Pour mémoire, aux termes de l’article 1242, al. 4 du Code civil « le père et la mère, en tant qu’ils exercent l’autorité parentale, sont solidairement responsables du dommage causé par leurs enfants mineurs habitant avec eux ».
Il résulte de cette disposition que la responsabilité ne saurait être mise en œuvre s’il n’est pas établi que l’auteur du dommage cohabitait avec ses parents.
Que doit-on entendre par cohabitation ? Cette question a, manifestement, été à l’origine d’un abandon contentieux judiciaire.
I) La notion de cohabitation
L’exigence de cohabitation posée par l’article 1242, al. 4 est susceptible de conduire à l’adoption de deux conceptions radicalement opposées :
- Une conception concrète
- Selon cette conception, il est nécessaire que l’enfant habite effectivement avec ses parents au moment du dommage
- Il en résulte que dès lors qu’il ne séjournait pas chez eux, la responsabilité de ses parents ne saurait être engagée
- Cette conception est héritée de l’époque où l’on raisonnait encore en termes de présomption de faute des parents.
- On estimait, en effet, que si l’enfant a commis un dommage, c’est parce qu’il a été mal éduqué ou surveillé.
- Si dès lors, l’enfant n’habitait pas avec ses parents lors de la commission du fait dommageable, on ne saurait leur reprocher aucune faute et donc engager la responsabilité
- Une conception abstraite
- Selon cette conception, il n’est pas nécessaire que l’enfant habite effectivement avec ses parents au moment du dommage pour que la responsabilité de ses derniers soit susceptible d’être engagée.
- Conséquemment, il suffit que l’enfant ait sa résidence habituelle chez ses parents pour que leur responsabilité puisse être recherchée, peu importe qu’il réside effectivement avec eux
- C’est donc la résidence de droit – abstraite – qui prime sur la résidence de fait – concrète.
- Aussi, cette conception s’inscrit dans le droit fil du mouvement d’objectivation de la responsabilité parentale, lequel est guidé par une volonté d’émancipation du fondement de la faute.
- Or contrairement à la conception concrète de la cohabitation qui en est traduction, la conception matérielle est conforme à l’objectif d’amélioration du sort des victimes.
II) La position de la jurisprudence
Plusieurs étapes ont marqué l’évolution de la position de la jurisprudence s’agissant de l’exigence de cohabitation :
==> Première étape : l’adhésion à la conception concrète
- Principe
- Dans un premier temps, la Cour de cassation a porté son choix sur la conception concrète de la cohabitation.
- Dans un arrêt du 24 avril 1989 elle a estimé en ce sens que « la présomption légale de responsabilité du père et de la mère cesse avec la cohabitation» ( 2e civ., 24 avr. 1989).
- La haute juridiction considère que dès lors que l’enfant ne réside pas, effectivement, avec ses parents, leur responsabilité ne peut pas être engagée.
- Autrement dit, l’enfant est réputé ne pas cohabiter avec ses parents, au sens de l’article 1242, alinéa 4 du Code civil, toutes les fois que ces derniers ne sont pas en mesure d’exercer leur mission d’éducation et de surveillance.
- Toute action diligentée à leur encontre était dès lors vouée à l’échec lorsque l’enfant, échappant à leur surveillance immédiate, était confié, fût-ce temporairement et à titre bénévole à un tiers.
- D’où la solution rendue en l’espèce, l’enfant séjournant, au moment du dommage, chez ses grands-parents.
- La deuxième chambre civile en déduit que la condition tenant à la cohabitation n’était donc pas remplie.
- Bien que cet arrêt ne fasse que réaffirmer la position traditionnelle de la Cour de cassation en matière de cohabitation, il n’en a pas moins fait l’objet de nombreuses critiques de la part des auteurs.
- Il peut être observé que cet arrêt intervient alors que 5 ans plus tôt l’assemblée plénière rendait l’arrêt Fullenwarth, marqueur de la volonté de la Cour de cassation d’engager le mouvement d’objectivation de la responsabilité parentale.
- La solution retenue par la Cour de cassation en 1989 a ainsi été montrée du doigt pour son manque de cohérence
- D’un côté la Cour de cassation abandonne l’exigence de faute avec l’arrêt Fullenwarth
- D’un autre côté elle retient une conception concrète de la cohabitation, alors que cette conception est assise sur la présomption de faute des parents
- Exception
- Afin d’atténuer les effets de la conception concrète quant à l’indemnisation des victimes, la Cour de cassation a posé une limite à l’exonération de la responsabilité de parents lorsque l’enfant ne résidait pas avec eux de façon effective : l’exception de cessation illégitime de la cohabitation.
- Cette notion a été développée par la jurisprudence afin de déterminer si les parents demeuraient responsables du fait de leur enfant lorsque la cohabitation avait cessé « illégitimement », soit dans les hypothèses de fugue de l’enfant ou d’abandon du domicile conjugale par l’un des deux parents.
- Aussi, dans plusieurs décisions la Cour de cassation a-t-elle estimé que lorsque la cohabitation avait cessé illégitimement, les parents demeuraient toujours responsables de leurs enfants, quand bien même ils ne résidaient pas avec eux au moment du dommage.
- Dans un arrêt du 21 août 1996, la chambre criminelle a estimé en ce sens que « le défaut de cohabitation, dépourvu de cause légitime, ne fait pas cesser la présomption légale de responsabilité pesant solidairement sur le père et la mère par l’effet de l’article 1384, alinéa 4, du Code civil, en raison du dommage causé par leur enfant mineur» ( crim. 21 août 1996).
==> Deuxième étape : le basculement vers la conception abstraite de la cohabitation
Dans un arrêt Samda du 19 février 1997, la Cour de cassation a effectué un premier pas vers l’adoption de la conception abstraite de la cohabitation.
==> Faits
- Un mineur âgé de 16 ans dérobe une voiture et l’endommage endommagée
- Le propriétaire assigne alors en réparation :
- La mère, titulaire de la garde de l’enfant depuis le divorce
- Le père qui, au moment des faits, exerçait un droit de visite.
==> Procédure
- Par un arrêt du 9 mars 1993, la Cour d’appel de Chambéry accède à l’action en réparation dirigée à l’encontre du père, mais rejette la demande formulée à l’endroit de la mère
==> Solution
- La Cour de cassation censure la décision des juges du fond en affirmant que « l’exercice du droit de visite et d’hébergement ne fait pas cesser la cohabitation du mineur avec celui des parents qui exerce le droit de garde»
- Ainsi, pour la Cour de cassation, estime-t-elle que la mère de l’auteur du dommage engageait sa responsabilité au même titre que le père.
- Pour la Cour de cassation, peu importe que le mineur ne résidât pas effectivement, au moment de la commission du fait dommageable, chez sa mère dans la mesure où il résidait habituellement chez cette dernière.
- La cohabitation n’avait donc jamais cessé, nonobstant l’exercice du droit de visite du père.
==> Analyse de l’arrêt
Dans l’arrêt Samba, la Cour de cassation se prononce, pour la première fois, en faveur de la conception abstraite de la cohabitation.
Peu importe que le parent de l’auteur du dommage n’exerce pas sur lui un pouvoir effectif de surveillance. Ce qui compte c’est qu’il soit investi de l’autorité parentale.
Aussi, la cohabitation procède de l’exercice de l’autorité parentale et non de la situation de fait que constitue la cohabitation prise dans son sens premier.
On passe ainsi d’une conception concrète de la cohabitation à une conception abstraite ou juridique.
Cette position de la Cour de cassation a-t-elle été confirmée par la suite ?
==> Troisième étape : la détermination des nouveaux contours de la notion de cohabitation
Après avoir basculé vers l’adoption de la conception abstraite de la cohabitation, il a fallu redéfinir les contours de cette notion.
Dans un premier temps, la Cour de cassation s’est référée à l’exception de cessation illégitime de cohabitation pour retenir la responsabilité de parents qui n’habitaient pas de façon effective avec leur enfant au moment du dommage.
- Arrêt du 28 juin 2000
- La Chambre criminelle a ainsi retenu la responsabilité d’un père pour les crimes commis par sa fille dont il avait la garde, alors qu’elle vivait depuis près d’un an avec son concubin au moment de la commission des faits ( crim., 28 juin 2000)
- La Cour de cassation justifie sa décision en réaffirmant que « les père et mère, ou celui d’entre eux à qui l’enfant est confié, et dont la cohabitation avec celui-ci n’a pas cessé pour une cause légitime, ne peuvent s’exonérer de la responsabilité de plein droit pesant sur eux, que par la force majeure ou la faute de la victime»
- Arrêt du 5 juillet 2001
- La chambre criminelle adopte une solution similaire à celle retenue dans l’arrêt du 28 juin 2000 en rejetant le pourvoi formé par un père, lequel avait invoqué le défaut de cohabitation avec sa fille au moment du fait dommageable, cette dernière étant temporairement absente en raison de leurs difficultés relationnelles (Cass. 2e 5 juillet 2001)
- Au soutien de sa décision, la Cour de cassation considère qu’« une simple absence temporaire sans motif légitime ne constitue pas une rupture de la cohabitation, le fait qu’un enfant cause des problèmes à ses parents ne pouvant justifier l’abandon de leurs responsabilités»
Dans un second temps, la Cour de cassation considère que la cohabitation est consubstantielle de l’exercice de l’autorité parentale, ce qui l’a conduit à retenir la responsabilité de parents alors même que leur enfant n’a jamais vécu avec eux.
- Arrêt du 8 février 2005
- La Cour de cassation poursuit son travail de définition en retenant une solution identique à celle adoptée en 2000 en rappelant mot pour mot que « les père et mère d’un enfant mineur dont la cohabitation avec celui-ci n’a pas cessé pour une cause légitime ne peuvent être exonérés de la responsabilité de plein droit pesant sur eux que par la force majeure ou la faute de la victime».
- Aussi, dans cette décision la chambre criminelle estime-t-elle que la cohabitation entre un mineur âgé de 16 ans, auteur d’un incendie, et ses parents n’avait jamais cessé alors qu’il vivait, de fait, chez sa grand-mère depuis l’âge d’un an.
- Pour la haute juridiction, bien que l’auteur du dommage n’ait jamais habité chez ses parents, ces derniers engageaient malgré tout leur responsabilité sur le fondement de l’ancien article 1384, al. 4, dans la mesure où la cohabitation n’avait pas cessé, selon ses termes, pour une cause légitime.
- Si dès lors, dans cette hypothèse, « la cohabitation n’a jamais cessé pour une cause légitime », cela signifie que la seule cause légitime envisageable ne peut être que la fixation judiciaire de la résidence de l’enfant chez un tiers.
==> Quatrième étape : la détermination des conditions quant au transfert de la garde
L’examen de la jurisprudence révèle que le transfert de la garde de l’enfant ne peut résulter que d’une décision de justice.
Ainsi, dans un arrêt du 6 juin 2002, la Cour de cassation refuse de dédouaner de leur responsabilité les parents d’un mineur qui avait été placé dans une association chargée d’organiser et de contrôler son mode de vie, les magistrats de la haute juridiction relevant « qu’aucune décision judiciaire n’avait suspendu ou interrompu la mission confiée à l’Association » (Cass. 2e civ., 6 juin 2002).
Cette position est confirmée à plusieurs reprises par la Cour de cassation, notamment dans un arrêt du 8 janvier 2008 où elle réaffirme, sans ambiguïté, que « une association, chargée par décision du juge des enfants d’organiser et de contrôler à titre permanent le mode de vie d’un mineur, demeure, en application de l’article 1384, alinéa 1er du code civil, responsable de plein droit du fait dommageable commis par ce mineur, même lorsque celui-ci est hébergé par ses parents, dès lors qu’aucune décision judiciaire n’a suspendu ou interrompu cette mission éducative » (Cass. crim., 8 janv. 2008).
La Cour de cassation a, par ailleurs, eu l’occasion de préciser que la cessation de la cohabitation peut résulter d’un divorce ou d’une séparation de corps.
Dans une espèce où la garde du mineur à l’origine du dommage avait été confiée, dans le cadre d’une procédure de divorce, exclusivement à sa mère, la deuxième chambre civile a jugé dans un arrêt du 21 décembre 2006 que dans la mesure où l’enfant ne résidait pas « habituellement avec son père en vertu des mesures provisoires prises par le magistrat conciliateur, la responsabilité civile de celui-ci ne pouvait être retenue sur le fondement de l’article 1384, alinéa 4, du code civil. » (Cass. 2e civ., 21 déc. 2006).
Au total, il résulte de l’ensemble de la jurisprudence précitée que dès lors que les parents exercent l’autorité parentale sur l’enfant qui a causé un dommage, ils sont irréfragablement réputés cohabiter avec lui.
Aussi, est-ce une approche totalement abstraite de la cohabitation qui a été adoptée par la Cour de cassation.
Pour François Chabas, la cohabitation est en quelque sorte devenue un attribut de l’autorité parentale[1], ce qui conduit certains auteurs à plaider pour suppression pure et simple de cette condition dont l’exigence n’a, à la vérité, plus grand sens compte tenu du dévoiement de la notion de cohabitation.
[1] F. Chabas, Cent ans d’application de l’article 1384 in La responsabilité civile à l’aube du XXIe siècle – Bilan prospectif : Resp. civ. et assur. 2001, Hors-série, n° 32, p. 43.