Avertissement.- Il sera question dans les lignes qui suivent de dialectique, qui est une nécessité impérieuse en droit. Et il y a une bonne raison à cela. C’est qu’il faut bien avoir à l’esprit que « la science » du droit n’est pas une connaissance immédiate de la réalité par simple intuition (ou pas seulement). En bref, le juriste pratique un savoir raisonné. La dialectique, qui est une science qui permet de distinguer le vrai du faux, est une méthode des plus fructueuses qui conduit des principes aux conséquences. Pour le dire autrement, elle préserve de l’inconséquence (Cicéron, Des lois, I, 23). Nous nous proposons de la convoquer relativement à la tentation, qui semble être grandissante, de consacrer un droit à l’enfant. Qu’on se comprenne bien : notre intention est des plus modestes, à savoir douter.
Doute.- On pensait que LA question était « être ou ne pas être ? ». il se pourrait fort qu’elle ne soit devenue qu’UNE question.
Ce n’est pourtant pas la moindre des tâches que de s’efforcer de comprendre ce que nous devrions faire, ou être, ou vivre, et mesurer par là, au moins intellectuellement, le chemin qui nous en sépare (André Comte-Sponville). « C’est par l’effort choisi que l’homme se réalise ». Être ou ne pas être un homme ou une femme vertueux ; être ou ne pas être un homme ou une femme laborieux ? Ne sont-ce pas là des questions qu’il importerait à tout un chacun de se poser pour que le vivre ensemble soit garanti(e), pour que nous puissions continuer de faire Nation ? Eh bien, de récents débats parmi les plus passionnés de ces dernières années donnent à penser que non. Il semble que LA question ait été réécrite. En bref, d’aucun semblent plutôt préoccupés par la question de savoir s’il leur importe d’être ou d’avoir.
Enfant.- Être ou avoir, c’est l’un des questionnements parmi les plus fondamentaux de l’existence. Être et avoir ce sont aussi ces précieux auxiliaires, qui vont varier le verbe, que les enfants – petits et grands – ont grand’ peine à pratiquer. Être et avoir, c’est enfin et surtout une question qui n’a pas été posée à l’heure où d’aucuns exhortent la Représentation nationale de consacrer un droit à l’enfant (projet de loi n° 474 du 31 juill. 2020 rel. à la bioéthique).
Droit à.- Cette demande de « droit à » est symptomatique de l’individualisme – voire l’hyper-individualisme – contemporain, lequel va crescendo. Attentif, à tort ou à raison, aux desiderata de celles et ceux qui accordent leurs suffrages, lesquels vont pourtant descrescendo, le politique a accordé par le passé « maints droits à », en l’occurrence le droit au logement décent, le droit à vivre dans un environnement sain, le droit aux soins palliatifs, le droit au très haut débit, le droit d’accueil des enfants dans les écoles en cas de grève. Voilà à présent qu’une partie de nos concitoyens réclament, pour l’avenir, un droit à l’enfant.
Après tout, pourquoi s’interdire d’accorder à tout un chacun (encore qu’on ne soit pas sûr qu’il n’y ait pas quelques conditions ratione personae à ériger) un droit à l’enfant ? Le droit au bonheur est bien consacré ici et là.
Cette demande de « droit à » est adressée à l’État…providence. On réclame à ce dernier État un avantage effectif pour la seule raison qu’on le désire. Qu’est-ce que cela signifie ? Eh bien que l’individu prime alors le collectif. Pour le dire autrement, il y a un engouement pour la psychologie aux dépends de la sociologie (Carbonnier). Ainsi irait le monde. Seulement voilà, la reconnaissance, à certains égards outrancière, de pareilles prérogatives individuelles, risque de faire obstacle à la poursuite de toutes institutions ou buts collectifs. La possibilité de vivre ensemble est alors remise en question.
Le trait est volontairement noirci. Juridiquement, nombre de ces « droits à » sont bien trop imprécis pour qu’ils soient effectivement mis en œuvre. C’est typiquement le cas du droit au logement – ce qui au passage est déplorable (v. en ce sens, Le bail d’habitation et le droit au logement). En raison d’une défaillance technique originelle, ces droits à ceci ou à cela sont pour beaucoup réduits en pratique à de simples incantations. Que voulez-vous : la puissance symbolique de l’évocation paraît suffire à apaiser le bon peuple…En disant cela, nous sommes sûrement trop dur. Le symbole reste un objet sensible qui, évoquant quelque chose d’absent, invite à la réflexion.
Le droit à l’enfant est aussi caractéristique de ce dont nous discutons.
Droit à l’enfant.- Comprenez que la seule proclamation d’un droit à l’enfant serait lettre morte si le législateur ne se faisait pas fort d’en assurer l’effectivité. Il importerait alors, en logique, d’accorder à un couple de femmes le droit à la procréation médicalement assistée et un couple d’hommes le droit à la gestation pour autrui. Mieux, il importerait d’accorder à tout un chacun le bénéfice de ces techniques substitutives à la reproduction naturelle. Qu’on soit, hétérosexuel ou homosexuel, en capacité de procréer ou pas, on serait fondé en toute circonstance à avoir un enfant. Principe d’égalité devant de la loi oblige. À cet instant de notre propos, le mythe de la première femme Pandore se rappelle à nous…Il devrait se rappeler à tout un chacun.
Ce monde du XXIe siècle, en France (pour ce qui nous occupe), est en pleine mutation. Il doit être en quête de nouveaux repères. Que disent les intellectuels sur ce sujet ? Rien et c’est regrettable. Soit on ne leur donne pas la parole. Soit il ne parle pas assez fort. Soit on ne les écoute pas. Dans tous les cas, la discussion est réduite à la portion congrue. Et il aura fallu le rejet de ce droit sous étude par le Sénat pour qu’on s’interroge (Sénat, 2 et 3 févr. 2021, 2nde lecture du projet de loi. V. déjà en ce sens, Sénat, 1ère lecture du projet de loi, 4 févr. 2020 : projet art. 310 A nouv. c.civ. Nul n’a de droit à l’enfant).
Des législateurs sont en passe de se laisser convaincre qu’il importe de consacrer un droit à l’enfant. C’est très certainement leur responsabilité. Il serait temps que des sachants s’appliquent à éclairer le Législateur sur les tenants et aboutissants du choix qu’il est en passe de faire.
Il faut avoir à l’esprit qu’on ne pourra pas raisonnablement reconnaître (pour l’essentiel) un droit à la procréation médicalement assistée aux unes sans accorder le droit à la gestation pour autrui aux uns. L’Académie des sciences morales et politiques s’est prononcée en ce sens. Ses estimables membres sont particulièrement avisés. Le droit à l’enfant ne saurait être réservé à quelques uns. À défaut, le système serait voué aux gémonies.
Un pareil système, aussi ingénieux et subtil qu’il pourrait être, est-il faisable ? La réponse est bien entendu oui. L’appel aux expériences étrangères fait partie de l’argumentaire courant de ses partisans, qui usent et abusent de la comparaison à l’appui de leur projet abracadabrantesque. De tous temps, les voyageurs ont vu des choses merveilleuses, et les ont racontées (Carbonnier). Mais comparaison n’est pas raison. Le système est faisable, disions-nous. Est-il souhaitable ? Pour notre part, nous doutons fortement. Nous voulons croire que le droit à l’enfant ne saurait être autre chose qu’une énième incantation (un faux droit). Et ce serait tant mieux. Car, à défaut, on assisterait alors à la reconnaissance du droit à une personne parce que d’aucuns ont les moyens de l’avoir.
Avoir et être.- Comprenez que la mise à disposition des utilités du corps de nos concitoyennes (entre autres femmes concernées) – car c’est bien de cela dont on parle au fond – ne saurait être faite sans aucune contrepartie (à court ou moyen terme). Le désir irrépressible des uns d’avoir un être rencontrera invariablement l’aspiration, tout aussi irrépressible, des autres de moyenner une partie de leur être pour avoir. Ainsi va la loi du marché, ainsi va la loi de l’offre et de la demande. Les premiers seront les chantres d’une société qui porte aux nues celles et ceux qui ont la capacité à acquérir aujourd’hui tous les biens, demain une personne (en tout ou partie). Les seconds seront leurs victimes expiatoires. Et nous ne parlons-là que des victimes directes. Car il en est maintes autres par ricochets : il n’est que de penser à ses orphelins qui, pour mieux être, cherchent à avoir un parent et dont la quête sera rendue encore plus ardue qu’on pourrait, tout un chacun, avoir un enfant en se contentant de louer les utilités du corps d’une femme servante / servile. Voilà une nouvelle économie diront les pragmatiques et les chantres du libéralisme exacerbé : l’industrie et le service réunis : « What else » !
Question.- Nous doutons que la consécration d’un droit à l’enfant participe de l’amélioration sinon de l’Humanité à tout le moins de notre société. Nous doutons que la réification des personnes, leur transformation en vulgaire choses consomptibles, permette jamais d’assurer la concorde.
On a écrit « moins on est, moins on exprime sa vie ; plus on a, plus on aliène sa vie » (Marx). La formule mériterait d’être en partie corrigée. Ne devrait-on pas plutôt dire : « moins on est, moins on exprime sa vie ; plus on a plus on aliène la vie » ?
Nous n’avons aucune certitude sur le sujet. Demandons-nous si “avoir ou être ? Telle devrait plutôt la question”.
No comment yet, add your voice below!