En vertu de la liberté des conventions matrimoniales dont ils jouissent, les époux ne sont pas seulement libres de choisir le régime matrimonial qui leur sied, peu importe qu’il soit ou non prévu par le Code civil ou par une loi étrangère, ils disposent également de la faculté d’aménager le régime pour lequel ils optent.
Pour ce faire, ils peuvent :
- Soit combiner des régimes matrimoniaux préexistants entre eux
- Soit aménager les règles d’un régime préexistant
Nous nous focaliserons ici sur la seconde hypothèse.
L’aménagement des règles d’un régime préexistant est de loin la situation la plus courante.
Il s’agira, en substance, pour les époux de modifier le régime matrimonial pour lequel ils ont opté selon des modalités diverses.
Il pourra s’agir d’aménager, tantôt la répartition des biens, tantôt la répartition des pouvoirs, sous réserve de ne pas contrevenir à l’ordre public matrimonial.
Aménagements portant sur le régime de la séparation de biens | Aménagements portant sur le régime de la participation aux acquêts | |
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AMÉNAGEMENT DES REGLES DE COMPOSITION DES PATRIMOINES | • L’article 1538 du Code civil qui prévoit que « les biens sur lesquels aucun des époux ne peut justifier d'une propriété exclusive sont réputés leur appartenir indivisément, à chacun pour moitié. » • Ainsi, en cas de doute sur la propriété d’un bien, cette disposition instaure une présomption d’indivision. • Reste que, en cas de litige, cette issue sera, la plupart du temps, envisagée par les époux comme un dernier recours. Ces derniers chercheront toujours à prouver que le bien disputé leur appartient de manière exclusive. • Afin de faciliter cette preuve, il est d’usage d’instituer conventionnellement des présomptions de propriété qui consistent à stipuler que telle catégorie de biens est réputée à partir à tel époux. • À cet égard, l’article 1538, al. 2e du Code civil prévoit que « les présomptions de propriété énoncées au contrat de mariage ont effet à l'égard des tiers aussi bien que dans les rapports entre époux, s'il n'en a été autrement convenu ». • Il résulte de cette disposition que les clauses instituant une présomption de propriété sont opposables erga omnes, ce qui implique que les époux sont fondés à s’en prévaloir à l’égard des tiers. | Clauses instituant des présomptions de propriété |
• En application de l’article 1569 du Code civil, quand les époux ont déclaré se marier sous le régime de la participation aux acquêts, chacun d'eux conserve l'administration, la jouissance et la libre disposition de ses biens personnels, sans distinguer entre ceux qui lui appartenaient au jour du mariage ou lui sont advenus depuis par succession ou libéralité et ceux qu'il a acquis pendant le mariage à titre onéreux. • Comme pour le régime de la séparation de biens, l’adoption du régime de la participation aux acquêts est susceptible de donner lieu à des difficultés qui tiennent à la preuve des biens acquis par les époux au cours de leur union. • Afin de prévenir toute difficulté de reconstitution des masses lors de la liquidation de leur régime matrimonial, ils disposent alors de la faculté d’aménager, en amont leur régime. • Pour ce faire, il est d’usage d’instituer conventionnellement des présomptions de propriété qui consistent à stipuler que telle catégorie de biens est réputée à partir à tel époux. • À cet égard, il peut être observé que les clauses instituant une présomption de propriété sont opposables erga omnes, ce qui implique que les époux sont fondés à s’en prévaloir à l’égard des tiers. |
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Clauses aménageant la composition des patrimoines initiaux et finaux | ||
• Parce que le régime de la participation aux acquêts consiste à fonctionner selon la modalité de la séparation de biens au cours du mariage, et puis de donner lieu à la constitution d’une masse commune au moment de sa liquidation, la consistance du patrimoine des époux doit être envisagée à ces deux stades de l’union matrimoniale. • Il y a donc lieu de distinguer le patrimoine originaire du patrimoine final. • Cette composition des patrimoines originaires et finaux des époux n’est pas figée. • Les époux disposent de la faculté d’ajouter et de retrancher un ou plusieurs biens de l’un ou l’autre de ces patrimoines. • L’enjeu est d’accroître ou de réduire le quantum de la créance de participation qui sera calculée au jour de la liquidation du régime. |
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AMÉNAGEMENT DES REGLES DE LIQUIDATION DU RÉGIME | Les clauses de partage inégal | Les clauses relatives au partage de la créance de participation |
• Les époux qui optent pour le régime de la séparation de biens disposent de la faculté d’aménager le sort des biens indivis. • Il leur est, en effet, loisible de stipuler une clause, dite de partage inégale, qui consiste à prévoir une clé de répartition différente de celle qui résulte de la quote-part qu’il détienne sur tel ou tel bien. • Pour exemple, si les époux sont propriétaires indivis pour moitié d’un immeuble, ils peuvent stipuler que le conjoint survivant se verra attribuer au jour de la dissolution du régime une quote-part qui représente les trois-quarts de l’indivision voire l’intégralité de la propriété du bien. • Cette clause de partage inégale peut également être envisagée s’agissant de la répartition du passif attaché au patrimoine des époux séparés de biens. | La clause de partage inégal | |
• Cette clause, qui n’est pas sans faire écho à la stipulation de parts inégales proposée par l’article 1520 du Code civil aux époux qui optent pour un régime communautaire, vise à octroyer au conjoint survivant une part des acquêts plus importante que celle qui lui est réservée par défaut par la loi, soit la moitié. • L’établissement de la clé de répartition est à la discrétion des époux dont la liberté ne se heurte à aucune limite. • Il leur est donc possible de prévoir que la totalité des acquêts serait attribuée au conjoint survivant. • Ils peuvent encore stipuler que le conjoint survivant conserverait une catégorie spécifique de biens (immeubles, titres sociaux, droits d’auteur, etc.). • Il peut être observé que, si l’article 1520 n’envisage l’application de la clause de partage inégale qu’en cas de dissolution du mariage pour cause de décès, rien n’interdit les époux de prévoir une autre cause de dissolution. • S’agissant du montant de la créance de participation dont le partage a été aménagé par les époux, il sera calculé en appliquant les proportions définies dans le contrat de mariage à l’excédent net des acquêts réalisés par l’époux qui s’est le plus enrichi au cours du mariage. • Une partie de la doctrine suggère que ce calcul pourrait être réalisé en fusionnant les deux masses d’acquêts réalisés par les époux et d’appliquer à cette masse les proportions définies dans le contrat de mariage. • Afin de prévenir toute difficulté d’interprétation de l’article 1581, al. 2e du Code civil, il est souhaitable que les époux précisent dans leur contrat de mariage la modalité de calcul qu’ils entendent retenir. |
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La clause d’attribution intégrale des acquêts | ||
• Cette clause consiste à attribuer au conjoint survivant la totalité des biens qui relèvent de la masse formée par les acquêts. • Elle n’est autre qu’une application au régime de la participation aux acquêts de la clause d’attribution intégrale proposé par l’article 1524 du Code civil aux époux qui ont opté pour un régime communautaire. • À la différence de la clause de partage inégale, la clause d’attribution intégrale ne peut être stipulée que pour le cas de survie (V. en ce sens art. 1581, al. 2e in fine). • Il est néanmoins possible de prévoir qu’elle jouera pour un époux déterminé ou au profit de celui qui survivra. • S’agissant, enfin, du calcul de la créance de participation attribuée au conjoint survivant, comme pour la clause de partage inégale, les époux disposent de deux options • Soit, ils adoptent le mode de calcul proposé par l’article 1581, auquel cas l’attribution au conjoint survivant portera sur « la totalité des acquêts nets faits par l’autre époux ». • Soit, ils adoptent le mode de calcul qui consiste à attribuer le seul excédent des acquêts nets réalisés par l’autre époux par rapport à ceux réalisés par le bénéficiaire de la clause. • Faute de stipulation dans le contrat de mariage, est le premier mode de calcul qui s’appliquera. |
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Les clauses relatives au règlement des créances entre époux | Les clauses relatives au règlement de la créance de participation | |
• Pour mémoire, les créances entre époux interviennent en présence de mouvements de valeurs entre les deux masses de biens propres des époux. • En application de l’article 1542 du Code civil, lequel renvoie aux règles énoncées à l’article 1479 du Code civil les époux sont expressément autorisés à prévoir une modalité d’évaluation des créances qu’ils détiennent l’un contre l’autre différente de celle proposé par la loi. • Ils peuvent notamment stipuler qu’il ne sera procédé à aucune réévaluation de la créance au jour de son exigibilité ou encore prévoir que l’évaluation se fera selon les règles énoncées aux deux premiers alinéas de l’article 1469 écartées, par défaut, par l’article 1479 du Code civil. | • L’article 1581, al. 3e du Code civil prévoit qu’il peut « être convenu entre les époux que celui d'entre eux qui, lors de la liquidation du régime, aura envers l'autre une créance de participation, pourra exiger la dation en paiement de certains biens de son conjoint, s'il établit qu'il a un intérêt essentiel à se les faire attribuer. » • Les époux sont ainsi autorisés à aménager les modalités de règlement de la créance de participation. • Plus précisément, ils peuvent convenir que le règlement de cette créance pourra se faire par voie de « dation en paiement », ce qui consistera à attribuer au bénéficiaire un ou plusieurs biens qu’il y aura lieu de déterminer dans le contrat de mariage, au lieu d’une somme d’argent. • À cet égard, il peut être observé que le texte subordonne la mise en œuvre de la clause à l’établissement par son bénéficiaire de l’existence d’un intérêt à se les faire attribuer. • Faute d’être en mesure de rapporter la preuve de cet intérêt, le règlement de la créance de participation en nature pourra lui être contesté. • Afin de prévenir toute situation conflictuelle liée à la caractérisation d’un « intérêt essentiel », les époux peuvent déroger à la règle posée à l’article 1581, al. 3e en prévoyant que la demande d’exécution en nature formulée par l’époux créancier est de droit. • Ils peuvent encore stipuler que l’exécution en nature de la créance de participation présentera un caractère obligatoire sans possibilité pour le bénéficiaire de la clause de réclamer son paiement en argent. • Par ailleurs, la liberté matrimoniale dont jouissent les époux les autorise à désigner un tiers comme bénéficiaire de la clause qui aura donc vocation à percevoir la créance de participation. • Ils sont également libres de limiter les causes de dissolution susceptible de donner lieu à l’application de la clause, en prévoyant, par exemple, qu’elle ne pourra jouer qu’en cas de décès d’un époux. |
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Les clauses d’attribution au conjoint survivant de biens personnels de l’époux prédécédé | ||
• L’article 1390 du Code civil prévoit que les époux peuvent « stipuler qu'à la dissolution du mariage par la mort de l'un d'eux, le survivant a la faculté d'acquérir ou, le cas échéant, de se faire attribuer dans le partage certains biens personnels du prédécédé, à charge d'en tenir compte à la succession, d'après la valeur qu'ils ont au jour où cette faculté sera exercée. » • Ainsi, peut-il être insérée dans le contrat de mariage une clause consistant à attribuer au conjoint survivant un ou plusieurs biens appartenant en propre à l’époux prédécédé, moyennant l’octroi d’une indemnité réglée à la succession. • Le second alinéa de ce texte précise que « la stipulation peut prévoir que l'époux survivant qui exerce cette faculté peut exiger des héritiers que lui soit consenti un bail portant sur l'immeuble dans lequel l'entreprise attribuée ou acquise est exploitée ». • S’agissant du régime de la clause d’attribution au conjoint survivant d’un bien personnel de l’époux prédécédé, il est susceptible de faire l’objet d’aménagements par les époux. • Ces aménagements peuvent consister à attribuer n’importe quelle sorte de bien ou démembrement de propriété pourvu, d’une part, qu’ils relèvent du patrimoine personnel de l’époux prédécédé et, d’autre part, qu’ils soient expressément visés dans le contrat de mariage. • Ils peuvent encore porter sur la personne du bénéficiaire de la clause qui peut être un époux déterminé. La seule exigence, c’est que la clause soit stipulée à la faveur d’un époux survivant. • Les époux sont, par ailleurs, autorisés à aménager les modalités d’évaluation de l’indemnité due en contrepartie de l’attribution du bien (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 24 juin 1969). • En l’absence de stipulation contraire, l’article 1390 du Code civil prévoit que, par défaut, l’indemnité se calcule d'après la valeur des biens attribués qu'ils ont au jour où le conjoint survivant exerce le droit que lui confère la clause. • L’aménagement réalisé par les époux peut, en outre, conformément à l’article 1391 du Code civil, consister à fixer les bases des modalités de paiement de l’indemnité. • Il leur est notamment permis de prévoir un paiement échelonné ou différé dans le temps. • La seule limite à laquelle est susceptible de se heurter l’aménagement qui porterait sur les modalités d’évaluation et de paiement de l’indemnité n’est autre que l’action en réduction dont sont titulaires les héritiers réservataires s'il y a avantage matrimonial indirect. • Cette action pourra être mise en œuvre lorsque, après l’exercice par le conjoint survivant de son droit de prélèvement, il ne restera pas suffisamment de biens dans le patrimoine personnel de l’époux décédé pour remplir les héritiers réservataires de leurs droits |
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AMENAGEMENT DES REGLES D’ADMINISTRATION DES BIENS | • Lorsque les époux sont mariés sous un régime séparatiste, ils ne disposent d’aucune marge de manœuvre quant à aménager la gestion de leurs biens. • La raison en est que le régime primaire le leur interdit à double titre : ==> D’une part, l’article 225 du Code civil prévoit que « chacun des époux administre, oblige et aliène seul ses biens personnels ». • Est ainsi prohibée ce que l’on appelait jadis la clause d’unité d’administration qui était envisagée aux anciens articles 1505 à 1510 du Code civil abrogés par la loi du 13 juillet 1965. • Il n’est donc désormais plus possible de prévoir que la gestion des biens propres d’un époux (historiquement l’épouse) serait confiée au conjoint. ==> D’autre part, l’article 218 du Code civil prévoit que, si « un époux peut donner mandat à l'autre de le représenter dans l'exercice des pouvoirs que le régime matrimonial lui attribue », il précise in fine que, « dans tous les cas, ce mandat doit pouvoir être librement révoqué ». • Interdiction est donc faite aux époux de stipuler une clause de représentation mutuelle qui consisterait à se donner irrévocablement mandat quant à la gestion de leurs biens respectifs. • Une telle clause serait nulle, dans la mesure où les mandats entre époux doivent toujours pouvoirs être révoqués. |
[1] J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand Colin, 2001, n°159, p.149.