Le Droit dans tous ses états

LE DROIT DANS TOUS SES ETATS

L’insanité d’esprit comme cause de nullité du contrat

La question qui se pose ici est de savoir si les parties ont voulu contracter l’une avec l’autre ?

?La difficile appréhension de la notion de consentement

Simple en apparence, l’appréhension de la notion de consentement n’est pas sans soulever de nombreuses difficultés.

Que l’on doit exactement entendre par consentement ?

Le consentement est seulement défini de façon négative par le Code civil, les articles 1129 et suivants se bornant à énumérer les cas où le défaut de consentement constitue une cause de nullité du contrat.

L’altération de la volonté d’une partie est, en effet, susceptible de renvoyer à des situations très diverses :

  • L’une des parties peut être atteinte d’un trouble mental
  • Le consentement d’un contractant peut avoir été obtenu sous la contrainte physique ou morale
  • Une partie peut encore avoir été conduite à s’engager sans que son consentement ait été donné en connaissance de cause, car une information déterminante lui a été dissimulée
  • Une partie peut, en outre, avoir été contrainte de contracter en raison de la relation de dépendance économique qu’elle entretient avec son cocontractant
  • Un contractant peut également s’être engagé par erreur

Il ressort de toutes ces situations que le défaut de consentement d’une partie peut être d’intensité variable et prendre différentes formes.

La question alors se pose de savoir dans quels cas le défaut de consentement fait-il obstacle à la formation du contrat ?

Autrement dit, le trouble mental dont est atteinte une partie doit-il être sanctionné de la même qu’une erreur commise par un consommateur compulsif ?

?Existence du consentement et vice du consentement

Il ressort des dispositions relatives au consentement que la satisfaction de cette condition est subordonnée à la réunion de deux éléments :

  • Le consentement doit exister
    • À défaut, le contrat n’a pas pu se former dans la mesure où l’une des parties n’a pas exprimé sa volonté
    • Or cela constitue un obstacle à la rencontre de l’offre et l’acceptation.
    • Dans cette hypothèse, l’absence de consentement porte dès lors, non pas sur la validité du contrat, mais sur sa conclusion même.
    • Autrement dit, le contrat est inexistant.
  • Le consentement ne doit pas être vicié
    • À la différence de l’hypothèse précédente, dans cette situation les parties ont toutes deux exprimé leurs volontés.
    • Seulement, le consentement de l’une d’elles n’était pas libre et éclairé :
      • soit qu’il n’a pas été donné librement
      • soit qu’il n’a pas été donné en connaissance de cause
    • En toutes hypothèses, le consentement de l’un des cocontractants est vicié, de sorte que le contrat, s’il existe bien, n’en est pas moins invalide, car entaché d’une irrégularité.

Nous ne nous focaliserons ici que sur l’exigence relative à l’existence du consentement.

Le nouvel article 1129 du Code civil introduit par l’ordonnance du 10 février 2016 apporte une précision dont il n’était pas fait mention dans le droit antérieur.

Cette disposition prévoit, en effet, que « conformément à l’article 414-1, il faut être sain d’esprit pour consentir valablement à un contrat. ».

Plusieurs observations peuvent être formulées au sujet de cette exigence

?Contenu de la règle

L’article 1129 pose la règle selon laquelle l’insanité d’esprit constitue une cause de nullité du contrat

Autrement dit, pour pouvoir contracter il ne faut pas être atteint d’un trouble mental, à défaut de quoi on ne saurait valablement consentir à l’acte.

Il peut être observé que cette règle existait déjà à l’article 414-1 du Code civil qui prévoit que « pour faire un acte valable, il faut être sain d’esprit. »

Cette disposition est, de surcroît d’application générale, à la différence, par exemple de l’article 901 du Code civil qui fait également référence à l’insanité d’esprit mais qui ne se rapporte qu’aux libéralités.

L’article 1129 fait donc doublon avec l’article 414-1.

Il ne fait que rappeler une règle déjà existante qui s’applique à tous les actes juridiques en général

?Insanité d’esprit et incapacité juridique

L’insanité d’esprit doit impérativement être distinguée de l’incapacité juridique :

  • L’incapacité dont est frappée une personne a pour cause :
    • Soit la loi
      • Tel est le cas s’agissant de l’incapacité d’exercice général dont sont frappés les mineurs non émancipés.
    • Soit une décision du juge
      • Tel est le cas s’agissant de l’incapacité d’exercice dont sont frappées les personnes majeures qui font l’objet d’une tutelle, d’une curatelle, d’une sauvegarde de justice ou encore d’un mandat de protection future.
  • L’insanité d’esprit n’a pour cause la loi ou la décision d’un juge : son fait générateur réside dans le trouble mental dont est atteinte une personne.

Aussi, il peut être observé que toutes les personnes frappées d’insanité d’esprit ne sont pas nécessairement privées de leur capacité juridique.

Réciproquement, toutes les personnes incapables (majeures ou mineures) ne sont pas nécessairement frappées d’insanité d’esprit.

À la vérité, la règle qui exige d’être sain d’esprit pour contracter a été instaurée aux fins de protéger les personnes qui seraient frappées d’insanité d’esprit, mais qui jouiraient toujours de la capacité juridique de contracter.

En effet, les personnes placées sous curatelle ou sous mandat de protection future sont seulement frappées d’une incapacité d’exercice spécial, soit pour l’accomplissement de certains actes (les plus graves).

L’article 1129 du Code civil jouit donc d’une autonomie totale par rapport aux dispositions qui régissent les incapacités juridiques.

Il en résulte qu’une action en nullité fondée sur l’insanité d’esprit pourrait indifféremment être engagée à l’encontre d’une personne capable ou incapable.

?Notion d’insanité d’esprit

Le Code civil ne définit pas l’insanité d’esprit.

Aussi, c’est à la jurisprudence qu’est revenue cette tâche

Dans un arrêt du 4 février 1941, la Cour de cassation a jugé en ce sens que l’insanité d’esprit doit être regardée comme comprenant « toutes les variétés d’affections mentales par l’effet desquelles l’intelligence du disposant aurait été obnubilée ou sa faculté de discernement déréglée » (Cass. civ. 4 févr. 1941).

Ainsi, l’insanité d’esprit s’apparente au trouble mental dont souffre une personne qui a pour effet de la priver de sa faculté de discernement.

Il peut être observé que la Cour de cassation n’exerce aucun contrôle sur la notion d’insanité d’esprit, de sorte que son appréciation relève du pouvoir souverain des juges du fond (V. notamment en ce sens Cass. 1re civ., 24 oct. 2000, n°98-17.341).

Cass. civ. 4 févr. 1941

Vu l’article 901 du Code civil.

Attendu que l’insanité d’esprit prévue par ce texte comme cause de nullité des dispositions à titre gratuit émanées de celui qui en était atteint au moment de ces libéralités, comprend toutes les variétés d’affections mentales par l’effet desquelles l’intelligence du disposant aurait été obnubilée ou sa faculté de discernement déréglée ;

Attendu que, dans un chef subsidiaire de leurs conclusions d’appel, et pour le cas de rejet de leur demande principale tendant à l’annulation immédiate du testament, les héritiers du sang offraient de prouver par témoins que, dès avant le jugement d’interdiction du 11 mars 1903, et spécialement dans les mois précédents, la débilité mentale et la faiblesse d’esprit de la testatrice la rendaient incapable de régir ses biens et sa personne ; que pour repousser cette offre de preuve, l’arrêt attaqué a retenu dans un motif unique de droit, que par leur définition même et considérées d’une façon abstraite, la “débilité mentale” et la “faiblesse d’esprit” se différenciaient de l’imbécillité, de la démence et de la fureur, seules visées par l’article 489 (auquel ont été substitués les articles 414-1 et 414-2, al. 1er par L. n° 2007-308, 5 mars 2007) comme causes d’interdiction judiciaire et qui, seules, aux dires des juges, auraient pu motiver l’annulation du testament ;

Attendu qu’en restreignant ainsi la portée du mot “insanité d’esprit”, de l’article 901, la cour d’appel a violé ce texte, qui s’imposait à elle eu égard à la nature de la demande, et dont l’application était d’ailleurs requise par les demandeurs concurremment avec celle de l’article 503 (remplacé par l’actuel article 464 en une rédaction modifiée) ;

?Sanction de l’insanité d’esprit

En ce que l’insanité d’esprit prive le contractant de son consentement, elle est sanctionnée par la nullité du contrat.

Autrement dit, le contrat est réputé n’avoir jamais été conclu.

Il est anéanti rétroactivement, soit tant pour ses effets passés, que pour ses effets futurs.

Il peut être rappelé, par ailleurs, qu’une action en nullité sur le fondement de l’insanité d’esprit, peut être engagée quand bien même la personne concernée n’était pas frappée d’une incapacité d’exercice.

L’action en nullité pour incapacité et l’action en nullité pour insanité d’esprit sont deux actions bien distinctes.

La question enfin se pose du régime de la nullité en cas d’insanité d’esprit.

S’il ne fait guère de doute qu’il s’agit d’une nullité relative, dans la mesure où l’article 1129 vise à protéger un intérêt particulier quid de l’application du régime juridique attaché à l’article 414-1 ?

La nullité prévue à cet article est, en effet, régie par l’article 414-2 qui pose des conditions pour le moins restrictives lorsque l’action en nullité est introduite par les héritiers de la personne personnes protégée.

Cette disposition prévoit en ce sens que « après sa mort, les actes faits par lui, autres que la donation entre vifs et le testament, ne peuvent être attaqués par ses héritiers, pour insanité d’esprit, que dans les cas suivants :

  • 1° Si l’acte porte en lui-même la preuve d’un trouble mental ;
  • 2° S’il a été fait alors que l’intéressé était placé sous sauvegarde de justice ;
  • 3° Si une action a été introduite avant son décès aux fins d’ouverture d’une curatelle ou d’une tutelle ou aux fins d’habilitation familiale ou si effet a été donné au mandat de protection future. »

La question alors se pose si cette disposition est ou non applicable en matière contractuelle.

En l’absence de dispositions contraires, il semble que oui.

1 Comment

  1. L’explication est sans doute bien structurée, cohérente et valorise le droit des obligations.
    L’article 1129 du code civil qui élabore trois hypothèses permettant de vérifier ou non si un contractant peut effectivement demander la nullité d’un contrat, soit s’il est placé sous un régime de protection postérieurement à la conclusion du contrat et que le préjudice subi préexistait à la conclusion du contrat, que le préjudice ou le dommage était connu notoirement ou que le cocontractant avait connaissance de la situation avant la conclusion du contrat (il peut exister des exceptions par lesquelles la nullité est facultative notamment lors d’une vente de bien meuble, une personne qui est placée sous tutelle n’est pas lésée), ou que le contractant était placé ou non à un régime de protection et que le trouble mental ne préexistait pas à la conclusion du contrat; ainsi il faut prouver que le trouble existait (Civ. C. art. 414-1) soit par des témoignages attestant, soit par un rapport d’expertise médicale, ou que le contractant ou l’auteur de l’acte est décédé, il faudrait dans ce cas prouver à travers l’acte lui-même que l’auteur avait un caractère insensé (Civ. C. art. 414-2).
    De plus, les articles 414-1 et 901 du code civil sont essentiellement prévus pour la constitution d’une cause de nullité des actes juridiques d’une personne et d’irresponsabilité pénale en ce qui concerne l’article 122-1 du code pénal.
    Ce qui est encore intéressant dans ces textes, c’est que le législatif a permis de laisser subsister l’obligation de réparer le dommage causé à autrui (article 414-3 du code civil).


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