ainsi posée présente indéniablement l’avantage d’énoncer un critère objectif et précis d’identification des gains et salaires.

Ces derniers s’identifient donc par leur montant. Dès lors que le montant des sommes déposées sur un compte bancaire alimenté par des rémunérations du travail (ou substituts) est inférieur à un mois de salaire, ces sommes sont insaisissables.

En revanche, lorsque le plafond est dépassé, le surplus d’argent inscrit en compte est considéré comme un acquêt ordinaire et peut, à ce titre, faire l’objet d’une saisie.

L’application du critère énoncé par l’article 1414 du Code civil dans le cadre de la mise en œuvre du droit de poursuite des créanciers personnelles d’un époux permettrait manifestement de surmonter la difficulté tenant à l’identification des revenus saisissables.

Dans un arrêt du 17 février 2004, la Cour de cassation a néanmoins jugé que « le cantonnement prévu par l’article 1414, alinéa 2, du Code civil, qui protège les gains et salaires d’un époux commun en biens contre les créanciers de son conjoint, n’est pas applicable en cas de saisie, sur le fondement de l’article 1415 qui protège la communauté, d’un compte bancaire alimenté par les revenus des époux » (Cass. 1ère civ. 17 févr. 2004, n°02-11039).

Il n’est donc pas possible de transposer le critère d’identification des gains et salaires aux revenus visés par 1415 du Code civil.

Pour saisir les revenus de l’époux qui a souscrit seul une dette de cautionnement, le créancier poursuivant devra donc être en mesure de démontrer :

  • Soit que le compte bancaire objet de la saisie est exclusivement alimenté par des revenus du débiteur
  • Soit que les fonds inscrits en compte n’ont pas été thésaurisés, ce qui supposera qu’il surmonte la difficulté de définition de la notion d’économies

3. Titularité du droit d’opposer l’absence consentement aux créanciers

Si l’absence de consentement du conjoint quant à la souscription d’un cautionnement par un époux seul a pour effet de cantonner le gage des créanciers, la question s’est posée de savoir qui était en mesure de se prévaloir de ce cantonnement.

S’il ne fait aucun doute que le conjoint qui n’a pas consenti à l’acte est recevable à opposer ce moyen de défense aux créanciers, qu’en est-il de l’époux souscripteur de la dette ?

Dans un premier temps, la Cour de cassation a refusé ce droit à ce dernier, considérant que cette faculté était réservée au seul conjoint (Cass. 1ère civ. 26 mai 1999, n°97-13.268).

Dans un second temps, la première chambre civile est revenue sur sa position considérant que les deux époux étaient fondés à se prévaloir de la protection instituée à l’article 1415 du Code civil (Cass. 1ère civ. 15 mai 2002, n°99-21.464).

La Cour de cassation a, en revanche, fermé cette voie de droit aux tiers (Cass. 1ère civ. 14 janv. 2003, n°00-16.078).

B) Le conjoint consent à l’acte de cautionnement

==> Validité de l’engagement pris

Ainsi qu’il l’a été rappelé ci-dessous, la souscription d’un cautionnement par un époux seul est pleinement valable.

Il en résulte qu’il est indifférent que le conjoint ait ou non donné son consentement à l’acte.

L’accord de celui-ci aura seulement pour effet de lever le cantonnement du gage des créanciers opéré par la règle énoncée à l’article 1415 du Code civil.

==> Étendue du gage des créanciers

Lorsque, dès lors, le conjoint de l’époux qui contracte seul un cautionnement consent à l’acte, cet accord a pour effet de réintégrer les biens communs dans le gage des créanciers.

Concrètement, cela signifie que ces derniers seront autorisés à poursuivre leur dette sur :

  • D’une part, les biens propres et les revenus de l’époux débiteur
  • D’autre part, les biens communs

S’agissant des biens communs, la question s’est posée de savoir si la dette de cautionnement n’était pas exécutoire sur les revenus du conjoint.

En effet, en cas d’accord de celui-ci, l’article 1415 prévoit qu’il « n’engage pas ses biens propres ».

Compte tenu de ce que les revenus des époux sont des biens communs, est-ce à dire que, à l’instar des acquêts ordinaires, ils sont réintégrés dans le gage des créanciers ?

S’agissant des revenus de propres du conjoint, il est admis qu’ils peuvent faire l’objet d’une saisie par les créanciers. La raison en est que ces derniers sont toujours engagés lorsqu’une dette est contractée au cours du mariage par un époux seul.

S’agissant, en revanche, des gains et salaires, la question est plus délicate dans la mesure où pour les dettes nées du chef d’un époux l’article 1414 du Code civil les exclut expressément du gage des créanciers.

Cette disposition prévoit en ce sens que « les gains et salaires d’un époux ne peuvent être saisis par les créanciers de son conjoint que si l’obligation a été contractée pour l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants, conformément à l’article 220. »

Une lecture littérale de l’article 1415 du Code civil devrait conduire à faire fi de cette exclusion qui ne semble s’appliquer que pour les dettes ordinaires.

Or les dettes de cautionnement jouissent d’un statut spécifique qui pourrait justifier qu’on leur applique un traitement différencié.

Reste que, la solution serait sévère pour le conjoint qui a seulement consenti à l’acte de cautionnement. À cet égard, cela reviendrait à accorder une protection moindre au conjoint pour ces types d’engagements alors que le danger qu’ils représentent est bien plus grand.

La doctrine majoritaire est favorable à une exclusion du gage des créanciers des gains et salaires du conjoint, dans la mesure où il a seulement donné son consentement à l’acte.

Quant à la jurisprudence, elle ne s’est pas encore explicitement prononcée sur ce point.

Dans un arrêt du 22 février 2017, la Cour de cassation a certes jugé que, s’agissant de l’appréciation de la proportionnalité d’un cautionnement, il y avait lieu de tenir compte des gains et salaires du conjoint (Cass. 1ère civ. 22 févr. 2017, n°15-14.915).

Il est néanmoins toujours difficile de transposer la solution dégagée dans une décision pour répondre à une problématique différente de celle soumise au juge qui a rendu cette décision.

==> Forme du consentement

L’article 1415 du Code civil prévoit que pour que le cantonnement du gage des créanciers soit levé, le consentement du conjoint doit être « exprès ».

Cela signifie que l’accord donné ne peut être tacite ou implicite (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 25 nov. 1997, n°94-20.788).

À cet égard, la seule connaissance du conjoint de l’opération ne vaut pas accord exprès (Cass. 1ère civ. 1er déc. 2010, n°09-15.669).

Pour être valable, le consentement doit donc avoir été exprimé par écrit, soit dans l’acte de cautionnement lui-même, soit par acte séparé.

Dans un arrêt du 13 novembre 1996, la Cour de cassation a précisé que l’accord du conjoint n’est pas soumis à l’exigence de la mention manuscrite prévue par l’article 1376 du Code civil (Cass. 1ère civ. 13 nov. 1996, n°94-12.304).

Quant au moment de l’accord du conjoint, il doit intervenir au plus tard au jour de la régularisation de l’acte de cautionnement (Cass. 1ère civ. 3 juin 1997, n°94-20.788).

C) Le conjoint souscrit à l’acte de cautionnement

Lorsque le conjoint donne son accord à la conclusion d’un cautionnement, il y a lieu de bien mesurer la portée de son consentement.

Ce consentement peut signifier :

  • Soit que le conjoint entend seulement autoriser la réintégration des biens communs dans le gage des créanciers
  • Soit que le conjoint entend souscrire personnellement à l’acte de cautionnement

La première difficulté consistera alors à déterminer quelle a été l’intention du conjoint.

S’agissant du cautionnement, dans la mesure où cet acte ne se présume pas, il suffira de se reporter à la mention manuscrite qui a pour fonction d’exprimer la volonté de la caution à s’engager.

En pratique, il peut être observé que les créanciers – et notamment le banquier – exigeront systématiquement l’engagement du conjoint.

Lorsque cet engagement est établi, il y a lieu de distinguer selon que le consentement des époux s’exprime dans des actes séparés ou dans un acte unique.

  • Le consentement des époux s’exprime dans des actes séparés
    • Cette situation se rencontre lorsque des époux cautionnent séparément une même dette.
    • Il ressort d’un arrêt rendu par la Cour de cassation en date du 9 mars 1999 ( 1ère civ. 9 mars 1999, n°97-12.357), que, dans cette hypothèse, il y a lieu de distinguer deux situations :
      • Aucun des engagements pris par les époux ne fait référence à celui de l’autre
        • En pareil cas, chaque époux engage ses biens propres et ses revenus à l’exclusion des biens communs ordinaires.
        • C’est donc une application distributive de l’article 1415 du Code civil qui doit être faite.
        • Autrement dit, les époux sont réputés s’obliger séparément à la dette qui dont, n’est ni conjointe, ni solidaire.
      • Chaque engagement pris par les époux fait référence à celui de l’autre
        • Dans cette hypothèse, bien que l’engagement pris par chaque époux individuellement soit formalisé dans des actes séparés, ils sont réputés être engagés à l’acte, soit conjointement, soit solidairement.
        • Il en résulte que les biens communs sont engagés, en sus de leurs biens propres et revenus respectifs
  • Le consentement des époux s’exprime dans un acte unique
    • Dans cette hypothèse, la cour de cassation décide que « l’article 1415 du Code civil n’a plus lieu de s’appliquer» ( 1ère civ. 13 oct. 1999, n°99-19.126).
    • Aussi, le gage des créanciers est ici des plus larges : la dette contractée par les époux peut être poursuivie sur l’ensemble du patrimoine du couple, soit :
      • D’une part, sur leurs biens propres et leurs revenus
      • D’autre part, sur les biens communs
    • Quant à la question de savoir si l’engagement pris est solidaire ou conjoint, cela dépend de la nature de la dette souscrite et des termes de l’acte.
    • En effet, la solidarité ne se présume pas. Il en résulte que pour jouer, elle doit être prévue soit par la loi, soit par le contrat.
    • À défaut, l’engagement sera réputé avoir été souscrit conjointement par les époux.

En synthèse:

[1] F. Bicheron, « L’obligation aux dettes sociales de l’associé d’une société à risque illimité et l’article 1415 du code civil », D., 2006, 2660.

[2] M. Bourassin et V. Brémond, Droit des sûretés, éd. Dalloz, 2020, coll. « Sirey », n°1284, p. 911

[3] Ph. Simler, Cautionnement – Définition, critère distinctif et caractères, Jurisclasseur, fasc. 10, n°27

Validité du cautionnement: le mandat de se porter caution

Le pouvoir se définit comme l’aptitude pour celui qui en est investi à représenter une personne.

Il s’agit, autrement dit, de la faculté d’agir au nom et pour le compte d’autrui, soit d’être son représentant.

Ainsi, tandis que la capacité correspond à l’aptitude à être titulaire de droits ou à les exercer, le pouvoir est attaché à la notion de représentation.

Le représentant est celui qui a le pouvoir d’exercer les droits dont est titulaire le représenté.

S’agissant du pouvoir de se porter caution pour le compte d’autrui, cette situation est susceptible de se rencontrer :

  • Dans le cadre d’un mandat
  • Dans le cadre de rapports entre époux
  • Dans le cadre de l’activité exercée par une personne morale

Nous nous focaliserons ici sur le mandat de se porter caution.

Il est admis qu’une personne puisse se faire représenter par un mandataire aux fins de souscrire un cautionnement.

Pour que son engagement soit valable, deux conditions doivent néanmoins être remplies, outre celles posées par le droit commun du mandat.

  • Le mandataire doit avoir agi dans les limites de son pouvoir
  • Le mandat doit respecter le même formalisme que celui exigé pour le cautionnement

==> Les limites du mandat

Le mandataire ne peut conclure un cautionnement au nom et pour le compte de la caution que dans la limite des pouvoirs qui lui ont été conférés par elle.

L’engagement souscrit ne devra donc pas excéder le montant, la durée ou encore l’étendue de la garantie (simple ou solidaire) stipulés dans le mandat.

À défaut, le cautionnement sera frappé de nullité, le mandataire étant dépourvu du pouvoir requis pour régulariser l’acte.

Dans un arrêt du 26 janvier 1999, la Cour de cassation a ainsi validé l’annulation d’un cautionnement solidaire qui avait été souscrit par un clerc de notaire en représentation de clients (cautions), alors que celui-ci n’avait reçu mandat que pour conclure un cautionnement hypothécaire.

Au soutien de sa décision la Première chambre civile affirme notamment « qu’en cas de dépassement de mandat, le mandant demeure tenu pour ce qui a été exécuté conformément au mandat ; que la cour d’appel a fait une exacte application des dispositions de l’article 1998 du Code civil en décidant que les époux X… n’étaient tenus envers la BRA qu’au titre de leur engagement de caution hypothécaire limité au seul immeuble décrit à l’acte, conformément au mandat par eux donné » (Cass. 1ère civ. 26 janv. 1999, n°96-21.192).

==> Le formalisme du mandat

Pour que l’engagement de caution soit valable, le mandat doit comporter les mêmes mentions obligatoires que celles exigées pour la validité de l’acte de cautionnement.

Dans un arrêt du 31 mai 1988, la Cour de cassation a jugé en ce sens, au visa des articles 1326 (aujourd’hui 1376), 2015 et 1985 du Code civil que « les exigences relatives à la mention manuscrite devant figurer sur un acte de cautionnement ne constituent pas de simples règles de preuve mais ont pour finalité la protection de la caution ; qu’il s’ensuit que le mandat sous seing privé de se rendre caution est soumis aux mêmes exigences et qu’il doit comporter, soit, lorsque le montant de l’obligation cautionnée est déterminable au jour de l’engagement de la caution, la mention écrite de sa main de la somme en toutes lettres et en chiffres, soit, lorsque ce montant n’est pas déterminable et qu’il s’agit donc d’un cautionnement indéfini, une mention manuscrite exprimant sous une forme quelconque, mais de façon explicite et non équivoque la connaissance par la caution de la nature et de l’étendue de l’engagement qu’elle entend souscrire » (Cass. 1ère civ. 31 mai 1988, n°86-17.495).

La règle ainsi posée ne joue pas seulement pour la mention manuscrite de l’article 1376 exigée ad probationem, son application a été étendue aux mentions manuscrites exigées ad validitatem par le Code de la consommation.

Dans un arrêt du 8 décembre 2009, la Cour de cassation a notamment affirmé que « le mandat sous seing privé de se porter caution pour l’une des opérations relevant des chapitres I ou II du titre premier du livre troisième du code de la consommation doit répondre aux exigences des articles L. 313-7 et L. 313-8 de ce code ; que l’irrégularité qui entache le mandat s’étend au cautionnement subséquent donné sous la forme authentique » (Cass. 1ère civ. 8 déc. 2009, n°08-17.531).

Lorsque dès lors, une caution donne pouvoir à un mandataire de s’engager pour elle au profit d’un créancier, le mandat est soumis au même formalisme que le cautionnement.

Pratiquement, la caution devra reproduire dans l’acte de mandat les mêmes mentions que celles qu’elle aurait dû apposer manuscritement sur l’acte de cautionnement.

D’origine jurisprudentielle, cette règle a été consacrée par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés.

Cette ordonnance a introduit un troisième alinéa à l’article 2297 du Code civil qui prévoit désormais que « la personne physique qui donne mandat à autrui de se porter caution doit respecter les dispositions du présent article. »

Tout d’abord, il ressort de cette disposition qu’elle ne s’applique qu’aux seuls cautionnements souscrits par des personnes physiques, quelle que soit la qualité du créancier (professionnel ou non).

Ensuite, lorsque cette condition est remplie, devront être reproduites sur le mandat les mentions aux termes desquelles la caution :

  • D’une part, s’engage à payer au créancier ce que lui doit le débiteur en cas de défaillance de celui-ci, dans la limite d’un montant en principal et accessoires exprimé en toutes lettres et en chiffres.
  • D’autre part, si elle est privée des bénéfices de discussion ou de division, reconnaît ne pouvoir exiger du créancier qu’il poursuive d’abord le débiteur ou qu’il divise ses poursuites entre les cautions.

Tandis que le non-respect de la première exigence est sanctionné par la nullité de l’engagement de caution, la violation de la seconde autorise la caution à opposer au créancier les bénéfices de discussion et de division.

Validité du cautionnement: la capacité juridique de la caution

Pour qu’une caution puisse valablement s’engager au profit d’un créancier, elle doit non seulement en avoir la capacité, mais encore elle doit en avoir le pouvoir.

Nous nous focaliserons ici sur la capacité juridique de la caution.

Pour mémoire, la capacité se définit comme la faculté pour une personne physique ou morale à être titulaire de droits et à les exercer.

Parce que le cautionnement est un contrat, la caution doit justifier de la capacité à contracter. Il en résulte que les personnes frappées d’une incapacité ne peuvent pas se porter caution, à tout le moins sans l’assistance d’un représentant.

Tel est le cas des mineurs et des majeurs qui font l’objet d’un régime de protection.

I) Les mineurs

La capacité à contracter d’un mineur diffère selon qu’il est émancipé ou qu’il demeure soumis à la tutelle d’un représentant légal.

A) Les mineurs non émancipés

Frappé d’une incapacité d’exercice générale, le mineur non émancipé n’est pas autorisé à se porter caution.

Pendant longtemps, cette prohibition avait une portée absolue, en ce sens que l’impossibilité pour le mineur de souscrire un cautionnement était étendue à son représentant légal.

Pour justifier la règle, il était avancé que le cautionnement est un acte qui peut être accompli en contravention des intérêts de la caution.

Par souci de protection du mineur, celui-ci devait donc ne pas pouvoir être engagé par un cautionnement.

Dans un arrêt du 2 décembre 1997, la Cour de cassation est toutefois revenue sur cette prohibition en affirmant que « l’administrateur légal peut, avec l’autorisation du juge des tutelles, faire des actes de disposition et, notamment, grever de droits réels les immeubles du mineur lorsque ces actes sont conformes à l’intérêt de celui-ci » (Cass. 1ère civ. 2 déc. 1997, n°95-20.198).

Ainsi, par cette décision, la Première chambre civile admettait-elle la possibilité pour un mineur de se porter caution, à la double condition

  • D’une part, qu’il soit représenté
  • D’autre part, que le représentant légal obtienne l’accord du juge des tutelles.

Bien que cette solution ait assorti l’engagement souscrit pour le compte du mineur de sérieuses garanties – dont l’intervention du juge – elle n’a finalement pas été retenue par le législateur lors de l’adoption de la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs.

Cette loi a inséré un article 509, 1° dans le Code civil qui prévoit que « le tuteur ne peut, même avec une autorisation […] accomplir des actes qui emportent une aliénation gratuite des biens ou des droits de la personne protégée sauf ce qui est dit à propos des donations, tels que […] la constitution gratuite d’une servitude ou d’une sûreté pour garantir la dette d’un tiers ».

Il ressort de cette disposition que le mineur ne peut pas se porter caution, y compris par l’entremise d’un représentant légal.

Reste que, comme le soulignent certains auteurs, cette prohibition n’est pas absolue[1]. Elle ne viserait que les cautionnements à titre gratuit, soit ceux conclus en contrepartie de l’octroi d’un avantage à la caution.

L’interdiction énoncée par le texte ne porte, en effet, que sur « des actes qui emportent une aliénation gratuite des biens ou des droits de la personne protégée ».

Lorsque, dès lors, le cautionnement est conclu à titre onéreux, une partie de la doctrine considère que rien interdit qu’un mineur puisse se porter caution, à la condition néanmoins qu’il soit représenté et que le représentant obtienne l’accord du juge des tutelles.

B) Les mineurs émancipés

Le mineur émancipé est capable, comme un majeur, de tous les actes de la vie civile (art. 413-6 C. civ.).

Il en résulte qu’il est autorisé à souscrire un cautionnement comme n’importe quel majeur doué de sa capacité de contracter.

S’agissant de la souscription d’un cautionnement à caractère commercial, le mineur émancipé peut accomplir cet acte sur autorisation du juge des tutelles au moment de la décision d’émancipation et du président du tribunal judiciaire s’il formule cette demande après avoir été émancipé (art. 413-8 C. civ.).

II) Les majeurs protégés

A) Le majeur sous tutelle

Une personne sous tutelle est, à l’instar du mineur, frappée d’une incapacité d’exercice générale.

Aussi, le tuteur le représente-t-il dans tous les actes de la vie civile (art. 473 C. civ.)

S’agissant de la souscription d’un cautionnement, la règle applicable est la même que celle qui joue pour le mineur.

Le majeur faisant l’objet d’une mesure de tutelle ne peut donc pas être lié par un engagement de caution, sauf à ce que le cautionnement soit souscrit à titre onéreux, auquel cas il devra être représenté et son représentant légal devra avoir obtenu, au préalable, l’autorisation du juge des tutelles.

Dans l’hypothèse où le cautionnement aurait été souscrit avant la mise en place de la tutelle, il n’est pas à l’abri de faire l’objet d’une annulation.

Dans un arrêt du 24 mai 2007, la Cour de cassation a jugé en ce sens, au visa de l’ancien article 503, que « la nullité des actes faits par un majeur en tutelle antérieurement à l’ouverture de cette mesure de protection ne suppose pas la preuve de l’insanité d’esprit au moment où l’acte a été passé mais est seulement subordonnée à la condition que la cause ayant déterminé l’ouverture de la tutelle ait existé à l’époque où l’acte a été fait » (Cass. 1ère civ. 24 mai 2007, n°06-16.957).

Cette solution adoptée par la Cour de cassation a par suite été consacrée par la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007

Le nouvel article 464 du Code civil issu de cette loi dispose que « les obligations résultant des actes accomplis par la personne protégée moins de deux ans avant la publicité du jugement d’ouverture de la mesure de protection peuvent être réduites sur la seule preuve que son inaptitude à défendre ses intérêts, par suite de l’altération de ses facultés personnelles, était notoire ou connue du cocontractant à l’époque où les actes ont été passés. »

L’alinéa 2 précise que « ces actes peuvent, dans les mêmes conditions, être annulés s’il est justifié d’un préjudice subi par la personne protégée. »

Quant à la prescription de l’action en nullité du cautionnement, elle doit, poursuit l’alinéa 3 du texte, « être introduite dans les cinq ans de la date du jugement d’ouverture de la mesure. »

B) Le majeur sous curatelle

En application de l’article 467 du Code civil, les personnes sous curatelles ne peuvent, sans l’assistance du curateur, faire aucun acte qui, en cas de tutelle, requerrait une autorisation du juge ou du conseil de famille.

À l’analyse, aucune disposition spécifique ne traite de la constitution d’une sûreté par un majeur faisant l’objet d’une mesure de curatelle.

Classiquement on en déduit qu’il peut se porter caution, sous réserve d’être assisté par son curateur, ce qui, concrètement, implique qu’il contresigne l’acte de cautionnement.

À cet égard, il peut être observé que, à l’instar de la tutelle, dans l’hypothèse où la curatelle aurait été mise en place postérieurement à la souscription du cautionnement, l’action en réduction de l’obligation prévue à l’article 464 du Code civil est ouverte au majeur placé sous protection.

Pour être recevable, cette action doit :

  • D’une part, porter sur les actes accomplis par la personne protégée moins de deux ans avant la publicité du jugement d’ouverture de la mesure de protection
  • D’autre part, être introduite dans les cinq ans de la date du jugement d’ouverture de la mesure

C) Le majeur sous sauvegarde de justice

  • Principe
    • La personne sous sauvegarde de justice conserve sa pleine de capacité juridique ( 435, al. 1er C. civ.)
    • Il en résulte qu’elle est, par principe, autorisée à se porter caution sans l’assistance d’un protecteur.
  • Exception
    • La personne sous sauvegarde de justice ne peut, à peine de nullité, faire un acte pour lequel un mandataire spécial a été désigné ( 435 C. civ.).
    • Lorsque la souscription d’un cautionnement relève des actes pour lesquels le juge a exigé une représentation, la personne sous sauvegarde de justice ne pourra donc pas se porter caution seule.
    • Elle devra nécessairement se faire représenter par le mandataire désigné dans la décision rendue

D) Le majeur sous habilitation familiale

La personne sous habilitation familiale est celle qui se trouve dans l’incapacité d’exprimer sa volonté en raison d’une altération, médicalement constatée soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles (art. 494-1 C. civ.).

Un proche de sa famille (ascendant, descendant, frère ou sœur, conjoint, partenaire ou concubin) est alors désigné par le juge afin d’assurer la sauvegarde de ses intérêts.

L’habilitation peut être générale ou ne porter que sur certains actes visés spécifiquement par le juge des tutelles dans sa décision (art. 494-6 C. civ.).

S’agissant de la souscription d’un cautionnement, si l’habilitation familiale est générale, la personne protégée devra nécessairement se faire représenter.

Si l’habilitation familiale est seulement spéciale, le majeur protégé ne pourra se porter caution qu’à la condition que cet acte ne relève pas du pouvoir de son protecteur.

[1] V. en ce sens M. Bourassin et V. Bremond, Droit des sûretés, éd. Dalloz, 2020, n°183, p. 124.

Validité du cautionnement: les vices du consentement (erreur, dol et violence)

L’article 1128 du Code civil qui énonce les conditions de validité du contrat s’applique au cautionnement.

Aussi, pour être valide, le cautionnement doit-il satisfaire à trois conditions cumulatives que sont :

  • Le consentement des parties
  • La capacité des parties
  • L’existence d’un contenu licite et certain

Nous nous focaliserons ici sur le consentement des parties.

Le cautionnement est un acte grave, car susceptible d’engager la caution pour un montant important et une durée indéterminée.

Il est donc absolument nécessaire que le consentement de la caution existe, mais encore que cette dernière se détermine en connaissance de cause, soit que son consentement ne soit pas vicié.

La théorie des vices du consentement, issu du droit commun des contrats, s’applique au cautionnement.

Le consentement de la caution ne doit pas seulement avoir été exprimé au moment de la conclusion de l’acte, il doit encore n’être affecté d’aucun vice.

Autrement dit, la caution doit s’être obligée au profit du créancier de façon libre et éclairée ce qui implique qu’elle ne se soit pas engagée par erreur, ni que son consentement ait été obtenu au moyen de manœuvres dolosives ou de la violence.

§1: L’erreur

==> Notion

L’erreur peut se définir comme le fait pour une personne de se méprendre sur la réalité. Cette représentation inexacte de la réalité vient de ce que l’errans considère, soit comme vrai ce qui est faux, soit comme faux ce qui est vrai.

L’erreur consiste, en d’autres termes, en la discordance, le décalage entre la croyance de celui qui se trompe et la réalité.

Lorsqu’elle est commise à l’occasion de la conclusion d’un contrat, l’erreur consiste ainsi dans l’idée fausse que se fait le contractant sur tel ou tel autre élément du contrat.

Il peut donc exister de multiples erreurs :

  • L’erreur sur la valeur des prestations: j’acquiers un tableau en pensant qu’il s’agit d’une toile de maître, alors que, en réalité, il n’en est rien. Je m’aperçois peu de temps après que le tableau a été mal expertisé.
  • L’erreur sur la personne: je crois solliciter les services d’un avocat célèbre, alors qu’il est inconnu de tous
  • Erreur sur les motifs de l’engagement : j’acquiers un appartement dans le VIe arrondissement de Paris car je crois y être muté. En réalité, je suis affecté dans la ville de Bordeaux

Manifestement, ces hypothèses ont toutes en commun de se rapporter à une représentation fausse que l’errans se fait de la réalité.

Cela justifie-t-il, pour autant, qu’elles entraînent la nullité du contrat ? Les rédacteurs du Code civil ont estimé que non.

Afin de concilier l’impératif de protection du consentement des parties au contrat avec la nécessité d’assurer la sécurité des transactions juridiques, le législateur, tant en 1804, qu’à l’occasion de la réforme du droit des obligations, a décidé que toutes les erreurs ne constituaient pas des causes de nullité.

Aussi, certaines erreurs sont sans incidence sur la validité du contrat. Ce constat est d’autant plus vrai pour le cautionnement, dans la mesure où il s’agit d’un contrat unilatéral.

Parce que la caution est la seule partie à s’obliger, cette circonstance exclut d’emblée certains cas d’erreur.

Par exemple, la caution ne pourra pas se prévaloir d’une erreur sur la contrepartie attendue puisque, par hypothèse, cette contrepartie est inexistante.

Elle ne pourra pas non plus arguer que son erreur portait sur l’objet de son engagement, lequel n’est autre qu’une créance de somme d’argent. Or l’erreur sur la valeur est indifférente ; elle n’est pas une cause de nullité.

À l’analyse, si les cas d’erreur sont finalement assez réduits en matière de cautionnement, ceux admis par la jurisprudence ont donné lieu à un abondant contentieux, ce qui, la plupart du temps, s’explique par les circonstances qui ont entouré la souscription de l’engagement de caution.

I) Conditions de droit commun

Pour constituer une cause de nullité du cautionnement l’erreur doit, en toutes hypothèses, être :

  • Déterminante
  • Excusable

==> Une erreur déterminante

  • Principe
    • L’article1130 du Code civil prévoit que l’erreur vicie le consentement lorsque sans elle « l’une des parties n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes»
    • Autrement dit, l’erreur est une cause de consentement lorsqu’elle a été déterminante du consentement de l’errans, ce qui implique qu’elle portait sur des éléments essentiels du contrat.
    • Pour faire échec au cautionnement, la caution devra donc démontrer qu’elle ne se serait jamais engagée si elle avait su, lors de la conclusion du contrat, que la réalité était différente de ce qu’elle croyait.
  • Appréciation du caractère déterminant
    • L’article 1130, al. 2 précise que le caractère déterminant de l’erreur « s’apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné»
    • Le juge est ainsi invité à se livrer à une appréciation in concreto du caractère déterminant de l’erreur

==> Une erreur excusable

  • Principe
    • Il ressort de l’article 1132 du Code civil que, pour constituer une cause de nullité, l’erreur doit être excusable
    • Par excusable, il faut entendre l’erreur commise une partie au contrat qui, malgré la diligence raisonnable dont elle a fait preuve, n’a pas pu l’éviter.
    • Cette règle se justifie par le fait que l’erreur ne doit pas être la conséquence d’une faute de l’errans.
    • Celui qui s’est trompé ne saurait, en d’autres termes, tirer profit de son erreur lorsqu’elle est grossière.
    • C’est la raison pour laquelle la jurisprudence refuse systématiquement de sanctionner l’erreur inexcusable (V. en ce sens par exemple 3e civ., 13 sept. 2005).
  • Domaine
    • Le caractère excusable n’est exigé qu’en matière d’erreur sur les qualités essentielles de la prestation ou de la personne.
    • En matière de dol, l’erreur commise par le cocontractant sera toujours sanctionnée par la nullité, quand bien même ladite erreur serait grossière.
    • Dans un arrêt du 21 février 2001, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que la « réticence dolosive à la supposer établie, rend toujours excusable l’erreur provoquée» ( 3e civ., 21 févr. 2001).
  • Appréciation
    • L’examen de la jurisprudence révèle que les juges se livrent à une appréciation in concreto de l’erreur pour déterminer si elle est ou non inexcusable.
    • Lorsque, de la sorte, l’erreur est commise par un professionnel, il sera tenu compte des compétences de l’errans (V. en ce sens soc., 3 juill. 1990).
    • Les juges feront également preuve d’une plus grande sévérité lorsque l’erreur porte sur sa propre prestation.
    • S’agissant de l’erreur commise par la caution, son caractère excusable peut s’avérer difficile à démontrer dans la mesure où pèse sur cette dernière une obligation de se renseigner.

II) Variétés d’erreurs commises en matière de cautionnement

Aux termes de l’article 1132 du Code civil « l’erreur de droit ou de fait, à moins qu’elle ne soit inexcusable, est une cause de nullité du contrat lorsqu’elle porte sur les qualités essentielles de la prestation due ou sur celles du cocontractant. »

Il ressort de cette disposition que seules deux catégories d’erreur sont constitutives d’une cause de nullité du contrat :

  • L’erreur sur les qualités essentielles de la prestation due
  • L’erreur sur les qualités essentielles du cocontractant

À ces deux catégories d’erreur, il convient toutefois d’en ajouter une troisième à laquelle ne fait nullement référence l’ordonnance du 10 février 2016 et qui, pourtant regroupe des hypothèses où l’erreur est si grave qu’elle empêche la rencontre même des volontés. Il s’agit de la catégorie des erreurs obstacles.

A) L’erreur obstacle

1. Notion

Il s’agit de l’erreur qui procède d’un malentendu en ce sens que les parties n’ont pas voulu la même chose.

L’erreur est si grave que la rencontre des volontés n’a pas pu se réaliser. Traditionnellement, on distingue deux sortes d’erreur obstacle :

  • L’erreur porte sur la nature de l’acte: une partie croyait acheter un bien alors que l’autre souhaitait simplement la louer.
  • L’erreur porte sur l’objet de la prestation: une partie croyait acheter un immeuble, alors que l’autre entendait vendre un immeuble voisin

En matière de cautionnement, dans la mesure où la prestation fournie par la caution est toujours la même, soit garantir le paiement d’une créance de somme d’argent en cas de défaut du débiteur principal, la caution pourra difficilement se prévaloir d’une erreur sur l’objet de sa prestation.

Aussi, la seule erreur obstacle dont peut raisonnablement se prévaloir la caution est celle portant sur la nature de son engagement.

Deux cas de figure sont susceptibles de se présenter :

  • La caution croit avoir souscrit un simple engagement moral au profit du créancier, alors qu’il s’agit d’un véritable cautionnement
  • La caution croit que la signature de l’acte de cautionnement est une simple formalité nécessaire à la souscription du prêt garanti

Bien que la preuve de l’erreur obstacle soit extrêmement difficile à rapporter, il est certaines décisions qui l’ont admise.

Dans un arrêt du 25 mai 1964, la Cour de cassation a ainsi validé la décision rendue par une Cour d’appel qui avait annulé l’engagement de deux cautions au motif que compte tenu de leur illettrisme et de l’absence de lecture de l’acte avant sa signature, les intéressées « avaient donné leur consentement à une convention ayant un objet autre que celle à laquelle ils pensaient adhérer »

Pour la Cour de cassation « la méprise invoquée avait porté non sur les conséquences, mais sur la substance même de l’engagement et que l’erreur en résultant avait été le motif principal et déterminant de l’obligation contractée », raison pour laquelle l’annulation du cautionnement était pleinement justifié (Cass. 1ère civ. 25 mai 1964).

À l’analyse, les décisions qui font droit aux demandes de nullité d’un cautionnement sur le fondement de l’erreur obstacle demeurent rares.

Seules des circonstances exceptionnelles permettent à la caution d’obtenir ce résultat, les juges estimant, la plupart du temps, que l’ignorance de la caution sur la nature de son engagement est constitutive d’une erreur inexcusable et qui donc n’est pas sanctionnée (V. en ce sens CA Paris 9 avril 1992).

2. Effets

Lorsque l’erreur obstacle est admise, elle a pour effet de priver les parties de leur consentement, de sorte que leurs volontés n’ont pas pu se rencontrer.

Plus qu’un vice du consentement, l’erreur obstacle rend le consentement inexistant, de sorte que le contrat n’a pas pu se former.

3. Sanction

==> La reconnaissance souhaitable de l’inexistence

Dans la mesure où l’erreur obstacle a pour effet de faire « obstacle » à la rencontre des volontés, elle devrait être sanctionnée par l’inexistence.

  • Notion
    • Pour mémoire, l’inexistence consiste en la sanction généralement prononcée à l’encontre d’un acte dont l’un des éléments constitutifs essentiels à sa formation fait défaut.
    • Plus précisément l’inexistence est prononcée lorsque la défaillance qui atteint l’une des conditions de validité de l’acte porte sur son processus de formation
    • Aussi, en matière de contrat, l’inexistence vient-elle généralement sanctionner l’absence d’échange des consentements.
    • Dans un arrêt du 5 mars 1991, la Cour de cassation a approuvé en ce sens une Cour d’appel qui, après avoir relevé qu’aucun échange de consentement n’était intervenu entre les parties, a estimé qu’il n’y avait pas pu y avoir de contrat elles ( 1ère civ., 5 mars 1991)
    • Conformément à cette jurisprudence, l’erreur obstacle devrait donc, en toute logique, être sanctionnée par l’inexistence, comme le soutiennent certains auteurs[1]
    • Tel n’est cependant pas, pour l’heure, la voie empruntée par la Cour de cassation.
  • Intérêt
    • Pourquoi, préférer la sanction de l’inexistence à la nullité ?
    • Dans l’hypothèse, où le non-respect d’une condition de validité du contrat est sanctionné par la nullité, celui qui entend contester l’acte dispose d’un délai de 5 ans pour agir.
    • Conformément à l’article 2224 du Code civil, le point de départ de ce délai de prescription court à compter « du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. »
    • Pour le cautionnement, il s’agira du jour de la conclusion du contrat
    • Dans l’hypothèse toutefois où la sanction prononcée est l’inexistence de l’acte, le contrat n’a jamais été formé puisque les volontés ne se sont pas rencontrées.
    • Il en résulte que les parties à l’acte inexistant ne sauraient se prévaloir d’aucun droit, sinon de celui de faire constater l’inexistence.
    • Aussi, l’exercice de l’action en inexistence n’est-il subordonné à l’observation d’un quelconque délai de prescription.
    • L’intérêt de la sanction de l’inexistence ne tient pas seulement à l’absence de prescription de l’action.
    • Elle réside également dans l’impossibilité pour les parties de confirmer l’acte.
    • On ne saurait, en effet, confirmer la validité d’un acte qui n’a jamais existé.

==> L’admission de la nullité

Bien que l’inexistence soit, eu égard à tout ce qui vient d’être rappelé, la sanction la plus appropriée quant à répondre à la situation à laquelle conduit l’erreur obstacle, soit l’absence de rencontre des volontés des parties, la jurisprudence préfère néanmoins opter pour la nullité du contrat (V. en ce sens Cass. 3e civ. 16 déc. 2014, n°14-14.168).

B) L’erreur sur les qualités essentielles de la prestation due

Aux termes de l’article 1132 du Code civil « l’erreur de droit ou de fait, à moins qu’elle ne soit inexcusable, est une cause de nullité du contrat lorsqu’elle porte sur les qualités essentielles de la prestation due »

Si cette règle de droit commun s’applique pleinement au cautionnement, encore faut-il déterminer quelles sont les qualités essentielles de la prestation en jeu dans cette variété de contrat.

==> L’erreur sur l’objet de l’obligation de la caution

Au préalable, il peut être observé que, dans la mesure où le cautionnement est un contrat unilatéral, la caution ne pourra se prévaloir que d’une erreur sur sa propre prestation et non sur celle fournie par le créancier qui, par hypothèse, est inexistante.

Alors que la question s’était posée en jurisprudence de savoir si l’erreur pouvait constituer une cause de nullité du contrat lorsqu’elle porte sur la propre prestation de l’errans, la Cour de cassation (Cass. civ. 23 juin 1873 ; Cass. 1ère civ., 22 févr. 1978), puis le législateur l’ont finalement admis.

L’article 1133, al. 2 du Code civil issu de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 prévoit en ce sens que « l’erreur est une cause de nullité qu’elle porte sur la prestation de l’une ou de l’autre partie. »

Rien n’exclut donc, en principe, que la caution puisse se prévaloir d’une erreur sur sa propre prestation, laquelle consiste à payer la dette du débiteur en cas de défaillance de celui-ci.

Reste que l’engagement de la caution se confond avec l’objet même du contrat de cautionnement, de sorte que, en pratique, il s’avérera extrêmement difficile pour cette dernière de prouver qu’elle ignorait ce à quoi elle s’engageait en souscrivant un cautionnement.

Surtout, l’objet de l’obligation garantie consiste toujours en une somme d’argent. Or l’erreur sur la valeur est indifférente.

Pour mémoire, l’article 1136 du Code civil prévoit que « l’erreur sur la valeur par laquelle, sans se tromper sur les qualités essentielles de la prestation, un contractant fait seulement de celle-ci une appréciation économique inexacte, n’est pas une cause de nullité. »

À cet égard, l’erreur sur la valeur doit s’entendre comme l’erreur sur l’évaluation économique de l’objet du contrat.

Dans ces conditions la caution ne pourra, a priori, pas obtenir la nullité du cautionnement en arguant qu’elle a commis une erreur sur le montant de son engagement.

Dans un arrêt du 17 juillet 1996, la Cour de cassation a, par exemple, jugé que « la disproportion entre les ressources de la caution et le montant du cautionnement n’est pas constitutive d’une erreur sur la substance » (Cass. 1ère civ. 17 juill. 1996, n°94-14.132).

==> L’erreur sur l’existence d’autres sûretés

Par exception, il est admis que l’erreur sur l’étendue de l’engagement de caution puisse être une cause de nullité du cautionnement lorsqu’elle consiste en la croyance – fausse – de l’existence d’autres sûretés.

Plus précisément, ce cas d’erreur correspond à l’hypothèse où la caution pensait, au moment de son engagement, que d’autres sûretés avaient été constituées au profit du créancier, de sorte que, en cas de défaillance du débiteur, ces sûretés viendraient mécaniquement limiter son obligation de payer, à tout le moins elles pourraient lui profiter par le jeu de la subrogation.

La caution s’aperçoit toutefois que, en réalité, soit aucune garantie n’a été prise, soit celles qu’elle croyait constituées sont frappées d’une irrégularité les privant de leur efficacité.

En première intention, on voit mal comment une telle erreur pourrait porter sur les qualités essentielles de l’engagement de caution dans la mesure où elle a, au contraire, pour objet la prestation fournie par des tiers, soit les autres garants de la dette cautionnée.

La méprise de la caution sur l’existence d’autres sûretés s’apparenterait donc plutôt en une erreur sur les motifs. Or il s’agit là d’une erreur qui, par principe, n’est pas sanctionnée.

Telle n’est pourtant pas l’analyse retenue par la Cour de cassation qui considère que ce sont bien les qualités essentielles de l’engagement de caution qui sont en jeu.

Dans un arrêt du 2 mai 1989 elle a par exemple jugé que « en cas de pluralité de cautions, dont l’une vient à disparaître ultérieurement, les autres cautions peuvent invoquer la nullité de leur engagement pour erreur sur l’étendue des garanties fournies au créancier en démontrant qu’elles avaient fait du maintien de la totalité des cautions la condition déterminante de leur propre engagement » (Cass. 1ère civ. 2 mai 1989, n°87-17.599).

Dans un arrêt du 1er juillet 1997, la Cour de cassation a encore validé la décision prise par une Cour d’appel qui avait annulé un cautionnement au motif que, lors de son engagement, la caution avait commis une erreur sur le rang de l’hypothèque constituée au profit du créancier sur un immeuble appartenant au débiteur principal.

Au soutien de sa décision, la Première chambre civile affirme que « l’erreur commise par la caution sur l’étendue des garanties fournies au créancier ayant déterminé son consentement constitue une cause de nullité de l’acte de cautionnement » (Cass. 1ère civ. 1er juill. 1997, n°95-12.163).

Pour la Cour de cassation l’erreur commise sur l’existence d’autres sûretés constitue donc bien une cause de nullité du cautionnement.

La raison en est que, si la caution s’est engagée, c’est qu’elle croyait que le poids de la dette serait réparti entre plusieurs garants, voire que son engagement consisterait seulement en une avance de paiement dans l’attente de pouvoir réaliser les autres sûretés constituées au profit du créancier.

En se méprenant sur cette situation, c’est la substance même de son engagement qui s’en trouve atteinte, d’où la position de la Cour de cassation.

Reste que, pour être sanctionnée, l’erreur commise par la caution doit avoir été déterminante de son engagement.

Cette condition se dégage notamment d’un arrêt remarqué rendu par la Cour de cassation le 18 mars 2014.

Dans cette décision, elle confirme l’arrêt d’une Cour d’appel aux termes duquel les juges du fond avaient prononcé la nullité d’un cautionnement au motif que la caution s’était portée garante dans la croyance erronée de l’engagement d’autres cautions.

Au soutien de sa décision, la Chambre commerciale affirme « qu’au regard de l’importance de l’engagement souscrit, Mme X… n’a pu se porter caution de la société, qu’en considération de l’existence des sept autres cofidéjusseurs, dont la société Segura investissement personne morale ; qu’ayant ainsi fait ressortir que Mme X… avait fait de l’existence des autres cautionnements souscrits la condition déterminante de son propre engagement, la cour d’appel a légalement justifié sa décision » (Cass. com. 18 mars 2014, n°13-11.733).

Ce qui donc importe c’est que la constitution d’autres sûretés (réelles ou personnelles) ait été déterminante de l’engagement de la caution.

Si cette condition n’est pas remplie, alors la Cour de cassation refusera de voir l’erreur commise comme constitutive d’une cause de nullité (V. en ce sens Cass. com. 24 nov. 1981, n°80-10.205).

==> Cas particulier de l’erreur en présence d’une garantie Bpifrance

Bpifrance (anciennement OSEO) est un organisme qui poursuit une mission d’intérêt public consistant notamment à garantir les financements octroyés aux entreprises par les établissements bancaires.

Si la garantie consentie par Bpirance présente toutes les apparences d’un cautionnement, en réalité elle s’en distingue.

Tout d’abord, cette garantie qui a pour objet d’assurer l’entrepreneur contre le risque de défaillance tout en ne garantissant les banques que pour une partie de leur perte finale éventuelle, ne bénéficie qu’à l’établissement financier et ne peut en aucun cas être invoquée par les tiers, notamment l’emprunteur et ses garants personnels.

Surtout, il s’agit d’une garantie finale qui couvre le risque au prorata de la proportion souscrite et n’a vocation à jouer qu’une fois épuisées toutes les poursuites contre le débiteur et la caution.

Autrement dit, la garantie fournie par Bpifgrance présente un caractère subsidiaire, en ce sens qu’elle ne peut être actionnée que lorsque l’ensemble des poursuites engagées à l’encontre des autres garants se sont révélées infructueuses.

Cette position privilégiée occupée par Bpifrance, qui donc ne se situe pas sur le même plan que les cofidéjusseurs, n’est pas sans avoir été source de contentieux.

Certaines cautions ont notamment cherché à se soustraire à leur engagement en avançant qu’elles avaient été induites en erreur par la présence de Bpifrance qui aurait été de nature à les tromper sur la portée de leur engagement.

Sensible à cet argument, la Cour de cassation a fait droit, dans plusieurs décisions, aux demandes formulées par des cautions en convoquant plusieurs fondements juridiques tels que l’erreur, le dol ou encore l’obligation d’information.

Dans un arrêt du 22 septembre 2015, elle a ainsi censuré la décision d’une Cour d’appel qui avait refusé d’annuler un cautionnement sur le fondement de l’erreur.

Dans cette décision elle reproche notamment aux juges du fonds d’avoir statué par des « motifs généraux relatifs aux caractéristiques de la garantie de la société Oseo, qui sont impropres à exclure, dès lors que M. X… soutenait n’avoir pas eu connaissance des conditions générales de cette garantie et avoir fait du maintien de celle-ci la condition déterminante de son engagement, l’existence d’une erreur de la caution sur le caractère subsidiaire de la garantie de la société Oseo » (Cass. com. 22 sept. 2015, n°14-17.671).

Dans un autre arrêt, rendu en date du 3 décembre 2013, la Chambre commerciale a pu retenir la responsabilité d’une banque en affirmant qu’il lui appartenait de démontrer qu’elle avait informé la caution sur les modalités de fonctionnement de la garantie OSEO et notamment sur son caractère subsidiaire, faute de quoi elle engageait sa responsabilité pour faute (Cass. com. 3 déc. 2013, n°12-23.976).

Dans un arrêt du 23 septembre 2014, la Chambre commerciale a encore pu juger que le défaut d’information imputable à la banque était susceptible de s’analyser en une réticence dolosive justifiant l’annulation du cautionnement (Cass. com. 23 sept. 2014, n°13-20.766).

Favorable aux cautions qui ont trouvé là un moyen fort astucieux pour faire échec aux poursuites des créanciers, cette stratégie devrait être plus difficile à mettre en œuvre aujourd’hui dans la mesure où les cautions sont désormais informées systématiquement informées par Bpifrance sur son rôle de sorte qu’elles pourront difficilement se prévaloir d’une erreur ou d’un dol.

Dans un arrêt du 14 novembre 2019 la Cour de cassation a ainsi refusé de statuer dans le sens d’une Cour d’appel qui avait annulé un cautionnement sur le fondement de l’erreur.

Elle reproche notamment aux juges du fond de n’avoir pas établi « le caractère déterminant qu’aurait eu pour la caution la connaissance du mécanisme de la garantie Oseo, à défaut de quoi, l’erreur sur la substance de son engagement ne pouvait être invoquée par la caution » (Cass. com. 14 nov. 2019, n°18-18.579).

C) L’erreur sur les qualités essentielles du cocontractant

 1. Principe général

L’article 1134 du Code civil prévoit que « l’erreur sur les qualités essentielles du cocontractant n’est une cause de nullité que dans les contrats conclus en considération de la personne. »

Cela signifie donc que dans, l’hypothèse où la caution se méprendrait sur la personne du créancier, elle serait fondée à demander l’annulation du cautionnement.

Reste que, comme pour l’erreur sur les qualités essentielles de la prestation, l’erreur sur la personne n’est que très exceptionnellement une cause de nullité en matière de cautionnement.

Pour qu’elle le soit, la caution devra démontrer que la qualité essentielle du créancier sur laquelle elle s’est trompée était déterminante de son engagement.

Or en pratique, lorsque la caution s’engage, elle le fait en considération, non pas de pas de la personne du créancier, mais du débiteur.

Est-il besoin de rappeler que la cause de son engagement réside dans l’existence de la dette à garantir et non dans la fourniture d’une contrepartie qui, compte tenu du caractère unilatéral du cautionnement, est, en toute hypothèse, inexistante.

Aussi, les qualités du créancier sont indifférentes, à tout le moins subsidiaires, dans la mesure où la caution n’attend aucune prestation de lui.

Tout au contraire, elle est suspendue à l’exécution de l’obligation principale par le débiteur qu’elle garantit.

En réalité c’est la solvabilité de celui-ci qui sera déterminante de l’engagement souscrit par la caution.

La question qui alors se pose est alors de savoir si l’erreur commise sur cette solvabilité est une cause de nullité du cautionnement.

2. Cas particulier de l’erreur sur la solvabilité du débiteur

Si donc la caution s’oblige c’est, avant toute chose, en considération de la solvabilité du débiteur.

L’enjeu pour cette dernière est de ne pas être appelée en garantie ; d’où le caractère déterminant pour elle de la capacité du débiteur à rembourser le créancier.

Il est néanmoins des cas où la caution se méprendra sur la solvabilité du débiteur : elle croyait sa situation financière suffisamment solide pour supporter le poids de l’obligation principale, alors qu’il n’en était rien.

En pareille hypothèse, pourrait-elle se prévaloir d’une erreur aux fins d’échapper à son engagement de caution ?

Deux situations doivent être distinguées :

a. Première situation : l’erreur porte sur la solvabilité future du débiteur

La question qui ici se pose est de savoir si la caution peut se prévaloir, comme cause de nullité, de l’erreur qu’elle aurait commise sur l’insolvabilité du débiteur qui se révélerait postérieurement à son engagement.

Dans cette hypothèse, la jurisprudence estime fort logiquement que l’erreur commise ne constitue pas une cause de nullité.

Dans un arrêt du 13 novembre 1990, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « la seule appréciation erronée, par la caution, des risques que lui faisait courir son engagement, ne constitue pas une erreur sur la substance, de nature à vicier son consentement » (Cass. 1ère civ. 13 nov. 1990, n°89-13.270).

La solution se justifie pleinement dans la mesure où c’est l’objet même du cautionnement que de garantir le risque d’insolvabilité susceptible de se produire postérieurement à l’engagement de la caution.

L’erreur sur la réalisation future de ce risque ne saurait, dans ces conditions, constituer une cause de nullité du cautionnement.

Admettre la solution inverse reviendrait à considérer que le cautionnement est nul toutes les fois que la caution est appelée en garantie. Or cela n’aurait aucun sens.

b. Seconde situation : l’erreur porte sur la solvabilité actuelle du débiteur

==> Termes du débat

Cette situation est très différente de la première dans la mesure où l’erreur commise porte ici, non pas sur le risque futur d’insolvabilité du débiteur, mais sur sa capacité de remboursement au jour de l’engagement de la caution.

Lorsqu’une caution s’oblige, elle le fait, en principe, en considération de la solvabilité du débiteur et plus précisément parce qu’elle le croit en capacité d’exécuter l’obligation garantie.

Aussi, la caution espère-t-elle n’être jamais appelée en garantie et avoir à payer.

Ce n’est que dans des cas très exceptionnels que la caution s’engagera au profit du créancier alors qu’elle sait la situation financière du débiteur fragile, voire obérée.

La solvabilité de ce dernier est donc un élément déterminant de l’engagement de caution.

Est-ce à dire que, en cas d’erreur sur la solvabilité du débiteur au moment où elle s’engage, la caution est fondée à solliciter la nullité du cautionnement ?

Plusieurs arguments visant à apporter une réponse négative à cette question ont été avancés par les auteurs.

Tout d’abord, lorsque l’erreur est commise sur la solvabilité du débiteur, elle porte moins sur la prestation que sur la personne.

À cet égard, pour être cause de nullité, l’erreur sur la personne doit porter sur les qualités essentielles du cocontractant.

Or le débiteur principal est un tiers à l’opération de cautionnement, de sorte que la caution ne saurait se prévaloir d’une erreur sur sa personne pour être déchargée de son engagement.

Ensuite, à supposer que l’on admette que la croyance erronée dans la solvabilité du débiteur ait été déterminante du consentement de la caution, elle s’analyse en un simple motif de son engagement.

Or conformément à l’article 1135, al. 1er du Code civil, l’erreur sur les motifs est indifférente.

Cette erreur n’est sanctionnée qu’à la condition, précise le texte, que les parties « en aient fait expressément un élément déterminant de leur consentement. »

Enfin, d’aucuns soutiennent qu’il appartient à la caution de se renseigner sur la solvabilité du débiteur.

Dans ces conditions, elle ne saurait, postérieurement à son engagement, se prévaloir d’une erreur sur la capacité du débiteur à exécuter l’obligation principale.

==> Jurisprudence

  • Première étape
    • Au début des années 1970, la jurisprudence s’est montrée plutôt favorable à accueillir les demandes de nullité fondées sur l’erreur sur la solvabilité du débiteur.
    • Dans un arrêt du 1er mars 1972, la Cour de cassation a ainsi validé l’annulation d’un cautionnement en retenant, au soutien de sa décision, que la caution « avait commis une erreur sur le motif principal et déterminant de l’engagement soumis à sa signature et que l’acte litigieux devait être déclaré nul pour vice du consentement» ( 1ère civ. 1er mars 1972, n°70-10.313).
  • Deuxième étape
    • Dans un arrêt du 25 octobre 1977, la Cour de cassation est, par suite, revenue sur sa position en affirmant que l’erreur sur la solvabilité du débiteur ne pouvait être constitutive d’une cause de nullité qu’à la condition que les parties l’aient fait entrer dans le champ contractuel.
    • Plus précisément, elle affirme que les cautions qui, dans cette affaire, sollicitaient la nullité du cautionnement « ne pouvaient être déliées de leur obligation contractuelle de rembourser le prêt pour erreur sur la solvabilité de la société, au jour de leur engagement, que si [celles-ci] démontraient [qu’elles] avaient fait de cette circonstance la condition de leur engagement» ( 1ère civ. 25 oct. 1977, n°76-11.441).
    • Cette position n’a pas manqué de faire réagir la doctrine qui a reproché à la Cour de cassation sa rigueur excessive.
    • Il a notamment été soutenu que jamais les créanciers n’accepteraient, en pratique, que la caution déclare dans l’acte de cautionnement qu’elle a entendu faire de la solvabilité du débiteur un élément déterminant de son engagement, au risque de lui offrir la possibilité de se soustraire trop facilement de son obligation.
    • Par ailleurs, la stipulation d’une telle clause serait de nature à retirer à l’opération de cautionnement une partie de son caractère aléatoire.
    • Or comme relevé par des auteurs « le cautionnement garantie subsidiaire, reste-t-il un cautionnement s’il n’existe plus aucun aléa au sujet de l’appel en paiement de la caution, ni sur la possibilité de pour la caution de se faire rembourser par le débiteur ?»[2].
    • Au surplus, exiger de la caution qu’elle prouve que la solvabilité du débiteur a été une condition de son engagement, revient finalement pour elle à démontrer que son erreur a été déterminante de son consentement.
  • Troisième étape
    • Sensible aux critiques émises contre sa position par une partie de la doctrine, la Cour de cassation a fini par infléchir sa jurisprudence.
    • Dans un arrêt du 1er octobre 2002, elle a en effet admis que la caution puisse faire faire entrer tacitement dans le champ contractuel la condition tenant à la solvabilité du débiteur ( com. 1er oct. 2002, n°00-13.189).
    • En l’espèce, une caution s’était engagée solidairement envers une banque à garantir le remboursement de toutes sommes dues ou à devoir par une société qui a, par suite, été mise en redressement judiciaire quelque mois après la souscription de son engagement.
    • La Chambre commerciale admet que « la caution avait fait de la solvabilité du débiteur principal la condition tacite de sa garantie»
    • Pour la haute juridiction, il n’est donc pas nécessaire qu’une clause soit expressément stipulée dans l’acte de cautionnement ; il suffit que la caution démontre que son engagement était tacitement subordonné à la solvabilité du débiteur.
    • Avec cette décision, on passe d’un extrême à l’autre : il est désormais admis que la caution puisse se prévaloir postérieurement à la conclusion du cautionnement d’une erreur sur la solvabilité du débiteur en prétextant qu’il s’agissait là d’un élément déterminant de son engagement.
    • Reste que, comme relevé par les auteurs, il est peu probable que cette solution puisse se concilier avec le nouvel article 1135, al. 1er du Code civil introduit par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats.
    • Cette disposition prévoit, pour mémoire, que l’erreur sur les motifs est une cause de nullité à la condition exclusive que les parties en aient « fait expressément un élément déterminant de leur consentement.»
    • L’erreur sur la solvabilité du débiteur s’analysant précisément en une erreur sur les motifs on voit mal comment, en matière de cautionnement, elle pourrait déroger à la règle.
    • Aussi, est-il fort probable que la Cour de cassation abandonne sa jurisprudence.

§2: Le dol

Le dol est un moyen de défense couramment invoqué par les cautions aux fins de faire échec aux poursuites des créanciers.

Classiquement, il est défini comme le comportement malhonnête d’une partie qui vise à provoquer une erreur déterminante du consentement de son cocontractant.

L’article 1137 prévoit en ce sens que « le dol est le fait pour un contractant d’obtenir le consentement de l’autre par des manœuvres ou des mensonges. »

À cet égard, si le dol est de nature à vicier le consentement d’une partie au contrat, il constitue, pour son auteur, un délit civil susceptible d’engager sa responsabilité.

Contrairement à l’erreur qui est nécessairement spontanée, le dol suppose l’établissement d’une erreur provoquée par le cocontractant.

Depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 10 février 2016, il est régi par les articles 1137 à 1139 du Code civil.

Bien que le cautionnement soit un terrain particulièrement fertile pour l’accomplissement de manœuvres dolosives, il n’en demeure pas moins soumis au droit commun des contrats.

I) Les conditions du dol

Plusieurs conditions doivent être réunies pour que le dol soit constitué. Ces conditions tiennent :

  • D’une part, à ses éléments constitutifs
  • D’autre part, à son auteur
  • Enfin, à la victime

A) Les conditions relatives aux éléments constitutifs du dol

Le dol est caractérisé par :

  • Un élément matériel
  • Un élément intentionnel

1. L’élément matériel du dol

L’article 1137 alinéa 1, du Code civil prévoit que « le dol est le fait pour un contractant d’obtenir le consentement de l’autre par des manœuvres ou des mensonges ».

L’alinéa 2 ajoute que « constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie »

Il ressort de ces deux dispositions que le dol est susceptible de se manifester sous trois formes différentes :

  • des manœuvres
  • un mensonge
  • un silence

Si, les deux premières formes de dol ne soulèvent guère de difficultés d’appréciation, il n’en va pas de même pour la réticence dolosive qui, si elle a été consacrée par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, n’en suscite pas moins des interrogations quant à sa mise en œuvre.

a. Les manœuvres ou mensonges

i. Droit commun

Dans un premier temps, la notion de manœuvres a été interprétée par la jurisprudence de manière restrictive.

Elles se limitaient à des actes positifs par lesquels une partie créait chez son cocontractant une fausse apparence de la réalité.

Par manœuvres, il fallait donc entendre les mises en scènes, les artifices réalisés par une partie en vue de tromper son cocontractant (V. en ce sens par exemple Cass. com., 19 déc. 1961)

Le dol était alors clairement assimilé à l’escroquerie, au sens du délit pénal.

Dans un second temps, les juridictions ont, après s’y être refusées (V. en ce sens Cass. Req. 29 nov. 1876), assimilé les manœuvres, au sens strict, au mensonge, soit à une affirmation contraire à la vérité faite dans l’intention de tromper.

Dans un arrêt du 6 novembre 1970 la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « un simple mensonge, non appuyé d’actes extérieurs, peut constituer un dol » (Cass. 3e civ. 6 nov. 1970).

Le dol était de la sorte susceptible d’être caractérisé toutes les fois qu’une partie formulait une affirmation fausse sur un élément du contrat.

Cette extension du domaine du dol a été consacrée par la réforme des obligations. Le nouvel article 1137 du Code civil vise désormais, au nombre des manifestations du dol, tant les manœuvres que les mensonges.

Dans un arrêt remarqué du 13 décembre 1994 dont la solution est toujours d’actualité, la Cour de cassation a eu l’occasion de préciser que lorsque le mensonge consiste en une simple exagération qui ne dépasse pas « ce qui est habituel dans les pratiques commerciales », il ne tombe pas sous le coup du dol (Cass. com., 13 déc. 1994, n°92-20.806).

Il s’agit de ce que l’on appelle un dolus bonus, soit un dol dont la caractérisation est insusceptible d’entraîner la nullité du contrat.

Cette solution se justifie par l’idée que l’exagération des qualités d’un produit ou d’une prestation est communément admise dans les relations d’affaires. Il s’agit là d’une pratique qui est inhérente aux négociations commerciales.

Qui plus est, la loi ne saurait protéger la naïveté ou la trop grande crédulité d’une partie au contrat.

La question qui alors se pose est de savoir où se trouve la limite entre le dolus bonus et le dolus malus.

Il ressort de la jurisprudence que l’exagération des qualités d’un produit ou d’une prestation est admise lorsque, d’une part, son auteur n’est animé par aucune intention de tromper et, d’autre part, lorsqu’aucun manquement à son obligation d’information ne saurait lui être reproché.

ii. Application au cautionnement

En matière de cautionnement, les manœuvres et mensonges constitutifs d’un dol consisteront, le plus souvent, pour le créancier à tromper la caution sur la situation financière du débiteur.

Dans un arrêt du 7 février 1983, la Cour de cassation a ainsi validé la décision d’une Cour d’appel qui avait annulé un cautionnement au motif que le créancier avait certifié à la caution que la situation du débiteur était saine et qu’il n’y avait aucun risque pour elle à se porter garante de l’opération, alors qu’il n’en était rien.

Pour la Chambre commerciale ces mensonges, qui ont été déterminants de l’engagement de la caution, constituaient bel et bien de manœuvres dolosives, ce qui justifiait, à ce titre, l’annulation du cautionnement (Cass. com. 7 fèvr. 1983, n°81-15.339).

b. La réticence dolosive

i. Droit commun

==> Évolution de la jurisprudence

Initialement, la jurisprudence considérait que le silence ne pouvait, en aucun cas, sauf disposition spéciale, être constitutif d’un dol.

Les rédacteurs du Code civil étaient guidés par l’idée que les parties à un contrat sont égales, de sorte qu’il leur appartient, à ce titre, de s’informer.

Aussi, le silence était regardé comme une arme dont les contractants étaient libres de se servir l’un contre l’autre.

Au fond, celui qui se tait et qui donc ne formule aucune affirmation fausse ne trompe pas. Rien ne justifie donc que le silence s’apparente à un dol.

C’est la raison pour laquelle, pendant longtemps, la Cour de cassation a été fermement opposée à la reconnaissance de ce que l’on appelle la réticence dolosive comme cause de nullité (V. en ce sens notamment Cass. req., 17 févr. 1874).

Le silence d’une partie à un contrat n’était sanctionné que dans l’hypothèse où un texte lui imposait une obligation spéciale d’information.

Par suite, la jurisprudence a évolué. Au début des années 1970, la Cour de cassation a, en effet, infléchi sa position an admettant que, dans certaines circonstances, la loyauté pouvait commander à une partie de communiquer à son cocontractant des renseignements dont elle sait qu’ils sont déterminants de son consentement.

Dans un arrêt du 15 janvier 1971, la troisième chambre civile a estimé en ce sens que « le dol peut être constitué par le silence d’une partie dissimulant à son cocontractant un fait qui, s’il avait été connu de lui, l’aurait empêché de contracter » (Cass. 3e civ. 15 janv. 1971).

Immédiatement, la question s’est alors posée de savoir à quel fondement rattacher la réticence dolosive.

L’examen de la jurisprudence révèle que le silence pouvait constituer une cause de nullité du contrat :

  • Soit parce qu’une obligation d’information pesait sur celui qui s’est tu
  • Soit parce que ce dernier a manqué à son obligation de bonne foi

Ainsi les juridictions ont-elles assimilé la réticence dolosive à la violation de deux obligations distinctes, encore que, depuis les arrêts Vilgrain (Cass. com., 27 févr. 1996) et Baldus (Cass. 1ère civ. 3 mai 2000) les obligations de bonne foi et d’information ne semblent pas devoir être placées sur le même plan.

La première ne serait autre que le fondement de la seconde, de sorte que l’élément matériel de la réticence dolosive résiderait, en réalité, dans la seule violation de l’obligation d’information.

Est-ce cette solution qui a été retenue par le législateur lors de la réforme des obligations ?

==> Consécration légale

L’article 1137, al. 2e du Code civil, issu de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, prévoit que « constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie »

Le silence d’une partie a ainsi été reconnu par le législateur comme constituant une cause de nullité au même titre que les manœuvres dolosives ou les mensonges.

La réticence dolosive ne repose toutefois plus, comme c’était le cas sous l’empire du droit antérieur, sur le fondement de l’obligation précontractuelle d’information.

Pour mémoire, une obligation générale d’information a été consacrée par le législateur à l’article 1112-1 du Code civil, de sorte qu’elle dispose d’un fondement textuel qui lui est propre.

Aussi, cette obligation est-elle désormais totalement déconnectée des autres fondements juridiques auxquels elle était traditionnellement rattachée.

Il en résulte qu’il n’y a plus lieu de s’interroger sur l’opportunité de reconnaître une obligation d’information lors de la formation du contrat ou à l’occasion de son exécution.

Elle ne peut donc plus être regardée comme une obligation d’appoint de la théorie des vices du consentement.

La conséquence en est, s’agissant de la caractérisation de la réticence dolosive, qu’il n’est plus nécessaire pour la victime de démontrer que son cocontractant était tenu à une obligation d’information.

Il lui suffit de démontrer que l’auteur de la réticence dolosive avait connaissance d’informations déterminantes de son consentement, lesquelles lui ont été intentionnellement dissimulées.

ii. Application au cautionnement

Lorsque le dol est invoqué par une caution aux fins de faire annuler son engagement, elle soutiendra, avoir été victime du silence – dolosif – de son cocontractant.

Il est fréquent, en effet, que, au jour de l’engagement de la caution, le créancier savait que la situation du débiteur était fragile, sinon désespérée. Seulement, il ne lui a rien dit dans l’unique but de faire peser sur elle la charge de la dette qu’il entend faire garantir.

Si toutefois la caution avait eu connaissance de cette situation, qui lui a été sciemment dissimulée par le créancier, elle ne se serait jamais engagée à son profit.

Lorsque les juridictions ont à connaître de la validité d’un cautionnement conclu dans de telles circonstances, elles admettent régulièrement qu’il puisse être annulé sur le fondement de la réticence dolosive, à plus forte raison si la caution était profane.

Dans un arrêt du 10 mai 1989, la Cour de cassation a ainsi jugé que « manque à son obligation de contracter de bonne foi et commet ainsi un dol par réticence la banque qui, sachant que la situation de son débiteur est irrémédiablement compromise ou à tout le moins lourdement obérée, omet de porter cette information à la connaissance de la caution afin d’inciter celle-ci à s’engager » (Cass. 1ère civ. 10 mai 1989, n°87-14.294).

Par suite, la première chambre civile reconduira cette solution à plusieurs reprises et dans les mêmes termes (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 18 févr. 1997, n°95-11.816 ; Cass. 1ère civ. 4 janv. 2005, n°03-16.667)

La chambre commerciale statuera dans le même sens dans un arrêt du 26 mai 1992 (Cass. com. 26 mai 1992, n°90-13.540).

Dans un arrêt du 16 juin 2015, elle retiendra, par exemple, que « commet un dol par réticence la banque qui, sachant que la situation de son débiteur est lourdement obérée, omet de porter cette information à la connaissance de la caution, l’incitant ainsi à s’engager » (Cass. com. 16 juin 2015, n°14-10.375).

Dans un arrêt du 13 mai 2003, la Cour de cassation a précisé qu’il était indifférent que le créancier prenne la précaution de stipuler dans l’acte de cautionnement une clause énonçant que la caution ne fait pas de la situation du cautionné la condition déterminante de son engagement.

Elle considère que la réticence dolosive est caractérisée « dès lors que la banque l’avait stipulée en connaissance des difficultés financières du débiteur principal » (Cass. 1ère civ. 13 mai 2003, n°01-11-511).

Il reviendra toutefois à la caution de prouver que le créancier avait connaissance de la situation irrémédiablement compromise du débiteur (Cass. 1ère civ. 13 févr. 1996, n°94-10.908).

Si donc la réticence dolosive est caractérisée lorsque le créancier a dissimulé à la caution une information déterminante de son engagement, encore faut-il que cette dissimulation ait été intentionnelle.

2. L’élément intentionnel du dol

==> L’exigence d’intention

Le dol suppose la volonté de tromper son cocontractant. C’est en cela qu’il constitue un délit civil, soit une faute susceptible d’engager la responsabilité extracontractuelle de son auteur.

Aussi, est-ce sur ce point que le dol se distingue de l’erreur, laquelle ne peut jamais être provoquée. Elle est nécessairement spontanée.

  • En matière de sol simple
    • Dans un arrêt du 12 novembre 1987 la Cour de cassation reproche en ce sens à une Cour d’appel d’avoir retenu un dol à l’encontre du vendeur d’un camion qui ne répondait pas aux attentes de l’acquéreur « sans rechercher si le défaut de communication des factures de réparation et d’indication de réparations restant à effectuer avait été fait intentionnellement pour tromper le contractant et le déterminer à conclure la vente» ( 1ère civ. 12 nov. 1987)
    • Plus récemment, la Cour de cassation a encore approuvé une Cour d’appel qui avait retenu un dol à l’encontre du vendeur d’un fonds de commerce, celle-ci ayant parfaitement « fait ressortir l’intention de tromper du cédant» ( com. 11 juin 2013).
  • En matière de réticence dolosive
    • Dans un arrêt du 28 juin 2005 rendu en matière de réticence dolosive, la haute juridiction a adopté une solution identique en affirmant que « le manquement à une obligation précontractuelle d’information, à le supposer établi, ne peut suffire à caractériser le dol par réticence, si ne s’y ajoute la constatation du caractère intentionnel de ce manquement et d’une erreur déterminante provoquée par celui-ci» ( com. 28 juin 2005)

Le cautionnement n’échappe pas à la règle. La jurisprudence exige également pour retenir le dol que soit établie l’intention du créancier de tromper sciemment la caution.

Dans un arrêt du 13 février 1996 la Cour de cassation a ainsi censuré une Cour d’appel qui avait annulé un cautionnement, au motif qu’elle n’avait pas recherché « si le défaut d’information imputé à la banque avait pour objet de tromper [la caution] et de la déterminer à se rendre caution, de sorte que la réticence dolosive n’était pas caractérisée » (Cass. 1ère civ. 13 févr. 1996, n°94-10.908).

Elle a statué dans le même sens dans un arrêt du 9 juillet 2003 aux termes duquel elle refuse de valider l’annulation d’un cautionnement, faute pour la caution d’avoir prouvé que la banque avait cherché à la tromper (Cass. 1ère civ. 9 juill. 2003, n°01-11.959).

Aussi, l’omission d’information par négligence imputable au créancier ne suffit pas, à elle seule, à affecter le cautionnement de nullité. Elle permettra tout au plus à la caution d’obtenir des dommages et intérêts, à la condition qu’elle soit en mesure de justifier d’un préjudice.

==> La preuve de l’intention

Il peut tout d’abord être observé que la charge de la preuve pèse toujours sur la victime du dol.

Ainsi, lui appartiendra-t-il d’établir que son cocontractant était animé de l’intention de la tromper au moment de la formation du contrat

Comment prouver ?

  • En matière de dol simple
    • La volonté de tromper pourra se déduire des manœuvres ou du mensonge
  • En matière de réticence dolosive
    • La preuve sera manifestement plus délicate à rapporter
    • Cela suppose, en effet, d’établir que l’auteur du dol avait la connaissance de l’information qu’il a, sciemment, dissimulée à son cocontractant.
    • À défaut, la preuve du dol ne sera pas rapportée (V par exemple 3e civ., 28 mai 2013)
    • Le juge sera alors tenté de déduire l’intention de tromper d’un double constat :
      • D’une part, celui qui s’est tu connaissait l’information
      • D’autre part, il connaissait son importance pour son cocontractant
    • En matière de cautionnement, les juridictions auront tendance à déduire l’intention de tromper de la connaissance par le créancier de la situation irrémédiablement compromise du débiteur.
    • À cet égard, la Cour de cassation a validé cette approche dans un arrêt du 22 mai 2013.
    • Dans cette décision elle juge que la Cour d’appel avait pu valablement déduire de la détention par le créancier d’informations déterminantes sur la situation financière du débiteur dont les cautions ne disposaient pas, la volonté de ce dernier de dissimuler « délibérément le risque élevé de l’opération garantie»
    • Pour la chambre commerciale, « par ces seuls motifs, dont il résultait que le [créancier] avait délibérément dissimulé aux cautions des informations, indépendantes des seuls risques et aléas du montage, sans lesquelles elles n’auraient pas contracté, la cour d’appel, hors toute dénaturation, sans méconnaître le secret bancaire, ni être tenue de procéder aux recherches inopérantes demandées, ni de répondre au moyen inopérant de la quatrième branche, a légalement justifié sa décision» ( com. 22 mai 2013, n°11-20.398)

B) Les conditions relatives à l’auteur du dol

==> Principe général

Pour être cause de nullité, le dol doit émaner, en principe, d’une partie au contrat. L’article 1137 du Code civil énonce en ce sens que « le dol est le fait pour un contractant ».

Aussi, le dol ne peut-il jamais avoir pour origine un tiers au contrat.

Dans un arrêt du 27 novembre 2001, la Cour de cassation a eu l’occasion de rappeler cette règle en décidant que « le dol n’est une cause de nullité que s’il émane de la partie envers laquelle l’obligation est contractée » (Cass. com. 27 nov. 2001).

Si donc le dol émane d’un tiers, le contrat conclu par la victime n’encourt pas la nullité, quand bien même elle a été trompée sur l’étendue et la portée de son engagement.

Le cautionnement ne déroge pas à la règle. Dans un arrêt du 22 juillet 1986, la Cour de cassation a validé la décision d’une Cour d’appel qui a débouté la caution qui, pour se soustraire à son engagement, soutenait avoir été trompée par un tiers.

Pour justifier le rejet du pourvoi formé par cette dernière, la chambre commerciale affirme que « le dol viciant le consentement de l’une des parties à un contrat n’emporte la nullité de ce contrat que s’il émane de l’autre partie ».

Elle en déduit que les juges du fond n’avaient « pas à rechercher s’il existait ou non des manœuvres dolosives imputées à des tiers au contrat de cautionnement à l’occasion de la conclusion d’une autre convention, même si la caution s’était engagée en conséquence de cette dernière convention » (Cass. com. 22 juill. 1986, n°85-12.392).

Si donc le dol émanant d’un tiers ne constitue pas une cause de nullité du cautionnement, quid lorsqu’il est le fait d’une personne qui, sans être partie à l’acte, est intéressée à l’opération.

La question s’est notamment posée lorsque le dol émane du débiteur ou d’un cofidéjusseur.

  • Le dol émane du débiteur
    • En pratique, c’est l’hypothèse la plus fréquente. Le débiteur cherche à convaincre la caution de garantir son engagement en dissimulant des informations déterminantes sur sa situation financière ou sur les conditions de réalisation de l’opération.
    • Reste que le débiteur est tiers à l’opération de cautionnement
    • Lorsque, dès lors le dol émane du débiteur, en application de l’article 1137 du Code civil, il est sans effet sur la validité du cautionnement.
    • La caution n’est donc pas fondée à se prévaloir de la nullité de l’acte.
    • Dans un arrêt du 20 mars 1989, la Cour de cassation casse et annule la décision d’une Cour d’appel qui avait admis que le dol puisse émaner du débiteur.
    • Au soutien de sa décision, elle affirme que « même dans un contrat unilatéral tel que le cautionnement, le dol ne peut entraîner la nullité de la convention que s’il émane du cocontractant» ( 1ère civ. 20 mars 1989, n°87-15.450).
  • Le dol émane d’un cofidéjusseur
    • Le cofidéjusseur est, pour mémoire, celui qui, pour garantir le paiement de la même dette d’un même débiteur, se porte caution solidairement ou non, avec d’autres personnes, tenues comme lui.
    • Une application stricte de l’article 1137 du Code civil devrait conduire à exclure la possibilité pour la caution de se prévaloir du dol émanant d’un cofidéjusseur aux fins de faire annuler le cautionnement.
    • Bien que les cofidéjusseurs soient tenus à la même dette, ils sont des tiers les uns envers les autres. Ils ne s’obligent qu’envers le seul créancier.
    • La Cour de cassation n’a toutefois pas opté pour cette approche.
    • Dans un arrêt du 29 mai 2001, elle a jugé que « dans les rapports entre cofidéjusseurs, le dol peut être invoqué par la caution qui se prévaut de la nullité du cautionnement lorsqu’il émane de son cofidéjusseur» ( com. 29 mai 2001, n°96-18.118).
    • Faut-il interpréter cette décision comme admettant qu’une caution puisse se prévaloir à l’encontre du créancier du dol émanant d’un cofidéjusseur ? La doctrine est partagée.
    • Pour certains auteurs, il y a lieu de répondre par l’affirmative à cette question, ce qui témoignerait de la volonté de la Cour de cassation d’adopter une interprétation extensive la règle énoncée à l’article 1137 du Code civil[3].
    • Pour d’autres, la solution retenue par la Cour de cassation aurait, en réalité, une portée limitée[4].
    • Lorsque le dol émanerait d’un cofidéjusseur il produirait ses effets, non pas contre le créancier, mais « dans les rapports entre cofidéjusseurs».
    • Aussi, la caution ne serait, en aucune manière, fondée à solliciter la nullité du cautionnement qui demeurerait parfaitement valide.
    • Elle pourrait seulement se prévaloir du dol dont elle a été victime à l’encontre du cofidéjusseur qui en est l’auteur, ce qui concrètement pourrait se traduire de deux façons différentes :
      • Le cofidéjusseur dont émane le dol serait privé de la possibilité d’exercer tout recours en paiement contre la caution
      • La caution pourrait solliciter auprès du cofidéjusseur le remboursement de la part de la dette qu’elle a été contrainte de régler.
    • Compte tenu de ce que, dans sa décision, la chambre commerciale prend le soin de préciser que c’est « dans les rapports entre cofidéjusseurs» que le dol qui émane d’un cofidéjusseur peut être invoqué par la caution, nous inclinons pour la seconde thèse.

==> Correctif

La jurisprudence a apporté un correctif à la règle excluant les tiers de la catégorie des personnes dont doit nécessairement émaner le dol, en admettant que la victime puisse agir sur le fondement de l’erreur.

Dans un arrêt du 3 juillet 1996, la première chambre civile a affirmé en ce sens que « l’erreur provoquée par le dol d’un tiers à la convention peut entraîner la nullité du contrat lorsqu’elle porte sur la substance même de ce contrat » (Cass. 1ère civ. 3 juill. 1996).

La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par substance du contrat ?

Il peut être observé que la décision qui nous préoccupe a été rendue bien avant la réforme du droit des contrats.

Sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, pour être cause de nullité l’erreur devait porter sur la « substance de la chose ».

Le législateur lui a préféré en 2016 le vocable « qualités essentielles de la prestation » aux fins de mettre un terme au débat qui portait sur le sens à donner à « substance de la chose ».

Si donc la solution rendue par la Cour de cassation devait être reconduite – ce qui en l’état du droit positif ne s’est pas produit – pour être fondée à solliciter l’annulation du contrat la victime du dol devra être en mesure de prouver qu’elle a été trompée par le tiers sur les qualités essentielles de la prestation promise.

Appliquée au cautionnement, cette solution ne devrait trouver à s’appliquer que dans de très rares cas.

Comme indiqué précédemment, en cette matière, l’erreur sur les qualités essentielles de la prestation se conçoit difficilement dans la mesure où ladite prestation se confond avec l’objet même de l’engagement de caution. On voit dès lors mal comment cette dernière pourrait soutenir avoir commis une erreur sur la prestation fournie.

Reste que, dans un arrêt du 28 octobre 2005, la Cour d’appel de Paris l’a admis en adoptant une approche pour le moins extensive de la notion d’erreur sur la substance.

Dans cette décision, les juges du second degré ont estimé qu’elle devait être envisagée comme une erreur déterminante du consentement, ce qui dès lors autorise la caution à se prévaloir d’une telle erreur (CA Paris, 28 oct. 2005).

Cette décision sera-t-elle reconduite ? Depuis l’entrée en vigueur de la réforme du droit des contrats, aucune juridiction n’a statué en ce sens, à tout le moins pas à notre connaissance.

==> Exceptions

Il ressort de l’article 1138 du Code civil que, par exception, le dol peut émaner :

  • Soit du représentant, gérant d’affaires, préposé ou porte-fort du contractant
    • L’ordonnance du 10 février 2016 est venue ici consacrer les solutions classiques adoptées par la jurisprudence.
    • Dans un arrêt du 29 avril 1998, la Cour de cassation avait ainsi approuvé une Cour d’appel d’avoir retenu un dol à l’encontre d’une société, alors que les manœuvres avaient été effectuées par le mandataire de cette dernière.
    • Au soutien de sa décision, la haute juridiction relève que « la SCI avait confié à la société CEF le mandat de vendre les appartements et qu’il n’était pas démontré que cette société aurait dépassé les limites des pouvoirs de représentation conférés par le mandant, alors que la SCI avait connaissance des informations fallacieuses communiquées par la société CEF aux acheteurs potentiels et avait bénéficié du dol, lequel avait été appuyé par l’offre d’une garantie locative excessive afin d’accréditer l’idée que le prêt bancaire serait remboursé par les loyers» ( 3e civ. 29 avr. 1998).
    • Cette exception est susceptible de jouer en matière de cautionnement, lorsque, par exemple, la caution est trompée par le mandataire du créancier (V. en ce sens CA Paris, 22 sept. 1995).
  • Soit d’un tiers de connivence
    • L’article 1138, al. 2e du Code civil prévoit que le dol est constitué « lorsqu’il émane d’un tiers de connivence. »
    • Comme la précédente, cette exception n’est pas nouvelle.
    • Le législateur a simplement consacré une solution déjà existante.
    • Dans un arrêt du 16 décembre 2008, la Cour de cassation a, par exemple, validé la décision d’une Cour d’appel qui avait annulé un acte en raison de l’existence d’une collusion entre l’auteur du dol et l’une des parties au contrat ( com. 16 déc. 2008).
    • Cette solution a été appliquée par la Cour de cassation au cautionnement dans un plusieurs décisions.
    • Dans un arrêt du 20 mars 1989 la première chambre civile a, par exemple, cassé et annulé la décision d’une Cour d’appel qui avait fait droit à la demande d’annulation d’un cautionnement formulée par une caution qui se prévalait d’un dol émanant d’un tiers.
    • La haute juridiction reproche aux juges du fond d’avoir statué en ce sens, alors qu’elle n’avait relevé « l’existence d’aucune collusion frauduleuse» entre le créancier et le tiers ( 1ère civ. 20 mars 1989, n°87-15.450).
    • À cet égard, c’est à la victime du dol qu’il appartient de prouver la connivence.
    • L’article 1138, al. 2 ne dit cependant pas ce que l’on doit entendre par connivence
    • Aussi, est-ce à la Cour de cassation qu’il reviendra la tâche de délimiter les contours de cette notion.
    • La connivence suppose-t-elle seulement de la part du tiers qu’il ait connaissance d’une information déterminante du consentement de la victime ou doit-il être démontré que, comme son complice, il avait l’intention de tromper cette dernière ?

C) Les conditions relatives à la victime du dol

Pour que le dol constitue une cause de nullité,

  • D’une part, le consentement de la victime doit avoir été donné par erreur
  • D’autre part, l’erreur provoquée par l’auteur du dol doit avoir été déterminante

1. L’exigence d’une erreur

==> Existence d’une erreur

Pour que le dol puisse être retenu à l’encontre de l’auteur d’agissements trompeurs, encore faut-il qu’une erreur ait été commise par la victime.

À défaut, le contrat ne saurait encourir la nullité. Cette sanction ne se justifie, en effet, que s’il y a vice du consentement

Or lorsque les manœuvres d’une partie n’ont provoqué aucune erreur chez son cocontractant, le consentement de celle-ci n’a, par définition, pas été vicié.

==> Objet de l’erreur

Parce que le dol vient sanctionner un comportement malhonnête de son auteur, il constitue une cause de nullité quand bien même l’erreur qu’il provoque chez le cocontractant est indifférente.

Une erreur qui donc serait insusceptible d’entraîner l’annulation du contrat si elle avait été commise de manière spontanée, peut avoir l’effet opposé dès lors qu’elle a été provoquée.

Dans un arrêt du 2 octobre 1974, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « dès lors qu’elle a déterminé le consentement du cocontractant, l’erreur provoquée par le dol peut être prise en considération, même si elle ne porte pas sur la substance de la chose qui fait l’objet du contrat. » (Cass. 3e civ. 2 oct. 1974).

Cette solution a été consacrée à l’article 1139 du Code civil issu de l’ordonnance du 10 février 2016 qui prévoit que « l’erreur […] est une cause de nullité alors même qu’elle porterait sur la valeur de la prestation ou sur un simple motif du contrat ».

Il en résulte que, en matière de dol, l’erreur de la victime peut indifféremment porter :

  • Sur la valeur de la prestation due ou fournie
  • Sur les motifs de l’engagement

L’article 1139 du Code civil précise que lorsqu’elle est provoquée par un dol, l’erreur qui devrait être considérée comme inexcusable, quand elle est commise spontanément, devient excusable et donc une cause de nullité du contrat.

Le caractère excusable ou inexcusable de l’erreur est, de la sorte, indifférent.

Dans un arrêt du 21 février 2001, la Cour de cassation avait déjà eu l’occasion d’affirmer que « la réticence dolosive, à la supposer établie, rend toujours excusable l’erreur provoquée » (Cass. 3e civ. 21 févr. 2001).

En matière de cautionnement, l’erreur provoquée par le dol peut avoir plusieurs objets au nombre desquels figurent notamment :

  • Solvabilité du débiteur
  • L’existence d’autres garanties
  • L’étendue de l’engagement de la caution
  • L’objet réel de la dette garantie

Si, la jurisprudence admet, en matière de dol, tout type d’erreur, elle prête, en revanche, une attention toute particulière à la qualité de la caution.

==> L’Incidence de la qualité de la caution

L’examen de la jurisprudence révèle que les juges traitent différemment les cautions averties des cautions profanes.

  • Les cautions averties
    • Lorsque l’annulation d’un cautionnement est sollicitée sur le fondement du sol, il apparaît que les juges sont plus exigeants à l’égard des cautions averties, soit des personnes qui disposent de compétences dans le domaine des opérations financières.
    • Dans un arrêt du 16 novembre 1993, la Cour de cassation a, par exemple, refusé de reconnaître le dol dont se prévalait une caution dirigeante au motif qu’elle « connaissait la situation de la société garantie lors de la constitution des cautionnements» ( com. 16 nov. 1993, n°91-14.388).
    • Cette position est guidée par l’idée que, de par sa fonction, le dirigeant a accès à toutes les informations lui permettant d’apprécier la situation financière de la société qu’il garantit.
    • Comment, dans ces conditions, pourrait-il arguer avoir été trompé sur la portée ou l’étendue de son engagement ?
    • Dans un arrêt du 19 avril 2009, la Cour de cassation a fait application de ce raisonnement à un associé qui avait cautionné les dettes de sa société.
    • Pour débouter ce dernier de sa demande de nullité du cautionnement souscrit, la chambre commerciale relève notamment « qu’il était acquis aux débats que la société Pradier industries était, à la date des cautionnements litigieux, associée à concurrence de 50 % de son capital de la société Matériaux modernes ce dont il se déduisait qu’étant, de ce fait même, déjà renseignée ou, du moins, en mesure d’obtenir sur la situation de la société Matériaux modernes toutes les informations propres à lui permettre d’apprécier l’opportunité des engagements qu’elle se proposait de souscrire» ( com. 19 avr. 2005, n°03-12.879).
    • Si les juridictions font montre de sévérité à l’égard des cautions averties, cela ne signifie pas pour autant que ces dernières soient totalement privées de la possibilité de se prévaloir d’un dol.
    • Pour être entendues, elles devront toutefois prouver que, nonobstant leur qualité de dirigeant ou d’associé de l’entreprise cautionnée, elles ne pouvaient pas connaître l’information qui leur a été dissimulée (V. en ce sens com. 26 mai 1992, n°90-13.540).
  • Les cautions profanes
    • Lorsque la caution est profane, la jurisprudence fait peser une obligation d’information renforcée sur le créancier professionnel.
    • Aussi, appartient-il à ce dernier d’informer la caution sur la situation financière du débiteur.
    • Dans un arrêt du 16 mai 1995, la Cour de cassation a, par exemple, validé l’annulation d’un cautionnement par une Cour d’appel au motif qu’il était établi que le créancier savait la situation de son débiteur irrémédiablement compromise et qu’il l’a laissé dans l’ignorance de la situation d’insolvabilité totale de ce dernier ( 1ère civ. 16 mai 1995, n°92-20.976).
    • La première chambre civile a réitéré cette solution dans un arrêt du 9 juillet 1996 où il était également question de dissimulation par le créancier des lourdes difficultés financières rencontrées par le débiteur.
    • Dans cette affaire, les juges du fond avaient relevé que la banque savait que la situation financière du débiteur principal était irrémédiablement compromise et qu’elle n’en avait pas informé les cautions au moment de la signature des actes de cautionnement, en sorte que ceux-ci, en cautionnant une facilité de caisse, avaient pu légitimement penser que la banque allait accorder à son débiteur un crédit de 300 000 francs, ce qui n’avait pas été le cas, puisque, très peu de temps après, elle refusait les chèques émis par lui pour défaut de provision.
    • La Cour d’appel en déduit que la banque avait obtenu les cautionnements non pour bénéficier d’une garantie pour l’avenir, mais pour disposer, à la suite de la défaillance inéluctable du débiteur, de deux co-obligés solvables, en la personne des cautions, victimes du dol ( 1ère civ. 9 juill. 1996, n°94-15.412).

2. L’exigence d’une erreur déterminante

Pour que la nullité d’un contrat puisse être prononcée sur le fondement du dol, encore faut-il que l’erreur provoquée ait été déterminante du consentement du cocontractant.

Cette règle est désormais énoncée à l’article 1130 du Code civil qui prévoit que le dol constitue une cause de nullité lorsque sans lui l’une des parties n’aurait pas contracté (dol principal) ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes (dol incident).

Ainsi, le législateur a-t-il choisi de ne pas distinguer selon que le dol dont est victime l’une des parties au contrat est principal ou incident, conformément à la position adoptée par la jurisprudence.

Dans un arrêt du 2 mai 1984, la Cour de cassation avait ainsi condamné cette distinction en affirmant, au sujet d’une action en nullité pour dol d’une opération de cession de droits sociaux, que « après avoir recherché quelle était la commune intention des parties que la cour d’appel, qui a constaté que la cession des parts de la société était intervenue le 20 janvier 1976 a fait ressortir que les co-contractants, par la convention du 13 mai 1976, n’avaient pas manifesté la volonté de revenir sur la cession à laquelle ils avaient déjà consenti mais avaient, seulement, entendu modifier l’estimation de l’un des éléments entrant dans le calcul du prix des parts cédées, qu’elle a ainsi, abstraction faite du motif justement critique tire du caractère incident du dol, qui est surabondant, a légalement justifié sa décision dès lors qu’elle était saisie par les consorts a… outre d’une demande en nullité, d’une demande de dommages-intérêts en réparation de dommages causés par le comportement répréhensible de leurs co-contractants lors de l’exécution du contrat » (Cass. com. 2 mai 1984, n°82-16.880).

Plus récemment, dans un arrêt du 22 juin 2005, la Cour de cassation avait, en effet, approuvé une Cour d’appel « d’avoir déduit que les réticences dolosives imputables à la société Simco entraînaient la nullité de la vente », après avoir relevé que certains éléments qui avaient été dissimulés « étaient déterminants pour l’acquéreur qui devait être mis à même d’apprécier la rentabilité d’une opération et aurait à tout le moins acquis à un prix inférieur s’il avait connu la situation exacte » (Cass. 3e civ. 22 juin 2005, n°04-10.415).

S’agissant du cautionnement, l’exigence du caractère déterminant de l’erreur provoquée par le dol s’applique également.

Dans un arrêt du 8 juillet 2003, la Cour de cassation a, par exemple, rappelé, pour justifier le refus d’une Cour d’appel d’annuler un cautionnement sur le fondement de la réticence dolosive, que « le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manœuvres pratiquées par l’une des parties sont telles qu’il est évident que, sans ces manœuvres, l’autre partie n’aurait pas contracté » (Cass. 1ère civ. 8 juillet 2003, n°01-02.664).

À cet égard, il peut être observé c’est à la caution qu’il revient de prouver le caractère déterminant de son erreur.

Il est néanmoins des décisions où la Cour de cassation a semblé se satisfaire de la preuve du dol dont elle déduit le caractère déterminant de l’erreur (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 10 mai 1989, n°87-14.294).

II) La sanction du dol

Lorsqu’un contrat a été conclu au moyen d’un dol, deux sanctions sont encourues :

  • La nullité du contrat
  • L’allocation de dommages et intérêts

A) Sur la nullité du contrat

Aux termes de l’article 1131 du Code civil, « les vices de consentement sont une cause de nullité relative du contrat ».

Aussi, cela signifie-t-il que seule la victime du dol, soit la partie dont le consentement a été vicié a qualité à agir en nullité du contrat.

Cette solution, consacrée par l’ordonnance du 10 février 2016, est conforme à la jurisprudence antérieure (V. notamment en ce sens Cass. 1ère civ. 4 juill. 1995).

B) Sur l’allocation de dommages et intérêts

Parce que le dol constitue un délit civil, la responsabilité extracontractuelle de son auteur est toujours susceptible d’être recherchée.

Dans la mesure où, en effet, le dol a été commis antérieurement à la formation du contrat, la victime ne peut agir que sur le fondement de la responsabilité délictuelle.

Dans un arrêt du 15 février 2002, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « la victime de manœuvres dolosives peut exercer, outre une action en annulation du contrat, une action en responsabilité délictuelle pour obtenir de leur auteur réparation du dommage qu’elle a subi » (Cass. com. 15 janv. 2002).

§3: La violence

==> Notion

Classiquement, la violence est définie comme la pression exercée sur un contractant aux fins de le contraindre à consentir au contrat.

Le nouvel article 1140 traduit cette idée en prévoyant qu’« il y a violence lorsqu’une partie s’engage sous la pression d’une contrainte qui lui inspire la crainte d’exposer sa personne, sa fortune ou celles de ses proches à un mal considérable. ».

Il ressort de cette définition que la violence doit être distinguée des autres vices du consentement pris dans leur globalité, d’une part et, plus spécifiquement du dol, d’autre part.

  • Violence et vices du consentement
    • La violence se distingue des autres vices du consentement, en ce que le consentement de la victime a été donné en connaissance de cause.
    • Cependant, elle n’a pas contracté librement
    • Autrement dit, en contractant, la victime avait pleinement conscience de la portée de son engagement, seulement elle s’est engagée sous l’empire de la menace
  • Violence et dol
    • Contrairement au dol, la violence ne vise pas à provoquer une erreur chez le cocontractant.
    • La violence vise plutôt à susciter la crainte de la victime
    • Ce qui donc vicie le consentement de cette dernière, ce n’est pas l’erreur qu’elle aurait commise sur la portée de son engagement, mais bien la crainte d’un mal qui pèse sur elle.
    • Dit autrement, la crainte est à la violence ce que l’erreur est au dol.
    • Ce qui dès lors devra être démontré par la victime, c’est que la crainte qu’elle éprouvait au moment de la conclusion de l’acte a été déterminante de son consentement

Antérieurement à l’ordonnance du 10 février 2016, le Code civil consacrait cinq dispositions à la violence : les articles 1111 à 1115.

L’article 1112 prévoyait notamment que « il y a violence lorsqu’elle est de nature à faire impression sur une personne raisonnable, et qu’elle peut lui inspirer la crainte d’exposer sa personne ou sa fortune à un mal considérable et présent ».

Dorénavant, quatre articles sont consacrés par le Code civil au dol : les articles 1140 à 1143. Fondamentalement, le législateur n’a nullement modifié le droit positif, il s’est simplement contenté de remanier les dispositions existantes et d’entériner les solutions classiquement admises en jurisprudence.

Aussi, ressort-il de ces dispositions que la caractérisation de la violence suppose toujours la réunion de conditions qui tiennent :

  • D’une part, à ses éléments constitutifs
  • D’autre part, à son origine

Bien que la violence se rencontre rarement en matière de cautionnement – à tout le moins la jurisprudence ne fournit que peu d’illustrations – la caution peut être fondée à se prévaloir de ce vice du consentement aux fins de faire annuler son engagement.

Elle devra néanmoins prouver que les conditions énoncées par les textes qui régissent la violence sont réunies.

I) Les conditions de la violence

A) Les conditions relatives aux éléments constitutifs de la violence

Il ressort de l’article 1140 du Code civil que la violence est une cause de nullité lorsque deux éléments constitutifs sont réunis :

  • L’exercice d’une contrainte
  • L’inspiration d’une crainte

1. Une contrainte

==> L’objet de la contrainte : la volonté du contractant

Tout d’abord, il peut être observé que la violence envisagée à l’article 1140 du Code civil n’est autre que la violence morale, soit une contrainte exercée par la menace sur la volonté du contractant.

La contrainte exercée par l’auteur de la violence doit donc avoir pour seul effet que d’atteindre le consentement de la victime, à défaut de quoi, par hypothèse, on ne saurait parler de vice du consentement.

==> La consistance de la contrainte : une menace

  • La contrainte visée à l’article 1140 s’apparente, en réalité, à une menace qui peut prendre différentes formes.
  • Cette menace peut consister en tout ce qui est susceptible de susciter un sentiment de crainte chez la victime.
  • Ainsi, peut-il s’agir indifféremment d’un geste, de coups, d’une parole, d’un écrit, d’un contexte, soit tout ce qui est porteur de sens.
  • Le plus souvent, la violence exercée sera morale.
  • Dans un arrêt du 28 mai 1991 la Cour de cassation a, par exemple, censuré la décision prise par une Cour d’appel de débouter une épouse de sa demande d’annulation du cautionnement garantissant une dette de la société dont son mari était le dirigeant, alors qu’il était établi que cette dernière avait fait l’objet de pressions verbales et écrites émanant d’élus locaux, d’un syndic de copropriété et du Président du Tribunal de commerce.
  • La Chambre commerciale considère « qu’il résultait de l’ensemble des circonstances constatées dans cette affaire que [la caution], qui avait d’abord refusé de signer l’acte, pour finir par s’y résoudre, « n’avait contracté le cautionnement litigieux que sous l’empire d’une violence morale» ( com. 28 mai 1991, n°89-17.672).
  • La violence a encore été retenue par la Cour de cassation dans une affaire où elle avait été exercée à l’encontre d’une veuve qui avait été contrainte, par son beau-père, de souscrire le cautionnement contesté ( com. 4 Juin 1973, n°72-10.782).
  • L’exercice d’une contrainte sur le cocontractant ne suffit pas à caractériser une violence au sens de l’article 1140 du Code civil, pour être cause de nullité, cette contrainte doit être illégitime.

==> Le caractère de la contrainte : une menace illégitime

La menace dont fait l’objet le contractant doit être illégitime, en ce sens que l’acte constitutif de la contrainte ne doit pas être autorisé par le droit positif.

A contrario, lorsque la pression exercée sur le contractant est légitime, quand bien même elle aurait pour effet de faire plier la volonté de ce dernier, elle sera insusceptible d’entraîner l’annulation du contrat.

La question alors se pose de savoir quelles sont les circonstances qui justifient qu’une contrainte puisse être exercée sur un contractant.

En quoi consiste, autrement dit, une menace légitime ?

Pour le déterminer, il convient de se reporter à l’article 1141 qui prévoit que « la menace d’une voie de droit ne constitue pas une violence. Il en va autrement lorsque la voie de droit est détournée de son but ou lorsqu’elle est invoquée ou exercée pour obtenir un avantage manifestement excessif. »

Cette disposition est, manifestement, directement inspirée de la position de la Cour de cassation qui, dans un arrêt du 17 janvier 1984 avait estimé que « la menace de l’emploi d’une voie de droit ne constitue une violence au sens des articles 1111 et suivants du code civil que s’il y a abus de cette voie de droit soit en la détournant de son but, soit en en usant pour obtenir une promesse ou un avantage sans rapport ou hors de proportion avec l’engagement primitif » (Cass. 3e civ. 17 janv. 1984).

Quel enseignement retenir de la règle énoncée par la jurisprudence, puis reprise sensiblement dans les mêmes termes par le législateur ?

Un principe assorti d’une limite.

  • Principe
    • La menace exercée à l’encontre d’un contractant est toujours légitime lorsqu’elle consiste en l’exercice d’une voie de droit.
    • Ainsi, la menace d’une poursuite judiciaire ou de la mise en œuvre d’une mesure d’exécution forcée ne saurait constituer, en elle-même, une contrainte illégitime.
    • Dans un arrêt du 22 janvier 2013, la Cour de cassation a estimé en ce sens, au sujet d’un cautionnement qui aurait été conclu sous la contrainte, que « la violence morale ne pouvait résulter des appels même incessants d’un banquier, dès lors qu’il existait une raison légitime comme celle de finaliser un acte de cautionnement pour garantir un concours bancaire à la société, dont le gérant n’était autre que le fils de la caution, et ce, bien avant la procédure de redressement judiciaire qui n’était intervenue que quinze mois plus tard et qu’aucun élément médical personnel ne venait corroborer la détresse psychologique dont elle se prévalait, qui l’aurait conduite à un discernement suffisamment altéré pour remettre en cause la validité de son consentement» ( com. 22 janv. 2013).
    • Dans un arrêt du 28 janvier 2014, la chambre commerciale a encore refusé de faire droit à la demande d’annulation d’un cautionnement formulée par une caution, laquelle soutenait que son consentement avait été obtenu sous la menace de la suppression d’un concours financier dont dépendait la survie de la société, afin de tirer profit de la crainte de la déconfiture de celle-ci.
    • Au soutien de sa décision la haute juridiction affirme que « c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation de la portée des éléments versés au débat que la cour d’appel a estimé que les correspondances échangées entre la caution et la banque en mai et juin 2008 ne contenaient aucune forme de pression psychologique ou autre de nature à faire impression sur une personne raisonnable et lui inspirer la crainte d’exposer sa personne ou sa fortune à un mal considérable et présent au sens de l’article 1112 du code civil et considéré que Mme X… n’établissait pas l’existence d’actes de violence de nature à vicier son consentement» ( com. 28 janv. 2014, n°13-10.292).
    • Elle a statué dans le même sens s’agissant d’un cautionnement qui avait été souscrit sous la menace de la mise en œuvre d’une procédure collective par l’URSAFF.
    • Dans cette décision, la Cour de cassation rappelle que « la menace de l’emploi d’une voie de droit ne constitue une violence au sens des articles 1111 et suivants du Code civil que s’il y a abus de cette voie de droit» ( com 16 mai 2006, n°05-15.794).
  • Limites
    • La légitimité de la menace cesse, nous dit l’article 1141, lorsque la voie de droit est :
      • Soit détournée de son but
        • Il en va ainsi lorsque l’avantage procuré par l’exercice d’une voie de droit à l’auteur de la menace est sans rapport avec le droit dont il se prévaut
        • La Cour de cassation a, de la sorte, approuvé une Cour d’appel pour avoir prononcé la nullité d’une reconnaissance de dette qui avait été « obtenue sous la menace d’une saisie immobilière relative au recouvrement d’une autre créance» ( 1ère civ. 25 mars 2003)
      • Soit invoquée ou exercée pour obtenir un avantage manifestement excessif
        • La menace sera ainsi considérée comme illégitime lorsqu’elle est exercée en vue d’obtenir un avantage hors de proportion avec l’engagement primitif ou le droit invoqué
        • La Cour de cassation a ainsi estimé que la contrainte consistant à menacer son cocontractant d’une procédure de faillite était illégitime, dans la mesure où elle avait conduit le créancier à obtenir de son débiteur des avantages manifestement excessifs ( com. 28 avr. 1953).

2. Une crainte

La menace exercée à l’encontre d’un contractant ne sera constitutive d’une cause de nullité que si, conformément à l’article 1140, elle inspire chez la victime « la crainte d’exposer sa personne, sa fortune ou celles de ses proches à un mal considérable. »

Aussi, ressort-il de cette disposition que pour que la condition tenant à l’existence d’une crainte soit remplie, cela suppose :

  • D’une part que cette crainte consiste en l’exposition d’un mal considérable
  • D’autre part que ce mal considérable soit dirigé
    • soit vers la personne même de la victime
    • soit vers sa fortune
    • soit vers ses proches

a. L’exposition à un mal considérable

==> Reprise de l’ancien texte

L’exigence tenant à l’établissement d’une crainte d’un mal considérable a été reprise de l’ancien article 1112 du Code civil qui prévoyait déjà cette condition.

Ainsi, le législateur n’a-t-il nullement fait preuve d’innovation sur ce point-là.

==> Notion

Que doit-on entendre par l’exposition à un mal considérable ?

Cette exigence signifie simplement que le mal en question doit être suffisamment grave pour que la violence dont est victime le contractant soit déterminante de son consentement.

Autrement dit, sans cette violence, la victime n’aurait, soit pas contracté, soit pas conclu l’acte à des conditions différentes.

Le caractère déterminant de la violence sera apprécié in concreto, soit en considération des circonstances de la cause.

La Cour de cassation prendra, en d’autres termes, en compte l’âge, les aptitudes, ou encore la qualité de la victime (V. en ce sens Cass. 3e civ. 13 janv. 1999).

Elle exigera, en outre, pour que le vice de violence soit constitué que la pression exercer sur la victime soit « de nature à faire impression sur une personne raisonnable » (V. notamment pour le cautionnement CA Paris 23 mai 1980).

==> Exclusion de la crainte révérencielle

L’ancien article 1114 du Code civil prévoyait que « la seule crainte révérencielle envers le père, la mère, ou autre ascendant, sans qu’il y ait eu de violence exercée, ne suffit point pour annuler le contrat. »

Cette disposition signifiait simplement que la crainte de déplaire ou de contrarier ses parents ne peut jamais constituer en soi un cas de violence.

La Cour de cassation a eu l’occasion de préciser à plusieurs reprises que pour qu’une telle crainte puisse entraîner l’annulation d’un contrat, cela suppose qu’elle ait pour fait générateur une menace.

Dans un arrêt du 22 avril 1986, la première chambre civile a ainsi admis l’annulation d’une convention en relevant que « l’engagement pris par M.Philippe X… est dû aux pressions exercées par son père sur sa volonté ; que ces pressions sont caractérisées, non seulement par le blocage des comptes en banque de la défunte suivi d’une mainlevée une fois l’accord conclu, mais aussi par la restitution à la même date d’une reconnaissance de dette antérieure ; qu’elle retient que ces contraintes étaient d’autant plus efficaces qu’à cette époque M.Philippe X… souffrait d’un déséquilibre nerveux altérant ses capacités intellectuelles et le privant d’un jugement libre et éclairé »

La haute juridiction en déduit, compte tenu des circonstances que « ces pressions étaient susceptibles d’inspirer à celui qui les subissait la crainte d’exposer sa fortune à un mal considérable et présent, et constituaient une violence illégitime de la part de leur auteur de nature à entraîner la nullité de la convention » (Cass. 1ère civ. 22 avr. 1986 n°85-11.666).

b. L’objet de la crainte

Pour mémoire, l’ancien article 1113 du Code civil prévoyait que « la violence est une cause de nullité du contrat, non seulement lorsqu’elle a été exercée sur la partie contractante, mais encore lorsqu’elle l’a été sur son époux ou sur son épouse, sur ses descendants ou ses ascendants. »

Dorénavant, la violence est caractérisée dès lors que la crainte qu’elle inspire chez la victime expose à un mal considérable :

  • soit sa personne
  • soit sa fortune
  • soit celles de ses proches

Ainsi, le cercle des personnes visées l’ordonnance du 10 février 2016 est-il plus large que celui envisagé par les rédacteurs du Code civil.

B) Les conditions relatives à l’origine de la violence

Il ressort des articles 1142 et 1143 du Code civil que la violence est sanctionnée quel que soit son auteur.

Contrairement au dol, elle peut émaner :

  • Soit d’un tiers
  • Soit de circonstances particulières

1. La violence émanant d’un tiers

L’article 1142 du Code civil prévoit expressément que « la violence est une cause de nullité qu’elle ait été exercée par une partie ou par un tiers. »

Pour mémoire, l’ancien article 1111 disposait que la violence est une cause de nullité quand bien même elle est « exercée par un tiers autre que celui au profit duquel la convention a été faite. »

Les auteurs justifient cette règle par le fait que la violence n’a pas seulement pour effet de vicier le consentement de la victime : elle porte atteinte à sa liberté de contracter.

Le contractant qui fait l’objet de violences est donc privé de tout consentement, d’où la sévérité du législateur à son endroit.

2. La violence émanant de circonstances

==> Exposé de la problématique

S’il ne fait aucun doute que la violence peut émaner d’une personne, qu’il s’agisse du contractant lui-même ou d’un tiers, la question s’est rapidement posée de savoir si elle ne pouvait pas dériver de circonstances extérieures au contrat.

Plus précisément, les auteurs se sont interrogés sur l’assimilation de ce que l’on appelle l’état de nécessité à la violence.

En matière contractuelle, l’état de nécessité se définit comme la situation dans laquelle se trouve une personne qui, en raison de circonstances économiques, naturelles ou politiques est contrainte, par la force des choses, de contracter à des conditions qu’elle n’aurait jamais acceptées si les circonstances qui la placent dans cette situation ne s’étaient pas produites.

L’exemple classique est celui du navire perdu en mer et d’un remorqueur qui profiterait de la situation pour lui imposer un prix bien plus élevé que celui habituellement pratiqué.

Doit-on considérer qu’il s’agit là d’un cas de violence, alors même qu’elle n’émane pas, à proprement parler, d’une personne ?

==> Consécration légale de l’abus de l’état de dépendance

L’ordonnance du 10 février 2016 a admis que la violence puisse résulter de circonstances en insérant dans le Code civil un article 1143 qui prévoit que « il y a également violence lorsqu’une partie, abusant de l’état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant, obtient de lui un engagement qu’il n’aurait pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif. »

Ce texte reconnaît ainsi un nouveau cas de violence : l’abus par une partie de la situation de dépendance dans laquelle se trouve son cocontractant.

De l’avis des auteurs, l’élargissement du domaine de la violence à l’abus de dépendance ouvre aux cautions un nouveau moyen de faire échec aux poursuites des créanciers.

Il n’est pas rare que ce soient les circonstances – la plupart du temps économiques – qui contraignent la caution à s’engager.

Tel sera notamment le cas du dirigeant d’entreprise qui, compte tenu de la situation financière de sa société, sera contraint de se porter caution, faute de quoi le créancier refusera de lui octroyer un nouveau financement ou de maintenir sa ligne de crédit.

Sous l’empire du droit antérieur, la jurisprudence a toujours estimé que cette situation ne s’analysait pas en une violence économique justifiant l’annulation du cautionnement souscrit (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 22 janv. 2014, n°12-28.480).

La question qui alors se pose est de savoir si cette solution est remise en cause par la reconnaissance de la violence économique par le législateur ?

Pour le déterminer, il convient de se reporter aux conditions de mise en œuvre de l’article 1143 du Code civil.

Il ressort de cette disposition que pour être cause de nullité, l’abus de dépendance requiert la réunion de plusieurs conditions pour le moins restrictives.

  • Une situation de dépendance
    • Le texte ne précisant pas de quel type de dépendance il doit s’agir, on peut en déduire qu’il ne vise pas seulement l’état de dépendance économique.
    • Est-ce à dire que l’état de dépendance morale serait également visé ?
    • Rien ne permet d’exclure, en l’état du droit positif, cette éventualité.
    • S’agissant de la caution, l’état de dépendance pourra sans doute être caractérisé s’il est établi que, en raison de sa relation avec le débiteur (affective) ou du rapport (économique) qu’elle entretient avec le créancier elle se trouve dans une situation qui l’a contraint à s’engager. Il pourrait s’agir, par exemple, d’un besoin de crédit dont dépend la survie de la société garantie.
  • Un abus de la situation de dépendance
    • Il ne suffit pas de démontrer qu’une partie au contrat se trouve dans un état de dépendance par rapport à une autre pour établir le vice de violence.
    • Encore faut-il que la partie en position de supériorité ait abusé de la situation.
    • Aussi, l’existence d’une situation de dépendance n’est pas propre à faire peser une présomption de violence.
    • Il y a lieu de démontrer que le créancier a exploité sa position aux fins de contraindre la caution à s’engager.
  • L’octroi d’un avantage manifestement excessif
    • Pour que l’abus de dépendance soit caractérisé, cela suppose que l’auteur de la violence ait obtenu un avantage manifestement excessif que son cocontractant ne lui aurait jamais consenti s’il ne s’était pas retrouvé en situation de dépendance
    • Cette condition a, manifestement, été reprise de la jurisprudence de la Cour de cassation qui, dès l’arrêt Bordas, faisait de cette exigence un élément constitutif de la violence économique (V. notamment 3e civ. 22 mai 2012).
    • S’agissant du cautionnement, il s’agira notamment de vérifier que le créancier n’a pas exigé de la caution un engagement qui excèderait le montant de la dette ou encore ses capacités financières.

Au bilan, si l’article 1143 du Code civil autorise la caution à se prévaloir d’un abus de dépendance aux fins de faire annuler son engagement, il lui faudra néanmoins pour y parvenir démontrer que toutes les conditions posées par le texte sont réunies.

Or elles sont nombreuses et difficiles à remplir. A cet égard, comme observé par les auteurs, l’abus de dépendance se rapproche étroitement de certains mécanismes de protection de la caution qui sont susceptibles de lui être préférés.

On pense notamment au principe de proportionnalité, au devoir de mise en garde ou encore à l’obligation d’information.

II) La sanction de la violence

Lorsqu’un contrat a été conclu au moyen d’un acte de violence, deux sanctions sont encourues :

  • La nullité du contrat
  • L’allocation de dommages et intérêts

==> Sur la nullité du contrat

Aux termes de l’article 1131 du Code civil, « les vices de consentement sont une cause de nullité relative du contrat ».

Aussi, cela signifie-t-il que seule la victime de la violence, soit la partie dont le consentement a été vicié a qualité à agir en nullité du contrat.

Cette solution, consacrée par l’ordonnance du 10 février 2016, est conforme à la jurisprudence antérieure (V. notamment en ce sens Cass. 1ère civ. 4 juill. 1995).

==> Sur l’allocation de dommages et intérêts

Parce que la violence constitue un délit civil, la responsabilité extracontractuelle de son auteur est toujours susceptible d’être recherchée.

Dans la mesure où, en effet, la violence a été commise antérieurement à la formation du contrat, la victime ne peut agir que sur le fondement de la responsabilité délictuelle (V. notamment Cass. com. 18 février 1997).

[1] N. Rias, « La sanction de l’erreur-obstacle : pour un remplacement de la nullité par l’inexistence », RRJ, 2009, pp.1251 et s.

[2] M. Bourassin et V. Bremond, Droit des sûretés, éd. Dalloz, 2020, n°176, p. 116.

[3] D. Legeais, Droit des sûretés et garanties du crédit, éd. LGDJ, 2021, n°97, p. 94

[4] Ph. Simler, Cautionnement – Conditions de validité – Conditions du droit commun des contrats, Jur. Cl., Fasc. 20

Validité du cautionnement: le régime de la violence

La théorie des vices du consentement, issu du droit commun des contrats, s’applique au cautionnement.

Le consentement de la caution ne doit pas seulement avoir été exprimé au moment de la conclusion de l’acte, il doit encore n’être affecté d’aucun vice.

Autrement dit, la caution doit s’être obligée au profit du créancier de façon libre et éclairée ce qui implique qu’elle ne se soit pas engagée par erreur, ni que son consentement ait été obtenu au moyen de manœuvres dolosives ou de la violence.

Nous nous focaliserons ici sur la violence.

==> Notion

Classiquement, la violence est définie comme la pression exercée sur un contractant aux fins de le contraindre à consentir au contrat.

Le nouvel article 1140 traduit cette idée en prévoyant qu’« il y a violence lorsqu’une partie s’engage sous la pression d’une contrainte qui lui inspire la crainte d’exposer sa personne, sa fortune ou celles de ses proches à un mal considérable. ».

Il ressort de cette définition que la violence doit être distinguée des autres vices du consentement pris dans leur globalité, d’une part et, plus spécifiquement du dol, d’autre part.

  • Violence et vices du consentement
    • La violence se distingue des autres vices du consentement, en ce que le consentement de la victime a été donné en connaissance de cause.
    • Cependant, elle n’a pas contracté librement
    • Autrement dit, en contractant, la victime avait pleinement conscience de la portée de son engagement, seulement elle s’est engagée sous l’empire de la menace
  • Violence et dol
    • Contrairement au dol, la violence ne vise pas à provoquer une erreur chez le cocontractant.
    • La violence vise plutôt à susciter la crainte de la victime
    • Ce qui donc vicie le consentement de cette dernière, ce n’est pas l’erreur qu’elle aurait commise sur la portée de son engagement, mais bien la crainte d’un mal qui pèse sur elle.
    • Dit autrement, la crainte est à la violence ce que l’erreur est au dol.
    • Ce qui dès lors devra être démontré par la victime, c’est que la crainte qu’elle éprouvait au moment de la conclusion de l’acte a été déterminante de son consentement

Antérieurement à l’ordonnance du 10 février 2016, le Code civil consacrait cinq dispositions à la violence : les articles 1111 à 1115.

L’article 1112 prévoyait notamment que « il y a violence lorsqu’elle est de nature à faire impression sur une personne raisonnable, et qu’elle peut lui inspirer la crainte d’exposer sa personne ou sa fortune à un mal considérable et présent ».

Dorénavant, quatre articles sont consacrés par le Code civil au dol : les articles 1140 à 1143. Fondamentalement, le législateur n’a nullement modifié le droit positif, il s’est simplement contenté de remanier les dispositions existantes et d’entériner les solutions classiquement admises en jurisprudence.

Aussi, ressort-il de ces dispositions que la caractérisation de la violence suppose toujours la réunion de conditions qui tiennent :

  • D’une part, à ses éléments constitutifs
  • D’autre part, à son origine

Bien que la violence se rencontre rarement en matière de cautionnement – à tout le moins la jurisprudence ne fournit que peu d’illustrations – la caution peut être fondée à se prévaloir de ce vice du consentement aux fins de faire annuler son engagement.

Elle devra néanmoins prouver que les conditions énoncées par les textes qui régissent la violence sont réunies.

I) Les conditions de la violence

A) Les conditions relatives aux éléments constitutifs de la violence

Il ressort de l’article 1140 du Code civil que la violence est une cause de nullité lorsque deux éléments constitutifs sont réunis :

  • L’exercice d’une contrainte
  • L’inspiration d’une crainte

1. Une contrainte

==> L’objet de la contrainte : la volonté du contractant

Tout d’abord, il peut être observé que la violence envisagée à l’article 1140 du Code civil n’est autre que la violence morale, soit une contrainte exercée par la menace sur la volonté du contractant.

La contrainte exercée par l’auteur de la violence doit donc avoir pour seul effet que d’atteindre le consentement de la victime, à défaut de quoi, par hypothèse, on ne saurait parler de vice du consentement.

==> La consistance de la contrainte : une menace

  • La contrainte visée à l’article 1140 s’apparente, en réalité, à une menace qui peut prendre différentes formes.
  • Cette menace peut consister en tout ce qui est susceptible de susciter un sentiment de crainte chez la victime.
  • Ainsi, peut-il s’agir indifféremment d’un geste, de coups, d’une parole, d’un écrit, d’un contexte, soit tout ce qui est porteur de sens.
  • Le plus souvent, la violence exercée sera morale.
  • Dans un arrêt du 28 mai 1991 la Cour de cassation a, par exemple, censuré la décision prise par une Cour d’appel de débouter une épouse de sa demande d’annulation du cautionnement garantissant une dette de la société dont son mari était le dirigeant, alors qu’il était établi que cette dernière avait fait l’objet de pressions verbales et écrites émanant d’élus locaux, d’un syndic de copropriété et du Président du Tribunal de commerce.
  • La Chambre commerciale considère « qu’il résultait de l’ensemble des circonstances constatées dans cette affaire que [la caution], qui avait d’abord refusé de signer l’acte, pour finir par s’y résoudre, « n’avait contracté le cautionnement litigieux que sous l’empire d’une violence morale» ( com. 28 mai 1991, n°89-17.672).
  • La violence a encore été retenue par la Cour de cassation dans une affaire où elle avait été exercée à l’encontre d’une veuve qui avait été contrainte, par son beau-père, de souscrire le cautionnement contesté ( com. 4 Juin 1973, n°72-10.782).
  • L’exercice d’une contrainte sur le cocontractant ne suffit pas à caractériser une violence au sens de l’article 1140 du Code civil, pour être cause de nullité, cette contrainte doit être illégitime.

==> Le caractère de la contrainte : une menace illégitime

La menace dont fait l’objet le contractant doit être illégitime, en ce sens que l’acte constitutif de la contrainte ne doit pas être autorisé par le droit positif.

A contrario, lorsque la pression exercée sur le contractant est légitime, quand bien même elle aurait pour effet de faire plier la volonté de ce dernier, elle sera insusceptible d’entraîner l’annulation du contrat.

La question alors se pose de savoir quelles sont les circonstances qui justifient qu’une contrainte puisse être exercée sur un contractant.

En quoi consiste, autrement dit, une menace légitime ?

Pour le déterminer, il convient de se reporter à l’article 1141 qui prévoit que « la menace d’une voie de droit ne constitue pas une violence. Il en va autrement lorsque la voie de droit est détournée de son but ou lorsqu’elle est invoquée ou exercée pour obtenir un avantage manifestement excessif. »

Cette disposition est, manifestement, directement inspirée de la position de la Cour de cassation qui, dans un arrêt du 17 janvier 1984 avait estimé que « la menace de l’emploi d’une voie de droit ne constitue une violence au sens des articles 1111 et suivants du code civil que s’il y a abus de cette voie de droit soit en la détournant de son but, soit en en usant pour obtenir une promesse ou un avantage sans rapport ou hors de proportion avec l’engagement primitif » (Cass. 3e civ. 17 janv. 1984).

Quel enseignement retenir de la règle énoncée par la jurisprudence, puis reprise sensiblement dans les mêmes termes par le législateur ?

Un principe assorti d’une limite.

  • Principe
    • La menace exercée à l’encontre d’un contractant est toujours légitime lorsqu’elle consiste en l’exercice d’une voie de droit.
    • Ainsi, la menace d’une poursuite judiciaire ou de la mise en œuvre d’une mesure d’exécution forcée ne saurait constituer, en elle-même, une contrainte illégitime.
    • Dans un arrêt du 22 janvier 2013, la Cour de cassation a estimé en ce sens, au sujet d’un cautionnement qui aurait été conclu sous la contrainte, que « la violence morale ne pouvait résulter des appels même incessants d’un banquier, dès lors qu’il existait une raison légitime comme celle de finaliser un acte de cautionnement pour garantir un concours bancaire à la société, dont le gérant n’était autre que le fils de la caution, et ce, bien avant la procédure de redressement judiciaire qui n’était intervenue que quinze mois plus tard et qu’aucun élément médical personnel ne venait corroborer la détresse psychologique dont elle se prévalait, qui l’aurait conduite à un discernement suffisamment altéré pour remettre en cause la validité de son consentement» ( com. 22 janv. 2013).
    • Dans un arrêt du 28 janvier 2014, la chambre commerciale a encore refusé de faire droit à la demande d’annulation d’un cautionnement formulée par une caution, laquelle soutenait que son consentement avait été obtenu sous la menace de la suppression d’un concours financier dont dépendait la survie de la société, afin de tirer profit de la crainte de la déconfiture de celle-ci.
    • Au soutien de sa décision la haute juridiction affirme que « c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation de la portée des éléments versés au débat que la cour d’appel a estimé que les correspondances échangées entre la caution et la banque en mai et juin 2008 ne contenaient aucune forme de pression psychologique ou autre de nature à faire impression sur une personne raisonnable et lui inspirer la crainte d’exposer sa personne ou sa fortune à un mal considérable et présent au sens de l’article 1112 du code civil et considéré que Mme X… n’établissait pas l’existence d’actes de violence de nature à vicier son consentement» ( com. 28 janv. 2014, n°13-10.292).
    • Elle a statué dans le même sens s’agissant d’un cautionnement qui avait été souscrit sous la menace de la mise en œuvre d’une procédure collective par l’URSAFF.
    • Dans cette décision, la Cour de cassation rappelle que « la menace de l’emploi d’une voie de droit ne constitue une violence au sens des articles 1111 et suivants du Code civil que s’il y a abus de cette voie de droit» ( com 16 mai 2006, n°05-15.794).
  • Limites
    • La légitimité de la menace cesse, nous dit l’article 1141, lorsque la voie de droit est :
      • Soit détournée de son but
        • Il en va ainsi lorsque l’avantage procuré par l’exercice d’une voie de droit à l’auteur de la menace est sans rapport avec le droit dont il se prévaut
        • La Cour de cassation a, de la sorte, approuvé une Cour d’appel pour avoir prononcé la nullité d’une reconnaissance de dette qui avait été « obtenue sous la menace d’une saisie immobilière relative au recouvrement d’une autre créance» ( 1ère civ. 25 mars 2003)
      • Soit invoquée ou exercée pour obtenir un avantage manifestement excessif
        • La menace sera ainsi considérée comme illégitime lorsqu’elle est exercée en vue d’obtenir un avantage hors de proportion avec l’engagement primitif ou le droit invoqué
        • La Cour de cassation a ainsi estimé que la contrainte consistant à menacer son cocontractant d’une procédure de faillite était illégitime, dans la mesure où elle avait conduit le créancier à obtenir de son débiteur des avantages manifestement excessifs ( com. 28 avr. 1953).

2. Une crainte

La menace exercée à l’encontre d’un contractant ne sera constitutive d’une cause de nullité que si, conformément à l’article 1140, elle inspire chez la victime « la crainte d’exposer sa personne, sa fortune ou celles de ses proches à un mal considérable. »

Aussi, ressort-il de cette disposition que pour que la condition tenant à l’existence d’une crainte soit remplie, cela suppose :

  • D’une part que cette crainte consiste en l’exposition d’un mal considérable
  • D’autre part que ce mal considérable soit dirigé
    • soit vers la personne même de la victime
    • soit vers sa fortune
    • soit vers ses proches

a. L’exposition à un mal considérable

==> Reprise de l’ancien texte

L’exigence tenant à l’établissement d’une crainte d’un mal considérable a été reprise de l’ancien article 1112 du Code civil qui prévoyait déjà cette condition.

Ainsi, le législateur n’a-t-il nullement fait preuve d’innovation sur ce point-là.

==> Notion

Que doit-on entendre par l’exposition à un mal considérable ?

Cette exigence signifie simplement que le mal en question doit être suffisamment grave pour que la violence dont est victime le contractant soit déterminante de son consentement.

Autrement dit, sans cette violence, la victime n’aurait, soit pas contracté, soit pas conclu l’acte à des conditions différentes.

Le caractère déterminant de la violence sera apprécié in concreto, soit en considération des circonstances de la cause.

La Cour de cassation prendra, en d’autres termes, en compte l’âge, les aptitudes, ou encore la qualité de la victime (V. en ce sens Cass. 3e civ. 13 janv. 1999).

Elle exigera, en outre, pour que le vice de violence soit constitué que la pression exercer sur la victime soit « de nature à faire impression sur une personne raisonnable » (V. notamment pour le cautionnement CA Paris 23 mai 1980).

==> Exclusion de la crainte révérencielle

L’ancien article 1114 du Code civil prévoyait que « la seule crainte révérencielle envers le père, la mère, ou autre ascendant, sans qu’il y ait eu de violence exercée, ne suffit point pour annuler le contrat. »

Cette disposition signifiait simplement que la crainte de déplaire ou de contrarier ses parents ne peut jamais constituer en soi un cas de violence.

La Cour de cassation a eu l’occasion de préciser à plusieurs reprises que pour qu’une telle crainte puisse entraîner l’annulation d’un contrat, cela suppose qu’elle ait pour fait générateur une menace.

Dans un arrêt du 22 avril 1986, la première chambre civile a ainsi admis l’annulation d’une convention en relevant que « l’engagement pris par M.Philippe X… est dû aux pressions exercées par son père sur sa volonté ; que ces pressions sont caractérisées, non seulement par le blocage des comptes en banque de la défunte suivi d’une mainlevée une fois l’accord conclu, mais aussi par la restitution à la même date d’une reconnaissance de dette antérieure ; qu’elle retient que ces contraintes étaient d’autant plus efficaces qu’à cette époque M.Philippe X… souffrait d’un déséquilibre nerveux altérant ses capacités intellectuelles et le privant d’un jugement libre et éclairé »

La haute juridiction en déduit, compte tenu des circonstances que « ces pressions étaient susceptibles d’inspirer à celui qui les subissait la crainte d’exposer sa fortune à un mal considérable et présent, et constituaient une violence illégitime de la part de leur auteur de nature à entraîner la nullité de la convention » (Cass. 1ère civ. 22 avr. 1986 n°85-11.666).

b. L’objet de la crainte

Pour mémoire, l’ancien article 1113 du Code civil prévoyait que « la violence est une cause de nullité du contrat, non seulement lorsqu’elle a été exercée sur la partie contractante, mais encore lorsqu’elle l’a été sur son époux ou sur son épouse, sur ses descendants ou ses ascendants. »

Dorénavant, la violence est caractérisée dès lors que la crainte qu’elle inspire chez la victime expose à un mal considérable :

  • soit sa personne
  • soit sa fortune
  • soit celles de ses proches

Ainsi, le cercle des personnes visées l’ordonnance du 10 février 2016 est-il plus large que celui envisagé par les rédacteurs du Code civil.

B) Les conditions relatives à l’origine de la violence

Il ressort des articles 1142 et 1143 du Code civil que la violence est sanctionnée quel que soit son auteur.

Contrairement au dol, elle peut émaner :

  • Soit d’un tiers
  • Soit de circonstances particulières

1. La violence émanant d’un tiers

L’article 1142 du Code civil prévoit expressément que « la violence est une cause de nullité qu’elle ait été exercée par une partie ou par un tiers. »

Pour mémoire, l’ancien article 1111 disposait que la violence est une cause de nullité quand bien même elle est « exercée par un tiers autre que celui au profit duquel la convention a été faite. »

Les auteurs justifient cette règle par le fait que la violence n’a pas seulement pour effet de vicier le consentement de la victime : elle porte atteinte à sa liberté de contracter.

Le contractant qui fait l’objet de violences est donc privé de tout consentement, d’où la sévérité du législateur à son endroit.

2. La violence émanant de circonstances

==> Exposé de la problématique

S’il ne fait aucun doute que la violence peut émaner d’une personne, qu’il s’agisse du contractant lui-même ou d’un tiers, la question s’est rapidement posée de savoir si elle ne pouvait pas dériver de circonstances extérieures au contrat.

Plus précisément, les auteurs se sont interrogés sur l’assimilation de ce que l’on appelle l’état de nécessité à la violence.

En matière contractuelle, l’état de nécessité se définit comme la situation dans laquelle se trouve une personne qui, en raison de circonstances économiques, naturelles ou politiques est contrainte, par la force des choses, de contracter à des conditions qu’elle n’aurait jamais acceptées si les circonstances qui la placent dans cette situation ne s’étaient pas produites.

L’exemple classique est celui du navire perdu en mer et d’un remorqueur qui profiterait de la situation pour lui imposer un prix bien plus élevé que celui habituellement pratiqué.

Doit-on considérer qu’il s’agit là d’un cas de violence, alors même qu’elle n’émane pas, à proprement parler, d’une personne ?

==> Consécration légale de l’abus de l’état de dépendance

L’ordonnance du 10 février 2016 a admis que la violence puisse résulter de circonstances en insérant dans le Code civil un article 1143 qui prévoit que « il y a également violence lorsqu’une partie, abusant de l’état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant, obtient de lui un engagement qu’il n’aurait pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif. »

Ce texte reconnaît ainsi un nouveau cas de violence : l’abus par une partie de la situation de dépendance dans laquelle se trouve son cocontractant.

De l’avis des auteurs, l’élargissement du domaine de la violence à l’abus de dépendance ouvre aux cautions un nouveau moyen de faire échec aux poursuites des créanciers.

Il n’est pas rare que ce soient les circonstances – la plupart du temps économiques – qui contraignent la caution à s’engager.

Tel sera notamment le cas du dirigeant d’entreprise qui, compte tenu de la situation financière de sa société, sera contraint de se porter caution, faute de quoi le créancier refusera de lui octroyer un nouveau financement ou de maintenir sa ligne de crédit.

Sous l’empire du droit antérieur, la jurisprudence a toujours estimé que cette situation ne s’analysait pas en une violence économique justifiant l’annulation du cautionnement souscrit (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 22 janv. 2014, n°12-28.480).

La question qui alors se pose est de savoir si cette solution est remise en cause par la reconnaissance de la violence économique par le législateur ?

Pour le déterminer, il convient de se reporter aux conditions de mise en œuvre de l’article 1143 du Code civil.

Il ressort de cette disposition que pour être cause de nullité, l’abus de dépendance requiert la réunion de plusieurs conditions pour le moins restrictives.

  • Une situation de dépendance
    • Le texte ne précisant pas de quel type de dépendance il doit s’agir, on peut en déduire qu’il ne vise pas seulement l’état de dépendance économique.
    • Est-ce à dire que l’état de dépendance morale serait également visé ?
    • Rien ne permet d’exclure, en l’état du droit positif, cette éventualité.
    • S’agissant de la caution, l’état de dépendance pourra sans doute être caractérisé s’il est établi que, en raison de sa relation avec le débiteur (affective) ou du rapport (économique) qu’elle entretient avec le créancier elle se trouve dans une situation qui l’a contraint à s’engager. Il pourrait s’agir, par exemple, d’un besoin de crédit dont dépend la survie de la société garantie.
  • Un abus de la situation de dépendance
    • Il ne suffit pas de démontrer qu’une partie au contrat se trouve dans un état de dépendance par rapport à une autre pour établir le vice de violence.
    • Encore faut-il que la partie en position de supériorité ait abusé de la situation.
    • Aussi, l’existence d’une situation de dépendance n’est pas propre à faire peser une présomption de violence.
    • Il y a lieu de démontrer que le créancier a exploité sa position aux fins de contraindre la caution à s’engager.
  • L’octroi d’un avantage manifestement excessif
    • Pour que l’abus de dépendance soit caractérisé, cela suppose que l’auteur de la violence ait obtenu un avantage manifestement excessif que son cocontractant ne lui aurait jamais consenti s’il ne s’était pas retrouvé en situation de dépendance
    • Cette condition a, manifestement, été reprise de la jurisprudence de la Cour de cassation qui, dès l’arrêt Bordas, faisait de cette exigence un élément constitutif de la violence économique (V. notamment 3e civ. 22 mai 2012).
    • S’agissant du cautionnement, il s’agira notamment de vérifier que le créancier n’a pas exigé de la caution un engagement qui excèderait le montant de la dette ou encore ses capacités financières.

Au bilan, si l’article 1143 du Code civil autorise la caution à se prévaloir d’un abus de dépendance aux fins de faire annuler son engagement, il lui faudra néanmoins pour y parvenir démontrer que toutes les conditions posées par le texte sont réunies.

Or elles sont nombreuses et difficiles à remplir. A cet égard, comme observé par les auteurs, l’abus de dépendance se rapproche étroitement de certains mécanismes de protection de la caution qui sont susceptibles de lui être préférés.

On pense notamment au principe de proportionnalité, au devoir de mise en garde ou encore à l’obligation d’information.

II) La sanction de la violence

Lorsqu’un contrat a été conclu au moyen d’un acte de violence, deux sanctions sont encourues :

  • La nullité du contrat
  • L’allocation de dommages et intérêts

==> Sur la nullité du contrat

Aux termes de l’article 1131 du Code civil, « les vices de consentement sont une cause de nullité relative du contrat ».

Aussi, cela signifie-t-il que seule la victime de la violence, soit la partie dont le consentement a été vicié a qualité à agir en nullité du contrat.

Cette solution, consacrée par l’ordonnance du 10 février 2016, est conforme à la jurisprudence antérieure (V. notamment en ce sens Cass. 1ère civ. 4 juill. 1995).

==> Sur l’allocation de dommages et intérêts

Parce que la violence constitue un délit civil, la responsabilité extracontractuelle de son auteur est toujours susceptible d’être recherchée.

Dans la mesure où, en effet, la violence a été commise antérieurement à la formation du contrat, la victime ne peut agir que sur le fondement de la responsabilité délictuelle (V. notamment Cass. com. 18 février 1997).

Validité du cautionnement: le régime du dol

La théorie des vices du consentement, issu du droit commun des contrats, s’applique au cautionnement.

Le consentement de la caution ne doit pas seulement avoir été exprimé au moment de la conclusion de l’acte, il doit encore n’être affecté d’aucun vice.

Autrement dit, la caution doit s’être obligée au profit du créancier de façon libre et éclairée ce qui implique qu’elle ne se soit pas engagée par erreur, ni que son consentement ait été obtenu au moyen de manœuvres dolosives ou de la violence.

Nous nous focaliserons ici sur le dol.

Le dol est un moyen de défense couramment invoqué par les cautions aux fins de faire échec aux poursuites des créanciers.

Classiquement, il est défini comme le comportement malhonnête d’une partie qui vise à provoquer une erreur déterminante du consentement de son cocontractant.

L’article 1137 prévoit en ce sens que « le dol est le fait pour un contractant d’obtenir le consentement de l’autre par des manœuvres ou des mensonges. »

À cet égard, si le dol est de nature à vicier le consentement d’une partie au contrat, il constitue, pour son auteur, un délit civil susceptible d’engager sa responsabilité.

Contrairement à l’erreur qui est nécessairement spontanée, le dol suppose l’établissement d’une erreur provoquée par le cocontractant.

Depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 10 février 2016, il est régi par les articles 1137 à 1139 du Code civil.

Bien que le cautionnement soit un terrain particulièrement fertile pour l’accomplissement de manœuvres dolosives, il n’en demeure pas moins soumis au droit commun des contrats.

I) Les conditions du dol

Plusieurs conditions doivent être réunies pour que le dol soit constitué. Ces conditions tiennent :

  • D’une part, à ses éléments constitutifs
  • D’autre part, à son auteur
  • Enfin, à la victime

A) Les conditions relatives aux éléments constitutifs du dol

Le dol est caractérisé par :

  • Un élément matériel
  • Un élément intentionnel

1. L’élément matériel du dol

L’article 1137 alinéa 1, du Code civil prévoit que « le dol est le fait pour un contractant d’obtenir le consentement de l’autre par des manœuvres ou des mensonges ».

L’alinéa 2 ajoute que « constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie »

Il ressort de ces deux dispositions que le dol est susceptible de se manifester sous trois formes différentes :

  • des manœuvres
  • un mensonge
  • un silence

Si, les deux premières formes de dol ne soulèvent guère de difficultés d’appréciation, il n’en va pas de même pour la réticence dolosive qui, si elle a été consacrée par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, n’en suscite pas moins des interrogations quant à sa mise en œuvre.

a. Les manœuvres ou mensonges

i. Droit commun

Dans un premier temps, la notion de manœuvres a été interprétée par la jurisprudence de manière restrictive.

Elles se limitaient à des actes positifs par lesquels une partie créait chez son cocontractant une fausse apparence de la réalité.

Par manœuvres, il fallait donc entendre les mises en scènes, les artifices réalisés par une partie en vue de tromper son cocontractant (V. en ce sens par exemple Cass. com., 19 déc. 1961)

Le dol était alors clairement assimilé à l’escroquerie, au sens du délit pénal.

Dans un second temps, les juridictions ont, après s’y être refusées (V. en ce sens Cass. Req. 29 nov. 1876), assimilé les manœuvres, au sens strict, au mensonge, soit à une affirmation contraire à la vérité faite dans l’intention de tromper.

Dans un arrêt du 6 novembre 1970 la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « un simple mensonge, non appuyé d’actes extérieurs, peut constituer un dol » (Cass. 3e civ. 6 nov. 1970).

Le dol était de la sorte susceptible d’être caractérisé toutes les fois qu’une partie formulait une affirmation fausse sur un élément du contrat.

Cette extension du domaine du dol a été consacrée par la réforme des obligations. Le nouvel article 1137 du Code civil vise désormais, au nombre des manifestations du dol, tant les manœuvres que les mensonges.

Dans un arrêt remarqué du 13 décembre 1994 dont la solution est toujours d’actualité, la Cour de cassation a eu l’occasion de préciser que lorsque le mensonge consiste en une simple exagération qui ne dépasse pas « ce qui est habituel dans les pratiques commerciales », il ne tombe pas sous le coup du dol (Cass. com., 13 déc. 1994, n°92-20.806).

Il s’agit de ce que l’on appelle un dolus bonus, soit un dol dont la caractérisation est insusceptible d’entraîner la nullité du contrat.

Cette solution se justifie par l’idée que l’exagération des qualités d’un produit ou d’une prestation est communément admise dans les relations d’affaires. Il s’agit là d’une pratique qui est inhérente aux négociations commerciales.

Qui plus est, la loi ne saurait protéger la naïveté ou la trop grande crédulité d’une partie au contrat.

La question qui alors se pose est de savoir où se trouve la limite entre le dolus bonus et le dolus malus.

Il ressort de la jurisprudence que l’exagération des qualités d’un produit ou d’une prestation est admise lorsque, d’une part, son auteur n’est animé par aucune intention de tromper et, d’autre part, lorsqu’aucun manquement à son obligation d’information ne saurait lui être reproché.

ii. Application au cautionnement

En matière de cautionnement, les manœuvres et mensonges constitutifs d’un dol consisteront, le plus souvent, pour le créancier à tromper la caution sur la situation financière du débiteur.

Dans un arrêt du 7 février 1983, la Cour de cassation a ainsi validé la décision d’une Cour d’appel qui avait annulé un cautionnement au motif que le créancier avait certifié à la caution que la situation du débiteur était saine et qu’il n’y avait aucun risque pour elle à se porter garante de l’opération, alors qu’il n’en était rien.

Pour la Chambre commerciale ces mensonges, qui ont été déterminants de l’engagement de la caution, constituaient bel et bien de manœuvres dolosives, ce qui justifiait, à ce titre, l’annulation du cautionnement (Cass. com. 7 fèvr. 1983, n°81-15.339).

b. La réticence dolosive

i. Droit commun

==> Évolution de la jurisprudence

Initialement, la jurisprudence considérait que le silence ne pouvait, en aucun cas, sauf disposition spéciale, être constitutif d’un dol.

Les rédacteurs du Code civil étaient guidés par l’idée que les parties à un contrat sont égales, de sorte qu’il leur appartient, à ce titre, de s’informer.

Aussi, le silence était regardé comme une arme dont les contractants étaient libres de se servir l’un contre l’autre.

Au fond, celui qui se tait et qui donc ne formule aucune affirmation fausse ne trompe pas. Rien ne justifie donc que le silence s’apparente à un dol.

C’est la raison pour laquelle, pendant longtemps, la Cour de cassation a été fermement opposée à la reconnaissance de ce que l’on appelle la réticence dolosive comme cause de nullité (V. en ce sens notamment Cass. req., 17 févr. 1874).

Le silence d’une partie à un contrat n’était sanctionné que dans l’hypothèse où un texte lui imposait une obligation spéciale d’information.

Par suite, la jurisprudence a évolué. Au début des années 1970, la Cour de cassation a, en effet, infléchi sa position an admettant que, dans certaines circonstances, la loyauté pouvait commander à une partie de communiquer à son cocontractant des renseignements dont elle sait qu’ils sont déterminants de son consentement.

Dans un arrêt du 15 janvier 1971, la troisième chambre civile a estimé en ce sens que « le dol peut être constitué par le silence d’une partie dissimulant à son cocontractant un fait qui, s’il avait été connu de lui, l’aurait empêché de contracter » (Cass. 3e civ. 15 janv. 1971).

Immédiatement, la question s’est alors posée de savoir à quel fondement rattacher la réticence dolosive.

L’examen de la jurisprudence révèle que le silence pouvait constituer une cause de nullité du contrat :

  • Soit parce qu’une obligation d’information pesait sur celui qui s’est tu
  • Soit parce que ce dernier a manqué à son obligation de bonne foi

Ainsi les juridictions ont-elles assimilé la réticence dolosive à la violation de deux obligations distinctes, encore que, depuis les arrêts Vilgrain (Cass. com., 27 févr. 1996) et Baldus (Cass. 1ère civ. 3 mai 2000) les obligations de bonne foi et d’information ne semblent pas devoir être placées sur le même plan.

La première ne serait autre que le fondement de la seconde, de sorte que l’élément matériel de la réticence dolosive résiderait, en réalité, dans la seule violation de l’obligation d’information.

Est-ce cette solution qui a été retenue par le législateur lors de la réforme des obligations ?

==> Consécration légale

L’article 1137, al. 2e du Code civil, issu de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, prévoit que « constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie »

Le silence d’une partie a ainsi été reconnu par le législateur comme constituant une cause de nullité au même titre que les manœuvres dolosives ou les mensonges.

La réticence dolosive ne repose toutefois plus, comme c’était le cas sous l’empire du droit antérieur, sur le fondement de l’obligation précontractuelle d’information.

Pour mémoire, une obligation générale d’information a été consacrée par le législateur à l’article 1112-1 du Code civil, de sorte qu’elle dispose d’un fondement textuel qui lui est propre.

Aussi, cette obligation est-elle désormais totalement déconnectée des autres fondements juridiques auxquels elle était traditionnellement rattachée.

Il en résulte qu’il n’y a plus lieu de s’interroger sur l’opportunité de reconnaître une obligation d’information lors de la formation du contrat ou à l’occasion de son exécution.

Elle ne peut donc plus être regardée comme une obligation d’appoint de la théorie des vices du consentement.

La conséquence en est, s’agissant de la caractérisation de la réticence dolosive, qu’il n’est plus nécessaire pour la victime de démontrer que son cocontractant était tenu à une obligation d’information.

Il lui suffit de démontrer que l’auteur de la réticence dolosive avait connaissance d’informations déterminantes de son consentement, lesquelles lui ont été intentionnellement dissimulées.

ii. Application au cautionnement

Lorsque le dol est invoqué par une caution aux fins de faire annuler son engagement, elle soutiendra, avoir été victime du silence – dolosif – de son cocontractant.

Il est fréquent, en effet, que, au jour de l’engagement de la caution, le créancier savait que la situation du débiteur était fragile, sinon désespérée. Seulement, il ne lui a rien dit dans l’unique but de faire peser sur elle la charge de la dette qu’il entend faire garantir.

Si toutefois la caution avait eu connaissance de cette situation, qui lui a été sciemment dissimulée par le créancier, elle ne se serait jamais engagée à son profit.

Lorsque les juridictions ont à connaître de la validité d’un cautionnement conclu dans de telles circonstances, elles admettent régulièrement qu’il puisse être annulé sur le fondement de la réticence dolosive, à plus forte raison si la caution était profane.

Dans un arrêt du 10 mai 1989, la Cour de cassation a ainsi jugé que « manque à son obligation de contracter de bonne foi et commet ainsi un dol par réticence la banque qui, sachant que la situation de son débiteur est irrémédiablement compromise ou à tout le moins lourdement obérée, omet de porter cette information à la connaissance de la caution afin d’inciter celle-ci à s’engager » (Cass. 1ère civ. 10 mai 1989, n°87-14.294).

Par suite, la première chambre civile reconduira cette solution à plusieurs reprises et dans les mêmes termes (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 18 févr. 1997, n°95-11.816 ; Cass. 1ère civ. 4 janv. 2005, n°03-16.667)

La chambre commerciale statuera dans le même sens dans un arrêt du 26 mai 1992 (Cass. com. 26 mai 1992, n°90-13.540).

Dans un arrêt du 16 juin 2015, elle retiendra, par exemple, que « commet un dol par réticence la banque qui, sachant que la situation de son débiteur est lourdement obérée, omet de porter cette information à la connaissance de la caution, l’incitant ainsi à s’engager » (Cass. com. 16 juin 2015, n°14-10.375).

Dans un arrêt du 13 mai 2003, la Cour de cassation a précisé qu’il était indifférent que le créancier prenne la précaution de stipuler dans l’acte de cautionnement une clause énonçant que la caution ne fait pas de la situation du cautionné la condition déterminante de son engagement.

Elle considère que la réticence dolosive est caractérisée « dès lors que la banque l’avait stipulée en connaissance des difficultés financières du débiteur principal » (Cass. 1ère civ. 13 mai 2003, n°01-11-511).

Il reviendra toutefois à la caution de prouver que le créancier avait connaissance de la situation irrémédiablement compromise du débiteur (Cass. 1ère civ. 13 févr. 1996, n°94-10.908).

Si donc la réticence dolosive est caractérisée lorsque le créancier a dissimulé à la caution une information déterminante de son engagement, encore faut-il que cette dissimulation ait été intentionnelle.

2. L’élément intentionnel du dol

==> L’exigence d’intention

Le dol suppose la volonté de tromper son cocontractant. C’est en cela qu’il constitue un délit civil, soit une faute susceptible d’engager la responsabilité extracontractuelle de son auteur.

Aussi, est-ce sur ce point que le dol se distingue de l’erreur, laquelle ne peut jamais être provoquée. Elle est nécessairement spontanée.

  • En matière de sol simple
    • Dans un arrêt du 12 novembre 1987 la Cour de cassation reproche en ce sens à une Cour d’appel d’avoir retenu un dol à l’encontre du vendeur d’un camion qui ne répondait pas aux attentes de l’acquéreur « sans rechercher si le défaut de communication des factures de réparation et d’indication de réparations restant à effectuer avait été fait intentionnellement pour tromper le contractant et le déterminer à conclure la vente» ( 1ère civ. 12 nov. 1987)
    • Plus récemment, la Cour de cassation a encore approuvé une Cour d’appel qui avait retenu un dol à l’encontre du vendeur d’un fonds de commerce, celle-ci ayant parfaitement « fait ressortir l’intention de tromper du cédant» ( com. 11 juin 2013).
  • En matière de réticence dolosive
    • Dans un arrêt du 28 juin 2005 rendu en matière de réticence dolosive, la haute juridiction a adopté une solution identique en affirmant que « le manquement à une obligation précontractuelle d’information, à le supposer établi, ne peut suffire à caractériser le dol par réticence, si ne s’y ajoute la constatation du caractère intentionnel de ce manquement et d’une erreur déterminante provoquée par celui-ci» ( com. 28 juin 2005)

Le cautionnement n’échappe pas à la règle. La jurisprudence exige également pour retenir le dol que soit établie l’intention du créancier de tromper sciemment la caution.

Dans un arrêt du 13 février 1996 la Cour de cassation a ainsi censuré une Cour d’appel qui avait annulé un cautionnement, au motif qu’elle n’avait pas recherché « si le défaut d’information imputé à la banque avait pour objet de tromper [la caution] et de la déterminer à se rendre caution, de sorte que la réticence dolosive n’était pas caractérisée » (Cass. 1ère civ. 13 févr. 1996, n°94-10.908).

Elle a statué dans le même sens dans un arrêt du 9 juillet 2003 aux termes duquel elle refuse de valider l’annulation d’un cautionnement, faute pour la caution d’avoir prouvé que la banque avait cherché à la tromper (Cass. 1ère civ. 9 juill. 2003, n°01-11.959).

Aussi, l’omission d’information par négligence imputable au créancier ne suffit pas, à elle seule, à affecter le cautionnement de nullité. Elle permettra tout au plus à la caution d’obtenir des dommages et intérêts, à la condition qu’elle soit en mesure de justifier d’un préjudice.

==> La preuve de l’intention

Il peut tout d’abord être observé que la charge de la preuve pèse toujours sur la victime du dol.

Ainsi, lui appartiendra-t-il d’établir que son cocontractant était animé de l’intention de la tromper au moment de la formation du contrat

Comment prouver ?

  • En matière de dol simple
    • La volonté de tromper pourra se déduire des manœuvres ou du mensonge
  • En matière de réticence dolosive
    • La preuve sera manifestement plus délicate à rapporter
    • Cela suppose, en effet, d’établir que l’auteur du dol avait la connaissance de l’information qu’il a, sciemment, dissimulée à son cocontractant.
    • À défaut, la preuve du dol ne sera pas rapportée (V par exemple 3e civ., 28 mai 2013)
    • Le juge sera alors tenté de déduire l’intention de tromper d’un double constat :
      • D’une part, celui qui s’est tu connaissait l’information
      • D’autre part, il connaissait son importance pour son cocontractant
    • En matière de cautionnement, les juridictions auront tendance à déduire l’intention de tromper de la connaissance par le créancier de la situation irrémédiablement compromise du débiteur.
    • À cet égard, la Cour de cassation a validé cette approche dans un arrêt du 22 mai 2013.
    • Dans cette décision elle juge que la Cour d’appel avait pu valablement déduire de la détention par le créancier d’informations déterminantes sur la situation financière du débiteur dont les cautions ne disposaient pas, la volonté de ce dernier de dissimuler « délibérément le risque élevé de l’opération garantie»
    • Pour la chambre commerciale, « par ces seuls motifs, dont il résultait que le [créancier] avait délibérément dissimulé aux cautions des informations, indépendantes des seuls risques et aléas du montage, sans lesquelles elles n’auraient pas contracté, la cour d’appel, hors toute dénaturation, sans méconnaître le secret bancaire, ni être tenue de procéder aux recherches inopérantes demandées, ni de répondre au moyen inopérant de la quatrième branche, a légalement justifié sa décision» ( com. 22 mai 2013, n°11-20.398)

B) Les conditions relatives à l’auteur du dol

==> Principe général

Pour être cause de nullité, le dol doit émaner, en principe, d’une partie au contrat. L’article 1137 du Code civil énonce en ce sens que « le dol est le fait pour un contractant ».

Aussi, le dol ne peut-il jamais avoir pour origine un tiers au contrat.

Dans un arrêt du 27 novembre 2001, la Cour de cassation a eu l’occasion de rappeler cette règle en décidant que « le dol n’est une cause de nullité que s’il émane de la partie envers laquelle l’obligation est contractée » (Cass. com. 27 nov. 2001).

Si donc le dol émane d’un tiers, le contrat conclu par la victime n’encourt pas la nullité, quand bien même elle a été trompée sur l’étendue et la portée de son engagement.

Le cautionnement ne déroge pas à la règle. Dans un arrêt du 22 juillet 1986, la Cour de cassation a validé la décision d’une Cour d’appel qui a débouté la caution qui, pour se soustraire à son engagement, soutenait avoir été trompée par un tiers.

Pour justifier le rejet du pourvoi formé par cette dernière, la chambre commerciale affirme que « le dol viciant le consentement de l’une des parties à un contrat n’emporte la nullité de ce contrat que s’il émane de l’autre partie ».

Elle en déduit que les juges du fond n’avaient « pas à rechercher s’il existait ou non des manœuvres dolosives imputées à des tiers au contrat de cautionnement à l’occasion de la conclusion d’une autre convention, même si la caution s’était engagée en conséquence de cette dernière convention » (Cass. com. 22 juill. 1986, n°85-12.392).

Si donc le dol émanant d’un tiers ne constitue pas une cause de nullité du cautionnement, quid lorsqu’il est le fait d’une personne qui, sans être partie à l’acte, est intéressée à l’opération.

La question s’est notamment posée lorsque le dol émane du débiteur ou d’un cofidéjusseur.

  • Le dol émane du débiteur
    • En pratique, c’est l’hypothèse la plus fréquente. Le débiteur cherche à convaincre la caution de garantir son engagement en dissimulant des informations déterminantes sur sa situation financière ou sur les conditions de réalisation de l’opération.
    • Reste que le débiteur est tiers à l’opération de cautionnement
    • Lorsque, dès lors le dol émane du débiteur, en application de l’article 1137 du Code civil, il est sans effet sur la validité du cautionnement.
    • La caution n’est donc pas fondée à se prévaloir de la nullité de l’acte.
    • Dans un arrêt du 20 mars 1989, la Cour de cassation casse et annule la décision d’une Cour d’appel qui avait admis que le dol puisse émaner du débiteur.
    • Au soutien de sa décision, elle affirme que « même dans un contrat unilatéral tel que le cautionnement, le dol ne peut entraîner la nullité de la convention que s’il émane du cocontractant» ( 1ère civ. 20 mars 1989, n°87-15.450).
  • Le dol émane d’un cofidéjusseur
    • Le cofidéjusseur est, pour mémoire, celui qui, pour garantir le paiement de la même dette d’un même débiteur, se porte caution solidairement ou non, avec d’autres personnes, tenues comme lui.
    • Une application stricte de l’article 1137 du Code civil devrait conduire à exclure la possibilité pour la caution de se prévaloir du dol émanant d’un cofidéjusseur aux fins de faire annuler le cautionnement.
    • Bien que les cofidéjusseurs soient tenus à la même dette, ils sont des tiers les uns envers les autres. Ils ne s’obligent qu’envers le seul créancier.
    • La Cour de cassation n’a toutefois pas opté pour cette approche.
    • Dans un arrêt du 29 mai 2001, elle a jugé que « dans les rapports entre cofidéjusseurs, le dol peut être invoqué par la caution qui se prévaut de la nullité du cautionnement lorsqu’il émane de son cofidéjusseur» ( com. 29 mai 2001, n°96-18.118).
    • Faut-il interpréter cette décision comme admettant qu’une caution puisse se prévaloir à l’encontre du créancier du dol émanant d’un cofidéjusseur ? La doctrine est partagée.
    • Pour certains auteurs, il y a lieu de répondre par l’affirmative à cette question, ce qui témoignerait de la volonté de la Cour de cassation d’adopter une interprétation extensive la règle énoncée à l’article 1137 du Code civil[1].
    • Pour d’autres, la solution retenue par la Cour de cassation aurait, en réalité, une portée limitée[2].
    • Lorsque le dol émanerait d’un cofidéjusseur il produirait ses effets, non pas contre le créancier, mais « dans les rapports entre cofidéjusseurs».
    • Aussi, la caution ne serait, en aucune manière, fondée à solliciter la nullité du cautionnement qui demeurerait parfaitement valide.
    • Elle pourrait seulement se prévaloir du dol dont elle a été victime à l’encontre du cofidéjusseur qui en est l’auteur, ce qui concrètement pourrait se traduire de deux façons différentes :
      • Le cofidéjusseur dont émane le dol serait privé de la possibilité d’exercer tout recours en paiement contre la caution
      • La caution pourrait solliciter auprès du cofidéjusseur le remboursement de la part de la dette qu’elle a été contrainte de régler.
    • Compte tenu de ce que, dans sa décision, la chambre commerciale prend le soin de préciser que c’est « dans les rapports entre cofidéjusseurs» que le dol qui émane d’un cofidéjusseur peut être invoqué par la caution, nous inclinons pour la seconde thèse.

==> Correctif

La jurisprudence a apporté un correctif à la règle excluant les tiers de la catégorie des personnes dont doit nécessairement émaner le dol, en admettant que la victime puisse agir sur le fondement de l’erreur.

Dans un arrêt du 3 juillet 1996, la première chambre civile a affirmé en ce sens que « l’erreur provoquée par le dol d’un tiers à la convention peut entraîner la nullité du contrat lorsqu’elle porte sur la substance même de ce contrat » (Cass. 1ère civ. 3 juill. 1996).

La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par substance du contrat ?

Il peut être observé que la décision qui nous préoccupe a été rendue bien avant la réforme du droit des contrats.

Sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, pour être cause de nullité l’erreur devait porter sur la « substance de la chose ».

Le législateur lui a préféré en 2016 le vocable « qualités essentielles de la prestation » aux fins de mettre un terme au débat qui portait sur le sens à donner à « substance de la chose ».

Si donc la solution rendue par la Cour de cassation devait être reconduite – ce qui en l’état du droit positif ne s’est pas produit – pour être fondée à solliciter l’annulation du contrat la victime du dol devra être en mesure de prouver qu’elle a été trompée par le tiers sur les qualités essentielles de la prestation promise.

Appliquée au cautionnement, cette solution ne devrait trouver à s’appliquer que dans de très rares cas.

Comme indiqué précédemment, en cette matière, l’erreur sur les qualités essentielles de la prestation se conçoit difficilement dans la mesure où ladite prestation se confond avec l’objet même de l’engagement de caution. On voit dès lors mal comment cette dernière pourrait soutenir avoir commis une erreur sur la prestation fournie.

Reste que, dans un arrêt du 28 octobre 2005, la Cour d’appel de Paris l’a admis en adoptant une approche pour le moins extensive de la notion d’erreur sur la substance.

Dans cette décision, les juges du second degré ont estimé qu’elle devait être envisagée comme une erreur déterminante du consentement, ce qui dès lors autorise la caution à se prévaloir d’une telle erreur (CA Paris, 28 oct. 2005).

Cette décision sera-t-elle reconduite ? Depuis l’entrée en vigueur de la réforme du droit des contrats, aucune juridiction n’a statué en ce sens, à tout le moins pas à notre connaissance.

==> Exceptions

Il ressort de l’article 1138 du Code civil que, par exception, le dol peut émaner :

  • Soit du représentant, gérant d’affaires, préposé ou porte-fort du contractant
    • L’ordonnance du 10 février 2016 est venue ici consacrer les solutions classiques adoptées par la jurisprudence.
    • Dans un arrêt du 29 avril 1998, la Cour de cassation avait ainsi approuvé une Cour d’appel d’avoir retenu un dol à l’encontre d’une société, alors que les manœuvres avaient été effectuées par le mandataire de cette dernière.
    • Au soutien de sa décision, la haute juridiction relève que « la SCI avait confié à la société CEF le mandat de vendre les appartements et qu’il n’était pas démontré que cette société aurait dépassé les limites des pouvoirs de représentation conférés par le mandant, alors que la SCI avait connaissance des informations fallacieuses communiquées par la société CEF aux acheteurs potentiels et avait bénéficié du dol, lequel avait été appuyé par l’offre d’une garantie locative excessive afin d’accréditer l’idée que le prêt bancaire serait remboursé par les loyers» ( 3e civ. 29 avr. 1998).
    • Cette exception est susceptible de jouer en matière de cautionnement, lorsque, par exemple, la caution est trompée par le mandataire du créancier (V. en ce sens CA Paris, 22 sept. 1995).
  • Soit d’un tiers de connivence
    • L’article 1138, al. 2e du Code civil prévoit que le dol est constitué « lorsqu’il émane d’un tiers de connivence. »
    • Comme la précédente, cette exception n’est pas nouvelle.
    • Le législateur a simplement consacré une solution déjà existante.
    • Dans un arrêt du 16 décembre 2008, la Cour de cassation a, par exemple, validé la décision d’une Cour d’appel qui avait annulé un acte en raison de l’existence d’une collusion entre l’auteur du dol et l’une des parties au contrat ( com. 16 déc. 2008).
    • Cette solution a été appliquée par la Cour de cassation au cautionnement dans un plusieurs décisions.
    • Dans un arrêt du 20 mars 1989 la première chambre civile a, par exemple, cassé et annulé la décision d’une Cour d’appel qui avait fait droit à la demande d’annulation d’un cautionnement formulée par une caution qui se prévalait d’un dol émanant d’un tiers.
    • La haute juridiction reproche aux juges du fond d’avoir statué en ce sens, alors qu’elle n’avait relevé « l’existence d’aucune collusion frauduleuse» entre le créancier et le tiers ( 1ère civ. 20 mars 1989, n°87-15.450).
    • À cet égard, c’est à la victime du dol qu’il appartient de prouver la connivence.
    • L’article 1138, al. 2 ne dit cependant pas ce que l’on doit entendre par connivence
    • Aussi, est-ce à la Cour de cassation qu’il reviendra la tâche de délimiter les contours de cette notion.
    • La connivence suppose-t-elle seulement de la part du tiers qu’il ait connaissance d’une information déterminante du consentement de la victime ou doit-il être démontré que, comme son complice, il avait l’intention de tromper cette dernière ?

C) Les conditions relatives à la victime du dol

Pour que le dol constitue une cause de nullité,

  • D’une part, le consentement de la victime doit avoir été donné par erreur
  • D’autre part, l’erreur provoquée par l’auteur du dol doit avoir été déterminante

1. L’exigence d’une erreur

==> Existence d’une erreur

Pour que le dol puisse être retenu à l’encontre de l’auteur d’agissements trompeurs, encore faut-il qu’une erreur ait été commise par la victime.

À défaut, le contrat ne saurait encourir la nullité. Cette sanction ne se justifie, en effet, que s’il y a vice du consentement

Or lorsque les manœuvres d’une partie n’ont provoqué aucune erreur chez son cocontractant, le consentement de celle-ci n’a, par définition, pas été vicié.

==> Objet de l’erreur

Parce que le dol vient sanctionner un comportement malhonnête de son auteur, il constitue une cause de nullité quand bien même l’erreur qu’il provoque chez le cocontractant est indifférente.

Une erreur qui donc serait insusceptible d’entraîner l’annulation du contrat si elle avait été commise de manière spontanée, peut avoir l’effet opposé dès lors qu’elle a été provoquée.

Dans un arrêt du 2 octobre 1974, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « dès lors qu’elle a déterminé le consentement du cocontractant, l’erreur provoquée par le dol peut être prise en considération, même si elle ne porte pas sur la substance de la chose qui fait l’objet du contrat. » (Cass. 3e civ. 2 oct. 1974).

Cette solution a été consacrée à l’article 1139 du Code civil issu de l’ordonnance du 10 février 2016 qui prévoit que « l’erreur […] est une cause de nullité alors même qu’elle porterait sur la valeur de la prestation ou sur un simple motif du contrat ».

Il en résulte que, en matière de dol, l’erreur de la victime peut indifféremment porter :

  • Sur la valeur de la prestation due ou fournie
  • Sur les motifs de l’engagement

L’article 1139 du Code civil précise que lorsqu’elle est provoquée par un dol, l’erreur qui devrait être considérée comme inexcusable, quand elle est commise spontanément, devient excusable et donc une cause de nullité du contrat.

Le caractère excusable ou inexcusable de l’erreur est, de la sorte, indifférent.

Dans un arrêt du 21 février 2001, la Cour de cassation avait déjà eu l’occasion d’affirmer que « la réticence dolosive, à la supposer établie, rend toujours excusable l’erreur provoquée » (Cass. 3e civ. 21 févr. 2001).

En matière de cautionnement, l’erreur provoquée par le dol peut avoir plusieurs objets au nombre desquels figurent notamment :

  • Solvabilité du débiteur
  • L’existence d’autres garanties
  • L’étendue de l’engagement de la caution
  • L’objet réel de la dette garantie

Si, la jurisprudence admet, en matière de dol, tout type d’erreur, elle prête, en revanche, une attention toute particulière à la qualité de la caution.

==> L’Incidence de la qualité de la caution

L’examen de la jurisprudence révèle que les juges traitent différemment les cautions averties des cautions profanes.

  • Les cautions averties
    • Lorsque l’annulation d’un cautionnement est sollicitée sur le fondement du sol, il apparaît que les juges sont plus exigeants à l’égard des cautions averties, soit des personnes qui disposent de compétences dans le domaine des opérations financières.
    • Dans un arrêt du 16 novembre 1993, la Cour de cassation a, par exemple, refusé de reconnaître le dol dont se prévalait une caution dirigeante au motif qu’elle « connaissait la situation de la société garantie lors de la constitution des cautionnements» ( com. 16 nov. 1993, n°91-14.388).
    • Cette position est guidée par l’idée que, de par sa fonction, le dirigeant a accès à toutes les informations lui permettant d’apprécier la situation financière de la société qu’il garantit.
    • Comment, dans ces conditions, pourrait-il arguer avoir été trompé sur la portée ou l’étendue de son engagement ?
    • Dans un arrêt du 19 avril 2009, la Cour de cassation a fait application de ce raisonnement à un associé qui avait cautionné les dettes de sa société.
    • Pour débouter ce dernier de sa demande de nullité du cautionnement souscrit, la chambre commerciale relève notamment « qu’il était acquis aux débats que la société Pradier industries était, à la date des cautionnements litigieux, associée à concurrence de 50 % de son capital de la société Matériaux modernes ce dont il se déduisait qu’étant, de ce fait même, déjà renseignée ou, du moins, en mesure d’obtenir sur la situation de la société Matériaux modernes toutes les informations propres à lui permettre d’apprécier l’opportunité des engagements qu’elle se proposait de souscrire» ( com. 19 avr. 2005, n°03-12.879).
    • Si les juridictions font montre de sévérité à l’égard des cautions averties, cela ne signifie pas pour autant que ces dernières soient totalement privées de la possibilité de se prévaloir d’un dol.
    • Pour être entendues, elles devront toutefois prouver que, nonobstant leur qualité de dirigeant ou d’associé de l’entreprise cautionnée, elles ne pouvaient pas connaître l’information qui leur a été dissimulée (V. en ce sens com. 26 mai 1992, n°90-13.540).
  • Les cautions profanes
    • Lorsque la caution est profane, la jurisprudence fait peser une obligation d’information renforcée sur le créancier professionnel.
    • Aussi, appartient-il à ce dernier d’informer la caution sur la situation financière du débiteur.
    • Dans un arrêt du 16 mai 1995, la Cour de cassation a, par exemple, validé l’annulation d’un cautionnement par une Cour d’appel au motif qu’il était établi que le créancier savait la situation de son débiteur irrémédiablement compromise et qu’il l’a laissé dans l’ignorance de la situation d’insolvabilité totale de ce dernier ( 1ère civ. 16 mai 1995, n°92-20.976).
    • La première chambre civile a réitéré cette solution dans un arrêt du 9 juillet 1996 où il était également question de dissimulation par le créancier des lourdes difficultés financières rencontrées par le débiteur.
    • Dans cette affaire, les juges du fond avaient relevé que la banque savait que la situation financière du débiteur principal était irrémédiablement compromise et qu’elle n’en avait pas informé les cautions au moment de la signature des actes de cautionnement, en sorte que ceux-ci, en cautionnant une facilité de caisse, avaient pu légitimement penser que la banque allait accorder à son débiteur un crédit de 300 000 francs, ce qui n’avait pas été le cas, puisque, très peu de temps après, elle refusait les chèques émis par lui pour défaut de provision.
    • La Cour d’appel en déduit que la banque avait obtenu les cautionnements non pour bénéficier d’une garantie pour l’avenir, mais pour disposer, à la suite de la défaillance inéluctable du débiteur, de deux co-obligés solvables, en la personne des cautions, victimes du dol ( 1ère civ. 9 juill. 1996, n°94-15.412).

2. L’exigence d’une erreur déterminante

Pour que la nullité d’un contrat puisse être prononcée sur le fondement du dol, encore faut-il que l’erreur provoquée ait été déterminante du consentement du cocontractant.

Cette règle est désormais énoncée à l’article 1130 du Code civil qui prévoit que le dol constitue une cause de nullité lorsque sans lui l’une des parties n’aurait pas contracté (dol principal) ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes (dol incident).

Ainsi, le législateur a-t-il choisi de ne pas distinguer selon que le dol dont est victime l’une des parties au contrat est principal ou incident, conformément à la position adoptée par la jurisprudence.

Dans un arrêt du 2 mai 1984, la Cour de cassation avait ainsi condamné cette distinction en affirmant, au sujet d’une action en nullité pour dol d’une opération de cession de droits sociaux, que « après avoir recherché quelle était la commune intention des parties que la cour d’appel, qui a constaté que la cession des parts de la société était intervenue le 20 janvier 1976 a fait ressortir que les co-contractants, par la convention du 13 mai 1976, n’avaient pas manifesté la volonté de revenir sur la cession à laquelle ils avaient déjà consenti mais avaient, seulement, entendu modifier l’estimation de l’un des éléments entrant dans le calcul du prix des parts cédées, qu’elle a ainsi, abstraction faite du motif justement critique tire du caractère incident du dol, qui est surabondant, a légalement justifié sa décision dès lors qu’elle était saisie par les consorts a… outre d’une demande en nullité, d’une demande de dommages-intérêts en réparation de dommages causés par le comportement répréhensible de leurs co-contractants lors de l’exécution du contrat » (Cass. com. 2 mai 1984, n°82-16.880).

Plus récemment, dans un arrêt du 22 juin 2005, la Cour de cassation avait, en effet, approuvé une Cour d’appel « d’avoir déduit que les réticences dolosives imputables à la société Simco entraînaient la nullité de la vente », après avoir relevé que certains éléments qui avaient été dissimulés « étaient déterminants pour l’acquéreur qui devait être mis à même d’apprécier la rentabilité d’une opération et aurait à tout le moins acquis à un prix inférieur s’il avait connu la situation exacte » (Cass. 3e civ. 22 juin 2005, n°04-10.415).

S’agissant du cautionnement, l’exigence du caractère déterminant de l’erreur provoquée par le dol s’applique également.

Dans un arrêt du 8 juillet 2003, la Cour de cassation a, par exemple, rappelé, pour justifier le refus d’une Cour d’appel d’annuler un cautionnement sur le fondement de la réticence dolosive, que « le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manœuvres pratiquées par l’une des parties sont telles qu’il est évident que, sans ces manœuvres, l’autre partie n’aurait pas contracté » (Cass. 1ère civ. 8 juillet 2003, n°01-02.664).

À cet égard, il peut être observé c’est à la caution qu’il revient de prouver le caractère déterminant de son erreur.

Il est néanmoins des décisions où la Cour de cassation a semblé se satisfaire de la preuve du dol dont elle déduit le caractère déterminant de l’erreur (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 10 mai 1989, n°87-14.294).

II) La sanction du dol

Lorsqu’un contrat a été conclu au moyen d’un dol, deux sanctions sont encourues :

  • La nullité du contrat
  • L’allocation de dommages et intérêts

A) Sur la nullité du contrat

Aux termes de l’article 1131 du Code civil, « les vices de consentement sont une cause de nullité relative du contrat ».

Aussi, cela signifie-t-il que seule la victime du dol, soit la partie dont le consentement a été vicié a qualité à agir en nullité du contrat.

Cette solution, consacrée par l’ordonnance du 10 février 2016, est conforme à la jurisprudence antérieure (V. notamment en ce sens Cass. 1ère civ. 4 juill. 1995).

B) Sur l’allocation de dommages et intérêts

Parce que le dol constitue un délit civil, la responsabilité extracontractuelle de son auteur est toujours susceptible d’être recherchée.

Dans la mesure où, en effet, le dol a été commis antérieurement à la formation du contrat, la victime ne peut agir que sur le fondement de la responsabilité délictuelle.

Dans un arrêt du 15 février 2002, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « la victime de manœuvres dolosives peut exercer, outre une action en annulation du contrat, une action en responsabilité délictuelle pour obtenir de leur auteur réparation du dommage qu’elle a subi » (Cass. com. 15 janv. 2002).

[1] D. Legeais, Droit des sûretés et garanties du crédit, éd. LGDJ, 2021, n°97, p. 94

[2] Ph. Simler, Cautionnement – Conditions de validité – Conditions du droit commun des contrats, Jur. Cl., Fasc. 20

Validité du cautionnement: l’erreur sur la solvabilité du débiteur

Si la caution s’oblige au profit du créancier c’est, avant toute chose, en considération de la solvabilité du débiteur.

L’enjeu pour cette dernière est de ne pas être appelée en garantie ; d’où le caractère déterminant pour elle de la capacité du débiteur à rembourser le créancier.

Il est néanmoins des cas où la caution se méprendra sur la solvabilité du débiteur : elle croyait sa situation financière suffisamment solide pour supporter le poids de l’obligation principale, alors qu’il n’en était rien.

En pareille hypothèse, pourrait-elle se prévaloir d’une erreur aux fins d’échapper à son engagement de caution ?

Deux situations doivent être distinguées :

I) Première situation : l’erreur porte sur la solvabilité future du débiteur

La question qui ici se pose est de savoir si la caution peut se prévaloir, comme cause de nullité, de l’erreur qu’elle aurait commise sur l’insolvabilité du débiteur qui se révélerait postérieurement à son engagement.

Dans cette hypothèse, la jurisprudence estime fort logiquement que l’erreur commise ne constitue pas une cause de nullité.

Dans un arrêt du 13 novembre 1990, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « la seule appréciation erronée, par la caution, des risques que lui faisait courir son engagement, ne constitue pas une erreur sur la substance, de nature à vicier son consentement » (Cass. 1ère civ. 13 nov. 1990, n°89-13.270).

La solution se justifie pleinement dans la mesure où c’est l’objet même du cautionnement que de garantir le risque d’insolvabilité susceptible de se produire postérieurement à l’engagement de la caution.

L’erreur sur la réalisation future de ce risque ne saurait, dans ces conditions, constituer une cause de nullité du cautionnement.

Admettre la solution inverse reviendrait à considérer que le cautionnement est nul toutes les fois que la caution est appelée en garantie. Or cela n’aurait aucun sens.

II) Seconde situation : l’erreur porte sur la solvabilité actuelle du débiteur

==> Termes du débat

Cette situation est très différente de la première dans la mesure où l’erreur commise porte ici, non pas sur le risque futur d’insolvabilité du débiteur, mais sur sa capacité de remboursement au jour de l’engagement de la caution.

Lorsqu’une caution s’oblige, elle le fait, en principe, en considération de la solvabilité du débiteur et plus précisément parce qu’elle le croit en capacité d’exécuter l’obligation garantie.

Aussi, la caution espère-t-elle n’être jamais appelée en garantie et avoir à payer.

Ce n’est que dans des cas très exceptionnels que la caution s’engagera au profit du créancier alors qu’elle sait la situation financière du débiteur fragile, voire obérée.

La solvabilité de ce dernier est donc un élément déterminant de l’engagement de caution.

Est-ce à dire que, en cas d’erreur sur la solvabilité du débiteur au moment où elle s’engage, la caution est fondée à solliciter la nullité du cautionnement ?

Plusieurs arguments visant à apporter une réponse négative à cette question ont été avancés par les auteurs.

Tout d’abord, lorsque l’erreur est commise sur la solvabilité du débiteur, elle porte moins sur la prestation que sur la personne.

À cet égard, pour être cause de nullité, l’erreur sur la personne doit porter sur les qualités essentielles du cocontractant.

Or le débiteur principal est un tiers à l’opération de cautionnement, de sorte que la caution ne saurait se prévaloir d’une erreur sur sa personne pour être déchargée de son engagement.

Ensuite, à supposer que l’on admette que la croyance erronée dans la solvabilité du débiteur ait été déterminante du consentement de la caution, elle s’analyse en un simple motif de son engagement.

Or conformément à l’article 1135, al. 1er du Code civil, l’erreur sur les motifs est indifférente.

Cette erreur n’est sanctionnée qu’à la condition, précise le texte, que les parties « en aient fait expressément un élément déterminant de leur consentement. »

Enfin, d’aucuns soutiennent qu’il appartient à la caution de se renseigner sur la solvabilité du débiteur.

Dans ces conditions, elle ne saurait, postérieurement à son engagement, se prévaloir d’une erreur sur la capacité du débiteur à exécuter l’obligation principale.

==> Jurisprudence

  • Première étape
    • Au début des années 1970, la jurisprudence s’est montrée plutôt favorable à accueillir les demandes de nullité fondées sur l’erreur sur la solvabilité du débiteur.
    • Dans un arrêt du 1er mars 1972, la Cour de cassation a ainsi validé l’annulation d’un cautionnement en retenant, au soutien de sa décision, que la caution « avait commis une erreur sur le motif principal et déterminant de l’engagement soumis à sa signature et que l’acte litigieux devait être déclaré nul pour vice du consentement» ( 1ère civ. 1er mars 1972, n°70-10.313).
  • Deuxième étape
    • Dans un arrêt du 25 octobre 1977, la Cour de cassation est, par suite, revenue sur sa position en affirmant que l’erreur sur la solvabilité du débiteur ne pouvait être constitutive d’une cause de nullité qu’à la condition que les parties l’aient fait entrer dans le champ contractuel.
    • Plus précisément, elle affirme que les cautions qui, dans cette affaire, sollicitaient la nullité du cautionnement « ne pouvaient être déliées de leur obligation contractuelle de rembourser le prêt pour erreur sur la solvabilité de la société, au jour de leur engagement, que si [celles-ci] démontraient [qu’elles] avaient fait de cette circonstance la condition de leur engagement» ( 1ère civ. 25 oct. 1977, n°76-11.441).
    • Cette position n’a pas manqué de faire réagir la doctrine qui a reproché à la Cour de cassation sa rigueur excessive.
    • Il a notamment été soutenu que jamais les créanciers n’accepteraient, en pratique, que la caution déclare dans l’acte de cautionnement qu’elle a entendu faire de la solvabilité du débiteur un élément déterminant de son engagement, au risque de lui offrir la possibilité de se soustraire trop facilement de son obligation.
    • Par ailleurs, la stipulation d’une telle clause serait de nature à retirer à l’opération de cautionnement une partie de son caractère aléatoire.
    • Or comme relevé par des auteurs « le cautionnement garantie subsidiaire, reste-t-il un cautionnement s’il n’existe plus aucun aléa au sujet de l’appel en paiement de la caution, ni sur la possibilité de pour la caution de se faire rembourser par le débiteur ?»[2].
    • Au surplus, exiger de la caution qu’elle prouve que la solvabilité du débiteur a été une condition de son engagement, revient finalement pour elle à démontrer que son erreur a été déterminante de son consentement.
  • Troisième étape
    • Sensible aux critiques émises contre sa position par une partie de la doctrine, la Cour de cassation a fini par infléchir sa jurisprudence.
    • Dans un arrêt du 1er octobre 2002, elle a en effet admis que la caution puisse faire faire entrer tacitement dans le champ contractuel la condition tenant à la solvabilité du débiteur ( com. 1er oct. 2002, n°00-13.189).
    • En l’espèce, une caution s’était engagée solidairement envers une banque à garantir le remboursement de toutes sommes dues ou à devoir par une société qui a, par suite, été mise en redressement judiciaire quelque mois après la souscription de son engagement.
    • La Chambre commerciale admet que « la caution avait fait de la solvabilité du débiteur principal la condition tacite de sa garantie»
    • Pour la haute juridiction, il n’est donc pas nécessaire qu’une clause soit expressément stipulée dans l’acte de cautionnement ; il suffit que la caution démontre que son engagement était tacitement subordonné à la solvabilité du débiteur.
    • Avec cette décision, on passe d’un extrême à l’autre : il est désormais admis que la caution puisse se prévaloir postérieurement à la conclusion du cautionnement d’une erreur sur la solvabilité du débiteur en prétextant qu’il s’agissait là d’un élément déterminant de son engagement.
    • Reste que, comme relevé par les auteurs, il est peu probable que cette solution puisse se concilier avec le nouvel article 1135, al. 1er du Code civil introduit par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats.
    • Cette disposition prévoit, pour mémoire, que l’erreur sur les motifs est une cause de nullité à la condition exclusive que les parties en aient « fait expressément un élément déterminant de leur consentement.»
    • L’erreur sur la solvabilité du débiteur s’analysant précisément en une erreur sur les motifs on voit mal comment, en matière de cautionnement, elle pourrait déroger à la règle.
    • Aussi, est-il fort probable que la Cour de cassation abandonne sa jurisprudence.

[1] N. Rias, « La sanction de l’erreur-obstacle : pour un remplacement de la nullité par l’inexistence », RRJ, 2009, pp.1251 et s.

[2] M. Bourassin et V. Bremond, Droit des sûretés, éd. Dalloz, 2020, n°176, p. 116.

Validité du cautionnement: l’erreur comme vice du consentement

La théorie des vices du consentement, issu du droit commun des contrats, s’applique au cautionnement.

Le consentement de la caution ne doit pas seulement avoir été exprimé au moment de la conclusion de l’acte, il doit encore n’être affecté d’aucun vice.

Autrement dit, la caution doit s’être obligée au profit du créancier de façon libre et éclairée ce qui implique qu’elle ne se soit pas engagée par erreur, ni que son consentement ait été obtenu au moyen de manœuvres dolosives ou de la violence.

Nous nous focaliserons ici sur l’erreur.

==> Notion

L’erreur peut se définir comme le fait pour une personne de se méprendre sur la réalité. Cette représentation inexacte de la réalité vient de ce que l’errans considère, soit comme vrai ce qui est faux, soit comme faux ce qui est vrai.

L’erreur consiste, en d’autres termes, en la discordance, le décalage entre la croyance de celui qui se trompe et la réalité.

Lorsqu’elle est commise à l’occasion de la conclusion d’un contrat, l’erreur consiste ainsi dans l’idée fausse que se fait le contractant sur tel ou tel autre élément du contrat.

Il peut donc exister de multiples erreurs :

  • L’erreur sur la valeur des prestations: j’acquiers un tableau en pensant qu’il s’agit d’une toile de maître, alors que, en réalité, il n’en est rien. Je m’aperçois peu de temps après que le tableau a été mal expertisé.
  • L’erreur sur la personne: je crois solliciter les services d’un avocat célèbre, alors qu’il est inconnu de tous
  • Erreur sur les motifs de l’engagement : j’acquiers un appartement dans le VIe arrondissement de Paris car je crois y être muté. En réalité, je suis affecté dans la ville de Bordeaux

Manifestement, ces hypothèses ont toutes en commun de se rapporter à une représentation fausse que l’errans se fait de la réalité.

Cela justifie-t-il, pour autant, qu’elles entraînent la nullité du contrat ? Les rédacteurs du Code civil ont estimé que non.

Afin de concilier l’impératif de protection du consentement des parties au contrat avec la nécessité d’assurer la sécurité des transactions juridiques, le législateur, tant en 1804, qu’à l’occasion de la réforme du droit des obligations, a décidé que toutes les erreurs ne constituaient pas des causes de nullité.

Aussi, certaines erreurs sont sans incidence sur la validité du contrat. Ce constat est d’autant plus vrai pour le cautionnement, dans la mesure où il s’agit d’un contrat unilatéral.

Parce que la caution est la seule partie à s’obliger, cette circonstance exclut d’emblée certains cas d’erreur.

Par exemple, la caution ne pourra pas se prévaloir d’une erreur sur la contrepartie attendue puisque, par hypothèse, cette contrepartie est inexistante.

Elle ne pourra pas non plus arguer que son erreur portait sur l’objet de son engagement, lequel n’est autre qu’une créance de somme d’argent. Or l’erreur sur la valeur est indifférente ; elle n’est pas une cause de nullité.

À l’analyse, si les cas d’erreur sont finalement assez réduits en matière de cautionnement, ceux admis par la jurisprudence ont donné lieu à un abondant contentieux, ce qui, la plupart du temps, s’explique par les circonstances qui ont entouré la souscription de l’engagement de caution.

I) Conditions de droit commun

Pour constituer une cause de nullité du cautionnement l’erreur doit, en toutes hypothèses, être :

  • Déterminante
  • Excusable

==> Une erreur déterminante

  • Principe
    • L’article1130 du Code civil prévoit que l’erreur vicie le consentement lorsque sans elle « l’une des parties n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes»
    • Autrement dit, l’erreur est une cause de consentement lorsqu’elle a été déterminante du consentement de l’errans, ce qui implique qu’elle portait sur des éléments essentiels du contrat.
    • Pour faire échec au cautionnement, la caution devra donc démontrer qu’elle ne se serait jamais engagée si elle avait su, lors de la conclusion du contrat, que la réalité était différente de ce qu’elle croyait.
  • Appréciation du caractère déterminant
    • L’article 1130, al. 2 précise que le caractère déterminant de l’erreur « s’apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné»
    • Le juge est ainsi invité à se livrer à une appréciation in concreto du caractère déterminant de l’erreur

==> Une erreur excusable

  • Principe
    • Il ressort de l’article 1132 du Code civil que, pour constituer une cause de nullité, l’erreur doit être excusable
    • Par excusable, il faut entendre l’erreur commise une partie au contrat qui, malgré la diligence raisonnable dont elle a fait preuve, n’a pas pu l’éviter.
    • Cette règle se justifie par le fait que l’erreur ne doit pas être la conséquence d’une faute de l’errans.
    • Celui qui s’est trompé ne saurait, en d’autres termes, tirer profit de son erreur lorsqu’elle est grossière.
    • C’est la raison pour laquelle la jurisprudence refuse systématiquement de sanctionner l’erreur inexcusable (V. en ce sens par exemple 3e civ., 13 sept. 2005).
  • Domaine
    • Le caractère excusable n’est exigé qu’en matière d’erreur sur les qualités essentielles de la prestation ou de la personne.
    • En matière de dol, l’erreur commise par le cocontractant sera toujours sanctionnée par la nullité, quand bien même ladite erreur serait grossière.
    • Dans un arrêt du 21 février 2001, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que la « réticence dolosive à la supposer établie, rend toujours excusable l’erreur provoquée» ( 3e civ., 21 févr. 2001).
  • Appréciation
    • L’examen de la jurisprudence révèle que les juges se livrent à une appréciation in concreto de l’erreur pour déterminer si elle est ou non inexcusable.
    • Lorsque, de la sorte, l’erreur est commise par un professionnel, il sera tenu compte des compétences de l’errans (V. en ce sens soc., 3 juill. 1990).
    • Les juges feront également preuve d’une plus grande sévérité lorsque l’erreur porte sur sa propre prestation.
    • S’agissant de l’erreur commise par la caution, son caractère excusable peut s’avérer difficile à démontrer dans la mesure où pèse sur cette dernière une obligation de se renseigner.

II) Variétés d’erreurs commises en matière de cautionnement

Aux termes de l’article 1132 du Code civil « l’erreur de droit ou de fait, à moins qu’elle ne soit inexcusable, est une cause de nullité du contrat lorsqu’elle porte sur les qualités essentielles de la prestation due ou sur celles du cocontractant. »

Il ressort de cette disposition que seules deux catégories d’erreur sont constitutives d’une cause de nullité du contrat :

  • L’erreur sur les qualités essentielles de la prestation due
  • L’erreur sur les qualités essentielles du cocontractant

À ces deux catégories d’erreur, il convient toutefois d’en ajouter une troisième à laquelle ne fait nullement référence l’ordonnance du 10 février 2016 et qui, pourtant regroupe des hypothèses où l’erreur est si grave qu’elle empêche la rencontre même des volontés. Il s’agit de la catégorie des erreurs obstacles.

A) L’erreur obstacle

1. Notion

Il s’agit de l’erreur qui procède d’un malentendu en ce sens que les parties n’ont pas voulu la même chose.

L’erreur est si grave que la rencontre des volontés n’a pas pu se réaliser. Traditionnellement, on distingue deux sortes d’erreur obstacle :

  • L’erreur porte sur la nature de l’acte: une partie croyait acheter un bien alors que l’autre souhaitait simplement la louer.
  • L’erreur porte sur l’objet de la prestation: une partie croyait acheter un immeuble, alors que l’autre entendait vendre un immeuble voisin

En matière de cautionnement, dans la mesure où la prestation fournie par la caution est toujours la même, soit garantir le paiement d’une créance de somme d’argent en cas de défaut du débiteur principal, la caution pourra difficilement se prévaloir d’une erreur sur l’objet de sa prestation.

Aussi, la seule erreur obstacle dont peut raisonnablement se prévaloir la caution est celle portant sur la nature de son engagement.

Deux cas de figure sont susceptibles de se présenter :

  • La caution croit avoir souscrit un simple engagement moral au profit du créancier, alors qu’il s’agit d’un véritable cautionnement
  • La caution croit que la signature de l’acte de cautionnement est une simple formalité nécessaire à la souscription du prêt garanti

Bien que la preuve de l’erreur obstacle soit extrêmement difficile à rapporter, il est certaines décisions qui l’ont admise.

Dans un arrêt du 25 mai 1964, la Cour de cassation a ainsi validé la décision rendue par une Cour d’appel qui avait annulé l’engagement de deux cautions au motif que compte tenu de leur illettrisme et de l’absence de lecture de l’acte avant sa signature, les intéressées « avaient donné leur consentement à une convention ayant un objet autre que celle à laquelle ils pensaient adhérer »

Pour la Cour de cassation « la méprise invoquée avait porté non sur les conséquences, mais sur la substance même de l’engagement et que l’erreur en résultant avait été le motif principal et déterminant de l’obligation contractée », raison pour laquelle l’annulation du cautionnement était pleinement justifié (Cass. 1ère civ. 25 mai 1964).

À l’analyse, les décisions qui font droit aux demandes de nullité d’un cautionnement sur le fondement de l’erreur obstacle demeurent rares.

Seules des circonstances exceptionnelles permettent à la caution d’obtenir ce résultat, les juges estimant, la plupart du temps, que l’ignorance de la caution sur la nature de son engagement est constitutive d’une erreur inexcusable et qui donc n’est pas sanctionnée (V. en ce sens CA Paris 9 avril 1992).

2. Effets

Lorsque l’erreur obstacle est admise, elle a pour effet de priver les parties de leur consentement, de sorte que leurs volontés n’ont pas pu se rencontrer.

Plus qu’un vice du consentement, l’erreur obstacle rend le consentement inexistant, de sorte que le contrat n’a pas pu se former.

3. Sanction

==> La reconnaissance souhaitable de l’inexistence

Dans la mesure où l’erreur obstacle a pour effet de faire « obstacle » à la rencontre des volontés, elle devrait être sanctionnée par l’inexistence.

  • Notion
    • Pour mémoire, l’inexistence consiste en la sanction généralement prononcée à l’encontre d’un acte dont l’un des éléments constitutifs essentiels à sa formation fait défaut.
    • Plus précisément l’inexistence est prononcée lorsque la défaillance qui atteint l’une des conditions de validité de l’acte porte sur son processus de formation
    • Aussi, en matière de contrat, l’inexistence vient-elle généralement sanctionner l’absence d’échange des consentements.
    • Dans un arrêt du 5 mars 1991, la Cour de cassation a approuvé en ce sens une Cour d’appel qui, après avoir relevé qu’aucun échange de consentement n’était intervenu entre les parties, a estimé qu’il n’y avait pas pu y avoir de contrat elles ( 1ère civ., 5 mars 1991)
    • Conformément à cette jurisprudence, l’erreur obstacle devrait donc, en toute logique, être sanctionnée par l’inexistence, comme le soutiennent certains auteurs[1]
    • Tel n’est cependant pas, pour l’heure, la voie empruntée par la Cour de cassation.
  • Intérêt
    • Pourquoi, préférer la sanction de l’inexistence à la nullité ?
    • Dans l’hypothèse, où le non-respect d’une condition de validité du contrat est sanctionné par la nullité, celui qui entend contester l’acte dispose d’un délai de 5 ans pour agir.
    • Conformément à l’article 2224 du Code civil, le point de départ de ce délai de prescription court à compter « du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. »
    • Pour le cautionnement, il s’agira du jour de la conclusion du contrat
    • Dans l’hypothèse toutefois où la sanction prononcée est l’inexistence de l’acte, le contrat n’a jamais été formé puisque les volontés ne se sont pas rencontrées.
    • Il en résulte que les parties à l’acte inexistant ne sauraient se prévaloir d’aucun droit, sinon de celui de faire constater l’inexistence.
    • Aussi, l’exercice de l’action en inexistence n’est-il subordonné à l’observation d’un quelconque délai de prescription.
    • L’intérêt de la sanction de l’inexistence ne tient pas seulement à l’absence de prescription de l’action.
    • Elle réside également dans l’impossibilité pour les parties de confirmer l’acte.
    • On ne saurait, en effet, confirmer la validité d’un acte qui n’a jamais existé.

==> L’admission de la nullité

Bien que l’inexistence soit, eu égard à tout ce qui vient d’être rappelé, la sanction la plus appropriée quant à répondre à la situation à laquelle conduit l’erreur obstacle, soit l’absence de rencontre des volontés des parties, la jurisprudence préfère néanmoins opter pour la nullité du contrat (V. en ce sens Cass. 3e civ. 16 déc. 2014, n°14-14.168).

B) L’erreur sur les qualités essentielles de la prestation due

Aux termes de l’article 1132 du Code civil « l’erreur de droit ou de fait, à moins qu’elle ne soit inexcusable, est une cause de nullité du contrat lorsqu’elle porte sur les qualités essentielles de la prestation due »

Si cette règle de droit commun s’applique pleinement au cautionnement, encore faut-il déterminer quelles sont les qualités essentielles de la prestation en jeu dans cette variété de contrat.

==> L’erreur sur l’objet de l’obligation de la caution

Au préalable, il peut être observé que, dans la mesure où le cautionnement est un contrat unilatéral, la caution ne pourra se prévaloir que d’une erreur sur sa propre prestation et non sur celle fournie par le créancier qui, par hypothèse, est inexistante.

Alors que la question s’était posée en jurisprudence de savoir si l’erreur pouvait constituer une cause de nullité du contrat lorsqu’elle porte sur la propre prestation de l’errans, la Cour de cassation (Cass. civ. 23 juin 1873 ; Cass. 1ère civ., 22 févr. 1978), puis le législateur l’ont finalement admis.

L’article 1133, al. 2 du Code civil issu de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 prévoit en ce sens que « l’erreur est une cause de nullité qu’elle porte sur la prestation de l’une ou de l’autre partie. »

Rien n’exclut donc, en principe, que la caution puisse se prévaloir d’une erreur sur sa propre prestation, laquelle consiste à payer la dette du débiteur en cas de défaillance de celui-ci.

Reste que l’engagement de la caution se confond avec l’objet même du contrat de cautionnement, de sorte que, en pratique, il s’avérera extrêmement difficile pour cette dernière de prouver qu’elle ignorait ce à quoi elle s’engageait en souscrivant un cautionnement.

Surtout, l’objet de l’obligation garantie consiste toujours en une somme d’argent. Or l’erreur sur la valeur est indifférente.

Pour mémoire, l’article 1136 du Code civil prévoit que « l’erreur sur la valeur par laquelle, sans se tromper sur les qualités essentielles de la prestation, un contractant fait seulement de celle-ci une appréciation économique inexacte, n’est pas une cause de nullité. »

À cet égard, l’erreur sur la valeur doit s’entendre comme l’erreur sur l’évaluation économique de l’objet du contrat.

Dans ces conditions la caution ne pourra, a priori, pas obtenir la nullité du cautionnement en arguant qu’elle a commis une erreur sur le montant de son engagement.

Dans un arrêt du 17 juillet 1996, la Cour de cassation a, par exemple, jugé que « la disproportion entre les ressources de la caution et le montant du cautionnement n’est pas constitutive d’une erreur sur la substance » (Cass. 1ère civ. 17 juill. 1996, n°94-14.132).

==> L’erreur sur l’existence d’autres sûretés

Par exception, il est admis que l’erreur sur l’étendue de l’engagement de caution puisse être une cause de nullité du cautionnement lorsqu’elle consiste en la croyance – fausse – de l’existence d’autres sûretés.

Plus précisément, ce cas d’erreur correspond à l’hypothèse où la caution pensait, au moment de son engagement, que d’autres sûretés avaient été constituées au profit du créancier, de sorte que, en cas de défaillance du débiteur, ces sûretés viendraient mécaniquement limiter son obligation de payer, à tout le moins elles pourraient lui profiter par le jeu de la subrogation.

La caution s’aperçoit toutefois que, en réalité, soit aucune garantie n’a été prise, soit celles qu’elle croyait constituées sont frappées d’une irrégularité les privant de leur efficacité.

En première intention, on voit mal comment une telle erreur pourrait porter sur les qualités essentielles de l’engagement de caution dans la mesure où elle a, au contraire, pour objet la prestation fournie par des tiers, soit les autres garants de la dette cautionnée.

La méprise de la caution sur l’existence d’autres sûretés s’apparenterait donc plutôt en une erreur sur les motifs. Or il s’agit là d’une erreur qui, par principe, n’est pas sanctionnée.

Telle n’est pourtant pas l’analyse retenue par la Cour de cassation qui considère que ce sont bien les qualités essentielles de l’engagement de caution qui sont en jeu.

Dans un arrêt du 2 mai 1989 elle a par exemple jugé que « en cas de pluralité de cautions, dont l’une vient à disparaître ultérieurement, les autres cautions peuvent invoquer la nullité de leur engagement pour erreur sur l’étendue des garanties fournies au créancier en démontrant qu’elles avaient fait du maintien de la totalité des cautions la condition déterminante de leur propre engagement » (Cass. 1ère civ. 2 mai 1989, n°87-17.599).

Dans un arrêt du 1er juillet 1997, la Cour de cassation a encore validé la décision prise par une Cour d’appel qui avait annulé un cautionnement au motif que, lors de son engagement, la caution avait commis une erreur sur le rang de l’hypothèque constituée au profit du créancier sur un immeuble appartenant au débiteur principal.

Au soutien de sa décision, la Première chambre civile affirme que « l’erreur commise par la caution sur l’étendue des garanties fournies au créancier ayant déterminé son consentement constitue une cause de nullité de l’acte de cautionnement » (Cass. 1ère civ. 1er juill. 1997, n°95-12.163).

Pour la Cour de cassation l’erreur commise sur l’existence d’autres sûretés constitue donc bien une cause de nullité du cautionnement.

La raison en est que, si la caution s’est engagée, c’est qu’elle croyait que le poids de la dette serait réparti entre plusieurs garants, voire que son engagement consisterait seulement en une avance de paiement dans l’attente de pouvoir réaliser les autres sûretés constituées au profit du créancier.

En se méprenant sur cette situation, c’est la substance même de son engagement qui s’en trouve atteinte, d’où la position de la Cour de cassation.

Reste que, pour être sanctionnée, l’erreur commise par la caution doit avoir été déterminante de son engagement.

Cette condition se dégage notamment d’un arrêt remarqué rendu par la Cour de cassation le 18 mars 2014.

Dans cette décision, elle confirme l’arrêt d’une Cour d’appel aux termes duquel les juges du fond avaient prononcé la nullité d’un cautionnement au motif que la caution s’était portée garante dans la croyance erronée de l’engagement d’autres cautions.

Au soutien de sa décision, la Chambre commerciale affirme « qu’au regard de l’importance de l’engagement souscrit, Mme X… n’a pu se porter caution de la société, qu’en considération de l’existence des sept autres cofidéjusseurs, dont la société Segura investissement personne morale ; qu’ayant ainsi fait ressortir que Mme X… avait fait de l’existence des autres cautionnements souscrits la condition déterminante de son propre engagement, la cour d’appel a légalement justifié sa décision » (Cass. com. 18 mars 2014, n°13-11.733).

Ce qui donc importe c’est que la constitution d’autres sûretés (réelles ou personnelles) ait été déterminante de l’engagement de la caution.

Si cette condition n’est pas remplie, alors la Cour de cassation refusera de voir l’erreur commise comme constitutive d’une cause de nullité (V. en ce sens Cass. com. 24 nov. 1981, n°80-10.205).

==> Cas particulier de l’erreur en présence d’une garantie Bpifrance

Bpifrance (anciennement OSEO) est un organisme qui poursuit une mission d’intérêt public consistant notamment à garantir les financements octroyés aux entreprises par les établissements bancaires.

Si la garantie consentie par Bpirance présente toutes les apparences d’un cautionnement, en réalité elle s’en distingue.

Tout d’abord, cette garantie qui a pour objet d’assurer l’entrepreneur contre le risque de défaillance tout en ne garantissant les banques que pour une partie de leur perte finale éventuelle, ne bénéficie qu’à l’établissement financier et ne peut en aucun cas être invoquée par les tiers, notamment l’emprunteur et ses garants personnels.

Surtout, il s’agit d’une garantie finale qui couvre le risque au prorata de la proportion souscrite et n’a vocation à jouer qu’une fois épuisées toutes les poursuites contre le débiteur et la caution.

Autrement dit, la garantie fournie par Bpifgrance présente un caractère subsidiaire, en ce sens qu’elle ne peut être actionnée que lorsque l’ensemble des poursuites engagées à l’encontre des autres garants se sont révélées infructueuses.

Cette position privilégiée occupée par Bpifrance, qui donc ne se situe pas sur le même plan que les cofidéjusseurs, n’est pas sans avoir été source de contentieux.

Certaines cautions ont notamment cherché à se soustraire à leur engagement en avançant qu’elles avaient été induites en erreur par la présence de Bpifrance qui aurait été de nature à les tromper sur la portée de leur engagement.

Sensible à cet argument, la Cour de cassation a fait droit, dans plusieurs décisions, aux demandes formulées par des cautions en convoquant plusieurs fondements juridiques tels que l’erreur, le dol ou encore l’obligation d’information.

Dans un arrêt du 22 septembre 2015, elle a ainsi censuré la décision d’une Cour d’appel qui avait refusé d’annuler un cautionnement sur le fondement de l’erreur.

Dans cette décision elle reproche notamment aux juges du fonds d’avoir statué par des « motifs généraux relatifs aux caractéristiques de la garantie de la société Oseo, qui sont impropres à exclure, dès lors que M. X… soutenait n’avoir pas eu connaissance des conditions générales de cette garantie et avoir fait du maintien de celle-ci la condition déterminante de son engagement, l’existence d’une erreur de la caution sur le caractère subsidiaire de la garantie de la société Oseo » (Cass. com. 22 sept. 2015, n°14-17.671).

Dans un autre arrêt, rendu en date du 3 décembre 2013, la Chambre commerciale a pu retenir la responsabilité d’une banque en affirmant qu’il lui appartenait de démontrer qu’elle avait informé la caution sur les modalités de fonctionnement de la garantie OSEO et notamment sur son caractère subsidiaire, faute de quoi elle engageait sa responsabilité pour faute (Cass. com. 3 déc. 2013, n°12-23.976).

Dans un arrêt du 23 septembre 2014, la Chambre commerciale a encore pu juger que le défaut d’information imputable à la banque était susceptible de s’analyser en une réticence dolosive justifiant l’annulation du cautionnement (Cass. com. 23 sept. 2014, n°13-20.766).

Favorable aux cautions qui ont trouvé là un moyen fort astucieux pour faire échec aux poursuites des créanciers, cette stratégie devrait être plus difficile à mettre en œuvre aujourd’hui dans la mesure où les cautions sont désormais informées systématiquement informées par Bpifrance sur son rôle de sorte qu’elles pourront difficilement se prévaloir d’une erreur ou d’un dol.

Dans un arrêt du 14 novembre 2019 la Cour de cassation a ainsi refusé de statuer dans le sens d’une Cour d’appel qui avait annulé un cautionnement sur le fondement de l’erreur.

Elle reproche notamment aux juges du fond de n’avoir pas établi « le caractère déterminant qu’aurait eu pour la caution la connaissance du mécanisme de la garantie Oseo, à défaut de quoi, l’erreur sur la substance de son engagement ne pouvait être invoquée par la caution » (Cass. com. 14 nov. 2019, n°18-18.579).

C) L’erreur sur les qualités essentielles du cocontractant

 1. Principe général

L’article 1134 du Code civil prévoit que « l’erreur sur les qualités essentielles du cocontractant n’est une cause de nullité que dans les contrats conclus en considération de la personne. »

Cela signifie donc que dans, l’hypothèse où la caution se méprendrait sur la personne du créancier, elle serait fondée à demander l’annulation du cautionnement.

Reste que, comme pour l’erreur sur les qualités essentielles de la prestation, l’erreur sur la personne n’est que très exceptionnellement une cause de nullité en matière de cautionnement.

Pour qu’elle le soit, la caution devra démontrer que la qualité essentielle du créancier sur laquelle elle s’est trompée était déterminante de son engagement.

Or en pratique, lorsque la caution s’engage, elle le fait en considération, non pas de pas de la personne du créancier, mais du débiteur.

Est-il besoin de rappeler que la cause de son engagement réside dans l’existence de la dette à garantir et non dans la fourniture d’une contrepartie qui, compte tenu du caractère unilatéral du cautionnement, est, en toute hypothèse, inexistante.

Aussi, les qualités du créancier sont indifférentes, à tout le moins subsidiaires, dans la mesure où la caution n’attend aucune prestation de lui.

Tout au contraire, elle est suspendue à l’exécution de l’obligation principale par le débiteur qu’elle garantit.

En réalité c’est la solvabilité de celui-ci qui sera déterminante de l’engagement souscrit par la caution.

La question qui alors se pose est alors de savoir si l’erreur commise sur cette solvabilité est une cause de nullité du cautionnement.

2. Cas particulier de l’erreur sur la solvabilité du débiteur

Si donc la caution s’oblige c’est, avant toute chose, en considération de la solvabilité du débiteur.

L’enjeu pour cette dernière est de ne pas être appelée en garantie ; d’où le caractère déterminant pour elle de la capacité du débiteur à rembourser le créancier.

Il est néanmoins des cas où la caution se méprendra sur la solvabilité du débiteur : elle croyait sa situation financière suffisamment solide pour supporter le poids de l’obligation principale, alors qu’il n’en était rien.

En pareille hypothèse, pourrait-elle se prévaloir d’une erreur aux fins d’échapper à son engagement de caution ?

Deux situations doivent être distinguées :

a. Première situation : l’erreur porte sur la solvabilité future du débiteur

La question qui ici se pose est de savoir si la caution peut se prévaloir, comme cause de nullité, de l’erreur qu’elle aurait commise sur l’insolvabilité du débiteur qui se révélerait postérieurement à son engagement.

Dans cette hypothèse, la jurisprudence estime fort logiquement que l’erreur commise ne constitue pas une cause de nullité.

Dans un arrêt du 13 novembre 1990, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « la seule appréciation erronée, par la caution, des risques que lui faisait courir son engagement, ne constitue pas une erreur sur la substance, de nature à vicier son consentement » (Cass. 1ère civ. 13 nov. 1990, n°89-13.270).

La solution se justifie pleinement dans la mesure où c’est l’objet même du cautionnement que de garantir le risque d’insolvabilité susceptible de se produire postérieurement à l’engagement de la caution.

L’erreur sur la réalisation future de ce risque ne saurait, dans ces conditions, constituer une cause de nullité du cautionnement.

Admettre la solution inverse reviendrait à considérer que le cautionnement est nul toutes les fois que la caution est appelée en garantie. Or cela n’aurait aucun sens.

b. Seconde situation : l’erreur porte sur la solvabilité actuelle du débiteur

==> Termes du débat

Cette situation est très différente de la première dans la mesure où l’erreur commise porte ici, non pas sur le risque futur d’insolvabilité du débiteur, mais sur sa capacité de remboursement au jour de l’engagement de la caution.

Lorsqu’une caution s’oblige, elle le fait, en principe, en considération de la solvabilité du débiteur et plus précisément parce qu’elle le croit en capacité d’exécuter l’obligation garantie.

Aussi, la caution espère-t-elle n’être jamais appelée en garantie et avoir à payer.

Ce n’est que dans des cas très exceptionnels que la caution s’engagera au profit du créancier alors qu’elle sait la situation financière du débiteur fragile, voire obérée.

La solvabilité de ce dernier est donc un élément déterminant de l’engagement de caution.

Est-ce à dire que, en cas d’erreur sur la solvabilité du débiteur au moment où elle s’engage, la caution est fondée à solliciter la nullité du cautionnement ?

Plusieurs arguments visant à apporter une réponse négative à cette question ont été avancés par les auteurs.

Tout d’abord, lorsque l’erreur est commise sur la solvabilité du débiteur, elle porte moins sur la prestation que sur la personne.

À cet égard, pour être cause de nullité, l’erreur sur la personne doit porter sur les qualités essentielles du cocontractant.

Or le débiteur principal est un tiers à l’opération de cautionnement, de sorte que la caution ne saurait se prévaloir d’une erreur sur sa personne pour être déchargée de son engagement.

Ensuite, à supposer que l’on admette que la croyance erronée dans la solvabilité du débiteur ait été déterminante du consentement de la caution, elle s’analyse en un simple motif de son engagement.

Or conformément à l’article 1135, al. 1er du Code civil, l’erreur sur les motifs est indifférente.

Cette erreur n’est sanctionnée qu’à la condition, précise le texte, que les parties « en aient fait expressément un élément déterminant de leur consentement. »

Enfin, d’aucuns soutiennent qu’il appartient à la caution de se renseigner sur la solvabilité du débiteur.

Dans ces conditions, elle ne saurait, postérieurement à son engagement, se prévaloir d’une erreur sur la capacité du débiteur à exécuter l’obligation principale.

==> Jurisprudence

  • Première étape
    • Au début des années 1970, la jurisprudence s’est montrée plutôt favorable à accueillir les demandes de nullité fondées sur l’erreur sur la solvabilité du débiteur.
    • Dans un arrêt du 1er mars 1972, la Cour de cassation a ainsi validé l’annulation d’un cautionnement en retenant, au soutien de sa décision, que la caution « avait commis une erreur sur le motif principal et déterminant de l’engagement soumis à sa signature et que l’acte litigieux devait être déclaré nul pour vice du consentement» ( 1ère civ. 1er mars 1972, n°70-10.313).
  • Deuxième étape
    • Dans un arrêt du 25 octobre 1977, la Cour de cassation est, par suite, revenue sur sa position en affirmant que l’erreur sur la solvabilité du débiteur ne pouvait être constitutive d’une cause de nullité qu’à la condition que les parties l’aient fait entrer dans le champ contractuel.
    • Plus précisément, elle affirme que les cautions qui, dans cette affaire, sollicitaient la nullité du cautionnement « ne pouvaient être déliées de leur obligation contractuelle de rembourser le prêt pour erreur sur la solvabilité de la société, au jour de leur engagement, que si [celles-ci] démontraient [qu’elles] avaient fait de cette circonstance la condition de leur engagement» ( 1ère civ. 25 oct. 1977, n°76-11.441).
    • Cette position n’a pas manqué de faire réagir la doctrine qui a reproché à la Cour de cassation sa rigueur excessive.
    • Il a notamment été soutenu que jamais les créanciers n’accepteraient, en pratique, que la caution déclare dans l’acte de cautionnement qu’elle a entendu faire de la solvabilité du débiteur un élément déterminant de son engagement, au risque de lui offrir la possibilité de se soustraire trop facilement de son obligation.
    • Par ailleurs, la stipulation d’une telle clause serait de nature à retirer à l’opération de cautionnement une partie de son caractère aléatoire.
    • Or comme relevé par des auteurs « le cautionnement garantie subsidiaire, reste-t-il un cautionnement s’il n’existe plus aucun aléa au sujet de l’appel en paiement de la caution, ni sur la possibilité de pour la caution de se faire rembourser par le débiteur ?»[2].
    • Au surplus, exiger de la caution qu’elle prouve que la solvabilité du débiteur a été une condition de son engagement, revient finalement pour elle à démontrer que son erreur a été déterminante de son consentement.
  • Troisième étape
    • Sensible aux critiques émises contre sa position par une partie de la doctrine, la Cour de cassation a fini par infléchir sa jurisprudence.
    • Dans un arrêt du 1er octobre 2002, elle a en effet admis que la caution puisse faire faire entrer tacitement dans le champ contractuel la condition tenant à la solvabilité du débiteur ( com. 1er oct. 2002, n°00-13.189).
    • En l’espèce, une caution s’était engagée solidairement envers une banque à garantir le remboursement de toutes sommes dues ou à devoir par une société qui a, par suite, été mise en redressement judiciaire quelque mois après la souscription de son engagement.
    • La Chambre commerciale admet que « la caution avait fait de la solvabilité du débiteur principal la condition tacite de sa garantie»
    • Pour la haute juridiction, il n’est donc pas nécessaire qu’une clause soit expressément stipulée dans l’acte de cautionnement ; il suffit que la caution démontre que son engagement était tacitement subordonné à la solvabilité du débiteur.
    • Avec cette décision, on passe d’un extrême à l’autre : il est désormais admis que la caution puisse se prévaloir postérieurement à la conclusion du cautionnement d’une erreur sur la solvabilité du débiteur en prétextant qu’il s’agissait là d’un élément déterminant de son engagement.
    • Reste que, comme relevé par les auteurs, il est peu probable que cette solution puisse se concilier avec le nouvel article 1135, al. 1er du Code civil introduit par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats.
    • Cette disposition prévoit, pour mémoire, que l’erreur sur les motifs est une cause de nullité à la condition exclusive que les parties en aient « fait expressément un élément déterminant de leur consentement.»
    • L’erreur sur la solvabilité du débiteur s’analysant précisément en une erreur sur les motifs on voit mal comment, en matière de cautionnement, elle pourrait déroger à la règle.
    • Aussi, est-il fort probable que la Cour de cassation abandonne sa jurisprudence.

[1] N. Rias, « La sanction de l’erreur-obstacle : pour un remplacement de la nullité par l’inexistence », RRJ, 2009, pp.1251 et s.

[2] M. Bourassin et V. Bremond, Droit des sûretés, éd. Dalloz, 2020, n°176, p. 116.