La répartition de l’actif sous le régime légal: les biens mixtes (offices ministériels, clientèles civiles et droits sociaux non négociables)

Le régime légal, qui s’applique aux couples mariés faute d’établissement d’un contrat de mariage, est le régime de la communauté réduite aux acquêts.

Ce régime a été institué par la loi du 13 juillet 1965 qui l’a substitué à l’ancien régime légal de communauté de meubles et d’acquêts, lequel est désormais relégué au rang de régime conventionnel.

Principale caractéristique du régime légal, il s’agit d’un régime communautaire. Cette spécificité implique la création d’une masse commune de biens aux côtés des biens propres dont les époux demeurent seuls propriétaires.

La question qui immédiatement se pose est de savoir comment s’opère la répartition des biens entre ceux qui tombent en communauté et ceux qui relèvent d’un actif propre.

Pour le déterminer, il convient de se reporter aux articles 1401 à 1408 du Code civil qui sont logés sous un paragraphe intitulé « De l’actif de la communauté ».

À l’analyse, l’économie générale du dispositif instauré par ces dispositions prend assise sur la notion d’acquêt qui fixe la ligne de partage entre biens communs et biens propres.

Par acquêts, il faut entendre les biens acquis à titre onéreux par les époux pendant le mariage.

La communauté instituée par le régime légal étant « réduite aux acquêts », on peut en déduire que les biens qui, soit n’ont pas été acquis avant la célébration du mariage, soit ont été acquis à titre gratuit par les époux, constituent des biens propres.

Contrairement aux biens communs, lors de la dissolution du mariage ils ne feront l’objet d’aucun partage ; ils resteront la propriété exclusive de l’un ou l’autre époux.

Tout l’enjeu est donc de déterminer quels sont les biens susceptibles d’endosser la qualification d’acquêt et ceux qui échappent à cette qualification.

À cet égard, la mise en œuvre de la notion d’acquêt n’est pas sans soulever, parfois, un certain nombre de difficultés. Il est, en effet, des cas où il sera peu aisé de déterminer de quel côté de la frontière qui sépare la masse commune des masses propres se situe un bien.

Certains biens sont qualifiés de mixtes car, sont tout à la fois communs pour la valeur qu’ils représentent et propres à raison du lien particulièrement étroit qu’ils entretiennent avec la personne d’un époux.

Au nombre de ces biens dits mixtes, on compte :

  • D’une part, les offices ministériels et les clientèles civiles
  • D’autre part, les droits sociaux non négociables

I) Les offices ministériels et les clientèles civiles

S’il a très tôt été admis que les offices ministériels endossaient la double qualification de biens propres et de biens communs, tel n’a pas été le cas pour les clientèles civiles dont la patrimonialité n’a été reconnue que très tardivement.

A) Les offices ministériels

Il est des professions réglementées dont l’exercice est subordonné à la titularité d’un office ministériel.

Cet office ministériel consiste en une charge dont le titulaire (l’officier ministériel) est investi par une autorité publique d’un privilège viager l’autorisant à exercer une activité qui consiste en une mission de service public.

Aux nombres des officiers ministériels on compte notamment :

  • Les notaires
  • Les huissiers de justice
  • Les mandataires judiciaires
  • Les administrateurs judiciaires
  • Les commissaires-priseurs
  • Les greffiers des Tribunaux de commerce
  • Les avocats aux Conseils

==> Problématique

Pendant très longtemps, les officiers ministériels se sont distingués des autres professions réglementées en ce qu’il leur a toujours été reconnu un droit de présentation.

Ce droit de présentation était, jusqu’au milieu du XXe siècle, refusé aux professions libérales, au motif que cela serait revenu à admettre les cessions de clientèles civiles.

Or ces cessions étaient regardées comme portant gravement atteinte à la liberté individuelle en ce qu’elles priveraient les clients de la possibilité de confier leurs intérêts au professionnel de leur choix

S’agissant des offices ministériels, la question se posait en des termes différents dans la mesure où le droit de présentation consiste pour le titulaire de la charge, non pas à présenter son successeur à sa clientèle, mais à la chancellerie. C’est la raison pour laquelle, il a toujours été admis.

En raison de ce droit de présentation, qui confère un caractère patrimonial à l’office, on s’est très tôt demandé si, lorsqu’il était attribué à un époux au cours du mariage, il ne pouvait pas tomber en communauté, à l’instar de n’importe quel autre acquêt.

À l’analyse, un office ministériel ne saurait toutefois être assimilé à un acquêt ordinaire. Le droit d’être investi de cette charge est conféré par l’autorité publique exclusivement en considération de la personne du titulaire.

Il en résulte, pratiquement, que, en cas de dissolution de la communauté, l’office ministériel ne peut être attribué au conjoint, comme ce peut être le cas d’un immeuble ou d’un fonds de commerce.

Pour cette raison, il a fallu que la jurisprudence trouve une solution permettant de ne pas priver la communauté de la valeur, souvent importante, de l’office ministériel, qui n’est autre que le produit de l’industrie de l’époux exploitant, tout en maintenant la titularité de la charge dans le patrimoine personnel de ce dernier.

==> Distinction entre le titre et la finance

La solution trouvée par les juridictions pour appréhender la dualité de natures des offices ministériels a consisté à mettre en place un système reposant sur la distinction entre le titre et la finance.

  • Le titre
    • Il s’agit du droit dont est investi un époux d’être titulaire d’un l’office ministériel
    • Dans la mesure où ce droit lui est conféré en considération de sa personne, le titre est un bien propre.
    • Aussi, en cas de dissolution de la communauté, il a vocation à être attribué en nature à l’époux titulaire de la charge.
    • À cet égard, le conjoint ne dispose pas de la faculté d’imposer la cession de l’office au titulaire.
  • La finance
    • Il s’agit de la valeur de l’office ministériel et plus précisément du droit de présentation à la chancellerie.
    • Dans la mesure où l’office peut faire l’objet d’une cession et que, à ce titre, il présente un caractère patrimonial, sa valeur, qualifiée de « finance», est inscrite à l’actif commun.
    • Lors de la dissolution de la communauté, cette valeur devra donc être intégrée dans la masse partageable

Il ressort de cette distinction entre le titre de la finance que l’office ministériel est commun pour sa valeur et reste propre pour sa nature.

À tout le moins telle est la position – constante – de la jurisprudence depuis le milieu du XIXe siècle (V. en ce sens Cass. civ. 4 janv. 1853 ; Cass. 1ère civ. 21 oct. 1959).

==> Controverse doctrinale

L’entrée en vigueur de la loi du 13 juillet 1965 a fait naître une controverse en doctrine quant à l’opportunité de maintenir le système mis en place par la jurisprudence.

Cette loi a, en effet, donné lieu à l’adoption de l’article 1404 qui prévoit notamment que « forment des propres par leur nature, quand même ils auraient été acquis pendant le mariage, […] tous les droits exclusivement attachés à la personne ».

Dans la mesure où les offices ministériels présentent la particularité d’être attribués en considération de la personne de leur titulaire, une frange de la doctrine s’est demandé, si finalement ils ne relevaient pas de la catégorie des biens propres par nature, à charge de récompense au profit de la communauté qui aura financé l’acquisition.

Au surplus, il a été avancé que le nouveau mode de calcul des récompenses permettrait d’atteindre le même résultat que celui obtenu si l’on faisait tomber la valeur de l’office en communauté.

Bien que reposant sur des arguments séduisants et disposant d’un fondement textuel solide, la thèse de la qualification unitaire n’en a pas moins fait l’objet de vives critiques.

Tout d’abord, il lui a été reproché d’hypothéquer les chances de la communauté de percevoir, lors de la liquidation du régime, la valeur de l’office, en raison de la précarité du droit à récompense qui requiert que son débiteur soit solvable.

Ensuite, à supposer qu’il le soit, des auteurs ont fait observer que les conditions d’octroi d’un droit à récompense au profit de la communauté ne seraient, au regard des textes, pas toujours réunies.

En pareille hypothèse, la communauté serait alors purement et simplement privée de la valeur de l’office, alors même que cette valeur constitue un bien provenant directement de l’industrie d’un époux à l’instar du fonds de commerce dont il est admis qu’il est inscrit à l’actif commun.

Enfin, il a été soutenu que l’approche moniste, soit celle consistant à qualifier l’office ministériel de bien propre, tant pour sa valeur qu’en nature, conduisait à exclure de la masse commune – devenue indivise après la dissolution du mariage – les revenus générés pendant la période d’indivision post-communautaire.

Or l’approche dualiste produit quant à elle, l’effet exactement inverse, puisque les fruits produits durant cette période ont vocation à intégrer la masse indivise, ce qui est particulièrement protecteur des intérêts du conjoint.

Tout bien pesé, alors que les approches monistes et dualistes faisaient jeu égal en doctrine, la jurisprudence a finalement tranché en faveur de la seconde approche, soit celle plaidant pour un maintien du système reposant sur la distinction entre le titre et la finance.

==> Intervention de la jurisprudence

Dans un arrêt du 8 décembre 1987, la Cour de cassation a jugé s’agissant d’une concession de parc à huîtres accordée par l’administration au profit d’un exploitant que seule la valeur patrimoniale de cette concession tombait en communauté (Cass. 1ère civ. 8 déc. 1987, n°86-12426).

Dans cette affaire, des époux en instance de divorce se disputaient l’attribution en nature de concessions de parcs à huîtres.

Par un arrêt du 21 janvier 1986, la Cour d’appel de Montpellier avait considéré que ces concessions constituaient des biens propres par nature conformément à l’article 1404 du Code civil et que, par voie de conséquence, elles ne pouvaient être incluses dans la masse à partager.

Saisie sur pourvoi formé par l’épouse qui contestait cette qualification de bien propre, la Cour de cassation qui, bien que rejetant le pourvoi, procède à une substitution de motif.

Elle relève, tout d’abord, que les concessions de parcs à huîtres, qui sont accordées par l’administration, « impliquent une exploitation personnelle par le concessionnaire et qu’elles ne sont cessibles qu’avec l’autorisation de l’Administration et au profit seulement de personnes remplissant elles-mêmes les conditions requises pour exploiter ».

La première chambre civile affirme ensuite « qu’il s’ensuit que ces concessions ont un caractère personnel et que seule, en l’espèce, la valeur patrimoniale des parcs à huîtres est tombée en communauté ».

Autrement dit, si les concessions de parcs à huîtres restent propres à l’époux titulaire, en ce qu’elles présentent un caractère personnel, leur valeur patrimoniale doit, quant à elle, être inscrite à l’actif commun.

La Cour de cassation confirme ainsi par cet arrêt qu’elle entend maintenir la distinction entre le titre et la finance, considérant que cette distinction ne contrevient nullement à la règle énoncée à l’article 1404 du Code civil.

Et pour cause, si le titre reste propre à son titulaire, c’est précisément parce qu’il est fait application de cette disposition.

Cette position a, par suite, été confirmée par la Cour de cassation qui s’est spécifiquement prononcée sur la qualification d’un office ministériel dont était titulaire un huissier de justice.

Dans cette décision, où se posait la question du sort des revenus générés par l’étude pendant la période post-communautaire, la Cour de cassation a validé la décision de la Cour d’appel qui « après avoir retenu que la valeur patrimoniale des parts de la société civile professionnelle titulaire de la charge d’huissier de justice constituait un bien dépendant de la communauté conjugale, […] en a justement déduit que les fruits et revenus de ce bien, perçus par le mari en sa qualité d’associé pendant l’indivision post-communautaire, avaient accru à l’indivision » (Cass. 1ère civ. 10 févr. 1998, n°96-16735).

B) Les clientèles civiles

À l’instar des offices ministériels, les clientèles civiles, soit celles constituées dans le cadre de l’exercice d’une profession libérale (par opposition à la clientèle commerciale qui est un élément du fonds de commerce) sont étroitement attachées à la personne du praticien.

La raison en est que celui qui exerce une profession libérale noue avec son client un lien de confiance pour le moins singulier.

Tel est notamment le cas s’agissant de la relation que les médecins, dentistes et plus généralement les professionnels de santé entretiennent avec leurs patients. Un lien de confiance est également nécessaire entre l’avocat et son client ou encore entre l’architecte et le maître d’ouvrage.

En raison du lien étroit et personnel entretenu entre l’époux exerçant une profession libérale et sa clientèle, on s’est très tôt interrogé sur la qualification de cette clientèle : doit-elle être regardée comme un acquêt et donc tomber en communauté ou constitue-elle un bien propre ?

A l’analyse, la question se posait sensiblement dans les mêmes termes que pour les offices ministériels, à la nuance près toutefois que la patrimonialité des clientèles civiles a été reconnue plus tardivement.

==> La prohibition des cessions de clientèles civiles

À la différence du traitement réservé aux offices ministériels, il a, en effet, pendant longtemps, été refusé de reconnaître un caractère patrimonial aux clientèles civiles, leur cession étant prohibée.

Au soutien de l’interdiction des cessions de clientèles civiles, deux arguments majeurs ont été avancés :

  • Premier argument
    • Il existe un lien de confiance personnel entre le professionnel qui exerce une activité libérale et son client, ce qui fait de cette relation particulière une chose hors du commerce au sens de l’ancien article 1128 du Code civil
  • Second argument
    • Autoriser les cessions de clientèles civiles reviendrait à admettre qu’il soit porté atteinte à la liberté individuelle en ce que cette opération est de nature à priver les clients de la possibilité de confier leurs intérêts au professionnel de leur choix

Dans un arrêt du 7 février 1990, la Cour de cassation a ainsi censuré une Cour d’appel pour avoir validé la cession de clientèle d’un chirurgien-dentiste (Cass. 1ère civ., 7 févr. 1990)

Après avoir affirmé que « lorsque l’obligation d’une partie est dépourvue d’objet, l’engagement du cocontractant est nul, faute de cause », la première chambre civile affirme que « les malades jouissant d’une liberté absolue de choix de leur médecin ou dentiste, leur ” clientèle “, attachée exclusivement et de façon toujours précaire à la personne de ce praticien, est hors du commerce et ne peut faire l’objet d’une convention ».

Pour la Haute juridiction la convention conclue en l’espèce encourait dès lors la nullité

Malgré l’interdiction qui frappait les cessions de clientèles civiles, la Cour de cassation a admis, en parallèle, qu’un professionnel exerçant une activité libérale puisse conclure une convention par laquelle il s’engage envers son successeur à lui présenter sa clientèle (Cass. 1ère civ., 7 mars 1956, n°56-02066).

Dans un arrêt du 7 juin 1995, la Cour de cassation a, par exemple, décidé que « si la clientèle d’un médecin ou d’un chirurgien-dentiste n’est pas dans le commerce, le droit, pour ce médecin ou ce chirurgien-dentiste, de présenter un confrère à sa clientèle, constitue un droit patrimonial qui peut faire l’objet d’une convention régie par le droit privé » (Cass. 1ère civ., 7 juin 1995, n°93-17099)

Comme s’accordent à le dire les auteurs, cela revenait, en réalité, à admettre indirectement la licéité des cessions de clientèles civiles.

Il en est résulté la reconnaissance d’une valeur patrimoniale au droit de présentation attaché à la clientèle de l’époux exerçant une profession libérale.

==> Qualification du droit de présentation

S’agissant de la question de savoir si ce droit de présentation devait tomber en communauté ou rester propre à son titulaire, la jurisprudence a fait application de la même solution que celle retenue pour les offices ministériels.

Aussi, a-t-elle opéré une distinction entre la titularité du droit de présentation (le titre) qui est un bien propre et la valeur de ce droit (la finance) qui constitue un bien commun.

Dans un arrêt du 7 mars 1956, la Cour de cassation a jugé en ce sens, au visa de l’article 1401 du Code civil, que « les avantages pécuniaires que peuvent procurer à l’ancien époux, chirurgien-dentiste, la présentation d’un successeur à sa clientèle et l’engagement de ne pas se rétablir dans un périmètre précis, constituent une valeur patrimoniale, dont la consistance doit être déterminée à la date de la dissolution de la communauté conjugale et qui doit figurer à l’actif de celle-ci » (Cass. 1ère civ., 7 mars 1956, n°56-02066).

Lorsque la loi du 13 juillet 1965 a été adoptée, la qualification du droit de présentation attaché aux clientèles civiles a fait l’objet des mêmes critiques que celle retenue pour les offices ministériels.

Certains auteurs ont soutenu que le nouvel article 1404 du Code civil était incompatible avec le maintien du système reposant sur la distinction entre le titre et la finance.

Les arguments avancés n’ont toutefois pas suffi à convaincre la Cour de cassation de revenir sur sa position.

C’est ainsi que dans l’arrêt du 8 décembre 1987 portant sur les concessions de parcs à huîtres, elle réaffirme son attachement à l’approche dualiste en jugeant que si les concessions de parcs à huîtres restent propres à l’époux titulaire, en ce qu’elles présentent un caractère personnel, leur valeur patrimoniale doit, quant à elle, être inscrite à l’actif commun (Cass. 1ère civ. 8 déc. 1987, n°86-12426).

Cette solution a été dupliquée pour la clientèle civile d’un chirurgien-dentiste dans un arrêt du 12 janvier 1994.

Dans cette décision, elle a affirmé que « la clientèle civile d’un époux exerçant une profession libérale doit figurer dans l’actif de la communauté pour sa valeur patrimoniale, comme constituant un acquêt provenant de l’industrie personnelle de cet époux, et non un propre par nature avec charge de récompense » (Cass. 1ère civ. 12 janv. 1994, n°91-15562).

La Cour de cassation consacre nettement, avec cet arrêt, la qualification mixte reconnue au droit de présentation attaché aux clientèles civiles reposant sur la distinction entre le titre et la finance.

==> Reconnaissance de la licéité des cessions de clientèles civiles

Par suite, la Première chambre civile a fini par reconnaître la patrimonialité, non pas du droit de présentation, mais de la clientèle civile en tant que telle.

Dans le célèbre arrêt Woessner du 7 novembre 2000, elle a jugé, en effet, que « si la cession de la clientèle médicale, à l’occasion de la constitution ou de la cession d’un fonds libéral d’exercice de la profession, n’est pas illicite, c’est à la condition que soit sauvegardée la liberté de choix du patient ; qu’à cet égard, la cour d’appel ayant souverainement retenu, en l’espèce, cette liberté de choix n’était pas respectée » (Cass. 1ère civ. 7 nov. 2000, n°98-17731).

Par cette décision, Cour de cassation reconnaît ainsi pour la première fois, la validité d’une cession de clientèle civile et, par voie de conséquence, sa patrimonialité.

Ce revirement de jurisprudence a été sans incidence sur sa position quant à l’appréhension de la qualification de ce type de bien qui repose sur la distinction entre le titre et la finance.

Dans un arrêt du 18 octobre 2005, elle a par exemple validé la décision d’une Cour d’appel, s’agissant d’une officine de pharmacie, qui avait décidé que « la propriété de l’officine était réservée aux personnes titulaires du diplôme de pharmacien mais que la valeur du fonds de commerce tombait en communauté » (Cass. 1ère civ. 18 oct. 2005, n°02-20329).

Aussi, il semble désormais bien acquis que la clientèle civile appartient en propre à l’époux qui exerce une profession libérale, elle tombe en communauté pour sa valeur.

II) Les droits sociaux non négociables

==> Articulation entre droit des régimes matrimoniaux et droits des sociétés

Les qualités d’époux et d’associé peuvent-elles cohabiter ? Telle est la question que l’on est inévitablement conduit à se poser lorsque l’on s’interroge sur le statut des droits sociaux en régime de communauté.

Tandis que le droit des régimes matrimoniaux commande à l’époux marié sous le régime légal de collaborer avec son conjoint sur un pied d’égalité pour toutes les décisions qui intéressent la communauté, le droit des affaires répugne à admettre que les « acteurs périphériques » d’une société, puissent, quelle que soit leur qualité (commissaire aux comptes, administration fiscale, juge), s’immiscer dans la gestion de l’entreprise[1].

Lorsque des droits sociaux sont acquis avant le mariage, ou en cours d’union à titre gratuit, ou encore par le biais d’un acte d’emploi ou de remploi, cette situation ne soulève guère de difficultés. Ils endossent la qualification de biens propres, de sorte que, conformément à l’article 1428 du Code civil, l’époux associé est seul investi du pouvoir d’en disposer et, à plus forte raison, d’en jouir et de les administrer.

Une immixtion du conjoint dans la gestion de la société s’avère donc impossible, à tout le moins par l’entremise d’une voie de droit. Il en va de même lorsque les époux sont mariés sous un régime séparatiste, les patrimoines de chacun étant strictement cloisonnés[2].

Lorsque, en revanche, les titres sociaux, dont s’est porté acquéreur un époux, répondent à la qualification de biens communs, le droit des régimes matrimoniaux et le droit des sociétés ne peuvent plus s’ignorer.

La raison en est l’existence d’interactions fortes entre la qualité d’époux et celle d’associé. Dans cette configuration, d’une part, l’article 1424 du Code civil impose à l’époux associé de se conformer au principe de cogestion s’agissant des actes de dispositions portant sur des droits sociaux non négociables.

D’autre part, en vertu de l’article 1832-2, al. 1er, obligation lui est faite, lors de l’acquisition de parts sociales au moyen de biens communs, d’en informer son conjoint et de justifier, dans l’acte de souscription, l’accomplissement de cette démarche[3].

Ainsi, lorsque les droits sociaux constituent des acquêts, le droit des régimes matrimoniaux permet-il au conjoint de l’époux associé de s’ingérer dans la gestion de la société.

Plus encore, au titre de l’article 1832-2, al. 3, ce dernier est fondé à revendiquer la qualité d’associé pour la moitié des parts sociales souscrites en contrepartie de l’apport d’actifs communs[4].

Bien que les prérogatives dont est investi le conjoint de l’époux associé soient une projection fidèle de l’idée selon laquelle « la vocation communautaire du régime [légal] justifie le droit de regard du conjoint de l’associé sur les conséquences patrimoniales des prérogatives personnelles de celui-ci »[5], l’exercice desdites prérogatives n’en porte pas moins atteinte au principe général de non-immixtion qui gouverne le droit des sociétés.

De surcroît, la possibilité pour le conjoint de l’époux titulaire des droits sociaux de revendiquer la qualité d’associé, vient heurter l’intuitu personae dont sont particulièrement empreintes les sociétés de personnes[6] et les sociétés à responsabilité limitée, alors mêmes que ces groupements sont censés constituer un « univers […] clos, rebelle à toute ingérence étrangère »[7].

Immédiatement, se pose alors la question de l’articulation entre le droit des régimes matrimoniaux et le droit des sociétés.

Pendant longtemps, les auteurs ont considéré ces deux corpus normatifs comme étant, par essence, peu compatibles en raison de l’opposition frontale qui existerait entre les modes de fonctionnement de la structure sociétaire et du couple marié sous le régime de communauté[8].

Françoise Dekeuwer-Défossez résume parfaitement cette idée en observant qu’il s’agit là « de deux structures antagonistes [qui] coexistent », mais dont « les règles qui gouvernement chacune d’entre elles tendent à intervenir dans le fonctionnement de l’autre »[9]. Est-ce à dire que ces règles qui, tantôt modifient les rapports entre associés, tantôt modifient les rapports entre époux, sont inconciliables ?

On ne saurait être aussi catégorique ne serait-ce que parce que le droit des régimes matrimoniaux a, depuis l’adoption du Code civil, considérablement évolué. La hiérarchie conjugale qui était difficilement compatible avec le principe d’égalité entre associés a, de la sorte, été abolie par la loi du 23 décembre 1985 instituant l’égalité entre époux.

Le principe d’immutabilité des conventions matrimoniales qui contrevenait à la possibilité pour les époux de constituer une société entre eux[10] a subi le même sort, celui-ci ayant été considérablement assoupli[11]. Qu’en est-il de la problématique née de la possibilité pour le conjoint de l’époux associé de s’immiscer dans la gestion de la société ?

==> Problématique de la qualification des droits sociaux non-négociables

À titre de remarque liminaire, il peut être observé que le statut des parts d’intérêts émises par les sociétés de capitaux n’a jamais réellement été discuté dans la mesure où ces groupements sont dépourvus d’intuitu personae.

Il s’ensuit que la titularité de la qualité d’associé est indifférente[12]. Qui plus est, tant les auteurs, que la jurisprudence[13] estiment qu’ils obéissent au régime général des droits mobiliers.

Aussi, le débat s’est-il exclusivement focalisé sur les droits sociaux que l’on qualifie de non-négociables[14].

Par droits sociaux non négociables, il faut entendre les parts d’intérêt qui représentent un droit dont la titularité est étroitement attachée à la personne de son détenteur.

Selon Estelle Naudin, leur singularité réside dans l’impossibilité pour ces titres sociaux de faire l’objet d’une quelconque « transmission sur un marché financier »[15].

Pour appréhender cette catégorie de droits sociaux lorsqu’ils sont détenus par des époux mariés sous un régime communautaire, pendant longtemps, la jurisprudence leur a appliqué la distinction du titre et de la finance[16], mise au point au XIXe siècle, afin de surmonter le problème de patrimonialité qui se posait pour les offices ministériels[17].

À plusieurs reprises, le législateur a, de son côté, tenté de résoudre cette problématique notamment en cherchant à préciser le statut des droits sociaux[18] ainsi qu’en clarifiant l’attribution de la qualité d’associé[19].

Toutefois, de l’avis général des auteurs, par ses interventions successives, il a moins contribué à éclairer le débat qu’à l’obscurcir[20], « à tel point que les divergences doctrinales s’accrurent »[21].

==> Controverse doctrinale

Deux textes sont à l’origine de l’embrasement du débat : l’article 1404 et l’article 1424 du Code civil.

Relevant que le premier de ces textes confère la qualification de bien propre à « tous les droits exclusivement attachés à la personne », certains auteurs en ont déduit que les droits sociaux non négociables répondaient à cette qualification en raison du fort intuitu personae dont ils sont marqués[22].

À l’inverse, d’autres auteurs ont avancé qu’il convenait plutôt de retenir la qualification d’acquêts de communauté, l’article 1424 rangeant très explicitement les droits sociaux non négociables dans la catégorie des biens communs dont un époux ne peut disposer seul[23].

Rejetant les thèses monistes, une partie de la doctrine a plaidé pour un maintien de la distinction du titre et de la finance[24]. Les tenants de cette opinion ont argué que seule la conception dualiste permettrait d’opérer une conciliation entre les articles 1404 et 1424 du Code civil.

D’autres auteurs ont enfin proposé de renouveler la distinction du titre et de la finance qui, selon eux, serait « inutile et dépassée »[25].

Reprochant à cette distinction d’opposer les droits sociaux à leur valeur patrimoniale, ces auteurs préconisent de faire entrer les parts sociales dans la communauté, non seulement pour leur valeur, mais également en nature[26].

L’objectif poursuivi est de préserver aux mieux les intérêts de la communauté, tout en garantissant au titulaire des parts le monopole de la qualité d’associé.

==> Intervention du législateur

Alors que la jurisprudence n’a jamais adopté de position suffisamment convaincante pour mettre en terme définitif au débat[27], le législateur est intervenu le 10 juillet 1982 dans le dessein de clarifier le statut du conjoint de l’époux associé.

Aux termes de l’article 1832-2, celui-ci est désormais fondé à revendiquer la qualité d’associé pour la moitié des parts souscrites, à condition qu’elles aient été acquises au moyen d’actifs communs.

Bien que cette disposition ne tranche pas directement la question de la qualification des droits sociaux non négociables, certains auteurs y ont vu néanmoins une consécration de la thèse dualiste.

André Colomer n’hésite pas à affirmer que « l’article 1832-2 du Code civil […] consacre implicitement la doctrine de la distinction de la qualité d’associé (qui reste personnelle) et des parts sociales (qui sont des biens commun en nature) »[28].

Cet auteur est rejoint par Gérard Champenois pour qui il ne fait aucun doute que la loi du 10 juillet 1982 retient cette analyse. Pour lui, on saurait tout à la fois offrir la possibilité de revendiquer la qualité d’associé et admettre que les parts d’intérêt puissent endosser la qualification de biens propres, sauf à reconnaître au conjoint un droit à « expropriation »[29].

==> Intervention de la jurisprudence

Qu’en est-il aujourd’hui ? La jurisprudence semble s’être prononcée en faveur du maintien de la distinction du titre et de la finance.

Dans un arrêt remarqué du 9 juillet 1991, la Cour de cassation a décidé que seule la valeur patrimoniale des parts sociales d’un groupement agricole d’exploitation (GAEC) était commune, les parts en elles-mêmes ne rentrant pas dans l’indivision post-communautaire[30].

Pour la haute juridiction, la qualité d’associé demeure propre au mari. Cette dernière a réitéré cette solution quelques années plus tard en considérant que la valeur des parts sociales d’une SCP constituait un bien dépendant de la communauté. Elle en a déduit que les fruits et revenus tirés de l’exercice des droits sociaux tombaient alors dans l’indivision post-communautaire[31].

Plus récemment, elle a affirmé de façon très explicite « qu’à la dissolution de la communauté matrimoniale, la qualité d’associé attaché à des parts sociales non négociables dépendant de celle-ci ne tombe pas dans l’indivision post-communautaire qui n’en recueille que leur valeur »[32].

Ainsi, la Cour de cassation apparaît-elle toujours très attachée à la distinction du titre et de la finance, malgré les difficultés pratiques que cette position soulève[33]. Selon Isabelle Dauriac néanmoins, « l’hésitation est toujours permise »[34].

Plus précisément, les auteurs ne s’entendent toujours pas sur la qualification à donner aux parts sociales acquises au moyen de deniers communs, l’intérêt pratique du débat résidant – il n’est pas inutile de le rappeler – dans la résolution des difficultés soulevées par le fonctionnement parallèle d’une société et d’un régime communautaire.

Au vrai, le sentiment nous est laissé, au regard de l’abondante littérature consacrée au sujet, que le problème est peut-être insoluble. Face à ce constat, deux attitudes peuvent être adoptées.

On peut tout d’abord considérer que les deux branches du droit que l’on cherche à articuler sont fondamentalement si différentes l’une de l’autre qu’aucune conciliation n’est possible, si bien que la solution retenue in fine, ne pourra être qu’un pis-aller.

On peut également refuser cette fatalité et se demander si l’insolubilité du problème ne viendrait pas de ce que la doctrine raisonne à partir d’un postulat erroné. Toutes les thèses avancées par les auteurs reposent sur l’idée que les droits sociaux sont des biens.

Partant, la seule conséquence que l’on peut tirer de ce postulat, c’est que les parts d’intérêt viennent nécessairement alimenter, tantôt la masse commune, tantôt la masse propre de l’époux associé, tantôt simultanément les deux masses si l’on adhère à la thèse dualiste du titre et de la finance.

C’est alors que l’on se retrouve dans une impasse dont la seule issue conduit, selon Jean Derruppé, « à ce qu’il y a de plus regrettable pour la pratique : l’incertitude du droit »[35].

Pour sortir de cette impasse, ne pourrait-on pas envisager que les droits sociaux puissent ne pas être rangés dans la catégorie des biens ?

Une frange ancienne de la doctrine soutient, en effet, que les prérogatives dont est investi l’associé s’apparentent, non pas à des droits réels, mais à des droits de créance contre la société[36].

Plus récemment, reprochant à cette thèse de réduire l’associé à un simple créancier, alors que le droit de créance est insusceptible de rendre compte de toutes les prérogatives dont l’associé est titulaire[37], des auteurs ont avancé que les droits sociaux seraient, en réalité, « de nature hybride », en ce sens qu’ils traduiraient « la position contractuelle de l’associé, composée d’obligations actives et passives »[38].

Une appréhension des droits sociaux de l’époux associé comme résultante de la position sociétaire, serait donc possible.

Cette approche permettrait ainsi d’abandonner le postulat consistant à assimiler systématiquement les parts d’intérêt à des biens, postulat qui est à l’origine de nombreuses difficultés quant à l’articulation entre le droit des régimes matrimoniaux et le droit des sociétés.

[1] C. Gerschel, « Le principe de la non-immixtion en droit des affaires », LPA 30 août 1995 ; V. également sur cette question M. Clet-Desdevises, L’immixion dans la gestion d’une société, Éco. et compta. 1980, p. 17.

[2] Les articles 1536 et 1569 du Code civil prévoient en ce sens, dans les mêmes termes, que lorsque les époux se sont mariés sous le régime de la séparation de biens ou de la participation aux acquêts, « chacun d’eux conserve l’administration, la jouissance et la libre disposition de ses biens personnels. ».

[3] Le non-respect de cette exigence est sanctionné par la nullité prescrite à l’article 1427 du Code civil. V. en ce sens CA Paris, 28 nov. 1995 : JCP G 1996, I, 3962, n° 10, obs. Ph. Simler ; Dr. sociétés 1996, comm. 75, obs. Y. Chaput.

[4] Il lui suffit, pour ce faire, de notifier à son conjoint son intention de devenir associé.

[5] J. revel, « Droit des sociétés et régime matrimonial : préséance et discrétion », D. 1993, chron. p. 35.

[6] On pense notamment aux sociétés en nom collectif, aux sociétés en commandite simple ou encore aux sociétés civiles.

[7] A. Colomer, Droit cvil : Régimes matrimoniaux, éd. Litec, 2004, coll. « Manuel », n°769, p. 348.

[8] V. en ce sens notamment R. Roblot, Traité de droit commercial, t. I, 17e éd., par M. Germain et L. Vogel, LGDJ, 1998, n° 1035 ; Ph. Malaurie et L. Aynès, Droit civil, t. VII, Les régimes matrimoniaux, 3e éd., Cujas, 1994, n° 106.

[9] F. Dekeuwer-Défossez, « Mariage et sociétés », Études dédiées à René Roblot, Aspects actuels du droit commercial français, LGDJ 1984, p. 271.

[10] V. en ce sens Cass. crim., 9 août 1851 : DP 1852, 1, p. 160 ; S. 1852, 1, p. 281 ; Cass. civ., 7 mars 1888 : DP 1888, 1, p. 349 ; S. 1888, 1, p. 305.

[11] La loi du 13 juillet 1965 a mis fin au principe absolu de l’immutabilité des conventions matrimoniaux. Puis, la loi du 23 juin 2006 a modifié les articles 1396, alinéa 3, et 1397 du Code civil, lesquels n’exigent plus, lors d’un changement de régime matrimonial que ce changement soit soumis au juge pour être homologué.

[12] V. en ce sens J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, Armand Colin, 2e éd. 2001, n°323.

[13] Cass. req., 6 juill. 1905 : S. 1908, 1, 289, note Wahl. DP 1906, 1, 374 ; Civ. 1ère, 3 juill. 1979, Bull. civ., I, n°198.

[14] V. notamment M. Nast, « Des parts d’intérêt sous le régime de la communauté d’acquêts », Defrénois 1933, art. 23.584 ; R. Savatier, « Le statut en communauté des parts de sociétés de personnes », Defrénois 1960, art. 27.920 ; G. Chauveau, « La jurisprudence devant le conflit entre le droit matrimonial et le droit des sociétés », Gaz. Pal. 1958, I, Doct. 65.

[15] E. Naudin, « L’époux associé et le régime légal de la communauté réduite aux acquêts », in Mélanges Champenois, Defrénois, 2012, p. 617.

[16] Cass. Com. 19 mars 1957, D. 1958. 170, note Le Galcher-Baron ; JCP 1958.II.10517, note Bastian ; Cass. com., 23 déc. 1957, D. 1958, p. 267, note M. Le Galcher-Baron ; JCP G 1958, II, 10516, note J.R. ; Cass. 1re civ., 22 déc. 1969, D. 1970, p. 668, note G. Morin ; JCP G 1970, II, 16473, note J. Patarin.

[17] Cass. civ., 4 janv. 1853, DP 1853, I, p. 73 ; S. 1853, 1, p. 568.; Cass. req., 6 janv. 1880, DP 1880, I, p. 361 ; S. 1881, 1, p. 49, note Labbé. Cass. 1re civ., 27 avr. 1982, Bull. civ. 1982, I, n° 145 ; JCP G 1982, IV, 236.

[18] La loi du 13 juillet 1965 a de sorte modifié l’article 1404 du Code civil, laissant alors entrevoir l’idée que les droits sociaux non négociables pouvaient être qualifiés de biens propres par nature. Cette même loi précise, en parallèle, à l’article 1424, qu’un époux ne pouvait pas en disposer seul, ce qui fera dire à certains qu’ils doivent être rangés parmi les biens communs.

[19] Loi n° 82-596 du 10 juillet 1982 relative aux conjoints d’artisans et de commerçants travaillant dans l’entreprise familiale.

[20] V. en ce sens J. Derruppé, « Régimes de communauté et Droit des sociétés », JCP 1971, I, 2403 ; E. Naudin, « L’époux associé et le régime légal de la communauté réduite aux acquêts », in Mélanges Champenois, Defrénois, 2012, p. 617 ; F. Terré et Ph. Simler, Droit civil, Les régimes matrimoniaux, Précis Dalloz, 6e éd. 2011, n° 330, p.261.

[21] A. Colomer, « Les problèmes de gestion soulevés par le fonctionnement parallèle d’une société et d’un régime matrimonial », Defrénois 1983, art. 33102, p. 865.

[22] A. Ponsard, Les régimes matrimoniaux, in Ch. Aubry et Ch. Rau, Droit civil français, t. VIII, 7e éd. 1973, n° 167 ; G. Marty et P. Raynaud, Droit civil. Les régimes matrimoniaux, Sirey, 2e éd. 1985, n° 181 et s.; G. Paisant, Des actions et parts de sociétés dans le droit patrimonial de la famille : thèse, Poitiers, 1978, p. 146 et s.

[23] J. Patarin et G. Morin, La réforme des régimes matrimoniaux, t. 1, 4e éd., 1977, Defrénois, n° 152 ; R. Savatier, « Le statut, en communauté, des parts de sociétés de personnes », Defrénois 1968, art. 29097, p. 421.

[24] H., L., et J. Mazeaud et de Juglart, Les régimes matrimoniaux, 5e éd. 1982, n° 156 ; G. Morin, D. 1970. 668, note sous Civ. 1ère, 22 déc. 1969.

[25] J. Derruppé, « Régime de communauté et droit des sociétés », JCP G 1971, I, 2403 ; du même auteur V. également « Les droits sociaux acquis avec des biens communs selon la loi du 10 juillet 1982 », Defrénois 1983, art. 33053, p. 521 et s.

[26]A. Colomer, « La nature juridique des parts de société au regard du régime matrimonial », Defrénois 1979, art. 32020, p. 817 et s. ; J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, Armand Colin, 2001, n°323, p. 315.

[27] V. en ce sens Cass. 1re civ., 8 janv. 1980, n° 78-15.902 : D. 1980, inf. rap. p. 397, obs. D. Martin ; Defrénois 1980, art. 32503, n° 118, p. 1555, obs. G. Champenois.

[28] A. Colomer, op. cit., n°780, p. 353-354.

[29] G. Champenois, op. cit., n°323, p. 315.

[30] Cass. 1re civ., 9 juill. 1991 : Bull. civ. 1991, I, n° 232 ; JCP N 1992, II, 378, n° 11, obs. Ph. Simler.

[31] Cass. 1re civ., 10 févr. 1998 : Bull. civ. 1998, I, n° 47 ; Defrénois 1998, art. 1119, note Milhac ; Gaz. Pal. 1999, 1, somm. p. 124, obs. S. Piedelièvre.

[32] Cass. 1re civ., 12 juin 2014, n° 13-16.309 : JCP G 2014, 1265, Ph. Simler ; D. 2014, p. 1908, obs. V. Brémond ; dans le même sens V. Cass. 1re civ., 4 juill. 2012, n° 11-13.384 : JurisData n° 2012-014917 ; JCP G 2012, 1104, note Paisant ; JCP N 2012, 1382, note J.-D. Azincourt ; Dr. famille 2012, comm. 158, obs. Paisant.

[33] V. en ce sens Cass. 1re civ., 9 juill. 1991, n° 90-12.503 : Bull. civ. 1991, I, n° 232 ; JCP G 1992, I, 3614, n° 8 ; Defrénois 1992, art. 35202, p. 236, obs. X. Savatier ; Cass. 1re civ., 12 juin 2014, n° 13-16.309 : D. 2014, p. 1908, obs. V. Brémond ; JCP G 2014, 1265, Ph. Simler ; Cass. 1re civ., 22 oct. 2014, n° 12-29.265 : JCP G 2014, act. 1137, P. Hilt ; JCP G 2014, 1265, Ph. Simler.

[34] I. Dauriac, Les régimes matrimoniaux et le PACS, LGDJ-Lextenso éditions, 2e éd., 2010, coll. « Manuel », n°376, p. 229.

[35] J. Derruppé, art. précit.

[36]V. en ce sens J. Dabin, Le droit subjectif, Dalloz, 1952, p.209 ; G. Ripert, Traité élémentaire de droit commercial, 3e éd., 1954, n°665, p. 297 ; F.-X. Lucas, Les transferts temporaires de valeurs mobilières, Pour une fiducie de valeurs mobilières, préf. de L. Lorvellec, L.G.D.J., 1997, n°411 ; F. Nizard, Les titres négociables, préf. de H. Synvet, Economica, 2003, n°30, p. 17 ; A. Galla-Beauchesne, « Les clauses de garantie de passif dans les cessions d’actions et de parts sociales », Rev. sociétés 1980, p. 30-31.

[37] V. en ce sens R. Mortier, Le rachat par la société de ses droits sociaux, préf. de J.-J. Daigre, Dalloz, 2003, n°302.

[38] S. Lacroix-De Sousa, La cession de droits sociaux à la lumière de la cession de contrat, préf. M.-É. Ancel, LGDJ, 2010, n°101, p. 103.

La répartition de l’actif sous le régime légal: la détermination des biens propres

Le régime légal, qui s’applique aux couples mariés faute d’établissement d’un contrat de mariage, est le régime de la communauté réduite aux acquêts.

Ce régime a été institué par la loi du 13 juillet 1965 qui l’a substitué à l’ancien régime légal de communauté de meubles et d’acquêts, lequel est désormais relégué au rang de régime conventionnel.

Principale caractéristique du régime légal, il s’agit d’un régime communautaire. Cette spécificité implique la création d’une masse commune de biens aux côtés des biens propres dont les époux demeurent seuls propriétaires.

La question qui immédiatement se pose est de savoir comment s’opère la répartition des biens entre ceux qui tombent en communauté et ceux qui relèvent d’un actif propre.

Pour le déterminer, il convient de se reporter aux articles 1401 à 1408 du Code civil qui sont logés sous un paragraphe intitulé « De l’actif de la communauté ».

À l’analyse, l’économie générale du dispositif instauré par ces dispositions prend assise sur la notion d’acquêt qui fixe la ligne de partage entre biens communs et biens propres.

Par acquêts, il faut entendre les biens acquis à titre onéreux par les époux pendant le mariage.

La communauté instituée par le régime légal étant « réduite aux acquêts », on peut en déduire que les biens qui, soit n’ont pas été acquis avant la célébration du mariage, soit ont été acquis à titre gratuit par les époux, constituent des biens propres.

Contrairement aux biens communs, lors de la dissolution du mariage ils ne feront l’objet d’aucun partage ; ils resteront la propriété exclusive de l’un ou l’autre époux.

Tout l’enjeu est donc de déterminer quels sont les biens susceptibles d’endosser la qualification d’acquêt et ceux qui échappent à cette qualification.

À cet égard, la mise en œuvre de la notion d’acquêt n’est pas sans soulever, parfois, un certain nombre de difficultés. Il est, en effet, des cas où il sera peu aisé de déterminer de quel côté de la frontière qui sépare la masse commune des masses propres se situe un bien.

Nous nous focaliserons ici sur les biens propres.

Si l’on s’en réfère à l’intitulé du régime légal, tous les biens qui ne sont pas des acquêts devraient en toute logique endosser la qualification de propre.

Reste que la masse commune n’est pas exclusivement alimentée par les acquêts. Par le jeu de la présomption énoncée à l’article 1402 du Code civil, ont également vocation à tomber en communauté tous les biens dont l’origine est incertaine.

Ainsi, les biens qui composent la masse commune débordent la catégorie des acquêts, ce qui fait des biens communs une catégorie ouverte.

Tel n’est pas le cas des biens propres dont la qualification tient l’existence d’un texte spécifique.

À cet égard les masses de propres sont composées de biens limitativement énumérés par articles 1404 à 1408 du Code civil.

Une lecture de ces dispositions conduit à distinguer quatre catégories de biens propres :

  • Les biens propres par origine
  • Les biens propres par nature
  • Les biens propres par rattachement
  • Les biens propres par subrogation

I) Les biens propres par origine

Le principe général qui préside au dispositif de répartition des biens sous le régime légal est que tous les biens acquis à titre onéreux pendant le mariage ont vocation à tomber en communauté.

A contrario, cela signifie que les biens présents au jour du mariage et les biens acquis à titre gratuit au cours du mariage sont exclus de la masse commune et appartiennent donc en propre à l’un ou l’autre époux.

A) Les biens présents au jour du mariage

1. Principe général

L’article 1405, al. 1er du Code civil prévoit que « restent propres les biens dont les époux avaient la propriété ou la possession au jour de la célébration du mariage ».

Ainsi, tous les biens que les époux ont acquis ou qu’ils possédaient antérieurement au mariage sont exclus d’emblée de la masse commune.

Contrairement à l’ancien régime légal – en vigueur avant que la loi du 13 juillet 1965 ne soit adoptée – qui ne visait que les seuls immeubles, l’article 1405 n’opère aucune distinction entre les meubles et les immeubles.

Pour endosser la qualification de propre, la nature du bien est indifférente. Il en va de même des circonstances de l’acquisition ou de ses modalités.

La seule exigence posée par le texte c’est que le bien ait été acquis avant la célébration du mariage ou dont il avait la possession.

2. Mise en œuvre

La règle selon laquelle tous les biens acquis ou possédés avant la célébration du mariage restent propres soulève une difficulté de mise en œuvre lorsque le transfert de propriété est différé dans le temps.

L’acquisition échelonnée dans le temps d’un bien peut avoir pour cause :

  • Soit le jeu de la prescription acquisitive
  • Soit de l’effet d’une stipulation contractuelle

2.1 Le jeu de la prescription acquisitive

Il ressort de l’article 1405 du Code civil que pour être qualifié de propre, il n’est pas absolument nécessaire que le bien ait fait l’objet d’une acquisition, il peut également avoir été seulement possédé.

Cette précision n’est pas sans importance. Elle signifie que, en cas d’usucapion, le bien appartiendra en propre à l’époux possesseur nonobstant l’expiration du délai de la prescription acquisitive au cours du mariage.

Pour que la prescription acquisitive puisse jouer, encore faudra-t-il que la possession soit établie.

Pour ce faire, elle devra être caractérisée dans ses éléments constitutifs que sont :

  • La maîtrise physique de la chose : le corpus
  • La volonté de se comporter comme le propriétaire de la chose : l’animus

La possession devra, en outre, n’être affectée d’aucun vice, soit être utile. Par utile, il faut entendre présentant les caractères énoncés à l’article 2261 du Code civil.

Selon cette disposition, « pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire. »

Ce n’est que si ces conditions sont remplies que la prescription acquisitive produira ses pleins effets.

À cet égard, s’agissant de la durée de la prescription, elle dépend de la nature du bien objet de la possession.

  • S’il s’agit d’un immeuble, la prescription pourra être de 10 ans en cas de bonne foi du possesseur et de justification d’un juste titre. À défaut, la durée de la prescription acquisitive est portée à trente ans.
  • S’il s’agit d’un meuble, l’effet acquisitif de la possession est immédiat, sauf à ce que le possesseur soit de mauvaise foi auquel cas la durée de la prescription sera de trente ans.

Lorsque la prescription acquisitive produit ses effets, le bien objet de la possession est réputé avoir été acquis avant la célébration du mariage, raison pour laquelle il échappera à la communauté et restera propre à l’époux possesseur.

2.2 L’effet d’une stipulation contractuelle

Il est des cas où la stipulation d’une clause contractuelle aura pour effet de différer dans le temps le transfert de propriété du bien objet du contrat.

Tel sera notamment le cas en présence d’avant-contrats, tels qu’une promesse unilatérale de vente et une promesse synallagmatique ou encore pour les contrats assortis d’une condition suspensive.

La question qui alors se pose est de savoir à quelle date intervient l’acquisition du bien pour ces situations où le processus de formation du contrat s’échelonne dans le temps.

À l’analyse, il ressort de la jurisprudence que c’est la date du transfert de propriété qui doit servir de référence pour déterminer si l’acquisition est intervenue avant ou après la célébration du mariage.

À cet égard, plusieurs situations doivent être envisagées :

==> La promesse unilatérale de vente

Pour rappel, aux termes de l’article 1124 du Code civil « la promesse unilatérale est le contrat par lequel une partie, le promettant, accorde à l’autre, le bénéficiaire, le droit d’opter pour la conclusion d’un contrat dont les éléments essentiels sont déterminés, et pour la formation duquel ne manque que le consentement du bénéficiaire. »

La spécificité de cet avant-contrat est que, après que les parties se sont entendues sur les éléments essentiels de contrat de vente projeté, seul le promettant a donné son consentement.

Aussi, la vente ne sera formée qu’au moment de l’exercice de l’option par le bénéficiaire de la promesse.

Ce n’est donc pas au moment de la conclusion de la promesse unilatérale que le transfert de propriété interviendra, mais à la date de levée de l’option.

Dans ces conditions, le bien sera propre si l’option est exercée avant la célébration du mariage et tombera en communauté si l’option est levée postérieurement.

==> La promesse synallagmatique de vente

La promesse synallagmatique de contrat est l’acte par lequel deux parties s’engagent réciproquent l’une envers l’autre à conclure un contrat dont les éléments essentiels (la chose et le prix pour la vente) sont déterminés.

À la différence de la promesse unilatérale de vente, la promesse synallagmatique implique que les deux parties ont donné leur consentement quant à la conclusion du contrat de vente projeté.

C’est la raison pour laquelle l’article 1589 du Code civil prévoit que « la promesse de vente vaut vente, lorsqu’il y a consentement réciproque des deux parties sur la chose et sur le prix. »

En matière de promesse synallagmatique de vente, le Code civil pose ainsi un rapport d’équivalence entre la promesse et la vente.

Cette équivalence se justifie par le fait que, lors de la conclusion de la promesse synallagmatique, toutes les conditions de validité du contrat de vente sont d’ores et déjà remplies :

  • Les parties ont exprimé leur consentement définitif à la vente
  • Les parties se sont entendues sur la chose et sur le prix

Aussi, est-il admis que le transfert de propriété intervient à la date de conclusion de la promesse et non au jour de la réitération par acte authentique.

Ce n’est que si les parties stipulent expressément dans la promesse synallagmatique que la réitération des consentements est un élément essentiel du contrat de vente que le transfert de propriété sera différé au jour de l’établissement de l’acte authentique.

La raison en est que la règle selon laquelle « la promesse de vente vaut vente n’a qu’un caractère supplétif » (V. en ce sens Cass. 3e civ. 10 mai 2005).

S’agissant d’une promesse synallagmatique de vente conclue avant la célébration, afin de déterminer si le bien vendu tombe ou non en communauté il convient de distinguer deux situations :

  • La réitération des consentements par acte authentique est une simple modalité d’exécution du contrat
    • Dans cette hypothèse, les parties n’ont pas fait de la réitération des consentements un élément essentiel du contrat.
    • Le transfert de propriété interviendra alors à la date de conclusion de la promesse.
    • Le bien acquis par l’époux lui appartiendra donc en propre
  • La réitération des consentements par acte authentique est un élément constitutif du contrat
    • Dans cette hypothèse, les parties ont fait de la réitération des consentements un élément essentiel du contrat.
    • Il en résulte que le transfert de propriété interviendra à la date de l’établissement de l’acte authentique.
    • Si cette formalité est accomplie postérieurement à la célébration du mariage, le bien acquis par l’époux tombera en communauté.

Au bilan, la date du transfert de propriété du bien objet de la promesse synallagmatique de vente dépend de la fonction que les parties ont entendu donner à la réitération des consentements en la forme authentique, à tout le moins lorsqu’elle interviendra postérieurement à la célébration du mariage, tandis que la promesse aura été conclue avant.

==> Le contrat translatif de propriété assorti d’une condition suspensive

Pour mémoire, la condition suspensive stipulée dans un contrat a pour effet de suspendre la naissance d’une obligation à la réalisation d’un événement futur et incertain.

Lorsque cette obligation porte sur la délivrance d’une chose, la question se pose de la date du transfert de propriété.

Est-ce le jour de conclusion du contrat ou est-ce au jour de réalisation de la condition ?

Sous l’empire du droit antérieur, l’ancien article 1179 du Code civil prévoyait que « la condition accomplie a un effet rétroactif au jour auquel l’engagement a été contracté ».

La réalisation de la condition produisait de la sorte un effet rétroactif.

Cette règle a été abandonnée par le législateur lors de la réforme des obligations.

Le nouvel article 1304-5, al. 1er du Code civil prévoit désormais que « l’obligation devient pure et simple à compter de l’accomplissement de la condition suspensive. »

Ainsi, l’obligation sous condition suspensive produit ses effets, non plus au jour de la conclusion du contrat, mais au jour de la réalisation de la condition.

Il en résulte que c’est cette seconde date qui sert de référence pour déterminer si le transfert de propriété du bien objet de la condition intervient avant ou après la célébration du mariage.

Dès lors, si la condition se réalise après la célébration du mariage ce bien tombera en communauté, alors même que le contrat définitif a été conclu avant que les époux ne soient mariés. Si en revanche, elle se réalise avant, le bien restera propre à l’époux contractant.

==> La stipulation d’une clause différant le transfert de propriété

L’article 1196, al. 2e du Code civil prévoit que le transfert de propriété « peut être différé par la volonté des parties, la nature des choses ou par l’effet de la loi. »

Ainsi, est-il des cas où le transfert de propriété ne sera pas concomitant à la formation du contrat, il sera différé dans le temps.

Ce sont là autant d’exceptions au principe de transfert solo consensu.

En pareil cas, c’est donc la date à laquelle a été différé le transfert de propriété qui permettra de déterminer si le bien est propre ou commun.

Le bien sera propre si le transfert de propriété intervient avant la célébration du mariage et commun s’il se produit après.

Trois hypothèses sont envisagées par l’article 1196 du Code civil :

  • La volonté des parties
    • Les règles qui régissent le transfert de propriété sont supplétives, ce qui implique qu’il peut y être dérogé par convention contraire.
    • Les parties sont ainsi libres de prévoir que le transfert de propriété du bien aliéné interviendra à une date ne correspondant pas à celle de conclusion du contrat.
    • Elles peuvent néanmoins prévoir que le transfert se produira seulement, soit après la survenant d’un événement déterminé, soit au moment du complet paiement du prix.
      • La clause de réserve de propriété
        • Il est courant, en matière commerciale, que le cédant souhaite se ménager le bénéfice d’une clause de réserve de propriété, clause consistant à subordonner le transfert de propriété du bien aliéné au complet paiement du prix.
        • L’article 2367 du Code civil prévoit en ce sens que « la propriété d’un bien peut être retenue en garantie par l’effet d’une clause de réserve de propriété qui suspend l’effet translatif d’un contrat jusqu’au complet paiement de l’obligation qui en constitue la contrepartie»
        • Ainsi, tant que l’acquéreur, qui est entré en possession du bien, n’a pas réglé le vendeur il n’est investi d’aucun droit réel sur celui-ci.
        • La clause de réserve de propriété est un instrument juridique redoutable qui confère à son bénéficiaire une situation particulièrement privilégiée lorsque le débiteur fait l’objet, soit de mesures d’exécution forcée, soit d’une procédure collective.
        • Pour être valable, la clause de réserve de propriété doit néanmoins être stipulée, par écrit, et, au plus tard, le jour de la livraison du bien.
      • La clause de réitération par acte authentique
        • Cette clause consiste à subordonner le transfert de propriété du bien aliéné à la réitération des consentements par acte authentique.
        • Contrairement à ce qui a pu être décidé par certaines juridictions, la stipulation d’une telle clause diffère, non pas la formation du contrat qui est acquise dès l’échange des consentements, mais le transfert de la propriété du bien aliéné.
        • Ce transfert interviendra au moment de la réitération des consentements devant notaire qui constatera l’opération par acte authentique.
        • Dans un arrêt 20 décembre 1994, la haute juridiction a, de la sorte, refusé de suivre une Cour d’appel qui avait estimé que le contrat de vente, objet d’une promesse synallagmatique, n’était pas parfait, dès lors que ladite promesse était assortie d’une clause qui stipulait que « que l’acquéreur sera propriétaire des biens vendus à compter seulement de la réitération par acte authentique».
  • La nature des choses
    • Il est certaines catégories de choses qui se prêtent mal à ce que le transfert de propriété intervienne concomitamment à la formation du contrat
    • Tel est le cas des choses fongibles (de genre) et des choses futures :
      • Les choses fongibles
        • Par chose fongible, il faut entendre une chose qui ne possède pas une individualité propre.
        • L’article 587 du Code civil désigne les choses fongibles comme celles qui sont « de même quantité et qualité» et l’article 1892 comme celles « de même espèce et qualité ».
        • Selon la formule du Doyen Cornu, les choses fongibles sont « rigoureusement équivalentes comme instruments de paiement ou de restitution ».
        • Pour être des choses fongibles, elles doivent, autrement dit, être interchangeables, soit pouvoir indifféremment se remplacer les unes, les autres, faire fonction les unes les autres.
          • Exemple : une tonne de blé, des boîtes de dolipranes, des tables produites en série etc…
        • Les choses fongibles se caractérisent par leur espèce (nature, genre) et par leur quotité.
        • Ainsi, pour individualiser la chose fongible, il est nécessaire d’accomplir une opération de mesure ou de compte.
        • Lorsque des choses fongibles sont aliénées, dans la mesure où, par hypothèse, au moment de la formation du contrat, elles ne sont pas individualisées, le transfert de propriété ne peut pas s’opérer.
        • Aussi, ce transfert de propriété ne pourra intervenir qu’au moment de l’individualisation de la chose fongible, laquelle se produira postérieurement à la conclusion du contrat.
        • Pratiquement, cette individualisation pourra se faire par pesée, compte ou mesure ( 1585 C. civ.)
        • Elle pourra également se traduire par une vente en bloc ( 1586 C. civ.).
        • Le plus souvent cette action sera réalisée le jour de la livraison de la chose.
      • Les choses futures
        • Les choses futures sont celles qui n’existent pas encore au moment de la formation du contrat.
        • À cet égard, l’ancien article 1130 du Code civil disposait que « les choses futures peuvent faire l’objet d’une obligation»
        • Le nouvel article 1130, issu de la réforme des obligations prévoit désormais que « l’obligation a pour objet une prestation présente ou future».
        • Ce cas particulier est bien connu en droit de la vente. On vend bien sans difficulté des immeubles à construire (art. 1601-1 c.civ).
        • Ce n’est pas à dire que la loi ne prohibe pas ponctuellement de tels contrats.
        • L’article L. 131-1 du Code de la propriété intellectuelle prévoit, par exemple, que « la cession globale des œuvres futures est nulle»
        • Lorsque la vente de choses futures est permise, la loi aménage les conséquences de la vente si la chose devait ne jamais exister.
        • En tout état de cause, lorsque le contrat a pour objet l’aliénation d’une chose future, le transfert de propriété ne pourra intervenir qu’au jour où elle existera et plus précisément au jour où elle sera livrée à l’acquéreur.

  • L’effet de la loi
    • Il est des cas où le transfert de propriété du bien aliéné sera différé sous l’effet de la loi.
    • Il en va ainsi de la vente à terme définie à l’article 1601-2 du Code civil comme « le contrat par lequel le vendeur s’engage à livrer l’immeuble à son achèvement, l’acheteur s’engage à en prendre livraison et à en payer le prix à la date de livraison. »
    • Le texte poursuit en précisant que « le transfert de propriété s’opère de plein droit par la constatation par acte authentique de l’achèvement de l’immeuble ; il produit ses effets rétroactivement au jour de la vente. »
    • Le transfert de propriété du bien est également différé en matière de vente en l’état futur d’achèvement définie à l’article 1601-3 du Code civil comme « le contrat par lequel le vendeur transfère immédiatement à l’acquéreur ses droits sur le sol ainsi que la propriété des constructions existantes. »
    • À la différente de la vente à terme, ici les ouvrages à venir deviennent la propriété de l’acquéreur au fur et à mesure de leur exécution, étant précisé que l’acquéreur est tenu d’en payer le prix à mesure de l’avancement des travaux.

B) Les biens acquis à titre gratuit au cours du mariage

1. Les biens issus d’une succession, d’une donation ou d’un legs

Si, par principe, les biens acquis au cours du mariage ont vocation à tomber en communauté, c’est à la condition que l’acquisition soit intervenue à titre onéreux. Les biens acquis à titre gratuit échappent à la communauté.

L’article 1405, al. 1er du Code civil prévoit en ce sens que « restent propres les biens que [les époux] acquièrent, pendant le mariage, par succession, donation ou legs. »

Il ressort de cette disposition que la nature du bien acquis est indifférente. Il peut s’agir un meuble ou d’un immeuble.

Ce qui importe pour endosser la qualification de bien propre c’est qu’il ait été acquis à titre gratuit, ce qui renvoie à deux hypothèses :

==> L’acquisition du bien par voie de succession

Dans cette hypothèse, le bien est attribué à un époux selon les règles de dévolution successorale.

Son également visés les biens acquis dans le cadre de l’exercice du droit de retour.

Ce droit de retour institué au profit des frères et sœurs, lesquels viennent concurrencer le conjoint, pour les biens du défunt reçus de ses parents, en cas d’absence de descendants.

L’article 757-3 du Code civil prévoit en ce sens que « en cas de prédécès des père et mère, les biens que le défunt avait reçus de ses ascendants par succession ou donation et qui se retrouvent en nature dans la succession sont, en l’absence de descendants, dévolus pour moitié aux frères et sœurs du défunt ou à leurs descendants, eux-mêmes descendants du ou des parents prédécédés à l’origine de la transmission. »

==> L’acquisition du bien par voie de donation ou de legs

  • Principe
    • Les biens acquis par voie de donation ou de legs connaissent le même sort que ceux reçus par un époux dans le cadre d’une succession : ils restent propres.
    • Il peut être observé que la différence entre le legs et la donation tient à la prise d’effet de l’acte.
    • Tandis que la donation prend effet au jour de la conclusion de l’acte, le legs produit ses effets à la mort du testateur.
    • Leur point commun c’est que tous deux constituent des libéralités.
    • Par libéralité, il faut entendre, selon la définition qui en est donnée par l’article 893 du Code civil, « l’acte par lequel une personne dispose à titre gratuit de tout ou partie de ses biens ou de ses droits au profit d’une autre personne. »
    • Les libéralités présentent ainsi la particularité d’être des actes accomplis à titre gratuit ; d’où le caractère propre des biens qui en font l’objet.
  • Exception
    • Si, en application de l’article 1405, al. 1er du Code civil, les biens que les époux acquièrent, pendant le mariage, par voie de donation ou de legs, échappent, par principe, au pouvoir d’attraction de la masse commune la règle ainsi instituée n’est toutefois que supplétive, de sorte qu’il peut y être dérogé par convention contraire.
    • Le second alinéa de l’article 1405 du Code civil prévoit, en effet, que « la libéralité peut stipuler que les biens qui en font l’objet appartiendront à la communauté. »
    • Il ressort de cette disposition que, par dérogation au principe, un bien acquis à titre gratuit au cours du mariage peut tomber en communauté, pourvu que le disposant en ait manifesté la volonté.
    • À cet égard, le texte précise que, « les biens tombent en communauté, sauf stipulation contraire, quand la libéralité est faite aux deux époux conjointement. »
    • Autrement dit, dès lors que la libéralité est adressée conjointement aux deux époux, le bien est commun, son entrée en communauté fût-elle tacite.
    • Tel sera le cas, par exemple, si une somme d’argent est déposée sur le compte joint des époux (V. en ce sens CA Bastia, 8 avr. 2009).
    • Le disposant dispose néanmoins de la faculté de prévoir que le bien ne tombera pas en communauté.
    • Dans cette hypothèse, le bien cédé à titre gratuit aux deux époux fera l’objet d’une indivision ordinaire et échappera donc aux règles applicables aux biens communs.

2. Les biens issus d’un arrangement de famille

L’article 1405, al. 3e du Code civil prévoit que « les biens abandonnés ou cédés par père, mère ou autre ascendant à l’un des époux, soit pour le remplir de ce qu’il lui doit, soit à la charge de payer les dettes du donateur à des étrangers, restent propres, sauf récompense. »

À l’analyse, cette disposition envisage l’hypothèse où un ascendant conclue un arrangement avec son enfant aux fins de régler une dette qu’il lui doit ou dont il est redevable envers un tiers.

Aussi, les arrangements visés par l’article 1405, al. 3e du Code civil correspondent à deux situations :

  • Première situation
    • Elle correspond à l’hypothèse où un ascendant règle la dette contractée auprès de son enfant créancier moyennant la remise d’un bien
    • Cette opération s’analyse en une dation en paiement.
  • Seconde situation
    • Elle correspond à l’hypothèse où un l’ascendant remet un bien à son enfant, moyennant l’obligation pour lui de régler la dette contractée auprès d’un tiers créancier
    • Cette opération s’analyse ici en une cession avec charge.

Ainsi que l’observent les auteurs, ces arrangements se situent « à la frontière entre le gratuit et l’onéreux »[1].

Techniquement, les opérations sont, en effet, conclues à titre onéreux dans la mesure où la remise du bien par l’ascendant à son héritier présomptif est assortie d’une contrepartie : le règlement de la dette qu’il lui doit où dont il est tenu envers un tiers.

Reste que ces arrangements sont assimilés par l’article 1405 à des libéralités. La raison en est qu’ils visent à anticiper le règlement de la succession de l’ascendant.

En somme, comme souligné par Jean Boulanger, la règle a été instituée pour « réaliser du vivant de l’ascendant, ce qui autrement, se serait passé à sa mort ».

D’où la qualification de bien propre du bien acquis dans le cadre de l’un des arrangements envisagés par l’article 1405, al. 3e.

Une récompense sera néanmoins due à la communauté, précise le texte, lorsque la dette du tiers aura été payée au moyen de fonds communs.

II) Les biens propres par nature

Sous l’empire du droit antérieur à la loi du 13 juillet 1965 où c’est le régime de la communauté de meubles et d’acquêts qui tenait lieu de régime légal, un vif débat s’est installé en doctrine sur le sort de certains meubles qui, pour plusieurs auteurs, devaient échapper au pouvoir d’attraction de la communauté en raison du lien étroit qu’ils entretiennent avec la personne d’un époux.

Pour les partisans de cette thèse il existerait donc une catégorie de biens dont le caractère propre tiendrait, non pas à leur origine, mais à leur nature.

D’aucuns ont opposé que la création d’une telle catégorie était inenvisageable en raison, notamment, de la difficulté qu’il y aurait à en tracer les contours.

À partir de quelle intensité doit-on considérer que le lien qui existe entre un époux et le bien qu’il a acquis au cours du mariage serait de nature à exclure ce bien de la communauté ?

Voilà une question épineuse qui suppose que l’on détermine à quel niveau le curseur doit être situé.

S’il est mis trop haut, il est un risque, selon Jean Derruppé, que l’existence de la catégorie des biens propres par nature ait pour effet de vider la communauté « de son contenu normal », ce qui dès lors remettrait en cause la nature communautaire du régime légal.

Si, en revanche, le curseur est positionné trop bas, la création d’une catégorie de biens propres par nature serait privée de son intérêt.

Finalement, le législateur a décidé d’opter pour la voie médiane, en instituant une catégorie de biens propres par nature dont le contenu est déterminé par :

  • D’une part, une liste de biens expressément désignés comme constituant des propres par nature
  • D’autre part, un principe général permettant de compléter la liste en y ajoutant les biens répondant à un critère précis

En parallèle, le législateur a reconnu, en dehors du Code civil, la qualification de biens propres à certains droits patrimoniaux étroitement liés à la personne d’un époux.

A) Les biens propres par nature résultant de l’énumération réalisée par l’article 1404

À l’analyse, deux sortes de biens figurent sur la liste des propres par nature dressée par l’article 1404 du Code civil :

  • Les biens propres par nature qui présentent un caractère personnel
  • Les biens propres par nature qui présentent un caractère professionnel

1. Les biens propres par nature qui présente un caractère personnel

L’article 1404, al. 1er du Code civil prévoit que « forment des propres par leur nature, quand même ils auraient été acquis pendant le mariage, les vêtements et linges à l’usage personnel de l’un des époux, les actions en réparation d’un dommage corporel ou moral, les créances et pensions incessibles ».

Tout d’abord, il peut être observé que, en précisant que les biens qui figurent sur cette liste « forment des propres par leur nature, quand même ils auraient été acquis pendant le mariage », cette disposition rappelle qu’il y a là une dérogation au principe général posé à l’article 1401, al. 1er du Code civil aux termes duquel tous les biens acquis à titre onéreux au cours du mariage ont vocation à tomber en communauté.

Ainsi, la catégorie des propres par nature présente cette particularité de comprendre en son sein des acquêts que la loi a expressément exclu de la masse commune.

Ensuite, s’agissant des biens énumérés au premier alinéa de l’article 1404 du Code civil, il apparaît que sont exclusivement visés des meubles : les vêtements et linges à l’usage personnel de l’un des époux, d’une part, et les actions en réparation d’un dommage corporel ou moral, les créances et pensions incessibles, d’autre part.

==> Les vêtements et linges à l’usage personnel de l’un des époux

Tous les vêtements acquis par un époux pour se vêtir, au cours du mariage, endossent la qualité de biens propres.

Le texte n’opérant aucune distinction entre les vêtements, ils sont exclus de la masse commune quand bien même ils auraient une grande valeur.

Pour constituer des biens propres, ils doivent néanmoins être affectés à l’usage strictement personnel d’un époux. S’ils sont utilisés comme des marchandises dans le cadre de l’exercice d’une activité commerciale, ils tomberont en communauté.

En effet, ne sont visés par l’article 1404, al. 4e du Code civil que les vêtements qui sont portés par les époux.

Lorsque cette condition est remplie, il est indifférent que les fonds employés pour leur acquisition soient des biens communs. La communauté n’aura pas droit à récompense. La raison en est que cette catégorie de dépenses relève des charges du mariage.

Aussi, leur répartition est-elle réglée, non pas par le régime légal, mais par le régime primaire impératif et plus précisément par l’article 214 du Code civil qui, pour mémoire, prévoit que « si les conventions matrimoniales ne règlent pas la contribution des époux aux charges du mariage, ils y contribuent à proportion de leurs facultés respectives. »

==> Les actions en réparation d’un dommage corporel ou moral, les créances et pensions incessibles

L’article 1404, al. 1er du Code civil prévoit expressément que « forment des propres par leur nature […] les actions en réparation d’un dommage corporel ou moral, les créances et pensions incessibles »

Envisageons une à une ces deux catégories de biens incorporels qui sont exclues de la communauté.

  • Les actions en réparation d’un dommage corporel ou moral
    • Lorsqu’un époux subit un préjudice corporel ou moral, il est susceptible, lorsque la loi le prévoit, de se voir attribuer une action en responsabilité contre l’auteur du dommage.
    • Cette action est très étroitement liée à sa personne dans la mesure où elle vise à lui permettre d’obtenir réparation d’un préjudice causé par une atteinte portée, soit à son intégrité physique ou psychique, soit à ses droits de la personnalité (vie privée, vie familiale, réputation etc.)
    • Lors de l’adoption de la loi du 13 juillet 1965, le législateur en a tiré la conséquence en reconnaissant le caractère propre d’une telle action.
    • À cet égard, il peut être observé qu’il n’a fait que reconduire la solution qui avait été adoptée par la jurisprudence sous l’empire du droit antérieur (V. en ce sens 1ère civ. 20 nov. 1958).
    • Dans un arrêt du 12 mai 1981, la Cour de cassation a rappelé la règle en affirmant, au visa de l’article 1404 du Code civil, qu’« il résulte de ce texte que les dommages-intérêts alloues a un époux tombent en communauté, sauf lorsqu’ils sont accordés en réparation d’un dommage corporel ou moral» ( 1ère civ. 12 mai 1981, n°80-10125).
    • L’exclusion de la masse commune des actions en réparation d’un dommage corporel ou moral emporte deux conséquences :
      • L’indemnité susceptible d’être allouée à l’époux titulaire de l’action en réparation de son préjudice est un bien propre
      • L’exercice de l’action relève du monopole de l’époux qui en dispose seul
    • S’agissant de l’indemnité allouée à un époux, il peut être observé qu’elle n’endossera la qualification de bien propre qu’à la condition qu’elle vise à réparer un « dommage corporel ou moral».
    • Si cette indemnité est octroyée en réparation d’un préjudice économique, et notamment aux fins de compenser une perte de revenus, elle sera assimilée à des gains et salaires et par, voie de conséquence, tombera en communauté.
    • La Cour de cassation a statué en ce sens dans un arrêt du 23 octobre 1990 en jugeant que la somme versée au titre de l’incapacité temporaire totale de travail, dès lors qu’elle est destinée à compenser la perte de revenus, « cette somme tombe en communauté comme les salaires qui auraient dû être perçus et dont elle constitue un substitut» ( 1ère civ. 23 oct. 1990, n°89.14448).
    • Cette solution a été réaffirmée à plusieurs reprises, notamment dans un arrêt rendu le 29 juin 2011 ( 1èreciv. 29 juin 2011, n°10-23373).
    • Pour échapper à la masse commune, l’indemnité doit donc impérativement se rapporter à la réparation d’un préjudice corporel ou moral.
    • Dès lors que cette condition est remplie, il est indifférent que l’indemnité soit versée au titre de l’exécution d’un contrat d’assurance et que le coût des primes ait été supporté par la communauté (V. en ce sens 6 juin 1990, n°88-20137).
    • Cette règle a été récemment rappelée par la Cour de cassation dans un arrêt du 17 novembre 2017 aux termes duquel elle a jugé que « le capital versé au bénéficiaire au titre d’un contrat d’assurance garantissant le risque invalidité a, réparant une atteinte à l’intégrité physique, un caractère personnel de sorte qu’il constitue un bien propre par nature» ( 1ère civ. 17 nov. 2010, n°09-72316).
  • Les créances et pensions incessibles
    • Les créances et pensions incessibles visées par l’article 1404 du Code civil, ne sont autres que les pensions alimentaires, les pensions d’invalidité ou encore les pensions de retraite.
    • Ces pensions et créances présentent la particularité d’être octroyées, moins en raison de leur incessibilité, qu’en considération de la situation purement personnelle de la personne d’un époux ; d’où leur exclusion de la masse commune.
    • Seuls les arrérages versés au titre de ces droits ont vocation à tomber en communauté, ainsi qu’il l’a été rappelé par la Cour de cassation dans un arrêt du 8 juillet 2009.
    • Dans cette décision, la première chambre civile a jugé que « si le titre d’une pension militaire de retraite, exclusivement personnel, constitue un bien propre par nature, les arrérages de cette pension, qui sont des substituts de salaires, entrent en communauté» ( 1ère civ. 8 juill. 2009, n°08-16364).

2. Les biens propres par nature qui présente un caractère professionnel

Parce que les instruments de travail entretiennent, par hypothèse, un lien particulièrement étroit avec l’époux qui en a l’usage, l’article 1404, al. 2 du Code civil leur reconnaît un caractère propre.

Le principe ainsi posé n’est toutefois pas sans limite. Le texte prévoit une exception lorsque les instruments de travail sont l’accessoire d’un fonds de commerce ou d’une exploitation inscrits à l’actif de la communauté.

==> Principe

L’article 1404, al. 2e du Code civil prévoit que « forment aussi des propres par leur nature, mais sauf récompense s’il y a lieu, les instruments de travail nécessaires à la profession de l’un des époux »

Il ressort de cette disposition que tous les biens affectés à l’exercice de l’activité professionnelle des époux constituent des biens propres.

Il s’agira notamment des outils et des machines de l’artisan ou encore de l’équipement et des appareils de mesure d’un géomètre, d’un architecte.

Il s’agit, autrement dit, de tout bien dont l’utilisation est indispensable à l’exercice de l’activité professionnelle d’un époux.

Cette exclusion de la masse commune des instruments de travail se justifie par la volonté du législateur d’assurer l’indépendance professionnelle des époux.

Il ne faudrait pas qu’un époux soit empêché de jouir de cette indépendance qui lui est expressément reconnue par l’article 223 du Code civil en raison du véto posé par son conjoint quant à l’accomplissement d’actes de disposition ou d’administration sur ses instruments de travail.

Pour cette raison, les instruments de travail sont des biens propres, ce qui confère à l’époux qui les a acquis un pouvoir de gestion exclusive de ces derniers.

Lorsque toutefois les biens affectés à l’exercice de l’activité professionnelle sont acquis avec des fonds communs, la communauté aura droit à récompense.

C’est là une différence majeure avec les biens propres par nature qui présentent un caractère personnel, leur acquisition ne donnant jamais lieu à récompense quand bien même le coût de cette acquisition est supporté par la communauté.

==> Exception

L’article 1404, al. 2e du Code civil pose une exception au principe d’exclusion des instruments de travail de la masse commune.

Il prévoit en ce sens que ces derniers forment des propres par nature « à moins qu’ils ne soient l’accessoire d’un fonds de commerce ou d’une exploitation faisant partie de la communauté. »

Lorsque, dès lors, un bien est affecté à l’activité professionnelle d’un époux et que, surtout, il entretient un lien économique avec un fonds de commerce ou une exploitation artisanale, libérale ou agricole, il tombe en communauté.

Aussi, le législateur fait-il primer ici le principe de l’accessoire sur l’existence d’un lien personnel existant entre l’instrument de travail et l’époux qui en a l’usage.

La raison en est que le fonds de commerce est une universalité de fait. Aussi, ne peut-il être appréhendé que comme un tout et non comme un ensemble de biens pris séparément. D’où l’attribution à la communauté des instruments de travail affecté à l’exploitation d’un fonds de commerce.

B) Les biens propres par nature résultant de l’application du principe général institué par l’article 1404

L’article 1404 du Code civil ne se limite pas à établir une liste de biens propres par nature, il pose un principe général qui confère la qualification de propres à « tous les biens qui ont un caractère personnel et tous les droits exclusivement attachés à la personne. »

Aussi, dès lors qu’un bien entretient un lien particulièrement étroit avec la personne d’un époux il est exclu de la masse commune.

Il est indifférent que le bien ait été acquis au cours du mariage et que son acquisition ait été financée par des deniers communs. Ce qui importe c’est que soit établie l’existence d’un lien personnel avec l’époux qui en revendique la propriété.

1. Les biens dont la qualification ne soulève aucune difficulté

À l’analyse, plusieurs biens sont susceptibles de répondre à cette exigence, dont notamment :

  • Les bijoux
    • Ils pourront être qualifiés de biens propres lorsqu’ils auront été reçus par un époux à titre de présent d’usage.
    • Lorsque, en revanche, ils auront été acquis en vue de réaliser un investissement ils tomberont en communauté
  • Les souvenirs de familles
    • Ces biens sont intrinsèquement attachés à la personne de l’époux qui les possède.
    • À cet égard, ils seront le plus souvent acquis à titre gratuit, ce qui les placera sous la protection de l’article 1405 et fera donc d’eux des biens propres par leur origine.
  • Les décorations, médailles et diplômes
    • Il s’agit là de biens qui sont attribués nominativement à la personne d’un époux en vue de l’honorer ou de le distinguer.
    • Dans ces conditions, ils ne sauraient tomber en communauté.

2. Les biens dont la qualification soulève une difficulté

Si pour les biens envisagés ci-dessus la qualification de propres ne soulèvera généralement pas de difficulté, il est des cas où la question se posera.

==> Les rentes viagères

Parmi les créances dont sont susceptibles d’être titulaires les époux, il y a les rentes viagères.

Ces créances se distinguent de celles expressément visées par l’article 1404 al. 1er du Code civil en ce que, d’une part, elles sont le plus souvent d’origine conventionnelle et, d’autre part, elles sont cessibles.

Pour cette raison, elles sont exclues du domaine d’application du texte, à tout le moins pris dans sa première partie.

Est-ce à dire qu’elles tombent en communauté ?

C’est la question qui s’est posée en jurisprudence et qui a agité la doctrine avant l’adoption de la loi du 13 juillet 1965.

Lorsqu’une rente viagère est contractée pour le bénéfice d’un époux elle présente indéniablement un caractère personnel.

Pour cette raison, il a très tôt été admis par les juridictions qu’il y avait lieu de faire application de l’article 1404, al. 1er in fine et donc de conférer aux rentes viagères la qualification de biens propres par nature.

Si cette solution se justifie pleinement lorsque la constitution de la rente est intervenue avant la célébration du mariage ou lorsqu’elle a été financée par des deniers propres, une difficulté survient lorsque ce sont des fonds communs qui ont été affectés à la souscription de la rente viagère.

Plus précisément en pareille circonstance la question se pose de savoir si la communauté n’aurait-elle pas droit à récompense ?

Plusieurs situations doivent être distinguées :

  • La rente viagère a été constituée par un époux au profit de son conjoint
    • Dans cette hypothèse, il y a lieu de distinguer selon que l’époux souscripteur est ou non animé d’une intention libérale
      • L’époux souscripteur est animé d’une intention libérale
        • La rente viagère est toujours exclue de la masse commune.
        • Aucune récompense n’est due à la communauté, quand bien même la rente a été financée par des fonds communs.
      • L’époux souscripteur n’est pas animé par une intention libérale
        • Dans cette hypothèse, la rente viagère constitue un bien propre
        • Néanmoins, lorsque le coût de sa constitution est supporté par la communauté, une récompense lui est due
  • La rente viagère a été constituée par les deux époux avec clause de réversibilité au profit du survivant
    • Dans cette hypothèse, la rente viagère constitue toujours un bien propre.
    • À cet égard, l’article 1973 du Code civil prévoit que « lorsque, constituée par des époux ou l’un d’eux, la rente est stipulée réversible au profit du conjoint survivant, la clause de réversibilité peut avoir les caractères d’une libéralité ou ceux d’un acte à titre onéreux»
    • Il ressort de cette disposition que lorsque la constitution d’une rente viagère a été financée avec des fonds communs, selon que la clause de réversibilité a été stipulée à titre onéreux ou à titre gratuit une récompense pourra ou non être due à la communauté.
    • Le texte précise que « sauf volonté contraire des époux, la réversion est présumée avoir été consentie à titre gratuit. »
    • Pratiquement, deux situations doivent donc être distinguées
      • La clause de réversibilité a été stipulée à titre gratuit
        • Tel sera le cas en l’absence de précision dans le contrat de souscription de la rente sur le caractère gratuit ou onéreux de la clause de réversibilité.
        • Aucune récompense n’est alors due à la communauté
      • La clause de réversibilité a été stipulée à titre onéreux
        • Pour que la clause de réversibilité présente un caractère onéreux, ce doit être expressément stipulé dans le contrat de souscription de la rente.
        • Ce n’est que si c’est condition est remplie qu’une récompense sera due à la communauté.
  • La rente viagère a été constituée par l’un des époux à son profit personnel
    • Lorsqu’une rente est constituée par un époux à son profit personnel, il est admis qu’il y a lieu de faire jouer l’article 1404 du Code civil, de sorte qu’elle constitue un bien propre par nature.
    • Lorsque, néanmoins, sa constitution est financée par des deniers communs, la communauté a droit à récompense.

==> Le droit au bail

Lorsqu’un époux acquiert au cours du mariage un droit au bail d’aucuns se sont demandé si ce droit ne devait pas être exclu de la masse commune, dans la mesure où il s’agit là d’un droit de créance consenti en considération de la personne de son titulaire.

C’est là une caractéristique du contrat de bail : l’intuitus personae y est particulièrement marqué.

Pour cette raison, il est admis qu’il y avait lieu, par principe, de reconnaître au droit au bail la qualification de bien propre.

Reste que selon que ce droit au bail porte sur un local à usage d’habitation ou sur un local à usage professionnel le statut du locataire diffère.

Le régime applicable n’est pas le même selon qu’il s’agit d’un bail d’habitation, un bail commercial, un bail professionnel ou encore un bail rural.

La question qui alors se pose est de savoir s’il est des statuts de baux qui n’auraient pas une incidence sur le sort du droit au bail acquis par un époux au cours du mariage.

Pour le déterminer, envisageons les baux les plus couramment conclus :

  • Le bail d’habitation
    • Lorsqu’un époux marié sous le régime légal conclu un bail à usage d’habitation, la titularité de ce bail est réglée par l’article 1751 du Code civil.
    • Cette disposition prévoit que « le droit au bail du local, sans caractère professionnel ou commercial, qui sert effectivement à l’habitation de deux époux, quel que soit leur régime matrimonial et nonobstant toute convention contraire et même si le bail a été conclu avant le mariage, ou de deux partenaires liés par un pacte civil de solidarité, dès lors que les partenaires en font la demande conjointement, est réputé appartenir à l’un et à l’autre des époux ou partenaires liés par un pacte civil de solidarité. »
    • Il ressort de cette disposition que lorsqu’un époux est titulaire d’un bail qui assure le logement de la famille, la titularité de ce bail est étendue à son conjoint.
    • Bien que logée dans la partie du Code civil dédiée aux baux des maisons et des biens ruraux, la règle énoncée à l’article 1751 relève du régime primaire impératif puisque, comme précisé par le texte, elle est applicable « quel que soit» le régime matrimonial des époux.
    • Il s’agit donc là d’une disposition à laquelle il ne saurait être dérogé par convention contraire et notamment par l’établissement d’un contrat de mariage.
    • Et il est indifférent que les époux aient opté pour un régime de communauté ou un régime de séparation de biens. La règle de cotitularité du bail prévaut.
    • Cette règle attribue donc le droit au bail aux deux époux.
    • Ainsi que le relève un auteur, est ainsi instituée une sorte d’« indivision forcée atypique»[2].
    • Cette thèse semble avoir été consacrée par la Cour de cassation qui, dans un arrêt du 27 janvier 1993, a affirmé que l’article 1751 du Code civil « crée une indivision, conférant à chacun des époux des droits et obligations identiques, notamment l’obligation de payer des loyers et accessoires» ( 3e civ. 27 janv. 1993, n°90-21.825).
  • Le bail commercial
    • Parce que le bail commercial est librement cessible ( L. 145-16 C. civ.) il est des contrats de baux celui où l’intuitus personae est le moins marqué.
    • En outre, il est reconnu au bail commercial une véritable valeur patrimoniale, à telle enseigne qu’il constitue l’un des principaux éléments du fonds de commerce.
    • Pour cette raison sa qualification devrait être dictée par celle attribuée au fonds exploité par un époux.
    • Autrement dit, lorsque le fonds de commerce est commun, le droit au bail devrait tomber en communauté et lorsque le fonds de commerce constitue un bien propre sa titularité ne devrait pas être partagée.
    • À l’analyse, telle n’est pas la solution qui semble avoir été retenue par la jurisprudence.
    • Dans un arrêt du 28 mai 2008, la Cour de cassation a jugé que « même si [l’épouse] était copropriétaire du fonds de commerce, elle n’avait pas la qualité de co-preneur du bail commercial, dès lors que son époux était seul titulaire de ce bail» ( 3e civ. 28 mai 2008, n°07-12277).
    • Pour la troisième chambre civile, la copropriété d’un fonds de commerce est donc sans incidence sur la titularité du bail commercial.
    • Dit autrement, la qualité de co-preneur ne dépend pas de la propriété du fonds ou du droit au bail.
    • Abondamment commentée par la doctrine, cette solution a récemment été reconduite par la Cour de cassation dans un arrêt du 17 décembre 2020 ( 3e civ. 17 sept. 2020, n°19-18435).
  • Le bail rural
    • À la différence du bail commercial, le bail rural est incessible ce qui n’est pas sans lui conférer un statut particulier.
    • Il s’agit d’un contrat de bail où l’intuitus personnae est particulièrement marqué.
    • Très tôt, la jurisprudence en a tiré la conséquence qu’il y avait lieu d’exclure le bail rural de la masse commune.
    • Dans un arrêt du 27 février 1958 elle a jugé en ce sens que « le bail commercial, strictement personnel au preneur, incessible et auquel est déniée toute valeur patrimoniale, ne saurait entrer en communauté» ( soc. 27 févr. 1958).
    • Cette solution a, par suite, été renouvelée à plusieurs reprises (V. en ce sens 1ère civ. 8 avr. 2009, n°07-14227).
    • Reste qu’elle est fondée sur le caractère incessible du bail rural.
    • Or cette incessibilité connaît un recul avec l’émergence d’un nouveau bail rural, introduit par la loi n°2006-11 du 5 janvier 2006, qui autorise le preneur à céder son droit au bail hors du cadre familial (V. en ce sens L. 418-1 et s. C. rur.)
    • La position adoptée par la jurisprudence serait-elle la même en présence d’un tel bail ?
    • La question est ouverte, faute de décision rendue pour l’heure.
  • Le bail professionnel
    • Le bail professionnel présente la particularité d’être conclu pour l’exercice d’une activité qui n’est ni commerciale, ni rurale ni artisanale.
    • Le local loué est affecté à l’exercice d’une activité civile qui, le plus souvent, consistera en une profession libérale.
    • Pour la doctrine, la titularité de ce bail dépend de son caractère cessible.
    • S’il peut être librement cédé, il est admis qu’il devra être traité comme un acquêt.
    • Si, en revanche, il est incessible il restera propre à l’époux auquel il a été consenti.
    • Certains auteurs ont également avancé que lorsque le bail professionnel peut être rattaché à un fonds d’exercice libéral dont l’existence est désormais reconnue ( 1ère civ. 7 nov. 2000, n°98-17731) sa qualification doit suivre le même sort que ce fonds, ce, par analogie avec le bail commercial, accessoire d’un fonds de commerce.

C) Les biens propres par nature résultant d’une disposition spécifique

1. L’assurance vie

Lorsqu’un époux perçoit le capital versé au titre de la souscription d’un contrat d’assurance-vie, la question se pose de la qualification de ce capital : est-ce un bien propre ou un bien commun ?

Pour le déterminer, il convient de distinguer deux situations :

  • Le contrat d’assurance vie peut avoir été souscrit au bénéfice du conjoint
  • Le contrat d’assurance vie peut avoir été souscrit au bénéfice de l’époux souscripteur

a. Le contrat d’assurance vie a été souscrit par un époux au profit de son conjoint

Un époux peut souscrire un contrat d’assurance vie aux termes duquel il désigne son conjoint comme bénéficiaire d’un capital déterminé en cas de survenance de l’événement prévu au contrat.

Trois formules sont envisageables :

  • L’assurance en cas de vie
  • L’assurance en cas de décès
  • L’assurance mixte

Tandis que les deux premières formules ne soulèvent pas de difficultés dans la mesure où, en cas de réalisation de l’événement prévu au contrat, le capital versé par l’assureur endossera toujours la même qualification, tel n’est pas le cas de la troisième formule qui fait l’objet d’une appréhension particulière.

==> La qualification du capital versé par l’assureur en cas de souscription d’un contrat d’assurance en cas de vie ou en cas de décès

Avant de déterminer quelle qualification endosse le capital versé au conjoint par l’assureur au titre d’un contrat d’assurance en cas de vie ou en cas de décès, arrêtons-nous un instant sur les spécificités de ces deux types de contrat d’assurance vie.

  • Le contrat d’assurance en cas de vie
    • Il s’agit d’un contrat aux termes duquel les parties ont convenu le versement par l’assureur au souscripteur lui-même ou à un tiers d’un capital dans l’hypothèse où l’assuré serait toujours en vie à une échéance fixée au contrat
    • La contrepartie consiste en le règlement de primes périodiques ou d’une prime unique par le souscripteur.
    • L’aléa réside ici dans la vie ou la survie de l’assuré : il résulte de ce que l’engagement est subordonné à la survie du souscripteur.
    • Aussi, en cas de décès du souscripteur avant l’échéance, aucun capital ne sera versé au bénéficiaire
  • Le contrat d’assurance en cas de décès
    • Il s’agit d’un contrat aux termes duquel les parties ont convenu le versement, par l’assureur à un tiers bénéficiaire, d’un capital en cas de décès de l’assuré pendant la période garantie.
    • La contrepartie consiste en le règlement, par le souscripteur, de primes périodiques ou d’une prime unique.
    • L’aléa réside ici dans la survenance du décès de l’assuré.
    • Tant que le souscripteur vit, l’assureur ne verse aucun capital au bénéficiaire

Selon que l’époux souscripteur opte pour l’une ou l’autre formule d’assurance vie, il peut donc désigner son conjoint comme bénéficiaire.

La question qui alors se pose est de savoir, en cas de survenance de l’événement prévu au contrat, quelle qualification endosse par le capital versé par l’assureur au conjoint ?

Pour le déterminer, il convient de se reporter à l’article L. 132-16 du Code des assurances.

Cette disposition prévoit que « le bénéfice de l’assurance contractée par un époux commun en biens en faveur de son conjoint, constitue un propre pour celui-ci. »

Le capital versé par l’assureur au conjoint de l’époux souscripteur est donc exclu de la masse commune.

Qu’en est -il du droit à récompense de la communauté lorsque les primes d’assurance ont été réglées au moyen de deniers communs ?

Le second alinéa de l’article L. 132-16 évacue cette difficulté en disposant que, aucune récompense n’est due à la communauté, en raison des primes payées par elle, sauf dans le cas énoncé à l’article L. 132-13, soit lorsque les sommes versées par le contractant à titre de primes ont été manifestement exagérées eu égard à ses facultés.

Abstraction faite de cette exception, il est donc indifférent que le coût des primes ait été supporté par la communauté : elle n’aura jamais droit à récompense.

==> La qualification du capital versé par l’assureur en cas de souscription d’un contrat d’assurance mixte

Le développement des assurances vie, a conduit les assureurs à élaborer de nouveaux produits d’assurance et notamment à combiner entre elles les assurances en cas de vie et les assurances en cas de décès.

On parle alors de contrats d’assurance mixte. Ce type de contrat présente la particularité de prévoir le versement d’un capital :

  • Soit au conjoint du souscripteur en cas de décès de celui-ci avant la survenance de l’échéance
  • Soit au souscripteur lui-même en cas de survie de celui-ci à l’échéance prévue au contrat

Manifestement, le contrat d’assurance mixte présente la particularité de combiner prévoyance et investissement :

  • Dans l’hypothèse où l’assureur verse à l’échéance le capital au conjoint désigné comme bénéficiaire parce que l’époux souscripteur est décédé, il s’agira d’une opération de prévoyance ordinaire
  • Dans l’hypothèse où au contraire, l’assureur verse le capital convenu au souscripteur lui-même encore en vie à l’échéance, il s’agira plutôt d’une opération d’investissement

Afin de déterminer la qualification à attribuer au capital versé par l’assureur au conjoint selon que l’un ou l’autre événement se réalise, il ressort de la jurisprudence qu’il y a lieu de distinguer deux situations :

  • Première situation : le souscripteur décède au cours du mariage
    • Dans cette hypothèse, c’est la fonction de prévoyance du contrat d’assurance vie qui opère.
    • Il y a donc lieu de faire jouer l’article L. 132-16 du Code des assurances.
    • Aussi, le capital versé au conjoint désigné comme bénéficiaire endosse la qualification de bien propre.
    • La communauté n’aura pas droit à récompense quand bien même les primes d’assurance ont été réglées au moyen de deniers communs.
  • Seconde situation : la dissolution du mariage intervient avant l’arrivée de l’échéance du contrat
    • Dans cette hypothèse, c’est la fonction d’investissement du contrat d’assurance qui opère.
    • Parce que le capital dû par l’assureur sera versé, non pas au conjoint bénéficiaire, mais au souscripteur lui-même, l’article L. 132-16 du Code des assurances ne pourra pas jouer.
    • Dans un arrêt Praslicka du 31 mars 1992, la Cour de cassation a jugé en ce sens, s’agissant d’un contrat d’assurance mixte non dénoué au jour de la dissolution du mariage que la valeur de la police d’assurance devait être intégrée à l’actif de la communauté et que, par voie de conséquence, « il devait être tenu compte dans les opérations de partage de la valeur du contrat au jour de la dissolution de la communauté» ( 1ère civ. 31 mars 1992, n°90-16343).
    • Cette solution a été réaffirmée par quatre arrêts rendus en date du 23 novembre 2004 par la Cour de cassation ( ch. Mixte 23 nov. 2004, n°01-13592).

b. Le contrat d’assurance vie a été souscrit au profit de l’époux souscripteur lui-même

Lorsqu’un époux souscrit un contrat d’assurance vie, il lui est loisible de se désigner comme bénéficiaire. Il s’agira le plus souvent pour lui de se constituer un pécule qu’il percevra à la retraite.

Quid en pareille hypothèse de la qualification du capital qui lui sera versé par l’assureur en cas de survenance de l’événement prévu au contrat ?

Ainsi qu’il l’a été dit ci-dessus, l’article L. 132-16 du Code des assurances ne s’applique que pour les cas où c’est le conjoint du souscripteur qui a été désigné comme bénéficiaire.

Est-ce à dire que lorsqu’un époux souscrit un contrat d’assurance vie pour son profit personnel, le capital susceptible de lui être versé par l’assureur tombe en communauté ?

Pour répondre à cette question, une étude de la jurisprudence révèle qu’il y a lieu de distinguer selon que le contrat comporte ou non en aléa.

==> Le contrat comporte un aléa

Le contrat comportera un aléa lorsque le souscripteur optera :

  • Soit pour un contrat d’assurance en cas de vie
    • Le capital sera versé au souscripteur en cas de survie de celui-ci à l’échéance fixée au contrat
  • Soit pour un contrat d’assurance en cas de décès
    • Le capital sera versé au souscripteur en cas de prédécès de son conjoint
  • Soit pour un contrat d’assurance mixte
    • Le capital sera versé au souscripteur en cas de survie de celui-ci à l’échéance fixée au contrat et à son conjoint s’il décède avant lui

Si on laisse de côté les contrats d’assurance mixte dont on a étudié les spécificités précédemment, reste à déterminer la qualification du capital versé à l’époux souscripteur en cas de conclusion d’un contrat d’assurance en cas de vie ou en cas de décès.

Bien que l’article L. 132-16 du Code des assurances ne soit ici pas applicable dans la mesure où le bénéficiaire du contrat n’est pas le conjoint mais le souscripteur lui-même, il est majoritairement admis que le capital versé en cas de réalisation de l’événement prévu au contrat constitue un bien propre par nature.

Pour les tenants de cette thèse, dans la mesure où le droit portant sur le capital du contrat d’assurance vie demeure exclusivement attaché à la personne du souscripteur, il y aurait lieu de faire application de l’article 1404 du Code civil.

Pour la doctrine, il est indifférent que le coût des primes d’assurance ait été supporté par la communauté, cette disposition s’applique en tout état de cause.

Reste la question du droit à récompense au profit de la communauté. Les auteurs sont partagés sur cette question.

Si l’on raisonne toutefois par analogie avec la constitution par un époux d’une rente viagère à son profit personnel, un droit à récompense devrait être reconnu à la communauté.

==> Le contrat ne comporte pas d’aléa

Dans le Code des assurances, les contrats d’assurance vie sont logés sous un même chapitre que les contrats de capitalisation (V. en ce sens les articles L. 132-1 à L. 132-27-2)

Pour autant, ces deux variétés de contrats portent sur des opérations très différentes :

  • Le contrat d’assurance vie
    • Il est de nature essentiellement aléatoire, ce sens que l’assureur s’oblige envers le souscripteur, moyennant le paiement d’une prime, à verser au bénéficiaire désigné, un capital déterminé en cas de survenance d’un événement incertain prévu au contrat.
    • L’exécution par l’assureur de son obligation est donc liée à la durée de la vie humaine : on ne sait pas à l’avance si le capital sera attribué au souscripteur assuré, s’il est en vie à l’échéance, ou au bénéficiaire désigné, en cas de décès de l’assuré.
    • Le souscripteur, quant à lui, n’est propriétaire, ni des sommes versées, ni de leur capital représentatif, ni même titulaire d’un droit de créance contre l’assureur.
    • Il est seulement titulaire du droit personnel de révoquer le bénéficiaire et de faire racheter le contrat dans les conditions prévues par l’article L. 132-23 du Code des assurances.
  • Le contrat de capitalisation
    • Le contrat de capitalisation présente la particularité de réaliser une opération, non pas d’assurance, mais de pur investissement.
    • Le souscripteur effectue des versements périodiques ou un versement unique auprès d’un organisme financier en vue de les faire fructifier.
    • Cet organisme a, en contrepartie, l’obligation de restituer un capital déterminé au souscripteur, soit à l’échéance du contrat, soit par anticipation.
    • Contrairement au contrat d’assurance vie, le contrat de capitalisation ne comporte aucun aléa : le bénéficiaire est certain de percevoir le capital prévu au contrat à l’échéance fixé.
    • L’exécution de la prestation ne dépend, en effet, ni de la survie, ni du décès du souscripteur.
    • Parce que le contrat de capitation n’a pas pour objet la garantie d’un risque, il ne s’apparente pas à une opération d’assurance. Il s’analyse plutôt en une opération de dépôt.
    • Aussi, l’organisme gestionnaire n’est, à cet égard, que le dépositaire de sommes qui peuvent être appréhendées par les créanciers du client.

La distinction entre les contrats d’assurance vie et les contrats de capitalisation est déterminante s’agissant du sort du capital versé au bénéficiaire du contrat.

La jurisprudence considère, en effet, que lorsque le contrat souscrit par un époux relève des opérations de capitalisation, le capital versé à l’échéance ou par anticipation tombe en communauté (Cass. 1ère civ. 26 mai 1982).

La raison en est que, faute de comporter un aléa, les contrats de capitalisation sont insusceptibles de se voir appliquer l’article L. 132-16 du Code des assurances.

Le domaine d’application de cette disposition est circonscrit aux seuls contrats d’assurance vie, soit ceux dont l’exécution dépend de la survenance d’un événement incertain.

Quant à l’application de l’article 1404 du Code civil, elle est également exclue dans la mesure où les contrats de capitalisation s’analysent en des opérations d’investissements. Or les produits de telles opérations s’apparentent à des économies

Aussi, à l’instar des gains et salaires déposés sur un compte d’épargne, les fonds perçus au titre d’un contrat de capitalisation tombent-ils sous le coup de la qualification d’acquêts au sens de l’article 1401 du Code civil

2. La créance de salaire différé

Lorsque des époux collaborent dans le cadre d’une exploitation agricole, le conjoint du chef d’entreprise peut se voir appliquer plusieurs statuts.

Parmi les statuts prévus par la loi, le conjoint peut notamment opter pour celui de collaborateur.

Ce statut présente l’avantage de conférer une protection sociale au conjoint de l’agriculteur.

Ainsi, bénéficie-t-il de droits personnels à la retraite (régime de base et complémentaire) et a vocation à percevoir une pension en cas d’invalidité ainsi que certaines prestations en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle.

Autre avantage du statut de collaborateur : lors du décès de l’exploitant, le conjoint collaborateur a droit au versement d’une créance, dite de salaire différé, prélevée sur la succession lorsqu’il aura participé « directement et effectivement », pendant au moins 10 ans, à l’activité de l’exploitation.

L’article L. 321-21-1 du Code rural prévoit en ce sens que le conjoint survivant du chef d’une exploitation agricole ou de l’associé exploitant une société dont l’objet est l’exploitation agricole qui justifie par tous moyens avoir participé directement et effectivement à l’activité de l’exploitation pendant au moins dix années, sans recevoir de salaire ni être associé aux bénéfices et aux pertes de celle-ci, bénéficie d’un droit de créance d’un montant égal à trois fois le salaire minimum de croissance annuel en vigueur au jour du décès dans la limite de 25 % de l’actif successoral.

À l’examen, ce n’est pas tant le statut de collaborateur qui confère au conjoint survivant ce droit de créance de salaire différé, mais la situation de fait consistant à avoir participé directement et effectivement à l’activité de l’exploitation sans avoir perçu de salaire, ni de part de bénéfice.

Quant à la qualification de cette créance de salaire différé, se pose inévitablement la question de savoir si elle est constitutive d’un bien propre ou si elle a vocation à tomber en communauté ?

Pour le déterminer, il convient de se reporter à l’article L. 321-14 du Code rural. Cette disposition prévoit que « le bénéfice du contrat de travail à salaire différé constitue pour le descendant de l’exploitant agricole un bien propre dont la dévolution, par dérogation aux règles du droit civil et nonobstant toutes conventions matrimoniales, est exclusivement réservée à ses enfants vivants ou représentés. »

Aussi, la créance de salaire différé est purement et simplement exclue de la masse commune.

Pourquoi une telle différence de traitement entre le salaire différé octroyé aux ayants droit de l’exploitant agricole et les gains et salaires perçus par un époux au titre de l’exercice d’une activité professionnelle ordinaire ?

Pour la doctrine, la justification de ce traitement différencié réside dans la date d’exigibilité de la créance.

Tandis que la créance de gains et salaires est exigible à mesure que la prestation de travail est exécutée, la créance de salaire différé devient, quant à elle, exigible au décès de l’exploitant agricole.

Aussi s’apparente-t-il moins en la contrepartie d’un travail qu’en une part successorale complémentaire.

Or conformément à l’article 1405 du Code civil, « restent propres les biens que [les époux] acquièrent, pendant le mariage, par succession, donation ou legs. »

Il est donc parfaitement cohérent, au regard du principe général posé par cette disposition, que la créance de salaire différé ne soit pas inscrite à l’actif de la communauté.

3. Les œuvres de l’esprit

Les créations protégées par le droit de la propriété littéraire et artistique sont celles qui répondent au critère d’originalité.

Par originalité, il faut entendre, selon la définition désormais consacrée, « l’empreinte de la personnalité de l’auteur sur son œuvre » (CA Paris, 1re ch., 1er avril 1957).

À cet égard, originalité ne signifie pas nécessairement esthétisme, contrairement à ce qui a pu être soutenu par certaines auteurs[3].

L’article L 112-1 du Code de la propriété intellectuelle prévoit en ce sens que le droit de la propriété littéraire et artistique protège « les droits des auteurs sur toutes les œuvres de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination ».

Il est ainsi admis que les logiciels bénéficient de la protection du droit d’auteur. Ils figurent d’ailleurs dans la liste des œuvres de l’esprit dressée par l’article L. 112-2 du CPI).

Quoi qu’il en soit, dès lors que la condition d’originalité est remplie, l’œuvre est constitutive d’un bien susceptible d’exploitation économique.

À cet égard, l’œuvre est source de valeur en ce que :

  • D’une part, elle est l’objet de droits patrimoniaux et moraux
  • D’autre part, est susceptible de procurer à l’auteur des revenus d’exploitation
  • Enfin, elle peut être exploitée en tant que chose corporelle

==> L’œuvre comme objet de droits moraux et patrimoniaux

Le Code de la propriété intellectuelle confère à l’auteur sur son œuvre deux catégories de droits :

  • Les droits patrimoniaux qui comprennent notamment le droit de représentation et le droit de reproduction de l’œuvre
  • Les droits moraux qui comprennent le droit de paternité, le droit de divulgation ou encore le droit au respect de l’œuvre

Tandis que les premiers sont librement cessibles et peuvent donc faire l’objet d’une exploitation commerciale, les seconds sont inaliénables à telle enseigne qu’ils sont regardés comme des droits personnels.

En raison de la nature hybride de l’œuvre de l’esprit qui, tout à la fois, est un bien économique et une chose hors du commerce, la question s’est rapidement posée de savoir si elle tombait en communauté ou si elle était constitutive d’un bien propre.

Pour le déterminer, il y a lieu d’envisager successivement la qualification des droits moraux et des droits patrimoniaux.

  • S’agissant des droits moraux
    • C’est la loi qui définit le statut du droit moral de l’auteur quel que soit le régime matrimonial auquel il est soumis.
    • L’article L. 121-9 du Code de la propriété intellectuelle prévoit que « sous tous les régimes matrimoniaux et à peine de nullité de toutes clauses contraires portées au contrat de mariage, le droit de divulguer l’œuvre, de fixer les conditions de son exploitation et d’en défendre l’intégrité reste propre à l’époux auteur ou à celui des époux à qui de tels droits ont été transmis. »
    • Il s’infère donc de cette disposition que les droits moraux dont est titulaire l’auteur d’une œuvre sont propres.
    • En aucune manière, ils ne sauraient donc tomber en communauté.
    • Le texte précise d’ailleurs que le droit moral « ne peut être apporté en dot, ni acquis par la communauté ou par une société d’acquêts ».
    • Il s’agit là d’une disposition d’ordre public à laquelle il ne peut être dérogé par convention contraire, y compris par voie de contrat de mariage.
  • S’agissant des droits patrimoniaux
    • À la différence des droits moraux qui ne soulèvent pas de difficulté de qualification en raison de leur nature, tel n’est pas le cas des droits patrimoniaux.
    • Ces droits se rapportent certes à une création qui entretient un lien très étroit avec la personne de l’auteur, ils n’en demeurent pas moins susceptibles de faire l’objet d’une exploitation économique et donc d’être sources de valeur.
    • Cette valeur doit-elle profiter à la communauté ou revient-elle exclusivement à l’auteur ?
    • Sous l’empire du droit antérieur, la Cour de cassation a jugé dans un célèbre arrêt Lecoq que les droits patrimoniaux constituaient des biens communs ( civ. 25 juin 1902).
    • Aussi, tandis que les droits moraux restaient propres à l’auteur, les droits patrimoniaux tombaient en communauté.
    • Cette distinction opérée par la jurisprudence a finalement été abandonnée par le législateur en raison des nombreuses difficultés pratiques qu’elle engendrait.
    • Plus précisément la loi du 11 mars 1957 a aligné la qualification des droits patrimoniaux sur celle des droits moraux : tous sont des biens propres.
    • La règle est désormais énoncée à l’article L. 121-9.
    • S’agissant spécifiquement des droits patrimoniaux, elle prévoit que le droit de fixer les conditions d’exploitation de l’œuvre reste propre à l’époux auteur ou à celui des époux à qui de tels droits ont été transmis.

Si donc les droits patrimoniaux et moraux dont est titulaire l’auteur sur son œuvre sont des biens propres, tel n’est, en revanche, pas le cas pour revenus générés par l’exploitation de l’œuvre.

==> L’œuvre comme source de revenus d’exploitation

L’article L. 121-9, al. 2e du CPI prévoit que « les produits pécuniaires provenant de l’exploitation d’une œuvre de l’esprit ou de la cession totale ou partielle du droit d’exploitation sont soumis au droit commun des régimes matrimoniaux »

Il ressort de cette disposition que les gains perçus par l’auteur au titre de l’exploitation de son œuvre ont vocation à tomber en communauté.

Cette solution se justifie en ce que ces gains s’apparentent à des acquêts au sens de l’article 1401 du Code civil.

Le principe général posé par ce texte est que toute rémunération perçue par un époux au titre de l’exercice de son activité professionnelle au cours du mariage, peu importe que cette activité soit subordonnée ou indépendante, est constitutive d’un bien commun.

Dans ces conditions, il n’y a pas lieu de réserver un traitement particulier pour les redevances versées à un auteur en contrepartie du travail de création intellectuelle fourni.

Reste que deux questions se posent : quid de la qualification des revenus perçus par l’auteur lorsque l’œuvre a été créée avant la célébration du mariage et quid lorsque les revenus sont versés à l’auteur postérieurement à la dissolution du mariage.

  • L’œuvre a été créée avant la célébration du mariage
    • De l’avis unanime de la doctrine, dans cette hypothèse, les revenus perçus par l’auteur au titre de l’exploitation de son œuvre sont des revenus de biens propres.
    • Si, en revanche, l’œuvre a été créée postérieurement à la célébration du mariage, les redevances versées à l’auteur s’apparentent à des gains et salaires.
    • En toute hypothèse, ces redevances tombent en communauté, dès lors qu’elles sont perçues au cours du mariage.
  • Les revenus d’exploitation de l’œuvre sont perçus postérieurement à la dissolution du mariage
    • Dans cette hypothèse, ils échappent à la qualification de biens communs.
    • L’article L. 121-9, al. 2e du Code civil prévoit en ce sens que « Les produits pécuniaires provenant de l’exploitation d’une oeuvre de l’esprit ou de la cession totale ou partielle du droit d’exploitation sont soumis au droit commun des régimes matrimoniaux, uniquement lorsqu’ils ont été acquis pendant le mariage ; il en est de même des économies réalisées de ces chefs.»
    • À cet égard, la Cour de cassation a fait application de cette règle dans un arrêt du 18 octobre 1989 ( 1ère civ. 18 oct. 1989, n°88-13549).

==> L’œuvre comme chose corporelle susceptible d’exploitation

L’œuvre n’est pas seulement un objet de droits patrimoniaux et moraux pour son auteur, elle lui procure également les utilités d’une chose corporelle.

La jouissance d’un tableau, d’une sculpture ou encore d’un vase est un privilège est un attribut du droit de propriété dont on s’est demandé si, à l’instar des droits intellectuels, appartenait en propre à l’auteur ou s’il avait vocation à tomber en communauté.

Dans le silence des textes et notamment de la loi n°57-298 du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique dont est issu l’article L. 121-9 du Code de la propriété intellectuelle, c’est à la jurisprudence qu’est revenue la tâche de se prononcer.

À l’examen, il y a lieu de distinguer selon que l’œuvre a ou non été divulguée, étant précisé que la divulgation.

  • L’œuvre a été divulguée
    • Dans cette hypothèse, l’auteur a accompli un acte matériel par lequel il exprime, pour la première fois, sa volonté de mettre son œuvre à la disposition du public.
    • Dans un arrêt Bonnard du 4 décembre 1956, la Cour de cassation a jugé que l’œuvre, en tant que chose corporelle, était constitutive d’un bien commun.
    • Elle a apporté néanmoins une réserve au principe posé en précisant que « la mise en commun de ces biens a lieu sans qu’elle puisse porter atteinte au droit moral de l’auteur et spécialement la faculté de lui faire subir des modifications à la création, de l’achever, de le supprimer» ( civ. 4 déc. 1956).
    • Autrement dit, nonobstant le caractère commun du support matériel de l’œuvre, l’auteur conserve la faculté d’exercer les prérogatives dont il est titulaire au titre du droit moral. Il demeure notamment libre de modifier ou de détruire son œuvre.
  • L’œuvre n’a pas été divulguée
    • Dans cette hypothèse, l’œuvre n’a pas été communiquée au public.
    • Elle est donc encore très étroitement liée à la personne de l’auteur qui n’a pas exprimé la volonté de se déposséder pour partie de sa création.
    • Aussi, tant qu’aucun acte de divulgation n’est venu rompre le cordon ombilical qui relie l’œuvre à l’auteur, son support matériel devrait demeurer un bien propre en application de l’article 1404 du Code civil.
    • Telle n’est pourtant pas le raisonnement qui a été adopté par la Cour de cassation
    • Dans un arrêt Picabia du 4 juin 1971, elle a, en effet, jugé que quand bien même une œuvre n’a pas été divulguée au jour de la dissolution du mariage elle tombe en communauté, sauf à ce que, précise la première chambre civile, l’auteur ait exprimé la volonté de la modifier ou de la supprimer ( 1ère civ. 4 juin 1971, n°69-13874).

Si l’on s’en tient aux solutions retenues dans les arrêts Bonnard et Picabia, il serait donc indifférent que l’œuvre, en tant que chose corporelle, ait été divulguée : dans tous les cas elle constituerait un bien commun composant la masse partageable.

Reste que ces décisions ont été rendues dans le cadre d’affaires jugées sous l’empire du droit antérieur à la loi n°57-298 du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique et à la loi n° 65-570 du 13 juillet 1965 portant réforme des régimes matrimoniaux ce qui avait conduit une frange de la doctrine à minimiser leur portée.

Dans un arrêt du 12 mai 2011, la Cour de cassation a refroidi les ardeurs de certains auteurs en reconduisant la solution qu’elle avait adoptée près d’un quart de siècle plus tôt.

Dans cette décision elle considère que la cour d’appel qui a constaté que par son testament olographe, le défunt avait légué à sa fille le droit moral et le droit pécuniaire qui lui avaient été transmis par son père dont il était l’unique héritier, en déduit à bon droit, « conformément à la règle selon laquelle la propriété intellectuelle est indépendante de la propriété de l’objet matériel, que le support matériel des œuvres de ce dernier, qui lui était échu pendant son mariage à titre de succession, était entré en communauté, de sorte que les tableaux litigieux devaient, en tant que biens corporels, être portés à l’actif de la communauté, peu important qu’ils n’aient pas été divulgués » (Cass. 1ère civ. 12 mai 2011, n°10-15667).

Deux enseignements peuvent être retirés de cette décision :

  • Premier enseignement
    • Le support matériel d’une œuvre est exclu du champ d’application de l’article L. 121-9 du Code de la propriété intellectuelle qui fait des droits moraux et patrimoniaux des biens propres.
    • Aussi, le caractère propre des droits d’auteur est sans incidence sur la qualification du support matériel de l’œuvre qui lui est commun
  • Second enseignement
    • La Cour de cassation prend le soin de préciser que la qualification de l’œuvre, en tant que chose corporelle, ne dépend pas de sa divulgation.
    • Quand bien même l’œuvre n’a pas été divulguée, son support matériel tombe en communauté, sous réserve que l’auteur n’ait pas fait jouer son droit moral en exprimant sa volonté de modifier ou de détruire sa création.

III) Les biens propres par rattachement

Il est certains biens qui, alors même qu’ils ont été acquis à titre onéreux au cours du mariage, sont malgré tout susceptibles de recevoir la qualification de bien propre.

Cette dérogation au principe d’inscription des acquêts à l’actif de la communauté se justifie par l’existence d’un lien matériel, économique ou juridique entre le bien que l’on soustrait à la masse commune et un bien qui appartient personnellement à l’un des époux.

Pour assurer la cohérence de la propriété de ces deux biens, le législateur a estimé qu’il y avait lieu de prévoir une unité de régime à la faveur de la qualification de bien propre.

À cet égard, l’intégration du bien acquis à titre onéreux au cours du mariage dans le patrimoine personnel d’un époux par rattachement à un bien propre se rencontrera dans trois situations :

  • Le bien a été acquis à titre accessoire d’un bien propre
  • Le bien acquis consiste en un accroissement de valeurs mobilières
  • Le bien acquis procède d’un rachat de parts indivises

A) Les biens acquis à titre accessoire d’un propre

L’article 1406, al. 1er du Code civil prévoit que « forment des propres, sauf récompense s’il y a lieu, les biens acquis à titre d’accessoires d’un bien propre ».

Cette disposition issue de la loi du 13 juillet 1965, ne fait que reprendre les solutions jurisprudentielles antérieures.

En ne précisant pas néanmoins si le lien de rattachement existant entre le bien acquis à titre onéreux et un bien propre devait être matériel, économique ou juridique, le législateur a entendu pourvoir la règle d’un domaine d’application pour le moins étendu.

Dès lors, en effet, qu’un bien entretient un rapport d’accessoire à principal avec un propre, il est susceptible d’intégrer le patrimoine personnel de l’époux acquéreur.

À l’analyse, ce rapport d’accessoire à principal est susceptible de se retrouver dans trois situations :

  • En cas d’acquisition d’un bien par voie d’accession
  • En cas d’acquisition d’un bien à titre de simple accessoire
  • En cas de réalisation d’une plus-value sur un bien propre

==> L’acquisition d’un bien par voie d’accession

L’accession est envisagée à l’article 712 du Code civil comme un mode d’acquisition originaire de la propriété, tant mobilière, qu’immobilière.

Plus précisément elle est l’expression du principe aux termes duquel « l’accessoire suit le principal » (accessorium sequitur principale).

Les règles qui régissent l’accession visent, en effet, à étendre l’assiette du droit de propriété aux accessoires de la chose qui en est l’objet.

L’article 546 du Code civil dispose en ce sens « la propriété d’une chose soit mobilière, soit immobilière, donne droit sur tout ce qu’elle produit, et sur ce qui s’y unit accessoirement soit naturellement, soit artificiellement. »

La particularité du « droit d’accession » dont est investi le propriétaire est qu’il lui confère un droit de propriété sur les accessoires de la chose, sans qu’il lui soit besoin accomplir un acte de volonté ou une prise de possession du bien à l’instar de l’occupation.

Pour exemple, le propriétaire d’un fonds acquiert automatiquement la propriété de toutes les constructions élevées sur ce fonds, tout autant que lui reviennent les fruits produits par les arbres qui y sont plantés.

S’agissant d’un bien qualifié de propre sous le régime légal, l’article 1406, al. 1er du Code civil autorise donc à faire jouer la règle de l’accession.

L’application de cette règle conduit à étendre la propriété à tout ce qui s’unit et s’incorpore au bien propre. La conséquence en est que le nouveau bien – augmenté – intégrera le patrimoine personnel de l’époux propriétaire.

À cet égard, l’accession peut prendre deux formes différentes :

  • L’accession par production
    • Cette forme d’accession correspond à l’hypothèse où la propriété de la chose est étendue aux fruits qu’elle produit, en application de l’article 547 du Code civil.
    • L’acquisition de ces fruits est originaire puisqu’ils n’ont appartenu à personne avant leur création.
  • L’accession par union et incorporation
    • Cette forme d’accession correspond à l’hypothèse où le propriétaire acquiert la propriété de tout ce qui s’unit et s’incorpore à la chose.
    • À la différence de l’accession par production, cette accession est susceptible de conduire à une acquisition dérivée, en ce sens que la chose incorporée peut avoir appartenu à un premier propriétaire qui est alors privé de son droit par le jeu l’incorporation

S’agissant de cette seconde forme d’accession, il peut être observé que les règles applicables diffèrent selon que l’incorporation intéresse des immeubles ou des meubles.

  • S’agissant de l’accession mobilière
    • Elle ne jouera que dans des hypothèses résiduelles d’incorporation qui ne sont pas réglées par une convention, ni n’entrent en concours avec l’effet acquisitif attaché à la possession.
    • C’est seulement dans cet espace, qui n’est pas que théorique, mais qui demeure restreint, que les règles énoncées aux articles 565 et suivants du Code civil ont vocation à s’appliquer.
    • À cet égard, ces dispositions ne règlent que l’incorporation d’un meuble à un autre meuble.
    • Lorsqu’un meuble est incorporé à un immeuble, ce sont les règles de l’accession immobilière qui ont vocation à s’appliquer.
  • S’agissant de l’accession immobilière
    • L’accession immobilière correspond à l’hypothèse où une chose mobilière ou immobilière est incorporée à un immeuble, de telle sorte qu’une union se crée entre les deux biens qui en formeront plus qu’un seul et même bien.
    • Le Code civil distingue selon que l’accession immobilière est le résultat d’un phénomène naturel ou selon qu’elle procède de l’intervention de la main de l’homme.
    • S’agissant de l’application de l’article 1406, al. 1er du Code civil, il jouera tant en cas d’accession immobilière naturelle qu’en cas d’accession immobilière artificielle.

==> L’acquisition d’un bien à titre de simple accessoire

Comme vu précédemment, la seule exigence posée à l’article 1406, al. 1er du Code civil pour qu’un bien acquis à titre onéreux au cours du mariage rejoigne le patrimoine personnel de l’époux acquéreur est qu’il entretienne un rapport d’accessoire à principal avec un propre.

Il n’est donc pas nécessaire d’établir que les deux biens sont unis par un lien matériel et notamment que l’un s’est incorporé à l’autre. Il est admis que l’existence d’un simple lien d’affectation économique entre eux suffit à faire jouer la règle énoncée à l’article 1406 du Code civil.

Aussi, en application de cette règle, reçoit la qualification de propre par accessoire le bien qui est affecté au service d’un bien propre.

Concrètement, cette affectation pourra consister à acquérir un bien aux fins de développer une exploitation commerciale, artisanale, libérale ou agricole appartenant en propre à l’un des époux.

Pour que le bien affecté à l’exploitation soit qualifié de bien propre, encore faut-il que deux éléments cumulatifs soient réunis :

  • Un élément subjectif
    • L’époux acquéreur doit avoir eu l’intention d’affecter le bien acquis à titre onéreux au service d’un bien propre principal.
    • L’opération d’affectation ne doit ainsi pas être fortuite, mais volontaire : en somme elle doit avoir été réalisée à dessein.
  • Un élément objectif
    • Il doit exister un lien de dépendance économique entre les deux biens qui entretiennent un rapport d’accessoire à principal
    • Ce lien sera caractérisé lorsque le bien affecté au service du propre est indispensable à son exploitation.

Il a été fait application de ces critères notamment dans un arrêt du 23 janvier 1979 aux termes duquel la Cour de cassation a reconnu la qualification de biens propres à des marchandises qui avaient été acquises en vue de reconstituer le stock d’un fonds de commerce appartenant à titre personnel à un époux (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 23 janv. 1979, n°77-12898).

Dans un arrêt du 8 novembre juin 1989 la première chambre civile est venue préciser qu’il était indifférent que l’acquisition du bien affecté au service d’un propre ait été financée avec des deniers communs.

Pour la Cour de cassation dès lors que ce bien a été acquis à titre accessoire d’un propre, il endosse la qualification de bien propre (Cass. 1ère civ. 8 nov. 1989, n°87-12698).

Cette solution a été reconduite à plusieurs reprises, notamment dans une décision rendue le 4 janvier 1995 (Cass. 1ère civ. 4 janv. 1995, n°92-20013).

Dans un arrêt remarqué du 17 décembre 1996 la Cour de cassation a néanmoins apporté un tempérament à la règle énoncée à l’article 1406, al. 1er du Code civil.

La première chambre civile a en effet jugé que lorsque les biens sont affectés à une exploitation nouvelle se distinguant de celle appartenant en propre à l’un des époux, ils tombent en communauté.

Dans cette décision, où il était question du développement d’une exploitation viticole, la Cour de cassation a décidé que « cette activité était différente de celle exercée par le mari avant le mariage et s’adressait à une nouvelle clientèle de sorte que les biens acquis par les époux ne constituaient pas les accessoires de l’exploitation appartenant en propre au mari » (Cass. 1ère civ. 17 déc. 1996, n°94-21989). L’application de l’article 1406, al. 1er du Code civil est ainsi écarté.

==> La réalisation d’une plus-value sur un bien propre

Autre accessoire susceptible de donner lieu à la qualification de bien propre par rattachement, les plus-values réalisées par un époux sur un bien lui appartenant à titre personnel.

S’il a toujours été admis que les plus-values qui ont pour cause le contexte économique et notamment la dépréciation monétaire devaient être exclues de la masse commune (V. en ce sens Cass. civ. 3 nov. 1954), un débat s’est ouvert sur celles résultant du travail fourni par un époux.

Deux approches sont envisageables :

  • Première approche
    • Ces plus-values peuvent être appréhendées comme constituant des biens provenant de l’industrie personnelle des époux au sens de l’article 1401 du Code civil
    • Dans cette hypothèse, elles devraient tomber en communauté
  • Seconde approche
    • Les plus-values résultant du travail d’un époux peuvent être appréhendées comme constituant des accessoires du bien propre dont elles augmentent la valeur.
    • Dans cette hypothèse, il y aurait lieu de faire application de l’article 1406, al. 1er du Code civil et donc de leur attribuer la qualification de bien propre

Non sans avoir hésité, la jurisprudence a finalement opté pour la seconde approche, considérant, au surplus, que la communauté n’avait pas droit à récompense.

Dans un arrêt du 5 avril 1993, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « la plus-value procurée par l’activité d’un époux ayant réalisé lui-même certains travaux sur un bien qui lui est propre, ne donne pas lieu à récompense au profit de la communauté » (Cass. 1ère civ. 5 avr. 1993, n°91-15139).

Elle a réaffirmé sa position plus récemment sa position dans une décision rendue le 26 octobre 2011 (Cass. 1ère civ. 26 oct. 2011, n°10-23994).

B) Les accroissements se rattachant à des valeurs mobilières propres

L’article 1406 du Code civil ne se limite pas à conférer la qualification de biens propres aux biens acquis à titre accessoire d’un propre, il attribue également cette qualification aux « valeurs nouvelles et autres accroissements se rattachant à des valeurs mobilières propres. »

L’article L. 228-1 du Code de commerce définit les valeurs mobilières comme constituant des titres financiers, lesquels, en application de l’article L. 211-1 du Code monétaire et financier, se subdivisent en trois catégories :

  • Les titres de capital émis par les sociétés par actions ;
  • Les titres de créance ;
  • Les parts ou actions d’organismes de placement collectif.

Les valeurs mobilières présentent la particularité d’être librement négociables et d’être transmissibles par simple virement de compte à compte, échappant ainsi au formalisme de la cession de créance.

Surtout, les valeurs mobilières confèrent des droits pécuniaires à leur propriétaire.

Au nombre de ces droits, certains consistent à octroyer au porteur la faculté d’acquérir de nouvelles valeurs mobilières. Tel est le cas du droit de préférentiel de souscription.

Ce droit confère la possibilité à un actionnaire de souscrire de nouvelles actions en priorité en cas d’augmentation du capital social de la société émettrice.

Lorsque la valeur mobilière qui est assortie d’un droit préférentiel de souscription appartient en propre à un époux, l’application de l’article 1406, al. 1er in fine du Code civil conduit à qualifier les nouvelles actions acquises au titre de l’exercice du droit préférentiel de biens propres.

La raison en est que ces actions constituent un accroissement se rattachant à la valeur mobilière détenue en propre. Elles suivent donc le même sort.

Il a été admis que la règle trouvait également à s’appliquer en cas d’attribution gratuite d’actions aux actionnaires dans le cadre d’une augmentation de capital par incorporation des réserves.

La solution n’était pour autant pas acquise. D’aucuns se sont, en effet, demandé si les parts sociales émises dans le cadre d’une incorporation de réserves ne devaient pas être appréhendés comme des revenus de biens propres.

Or conformément à la position prise par la Cour de cassation dans l’arrêt « Authier » rendu en date du 31 mars 1992, les revenus de propres tombent en communauté (Cass. 1ère civ. 31 mars 1992, n°90-17212).

Dans un arrêt du 12 décembre 2006, si la Cour de cassation a répondu par la négative à cette question en jugeant que « les bénéfices réalisés par une société ne deviennent des fruits ou des revenus de biens propres, susceptibles de constituer des acquêts de communauté, que lorsqu’ils sont attribués sous forme de dividende », ce qui n’est pas le cas en cas d’attribution de parts nouvelles.

Aussi, la Première chambre civile opère-t-elle ici une distinction entre l’emploi des réserves aux fins de distribution de dividendes et l’emploi des réserves aux fins d’attribution d’actions nouvelles.

  • Les réserves sont employées aux fins de distributions de dividendes
    • Dans cette hypothèse, parce que les dividendes s’analysent en des revenus de propres ils tombent en communauté par application de la solution dégagée dans l’arrêt Authier.
  • Les réserves sont employées aux fins d’attribution d’actions nouvelles
    • Dans cette hypothèse, la cour cassation estime que les actions nouvelles constituent des accroissements se rattachant à des valeurs mobilières propres ayant eux-mêmes, par application de l’article 1406, alinéa 1er, du code civil, la nature de biens propres.

Dans sa décision du 12 décembre 2006, la Cour de cassation a pris le soin de préciser que « la communauté, qui n’a pas financé l’acquisition des […] parts nouvelles attribuées gratuitement à [l’époux actionnaire] en conséquence de l’incorporation de réserves, qui ne sont pas des biens de la communauté, ne peut prétendre à récompense du fait de l’augmentation du capital social, aucun prélèvement sur des fonds communs n’ayant été opéré à cette occasion » (Cass. 1ère civ. 12 déc. 2006, n°04-20663).

Ainsi, pour la Cour de cassation, dans la mesure où l’incorporation des réserves dans le capital social n’opère aucun transfert de valeur entre le patrimoine de l’époux actionnaire et la masse commune, il n’y a pas lieu d’octroyer un droit à récompense à la communauté en contrepartie de la réservation en propre des actions attribuées dans le cadre de l’opération d’augmentation du capital social.

C) L’acquisition de parts indivises par un époux indivisaire

L’article 1408 du Code civil prévoit que « l’acquisition faite, à titre de licitation ou autrement, de portion d’un bien dont l’un des époux était propriétaire par indivis, ne forme point un acquêt, sauf la récompense due à la communauté pour la somme qu’elle a pu fournir. »

Il ressort de cette disposition que lorsqu’un époux est propriétaire de parts indivises sur un bien, en cas de rachat des parts d’un ou plusieurs coindivisaires, les parts acquises lui appartiennent en propre.

Cette règle se justifie par la nécessité d’éviter de créer une situation d’indivision dans l’indivision.

En effet, tandis que la part originaire serait un bien propre, les parts indivises nouvellement acquises seraient communes.

Animé par une volonté d’assurer l’unité de la propriété, le législateur a estimé qu’il y avait lieu de déroger au principe d’inscription à l’actif de la communauté des biens acquis à titre onéreux au cours du mariage.

À cet égard, dans un arrêt du 13 octobre 1993, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « les dispositions de l’article 1408 du Code civil tendant à mettre fin à l’indivision sont impératives, de telle sorte qu’il n’est pas permis aux époux d’y déroger » (Cass. 1ère .civ. 13 oct. 1993, n°91-21132).

==> Domaine

Par ailleurs, il peut être observé que le domaine d’application de la règle est pour le moins étendu.

Il est indifférent que le bien faisant l’objet d’une indivision soit un meuble ou un immeuble. L’article 1408 vise tous les biens sans distinguer.

Cette disposition ne distingue pas non plus selon que la situation d’indivision procède d’une succession, d’une libéralité ou encore d’une acquisition commune.

La seule exigence posée par le texte est que l’acquisition de la part indivise nouvelle soit intervenue à titre onéreux.

Si, en effet, il s’agit d’une acquisition à titre gratuit, c’est l’article 1405 du Code civil qui a vocation à s’appliquer. Le résultat obtenu n’en sera pas moins le même. Que l’on mobilise l’article 1408 ou que l’on fasse jouer l’article 1405, dans les deux cas la part indivise acquise endossera la qualification de bien propre.

Lorsque néanmoins c’est l’article 1408 qui s’applique et que l’acquisition a été réalisée au moyen de deniers communs, le texte prévoit expressément que la communauté aura droit à récompense.

==> Cas particulier du conjoint acquéreur

Si l’application de l’article 1408 du Code civil ne soulève pas vraiment de difficulté lorsque les parts indivises sont acquises par l’époux qui est déjà indivisaire, la question est plus délicate lorsque c’est le conjoint de ce dernier qui se porte acquéreur.

En effet, le texte ne précise pas si, pour être applicable, c’est l’époux indivisaire qui doit être l’auteur de l’acquisition. Quid dans l’hypothèse où c’est le conjoint ?

Faire application systématique de l’article 1408 en cas d’acquisition des parts indivises par le conjoint est susceptible de conduire à imposer à l’époux indivisaire d’acquérir ces parts en propre alors même qu’il ne le souhaite peut-être pas.

Il y a là, manifestement, un risque que la règle impérative énoncée par l’article 1408 porte une atteinte excessive à la liberté individuelle. Reste que cette disposition est silencieuse sur ce point.

Afin de surmonter cette difficulté, les auteurs suggèrent de distinguer plusieurs situations :

  • Le conjoint a agi en exécution d’un mandat exprès donné par l’époux indivisaire
    • Dans cette hypothèse, l’article 1408 du Code civil s’applique de sorte que les parts indivises acquises restent propres
  • Le conjoint a agi au nom de l’époux indivisaire sans avoir reçu de mandat exprès
    • Dans cette hypothèse, il y a lieu de faire application des règles de la gestion d’affaires énoncées aux articles 1301 à 1301-5 du Code civil.
    • Pour mémoire, la gestion d’affaires est définie à l’article 1301 du Code civil comme le fait de « celui qui, sans y être tenu, gère sciemment et utilement l’affaire d’autrui, à l’insu ou sans opposition du maître de cette affaire».
    • Il s’agit autrement dit pour une personne, que l’on appelle le gérant d’affaires, d’intervenir spontanément dans les affaires d’autrui, le maître de l’affaire ou le géré, aux fins de lui rendre un service.
    • La particularité de la gestion d’affaires est qu’elle suppose qu’une personne ait agi pour le compte d’un tiers et dans son intérêt, ce, sans avoir été mandaté par celui-ci, ni qu’il en ait été tenu informé.
    • Appliquées à l’hypothèse où le conjoint d’un époux indivisaire acquiert des parts indivises auprès des coindivisaires, les règles de la gestion d’affaires conduisent à distinguer deux situations :
      • L’acte d’acquisition a été ratifié par l’époux indivisaire
        • En pareil cas, l’article 1301-3 du Code civil prévoit que « la ratification de la gestion par le maître vaut mandat »
        • La ratification a ainsi pour effet de transformer, rétroactivement, la gestion d’affaires en mandat et, par voie de conséquence, d’assujettir les quasi-parties aux obligations attachées à ce type de contrat.
        • Aussi, lorsque l’acte d’acquisition accompli par le conjoint est ratifié par l’époux indivisaire, l’acquisition est réputée avoir été réalisée en représentation de ce dernier.
        • L’article 1408 du Code civil pourra donc s’appliquer.
      • L’acte d’acquisition n’a pas été ratifié par l’époux indivisaire
        • Dans cette hypothèse, l’époux indivisaire ne pourra pas être personnellement engagé à l’acte, à tout le moins il ne pourra pas être réputé avoir été représenté par son conjoint.
        • Il en résulte que la règle énoncée à l’article 1408 ne pourra pas trouver à s’appliquer dans la mesure où elle ne joue que lorsque les parts indivises ont précisément été acquises par l’époux indivisaire.
        • Aussi ces dernières ne pourront pas endosser la qualification de biens propres et tomberont, par voie de conséquence, en communauté.
  • Le conjoint s’est porté acquéreur des parts indivises sans préciser au nom de qui il agissait
    • Deux situations doivent ici être envisagées :
      • Le conjoint a acquis les parts indivises au moyen de deniers propres
        • Par application de l’article 1406, al. 2e du Code civil les parts restent propres à la condition que les formalités d’emploi ou de remploi aient été accomplies.
        • Dans le cas contraire, les parts sont réputées avoir été acquises avec des derniers communs.
      • Le conjoint a acquis les parts indivises au moyen de deniers communs
        • Dans cette hypothèse, la question se pose de l’application de l’article 1408 du Code civil.
        • Cette disposition étant d’application impérative, d’aucuns avancent que les parts acquises endossent, quelle que soit la nature des fonds employés, la qualification de biens propres.
        • D’autres soutiennent, dans le même sens, qu’il y a lieu de faire jouer la présomption de mandat reconnu par la jurisprudence sous l’empire du droit antérieur, de sorte que les parts acquises devraient être réputées avoir été acquises pour le compte de l’époux indivisaire.
        • Certains auteurs s’opposent à cette analyse, arguant qu’il est un risque que l’application de l’article 1408 ou de la présomption de mandat conduise à attribuer à l’époux indivisaire les parts indivises acquises par son conjoint contre sa volonté, ce qui ne serait pas sans porter atteinte à sa liberté contractuelle.
        • Au surplus, ainsi que l’observe la doctrine, l’application de l’article 1408 est susceptible d’être perturbée par le jeu du droit de préemption conféré par l’article 815-14 du Code civil aux indivisaires.
        • Ce droit impose, en effet, à l’époux non-indivisaire de notifier son projet d’acquisition à son conjoint déjà détenteur de parts indivises.
        • À réception de cette notification, ce dernier dispose alors de la faculté de préempter les parts indivises convoitées.
        • Comme observé par des auteurs « le mécanisme du droit de préemption devrait avoir, en la matière, une vertu de clarification de la volonté des époux»[4].
        • Reste que si l’époux indivisaire décide de ne pas exercer son droit de préemption, la question de la qualification des parts indivises acquises demeure.
        • Doivent-elles être attribuées en propre à l’époux non-indivisaire acquéreur ou doivent-elles tomber en communauté ?
        • Pour l’heure, cette question n’a toujours pas été tranchée par la jurisprudence, de sorte qu’aucune solution n’est encore arrêtée.

IV) Les biens propres par subrogation

==> Ratio legis

Au cours du mariage les époux sont conduits à accomplir des actes de gestion et de disposition sur leurs biens propres. Ces actes pourront notamment consister à remplacer un bien propre par un autre bien.

Il en sera ainsi lorsqu’un époux emploiera des fonds personnels pour financer une acquisition ou encore lorsqu’il aliénera un bien propre et affectera le produit de la vente au rachat d’un autre bien.

Parce qu’il s’agit d’acquisitions réalisées à titre onéreux au cours du mariage, en application du principe posé à l’article 1401 du Code civil, les biens acquis devraient, en toute rigueur, tomber en communauté.

Reste qu’une application trop rigide de ce principe aux opérations envisagées ici serait de nature à priver, de fait, les époux de la faculté de gérer librement leurs biens propres.

Si en effet, tout acte visant à remplacer un propre par un autre bien est susceptible de faire tomber le bien acquis en communauté, les époux y renonceront par souci de préservation de la consistance de leur patrimoine personnel.

La communauté instituée sous le régime légal a certes été pensée comme ayant vocation à capter toutes les valeurs économiques qui pénètrent la sphère patrimoniale des époux.

Il a néanmoins toujours été admis que son pouvoir d’attraction devait être cantonné pour que puisent subsister, voire se développer les patrimoines propres, faute de quoi le système mis en place aurait un effet repoussoir.

Aussi, afin d’éviter que les prétendants au mariage ne se détournent du régime légal à la faveur d’un autre régime matrimonial, fallait-il leur permettre de conserver leur patrimoine propre nonobstant les changements susceptibles d’affecter sa consistance.

Pour ce faire, le législateur a estimé qu’il y avait lieu de déroger au principe d’inscription à l’actif commun des biens acquis à titre onéreux au cours du mariage s’agissant des actes accomplis par les époux visant à remplacer un bien propre par un autre.

L’article 1406, al. 2e du Code civil prévoit en ce sens que « forment aussi des propres, par l’effet de la subrogation réelle, les créances et indemnités qui remplacent des propres, ainsi que les biens acquis en emploi ou remploi, conformément aux articles 1434 et 1435. »

L’article 1407, al. 1er ajoute que « le bien acquis en échange d’un bien qui appartenait en propre à l’un des époux est lui-même propre, sauf la récompense due à la communauté ou par elle, s’il y a soulte. »

Il ressort de ces dispositions que, en cas de subrogation réelle portant sur un bien propre, le bien nouvellement acquis reste propre.

==> La subrogation réelle

Pour mémoire, la subrogation réelle consiste à substituer dans un patrimoine une chose par une autre.

Il en va ainsi lorsqu’un bien mobilier ou immobilier dont est propriétaire une personne est remplacé par une somme d’argent correspondant à la valeur du bien remplacé.

Cette somme d’argent peut consister en un prix de vente, à une indemnité d’assurance ou encore à une indemnité d’expropriation.

La particularité de la subrogation réelle est donc qu’elle opère le remplacement dans un bien par un autre, sans pour autant modifier le rapport de propriété préexistant liant le propriétaire à la chose.

C’est là le sens de l’adage subrogatum capit naturam subrogi, soit ce qui est subrogé prend la nature de ce à quoi il est subrogé.

La conséquence en est que la subrogation n’affecte pas le droit réel exercé par le propriétaire ; elle substitue seulement son objet.

Lorsque, dès lors, la subrogation porte sur un bien propre, les droits de l’époux propriétaire de ce bien sont inchangés : le nouveau bien reste propre.

L’article 1406 distingue néanmoins selon que la subrogation opère de plein droit ou selon que ses effets sont subordonnés à une manifestation de volonté.

A) La subrogation de plein droit

Il s’infère des articles 1406 et 1407 du Code civil que la subrogation réelle produira de plein droit ses effets, soit sans qu’il soit besoin aux époux d’accomplir un acte, dans deux hypothèses :

  • Première hypothèse: en cas de perception d’une créance ou d’une indemnité qui remplacent un propre
  • Seconde hypothèse: en cas d’acquisition d’un bien en échange d’un bien propre

À ces deux hypothèses, la jurisprudence en a envisagé une troisième qui s’intercale entre les deux : les parts sociales et valeurs mobilières acquises en contrepartie de l’apport d’un bien propre.

1. Les créances et indemnités qui remplacent un propre

L’article 1406, al. 2e du Code civil prévoit donc que forment des propres par l’effet de la subrogation réelle, les créances et indemnités qui remplacent des propres.

La question qui immédiatement se pose est de savoir quelles sont les créances et indemnités visées par ce texte.

  • S’agissant des créances
    • Sont ici visées notamment les créances de prix résultant de l’aliénation d’un bien propre
    • Il pourra également s’agir de la soulte perçue par un époux dans le cadre d’un échange d’un propre en contrepartie un autre bien d’une valeur inférieure.
  • S’agissant des indemnités
    • Sont ici visées les indemnités perçues par un époux une réparation du préjudice résultant de la disparition ou de la détérioration d’un bien propre
    • Aussi, il pourra s’agir de :
      • L’indemnité versée par un assureur en exécution d’un contrat d’assurance de dommages aux biens
      • L’indemnité de réparation versée par l’auteur du dommage au titre d’une condamnation judiciaire
      • L’indemnité versée par l’état en cas de dommage de guerre ou de catastrophe naturelle
    • L’article 1406 vise également les indemnités versées au titre d’une expropriation pour cause d’utilité publique.

Qu’il s’agisse d’une indemnité ou d’une créance de prix venant en remplacement d’un bien propre, dans les deux cas elles emprunteront à ce dernier sa nature, de sorte qu’elles constitueront elles aussi des biens propres.

À cet égard, il importe d’observer que la somme d’argent perçue en règlement de la créance d’indemnité ou de prix sera également qualifiée de bien propre.

Aussi, en application des articles 225 et 1428 du Code civil l’époux auquel elle appartient en aura la libre disposition.

Si néanmoins cet époux emploie la somme d’argent encaissée aux fins d’acquisition d’un nouveau bien, il lui appartiendra d’accomplir des formalités d’emploi ou de remploi, faute de quoi le bien acquis tombera en communauté.

2. L’acquisition d’un bien en échange d’un propre

En application de l’article 1407 du Code civil, lorsqu’un bien est acquis en échange d’un propre il reste propre, sauf à ce que la soulte réglée par la communauté soit supérieure à la valeur du bien échangé.

==> Principe

L’article 1407, al. 1er du Code civil prévoit que « le bien acquis en échange d’un bien qui appartenait en propre à l’un des époux est lui-même propre, sauf la récompense due à la communauté ou par elle, s’il y a soulte. »

Il ressort de cette disposition que, en cas d’échange d’un bien propre contre un autre bien, par l’effet de la subrogation réelle, le bien acquis reste propre.

Comme pour les créances et indemnités perçues en remplacement d’un propre, la subrogation réelle opère ici de plein droit. Il n’est donc pas besoin pour l’époux qui échange un bien propre, qu’il accomplisse une quelconque formalité aux fins de conserver dans son patrimoine le bien qui lui a été délivré.

Reste qu’il est rare que les deux biens échangés aient la même valeur. Aussi, l’échange est-il susceptible de donner lieu au paiement d’une soulte.

Par soulte, il faut entendre la somme d’argent qui vise à compenser la différence de valeur des biens échangés.

En cas de soulte due par l’époux partie à l’opération d’échange, l’article 1407, al. 1er in fine prévoit qu’une récompense sera due à la communauté dans l’hypothèse où cette soulte serait réglée au moyen de deniers communs.

Le bien acquis n’en conservera pas moins sa nature propre, sauf à ce que le montant de la soulte soit supérieur à la valeur du bien échangé.

==> Exception

L’article 1407, al.2e du Code civil prévoit que « si la soulte mise à la charge de la communauté est supérieure à la valeur du bien cédé, le bien acquis en échange tombe dans la masse commune, sauf récompense au profit du cédant. »

Ainsi, par exception au principe posé à l’alinéa 1er, cette disposition fait-elle tomber en communauté le bien acquis en échange d’un bien propre lorsque deux conditions cumulatives sont réunies :

  • D’une part, le coût de la soulte due au cocontractant est supporté par la communauté
  • D’autre part, le montant de la soulte est supérieur à la valeur du bien échangé

C’est là une application de la règle Major pars trahit ad se minorem, qui signifie littéralement « la plus grande partie attire à elle la moindre ».

Le législateur a, en effet, considéré que dans l’hypothèse où le montant de la soulte réglée par la communauté était supérieur à la valeur du bien échangé, l’opération s’analysait moins comme un échange, que comme une acquisition.

Bien qu’assortie d’une dation en paiement, puisqu’incluant la délivrance d’un bien en guise de paiement d’une fraction du prix, cette acquisition transforme le bien échangé en acquêt.

En contrepartie de la perte de la propriété du bien qu’il a aliénée, l’article 1407, al. 2e prévoit que le cédant a droit à récompense.

S’agissant des frais susceptibles d’être exposés dans le cadre de l’opération d’échange, les auteurs suggèrent d’en tenir compte afin de déterminer la part réelle de la contribution de la communauté quant au règlement de la soulte.

Pour illustrer cette règle, prenons l’exemple d’un bien propre valant 1000 euros qui serait échangé contre un bien valant 1900 euros, les frais de l’opération s’élevant quant à eux à 200 euros.

À supposer que la communauté assure la prise en charge de la soulte à hauteur 900 euros. Les frais d’acquisition sont également réglés par des deniers communs.

Dans cette hypothèse, selon la méthode de calcul adoptée, le bien nouvellement acquis est susceptible d’être propre ou commun.

  • Première méthode de calcul
    • Cette méthode consiste à exclure du calcul les frais d’acquisition et donc à ne retenir que la soulte stricto sensu.
    • Aussi, dans la mesure où le coût supporté par la communauté (900 euros) est inférieur à la valeur du bien comme échangé (1000 euros), l’époux cédant devrait conserver dans son patrimoine personnel le bien nouvellement acquis à charge de récompense due à la communauté.
  • Seconde méthode de calcul
    • Cette méthode consiste à tenir compte des frais d’acquisition qui doivent être intégrés dans le montant de la contribution de la communauté.
    • Au cas particulier, la communauté a réglé 900 euros de soulte et 200 euros de frais, soit au total 1100 euros.
    • Le montant de la contribution de la communauté est ainsi supérieur à la valeur du bien échangé, ce qui a pour conséquence de faire tomber en communauté le bien nouvellement acquis.

Pour la doctrine, c’est cette seconde méthode de calcul qui doit présider à l’application de la règle Major pars trahit ad se minorem, la première méthode préjudiciant aux intérêts de la communauté.

Quant à la jurisprudence, elle ne s’est pas encore prononcée sur cette question, de sorte que la règle n’est pas encore fixée.

Quoi qu’il en soit, les règles énoncées à l’article 1407 du Code civil sont d’ordre public. Il en résulte qu’il est fait interdiction aux époux de déroger à la loi de la majorité. Ils ne peuvent donc pas qualifier, par voie de convention, le bien acquis de propre alors qu’il a vocation à tomber en communauté et inversement.

3. L’acquisition de parts sociales ou valeurs mobilières en contrepartie de l’apport d’un bien propre

À la croisée de l’échange et du remplacement d’un bien par une créance, il est une opération pour laquelle on s’est demandé si la subrogation réelle opérant de plein droit ne pouvait pas jouer.

Il s’agit de l’hypothèse, où des parts sociales ou des valeurs mobilières sont attribuées à un époux en contrepartie de l’apport d’un bien propre.

Par un arrêt du 21 novembre 1978, la Cour de cassation a répondu par l’affirmative à cette question.

Dans cette décision, la Première chambre civile a jugé que « l’opération par laquelle l’apporteur et la société se donnent respectivement un bien détermine et des valeurs contre ce bien a pour effet de faire entrer les valeurs dans le patrimoine de l’apporteur »

Elle en déduit « qu’il est donc indifférent qu’au moment de l’opération l’apporteur n’ait pas fait la déclaration prévue par l’article 1434 du code civil » (Cass. 1ère civ. 21 nov. 1978, n°76-13275).

Les parts d’intérêts et autres valeurs mobilières représentant un apport de biens propres ont donc vocation à rester dans le giron du patrimoine personnel de l’époux apporteur.

Cette solution a été étendue par la Cour de cassation à l’hypothèse d’une substitution de valeurs mobilières acquises par un époux au cours du mariage en contrepartie de celles qui lui appartenaient en propre (Cass. 1ère civ. 19 nov. 2008, n°07-17435).

Pour que la subrogation réelle puisse opérer de plein droit, encore faut-il, précise la première chambre civile, que la substitution de valeurs mobilières présente un caractère direct et immédiat.

Tel sera le cas lorsque cette substitution interviendra dans le cadre de la gestion d’un portefeuille de valeurs mobilières.

Lorsque, en revanche, la substitution s’étirera dans le temps, la subrogation réelle ne pourra pas opérer de plein droit.

Dans un arrêt du 5 mars 1991, la Cour de cassation a ainsi décidé que lorsque qu’un époux acquiert des parts sociales au moyen du produit de la vente d’un bien propre cédé préalablement à la société, pour conserver ces parts dans son patrimoine personnel, il doit accomplir une déclaration de remploi.

À défaut, les parts d’intérêts acquises tombent en communauté (Cass. 1ère civ. 5 mars 1991, n°87-18298).

B) La subrogation subordonnée à une manifestation de volonté

Alors que la subrogation réelle opère de plein droit en cas de remplacement d’un propre par une créance ou une indemnité ainsi qu’en cas d’acquisition d’un bien en échange d’un propre, il est des cas où, pour produire ses effets, la subrogation supposera une manifestation de volonté, faute de quoi le bien acquis tombera en communauté.

Ce cas de figure est envisagé à l’article 1406, al. 2e in fine du Code civil qui prévoit que « forment aussi des propres, par l’effet de la subrogation réelle […] les biens acquis en emploi ou remploi, conformément aux articles 1434 et 1435. »

La question qui immédiatement se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par emploi et remploi.

  • S’agissant de l’emploi
    • Cette opération consiste à affecter des fonds propres à l’acquisition d’un bien.
    • Ces fonds sont susceptibles d’avoir des provenances différentes :
      • Ils peuvent avoir pour origine une succession ou une libéralité
      • Ils peuvent également avoir été acquis avant le mariage
      • Ils peuvent encore provenir de la perception de créances propres, telles que les créances et pensions incessibles ou les créances de dommages et intérêts allouées en réparation d’un préjudice corporel ou moral
    • À l’analyse, pour que l’opération d’emploi soit caractérisée, le caractère propre des fonds affectés à l’acquisition d’un bien doit nécessairement tenir, soit à leur nature, soit à leur origine.
    • Dans le cas contraire, et plus précisément lorsque les fonds employés proviennent de la vente d’un bien propre, on parlera alors de remploi.

  • S’agissant du remploi
    • L’opération de remploi consiste à utiliser le produit de la vente d’un bien propre pour l’acquisition d’un nouveau bien.
    • À la différence de l’opération d’emploi, les fonds employés ici jouent le rôle d’intermédiaire.
    • Le remplacement du bien propre vendu par le bien acquis n’est pas direct : il comporte une phase de transition – monétaire – consistant en la perception d’un prix, lequel prix est par suite réinvesti.
    • La qualification de propre passe d’un bien à l’autre par l’effet de deux subrogations réelles qui se succèdent :
      • Première subrogation réelle
        • Elle intervient lorsque le bien propre est remplacé par une créance de prix, laquelle créance donne lieu, lors de son règlement, à la perception d’une somme d’argent
        • Dans cette phase, la subrogation réelle opère de plein droit conformément à l’article 1406, al. 1er du Code civil
      • Seconde subrogation réelle
        • Elle intervient lorsque la somme d’argent perçue au titre de la vente du bien propre est affectée à l’acquisition d’un nouveau bien.
        • Dans cette phase, pour que la subrogation opère, soit que le caractère propre de la somme d’argent réemployée se reporte sur le bien acquis, des formalités de remploi doivent être accomplies, faute de quoi la subrogation sera sans effet.
    • L’opération de remploi se singularise ainsi par sa première phase et rejoint l’opération d’emploi dans sa seconde phase.

Le point commun entre les opérations d’emploi et de remploi réside donc dans l’existence d’une phase monétaire dans le processus d’acquisition du bien[5].

Autrement dit, tant en cas d’emploi, qu’en cas de remploi, l’acquisition du bien a pour contrepartie le règlement d’un prix au moyen de deniers. Tantôt ces deniers sont propres, tantôt ils sont issus de la vente d’un bien propre.

À l’analyse, la substitution de biens réalisée par la subrogation subordonnée à une manifestation de volonté s’opère dans le sens inverse de celle envisagée dans les cas où la subrogation produit ses effets de plein droit.

Il ne s’agit pas ici de remplacer un propre aux fins d’octroi d’une somme d’argent ou d’un bien en nature, mais d’employer une somme d’argent en vue d’acquérir un bien.

Lorsque dès lors c’est une opération d’emploi ou de remploi qui est à l’œuvre, la subrogation réelle est impuissante à produire ses effets, soit à maintenir le bien acquis dans le patrimoine personnel de l’époux acquéreur.

Pour que cette subrogation puisse jouer, ce dernier devra satisfaire les conditions énoncées aux articles 1434 et 1435 du Code civil.

1. Les conditions de l’emploi et du remploi

1.1 Les éléments de l’emploi et du remploi

==> Des deniers propres

L’opération d’emploi ou de remploi sera caractérisée lorsque les deniers employés sont propres.

La provenance de ces deniers est indifférente, pourvu qu’ils appartiennent personnellement à l’époux acquéreur. Aussi, leur caractère propre peut tenir, tant à leur nature, qu’à leur origine.

À cet égard, c’est parce qu’ils peuvent également provenir de la vente d’un bien propre que les opérations d’emploi et de remploi sont assujetties au même régime juridique.

Dans un arrêt du 5 janvier 1999, la Cour de cassation est venue préciser qu’il n’était pas nécessaire que les deniers propres affectés à l’acquisition d’un nouveau bien soient ceux-là même qui ont figuré dans le patrimoine personnel de l’époux acquéreur au jour du mariage ou au moment de leur perception

Dans cette affaire, où les deniers provenaient de la vente d’un propre, la Première chambre civile a estimé en ce sens qu’« il suffit que ces deniers représentent le prix ou la valeur de l’aliénation d’un bien propre de l’époux, sans qu’il soit nécessaire que ces deniers soient exactement ceux provenant de cette aliénation » (Cass. 1ère civ. 5 janv. 1999, n°96-11512).

La solution s’explique par la fongibilité de la monnaie. Il importe donc peu que les deniers propres aient été mélangés avec des fonds communs. Un tel mélange est insusceptible de les faire tomber en communauté.

Pour que le bien acquis ne rejoigne pas le patrimoine personnel de l’époux acquéreur, le conjoint devra démontrer, soit que les fonds employés ne lui ont jamais appartenu en propre, soit qu’ils ont déjà fait l’objet d’un emploi ou d’un remploi, de sorte que son droit de les affecter à l’acquisition d’un bien propre est épuisé.

==> Des deniers affectés à l’acquisition d’un bien

Pour opérer, l’emploi ou le remploi doivent avoir pour effet l’acquisition d’un bien nouveau.

Dans le silence des textes, ce bien peut tout autant être un meuble, qu’un immeuble. La provenance de ce bien est également indifférente. Il importe peu, notamment, que ce bien ait été acquis par un époux auprès de son conjoint.

Cette solution était déjà admise sous l’empire du droit antérieur à la loi n° 85-1372 du 23 décembre 1985 où la vente entre époux était prohibée sauf le cas où la cession faite par le mari à sa femme avait « une cause légitime, telle que le remploi […] ».

1.2 La déclaration d’emploi et de remploi

L’article 1434 du Code civil prévoit que « l’emploi ou le remploi est censé fait à l’égard d’un époux toutes les fois que, lors d’une acquisition, il a déclaré qu’elle était faite de deniers propres ou provenus de l’aliénation d’un propre, et pour lui tenir lieu d’emploi ou de remploi. »

Il ressort de cette disposition que pour produire ses effets, l’opération d’emploi ou de remploi est subordonnée à l’accomplissement d’une formalité par l’époux acquéreur consistant en double déclaration.

a. L’auteur de la double déclaration

La double déclaration d’emploi ou de remploi ne peut émaner que de l’époux au profit duquel l’emploi ou le remploi est effectué.

La raison en est qu’il s’agit, comme affirmé par la Cour de cassation dans un arrêt du 19 mai 1998, d’un acte unilatéral.

Aussi, l’emploi ou le remploi précise-t-elle « n’est pas subordonné au consentement du conjoint » (Cass. 1ère civ. 19 mai 1998, n°95-22083). L’intervention du tiers contractant n’est pas plus exigée, puisque tout autant étranger à l’opération.

À l’analyse, le caractère unilatéral de l’acte d’emploi ou de remploi se justifie par l’indépendance patrimoniale conférée aux époux par l’article 225 du Code civil.

Pour mémoire, cette disposition prévoit que « chacun des époux administre, oblige et aliène seul ses biens personnels. »

L’emploi ou le remploi de deniers propres n’échappe pas à la règle. Cette opération ne requiert pas le consentement du conjoint, raison pour laquelle la double déclaration d’emploi ou de remploi ne peut émaner que du seul époux acquéreur.

b. Le contenu de la double déclaration

L’article 1434 du Code civil prévoit donc que pour produire ses effets, l’opération d’emploi ou de remploi doit être assortie de l’accomplissement d’un acte consistant en double déclaration :

  • Première déclaration
    • La première déclaration a pour objet l’origine des deniers employés
    • Plus précisément l’époux acquéreur doit déclarer que l’acquisition qu’il réalise est « faite de deniers propres ou provenus de l’aliénation d’un propre».
    • Bien que la Cour de cassation n’exige pas que l’origine exacte des fonds soit mentionnée dans l’acte, l’important étant que les deniers employés soient déclarés comme propres (V. en ce sens 1ère civ. 9 oct. 1984), afin de prévenir toute difficulté il est recommandé que l’époux acquéreur précise s’ils proviennent d’une succession, d’une libéralité ou encore de la vente d’un propre.
  • Seconde déclaration
    • La seconde déclaration qui doit être effectuée par l’époux acquéreur a pour objet l’affectation des deniers propres à l’acquisition d’un bien d’un bien propre.
    • C’est là le sens de l’article 1434, lorsqu’il énonce que l’époux doit mentionner que l’acquisition qu’il réalise est faite « pour lui tenir lieu d’emploi ou de remploi. »
    • L’époux acquéreur doit ainsi expressément manifester sa volonté de conserver le bien acquis au moyen de deniers propres dans son patrimoine personnel.

c. La forme de la double déclaration

La double déclaration d’emploi ou de remploi ne requiert l’observation d’aucune forme particulière, ni la mention d’aucune formule sacramentelle.

La seule exigence qui s’infère de l’article 1434 du Code civil tient à l’existence d’une manifestation de volonté expresse et non équivoque émanant de l’époux acquéreur.

Il en résulte que la double déclaration ne saurait être implicite, ni incomplète. Une déclaration portant uniquement sur la provenance des fonds ou sur la volonté d’affecter lesdits fonds à l’affectation d’un bien propre est insuffisante.

En cas de déclaration implicite ou incomplète, l’article 1434 du Code civil prévoit que l’emploi ou le remploi ne peut produire ses effets qu’à la condition que le conjoint ait donné son accord.

d. Le moment de la double déclaration

i. Principe

Il ressort de l’article 1434 du Code civil que la double déclaration d’emploi ou de remploi doit figurer dans l’acte d’acquisition.

Il en résulte que c’est à la date d’établissement de cet acte que l’époux acquéreur doit manifester sa volonté d’affecter des fonds propres à l’acquisition d’un bien qu’il entend conserver dans son patrimoine personnel.

En toute rigueur, une déclaration d’emploi ou de remploi tardive devrait être dépourvue de tout effet. Le bien acquis devrait, par voie de conséquence, tomber en communauté, quand bien même son acquisition a été financée par des deniers propres.

Il est néanmoins admis, sous certaines conditions, que l’emploi ou le remploi puisse être régularisé a posteriori, tout autant que la loi reconnaît qu’il puisse, à l’inverse, être réalisée par anticipation.

ii. Exceptions

==> L’emploi ou le remploi par anticipation

  • Principe
    • L’article 1435 du Code civil prévoit que « si l’emploi ou le remploi est fait par anticipation, le bien acquis est propre, sous la condition que les sommes attendues du patrimoine propre soient payées à la communauté dans les cinq ans de la date de l’acte. »
    • L’hypothèse envisagée par cette disposition est celle de l’acquisition d’un bien par un époux financée par des fonds propres qu’il ne percevra que postérieurement à cette acquisition et notamment lorsque le bien qui lui appartient en propre sera vendu. Dans cette configuration, l’acquisition précède l’aliénation.
    • Pour réaliser l’opération, ce sont donc des deniers communs qui vont être utilisés par l’époux acquéreur. La communauté sera néanmoins remboursée lorsque ce dernier aura encaissé les fonds propres attendus.
  • Conditions
    • Deux conditions doivent être réunies pour que l’opération d’emploi ou de remploi par anticipation produise ses effets :
      • La formalisation d’une double déclaration
        • L’opération d’emploi ou de remploi n’échappe pas à l’exigence de double déclaration.
        • L’époux acquéreur doit mentionner dans l’acte d’acquisition :
          • D’une part, l’origine des fonds propres qu’il va percevoir postérieurement à l’acquisition
          • D’autre part, son intention d’affecter ces fonds à l’acquisition d’un bien propre
        • Dans, un arrêt du 27 mars 2007, la Cour de cassation a précisé que la validité de la déclaration de remploi par anticipation faite par un époux n’est pas subordonnée au consentement du conjoint ( 1ère civ. 27 mars 2007, n°05-16434).
        • Cette double déclaration s’analyse donc en un acte unilatéral.
      • Le remboursement de la communauté
        • L’article 1435 du Code civil exige expressément que la communauté soit remboursée dans un délai de 5 ans à compter de l’acte d’acquisition pour que l’opération d’emploi ou de remploi par anticipation produise ses effets.
        • Si cette condition ne soulève pas de difficulté lorsque le délai de 5 ans expire au cours du mariage, plus délicate est l’hypothèse où la communauté fait l’objet d’une dissolution avant l’expiration de ce délai.
        • Pour certains, dans la mesure où la composition des masses doit être fixée au jour de la dissolution de la communauté, l’opération de remploi par anticipation ne pourrait pas produire ses effets.
        • Pour d’autres, ce serait une situation injuste pour l’époux acquéreur qui se verrait dépossédé de la propriété d’un bien qui devrait lui revenir de droit.
        • À l’examen, tout dépend de la teneur des effets que l’on prête à l’opération d’emploi ou de remploi par anticipation.
  • Effets
    • L’emploi ou le remploi par anticipation a pour effet de maintenir dans le patrimoine personnel d’un époux un bien acquis au moyen de fonds communs mais financé par des deniers propres qu’il percevra postérieurement à l’acquisition.
    • Tant que la communauté n’a pas été remboursée de l’avance de fonds réalisée, la question se pose de la qualification du bien : est-ce un bien commun ou un bien propre ?
    • L’article 1435 prévoit que l’opération d’emploi ou de remploi n’opère que sous condition d’un remboursement de la communauté.
    • Mais de quelle condition parle-t-on ?
    • S’agit-il d’une condition suspensive ou résolutoire ? De la réponse à cette question dépend la qualification du bien acquis durant la période qui précède le remboursement.
      • L’opération de remploi est sous condition suspensive
        • Pour mémoire, la condition suspensive est celle qui suspend la naissance de l’obligation à la réalisation d’un événement futur et incertain.
        • Aussi, dans l’hypothèse où l’opération de remploi est sous condition suspensive, le bien acquis est réputé commun tant que le remboursement de la communauté n’est pas intervenu
        • Ce n’est que si cette condition suspensive se réalise que le bien sera réputé être propre depuis la date de l’acte d’acquisition
      • L’opération de remploi est sous condition résolutoire
        • La condition résolutoire est celle qui, si elle se réalise, menace de disparition une obligation qui existe déjà.
        • Dans l’hypothèse où l’opération de remploi est sous condition résolutoire, le bien acquis est réputé propre alors même que le remboursement de la communauté n’est pas encore intervenu.
        • Si, en revanche, cette condition ne se réalise pas, le bien tombera en communauté.
    • Les auteurs sont partagés sur les effets de l’opération d’emploi ou de remploi. Quant à la jurisprudence, elle ne s’est jamais prononcée.
    • Pour une partie de la doctrine, un élément de réponse est apporté par l’article 1435 du Code civil lorsqu’il énonce que « si l’emploi ou le remploi est fait par anticipation, le bien acquis est propre»
    • S’agit-il là d’une invitation à appréhender le bien comme propre dès la formalisation de la double déclaration de remploi par anticipation ? Si tel est le cas, l’opération serait donc assortie d’une condition résolutoire.

==> L’emploi ou le remploi a posteriori

  • Principe
    • Si pour produire ses effets la déclaration d’emploi ou de remploi doit être formalisée dans l’acte d’acquisition, l’article 1434 du Code civil admet que l’inobservation de cette exigence puisse être régularisée postérieurement.
    • Cette tolérance a, pour la première fois, été envisagée par la Cour de cassation dans un arrêt Potier de la Morandière rendu en date du 17 mai 1938 ( req. 17 mai 1938).
    • Elle a, par suite, été consacrée par la loi du 13 juillet 1965. L’article 1434 prévoit en ce sens que « à défaut de [double] déclaration dans l’acte, l’emploi ou le remploi n’a lieu que par l’accord des époux, et il ne produit ses effets que dans leurs rapports réciproques.»
    • Ainsi, est-il permis aux époux de conférer le caractère propre à un bien dont l’acquisition n’a été assortie d’aucune déclaration d’emploi ou de remploi. C’est ce que l’on appelle le remploi a posteriori.
  • Condition
    • Tandis que la déclaration d’emploi ou de remploi figurant dans l’acte d’acquisition suffit à elle seule à maintenir le bien acquis dans le patrimoine personnel de l’époux acquéreur, lorsqu’elle fait défaut, une condition supplémentaire doit être satisfaite pour parvenir au même résultat.
    • L’article 1434 prévoit, en effet, que, faute de double déclaration dans l’acte d’acquisition, l’emploi ou le remploi a posteriori est subordonné à l’accord des deux époux.
    • Dans le silence des textes, la formalisation de cet accord ne requiert aucun formalisme.
    • Aussi, est-il admis qu’il puisse être tacite ou implicite (V. en ce sens 1ère civ. 4 nov. 1975, n°74-12537).
    • Dans un arrêt du 3 novembre 1983, la Cour de cassation a, par ailleurs, précisé que « il résulte de l’article 1434, alinéa 1er, nouveau du code civil que, dans les rapports entre époux, il y a remploi, malgré l’absence de la double déclaration, du moment que les époux z… eu la volonté de le réaliser, cette volonté pouvant résulter d’un acte postérieur, tant que fonctionne le régime» ( 1ère civ. 3 nov. 1983, n°82-13221).
    • Il ressort de cette décision que l’absence de déclaration d’emploi ou de remploi dans l’acte d’acquisition d’un bien financé au moyen de deniers propres peut être régularisée tant que la communauté n’est pas dissoute.
  • Effets
    • L’emploi ou le remploi a posteriori a pour effet de conférer au bien sur lequel il porte un caractère propre.
    • Cette qualification n’opère toutefois qu’entre les époux.
    • L’article 1434 in fine du Code civil prévoit en ce sens que l’emploi ou le remploi a posteriori « ne produit ses effets que dans leurs rapports réciproques. »
    • Autrement dit, l’opération est inopposable aux tiers pour lesquels le bien demeure commun en l’absence de double déclaration figurant dans l’acte d’acquisition.
    • La raison en est que l’emploi ou le remploi ne saurait préjudicier aux tiers qui étaient légitimement en droit de penser que le bien acquis était tombé en communauté.
    • Leur gage ne saurait, dans ces conditions, se voir amputer après qu’ils ont contracté avec les époux.
    • D’où le principe d’inopposabilité aux tiers du remploi a posteriori posé à l’article 1434 du Code civil.
    • Encore faut-il que l’on s’entende sur la notion de tiers : la jurisprudence considère que ne relèvent pas de cette catégorie les héritiers de l’époux intervenu à l’acte d’emploi ou de remploi.
    • L’emploi ou le remploi a posteriori est donc pleinement opposable à ces derniers ( 1ère civ. 25 sept. 2013, n°12-21280).

e. La force probante de la double déclaration

Comme vu précédemment, la double déclaration figurant dans l’acte d’acquisition d’un bien financé au moyen de deniers propres suffit, à elle seule, à faire produire ses effets à l’opération d’emploi ou de remploi.

Est-ce à dire que, une fois cette condition remplie, le caractère propre du bien acquis ne peut plus être remis en cause ?

Il n’en est rien. La déclaration d’emploi ou de remploi ne fait que présumer l’appartenance du bien au patrimoine personnel de l’époux acquéreur. Cette présomption est simple de sorte qu’elle peut être combattue par la preuve contraire.

Il appartiendra donc au conjoint qui souhaite la contester de démontrer qu’elle est mensongère et notamment d’établir que les fonds utilisés n’étaient pas propres ou qu’ils avaient déjà été affectés à l’acquisition d’un autre bien propre acquis antérieurement.

f. La sanction de l’absence de double déclaration

Pour répondre à la question de savoir quelle est la sanction applicable en cas d’absence de déclaration d’emploi ou de remploi, deux approches peuvent être envisagées :

  • Première approche
    • Cette approche consiste à appréhender l’exigence de déclaration d’emploi ou de remploi comme une règle de preuve.
    • Aussi, en cas d’inobservation de cette exigence, l’époux acquéreur aurait toujours la faculté de prouver que les deniers employés étaient propres Il pourrait ainsi renverser la qualification du bien acquis tombé en communauté faute de déclaration d’emploi ou de remploi.
  • Seconde approche
    • Cette approche consiste, à l’inverse, à appréhender l’exigence de déclaration d’emploi ou de remploi comme une règle de fond.
    • Cela signifie que dès lors que cette déclaration fait défaut, le bien acquis tombe définitivement en communauté sans possibilité pour l’époux d’établir qu’il s’agit d’un bien propre.
    • La déclaration s’analyserait ici, en quelque sorte, en une condition de validité de l’opération d’emploi ou de remploi.

Ces deux approches interrogent ainsi sur la nature de l’exigence posée par l’article 1434. La double déclaration d’emploi ou de remploi est-elle exigée ad probationem ou ad validitatem ?

Il ressort de la jurisprudence, que la Cour de cassation a opté pour la seconde approche. Dans un arrêt du 20 septembre 2006, la Première chambre civile a affirmé en ce sens que « la règle du remploi […] a le caractère d’une règle de fond » (Cass. 1ère civ. 20 sept. 2006, n°04-18384).

Dans un arrêt du 25 février 2009, elle a encore plus explicitement jugé, au visa de l’article 1434 du Code civil, « qu’il résulte de ce texte qu’à défaut de la double déclaration d’origine et d’intention, lors d’une acquisition réalisée avec des deniers propres à un époux marié sous le régime de la communauté, les biens acquis ne prennent, par subrogation, la qualité de propres, dans les rapports entre époux, que si ceux-ci sont d’accord pour qu’il en soit ainsi ; que cette règle a le caractère d’une règle de fond » (Cass. 1ère civ. 25 févr. 2009, n°08-12137).

Ainsi, en l’absence de formalisation de la déclaration d’emploi ou de remploi, le bien acquis tombe définitivement en communauté, quand bien même l’époux acquéreur parviendrait à rapporter la preuve du caractère propre des deniers employés.

Tout au plus, il pourra régulariser le défaut de déclaration en se repliant sur le remploi a posteriori. Il lui faudra néanmoins obtenir l’accord de son conjoint, faute de quoi cette forme de remploi est privée de tout effet.

2. Les effets de l’emploi et du remploi

Si l’opération d’emploi ou de remploi a, par l’effet de la subrogation réelle, pour conséquence de maintenir le bien acquis avec des deniers propres dans le patrimoine personnel de l’époux acquéreur, il est un cas où il tombera malgré tout en communauté.

a. Principe

==> Le jeu de la subrogation réelle

Lorsque les conditions énoncées aux articles 1434 et 1435 du Code civil sont réunies, l’emploi ou le remploi produit les mêmes effets que la subrogation réelle de plein droit. Et pour cause, l’emploi et le remploi sont une forme de subrogation réelle.

Aussi, ont-ils pour effet de transmettre au bien qui se substitue aux fonds utilisés le caractère propre de ces derniers.

==> Le moment de la subrogation réelle

La subrogation produit ses effets à des dates qui diffèrent selon que l’emploi ou le remploi intervient au moment d’établissement de l’acte d’acquisition ou selon qu’il intervient par anticipation ou a posteriori.

  • L’emploi ou le remploi intervient au moment de l’établissement de l’acte d’acquisition
    • Dans cette hypothèse, la subrogation réelle opère immédiatement, soit au même moment que la régularisation de l’acte d’acquisition.
    • Le bien intègre alors concomitamment le patrimoine personnel de l’époux acquéreur.
  • L’emploi ou le remploi intervient par anticipation
    • Dans cette hypothèse, selon que l’on considère que le remploi par anticipation est sous condition suspensive ou sous condition résolutoire la subrogation interviendra à des dates différentes.
      • Si l’on estime que le remploi par anticipation est sous condition suspensive, alors le bien acquis n’intégrera le patrimoine personnel de l’époux acquéreur qu’une fois la communauté remboursée, ce dans la limite de 5 années
      • Si l’on estime, au contraire, que le remploi par anticipation est sous condition résolutoire, alors le bien acquis rejoindra le patrimoine personnel de l’époux acquéreur à la date d’établissement de l’acte d’acquisition.
    • Pour l’heure, la question n’est toujours pas tranchée en jurisprudence
  • L’emploi ou le remploi intervient a posteriori
    • Dans cette hypothèse, la subrogation opérera à la date où les époux sont tombés d’accord quant au maintien du bien acquis sans qu’aucune déclaration d’emploi ou de remploi n’ait été faite dans le patrimoine personnel de l’époux acquéreur.
    • Reste que les effets de cette subrogation seront pour le moins limités dans la mesure où elle inopposable aux tiers.

b. Tempérament

L’article 1436 du Code civil prévoit que « quand le prix et les frais de l’acquisition excèdent la somme dont il a été fait emploi ou remploi, la communauté a droit à récompense pour l’excédent. Si, toutefois, la contribution de la communauté est supérieure à celle de l’époux acquéreur, le bien acquis tombe en communauté, sauf la récompense due à l’époux. »

Il ressort de cette disposition que selon que lorsque la communauté a contribué au financement du bien acquis au moyen de deniers propres, le maintien de ce bien dans le patrimoine personnel de l’époux acquéreur dépend de la proportion dans laquelle cette contribution est intervenue.

Le texte distingue deux situations :

  • Le montant de la contribution de la communauté est inférieur ou égale à la valeur du bien acquis
  • Le montant de la contribution de la communauté est supérieur la valeur du bien acquis

Ainsi, la contribution de la communauté dans le financement du bien acquis par emploi ou remploi a une véritable incidence sur la qualification de ce bien.

La question qui subsidiairement se pose est alors de savoir quels sont les éléments de calcul qui doivent être pris en compte pour déterminer la part contributive de la communauté.

i. Les incidences de la contribution de la communauté à l’acquisition du bien

==> Le montant de la contribution de la communauté est inférieur ou égal à la valeur du bien acquis

L’article 1436 du Code civil prévoit donc que lorsque la part contributive de la communauté dans l’acquisition du bien acquis par un époux avec ses deniers propres est minoritaire, ce bien reste dans son patrimoine personnel.

La communauté aura néanmoins droit à récompense dont l’assiette correspond à la fraction du prix qu’elle a financé.

==> Le montant de la contribution de la communauté est supérieur à la valeur du bien acquis

L’article 1436 du Code civil prévoit que « Si, toutefois, la contribution de la communauté est supérieure à celle de l’époux acquéreur, le bien acquis tombe en communauté, sauf la récompense due à l’époux. »

Ainsi, par exception au principe de maintien des biens acquis par emploi ou remploi dans le patrimoine personnel de l’époux acquéreur, cette disposition fait-elle tomber en communauté le bien dont l’acquisition a majoritairement été financée par la communauté.

C’est là une application de la règle Major pars trahit ad se minorem, qui signifie littéralement « la plus grande partie attire à elle la moindre ».

Le législateur a, en effet, considéré que dans l’hypothèse où la part contributive de la communauté était supérieure à la valeur du bien acquis par emploi ou remploi, l’opération devait lui profiter.

La raison en est que l’opération s’analyse ici moins comme une substitution de biens dans le patrimoine propre de l’époux acquéreur, que comme l’acquisition d’une valeur nouvelle justifiant qu’on lui attribue la qualification d’acquêt.

En contrepartie de la perte de la propriété du bien qu’il a acquis au moyen de deniers propres, l’époux a droit à récompense.

ii. La détermination de la part contributive de la communauté

Tandis que certains frais, en sus du prix d’acquisition du bien, doivent être inclus dans le calcul de la part contributive de la communauté, d’autres doivent en être exclus.

==> Les éléments de calcul qui doivent être inclus dans le calcul de la part contributive

Pour déterminer la part contributive de la communauté, il y a lieu de se reporter à l’article 1436 du Code civil qui intègre dans son calcul deux éléments :

  • Le prix d’acquisition du bien
  • Les frais d’acquisition du bien

Par frais d’acquisition, il faut entendre ceux immédiatement exposés lors de l’acquisition du bien, tels que les commissions et autres émoluments perçus par les intermédiaires et les officiers ministériels ou encore les taxes et redevances.

Aussi, un bien dont le prix est fixé à 100 euros et dont les frais d’acquisition s’élèvent à 10 euros restera dans le patrimoine personnel de l’époux acquéreur dès lors que la part contributive de la communauté n’excède pas 55 euros, soit (100+10) / 2.

Si en revanche, cette part contributive dépasse ce seuil, alors le bien acquis tombera en communauté, quand bien même il aura été financé, pour partie, au moyen de deniers propres.

==> Les éléments de calcul qui doivent être exclus du calcul de la part contributive

Deux éléments doivent être exclus du calcul de la part contributive de la communauté :

  • Les intérêts d’emprunt
    • Dans un arrêt du 5 mars 2008, la Cour de cassation a jugé que les intérêts d’un emprunt souscrit par la communauté pour contribuer au financement du bien, ne devaient pas être inclus dans les frais d’acquisition (V. en ce sens 1ère civ. 5 mars 2008, n°07-12392)
    • Dans ces conditions, ils ne peuvent pas être pris en compte dans le calcul de la part contributive de la communauté
  • Les frais exposés pour l’acquisition ou l’amélioration du bien propre aliéné
    • Il n’est pas rare que la communauté ait contribué, pour partie, à l’acquisition ou à l’amélioration du bien dont le prix de vente a été réemployé.
    • Dans cette hypothèse, on s’est demandé si cette contribution passée devait être prise en compte dans le calcul de la contribution au financement du nouveau bien.
    • Par un arrêt du 15 juin 1994, la Cour de cassation a répondu par la négative à cette question.
    • Elle a jugé en ce sens « qu’il résulte de l’article 1436 du Code civil que la contribution de la communauté ne comprend que les sommes ayant servi à régler partie du prix d’acquisition du bien nouveau, à l’exclusion des fonds utilisés pour l’achat et pour la conservation du bien ancien » ( 1ère civ. 15 juin 1994, n°92-20201).

[1] G. Yildirim, Communauté légale : actif des patrimoines, Rép. Dr. Civ. Dalloz, n°20.

[2] A. Colomer, Droit civil – Régimes matrimoniaux, éd. Litec, 2004, n°82, p. 42.

[3] R.Plaisant, « la protection du logiciel par le droit d’auteur », Gaz.Pal, 25 septembre 1983, doctr. P2 à 4.

[4] J. Flour et F. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand Colin, éd. 2001, n°286, p. 280.

[5] V. en ce sens F. Terré et Ph. Simler, Droit civil – Les régimes matrimoniaux, éd. Dalloz, 2011, n°353, p. 282.

La répartition de l’actif sous le régime légal: la détermination des biens communs

Le régime légal, qui s’applique aux couples mariés faute d’établissement d’un contrat de mariage, est le régime de la communauté réduite aux acquêts.

Ce régime a été institué par la loi du 13 juillet 1965 qui l’a substitué à l’ancien régime légal de communauté de meubles et d’acquêts, lequel est désormais relégué au rang de régime conventionnel.

Principale caractéristique du régime légal, il s’agit d’un régime communautaire. Cette spécificité implique la création d’une masse commune de biens aux côtés des biens propres dont les époux demeurent seuls propriétaires.

La question qui immédiatement se pose est de savoir comment s’opère la répartition des biens entre ceux qui tombent en communauté et ceux qui relèvent d’un actif propre.

Pour le déterminer, il convient de se reporter aux articles 1401 à 1408 du Code civil qui sont logés sous un paragraphe intitulé « De l’actif de la communauté ».

À l’analyse, l’économie générale du dispositif instauré par ces dispositions prend assise sur la notion d’acquêt qui fixe la ligne de partage entre biens communs et biens propres.

Par acquêts, il faut entendre les biens acquis à titre onéreux par les époux pendant le mariage.

La communauté instituée par le régime légal étant « réduite aux acquêts », on peut en déduire que les biens qui, soit n’ont pas été acquis avant la célébration du mariage, soit ont été acquis à titre gratuit par les époux, constituent des biens propres.

Contrairement aux biens communs, lors de la dissolution du mariage ils ne feront l’objet d’aucun partage ; ils resteront la propriété exclusive de l’un ou l’autre époux.

Tout l’enjeu est donc de déterminer quels sont les biens susceptibles d’endosser la qualification d’acquêt et ceux qui échappent à cette qualification.

À cet égard, la mise en œuvre de la notion d’acquêt n’est pas sans soulever, parfois, un certain nombre de difficultés. Il est, en effet, des cas où il sera peu aisé de déterminer de quel côté de la frontière qui sépare la masse commune des masses propres se situe un bien.

Nous nous focaliserons ici sur les biens communs.

Sous le régime légal, le périmètre des biens communs devrait, en toute logique, se limiter aux seuls acquêts.

Pour déterminer si un bien à vocation à tomber en communauté, il devrait donc suffire de se reporter à la définition d’acquêts et vérifier que le bien en question répond aux critères de la définition posée.

À l’analyse, le dispositif mis en place par le législateur est un peu plus complexe. S’il est bien un texte, l’article 1401 du Code civil, qui fixe les contours de la notion d’acquêts, celui-ci est complété par une autre disposition, l’article 1402, qui institue une présomption de communauté pour tout bien dont on ne peut prouver qu’il appartient en propre à l’un ou l’autre époux.

Cette présomption de communauté constitue, selon Gérard Cornu, une sorte de « facteur résiduel d’accroissement de la communauté au bénéfice du doute ».

Ainsi, le périmètre des biens communs est délimité par :

  • D’une part, une règle de fond qui énumère les biens qui composent l’actif de la communauté
  • D’autre part, une règle de preuve qui vise à maintenir dans le giron de la communauté les biens dont on ne peut pas démontrer qu’ils appartiennent en propre à un époux

I) Les biens communs par détermination de la loi

==> La difficile appréhension de la notion d’acquêt

Les biens qui composent l’actif de la communauté, que l’on appelle couramment acquêts, sont énumérés à l’article 1401 du Code civil.

Cette disposition prévoit que « la communauté se compose activement des acquêts faits par les époux ensemble ou séparément durant le mariage, et provenant tant de leur industrie personnelle que des économies faites sur les fruits et revenus de leurs biens propres. »

Il s’agit là d’une reprise de l’ancien article 1498, al. 2e du Code civil qui énonçait que « en ce cas, et après que chacun des époux a prélevé ses apports dûment justifiés, le partage se borne aux acquêts faits par les époux ensemble ou séparément durant le mariage, et provenant tant de l’industrie commune que des économies faites sur les fruits et revenus des biens des deux époux. »

Ce texte n’était autre que celui qui déterminait le périmètre des biens communs lorsque le régime de la communauté réduite aux acquêts demeurait un simple régime conventionnel.

Lorsque la loi n°65-570 du 13 juillet 1965 portant réforme des régimes matrimoniaux a élevé le régime de la communauté réduite aux acquêts au rang de régime légal, le législateur a fait le choix de conserver le texte en l’état.

La règle telle que formulée par les rédacteurs du Code civil a seulement été transférée à l’article 1401 du Code civil.

Est-ce à dire que le périmètre des acquêts s’en est trouvé préservé ?

Les auteurs s’accordent à dire qu’il n’en est rien, à tout le moins que son tracé n’est plus aussi net.

En effet, si la loi du 13 juillet 1965 n’a pas modifié la liste des biens énumérés à l’ancien article 1498, al. 2e du Code civil, elle a néanmoins réformé, sur certains points, le dispositif de répartition de l’actif entre la masse commune et les masses propres.

Le législateur a, en particulier, décidé de supprimer la règle qui attribuait à la communauté la propriété de l’usufruit des biens propres.

Or en application de l’article 582 du Code civil, l’usufruit confère à l’usufruitier le droit de jouir de la chose (fructus), soit le droit de percevoir les revenus que le bien lui procure.

En retirant à la communauté le bénéfice de l’usufruit des propres, il en est résulté une incertitude quant à l’appartenance des revenus produits par les biens personnels des époux à la masse commune.

Autre source de perturbation du périmètre de l’actif commun, la reconnaissance de la liberté pour chaque époux de percevoir et disposer de ses gains et salaires.

Devait-on en tirer la conséquence qu’ils appartenaient en propre aux époux, puisque échappant au principe de gestion conjointe des biens communs ? Bien que discutable si l’on opte pour une application stricte des règles qui régissent l’usufruit, la jurisprudence l’a finalement admis.

Ce sont là autant d’évolutions qui sont venues perturber les critères de la notion d’acquêt, à telle enseigne que l’on est légitimement en droit de se demander si elle rend toujours compte de l’ensemble des biens qui composent la masse commune.

==> Le renouvellement de la notion d’acquêt

La notion d’acquêt recouvre un ensemble de biens plus ou moins étendu selon que l’on retient une approche restrictive ou extensive :

  • L’approche restrictive
    • L’adoption de cette approche conduit à définir l’acquêt comme l’acquisition à titre onéreux d’un bien par un époux pendant le mariage.
    • À cet égard, il peut être observé que le terme acquêt est un dérivé du mot latin acquaesitum qui n’est autre que le substantif du verbe acquaerere qui signifie acquérir.
    • Selon l’approche restrictive, seuls les biens ayant fait l’objet d’un acte d’acquisition auprès de tiers endosseraient donc la qualification d’acquêt.
    • Une rapide revue des textes et de la jurisprudence révèle néanmoins que la masse commune se compose d’un ensemble de biens plus vaste.
    • Il est en effet des biens susceptibles de tomber en communauté, alors même qu’ils sont acquis à titre gratuit ou encore dont l’acquisition ne procède pas d’un transfert de propriété, car originaire.
    • Dans ces conditions, l’approche restrictive ne permet pas de rendre totalement compte du périmètre de l’actif commun.
    • C’est pourquoi il y a lieu de se tourner vers l’approche extensive pour appréhender la notion d’acquêt.
  • L’approche extensive
    • Cette approche consiste à définir l’acquêt comme tout bien intégrant le patrimoine des époux au cours de mariage.
    • Il est indifférent ici que l’appropriation du bien procède d’une acquisition ou d’une création : ce qui importe c’est que le bien approprié assure l’enrichissement des époux.
    • Parce que la communauté a pour fonction de réaliser l’union des intérêts pécuniaires des époux, elle a vocation à capter toutes les valeurs économiques qui pénètrent leur sphère patrimoniale.
    • Aussi, est-ce ce monopole de captation des valeurs dont jouit la communauté qui doit être représenté par la notion d’acquêt.
    • À l’examen, telle était l’approche qui avait été adoptée sous l’empire du droit antérieur par le législateur.
    • Ainsi que le relèvent des auteurs « on sait que l’acquêt du Code civil s’entendait en un sens très large».
    • En somme la notion recouvrait tout ce que les « époux gagnent par leur travail, leur activité et leur esprit d’épargne»[1].
    • Les acquêts ne se limitaient donc pas aux biens acquis à titre onéreux.
    • Ils comprenaient également tous les revenus perçus par les époux.
    • Ces revenus pouvaient provenir, tant de leurs biens propres, que de leur industrie personnelle.
    • Cette conception – large – de la notion d’acquêt s’expliquait, comme vu précédemment, notamment par l’attribution de l’usufruit des biens propres à la communauté.
    • Mais, la loi du 13 juillet 1965 a supprimé cette règle ; d’où l’incertitude créée sur le périmètre de la notion d’acquêt.

Au bilan, bien que la lettre de l’article 1401 du Code civil suggère d’appréhender à la notion d’acquêt par le biais de l’approche restrictive, le droit positif commande d’opter, au contraire, pour une approche extensive.

Quelle approche doit-on retenir ? Le régime légal est un régime de communauté réduite aux acquêts. Afin que le participe « réduite » conserve tout son sens, il y a lieu, selon nous, de ne pas s’arrêter à la lettre de l’article 1401.

La notion d’acquêt doit être envisagée selon l’approche extensive. Cette approche est la seule à même de rendre compte de l’étendue de l’actif commun, lequel est alimenté par plusieurs sources de biens :

  • Les biens provenant d’une acquisition
  • Les biens provenant de l’industrie des époux
  • Les biens provenant des revenus des propres
  • Les biens provenant du jeu de l’accession
  • Les biens provenant du jeu de la subrogation
  • Les biens provenant d’un jeu de hasard ou d’un jeu-concours

A) Les biens communs provenant d’une acquisition

1. Acquisition à titre onéreux

Pour mémoire, l’article 1401 du Code civil prévoit que « la communauté se compose activement des acquêts faits par les époux ensemble ou séparément durant le mariage, et provenant tant de leur industrie personnelle que des économies faites sur les fruits et revenus de leurs biens propres. »

Il s’évince de cette disposition que tout bien acquis à titre onéreux au cours du mariage est constitutif d’un acquêt.

Trois enseignements peuvent être retirés de la règle générale ainsi posée :

a. Premier enseignement : la provenance des fonds employés

L’acquisition à titre onéreux d’un bien suppose, par hypothèse, l’emploi de fonds en contrepartie de la délivrance de la chose.

La question qui alors se pose est de savoir si la provenance de ces fonds est indifférente ou si elle est soumise à une exigence particulière.

À l’examen, il y a lieu de distinguer selon que les fonds employés sont des biens communs ou des biens propres.

  • Les fonds employés sont des biens communs
    • Lorsque les fonds employés pour l’acquisition sont communs, le bien acquis par les époux tombera nécessairement en communauté.
    • Il est indifférent que ce bien soit affecté à l’usage exclusif d’un époux : ce qui importe c’est la provenance des fonds.
    • La seule difficulté que cette situation est susceptible de soulever tient à la détermination de la nature des fonds employés.
    • La question s’est notamment posée pour les gains et salaires et les revenus des propres.
      • S’agissant des gains et salaires
        • Bien que les textes soient silencieux sur leur nature, la jurisprudence a admis qu’ils présentaient un caractère commun (V. en ce sens 1ère civ. 8 févr. 1978, n°75-15.731)
        • Sont ici visés indifféremment les salaires, les traitements, les honoraires, les émoluments, les bénéfices commerciaux ou non commerciaux ou encore les gains de jeux.
        • Il en va de même des économies réalisées par les époux au moyen de leurs gains et salaires.
      • S’agissant des revenus des propres
        • Là encore, les textes sont taiseux sur la qualification qu’il y a lieu de donner aux revenus des biens propres (loyers, dividendes, intérêts produits etc.).
        • Aussi, est-ce à la jurisprudence qu’est revenue la tâche de se prononcer.
        • Dans un arrêt Dame Authier rendu en date du 31 mars 1992, la Cour de cassation a tranché en faveur de la qualification de biens communs ( 1ère civ. 31 mars 1992, n°90-17212).
        • Comme pour les gains et salaires, lorsque les revenus de biens propres sont économisés ils conservent leur nature de biens communs.
    • Au bilan, il est indifférent que les fonds employés proviennent des gains et salaires des époux, des revenus de leurs biens propres ou encore des économies réalisées.
    • Dans les trois cas, parce qu’il s’agit de fonds qui présentent un caractère commun, leur affectation à l’acquisition d’un bien a vocation à enrichir la communauté.
    • C’est la raison pour laquelle le bien acquis au moyen de ces fonds est nécessairement commun
  • Les fonds employés sont des biens propres
    • Lorsque les fonds affectés à l’acquisition d’un bien appartiennent en propre à un époux, la question se pose de la nature du bien acquis.
    • Doit-on considérer qu’il s’agit d’un bien propre eu égard la provenance des fonds employés ou s’agit-il d’un bien commun dans la mesure où il y a eu acquisition d’un bien pendant le mariage.
    • Pour le déterminer, il convient de combiner les articles 1401 et 1402 du Code civil à l’article 1406, al. 2e
    • De la combinaison de ces dispositions, il s’infère un principe assorti d’une exception.
      • Principe
        • Il est un principe général qui s’évince des articles 1401 et 1402 du Code civil aux termes duquel toute acquisition d’un bien à titre onéreux qui intervient au cours du mariage a vocation à enrichir la communauté
        • La provenance des fonds utilisés pour financer cette acquisition est indifférente, ce qui importe c’est l’entrée d’une valeur nouvelle dans la sphère patrimoniale des époux.
        • Lorsque dès lors, les fonds employés appartiennent en propres à l’un d’eux, le bien acquis est commun, à tout le moins en l’absence de disposition légale contraire.
        • À cet égard, s’agissant de l’affectation de fonds propres à l’acquisition d’un bien il en est notamment une qui autorise les époux à conserver le bien acquis dans leur patrimoine propre.
      • Exception
        • L’article 1406, al. 2e du Code civil envisage l’hypothèse où l’acquisition d’un bien procède d’une subrogation réelle.
        • Pour mémoire, cette opération réalise la substitution, dans un patrimoine, d’une chose par une autre.
        • Lorsque la subrogation réelle porte sur le bien propre d’un époux, l’article 1406 al. 2e du Code civil envisage spécifiquement l’hypothèse de l’affectation de fonds propres à l’acquisition d’un bien.
        • Il prévoit en ce sens que « forment aussi des propres, par l’effet de la subrogation réelle, […] les biens acquis en emploi ou remploi, conformément aux articles 1434 et 1435.»
        • Si la subrogation réelle est susceptible de jouer ici, c’est à la condition que l’époux propriétaire des fonds accomplisse des formalités d’emploi ou de remploi.
          • L’emploi consiste à affecter des fonds propres à l’acquisition d’un bien.
          • Le remploi consiste, quant à lui, à utiliser le produit de la vente d’un bien propre pour l’acquisition d’un nouveau bien.
        • Dans les deux cas, l’article 1406, al. 2e du Code civil autorise l’époux propriétaire des fonds à faire échapper le bien acquis à la qualification de bien commun.
        • Pour ce faire, il devra formalise ce que l’on appelle une déclaration d’emploi ou de remploi.
        • Cette déclaration consiste, en application de l’article 1434 du Code civil, à mentionner dans l’acte d’acquisition du bien :
          • D’une part, l’origine des deniers utilisés, ce qui permet de justifier de leur caractère propre
          • D’autre part, l’affectation des fonds à l’acquisition d’un bien propre
        • Faute de déclaration d’emploi ou de remploi, le bien acquis tombera en communauté sauf à ce qu’une déclaration soit régularisée postérieurement à l’acquisition.
        • Dans cette hypothèse, elle supposera l’accord des deux époux.
        • Lorsque la déclaration d’emploi ou de remploi a valablement été accomplie, le bien acquis sera propre.

b. Deuxième enseignement : l’exigence d’acquisition d’un bien à titre onéreux

Si l’on s’arrête à la lettre de l’article 1401 du Code civil, l’acquêt est le bien qui a été acquis à titre onéreux par les époux auprès de tiers.

Plusieurs éléments de cette définition – restrictive – de l’acquêt doivent être précisés :

  • S’agissant de l’auteur de l’acquisition
    • L’article 1401 du Code civil ne distingue pas selon que le bien a été acquis par un seul époux ou les deux
    • Dans les deux cas, il s’agira d’un acquêt.
    • Il est donc indifférent que le bien ait été acquis par un seul époux avec ses gains et salaires ou avec les revenus de ses propres.
    • Ce qui importe c’est la nature des fonds employés : ils doivent être communs et, s’ils sont propres, ne pas avoir fait l’objet de déclaration d’emploi ou de remploi.
  • S’agissant de l’objet de l’acquisition
    • Principe
      • L’acquisition peut indifféremment porter sur un bien meuble, un immeuble, un bien corporel ou encore un bien incorporel.
      • Là encore, l’article 1401 du Code civil n’opère aucune distinction quant à la nature du bien acquis.
      • Tous les biens sont susceptibles de tomber en communauté, dès lors qu’ils ont fait l’objet d’une acquisition à titre onéreux au cours du mariage.
      • La règle s’applique également en présence de biens très particuliers, tels que les droits sociaux ou encore les offices ministériels dont la valeur a vocation à tomber en communauté.
    • Tempéraments
      • Par exception au principe, certains biens, en raison de leur nature, échappent à l’attraction de la masse commune.
      • L’article 1404 du Code civil pose, en ce sens, le principe général selon lequel « forment des propres par leur nature, quand même ils auraient été acquis pendant le mariage […] tous les biens qui ont un caractère personnel et tous les droits exclusivement attachés à la personne. »
      • Ainsi, restent propres les biens qui sont très étroitement attachés à la personne d’un époux.
      • Le texte en dresse une liste non exhaustive, dans laquelle figure « les vêtements et linges à l’usage personnel de l’un des époux, les actions en réparation d’un dommage corporel ou moral, les créances et pensions incessibles»
      • Parmi les biens propres par nature, il faut encore compter, précise le second alinéa de l’article 1404 du Code civil, sur « les instruments de travail nécessaires à la profession de l’un des époux, à moins qu’ils ne soient l’accessoire d’un fonds de commerce ou d’une exploitation faisant partie de la communauté. »
  • S’agissant de l’opération d’acquisition
    • Si l’on opte pour une approche extensive de la notion d’acquêt – ce que nous avons fait – il n’est pas nécessaire, pour qu’un bien endosse cette qualification, que l’intégration de ce bien dans la sphère patrimoniale des époux procède d’une acquisition.
    • Ce qui importe c’est que l’opération réalisée par les époux procure à la communauté un enrichissement.
    • Reste que, à l’analyse, selon que cette opération consiste ou non en une acquisition, le statut du bien est susceptible de différer d’une situation à l’autre.
    • En simplifiant à l’extrême, il existe, en effet, deux catégories d’acquêts : les acquêts de droit commun et les acquêts soumis à un statut particulier.
      • S’agissant des acquêts de droit commun
        • Il s’agit des biens qui font l’objet d’une acquisition, soit d’une opération qui consiste en l’utilisation de fonds par les époux aux fins d’obtenir la délivrance d’un bien d’une autre nature.
        • Tel est le cas, lorsque l’obtention du bien procède de la conclusion d’un contrat de vente ou d’un contrat d’entreprise.
        • Les acquêts ordinaires sont soumis au principe de la gestion concurrente, en ce sens que les époux peuvent accomplir seuls sur ces derniers des actes d’administration et de disposition ( 1421 C. civ.).
        • Cette catégorie d’acquêts échappe, par ailleurs, au droit de gage des créanciers lorsqu’un époux souscrit un cautionnement sans le consentement de son conjoint ( 1415 C. civ.).
      • S’agissant des acquêts soumis à un statut particulier
        • Il s’agit des gains et salaires et des revenus de propres
        • Si le caractère commun de ces biens ne soulève désormais plus aucune difficulté, ils n’en restent pas moins soumis à un statut particulier.
        • En premier lieu, ils font l’objet d’une gestion exclusive par l’époux qui les perçoit ( 223 C. civ.).
        • Ils ne sont donc pas soumis au principe de gestion concurrente.
        • En second lieu, à la différence des acquêts ordinaires, les revenus d’un époux sont engagés en cas de souscription d’un cautionnement ou d’un emprunt sans le consentement du conjoint.
    • Cette distinction entre les acquêts de droit commun et les acquêts soumis à un statut particulier étant posée, refocalisons-nous sur la caractérisation de l’opération d’acquisition.
    • Elle présente un véritable enjeu lorsque les revenus d’un époux (gains et salaires et revenus de propres) sont économisés ou investis.
    • La question qui, en pareille hypothèse, se pose est de savoir s’ils conservent leur statut particulier ou s’ils se transforment en acquêts de droit commun.
    • Pour le déterminer, il y a lieu de se tourner vers la jurisprudence dont la position varie selon la nature du placement réalisé.
      • S’agissant du dépôt des revenus sur un compte chèque
        • Lorsque les revenus sont déposés par un époux sur un compte chèque et que, par suite, tout ou partie de ces revenus est thésaurisé, les économies réalisées ne constituent pas un nouveau bien.
        • Elles constituent seulement le produit d’une addition de sommes argent.
        • Aussi, l’opération ne saurait-elle s’analyser en une acquisition.
        • Est-ce à dire que, lorsqu’ils sont économisés, les revenus conservent leur statut particulier, faute de se transformer en un bien nouveau ?
        • La question s’est ardemment posée en doctrine et en jurisprudence.
        • Dans l’affirmative, cela signifie que les économies de revenus échapperaient aux règles applicables aux acquêts de droit commun et que, par voie de conséquence, elles demeureraient, d’une part, soumises au principe de gestion exclusive et d’autre part, comprise dans le gage des créanciers d’une dette de cautionnement ou d’emprunt non consentie par le conjoint.
        • À l’analyse, la question n’est aujourd’hui pas clairement tranchée par la jurisprudence qui, pour autoriser la saisie des revenus du conjoint, se place sur le terrain de la fongibilité des sommes inscrites en compte.
      • S’agissant de la souscription de valeurs mobilières
        • Dans un arrêt du 14 janvier 2003, la Cour de cassation a jugé que les revenus d’un époux placés sur un compte-titres étaient des acquêts.
        • La première chambre civile en tire la conséquence que « le mari ne pouvait engager [lesdits revenus] par un cautionnement contracté sans le consentement exprès de la femme» ( 1ère civ. 14 janv. 2003, n°00-16078).
        • La position adoptée par la Cour de cassation se comprend parfaitement dans la mesure où l’investissement des revenus a donné lieu à l’acquisition d’un bien d’une autre nature qu’une somme d’argent : des titres financiers.
        • Dans cette décision, la Cour de cassation a retenu la même solution pour l’investissement des revenus dans un plan épargne logement
        • Là encore, la solution se justifie aisément, car l’opération consiste ici à souscrire à un produit financier qui procure à l’époux des avantages très particuliers.
      • S’agissant de la souscription de bons de caisse
        • Dans un arrêt du 22 octobre 1980, la Cour de cassation a jugé que la souscription de bons de caisse faisait perdre aux revenus investis leur statut particulier ( 1ère civ. 22 oct. 1980, n°79-14138).
        • Aussi, se transforment-ils en acquêts de droit commun, ce qui, pour l’époux souscripteur, implique qu’il perde son pouvoir de gestion exclusive et son droit de les engager seul lorsqu’il contracte une dette de cautionnement.
  • S’agissant du caractère onéreux de l’opération
    • Pour qu’un bien acquis par un époux tombe en communauté, encore faut-il que l’opération soit réalisée à titre onéreux.
    • Autrement dit, l’acquisition doit donner lieu à l’octroi d’une contrepartie au cédant du bien.
    • Cette contrepartie consistera, le plus souvent, en le paiement d’un prix.
    • Mais il pourra également s’agir de la fourniture d’une chose, en cas d’échange, ou encore d’une prestation de service.
    • Lorsque, en revanche, le bien a été acquis sans contrepartie, soit à titre gratuit, il ne tombera pas en communauté.
    • L’article 1405 du Code civil prévoit en ce sens que « restent propres les biens dont les époux avaient la propriété ou la possession au jour de la célébration du mariage, ou qu’ils acquièrent, pendant le mariage, par succession, donation ou legs. »
    • Les libéralités perçues par un époux ont ainsi vocation à alimenter son actif propre, alors même qu’il s’agit là d’une acquisition.

c. Troisième enseignement : l’exigence d’une acquisition pendant le mariage

L’acquisition d’un bien par un époux à titre onéreux est insuffisante pour faire de ce bien un acquêt.

Cette acquisition doit impérativement intervenir pendant le mariage, soit après l’échange des consentements.

En application de l’article 1405, al. 1er du Code civil, tous les biens acquis avant la célébration de l’union matrimoniale intègrent le patrimoine propre de l’époux acquéreur.

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir quelle date doit être retenue en cas d’étirement dans le temps de l’opération d’acquisition.

Tel sera notamment le cas en présence d’avant-contrats, tels qu’une promesse unilatérale de vente ou une promesse synallagmatique. La question est également susceptible de se poser pour les contrats assortis d’une condition suspensive ou dans l’hypothèse où le transfert de propriété est différé.

Il ressort de la jurisprudence que, fort logiquement, c’est la date du transfert de propriété qui doit servir de référence pour déterminer si l’acquisition est intervenue avant ou après la célébration du mariage.

À cet égard, plusieurs situations doivent être envisagées :

==> La promesse unilatérale de vente

Pour rappel, aux termes de l’article 1124 du Code civil « la promesse unilatérale est le contrat par lequel une partie, le promettant, accorde à l’autre, le bénéficiaire, le droit d’opter pour la conclusion d’un contrat dont les éléments essentiels sont déterminés, et pour la formation duquel ne manque que le consentement du bénéficiaire. »

La spécificité de cet avant-contrat est que, après que les parties se sont entendues sur les éléments essentiels de contrat de vente projeté, seul le promettant a donné son consentement.

Aussi, la vente ne sera formée qu’au moment de l’exercice de l’option par le bénéficiaire de la promesse.

Ce n’est donc pas au moment de la conclusion de la promesse unilatérale que le transfert de propriété interviendra, mais à la date de levée de l’option.

Dans ces conditions, le bien sera propre si l’option est exercée avant la célébration du mariage et tombera en communauté si l’option est levée postérieurement.

==> La promesse synallagmatique de vente

La promesse synallagmatique de contrat est l’acte par lequel deux parties s’engagent réciproquent l’une envers l’autre à conclure un contrat dont les éléments essentiels (la chose et le prix pour la vente) sont déterminés.

À la différence de la promesse unilatérale de vente, la promesse synallagmatique implique que les deux parties ont donné leur consentement quant à la conclusion du contrat de vente projeté.

C’est la raison pour laquelle l’article 1589 du Code civil prévoit que « la promesse de vente vaut vente, lorsqu’il y a consentement réciproque des deux parties sur la chose et sur le prix. »

En matière de promesse synallagmatique de vente, le Code civil pose ainsi un rapport d’équivalence entre la promesse et la vente.

Cette équivalence se justifie par le fait que, lors de la conclusion de la promesse synallagmatique, toutes les conditions de validité du contrat de vente sont d’ores et déjà remplies :

  • Les parties ont exprimé leur consentement définitif à la vente
  • Les parties se sont entendues sur la chose et sur le prix

Aussi, est-il admis que le transfert de propriété intervient à la date de conclusion de la promesse et non au jour de la réitération par acte authentique.

Ce n’est que si les parties stipulent expressément dans la promesse synallagmatique que la réitération des consentements est un élément essentiel du contrat de vente que le transfert de propriété sera différé au jour de l’établissement de l’acte authentique.

La raison en est que la règle selon laquelle « la promesse de vente vaut vente n’a qu’un caractère supplétif » (V. en ce sens Cass. 3e civ. 10 mai 2005).

S’agissant d’une promesse synallagmatique de vente conclue avant la célébration, afin de déterminer si le bien vendu tombe ou non en communauté il convient de distinguer deux situations :

  • La réitération des consentements par acte authentique est une simple modalité d’exécution du contrat
    • Dans cette hypothèse, les parties n’ont pas fait de la réitération des consentements un élément essentiel du contrat.
    • Le transfert de propriété interviendra alors à la date de conclusion de la promesse.
    • Le bien acquis par l’époux lui appartiendra donc en propre
  • La réitération des consentements par acte authentique est un élément constitutif du contrat
    • Dans cette hypothèse, les parties ont fait de la réitération des consentements un élément essentiel du contrat.
    • Il en résulte que le transfert de propriété interviendra à la date de l’établissement de l’acte authentique.
    • Si cette formalité est accomplie postérieurement à la célébration du mariage, le bien acquis par l’époux tombera en communauté.

Au bilan, la date du transfert de propriété du bien objet de la promesse synallagmatique de vente dépend de la fonction que les parties ont entendu donner à la réitération des consentements en la forme authentique, à tout le moins lorsqu’elle interviendra postérieurement à la célébration du mariage, tandis que la promesse aura été conclue avant.

==> Le contrat translatif de propriété assorti d’une condition suspensive

Pour mémoire, la condition suspensive stipulée dans un contrat a pour effet de suspendre la naissance d’une obligation à la réalisation d’un événement futur et incertain.

Lorsque cette obligation porte sur la délivrance d’une chose, la question se pose de la date du transfert de propriété.

Est-ce le jour de conclusion du contrat ou est-ce au jour de réalisation de la condition ?

Sous l’empire du droit antérieur, l’ancien article 1179 du Code civil prévoyait que « la condition accomplie a un effet rétroactif au jour auquel l’engagement a été contracté ».

La réalisation de la condition produisait de la sorte un effet rétroactif.

Cette règle a été abandonnée par le législateur lors de la réforme des obligations.

Le nouvel article 1304-5, al. 1er du Code civil prévoit désormais que « l’obligation devient pure et simple à compter de l’accomplissement de la condition suspensive. »

Ainsi, l’obligation sous condition suspensive produit ses effets, non plus au jour de la conclusion du contrat, mais au jour de la réalisation de la condition.

Il en résulte que c’est cette seconde date qui sert de référence pour déterminer si le transfert de propriété du bien objet de la condition intervient avant ou après la célébration du mariage.

Dès lors, si la condition se réalise après la célébration du mariage ce bien tombera en communauté, alors même que le contrat définitif a été conclu avant que les époux ne soient mariés.

==> La stipulation d’une clause différant le transfert de propriété

L’article 1196, al. 2e du Code civil prévoit que le transfert de propriété « peut être différé par la volonté des parties, la nature des choses ou par l’effet de la loi. »

Ainsi, est-il des cas où le transfert de propriété ne sera pas concomitant à la formation du contrat, il sera différé dans le temps.

Ce sont là autant d’exceptions au principe de transfert solo consensu.

En pareil cas, c’est donc la date à laquelle a été différé le transfert de propriété qui permettra de déterminer si le bien est propre ou commun.

Le bien sera propre si le transfert de propriété intervient avant la célébration du mariage et commun s’il se produit après.

Trois hypothèses sont envisagées par l’article 1196 du Code civil :

  • La volonté des parties
    • Les règles qui régissent le transfert de propriété sont supplétives, ce qui implique qu’il peut y être dérogé par convention contraire.
    • Les parties sont ainsi libres de prévoir que le transfert de propriété du bien aliéné interviendra à une date ne correspondant pas à celle de conclusion du contrat.
    • Elles peuvent néanmoins prévoir que le transfert se produira seulement, soit après la survenant d’un événement déterminé, soit au moment du complet paiement du prix.
      • La clause de réserve de propriété
        • Il est courant, en matière commerciale, que le cédant souhaite se ménager le bénéfice d’une clause de réserve de propriété, clause consistant à subordonner le transfert de propriété du bien aliéné au complet paiement du prix.
        • L’article 2367 du Code civil prévoit en ce sens que « la propriété d’un bien peut être retenue en garantie par l’effet d’une clause de réserve de propriété qui suspend l’effet translatif d’un contrat jusqu’au complet paiement de l’obligation qui en constitue la contrepartie»
        • Ainsi, tant que l’acquéreur, qui est entré en possession du bien, n’a pas réglé le vendeur il n’est investi d’aucun droit réel sur celui-ci.
        • La clause de réserve de propriété est un instrument juridique redoutable qui confère à son bénéficiaire une situation particulièrement privilégiée lorsque le débiteur fait l’objet, soit de mesures d’exécution forcée, soit d’une procédure collective.
        • Pour être valable, la clause de réserve de propriété doit néanmoins être stipulée, par écrit, et, au plus tard, le jour de la livraison du bien.
      • La clause de réitération par acte authentique
        • Cette clause consiste à subordonner le transfert de propriété du bien aliéné à la réitération des consentements par acte authentique.
        • Contrairement à ce qui a pu être décidé par certaines juridictions, la stipulation d’une telle clause diffère, non pas la formation du contrat qui est acquise dès l’échange des consentements, mais le transfert de la propriété du bien aliéné.
        • Ce transfert interviendra au moment de la réitération des consentements devant notaire qui constatera l’opération par acte authentique.
        • Dans un arrêt 20 décembre 1994, la haute juridiction a, de la sorte, refusé de suivre une Cour d’appel qui avait estimé que le contrat de vente, objet d’une promesse synallagmatique, n’était pas parfait, dès lors que ladite promesse était assortie d’une clause qui stipulait que « que l’acquéreur sera propriétaire des biens vendus à compter seulement de la réitération par acte authentique».
  • La nature des choses
    • Il est certaines catégories de choses qui se prêtent mal à ce que le transfert de propriété intervienne concomitamment à la formation du contrat
    • Tel est le cas des choses fongibles (de genre) et des choses futures :
      • Les choses fongibles
        • Par chose fongible, il faut entendre une chose qui ne possède pas une individualité propre.
        • L’article 587 du Code civil désigne les choses fongibles comme celles qui sont « de même quantité et qualité» et l’article 1892 comme celles « de même espèce et qualité ».
        • Selon la formule du Doyen Cornu, les choses fongibles sont « rigoureusement équivalentes comme instruments de paiement ou de restitution ».
        • Pour être des choses fongibles, elles doivent, autrement dit, être interchangeables, soit pouvoir indifféremment se remplacer les unes, les autres, faire fonction les unes les autres.
          • Exemple : une tonne de blé, des boîtes de dolipranes, des tables produites en série etc…
        • Les choses fongibles se caractérisent par leur espèce (nature, genre) et par leur quotité.
        • Ainsi, pour individualiser la chose fongible, il est nécessaire d’accomplir une opération de mesure ou de compte.
        • Lorsque des choses fongibles sont aliénées, dans la mesure où, par hypothèse, au moment de la formation du contrat, elles ne sont pas individualisées, le transfert de propriété ne peut pas s’opérer.
        • Aussi, ce transfert de propriété ne pourra intervenir qu’au moment de l’individualisation de la chose fongible, laquelle se produira postérieurement à la conclusion du contrat.
        • Pratiquement, cette individualisation pourra se faire par pesée, compte ou mesure ( 1585 C. civ.)
        • Elle pourra également se traduire par une vente en bloc ( 1586 C. civ.).
        • Le plus souvent cette action sera réalisée le jour de la livraison de la chose.
      • Les choses futures
        • Les choses futures sont celles qui n’existent pas encore au moment de la formation du contrat.
        • À cet égard, l’ancien article 1130 du Code civil disposait que « les choses futures peuvent faire l’objet d’une obligation»
        • Le nouvel article 1130, issu de la réforme des obligations prévoit désormais que « l’obligation a pour objet une prestation présente ou future».
        • Ce cas particulier est bien connu en droit de la vente. On vend bien sans difficulté des immeubles à construire (art. 1601-1 c.civ).
        • Ce n’est pas à dire que la loi ne prohibe pas ponctuellement de tels contrats.
        • L’article L. 131-1 du Code de la propriété intellectuelle prévoit, par exemple, que « la cession globale des œuvres futures est nulle»
        • Lorsque la vente de choses futures est permise, la loi aménage les conséquences de la vente si la chose devait ne jamais exister.
        • En tout état de cause, lorsque le contrat a pour objet l’aliénation d’une chose future, le transfert de propriété ne pourra intervenir qu’au jour où elle existera et plus précisément au jour où elle sera livrée à l’acquéreur.
  • L’effet de la loi
    • Il est des cas où le transfert de propriété du bien aliéné sera différé sous l’effet de la loi.
    • Il en va ainsi de la vente à terme définie à l’article 1601-2 du Code civil comme « le contrat par lequel le vendeur s’engage à livrer l’immeuble à son achèvement, l’acheteur s’engage à en prendre livraison et à en payer le prix à la date de livraison. »
    • Le texte poursuit en précisant que « le transfert de propriété s’opère de plein droit par la constatation par acte authentique de l’achèvement de l’immeuble ; il produit ses effets rétroactivement au jour de la vente. »
    • Le transfert de propriété du bien est également différé en matière de vente en l’état futur d’achèvement définie à l’article 1601-3 du Code civil comme « le contrat par lequel le vendeur transfère immédiatement à l’acquéreur ses droits sur le sol ainsi que la propriété des constructions existantes. »
    • À la différente de la vente à terme, ici les ouvrages à venir deviennent la propriété de l’acquéreur au fur et à mesure de leur exécution, étant précisé que l’acquéreur est tenu d’en payer le prix à mesure de l’avancement des travaux.

2. Acquisition à titre gratuit

En application de l’article 1405, al. 1er du Code civil, les biens que les époux acquièrent, pendant le mariage, par succession, donation ou legs, échappent, par principe, au pouvoir d’attraction de la masse commune puisque, nous dit le texte, ils « restent propres » à l’époux gratifié.

La règle ainsi instituée n’est toutefois que supplétive, de sorte qu’il peut y être dérogé par convention contraire.

Le second alinéa de l’article 1405 du Code civil prévoit en ce sens que « la libéralité peut stipuler que les biens qui en font l’objet appartiendront à la communauté. »

Il ressort de cette disposition que pour que le bien reçu à titre gratuit alimente la masse commune, le disposant doit en avoir manifesté la volonté.

À cet égard, le texte précise que, faute de stipulation expresse, « les biens tombent en communauté, sauf stipulation contraire, quand la libéralité est faite aux deux époux conjointement. »

Autrement dit, dès lors que la libéralité est adressée conjointement aux deux époux, le bien est commun, son entrée en communauté fût-elle tacite.

Tel sera le cas, par exemple, si une somme d’argent est déposée sur le compte joint des époux (V. en ce sens CA Bastia, 8 avr. 2009).

Le disposant dispose néanmoins de la faculté de prévoir que le bien ne tombera pas en communauté.

Dans cette hypothèse, le bien cédé à titre gratuit aux deux époux fera l’objet d’une indivision ordinaire et échappera donc aux règles applicables aux biens communs.

B) Les biens provenant de l’industrie des époux

Au premier rang des biens qui alimentent la communauté, l’article 1401 du Code civil vise ceux qui proviennent de « l’industrie personnelle » des époux.

Par industrie, il faut entendre le travail fourni par les époux qui donne lieu à une création de valeur.

Il s’agit là, pour la plupart des couples mariés, de la principale source d’acquêts, d’où l’enjeu de leur identification.

À l’analyse, l’industrie des époux peut engendrer deux sortes de biens :

  • Les gains et salaires qui ne sont autres que la rémunération perçue en contrepartie d’un travail fourni
  • Les créations matérielles et immatérielles qui sont le produit d’une activité commerciale, artisanale, libérale ou artistique

1. Les gains et salaires

a. La nature des gains et salaires

Parce que l’article 1401 du Code civil vise expressément l’industrie des époux comme source d’acquêts, la nature des différentes rémunérations en argent susceptibles d’être perçues par les époux relevait, sous l’empire du droit antérieur, de l’évidence : il s’agit de biens communs.

La raison en est que la rémunération, sous la forme de gains et salaires, n’est autre que la contrepartie financière à la fourniture d’un travail.

Or dans l’esprit du législateur en 1804, s’il est des biens qui devaient nécessairement tomber en communauté, ce sont les produits du travail, quelle que soit leur forme, car constituant la principale, sinon l’unique, source de subsistance et de richesse du foyer conjugal.

Pour cette raison, leur nature d’acquêt n’a jamais été discutée, ni par la doctrine, ni par la jurisprudence, à tout le moins jusqu’à l’adoption de la loi n°65-570 du 13 juillet 1965 portant réforme des régimes matrimoniaux.

En effet, animé par la volonté d’instaurer une égalité dans les rapports conjugaux, le législateur a, par ce texte, conféré à chaque époux – pratiquement à la femme mariée – le droit de percevoir et disposer librement de ses gains et salaires.

C’était autrement dit leur reconnaître un pouvoir de gestion exclusive sur la rémunération de leur travail.

D’aucuns en ont tiré la conséquence que, tant que les gains et salaires n’étaient pas investis, ils appartiennent en propre à l’époux qui les perçoit, puisque échappant au principe de gestion conjointe des biens communs.

Cette thèse défendue par une frange de la doctrine a provoqué un débat doctrinal qui s’est, par suite, déporté sur le terrain judiciaire. Dans le silence des textes, c’est à la jurisprudence qu’est revenue la tâche de trancher.

i. Enjeux de la qualification

L’enjeu de la qualification des gains et salaires n’est pas que théorique ; il présente un réel intérêt pratique.

L’enjeu est ici de déterminer si, au moment de la liquidation du régime matrimonial, les gains et salaires ont vocation à être partagés par moitié entre les époux et, le cas échéant, si leur utilisation par un époux à des fins exclusivement personnels (financement de l’acquisition ou de l’amélioration d’un bien propre), ouvre droit à récompense au profit de la communauté.

L’enjeu ne doit toutefois pas être surestimé. Il peut, en effet, être observé que si l’on se place sur le terrain des pouvoirs dont sont investis les époux mariés sous le régime légal, il est indifférent que les gains et salaires soient regardés comme des biens communs ou des biens propres.

Dans les deux cas, ils sont soumis au principe de gestion exclusive :

  • S’ils sont qualifiés de biens communs, il y a lieu de se reporter à l’article 223 du Code civil qui pose le principe de libre perception et de disposition des gains et salaires
  • S’ils sont qualifiés de biens propres, il convient de se reporter à l’article 1428 du Code civil qui prévoit que « chaque époux a l’administration et la jouissance de ses propres et peut en disposer librement. »

De la même manière, la qualification des gains et salaires est sans incidence sur leur exclusion du gage des créanciers en cas de dette commune née du chef d’un seul époux.

Quel que soit l’objet de la dette contractée par l’époux débiteur, dès lors qu’elle présente un caractère commun, elle ne sera jamais exécutoire sur les gains et salaires de son conjoint.

Cette exclusion est expressément prévue par l’article 1414 du Code civil pour les dettes communes et par l’article 1415 pour les dettes d’emprunt et de cautionnement.

À l’analyse, l’enjeu ne sera pas ici de savoir si les gains et salaires tombent en communauté, mais de déterminer si, une fois perçus, ils conservent leur statut particulier ou si, lorsqu’ils sont inscrits sur un compte bancaire ils se transforment en acquêts ordinaires.

Tandis que dans le premier cas ils pourront être saisis au titre d’une dette d’emprunt ou de cautionnement, dans le second cas ils échapperont au droit de poursuite du créancier saisissant.

Au bilan, la qualification des gains et salaires présente un enjeu au seul stade de la dissolution du régime.

L’intérêt du débat n’en est pas moins considérable. Ainsi que le relève Isabelle Dauriac « c’est la réalisation même de l’objectif communautaire du régime légal qui en dépend » [2].

ii. Controverse doctrinale

La question de la nature des gains et salaires s’est posée après l’adoption de la loi n°65-570 du 13 juillet 1965 portant réforme des régimes matrimoniaux.

En substance, deux thèses se sont affrontées : d’un côté la thèse faisant des gains et salaires des biens propres et d’un autre côté la thèse défendant leur caractère commun.

  • S’agissant de la thèse faisant des gains et salaires des biens propres
    • Cette thèse était défendue par une partie minoritaire de la doctrine[3].
    • Elle reposait, en substance, sur deux arguments principaux
      • Premier argument
        • L’argument majeur avancé pour défendre la qualification de propres des gains et salaires était tiré de l’ancien article 224 du Code civil (devenu 223).
        • Pour mémoire, cette disposition prévoit notamment que les époux peuvent disposer librement de leurs gains et salaires.
        • Or le droit de disposer d’un bien n’est autre que l’un des attributs du droit de propriété, en l’occurrence l’abusus qui, de surcroît, est l’expression du droit de propriété la plus extrême, car il emporte le droit d’aliéner le droit de propriété ; raison pour laquelle l’usufruitier en est privé.
        • Si donc les époux sont titulaires du droit de disposer de leurs gains et salaires, c’est parce qu’il s’agit de biens propres.
      • Second argument
        • Le second argument soutenu par les auteurs consistait à adopter une approche restrictive de la notion d’acquêt.
        • Il ressort d’une lecture littérale de l’article 1401 du Code civil que seuls les biens ayant fait l’objet d’une acquisition à titre onéreux endosseraient la qualification d’acquêt.
        • On pourrait alors en déduire que, bien que provenant de l’industrie personnelle des époux, les gains et salaires demeurent des biens propres tant qu’ils ne sont pas employés à l’acquisition d’un bien nouveau.
  • S’agissant de la thèse faisant des gains et salaires des biens communs
    • Cette thèse a été adoptée par la doctrine majoritaire qui, pour refuser la qualification de biens propres aux gains et salaires, a retourné les arguments avancés par la thèse adverse
      • Premier argument
        • Bien que l’ancien article 224 du Code civil (devenu 223) confère aux époux le droit de percevoir et de disposer librement de leurs gains et salaires, il s’agit là d’une règle, non pas de propriété, mais de pouvoirs.
        • Autrement dit, elle ne préjuge en rien de la qualification des gains et salaires.
        • La règle énoncée se limite à régir les prérogatives dont sont investis les époux sur les rémunérations qu’ils perçoivent au titre de leurs activités professionnelles respectives.
        • L’objectif recherché par le législateur est ici d’assurer l’indépendance professionnelle des époux et non d’instaurer une règle de répartition de l’actif.
        • À cet égard, si tel avait été son intention il n’aurait pas logé cette règle dans une disposition qui relève du régime primaire impératif.
        • Le régime primaire n’a, en effet, pas vocation à traiter la qualification des biens appartenant aux époux, celle-ci étant susceptible de diverger d’un régime à l’autre.
        • Or le régime primaire s’applique à tous les époux quel que soit le régime matrimonial pour lequel ils ont opté.
      • Deuxième argument
        • Contrairement à ce qui est soutenu par les auteurs qui qualifient les gains et salaires de biens propres, il n’est pas nécessaire, pour qu’un bien endosse la qualification d’un bien commun, qu’il soit le produit d’une opération d’acquisition.
        • L’article 1401 du Code civil prévoit seulement que le bien doit provenir, notamment, de l’industrie personnelle des époux.
        • Or par hypothèse, c’est bien de leur industrie que proviennent les gains et salaires des époux.
        • La rémunération n’est autre que la contrepartie financière à un travail fourni.
        • À cet égard, il peut être observé que la loi n°65-570 du 13 juillet 1965 a repris, à un mot près, l’ancien article 1498, al. 2e du Code civil qui déterminait le périmètre des acquêts lorsque le régime de la communauté réduite aux acquêts n’avait pas encore été élevé au rang de régime légal.
        • La règle telle que formulée par les rédacteurs du Code civil a seulement été transférée à l’article 1401 du Code civil.
        • Or à cette époque, ainsi que le relèvent des auteurs « on sait que l’acquêt du Code civil s’entendait en un sens très large».
        • En somme la notion recouvrait tout ce que les « époux gagnent par leur travail, leur activité et leur esprit d’épargne»[4].
        • Les acquêts ne se limitaient donc pas aux biens acquis à titre onéreux.
        • Ils comprenaient également tous les revenus perçus par les époux.
        • Ces revenus pouvaient provenir, tant de leurs biens propres, que de leur industrie personnelle.
        • Cette conception – large – de la notion d’acquêt s’expliquait, comme vu précédemment, notamment par l’attribution de l’usufruit des biens propres à la communauté.
        • Mais, la loi du 13 juillet 1965 a supprimé cette règle ; d’où l’incertitude créée sur le périmètre de la notion d’acquêt.
        • Il n’en reste pas moins que le législateur n’a pas souhaité le modifier.
        • Les travaux préparatoires révèlent d’ailleurs qu’un amendement qui visait à faire des économies de gains et salaires a été rejeté.
        • C’est là un indice qui confirme le maintien du périmètre des biens communs tel qu’envisagé en 1804.
      • Troisième argument
        • L’instauration d’une communauté dans un régime matrimonial ne se conçoit que si les époux entendent mettre en commun le produit de leur travail.
        • C’est là leur principale source de richesse, sinon la seule.
        • Aussi, exclure les gains et salaires de la masse commune reviendrait à vider de son intérêt la communauté.
        • Pour que la communauté puisse réaliser l’union des intérêts pécuniaires des époux, encore faut-il qu’elle soit alimentée en valeur.
        • Or si elle ne recueille qu’une part résiduelle des biens acquis par les époux, l’objectif qui lui est assigné ne saurait être atteint.
        • Pour cette raison, les gains et salaires perçus par les époux ne peuvent constituer que des biens communs.

Au bilan, les arguments avancés par les auteurs défendant le caractère propre des gains et salaires n’emportent pas la conviction.

Au fond, l’argument décisif est, selon nous, que le législateur a, en 1965, élevé le régime de la communauté réduite aux acquêts au rang de régime légal sans en modifier l’élément central : la notion d’acquêt.

C’est là la preuve que le législateur a entendu maintenir ce régime tel que façonné et pensé en 1804.

Au surplus, instituer en régime légal un régime communautaire n’est pas neutre. La démarche témoigne d’une volonté de faire de la mise en commun des biens le modèle s’appliquant au plus grand nombre.

Or pour que cette démarche ait un sens, cela suppose que la masse commune soit alimentée par le plus petit dénominateur commun des richesses captées par les époux au cours du mariage : les produits de leur travail sous toutes leurs formes, dont les rémunérations en argent que sont les gains et salaires.

iii. Position de la jurisprudence

Peu de temps après l’adoption de la loi du 13 juillet 1965, la question de la qualification des gains et salaires n’a pas manqué d’être soulevée dans les prétoires.

Par un jugement rendu en date du 17 juin 1969, le Tribunal de grande de Bordeaux s’est prononcé en faveur de la qualification de biens communs (TGI Bordeaux, 17 juin 1969).

Cette décision a été confirmée dans un arrêt rendu le 5 janvier 1971 par la Cour d’appel de Bordeaux qui, après avoir rappelé que sous l’empire de l’article 1498 reproduit par l’article 1401 nouveau, les produits du travail étaient communs dès l’origine, a jugé que « l’article 224, al. 2er [devenu 223] ne permet pas d’inférer la faculté offerte aux époux de disposer librement de ses gains et salaires après s’être acquitté des charges du mariage, le caractère propre de ceux-ci » (CA Bordeaux, 5 janv. 1971).

Bien que cette affaire n’ait pas été déférée devant la Cour de cassation elle a, par suite, eu l’occasion d’exprimer sa position.

Dans un arrêt du 8 février 1978, elle la Première chambre civile a notamment affirmé, au visa de l’article 1401 du Code civil que « les produits de l’industrie personnelle des époux font partie de la communauté » (Cass. 1ère civ. 8 févr. 1978, n°75-15731).

Ainsi, pour la Cour de cassation, les gains et salaires perçus par les époux constituent des biens communs.

Cette solution a été reconduite ultérieurement à plusieurs reprises, notamment dans un arrêt rendu le 31 mars 1992 aux termes duquel elle valide la décision de la Cour d’appel qui avait retenu le caractère de biens communs des salaires perçus par un époux (Cass. 1ère civ. 31 mars 1992, n°90-16343).

Désormais, la nature des gains et salaires ne soulève plus aucune difficulté. Il est unanimement admis qu’ils tombent en communauté, y compris avant même qu’ils ne soient perçus (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 27 mai 2010, n°09-11894).

Cette position adoptée par la jurisprudence au début des années 1970 a été renforcée par la loi du 23 décembre 1985 relative à l’égalité des époux et ses conséquences en matière de sociétés.

L’article 1411, al. 1er du Code civil dispose par exemple, dans sa nouvelle rédaction, que les créanciers de l’un ou de l’autre époux au titre de ses dettes personnelles « ne peuvent poursuivre leur paiement que sur les biens propres et les revenus de leur débiteur. »

Si le législateur avait voulu faire des gains et salaires des biens propres, pourquoi les viser séparément dans le texte.

L’adjonction ne se justifie que si l’on appréhende les revenus des époux comme des biens communs, ce qui a été fait par le législateur.

Un autre exemple peut être tiré de la lettre de l’article 1414 du Code civil qui prévoit que « les gains et salaires d’un époux ne peuvent être saisis par les créanciers de son conjoint que si l’obligation a été contractée pour l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants, conformément à l’article 220. »

Là encore l’énoncé de cette règle eut été parfaitement inutile si les revenus perçus par les époux étaient des biens propres, l’article 1418 prévoyant déjà que « lorsqu’une dette est entrée en communauté du chef d’un seul des époux, elle ne peut être poursuivie sur les biens propres de l’autre ».

b. Le domaine des gains et salaires

Une fois la nature des gains et salaires identifiée, qui donc endossent la qualification de biens communs, encore faut-il déterminer ce que l’on doit entendre par gains et salaires.

Que recouvre cette notion énoncée à l’article 223 du civil ? Toutes les rémunérations perçues par les époux sont-elles visées ?

À l’analyse, si l’on se reporte à l’article 1401 du Code civil, seules celles qui proviennent de l’industrie personnelle des époux, relèvent du domaine des gains et salaires.

Autrement dit, la rémunération perçue doit nécessairement avoir pour cause la fourniture d’un travail et plus généralement l’exercice d’une activité professionnelle.

Classiquement on distingue deux catégories de rémunérations qui sont comprises dans le périmètre des gains et salaires :

  • Les rémunérations du travail
  • Les substituts de rémunérations du travail

i. Les rémunérations du travail

Pour qu’une rémunération relève de la catégorie des gains et salaires, elle doit provenir de la fourniture d’un travail. Quant à sa forme, elle est indifférente.

==> La provenance de la rémunération

Dès lors qu’une rémunération provient de l’industrie personnelle d’un époux, elle a vocation à tomber en communauté.

À cet égard, le choix de la formule « gains et salaires » n’est pas neutre. En visant spécifiquement les gains et les salaires, le législateur a entendu couvrir les rémunérations perçues au titre, tant de l’exercice d’une activité subordonnée, que d’une activité indépendante.

  • Un salaire
    • Le salaire consiste en une rémunération perçue au titre de l’exercice d’une activité subordonnée.
    • Contrairement à ce que suggère, en première intention, le terme salaire, n’est pas seulement visée la rémunération versée à un salarié dans le cadre de l’exécution d’un contrat de travail.
    • La notion de salaire doit être entendue dans un sens bien plus large.
    • Aussi, relèvent également de cette catégorie le traitement perçu par un fonctionnaire, la solde touchée par un militaire ou encore le cachet réglé à un artiste.
  • Un gain
    • Parce que la perception d’une rémunération peut intervenir dans le cadre de l’exercice d’une activité indépendante, le législateur a adjoint au terme salaire la notion de gain.
    • Le gain consiste, en substance, en la rémunération qu’un travailleur indépendant retire de son activité.
    • La notion de gain recouvre de très nombreuses variétés de rémunération.
    • Il peut, en effet, s’agir d’honoraires, d’émoluments, de bénéfices commerciaux ou non commerciaux, de commissions, de redevances ou encore de droits d’auteur.

S’agissant du travail donnant lieu à la perception d’un salaire ou d’un gain, il est indifférent qu’il soit fourni à titre occasionnel (travail saisonnier) ou à titre habituel (travail salarié).

La Cour de cassation a été jusqu’à admettre dans un arrêt du 30 juin 1992 que le travail pouvait avoir été fourni à titre exceptionnel (Cass. 1ère 30 juin 1992, n°90-18407). Au cas particulier, il s’agissait d’une gratification exceptionnelle versée par un employeur à son salarié.

Ce qui importe, nous dit la Première chambre civile, c’est que la rémunération soit perçue dans le cadre de l’exercice d’une activité professionnelle.

==> La forme de la rémunération

Dès lors qu’il est établi que la rémunération perçue par un époux provient de son industrie personnelle, la forme de cette rémunération est indifférente.

Il peut s’agir, tant d’une rémunération en argent, ce qui est la situation la plus courante, que d’une rémunération en nature, telle que l’octroi d’un véhicule de fonction ou la mise à disposition d’un logement.

Si ces situations ne soulèvent aucune difficulté de qualification, il est des cas où le doute existe en raison de la spécificité de la rémunération.

  • La rémunération sous forme de valeurs mobilières
    • À titre de rémunération complémentaire les dirigeants d’une entreprise ainsi que ses salariés peuvent se voir attribuer des valeurs mobilières.
    • Cette rémunération peut prendre deux formes
      • L’épargne salariale
        • L’article L. 3332-1 du Code du travail autorise les personnes morales à mettre en place un plan d’épargne d’entreprise.
        • Il s’agit d’un système d’épargne collectif ouvrant aux salariés de l’entreprise la faculté de participer, avec l’aide de celle-ci, à la constitution d’un portefeuille de valeurs mobilières.
        • À cet égard, il est admis que sommes inscrites en compte au titre de l’épargne salariale (intéressement et participation) tombent en communauté (V. en ce sens 1ère civ. 23 mai 2006, n°05-11512)
      • Les stock-options
        • S’agissant des stock-options, leur qualification a fait l’objet d’un débat. Pour rappel, il s’agit d’options de souscription d’actions consentie par une société à ses dirigeants ou à certains salariés dont la durée de validité et le prix sont déterminés au moment de leur attribution.
        • Lorsque l’option est exercée avant ou pendant le mariage, la qualification de la stock-option ne soulèvera pas de difficulté. Il y a lieu d’appliquer les critères de qualification de n’importe quel bien. Il s’agira d’un bien propre si l’option est levée avant le mariage et d’un bien commun si l’option est levée postérieurement à la célébration de l’union conjugale.
        • Plus délicate est revanche l’hypothèse où la stock-option est attribuée à un époux pendant le mariage et que l’option est levée après la dissolution du régime matrimoniale.
        • Certains auteurs ont soutenu que, dans la mesure où les stock-options étaient attribuées à l’époux en considération de sa personne, il convenait de les traiter comme des biens propres en application de l’article 1404 du Code civil.
        • Pour mémoire, cette disposition prévoit que « forment des propres par leur nature, quand même ils auraient été acquis pendant le mariage […] tous les biens qui ont un caractère personnel et tous les droits exclusivement attachés à la personne. »
        • D’autres auteurs ont avancé qu’il y avait lieu d’opérer une qualification distributive en distinguant le titre et la finance.
        • Autrement dit, tandis que l’instrument financier, support de l’option de souscription d’actions, serait propre car strictement attaché à la personne de l’époux attributaire, la valeur de cet instrument serait en revanche commune, au même titre que n’importe quelle rémunération.
        • Finalement, dans un arrêt du 9 juillet 2014, la Cour de cassation a opté pour la première thèse, soit pour la qualification de bien propre ( 1ère civ. 9 juill. 2014, n°13-15948).
        • Aux termes de cette décision, elle a, en effet, jugé, au visa des articles 1401 et 1404 du Code civil que « selon ces textes, si les droits résultant de l’attribution, pendant le mariage à un époux commun en biens, d’une option de souscription ou d’achat d’actions forment des propres par nature, les actions acquises par l’exercice de ces droits entrent dans la communauté lorsque l’option est levée durant le mariage».
        • Ainsi donc, lorsque l’option est levée postérieurement à la dissolution du mariage, la stock-option endosse la qualification de bien propre.
  • La rémunération perçue au titre de l’exploitation d’un bien propre
    • Il est des cas où un époux tirera sa rémunération de l’exploitation d’un bien propre.
    • Il pourra s’agir d’un fonds de commerce, artisanal ou libéral, d’une exploitation agricole ou encore d’un office ministériel (notaire, huissier) lesquels auront été acquis avant la célébration de l’union matrimoniale ou, à titre gratuit pendant le mariage.
    • Dans ces hypothèses quel traitement réserver à la rémunération perçue par l’époux ?
    • Cette rémunération constitue, tout à la fois, le revenu d’un bien propre et un gain professionnel.
    • Dans le silence des textes, qui n’envisagent pas ce cas de figure, il y a lieu de se tourner de la jurisprudence.
    • Dans un arrêt du 4 janvier 1995, la Cour de cassation a jugé que les revenus tirés d’une exploitation agricole tombaient en communauté en leur qualité de revenus de propres ( 1ère civ. 4 janv. 1995, n°92-20013).
    • Dans un arrêt du 16 mai 2000, la première chambre civile semble finalement être revenue sur sa position en assimilant les revenus d’une exploitation agricole à des gains professionnels (V. en ce sens 1ère civ. 16 mai 2000, n°97.18612).
    • En tout état de cause, que la rémunération perçue au titre de l’exploitation d’un bien propre, soit qualifiée de revenu de propre ou de gain professionnel, dans les deux cas elle a vocation à tomber en communauté.
  • La rémunération perçue au titre d’un apport en industrie
    • Lorsqu’un époux est associé dans une société il peut être titulaire de parts en industrie.
    • Pour mémoire, cette catégorie de parts est attribuée en contrepartie de ce que l’on appelle un apport en industrie.
    • En substance, l’apport en industrie consiste pour un associé à mettre à disposition de la société, sa force de travail, ses compétences, son expérience, son savoir-faire ou encore son influence.
    • La spécificité de cet apport est que, s’il ne donne pas droit à des parts de capital, il ouvre néanmoins droit à participer aux bénéfices.
    • Aussi, l’apporteur percevra-t-il une rémunération en contrepartie de son travail.
    • Cette rémunération sociale relève-t-elle du domaine des gains et salaires ? On en légitimement en droit de s’interroger.
    • À l’analyse, très tôt la jurisprudence a admis que la rémunération perçue au titre d’un apport en industrie était constitutive d’un gain professionnel (V. en ce sens req. 3 nov. 1941).
    • À cet égard, il peut être observé que, si sous l’empire du droit antérieur à la loi n°2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques, les parts en industries ne pouvaient être émises que dans les sociétés de personnes, les apports en industrie sont désormais autorisés dans toutes les sociétés à l’exception des sociétés anonymes.

ii. Les substituts de rémunération du travail

La catégorie des gains et salaires ne se limite pas aux rémunérations perçues au titre de la fourniture d’un travail, elle comprend plus largement toutes les rémunérations qui ont pour cause l’exercice d’une activité professionnelle.

Aussi, sont assimilés aux gains et salaires ce que l’on appelle les substituts de rémunération du travail. Il s’agit de toutes les indemnités qui visent à remplacer la rémunération du travail.

Ces indemnités sont de deux ordres : Elles sont susceptibles d’être versées au titre de l’interruption de l’activité professionnelle ou au titre de sa cessation.

  • Les indemnités versées au titre de l’interruption de l’activité professionnelle
    • Sont ici concernées les indemnités versées consécutivement à une maladie ou à un accident.
    • À l’analyse, Il y a lieu ici de distinguer selon que l’indemnité vise à réparer un dommage corporel (physique ou psychique) ou à compenser une perte de revenus.
      • L’indemnité vise à compenser une perte de revenus consécutive à une maladie ou à un accident
        • Dans cette hypothèse, l’indemnité est constitutive d’un bien propre en application de l’article 1404 du Code civil.
        • Dans un arrêt du 17 novembre 2010, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « le capital versé au bénéficiaire au titre d’un contrat d’assurance garantissant le risque invalidité a, réparant une atteinte à l’intégrité physique, un caractère personnel de sorte qu’il constitue un bien propre par nature» ( 1ère civ. 17 nov. 2010, n°09-72316)
      • L’indemnité vise à compenser une perte de revenus
        • Dans cette hypothèse, après avoir hésité, la jurisprudence considère que l’indemnité perçue tombe en communauté.
        • La Cour de cassation a statué en ce sens dans un arrêt du 23 octobre 1990 en jugeant que la somme versée au titre de l’incapacité temporaire totale de travail, dès lors qu’elle est destinée à compenser la perte de revenus, « cette somme tombe en communauté comme les salaires qui auraient dû être perçus et dont elle constitue un substitut» ( 1ère civ. 23 oct. 1990, n°89.14448).
        • Cette solution a été réaffirmée à plusieurs reprises, notamment dans un arrêt rendu le 29 juin 2011 ( 1ère civ. 29 juin 2011, n°10-23373).
        • Elle a par ailleurs été transposée au cas de perception d’une indemnité d’assurance emprunteur.
        • La Cour de cassation a, en effet, jugé que les indemnités versées par l’assureur ont pour objet, « non de réparer un dommage affectant la personne du souscripteur, mais de compenser la perte de revenus consécutive au licenciement de celui-ci»
        • Elle en déduit que ces indemnités tombent en communauté ( 1ère civ. 3 févr. 2010, n°08-21054).
  • Les indemnités versées au titre de la cessation de l’activité professionnelle
    • L’indemnité de licenciement
      • Cette indemnité est versée au salarié en cas de rupture du contrat de travail par l’employeur.
      • Aussi, vise-t-elle à réparer le préjudice causé par la perte d’emploi.
      • Dans un arrêt du 5 novembre 1991, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que l’indemnité de licenciement versée à un salarié a pour objet de réparer le préjudice résultant de la perte de son emploi, et non un dommage affectant uniquement sa personne,
      • Dans ces conditions, elle a vocation à tomber en communauté ( 1ère civ. 5 nov. 1991, n°90-13479).
      • Les auteurs s’accordent à dire qu’il est indifférent que l’indemnité de licenciement soit contractuelle ou judiciaire.
      • Il en va de même de l’indemnité transactionnelle versée en contrepartie d’une démission du salarié.
      • La solution est désormais bien établie en jurisprudence (V. en ce sens 1ère civ. 28 nov. 2006, n°04-17147).
      • À cet égard, il peut être observé que, en cas de versement de l’indemnité postérieurement à la dissolution de la communauté, la date qui doit être prise en compte pour déterminer si cette indemnité tombe en communauté c’est la date de notification du licenciement.
      • Si la notification intervient après la dissolution du mariage, l’indemnité de licenciement sera constitutive d’un bien propre.
    • L’indemnité de révocation du dirigeant
      • Par analogie avec la solution retenue en matière d’indemnité de licenciement, l’indemnité versée à un dirigeant au titre de sa révocation est un bien commun (V. en ce sens 1ère civ. 5 mars 2008, n°07-14729).
    • L’indemnité de reconstitution de carrière
      • Cette indemnité est versée à un fonctionnaire qui a fait l’objet d’une éviction illégale.
      • Aussi, s’agit-il de lui verser les traitements qu’ils auraient dû percevoir s’il n’avait pas été révoqué, ce qui implique une reconstitution de sa carrière.
      • Dans un arrêt du 15 février 1965, la Cour de cassation a jugé que, dans la mesure où l’indemnité versée visait à compenser une perte de revenus, elle tombait en communauté ( 1ère civ. 15 févr. 1965, n°62-13254).
    • L’indemnité de non-concurrence
      • Cette indemnité est versée à un salarié en contrepartie de son engagement de ne pas exercer une activité professionnelle concurrente à celle de l’entreprise qu’il quitte.
      • Il est admis qu’elle vise à compenser les revenus que le débiteur de la clause de non-concurrence se prive de percevoir conformément aux termes de son engagement.
      • Aussi, constitue-t-elle un bien commun ( soc. 26 mars 1984).
    • L’indemnité de départ en retraite
      • Cette indemnité qui est versée sous forme de capital au jour du départ en retraite d’un salarié est un bien commun ( 1ère civ. 31 mars 1992, n°90-16343).
      • Elle ne tombera toutefois en communauté qu’à la condition qu’elle soit exigible avant la dissolution du mariage.
      • La Cour de cassation a statué en ce sens dans un arrêt du 29 juin 2011 en jugeant, s’agissant du versement d’un pécule d’incitation au départ anticipé dont l’octroi est notamment subordonné à certaines conditions de durée de services et dont le versement trouve dès lors sa cause dans l’activité professionnelle exercée au cours du mariage, qu’il entrait en communauté à compter de la décision d’octroi ( 1ère civ. 29 juin 2011, n°10-20322).

2. Les biens créés

Les gains et salaires ne sont pas les seuls biens qui proviennent de l’industrie personnelle des époux à tomber en communauté. Subissent le même sort les biens directement créés par les époux, mais encore les plus-values apportées à un bien.

Encore faut-il que l’acte de création intervienne pendant le mariage et que le bien créé ne présente pas un caractère trop personnel.

Ces deux exigences ne sont pas sans soulever des difficultés juridiques pour certains biens. Nous envisagerons ici le statut des créations les plus courantes.

a. Les créations intellectuelles

L’activité d’un époux peut consister à produire des créations intellectuelles au nombre desquelles figurent notamment :

  • Les œuvres de l’esprit (tableaux, films, morceau de musique, pièce de théâtre, romans etc.)
  • Les inventions qui peuvent donner lieu à l’octroi d’un brevet
  • Les signes distinctifs qui permettent d’identifier une enseigne commerciale et qui peuvent être déposés en tant que marque
  • Le savoir-faire, telle qu’une recette de cuisine ou une méthode de fabrication
  • Les logiciels informatiques
  • Les bases de données
  • Les idées

Il convient d’observer que si, toutes les créations intellectuelles sont des choses incorporelles, seulement certaines relèvent de la catégorie des biens.

La raison en est que les choses incorporelles ne peuvent faire l’objet d’un droit de propriété, qu’à la condition que ce droit soit reconnu par un texte spécifique.

Aussi, les créations dont l’appropriation n’est protégée par aucun texte n’ont, par hypothèse, pas vocation à tomber en communauté.

Seules celles qui confèrent à leur créateur un droit de propriété sont donc concernées par la qualification d’acquêt.

En schématisant en distingue les créations protégées par le droit de la propriété littéraire et artistique et les créations protégées par le droit de la propriété industrielle.

i. Les créations protégées par le droit de la propriété littéraire et artistique

Les créations protégées par le droit de la propriété littéraire et artistique sont celles qui répondent au critère d’originalité.

Par originalité, il faut entendre, selon la définition désormais consacrée, « l’empreinte de la personnalité de l’auteur sur son œuvre » (CA Paris, 1re ch., 1er avril 1957).

À cet égard, originalité ne signifie pas nécessairement esthétisme, contrairement à ce qui a pu être soutenu par certaines auteurs[5].

L’article L 112-1 du Code de la propriété intellectuelle prévoit en ce sens que le droit de la propriété littéraire et artistique protège « les droits des auteurs sur toutes les œuvres de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination ».

Il est ainsi admis que les logiciels bénéficient de la protection du droit d’auteur. Ils figurent d’ailleurs dans la liste des œuvres de l’esprit dressée par l’article L. 112-2 du CPI).

Quoi qu’il en soit, dès lors que la condition d’originalité est remplie, l’œuvre est constitutive d’un bien susceptible d’exploitation économique.

À cet égard, l’œuvre est source de valeur en ce que :

  • D’une part, elle est l’objet de droits patrimoniaux et moraux
  • D’autre part, est susceptible de procurer à l’auteur des revenus d’exploitation
  • Enfin, elle peut être exploitée en tant que chose corporelle

==> L’œuvre comme objet de droits moraux et patrimoniaux

Le Code de la propriété intellectuelle confère à l’auteur sur son œuvre deux catégories de droits :

  • Les droits patrimoniaux qui comprennent notamment le droit de représentation et le droit de reproduction de l’œuvre
  • Les droits moraux qui comprennent le droit de paternité, le droit de divulgation ou encore le droit au respect de l’œuvre

Tandis que les premiers sont librement cessibles et peuvent donc faire l’objet d’une exploitation commerciale, les seconds sont inaliénables à telle enseigne qu’ils sont regardés comme des droits personnels.

En raison de la nature hybride de l’œuvre de l’esprit qui, tout à la fois, est un bien économique et une chose hors du commerce, la question s’est rapidement posée de savoir si elle tombait en communauté ou si elle était constitutive d’un bien propre.

Pour le déterminer, il y a lieu d’envisager successivement la qualification des droits moraux et des droits patrimoniaux.

  • S’agissant des droits moraux
    • C’est la loi qui définit le statut du droit moral de l’auteur quel que soit le régime matrimonial auquel il est soumis.
    • L’article L. 121-9 du Code de la propriété intellectuelle prévoit que « sous tous les régimes matrimoniaux et à peine de nullité de toutes clauses contraires portées au contrat de mariage, le droit de divulguer l’œuvre, de fixer les conditions de son exploitation et d’en défendre l’intégrité reste propre à l’époux auteur ou à celui des époux à qui de tels droits ont été transmis. »
    • Il s’infère donc de cette disposition que les droits moraux dont est titulaire l’auteur d’une œuvre sont propres.
    • En aucune manière, ils ne sauraient donc tomber en communauté.
    • Le texte précise d’ailleurs que le droit moral « ne peut être apporté en dot, ni acquis par la communauté ou par une société d’acquêts ».
    • Il s’agit là d’une disposition d’ordre public à laquelle il ne peut être dérogé par convention contraire, y compris par voie de contrat de mariage.
  • S’agissant des droits patrimoniaux
    • À la différence des droits moraux qui ne soulèvent pas de difficulté de qualification en raison de leur nature, tel n’est pas le cas des droits patrimoniaux.
    • Ces droits se rapportent certes à une création qui entretient un lien très étroit avec la personne de l’auteur, ils n’en demeurent pas moins susceptibles de faire l’objet d’une exploitation économique et donc d’être sources de valeur.
    • Cette valeur doit-elle profiter à la communauté ou revient-elle exclusivement à l’auteur ?
    • Sous l’empire du droit antérieur, la Cour de cassation a jugé dans un célèbre arrêt Lecoq que les droits patrimoniaux constituaient des biens communs ( civ. 25 juin 1902).
    • Aussi, tandis que les droits moraux restaient propres à l’auteur, les droits patrimoniaux tombaient en communauté.
    • Cette distinction opérée par la jurisprudence a finalement été abandonnée par le législateur en raison des nombreuses difficultés pratiques qu’elle engendrait.
    • Plus précisément la loi du 11 mars 1957 a aligné la qualification des droits patrimoniaux sur celle des droits moraux : tous sont des biens communs.
    • La règle est désormais énoncée à l’article L. 121-9.
    • S’agissant spécifiquement des droits patrimoniaux, elle prévoit que le droit de fixer les conditions d’exploitation de l’œuvre reste propre à l’époux auteur ou à celui des époux à qui de tels droits ont été transmis.

Si donc les droits patrimoniaux et moraux dont est titulaire l’auteur sur son œuvre sont des biens propres, tel n’est, en revanche, pas le cas pour revenus générés par l’exploitation de l’œuvre.

==> L’œuvre comme source de revenus d’exploitation

L’article L. 121-9, al. 2e du CPI prévoit que « les produits pécuniaires provenant de l’exploitation d’une œuvre de l’esprit ou de la cession totale ou partielle du droit d’exploitation sont soumis au droit commun des régimes matrimoniaux »

Il ressort de cette disposition que les gains perçus par l’auteur au titre de l’exploitation de son œuvre ont vocation à tomber en communauté.

Cette solution se justifie en ce que ces gains s’apparentent à des acquêts au sens de l’article 1401 du Code civil.

Le principe général posé par ce texte est que toute rémunération perçue par un époux au titre de l’exercice de son activité professionnelle au cours du mariage, peu importe que cette activité soit subordonnée ou indépendante, est constitutive d’un bien commun.

Dans ces conditions, il n’y a pas lieu de réserver un traitement particulier pour les redevances versées à un auteur en contrepartie du travail de création intellectuelle fourni.

Reste que deux questions se posent : quid de la qualification des revenus perçus par l’auteur lorsque l’œuvre a été créée avant la célébration du mariage et quid lorsque les revenus sont versés à l’auteur postérieurement à la dissolution du mariage.

  • L’œuvre a été créée avant la célébration du mariage
    • De l’avis unanime de la doctrine, dans cette hypothèse, les revenus perçus par l’auteur au titre de l’exploitation de son œuvre sont des revenus de biens propres.
    • Si, en revanche, l’œuvre a été créée postérieurement à la célébration du mariage, les redevances versées à l’auteur s’apparentent à des gains et salaires.
    • En toute hypothèse, ces redevances tombent en communauté, dès lors qu’elles sont perçues au cours du mariage.
  • Les revenus d’exploitation de l’œuvre sont perçus postérieurement à la dissolution du mariage
    • Dans cette hypothèse, ils échappent à la qualification de biens communs.
    • L’article L. 121-9, al. 2e du Code civil prévoit en ce sens que « Les produits pécuniaires provenant de l’exploitation d’une oeuvre de l’esprit ou de la cession totale ou partielle du droit d’exploitation sont soumis au droit commun des régimes matrimoniaux, uniquement lorsqu’ils ont été acquis pendant le mariage ; il en est de même des économies réalisées de ces chefs.»
    • À cet égard, la Cour de cassation a fait application de cette règle dans un arrêt du 18 octobre 1989 ( 1ère civ. 18 oct. 1989, n°88-13549).

==> L’œuvre comme chose corporelle susceptible d’exploitation

L’œuvre n’est pas seulement un objet de droits patrimoniaux et moraux pour son auteur, elle lui procure également les utilités d’une chose corporelle.

La jouissance d’un tableau, d’une sculpture ou encore d’un vase est un privilège est un attribut du droit de propriété dont on s’est demandé si, à l’instar des droits intellectuels, appartenait en propre à l’auteur ou s’il avait vocation à tomber en communauté.

Dans le silence des textes et notamment de la loi n°57-298 du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique dont est issu l’article L. 121-9 du Code de la propriété intellectuelle, c’est à la jurisprudence qu’est revenue la tâche de se prononcer.

À l’examen, il y a lieu de distinguer selon que l’œuvre a ou non été divulguée, étant précisé que la divulgation.

  • L’œuvre a été divulguée
    • Dans cette hypothèse, l’auteur a accompli un acte matériel par lequel il exprime, pour la première fois, sa volonté de mettre son œuvre à la disposition du public.
    • Dans un arrêt Bonnard du 4 décembre 1956, la Cour de cassation a jugé que l’œuvre, en tant que chose corporelle, était constitutive d’un bien commun.
    • Elle a apporté néanmoins une réserve au principe posé en précisant que « la mise en commun de ces biens a lieu sans qu’elle puisse porter atteinte au droit moral de l’auteur et spécialement la faculté de lui faire subir des modifications à la création, de l’achever, de le supprimer» ( civ. 4 déc. 1956).
    • Autrement dit, nonobstant le caractère commun du support matériel de l’œuvre, l’auteur conserve la faculté d’exercer les prérogatives dont il est titulaire au titre du droit moral. Il demeure notamment libre de modifier ou de détruire son œuvre.
  • L’œuvre n’a pas été divulguée
    • Dans cette hypothèse, l’œuvre n’a pas été communiquée au public.
    • Elle est donc encore très étroitement liée à la personne de l’auteur qui n’a pas exprimé la volonté de se déposséder pour partie de sa création.
    • Aussi, tant qu’aucun acte de divulgation n’est venu rompre le cordon ombilical qui relie l’œuvre à l’auteur, son support matériel devrait demeurer un bien propre en application de l’article 1404 du Code civil.
    • Telle n’est pourtant pas le raisonnement qui a été adopté par la Cour de cassation
    • Dans un arrêt Picabia du 4 juin 1971, elle a, en effet, jugé que quand bien même une œuvre n’a pas été divulguée au jour de la dissolution du mariage elle tombe en communauté, sauf à ce que, précise la première chambre civile, l’auteur ait exprimé la volonté de la modifier ou de la supprimer ( 1ère civ. 4 juin 1971, n°69-13874).

Si l’on s’en tient aux solutions retenues dans les arrêts Bonnard et Picabia, il serait donc indifférent que l’œuvre, en tant que chose corporelle, ait été divulguée : dans tous les cas elle constituerait un bien commun composant la masse partageable.

Reste que ces décisions ont été rendues dans le cadre d’affaires jugées sous l’empire du droit antérieur à la loi n°57-298 du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique et à la loi n° 65-570 du 13 juillet 1965 portant réforme des régimes matrimoniaux ce qui avait conduit une frange de la doctrine à minimiser leur portée.

Dans un arrêt du 12 mai 2011, la Cour de cassation a refroidi les ardeurs de certains auteurs en reconduisant la solution qu’elle avait adoptée près d’un quart de siècle plus tôt.

Dans cette décision elle considère que la cour d’appel qui a constaté que par son testament olographe, le défunt avait légué à sa fille le droit moral et le droit pécuniaire qui lui avaient été transmis par son père dont il était l’unique héritier, en déduit à bon droit, « conformément à la règle selon laquelle la propriété intellectuelle est indépendante de la propriété de l’objet matériel, que le support matériel des œuvres de ce dernier, qui lui était échu pendant son mariage à titre de succession, était entré en communauté, de sorte que les tableaux litigieux devaient, en tant que biens corporels, être portés à l’actif de la communauté, peu important qu’ils n’aient pas été divulgués » (Cass. 1ère civ. 12 mai 2011, n°10-15667).

Deux enseignements peuvent être retirés de cette décision :

  • Premier enseignement
    • Le support matériel d’une œuvre est exclu du champ d’application de l’article L. 121-9 du Code de la propriété intellectuelle qui fait des droits moraux et patrimoniaux des biens propres.
    • Aussi, le caractère propre des droits d’auteur est sans incidence sur la qualification du support matériel de l’œuvre qui lui est commun
  • Second enseignement
    • La Cour de cassation prend le soin de préciser que la qualification de l’œuvre, en tant que chose corporelle, ne dépend pas de sa divulgation.
    • Quand bien même l’œuvre n’a pas été divulguée, son support matériel tombe en communauté, sous réserve que l’auteur n’ait pas fait jouer son droit moral en exprimant sa volonté de modifier ou de détruire sa création.

ii. Les créations protégées par le droit de la propriété industrielle

À la différence des œuvres de l’esprit, la protection des créations immatérielles dites industrielles tient, non pas à leur originalité, mais à leur nouveauté qui doit se traduire par un acte formel de dépôt.

Au nombre de ces créations on compte notamment les brevets d’invention, les marques ou encore les dessins et modèles.

La question qui immédiatement se pose est de savoir si le régime qui s’applique aux œuvres de l’esprit est transposable aux créations protégées par le droit de la propriété industrielle.

À cette question il doit être répondu par la négative dans la mesure où les règles énoncées par l’article L. 121-9 du Code de la propriété intellectuelle relèvent du seul droit d’auteur.

Dans ces conditions, et en l’absence de texte spécifique, les créations industrielles sont soumises au droit commun des régimes matrimoniaux.

Aussi, parce qu’il s’agit de biens provenant de l’industrie personnelle des époux, elles ont vocation à tomber en communauté.

Encore faut-il néanmoins que le dépôt du brevet, de la marque, du dessin ou du modèle soit intervenu au cours du mariage. Dans le cas contraire, la création industrielle est un bien propre.

La raison en est que c’est la date du dépôt qui borne la naissance de la propriété industrielle. Avant cette date, la création ne jouit pas encore du statut de bien ; elle est une chose incorporelle non encore appropriée.

b. Le fonds de commerce

Selon la définition couramment admise, le fonds de commerce est un ensemble de d’éléments mobiliers corporels (matériel, marchandises, outils,) et incorporels (droit au bail, brevets, nom commercial) qui sont affectés à l’exploitation d’une activité commerciale.

Parce qu’un fonds de commerce est une universalité de fait, il constitue un bien qui se distingue des éléments qui le composent.

La question qui alors se pose est de savoir quelle est la qualification endossée par ce bien.

Lorsqu’un fonds de commerce a été créé au cours du mariage tombe-t-il en communauté ou appartient-il en propre à l’époux qui l’exploite ?

==> Principe

Très tôt, la jurisprudence a admis que le fonds de commerce créé au cours du mariage était un bien commun.

La raison en est que son existence procède d’un acte de création et plus précisément de la fourniture d’un travail de développement commercial. Or en application de l’article 1401 du Code civil tout bien qui provient de l’industrie personnelle des époux endosse la qualification de bien commun.

Le fonds de commerce n’échappe pas à la règle : il doit être inscrit à l’actif de la communauté, de sorte que, lors de la liquidation de la communauté, il devra faire l’objet d’un partage entre les époux.

Si l’énoncé de cette règle se conçoit bien, plus délicate est sa mise en œuvre. En effet, il est certaines situations susceptibles de soulever des difficultés.

Ces difficultés tiennent, d’une part, à la date création du fonds de commerce et, d’autre part, à l’affectation de biens propres à son exploitation.

  • La date de création du fonds de commerce
    • Selon que le fonds de commerce est créé avant ou après la célébration du mariage sa qualification différera.
      • Si la création du fonds de commerce intervient avant la célébration du mariage, il appartiendra en propre à l’époux exploitant
      • Si la création du fonds de commerce intervient après la célébration du mariage, il tombera en communauté
    • La date de création du fonds de commerce est donc déterminante.
    • Dans un arrêt du 18 avril 1989, la Cour de cassation a jugé que ce n’est pas nécessairement la date d’ouverture du commerce au public qu’il y avait lieu de retenir.
    • Elle estime que quand bien même l’exploitation a commencé avant le mariage, il n’était pas établi, au cas particulier, que les travaux de transformation du local, précédemment utilisé par l’ancien occupant, aient été achevés, ni que le commerce avait été fréquenté par le moindre client ( 1ère civ. 18 avr. 1989, n°87-19348).
    • L’enseignement qu’il y a lieu de retenir de cette décision, c’est que la détermination de la date de création du fonds de commerce est laissée à la libre appréciation des juges du fonds.
    • Reste que pour certains auteurs, c’est la date d’ouverture du fonds de commerce qui doit être retenue afin de déterminer si sa création est intervenue avant ou après la célébration du mariage.
    • C’est à cette analyse que nous souscrivons.
  • L’affectation de biens propres à l’exploitation du fonds de commerce
    • Lorsque le fonds de commerce est créé au cours du mariage, sa qualification n’est pas sans soulever une difficulté lorsque des biens propres d’un époux sont affectés à son exploitation.
    • Cette mise à disposition de biens propres est-elle de nature à faire obstacle à l’inscription du fonds à l’actif de la communauté ?
    • D’aucuns ont soutenu que, en pareille hypothèse, il y avait lieu de ventiler les éléments composant le fonds de commerce entre biens propres et biens communs.
    • Cette proposition n’est toutefois pas convaincante en raison de la nature du fonds de commerce.
    • Il s’agit, en effet, d’une universalité de fait, soit d’un ensemble de biens unis par une même finalité économique.
    • Dans ces conditions, seule une approche moniste peut être envisagée.
    • Une qualification distributive est donc exclue.
    • Aussi, deux situations peuvent être envisagées :
      • Le fonds de commerce a été créé au cours du mariage
        • Dans cette hypothèse, tous les éléments qui composent le fonds de commerce tombent en communauté.
        • Cette qualification s’applique également aux biens propres affectés à l’exploitation du fonds qui deviennent communs par accessoire, ce conformément à la règle posée à l’article 1404, al. 2e in fine du Code civil.
        • Une récompense sera néanmoins due, en contrepartie, à l’époux auquel les biens propres appartenaient et dont la propriété a été transférée à la communauté.
      • Le fonds de commerce a été créé avant la célébration du mariage
        • Dans cette hypothèse, tous les éléments qui composent le fonds de commerce sont des biens propres, y compris les biens communs qui seraient affectés à son exploitation (V. en ce sens 1ère civ. 2 mai 1990, n°87-18040).
        • La communauté aura néanmoins droit à récompense.
        • La jurisprudence est ainsi guidée par le souci de préservation de l’unité d’exploitation.

==> Cas particuliers

Il est des cas où l’exploitation d’un fonds de commerce est subordonnée à la titularité d’un diplôme ou à l’obtention d’une autorisation administration.

Tel est notamment le cas pour les officines de pharmacie ou encore pour les licences de taxi.

Qu’il s’agisse d’un diplôme ou d’une autorisation administrative, dans les deux cas ils sont octroyés intuitu personae et donc sont très étroitement attachés à la personne de leur titulaire.

On s’est alors demandé si, pour cette catégorie spécifique de fonds de commerce, il n’y avait lieu de distinguer :

  • D’une part, le « titre » qui resterait propre à l’époux titulaire du diplôme ou de l’autorisation administrative
  • D’autre part, la « finance » qui tomberait en communauté en tant que valeur économique du fonds

S’agissant des officines de pharmacie, après avoir refusé de faire application de cette distinction, la Cour de cassation l’a finalement retenue dans un arrêt du 18 octobre 2005.

La première chambre civile a jugé en ce sens que « la propriété de l’officine était réservée aux personnes titulaires du diplôme de pharmacien mais que la valeur du fonds de commerce tombait en communauté » (Cass. 1ère civ. 18 oct. 2005, n°02-20329).

Il ressort de cette jurisprudence que l’officine de pharmacie serait donc un bien mixte, de sorte qu’elle resterait propre à l’époux s’agissant de l’exploitation du fonds attachée au diplôme de pharmacien. Quant à sa valeur, elle serait un bien commun.

Bien que critiquée par une partie de la doctrine, cette solution a, par suite, été confirmée par la Cour de cassation dans un arrêt du 4 décembre 2013 (Cass. 1ère civ. 4 déc. 2013, n°12-28076).

À cet égard, elle est venue préciser que, pour déterminer si la valeur du fonds tombe en communauté, il est indifférent que l’obtention de l’autorisation préfectorale de création de l’officine de pharmacie soit intervenue antérieurement à la célébration du mariage.

Pour la Haute juridiction, dans la mesure où, à cette date, la clientèle, élément essentiel du fonds de commerce, n’existe que de manière potentielle, seule l’ouverture au public doit être prise en compte car elle entraîne la création d’une clientèle réelle et certaine.

Au cas particulier, cette ouverture au public était intervenue postérieurement à la célébration du mariage. La Cour de cassation en déduit que « la valeur de l’officine devait être réintégrée dans l’actif de la communauté ».

S’agissant des licences de taxi, la même solution que celle retenue par la jurisprudence pour les officines de pharmacie semble pouvoir être appliquée.

Dans un arrêt du 16 avril 2008 la Cour de cassation s’est, en effet, appuyée sur la distinction entre le titre et la finance pour décider que « le caractère personnel de ” l’autorisation de stationnement ” délivrée par l’Administration pour l’exercice de la profession d’exploitant de taxi n’a pas pour effet d’exclure de la communauté la valeur patrimoniale de la faculté de présenter un successeur qui y est attachée ».

Elle en tire la conséquence que c’est « à bon droit que la cour d’appel a jugé que la valeur patrimoniale de la licence de taxi faisait partie de l’actif de la communauté » (Cass. 1ère civ. 16 avr. 2008, n°07-16105).

C) Les biens provenant des revenus des propres

Le droit de propriété ce n’est pas seulement le droit d’user de la chose, c’est également le droit d’en jouir (fructus).

Par jouissance de la chose, il faut entendre le pouvoir conféré au propriétaire de percevoir les revenus que le bien lui procure.

Pour le propriétaire d’un immeuble, il s’agira de percevoir les loyers qui lui sont réglés par son locataire. Pour l’épargnant, il s’agira de percevoir les intérêts produits par les fonds placés sur un livret. Pour l’exploitant agricole, il s’agira de récolter le blé, le maïs ou encore le sésame qu’il a cultivé.

À cet égard, l’article 547 du Code civil prévoit que « les fruits naturels ou industriels de la terre, les fruits civils, le croît des animaux, appartiennent au propriétaire par droit d’accession. »

Il ressort de cette disposition que les fruits produits par la chose reviennent au propriétaire, quelle que soit leur nature (fruits naturels, fruits industriels et fruits civils).

Ainsi que le défendent les auteurs cette perception des fruits procéderait, non pas du mécanisme de l’accession comme le suggère l’article 547, mais de l’exercice du droit de propriété dont l’un des attributs est le fructus soit le droit de percevoir les fruits de la chose.

La réservation des fruits de la chose par le propriétaire ne serait, autrement dit, qu’une conséquence de son droit de propriété.

Quoi qu’il en soit, le principe posé par l’article 547 du Code civil devrait conduire à attribuer aux revenus des biens appartenant à titre personnel à un époux la qualification de bien propre.

Si cette règle se justifie pleinement en droit commun des biens, elle devient moins évidente lorsque le propriétaire de la chose frugifère est marié sous le régime légal.

Parce que sous un régime communautaire, la communauté a pour fonction de réaliser l’union des intérêts pécuniaires des époux, elle a vocation à capter toutes les valeurs économiques qui pénètrent leur sphère patrimoniale.

Dans ces conditions, en ce que les fruits produits par la chose sont porteurs de valeurs, ils ne devraient pas échapper au pouvoir d’attraction de la masse commune.

Reste que, à l’instar des gains et salaires, les textes sont silencieux sur la qualification des revenus de biens propres, à tout le moins ils n’apportent pas de réponse explicite à la question soulevée, laquelle a donné lieu à un vif débat sous l’empire de la loi n° 65-570 du 13 juillet 1965 portant réforme des régimes matrimoniaux.

Si la loi n° 85-1372 du 23 décembre 1985 a entrouvert une issue de sortie à la controverse, c’est la jurisprudence qui s’est employée à y mette fin.

1. La nature des revenus de biens propres

a. Les enjeux de la qualification

L’enjeu de la qualification des revenus de biens propres n’est pas que théorique ; il présente un double intérêt pratique.

En premier lieu, l’enjeu est de déterminer si, au moment de la liquidation du régime matrimonial, les revenus de biens propres ont ou non vocation à être partagés par moitié entre les époux et, le cas échéant, si leur utilisation par un époux à des fins exclusivement personnels (financement de l’acquisition ou de l’amélioration d’un bien propre), ouvre droit à récompense au profit de la communauté.

En second lieu, la qualification des revenus de propres a une incidence sur l’étendue du gage des créanciers en cas de dette commune née du chef d’un seul époux. La dette ainsi contractée ne sera, en effet, exécutoire que sur les seuls biens communs et les revenus de l’époux débiteur (art. 1411 et art 1413 C. civ.).

Si, dès lors, les revenus de propres tombent en communauté, ils pourront être saisis par les créanciers du conjoint – contrairement aux gains et salaires (art. 1414 C. civ.). Si, en revanche, ils endossent la qualification de biens propres, ils seront hors de portée des poursuites engagées.

À l’inverse, si l’on analyse la situation de l’époux débiteur, il est indifférent que les revenus de ses biens propres tombent ou non en communauté. En toute hypothèse, conformément à l’article 1411 du Code civil, dans les rapports avec les tiers il engage ses revenus, quelle que soit leur nature.

Aussi, l’enjeu de la qualification des revenus de biens propres ne doit pas être surestimé.

Il peut, à cet égard, être observé que si l’on se place sur le terrain des pouvoirs dont sont investis les époux mariés sous le régime légal, il est, là aussi, indifférent que les revenus de biens propres soient regardés comme des biens communs ou des biens propres.

Dans les deux cas, les revenus de propres sont soumis au principe de gestion exclusive :

  • S’ils sont qualifiés de biens communs, il y a lieu de se reporter à l’article 225 du Code civil qui pose le principe de libre gestion et de disposition des biens personnels des époux dont il est admis que ce principe s’étend aux revenus des biens propres
  • S’ils sont qualifiés de biens propres, il convient de se reporter à l’article 1428 du Code civil qui prévoit que « chaque époux a l’administration et la jouissance de ses propres et peut en disposer librement. »

De la même manière, la qualification des revenus de biens propres est sans incidence sur leur exclusion du gage des créanciers en cas de souscription d’une dette d’emprunt ou de cautionnement née du chef d’un seul époux.

L’article 1415 prévoit que, dans cette hypothèse, la dette contractée par l’époux débiteur, elle ne sera jamais exécutoire sur revenus de son conjoint, ce qui inclut les revenus de propres.

Au bilan, l’enjeu de la qualification des revenus de biens propres se limite à, d’une part, l’étendue du gage des créanciers en cas de dette commune née du chef du conjoint et, d’autre part, à la reconstitution de la masse partageable qui interviendra au moment de la dissolution de la communauté.

b. La controverse doctrinale

Sous l’empire du droit antérieur à la loi du n° 65-570 du 13 juillet 1965 portant réforme des régimes matrimoniaux, l’article 1401, 2° du Code civil prévoyait que « la communauté se compose activement […] de tous les fruits, revenus, intérêts et arrérages, de quelque nature qu’ils soient, échus ou perçus pendant le mariage, et provenant des biens qui appartenaient aux époux lors de sa célébration, ou de ceux qui leur sont échus pendant le mariage, à quelque titre que ce soit ».

La communauté se voyait ainsi expressément attribuer l’usufruit des biens propres des époux. La qualification des revenus de propres ne soulevait donc aucune difficulté.

Parce l’usufruitier est titulaire du droit de percevoir les fruits produits par le bien dont il a la jouissance, les revenus de biens propres devaient être regardés comme des biens communs.

Il en résultait que l’administration des revenus de biens propres de l’épouse était assurée par le seul mari, puisque investi du monopole de gestion des biens communs.

En 1965, animé par le souci d’instaurer une égalité dans les rapports conjugaux, le législateur a souhaité mettre un terme à cette situation.

Pour ce faire, il lui a fallu, d’une part, soustraire de la masse commune l’usufruit des biens propres et, d’autre part, abolir la règle qui conférait au mari le pouvoir d’administrer les biens personnels de la femme mariée.

Désormais, l’article 1428 du Code civil prévoit que « chaque époux a l’administration et la jouissance de ses propres et peut en disposer librement. »

Par la conjonction de ces deux modifications, les revenus de biens propres de la femme mariée échappaient ainsi à l’emprise du mari qui conservait néanmoins le pouvoir d’administrer les biens communs.

Bien que nécessaire à la réalisation de l’objectif poursuivi par le législateur, la réforme initiée par la loi du 13 juillet 1965 n’est pas sans avoir perturbé la qualification des revenus de biens propres qui, sous l’empire du droit antérieur, ne soulevait aucune difficulté.

En se focalisant sur la restitution aux époux de la jouissance de leurs biens personnels, le législateur a omis de traiter la question de la propriété des fruits.

Il était, dorénavant, reconnu aux époux la liberté de jouir et de disposer à leur guise de leurs biens personnels. Fallait-il néanmoins en déduire que les revenus de propres échappaient à la communauté, alors même qu’ils sont source de valeur ?

Telle qu’envisagée sous le régime légal, la communauté a vocation à capter toutes les richesses produites au cours du mariage. Pourquoi, dans ces conditions, les revenus de propres ne tomberaient-ils pas en communauté à l’instar des gains et salaires ?

En l’absence de textes répondant explicitement à cette interrogation, une importante controverse doctrinale est née sous l’empire de la loi du 13 juillet 1965.

Elle a vu s’affronter plusieurs thèses qui se disputent le sens à donner à deux corps de règles dont on peut penser qu’ils se contredisaient.

  • Premier corps de règles
    • Il comprend, tout d’abord, l’article 1403, al. 3e du Code civil qui énonce que « chaque époux conserve la pleine propriété de ses propres. ».
    • L’article 1428 précise ensuite que « chaque époux a l’administration et la jouissance de ses propres et peut en disposer librement. »
    • Si l’on s’en tient, à une lecture littérale de ces deux textes on pourrait être porté à attribuer, en première intention, la qualification de biens propres aux revenus produits par les biens personnels de chaque époux.
    • Cette qualification s’inférerait notamment du monopole de gestion conféré aux époux, sur leurs biens propres.
    • Reste qu’il est d’autres dispositions qui suggèrent le contraire.
  • Second corps de règles
    • Il se compose, en premier lieu, de l’article 1401, al. 1er qui fait tomber en communauté les « acquêts faits par les époux ensemble ou séparément durant le mariage, et provenant […] des économies faites sur les fruits et revenus de leurs biens propres».
    • L’article 1403, al. 2e ajoute, en second lieu, que « la communauté n’a droit qu’aux fruits perçus et non consommés.»
    • Ces deux dispositions combinées laissent manifestement à penser que, à l’expiration d’un certain délai, et plus précisément à partir du moment où les fruits produits par les biens personnels des époux sont économisés, ils ont vocation à tomber en communauté.

À l’analyse, deux approches peuvent être adoptées pour se saisir de l’articulation de ces deux corps de règles :

  • Une approche qui consisterait à déduire du pouvoir conféré aux époux sur leurs biens propres, soit un pouvoir de gestion exclusive, la qualification des fruits qui donc seraient propres.
  • Une approche qui consisterait à déconnecter les règles de pouvoirs des règles de propriété, ce qui permettrait d’attribuer la qualification de biens communs aux revenus de propres.

Ce sont ces deux approches qui ont été discutées par la doctrine. Nous nous limiterons ici à exposer les principales thèses soutenues sous l’empire de la loi du 13 juillet 1965.

==> Thèse retenant la qualification de biens propres

Selon cette thèse, défendue par Henri Mazeaud, les revenus produits par les biens personnels de chaque époux seraient des biens propres, ce dès leur perception.

La raison en est que, tout d’abord, l’article 1428 du Code civil confère aux époux un pouvoir de gestion exclusive de leurs biens propres.

Cela signifierait que le législateur a entendu attribuer la qualification de biens propres aux revenus tirés par les époux de leurs biens personnels.

Surtout, selon cette thèse, l’argument décisif s’évincerait de la lettre de l’article 1401 du Code civil qui n’octroie la qualification d’acquêts aux biens provenant notamment « des économies faites sur les fruits et revenus de leurs biens propres. »

Il faudrait donc comprendre que seuls les revenus de propres affectés à l’acquisition d’un bien auraient vocation à tomber en communauté.

Aussi, tant que ces revenus ne sont pas employés et conservent la forme d’économies ils resteraient des biens propres.

Au surplus, il peut être observé que la loi du 13 juillet 1965 a rendu aux époux l’usufruit de leurs bien propres qui étaient attribués antérieurement à la communauté.

Or l’usufruit confère, par hypothèse, à son titulaire le droit de jouir de la chose (fructus), et donc de percevoir les revenus que le bien lui procure.

Pour cette raison, les revenus de propres seraient nécessairement des biens propres.

Bien que séduisante, cette thèse présente un inconvénient majeur : elle conduit à soustraire à la masse commune des ressources susceptibles de représenter d’importantes valeurs.

Or l’instauration d’une communauté dans un régime matrimonial ne se conçoit que si les époux entendent mettre en commun les principales richesses qu’ils perçoivent au cours du mariage.

Exclure les revenus de propres de la masse commune irait, en quelque sorte, à rebours de l’esprit communautaire.

==> Thèse retenant la qualification de biens communs

Selon cette thèse, soutenue notamment par Jean Patarin et Georges Morin, les revenus de biens propres seraient des biens communs dès leur perception.

Le principal argument avancé tient à la déconnexion qu’il y aurait lieu d’opérer entre les règles de pouvoirs et les règles de propriété.

Pour les tenants de cette thèse, il n’y aurait, en effet, aucune incompatibilité à conférer aux époux un pouvoir de gestion exclusive sur leurs biens propres, tel que prévu à l’article 1428 du Code civil, et attribuer à la communauté, en application des articles 1401, al. 1er et 1403, al. 2e du Code civil, la propriété des revenus tirés de leurs biens personnels.

Cette déconnexion entre pouvoirs et propriété se justifierait par l’économie générale du dispositif mis en place sous le régime légal qui consiste à attribuer à la communauté les principales richesses acquises par les époux aux cours du mariage, peu importe que ces richesses proviennent de leur industrie personnelle ou des fruits produits par leurs biens personnels.

Cette thèse souligne, par ailleurs, que si le législateur a rendu aux époux l’usufruit de leurs biens propres qui, antérieurement, était attribué à la communauté, c’est uniquement pour permettre à la femme mariée de jouir et de disposer seule de ses biens personnels, en ce compris les revenus procurés par ces biens, l’administration de la masse commune étant confiée, jusqu’en 1985, au seul mari (anc. art. 1421 C. civ.).

Aussi, ne s’agissait-il nullement pour lui de faire échapper les revenus de propres à la communauté.

La preuve en est la règle énoncée au second alinéa de l’article 1403 du Code civil qui prévoit que « la communauté n’a droit qu’aux fruits perçus et non consommés ».

==> Thèse retenant successivement la qualification de biens propres et de biens communs

Cette thèse, qui a été défendue par de nombreux auteurs et en particulier par André Colomer, consiste à qualifier différemment les revenus de propres selon que l’on se situe au state de leur perception ou au stade de leur transformation en économies.

  • Au stade de leur perception, les revenus tirés des biens personnels des époux seraient des biens propres
  • Au stade de leur transformation en économies, les revenus de propres deviendraient des biens communs

Cette distinction qu’il y aurait lieu d’opérer entre les revenus perçus et les revenus économisés repose principalement sur la combinaison de :

  • D’une part, l’article 1403, al. 1er qui prévoit que les époux conservent la pleine propriété de leurs biens propres, ce qui comprendrait leurs revenus qu’ils titrent de ces biens
  • D’autre part, l’article 1403, al. 2e qui attribue à la communauté « les fruits perçus et non consommés», lesquels ne seraient autres que les fruits qui, faute d’avoir été consommés, ont été économisés

Ainsi, lorsque les revenus de propres sont perçus, c’est l’article 1403, al. 1er qui jouerait, de sorte que les époux en conserveraient « la pleine propriété ».

Lorsque, en revanche, au bout d’un certain temps les fruits des biens propres ne sont pas consommés, ils tomberaient en communauté.

C’est d’ailleurs ce que suggérerait l’article 1401, al. 1er du Code civil en qualifiant d’acquêts les biens provenant notamment des économies faites sur les fruits et revenus des biens propres.

Cette thèse est, de toute évidence, pour le moins convaincante. À cet égard, elle est confirmée par l’exposé des motifs de la loi du 13 juillet 1965 aux termes duquel il est énoncé que « désormais, ainsi que l’exprime l’article 1403, chacun des époux […] conserve la pleine propriété de ses propres, et la communauté n’aura droit qu’aux fruits perçus et non consommés, c’est-à-dire aux économies faites sur les revenus des biens personnels ».

Bien que cette analyse ait rencontré un franc succès chez les auteurs, elle présente un inconvénient majeur : elle fait de la notion d’économie le critère de basculement de la qualification de biens propres à celle de biens communs.

Or cette notion n’est définie par aucun texte. Aussi, comment déterminer la date à compter de laquelle les revenus perçus se transforment en revenus économisés ? Est-ce à partir du moment où ils sont inscrits sur un compte bancaire ?

Cette situation se rencontrera néanmoins, en pratique, presque systématiquement, ce qui reviendrait à réserver les qualifications de biens propres à des hypothèses très marginales.

Doit-on se focaliser, au contraire, sur la volonté de l’époux d’économiser les revenus qu’il retire de ses biens personnels. Comment, toutefois, établir cette volonté ? Doit-elle être présumée lorsque les fruits ne sont pas consommés dans un certain délai. Mais alors, quel délai retenir ? Et l’on en revient à la question initiale relative à la détermination de la date de transformation des revenus perçus en revenus économisés.

De l’aveu même d’André Colomer qui était à l’initiative de cette thèse intermédiaire, la définition de la notion d’économie se laisse difficilement appréhender.

Sans doute est-ce là l’une des raisons pour laquelle elle ne sera finalement pas retenue par la jurisprudence.

==> Thèse retenant la qualification de biens communs à jouissance privative

Selon cette thèse, développée par Gérard Cornu, afin de résoudre la contradiction apparente des règles énoncées par les articles 1401, 1403 et 1428 du Code civil, il y aurait lieu d’appréhender les revenus de propres comme constituant une catégorie spéciale de biens.

Cet auteur avance, en ce sens, que « au fond, les revenus des propres sont, à tout moment, et tout à la fois, en instance de consommation et en instance de capitalisation. Tant qu’il n’y a ni dissolution, ni abus, la consommation tourne et la communauté attend »[6].

Autrement dit, la qualification des revenus de propres dépendrait de la situation dans laquelle se trouve le couple.

Lorsque les époux entretiennent des relations normales et que leur union suit paisiblement son cours, le droit de jouissance dont ils sont investis sur les revenus tirés de leurs biens personnels, primerait l’intérêt de la communauté.

Lorsque, en revanche, le couple connaît une situation de crise et que les intérêts de la communauté sont susceptibles de s’en trouver affectés, cette dernière l’emporterait sur le droit de jouissance des époux, de sorte que les revenus de leurs biens propres seraient inscrits à l’actif commun.

Indéniablement cette théorie permet de concilier l’indépendance patrimoniale reconnue aux époux, avec la vocation de la communauté à capter les richesses acquises au cours du mariage.

Elle permet, par ailleurs, de contourner la difficulté soulevée par la précédente thèse, qui tenait à la détermination de la date de transformation des revenus perçus en revenus économisés.

c. L’intervention du législateur

Compte tenu de la controverse qui était née sous l’empire de la loi du 13 juillet 1965, était légitimement en droit d’attendre que le législateur y mette fin lors de l’adoption de la loi n° 85-1372 du 23 décembre 1985 relative à l’égalité des époux dans les régimes matrimoniaux et des parents dans la gestion des biens des enfants mineurs.

Il n’en a rien été ; à tout le moins aucun des textes qui se trouvaient au cœur du débat n’a été retouché, exception faite de l’article 1401 qui a été amputé de son alinéa 2, lequel traitait de la propriété des biens réservés.

Reste que la loi du 23 décembre 1985 a modifié l’économie générale du régime légal et notamment sur deux points :

  • L’administration des biens communs n’est désormais plus assurée par le seul mari. La loi consacre le principe de gestion concurrente
  • L’indépendance des époux quant à la gestion de leurs biens propres est élevée au principe d’ordre public. Ce principe est incorporé au régime primaire impératif.

Ces modifications ne sont pas sans avoir considérablement réduit l’enjeu de la qualification des revenus de propres.

En retirant au mari le pouvoir d’administrer seul les biens communs, il est en effet devenu indifférent pour la femme mariée que les revenus tirés de ses biens personnels tombent en communauté.

Désormais, elle est investie, en toute hypothèse, du pouvoir d’en assurer la gestion.

Plus encore c’est un pouvoir de gestion exclusive de ses biens personnels qui lui est reconnu par le nouvel article 225 du Code civil.

Les revenus procurés à la femme mariée par ses biens propres sont ainsi définitivement hors de portée de son mari, y compris lorsqu’ils se transforment en économies.

Autre enjeu de la qualification des revenus de propres qui a disparu : cette qualification est sans incidence sur l’étendue du gage des créanciers pour les dettes nées du chef d’un époux.

Tandis que sous l’empire du droit antérieur, cet époux n’engageait ses revenus que s’ils étaient qualifiés de biens propres, dorénavant, en application de l’article 1411 du Code civil, la dette est exécutoire sur l’ensemble des revenus du débiteur sans distinction (gains et salaires et revenus de propres).

Au fond, les deux principaux enjeux qui persistent postérieurement à l’adoption de la loi du 23 décembre 1985 tiennent, comme indiqué précédemment :

  • D’une part, au droit de poursuite des créanciers sur les biens du conjoint du débiteur qui a contracté une dette commune. Celui-ci s’étend à l’ensemble des biens communs et des revenus à l’exclusion des seuls gains et salaires.
  • D’autre part, à la reconstitution de la masse partageable qui interviendra au moment de la dissolution de la communauté. Les biens communs ont vocation à être partagés par moitié entre les époux.

Compte tenu de ces enjeux, une réponse à la question de la qualification des revenus de propres devait être apportée.

Certains auteurs ont avancé que le législateur avait implicitement opté par la qualification de biens communs en visant séparément aux articles 1411 et 1415 du Code civil les biens propres et les revenus.

Si le législateur avait voulu faire revenus des époux (gains et salaires et revenus de propres) des biens propres, pourquoi les viser séparément dans ces deux textes ?

L’adjonction ne se justifie que si l’on appréhende l’ensemble des revenus des époux, comme des biens communs.

Cette analyse a été confirmée par la jurisprudence qui jusqu’alors s’était montrée pour le moins fébrile sur le sujet.

d. La position de la jurisprudence

Alors même que sous l’empire de la loi de 1965 aucune thèse n’emportait véritablement d’adhésion majoritaire s’agissant de la qualification des revenus de propres, il faut attendre le début des années 1980 pour que la Cour de cassation intervienne dans le débat.

Après avoir marqué un temps d’hésitation, elle a finalité opté pour la qualification de biens communs.

i. Première étape : l’hésitation

==> Les revenus de propres sont des biens propres

Dans un arrêt remarqué, rendu en date 15 juillet 1981, la Cour de cassation a semblé opté pour la qualification de biens propres (Cass. 1ère civ. 15 juill. 1981, n°80-10318).

Cass. 1ère civ. 15 juill. 1981
Sur le premier moyen :

Vu l'article 1469, alinéa 3, du code civil, applicable, en vertu de l'article 12 de la loi du 13 juillet 1965, a toutes les communautés non encore liquidées à la date de la publication de ladite loi ;

Attendu qu'aux termes de ce texte, la récompense ne peut être moindre que le profit subsistant quand la valeur empruntée a servi à acquérir, à conserver ou à améliorer un bien qui se retrouve, au jour de la dissolution de la communauté, dans le patrimoine emprunteur; attendu que, statuant sur la liquidation de la communauté réduite aux acquêts ayant existé, de 1952 à 1967, entre les époux Georges z... et Mme Michelle y..., la cour d'appel, pour écarter le droit à récompense de la communauté contre la femme en ce qui concerne certains travaux faits sur un immeuble situe à Senlis et appartenant à celle-ci, retient qu'aucun argument ne peut être tire du fait que cet immeuble, acheté 100 000 francs en 1961, ait été revendu 240 000 francs en 1970, l'augmentation dont s'agit étant justifiée autant par l'évolution du coût de la construction que par les améliorations relatives apportées a l'immeuble par la communauté;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que, dans le cas où les dépenses faites par la communauté ont servi à acquérir, à conserver ou à améliorer un bien, les récompenses doivent être évaluées en fonction du profit subsistant au jour de la liquidation ou au jour le plus proche possible ou encore au jour de l'aliénation du bien, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Sur le troisième moyen :

Vu l'article 1473 du code civil ;

Attendu qu'aux termes de ce texte, les récompenses dues à la communauté emportent les intérêts de plein droit du jour de la dissolution; attendu que, pour refuser de mettre a la charge de Mme capitaine a... des récompenses dues par elle a la communauté, la cour d'appel se fonde sur ce que m. z... oublie que lui-même est débiteur de récompenses et doit des intérêts de ce chef et qu'il conviendrait aussi de tenir compte des intérêts des dettes post-communautaires remboursées par les deux époux; attendu qu'en statuant ainsi, au lieu de calculer les intérêts des récompenses dues par chacun des époux ou à chacun d'eux, sauf à en faire la balance, elle a violé le texte susvisé;

Et sur le cinquième moyen :

Vu l'article 1409 du code civil ;

Attendu qu'il résulte de ce texte que la communauté n'est point tenue de contribuer aux dépenses faites sur les biens propres de l'un des époux b... celui-ci en a conservé la jouissance; attendu que la cour d'appel a refusé tout droit à récompense à la communauté pour des travaux de peinture et de revêtement de sols dans un immeuble propre à Mme y..., au motif qu'il s'agissait de travaux de simple entretien; attendu qu'en statuant ainsi, sans rechercher si ces travaux avaient été effectués antérieurement au 1er février 1966, date a laquelle Mme capitaine x..., en vertu de l'article 11, alinéa 2, de la loi du 13 juillet 1965, repris la jouissance de ses propres sous les charges correspondantes, ou si l'immeuble en question avait été utilisé dans l'intérêt du ménage, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision;

Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les deuxième et quatrième moyens :

Casse et annule, dans ses dispositions concernant l'évaluation des récompenses relative à l'immeuble de Senlis, le refus du droit à récompense relatif aux travaux de peinture et de revêtement de sols, et le refus de condamner aux intérêts des récompenses, l'arrêt rendu entre les parties le 7 novembre 1979 par la cour d'appel d’Amiens ; remet, en conséquence la cause et les parties au même et semblable état ou elles étaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Douai.

Dans cette décision la question se posait de savoir qui de la communauté ou des époux devait supporter les charges usufructuaires se rapportant à l’entretien d’un bien propre.

La réponse à cette question est directement liée à la qualification des revenus de propres. Pour le comprendre, revenons un instant sur la notion de charges usufructuaires.

Par charges usufructuaires il faut entendre l’ensemble des dépenses et des frais qui incombent à l’usufruitier en contrepartie de la jouissance de la chose.

Au nombre des charges usufructuaires figurent, d’une part, les charges périodiques (notamment les impôts et taxes générés par la jouissance du bien) et, d’autre part, les frais et dépenses d’entretien.

Le Doyen Carbonnier a écrit au sujet de ces charges « l’idée générale est que, dans la gestion d’une propriété, il y a des frais et des dettes qu’il est rationnel de payer avec les revenus et d’autres avec le capital. Si la propriété est démembrée, le passif de la première catégorie doit être à la charge de l’usufruitier, l’autre à la charge du nu-propriétaire ».

Ainsi parce que les charges usufructuaires sont attachées à la jouissance de la chose, elles doivent être supportées par celui qui profite de cette jouissance.

Appliquée à un bien appartenant en propre à un époux marié sous le régime légal, cette règle est susceptible à deux solutions différentes selon que l’on considère que les revenus tirés de la jouissance de ce bien sont des biens propres ou tombent en communauté :

  • Si l’on considère que les revenus tirés du bien propre reviennent en propre à l’époux propriétaire, les charges usufructuaires devront être supportées par lui seul
  • Si l’on considère que les revenus tirés du bien propre doivent être inscrits à l’actif commun, c’est à la communauté qu’il incombe de supporter les charges usufructuaires

Lorsqu’elle s’est prononcée dans l’arrêt rendu le 15 juillet 1981, la Cour de cassation a incliné dans le sens de la première solution.

Dans cette affaire, jugée sous l’empire de la loi de 1965, des travaux d’entretien d’un bien propre appartenant à l’épouse avaient été financés par des deniers communs.

Alors que la Cour d’appel avait refusé tout droit à récompense à la communauté, la Première chambre civil casse l’arrêt rendu au motif que les juges du fonds auraient dû rechercher si les travaux avaient été effectués antérieurement au 1er février 1966, date à laquelle l’épouse propriétaire du bien, en vertu de l’article 11, alinéa 2, de la loi du 13 juillet 1965, a repris la jouissance de ses propres sous les charges correspondantes, ou si l’immeuble en question avait été utilisé dans l’intérêt du ménage.

En somme, pour la Cour de cassation, dans la mesure où, la loi de 1965 a restitué aux époux la jouissance de leurs biens propres, c’est à eux seuls qu’il revient de supporter les charges usufructuaires.

On pouvait ainsi déduire de cet arrêt que les revenus tirés d’un bien propres sont eux-mêmes des biens propres.

==> Le revirement de jurisprudence

Bien que critiquée par une frange de la doctrine pour la solution finalement retenue, l’arrêt rendu par la Cour de cassation en 1981, avait le mérite de trancher une question restée trop long sans réponse.

Un an plus tard la controverse était néanmoins relancée à la suite d’un arrêt rendu par la Cour de cassation le 6 juillet 1982 (Cass. 1ère civ. 6 juill. 1982, n°81-12680).

Cass. 1ère civ. 6 juill. 1982
Sur le moyen unique, pris en ses trois branches : attendu, selon les énonciations des juges du fond, que m o. et Mme Coutan, qui se sont mariés le 4 mars 1971, ont adopté par contrat de mariage le régime légal de la communauté d’acquêts ;

Que leur divorce a été prononcé, sur assignation en date du 22 décembre 1971, par jugement du 25 février 1972 ;

Que, pendant la durée du régime, m o. avait utilisé, pour payer les constructions élevées sur un immeuble à lui propre, d'une part, une somme de 104000 francs qui figurait au jour du mariage a des comptes bancaires et postal ouverts à son nom, d'autre part, la somme de 20260 francs 19, provenant des loyers d'immeubles propres ;

Que l'arrêt attaque a dit qu'il devrait à la communauté, a ce double titre, une récompense totale de 124260 francs 19 ;

Attendu que, pour lui reprocher d’avoir ainsi statué, m o. soutient, d'une part, que les dépenses faites sur ses propres, par un époux marié sous le régime de la communauté d’acquêts, au moyen de fonds provenant de dépôts bancaires ou postaux comptabilisés avant le mariage a son nom, ne peut donner lieu à récompense a la charge de cet époux et au profit de la communauté ;

D'autre part, que pas davantage ne peuvent donner lieu à récompense les dépenses faites sur des propres au moyen de loyers des immeubles propres, loyers dont m o. ne devait pas compte a la communauté des lors qu'ils avaient été consommés ;

Qu'il est enfin prétendu qu'en toute hypothèse la cour d'appel ne s'est pas prononcée sur la destination donnée par m o. aux revenus provenant de l'immeuble, situe à lion-sur-mer, qui lui appartenait, "revenus qu'elle n'a pas fait entrer en compte dans le montant des dépenses effectuées par m o., de telle sorte qu'elle n'a, en toute hypothèse, quel que soit le sort de ces sommes, pas donne de base légale a sa décision qui encourt la cassation au vu de l'article 455 du nouveau code de procédure civile" ;

Mais attendu, en premier lieu, que, s'il est exact que la somme de 104000 francs, demeurée propre a m o. et employée a l'amélioration de ses propres, n'aurait pas dû donner lieu à récompense, elle n'aurait pas dû, non plus, figurer comme reprise au profit de m o. ;

Que la cour d'appel a approuvé l'état liquidatif dresse par le notaire qui avait admis que le mari pouvait exercer une reprise de la somme de 104000 francs, figurant au jour du mariage aux comptes ouverts à son nom, et devait une récompense de même montant du fait de l'utilisation de cette somme à l'amélioration de ses propres ;

Que, dans l'espèce, et en l'absence d'une demande ou d'une décision tendant à ce que la récompense soit supérieure à la somme versée, et dès lors que la décision attaquée ne prévoit récompense que de cette somme, le mode de calcul retenu par la cour d'appel n'aboutit pas à un résultat différent de celui dont le moyen demande l'application ;

Attendu, en second lieu, que la communauté comprend, en vertu de l'article 1401 du code civil, les acquêts provenant des économies faites sur les fruits et revenus des biens propres des époux ;

Que, si, en vertu de l'article 1403 du même code, elle n'a pas droit aux fruits consommés sans fraude, on ne doit pas considérer comme consommés les revenus employés à l'amélioration d'un bien propre ;

Qu'il en résulte que la cour d'appel, ayant admis, comme le jugement qu'elle a infirmé, que les loyers des immeubles propres a m o., perçus pendant le mariage, avaient été utilisés pour la construction d'une maison sur un terrain propre, en a déduit à bon droit, contrairement au jugement, que cette utilisation donnait lieu à récompense au profit de la communauté ;

D'où il suit que le moyen, irrecevable en sa première branche comme dénué d'intérêt, est mal fondé en chacune des deux autres ;

Par ces motifs : rejette le pourvoi formé contre l'arrêt rendu le 22 janvier 1981, par la cour d'appel de Reims,

Dans cette décision, la première chambre civile a, en effet, semblé opérer un revirement de jurisprudence en reconnaissant un droit à récompense au profit de la communauté en contrepartie de l’emploi par un époux de loyers tirés d’un bien lui appartenant en propre aux fins de financer des travaux d’amélioration de ce bien.

L’argument avancé par l’époux qui contestait devoir une quelconque récompense à la communauté, consistait à dire qu’il avait consommé les revenus tirés de son bien propre. Or en application de l’article 1403, al. 2e du Code civil « la communauté n’a droit qu’aux fruits perçus et non consommés. »

La thèse défendue ici était pour le moins séduisante, sinon imparable. Parce qu’il avait employé les loyers provenant de la location d’un bien propre à des fins personnels, l’époux soutenait que ces loyers échappaient à la communauté, cette dernière ne pouvant prétendre qu’aux revenus non consommés.

L’argument n’a pas emporté la conviction de la Cour de cassation qui a considéré que l’utilisation de revenus de propres par un époux à des fins personnelles était sans incidence sur le droit à récompense de la communauté.

Pour la Première chambre civile, il est indifférent que les loyers perçus par l’époux aient été consommés ou économisés. Dans les deux cas, leur emploi donne lieu à récompense.

Si récompense est due à la communauté en cas d’affectation de revenus tirés d’un bien propre au financement de l’amélioration de ce bien, cela signifie que la Cour de cassation a entendu appréhender ces revenus comme des biens communs.

Aussi, est-ce la solution inverse à celle adoptée par la Cour de cassation un an plus tôt qui est retenue dans cet arrêt.

Ce revirement de jurisprudence n’a pas manqué de semer le doute sur la position de la Haute juridiction.

Il faudra attendre près de dix ans pour que la Cour de cassation se prononce à nouveau sur cette question et tranche définitivement la question de la qualification des revenus de propres.

ii. Seconde étape : la clarification

La Cour de cassation a mis fin à la controverse née sous l’empire de la loi du 13 juillet 1965 dans un arrêt « Authier » rendu en date du 31 mars 1921 (Cass. 1ère civ. 31 mars 1992, n°90-17212).

Arrêt « Authier »
(Cass. 1ère civ. 31 mars 1992)
Attendu, qu'un jugement du 18 janvier 1981, confirmé par un arrêt du 2 février 1982 a prononcé le divorce de M. Y... et Mme X... en prescrivant la liquidation de la communauté conjugale existant entre eux ; que, statuant sur des difficultés afférentes à cette liquidation, l'arrêt attaqué a dit qu'au titre de l'acquisition d'un immeuble propre, à Ormesson, Mme X... était redevable de " récompenses " se montant à 109 980 francs pour la communauté conjugale et à 16 136 francs pour M. Y... ; que cet arrêt a rejeté la demande de Mme X... pour obtenir le paiement d'une récompense de 68 090,96 francs par la communauté et décidé que toutes les parts d'une société Wilson 30, qui dépendait de la communauté au jour de sa dissolution, devraient être comprises dans le partage, pour leur valeur à la date de celui-ci, malgré la cession d'une fraction d'entre elles, réalisée par Mme X... après la dissolution de la communauté par le divorce ;

Sur le deuxième moyen : (sans intérêt) ;

Mais sur le premier moyen :

Vu les articles 1401 et 1403, 1433 et 1437 du Code civil, ensemble les articles 1469 et 1479 du même Code ;

Attendu que la communauté, à laquelle sont affectés les fruits et revenus des biens propres, doit supporter les dettes qui sont la charge de la jouissance de ces biens ; que, dès lors, leur paiement ne donne pas droit à récompense au profit de la communauté lorsqu'il a été fait avec des fonds communs ; qu'il s'ensuit que l'époux, qui aurait acquitté une telle dette avec des fonds propres, dispose d'une récompense contre la communauté ;

Attendu que pour chiffrer la récompense due par Mme X... à la communauté ayant existé entre elle-même et M. Y..., ainsi que l'indemnité qu'elle a cru devoir reconnaître à ce dernier, en raison des annuités servies par eux pour l'acquisition de l'immeuble d'Ormesson, la cour d'appel a retenu comme éléments de calcul, le prix d'acquisition du bien, sa valeur au jour du partage et les sommes versées par la communauté et le mari en capital et intérêts ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que pour déterminer la somme due par un époux, en cas de règlement des annuités afférentes à un emprunt souscrit pour l'acquisition d'un bien qui lui est propre, il y a lieu d'avoir égard à la fraction ainsi remboursée du capital, à l'exclusion des intérêts qui sont une charge de la jouissance, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

[…]

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ses dispositions relatives à l'évaluation de la récompense due à la communauté par Mme X... et de la créance personnelle de M. Y... à l'encontre de cette dernière, ainsi qu'aux modalités de partage des parts de la société Wilson 30, l'arrêt rendu le 24 avril 1990, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens

  • Faits
    • Un couple marié sous le régime de la communauté d’acquêts a fait l’acquisition, en 1974, d’un immeuble financé par :
      • Des deniers appartenant en propre à l’épouse
      • Des fonds communs
      • Un emprunt contracté solidairement par les époux
    • Il a été convenu entre les époux que cet immeuble appartiendrait en propre à l’épouse.
    • Reste que son acquisition a, pour partie, été financée par des fonds communs.
    • Quant à l’emprunt son remboursement a été supporté par la communauté pendant trois ans.
    • Il en est résulté, lors de la liquidation du régime matrimonial, la naissance d’un droit à récompense au profit de la communauté.
    • Si les époux étaient d’accord sur le bien-fondé de ce droit à récompense, ils se sont en revanche disputés, entre autres points de discordances que nous n’aborderons pas ici, ses modalités de calcul.
  • Procédure
    • Par un arrêt du 24 avril 1990, la Cour d’appel de Paris a octroyé une récompense à la communauté en retenant comme éléments de calcul, outre le prix d’acquisition du bien et sa valeur au jour du partage, les sommes versées par la communauté et le mari en capital augmenté des intérêts.
    • Ce qui retient l’attention ici c’est la prise en compte des intérêts dans le calcul de la récompense.
    • Tandis que le remboursement du capital de l’emprunt consiste en une dépense d’acquisition qui doit être supportée par le seul propriétaire du bien – au cas particulier l’épouse – il en va différemment des intérêts.
    • Ces derniers, que l’on peut qualifier de loyer de l’argent, se rapportent plutôt à la jouissance de la chose.
    • En l’espèce, le bien acquis servait de logement familial au couple marié, de sorte que c’est la communauté qui avait la jouissance de la chose.
    • En toute logique c’est donc à elle qu’il revenait de supporter la charge des intérêts.
    • Les juges du fond ne l’ont toutefois pas entendu ainsi.
    • À l’analyse, en intégrant dans l’assiette de calcul de la récompense les intérêts, cela revenait à les appréhender comme une dette personnelle.
    • Et si les intérêts constituent une dette personnelle, cela signifie que leur face opposée, soit les revenus tirés de la jouissance de la chose, sont des biens propres.
    • C’est donc une décision contraire à la solution adoptée par la Cour de cassation dans l’arrêt du 6 juillet 1982 ( 1ère civ. 6 juill. 1982, n°81-12680) qui a été prise ici par la Cour d’appel.
  • Décision
    • Dans l’arrêt rendu en date du 31 mars 1992, la Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel.
    • Au soutien de sa décision elle affirme que « la communauté, à laquelle sont affectés les fruits et revenus des biens propres, doit supporter les dettes qui sont la charge de la jouissance de ces biens ; que, dès lors, leur paiement ne donne pas droit à récompense au profit de la communauté lorsqu’il a été fait avec des fonds communs ; qu’il s’ensuit que l’époux, qui aurait acquitté une telle dette avec des fonds propres, dispose d’une récompense contre la communauté».
    • Ainsi, pour la Première chambre civile, les intérêts de l’emprunt souscrit par les époux constituent « la charge de la jouissance » du bien propre acquis.
    • Or cette jouissance a profité à la communauté.
    • La Cour de cassation en déduit que le remboursement des intérêts d’emprunt devait être supporté, non pas par l’épouse comme affirmé par la Cour d’appel, mais par la communauté à laquelle il n’est donc pas dû récompense pour cette partie du financement du bien propre.
    • Autre affirmation formulée par la Cour de cassation qui n’est pas sans retenir l’attention dans l’arrêt « Authier », la Première chambre civile précise que les fruits et revenus de biens propres sont affectés à la communauté.
    • Si elle ne dit pas explicitement que les revenus de propres sont des biens communs, elle crée, pour la première fois, un rapport d’affectation de ces revenus à la faveur de la communauté
    • Cette affectation vers la masse commune jouera toutefois les fois que la communauté aura la jouissance d’un bien propre.

Après l’arrêt « Authier », la Cour de cassation n’est jamais revenue sur sa position. Au contraire, elle l’a réaffirmée, notamment trois ans plus tard, dans un arrêt rendu le 4 janvier 1995 aux termes duquel elle a reproché aux juges du fonds, s’agissant de fonds affectés au financement de travaux réalisés sur une propriété agricole appartenant en propre au mari, si « ces fonds ne provenaient pas des revenus de l’exploitation agricole, lesquels tombaient en communauté bien qu’il s’agisse d’un bien propre du mari » (Cass. 1ère 4 janv. 1995, n°92-20013).

Bien qu’il faille être prudent avec le sens de cet arrêt dans la mesure où la Cour de cassation ne précise ici si les revenus tirés de l’exploitation agricole tombaient en communauté en tant que gains et salaires ou en tant que revenus de propres, d’aucuns y ont vu le franchissement d’un nouveau palier dans la reconnaissance de la qualification de biens communs aux revenus de propres.

Si le doute était encore permis, il a définitivement été évacué par un arrêt rendu en date du 20 février 2007 aux termes duquel la Cour de cassation a explicitement affirmé que « les fruits et revenus des biens propres ont le caractère de biens communs » (Cass. 1ère civ. 20 févr. 2007, n°05-18066).

À cet égard, il peut être observé que s’il est désormais bien établi en jurisprudence que les revenus de propres tombent en communauté, le principe est assorti de deux tempéraments :

  • Premier tempérament
    • Il est loisible aux époux de stipuler dans leur contrat de mariage une clause aux termes de laquelle les revenus de propres échapperaient à la communauté.
    • Il en résulterait, outre une réduction de la masse commune, que les biens acquis avec des revenus de propres seraient propres, sous réserve d’accomplissement des formalités d’emploi.
  • Second tempérament
    • Bien que, par principe, les revenus de propres tombent en communauté, chaque époux est autorisé à les consommer à des fins personnelles, sans que cette consommation ne donne lieu à récompense au profit de la communauté ( 1403, al. 2e C. civ.).
    • Cette consommation ne pourra néanmoins pas consister en un investissement (acquisition d’un bien durable ou travaux d’amélioration d’un propre).
    • Elle ne devra pas non plus être frauduleuse.
    • Si l’une ou l’autre situation se présente, la communauté aura droit à récompense.

2. Le domaine des revenus de biens propres

S’il est désormais admis que tous les fruits et revenus de propres ont vocation à tomber en communauté le principe souffre d’exceptions.

Il est, en effet, des cas où les revenus de propres échapperont à la communauté.

a. Les revenus de propres tombant en communauté

Si les textes n’opèrent aucune distinction entre les revenus de propres qui ont vocation à tomber en communauté, encore faut-il que l’on s’entende sur ce que recouvre cette notion.

À l’analyse, les revenus de propres sont susceptibles de se composer de deux catégories de biens :

  • Les fruits
  • Les produits

i. Les fruits

==> Principe général

Tous les fruits ont vocation à tomber en communauté, ce qui dès lors lui promet une grande variété de ressources.

Les fruits correspondent à tout ce que la chose produit périodiquement sans altération de sa substance.

Tel est le cas des loyers produits par un immeuble loué, des fruits d’un arbre ou encore des bénéfices commerciaux tirés de l’exploitation d’une usine.

Classiquement, on distingue trois catégories de fruits :

  • Les fruits naturels
    • L’article 583, al. 1er du Code civil prévoit que « les fruits naturels sont ceux qui sont le produit spontané de la terre. Le produit et le croît des animaux sont aussi des fruits naturels. »
    • Il s’agit autrement dit des fruits produits par la chose spontanément sans le travail de l’homme
    • Exemple : les champignons des prés, les fruits des arbres sauvages
  • Les fruits industriels
    • L’article 583, al. 2e prévoit que « les fruits industriels d’un fonds sont ceux qu’on obtient par la culture. »
    • Il s’agit donc des fruits dont la production procède directement du travail de l’homme.
    • Exemple: les récoltes sur champs, les coupes de bois taillis, bénéfices réalisés par une entreprise.
  • Les fruits civils
    • L’article 584 al. 1er prévoit que « les fruits civils sont les loyers des maisons, les intérêts des sommes exigibles, les arrérages des rentes. »
    • L’alinéa 2 précise que « les prix des baux à ferme sont aussi rangés dans la classe des fruits civils. »
    • Il s’agit donc des revenus périodiques en argent dus par les tiers auxquels la jouissance de la chose a été concédée
    • Exemple: les loyers d’un immeuble donné à bail ou encore les intérêts d’une somme argent prêtée

Pour être un fruit, le bien créé à partir d’un bien originaire doit donc remplir deux critères :

  • La périodicité (plus ou moins régulière)
  • La conservation de la substance de la chose dont ils dérivent.

Dès lors que ces deux critères sont remplis, le fruit retiré du bien a vocation à tomber en communauté, ce, quelle que soit sa nature.

Il est indifférent qu’il s’agisse d’un fruit naturel, industriel ou civil, encore que pour cette dernière catégorie de fruits, certaines situations ne sont pas sans avoir soulevé des difficultés de qualification.

==> Cas particuliers

Alors que la notion de fruit est aujourd’hui bien délimitée, il est deux situations qui ont soulevé des difficultés de qualification.

  • La perception de dividendes
    • Lorsqu’une société fait des bénéfices, l’assemblée générale peut décider de les distribuer aux associés.
    • Cette distribution donne lieu au règlement de ce que l’on appelle des dividendes.
    • À cet égard, le droit aux dividendes est un principe fondateur de tout pacte social : si les associés doivent contribuer aux pertes, ils doivent également participer aux bénéfices.
    • Lorsqu’un associé est marié sous le régime légal et qu’il détient en propre des parts d’intérêts dans une société, se pose inévitablement la question de la nature des dividendes qu’il perçoit.
    • Ces derniers n’ont vocation à tomber en communauté qu’à la condition qu’ils soient appréhendés comme des fruits civils.
    • Dans le cas contraire, à l’instar de l’actif social qui sera réparti entre les associés au moment de la liquidation de la société, ils appartiendront en propre à l’époux propriétaire des parts ou actions.
    • À l’analyse, la difficulté de qualification des dividendes vient de ce qu’ils visent à rémunérer, tout autant l’investissement en capital des associés, que les résultats positifs de l’activité de l’entreprise.
    • Or seule la première fonction est susceptible de justifier que les dividendes soient regardés comme des fruits civils.
    • Au surplus, la distribution des dividendes est aléatoire, alors même que, par nature, les fruits civils sont constitutifs de revenus périodiques.
    • Si l’on se tourne vers la jurisprudence, la Cour de cassation a jugé, dans un premier temps, que « les bénéfices des sociétés commerciales, dans la mesure où, d’après les statuts, ils doivent être répartis périodiquement entre les ayants droit, participent de la nature des fruits civils, auxquels il y a lieu de les assimiler, en ce qu’ils sont réputés s’acquérir jour par jour au cours de chaque exercice social» ( civ., 21 oct. 1931).
    • La Haute juridiction reconnaît donc explicitement le statut de fruits civils aux dividendes.
    • L’enjeu était ici de déterminer comment les répartir entre le cédant et le cessionnaire ?
    • Si les dividendes sont des fruits civils, alors ils doivent être répartis au prorata temporis, à tout le moins telle a été la position de la Cour de cassation jusqu’à ce qu’elle semble revenir sur sa jurisprudence dans un arrêt du 23 octobre 1984 ( com., 23 oct. 1984, n° 82-12.386).
    • Dans cette décision, la Cour de cassation juge que les dividendes ne s’acquièrent qu’à compter de la décision de distribution prise par l’assemblée générale ( com., 23 oct. 1984, n° 82-12.386).
    • Elle en déduit que les dividendes ne peuvent être attribués qu’à celui qui a la qualité d’associé à cette date.
    • Aussi, selon que la décision de l’assemblée générale interviendrait avant ou après la transmission des titres sociaux, les dividendes seront intégralement attribués au cédant ou au cessionnaire.
    • La doctrine a déduit de la solution retenue par la Cour de cassation qu’elle avait abandonné le principe de distribution des dividendes au prorata temporis et que, par voie de conséquence, c’est leur statut de fruits civils qui était remis en cause.
    • Après une incertitude qui a duré pendant plus de dix ans, la Cour de cassation a finalement mis fin au débat dans un arrêt du 5 octobre 1999.
    • Aux termes de cette décision, elle affirme que « les sommes qui, faisant partie du bénéfice distribuable sont, soit en vertu des statuts, soit après décision de l’assemblée générale, réparties entre les actionnaires, participent de la nature des fruits» ( com. 5 oct. 1999, n°97-17.377)
    • Au soutien de cette affirmation elle vise notamment l’article 586 du Code civil qui prévoit que « les fruits civils sont réputés s’acquérir jour par jour et appartiennent à l’usufruitier à proportion de la durée de son usufruit. Cette règle s’applique aux prix des baux à ferme comme aux loyers des maisons et autres fruits civils. »
    • Ainsi, pour la Cour de cassation, les dividendes s’apparentent à des fruits civils.
    • La conséquence en est, lorsqu’ils sont distribués à un associé marié sous le régime légal, qu’ils doivent être traités comme des revenus de biens propres et que donc, à ce titre, ils ont vocation à tomber en communauté.
  • La mise en réserve des bénéfices
    • Si l’assemblée générale d’une société dispose de la faculté de partager les bénéfices entre les associés, elle peut également décider de les mettre en réserve.
    • Dans cette hypothèse, la communauté est-elle recevable à se prévaloir d’un quelconque droit sur les « dividendes non-distribués» ?
    • Dans un arrêt du 12 décembre 2006, la Cour de cassation a répondu par la négative à cette question.
    • Elle valide la décision d’une Cour d’appel qui a jugé que « les bénéfices réalisés par une société ne deviennent des fruits ou des revenus de biens propres, susceptibles de constituer des acquêts de communauté, que lorsqu’ils sont attribués sous forme de dividendes» ( 1ère civ. 12 déc. 2006, n°04-20-663).
    • Aussi, c’est la décision de distribution de dividendes qui ouvre droit à la communauté d’en tirer profit, sauf à ce qu’ils soient consommés par l’époux associé dans les conditions de l’article 1403, al. 2e du Code civil.

ii. Les produits

Les produits correspondent à tout ce qui provient de la chose sans périodicité, mais dont la création en altère la substance.

Tel est le cas des pierres et du minerai que l’on extrait d’une carrière ou d’une mine.

Ainsi que l’ont fait remarquer des auteurs « quand on perçoit des fruits, on perçoit seulement des revenus, tandis que quand on perçoit les produits d’une chose, on perçoit une fraction du capital, qui se trouve ainsi entamé »[7].

Lorsque la perception des revenus tirés de la chose ne procédera pas d’une altération de sa substance, il conviendra de déterminer si cette perception est périodique ou isolée.

Tandis que dans le premier, il s’agira de fruits, dans le second, on sera en présence de produits.

On peut lire en ce sens, sous la plume du Doyen Carbonnier, que « c’est parce qu’il [le fruit] revient périodiquement et qu’il ne diminue pas la substance du capital que le fruit se distingue du produit ».

Ainsi, s’agissant d’une carrière exploitée sans discontinuité, les pierres extraites seront regardées comme des fruits et non comme des produits, la périodicité de la production couvrant l’altération de la substance.

Il en va de même pour une forêt qui aurait été aménagée en couples réglées : les arbres abattus quittent leur état de produits pour devenir des fruits.

La distinction entre les fruits et les produits n’est pas sans intérêt sur le plan juridique.

En effet, alors que les fruits reviennent à celui qui a la jouissance de la chose, soit l’usufruitier, les produits, en ce qu’ils sont une composante du capital, appartiennent au nu-propriétaire.

La question qui immédiatement se pose est de savoir si les produits tirés du bien propre d’un époux ont, à l’instar des fruits, vocation à tomber en communauté.

Dans la mesure où cette dernière se comporte comme un usufruitier, on pourrait être porté à répondre par la négative à cette question.

Reste que l’article 598 du Code civil prévoit que, par exception, l’usufruitier jouit « de la même manière que le propriétaire, des mines et carrières qui sont en exploitation à l’ouverture de l’usufruit »

Aussi, seuls les produits extraits de mines ou de carrières aménagées seraient susceptibles d’être inscrits à l’actif commun.

Les autres produits échappent donc à la communauté. Ils reviennent en propre à l’époux propriétaire du bien d’où ils sont extraits.

b. Les revenus de propres échappant à la communauté

Il est deux cas où les revenus de propres ne tombent pas en communauté :

  • Lorsqu’ils sont au stade de créance
  • Lorsqu’ils ont été consommés par l’époux qui les perçoit

i. Les créances de revenus de propres

==> Principe

L’article 1403, al. 2e du Code civil prévoit que « la communauté n’a droit qu’aux fruits perçus et non consommés. »

Il ressort de cette disposition que c’est la perception qui fait tomber en communauté les revenus tirés d’un bien propre.

A contrario, cela signifie que les fruits non perçus sont insusceptibles d’être inscrits à l’actif commun.

C’est là une différence majeure avec les gains et salaires qui sont communs avant même leur perception.

Aussi, tant que les revenus de propres sont au stade de créance, ils échappent à la communauté.

Dès lors, en revanche, que la créance devient exigible, notamment en cas de survenance du terme de l’obligation, ils se transforment en revenus perceptibles et donc en biens communs.

La conséquence pratique de l’absence d’inscription à l’actif commun des créances de revenus de propres, c’est l’absence de droit à récompense au profit de la communauté, sauf à ce que soit établie une négligence fautive dans leur perception.

==> Exception

  • Le contenu du droit à récompense
    • L’article 1403 du Code civil prévoit qu’une récompense pourra être due à la communauté, lors de la liquidation du régime matrimonial, « pour les fruits que l’époux a négligé de percevoir».
    • Il s’agit là d’une exception au principe d’exclusion des créances de revenus de propres de la masse commune.
    • Cette exception se justifie par l’attitude de l’époux qui aurait dû percevoir les revenus de ses propres, mais qui ne l’a pas fait par négligence.
    • La question qui immédiatement se pose est alors de savoir ce que l’on doit entendre par négligence.
    • De l’avis général des auteurs, la négligence consiste à ne pas percevoir les fruits lors de l’arrivée à échéance de la créance, à tout le moins si l’époux reste passif, il sera réputé avoir été négligent.
    • Charge à lui de rapporter la preuve contraire en établissant une cause légitime. Il pourra s’agir :
      • De l’octroi d’un délai de grâce au débiteur par une juridiction en application de l’article 1343-5 du Code civil
      • De l’existence situation d’insolvabilité du débiteur qui se trouve dans l’incapacité de régler les revenus dus à l’époux
    • Quant à la remise de dette conventionnelle, qui donc serait consentie en dehors de toute procédure judiciaire, elle s’analyse en une libéralité.
    • En effet, comme relevé par des auteurs, « la remise de dette suppose l’acceptation du moins tacite du débiteur, ce qui signifie, pour le créancier, qu’il a disposé du bien, donc qu’avant d’en disposer il l’avait perçu, ne serait-ce qu’un instant de raison»[8].
    • Parce que l’acte de perception serait donc caractérisé, une remise de dette conventionnelle ouvrirait droit à récompense au profit de la communauté.
  • La mise en œuvre du droit à récompense
    • L’article 1403, al. 2e in fine du Code civil prévoit que, lorsque la communauté a droit à récompense au titre de la négligence imputable à un époux dans la perception des revenus de ses propres aucune recherche ne sera recevable au-delà des cinq dernières années.
    • Autrement dit, n’entreront dans l’assiette de calcul des récompenses que les revenus dont la perception a été négligée durant les cinq dernières années à compter de la dissolution de la communauté.
    • Si la dissolution est intervenue à l’année N, seules les créances de revenus jusqu’à N-5 pourront être intégrées dans le calcul de la récompense due à la communauté.

ii. Les revenus de propres consommés

==> Principe

L’article 1403, al. 1er du Code civil prévoit que « la communauté n’a droit qu’aux fruits perçus et non consommés. »

Il ressort de cette disposition que les revenus de propres peuvent être consommés par l’époux qui les perçoit sans qu’aucune récompense ne soit due à la communauté.

Encore faut-il néanmoins que cette consommation ne donne pas lieu à l’acquisition d’un bien durable ou se traduise par le financement de travaux d’amélioration d’un bien propre.

Comme souligné par Annie Chamoulaud-Trapiers, « la consommation doit s’entendre d’une utilisation qui n’a rien laissé subsister, aucune plus-value, aucun investissement »[9].

Autrement dit, il ne doit plus rien rester des revenus perçus, peu importe qu’ils aient été employés à des fins exclusivement personnelles.

À défaut, la communauté a droit à récompense. Tel est notamment le cas lorsque les revenus de propres sont utilisés aux fins d’acquisition ou d’amélioration d’un bien propre (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 6 juill. 1982).

==> Exceptions

L’article 1403, al. 2e du Code civil prévoit que si les revenus de propres consommés échappent à la communauté, c’est sous réserve de la fraude.

Cette fraude sera caractérisée lorsque la consommation des fruits a été dissimulée au conjoint et que la communauté s’en est trouvée lésée.

Lorsque la fraude est établie une récompense sera due à cette dernière. Son montant correspondra à l’enrichissement manqué par la communauté.

Comme pour l’hypothèse de la négligence dans la perception, seuls les revenus consommés les 5 dernières années à compter de la dissolution de la communauté pourront être intégrés dans l’assiette de calcul de la récompense.

D) Les biens provenant du jeu de l’accession

L’accession est envisagée à l’article 712 du Code civil comme un mode d’acquisition originaire de la propriété, tant mobilière, qu’immobilière.

Plus précisément elle est l’expression du principe aux termes duquel « l’accessoire suit le principal » (accessorium sequitur principale).

Les règles qui régissent l’accession visent, en effet, à étendre l’assiette du droit de propriété aux accessoires de la chose qui en est l’objet.

L’article 546 du Code civil dispose en ce sens « la propriété d’une chose soit mobilière, soit immobilière, donne droit sur tout ce qu’elle produit, et sur ce qui s’y unit accessoirement soit naturellement, soit artificiellement. »

La particularité du « droit d’accession » dont est investi le propriétaire est qu’il lui confère un droit de propriété sur les accessoires de la chose, sans qu’il lui soit besoin accomplir un acte de volonté ou une prise de possession du bien à l’instar de l’occupation.

Pour exemple, le propriétaire d’un fonds acquiert automatiquement la propriété de toutes les constructions élevées sur ce fonds, tout autant que lui reviennent les fruits produits par les arbres qui y sont plantés.

S’agissant d’un bien qualifié de commun sous le régime légal, il est admis que la théorie de l’accession puisse jouer.

Dans cette hypothèse, elle est susceptible de conduire à étendre la propriété à tout ce qui s’unit et s’incorpore au bien commun. La conséquence en est que le nouveau bien – augmenté – sera commun.

Les règles de l’accession diffèrent néanmoins selon que l’incorporation intéresse des immeubles ou des meubles.

  • S’agissant de l’accession mobilière
    • Elle ne jouera que dans des hypothèses résiduelles d’incorporation qui ne sont pas réglées par une convention, ni n’entrent en concours avec l’effet acquisitif attaché à la possession.
    • C’est seulement dans cet espace, qui n’est pas que théorique, mais qui demeure restreint, que les règles énoncées aux articles 565 et suivants du Code civil ont vocation à s’appliquer.
    • À cet égard, ces dispositions ne règlent que l’incorporation d’un meuble à un autre meuble.
    • Lorsqu’un meuble est incorporé à un immeuble, ce sont les règles de l’accession immobilière qui ont vocation à s’appliquer.
  • S’agissant de l’accession immobilière
    • L’accession immobilière correspond à l’hypothèse où une chose mobilière ou immobilière est incorporée à un immeuble, de telle sorte qu’une union se crée entre les deux biens qui en formeront plus qu’un seul et même bien.
    • Le Code civil distingue selon que l’accession immobilière est le résultat d’un phénomène naturel ou selon qu’elle procède de l’intervention de la main de l’homme.

Outre les règles générales qui encadrent l’accession mobilière et immobilière, il peut être observé que le régime légal envisage un cas spécifique d’accession pour les éléments qui composent un fonds de commerce inscrit à l’actif commun.

Il ressort de l’article 1404, al. 2e du Code civil que, échappent à la qualification de biens propres, « les instruments de travail nécessaires à la profession de l’un des époux [qui sont] l’accessoire d’un fonds de commerce ou d’une exploitation faisant partie de la communauté. »

Cette précision n’est pas sans intérêt compte tenu de la nature du fonds de commerce qui, pour mémoire, est une universalité de fait et qui, par voie de conséquence, ne peut être appréhendée que comme un tout et non comme un ensemble de biens pris séparément.

E) Les biens provenant du jeu de la subrogation

La perte de la propriété d’un bien est une situation pour le moins courante à laquelle est susceptible d’être confronté le couple marié.

Cette perte peut avoir pour cause, la destruction du bien, sa péremption, son égarement ou plus simplement sa vente.

Parfois, la disparition sera compensée par son remplacement par un autre. Dans cette hypothèse, se posera alors la question de la qualification du nouveau bien.

Pour y répondre, il convient de se reporter au mécanisme de subrogation réelle. Cette opération consiste à substituer dans un patrimoine une chose par une autre.

Il en va ainsi lorsqu’un bien mobilier ou immobilier dont est propriétaire une personne est remplacé par une somme d’argent correspondant à la valeur du bien remplacé.

Cette somme d’argent peut consister en un prix de vente, à une indemnité d’assurance ou encore à une indemnité d’expropriation.

La particularité de la subrogation réelle est donc qu’elle opère le remplacement dans un bien par un autre, sans pour autant modifier le rapport de propriété préexistant liant le propriétaire à la chose.

C’est là le sens de l’adage subrogatum capit naturam subrogi, soit ce qui est subrogé prend la nature de ce à quoi il est subrogé.

La conséquence en est que la subrogation n’affecte pas le droit réel exercé par le propriétaire ; elle substitue seulement son objet.

Lorsque, dès lors, la subrogation porte sur un bien commun, les droits de la communauté sont inchangés : le nouveau bien reste commun.

À cet égard, à la différence de la subrogation qui intéresse des biens propres, la subrogation qui a pour objet un bien relevant de la masse commune ne requiert l’accomplissement d’aucune formalité particulière.

Elle opère, en effet, de plein droit, sans qu’il soit besoin aux époux de régulariser une déclaration d’emploi ou de remploi.

L’absence de formalités se justifie par la présomption de communauté énoncée par l’article 1402 du Code civil qui a pour effet d’intégrer dans la masse commune tout bien meuble ou immeuble dont la propriété en propre ne peut pas être rapportée.

F) Les gains provenant d’un jeu de hasard ou d’un jeu concours

Lorsqu’un époux participe à un jeu de hasard ou à un concours, il est susceptible de percevoir un gain.

La question qui alors se pose est de savoir si ce gain lui appartient en propre ou s’il tombe en communauté.

Pour le déterminer, la doctrine opère une distinction entre les jeux de hasard et les jeux-concours :

  • S’agissant des jeux du hasard
    • Ils présentent la particularité de ce que l’espérance du gain résulte de la voie du sort.
    • Autrement dit, le gagnant est désigné par le seul hasard,
    • Tel est le cas du loto ou encore d’une loterie
  • S’agissant des jeux-concours
    • Ils consistent en une épreuve qui mobilise la sagacité, le savoir et plus généralement les aptitudes des joueurs
    • Dans cette hypothèse, la chance peut certes avoir un rôle à jouer ; néanmoins les gagnants sont sélectionnés, moins de la voie du sort, que de la qualité des résultats obtenus dans les épreuves auxquelles ils ont été soumis
    • Il en va ainsi d’un jeu-concours qui repose sur une épreuve sportive ou mobilise facultés intellectuelles des candidats

Quelles conséquences tirer de cette distinction ?

En présence d’un jeu-concours, qui donc fait appel aux aptitudes physiques ou intellectuelles des candidats, il y aurait lieu de considérer que le gain perçu provient de l’industrie des époux.

Dans ces conditions, il conviendrait de soumettre ce gain au même régime que celui applicable aux gains et salaires. Or il est désormais unanimement admis que les gains et salaires tombent en communauté, ce, dès leur perception (Cass. 1ère civ. 31 mars 1992, n°90-16343).

En présence d’un jeu de hasard, il s’infère de la jurisprudence que la qualification du bien dépendrait de la nature des deniers employés pour acquérir le titre de jeu, lequel ouvre droit, à l’issue d’un tirage au sort, à l’attribution d’un bien en nature ou d’une somme d’argent.

Si les deniers employés sont communs, alors le gain fortuit tomberait en communauté. Si en revanche les fonds appartiennent en propre au joueur, le gain resterait propre.

Une partie de la doctrine justifie cette solution en arguant que le mécanisme de la subrogation réelle aurait vocation à jouer.

En somme, cette subrogation réaliserait un remplacement du prix du titre de jeu par le gain perçu par le joueur.

Reste que lorsque ce gain est sans commune mesure avec le prix du billet de loterie, l’opération se concilie mal avec l’exigence de substitution qui implique une sorte d’équivalence entre le bien remplacé et le nouveau bien.

Quoi qu’il en soit, telle a été la solution retenue par le Tribunal de grande instance de Créteil qui, dans une décision du 19 janvier 1988, a jugé, s’agissant de l’emploi de fonds issus de la pension de retraite d’une femme mariée à l’acquisition d’un billet de loto, que « le gain qui en provient participe de la même nature et compose dès lors potentiellement la masse active de la communauté » (TGI Créteil, 19 janv. 1988).

Dans un arrêt du 13 novembre 2014, la Cour d’appel de Versailles a encore décidé, s’agissant d’une demande de réintégration dans la masse commune d’un gain du loto, que « l’achat du ticket gagnant en vue du tirage du 12 décembre 2012 est antérieur à la procédure de divorce engagée en mai 2013 ; que Delphine V. n’établit pas qu’elle a participé au tirage du Loto avec des fonds propres ; que dès lors les fonds gagnés constituent des biens communs » (CA Versailles, 13 novembre 2014, n° 13/08736).

Une solution identique a été retenue par la Cour d’appel de Dijon dans un arrêt du 8 déc. 2016 (CA Dijon, 8 déc. 2016, n°16/00532).

Si donc le gain fortuit emprunte la qualification des deniers qui ont financé l’acquisition du titre du jeu, pour que ce gain appartienne en propre au joueur, celui-ci devra, avoir employé des fonds propres, encore que cela ne soit pas suffisant.

En effet, un bien acquis avec des fonds personnels n’endosse la qualification de bien propre qu’à la condition que l’acquéreur marié sous le régime légal ait accompli des formalités d’emploi ou de remploi, conformément aux articles 1433 et 1434 du Code civil.

L’acquisition d’un titre de jeu avec des deniers propres n’échappe pas à la règle, elle devra s’accompagner d’une déclaration qui consistera à mentionner dans l’acte d’acquisition :

  • D’une part, l’origine des deniers utilisés, ce qui permet de justifier de leur caractère propre
  • D’autre part, l’affectation des fonds à l’acquisition d’un bien propre

Faute de déclaration d’emploi ou de remploi, le titre de jeu acquis, et par voie de conséquence le gain fortuit, tomberont en communauté sauf à ce qu’une déclaration d’emploi ou de remploi soit régularisée postérieurement à l’acquisition.

Dans cette hypothèse, elle supposera l’accord des deux époux. Lorsque la déclaration d’emploi ou de remploi a valablement été accomplie, le bien acquis sera propre.

À l’analyse, la condition tenant à la déclaration d’emploi ou de remploi ne sera jamais remplie. On voit mal un époux accomplir cette formalité lors de l’achat d’un billet de loterie.

Il s’agit là d’un cas d’école, à telle enseigne que, en pratique, le gain fortuit tombera systématiquement en communauté.

II) Les biens communs par présomption

==> Fonction de la présomption de communauté

Sous le régime légal, les biens communs ne sont pas seulement déterminés par la loi ou par le contrat de mariage que les époux auraient conclu.

La masse commune s’enrichit également de tous les biens qui relèvent du domaine de ce que l’on appelle la présomption d’acquêts ou de communauté.

Cette présomption est énoncée à l’article 1402 du Code civil qui prévoit que « tout bien, meuble ou immeuble, est réputé acquêt de communauté si l’on ne prouve qu’il est propre à l’un des époux par application d’une disposition de la loi. »

Il ressort de cette disposition que dès lors qu’une incertitude sur la propriété d’un bien existe, ce bien est réputé appartenir à la communauté.

Plus précisément, la présomption de communauté fait peser la charge de la preuve sur l’époux qui se prévaut de la propriété d’un bien.

Faute d’être en mesure de rapporter cette preuve, le bien est réputé commun.

À cet égard, la présomption de communauté ne règle pas seulement la charge de la preuve, elle organise également les modes d’établissement de la preuve ; ils sont visés au second alinéa de l’article 1402 du Code civil.

Au fond, comme souligné par Gérard Cornu, la présomption d’acquêts constitue une sorte de « facteur résiduel d’accroissement de la communauté au bénéfice du doute ».

La règle ainsi instituée n’est pas neutre : elle vise à renforcer, sinon amplifier, le pouvoir d’attraction de la masse commune sur les biens qui pénètrent la sphère patrimoniale du couple marié.

D’aucuns avancent qu’elle témoigne « du souci du législateur de souligner, au moyen de la préférence ainsi marquée, le caractère communautaire du régime légal »[10].

On peut également lire sous la plume d’André Coloner que « du point de vue de la gestion comme du point de vue de la propriété, la présomption de communauté est de nature à œuvrer dans le sens d’un renforcement de l’association conjugale »[11].

==> Nature de la présomption de communauté

Certains auteurs ont pu soutenir que la présomption d’acquêts ne serait pas seulement une règle de preuve, mais s’apparenterait également en une règle de fond[12].

Cette thèse a pour point de départ un constat : s’il est des biens dont la qualification est déterminée par la loi ou par le contrat de mariage, il est des cas où un bien est susceptible de se situer sur la frontière qui délimite la masse commune des masses propres.

En cas d’impossibilité de déterminer à quelle masse appartient un bien soulevant une difficulté de qualification, il y aurait lieu de faire jouer la présomption de communauté.

Dans cette configuration, elle se transformerait alors en règle de fond puisque attribuant, par défaut, la propriété du bien à la communauté quand bien même il serait établi que ce bien a été acquis, à titre personnel, par l’un ou l’autre époux.

Bien que séduisante, cette thèse doit être réfutée. L’article 1402 du Code civil se limite à présumer le caractère commun d’un bien dont l’origine est incertaine. Tout au plus, il organise les modes de preuve mis à la disposition de l’époux sur lequel pèse la charge de la preuve.

En aucune manière ce texte n’édicte des critères de répartition des biens entre la masse commune et les masses de propres.

Ainsi que le souligne Gérard Champenois, « la présomption de communauté ne saurait […] être autre chose qu’une présomption d’origine »[13].

Aussi, elle n’a pas vocation à combler les vides laissés par les textes ou le contrat de mariage qui déterminent la qualification de tel ou tel bien.

La présomption de communauté n’en joue pas moins un rôle central dans le régime légal et plus généralement dans les régimes communautaires.

Bien qu’elle ne soit qu’une règle de preuve, son incidence sur la répartition des biens entre les différentes masses est forte, ce serait-ce que parce que son domaine d’application est général et que ses effets opèrent tant dans les rapports entre époux que dans les rapports avec les tiers.

A) Le domaine de la présomption de communauté

==> Principe

Le rôle – central – joué par la présomption de communauté tient essentiellement à son domaine d’application : général.

Cette présomption joue pour tous les biens, sans distinction. Elle s’applique, tant aux meubles, qu’aux immeubles ainsi que le prévoit expressément l’article 1402 du Code civil.

  • S’agissant des immeubles
    • La présomption d’acquêts ne sera mobilisée que dans des hypothèses très exceptionnelles
    • L’acquisition d’un immeuble suppose, en effet, la régularisation d’un acte notarié.
    • Aussi, l’époux qui se prévaut de la propriété d’un immeuble n’éprouvera aucune difficulté à rapporter la preuve qu’il lui appartient en propre.
  • S’agissant des meubles
    • Leur acquisition n’est soumise à l’accomplissement d’aucune formalité de publicité, à tout le moins pour ceux qui ne sont pas immatriculés.
    • Dans ces conditions, la présomption de communauté d’acquêts produira ses effets, sans qu’il soit besoin de démontrer que le bien a été acquis avec des deniers communs.
    • La seule présence du bien dans le patrimoine des époux suffit à faire jouer la présomption de communauté.

==> Cas particulier des fonds déposés sur un compte personnel

Bien que la présomption d’acquêt soit d’application générale, elle est susceptible de se heurter, lorsque le bien disputé consiste en des deniers déposés sur le compte personnel d’un époux, à la présomption de pouvoir énoncée à l’article 221, al. 1er du Code civil qui prévoit que « à l’égard du dépositaire, le déposant est toujours réputé, même après la dissolution du mariage, avoir la libre disposition des fonds et des titres en dépôt. »

Cette précision vise à garantir une autonomie des plus larges aux époux, et plus encore à rappeler que, en matière bancaire, la femme mariée est désormais libérée de la tutelle de son mari.

Parce qu’elle relève du régime primaire, il s’agit là d’une règle d’ordre public à laquelle il ne peut pas être dérogé par convention contraire.

Pratiquement, elle implique que la responsabilité du banquier ne saurait être recherchée au motif qu’il n’aurait pas exigé de l’époux déposant des justifications quant à la réalisation d’opérations sur son compte.

En pareille hypothèse, ainsi qu’il l’a été rappelé par la Cour de cassation dans un arrêt du 9 juillet 2008, il appartient à celui qui revendique la propriété des fonds de rapporter la preuve de leur caractère propre (Cass. 1ère civ. 9 juill. 2008, n°07-16.545).

À cet égard, la première chambre civile a pris le soin de préciser, dans cette décision, s’agissant d’époux sont mariés sous un régime de communauté, que « les deniers déposés sur le compte bancaire d’un époux sont présumés, dans les rapports entre conjoints, être des acquêts ».

Il en résulte que la nature de propre des fonds versés sur le compte d’un époux ne peut se déduire du seul fait qu’ils proviennent de son compte personnel.

La présomption de pouvoir énoncée par l’article 221 du Code civil, cède sous l’effet de la présomption de communauté qui produit ses effets, nonobstant le pouvoir de gestion exclusive dont sont investis les époux sur les fonds déposés sur leurs comptes personnels.

B) Les effets de la présomption de communauté

1. Les effets de la présomption de communauté dans les rapports entre époux

En application de l’article 1402 du Code civil, la présomption de communauté a pour effet de faire peser la charge de la preuve sur l’époux qui se prévaut de la propriété d’un bien en propre.

Faute de rapporter cette preuve, le bien « est réputé acquêt de communauté », de sorte que lors de dissolution du mariage, il sera partagé par moitié entre les époux.

À cet égard, c’est surtout au moment de la liquidation de la communauté que présomption d’acquêts produira ses effets, période au cours de laquelle les époux procéderont aux opérations de reprise de leurs biens propres.

Tous les biens pour laquelle il existera un doute quant à l’origine seront intégrés d’office dans la masse partageable.

Pour les y soustraire, il appartiendra à l’époux revendiquant de rapporter la preuve que tel ou tel bien réputé commun lui appartient en propre.

La présomption de communauté n’aura pas seulement vocation à jouer au moment de la dissolution du mariage. Elle pourra également produire ses effets au cours de l’union matrimoniale.

À ce stade, l’enjeu sera toutefois moins de déterminer à qui appartient le bien, que de trancher un conflit quant au pouvoir de gestion qui s’exerce sur ce bien.

En effet, les biens communs font l’objet d’une gestion concurrente, voire dans certains cas, d’une gestion conjointe. Or les biens propres relèvent toujours de la gestion exclusive de l’époux propriétaire, exception faite du logement familial et des meubles le garnissant (Art. 215, al. 3e C civ.).

Dans ces conditions, selon que le bien est propre ou commun, le pouvoir de l’époux qui se prévaut de la propriété, en propre d’un bien, est susceptible d’être :

  • Soit dans le meilleur des cas, concurrencé par le pouvoir de son conjoint
  • Soit dans le pire des cas, neutralisé lorsque l’opération relève de la cogestion

Pour sortir de l’une ou l’autre situation, il appartiendra donc à l’époux qui prétend que le bien disputé lui appartient en propre d’en rapporter la preuve.

2. Les effets de la présomption de communauté dans les rapports avec les tiers

Bien que la présomption de communauté n’ait vocation à trancher qu’une question de propriété d’un bien que se disputent les époux et plus précisément à déterminer si ce bien tombe ou non en communauté, elle n’en produit pas moins des effets à l’égard des tiers.

Dans cette hypothèse, il ne s’agira donc pas de vérifier le bien-fondé d’une action en revendication exercée par le tiers, mais plutôt de déterminer si la dette dont il se prévaut est exécutoire sur le bien litigieux.

En effet, selon qu’un bien est propre ou commun, le périmètre du gage des créanciers s’en trouve plus ou moins étendue.

Lorsque, en effet, un époux contracte seul une dette auprès d’un tiers, conformément à l’article 1413 du Code civil, il engage, par principe, tous les biens communs à l’exclusion des biens propres et des gains et salaires de son conjoint.

Aussi, en application de la présomption de communauté, pour faire échec au droit de gage des créanciers agissant au titre d’une dette commune, le conjoint de l’époux débiteur devra établir que les biens poursuivis lui appartiennent en propre.

Là ne se limite pas le rôle de la présomption d’acquêt dans les rapports avec les tiers, elle aura également vocation à jouer lorsqu’un époux aura accompli un acte au mépris d’une règle de cogestion.

Il est, en effet, certains cas où l’accomplissement d’un acte portant sur un bien commun requiert l’accord des deux époux.

Tel est le cas des donations de biens communs ou encore l’aliénation ou la constitution de droits réels portant sur des immeubles, fonds de commerce et d’exploitations dépendant de la communauté.

En cas de violation de la règle de cogestion, l’acte accompli irrégulièrement encourt la nullité.

Seule solution pour le tiers qui cherche à déjouer cette nullité : neutraliser la présomption de communauté en démontrant que le bien sur lequel porte l’acte contesté appartient en propre à l’époux avec lequel il a contracté.

C) La force de la présomption de communauté

La présomption de communauté instituée à l’article 1402 du Code civil est une présomption simple. Il en résulte qu’elle souffre de la preuve contraire.

Aussi, appartient-il à l’époux qui se prévaut de la propriété d’un bien à titre exclusif de rapporter cette preuve.

Pour ce faire, il devra se conformer aux règles prescrites au second alinéa de l’article 1402 qui :

  • Pour certains cas, dispense de rapporter la preuve du caractère propre d’un bien
  • Pour d’autres cas, énonce les modes de preuve admis lorsque la preuve est exigée

1. La dispense de preuve

En application de l’article 1402, al. 2e du Code civil, il est deux cas où un époux peut se prévaloir d’une dispense de rapporter la preuve du caractère propre d’un bien :

  • La présence d’une preuve ou d’une marque de l’origine sur le bien
  • L’absence de contestation

==> La présence d’une preuve ou d’une marque de l’origine

Il ressort d’une lecture a contrario de l’article 1402, al. 2e du Code civil que lorsqu’un bien porte en lui-même la preuve ou la marque de son origine, l’époux qui prétend que ce bien lui appartient en propre est dispensé d’en rapporter la preuve.

La marque qui figure sur le bien suffit à prouver son caractère personnel. Tel est le cas d’un bien sur lequel seraient inscrites des armoiries ou des initiales ou sur lequel figurerait une dédicace personnalisée.

Qu’en est-il des biens qui forment des propres par nature au sens de l’article 1404 du Code civil ?

Pour mémoire, cette disposition prévoit que « forment des propres par leur nature, quand même ils auraient été acquis pendant le mariage, les vêtements et linges à l’usage personnel de l’un des époux, les actions en réparation d’un dommage corporel ou moral, les créances et pensions incessibles, et, plus généralement, tous les biens qui ont un caractère personnel et tous les droits exclusivement attachés à la personne ».

La doctrine est divisée sur le sujet. Certains auteurs avancent qu’il y aurait lieu d’étendre la dispense énoncée à l’article 1402 du Code civil aux biens par nature dans la mesure où « qu’elles qu’aient été les conditions de leur acquisition, [ils] ne peuvent qu’être propres »[14]. L’autre argument est de dire que cette solution était admise sous l’empire du droit antérieur et que rien n’indique qu’elle a été remise en cause.

D’autres auteurs soutiennent néanmoins en sens contraire que les biens par nature se caractérisent par le seul lien étroit qu’ils entretiennent avec un époux.

Or l’article 1402, al. 2e du Code civil subordonne la dispense de preuve à la présence d’une marque sur le bien, ce qui donc exclurait les biens par nature du domaine de la dispense[15].

Pour ce qui nous concerne, nous nous rangeons à cette seconde analyse, plus conforme à la lettre du texte.

==> L’absence de contestation

L’article 1402, al. 2e du Code civil prévoit qu’il n’est pas besoin de rapporter la preuve de la propriété personnelle d’un bien lorsqu’elle n’est pas contestée.

Si cette précision relève de l’évidence, dans la mesure où en droit commun, ne doivent être prouvés que les faits contestés ou contestables, elle présente néanmoins un réel intérêt en cas de liquidation amiable de la communauté.

Lorsque le notaire procédera aux opérations de liquidation il ne pourra pas, en effet, exiger des époux qu’ils rapportent la preuve du caractère propre d’un bien pour l’exclure de l’actif commun dès lors que la propriété de ce bien ne fait l’objet d’aucune contestation.

2. L’exigence de preuve

Lorsque la preuve du caractère propre d’un bien est exigée, faute pour l’époux revendiquant de justifier d’un cas de dispense, l’article 1402, al. 2e du Code civil pose le principe de la preuve par écrit. À titre exceptionnel, la preuve peut être rapportée par tous moyens.

a. Principe : l’exigence d’un écrit

L’article 1402, al. 2e du Code civil dispose que « si le bien est de ceux qui ne portent pas en eux-mêmes preuve ou marque de leur origine, la propriété personnelle de l’époux, si elle est contestée, devra être établie par écrit ».

Pour prouver le caractère propre d’un bien, c’est donc un écrit qui devra être produit. De quel écrit s’agit-il ?

Le texte précise que deux sortes d’écrits sont admises :

  • Les preuves préconstituées
    • Il s’agit ici des inventaires, des actes d’emploi ou de remploi, les actes constatant une libéralité ou encore l’acquisition d’un bien avant la célébration du mariage.
  • Les écrits de toutes natures
    • L’article 1402, al. 2e prévoit que faute de preuve préconstituée, le juge pourra prendre en considération tous écrits, notamment titres de famille, registres et papiers domestiques, ainsi que documents de banque et factures.

À l’analyse, il ressort de l’article 1402 qu’il n’est nullement nécessaire de produire, comme exigé en droit commun de la preuve, un acte authentique ou un acte sous seing privé, pour établir le caractère propre d’un bien.

Les exigences posées par ce texte sont bien moindres que celles énoncées à l’article 1359 du Code civil.

Pour exemple, tandis que le commencement de preuve par écrit ne peut, en droit commun, émaner que de celui à qui on l’oppose, l’article 1402 admet qu’il puisse avoir été établi par l’époux qui s’en prévaut.

b. Exception : la preuve par tous moyens

L’exigence d’écrit posée par l’article 1402, al. 2e du Code civil souffre d’une exception. Le texte précise que, faute d’écrit, le juge « pourra même admettre la preuve par témoignage ou présomption, s’il constate qu’un époux a été dans l’impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit. »

Dans cette hypothèse, la preuve du caractère propre du bien disputé pourra être rapportée par tous moyens.

La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par la formule « impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit ». Quelles sont les situations visées par cette formule ?

Tout d’abord, il peut être observé qu’elle fait directement écho à la règle énoncée à l’article 1360 du Code civil qui prévoit que, pour la preuve des actes juridiques, l’exigence d’écrit reçoit exception « en cas d’impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit, s’il est d’usage de ne pas établir un écrit, ou lorsque l’écrit a été perdu par force majeure. »

Ensuite, s’agissant de l’impossibilité matérielle ou morale pour un époux de se procurer un écrit elle correspond à deux situations qu’il convient de distinguer :

  • L’impossibilité matérielle de se procurer un écrit
    • Cette situation se rencontre lorsque l’opération juridique a été accomplie dans des circonstances exceptionnelles qui empêchaient qu’un écrit soit régularisé.
    • L’ancien article 1348 du Code civil donnait des exemples, tels que « les dépôts faits en cas d’incendie, tumulte ou naufrage» ou encore « les obligations contractées en cas d’accidents imprévus, où l’on ne pourrait pas avoir fait des actes par écrit »
    • L’idée qui préside à cette exception est que lorsque, en raison des circonstances particulières, l’acte juridique n’a pas pu être régularisé dans les formes requises, il y a lieu de dispenser les parties d’écrit et de les autoriser à rapporter la preuve par tout moyen
  • L’impossibilité morale de se procurer un écrit
    • Cette situation se rencontre lorsque l’impossibilité de régulariser un écrit tient soit aux usages, soit aux relations particulières entretenues entre les parties.
    • Il est, en effet, peu courant de rédiger un contrat entre époux, entre parents et enfants ou encore entre concubins.
    • Aussi, parce que certaines relations font obstacle à l’établissement d’un écrit, le législateur autorise que la preuve puisse être rapportée par écrit.

Enfin, pour faire jouer l’exception tenant à l’impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit, l’époux revendiquant devra, au préalable, établir cette impossibilité. Parce qu’il s’agit d’un fait juridique, la preuve est libre.

Ce n’est que s’il y parvient que le juge pourra admettre que le caractère propre du bien dont l’époux revendique la propriété puisse être prouvé par témoignage ou par présomption.

S’agissant des tiers, la question s’est posée en doctrine de savoir s’ils pouvaient se prévaloir de l’exception tenant à l’impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit.

Si l’on s’en tient à une lecture littérale de l’article 1402, al. 2e in fine du Code civil, une réponse négative semble devoir être apportée à cette question.

Le texte prévoit en effet, que la preuve est libre que si le juge « constate qu’un époux a été dans l’impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit ». Il n’est pas fait ici mention des tiers.

Reste que, à l’analyse, les tiers ne seront que très rarement en capacité de se procurer un écrit.

Surtout, conformément au droit commun, si la preuve par écrit peut être imposée aux parties d’un acte, elle ne peut jamais l’être aux tiers.

Par hypothèse, ils sont, en effet, dans l’impossibilité de se constituer un écrit puisque étrangers à l’opération.

Dans ces conditions, les tiers seront toujours autorisés à rapporter le caractère propre d’un bien par tous moyens.

[1] A. Colin et H. Capitant, Traité élémentaire de droit civil français, par M. Julliot de la Morandière, Dalloz, 1936, n°143.

[2] I. Dauriac, Les régimes matrimoniaux et le pacs, éd. LGDJ, 2010, n°353 ; pp. 210-211.

[3] V. notamment H. Mazeaud, La communauté réduite au bon vouloir de chacun des époux, DS 1965, chron. p. 91 ; R. Savatier, La finance ou la gloire, DS 1965, chron. p. 135, A. Précigout, La réforme des régimes matrimoniaux, JCP N 1966. I. 1978, n°89.

[4] A. Colin et H. Capitant, Traité élémentaire de droit civil français, par M. Julliot de la Morandière, Dalloz, 1936, n°143.

[5] R.Plaisant, « la protection du logiciel par le droit d’auteur », Gaz.Pal, 25 septembre 1983, doctr. P2 à 4.

[6] G. Cornu, « La réforme des régimes matrimoniaux », JCP 1967, I, 2128, n°39 à 49.

[7] H., L. et J. Mazeaud, Leçons de droit civil, Paris 1955, t.1, p. 253, n°228.

[8] J. Monnet, « Communauté légale – actif commun », J.-Cl. Civ. code, art. 1400 à 1403, fasc. 20, n°66.

[9] A. Chamoulaud-Trapier, « Communauté légale : actif des patrimoines », Rép. de Droit civil, Dalloz, n°357.

[10] F. Terré et Ph. Simler, Droit civil – Les régimes matrimoniaux, éd. Dalloz, 2011, n°302, p. 238.

[11] A. Coloner, Droit civil – Régimes matrimoniaux, éd. Litec, 2004, n°407, p.198.

[12] G. Ripert et J. Boulanger, Traité élémentaire de droit civil, t. IV, n° 261

[13] J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand Colin, 2001, n°328, p.321.

[14] A. Coloner, Droit civil – Les régimes matrimoniaux, éd. Litec, 2004, n°414, p. 200

[15] F. Terré et Ph. Simler, Droit civil – les régimes matrimoniaux, éd. Dalloz, 2011, n°374, p. 295.