Sujet:

Comme tous les garçons de son âge, Jean-Claude, un adolescent de 15 ans, a besoin de se dépenser. Son activité physique préférée ? Le karaté ! Il est d’ailleurs tellement passionné par ce sport que, même lorsqu’il part en vacances au soleil avec ses parents, Christiane et Marius Dusse, il ressent le besoin de s’entraîner.

 Par chance, dans le petit village où il réside avec sa famille, Galasuiga, il y a un dojo dont est propriétaire un dénommé Popeye, lequel assure des cours de karaté.

 Dès le lendemain de son arrivée, Jean-Claude ne résiste pas à l’envie de s’inscrire à ces cours. Cela va être l’occasion pour ce dernier de faire la connaissance de Gigi, Jérôme, Bernard, Nathalie et Gilbert qui ont le même âge que lui.

 Lors du premier cours, Popeye insiste lourdement sur les règles à observer par les élèves dans le cadre des différents échanges physiques auxquels ils vont se livrer. Il rappelle notamment qu’il est strictement défendu de donner des coups en dessous de la ceinture. Pendant l’édiction de ces consignes de sécurité par le professeur, il s’avère néanmoins que Jean-Claude n’écoute pas : il est trop occupé à observer Gigi avec laquelle il aimerait bien, selon son expression, « conclure ».

 C’est alors que ce qui devait arriver se produisit : tandis qu’il entame un combat avec Gilbert qui, lui non plus n’a pas écouté les consignes de Popeye, lequel avait prescrit aux garçons de porter une coquille, Jean-Claude, s’exerçant au mawashi-geri coup de pied circulaire, frappe violemment son camarade au niveau de ses organes génitaux. Le constat du médecin est sans appel : Gilbert, qui rêvait d’une grande famille, ne pourra jamais avoir d’enfant, sans compter qu’il est désormais obligé de porter une prothèse.

 Sous le choc de cette nouvelle, les parents de Gilbert viennent vous consulter afin de savoir s’ils peuvent obtenir réparation du préjudice subi par leur fils.

CORRECTION

La question qui se posait dans le cas pratique en l’espèce était de savoir si les parents de Gilbert, blessé par Jean-Claude dans le cadre d’un cours de Karaté dirigé par Popeye, pourront obtenir réparation du préjudice subi par leur fils.

 Aussi, cela revient-il, en des termes plus juridiques, à se demander, sur quel(s) fondement(s) normatifs les parents de la victime sont susceptibles de s’appuyer afin de mener à bien une action en responsabilité.

 Pour ce faire, il convient tout d’abord de s’interroger sur la conclusion d’un contrat auquel serait éventuellement partie la victime.

 Dans l’hypothèse où l’on relèverait l’existence d’une convention, cela nous inviterait, en effet, à envisager, avant toute chose, le bien-fondé d’une action en responsabilité contractuelle, après quoi seulement la réflexion pourra se déporter sur l’introduction d’une action en responsabilité délictuelle.

 Qu’en est-il en l’espèce ? Le coup de pied malencontreux reçu par la victime a-t-il été donné à l’occasion d’une activité qui s’inscrirait dans le cadre de l’exécution d’un contrat ?

 Sans qu’il soit besoin de pousser très loin l’analyse, il apparaît que la réponse à cette question ne peut être que positive dans la mesure où l’accident s’est produit lors de la tenue d’un cours de Karaté auquel était inscrite la victime. Or cette inscription procède, à l’évidence, de la conclusion d’un contrat.

 Dès lors, afin de savoir si les parents de la victime pourront obtenir réparation du préjudice subi par leur fils, il conviendra de s’interroger, en premier lieu, sur les chances de succès d’une action en responsabilité contractuelle (I), et d’envisager, en second lieu, l’introduction d’une action en responsabilité délictuelle (II).

 I) L’action en responsabilité contractuelle

 L’action en responsabilité contractuelle est exclusive de toute autre action en responsabilité délictuelle. Ainsi, c’est seulement après avoir exposé ce que l’on appelle le principe de « non-cumul » (A), qu’il nous faudra nous intéresser aux conditions de mise en œuvre de la responsabilité contractuelle (B).

 A) Le principe de non-cumul

 Très tôt, la jurisprudence s’est prononcée en faveur d’un principe de non-cumul des responsabilités contractuelles et délictuelles (Req. 21 janv. 1890).

 En quoi consiste précisément ce principe de non-cumul ?

 Il consiste à interdire purement et simplement à la victime de choisir, dans l’hypothèse où elle serait liée par un contrat au responsable du dommage, entre l’action en responsabilité contractuelle et l’action en responsabilité délictuelle, voire les deux.

 Ce choix est d’emblée imposé au créancier de l’obligation dont l’exécution a été défaillante : pour obtenir réparation de son préjudice, il ne pourra engager qu’une action en responsabilité contractuelle, laquelle est exclusive de toute autre action en responsabilité délictuelle avec laquelle elle ne saurait se cumuler.

 En l’espèce, dans la mesure où un contrat a été conclu entre la victime mineure, par l’entremise de ses parents, et le professeur de karaté, pour engager la responsabilité de ce dernier, seule la voie contractuelle est susceptible d’être envisagée.

 Reste à savoir si les conditions de mise en œuvre de cette responsabilité sont réunies.

  1. Les conditions de mise en œuvre de la responsabilité contractuelle

 Le succès d’une action en responsabilité contractuelle suppose la réunion cumulative de trois conditions :

  • Un dommage (1)
  • Une faute (2)
  • Un lien de causalité entre la faute et le dommage

a) Le dommage

 En matière de responsabilité contractuelle, bien que la caractérisation d’un dommage a, un temps, été discutée par la doctrine, cette exigence fait désormais l’unanimité, tant chez les auteurs, qu’en jurisprudence.

 Ainsi, pour engager la responsabilité contractuelle du débiteur d’une obligation, il est nécessaire que le créancier de cette obligation rapporte la preuve d’un préjudice.

 Quelle doit être la teneur de ce préjudice ?

 L’article 1150 du Code civil est sans ambiguïté sur ce point-là : « le débiteur n’est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qu’on a pu prévoir lors du contrat, lorsque ce n’est point par son dol que l’obligation n’est point exécutée ».

 Autrement dit, en matière contractuelle, n’est réparable que le préjudice prévisible, soit le préjudice dont le risque de survenance a été prévu par les parties au contrat.

 En l’espèce, le dommage corporel et matériel subi par la victime peut-il être qualifié de prévisible ?

 Manifestement oui, dans la mesure où le risque de préjudice corporel et matériel est inhérent à la pratique d’une activité sportive, et plus encore lorsqu’il s’agit d’un sport de combat !

 Le préjudice subi par la victime était donc bien prévisible en l’espèce. Le dommage, première condition de la responsabilité contractuelle, est caractérisé.

b) La faute

 Qu’est-ce qu’une faute au sens du droit la responsabilité contractuelle ?

 Pour le savoir, il convient de se tourner vers l’article 1147 du Code civil lequel dispose que « le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au payement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part ».

 Très schématiquement, il ressort de cette disposition, que la faute s’assimile en un manquement à une obligation contractuelle, lequel manquement peut se traduire

  • soit par une inexécution totale
  • soit par une inexécution partielle
  • soit par un retard dans l’exécution

Néanmoins, le seul manquement à une obligation contractuelle ne suffit pas à lui-seul à engager la responsabilité contractuelle de son auteur.

 Il faut encore que ce manquement soit fautif.

Comment s’apprécie le caractère fautif du manquement à une obligation contractuelle ?

 Demogue nous enseigne qu’il faut, pour y parvenir, distinguer, comme l’y inviterait la combinaison des articles 1137 et 1147 du Code, entre les obligations de moyens et les obligations de résultat.

 Tandis que l’obligation de moyen serait celle à laquelle le débiteur s’est engagé quant à fournir la diligence normalement suffisante pour satisfaire le créancier, l’obligation de résultat serait, au contraire, celle par laquelle le débiteur s’est obligé à un but précis.

 Il en résulte que :

  • en présence d’une obligation de moyen, la faute consiste en une défaillance du débiteur qui ne se serait pas comporté comme le bon père de famille dans l’accomplissement de sa tâche.
    • Il revient alors au créancier de prouver que le débiteur n’a pas satisfait à son obligation contractuelle.
  • en présence d’une obligation de résultat, la faute consiste, en revanche, dans le seul fait, pour le débiteur, de ne pas avoir exécuté ce à quoi il s’était engagé.
    • Il reviendra donc au débiteur pour se dégager de sa responsabilité de prouver
      • soit que le résultat contractuellement promis a bien été atteint
      • soit qu’il a été empêché par la survenance d’un cas de force majeure

 Qu’en est-il en l’espèce ?

 Un manquement à une obligation contractuelle peut-il être relevé ? Si oui, ce manquement est-il fautif ?

L’existence d’un manquement à une obligation contractuelle :

 Si manquement contractuelle il y a en l’espèce, ce manquement consiste indubitablement en la violation, par le professeur de karaté, de l’obligation de sécurité qui lui échoit.

La Cour de cassation a eu l’occasion d’affirmer, à de nombreuses reprises (V. en ce sens Civ. 1ère, 10 févr. 1993 ; Civ. 1ère, 14 mars 1995; Civ. 1ère, 1er juill. 2003), que repose sur le prestataire de service qui accueille du public, dans le cadre de l’exécution d’un contrat d’entreprise, une obligation de sécurité.

 Plus spécifiquement, elle s’est prononcée en ce sens pour les contrats dont l’objet est l’organisation d’une activité sportive ou de loisir (Civ. 1ère ; 10 mars 1992; Civ. 1ère, 9 mars 1996; Civ. 1ère, 28 nov. 2001)

En l’espèce, il ne fait guère de doute que pèse sur le professeur de karaté pareille obligation contractuelle.

 Aussi, dans la mesure où la victime a essuyé un dommage corporel et matériel dans l’enceinte du dojo, il peut en être déduit qu’un manquement à l’obligation de sécurité est bien caractérisé.

 Est-ce à dire que ce manquement est fautif ?

 Le caractère fautif du manquement :

Pour déterminer si le manquement contractuel est fautif, il faut se demander si l’obligation de sécurité à laquelle est tenu le professeur de karaté est une obligation de moyen ou de résultat.

 Cela suppose, dès lors, de raisonner en recourant à la méthode du faisceau d’indice, ce qui suppose de se demander :

  • Quelle a été la volonté des parties?
  • Le créancier de l’obligation de sécurité a-t-il eu un rôle actif dans l’exécution de cette dernière ?
  • Un aléa peut-il être relevé dans l’exécution, par le débiteur, de son obligation ?

En l’espèce, il apparaît que le créancier de l’obligation de sécurité – la victime du dommage – jouait un rôle actif dans l’exécution de celle-ci dans la mesure où la satisfaction de cette obligation dépendait de l’attention prêtée par les élèves du dojo aux consignes données par le professeur.

Il peut donc être déduit que l’obligation de sécurité qui s’imposait à ce dernier était seulement de moyen et non de résultat.

La Cour de cassation est allée dans ce sens, notamment dans un arrêt rendu par la première chambre civile le 21 novembre 1995.

Depuis lors, elle a toujours maintenu sa jurisprudence.

La conséquence en est qu’il revient à la victime du dommage de prouver que le professeur de karaté ne s’est pas comporté comme un bon père de famille dans l’exécution de son obligation de sécurité.

 Y parviendra-t-elle en l’espèce ?

Cela est peu probable dans la mesure où le propriétaire du dojo a pris le temps, avant d’entamer son cours, d’exposer aux élèves les règles de sécurité à observer.

Conséquemment, on ne saurait lui reprocher aucune faute.

Conclusion :

Sans qu’il soit besoin de se pencher sur la dernière condition de la responsabilité contractuelle que constitue le lien de causalité, il peut être conclu qu’aucune action en réparation sur le fondement de celle-ci ne saurait être engagée par les parents de Gilbert contre Popeye, pas plus qu’ils ne peuvent, d’ailleurs, rechercher sa responsabilité sur le terrain délictuel, conformément au principe de non-cumul sus-énoncé.

 II) L’action en responsabilité délictuelle

Si, aucune action en responsabilité contractuelle ne semble pouvoir être intentée par les parents de la victime contre son professeur de karaté, rien n’empêche en revanche qu’ils cherchent à obtenir réparation du préjudice subi par leur fils sur le terrain de la responsabilité délictuelle.

Néanmoins, s’ils s’engagent dans cette voie, il leur faudra rechercher la responsabilité d’un débiteur avec lequel ils ne sont liés par aucun contrat, conformément au principe de non-cumul.

Quels sont les fondements juridiques susceptibles d’être exploités par les parents de la victime pour engager une action en responsabilité délictuelle ?

Dans la mesure où le dommage a été causé par un mineur et que celui-ci n’entretient aucune relation contractuelle avec la victime, peuvent être envisagées la responsabilité de son fait personnel (B) ainsi que la responsabilité de ses parents (C).

Avant d’éprouver ces deux fondements juridiques, il convient toutefois, au préalable, de se demander si la condition commune à la responsabilité du fait personnel et à la responsabilité des parents du fait de leurs enfants est remplie : la caractérisation d’un dommage (A).

 A) Le dommage

La question que l’on doit se poser en l’espèce est de savoir si le dommage subi par la victime est réparable.

Pour le déterminer, cela suppose de s’intéresser aux caractères du dommage (1) et à la qualification du dommage (2)

 1) Les caractères du dommage

Tout d’abord, il peut être indiqué que, contrairement à la responsabilité contractuelle, en matière de responsabilité délictuelle, la réparation ne se limite pas au préjudice réparable : de l’analyse des articles 1382 et suivants du Code civil, il ressort qu’elle doit être intégrale.

Pour ce faire, le dommage doit néanmoins revêtir un certain nombre de caractères.

Pour être réparable, le dommage doit être :

  • Certain: il ne doit pas être éventuel
  • Actuel: il faut une probabilité suffisante du préjudice, ce qui revient à dire, en réalité, que celui-ci doit être certain
  • Personnel: seule la personne qui a souffert du dommage peut en demander réparation
  • Légitime: le dommage ne doit pas être le produit d’une activité illicite (travail au noir par exemple)
  • Direct: la présence de ce caractère se vérifiera dans le cadre de l’étude du lien de causalité

Le dommage subi par la victime revêt-il, en l’espèce, tous ces caractères ?

De toute évidence, la présence d’aucun des caractères que l’on vient d’énoncer ne semble pouvoir être contestée s’agissant du dommage subi par la victime.

Celle-ci ayant été grièvement touchée au niveau des parties génitales, son dommage est tout ce qu’il y a de plus certain, actuel et personnel.

Par ailleurs, bien qu’elle ait été blessée dans le cadre d’un combat, celui-ci s’est tenu dans l’enceinte d’un dojo, sous la direction d’un professeur de karaté, de sorte que son préjudice n’a rien d’illégitime.

 2) La qualification du dommage

 Quelle(s) qualification(s) est susceptible d’endosser le préjudice subi par la victime ?

 Plusieurs sortes de préjudices peuvent être relevées :

  • Un préjudice corporel: les parties génitales de la victime ont été sévèrement touchées.
    • Un pretium doloris (souffrances physiques et morales éprouvées des suites de l’accident)
  • Un préjudice matériel : la blessure dont souffre la victime va nécessairement occasionner des frais médicaux liés, notamment, à une hospitalisation, à l’achat de médicaments, à la sollicitation de soins ou encore à la pose d’une prothèse.
  • Préjudice esthétique : préjudice lié à la pose d’une prothèse
  • Préjudice d’agrément : ce préjudice se définit comme la privation – totale ou partielle – des plaisirs d’une vie normale ( Pl., 19 déc. 2003).
    • Pour ce nous concerne, il s’agira surtout d’un préjudicie d’ordre sexuel ( 2ème, 17 juin 2010)

 Conclusion :

Le dommage subi par Gilbert constitue, de par les caractères qu’il revêt et les différentes formes par le biais desquelles il se manifeste, un préjudice réparable.

 B) La responsabilité du fait personnel

 En plus de la caractérisation d’un dommage, la responsabilité du fait personnel suppose la réunion de deux autres conditions :

  • Une faute (1)
  • Un lien de causalité (2)

1) La faute

 Pour que la faute de l’auteur d’un dommage puisse être source de responsabilité, encore faut-il qu’elle réponde à certains critères (a) et qu’elle ne soit pas atténuée, voire neutralisée par l’existence d’un fait justificatif (b).

 a) Les critères de la faute

Tant l’article 1382 que l’article 1383 du Code civil exige la commission d’une faute, aussi insignifiante soit-elle, pour que puisse être recherchée la responsabilité du fait personnel de l’auteur d’un dommage.

 La définition de la faute

Que doit-on entendre par faute au sens des articles 1382 et 1383 du Code civil ?

Classiquement, la caractérisation de la faute civile supposait la réunion de deux éléments cumulatifs :

  • Un élément objectif: le manquement à une obligation préexistante, une erreur de conduite
  • Un élément subjectif: la capacité de discernement de l’auteur du dommage. La faute doit pouvoir lui être imputable.

 L’élément objectif de la faute :

 Peut-on, en l’espèce, relever une erreur de conduite de la part de l’auteur du dommage ?

L’appréciation de la faute :

Pour savoir, si l’auteur d’un dommage a adopté une conduite non-conforme à celle que l’on est légitimement en droit d’attendre, encore faut-il que le juge ait à sa disposition un modèle de conduite auquel il puisse se référer pour trancher.

Aussi, ce modèle variera selon que qu’il appréciera la faute in concreto ou in abstracto.

Qu’en dit la Cour de cassation ?

Cette dernière affirme de façon constante que la faute civile doit être appréciée selon le modèle du bon père de famille, soit in abstracto.

Une fois déterminée la manière dont on doit appréhender la faute, il faut ensuite s’interroger sur la consistance de la faute sportive.

La consistance de la faute sportive :

Dans la mesure où le coup reçu par la victime lui a été porté dans le cadre d’un cours de karaté, peut-on raisonnablement penser qu’il y a eu faute ?

En effet, n’est-ce pas inhérent à la pratique d’un sport de combat que de comporter un risque de dommage corporel ?

Sur ce point, la position de la Cour de cassation est dorénavant constante.

Bien qu’il fut un temps où la haute juridiction semblait exiger que la faute sportive, pour être caractérisée, revête une certaine gravité (Civ. 2ème, 28 janv. 1987), telle n’est plus le cas, la Cour de cassation ne se référant plus désormais qu’à la seule violation des règles du jeu (Civ. 2ème, 23 sept. 2003 ; Civ. 2ème, 10 juin 2004 ; Ass. plén., 29 juin 2007)

Il est d’ailleurs à noter que le juge n’est pas lié à l’appréciation que fera l’arbitre de la violation des règles du jeu (Civ. 2ème, 10 juin 2004).

Qu’en est-il en l’espèce ? Peut-on estimer que l’auteur du dommage a commis une faute sportive ?

Il ressort très clairement des faits que, non seulement celui-ci n’a pas écouté les consignes de sécurité de son professeur, mais encore qu’il a violé les règles du sport pratiqué en portant un coup à son adversaire en dessous de la ceinture. Or pareil coup est strictement interdit en karaté.

Aussi, il est manifeste que le bon père de famille ne se serait pas conduit ainsi, de sorte que, en l’espèce, l’élément objectif de la faute est bien caractérisé.

Qu’en est-il de l’élément subjectif ?

L’élément subjectif de la faute :

Si, jusque dans le début des années 80, la Cour de cassation exigeait que la faute soit imputable à l’auteur du dommage pour que puisse être recherchée la responsabilité de son fait personnel, dorénavant, nul n’est plus besoin que celui-ci soit doué de discernement.

En effet, depuis les arrêts d’assemblée plénière du 9 mai 1984 (Derguini/Lemaire), la Cour de cassation a abandonné l’exigence d’imputabilité.

Il en résulte que la faute civile ne suppose plus la caractérisation d’un élément subjectif.

NB : Ne vous méprenez pas sur le sens de la jurisprudence Derguini/Lemaire.

  • En premier lieu, comme cela a été vu en TD, l’abandon de l’exigence d’imputabilité ne signifie pas que la responsabilité du fait personnel constitue un cas de responsabilité sans faute. La faute est toujours exigée lorsque l’on engage une action en responsabilité sur le fondement des articles 1382 et 1383. Seulement, cette faute est réduite à sa plus simple expression : son élément objectif.
  • En second lieu, ne confondez pas les cas de responsabilité objective ou de plein droit qui sont des responsabilités sans faute (responsabilité du fait des choses ou du fait d’autrui) avec la responsabilité du fait personnel qui constitue un cas de responsabilité, non pas sans faute, mais qui fait l’objet d’une objectivisation en raison de l’abandon de l’exigence d’imputabilité.

En conséquence, peu importe que l’auteur du dommage soit mineur en l’espèce. Dès lors qu’il a commis une erreur de conduite, on peut lui reprocher une faute, laquelle s’appréciera, comme pour le majeur, en référence au comportement du bon père de famille (Civ. 2ème, 28 février 1996).

Conclusion :

Une faute civile peut être reprochée à Jean-Claude.

b) L’existence d’un fait justificatif

Dans certains cas bien précis, le juge va estimer qu’une circonstance particulière peut atténuer, voire neutraliser le caractère fautif d’un comportement dommageable. C’est ce que l’on appelle un fait justificatif.

Pareille circonstance peut-elle, en l’espèce, être opposée par l’auteur du dommage à la victime afin d’ôter à sa conduite son caractère fautif ?

D’évidence, le seul fait justificatif susceptible d’être invoqué par l’auteur de la faute est l’acceptation des risques par la victime.

Cependant, cette acceptation des risques ne constitue pas un fait justificatif autonome, en ce sens qu’ils n’a pas pour effet de rendre automatiquement licite un acte paraissant a priori comme fautif.

En effet, pour que l’acceptation des risques puisse être invoquée en défense par l’agent qui se trouve à l’origine d’un dommage causé dans le cadre de la pratique d’une activité sportive, la Cour de cassation pose trois conditions principales :

  • La faute de l’auteur du dommage ne doit pas être empreinte d’une certaine gravité ( 2e, 13 janv. 2005)
  • Le fait justificatif que constitue l’acceptation des risques ne peut jouer que si le dommage s’est produit dans le cadre d’une compétition sportive ( 2ème, 22 mars 1995)
  • le risque encouru ne doit pas être normalement prévisible ( 2ème, 8 mars 1995)

En l’espèce, dans la mesure où l’accident s’est produit en dehors du cadre d’une compétition sportive, la théorie de l’acceptation des risques ne saurait être opposée par l’auteur du dommage à la victime.

Conclusion :

Jean-Claude ne saurait se dédouaner de sa responsabilité en justifiant le caractère fautif de sa conduite par l’acceptation des risques de son adversaire.

2) Le lien de causalité

Pour rechercher la responsabilité de l’auteur d’un dommage sur le fondement des articles 1382 et 1383 du Code civil, cela suppose de démontrer que, non seulement un lien de causalité existe entre le dommage et la faute (a), mais encore que ce lien de causalité n’a pas été rompu par la survenance d’un cause étrangère (b).

a) L’existence d’un lien de causalité entre la faute et le dommage

De la lecture des articles 1382 du 1383, il ressort qu’un lien de causalité entre la faute et le dommage doit exister.

Aussi, pour apprécier la satisfaction de cette condition, la Cour de cassation recourt-elle alternativement aux deux théories que sont l’équivalence des conditions et la causalité adéquate.

Tandis que, selon la théorie de l’équivalence des conditions, tout événement sans lequel le dommage ne se serait pas produit en est la cause, selon la théorie de la causalité adéquate seuls les évènements qui ont été nécessaires à la production du résultat dommageable peuvent être qualifiés de composante de la causalité.

En l’espèce, compte tenu des circonstances dans lesquelles s’est produit le dommage, nul n’est besoin de recourir à la théorie de l’équivalence des conditions pour caractériser le lien de causalité entre la blessure aux organes génitaux dont souffre la victime et le comportement fautif de l’auteur du coup de pied.

Ainsi, le recours à la théorie de la causalité adéquate suffit-il pour établir l’existence d’un lien de causalité certain et direct entre la faute et le dommage.

Reste à savoir si une cause étrangère ne serait pas venue rompre la chaîne de la causalité, auquel cas cela pourrait constituer une source d’exonération partielle, voire totale pour l’auteur du dommage.

b) La survenance d’une cause étrangère

La survenance d’une cause étrangère peut se manifester sous trois formes différentes :

  • Le fait de la nature
  • Le fait d’un tiers
  • La faute de la victime

En l’espèce, si cause étrangère il y a, sous quelle forme se manifeste-t-elle ?

Sans aucun doute, elle consistera en une faute de la victime !

En effet, il ressort des faits que la victime était quelque peu distraite lorsque le professeur de karaté a exposé les consignes de sécurité.

Par ailleurs, elle a oublié de porter une coquille, laquelle coquille l’aurait très certainement protégée contre les coups malencontreux portés au niveau des organes génitaux.

La question qui dès lors se pose est de savoir si, en l’espèce, la conduite de la victime peut être qualifiée de fautive.

 Pour le déterminer, cela suppose de se demander si une faute peut être retenue à son encontre au sens des articles 1382 et 1383 du Code civil.

Sans qu’il soit besoin de revenir, dans le détail, sur les éléments constitutifs de la faute civile, se pose néanmoins à nous la question de savoir si le bon père de famille se serait comporté comme la victime en l’espèce.

Autrement dit, cette dernière peut-elle se voir reprocher un écart de conduite ?

Manifestement, la réponse à cette interrogation ne peut être que positive.

Le bon père de famille aurait, en effet, écouté les consignes de sécurité de son professeur et pris, en outre, la précaution de porter une coquille.

Peu importe, d’ailleurs que la victime du dommage soit mineure, dans la mesure où depuis les arrêts d’assemblée plénière Derguini et Lemaire, la Cour de cassation n’exige plus que la faute soit imputable à son auteur.

En conséquence, une faute peut parfaitement être retenue à l’encontre de la victime, si bien que l’auteur du dommage sera fondé à invoquer la survenance d’une cause étrangère.

Reste à savoir si la survenance de cette cause étrangère est de nature à l’exonérer partiellement ou totalement de sa responsabilité.

Pour le savoir, deux situations doivent être distinguées :

  • La faute de la victime revêt les caractères de la force majeure (irrésistible, imprévisible et extérieure).
    • l’auteur du dommage pourra s’exonérer totalement de sa responsabilité.
    • Le lien de causalité est totalement rompu
  • La faute de la victime ne revêt pas les caractères de la force majeure.
    • Dans ce cas, l’auteur du dommage ne pourra s’exonérer de sa responsabilité qu’à proportion de l’implication de sa propre faute dans le dommage
    • La responsabilité est partagée en fonction de la gravité des fautes
    • Le lien de causalité est partiellement rompu.

En l’espèce, est-ce que la faute de la victime revêt les caractères de la force majeure ?

Certainement pas !

La faute de la victime n’était ni irrésistible, ni imprévisible.

Conclusion :

Si Jean-Claude, auteur du dommage, souhaite opposer à Gilbert sa propre faute, il ne pourra s’exonérer de sa responsabilité que partiellement, à charge pour le juge de déterminer, dans le cadre de son pouvoir souverain d’appréciation, dans quelle proportion.

Au total, si l’action en responsabilité menée par les parents de Gilbert sur le fondement des articles 1382 et 1383 du Code civil a toutes les chances d’aboutir, il est fort peu probable que Jean-Claude, qui est mineur, soit solvable.

Dès lors, pour obtenir réparation du préjudice subi par leur fils, la meilleure solution qui s’offre à eux est de rechercher la responsabilité des parents de Jean-Claude.

C) La responsabilité des parents du fait de leurs enfants

Prenant assise à l’alinéa 4 de l’article 1384 du Code civil, la responsabilité des parents du fait de leurs enfants suppose, pour être caractérisée, en plus de la preuve de l’existence d’un dommage – dont l’établissement n’est plus à démontrer en l’espèce – la réunion de trois conditions :

  • Un fait générateur (1)
  • Un lien de causalité entre le fait générateur et le dommage (3)
  • La garde de l’enfant (2)

1) Le fait générateur

Tandis qu’en matière de responsabilité du fait personnel, la Cour de cassation exige la commission d’une faute par l’auteur du dommage – bien que réduite à son seul élément objectif –, en matière de responsabilité des parents du fait de leurs enfants, depuis un arrêt Fullenwarth rendu par l’assemblée plénière le 9 mai 1984, le simple fait causal peut être source de responsabilité.

Autrement dit, pour la Cour de cassation, « il suffit que [l’enfant] ait commis un acte qui soit la cause directe du dommage » pour que la responsabilité de ses parents puisse être recherchée.

Cette solution adoptée par la Cour de cassation en 1984, sera confirmée 15 ans plus tard dans un arrêt Levert rendu le 10 mai 2000, puis par deux arrêts d’assemblée plénière du 13 décembre 2002.

Entre temps, dans un arrêt Bertrand rendu le 19 février 1997 la deuxième chambre civile a eu l’occasion d’affirmer que les parents ne sauraient s’exonérer de leur responsabilité en prouvant qu’ils n’ont commis aucune faute de surveillance ou d’éducation de leur enfant.

Pour la Cour de cassation, pèse désormais sur les parents, non pas une présomption de faute, mais une présomption de responsabilité (comme pour le gardien de la chose – arrêt Jand’heur du 13 février 1930), de sorte que la responsabilité fondée sur l’article 1384 alinéa 4 du Code civil est une responsabilité de plein droit, c’est à dire sans faute.

Que peut-on en déduire en l’espèce ?

Peu importe que l’auteur du dommage ait commis une faute, il engage la responsabilité de ses parents (arrêts Fullenwarth/Levert), lesquels ne peuvent s’exonérer de cette dernière qu’en rapportant la preuve de la survenance d’un cas de force majeure (arrêt Bertrand).

Une autre solution s’offre aux parents de l’auteur du dommage pour se dédouaner de leur responsabilité : démontrer qu’au moment de l’accident ils n’avaient pas la garde de leur enfant.

2) La garde de l’enfant

Pour rechercher la responsabilité des parents du fait de leurs enfants sur le fondement de l’article 1384 alinéa 4 du Code civil, encore faut-il qu’ils en aient la garde.

Aussi, cela suppose-t-il :

  • que l’enfant soit mineur (a)
  • que les parents exercent sur leur enfant l’autorité parentale (b)
  • qu’ils cohabitent avec lui (c)

a) La minorité de l’enfant

 Si, la condition relative à la minorité semble aller de soi, encore faut-il penser à la vérifier, dans la mesure où le Code civil vise la responsabilité des parents du fait de leur enfant.

 Hors l’enfant, ne peut s’entendre que comme la personne qui n’a pas atteint l’âge de 18 ans révolu.

 En l’espèce, l’auteur du dommage n’a que 15 ans. Par conséquent, la condition de minorité est remplie.

 En va-t-il de même pour la condition tenant à l’exercice de l’autorité parentale ?

 b) L’exercice de l’autorité parentale

Là encore, cette condition se comprend aisément dans la mesure où comment retenir la responsabilité de parents du fait de leurs enfants s’ils n’exercent pas sur eux l’autorité parentale ?

Certes, ce cas de responsabilité est désormais détaché, depuis l’arrêt Bertrand, de toute idée de faute des parents dans la surveillance ou l’éducation de leur progéniture, néanmoins il est nécessaire qu’ils aient un minimum d’emprise sur elle.

Ce pouvoir de contrôle a minima que la jurisprudence exige que les parents exercent sur leurs enfants pour que leur responsabilité puisse être recherchée sur le fondement de l’article 1384 alinéa 4 du Code, c’est l’autorité parentale.

La question qui dès lors se pose est de savoir comment cette prérogative légale est dévolue aux parents.

Selon le Code civil, elle peut l’être de deux manières :

  • Soit par l’établissement d’un lien de filiation (articles 371-1 et 372 du C. civ)
  • Soit par décision de justice (articles 375 et s. du C. civ.)

En l’espèce, rien n’est dit sur l’exercice de l’autorité parentale par les parents de l’auteur, mineur, du dommage.

Aussi, pouvons-nous supposer qu’en tant que parents, ils tiennent leur autorité parentale du lien de filiation qui est établi à l’égard de leur enfant.

Cette condition est donc remplie.

Reste à vérifier la troisième et dernière condition : la cohabitation.

c) La cohabitation

Si, naguère, la Cour de cassation a eu une approche plutôt concrète de la cohabitation, en ce sens qu’elle exigeait que l’enfant, auteur du dommage, cohabite de manière effective, avec ses parents pour que leur responsabilité puisse être recherchée sur le fondement de l’article 1384 alinéa 4, depuis une quinzaine d’années elle a significativement revu son approche de la notion de cohabitation.

Depuis un arrêt Samda du 19 février 1997, la Cour de cassation considère, en effet, que pour que les parents de l’auteur du dommage engagent leur responsabilité, il suffit qu’ils aient la garde juridique de ce dernier et non plus la garde effective.

Autrement dit, pour les juges de la haute juridiction, la seule raison légitime qui pourrait être invoquée par des parents pour établir que la cohabitation avec leur enfant a cessé, c’est la réalisation d’un transfert de l’autorité parentale, lequel transfert ne peut s’opérer que par décision de justice !

Ainsi, dans un arrêt du 8 février 2005 la Cour de cassation a-t-elle pu estimer « qu’en statuant ainsi, alors que la circonstance que le mineur avait été confié, par ses parents, qui exerçaient l’autorité parentale, à sa grand-mère, n’avait pas fait cesser la cohabitation de l’enfant avec ceux-ci, la cour d’appel a méconnu le sens et la portée du texte susvisé [article 1384, alinéa 4, du Code civil] ».

La position de la Cour de cassation étant désormais bien arrêtée, il peut en être déduit qu’en l’espèce, bien que l’auteur du dommage ne fût pas sous la garde effective de ses parents, la responsabilité de ses derniers peut néanmoins être recherchée, la garde n’ayant nullement fait l’objet d’un transfert au détriment du professeur de karaté.

Il s’ensuit que la condition de cohabitation est parfaitement remplie.

 3) Le lien de causalité entre le fait générateur et le dommage

La question du lien de causalité entre le coup de pied et le dommage subi par la victime ayant déjà été traitée, nul n’est besoin de revenir dessus.

Il nous faut toutefois nous intéresser à la rupture de cette causalité, et plus précisément aux causes d’exonération qui pourraient être invoquées par les parents.

La question se pose en effet de savoir, si les parents peuvent opposer à la victime les mêmes causes d’exonération qui bénéficient à l’auteur du dommage dans le cadre de la responsabilité de son fait personnel.

Sur ce point, la jurisprudence ne laisse guère de place au doute : la Cour de cassation estime que les parents de l’auteur du dommage peuvent se prévaloir des mêmes causes d’exonération que ce dernier.

Par ailleurs, depuis l’abandon de la jurisprudence Desmares (Civ. 2ème, 21 juillet 1982), la Cour de cassation estime que, dès lors que la faute de la victime a contribué à la production du dommage, l’auteur de celui-ci peut s’exonérer partiellement de sa responsabilité.

Il n’est donc plus nécessaire que la faute de la victime revête les caractères de la force majeure pour que les parents de l’auteur du dommage puissent s’exonérer de leur responsabilité.

Cette jurisprudence a été confirmée par de nombreux arrêts, dont une décision de la deuxième chambre civile du 19 avril 2004.

En l’espèce, les parents de l’auteur du dommage pourront donc s’exonérer partiellement de leur responsabilité en raison, comme démontré précédemment, de la commission d’une faute par la victime, bien que ne revêtant pas les caractères de la force majeure.

Conclusion :

La responsabilité des parents de Jean-Claude pourra être recherchée sur le fondement de l’article 1384 alinéa 4 du Code civil.

Conclusion générale :

Les parents de Gilbert seront seulement fondés à engager une action en responsabilité délictuelle, aucune faute contractuelle ne pouvant être reprochée au professeur de karaté.

En outre, seule une action introduite sur le fondement de l’article 1384 alinéa 4 du Code aura des chances de déboucher sur une indemnisation.

Dans la mesure, en effet, où l’auteur du dommage est mineur, il est fort peu probable qu’il soit solvable et que donc les parents de la victime soit indemnisés par lui pour le préjudice subi par leur fils.