Le Droit dans tous ses états

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La vente : la détermination du prix

Les parties sont en principe libres de déterminer le prix de la vente. Encore faut-il qu’elles usent de cette liberté et que le prix, au moment de la conclusion de l’acte, soit déterminé ou déterminable.

1.- La libre fixation du prix

Exception faite de l’exigence du caractère sérieux du prix et, pour les ventes immobilières, de la lésion, les parties déterminent librement le prix de la chose vendue.

En matière commerciale notamment, l’article L. 410-2 du Code de commerce (issu de l’art. 1er, Ord. n° 86-1243, 1er déc. 1986) prévoit que « les prix des biens, produits et services relevant antérieurement au 1er janvier 1987 de l’ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945 sont librement déterminés par le jeu de la concurrence ». Il s’avère cependant, d’une part, que le texte prévoit expressément des exceptions à ce principe lorsque la concurrence est insuffisante et, d’autre part, que l’épanouissement de la concurrence exige parfois de l’État qu’il s’immisce dans la procédure de détermination des prix. L’article L. 442-5, al. 1er c.com. (anc. art. L. 442-2 – Ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 – art. 2) incrimine ainsi la revente à perte : « Le fait, pour tout commerçant, de revendre ou d’annoncer la revente d’un produit en l’état à un prix inférieur à son prix d’achat effectif, est puni de 75 000 euros d’amende. » De nombreuses dispositions inspirées par le jeu de la concurrence encadrent la liberté de fixation du prix en matière commerciale (publicité des tarifs, interdiction des discriminations tarifaires, interdiction des prix de revente imposés…).

2.- Le caractère déterminé ou déterminable du prix

L’article 1591 c.civ. prévoit que « le prix de la vente doit être déterminé et désigné par les parties ». Pour simple qu’elle paraisse, cette exigence mérite d’être précisée. Il convient ainsi de s’entendre sur la notion de « prix » (a), celle de « détermination » (b) et celle de « parties » (c).

a.- Le prix

Le prix comprend les éléments pécuniaires correspondant à la valeur que les parties ont reconnue à la chose et qui entreront dans le patrimoine du vendeur.

Mais il convient également de régler le sort des frais afférents à la vente, qu’ils aient pour objet de permettre la délivrance du bien (frais de transport, frais d’acte…) ou qu’ils aient la nature de prélèvement obligatoire (TVA notamment). Sauf clause contraire, ces frais sont à la charge de l’acquéreur (art. 1593 c.civ.). Ils ne doivent pas moins être déterminés au jour de la vente – il en va de même pour les rabais, remises et ristournes que consentirait le vendeur –, ce qui implique que les parties précisent, à l’occasion de cette vente, si le prix stipulé inclut ou non ces accessoires. Les usages en vigueur dirigent l’interprétation du contrat et suppléent le silence gardé par les parties, permettant la sauvegarde de l’acte. « Selon un usage constant entre commerçants, les prix s’entendent hors taxes, sauf convention contraire » (Cass. com., 9 janv. 2001, n° 97-22.212, Bull. civ. IV, 8). A contrario, les prix pratiqués à l’endroit des non-commerçants seraient réputés inclure la TVA.

b.- La détermination

L’exigence de la détermination du prix est prévue à l’article 1591 c.civ. et réitérée, en droit commun des contrats, à l’article 1163 nouv. c.civ. qui prévoit que l’obligation a pour objet une prestation possible et déterminée ou déterminable – ici, de payer le prix –. L’exigence a soulevé des difficultés à l’occasion de la mise en œuvre de contrats-cadres (3).

Le prix déterminé

Le prix est déterminé – et la vente valablement formée – dès lors que les parties sont convenues du montant d’une somme d’argent. Dans les contrats internes, la monnaie utilisée ne saurait être que l’euro : la vente convenue dans une autre monnaie encourt la nullité absolue. Les parties à un contrat international sont libres en revanche d’user d’une monnaie étrangère, peu importe qu’elles s’exposent à un risque de change.

Le prix déterminable dans n’importe quel contrat

L’article 1591 c.civ. n’interdit pas que les parties s’abstiennent de fixer un montant pourvu que, au jour de la vente, le prix soit déterminable. Le prix est déterminable lorsque deux conditions sont remplies : « il n’est pas nécessaire que le montant en soit fixé, dans le principe, d’une manière absolue ; […] il suffit, pour la formation de la vente, que le prix puisse être déterminé, en vertu des clauses du contrat, par voie de relation avec des événements qui ne dépendent plus de la volonté, ni de l’une ni de l’autre des parties » (Cass. req., 7 janv. 1925, GAJ civ., t. 2, Dalloz, n° 260).

Il est donc nécessaire, tout d’abord, que les modalités de détermination du prix soient stipulées au jour de la vente. Les parties peuvent confier à un tiers le soin de le fixer : le contrat est alors valablement formé si le tiers accepte et mène à bien sa mission (art. 1592 c.civ.). Les parties peuvent encore convenir des éléments de calcul du prix (l’indexation notamment) pourvu que ceux-ci soient suffisamment précis : est donc déterminé le prix composé d’une somme exprimée en valeur absolue à laquelle est ajouté un pourcentage du chiffre d’affaires réalisé par l’acquéreur au moyen de la chose cédée dans les 8 années suivant la vente (Cass. 1ère civ., 28 juin 1988, n° 86-12.812, Bull. civ. I, 212). En revanche, le silence gardé par les parties sur le prix emporte la nullité de la vente : il ne peut être pallié ni par les relations commerciales antérieures (Cass. com., 12 nov. 1997, n° 95-14.214) ni par des « éléments extérieurs à l’acte de cession » (Cass. 1ère civ., 24 févr. 1998, n° 96-13.414, Bull. civ. I, 81).

Il est nécessaire, ensuite, que la détermination du prix ne dépende pas de la volonté des parties et ne soit pas laissée à la discrétion de l’une ou de l’autre. Dans le premier cas, il n’y a pas eu vente, faute d’accord sur le prix ; dans le second cas, le prix n’a pas été déterminé.

Le prix déterminable dans les contrats-cadres

Les principes exposés ci-dessus connaissent un tempérament notable lorsque la vente est formée en application d’un contrat-cadre de fourniture ou de distribution. Dans ce type de contrat, longtemps inconnu du Code civil (voy. désormais l’art. 1164 nouv. c.civ.), un fournisseur s’engage, sur une certaine durée, à approvisionner son cocontractant – un distributeur souvent –, lequel s’engage en retour à se fournir auprès de lui, de manière exclusive ou pour un volume prédéterminé. Le contrat-cadre, qui n’est pas lui-même un contrat de vente, a donc pour objet de définir les conditions dans lesquelles auront lieu les ventes futures entre les parties (dites « contrats d’application »). L’article 1111 nouv. c.civ. en propose une définition synthétique : « Le contrat-cadre est un accord par lequel les parties conviennent des caractéristiques essentielles de leurs relations contractuelles futures. Des contrats d’application en précisent les modalités d’exécution. »

  • L’utilité des contrats-cadres

L’utilité du contrat-cadre est d’autant plus importante que les parties fixent leurs relations sur le long terme : le fournisseur est certain, pour la durée du contrat, d’écouler ses produits, tandis que le cocontractant sécurise son approvisionnement dans son principe et dans ses modalités. Eu égard à la volatilité des prix de certains produits – l’essence notamment – la fixation du prix des ventes futures au jour de la conclusion du contrat-cadre paraît peu pertinente, voire illusoire : plutôt que de sécuriser sa situation, chaque partie s’exposerait en effet à un risque de marché. Les parties sont libres de fixer, dans le contrat-cadre, les modalités de détermination du prix des ventes futures en respectant les conditions induites de l’article 1591 c.civ. : éléments précis de détermination du prix et absence de pouvoir unilatéral de l’une des parties dans la détermination.

Une pratique commerciale s’était cependant répandue, aux termes de laquelle de nombreux contrats-cadres prévoyaient que la vente future aurait lieu à un prix fixé unilatéralement par le fournisseur (prix catalogue). Cette dernière pratique a été consacrée par le législateur. L’article 1164 nouv. c.civ. dispose désormais que “dans les contrats cadres, il peut être convenu que le prix sera fixé unilatéralement par l’une des parties, à charge pour elle d’en motiver le montant en cas de contestation.” Et la loi de réserver la saisine du juge en cas d’abus dans la fixation du prix (art. 1164, al. 2 nouv.). (voy. dans le même sens à propos d’un contrat de prestation de service, art. 1165 nouv. c.civ.).

  • Les évolutions jurisprudentielles (rappel)

À compter de 1971, la Cour de cassation a censuré ces pratiques commerciales. Elle le fit d’abord sur le fondement de l’article 1591 c.civ. (Cass. com., 27 avr. 1971, n° 70-10.752, Bull. civ. IV, 107) puis à compter de 1978, de l’article 1129 du Code civil qui prévoit que « la quotité de la chose [objet du contrat] peut être incertaine, pourvu qu’elle puisse être déterminée » (Cass. 1ère civ., 11 oct. 1978, n° 77-10.155, 77-11.485 et 77-11.624, Bull. civ. IV, 223, 224 et 225). Le changement n’est pas anodin : cet article 1129 a en effet une portée générale, et régit l’ensemble des conventions – et pas seulement la vente. Les contrats-cadres organisant des ventes continuèrent donc d’être frappés, mais aussi ceux régissant des prestations de services (chose curieuse, car la détermination du prix n’est pas une condition de validité du contrat de louage de services, v. infra).

En 1991, la Première chambre civile de la Cour de cassation admit la validité du contrat de location d’installations téléphoniques aux termes duquel la modification de l’installation, dont le bailleur s’était réservé l’exclusivité, se fait « sur la base du tarif en vigueur » au jour de la modification (Civ. 1re, 29 nov. 1994, n° 92-16.267 et 91-21.009, Bull. civ. I, 348). Par quatre décisions d’assemblée plénière du 1er décembre 1995, la Cour acheva son revirement de jurisprudence : « l’article 1129 du Code civil [n’est] pas applicable à la détermination du prix » (cass. Ass. plén., 1er déc. 1995, n° 93-13.688, Bull. civ., 9), mais à la seule prestation caractéristique du contrat : « lorsqu’une convention prévoit la conclusion de contrats ultérieurs, l’indétermination du prix de ces contrats dans la convention initiale n’affecte pas, sauf dispositions légales particulières, la validité de celle-ci » (Cass. Ass. plén., 1er déc. 1995, n° 91-15.578, Bull. civ, 7). Elle reconnut ainsi la validité des contrats-cadres dans lesquels l’une des parties fixait unilatéralement le prix des contrats d’application (Ass. plén., 1er déc. 1995, n° 91-19.653, Bull. civ., 8).

  • Le contrôle du juge

Le cocontractant ne demeure toutefois pas à la merci du fournisseur disposant du pouvoir de fixer unilatéralement le prix. L’usage abusif de cette prérogative donne lieu à résiliation des contrats d’application, voire du contrat-cadre en cas de violation grave par le fournisseur de son obligation de bonne foi, ou d’indemnisation à raison du préjudice subi. La notion d’abus doit être entendue largement : elle recouvre la fixation du prix dans l’intention de nuire comme le profit illégitime que tire le fournisseur de la dépendance économique dans laquelle se trouve son cocontractant (comp. art. L. 420-2, C. com.). Sont par exemple jugés abusifs les prix fixés unilatéralement par un fournisseur qui, « excessifs dès l’origine, ne permettaient pas [au distributeur] de faire face à la concurrence » (Cass. com., 4 nov. 2014, n° 11-14.026).

La solution donnée en 1995 régit l’ensemble des contrats-cadres, quelle que soit la nature des contrats d’application (louage d’ouvrages ou de services, vente…), mais ne s’étend pas aux contrats de vente conclus en dehors de contrats-cadres. Comme cela a été indiqué plus haut, ladite solution été reprise par la loi à l’issue de la réforme du droit commun des contrats. L’article 1164 al. 1 nouv. c.civ.

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