Sujet:

Bree a épousé en secondes noces Orson. Avec son premier époux, aujourd’hui décédé, elle a eu deux enfants, Danielle et Andrew. Ces derniers sont aujourd’hui majeurs, en cours d’études.

Danielle, imprudente, est tombée enceinte d’un garçon avec lequel elle n’a pas l’intention de s’unir.

Sa mère catastrophée prend une décision radicale : elle envoie Danielle se cacher dans un monastère le temps de la grossesse ; Bree porte un coussin sous sa robe pour faire croire que c’est elle qui est enceinte.

L’enfant naît en secret le 3 septembre 2013. Le nom de Bree apparaît sur l’acte de naissance de l’enfant.

L’enfant est élevé par Bree et son époux. Danielle partage la même maison et continue de mener sa vie d’étudiante.

Alors que l’enfant a 5 ans, Danielle tombe amoureuse de son voisin, Carlos. Ce dernier désire depuis longtemps un enfant. Lorsqu’il apprend que la mère de l’enfant est en réalité Danielle, il l’exhorte de récupérer l’enfant pour qu’ils puissent ensemble l’élever. Carlos lui fait le chantage suivant : je t’épouse à condition que je devienne le père de l’enfant.

Orson apprend ce chantage. L’idée de ne plus être considéré comme le père de l’enfant lui est insupportable. En effet, c’est lui que l’enfant appelle papa ; c’est lui qui l’entretient et l’éduque. Il cherche un moyen d’empêcher Carlos de devenir le père à sa place. Pouvez-vous l’aider ?

CORRECTION

La question qui concrètement se pose en l’espèce est de savoir si Carlos pourra ou non substituer sa filiation à celle d’Orson à l’égard du fils biologique de Danielle.

Il va donc falloir se demander si la filiation de l’enfant est susceptibled’être établie à l’égard de Carlos.

Comment celui-ci pourra-t-il mener à bien son projet ?

Pour ce faire, il n’aura d’autre choix que de contester les filiations déjà établies à l’égard de l’enfant ? à supposer qu’elles le soient ? afin d’établir, le cas échéant, sa propre filiation.

L’article 320 du Code civil dispose en ce sens que :

« Tant qu’elle n’a pas été contestée en justice, la filiation légalement établie fait obstacle à l’établissement d’une autre filiation qui la contredirait ».

Les trois questions suivantes découlent de cette règle :

  • L’enfant a-t-il une filiation déjà établie ?
  • Si oui, est-il possible de contester cette filiation et comment ?
  • Est-il possible d’établir un nouveau de lien de filiation une fois le précédent lien rompu
  1. Un lien de filiation est-il déjà établi à l’égard de l’enfant de Danielle ?

La filiation entre l’enfant et Bree

Il convient, tout d’abord, de se tourner vers l’article 310-1 du Code civil lequel prévoit :

  • En premier lieu, que les modes d’établissement de la filiation sont limitativement énumérés par la loi.
  • En second lieu, que ces modes d’établissement de la filiation sont au nombre de quatre :
    • effet de la loi
    • reconnaissance volontaire
    • possession d’état
    • jugement

En l’espèce, pour que la filiation de l’enfant de Danielle soit établie, elle doit l’être par l’un des quatre modes admis par la loi.

Afin de déterminer lequel de ces modes sera retenu, il convient de procéder par exclusion.

Action en justice

L’hypothèse la moins probable est celle de l’établissement de la filiation par jugement, car ni Bree, ni Orson n’a, au regard des faits énoncés, intenté une action en justice pour faire valoir sa filiation à l’égard de l’enfant de Danielle.

Reste à déterminer lequel des trois autres modes non-contentieux d’établissement de la filiation est susceptible d’être retenu.

Pour ce faire, il convient de prêter attention à l’article 310-3 du Code civil qui dispose que « la filiation se prouve par l’acte de naissance de l’enfant, par l’acte de reconnaissance ou par l’acte de notoriété constatant la possession d’état ».

Par chance, il est fait mention dans les faits de l’existence d’un acte de naissance.

Il convient donc se tourner vers l’article 311-25 du Code civil.

Cette disposition prévoit que la filiation de l’enfant est établie à l’égard de sa mère du seul fait de la désignation de celle-ci dans l’acte de naissance.

La question se pose alors de savoir si le nom de Bree figure sur l’acte de naissance.

En l’espèce, c’est bien Bree qui est désignée dans l’acte de naissance de l’enfant de Danielle.

Il en résulte que sa filiation est établie à son égard, quand bien même elle n’est pas sa mère biologique.

Aussi, cela implique-t-il pour Danielle que,dans l’hypothèse où elle souhaiterait établir à l’égard de son enfant sa propre filiation, elle devra d’abord faire tomber le lien de filiation qui existe entre son fils et Bree, conformément à l’article 320 du Code civil.

La filiation entre l’enfant et Orson

L’article 311-25 du Code civil ne s’applique qu’à la seule mère de l’enfant, nonobstant la désignation du mari dans l’acte de naissance (tel n’est de toute façon pas le cas en l’espèce).

Partant, aucun lien de filiation ne saurait être établi à l’égard du père à partir de cet acte de naissance.

Combinaison des articles 312, 316 et 317 du Code civil

S’agissant de l’établissement de la filiation du père, il convient d’envisager la combinaison des articles

  • 312 (présomption de paternité)
  • 316 (reconnaissance)
  • 317 (possession d’état)

Au regard de cette combinaison, la filiation paternelle s’établit différemment selon que son bénéficiaire est, ou non, le mari de la mère de l’enfant.

  • S’il est le mari alors il pourra se prévaloir de l’application de l’article 312 du Code civil, et plus précisément de la présomption de paternité.
  • Dans le cas contraire, il lui faudra établir sa filiation par le truchement de l’un des trois autres modes prévus à l’article 310-1 du Code civil :
    • Article 316 : reconnaissance
    • Article 317 : possession d’état
    • Articles 325 et s. : actions en justice aux fin d’établissent de la filiation
      • Nous avons néanmoins exclu cette hypothèse dès le début.

En l’espèce, il apparaît qu’Orson est marié à Bree.

L’article 312 du Code civil est, en conséquence, susceptible de s’appliquer.

Conditions d’application

  • Il faut que la mère de l’enfant soit mariée avec celui qui revendique le bénéfice de l’article 312
  • La filiation de la mère à l’égard de l’enfant doit être établie
  • L’enfant doit être né ou avoir été conçu pendant le mariage.

En l’espèce, est-ce que les conditions d’application de l’article 312 sont remplies ?

  • Tout d’abord il apparaît qu’Orson est marié à Bree.
  • Ensuite, il semble que la filiation de Bree est bien établie à l’égard de l’enfant par le jeu de l’article 311-25 du code civil.
  • Enfin,l’enfant de Danielle est né pendant le mariage de Bree et Orson.Il dès lorsnullement besoin de recourir à la présomption infansconceptus pour savoir si la présomption de paternité a vocation à s’appliquer.

L’article 312 s’applique donc bien à Orson, lequel est présumé être le père de l’enfant de Danielle.

Il est néanmoins des hypothèses où la présomption de paternité peut être écartée.

En vertu de l’article 313 du Code civil, la présomption pater is est peut être écartée dans deux cas :

  • Le mari de la mère de l’enfant n’est pas désigné dans l’acte de naissance
  • La naissance de l’enfant a lieu
    • Soit plus de 300 jours après la date
      • Soit de l’homologation de la convention de divorce
      • Soit du rendu de l’ordonnance de non-conciliation
    • Soit moins de 180 jours depuis le rejet de la demande ou de la réconciliation

En l’espèce, rien n’indique qu’une instance en divorce ou en séparation de corps ait été introduite par les époux.

En conséquence, la présomption de paternité ne saurait être écartée sur ce fondement.

Reste à se demander si Orson est désigné dans l’acte de naissance de l’enfant.

Il semble, au regard des faits, que tel n’est pas le cas.

Lors de la naissance de l’enfant, seul le nom de Bree figurait sur l’acte de naissance.

C’est la raison pour laquelle la présomption de paternité dont se prévaut Orson doit être écartée, de sorte que sa filiation à l’égard de l’enfant n’est toujours pas établie.

Toutefois, même si le mari de la mère est privé du bénéfice de la présomption de paternité, elle peut être rétablie.

Conformément aux articles 314 et 315 du Code civil, la présomption pater is est peut être rétablie dans trois hypothèses :

  • En vertu de l’article 315 du Code civil, la présomption de paternité écartée dans les conditions de l’article 313peut être rétablie par une décision de justice si, conformément à l’article 329, le mari prouve qu’il est bien le père de l’enfant (la preuve se fait par tous moyens).
    • Qu’en est-il en l’espèce ?
    • Rien n’indique qu’Orson a entrepris d’agir en justice.
    • Aussi, la présomption de paternité dont il est privé du bénéfice ne saurait-elle être rétablie sur le fondement de l’article 315.
  • La présomption de paternité peut également être rétablie si, selon l’article 315, le mari procède à une reconnaissance de l’enfant (depuis la loi du 16 janvier 2009).
    • Qu’en est-il en l’espèce ?
    • Dans les faits relatés rien ne nous permet de dire qu’Orson prévoit de procéder à une telle reconnaissance. Et pour cause, puisqu’il ignore qu’il n’est pas le père biologique de l’enfant
    • La présomption de paternité ne semble donc pas non plus pouvoir être rétablie sur ce fondement.
    • Reste l’article 314 du Code.
  • En vertu de l’article 314 du Code civil, la présomption de paternité peut être rétablie de plein droit à deux conditions (cumulatives) :
  • Si aucune filiation n’est déjà établie à l’égard d’un tiers.
    • Cette condition est pleinement remplie en l’espèce
  • S’il existe une possession d’état à la faveur du mari de la mère.

Qu’en est-il en l’espèce ?

Le nomen :

En l’espèce, l’enfant porte peut-être le nom d’Orson, mais cela n’est pas certain, car il n’est pas désigné dans l’acte de naissance.

Le tractatus :

Il est précisé que l’enfant est élevé par Orson qui s’en est occupé comme son propre fils.L’enfant l’appelle d’ailleurs « papa », ce qui laisse à penser qu’il considère Orson comme son père.

La fama :

Il nous est indiqué que tout a été mis en œuvre par Bree pour que l’on croit l’enfant comme étant le sien et donc comme étant le fils d’Orson.La preuve en est Carlos qui ne savait pas que l’enfant était en réalité de Danielle !

Au total, il semble que deux éléments sur trois de la PE sont au moins réunis.

Reste à savoir s’il en va de même s’agissant des caractères de la PE.

L’article 311-2 du Code civil dispose que la PE doit être « continue, paisible, publique et non équivoque ».

Qu’en est-il en l’espèce ?

Orson s’est occupé de l’enfant de Danielle dès sa naissance.

Aucune interruption n’est à signaler.

De la même manière, rien, ni personne n’est venu remettre en cause la PE dont jouit Orson.

On peut en conclure qu’Orson peut revendiquer le bénéfice d’une PE à l’égard de l’enfant de Danielle.

Au total, rien ne fait a priori obstacle à ce que la présomption de paternité soit rétablie au bénéfice d’Orson.

Ainsi, sa filiation à l’égard de l’enfant de Danielle est, semble-t-il, bien établie.

En conclusion si Carlos souhaite établir sa propre filiation à l’égard de l’enfant de Danielle, il n’aura d’autre choix que d’exercer une action en contestation.

 

  1. Est-il possible de contester un lien de filiation déjà établi ?

Afin de déterminer si pareille contestation est susceptible d’aboutir, il faut se tourner vers les articles 332, 334 (ensemble) et 333 du Code civil.

Au regard de la combinaison des articles 332, 334 (ensemble) et 333 du Code civil, il convient de distinguer :

  • selon que la filiation de l’enfant est établie par un titre confortée par une possession d’état
  • Selon que ce titre n’est conforté par aucune possession d’état.

Dans le premier cas, alors l’article 333 du Code civil s’applique.

Dans le second cas, ce sont les articles 332 et 334 qui ont vocation à s’appliquer.

Qu’en est-il en l’espèce ?

Eu égard à tout ce qui a été précédemment démontré, il apparaît que :

  • la filiation de l’enfant de Danielle est établie par un titre (son acte de naissance dans lequel sa mère, Bree, est désignée)
  • ce titre est conforté par la possession d’état qu’il possède à l’égard d’Orson.

S’il souhaite contester la filiation de l’enfant de Danielle à l’égard de Bree et Orson, Carlos ne pourra dès lors le faire qu’en application de l’article 333 du Code civil.

Cette disposition nous renseigne sur trois points :

  • Personnes recevables à agir:
    • En vertu de l’alinéa 1er de cette disposition, lorsque la possession est conforme au titre (acte de naissance ou de reconnaissance), seuls peuvent agir en contestation, « l’enfant, l’un de ses père et mère ou celui qui se prétend le parent véritable».
    • A noter que si la possession d’état n’est pas conforme au titre, alors peuvent exercer l’action en contestation tous ceux qui y ont un intérêt (article 334 du Code civil).
  • Délai de prescription:
    • S’agissant du délai de prescription de l’action, là encore l’article 333 du Code déroge au droit commun de l’action en contestation (article 321 du Code), en ce qu’il ramène ce délai de dix à cinq ans.
  • Fin de non-recevoir:
    • Une autre dérogation au droit commun est enfin apportée par l’alinéa 2 de l’article 333 du Code civil, lequel dispose que si la possession d’état conforme au titre a duré plus de cinq ans, alors aucune contestation quant à la filiation de l’enfant n’est recevable, à l’exception de celle qui serait formulée par le ministère public.

Qu’en est-il en l’espèce ?

  • La recevabilité de l’action:
    • Carlos et Danielle se revendiquent comme les véritables parents de l’enfant.
    • À ce titre, ils ont qualité à agir.
  • Délai de prescription de l’action :
    • En l’espèce, la PE n’a semble-t-il jamais cessé.
    • Le délai de prescription de 5 ans n’a donc pas commencé à courir.
    • Carlos et Danielle sont donc encore recevables à agir en contestation
  • Fin de non-recevoir :
    • L’alinéa 2e de l’article 333 prévoit que lorsque la PE conforme au titre a duré plus de 5 ans alors plus aucune action en contestation n’est recevable.
    • La PE a-t-elle duré plus de 5 ans ?
    • Oui ! car l’enfant a précisément 5 ans.
    • L’alinéa 2 de l’article 333 a donc vocation à s’appliquer.
    • Quelle en est la conséquence ?
    • Ni Danielle, ni Carlos ne sont recevables à agir en contestation de la filiation de l’enfant.
  • L’exception du ministère public:
    • La loi du 16 janvier 2009 a ajouté une précision au second alinéa de l’article 333
    • En effet, le procureur de la république est fondé à agir, alors même la PE conforme au titre a duré plus de 5 ans.
    • L’action du ministère public est enfermée dans les conditions fixées par l’article 336 du Code:
      • « La filiation légalement établie peut être contestée par le ministère public si des indices tirés des actes eux-mêmes la rendent invraisemblable ou en cas de fraude à la loi».
      • Le ministère public ne peut donc agir que
        • si fraude à la loi
        • si des indices rendent vraisemblables à la filiation contestée
      • Le procureur peut agir dans un délai de 10 ans à compter du jour ou la personne privée de son état réclame ou a commencé à jouir de l’état qui lui est contesté.
    • Qu’en est-il en l’espèce ?
    • Le procureur pourra-t-il agir en contestation de la filiation de l’enfant eu égard aux conditions fixées à l’article 336 du Code?
      • En l’espèce il y a eu fraude à la loi
      • Il y a, en effet, eu supposition d’enfant.
      • Or il s’agitd’une infraction pénale
        • L’article 227-13 du Code pénal dispose en ce sens que « la substitution volontaire, la simulation ou dissimulation ayant entraîné une atteinte à l’état civil d’un enfant est punie de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende».
      • Il y a donc toutes les chances que le procureur agisse.
      • Cela suppose de s’intéresser au bien-fondé de son action
  • Le bien-fondé de l’action:
    • Le procureur va devoir saisir le TGI, conformément à l’article 318-1 du Code civil
    • Afin que son action en contestation aboutisse, le procureur devra, au titre de l’article 332 du Code civil, rapporter la preuve
      • D’une part, que Bree n’a pas accouché de l’enfant dont elle revendique la maternité
      • D’autre part que le mari de la mère de l’enfant, Orson, n’est pas le père.
      • Pour ce faire, il pourra s’y employer par tous moyens, car la paternité est un fait juridique.
        • La preuve est donc libre.
      • Le plus simple pour le procureur sera vraisemblablement de demander au juge à ce qu’il soit procédé à des expertises biologiques.
      • Dans la mesure où, ni Bree, ni Orson ne sont les parents biologiques de l’enfant, ces expertises devraient emporter l’intime conviction du juge.
      • On peut souligner que l’expertise biologique est de droit ( Civ. 1ère, 28 mars 2000 ou encore Cass. Civ. 1ère, 14 fév. 1990).
      • Bree et Orson pourront refuser de se soumettre à ces expertises biologiques (Civ. 1ère, 2 avril 1968).
      • Cependant, le juge pourra en tirer toutes les conséquences.
  • Les effets de l’action:
  • A l’égard du défendeur:
    • Si l’action en contestation de paternité aboutit, ce qui sera très certainement le cas, les liens de filiation qui étaient établis entre l’enfant et ses parents tomberont définitivement.
    • Ces derniers ne pourront plus se revendiquer comme le père et la mère de l’enfant.
    • Au titre de l’article 337 du Code civil, ils pourront néanmoins demander au juge qu’il leur soit permis de continuer à entretenir des relations avec lui.
  • A l’égard du demandeur:
    • L’action en contestation a pour seul effet, si elle aboutit, de faire tomber le lien de filiation entre l’enfant et celui contre qui elle est dirigée.
    • Cette action n’aura donc nullement pour conséquence d’établir un quelconque lien de filiation entre le demandeur et l’enfant.

Aussi, afin que Carlos puisse établir sa propre filiation à l’égard de l’enfant de Danielle, il lui faudra en établir un nouveau, conformément à l’un des modes d’établissement de la filiation prévus par la loi.

Manifestement, Bree et Orson pourront difficilement empêcher Carlos et Daniel d’introduire une action en établissement de leur filiation à l’égard de l’enfant.

En effet, en vertu de l’article 323 du Code : « les actions relatives à la filiation ne peuvent faire l’objet de renonciation ».

Ainsi l’action en établissement de la filiation est indisponible.On ne peut y renoncer.

Cependant, conformément à l’article 337 du Code, Bree et Orson seront fondés à demander au juge un droit de visite pour continuer à entretenir une relation avec l’enfant.

  • Comment la mère biologique d’un enfant et son compagnon peuvent-ils établir un nouveau lien de filiation à l’égard de ce dernier ?

Il convient, une nouvelle fois, de se retourner vers l’article 310-1 du Code civil, lequel énonce les différents modes d’établissement de la filiation.

  • Première hypothèse: on peut d’ores et déjà exclure l’établissement de la filiation par l’effet de la loidans la mesure où
    • D’une part, le nom de Danielle ne figure pas sur l’acte de naissance de son enfant, puisque c’est celui de Bree qui apparaît.
      • Le recours à l’article 311-25 du Code est donc inenvisageable
    • D’autre part, Carlos n’est pas marié à Danielle de sorte qu’il ne pourra pas se prévaloir de la présomption de paternité.
  • La deuxième hypothèse que l’on peut raisonnablement écarter est celle de l’établissement de la filiation par simple possession d’état, mode évoqué à l’article 317 du Code civil.
    • Carlos n’a jamais côtoyé l’enfant
      • Les éléments exigés auxarticles 311-1 et 311-2 du Code ne sont donc réunis.
    • Quant à Danielle, elle ne s’est jamais comportée à l’égard de son enfant comme sa véritable mère.
    • Elle continuait à vivre sa vie d’étudiante.
    • Elle ne peut donc pas revendiquer le bénéfice d’une PE.
  • Troisième hypothèse: s’agissant de l’établissement de la filiation sur le fondement d’une action en justice, si elle est envisageable pour Danielle, son opportunité apparaît pour le moins contestable pour Carlos.
  • Action en recherche de marternité :
    • L’établissement de la filiation de Danielle par voie judiciaire se traduira par l’introduction d’une action en recherche de maternité
      • Conditions: l’article 325 du Code civil dispose que cette action en recherche de maternité n’est permise que si
        • Pas de titre
        • Pas de possession d’état
      • En l’espèce, c’est le cas de sorte que Danielle peut parfaitement envisager cette voie pour établir sa filiation avec son enfant.
      • Cependant, l’enfant est mineur ! Il n’a que 5 ans.
      • Or l’article 325 alinéa 2 du Codeprévoit que l’action en recherche de maternité est réservée au seul enfant.
      • Néanmoins, l’article 328 du Code du civil disposeque lorsque l’enfant est mineur, l’action en recherche de maternité peut être exercée
        • Soit par ses parents
        • Soit, si sa filiation n’est établie à l’égard d’aucun parent, par son tuteur
      • En l’espèce, la filiation de l’enfant n’est établie à l’égard d’aucun parent.
      • Danielle devra donc convaincre son tuteur,désigné par le juge,d’exercer pour le compte de l’enfant une action en recherche de maternité.
      • Si elle y parvient, le tuteur de l’enfant devra prouver, conformément à l’article 325 du Code civil, que Danielle est celle qui a accouché de l’enfant.
        • La preuve sera rapportée par le biais de l’expertise biologique qui est de droit depuis l’arrêt de la Cour de cassation du 27 mars 2000.
      • Dans la mesure où Danielle est la mère biologique de l’enfant, l’action en recherche de maternité aboutira.
      • La filiation de Danielle à l’égard de l’enfant peut donc être considérée comme établie.
  • Action en recherche de paternité: l’établissement de la filiation de l’enfant à l’égard de Carlos par voie judiciaire ne pourra se traduire que par l’introduction d’une action en recherche de paternité.
    • Conditions : l’article 327 du Code dispose que cette action n’est réservée qu’à l’enfant.
      • L’enfant de Danielle n’ayant que 5 ans, il sera dans l’incapacitéd’exercer cette action.
      • Comme pour Danielle, conformément à l’article 328 du Code civil, l’enfant pourra néanmoins se faire représenter
        • soit par ses parents
        • soit par son tuteur
      • En l’espèce, l’enfant ayant sa filiation établie à l’égard de Danielle, laquelle aura vu son action en recherche de maternité aboutir, il pourra se faire représenter par cette dernière pour engager une action en recherche de paternité.
      • Cependant, Danielle devra prouver la paternité de Carlos.
      • Le juge exigera sans doute une expertise biologique, laquelle n’aboutira pas, puisqu’il n’est pas le père de l’enfant.
      • Il faudra donc pour Carlos passer par la dernière voie envisageable pour établir sa filiation à l’égard de l’enfant
  • Quatrième hypothèse: en vertu de l’article 316 du Code civil, la reconnaissance de paternité est toujours possible après la naissance de l’enfant.
    • Conditions: il ne faut pas que filiation puisse être établie par l’effet de la loi pour recourir à la reconnaissance, c’est à dire
      • soit par l’effet de la présomption pater is est pour le père
      • soit par l’effet de l’acte de naissance pour la mère.
    • Procédure: si la précédente condition est remplie la reconnaissance se fera
      • devant l’officier d’état civil
      • par tout autre acte authentique (acte notarié, Civ. 1ère, 13 nov. 1973)
      • ou par déclaration judiciaire, ( Civ. 1ère, 1er juill. 1981).
    • Effets de la reconnaissance: aussitôt qu’elle est effectuée, la reconnaissance emporte deux conséquences :
      • d’une part sa réalisation suffit à établir la filiation entre son auteur et celui ou celle qui est reconnu, sans qu’il soit besoin de prouver quoi que ce soit
      • d’autre part elle est rétroactive de sorte que le lien de filiation est réputée avoir été établie dès la naissance de l’enfant ( Civ 1ère, 29 juin 1977)
        • En l’espèce, la reconnaissance est la seule voie raisonnablement ouverte à Carlos s’il souhaite établir sa filiation à l’égard de l’enfant de Danielle.
        • Cette reconnaissance aboutira-t-elle ?
        • Oui, car il s’agit d’une simple déclaration. Il n’est nul besoin de prouver sa paternité.

Toutefois, ses beaux-parents qui pourraient avoir envie pour se venger, pourraient être tentés d’aller voir le procureur de la république, afin qu’il introduise une action en contestation de paternité.

Or comme Carlos n’est pas le père biologique de l’enfant, sa supercherie se révèlera au grand jour puisqu’il n’aura d’autre choix que de se soumettre à une expertise biologique !

Le procureur ayant dix ans pour agir, Carlos devra attendre longtemps pour être à l’abri de toute contestation.

Finalement la meilleure façon pour Carlos d’établir sa filiation à l’égard de l’enfant, sans craindre que celle-ci soit contestée, ce sera d’engager une procédure d’adoption simple ou plénière !

Cela aurait pour effet immédiat de créer un lien de filiation entre Carlos et l’enfant, sans que l’établissement lien soit susceptible de faire l’objet d’une contestation !