Le Droit dans tous ses états

LE DROIT DANS TOUS SES ETATS

La condition d’imputation du dommage à l’accident dans la loi du 5 juillet 1985

L’implication d’un VTM dans l’accident ne suffit pas à engager la responsabilité de son conducteur ou de son gardien sur le fondement de la loi du 5 juillet 1985 : encore faut-il que le dommage puisse être rattaché à l’accident.

Cela signifie, autrement dit, que le conducteur ou le gardien du VTM impliqué n’est tenu d’indemniser la victime que pour les dommages que cette dernière est en mesure d’imputer à l’accident.

Cette condition se déduit de l’article 1er de la loi Badinter qui vise « les victimes d’un accident de la circulation ».

Le dommage causé par un événement autre que l’accident dans lequel est impliqué le VTM n’est donc pas indemnisable sur le fondement de la loi du 5 juillet 1985.

De prime abord, si cette affirmation peut paraître relever du truisme, la règle dont elle et porteuse n’en est pas moins source de quelques difficultés :

  • Tout d’abord, rien exclut que le préjudice dont se plaint la victime soit imputable à un autre fait dommageable.
    • Or si tel est le cas, il ne saurait être réparé sur le fondement de la loi du 5 juillet 1985.
  • Ensuite, quid dans l’hypothèse où le dommage subi par la victime ne se révèle que postérieurement à l’accident ?
    • Plus le préjudice se révélera tard, plus la question de son imputation à l’accident se posera.
    • Or la loi du 5 juillet 1985 exige un lien de causalité certain en la matière et non seulement hypothétique

Au regard de ces deux hypothèses, la condition d’imputabilité du dommage à l’accident prend alors tout son sens.

Cela conduit, en effet, à réintroduire l’exigence d’un rapport causal quant à l’appréciation de l’indemnisation de la victime.

Tandis que l’implication a remplacé la causalité quant au rapport entre le VTM et l’accident, l’exigence d’un lien de causalité reprend tous ses droits quant à l’appréciation du rapport entre le dommage et l’accident.

Est-ce à dire que l’on revient au point de départ en ce sens que la loi du 5 juillet 1985 ne parviendrait pas, in fine, à remplir son objectif premier, soit l’amélioration de l’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation ?

Dans la mesure où la notion d’implication est une notion centrale dans le dispositif mis en place par le législateur en 1985, on est légitimement en droit de s’interroger.

Aussi, afin de ne pas priver la loi Badinter de son efficacité, la Cour de cassation est venue en aide aux victimes en instituant une présomption d’imputation du dommage à l’accident.

?La reconnaissance d’une présomption d’imputation du dommage à l’accident

Dans un arrêt du 16 octobre 1991, la Cour de cassation a affirmé que « le conducteur d’un véhicule terrestre à moteur impliqué dans un accident de la circulation ne peut se dégager de son obligation d’indemnisation que s’il établit que cet accident est sans relation avec le dommage » (Cass. 2e civ. 16 oct. 1991, n°90-11.880).

Cass. 2e civ. 16 oct. 1991

Sur le moyen unique, pris en sa troisième branche :

Vu les articles 5 de la loi du 5 juillet 1985 et 1315 du Code civil ;

Attendu que le conducteur d’un véhicule terrestre à moteur impliqué dans un accident de la circulation ne peut se dégager de son obligation d’indemnisation que s’il établit que cet accident est sans relation avec le dommage ;

Attendu, selon l’arrêt confirmatif attaqué, qu’après la collision de la voiture de M. Z… et de celle de Mlle Y…, une passagère de celle-ci, Mlle Nathalie X…, étant décédée, les consorts X… ont demandé aux deux conducteurs et aux Assurances générales de France, assureur de Mlle Y…, la réparation de leur dommage ; que le Fonds de garantie est intervenu à l’instance ;

Attendu que, pour rejeter cette demande, l’arrêt, après avoir relevé que le décès était directement en relation avec l’inhalation d’un produit stupéfiant antérieurement à l’accident, retient qu’il n’est pas établi par les consorts X… que la jeune fille ait été victime de celui-ci ;

Qu’en statuant ainsi, bien qu’il résultât de ses propres constatations et énonciations qu’il n’était pas exclu que l’émotion provoquée par la collision eût joué un rôle dans le processus mortel, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 16 mai 1989, entre les parties, par la cour d’appel de Rennes ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Caen

?Faits

  • La passagère d’un VTM est mortellement blessée à la suite d’une collision
  • Ses ayants droit engagent la responsabilité du conducteur du VTM impliqué

?Procédure

Par un arrêt du 16 mai 1989, la Cour d’appel de Rennes déboute les requérant de leur demande estimant que « le décès était directement en relation avec l’inhalation d’un produit stupéfiant antérieurement à l’accident », de sorte que le préjudice de la victime était sans lien avec ledit accident.

?Solution

La Cour de cassation censure les juges du fond, estimant « qu’il n’était pas exclu que l’émotion provoquée par la collision eût joué un rôle dans le processus mortel ».

Autrement dit, pour la Cour de cassation, il appartenait au conducteur du véhicule impliqué d’établir que le décès de la victime n’était pas imputable à l’accident, ce qu’il n’avait pas démontré en l’espèce.

Ainsi, la Cour de cassation institue-t-elle, dans cette décision, une présomption d’imputation du dommage à l’accident que le conducteur du véhicule impliqué pourra combattre en rapportant la preuve contraire.

Dans un arrêt du 19 février 1997 la deuxième chambre civile a maintenu cette solution en reprenant mot pour mot la formule qu’elle avait employée dans son arrêt du 16 octobre 1991 : « le conducteur d’un véhicule terrestre à moteur impliqué dans un accident de la circulation ne peut se dégager de son obligation d’indemnisation que s’il établit que cet accident est sans relation avec le dommage » (Cass. 2e civ. 19 févr. 1997, n°95-14.034)

Il s’agissait en l’espèce du conducteur d’un VTM blessé à la jambe lors d’une collision qui quelque temps après décède d’une crise cardiaque.

?Le domaine de la présomption d’imputation du dommage à l’accident

L’examen de la jurisprudence révèle que la présomption d’imputation du dommage à l’accident ne jouera que dans deux hypothèses :

  • Première hypothèse
    • Le préjudice subi par la victime survient dans un temps voisin de l’accident.
    • Si le dommage n’apparaît que dans un temps éloigné de l’accident, aucune présomption ne pourra jouer
    • C’est donc à la victime qu’il appartiendra de prouver que le dommage trouve sa cause dans l’accident.
    • Tel sera notamment le cas lorsque le dommage survient près de deux ans après l’accident (Cass. 2e civ. 24 janv. 1996, n°94-10.923).
  • Seconde hypothèse
    • Le préjudice subi par la victime est une suite prévisible de l’accident
    • Dans le cas contraire, la présomption d’imputation du dommage à l’accident sera écartée.
    • Tel sera le cas, par exemple, lorsqu’une victime se suicide plus de deux mois après l’accident, alors qu’elle n’avait, sur le moment, subi aucun dommage (Cass. 2e civ. 13 nov. 1991, n°90-15.472).

Civ. 2e, 24 janv. 1996

Sur le premier moyen, pris en sa première et deuxième branche :

Vu l’article 1315 du Code civil, ensemble l’article 1382 du même Code ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, qu’en mars 1982, l’automobile de M. X… étant entrée en collision avec celle de Mlle A…, sa passagère à l’avant droit, Mme Y…, a été blessée ; qu’en octobre 1984, Mme Y… a assigné M. X… et son assureur la compagnie AXA assurances IARD, en réparation de son préjudice corporel résultant d’une polyarthrite rhumatoïde, consécutive, selon elle, au traumatisme cervical subi lors de l’accident ;

Attendu que pour accueillir cette demande, l’arrêt, après avoir énoncé que la loi du 5 juillet 1985 a établi au profit des victimes d’un accident de la circulation une présomption d’imputabilité du dommage à l’accident, retient que la dégradation de l’état de santé de Mme Y… a commencé peu de temps après l’accident et que Mme Y… est fondée à se prévaloir de la présomption d’imputabilité de son dommage à l’accident ;

Qu’en faisant ainsi supporter à M. X… la preuve de la non-imputabilité du dommage invoqué par Mlle A… à l’accident, alors que ce dommage s’était révélé postérieurement, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 25 février 1994, entre les parties, par la cour d’appel de Reims ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel d’Amiens.

?Cas particulier des accidents complexes

Si la mise en œuvre de la condition tenant à l’imputation du dommage à l’accident ne soulève guère de difficulté lorsqu’un seul véhicule est impliqué, la problématique se complique considérablement lorsque l’on est en présence d’un accident complexe, soit de collisions en chaîne.

Exemple :

  • Un carambolage se produit dans lequel sont impliqués une dizaine de VTM
  • Comment appréhender la condition tenant l’imputation du dommage à l’accident lorsque le décès de la victime résulte du 2e choc ?
    • Doit-on estimer que seuls les conducteurs des deux premiers chocs engagent leur responsabilité ?
    • Doit-on considérer, au contraire, que la loi du 5 juillet 1985 s’applique au-delà du 2e choc, soit que l’obligation d’indemnisation pèse, indifféremment, sur tous les conducteurs des VTM y compris ceux impliqués dans les 3e et 4e chocs ?

Pour résoudre cette problématique, deux solutions sont envisageables :

  • Soit l’on considère que l’accident complexe doit être découpé en plusieurs sous-accidents
    • Il appartient dans ces conditions à la victime de déterminer à quel sous-accident son dommage est imputable.
    • Cela revient à interpréter strictement de lettre de la loi du 5 juillet 1985.
  • Soit l’on considère que l’accident complexe doit être apprécié dans sa globalité
    • Il suffit alors à la victime d’établir que son dommage est imputable à l’accident complexe, pris dans son ensemble, sans qu’il lui soit besoin d’opérer un tri parmi les sous-accidents.
    • Cela revient à adopter une interprétation audacieuse de la loi Badinter, dont l’objectif est de faciliter l’indemnisation des victimes.

Quelle solution a été retenue par la jurisprudence ? La position adoptée aujourd’hui par la Cour de cassation est le fruit d’une évolution jalonnée par de nombreuses hésitations.

  • Première étape
    • Dans un arrêt du 26 novembre 1986, la Cour de cassation a semblé se satisfaire de l’établissement de l’implication du VTM dans l’accident complexe, sans exiger de la victime qu’elle rapporte la preuve de l’imputation de son dommage à un choc en particulier (Cass. 2e civ. 26 nov. 1986, n°85-13.760).
      • Autrement dit, selon la haute juridiction, dès lors que le VTM est impliqué, l’application de la loi du 5 juillet 1985 ne suppose pas pour la victime qu’elle établisse le rôle joué par chacune des collisions dans la réalisation de son dommage.
  • Deuxième étape
    • Dans un arrêt du 24 octobre 1990, la Cour de cassation a, par suite, admis que le conducteur du VTM impliqué dans un accident complexe puisse s’exonérer de sa responsabilité en rapportant la preuve que le dommage subi par la victime n’était pas imputable au fait de son véhicule (Cass. 2e civ., 24 oct. 1990, n°89-13.306).
    • Aussi, cette solution revient-elle à abandonner l’approche globale de l’accident complexe, celui-ci devant être découpé en autant de sous-accidents qu’il y a eus de chocs, à charge pour le conducteur dont on engage la responsabilité de démontrer que le dommage subi par la victime n’est pas imputable à la collision dans laquelle son véhicule est impliqué.
  • Troisième étape
    • Dans un arrêt du 24 juin 1998, la Cour de cassation s’est, sous le feu des critiques, finalement ravisée en adoptant une approche globale de l’accident complexe (Cass. 2e civ., 24 juin 1998, n°96-20.575).
    • Dans cette décision, elle rappelle tout d’abord que « est impliqué au sens de l’article 1er de la loi de 1985 tout véhicule qui est intervenu à quelque titre que ce soit dans la survenance de l’accident », après quoi elle en déduit que « les trois véhicules étant impliqués dans l’accident […] les trois conducteurs et leurs assureurs sont tenus à réparation »
    • Ainsi, la Cour de cassation estime-t-elle que dès lors qu’un conducteur est impliqué dans un accident complexe, il est tenu à réparation sans qu’il soit besoin pour la victime d’établir l’imputation de son dommage à une ou plusieurs collisions en particulier.
    • Le dommage est imputé à l’accident complexe, pris dans son ensemble si bien que tous les conducteurs impliqués sont tenus à réparation envers elle in solidum. Nul n’est besoin de déterminer leur degré d’implication dans le dommage.

Cass. 2e civ., 24 juin 1998

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 27 février 1996), et les productions, qu’un véhicule étant en panne sur une route nationale à 4 voies, en agglomération, de nuit, à un endroit où l’éclairage public ne fonctionnait pas, des fonctionnaires de police ont sollicité l’intervention d’un dépanneur ; que M. A…, préposé de la société Sada, est arrivé sur les lieux en sens inverse, et a entrepris de faire demi-tour, pour rejoindre le véhicule en panne ; que la dépanneuse immobilisée en travers de la chaussée a été heurtée par une voiture Peugeot 305 conduite par M. Y…, assuré par l’UAP ; que M. A… étant sorti de son véhicule pour constater les dégâts matériels a été heurté par une voiture Renault 4 de la société Brossolette automobile, assurée par la compagnie Nationale Suisse, et conduite par M. X… ; que M. A… gisait blessé sous la dépanneuse quand celle-ci a été heurtée, à l’arrière, par le véhicule Volkswagen de M. Z…, assuré par la Mutuelle générale d’assurances ;

Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt d’avoir condamné M. Z… et son assureur, in solidum avec MM. Y…, X…, la société Brossolette automobiles et leurs assureurs, à réparer les dommages occasionnés à M. A… par l’accident, alors, selon le moyen, que la cour d’appel reconnaît dans l’exposé des faits que trois collisions successives et distinctes se sont produites, la première entre le camion et le véhicule Peugeot 305 conduit par M. Y… et entraînant des dégâts matériels, la deuxième entre M. A… descendu de son camion et le véhicule piloté par M. X… ayant notamment pour conséquence de projeter M. A… sous la dépanneuse et enfin la troisième au cours de laquelle M. Z…, au volant de son véhicule Volkswagen, a percuté légèrement l’arrière du camion de dépannage ; qu’en refusant au regard de ces constatations, et comme elle y était pourtant invitée, de rechercher si le véhicule de M. Z… avait pu jouer un rôle dans la réalisation des dégâts matériels résultant des deux premières collisions et des dommages corporels subis par M. A…, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1er de la loi du 5 juillet 1985 ;

Mais attendu qu’est impliqué, au sens de ce texte, tout véhicule qui est intervenu, à quelque titre que ce soit, dans la survenance de l’accident ;

Et attendu qu’ayant retenu que 3 véhicules étaient impliqués dans l’accident dont M. A… a été victime, c’est à bon droit que la cour d’appel a décidé que ces trois conducteurs et leurs assureurs étaient tenus à réparation ;

D’où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

?Confirmation jurisprudentielle et approbation doctrinale

Dans son dernier état, la Cour de cassation a confirmé sa position tendant à appréhender les accidents complexes de façon globale, sans opérer de tri parmi les collisions.

Ainsi, pour la haute juridiction, dès lors que plusieurs VTM sont impliqués dans un accident complexe unique, l’obligation de réparation pèse sur tous les conducteurs ou gardien des véhicules impliqués, sans distinctions.

Dans un arrêt du 11 juillet 2002, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « dans la survenance d’un accident complexe, sont impliqués au sens de l’article 1er de la loi du 5 juillet 1985, tous les véhicules qui sont intervenus à quelque titre que ce soit » (Cass. 2e civ. 11 juill. 2002, n°01-01.666 V. également en ce sens Cass. 2e civ., 25 oct. 2007, n°05-21.807; Cass. 2e civ., 7 juill. 2011, n°10-19.960)

En d’autres termes, l’accident complexe ne doit plus être appréhendé comme une série de petites collisions successives qu’il convient d’isoler afin de déterminer à quel choc le dommage de la victime est imputable.

Désormais, l’accident complexe doit être envisagé globalement, ce qui revient à l’appréhender comme un accident unique.

Il en résulte que la victime peut engager la responsabilité de n’importe lequel des conducteurs ou gardiens dont le véhicule est impliqué, sans avoir à justifier ou identifier lequel des véhicules est directement la cause de son dommage

L’indemnisation des victimes s’en trouve alors facilitée et l’objectif de la loi du 5 juillet 1985 atteint. D’où l’approbation de cette jurisprudence par la doctrine, qui se félicite de la solution retenue.

2 Comments

  1. Je voudrais du fonds du cœur remercié Mr Aurelien BAMDE pour cet effort intellectuel. J’avoue que cette initiative nous aide énormément , nous juriste et particulièrement moi qui suis en préparation de mon concours pour la magistrature.
    Encore merci.


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