Le Droit dans tous ses états

LE DROIT DANS TOUS SES ETATS

RGPD: le régime d’interdiction

==> La loi du 6 janvier 1978

Dans sa version initiale, la loi informatique et libertés prévoyait des formalités préalables différentes selon la qualité du responsable du traitement

  • Principe
    • Les traitements automatisés de données à caractère personnel opérés pour le compte de l’Etat, des établissements publics, des collectivités territoriales et des personnes morales de droit privé gérant un service public étaient présumés dangereux et requéraient, à ce titre, un avis de la CNIL, puis un acte réglementaire d’autorisation.
      • Cet avis était réputé favorable au terme d’un délai de deux mois, renouvelable une fois.
      • S’il était défavorable, il ne pouvait être passé outre que par un décret pris sur avis conforme du Conseil d’Etat ou, s’agissant des collectivités territoriales, en vertu d’une décision de l’organe délibérant approuvée par décret pris sur avis conforme du Conseil d’Etat (article 15)
  • Exception
    • Les traitements des autres personnes morales (notamment les sociétés civiles ou commerciales et les associations) étaient soumis à un simple régime de déclaration associé à un engagement de conformité du traitement aux exigences de la loi.

==> La loi du 6 août 2004

Transposant la directive européenne du 24 octobre 1995 relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, la loi du 6 août 2004 a mis un terme à la distinction fondé sur le critère organique (secteur public / secteur privé) quant à déterminer les formalités à accomplir préalablement à la mise en œuvre d’un traitement.

Désormais, la loi établit une distinction, fondée sur un critère matériel, entre les données, en prévoyant que les formalités peuvent être allégées pour « les catégories les plus courantes de traitements à caractère public ou privé, qui ne comportent manifestement pas d’atteinte à la vie privée ou aux libertés ».

Ainsi, ce qui est pris en considération, c’est le risque que représente le traitement à l’égard du droit des personnes.

Tandis que les traitements de données non sensibles sont soumis à un régime de déclaration, les traitements de données sensibles sont soumis à un régime d’autorisation.

  • Principe : le régime de déclaration
    • Pour les données non sensibles, une simple déclaration de conformité aux normes simplifiées élaborées par la CNIL était exigée.
    • La LIL est allée plus loin en prévoyant qu’une dispense de déclaration pouvait être accordée en cas de désignation, par le responsable du traitement, d’un correspondant chargé d’assurer « d’une manière indépendante», l’application de la loi en matière de données à caractère personnel et garantissant que les traitements ne sont pas « susceptibles de porter atteinte aux droits et libertés des personnes concernées. »
    • La dispense de déclaration ainsi introduite était néanmoins soumise à certaines conditions censées en garantir l’efficacité tout en contrôlant sa portée :
      • Le champ d’application de l’exonération ne s’applique pas dans l’hypothèse où un transfert de données à destination d’un État non membre de l’union européenne est envisagé mais concerne, en revanche, les traitements relevant de la procédure de l’autorisation préalable, ce qui ne semble pas souhaitable compte tenu de leur nature et de leurs risques, supposés ou réels, pour les libertés individuelles.
      • Le correspondant avait pour obligation de « tenir un registre des traitements effectués immédiatement accessibles à toute personne en faisant la demande». L’intérêt de l’introduction de ce correspondant était de limiter les fichiers clandestins puisque la tenue du registre conduirait à « révéler » à l’autorité de contrôle les fichiers auparavant non déclarés ;
      • Le correspondant ne pouvait faire l’objet « d’aucune sanction de la part de l’employeur du fait de l’accomplissement de ses missions», bien qu’il ne s’agisse pas juridiquement d’un salarié « protégé » au sens du droit du travail
      • Le correspondant pouvait saisir la CNIL des difficultés qu’il rencontrait dans l’exercice de sa mission, celle-ci devant se voir notifier toute désignation d’un correspondant
      • En cas de manquement à ses devoirs, le correspondant pouvait être révoqué « sur demande ou après consultation» de la CNIL.
  • Exception : le régime d’autorisation
    • Lorsque le traitement concernait des données à caractère personnel pouvant être qualités de sensibles, celui-ci était soumis à un régime d’autorisation :
      • La mise en œuvre de traitements d’informations relatives aux origines raciales, opinions politiques, philosophiques ou religieuses, appartenances syndicales ou mœurs était subordonnée au consentement exprès de l’intéressé ou à l’existence d’un motif d’intérêt public sur proposition ou avis conforme de la CNIL après décret en Conseil d’Etat ;
      • L’utilisation à des fins de traitement nominatif du numéro de sécurité sociale était soumise à autorisation par décret en Conseil d’Etat, après avis de la CNIL
      • Les informations sur les condamnations pénales ne pouvaient être utilisées que par des juridictions et autorités publiques agissant dans le cadre de leurs attributions légales ou par des personnes morales gérant un service public sur avis conforme de la CNIL (article 30) ;
      • Les données médicales, bien que ne constituant pas des données sensibles interdites, étaient soumises à des régimes particuliers.

==> La loi du 20 juin 2018

Transposant le Règlement général sur a protection des données (RGPD), la loi du 20 juin 2018 simplifie, en les supprimant la plupart du temps, les formalités préalables imposées par la loi de 1978, qu’il s’agisse des obligations de déclaration ou d’autorisation.

Ces formalités sont remplacées par l’obligation, pour le responsable du traitement, d’effectuer préalablement une analyse d’impact en cas de risque élevé pour les droits et libertés de la personne concernée et, le cas échéant, de consulter la CNIL.

Toutefois, comme l’autorise le règlement, la loi maintient des formalités préalables pour certains traitements.

Pour les données les plus sensibles, leur traitement est purement et simplement interdit par la loi informatique et libertés

Au bilan, trois sortes de régimes juridiques sont applicables aux traitements de données à caractère personnel :

  • Un régime de responsabilité
  • Un régime d’autorisation
  • Un régime de d’interdiction

S’agissant de ce dernier régime, deux catégories de données à caractère personnel ne peuvent, par principe, faire l’objet d’un traitement :

  • Les données sensibles
  • Les données d’infraction

I) Les données sensibles

==> Principe

Les données sensibles, au sens de la loi informatique et libertés, sont de deux ordres :

  • D’une part, il s’agit des données qui révèlent la prétendue origine raciale ou l’origine ethnique, les opinions politiques, les convictions religieuses ou philosophiques ou l’appartenance syndicale d’une personne physique
  • D’autre part, il s’agit des données génétiques, des données biométriques aux fins d’identifier une personne physique de manière unique, des données concernant la santé ou des données concernant la vie sexuelle ou l’orientation sexuelle d’une personne physique.

Pour ces données dites sensibles, le principe posé à l’article 8 de la loi informatique et libertés c’est l’interdiction du traitement. Une justification à cette interdiction est avancée au considérant 51 du RGPD.

Aux termes de ce considérant, il est précisé que les données à caractère personnel qui sont, par nature, particulièrement sensibles du point de vue des libertés et des droits fondamentaux méritent une protection spécifique, car le contexte dans lequel elles sont traitées pourrait engendrer des risques importants pour ces libertés et droits.

==> Exceptions

Le principe d’interdiction de traitement des données sensibles est assorti de plusieurs exceptions :

  • Les traitements pour lesquels la personne concernée a donné son consentement exprès, sauf dans le cas où la loi prévoit que l’interdiction visée au I ne peut être levée par le consentement de la personne concernée ;
  • Les traitements nécessaires à la sauvegarde de la vie humaine, mais auxquels la personne concernée ne peut donner son consentement par suite d’une incapacité juridique ou d’une impossibilité matérielle ;
  • Les traitements mis en œuvre par une association ou tout autre organisme à but non lucratif et à caractère religieux, philosophique, politique ou syndical :
    • Pour les seules données mentionnées au I correspondant à l’objet de ladite association ou dudit organisme ;
    • Sous réserve qu’ils ne concernent que les membres de cette association ou de cet organisme et, le cas échéant, les personnes qui entretiennent avec celui-ci des contacts réguliers dans le cadre de son activité ;
    • Et qu’ils ne portent que sur des données non communiquées à des tiers, à moins que les personnes concernées n’y consentent expressément ;
  • Les traitements portant sur des données à caractère personnel rendues publiques par la personne concernée ;
  • Les traitements nécessaires à la constatation, à l’exercice ou à la défense d’un droit en justice ;
  • Les traitements nécessaires aux fins de la médecine préventive, des diagnostics médicaux, de l’administration de soins ou de traitements, ou de la gestion de services de santé et mis en œuvre par un membre d’une profession de santé, ou par une autre personne à laquelle s’impose en raison de ses fonctions l’obligation de secret professionnel prévue par l’article 226-13 du code pénal ;
  • Les traitements statistiques réalisés par l’Institut national de la statistique et des études économiques ou l’un des services statistiques ministériels dans le respect de la loi n° 51-711 du 7 juin 1951 sur l’obligation, la coordination et le secret en matière de statistiques, après avis du Conseil national de l’information statistique ;
  • Les traitements comportant des données concernant la santé justifiés par l’intérêt public
  • Les traitements conformes aux règlements types mentionnés au b du 2° du I de l’article 11 mis en œuvre par les employeurs ou les administrations qui portent sur des données biométriques strictement nécessaires au contrôle de l’accès aux lieux de travail ainsi qu’aux appareils et aux applications utilisés dans le cadre des missions confiées aux salariés, aux agents, aux stagiaires ou aux prestataires ;
  • Les traitements portant sur la réutilisation des informations publiques figurant dans les jugements et décisions mentionnés, respectivement, à l’article L. 10 du code de justice administrative et à l’article L. 111-13 du code de l’organisation judiciaire, sous réserve que ces traitements n’aient ni pour objet ni pour effet de permettre la réidentification des personnes concernées ;
  • Les traitements nécessaires à la recherche publique au sens de l’article L. 112-1 du code de la recherche, mis en œuvre dans les conditions prévues au 2 de l’article 9 du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016, après avis motivé et publié de la Commission nationale de l’informatique et des libertés rendu selon les modalités prévues à l’article 28 de la loi informatique et libertés.
  • Les traitements portant sur des données sensibles qui sont appelées à faire l’objet, à bref délai, d’un procédé d’anonymisation préalablement reconnu conforme à la loi informatique et libertés par la CNIL.
  • Les traitements, automatisés ou non, justifiés par l’intérêt public et autorisés par la CNIL.

II) Les données d’infraction

==> Le RGPD

L’article 10 du RGPD prévoit que le traitement des données à caractère personnel relatives aux condamnations pénales et aux infractions ou aux mesures de sûreté connexes ne peut être effectué que sous le contrôle de l’autorité publique, ou si le traitement est autorisé par le droit de l’Union ou par le droit d’un ‘État membre qui prévoit des garanties appropriées pour les droits et libertés des personnes concernées.

Tout registre complet des condamnations pénales ne peut être tenu que sous le contrôle de l’autorité publique.

==> La loi informatique et libertés

Aux termes de l’article 9 de la loi informatique et libertés les traitements de données à caractère personnel relatives aux condamnations pénales, aux infractions ou aux mesures de sûreté connexes ne peuvent être effectués que par :

  • Les juridictions, les autorités publiques et les personnes morales gérant un service public, agissant dans le cadre de leurs attributions légales ainsi que les personnes morales de droit privé collaborant au service public de la justice et appartenant à des catégories dont la liste est fixée par décret en Conseil d’Etat, pris après avis motivé et publié de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, dans la mesure strictement nécessaire à leur mission ;
  • Les auxiliaires de justice, pour les stricts besoins de l’exercice des missions qui leur sont confiées par la loi
  • Les personnes physiques ou morales, aux fins de leur permettre de préparer et, le cas échéant, d’exercer et de suivre une action en justice en tant que victime, mise en cause, ou pour le compte de ceux-ci et de faire exécuter la décision rendue, pour une durée strictement proportionnée à ces finalités. La communication à un tiers n’est alors possible que sous les mêmes conditions et dans la mesure strictement nécessaire à la poursuite de ces mêmes finalités ;
  • Les personnes morales mentionnées aux articles L. 321-1 et L. 331-1 du code de la propriété intellectuelle, agissant au titre des droits dont elles assurent la gestion ou pour le compte des victimes d’atteintes aux droits prévus aux livres Ier, II et III du même code aux fins d’assurer la défense de ces droits ;
  • Les réutilisateurs des informations publiques figurant dans les jugements mentionnés à l’article L. 10 du code de justice administrative et les décisions mentionnées à l’article L. 111-13 du code de l’organisation judiciaire, sous réserve que les traitements mis en œuvre n’aient ni pour objet ni pour effet de permettre la réidentification des personnes concernées.

==> Conseil constitutionnel

La loi n° 2018-493 du 20 juin 2018 relative à la protection des données personnelles transposant l’article 10 du RGPD, a été censurée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2018-765 DC du 12 juin 2018, en son article 9, al. 1.

Après avoir rappelé que l’article 10 du RGPD n’autorise le traitement de données à caractère personnel en matière pénale ne relevant pas de la directive du même jour que dans certaines hypothèses, parmi lesquelles figure la mise en œuvre de tels traitements « sous le contrôle de l’autorité publique », le Conseil constitutionnel a jugé : « Le législateur s’est borné à reproduire ces termes dans les dispositions contestées, sans déterminer lui-même ni les catégories de personnes susceptibles d’agir sous le contrôle de l’autorité publique, ni quelles finalités devraient être poursuivies par la mise en œuvre d’un tel traitement de données.

En raison de l’ampleur que pourraient revêtir ces traitements et de la nature des informations traitées, il a été jugé que ces dispositions affectaient, par leurs conséquences, les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques.

Dès lors, les mots « sous le contrôle de l’autorité publique ou » ont été considérés comme entachés « d’incompétence négative » (paragr. 45).

Pour rappel, le principe d’incompétence négative signifie qu’il échoit au législateur d’exercer pleinement sa compétence pour fixer les règles relatives aux garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques

A cet égard les dispositions déférées au contrôle du Conseil constitutionnel avaient ceci de spécifique qu’elles autorisaient la mise en œuvre d’un traitement de données en matière pénale, sans préciser en rien quelles personnes pouvaient bénéficier de cette autorisation, ni au nom de quelles finalités.

Dans ses observations devant le Conseil constitutionnel, le Premier ministre, afin de défendre la constitutionnalité de la disposition figurant au 1° de l’article 13, faisait valoir qu’elle « reprenait les termes mêmes des dispositions précises et inconditionnelles de l’article 10 du RGPD et ne saurait donc être utilement contestée ».

Toutefois, d’une part, d’une manière générale, ainsi que cela résultait de la jurisprudence du Conseil constitutionnel en matière de transposition de directives, les exigences constitutionnelles découlant de l’article 88-1 ne priment pas sur les règles de compétence fixées dans la Constitution et, dès lors, ne limitent pas le pouvoir du juge constitutionnel de s’assurer que le législateur n’est pas resté en deçà de sa propre compétence, y compris lorsqu’il s’est borné à tirer les conséquences nécessaires de dispositions européennes.

D’autre part, en l’espèce, le Conseil constitutionnel a considéré que l’article 10 du RGPD, qui autorise, par exception, les États membres à prévoir des traitements de données à caractère personnel relatives aux condamnations pénales, aux infractions et aux mesures de sûreté, ne limite pas les garanties qui peuvent, dans ce cas, être adoptées par chaque État, en plus de celles énoncées par le RGPD.

Or, au regard des exigences de l’article 34 de la Constitution, le Conseil constitutionnel a jugé que le législateur ne pouvait se borner à reproduire à l’identique les termes « sous le contrôle de l’autorité publique » figurant à l’article 10 du RGPD, sans préciser les catégories de personnes susceptibles de mettre en œuvre, sous un tel contrôle, des traitements de données personnelles en matière pénale, et sans préciser les finalités d’un tel traitement.

Compte tenu de leur portée indéterminée, le Conseil constitutionnel a souligné, dans le sillage de sa décision n° 2004-499 DC, que les dispositions contestées affectaient les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques, qui relèvent de la compétence du législateur, en raison de l’ampleur que pourraient revêtir ces traitements et de la nature des informations traitées.

Il a donc censuré ces dispositions comme entachées d’incompétence négative.

Compte tenu de cette censure, dès lors que l’article 10 du règlement européen dispose qu’un tel traitement de données personnelles en matière pénale ne peut – notamment – « être effectué que sous le contrôle de l’autorité publique », il revient donc au législateur, s’il souhaite adapter le droit interne à ces dispositions, de préciser quelles catégories de personnes pourraient en bénéficier et au nom de quelles finalités.

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