Cession de droits indivis: le droit de substitution

Le droit de substitution, consacré par l’article 815-15 du Code civil, offre aux coïndivisaires une faculté précieuse en cas de vente aux enchères de droits indivis.

Ce mécanisme vise à protéger l’indivision en permettant à l’un des indivisaires de se substituer à l’acquéreur après l’adjudication, moyennant le respect des conditions de la vente.

Distinct du droit de préemption, le droit de substitution s’exerce a posteriori et répond à une finalité similaire : éviter l’intrusion d’un tiers non souhaité dans l’indivision.

Ce dispositif, pensé pour préserver l’équilibre et la cohérence de cette situation juridique, incarne un subtil équilibre entre la protection des indivisaires et la liberté de disposer de sa quote-part.

1. Principe

Le droit de substitution, institué par l’article 815-15 du Code civil, répond à une limite inhérente au droit de préemption prévu à l’article 815-14 du même code. Ce dernier, en effet, ne s’applique qu’en cas de cession amiable des droits indivis d’un coïndivisaire.

Dans le cadre d’une vente aux enchères publiques, les conditions mêmes de l’adjudication – absence de connaissance préalable du prix et de l’identité de l’acquéreur – rendent impossible l’exercice d’un droit de préemption avant la réalisation de la vente.

C’est précisément pour pallier cette lacune et préserver l’objectif fondamental du droit de préemption que le législateur a institué le droit de substitution.

Celui-ci permet aux coïndivisaires de se substituer, a posteriori, à l’adjudicataire, moyennant le paiement du prix d’adjudication. Ce mécanisme, bien qu’intervenant après l’acte de cession, poursuit la même finalité que le droit de préemption : empêcher l’intrusion d’un tiers dans l’indivision.

A cet égard, le mécanisme du droit de substitution est particulièrement pertinent dans le contexte des ventes aux enchères, où les aléas inhérents à l’adjudication – notamment l’incertitude sur le prix et l’identité de l’acquéreur – renforcent le risque de fragmentation de l’indivision.

En instituant ce droit, le législateur a permis de prolonger les garanties offertes par le droit de préemption, tout en adaptant les règles au cadre spécifique des adjudications. Le droit de substitution répond ainsi à une exigence d’équité, en alignant les protections offertes aux coïndivisaires, quel que soit le mode de cession, amiable ou judiciaire.

Enfin, en empêchant l’entrée non désirée d’un tiers dans l’indivision, ce droit contribue également à maintenir la cohésion économique et juridique de la communauté indivisaire, préservant ainsi l’intérêt collectif de ses membres.

2. Domaine

Le droit de substitution, prévu par l’article 815-15 du Code civil, a un champ d’application limité mais essentiel pour préserver la stabilité de l’indivision face au risque d’intrusion d’un tiers.

Ce mécanisme vise spécifiquement les adjudications portant sur les droits indivis d’un coïndivisaire, et non sur les biens indivis eux-mêmes.

a. Adjudication de droits indivis

Le droit de substitution s’applique exclusivement lorsque l’adjudication porte sur tout ou partie des droits indivis d’un coïndivisaire.

Cette restriction découle de la finalité même du dispositif : empêcher l’arrivée d’un tiers dans l’indivision.

Dans un arrêt du 14 février 1989, la Cour de cassation a fermement rappelé cette exigence, en affirmant que « l’article 815-15 du Code civil ne pouvait être appliqué qu’en cas d’adjudication portant sur les droits d’un indivisaire dans les biens indivis et non sur les biens indivis eux-mêmes » (Cass. 1ère civ., 14 févr. 1989, n°87-14.392).

En pratique, cette situation est rare, notamment parce que les créanciers personnels d’un indivisaire ne peuvent saisir ses droits indivis (art. 815-17 C. civ.).

Cependant, elle peut survenir dans certains cas exceptionnels, comme une licitation préalable de la quote-part indivise d’un indivisaire décédé, laissant plusieurs héritiers.

Dans ce cadre, le droit de substitution permet aux coïndivisaires de racheter ces droits et d’éviter l’entrée d’un étranger dans l’indivision.

b. Adjudication d’un bien indivis

Lorsque l’adjudication concerne un bien indivis dans son ensemble, le droit de substitution ne s’applique pas.

Cette limitation se comprend aisément : la vente d’un bien indivis met fin à l’indivision sur ce bien, supprimant ainsi tout risque d’intrusion d’un tiers dans la communauté indivisaire.

La Cour de cassation a confirmé cette règle, en soulignant dans un arrêt du 30 juin 1992 que « si les articles 815-14 et 815-15 du Code civil confèrent à un indivisaire un droit de préemption ou de substitution suivant qu’il y a cession amiable ou licitation de droits indivis par un coïndivisaire, ces textes ne sont applicables, l’un et l’autre, que dans la mesure où l’opération porte sur des droits dans un ou plusieurs biens indivis, et non sur les biens indivis eux-mêmes » (Cass. 1ère civ., 30 juin 1992, n°90-19.052).

Il en résulte que, dans ce cas, les indivisaires ne peuvent pas exercer droit de substitution. L’indivision prenant fin sur le bien vendu, aucune justification ne permettrait de leur reconnaître une telle faculté.

Si la loi n’accorde aucun droit de substitution en cas d’adjudication d’un bien indivis, les parties peuvent toutefois prévoir une telle faculté par voie conventionnelle.

Une clause stipulée dans le cahier des charges de la vente peut ainsi accorder aux coïndivisaires un droit de substitution, à condition que cette stipulation soit clairement formulée et respecte les exigences légales.

La Cour de cassation a validé cette possibilité dans un arrêt du 3 ami 1989 en affirmant qu’aucune règle d’ordre public ne s’y oppose (Cass. 3e civ., 3 mai 1989, n°87-17.094).

Dans cette affaire, un indivisaire avait exercé son droit de substitution après une adjudication sur licitation. L’adjudicataire contestait la validité de la clause en avançant que l’article 815-15 du Code civil n’était pas applicable à la vente du bien indivis en totalité. Toutefois, la Haute juridiction a jugé que la clause, bien que reposant sur une base conventionnelle et non légale, n’avait ni un objet, ni une cause illicite, et qu’aucune disposition impérative ne l’interdisait.

Ce droit de substitution, de nature conventionnelle, se distingue du droit légal prévu par l’article 815-15 du Code civil. Il est soumis aux modalités définies par le l’acte qui l’institue. Ainsi, cet acte peut, par exemple, imposer une consignation préalable des fonds nécessaires à l’exercice de la substitution. La Cour de cassation a rappelé dans un autre arrêt que le non-respect d’une telle condition entraîne la nullité de la déclaration de substitution (Cass. 1re civ., 13 janv. 1993, n°91-13.851).

La rédaction de ces clauses requiert une vigilance particulière. Elles doivent éviter toute ambiguïté, notamment lorsque l’adjudicataire est lui-même un indivisaire. La Troisième chambre civile a précisé que la clause ne saurait empêcher un indivisaire adjudicataire d’acquérir le bien à titre exclusif, en l’absence d’une stipulation explicite dans ce sens (Cass. 3e civ., 17 nov. 2010, n°09-68.013).

3. Mise en œuvre

a. Notification préalable

L’article 815-15 du Code civil prévoit que, dans le cadre d’une adjudication portant sur des droits indivis, « l’avocat ou le notaire doit en informer les indivisaires par notification un mois avant la vente ».

Cette exigence légale, essentielle à la mise en œuvre du droit de substitution, impose aux professionnels en charge de l’adjudication de transmettre aux coïndivisaires les informations nécessaires leur permettant d’évaluer les conditions de la vente et, le cas échéant, d’organiser l’exercice de leur droit.

==>Contenu de la notification

La notification, qui doit intervenir au moins un mois avant la date prévue pour l’adjudication, constitue une étape indispensable pour garantir le respect des droits des indivisaires.

Elle doit comporter des éléments précis, parmi lesquels :

  • La désignation des droits mis en vente, afin de clarifier l’objet de l’adjudication.
  • La date, l’heure et le lieu de la vente, permettant aux indivisaires d’en anticiper le déroulement.
  • Les modalités de consultation du cahier des charges, document clé qui précise les conditions de l’adjudication et les éventuelles clauses spécifiques, telles que les garanties financières ou les obligations de consignation.

L’objectif principal de cette notification est de permettre aux indivisaires de prendre une décision éclairée sur l’opportunité d’exercer leur droit de substitution.

Ce mécanisme, qui s’apparente à un droit de retrait, offre aux coïndivisaires la possibilité de préserver la cohérence de l’indivision en se substituant à l’adjudicataire.

==>Formes de la notification

L’article 815-15 reste relativement souple quant à la forme que doit revêtir la notification.

Deux modes principaux sont admis :

  • La lettre recommandée avec accusé de réception, qui constitue une solution courante mais susceptible de présenter des lacunes, notamment en cas de non-réclamation de la lettre par le destinataire.
  • L’acte extrajudiciaire, solution plus coûteuse mais fortement recommandée pour garantir une sécurité accrue. En effet, ce mode permet de s’assurer que la notification est bien délivrée et que les délais imposés par la loi sont respectés, réduisant ainsi les risques de contentieux.

Lorsque l’adresse des indivisaires n’est pas connue ou qu’un doute subsiste quant à la réception de la notification, le recours à un Commissaire de justice est vivement conseillé. Ce choix limite les risques d’annulation de la vente pour irrégularité de la procédure et renforce la sécurité juridique de l’opération.

==>Sanction

Le non-respect des formalités de notification peut avoir des répercussions importantes. Une notification tardive, incomplète ou omise expose le notaire ou l’avocat à une responsabilité professionnelle si un préjudice en découle.

Ce préjudice peut consister, par exemple, en une privation pour les indivisaires d’exercer leur droit de substitution ou en une perte d’opportunité de maintenir les droits indivis au sein de l’indivision.

En outre, une notification irrégulière ou inexistante pourrait entraîner la nullité de l’adjudication, en application de l’article 815-16 du Code civil, qui sanctionne par la nullité les ventes réalisées en violation des règles prévues par l’article 815-15.

Cette nullité, bien que relative, peut être invoquée par tout indivisaire ou ses héritiers dans un délai de cinq ans à compter de la publication de l’adjudication.

b. Exercice du droit de substitution

L’exercice du droit de substitution, prévu à l’article 815-15 du Code civil, offre aux indivisaires une opportunité unique de se substituer à l’adjudicataire après la réalisation de la vente aux enchères.

Ce mécanisme, qui repose sur un droit de retrait, s’accompagne de formalités strictes et d’un encadrement juridique précis.

==>Formalités de la déclaration de substitution

Une fois l’adjudication réalisée, chaque indivisaire dispose d’un délai d’un mois pour déclarer sa volonté de se substituer à l’adjudicataire.

Cette déclaration, qui peut être effectuée auprès du greffe (en cas d’adjudication judiciaire) ou auprès du notaire (pour une adjudication amiable), doit impérativement être consignée de manière à garantir sa sécurité juridique.

Deux moyens permettent de donner date certaine à cette déclaration :

  • L’acte authentique, dressé par le notaire ou le greffe, qui constitue une preuve irréfutable de la déclaration.
  • L’acte d’un commissaire de justice, solution recommandée pour prévenir tout litige concernant la date de l’exercice du droit.

Le texte ne fixe pas de formalisme particulier, mais il est essentiel que la déclaration soit datée de manière incontestable afin de respecter les exigences légales.

==>Calcul du délai de substitution

Le délai d’un mois imparti pour exercer le droit de substitution court de quantième à quantième, à compter du jour de l’adjudication, conformément aux dispositions de l’article 640 du Code de procédure civile.

Par exemple, si l’adjudication a lieu le 15 mars, le délai expire le 15 avril. Toute déclaration effectuée après ce délai est considérée comme tardive et n’a aucun effet juridique, l’adjudicataire initial conservant alors la qualité d’acquéreur.

==>Cas particulier des déclarations multiples

Lorsque plusieurs indivisaires exercent leur droit de substitution dans le délai légal prévu par l’article 815-15 du Code civil, des conflits peuvent surgir quant à l’attribution du bien mis en adjudication. La jurisprudence a opté pour une application stricte du principe « prior tempore, potior jure », selon lequel le premier indivisaire à déclarer sa substitution est privilégié.

Dans un arrêt du 7 octobre 1997, la Cour de cassation a confirmé que la priorité devait être accordée à l’indivisaire ayant exercé son droit de substitution en premier, même si d’autres indivisaires manifestaient leur intention dans le délai légal (Cass. 1re civ., 7 oct. 1997, n° 95-17.071). Dans cette affaire, plusieurs indivisaires avaient successivement déclaré leur substitution. La Haute juridiction a considéré que seuls les premiers déclarants pouvaient être substitués à l’adjudicataire initial, rejetant ainsi la demande des indivisaires ayant déclaré leur substitution ultérieurement.

Cette solution repose sur l’idée que la substitution agit comme un retrait qui anéantit rétroactivement l’acquisition de l’adjudicataire initial. Elle implique nécessairement qu’un seul indivisaire ou un groupe d’indivisaires coordonnés puisse être substitué pour une même adjudication.

Il est important de souligner que l’arrêt précité portait sur une clause stipulée dans un cahier des charges et non sur l’application directe de l’article 815-15 du Code civil. La Cour de cassation n’a pas explicitement étendu ce principe à toutes les hypothèses relevant de cet article. Par conséquent, un doute subsiste quant à l’applicabilité générale de la règle de priorité temporelle en l’absence de stipulations spécifiques dans le cahier des charges.

Pour éviter les litiges, il est fortement recommandé d’anticiper ces éventualités dans le cahier des charges de l’adjudication. Plusieurs solutions pratiques peuvent être envisagées :

  • Une clause peut stipuler que les indivisaires souhaitant exercer leur droit de substitution doivent se coordonner avant toute déclaration. Cette démarche permet d’éviter des déclarations concurrentes et d’assurer une répartition consensuelle des droits.
  • Une clause peut encore prévoir que, si plusieurs indivisaires exercent leur droit, ils acquièrent ensemble les droits mis en adjudication, en proportion de leur part dans l’indivision. Cette solution, inspirée du droit de préemption, garantit une continuité de l’indivision tout en respectant l’égalité entre coïndivisaires.
  • Enfin, il est possible de préciser dans le cahier des charges que la priorité sera accordée à l’indivisaire ayant respecté certaines conditions objectives (par exemple, consignation préalable des fonds ou dépôt d’une déclaration plus détaillée).

Une fois la substitution validée en faveur du premier déclarant ou d’un groupe d’indivisaires, le transfert de propriété est effectif, et les autres indivisaires ne peuvent plus revendiquer un droit sur les parts adjugées. Toutefois, si des contestations persistent, le juge pourrait être saisi pour statuer sur la validité des clauses du cahier des charges ou des déclarations de substitution.

c. Effets de la substitution

L’exercice du droit de substitution, tel que prévu par l’article 815-15 du Code civil, emporte plusieurs effets.

La substitution opère un remplacement rétroactif de l’adjudicataire par l’indivisaire déclarant. Ce dernier se voit investi de tous les droits attachés à l’acquisition des parts indivises, comme s’il avait lui-même participé à l’adjudication et remporté l’enchère. La rétroactivité de cet effet garantit qu’aucune mutation intermédiaire n’intervient, simplifiant ainsi les implications juridiques et fiscales de l’opération.

L’indivisaire substitué devient immédiatement propriétaire des droits indivis aux mêmes conditions que celles de l’adjudication.

Ce transfert de droits inclut :

  • Le respect du prix d’adjudication.
  • L’acceptation des clauses définies dans le cahier des charges, qui fixent les modalités financières et contractuelles de l’acquisition.

Ce transfert s’effectue sans modification des termes de la vente, assurant ainsi une parfaite transparence et sécurité juridique pour l’ensemble des parties concernées.

Par ailleurs, les clauses financières prévues dans le cahier des charges de la vente trouvent également à s’appliquer à l’indivisaire substitué.

Parmi ces clauses figurent fréquemment :

  • La consignation préalable des fonds : l’indivisaire doit justifier qu’il dispose des montants nécessaires à l’acquisition avant que la substitution ne prenne effet. Cette condition garantit que la substitution ne met pas en péril la finalisation de l’opération.
  • Les garanties éventuelles : si le cahier des charges exige des garanties (par exemple, une caution bancaire ou un dépôt de garantie), celles-ci doivent être fournies par l’indivisaire substitué dans les délais impartis.

En cas de non-respect de ces exigences, la substitution peut être contestée, voire annulée, laissant l’adjudicataire initial dans sa position d’acquéreur.

La substitution opérée dans le cadre du droit de retrait se traduit par une mutation unique.

Cela emporte plusieurs conséquences :

  • Fiscalité simplifiée : l’indivisaire substitué est considéré comme l’acquéreur unique, ce qui évite une double taxation ou des calculs complexes liés à des mutations intermédiaires.
  • Opposabilité immédiate : les tiers, y compris les créanciers et les administrations, peuvent immédiatement considérer l’indivisaire substitué comme propriétaire, une fois la substitution formalisée.

Enfin, la substitution protège l’intégrité de l’indivision en écartant l’intrusion d’un tiers non souhaité.

L’indivisaire substitué reprend sa place dans l’indivision sans altérer la répartition des droits ou les relations entre coïndivisaires. Ce mécanisme renforce ainsi la cohésion et la stabilité de l’indivision, tout en évitant des conflits potentiels avec un adjudicataire extérieur.

d. Sanctions

==>Nullité

L’article 815-16 du Code civil prévoit que toute violation des règles encadrant le droit de substitution fixé à l’article 815-15 est sanctionnée par la nullité de l’adjudication.

Plusieurs situations peuvent donner lieu à une nullité de l’adjudication, en raison de la violation des droits des indivisaires bénéficiaires :

  • Absence de notification préalable
    • L’article 815-15 impose une notification formelle aux indivisaires, un mois avant l’adjudication, effectuée par un avocat (adjudication judiciaire) ou un notaire (adjudication amiable).
    • Si cette notification est omise ou irrégulière (par exemple, absence de preuve de la réception), les indivisaires sont privés de l’information nécessaire pour organiser leur éventuelle substitution, ce qui justifie l’annulation de l’adjudication.
  • Violation des délais de substitution
    • Le délai légal d’un mois pour exercer le droit de substitution est impératif.
    • Toute déclaration faite en dehors de ce délai est sans effet.
    • Si, malgré cette irrégularité, un indivisaire tardif est substitué à l’adjudicataire, l’adjudication peut être frappée de nullité.
  • Omission des droits de substitution dans le cahier des charges
    • L’article 815-15 exige que le cahier des conditions de vente mentionne expressément les droits de substitution.
    • Si cette mention est absente, les indivisaires ne disposent pas des informations nécessaires pour évaluer leur position, compromettant leur droit de substitution.
    • Cette omission peut entraîner non seulement la nullité de l’adjudication, mais aussi la responsabilité professionnelle du notaire ou de l’avocat rédacteur.

==>Nature de la nullité

La nullité prévue par l’article 815-16 est relative, ce qui signifie qu’elle ne peut être invoquée que par les indivisaires lésés ou leurs héritiers.

Cette particularité reflète la volonté du législateur de protéger les intérêts spécifiques des indivisaires tout en évitant de compromettre la stabilité des adjudications au détriment des tiers.

Contrairement à une nullité absolue, qui pourrait être soulevée par tout intéressé, la nullité relative est limitée à ceux dont les droits sont directement affectés.

Elle constitue ainsi un moyen de préserver l’équilibre entre la protection des indivisaires et la sécurité juridique des transactions.

==>Prescription de l’action en nullité

L’action en nullité est soumise à un délai de prescription de cinq ans, qui commence à courir à compter de la publication de l’adjudication aux services de publicité foncière.

==>Responsabilité

Outre la nullité, les professionnels en charge de l’adjudication (avocats ou notaires) peuvent voir leur responsabilité professionnelle engagée si leur manquement a causé un préjudice.

Cela peut inclure :

  • L’absence ou l’irrégularité de la notification préalable.
  • La rédaction défaillante du cahier des charges, omettant les mentions obligatoires.
  • Une négligence dans le contrôle des délais ou des formalités.

Si ces fautes privent les indivisaires de leur droit de substitution ou entraînent une nullité, les professionnels concernés peuvent être tenus de réparer les dommages subis.

==>Conséquences de la nullité

En cas d’annulation de l’adjudication, les droits adjugés retrouvent leur situation antérieure à la vente.

Cette rétroactivité peut engendrer des complications pratiques, notamment si l’adjudicataire a entrepris des démarches sur le bien acquis ou s’il a cédé ses droits à un tiers.

Ces situations peuvent donner lieu à des contentieux supplémentaires, accentuant la nécessité de respecter scrupuleusement les règles encadrant le droit de substitution.

Cession de droits indivis: le droit de préemption

Le droit de préemption constitue une prérogative essentielle pour les coïndivisaires, leur permettant de préserver l’intégrité de l’indivision en cas de cession de droits indivis par l’un d’eux.

Ce mécanisme, ancré dans l’article 815-14 du Code civil, illustre une volonté de concilier la liberté de disposer de sa quote-part avec la nécessité de prévenir l’intrusion d’un tiers non souhaité, susceptible de perturber le fonctionnement harmonieux de l’indivision.

En offrant aux indivisaires un droit prioritaire d’acquérir les droits cédés par leur coïndivisaire, cette institution garantit la continuité d’un lien souvent marqué par des considérations familiales ou personnelles.

Elle permet ainsi de maintenir l’intuitu personae propre à de nombreuses indivisions, tout en encadrant strictement les modalités de son exercice pour éviter tout abus.

1. Origines et mécanisme

Le droit de préemption, consacré par l’article 815-14 du Code civil, a pour ancêtre l’ancien dispositif du retrait successoral.

Ce dernier, régi par l’article 841 ancien du Code civil, visait à permettre à un héritier de se porter acquéreur prioritaire des parts d’un cohéritier cédant, préservant ainsi l’unité familiale au sein de l’indivision successorale.

Cependant, en dépit de sa vocation louable, le retrait successoral se heurtait à des pesanteurs procédurales et à des limites pratiques, notamment l’absence d’un dispositif d’information des coindivisaires et l’incertitude juridique pesant sur les transactions. Ces imperfections ont conduit à sa suppression par la loi du 31 décembre 1976, laquelle a permis l’émergence d’un mécanisme plus abouti : le droit de préemption.

Le droit de préemption se distingue par sa simplicité et son efficacité, apportant une solution aux insuffisances du retrait successoral. Désormais applicable à toute cession à titre onéreux de droits indivis, dès lors qu’elle implique une personne étrangère à l’indivision, ce mécanisme impose au cédant de notifier son intention aux autres indivisaires. Ces derniers se voient alors offrir la faculté de se substituer au cessionnaire envisagé, en acquérant les droits aux mêmes prix et conditions.

Ce cadre procédural, à la fois clair et protecteur, garantit aux indivisaires une protection contre l’intrusion d’un tiers étranger, susceptible de bouleverser l’harmonie de la gestion commune. Ainsi, le droit de préemption parvient-il à concilier deux impératifs essentiels : la liberté contractuelle de l’indivisaire cédant et la préservation de l’affectio communionis, cette solidarité essentielle à l’administration partagée des biens indivis.

L’abrogation du retrait successoral a marqué une étape importante dans l’évolution du droit des successions, illustrant une adaptation du législateur aux contraintes modernes. Ce mécanisme, malgré son ambition louable de préserver l’intégrité familiale, se heurtait à des lourdeurs procédurales, au premier rang desquelles figurait l’exigence d’une double mutation pour aboutir à la transmission effective des droits.

En effet, la mise en œuvre du retrait successoral impliquait, dans un premier temps, une cession initiale des droits indivis du cédant à un tiers cessionnaire, suivie d’une seconde mutation lorsque l’héritier exerçait son droit de retrait pour récupérer ces mêmes droits. Ce processus, outre sa complexité, engendrait des coûts, des délais, et une insécurité juridique pesant sur les transactions.

Le droit de préemption, en remédiant à ces carences, instaure une procédure plus fluide et sécurisante, permettant aux indivisaires d’exercer leur droit directement, sans étape intermédiaire, et d’acquérir les droits cédés aux mêmes prix et conditions que le cessionnaire pressenti. Cette simplification bénéficie tant aux indivisaires qu’aux tiers, en garantissant une meilleure prévisibilité des opérations.

Ainsi, le droit de préemption, véritable héritier rationnalisé de l’ancien droit de retrait, poursuit l’objectif essentiel de stabilité des indivisions tout en favorisant la fluidité des transactions. Il s’impose comme un outil équilibré et moderne, conciliant les impératifs de continuité familiale et de pragmatisme économique.

2. Le domaine du droit de préemption

a. Les indivisions concernées

==>Principe

Contrairement à l’ancien retrait successoral, qui se limitait strictement aux indivisions successorales (ancien article 841 du Code civil), le droit de préemption s’étend désormais à toutes les indivisions relevant du régime général.

Cette extension a été confirmée par la jurisprudence, notamment dans un arrêt de la Cour de cassation du 23 avril 1985 aux termes duquel elle a jugé que « les dispositions de l’article 815-14 […] sont applicables à toutes les indivisions qu’elles soient ou non d’origine successorale » (Cass. 1re civ., 23 avr. 1985, n° 83-16.703).

Dans cette affaire, il s’agissait d’un fonds de commerce exploité en indivision à la suite de successions familiales. Une première cession des droits indivis avait été réalisée en faveur d’un tiers, sans que les coindivisaires aient été consultés. Par la suite, ces droits indivis furent cédés à d’autres acquéreurs sans notification préalable aux indivisaires. Ces derniers, invoquant une violation de leur droit de préemption, saisirent les juridictions compétentes pour obtenir l’annulation de la vente.

La Cour de cassation rejeta le pourvoi du cessionnaire en affirmant avec clarté que les dispositions de l’article 815-14 du Code civil « sont applicables à toutes les indivisions qu’elles soient ou non d’origine successorale ».

Il s’en déduit que le droit de préemption s’applique à toutes les indivisions ordinaires relevant du régime des articles 815 et suivants du Code civil.

Par son universalité, il renforce la cohésion de l’indivision en permettant aux indivisaires de préserver leur affectio communionis face à l’introduction de tiers étrangers. Cela concerne les indivisions successorales, post-communautaires ou conventionnelles, pour toute cession réalisée à titre onéreux.

==>Exclusions

Le domaine du droit de préemption n’est pas sans limites. En effet, bien que le droit de préemption des indivisaires, institué à l’article 815-14 du Code civil, s’applique de manière générale à toutes les indivisions ordinaires, son champ d’application connaît des exclusions.

Ces exclusions, dictées par des considérations juridiques et pratiques, concernent principalement les indivisions qualifiées de forcées et perpétuelles.

Pour mémoire, une indivision est dite forcée et perpétuelle lorsque les biens indivis, par leur nature même, remplissent une fonction indispensable pour d’autres propriétés et ne peuvent, en conséquence, faire l’objet ni d’un partage ni d’une cession ordinaire.

Ces indivisions se rencontrent dans des cas spécifiques où la conservation collective du bien est essentielle à son usage.

Les exemples les plus représentatifs sont :

  • Les servitudes de passage : un chemin d’accès servant plusieurs propriétés indivises, par exemple, constitue souvent une indivision forcée, car son partage ou sa cession porterait atteinte à l’usage des fonds qu’il dessert.
  • Les parties communes nécessaires : il peut s’agir d’une cour commune ou d’un mur mitoyen indispensables à plusieurs parcelles ou bâtiments.
  • Les biens affectés à un service collectif : par exemple, une piscine ou un jardin commun dans le cadre d’un immeuble en copropriété.

Dans ces cas, l’objectif de préserver la fonctionnalité collective et l’intérêt général des propriétaires prime sur le droit individuel à préempter.

A plusieurs reprises, la Cour de cassation a exclu l’application du droit de préemption en présence d’indivisions perpétuelles ou forcées.

Dans un arrêt du 12 février 1985, elle a, par exemple, jugé que le droit de préemption ne pouvait s’appliquer à une parcelle indivise servant de chemin d’accès à plusieurs propriétés, dès lors que cette parcelle constituait un accessoire indispensable à l’usage des fonds qu’elle desservait (Cass. 1re civ., 12 févr. 1985, n°84-10.301). La Première chambre civile reprochait à la juridiction du fond de ne pas avoir recherché si cette parcelle, en sa qualité de desserte essentielle, relevait d’une indivision forcée et perpétuelle, laquelle échappe aux dispositions des articles 815-14 et 815-16 du Code civil.

Dans une logique similaire, la Cour de cassation, dans un arrêt du 8 juin 1999, a rappelé que le caractère forcé et perpétuel d’une indivision devait être apprécié de manière objective et ne pouvait dépendre de la volonté subjective des parties. Elle a ainsi censuré une décision qui, pour retenir l’existence d’une indivision perpétuelle, s’était fondée uniquement sur l’intention des parties sans vérifier si l’usage des parcelles concernées était matériellement impossible sans recourir au bien litigieux (Cass. 1re civ., 8 juin 1999, n°97-13.987).

L’exclusion des indivisions forcées et perpétuelles du champ d’application de l’article 815-14 du Code civil repose sur une logique de préservation de l’équilibre collectif.

Dans ces situations, permettre à un indivisaire d’exercer son droit de préemption contreviendrait à l’affectation essentielle du bien, au détriment des autres propriétaires ou utilisateurs.

Par conséquent, le domaine du droit de préemption, bien qu’étendu, est circonscrit par la nécessité de garantir la continuité et la fonctionnalité des biens indivis indispensables. Ces limites, loin de constituer une entrave, traduisent un équilibre entre les droits des indivisaires et les impératifs collectifs attachés à certains biens.

b. Les cessions concernées

b.1. Une cession portant sur des droits indivis

L’article 815-14 du Code civil prévoit que le droit de préemption s’exerce sur la cession « de tout ou partie des droits dans les biens indivis ou dans un ou plusieurs de ces biens ».

Cette rédaction marque une extension du domaine du droit de préemption rapport à l’ancien retrait successoral, limité aux aliénations portant sur la quote-part globale d’un héritier dans une succession.

Désormais, toute cession à titre onéreux de droits indivis à une personne étrangère à l’indivision est susceptible d’ouvrir ce droit.

Ainsi, il importe peu que la cession porte sur la totalité des droits indivis de l’indivisaire cédant, sur une partie seulement de ces droits, ou sur les droits indivis attachés à un bien déterminé.

Par exemple, un indivisaire peut céder tout ou partie de ses droits indivis dans un immeuble sans que l’étendue de la cession empêche l’exercice du droit de préemption par les coïndivisaires. Cette latitude vise à prévenir toute intrusion d’un tiers dans l’indivision, laquelle pourrait compromettre l’affectio communionis nécessaire à la bonne gestion des biens indivis.

En revanche, dans un arrêt du 30 juin 1992, la Cour de cassation a jugé que le droit de préemption prévu par l’article 815-14 du Code civil ne s’applique que lorsque la cession porte sur des droits indivis et non sur les biens indivis eux-mêmes (Cass. 1re civ., 30 juin 1992, n° 90-19.052).

En l’espèce, à la suite du décès d’un indivisaire, son conjoint survivant et une autre coïndivisaire se trouvaient en indivision sur l’intégralité des parts d’une société à responsabilité limitée ayant pour objet une activité économique spécifique.

Face à l’impossibilité pour l’entreprise de financer les mises aux normes réglementaires exigées par l’administration sous peine de fermeture, le conjoint survivant, gérant de la société, avait obtenu l’autorisation judiciaire de céder l’intégralité des parts sociales de la société en application de l’article 815-5 du Code civil, malgré l’opposition de l’autre coïndivisaire.

Cette dernière a tenté d’exercer un droit de préemption sur les parts sociales ainsi cédées, en invoquant les dispositions de l’article 815-14 du Code civil.

Cependant, la Haute juridiction a confirmé que le mécanisme préemptif est inopérant lorsque la cession porte sur la totalité d’un bien indivis et non sur les droits indivis de l’un des indivisaires.

Elle a estimé que, dans ce cas, la cession, autorisée par le juge, visait à retirer le bien de l’indivision, et non à introduire un tiers dans celle-ci. La substitution du prix de vente au bien dans l’indivision ne justifiait donc pas l’application du droit de préemption, dont la finalité est de protéger l’intégrité de l’indivision face à l’arrivée d’un étranger.

b.2. Une cession conclue à titre onéreux

i. Application aux cessions à titre onéreux

==>Principe

Le droit de préemption s’exerce exclusivement lorsqu’un indivisaire souhaite céder tout ou partie de ses droits indivis à un tiers en contrepartie d’un prix.

L’article 815-14, alinéa 1er, du Code civil pose ainsi comme condition sine qua non la stipulation d’un prix dans la transaction. Cette exigence découle de la finalité même du droit de préemption : permettre aux autres indivisaires de se substituer au cessionnaire en acquérant les droits aux mêmes conditions.

Dès lors, toutes les cessions à titre onéreux, qu’elles portent sur une quote-part de l’ensemble indivis ou sur des droits indivis d’un bien déterminé, sont soumises à ce mécanisme.

Peu importent les modalités de paiement du prix, que ce soit en argent, en rente viagère ou sous une autre forme monétaire, tant que la prestation est quantifiable et fongible, les indivisaires peuvent intervenir pour préserver l’unité de l’indivision.

==>Exceptions

S’il est de principe que le droit de préemption des indivisaires puisse jouer dans le cadre des cessions à titre onéreux, il connaît néanmoins des limites. Certaines opérations, en raison de leur nature ou des caractéristiques spécifiques des prestations convenues, échappent au mécanisme préemptif prévu par l’article 815-14 du Code civil. Ces exclusions sont fondées sur l’impossibilité technique ou juridique pour les coïndivisaires de reproduire la contrepartie stipulée dans le contrat.

  • L’échange
    • Bien que l’échange soit régi par les règles de la vente (article 1707 du Code civil), il est exclu du champ d’application du droit de préemption.
    • En effet, l’échange implique une contrepartie non monétaire, souvent constituée d’un bien précis, non fongible, que les coïndivisaires ne peuvent pas nécessairement fournir.
    • La Cour de cassation a confirmé cette exclusion dans un arrêt du 21 mai 1997 (Cass. 1re civ., 21 mai 1997, n° 95-12.460), soulignant que le mécanisme préemptif repose sur une stricte substitution.
    • Dans cette affaire, des droits mobiliers et immobiliers détenus par deux mineures dans une indivision successorale avaient été cédés à une société.
    • Bien que cette opération ait initialement été qualifiée de vente, elle avait ultérieurement été requalifiée en contrat d’échange.
    • La contrepartie de cet échange consistait en des appartements appartenant à un tiers, promis en échange des droits indivis.
    • Un coïndivisaire avait exprimé son intention d’exercer son droit de préemption afin de se substituer à la société et de préserver l’unité de l’indivision.
    • Cependant, il n’était pas propriétaire des appartements promis en contrepartie, soulevant ainsi la question de l’applicabilité du droit de préemption dans ce contexte.
    • La Cour de cassation a censuré la décision de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, qui avait admis l’exercice du droit de préemption au motif que le coïndivisaire aurait pu se procurer les appartements auprès du coéchangiste pour satisfaire aux termes de l’échange.
    • La Haute juridiction a estimé que cette analyse méconnaissait les exigences de l’article 815-14 du Code civil.
    • Elle a jugé que le droit de préemption exige une stricte identité entre la prestation que le coïndivisaire préempteur doit fournir et celle stipulée dans le contrat initial.
    • En l’espèce, le coïndivisaire était dans l’impossibilité absolue de fournir aux cédants les appartements convenus comme contrepartie, faute d’en être propriétaire.
    • Cette impossibilité matérielle et juridique rendait inapplicable le droit de préemption dans ces circonstances.
  • L’apport en société
    • Lorsque des droits indivis sont apportés à une société, le cédant reçoit en contrepartie des parts sociales, lesquelles s’inscrivent dans une relation d’affectio societatis, fondée sur la confiance et la collaboration entre les associés.
    • Cette prestation, qui n’est pas strictement monétaire, rend le droit de préemption inapplicable, car les coïndivisaires ne peuvent fournir une contrepartie équivalente à celle convenue avec la société.
    • Le mécanisme préemptif repose, en effet, sur la possibilité pour les coïndivisaires de se substituer au cessionnaire en acquérant les mêmes droits et obligations attachées à l’opération.
    • Or, dans le cas d’un apport en société, l’avantage obtenu par le cédant, à savoir des parts sociales, est indissociable de l’intuitus personae propre à l’affectio societatis.
    • Cette spécificité exclut toute possibilité de substitution par les coïndivisaires.
    • La jurisprudence a clairement consacré cette exclusion. Si elle a d’abord été reconnue dans le cadre du droit de préemption des preneurs ruraux (Cass. 3e civ. 4 mars 1971, n°69-10.540), elle a été étendue explicitement au droit de préemption des coïndivisaires régi par l’article 815-14 du Code civil.
    • Ainsi, bien que le droit de préemption s’applique généralement aux cessions à titre onéreux, les apports en société, par leur nature intrinsèque, échappent à ce mécanisme, illustrant une des limites importantes du champ d’application de l’article 815-14 du Code civil (V. en ce sens CA Paris, 11 sept. 1997).
  • La dation en paiement
    • Dans le cadre d’une dation en paiement, la contrepartie attendue par le cédant est l’extinction d’une dette, et non la réception d’un prix monétaire ou d’une prestation fongible.
    • Les coïndivisaires, n’étant pas les créanciers de cette dette, ne peuvent matériellement ni juridiquement se substituer au bénéficiaire pour éteindre l’obligation.
    • Cette impossibilité de fournir une prestation équivalente justifie en principe l’exclusion de la dation en paiement du champ d’application du droit de préemption.
    • À ce jour, il n’a jamais été statué en jurisprudence sur l’applicabilité du droit de préemption dans le cas spécifique de la dation en paiement.
    • Cependant, les principes dégagés dans des situations analogues, notamment concernant des prestations intuitu personae ou des contreparties non monétaires, tendent à exclure cette hypothèse.
    • Certains auteurs ont néanmoins envisagé une solution théorique où les coïndivisaires pourraient exercer leur droit de préemption en payant la dette du cédant au moyen d’une somme d’argent.
    • Cela permettrait d’assurer l’extinction de l’obligation tout en respectant l’exigence de substitution.
    • Toutefois, une telle démarche, bien qu’imaginable, ne correspond pas à l’objet même de la dation en paiement et semble difficilement conciliable avec les attentes légitimes des parties initialement impliquées dans l’opération.
    • En définitive, bien que la dation en paiement ne puisse être considérée comme un obstacle insurmontable à l’exercice du droit de préemption, les caractéristiques intrinsèques de ce mécanisme, qui reposent sur une logique non monétaire, rendent son inclusion hautement improbable dans le périmètre de l’article 815-14 du Code civil.
  • Les ventes intuitu personae
    • Il est admis de longue date que les opérations conclues en considération de la personne du cessionnaire échappent également au droit de préemption.
    • Cette exclusion repose sur le caractère intuitus personae de ces opérations, où la personne de l’acquéreur constitue un élément déterminant du consentement du cédant.
    • Dans de telles situations, il est impossible pour les coïndivisaires de se substituer à l’acquéreur sans altérer la nature même de l’accord initial.
    • Un exemple typique de cette exclusion réside dans le bail à nourriture.
    • Ce type de contrat prévoit que le cédant transfère ses droits indivis en échange d’une obligation de soins ou d’assistance personnelle.
    • La prestation convenue dépasse alors la simple contrepartie monétaire et repose sur des engagements spécifiques directement liés à la personnalité du cessionnaire.
    • Dans un arrêt du 3 octobre 1985, la Cour de cassation a jugé que l’intuitus personae inhérent à ce type d’accord rendait le droit de préemption inapplicable (Cass. 3e civ., 3 oct. 1985).
    • En effet, un coïndivisaire ne saurait fournir une prestation équivalente à celle attendue par le cédant, laquelle est indissociablement liée à la personne choisie.
    • La jurisprudence a, par suite, étendu cette exclusion à d’autres cas toujours en se fondant sur l’existence d’un intuitus personae.
    • Ainsi, elle a admis que le droit de préemption ne pouvait être exercé lorsqu’une cession de droits indivis était consentie à une usufruitière afin de lui permettre de demander l’attribution préférentielle des terres ayant appartenu à son époux.
    • Ici encore, les qualités personnelles du cessionnaire, en tant qu’usufruitière et ayant droit, constituaient le fondement du consentement du cédant, excluant toute possibilité de substitution par les coïndivisaires.

ii. Exclusion des cessions à titre gratuit

Le droit de préemption, prévu par l’article 815-14 du Code civil, est strictement limité aux cessions à titre onéreux, excluant ainsi les transmissions de droits indivis réalisées à titre gratuit.

Cette exclusion trouve son fondement dans l’absence de contrepartie économique, rendant impossible la substitution des coïndivisaires au bénéficiaire désigné par le cédant.

==>Libéralités : donations et legs

Les donations entre vifs et les legs échappent au droit de préemption, comme l’a clairement établi la jurisprudence.

Dans un arrêt de principe rendu le 11 décembre 1984, la Cour de cassation a jugé que, faute de prix stipulé, le mécanisme préemptif devient inopérant (Cass. 1re civ., 11 déc. 1984, n°83-13.874).

En effet, l’absence de contrepartie monétaire rend impossible pour les indivisaires de se substituer au bénéficiaire en acquérant les droits dans les mêmes conditions.

Peu importe que la libéralité soit assortie de charges ou non : la gratuité de l’acte prive le droit de préemption de sa fonction essentielle, à savoir préserver l’unité de l’indivision en empêchant l’entrée d’un tiers moyennant une compensation économique.

Cependant, une autre question complexe se pose concernant les donations assorties de charges. Si ces charges revêtent une importance telle qu’elles confèrent à l’acte un caractère onéreux, certains auteurs suggèrent que le droit de préemption pourrait théoriquement trouver à s’appliquer. Néanmoins, pour que cette hypothèse se concrétise, il serait nécessaire que le caractère onéreux de la donation apparaisse explicitement dès la rédaction de l’acte, ce qui reste une situation rare en pratique.

==>Cas particuliers : donations déguisées

La question des donations déguisées, revêtant les apparences d’une cession à titre onéreux, a suscité des débats.

Dans ces situations, les coïndivisaires peuvent initialement exercer leur droit de préemption sur la base de l’apparente vente.

Toutefois, si la véritable nature de l’acte est ultérieurement qualifiée de donation, la préemption est écartée.

Cette requalification ne saurait cependant être utilisée de manière frauduleuse pour contourner les droits des indivisaires.

En vertu du principe selon lequel « la fraude corrompt tout », une donation dissimulée derrière une prétendue vente, destinée à éluder le droit de préemption des coïndivisaires, peut conduire à l’annulation de l’opération. La Cour de cassation a statué en ce sens dans un arrêt rendu le 11 mars 1997 (Cass. 1ère civ., 11 mars 1997, n°95-15.480).

Dans cette affaire, une indivisaire avait successivement consenti deux actes portant sur ses droits indivis détenus dans un domaine agricole.

Par un premier acte, elle avait octroyé à un bénéficiaire. une donation symbolique représentant 6 centièmes de sa part dans l’indivision. Quelques mois plus tard, par un second acte, elle avait vendu à ce même bénéficiaire une part beaucoup plus significative, correspondant à 90 centièmes de ses droits indivis.

La cour d’appel a constaté que ces deux actes, bien que distincts en apparence, révélaient une intention frauduleuse. En rapprochant le caractère symbolique de la donation et l’importance de la part cédée ultérieurement à titre onéreux, les juges ont déduit que l’objectif poursuivi par la donatrice était d’éluder le droit de préemption de son coïndivisaire. Ce dernier aurait pu, en l’absence de fraude, exercer son droit sur l’ensemble des droits indivis cédés.

La Cour de cassation a approuvé cette analyse, estimant que la donation, bien que licite en apparence, avait été instrumentalisée pour contourner les droits des coïndivisaires. En conséquence, elle a validé l’annulation de l’opération, renforçant ainsi le principe selon lequel le droit de préemption redevient applicable en présence d’une fraude.

b.3. Une cession consentie à une personne étrangère à l’indivision

Pour que le droit de préemption s’applique, il est indispensable que la cession envisagée soit consentie à une personne étrangère à l’indivision.

Cette condition, posée à l’article 815-14, alinéa 1er, du Code civil, reflète la finalité même du mécanisme : éviter l’introduction d’un tiers dans l’indivision afin de préserver son équilibre et sa pérennité. Une telle présence extérieure pourrait en effet perturber la gestion commune des biens indivis, notamment en cas d’intérêts divergents.

==>Principe

L’exigence selon laquelle la cession doit être réalisée au profit d’une personne étrangère à l’indivision s’inscrit dans la logique protectrice du droit de préemption. Ce mécanisme vise à empêcher l’introduction d’un tiers dans l’indivision, une situation qui pourrait perturber la gestion commune des biens indivis et compromettre l’entente nécessaire entre indivisaires.

À l’inverse, lorsque la cession intervient entre coïndivisaires, cette justification disparaît, car aucun élément extérieur ne vient troubler l’équilibre de l’indivision. En vertu de ce principe, un indivisaire est parfaitement libre de céder tout ou partie de ses droits indivis à un autre coïndivisaire sans que les autres puissent s’opposer à cette transaction en invoquant un droit de préemption.

A cet égard, dans un arrêt rendu le 16 avril 1991, la Cour de cassation a rappelé avec force que « tout indivisaire peut librement disposer, au profit d’un cohéritier, de sa quote-part sur un ou plusieurs biens indivis » (Cass. 1re civ., 16 avr. 1991, n°89-17.930).

En l’espèce, des héritiers avaient cédé leurs droits indivis à d’autres membres de l’indivision avant le partage des biens concernés. L’un des indivisaires contestait cette cession, arguant qu’elle portait atteinte à l’équilibre de l’indivision et soulevait des questions quant à la licitation des biens indivis.

La Première chambre civile a rejeté cet argument, affirmant que la liberté de disposer entre coïndivisaires n’est pas limitée par le droit de préemption prévu à l’article 815-14 du Code civil. Ce dernier a pour finalité d’empêcher l’intrusion de tiers étrangers, mais ne s’applique pas aux cessions intervenant entre membres de l’indivision.

De plus, la Haute juridiction a précisé que cette liberté s’étend même aux situations où la cession modifie substantiellement la répartition des droits au sein de l’indivision.

Ainsi, est-il admis qu’un indivisaire puisse acquérir successivement les droits des autres coïndivisaires, jusqu’à détenir une majorité, voire la totalité des parts, sans que les autres indivisaires puissent s’y opposer par le biais du droit de préemption.

==>Cas particulier des relations entre usufruitiers et nus-propriétaires

La cession de droits indivis entre usufruitiers et nus-propriétaires soulève des questions complexes, en raison de la nature distincte des droits en présence.

Bien que les usufruitiers et les nus-propriétaires partagent un intérêt commun sur le bien indivis, ils n’appartiennent pas à la même indivision.

Dans un arrêt du 17 mai 1983, la Cour de cassation a, en effet, jugé que l’usufruitier devait être regardé comme un étranger à l’indivision en nue-propriété (Cass. 1re civ., 17 mai 1983, n°82-11.931).

Dans cette affaire, un indivisaire en nue-propriété avait cédé ses droits indivis à l’usufruitier. Les autres nus-propriétaires ont contesté cette cession, arguant qu’elle aurait dû leur être notifiée afin qu’ils puissent exercer leur droit de préemption.

La Cour de cassation a confirmé cette position, estimant que l’usufruitier, n’étant pas titulaire de droits en nue-propriété, devait être considéré comme une personne étrangère à l’indivision en nue-propriété.

Par conséquent, la cession des droits indivis en nue-propriété à l’usufruitier aurait dû être notifiée aux autres nus-propriétaires, afin de leur permettre d’exercer leur droit de préemption.

Ainsi, lorsqu’un nu-propriétaire décide de céder ses droits indivis à un usufruitier, les autres nus-propriétaires conservent leur droit de préemption.

Cette règle vise à éviter que l’usufruitier n’acquière une position dominante dans l’indivision en nue-propriété, ce qui pourrait déséquilibrer les relations entre les indivisaires.

La même logique s’applique dans le cas inverse : si un usufruitier cède ses droits indivis à un nu-propriétaire, les autres usufruitiers conservent leur droit de préemption.

Cette situation se fonde sur le principe selon lequel chaque catégorie de droits (usufruit et nue-propriété) constitue une indivision distincte. Par conséquent, un nu-propriétaire acquérant des droits en usufruit serait considéré comme un tiers à l’indivision des usufruitiers, ce qui justifie l’ouverture du droit de préemption au profit de ces derniers.

3. L’exercice du droit de préemption

a. Les titulaires du droit de préemption

i. Détermination des titulaires du droit de préemption

==>Les bénéficiaires principaux

L’article 815-14, alinéa 2, du Code civil confère un droit de préemption prioritaire à tout indivisaire en cas de cession de droits indivis à une personne étrangère à l’indivision.

Cette prérogative s’étend à tous les indivisaires, quelle que soit la nature de leurs droits : pleine propriété, nue-propriété ou usufruit.

Par exemple, si un nu-propriétaire indivis décide de céder ses droits à un tiers, ses coïndivisaires en nue-propriété peuvent exercer leur droit de préemption pour préserver l’intégrité de l’indivision.

Ce droit est d’ordre personnel, ce qui signifie que son exercice repose sur la seule appréciation de l’indivisaire concerné, en fonction de son intérêt à éviter l’entrée d’un tiers dans l’indivision.

Ce caractère personnel exclut toute action oblique par les créanciers du titulaire du droit de préemption, mais permet la transmission de ce droit aux héritiers du coïndivisaire.

La jurisprudence a également précisé que ce droit peut être exercé conjointement par plusieurs indivisaires : dans ce cas, ils sont réputés acquérir ensemble les droits cédés, à proportion de leur part respective dans l’indivision (C. civ., art. 815-14, al. 4).

==>Les bénéficiaires subsidiaires

L’article 815-18, alinéa 2, du Code civil introduit un droit de préemption subsidiaire dans les cas où la cession porte sur des droits indivis de nature différente, comme l’usufruit ou la nue-propriété.

Ainsi, en cas de cession de droits indivis en nue-propriété à un tiers, les usufruitiers peuvent exercer un droit de préemption, mais uniquement si aucun autre nu-propriétaire ne s’en porte acquéreur.

De manière symétrique, en cas de cession de droits indivis en usufruit, les nus-propriétaires bénéficient d’un droit de préemption, mais seulement en l’absence d’intérêt manifesté par un autre usufruitier.

Ces droits de préemption subsidiaires, bien que distincts de ceux des coïndivisaires au sens strict de l’article 815-14, visent à protéger les intérêts des titulaires de droits portant sur le même bien, en limitant les risques d’immixtion d’un tiers dans l’équilibre de l’indivision.

La jurisprudence considère en effet que, bien que de nature différente, ces droits confèrent aux usufruitiers et aux nus-propriétaires une proximité suffisante avec l’indivision pour justifier l’existence de ces mécanismes de préemption subsidiaire.

ii. Renonciation au droit de préemption

==>Principe de la renonciation

Bien que le droit de préemption prévu aux articles 815-14 et 815-18 du Code civil vise à protéger les indivisaires contre l’intrusion d’un tiers dans l’indivision, il n’est pas d’ordre public.

Cette caractéristique permet à ses titulaires d’y renoncer librement, dans le respect des conditions de validité requises. La renonciation peut être expresse ou tacite, mais dans tous les cas, elle suppose une volonté non équivoque de ne pas exercer cette prérogative.

==>Renonciation tacite

Une renonciation tacite intervient lorsque l’indivisaire, malgré la notification du projet de cession, laisse s’écouler le délai imparti pour exercer son droit de préemption sans manifester son intention de l’exercer.

Cette absence de réaction est interprétée comme une renonciation implicite, traduisant un désintérêt pour l’acquisition des droits cédés.

Toutefois, chaque nouvelle cession de droits indivis rouvre le droit de préemption et nécessite une nouvelle notification, même si l’indivisaire n’a pas exercé ce droit lors d’une cession antérieure.

==>Renonciation expresse

La renonciation expresse, quant à elle, peut intervenir à différents moments :

  • Avant la notification du projet de cession
    • Un indivisaire peut, dans une convention ou un arrangement préalable, renoncer à exercer son droit de préemption pour toutes les cessions à venir.
    • Cette renonciation, bien que licite, doit être formulée avec précaution et refléter une intention claire et éclairée.
  • Après la notification du projet de cession
    • Une renonciation postérieure à la notification des conditions de la cession projetée est la situation la plus fréquente.
    • Elle exige que l’indivisaire ait connaissance précise des modalités de la cession, notamment le prix, pour que son consentement soit valide.

==>Conditions de validité de la renonciation

La validité d’une renonciation, qu’elle soit tacite ou expresse, repose sur plusieurs critères :

  • D’une part, la volonté de renoncer doit être manifeste et exempte de toute ambiguïté.
  • D’autre part, le renonçant doit avoir une connaissance précise des modalités de la cession pour pouvoir y renoncer en toute conscience.
  • Enfin, si la renonciation est expresse, elle doit être formalisée dans un écrit signé par l’indivisaire ou par acte authentique. Certains auteurs préconisent l’intervention d’un acte authentique, bien que cette formalité ne soit pas obligatoire.

Dans la pratique, il est recommandé que la renonciation expresse fasse l’objet d’un écrit détaillé ou soit intégrée dans l’acte notifiant la cession.

Cela garantit une sécurité juridique optimale pour toutes les parties concernées. En cas de renonciation tacite, le notaire ou le rédacteur de l’acte doit veiller à ce que le délai de préemption ait expiré avant de procéder à la cession.

Enfin, il peut être observé que, compte tenu de ce qu’elle constitue un acte unilatéral une fois la renonciation consommée, qu’elle soit tacite ou expresse, l’indivisaire ne peut plus revenir sur sa décision. La cession des droits indivis peut alors se poursuivre librement, sans que le droit de préemption puisse être opposé ultérieurement.

iii. Exercice simultané par plusieurs indivisaires

L’exercice simultané du droit de préemption par plusieurs coïndivisaires est une hypothèse explicitement prévue par l’article 815-14, alinéa 4, du Code civil.

Aussi, lorsque plusieurs indivisaires notifient leur intention d’exercer leur droit de préemption sur les droits cédés, la loi instaure une règle claire : ces indivisaires sont réputés acquérir ensemble la part mise en vente, à proportion de leurs parts respectives dans l’indivision, sauf convention contraire.

Cette répartition équitable des droits acquis reflète le poids relatif de chaque indivisaire dans l’indivision, évitant ainsi que l’un d’eux prenne un avantage excessif au détriment des autres.

L’objectif est également de maintenir l’unité et la solidarité entre les indivisaires, tout en minimisant les tensions susceptibles de découler d’un déséquilibre dans les acquisitions.

Aussi, l’exercice du droit de préemption des indivisaires ne répond pas à la règle du premier arrivé, premier servi. Tous les coïndivisaires qui exercent leur droit dans les délais impartis sont placés sur un pied d’égalité.

Cette égalité de traitement découle du fait que la notification du projet de cession ne constitue pas une offre de vente qui pourrait être acceptée unilatéralement par un indivisaire. La vente ne devient parfaite qu’une fois que l’ensemble des indivisaires ayant manifesté leur volonté de préempter sont reconnus comme acquéreurs selon les règles prévues par la loi.

La règle de l’acquisition proportionnelle n’est toutefois pas impérative. Les indivisaires peuvent convenir entre eux d’un autre mode de répartition des droits acquis, à condition que cette convention respecte les formes légales et soit acceptée par l’ensemble des parties concernées.

Par exemple l’un des indivisaires pourrait acquérir l’intégralité des droits cédés avec l’accord des autres. On peut également imaginer, une répartition différente soit établie en fonction d’accords antérieurs ou d’autres critères objectifs.

En tout état de cause, lorsque plusieurs indivisaires exercent leur droit simultanément, la répartition proportionnelle suppose une coordination dans le paiement du prix d’acquisition. Chaque indivisaire participant à l’opération doit verser sa quote-part, calculée en fonction de ses droits dans l’indivision.

Le notaire ou l’intermédiaire chargé de la transaction doit veiller à ce que les modalités financières soient clairement définies et exécutées, afin d’éviter tout litige ultérieur.

En présence de droits de nature différente (usufruit et nue-propriété), l’exercice simultané du droit de préemption par plusieurs indivisaires peut nécessiter une ventilation spécifique des droits acquis entre usufruitiers et nus-propriétaires.

Cette ventilation doit respecter les règles posées par l’article 815-18, alinéa 2, du Code civil.

Dans certains cas, le curateur d’une succession vacante pourrait également intervenir pour exercer le droit de préemption au nom de la succession, en application des règles spécifiques de gestion.

b. Les modalités d’exercice du droit de préemption

i. Notification de la cession envisagée

==>Principe de la notification

L’article 815-14, alinéa 1er, du Code civil impose à l’indivisaire souhaitant céder ses droits indivis de notifier son projet aux autres coïndivisaires.

Cette formalité vise à informer les coïndivisaires des conditions de la cession projetée et à leur permettre, le cas échéant, d’exercer leur droit de préemption.

Ce principe s’étend également, en vertu de l’article 815-18, alinéa 2, aux cessions portant sur des droits en usufruit ou en nue-propriété, avec une obligation de notification envers tous les usufruitiers et nus-propriétaires concernés.

==>Auteur de la notification

Le Code civil prévoit, à l’article 815-14, que l’obligation de notifier aux coïndivisaires le projet de cession incombe à l’indivisaire cédant.

Ce dernier, initiateur de la cession, est, en effet, le mieux placé pour fournir les informations sur les conditions de la transaction et l’identité du cessionnaire pressenti. C’est la raison pour laquelle c’est sur lui que pèse l’obligation de notifier la cession aux coindivisaires dans les formes prescrites par la loi.

Cependant, il peut arriver que le cédant néglige ou refuse de notifier le projet de cession, compromettant ainsi la validité de l’opération.

Dans une telle hypothèse, la jurisprudence admet que le bénéficiaire d’une promesse de cession puisse, par voie oblique, procéder lui-même à la notification aux coïndivisaires (V. en ce sens CA Bordeaux, 29 janv. 1996).

La reconnaissance de cette faculté au bénéficiaire de l’opération repose sur des considérations pratiques et juridiques.

L’absence de notification par le cédant pourrait entraîner l’annulation de la cession pour violation des droits des coïndivisaires. En permettant au bénéficiaire d’une promesse de cession de procéder lui-même à la notification, cela permet de préserver les intérêts des parties à l’opération tout en respectant les droits des coïndivisaires.

Toutefois, cette intervention à titre subsidiaire est encadrée : le bénéficiaire ne peut agir qu’en cas de défaillance du cédant et doit se conformer aux prescriptions légales, tant s’agissant du contenu que de la forme de la notification.

==>Forme de la notification

La notification des conditions de la cession projetée doit être réalisée par acte extrajudiciaire, conformément aux prescriptions de l’article 815-14, alinéa 1er, du Code civil.

Ce formalisme a pour objectif principal de garantir la sécurité juridique en assurant une preuve incontestable de l’information transmise aux coïndivisaires. L’utilisation de cette forme de notification permet également de prévenir les contestations ultérieures quant à la validité de la notification.

Toutefois, la Cour de cassation a admis qu’une notification réalisée par lettre recommandée avec accusé de réception pouvait être considérée comme valable, à condition qu’elle comporte toutes les informations exigées par la loi (Cass. 1re civ., 9 oct. 1991, n°89-17.916).

En l’espèce, une indivisaire, avait exercé son droit de préemption par lettre recommandée adressée au notaire chargé de l’opération.

La société bénéficiaire d’une promesse unilatérale de vente sur les mêmes droits indivis contestait la validité de cette préemption en raison de l’absence de notification par acte extrajudiciaire, comme le prévoit le texte.

Toutefois, la Cour a confirmé la validité de la préemption exercée, en considérant que la lettre recommandée avait permis aux coïndivisaires de recevoir toutes les informations nécessaires pour évaluer l’opération projetée.

Cette solution procède d’une approche fonctionnelle de l’article 815-14 du Code civil. Elle met l’accent sur la finalité de la notification, à savoir garantir une information complète et traçable, plutôt que sur une stricte exigence formelle.

A cet égard, la Haute juridiction a souligné que les coïndivisaires avaient renoncé à exiger des formalités supplémentaires, ce qui rendait sans effet l’argument du formalisme invoqué par la société bénéficiaire.

Ainsi, bien que l’acte extrajudiciaire demeure la forme devant être privilégiée, cet arrêt admet une certaine souplesse quant à la forme de la notification, dès lors que l’objectif d’information des coïndivisaires est atteint et que leur consentement éclairé est préservé.

==>Contenu de la notification

La notification du projet de cession doit, conformément aux exigences de l’article 815-14 du Code civil, impérativement comporter deux types d’informations :

  • Les conditions de la cession
    • Les coïndivisaires doivent être pleinement informés des aspects financiers et contractuels de l’opération projetée.
    • À ce titre, la notification doit indiquer :
      • Le prix de cession : élément central permettant d’évaluer la faisabilité et l’opportunité d’exercer le droit de préemption.
      • Les modalités de paiement : incluant notamment les délais éventuels pour régler le prix, les intérêts applicables en cas de paiement différé, ou encore toute disposition spécifique liée à l’échelonnement des versements.
      • Les frais annexes : par exemple, les honoraires d’intermédiaires ou de notaires, qui peuvent avoir une incidence sur l’équilibre économique de l’opération.
    • Ces informations précises permettent aux coïndivisaires de mesurer l’étendue des obligations qu’ils auraient à assumer s’ils décidaient de préempter.
    • Toute omission ou imprécision pourrait les induire en erreur et compromettre leur capacité à prendre une décision éclairée.
  • Des informations relatives au cessionnaire
    • La notification doit également permettre aux coïndivisaires de s’assurer que la personne appelée à entrer dans l’indivision ne compromettra pas l’équilibre de celle-ci.
    • À cette fin, la loi exige que soient communiqués :
      • Le nom du cessionnaire : permettant de l’identifier avec certitude.
      • Le domicile : offrant une indication sur sa situation géographique et facilitant d’éventuelles démarches futures.
      • La profession : pouvant fournir des indices sur ses intentions ou sa capacité à gérer l’indivision.
    • Ces éléments subjectifs revêtent une importance particulière dans une indivision où l’affectio communionis doit être préservée.
    • Ils permettent aux coïndivisaires d’évaluer si l’intégration du cessionnaire pressenti est compatible avec les intérêts communs.

Toute notification omettant l’une de ces informations essentielles est susceptible d’être qualifiée d’irrégulière.

Une telle irrégularité pourrait entraîner des conséquences importantes, notamment l’impossibilité pour le cédant de se prévaloir de l’absence d’exercice du droit de préemption par les coïndivisaires, voire la nullité de la cession elle-même.

Cette exigence vise à garantir une transparence totale et à protéger les droits des indivisaires contre toute tentative d’évasion de leurs prérogatives.

==>Portée de la notification

La notification constitue l’acte par lequel les coïndivisaires sont informés des conditions de la cession envisagée et peuvent manifester leur intention d’exercer leur droit de préemption. Elle ouvre ainsi la voie à l’exercice de ce droit, mais n’emporte pas pour autant offre de vente.

Conformément à une jurisprudence désormais constante, la notification effectuée en application de l’article 815-14 du Code civil ne peut être assimilée à une offre de vente.

Cette position repose sur une interprétation stricte du texte, visant à respecter l’intention du législateur et la volonté manifeste de l’indivisaire cédant.

La Cour de cassation a ainsi affirmé que la notification, destinée à informer les coïndivisaires et à leur permettre d’exercer leur droit de préemption, n’impose aucune obligation au cédant quant à la réalisation de la cession projetée (Cass. 1ère civ., 5 juin 1984, n°83-10.660).

Cette jurisprudence s’appuie sur l’idée que la notification ne constitue qu’un préalable à l’exercice du droit de préemption et non une offre de vendre.

Comme souligné par la Première chambre civile dans la décision précitée, « à défaut de disposition le précisant dans l’article 815-14 du Code civil, qui a seulement pour but d’éviter l’intrusion d’un tiers étranger à l’indivision, la notification faite au titulaire du droit de préemption de l’intention de céder les droits indivis ne vaut pas offre de vente ».

Cette analyse a été confirmée dans un arrêt du 9 février 2011, où la Cour a rappelé que l’indivisaire cédant conserve la faculté de renoncer à son projet de cession, et ce, même après que l’un des coïndivisaires a manifesté son intention de préempter (Cass. 1ère civ., 9 févr. 2011, n°10-10.759).

Cette solution garantit un équilibre entre la protection des coïndivisaires contre l’intrusion d’un tiers dans l’indivision et la liberté contractuelle du cédant.

Ainsi, le droit de préemption, bien qu’il vise à préserver l’harmonie entre les coïndivisaires et à maintenir l’affectio communionis, n’impose pas au cédant de conclure la cession, dès lors qu’aucune disposition expresse ne prévoit une telle obligation.

Cette jurisprudence illustre un équilibre subtil entre deux objectifs : la protection des coïndivisaires et la préservation de la liberté contractuelle du cédant.

D’une part, le droit de préemption conféré aux coïndivisaires constitue un rempart contre l’intrusion d’un tiers étranger, permettant ainsi de maintenir l’affectio communionis, indispensable à la gestion harmonieuse de l’indivision.

D’autre part, la liberté contractuelle demeure intacte, le cédant conservant la faculté de renoncer à son projet si les circonstances le justifient.

Dans les situations où la cession concerne des droits en usufruit ou en nue-propriété, la mécanique du droit de préemption se complexifie en raison de la nature distincte de ces droits.

L’article 815-18, alinéa 2, du Code civil établit une hiérarchie stricte dans l’exercice des droits de préemption.

Les coïndivisaires directs, partageant la même nature de droits que le cédant, bénéficient d’une priorité absolue.

Ce n’est qu’après la purge de ces droits prioritaires que les nus-propriétaires ou usufruitiers peuvent, à titre subsidiaire, se prévaloir de leur propre droit de préemption.

Cette hiérarchie repose sur un double objectif :

  • D’une part, elle garantit aux coïndivisaires directs un moyen efficace de préserver la stabilité de l’indivision en écartant toute intrusion intempestive.
  • D’autre part, elle reconnaît la spécificité des relations juridiques entre usufruitiers et nus-propriétaires, qui, bien que distinctes en nature, convergent sur un même objet matériel.

Cette approche reflète une volonté claire du législateur : favoriser en premier lieu les acteurs les plus directement impliqués dans la gestion de l’indivision avant d’élargir le cercle des bénéficiaires.

ii. Réponse des titulaires du droit de préemption

==>Principe

L’article 815-14, alinéa 2, confère à tout indivisaire, après notification d’un projet de cession, la possibilité d’exercer un droit de préemption en se substituant au cessionnaire pressenti.

Ce droit est conditionné par une déclaration expresse adressée au cédant et formulée dans les conditions prévues par la loi.

L’objectif est double : permettre aux indivisaires de préserver l’harmonie au sein de l’indivision en écartant l’entrée d’un tiers, tout en garantissant au cédant une sécurité juridique quant aux modalités de réponse.

==>Délai de réponse

Le délai pour manifester l’intention de préempter est fixé à un mois à compter de la notification du projet de cession.

Ce délai, considéré comme raisonnable, permet aux indivisaires d’évaluer les implications financières et juridiques d’un éventuel exercice du droit.

Si un indivisaire souhaite renoncer à son droit, il peut se contenter de laisser s’écouler ce délai sans manifester sa volonté.

L’absence de réponse équivaut alors à une renonciation tacite, conformément à l’interprétation majoritaire des textes et de la jurisprudence.

==>Forme de la réponse

Pour exercer son droit de préemption, l’indivisaire doit adresser sa réponse au cédant par un acte extrajudiciaire. Cette exigence, identique à celle prévue pour la notification initiale, vise à garantir une preuve incontestable de la manifestation de volonté.

Chaque indivisaire désireux de préempter doit effectuer une déclaration distincte. En revanche, la loi n’impose pas de notification au cessionnaire pressenti, bien que cette démarche soit recommandée pour éviter toute confusion ou litige ultérieur, notamment en cas de signature prématurée d’un acte de cession.

==>Termes de la réponse

L’indivisaire préempteur, en manifestant sa volonté d’exercer son droit, est tenu de se conformer intégralement aux exigences suivantes :

  • Le prix fixé dans la notification
    • Le prix de cession doit être accepté dans son intégralité, sans aucune renégociation possible.
    • Ce montant constitue un élément central du contrat projeté et reflète l’accord initial entre le cédant et le cessionnaire pressenti.
  • Les modalités de paiement
    • Cela inclut les délais de paiement, les taux d’intérêt appliqués en cas de paiement différé, ainsi que toute autre condition financière précisée dans la notification.
    • L’indivisaire préempteur doit s’engager à respecter ces modalités dans leur intégralité.
  • Les conditions accessoires
    • Les éventuels frais liés à la cession, tels que les commissions d’agents immobiliers ou autres intermédiaires, doivent également être pris en charge par l’indivisaire.
    • Ces conditions, bien que secondaires, sont indissociables des termes de la cession projetée dès lors qu’elles figurent dans la notification.

L’indivisaire exerçant son droit de préemption n’a aucune latitude pour modifier les conditions initiales.

La Cour de cassation a réaffirmé avec rigueur le principe selon lequel l’indivisaire exerçant son droit de préemption doit se conformer strictement aux termes de la cession notifiés, sans possibilité de les modifier.

Dans un arrêt du 18 janvier 2012, la Haute juridiction a, en effet, eu à se prononcer sur une situation où l’indivisaire préempteur avait tenté d’introduire une condition suspensive non prévue initialement (Cass. 1ère civ., 18 janv. 2012, n°10-28.311).

En l’espèce, un indivisaire avait notifié à son coïndivisaire son intention de céder ses parts pour un prix déterminé, payable comptant le jour de la signature de l’acte authentique.

Le coïndivisaire, souhaitant exercer son droit de préemption, avait répondu dans le délai légal. Cependant, lors de la rédaction du projet d’acte, il avait stipulé une clause conditionnant la vente à l’obtention d’un prêt bancaire, condition qui ne figurait pas dans les termes notifiés par le cédant.

La Cour de cassation a considéré que cette modification substantielle des conditions de la cession initiale rendait la déclaration de préemption irrégulière. En effet, en ajoutant une condition suspensive non prévue, l’indivisaire préempteur avait dévié des termes exacts de l’offre, ce qui est incompatible avec l’exigence d’acceptation pure et simple imposée par la loi. La Première chambre civile a donc validé la vente réalisée par le cédant au profit du tiers initialement pressenti, estimant que le droit de préemption n’avait pas été valablement exercé.

Cette décision illustre la stricte application du principe d’immutabilité des conditions de la cession dans le cadre du droit de préemption des indivisaires.

Contrairement à d’autres régimes spéciaux, tels que celui du preneur rural, où la loi permet une certaine adaptation des conditions de la vente, l’indivisaire ne dispose d’aucune marge de manœuvre pour modifier les termes notifiés. Toute tentative de négociation ou d’ajout de clauses supplémentaires est susceptible d’entraîner l’invalidité de la préemption.

Ainsi, l’indivisaire souhaitant exercer son droit doit accepter intégralement le prix, les modalités de paiement et les conditions accessoires telles qu’elles lui ont été notifiées.

Cette exigence vise à assurer la sécurité juridique des transactions et à éviter que le droit de préemption ne soit détourné de sa finalité, qui est de permettre aux coïndivisaires de maintenir l’harmonie au sein de l’indivision sans porter atteinte aux droits du cédant.

==>Effets de la réponse

L’exercice du droit de préemption opéré par un indivisaire se traduit par une substitution automatique et intégrale au cessionnaire initialement pressenti, conformément à l’article 815-14 du Code civil.

Cette substitution vise à reproduire le cadre contractuel initial sans altération, en maintenant l’équilibre des droits et obligations prévus par la cession.

  • Substitution dans les obligations souscrites envers le cédant
    • L’indivisaire préempteur est tenu d’exécuter l’ensemble des obligations stipulées dans le projet de cession notifié, sans déviation possible.
    • La conséquence en est que si les conditions de la cession, telles qu’énoncées dans la notification, échouent à se réaliser, l’exercice du droit de préemption est privé d’effet.
    • L’indivisaire préempteur ne peut alors se substituer au cessionnaire pour conclure la vente.
  • Substitution dans les obligations souscrites envers les tiers
    • L’indivisaire exerçant son droit de préemption doit également se conformer aux obligations contractuelles du cessionnaire à l’égard de tiers, à condition qu’elles aient été dûment portées à sa connaissance dans la notification.
    • Ainsi, la portée de la substitution s’étend, notamment :
      • Aux commissions des intermédiaires : si la notification mentionne des frais d’agents immobiliers ou d’intermédiaires liés à la cession, le préempteur est tenu de les acquitter.
      • Dans un arrêt du 26 mars 1996, la Cour de cassation a validé la condamnation d’un indivisaire préempteur à payer la commission due à un agent immobilier, cette obligation ayant été stipulée dans les termes de la cession notifiée (Cass. 1re civ., 26 mars 1996, n°93-17.574).
      • Aux frais accessoires et charges : tous les termes et conditions qui figurent dans la notification doivent être intégralement respectés par le préempteur, qu’il s’agisse de frais de notaire, de charges ou d’autres obligations similaires.
    • Toutefois, cette substitution ne saurait s’appliquer à des engagements du cessionnaire qui n’auraient pas été expressément mentionnés dans la notification.
    • En effet, la portée de l’article 815-14 est limitée aux conditions strictement notifiées, de sorte que le préempteur ne peut être tenu à des obligations dont il n’a pas eu connaissance.

iii. Réalisation de l’acte de vente

==>Délai de réalisation de la vente

  • Délai imparti et point de départ
    • L’article 815-14, alinéa 3, accorde à l’indivisaire préempteur un délai de deux mois pour réaliser l’acte de vente.
    • Ce délai court à compter de la date d’envoi de la réponse au vendeur, formalisée par acte extrajudiciaire.
    • Le mode de calcul de ce délai suit les dispositions de l’article 641 du Code de procédure civile : lorsque le délai expire un jour férié, un samedi ou un dimanche, il est prorogé au premier jour ouvrable suivant.
  • Notion de réalisation de la vente
    • Le texte exige que la vente soit “réalisée” dans le délai imparti.
    • Cette notion reste sujette à interprétation.
    • Bien qu’il soit généralement admis que l’acte authentique constitue le standard attendu, il est également possible de considérer une vente comme “réalisée” si un accord définitif des parties est constaté, même sous seing privé, dès lors que cet accord respecte les conditions notifiées.

==>Non-respect du délai

  • Mise en demeure adressée au préempteur
    • Si la vente n’est pas réalisée dans le délai de deux mois, le cédant peut adresser une mise en demeure au préempteur pour qu’il conclue l’acte.
    • La mise en demeure peut être effectuée par sommation d’un Commissaire de justice ou par lettre recommandée.
    • Le délai de mise en demeure n’est pas strictement encadré par la loi et peut être initié longtemps après l’expiration des deux mois initiaux.
    • Ce mécanisme vise à protéger le cédant contre l’inaction du préempteur tout en lui offrant un cadre clair pour faire valoir ses droits.
  • Mise en demeure sans suite
    • Si, après un délai de quinze jours suivant la mise en demeure, l’acte de vente n’est toujours pas réalisé, la déclaration de préemption est nulle de plein droit.
    • Cette nullité n’exige aucune formalité supplémentaire, mais une contestation peut néanmoins survenir, nécessitant alors l’intervention du juge.
    • En l’absence de contestation, le cédant retrouve sa liberté contractuelle et peut conclure la vente avec le cessionnaire initial.

==>Cession au préempteur

  • Action en complément de part pour lésion
    • La cession des droits indivis au profit du préempteur est assimilée à un partage, ouvrant la possibilité d’une action en complément de part pour lésion si le prix convenu est inférieur d’un quart à la valeur réelle des droits cédés. Cependant, cette action est exclue en présence d’un aléa défini et accepté dans l’acte (article 891 du Code civil).
    • L’existence de cet aléa doit être appréciée à la date de l’acte d’exercice du droit de préemption.
  • Préemption exercée par plusieurs indivisaires
    • Lorsque plusieurs indivisaires exercent leur droit, l’article 815-14, alinéa 4, prévoit qu’ils acquièrent ensemble, à proportion de leurs droits dans l’indivision, sauf convention contraire.
      • En cas de droits égaux : chaque indivisaire préempteur acquiert une part égale.
      • En cas de droits inégaux : l’acquisition se fait en proportion des droits de chacun, sauf accord particulier précisant d’autres modalités.
  • Délais de paiement et ajustements
    • Si des délais de paiement ont été consentis au cessionnaire initial, le préempteur est soumis aux mêmes modalités.
    • L’article 815-14, alinéa 5, renvoie à l’application de l’article 828 du Code civil, prévoyant des ajustements en cas de variation significative de la valeur des droits cédés.
    • Toutefois, les parties peuvent convenir contractuellement que le montant dû reste fixe, afin de prévenir tout litige lié aux fluctuations économiques.

4. La sanction de la violation du droit de préemption

a. Principe de la nullité

L’article 815-16 dispose que « toute cession ou toute licitation opérée au mépris des dispositions des articles 815-14 et 815-15 est nulle ». La nullité est donc la sanction générale applicable dans ce cadre.

Cette nullité frappe indifféremment :

  • Les cessions amiables effectuées sans notification préalable régulière ;
  • Les adjudications, lorsque les indivisaires n’ont pas été dûment informés.

La nullité s’applique également lorsque la notification est irrégulière dans sa forme. Ainsi, une notification ne respectant pas les modalités prévues à l’article 815-14, telle qu’une absence d’acte extrajudiciaire, ne saurait être régularisée par le principe selon lequel « pas de nullité sans grief » (art. 114 du CPC), comme l’a confirmé la Cour de cassation dans un arrêt du 5 mars 2022 (Cass. 1ère civ., 5 mars 2002, n°00-13.511).

Enfin, la bonne foi de l’acquéreur ou de l’adjudicataire est sans incidence : le simple manquement aux exigences légales entraîne la nullité de la cession. Cette rigueur reflète la volonté de protéger efficacement les droits des coïndivisaires.

b. Régime de la nullité

La nullité prévue par l’article 815-16 est une nullité relative, car visant exclusivement à protéger les indivisaires bénéficiaires du droit de préemption.

==>Titulaires de l’action

Seuls les indivisaires à qui les notifications devaient être faites, ou leurs héritiers, peuvent invoquer cette nullité.

En revanche, un indivisaire qui avait connaissance du projet de cession, même en l’absence de notification formelle, et qui n’avait pas l’intention d’exercer son droit de préemption, ne saurait en demander l’annulation.

==>Absence de renonciation explicite

Lorsqu’un indivisaire n’a pas renoncé de manière explicite à son droit, l’absence de notification ou le non-respect des formes prévues ouvre à celui-ci, ou à ses ayants droit, la possibilité de solliciter l’annulation de la cession.

c. Prescription de l’action en nullité

L’article 815-16 prévoit que l’action en nullité se prescrit par cinq ans. Ce délai, destiné à garantir une certaine sécurité juridique, commence à courir à partir de la date de publication de l’acte de cession au registre foncier.

Cette publication rend la cession opposable aux tiers et présume la connaissance par les coïndivisaires (Cass. 1re civ., 5 mars 2014, n°12-28.348).

Cette exigence est susceptible de soulever une difficulté dans les cas où la cession a été effectuée en fraude des droits de préemption et où les indivisaires n’en prennent connaissance qu’après plusieurs années.

En effet, la loi ne prévoit aucun report du point de départ du délai en cas de découverte tardive de la fraude.

En tout état de cause, une fois le délai de cinq ans écoulé, l’action en nullité est définitivement irrecevable. Les indivisaires lésés ne disposent alors que d’une action éventuelle en responsabilité contre le notaire rédacteur, si celui-ci a omis de notifier correctement la cession.

Indivision: les droits de préemption et de substitution sur les parts indivises

Dans le cadre de l’indivision, chaque indivisaire dispose d’un droit exclusif sur sa quote-part abstraite, qui lui confère la faculté d’en disposer librement, notamment par cession. Cette liberté, essentielle à la nature même du droit de propriété, n’est toutefois pas absolue.

Elle s’inscrit dans un régime spécifique destiné à préserver l’équilibre fragile de l’indivision, souvent marquée par un intuitu personae, et à prévenir l’introduction de tiers non souhaités dans la communauté indivise.

Les mécanismes du droit de préemption et du droit de substitution, institués par la réforme de 1976, traduisent cette volonté de protéger les coïndivisaires face aux risques inhérents à l’aliénation des droits indivis.

Ces dispositifs permettent aux indivisaires d’intervenir pour maintenir la cohérence de l’indivision, tout en respectant la faculté de cession attachée à chaque quote-part. Ils incarnent ainsi un subtil équilibre entre la liberté individuelle des indivisaires et les exigences collectives inhérentes à cette situation juridique particulière.

A) Le droit de préemption

Le droit de préemption constitue une prérogative essentielle pour les coïndivisaires, leur permettant de préserver l’intégrité de l’indivision en cas de cession de droits indivis par l’un d’eux.

Ce mécanisme, ancré dans l’article 815-14 du Code civil, illustre une volonté de concilier la liberté de disposer de sa quote-part avec la nécessité de prévenir l’intrusion d’un tiers non souhaité, susceptible de perturber le fonctionnement harmonieux de l’indivision.

En offrant aux indivisaires un droit prioritaire d’acquérir les droits cédés par leur coïndivisaire, cette institution garantit la continuité d’un lien souvent marqué par des considérations familiales ou personnelles.

Elle permet ainsi de maintenir l’intuitu personae propre à de nombreuses indivisions, tout en encadrant strictement les modalités de son exercice pour éviter tout abus.

1. Origines et mécanisme

Le droit de préemption, consacré par l’article 815-14 du Code civil, a pour ancêtre l’ancien dispositif du retrait successoral.

Ce dernier, régi par l’article 841 ancien du Code civil, visait à permettre à un héritier de se porter acquéreur prioritaire des parts d’un cohéritier cédant, préservant ainsi l’unité familiale au sein de l’indivision successorale.

Cependant, en dépit de sa vocation louable, le retrait successoral se heurtait à des pesanteurs procédurales et à des limites pratiques, notamment l’absence d’un dispositif d’information des coindivisaires et l’incertitude juridique pesant sur les transactions. Ces imperfections ont conduit à sa suppression par la loi du 31 décembre 1976, laquelle a permis l’émergence d’un mécanisme plus abouti : le droit de préemption.

Le droit de préemption se distingue par sa simplicité et son efficacité, apportant une solution aux insuffisances du retrait successoral. Désormais applicable à toute cession à titre onéreux de droits indivis, dès lors qu’elle implique une personne étrangère à l’indivision, ce mécanisme impose au cédant de notifier son intention aux autres indivisaires. Ces derniers se voient alors offrir la faculté de se substituer au cessionnaire envisagé, en acquérant les droits aux mêmes prix et conditions.

Ce cadre procédural, à la fois clair et protecteur, garantit aux indivisaires une protection contre l’intrusion d’un tiers étranger, susceptible de bouleverser l’harmonie de la gestion commune. Ainsi, le droit de préemption parvient-il à concilier deux impératifs essentiels : la liberté contractuelle de l’indivisaire cédant et la préservation de l’affectio communionis, cette solidarité essentielle à l’administration partagée des biens indivis.

L’abrogation du retrait successoral a marqué une étape importante dans l’évolution du droit des successions, illustrant une adaptation du législateur aux contraintes modernes. Ce mécanisme, malgré son ambition louable de préserver l’intégrité familiale, se heurtait à des lourdeurs procédurales, au premier rang desquelles figurait l’exigence d’une double mutation pour aboutir à la transmission effective des droits.

En effet, la mise en œuvre du retrait successoral impliquait, dans un premier temps, une cession initiale des droits indivis du cédant à un tiers cessionnaire, suivie d’une seconde mutation lorsque l’héritier exerçait son droit de retrait pour récupérer ces mêmes droits. Ce processus, outre sa complexité, engendrait des coûts, des délais, et une insécurité juridique pesant sur les transactions.

Le droit de préemption, en remédiant à ces carences, instaure une procédure plus fluide et sécurisante, permettant aux indivisaires d’exercer leur droit directement, sans étape intermédiaire, et d’acquérir les droits cédés aux mêmes prix et conditions que le cessionnaire pressenti. Cette simplification bénéficie tant aux indivisaires qu’aux tiers, en garantissant une meilleure prévisibilité des opérations.

Ainsi, le droit de préemption, véritable héritier rationnalisé de l’ancien droit de retrait, poursuit l’objectif essentiel de stabilité des indivisions tout en favorisant la fluidité des transactions. Il s’impose comme un outil équilibré et moderne, conciliant les impératifs de continuité familiale et de pragmatisme économique.

2. Le domaine du droit de préemption

a. Les indivisions concernées

==>Principe

Contrairement à l’ancien retrait successoral, qui se limitait strictement aux indivisions successorales (ancien article 841 du Code civil), le droit de préemption s’étend désormais à toutes les indivisions relevant du régime général.

Cette extension a été confirmée par la jurisprudence, notamment dans un arrêt de la Cour de cassation du 23 avril 1985 aux termes duquel elle a jugé que « les dispositions de l’article 815-14 […] sont applicables à toutes les indivisions qu’elles soient ou non d’origine successorale » (Cass. 1re civ., 23 avr. 1985, n° 83-16.703).

Dans cette affaire, il s’agissait d’un fonds de commerce exploité en indivision à la suite de successions familiales. Une première cession des droits indivis avait été réalisée en faveur d’un tiers, sans que les coindivisaires aient été consultés. Par la suite, ces droits indivis furent cédés à d’autres acquéreurs sans notification préalable aux indivisaires. Ces derniers, invoquant une violation de leur droit de préemption, saisirent les juridictions compétentes pour obtenir l’annulation de la vente.

La Cour de cassation rejeta le pourvoi du cessionnaire en affirmant avec clarté que les dispositions de l’article 815-14 du Code civil « sont applicables à toutes les indivisions qu’elles soient ou non d’origine successorale ».

Il s’en déduit que le droit de préemption s’applique à toutes les indivisions ordinaires relevant du régime des articles 815 et suivants du Code civil.

Par son universalité, il renforce la cohésion de l’indivision en permettant aux indivisaires de préserver leur affectio communionis face à l’introduction de tiers étrangers. Cela concerne les indivisions successorales, post-communautaires ou conventionnelles, pour toute cession réalisée à titre onéreux.

==>Exclusions

Le domaine du droit de préemption n’est pas sans limites. En effet, bien que le droit de préemption des indivisaires, institué à l’article 815-14 du Code civil, s’applique de manière générale à toutes les indivisions ordinaires, son champ d’application connaît des exclusions.

Ces exclusions, dictées par des considérations juridiques et pratiques, concernent principalement les indivisions qualifiées de forcées et perpétuelles.

Pour mémoire, une indivision est dite forcée et perpétuelle lorsque les biens indivis, par leur nature même, remplissent une fonction indispensable pour d’autres propriétés et ne peuvent, en conséquence, faire l’objet ni d’un partage ni d’une cession ordinaire.

Ces indivisions se rencontrent dans des cas spécifiques où la conservation collective du bien est essentielle à son usage.

Les exemples les plus représentatifs sont :

  • Les servitudes de passage : un chemin d’accès servant plusieurs propriétés indivises, par exemple, constitue souvent une indivision forcée, car son partage ou sa cession porterait atteinte à l’usage des fonds qu’il dessert.
  • Les parties communes nécessaires : il peut s’agir d’une cour commune ou d’un mur mitoyen indispensables à plusieurs parcelles ou bâtiments.
  • Les biens affectés à un service collectif : par exemple, une piscine ou un jardin commun dans le cadre d’un immeuble en copropriété.

Dans ces cas, l’objectif de préserver la fonctionnalité collective et l’intérêt général des propriétaires prime sur le droit individuel à préempter.

A plusieurs reprises, la Cour de cassation a exclu l’application du droit de préemption en présence d’indivisions perpétuelles ou forcées.

Dans un arrêt du 12 février 1985, elle a, par exemple, jugé que le droit de préemption ne pouvait s’appliquer à une parcelle indivise servant de chemin d’accès à plusieurs propriétés, dès lors que cette parcelle constituait un accessoire indispensable à l’usage des fonds qu’elle desservait (Cass. 1re civ., 12 févr. 1985, n°84-10.301). La Première chambre civile reprochait à la juridiction du fond de ne pas avoir recherché si cette parcelle, en sa qualité de desserte essentielle, relevait d’une indivision forcée et perpétuelle, laquelle échappe aux dispositions des articles 815-14 et 815-16 du Code civil.

Dans une logique similaire, la Cour de cassation, dans un arrêt du 8 juin 1999, a rappelé que le caractère forcé et perpétuel d’une indivision devait être apprécié de manière objective et ne pouvait dépendre de la volonté subjective des parties. Elle a ainsi censuré une décision qui, pour retenir l’existence d’une indivision perpétuelle, s’était fondée uniquement sur l’intention des parties sans vérifier si l’usage des parcelles concernées était matériellement impossible sans recourir au bien litigieux (Cass. 1re civ., 8 juin 1999, n°97-13.987).

L’exclusion des indivisions forcées et perpétuelles du champ d’application de l’article 815-14 du Code civil repose sur une logique de préservation de l’équilibre collectif.

Dans ces situations, permettre à un indivisaire d’exercer son droit de préemption contreviendrait à l’affectation essentielle du bien, au détriment des autres propriétaires ou utilisateurs.

Par conséquent, le domaine du droit de préemption, bien qu’étendu, est circonscrit par la nécessité de garantir la continuité et la fonctionnalité des biens indivis indispensables. Ces limites, loin de constituer une entrave, traduisent un équilibre entre les droits des indivisaires et les impératifs collectifs attachés à certains biens.

b. Les cessions concernées

b.1. Une cession portant sur des droits indivis

L’article 815-14 du Code civil prévoit que le droit de préemption s’exerce sur la cession « de tout ou partie des droits dans les biens indivis ou dans un ou plusieurs de ces biens ».

Cette rédaction marque une extension du domaine du droit de préemption rapport à l’ancien retrait successoral, limité aux aliénations portant sur la quote-part globale d’un héritier dans une succession.

Désormais, toute cession à titre onéreux de droits indivis à une personne étrangère à l’indivision est susceptible d’ouvrir ce droit.

Ainsi, il importe peu que la cession porte sur la totalité des droits indivis de l’indivisaire cédant, sur une partie seulement de ces droits, ou sur les droits indivis attachés à un bien déterminé.

Par exemple, un indivisaire peut céder tout ou partie de ses droits indivis dans un immeuble sans que l’étendue de la cession empêche l’exercice du droit de préemption par les coïndivisaires. Cette latitude vise à prévenir toute intrusion d’un tiers dans l’indivision, laquelle pourrait compromettre l’affectio communionis nécessaire à la bonne gestion des biens indivis.

En revanche, dans un arrêt du 30 juin 1992, la Cour de cassation a jugé que le droit de préemption prévu par l’article 815-14 du Code civil ne s’applique que lorsque la cession porte sur des droits indivis et non sur les biens indivis eux-mêmes (Cass. 1re civ., 30 juin 1992, n° 90-19.052).

En l’espèce, à la suite du décès d’un indivisaire, son conjoint survivant et une autre coïndivisaire se trouvaient en indivision sur l’intégralité des parts d’une société à responsabilité limitée ayant pour objet une activité économique spécifique.

Face à l’impossibilité pour l’entreprise de financer les mises aux normes réglementaires exigées par l’administration sous peine de fermeture, le conjoint survivant, gérant de la société, avait obtenu l’autorisation judiciaire de céder l’intégralité des parts sociales de la société en application de l’article 815-5 du Code civil, malgré l’opposition de l’autre coïndivisaire.

Cette dernière a tenté d’exercer un droit de préemption sur les parts sociales ainsi cédées, en invoquant les dispositions de l’article 815-14 du Code civil.

Cependant, la Haute juridiction a confirmé que le mécanisme préemptif est inopérant lorsque la cession porte sur la totalité d’un bien indivis et non sur les droits indivis de l’un des indivisaires.

Elle a estimé que, dans ce cas, la cession, autorisée par le juge, visait à retirer le bien de l’indivision, et non à introduire un tiers dans celle-ci. La substitution du prix de vente au bien dans l’indivision ne justifiait donc pas l’application du droit de préemption, dont la finalité est de protéger l’intégrité de l’indivision face à l’arrivée d’un étranger.

b.2. Une cession conclue à titre onéreux

i. Application aux cessions à titre onéreux

==>Principe

Le droit de préemption s’exerce exclusivement lorsqu’un indivisaire souhaite céder tout ou partie de ses droits indivis à un tiers en contrepartie d’un prix.

L’article 815-14, alinéa 1er, du Code civil pose ainsi comme condition sine qua non la stipulation d’un prix dans la transaction. Cette exigence découle de la finalité même du droit de préemption : permettre aux autres indivisaires de se substituer au cessionnaire en acquérant les droits aux mêmes conditions.

Dès lors, toutes les cessions à titre onéreux, qu’elles portent sur une quote-part de l’ensemble indivis ou sur des droits indivis d’un bien déterminé, sont soumises à ce mécanisme.

Peu importent les modalités de paiement du prix, que ce soit en argent, en rente viagère ou sous une autre forme monétaire, tant que la prestation est quantifiable et fongible, les indivisaires peuvent intervenir pour préserver l’unité de l’indivision.

==>Exceptions

S’il est de principe que le droit de préemption des indivisaires puisse jouer dans le cadre des cessions à titre onéreux, il connaît néanmoins des limites. Certaines opérations, en raison de leur nature ou des caractéristiques spécifiques des prestations convenues, échappent au mécanisme préemptif prévu par l’article 815-14 du Code civil. Ces exclusions sont fondées sur l’impossibilité technique ou juridique pour les coïndivisaires de reproduire la contrepartie stipulée dans le contrat.

  • L’échange
    • Bien que l’échange soit régi par les règles de la vente (article 1707 du Code civil), il est exclu du champ d’application du droit de préemption.
    • En effet, l’échange implique une contrepartie non monétaire, souvent constituée d’un bien précis, non fongible, que les coïndivisaires ne peuvent pas nécessairement fournir.
    • La Cour de cassation a confirmé cette exclusion dans un arrêt du 21 mai 1997 (Cass. 1re civ., 21 mai 1997, n° 95-12.460), soulignant que le mécanisme préemptif repose sur une stricte substitution.
    • Dans cette affaire, des droits mobiliers et immobiliers détenus par deux mineures dans une indivision successorale avaient été cédés à une société.
    • Bien que cette opération ait initialement été qualifiée de vente, elle avait ultérieurement été requalifiée en contrat d’échange.
    • La contrepartie de cet échange consistait en des appartements appartenant à un tiers, promis en échange des droits indivis.
    • Un coïndivisaire avait exprimé son intention d’exercer son droit de préemption afin de se substituer à la société et de préserver l’unité de l’indivision.
    • Cependant, il n’était pas propriétaire des appartements promis en contrepartie, soulevant ainsi la question de l’applicabilité du droit de préemption dans ce contexte.
    • La Cour de cassation a censuré la décision de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, qui avait admis l’exercice du droit de préemption au motif que le coïndivisaire aurait pu se procurer les appartements auprès du coéchangiste pour satisfaire aux termes de l’échange.
    • La Haute juridiction a estimé que cette analyse méconnaissait les exigences de l’article 815-14 du Code civil.
    • Elle a jugé que le droit de préemption exige une stricte identité entre la prestation que le coïndivisaire préempteur doit fournir et celle stipulée dans le contrat initial.
    • En l’espèce, le coïndivisaire était dans l’impossibilité absolue de fournir aux cédants les appartements convenus comme contrepartie, faute d’en être propriétaire.
    • Cette impossibilité matérielle et juridique rendait inapplicable le droit de préemption dans ces circonstances.
  • L’apport en société
    • Lorsque des droits indivis sont apportés à une société, le cédant reçoit en contrepartie des parts sociales, lesquelles s’inscrivent dans une relation d’affectio societatis, fondée sur la confiance et la collaboration entre les associés.
    • Cette prestation, qui n’est pas strictement monétaire, rend le droit de préemption inapplicable, car les coïndivisaires ne peuvent fournir une contrepartie équivalente à celle convenue avec la société.
    • Le mécanisme préemptif repose, en effet, sur la possibilité pour les coïndivisaires de se substituer au cessionnaire en acquérant les mêmes droits et obligations attachées à l’opération.
    • Or, dans le cas d’un apport en société, l’avantage obtenu par le cédant, à savoir des parts sociales, est indissociable de l’intuitus personae propre à l’affectio societatis.
    • Cette spécificité exclut toute possibilité de substitution par les coïndivisaires.
    • La jurisprudence a clairement consacré cette exclusion. Si elle a d’abord été reconnue dans le cadre du droit de préemption des preneurs ruraux (Cass. 3e civ. 4 mars 1971, n°69-10.540), elle a été étendue explicitement au droit de préemption des coïndivisaires régi par l’article 815-14 du Code civil.
    • Ainsi, bien que le droit de préemption s’applique généralement aux cessions à titre onéreux, les apports en société, par leur nature intrinsèque, échappent à ce mécanisme, illustrant une des limites importantes du champ d’application de l’article 815-14 du Code civil (V. en ce sens CA Paris, 11 sept. 1997).
  • La dation en paiement
    • Dans le cadre d’une dation en paiement, la contrepartie attendue par le cédant est l’extinction d’une dette, et non la réception d’un prix monétaire ou d’une prestation fongible.
    • Les coïndivisaires, n’étant pas les créanciers de cette dette, ne peuvent matériellement ni juridiquement se substituer au bénéficiaire pour éteindre l’obligation.
    • Cette impossibilité de fournir une prestation équivalente justifie en principe l’exclusion de la dation en paiement du champ d’application du droit de préemption.
    • À ce jour, il n’a jamais été statué en jurisprudence sur l’applicabilité du droit de préemption dans le cas spécifique de la dation en paiement.
    • Cependant, les principes dégagés dans des situations analogues, notamment concernant des prestations intuitu personae ou des contreparties non monétaires, tendent à exclure cette hypothèse.
    • Certains auteurs ont néanmoins envisagé une solution théorique où les coïndivisaires pourraient exercer leur droit de préemption en payant la dette du cédant au moyen d’une somme d’argent.
    • Cela permettrait d’assurer l’extinction de l’obligation tout en respectant l’exigence de substitution.
    • Toutefois, une telle démarche, bien qu’imaginable, ne correspond pas à l’objet même de la dation en paiement et semble difficilement conciliable avec les attentes légitimes des parties initialement impliquées dans l’opération.
    • En définitive, bien que la dation en paiement ne puisse être considérée comme un obstacle insurmontable à l’exercice du droit de préemption, les caractéristiques intrinsèques de ce mécanisme, qui reposent sur une logique non monétaire, rendent son inclusion hautement improbable dans le périmètre de l’article 815-14 du Code civil.
  • Les ventes intuitu personae
    • Il est admis de longue date que les opérations conclues en considération de la personne du cessionnaire échappent également au droit de préemption.
    • Cette exclusion repose sur le caractère intuitus personae de ces opérations, où la personne de l’acquéreur constitue un élément déterminant du consentement du cédant.
    • Dans de telles situations, il est impossible pour les coïndivisaires de se substituer à l’acquéreur sans altérer la nature même de l’accord initial.
    • Un exemple typique de cette exclusion réside dans le bail à nourriture.
    • Ce type de contrat prévoit que le cédant transfère ses droits indivis en échange d’une obligation de soins ou d’assistance personnelle.
    • La prestation convenue dépasse alors la simple contrepartie monétaire et repose sur des engagements spécifiques directement liés à la personnalité du cessionnaire.
    • Dans un arrêt du 3 octobre 1985, la Cour de cassation a jugé que l’intuitus personae inhérent à ce type d’accord rendait le droit de préemption inapplicable (Cass. 3e civ., 3 oct. 1985).
    • En effet, un coïndivisaire ne saurait fournir une prestation équivalente à celle attendue par le cédant, laquelle est indissociablement liée à la personne choisie.
    • La jurisprudence a, par suite, étendu cette exclusion à d’autres cas toujours en se fondant sur l’existence d’un intuitus personae.
    • Ainsi, elle a admis que le droit de préemption ne pouvait être exercé lorsqu’une cession de droits indivis était consentie à une usufruitière afin de lui permettre de demander l’attribution préférentielle des terres ayant appartenu à son époux.
    • Ici encore, les qualités personnelles du cessionnaire, en tant qu’usufruitière et ayant droit, constituaient le fondement du consentement du cédant, excluant toute possibilité de substitution par les coïndivisaires.

ii. Exclusion des cessions à titre gratuit

Le droit de préemption, prévu par l’article 815-14 du Code civil, est strictement limité aux cessions à titre onéreux, excluant ainsi les transmissions de droits indivis réalisées à titre gratuit.

Cette exclusion trouve son fondement dans l’absence de contrepartie économique, rendant impossible la substitution des coïndivisaires au bénéficiaire désigné par le cédant.

==>Libéralités : donations et legs

Les donations entre vifs et les legs échappent au droit de préemption, comme l’a clairement établi la jurisprudence.

Dans un arrêt de principe rendu le 11 décembre 1984, la Cour de cassation a jugé que, faute de prix stipulé, le mécanisme préemptif devient inopérant (Cass. 1re civ., 11 déc. 1984, n°83-13.874).

En effet, l’absence de contrepartie monétaire rend impossible pour les indivisaires de se substituer au bénéficiaire en acquérant les droits dans les mêmes conditions.

Peu importe que la libéralité soit assortie de charges ou non : la gratuité de l’acte prive le droit de préemption de sa fonction essentielle, à savoir préserver l’unité de l’indivision en empêchant l’entrée d’un tiers moyennant une compensation économique.

Cependant, une autre question complexe se pose concernant les donations assorties de charges. Si ces charges revêtent une importance telle qu’elles confèrent à l’acte un caractère onéreux, certains auteurs suggèrent que le droit de préemption pourrait théoriquement trouver à s’appliquer. Néanmoins, pour que cette hypothèse se concrétise, il serait nécessaire que le caractère onéreux de la donation apparaisse explicitement dès la rédaction de l’acte, ce qui reste une situation rare en pratique.

==>Cas particuliers : donations déguisées

La question des donations déguisées, revêtant les apparences d’une cession à titre onéreux, a suscité des débats.

Dans ces situations, les coïndivisaires peuvent initialement exercer leur droit de préemption sur la base de l’apparente vente.

Toutefois, si la véritable nature de l’acte est ultérieurement qualifiée de donation, la préemption est écartée.

Cette requalification ne saurait cependant être utilisée de manière frauduleuse pour contourner les droits des indivisaires.

En vertu du principe selon lequel « la fraude corrompt tout », une donation dissimulée derrière une prétendue vente, destinée à éluder le droit de préemption des coïndivisaires, peut conduire à l’annulation de l’opération. La Cour de cassation a statué en ce sens dans un arrêt rendu le 11 mars 1997 (Cass. 1ère civ., 11 mars 1997, n°95-15.480).

Dans cette affaire, une indivisaire avait successivement consenti deux actes portant sur ses droits indivis détenus dans un domaine agricole.

Par un premier acte, elle avait octroyé à un bénéficiaire. une donation symbolique représentant 6 centièmes de sa part dans l’indivision. Quelques mois plus tard, par un second acte, elle avait vendu à ce même bénéficiaire une part beaucoup plus significative, correspondant à 90 centièmes de ses droits indivis.

La cour d’appel a constaté que ces deux actes, bien que distincts en apparence, révélaient une intention frauduleuse. En rapprochant le caractère symbolique de la donation et l’importance de la part cédée ultérieurement à titre onéreux, les juges ont déduit que l’objectif poursuivi par la donatrice était d’éluder le droit de préemption de son coïndivisaire. Ce dernier aurait pu, en l’absence de fraude, exercer son droit sur l’ensemble des droits indivis cédés.

La Cour de cassation a approuvé cette analyse, estimant que la donation, bien que licite en apparence, avait été instrumentalisée pour contourner les droits des coïndivisaires. En conséquence, elle a validé l’annulation de l’opération, renforçant ainsi le principe selon lequel le droit de préemption redevient applicable en présence d’une fraude.

b.3. Une cession consentie à une personne étrangère à l’indivision

Pour que le droit de préemption s’applique, il est indispensable que la cession envisagée soit consentie à une personne étrangère à l’indivision.

Cette condition, posée à l’article 815-14, alinéa 1er, du Code civil, reflète la finalité même du mécanisme : éviter l’introduction d’un tiers dans l’indivision afin de préserver son équilibre et sa pérennité. Une telle présence extérieure pourrait en effet perturber la gestion commune des biens indivis, notamment en cas d’intérêts divergents.

==>Principe

L’exigence selon laquelle la cession doit être réalisée au profit d’une personne étrangère à l’indivision s’inscrit dans la logique protectrice du droit de préemption. Ce mécanisme vise à empêcher l’introduction d’un tiers dans l’indivision, une situation qui pourrait perturber la gestion commune des biens indivis et compromettre l’entente nécessaire entre indivisaires.

À l’inverse, lorsque la cession intervient entre coïndivisaires, cette justification disparaît, car aucun élément extérieur ne vient troubler l’équilibre de l’indivision. En vertu de ce principe, un indivisaire est parfaitement libre de céder tout ou partie de ses droits indivis à un autre coïndivisaire sans que les autres puissent s’opposer à cette transaction en invoquant un droit de préemption.

A cet égard, dans un arrêt rendu le 16 avril 1991, la Cour de cassation a rappelé avec force que « tout indivisaire peut librement disposer, au profit d’un cohéritier, de sa quote-part sur un ou plusieurs biens indivis » (Cass. 1re civ., 16 avr. 1991, n°89-17.930).

En l’espèce, des héritiers avaient cédé leurs droits indivis à d’autres membres de l’indivision avant le partage des biens concernés. L’un des indivisaires contestait cette cession, arguant qu’elle portait atteinte à l’équilibre de l’indivision et soulevait des questions quant à la licitation des biens indivis.

La Première chambre civile a rejeté cet argument, affirmant que la liberté de disposer entre coïndivisaires n’est pas limitée par le droit de préemption prévu à l’article 815-14 du Code civil. Ce dernier a pour finalité d’empêcher l’intrusion de tiers étrangers, mais ne s’applique pas aux cessions intervenant entre membres de l’indivision.

De plus, la Haute juridiction a précisé que cette liberté s’étend même aux situations où la cession modifie substantiellement la répartition des droits au sein de l’indivision.

Ainsi, est-il admis qu’un indivisaire puisse acquérir successivement les droits des autres coïndivisaires, jusqu’à détenir une majorité, voire la totalité des parts, sans que les autres indivisaires puissent s’y opposer par le biais du droit de préemption.

==>Cas particulier des relations entre usufruitiers et nus-propriétaires

La cession de droits indivis entre usufruitiers et nus-propriétaires soulève des questions complexes, en raison de la nature distincte des droits en présence.

Bien que les usufruitiers et les nus-propriétaires partagent un intérêt commun sur le bien indivis, ils n’appartiennent pas à la même indivision.

Dans un arrêt du 17 mai 1983, la Cour de cassation a, en effet, jugé que l’usufruitier devait être regardé comme un étranger à l’indivision en nue-propriété (Cass. 1re civ., 17 mai 1983, n°82-11.931).

Dans cette affaire, un indivisaire en nue-propriété avait cédé ses droits indivis à l’usufruitier. Les autres nus-propriétaires ont contesté cette cession, arguant qu’elle aurait dû leur être notifiée afin qu’ils puissent exercer leur droit de préemption.

La Cour de cassation a confirmé cette position, estimant que l’usufruitier, n’étant pas titulaire de droits en nue-propriété, devait être considéré comme une personne étrangère à l’indivision en nue-propriété.

Par conséquent, la cession des droits indivis en nue-propriété à l’usufruitier aurait dû être notifiée aux autres nus-propriétaires, afin de leur permettre d’exercer leur droit de préemption.

Ainsi, lorsqu’un nu-propriétaire décide de céder ses droits indivis à un usufruitier, les autres nus-propriétaires conservent leur droit de préemption.

Cette règle vise à éviter que l’usufruitier n’acquière une position dominante dans l’indivision en nue-propriété, ce qui pourrait déséquilibrer les relations entre les indivisaires.

La même logique s’applique dans le cas inverse : si un usufruitier cède ses droits indivis à un nu-propriétaire, les autres usufruitiers conservent leur droit de préemption.

Cette situation se fonde sur le principe selon lequel chaque catégorie de droits (usufruit et nue-propriété) constitue une indivision distincte. Par conséquent, un nu-propriétaire acquérant des droits en usufruit serait considéré comme un tiers à l’indivision des usufruitiers, ce qui justifie l’ouverture du droit de préemption au profit de ces derniers.

3. L’exercice du droit de préemption

a. Les titulaires du droit de préemption

i. Détermination des titulaires du droit de préemption

==>Les bénéficiaires principaux

L’article 815-14, alinéa 2, du Code civil confère un droit de préemption prioritaire à tout indivisaire en cas de cession de droits indivis à une personne étrangère à l’indivision.

Cette prérogative s’étend à tous les indivisaires, quelle que soit la nature de leurs droits : pleine propriété, nue-propriété ou usufruit.

Par exemple, si un nu-propriétaire indivis décide de céder ses droits à un tiers, ses coïndivisaires en nue-propriété peuvent exercer leur droit de préemption pour préserver l’intégrité de l’indivision.

Ce droit est d’ordre personnel, ce qui signifie que son exercice repose sur la seule appréciation de l’indivisaire concerné, en fonction de son intérêt à éviter l’entrée d’un tiers dans l’indivision.

Ce caractère personnel exclut toute action oblique par les créanciers du titulaire du droit de préemption, mais permet la transmission de ce droit aux héritiers du coïndivisaire.

La jurisprudence a également précisé que ce droit peut être exercé conjointement par plusieurs indivisaires : dans ce cas, ils sont réputés acquérir ensemble les droits cédés, à proportion de leur part respective dans l’indivision (C. civ., art. 815-14, al. 4).

==>Les bénéficiaires subsidiaires

L’article 815-18, alinéa 2, du Code civil introduit un droit de préemption subsidiaire dans les cas où la cession porte sur des droits indivis de nature différente, comme l’usufruit ou la nue-propriété.

Ainsi, en cas de cession de droits indivis en nue-propriété à un tiers, les usufruitiers peuvent exercer un droit de préemption, mais uniquement si aucun autre nu-propriétaire ne s’en porte acquéreur.

De manière symétrique, en cas de cession de droits indivis en usufruit, les nus-propriétaires bénéficient d’un droit de préemption, mais seulement en l’absence d’intérêt manifesté par un autre usufruitier.

Ces droits de préemption subsidiaires, bien que distincts de ceux des coïndivisaires au sens strict de l’article 815-14, visent à protéger les intérêts des titulaires de droits portant sur le même bien, en limitant les risques d’immixtion d’un tiers dans l’équilibre de l’indivision.

La jurisprudence considère en effet que, bien que de nature différente, ces droits confèrent aux usufruitiers et aux nus-propriétaires une proximité suffisante avec l’indivision pour justifier l’existence de ces mécanismes de préemption subsidiaire.

ii. Renonciation au droit de préemption

==>Principe de la renonciation

Bien que le droit de préemption prévu aux articles 815-14 et 815-18 du Code civil vise à protéger les indivisaires contre l’intrusion d’un tiers dans l’indivision, il n’est pas d’ordre public.

Cette caractéristique permet à ses titulaires d’y renoncer librement, dans le respect des conditions de validité requises. La renonciation peut être expresse ou tacite, mais dans tous les cas, elle suppose une volonté non équivoque de ne pas exercer cette prérogative.

==>Renonciation tacite

Une renonciation tacite intervient lorsque l’indivisaire, malgré la notification du projet de cession, laisse s’écouler le délai imparti pour exercer son droit de préemption sans manifester son intention de l’exercer.

Cette absence de réaction est interprétée comme une renonciation implicite, traduisant un désintérêt pour l’acquisition des droits cédés.

Toutefois, chaque nouvelle cession de droits indivis rouvre le droit de préemption et nécessite une nouvelle notification, même si l’indivisaire n’a pas exercé ce droit lors d’une cession antérieure.

==>Renonciation expresse

La renonciation expresse, quant à elle, peut intervenir à différents moments :

  • Avant la notification du projet de cession
    • Un indivisaire peut, dans une convention ou un arrangement préalable, renoncer à exercer son droit de préemption pour toutes les cessions à venir.
    • Cette renonciation, bien que licite, doit être formulée avec précaution et refléter une intention claire et éclairée.
  • Après la notification du projet de cession
    • Une renonciation postérieure à la notification des conditions de la cession projetée est la situation la plus fréquente.
    • Elle exige que l’indivisaire ait connaissance précise des modalités de la cession, notamment le prix, pour que son consentement soit valide.

==>Conditions de validité de la renonciation

La validité d’une renonciation, qu’elle soit tacite ou expresse, repose sur plusieurs critères :

  • D’une part, la volonté de renoncer doit être manifeste et exempte de toute ambiguïté.
  • D’autre part, le renonçant doit avoir une connaissance précise des modalités de la cession pour pouvoir y renoncer en toute conscience.
  • Enfin, si la renonciation est expresse, elle doit être formalisée dans un écrit signé par l’indivisaire ou par acte authentique. Certains auteurs préconisent l’intervention d’un acte authentique, bien que cette formalité ne soit pas obligatoire.

Dans la pratique, il est recommandé que la renonciation expresse fasse l’objet d’un écrit détaillé ou soit intégrée dans l’acte notifiant la cession.

Cela garantit une sécurité juridique optimale pour toutes les parties concernées. En cas de renonciation tacite, le notaire ou le rédacteur de l’acte doit veiller à ce que le délai de préemption ait expiré avant de procéder à la cession.

Enfin, il peut être observé que, compte tenu de ce qu’elle constitue un acte unilatéral une fois la renonciation consommée, qu’elle soit tacite ou expresse, l’indivisaire ne peut plus revenir sur sa décision. La cession des droits indivis peut alors se poursuivre librement, sans que le droit de préemption puisse être opposé ultérieurement.

iii. Exercice simultané par plusieurs indivisaires

L’exercice simultané du droit de préemption par plusieurs coïndivisaires est une hypothèse explicitement prévue par l’article 815-14, alinéa 4, du Code civil.

Aussi, lorsque plusieurs indivisaires notifient leur intention d’exercer leur droit de préemption sur les droits cédés, la loi instaure une règle claire : ces indivisaires sont réputés acquérir ensemble la part mise en vente, à proportion de leurs parts respectives dans l’indivision, sauf convention contraire.

Cette répartition équitable des droits acquis reflète le poids relatif de chaque indivisaire dans l’indivision, évitant ainsi que l’un d’eux prenne un avantage excessif au détriment des autres.

L’objectif est également de maintenir l’unité et la solidarité entre les indivisaires, tout en minimisant les tensions susceptibles de découler d’un déséquilibre dans les acquisitions.

Aussi, l’exercice du droit de préemption des indivisaires ne répond pas à la règle du premier arrivé, premier servi. Tous les coïndivisaires qui exercent leur droit dans les délais impartis sont placés sur un pied d’égalité.

Cette égalité de traitement découle du fait que la notification du projet de cession ne constitue pas une offre de vente qui pourrait être acceptée unilatéralement par un indivisaire. La vente ne devient parfaite qu’une fois que l’ensemble des indivisaires ayant manifesté leur volonté de préempter sont reconnus comme acquéreurs selon les règles prévues par la loi.

La règle de l’acquisition proportionnelle n’est toutefois pas impérative. Les indivisaires peuvent convenir entre eux d’un autre mode de répartition des droits acquis, à condition que cette convention respecte les formes légales et soit acceptée par l’ensemble des parties concernées.

Par exemple l’un des indivisaires pourrait acquérir l’intégralité des droits cédés avec l’accord des autres. On peut également imaginer, une répartition différente soit établie en fonction d’accords antérieurs ou d’autres critères objectifs.

En tout état de cause, lorsque plusieurs indivisaires exercent leur droit simultanément, la répartition proportionnelle suppose une coordination dans le paiement du prix d’acquisition. Chaque indivisaire participant à l’opération doit verser sa quote-part, calculée en fonction de ses droits dans l’indivision.

Le notaire ou l’intermédiaire chargé de la transaction doit veiller à ce que les modalités financières soient clairement définies et exécutées, afin d’éviter tout litige ultérieur.

En présence de droits de nature différente (usufruit et nue-propriété), l’exercice simultané du droit de préemption par plusieurs indivisaires peut nécessiter une ventilation spécifique des droits acquis entre usufruitiers et nus-propriétaires.

Cette ventilation doit respecter les règles posées par l’article 815-18, alinéa 2, du Code civil.

Dans certains cas, le curateur d’une succession vacante pourrait également intervenir pour exercer le droit de préemption au nom de la succession, en application des règles spécifiques de gestion.

b. Les modalités d’exercice du droit de préemption

i. Notification de la cession envisagée

==>Principe de la notification

L’article 815-14, alinéa 1er, du Code civil impose à l’indivisaire souhaitant céder ses droits indivis de notifier son projet aux autres coïndivisaires.

Cette formalité vise à informer les coïndivisaires des conditions de la cession projetée et à leur permettre, le cas échéant, d’exercer leur droit de préemption.

Ce principe s’étend également, en vertu de l’article 815-18, alinéa 2, aux cessions portant sur des droits en usufruit ou en nue-propriété, avec une obligation de notification envers tous les usufruitiers et nus-propriétaires concernés.

==>Auteur de la notification

Le Code civil prévoit, à l’article 815-14, que l’obligation de notifier aux coïndivisaires le projet de cession incombe à l’indivisaire cédant.

Ce dernier, initiateur de la cession, est, en effet, le mieux placé pour fournir les informations sur les conditions de la transaction et l’identité du cessionnaire pressenti. C’est la raison pour laquelle c’est sur lui que pèse l’obligation de notifier la cession aux coindivisaires dans les formes prescrites par la loi.

Cependant, il peut arriver que le cédant néglige ou refuse de notifier le projet de cession, compromettant ainsi la validité de l’opération.

Dans une telle hypothèse, la jurisprudence admet que le bénéficiaire d’une promesse de cession puisse, par voie oblique, procéder lui-même à la notification aux coïndivisaires (V. en ce sens CA Bordeaux, 29 janv. 1996).

La reconnaissance de cette faculté au bénéficiaire de l’opération repose sur des considérations pratiques et juridiques.

L’absence de notification par le cédant pourrait entraîner l’annulation de la cession pour violation des droits des coïndivisaires. En permettant au bénéficiaire d’une promesse de cession de procéder lui-même à la notification, cela permet de préserver les intérêts des parties à l’opération tout en respectant les droits des coïndivisaires.

Toutefois, cette intervention à titre subsidiaire est encadrée : le bénéficiaire ne peut agir qu’en cas de défaillance du cédant et doit se conformer aux prescriptions légales, tant s’agissant du contenu que de la forme de la notification.

==>Forme de la notification

La notification des conditions de la cession projetée doit être réalisée par acte extrajudiciaire, conformément aux prescriptions de l’article 815-14, alinéa 1er, du Code civil.

Ce formalisme a pour objectif principal de garantir la sécurité juridique en assurant une preuve incontestable de l’information transmise aux coïndivisaires. L’utilisation de cette forme de notification permet également de prévenir les contestations ultérieures quant à la validité de la notification.

Toutefois, la Cour de cassation a admis qu’une notification réalisée par lettre recommandée avec accusé de réception pouvait être considérée comme valable, à condition qu’elle comporte toutes les informations exigées par la loi (Cass. 1re civ., 9 oct. 1991, n°89-17.916).

En l’espèce, une indivisaire, avait exercé son droit de préemption par lettre recommandée adressée au notaire chargé de l’opération.

La société bénéficiaire d’une promesse unilatérale de vente sur les mêmes droits indivis contestait la validité de cette préemption en raison de l’absence de notification par acte extrajudiciaire, comme le prévoit le texte.

Toutefois, la Cour a confirmé la validité de la préemption exercée, en considérant que la lettre recommandée avait permis aux coïndivisaires de recevoir toutes les informations nécessaires pour évaluer l’opération projetée.

Cette solution procède d’une approche fonctionnelle de l’article 815-14 du Code civil. Elle met l’accent sur la finalité de la notification, à savoir garantir une information complète et traçable, plutôt que sur une stricte exigence formelle.

A cet égard, la Haute juridiction a souligné que les coïndivisaires avaient renoncé à exiger des formalités supplémentaires, ce qui rendait sans effet l’argument du formalisme invoqué par la société bénéficiaire.

Ainsi, bien que l’acte extrajudiciaire demeure la forme devant être privilégiée, cet arrêt admet une certaine souplesse quant à la forme de la notification, dès lors que l’objectif d’information des coïndivisaires est atteint et que leur consentement éclairé est préservé.

==>Contenu de la notification

La notification du projet de cession doit, conformément aux exigences de l’article 815-14 du Code civil, impérativement comporter deux types d’informations :

  • Les conditions de la cession
    • Les coïndivisaires doivent être pleinement informés des aspects financiers et contractuels de l’opération projetée.
    • À ce titre, la notification doit indiquer :
      • Le prix de cession : élément central permettant d’évaluer la faisabilité et l’opportunité d’exercer le droit de préemption.
      • Les modalités de paiement : incluant notamment les délais éventuels pour régler le prix, les intérêts applicables en cas de paiement différé, ou encore toute disposition spécifique liée à l’échelonnement des versements.
      • Les frais annexes : par exemple, les honoraires d’intermédiaires ou de notaires, qui peuvent avoir une incidence sur l’équilibre économique de l’opération.
    • Ces informations précises permettent aux coïndivisaires de mesurer l’étendue des obligations qu’ils auraient à assumer s’ils décidaient de préempter.
    • Toute omission ou imprécision pourrait les induire en erreur et compromettre leur capacité à prendre une décision éclairée.
  • Des informations relatives au cessionnaire
    • La notification doit également permettre aux coïndivisaires de s’assurer que la personne appelée à entrer dans l’indivision ne compromettra pas l’équilibre de celle-ci.
    • À cette fin, la loi exige que soient communiqués :
      • Le nom du cessionnaire : permettant de l’identifier avec certitude.
      • Le domicile : offrant une indication sur sa situation géographique et facilitant d’éventuelles démarches futures.
      • La profession : pouvant fournir des indices sur ses intentions ou sa capacité à gérer l’indivision.
    • Ces éléments subjectifs revêtent une importance particulière dans une indivision où l’affectio communionis doit être préservée.
    • Ils permettent aux coïndivisaires d’évaluer si l’intégration du cessionnaire pressenti est compatible avec les intérêts communs.

Toute notification omettant l’une de ces informations essentielles est susceptible d’être qualifiée d’irrégulière.

Une telle irrégularité pourrait entraîner des conséquences importantes, notamment l’impossibilité pour le cédant de se prévaloir de l’absence d’exercice du droit de préemption par les coïndivisaires, voire la nullité de la cession elle-même.

Cette exigence vise à garantir une transparence totale et à protéger les droits des indivisaires contre toute tentative d’évasion de leurs prérogatives.

==>Portée de la notification

La notification constitue l’acte par lequel les coïndivisaires sont informés des conditions de la cession envisagée et peuvent manifester leur intention d’exercer leur droit de préemption. Elle ouvre ainsi la voie à l’exercice de ce droit, mais n’emporte pas pour autant offre de vente.

Conformément à une jurisprudence désormais constante, la notification effectuée en application de l’article 815-14 du Code civil ne peut être assimilée à une offre de vente.

Cette position repose sur une interprétation stricte du texte, visant à respecter l’intention du législateur et la volonté manifeste de l’indivisaire cédant.

La Cour de cassation a ainsi affirmé que la notification, destinée à informer les coïndivisaires et à leur permettre d’exercer leur droit de préemption, n’impose aucune obligation au cédant quant à la réalisation de la cession projetée (Cass. 1ère civ., 5 juin 1984, n°83-10.660).

Cette jurisprudence s’appuie sur l’idée que la notification ne constitue qu’un préalable à l’exercice du droit de préemption et non une offre de vendre.

Comme souligné par la Première chambre civile dans la décision précitée, « à défaut de disposition le précisant dans l’article 815-14 du Code civil, qui a seulement pour but d’éviter l’intrusion d’un tiers étranger à l’indivision, la notification faite au titulaire du droit de préemption de l’intention de céder les droits indivis ne vaut pas offre de vente ».

Cette analyse a été confirmée dans un arrêt du 9 février 2011, où la Cour a rappelé que l’indivisaire cédant conserve la faculté de renoncer à son projet de cession, et ce, même après que l’un des coïndivisaires a manifesté son intention de préempter (Cass. 1ère civ., 9 févr. 2011, n°10-10.759).

Cette solution garantit un équilibre entre la protection des coïndivisaires contre l’intrusion d’un tiers dans l’indivision et la liberté contractuelle du cédant.

Ainsi, le droit de préemption, bien qu’il vise à préserver l’harmonie entre les coïndivisaires et à maintenir l’affectio communionis, n’impose pas au cédant de conclure la cession, dès lors qu’aucune disposition expresse ne prévoit une telle obligation.

Cette jurisprudence illustre un équilibre subtil entre deux objectifs : la protection des coïndivisaires et la préservation de la liberté contractuelle du cédant.

D’une part, le droit de préemption conféré aux coïndivisaires constitue un rempart contre l’intrusion d’un tiers étranger, permettant ainsi de maintenir l’affectio communionis, indispensable à la gestion harmonieuse de l’indivision.

D’autre part, la liberté contractuelle demeure intacte, le cédant conservant la faculté de renoncer à son projet si les circonstances le justifient.

Dans les situations où la cession concerne des droits en usufruit ou en nue-propriété, la mécanique du droit de préemption se complexifie en raison de la nature distincte de ces droits.

L’article 815-18, alinéa 2, du Code civil établit une hiérarchie stricte dans l’exercice des droits de préemption.

Les coïndivisaires directs, partageant la même nature de droits que le cédant, bénéficient d’une priorité absolue.

Ce n’est qu’après la purge de ces droits prioritaires que les nus-propriétaires ou usufruitiers peuvent, à titre subsidiaire, se prévaloir de leur propre droit de préemption.

Cette hiérarchie repose sur un double objectif :

  • D’une part, elle garantit aux coïndivisaires directs un moyen efficace de préserver la stabilité de l’indivision en écartant toute intrusion intempestive.
  • D’autre part, elle reconnaît la spécificité des relations juridiques entre usufruitiers et nus-propriétaires, qui, bien que distinctes en nature, convergent sur un même objet matériel.

Cette approche reflète une volonté claire du législateur : favoriser en premier lieu les acteurs les plus directement impliqués dans la gestion de l’indivision avant d’élargir le cercle des bénéficiaires.

ii. Réponse des titulaires du droit de préemption

==>Principe

L’article 815-14, alinéa 2, confère à tout indivisaire, après notification d’un projet de cession, la possibilité d’exercer un droit de préemption en se substituant au cessionnaire pressenti.

Ce droit est conditionné par une déclaration expresse adressée au cédant et formulée dans les conditions prévues par la loi.

L’objectif est double : permettre aux indivisaires de préserver l’harmonie au sein de l’indivision en écartant l’entrée d’un tiers, tout en garantissant au cédant une sécurité juridique quant aux modalités de réponse.

==>Délai de réponse

Le délai pour manifester l’intention de préempter est fixé à un mois à compter de la notification du projet de cession.

Ce délai, considéré comme raisonnable, permet aux indivisaires d’évaluer les implications financières et juridiques d’un éventuel exercice du droit.

Si un indivisaire souhaite renoncer à son droit, il peut se contenter de laisser s’écouler ce délai sans manifester sa volonté.

L’absence de réponse équivaut alors à une renonciation tacite, conformément à l’interprétation majoritaire des textes et de la jurisprudence.

==>Forme de la réponse

Pour exercer son droit de préemption, l’indivisaire doit adresser sa réponse au cédant par un acte extrajudiciaire. Cette exigence, identique à celle prévue pour la notification initiale, vise à garantir une preuve incontestable de la manifestation de volonté.

Chaque indivisaire désireux de préempter doit effectuer une déclaration distincte. En revanche, la loi n’impose pas de notification au cessionnaire pressenti, bien que cette démarche soit recommandée pour éviter toute confusion ou litige ultérieur, notamment en cas de signature prématurée d’un acte de cession.

==>Termes de la réponse

L’indivisaire préempteur, en manifestant sa volonté d’exercer son droit, est tenu de se conformer intégralement aux exigences suivantes :

  • Le prix fixé dans la notification
    • Le prix de cession doit être accepté dans son intégralité, sans aucune renégociation possible.
    • Ce montant constitue un élément central du contrat projeté et reflète l’accord initial entre le cédant et le cessionnaire pressenti.
  • Les modalités de paiement
    • Cela inclut les délais de paiement, les taux d’intérêt appliqués en cas de paiement différé, ainsi que toute autre condition financière précisée dans la notification.
    • L’indivisaire préempteur doit s’engager à respecter ces modalités dans leur intégralité.
  • Les conditions accessoires
    • Les éventuels frais liés à la cession, tels que les commissions d’agents immobiliers ou autres intermédiaires, doivent également être pris en charge par l’indivisaire.
    • Ces conditions, bien que secondaires, sont indissociables des termes de la cession projetée dès lors qu’elles figurent dans la notification.

L’indivisaire exerçant son droit de préemption n’a aucune latitude pour modifier les conditions initiales.

La Cour de cassation a réaffirmé avec rigueur le principe selon lequel l’indivisaire exerçant son droit de préemption doit se conformer strictement aux termes de la cession notifiés, sans possibilité de les modifier.

Dans un arrêt du 18 janvier 2012, la Haute juridiction a, en effet, eu à se prononcer sur une situation où l’indivisaire préempteur avait tenté d’introduire une condition suspensive non prévue initialement (Cass. 1ère civ., 18 janv. 2012, n°10-28.311).

En l’espèce, un indivisaire avait notifié à son coïndivisaire son intention de céder ses parts pour un prix déterminé, payable comptant le jour de la signature de l’acte authentique.

Le coïndivisaire, souhaitant exercer son droit de préemption, avait répondu dans le délai légal. Cependant, lors de la rédaction du projet d’acte, il avait stipulé une clause conditionnant la vente à l’obtention d’un prêt bancaire, condition qui ne figurait pas dans les termes notifiés par le cédant.

La Cour de cassation a considéré que cette modification substantielle des conditions de la cession initiale rendait la déclaration de préemption irrégulière. En effet, en ajoutant une condition suspensive non prévue, l’indivisaire préempteur avait dévié des termes exacts de l’offre, ce qui est incompatible avec l’exigence d’acceptation pure et simple imposée par la loi. La Première chambre civile a donc validé la vente réalisée par le cédant au profit du tiers initialement pressenti, estimant que le droit de préemption n’avait pas été valablement exercé.

Cette décision illustre la stricte application du principe d’immutabilité des conditions de la cession dans le cadre du droit de préemption des indivisaires.

Contrairement à d’autres régimes spéciaux, tels que celui du preneur rural, où la loi permet une certaine adaptation des conditions de la vente, l’indivisaire ne dispose d’aucune marge de manœuvre pour modifier les termes notifiés. Toute tentative de négociation ou d’ajout de clauses supplémentaires est susceptible d’entraîner l’invalidité de la préemption.

Ainsi, l’indivisaire souhaitant exercer son droit doit accepter intégralement le prix, les modalités de paiement et les conditions accessoires telles qu’elles lui ont été notifiées.

Cette exigence vise à assurer la sécurité juridique des transactions et à éviter que le droit de préemption ne soit détourné de sa finalité, qui est de permettre aux coïndivisaires de maintenir l’harmonie au sein de l’indivision sans porter atteinte aux droits du cédant.

==>Effets de la réponse

L’exercice du droit de préemption opéré par un indivisaire se traduit par une substitution automatique et intégrale au cessionnaire initialement pressenti, conformément à l’article 815-14 du Code civil.

Cette substitution vise à reproduire le cadre contractuel initial sans altération, en maintenant l’équilibre des droits et obligations prévus par la cession.

  • Substitution dans les obligations souscrites envers le cédant
    • L’indivisaire préempteur est tenu d’exécuter l’ensemble des obligations stipulées dans le projet de cession notifié, sans déviation possible.
    • La conséquence en est que si les conditions de la cession, telles qu’énoncées dans la notification, échouent à se réaliser, l’exercice du droit de préemption est privé d’effet.
    • L’indivisaire préempteur ne peut alors se substituer au cessionnaire pour conclure la vente.
  • Substitution dans les obligations souscrites envers les tiers
    • L’indivisaire exerçant son droit de préemption doit également se conformer aux obligations contractuelles du cessionnaire à l’égard de tiers, à condition qu’elles aient été dûment portées à sa connaissance dans la notification.
    • Ainsi, la portée de la substitution s’étend, notamment :
      • Aux commissions des intermédiaires : si la notification mentionne des frais d’agents immobiliers ou d’intermédiaires liés à la cession, le préempteur est tenu de les acquitter.
      • Dans un arrêt du 26 mars 1996, la Cour de cassation a validé la condamnation d’un indivisaire préempteur à payer la commission due à un agent immobilier, cette obligation ayant été stipulée dans les termes de la cession notifiée (Cass. 1re civ., 26 mars 1996, n°93-17.574).
      • Aux frais accessoires et charges : tous les termes et conditions qui figurent dans la notification doivent être intégralement respectés par le préempteur, qu’il s’agisse de frais de notaire, de charges ou d’autres obligations similaires.
    • Toutefois, cette substitution ne saurait s’appliquer à des engagements du cessionnaire qui n’auraient pas été expressément mentionnés dans la notification.
    • En effet, la portée de l’article 815-14 est limitée aux conditions strictement notifiées, de sorte que le préempteur ne peut être tenu à des obligations dont il n’a pas eu connaissance.

iii. Réalisation de l’acte de vente

==>Délai de réalisation de la vente

  • Délai imparti et point de départ
    • L’article 815-14, alinéa 3, accorde à l’indivisaire préempteur un délai de deux mois pour réaliser l’acte de vente.
    • Ce délai court à compter de la date d’envoi de la réponse au vendeur, formalisée par acte extrajudiciaire.
    • Le mode de calcul de ce délai suit les dispositions de l’article 641 du Code de procédure civile : lorsque le délai expire un jour férié, un samedi ou un dimanche, il est prorogé au premier jour ouvrable suivant.
  • Notion de réalisation de la vente
    • Le texte exige que la vente soit “réalisée” dans le délai imparti.
    • Cette notion reste sujette à interprétation.
    • Bien qu’il soit généralement admis que l’acte authentique constitue le standard attendu, il est également possible de considérer une vente comme “réalisée” si un accord définitif des parties est constaté, même sous seing privé, dès lors que cet accord respecte les conditions notifiées.

==>Non-respect du délai

  • Mise en demeure adressée au préempteur
    • Si la vente n’est pas réalisée dans le délai de deux mois, le cédant peut adresser une mise en demeure au préempteur pour qu’il conclue l’acte.
    • La mise en demeure peut être effectuée par sommation d’un Commissaire de justice ou par lettre recommandée.
    • Le délai de mise en demeure n’est pas strictement encadré par la loi et peut être initié longtemps après l’expiration des deux mois initiaux.
    • Ce mécanisme vise à protéger le cédant contre l’inaction du préempteur tout en lui offrant un cadre clair pour faire valoir ses droits.
  • Mise en demeure sans suite
    • Si, après un délai de quinze jours suivant la mise en demeure, l’acte de vente n’est toujours pas réalisé, la déclaration de préemption est nulle de plein droit.
    • Cette nullité n’exige aucune formalité supplémentaire, mais une contestation peut néanmoins survenir, nécessitant alors l’intervention du juge.
    • En l’absence de contestation, le cédant retrouve sa liberté contractuelle et peut conclure la vente avec le cessionnaire initial.

==>Cession au préempteur

  • Action en complément de part pour lésion
    • La cession des droits indivis au profit du préempteur est assimilée à un partage, ouvrant la possibilité d’une action en complément de part pour lésion si le prix convenu est inférieur d’un quart à la valeur réelle des droits cédés. Cependant, cette action est exclue en présence d’un aléa défini et accepté dans l’acte (article 891 du Code civil).
    • L’existence de cet aléa doit être appréciée à la date de l’acte d’exercice du droit de préemption.
  • Préemption exercée par plusieurs indivisaires
    • Lorsque plusieurs indivisaires exercent leur droit, l’article 815-14, alinéa 4, prévoit qu’ils acquièrent ensemble, à proportion de leurs droits dans l’indivision, sauf convention contraire.
      • En cas de droits égaux : chaque indivisaire préempteur acquiert une part égale.
      • En cas de droits inégaux : l’acquisition se fait en proportion des droits de chacun, sauf accord particulier précisant d’autres modalités.
  • Délais de paiement et ajustements
    • Si des délais de paiement ont été consentis au cessionnaire initial, le préempteur est soumis aux mêmes modalités.
    • L’article 815-14, alinéa 5, renvoie à l’application de l’article 828 du Code civil, prévoyant des ajustements en cas de variation significative de la valeur des droits cédés.
    • Toutefois, les parties peuvent convenir contractuellement que le montant dû reste fixe, afin de prévenir tout litige lié aux fluctuations économiques.

4. La sanction de la violation du droit de préemption

a. Principe de la nullité

L’article 815-16 dispose que « toute cession ou toute licitation opérée au mépris des dispositions des articles 815-14 et 815-15 est nulle ». La nullité est donc la sanction générale applicable dans ce cadre.

Cette nullité frappe indifféremment :

  • Les cessions amiables effectuées sans notification préalable régulière ;
  • Les adjudications, lorsque les indivisaires n’ont pas été dûment informés.

La nullité s’applique également lorsque la notification est irrégulière dans sa forme. Ainsi, une notification ne respectant pas les modalités prévues à l’article 815-14, telle qu’une absence d’acte extrajudiciaire, ne saurait être régularisée par le principe selon lequel « pas de nullité sans grief » (art. 114 du CPC), comme l’a confirmé la Cour de cassation dans un arrêt du 5 mars 2022 (Cass. 1ère civ., 5 mars 2002, n°00-13.511).

Enfin, la bonne foi de l’acquéreur ou de l’adjudicataire est sans incidence : le simple manquement aux exigences légales entraîne la nullité de la cession. Cette rigueur reflète la volonté de protéger efficacement les droits des coïndivisaires.

b. Régime de la nullité

La nullité prévue par l’article 815-16 est une nullité relative, car visant exclusivement à protéger les indivisaires bénéficiaires du droit de préemption.

==>Titulaires de l’action

Seuls les indivisaires à qui les notifications devaient être faites, ou leurs héritiers, peuvent invoquer cette nullité.

En revanche, un indivisaire qui avait connaissance du projet de cession, même en l’absence de notification formelle, et qui n’avait pas l’intention d’exercer son droit de préemption, ne saurait en demander l’annulation.

==>Absence de renonciation explicite

Lorsqu’un indivisaire n’a pas renoncé de manière explicite à son droit, l’absence de notification ou le non-respect des formes prévues ouvre à celui-ci, ou à ses ayants droit, la possibilité de solliciter l’annulation de la cession.

c. Prescription de l’action en nullité

L’article 815-16 prévoit que l’action en nullité se prescrit par cinq ans. Ce délai, destiné à garantir une certaine sécurité juridique, commence à courir à partir de la date de publication de l’acte de cession au registre foncier.

Cette publication rend la cession opposable aux tiers et présume la connaissance par les coïndivisaires (Cass. 1re civ., 5 mars 2014, n°12-28.348).

Cette exigence est susceptible de soulever une difficulté dans les cas où la cession a été effectuée en fraude des droits de préemption et où les indivisaires n’en prennent connaissance qu’après plusieurs années.

En effet, la loi ne prévoit aucun report du point de départ du délai en cas de découverte tardive de la fraude.

En tout état de cause, une fois le délai de cinq ans écoulé, l’action en nullité est définitivement irrecevable. Les indivisaires lésés ne disposent alors que d’une action éventuelle en responsabilité contre le notaire rédacteur, si celui-ci a omis de notifier correctement la cession.

B) Le droit de substitution

Le droit de substitution, consacré par l’article 815-15 du Code civil, offre aux coïndivisaires une faculté précieuse en cas de vente aux enchères de droits indivis.

Ce mécanisme vise à protéger l’indivision en permettant à l’un des indivisaires de se substituer à l’acquéreur après l’adjudication, moyennant le respect des conditions de la vente.

Distinct du droit de préemption, le droit de substitution s’exerce a posteriori et répond à une finalité similaire : éviter l’intrusion d’un tiers non souhaité dans l’indivision.

Ce dispositif, pensé pour préserver l’équilibre et la cohérence de cette situation juridique, incarne un subtil équilibre entre la protection des indivisaires et la liberté de disposer de sa quote-part.

1. Principe

Le droit de substitution, institué par l’article 815-15 du Code civil, répond à une limite inhérente au droit de préemption prévu à l’article 815-14 du même code. Ce dernier, en effet, ne s’applique qu’en cas de cession amiable des droits indivis d’un coïndivisaire.

Dans le cadre d’une vente aux enchères publiques, les conditions mêmes de l’adjudication – absence de connaissance préalable du prix et de l’identité de l’acquéreur – rendent impossible l’exercice d’un droit de préemption avant la réalisation de la vente.

C’est précisément pour pallier cette lacune et préserver l’objectif fondamental du droit de préemption que le législateur a institué le droit de substitution.

Celui-ci permet aux coïndivisaires de se substituer, a posteriori, à l’adjudicataire, moyennant le paiement du prix d’adjudication. Ce mécanisme, bien qu’intervenant après l’acte de cession, poursuit la même finalité que le droit de préemption : empêcher l’intrusion d’un tiers dans l’indivision.

A cet égard, le mécanisme du droit de substitution est particulièrement pertinent dans le contexte des ventes aux enchères, où les aléas inhérents à l’adjudication – notamment l’incertitude sur le prix et l’identité de l’acquéreur – renforcent le risque de fragmentation de l’indivision.

En instituant ce droit, le législateur a permis de prolonger les garanties offertes par le droit de préemption, tout en adaptant les règles au cadre spécifique des adjudications. Le droit de substitution répond ainsi à une exigence d’équité, en alignant les protections offertes aux coïndivisaires, quel que soit le mode de cession, amiable ou judiciaire.

Enfin, en empêchant l’entrée non désirée d’un tiers dans l’indivision, ce droit contribue également à maintenir la cohésion économique et juridique de la communauté indivisaire, préservant ainsi l’intérêt collectif de ses membres.

2. Domaine

Le droit de substitution, prévu par l’article 815-15 du Code civil, a un champ d’application limité mais essentiel pour préserver la stabilité de l’indivision face au risque d’intrusion d’un tiers.

Ce mécanisme vise spécifiquement les adjudications portant sur les droits indivis d’un coïndivisaire, et non sur les biens indivis eux-mêmes.

a. Adjudication de droits indivis

Le droit de substitution s’applique exclusivement lorsque l’adjudication porte sur tout ou partie des droits indivis d’un coïndivisaire.

Cette restriction découle de la finalité même du dispositif : empêcher l’arrivée d’un tiers dans l’indivision.

Dans un arrêt du 14 février 1989, la Cour de cassation a fermement rappelé cette exigence, en affirmant que « l’article 815-15 du Code civil ne pouvait être appliqué qu’en cas d’adjudication portant sur les droits d’un indivisaire dans les biens indivis et non sur les biens indivis eux-mêmes » (Cass. 1ère civ., 14 févr. 1989, n°87-14.392).

En pratique, cette situation est rare, notamment parce que les créanciers personnels d’un indivisaire ne peuvent saisir ses droits indivis (art. 815-17 C. civ.).

Cependant, elle peut survenir dans certains cas exceptionnels, comme une licitation préalable de la quote-part indivise d’un indivisaire décédé, laissant plusieurs héritiers.

Dans ce cadre, le droit de substitution permet aux coïndivisaires de racheter ces droits et d’éviter l’entrée d’un étranger dans l’indivision.

b. Adjudication d’un bien indivis

Lorsque l’adjudication concerne un bien indivis dans son ensemble, le droit de substitution ne s’applique pas.

Cette limitation se comprend aisément : la vente d’un bien indivis met fin à l’indivision sur ce bien, supprimant ainsi tout risque d’intrusion d’un tiers dans la communauté indivisaire.

La Cour de cassation a confirmé cette règle, en soulignant dans un arrêt du 30 juin 1992 que « si les articles 815-14 et 815-15 du Code civil confèrent à un indivisaire un droit de préemption ou de substitution suivant qu’il y a cession amiable ou licitation de droits indivis par un coïndivisaire, ces textes ne sont applicables, l’un et l’autre, que dans la mesure où l’opération porte sur des droits dans un ou plusieurs biens indivis, et non sur les biens indivis eux-mêmes » (Cass. 1ère civ., 30 juin 1992, n°90-19.052).

Il en résulte que, dans ce cas, les indivisaires ne peuvent pas exercer droit de substitution. L’indivision prenant fin sur le bien vendu, aucune justification ne permettrait de leur reconnaître une telle faculté.

Si la loi n’accorde aucun droit de substitution en cas d’adjudication d’un bien indivis, les parties peuvent toutefois prévoir une telle faculté par voie conventionnelle.

Une clause stipulée dans le cahier des charges de la vente peut ainsi accorder aux coïndivisaires un droit de substitution, à condition que cette stipulation soit clairement formulée et respecte les exigences légales.

La Cour de cassation a validé cette possibilité dans un arrêt du 3 ami 1989 en affirmant qu’aucune règle d’ordre public ne s’y oppose (Cass. 3e civ., 3 mai 1989, n°87-17.094).

Dans cette affaire, un indivisaire avait exercé son droit de substitution après une adjudication sur licitation. L’adjudicataire contestait la validité de la clause en avançant que l’article 815-15 du Code civil n’était pas applicable à la vente du bien indivis en totalité. Toutefois, la Haute juridiction a jugé que la clause, bien que reposant sur une base conventionnelle et non légale, n’avait ni un objet, ni une cause illicite, et qu’aucune disposition impérative ne l’interdisait.

Ce droit de substitution, de nature conventionnelle, se distingue du droit légal prévu par l’article 815-15 du Code civil. Il est soumis aux modalités définies par le l’acte qui l’institue. Ainsi, cet acte peut, par exemple, imposer une consignation préalable des fonds nécessaires à l’exercice de la substitution. La Cour de cassation a rappelé dans un autre arrêt que le non-respect d’une telle condition entraîne la nullité de la déclaration de substitution (Cass. 1re civ., 13 janv. 1993, n°91-13.851).

La rédaction de ces clauses requiert une vigilance particulière. Elles doivent éviter toute ambiguïté, notamment lorsque l’adjudicataire est lui-même un indivisaire. La Troisième chambre civile a précisé que la clause ne saurait empêcher un indivisaire adjudicataire d’acquérir le bien à titre exclusif, en l’absence d’une stipulation explicite dans ce sens (Cass. 3e civ., 17 nov. 2010, n°09-68.013).

3. Mise en œuvre

a. Notification préalable

L’article 815-15 du Code civil prévoit que, dans le cadre d’une adjudication portant sur des droits indivis, « l’avocat ou le notaire doit en informer les indivisaires par notification un mois avant la vente ».

Cette exigence légale, essentielle à la mise en œuvre du droit de substitution, impose aux professionnels en charge de l’adjudication de transmettre aux coïndivisaires les informations nécessaires leur permettant d’évaluer les conditions de la vente et, le cas échéant, d’organiser l’exercice de leur droit.

==>Contenu de la notification

La notification, qui doit intervenir au moins un mois avant la date prévue pour l’adjudication, constitue une étape indispensable pour garantir le respect des droits des indivisaires.

Elle doit comporter des éléments précis, parmi lesquels :

  • La désignation des droits mis en vente, afin de clarifier l’objet de l’adjudication.
  • La date, l’heure et le lieu de la vente, permettant aux indivisaires d’en anticiper le déroulement.
  • Les modalités de consultation du cahier des charges, document clé qui précise les conditions de l’adjudication et les éventuelles clauses spécifiques, telles que les garanties financières ou les obligations de consignation.

L’objectif principal de cette notification est de permettre aux indivisaires de prendre une décision éclairée sur l’opportunité d’exercer leur droit de substitution.

Ce mécanisme, qui s’apparente à un droit de retrait, offre aux coïndivisaires la possibilité de préserver la cohérence de l’indivision en se substituant à l’adjudicataire.

==>Formes de la notification

L’article 815-15 reste relativement souple quant à la forme que doit revêtir la notification.

Deux modes principaux sont admis :

  • La lettre recommandée avec accusé de réception, qui constitue une solution courante mais susceptible de présenter des lacunes, notamment en cas de non-réclamation de la lettre par le destinataire.
  • L’acte extrajudiciaire, solution plus coûteuse mais fortement recommandée pour garantir une sécurité accrue. En effet, ce mode permet de s’assurer que la notification est bien délivrée et que les délais imposés par la loi sont respectés, réduisant ainsi les risques de contentieux.

Lorsque l’adresse des indivisaires n’est pas connue ou qu’un doute subsiste quant à la réception de la notification, le recours à un Commissaire de justice est vivement conseillé. Ce choix limite les risques d’annulation de la vente pour irrégularité de la procédure et renforce la sécurité juridique de l’opération.

==>Sanction

Le non-respect des formalités de notification peut avoir des répercussions importantes. Une notification tardive, incomplète ou omise expose le notaire ou l’avocat à une responsabilité professionnelle si un préjudice en découle.

Ce préjudice peut consister, par exemple, en une privation pour les indivisaires d’exercer leur droit de substitution ou en une perte d’opportunité de maintenir les droits indivis au sein de l’indivision.

En outre, une notification irrégulière ou inexistante pourrait entraîner la nullité de l’adjudication, en application de l’article 815-16 du Code civil, qui sanctionne par la nullité les ventes réalisées en violation des règles prévues par l’article 815-15.

Cette nullité, bien que relative, peut être invoquée par tout indivisaire ou ses héritiers dans un délai de cinq ans à compter de la publication de l’adjudication.

b. Exercice du droit de substitution

L’exercice du droit de substitution, prévu à l’article 815-15 du Code civil, offre aux indivisaires une opportunité unique de se substituer à l’adjudicataire après la réalisation de la vente aux enchères.

Ce mécanisme, qui repose sur un droit de retrait, s’accompagne de formalités strictes et d’un encadrement juridique précis.

==>Formalités de la déclaration de substitution

Une fois l’adjudication réalisée, chaque indivisaire dispose d’un délai d’un mois pour déclarer sa volonté de se substituer à l’adjudicataire.

Cette déclaration, qui peut être effectuée auprès du greffe (en cas d’adjudication judiciaire) ou auprès du notaire (pour une adjudication amiable), doit impérativement être consignée de manière à garantir sa sécurité juridique.

Deux moyens permettent de donner date certaine à cette déclaration :

  • L’acte authentique, dressé par le notaire ou le greffe, qui constitue une preuve irréfutable de la déclaration.
  • L’acte d’un commissaire de justice, solution recommandée pour prévenir tout litige concernant la date de l’exercice du droit.

Le texte ne fixe pas de formalisme particulier, mais il est essentiel que la déclaration soit datée de manière incontestable afin de respecter les exigences légales.

==>Calcul du délai de substitution

Le délai d’un mois imparti pour exercer le droit de substitution court de quantième à quantième, à compter du jour de l’adjudication, conformément aux dispositions de l’article 640 du Code de procédure civile.

Par exemple, si l’adjudication a lieu le 15 mars, le délai expire le 15 avril. Toute déclaration effectuée après ce délai est considérée comme tardive et n’a aucun effet juridique, l’adjudicataire initial conservant alors la qualité d’acquéreur.

==>Cas particulier des déclarations multiples

Lorsque plusieurs indivisaires exercent leur droit de substitution dans le délai légal prévu par l’article 815-15 du Code civil, des conflits peuvent surgir quant à l’attribution du bien mis en adjudication. La jurisprudence a opté pour une application stricte du principe « prior tempore, potior jure », selon lequel le premier indivisaire à déclarer sa substitution est privilégié.

Dans un arrêt du 7 octobre 1997, la Cour de cassation a confirmé que la priorité devait être accordée à l’indivisaire ayant exercé son droit de substitution en premier, même si d’autres indivisaires manifestaient leur intention dans le délai légal (Cass. 1re civ., 7 oct. 1997, n° 95-17.071). Dans cette affaire, plusieurs indivisaires avaient successivement déclaré leur substitution. La Haute juridiction a considéré que seuls les premiers déclarants pouvaient être substitués à l’adjudicataire initial, rejetant ainsi la demande des indivisaires ayant déclaré leur substitution ultérieurement.

Cette solution repose sur l’idée que la substitution agit comme un retrait qui anéantit rétroactivement l’acquisition de l’adjudicataire initial. Elle implique nécessairement qu’un seul indivisaire ou un groupe d’indivisaires coordonnés puisse être substitué pour une même adjudication.

Il est important de souligner que l’arrêt précité portait sur une clause stipulée dans un cahier des charges et non sur l’application directe de l’article 815-15 du Code civil. La Cour de cassation n’a pas explicitement étendu ce principe à toutes les hypothèses relevant de cet article. Par conséquent, un doute subsiste quant à l’applicabilité générale de la règle de priorité temporelle en l’absence de stipulations spécifiques dans le cahier des charges.

Pour éviter les litiges, il est fortement recommandé d’anticiper ces éventualités dans le cahier des charges de l’adjudication. Plusieurs solutions pratiques peuvent être envisagées :

  • Une clause peut stipuler que les indivisaires souhaitant exercer leur droit de substitution doivent se coordonner avant toute déclaration. Cette démarche permet d’éviter des déclarations concurrentes et d’assurer une répartition consensuelle des droits.
  • Une clause peut encore prévoir que, si plusieurs indivisaires exercent leur droit, ils acquièrent ensemble les droits mis en adjudication, en proportion de leur part dans l’indivision. Cette solution, inspirée du droit de préemption, garantit une continuité de l’indivision tout en respectant l’égalité entre coïndivisaires.
  • Enfin, il est possible de préciser dans le cahier des charges que la priorité sera accordée à l’indivisaire ayant respecté certaines conditions objectives (par exemple, consignation préalable des fonds ou dépôt d’une déclaration plus détaillée).

Une fois la substitution validée en faveur du premier déclarant ou d’un groupe d’indivisaires, le transfert de propriété est effectif, et les autres indivisaires ne peuvent plus revendiquer un droit sur les parts adjugées. Toutefois, si des contestations persistent, le juge pourrait être saisi pour statuer sur la validité des clauses du cahier des charges ou des déclarations de substitution.

c. Effets de la substitution

L’exercice du droit de substitution, tel que prévu par l’article 815-15 du Code civil, emporte plusieurs effets.

La substitution opère un remplacement rétroactif de l’adjudicataire par l’indivisaire déclarant. Ce dernier se voit investi de tous les droits attachés à l’acquisition des parts indivises, comme s’il avait lui-même participé à l’adjudication et remporté l’enchère. La rétroactivité de cet effet garantit qu’aucune mutation intermédiaire n’intervient, simplifiant ainsi les implications juridiques et fiscales de l’opération.

L’indivisaire substitué devient immédiatement propriétaire des droits indivis aux mêmes conditions que celles de l’adjudication.

Ce transfert de droits inclut :

  • Le respect du prix d’adjudication.
  • L’acceptation des clauses définies dans le cahier des charges, qui fixent les modalités financières et contractuelles de l’acquisition.

Ce transfert s’effectue sans modification des termes de la vente, assurant ainsi une parfaite transparence et sécurité juridique pour l’ensemble des parties concernées.

Par ailleurs, les clauses financières prévues dans le cahier des charges de la vente trouvent également à s’appliquer à l’indivisaire substitué.

Parmi ces clauses figurent fréquemment :

  • La consignation préalable des fonds : l’indivisaire doit justifier qu’il dispose des montants nécessaires à l’acquisition avant que la substitution ne prenne effet. Cette condition garantit que la substitution ne met pas en péril la finalisation de l’opération.
  • Les garanties éventuelles : si le cahier des charges exige des garanties (par exemple, une caution bancaire ou un dépôt de garantie), celles-ci doivent être fournies par l’indivisaire substitué dans les délais impartis.

En cas de non-respect de ces exigences, la substitution peut être contestée, voire annulée, laissant l’adjudicataire initial dans sa position d’acquéreur.

La substitution opérée dans le cadre du droit de retrait se traduit par une mutation unique.

Cela emporte plusieurs conséquences :

  • Fiscalité simplifiée : l’indivisaire substitué est considéré comme l’acquéreur unique, ce qui évite une double taxation ou des calculs complexes liés à des mutations intermédiaires.
  • Opposabilité immédiate : les tiers, y compris les créanciers et les administrations, peuvent immédiatement considérer l’indivisaire substitué comme propriétaire, une fois la substitution formalisée.

Enfin, la substitution protège l’intégrité de l’indivision en écartant l’intrusion d’un tiers non souhaité.

L’indivisaire substitué reprend sa place dans l’indivision sans altérer la répartition des droits ou les relations entre coïndivisaires. Ce mécanisme renforce ainsi la cohésion et la stabilité de l’indivision, tout en évitant des conflits potentiels avec un adjudicataire extérieur.

d. Sanctions

==>Nullité

L’article 815-16 du Code civil prévoit que toute violation des règles encadrant le droit de substitution fixé à l’article 815-15 est sanctionnée par la nullité de l’adjudication.

Plusieurs situations peuvent donner lieu à une nullité de l’adjudication, en raison de la violation des droits des indivisaires bénéficiaires :

  • Absence de notification préalable
    • L’article 815-15 impose une notification formelle aux indivisaires, un mois avant l’adjudication, effectuée par un avocat (adjudication judiciaire) ou un notaire (adjudication amiable).
    • Si cette notification est omise ou irrégulière (par exemple, absence de preuve de la réception), les indivisaires sont privés de l’information nécessaire pour organiser leur éventuelle substitution, ce qui justifie l’annulation de l’adjudication.
  • Violation des délais de substitution
    • Le délai légal d’un mois pour exercer le droit de substitution est impératif.
    • Toute déclaration faite en dehors de ce délai est sans effet.
    • Si, malgré cette irrégularité, un indivisaire tardif est substitué à l’adjudicataire, l’adjudication peut être frappée de nullité.
  • Omission des droits de substitution dans le cahier des charges
    • L’article 815-15 exige que le cahier des conditions de vente mentionne expressément les droits de substitution.
    • Si cette mention est absente, les indivisaires ne disposent pas des informations nécessaires pour évaluer leur position, compromettant leur droit de substitution.
    • Cette omission peut entraîner non seulement la nullité de l’adjudication, mais aussi la responsabilité professionnelle du notaire ou de l’avocat rédacteur.

==>Nature de la nullité

La nullité prévue par l’article 815-16 est relative, ce qui signifie qu’elle ne peut être invoquée que par les indivisaires lésés ou leurs héritiers.

Cette particularité reflète la volonté du législateur de protéger les intérêts spécifiques des indivisaires tout en évitant de compromettre la stabilité des adjudications au détriment des tiers.

Contrairement à une nullité absolue, qui pourrait être soulevée par tout intéressé, la nullité relative est limitée à ceux dont les droits sont directement affectés.

Elle constitue ainsi un moyen de préserver l’équilibre entre la protection des indivisaires et la sécurité juridique des transactions.

==>Prescription de l’action en nullité

L’action en nullité est soumise à un délai de prescription de cinq ans, qui commence à courir à compter de la publication de l’adjudication aux services de publicité foncière.

==>Responsabilité

Outre la nullité, les professionnels en charge de l’adjudication (avocats ou notaires) peuvent voir leur responsabilité professionnelle engagée si leur manquement a causé un préjudice.

Cela peut inclure :

  • L’absence ou l’irrégularité de la notification préalable.
  • La rédaction défaillante du cahier des charges, omettant les mentions obligatoires.
  • Une négligence dans le contrôle des délais ou des formalités.

Si ces fautes privent les indivisaires de leur droit de substitution ou entraînent une nullité, les professionnels concernés peuvent être tenus de réparer les dommages subis.

==>Conséquences de la nullité

En cas d’annulation de l’adjudication, les droits adjugés retrouvent leur situation antérieure à la vente.

Cette rétroactivité peut engendrer des complications pratiques, notamment si l’adjudicataire a entrepris des démarches sur le bien acquis ou s’il a cédé ses droits à un tiers.

Ces situations peuvent donner lieu à des contentieux supplémentaires, accentuant la nécessité de respecter scrupuleusement les règles encadrant le droit de substitution.

La constitution de sûretés sur des droits indivis: régime

La constitution de sûretés sur une quote-part indivise permet à chaque indivisaire de garantir ses engagements en valorisant ses droits. Qu’il s’agisse d’une hypothèque ou d’un nantissement, ces opérations, encadrées par la loi, doivent respecter les règles de l’indivision et préserver les intérêts des coïndivisaires.

1. L’inscription d’une hypothèque sur une quote-part indivise

Avant la réforme entreprise par la loi du 31 décembre 1976, la jurisprudence avait déjà admis la possibilité pour un indivisaire de constituer une hypothèque sur sa quote-part indivise lorsque les biens indivis comprenaient des immeubles (Cass. Req., 26 mars 1907).

Ce principe a été consacré par la loi du 31 décembre 1976 et trouve aujourd’hui son fondement dans l’article 2412, alinéa 2, du Code civil, dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 23 mars 2006 et recodifié par l’ordonnance n°2021-1192 du 15 septembre 2021 réformant les sûretés.

Cette disposition prévoit toutefois que l’hypothèque consentie sur une quote-part indivise demeure conditionnelle. Elle ne devient effective que si, lors du partage, le bien hypothéqué est attribué à l’indivisaire constituant.

En cas d’attribution, l’hypothèque s’étend à l’ensemble des droits obtenus dans le partage, et non seulement à la quote-part initialement visée.

Malgré cette possibilité, l’hypothèque portant sur une quote-part indivise reste peu utilisée en pratique. Son efficacité est étroitement liée au résultat du partage. Si le bien hypothéqué est attribué à un autre indivisaire, l’hypothèque devient inopérante. Cette incertitude dissuade souvent les créanciers, qui privilégient des garanties plus sécurisées.

Par ailleurs, le créancier souhaitant garantir sa créance par une hypothèque sur une quote-part indivise doit être vigilant quant à la publicité de la sûreté, tout comme il doit s’assurer qu’aucune opposition au partage n’a été formulée, ce qui pourrait entraver l’efficacité de l’hypothèque.

2. L’inscription d’un nantissement sur une quote-part indivise

Depuis la réforme des sûretés entreprise par la loi du 23 mars 2006 qui a notamment modifié la classification des sûretés réelles mobilières, il est admis que les droits indivis de nature incorporelle, tels que la quote-part indivise détenue dans une créance ou dans un droit de propriété intellectuelle, peuvent faire l’objet d’un nantissement en garantie d’une dette.

Cette faculté résulte du principe de libre disposition des droits indivis, qui permet à chaque indivisaire de constituer un nantissement sur sa part, sans nécessiter l’accord des autres indivisaires, dès lors que les formalités légales de publicité sont respectées.

Toutefois, lorsque le nantissement vise l’intégralité d’un bien incorporel indivis, l’accord unanime des indivisaires reste requis.

Cette exigence découle du principe selon lequel les actes de disposition affectant l’ensemble de l’indivision doivent être approuvés collectivement, afin de préserver l’équilibre des droits de chacun.

Ainsi, par exemple, le nantissement d’un brevet indivis ne saurait être valablement constitué sans l’aval de l’ensemble des coindivisaires.

La cession de droits indivis: régime

Chaque indivisaire, en sa qualité de propriétaire exclusif de sa quote-part indivise, dispose du droit fondamental d’en disposer librement.

Cette prérogative, ancrée dans le principe de la propriété individuelle au sein de l’indivision, ouvre la possibilité d’effectuer des cessions portant sur tout ou partie de ces droits.

Ces opérations, qu’elles interviennent à titre onéreux ou gratuit, traduisent l’exercice d’une liberté essentielle, permettant à l’indivisaire de se retirer de l’indivision ou de redistribuer ses droits.

Toutefois, si cette liberté constitue un corollaire naturel de la propriété, elle s’inscrit dans un cadre juridique particulier visant à préserver les équilibres de l’indivision et les intérêts des coïndivisaires.

La cession de droits indivis peut ainsi entraîner des modifications dans la composition de l’indivision, tout en préservant les droits des autres indivisaires, notamment grâce à des mécanismes tels que le droit de préemption.

1. Principe

a. Énoncé du principe

Il est admis de longue date que, à l’instar de n’importe quel propriétaire, les titulaires de droits indivis ont la faculté de céder librement leurs droits indivis.

Dans un arrêt du 4 octobre 2005, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « chacun d’eux peut librement disposer de sa quote-part de droits sur un bien indivis » (Cass. 1ère civ., 4 oct. 2005, n°03-12.697).

Cette liberté de disposition s’exerce de manière absolue sur la quote-part indivise, qu’elle soit cédée à titre onéreux, par le biais d’une vente ou d’un échange, ou à titre gratuit, au moyen d’une donation ou d’un legs.

Le principe de libre disposition des droits indivis rappelle que l’indivisaire appartient à la catégorie des propriétaires et qu’à ce titre, il bénéficie des prérogatives attachées au droit de propriété. Cette qualité lui confère une autonomie et une indépendance qui s’inscrivent dans le prolongement des droits exclusifs qu’il détient sur sa quote-part indivise.

Même dans le cadre d’une indivision, qui repose par nature sur une gestion collective, chaque indivisaire conserve une maîtrise pleine et entière sur sa part abstraite, lui permettant de disposer librement de celle-ci, que ce soit par une cession, une donation ou encore un legs.

Cette faculté de céder ses droits indivis offre à l’indivisaire une alternative précieuse à la demande de partage lorsqu’il souhaite se désengager de l’indivision. Plutôt que d’initier une procédure de partage, qui peut s’avérer longue et conflictuelle, la cession permet une sortie plus souple et individualisée de l’indivision.

Par ailleurs, cet acte n’est pas seulement un moyen de se libérer de l’indivision : il constitue également un outil stratégique au service d’objectifs patrimoniaux diversifiés, tels que la valorisation de ses droits indivis ou encore la réorganisation des rapports entre coindivisaires.

b. Domaine du principe

==>Principe

Le principe de libre disposition des droits indivis s’étend à l’ensemble des formes d’indivision, qu’elles soient successorales, conventionnelles ou post-communautaires.

Dans ces configurations, chaque indivisaire dispose pleinement de sa quote-part et peut en décider du sort sans avoir à solliciter l’accord des autres indivisaires.

En pratique, cette liberté jouera, par exemple, dans le cadre d’indivisions successorales, où chaque héritier peut céder ses droits successoraux, ou encore aux indivisions conventionnelles créées par un accord entre les parties pour gérer en commun un bien indivis.

==>Tempérament

La liberté de disposition des droits indivis connaît une limite pour le cas des indivisions forcées et perpétuelles, soient celles portant sur des biens affectés à un usage collectif ou indispensable à la desserte de plusieurs fonds.

Ces indivisions, en raison de leur nature, ne peuvent être cédées ou partagées que dans le respect de conditions très strictes.

En effet, les indivisions forcées, telles que les cours communes, allées ou chemins d’accès, sont généralement créées par nécessité. Plus précisément, elles sont établies aux fins d’assurer l’exploitation ou l’usage commun des fonds voisins.

Aussi, la Cour de cassation a-t-elle jugé que ces indivisions constituaient un état « normal et perpétuel » auquel il ne pouvait être mis fin sans l’accord unanime des coindivisaires (Cass. 3e civ., 12 mars 1969).

Le partage ou la cession de ces biens indivis, s’il était autorisé unilatéralement, compromettrait leur destination et leur usage collectif, entraînant des déséquilibres pour les fonds qui en dépendent.

Par conséquent, ces indivisions relèvent d’un régime dérogatoire qui exige, dans tous les cas, l’unanimité des indivisaires pour toute modification substantielle de leur statut.

2. Régime

Le régime de la cession de droits indivis diffère selon que le cessionnaire est un indivisaire ou un tiers.

En effet, lorsqu’elle est consentie à un coindivisaire, la cession présente la particularité de produire un effet déclaratif, ce qui n’est pas sans la rapprocher d’une opération de partage, notamment en ce qui concerne intéresse les rapports entre indivisaires.

En revanche, lorsqu’elle est effectuée en faveur d’un tiers, elle est soumise à des règles distinctes, notamment en raison de la reconnaissance d’un droit de préemption ou de substitution à la faveur des autres indivisaires.

a. La cession de droits indivis à un indivisaire

i. L’effet déclaratif attaché à la cession

Avant la réforme opérée par la loi du 31 décembre 1976, la cession de droits indivis à un coindivisaire était assimilée à une vente classique. Elle était alors soumise au droit commun des obligations.

Cette approche faisait toutefois fi des spécificités de l’indivision, en particulier de sa nature collective et des mécanismes propres à la redistribution des droits entre indivisaires.

La loi du 31 décembre 1976 est venue corriger cette lacune en rattachant la cession de droits indivis au profit d’un coindivisaire au régime du partage. Cette réforme a permis de conférer à la cession entre indivisaires un effet déclaratif, désormais consacré à l’article 883 du Code civil.

Dans sa rédaction actuelle, cette disposition précise qu’« il n’est pas distingué selon que l’acte fait cesser l’indivision en tout ou partie, à l’égard de certains biens ou de certains héritiers seulement ».

Il ressort de ce texte que l’effet déclaratif attaché à la cession de droits indivis entre coindivisaires s’applique sans distinction, que l’acte mette fin à l’indivision en totalité ou seulement en partie, qu’il concerne certains biens spécifiques ou qu’il n’implique qu’une partie des indivisaires.

Cette généralisation de l’effet déclaratif traduit la volonté du législateur de conférer à la cession entre indivisaires une nature juridique assimilable au partage, indépendamment de l’étendue des droits cédés ou de la composition des parties concernées.

Ainsi, lorsque l’un des indivisaires cède ses droits à un ou plusieurs coindivisaires, ces derniers sont réputés avoir toujours détenu les droits cédés depuis l’origine de l’indivision.

Cette fiction juridique permet de maintenir la continuité des droits et des obligations au sein de l’indivision, évitant toute rupture dans la chaîne de transmission patrimoniale.

Elle offre également une simplification des relations juridiques entre les coindivisaires, en éliminant les complications qui pourraient résulter d’un transfert de propriété soumis aux règles du droit commun des obligations.

Par exemple, si un indivisaire cède ses droits indivis sur un bien particulier à un autre indivisaire, la cession est considérée comme un partage partiel et produit un effet déclaratif.

Le cessionnaire est alors regardé comme ayant toujours été propriétaire de la quote-part cédée depuis l’ouverture de l’indivision. Cette situation présente l’avantage de limiter les risques de contestations ultérieures quant à la provenance des droits ou à leur consistance.

ii. L’application des règles du partage

==>L’assimilation de la cession de droits indivis à une opération de partage

La cession de droits indivis à un coindivisaire, en vertu de l’effet déclaratif qui lui est attaché, s’analyse donc en une opération de partage.

Pour mémoire, le partage, tel que défini par l’article 816 du Code civil, est l’opération par laquelle les indivisaires mettent fin à l’indivision en attribuant à chacun des lots correspondant à leurs droits.

En vertu de l’article 883, le partage « n’est point regardé comme une aliénation » et a un effet déclaratif, attribuant à chaque copartageant des biens ou droits réputés lui avoir toujours appartenu depuis l’origine de l’indivision.

Dans le cadre d’une cession de droits indivis entre coindivisaires, cet effet déclaratif s’applique pleinement, assimilant la cession à un partage partiel.

Il n’est pas nécessaire que l’opération mette fin à l’indivision dans sa totalité ; elle peut concerner un bien spécifique ou n’impliquer qu’un nombre limité d’indivisaires.

Par conséquent, les règles applicables au partage trouvent à s’appliquer, même lorsque l’indivision demeure pour les biens ou les indivisaires non concernés par l’opération.

==>Les conséquences de l’assimilation de la cession de droits indivis à une opération de partage

L’assimilation de la cession à un partage entraîne l’application des règles propres à cette institution :

  • L’effet déclaratif
    • Contrairement à une opération classique de transfert de propriété, la cession de droit indivis redistribue les droits au sein de l’indivision sans en modifier la consistance juridique.
    • En vertu de ce principe, les coindivisaires acquéreurs sont réputés avoir toujours détenu les droits cédés, comme s’ils en avaient été titulaires dès l’origine de l’indivision.
  • La protection contre la lésion
    • En vertu de l’article 889 du Code civil, les règles relatives à la lésion de plus du quart s’appliquent aux cessions assimilées à un partage.
    • Cette disposition permet à un indivisaire lésé de demander un complément de part, s’il prouve que la valeur des droits qu’il a cédés est inférieure d’un quart à leur valeur réelle.
  • L’opposabilité aux tiers
    • La cession de droits indivis reste opposable aux créanciers de l’indivisaire cédant, sous réserve des règles spécifiques de l’opposition au partage.
    • En principe, les créanciers conservent leur droit de gage sur la quote-part cédée, mais l’effet déclaratif limite leur capacité à contester l’opération.
    • Pour protéger leurs intérêts, les créanciers peuvent exercer une opposition au partage, conformément à l’article 882 du Code civil.
    • Cette procédure leur permet d’intervenir dans l’opération, soit pour contester la répartition des droits, soit pour exiger des garanties supplémentaires.
    • Toutefois, ils ne peuvent empêcher la cession, mais uniquement en demander l’aménagement pour tenir compte de leurs créances.
    • En outre, l’effet déclaratif, en modifiant rétroactivement la titularité des droits transmis, peut limiter les recours des créanciers sur les biens attribués aux autres indivisaires.
    • Ces derniers ne sont pas tenus des dettes personnelles du cédant, sauf stipulations contraires ou intervention explicite des créanciers dans le partage.

b. La cession de droits indivis à un tiers

i. La cession de droits indivis dans une universalité

La cession de droits indivis dans une universalité, qu’il s’agisse de l’ensemble des droits d’un indivisaire ou d’une fraction de ceux-ci, s’analyse en une vente.

Conformément au régime de cette opération contractuelle, la cession est parfaite dès lors qu’un accord sur la chose et le prix a été trouvé. Cependant, cette opération présente des spécificités propres au cadre de l’indivision.

En matière successorale, l’article 783 du Code civil établit un lien direct entre la cession de droits indivis et l’acceptation de la succession. Ainsi, une cession, qu’elle soit effectuée à titre onéreux ou gratuit, vaut acceptation pure et simple de la succession par le cédant.

En conséquence, le cessionnaire, qui remplace le cédant dans l’indivision, acquiert non seulement les droits patrimoniaux afférents, mais également la qualité d’indivisaire, ce qui lui confère notamment le droit de prendre part au partage des biens indivis (Cass. 1ère civ., 17 mai 1977, n°75-11.673).

Cependant, cette opération implique certaines précautions. Le cédant est tenu de garantir sa qualité d’héritier, faute de quoi le cessionnaire pourrait se retrouver privé des droits qu’il a acquis.

En outre, une vérification préalable de la consistance des droits cédés est essentielle, car les actifs réels obtenus lors du partage peuvent être inférieurs aux attentes théoriques, notamment en cas de passif important ou de droits grevés d’hypothèques.

Enfin, la cession dans une universalité reste soumise au devoir de conseil du notaire, qui doit éclairer le cessionnaire sur les risques potentiels, tels que la possibilité d’un partage défavorable ou d’une opposition exercée par un créancier du cédant.

ii. La cession de droits indivis dans un bien déterminé

==>Formalités

Lorsque la cession porte sur des droits indivis relatifs à un bien déterminé, l’article 815-14 du Code civil impose une notification préalable aux autres indivisaires par voie d’acte extrajudiciaire.

Cette formalité, qui doit mentionner le prix et les conditions de la cession projetée, est cruciale pour permettre aux coindivisaires d’exercer leur droit de préemption. Ce mécanisme vise à préserver l’intégrité de l’indivision en évitant l’intrusion d’un tiers non désiré.

==>Application du droit commun de la vente

En cas de cession droits indivis portant sur un bien déterminé, l’opération est régie par le droit commun de la vente. Le cessionnaire bénéficie donc des garanties légales attachées à ce contrat, notamment celles relatives à l’éviction et aux vices cachés.

Toutefois, cette soumission aux règles de la vente ne permet pas au cessionnaire de contourner les spécificités du régime de l’indivision.

==>Des prérogatives diminuées

Contrairement à un coindivisaire, le cessionnaire n’endosse pas automatiquement la qualité d’indivisaire dans toute son étendue. Il est privé de certains droits fondamentaux qui découlent de cette qualité, ce qui limite considérablement ses prérogatives dans le cadre de l’indivision :

  • Absence de droit au partage du bien indivis
    • Le cessionnaire ne peut pas provoquer le partage du bien dans lequel il détient des droits indivis.
    • Cette restriction découle de sa position extérieure à la structure initiale de l’indivision.
    • Par exemple, dans un arrêt du 17 octobre 1973 la Cour de cassation a clairement énoncé qu’un cessionnaire de droits indivis dans un bien déterminé ne pouvait pas exiger le partage de ce bien (Cass. 1ère civ.,17 oct. 1973, n°71-14.086).
    • Ce dernier ne détient pas la qualité nécessaire pour exercer un tel droit.
  • Absence de qualité pour solliciter l’attribution préférentielle
    • Le cessionnaire ne peut prétendre à une attribution préférentielle, un mécanisme réservé exclusivement aux coindivisaires.
    • Cette absence de qualité pour solliciter l’attribution préférentielle découle du fait que la cession ne lui confère qu’un droit limité sur la quote-part cédée, sans intégration pleine et entière dans l’indivision.

==>Les conséquences à l’égard des créanciers

La cession de droits indivis dans un bien déterminé a également des répercussions sur les créanciers du cédant. En principe, les créanciers conservent leur droit de gage sur la quote-part cédée. Cependant, l’opération reste opposable aux créanciers uniquement si elle respecte les règles imposées par le régime de l’indivision.

Les créanciers peuvent, par exemple, exercer une opposition au partage en vertu de l’article 882 du Code civil. Cette procédure leur permet d’intervenir dans l’opération pour préserver leurs droits sur les actifs concernés. Toutefois, ils ne peuvent pas empêcher la cession elle-même mais seulement demander son aménagement pour garantir le règlement de leurs créances.

Les droits des indivisaires sur leur quote-part indivise: régime

La liberté dont jouit chaque indivisaire de disposer de sa quote-part indivise constitue un attribut du droit de propriété dont ils sont titulaires.

Néanmoins, cette liberté s’inscrit dans un cadre stricte destiné à préserver l’intégrité de l’indivision.

Les droits de préemption et de substitution tempèrent ainsi cette autonomie, offrant aux coïndivisaires des garanties essentielles contre l’intrusion de tiers indésirables, et assurant la stabilité nécessaire à cette communauté de droits.

I) Les opérations sur les droits indivis

La liberté de disposition attachée à la quote-part indivise permet à chaque indivisaire d’exercer pleinement ses droits sur celle-ci.

Ainsi, il lui est loisible non seulement de céder ses droits indivis, qu’il s’agisse d’une cession totale ou partielle, mais également de les affecter en garantie par la constitution de sûretés.

A) La cession de droits indivis

Chaque indivisaire, en sa qualité de propriétaire exclusif de sa quote-part indivise, dispose du droit fondamental d’en disposer librement.

Cette prérogative, ancrée dans le principe de la propriété individuelle au sein de l’indivision, ouvre la possibilité d’effectuer des cessions portant sur tout ou partie de ces droits.

Ces opérations, qu’elles interviennent à titre onéreux ou gratuit, traduisent l’exercice d’une liberté essentielle, permettant à l’indivisaire de se retirer de l’indivision ou de redistribuer ses droits.

Toutefois, si cette liberté constitue un corollaire naturel de la propriété, elle s’inscrit dans un cadre juridique particulier visant à préserver les équilibres de l’indivision et les intérêts des coïndivisaires.

La cession de droits indivis peut ainsi entraîner des modifications dans la composition de l’indivision, tout en préservant les droits des autres indivisaires, notamment grâce à des mécanismes tels que le droit de préemption.

1. Principe

a. Énoncé du principe

Il est admis de longue date que, à l’instar de n’importe quel propriétaire, les titulaires de droits indivis ont la faculté de céder librement leurs droits indivis.

Dans un arrêt du 4 octobre 2005, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « chacun d’eux peut librement disposer de sa quote-part de droits sur un bien indivis » (Cass. 1ère civ., 4 oct. 2005, n°03-12.697).

Cette liberté de disposition s’exerce de manière absolue sur la quote-part indivise, qu’elle soit cédée à titre onéreux, par le biais d’une vente ou d’un échange, ou à titre gratuit, au moyen d’une donation ou d’un legs.

Le principe de libre disposition des droits indivis rappelle que l’indivisaire appartient à la catégorie des propriétaires et qu’à ce titre, il bénéficie des prérogatives attachées au droit de propriété. Cette qualité lui confère une autonomie et une indépendance qui s’inscrivent dans le prolongement des droits exclusifs qu’il détient sur sa quote-part indivise.

Même dans le cadre d’une indivision, qui repose par nature sur une gestion collective, chaque indivisaire conserve une maîtrise pleine et entière sur sa part abstraite, lui permettant de disposer librement de celle-ci, que ce soit par une cession, une donation ou encore un legs.

Cette faculté de céder ses droits indivis offre à l’indivisaire une alternative précieuse à la demande de partage lorsqu’il souhaite se désengager de l’indivision. Plutôt que d’initier une procédure de partage, qui peut s’avérer longue et conflictuelle, la cession permet une sortie plus souple et individualisée de l’indivision.

Par ailleurs, cet acte n’est pas seulement un moyen de se libérer de l’indivision : il constitue également un outil stratégique au service d’objectifs patrimoniaux diversifiés, tels que la valorisation de ses droits indivis ou encore la réorganisation des rapports entre coindivisaires.

b. Domaine du principe

==>Principe

Le principe de libre disposition des droits indivis s’étend à l’ensemble des formes d’indivision, qu’elles soient successorales, conventionnelles ou post-communautaires.

Dans ces configurations, chaque indivisaire dispose pleinement de sa quote-part et peut en décider du sort sans avoir à solliciter l’accord des autres indivisaires.

En pratique, cette liberté jouera, par exemple, dans le cadre d’indivisions successorales, où chaque héritier peut céder ses droits successoraux, ou encore aux indivisions conventionnelles créées par un accord entre les parties pour gérer en commun un bien indivis.

==>Tempérament

La liberté de disposition des droits indivis connaît une limite pour le cas des indivisions forcées et perpétuelles, soient celles portant sur des biens affectés à un usage collectif ou indispensable à la desserte de plusieurs fonds.

Ces indivisions, en raison de leur nature, ne peuvent être cédées ou partagées que dans le respect de conditions très strictes.

En effet, les indivisions forcées, telles que les cours communes, allées ou chemins d’accès, sont généralement créées par nécessité. Plus précisément, elles sont établies aux fins d’assurer l’exploitation ou l’usage commun des fonds voisins.

Aussi, la Cour de cassation a-t-elle jugé que ces indivisions constituaient un état « normal et perpétuel » auquel il ne pouvait être mis fin sans l’accord unanime des coindivisaires (Cass. 3e civ., 12 mars 1969).

Le partage ou la cession de ces biens indivis, s’il était autorisé unilatéralement, compromettrait leur destination et leur usage collectif, entraînant des déséquilibres pour les fonds qui en dépendent.

Par conséquent, ces indivisions relèvent d’un régime dérogatoire qui exige, dans tous les cas, l’unanimité des indivisaires pour toute modification substantielle de leur statut.

2. Régime

Le régime de la cession de droits indivis diffère selon que le cessionnaire est un indivisaire ou un tiers.

En effet, lorsqu’elle est consentie à un coindivisaire, la cession présente la particularité de produire un effet déclaratif, ce qui n’est pas sans la rapprocher d’une opération de partage, notamment en ce qui concerne intéresse les rapports entre indivisaires.

En revanche, lorsqu’elle est effectuée en faveur d’un tiers, elle est soumise à des règles distinctes, notamment en raison de la reconnaissance d’un droit de préemption ou de substitution à la faveur des autres indivisaires.

a. La cession de droits indivis à un indivisaire

i. L’effet déclaratif attaché à la cession

Avant la réforme opérée par la loi du 31 décembre 1976, la cession de droits indivis à un coindivisaire était assimilée à une vente classique. Elle était alors soumise au droit commun des obligations.

Cette approche faisait toutefois fi des spécificités de l’indivision, en particulier de sa nature collective et des mécanismes propres à la redistribution des droits entre indivisaires.

La loi du 31 décembre 1976 est venue corriger cette lacune en rattachant la cession de droits indivis au profit d’un coindivisaire au régime du partage. Cette réforme a permis de conférer à la cession entre indivisaires un effet déclaratif, désormais consacré à l’article 883 du Code civil.

Dans sa rédaction actuelle, cette disposition précise qu’« il n’est pas distingué selon que l’acte fait cesser l’indivision en tout ou partie, à l’égard de certains biens ou de certains héritiers seulement ».

Il ressort de ce texte que l’effet déclaratif attaché à la cession de droits indivis entre coindivisaires s’applique sans distinction, que l’acte mette fin à l’indivision en totalité ou seulement en partie, qu’il concerne certains biens spécifiques ou qu’il n’implique qu’une partie des indivisaires.

Cette généralisation de l’effet déclaratif traduit la volonté du législateur de conférer à la cession entre indivisaires une nature juridique assimilable au partage, indépendamment de l’étendue des droits cédés ou de la composition des parties concernées.

Ainsi, lorsque l’un des indivisaires cède ses droits à un ou plusieurs coindivisaires, ces derniers sont réputés avoir toujours détenu les droits cédés depuis l’origine de l’indivision.

Cette fiction juridique permet de maintenir la continuité des droits et des obligations au sein de l’indivision, évitant toute rupture dans la chaîne de transmission patrimoniale.

Elle offre également une simplification des relations juridiques entre les coindivisaires, en éliminant les complications qui pourraient résulter d’un transfert de propriété soumis aux règles du droit commun des obligations.

Par exemple, si un indivisaire cède ses droits indivis sur un bien particulier à un autre indivisaire, la cession est considérée comme un partage partiel et produit un effet déclaratif.

Le cessionnaire est alors regardé comme ayant toujours été propriétaire de la quote-part cédée depuis l’ouverture de l’indivision. Cette situation présente l’avantage de limiter les risques de contestations ultérieures quant à la provenance des droits ou à leur consistance.

ii. L’application des règles du partage

==>L’assimilation de la cession de droits indivis à une opération de partage

La cession de droits indivis à un coindivisaire, en vertu de l’effet déclaratif qui lui est attaché, s’analyse donc en une opération de partage.

Pour mémoire, le partage, tel que défini par l’article 816 du Code civil, est l’opération par laquelle les indivisaires mettent fin à l’indivision en attribuant à chacun des lots correspondant à leurs droits.

En vertu de l’article 883, le partage « n’est point regardé comme une aliénation » et a un effet déclaratif, attribuant à chaque copartageant des biens ou droits réputés lui avoir toujours appartenu depuis l’origine de l’indivision.

Dans le cadre d’une cession de droits indivis entre coindivisaires, cet effet déclaratif s’applique pleinement, assimilant la cession à un partage partiel.

Il n’est pas nécessaire que l’opération mette fin à l’indivision dans sa totalité ; elle peut concerner un bien spécifique ou n’impliquer qu’un nombre limité d’indivisaires.

Par conséquent, les règles applicables au partage trouvent à s’appliquer, même lorsque l’indivision demeure pour les biens ou les indivisaires non concernés par l’opération.

==>Les conséquences de l’assimilation de la cession de droits indivis à une opération de partage

L’assimilation de la cession à un partage entraîne l’application des règles propres à cette institution :

  • L’effet déclaratif
    • Contrairement à une opération classique de transfert de propriété, la cession de droit indivis redistribue les droits au sein de l’indivision sans en modifier la consistance juridique.
    • En vertu de ce principe, les coindivisaires acquéreurs sont réputés avoir toujours détenu les droits cédés, comme s’ils en avaient été titulaires dès l’origine de l’indivision.
  • La protection contre la lésion
    • En vertu de l’article 889 du Code civil, les règles relatives à la lésion de plus du quart s’appliquent aux cessions assimilées à un partage.
    • Cette disposition permet à un indivisaire lésé de demander un complément de part, s’il prouve que la valeur des droits qu’il a cédés est inférieure d’un quart à leur valeur réelle.
  • L’opposabilité aux tiers
    • La cession de droits indivis reste opposable aux créanciers de l’indivisaire cédant, sous réserve des règles spécifiques de l’opposition au partage.
    • En principe, les créanciers conservent leur droit de gage sur la quote-part cédée, mais l’effet déclaratif limite leur capacité à contester l’opération.
    • Pour protéger leurs intérêts, les créanciers peuvent exercer une opposition au partage, conformément à l’article 882 du Code civil.
    • Cette procédure leur permet d’intervenir dans l’opération, soit pour contester la répartition des droits, soit pour exiger des garanties supplémentaires.
    • Toutefois, ils ne peuvent empêcher la cession, mais uniquement en demander l’aménagement pour tenir compte de leurs créances.
    • En outre, l’effet déclaratif, en modifiant rétroactivement la titularité des droits transmis, peut limiter les recours des créanciers sur les biens attribués aux autres indivisaires.
    • Ces derniers ne sont pas tenus des dettes personnelles du cédant, sauf stipulations contraires ou intervention explicite des créanciers dans le partage.

b. La cession de droits indivis à un tiers

i. La cession de droits indivis dans une universalité

La cession de droits indivis dans une universalité, qu’il s’agisse de l’ensemble des droits d’un indivisaire ou d’une fraction de ceux-ci, s’analyse en une vente.

Conformément au régime de cette opération contractuelle, la cession est parfaite dès lors qu’un accord sur la chose et le prix a été trouvé. Cependant, cette opération présente des spécificités propres au cadre de l’indivision.

En matière successorale, l’article 783 du Code civil établit un lien direct entre la cession de droits indivis et l’acceptation de la succession. Ainsi, une cession, qu’elle soit effectuée à titre onéreux ou gratuit, vaut acceptation pure et simple de la succession par le cédant.

En conséquence, le cessionnaire, qui remplace le cédant dans l’indivision, acquiert non seulement les droits patrimoniaux afférents, mais également la qualité d’indivisaire, ce qui lui confère notamment le droit de prendre part au partage des biens indivis (Cass. 1ère civ., 17 mai 1977, n°75-11.673).

Cependant, cette opération implique certaines précautions. Le cédant est tenu de garantir sa qualité d’héritier, faute de quoi le cessionnaire pourrait se retrouver privé des droits qu’il a acquis.

En outre, une vérification préalable de la consistance des droits cédés est essentielle, car les actifs réels obtenus lors du partage peuvent être inférieurs aux attentes théoriques, notamment en cas de passif important ou de droits grevés d’hypothèques.

Enfin, la cession dans une universalité reste soumise au devoir de conseil du notaire, qui doit éclairer le cessionnaire sur les risques potentiels, tels que la possibilité d’un partage défavorable ou d’une opposition exercée par un créancier du cédant.

ii. La cession de droits indivis dans un bien déterminé

==>Formalités

Lorsque la cession porte sur des droits indivis relatifs à un bien déterminé, l’article 815-14 du Code civil impose une notification préalable aux autres indivisaires par voie d’acte extrajudiciaire.

Cette formalité, qui doit mentionner le prix et les conditions de la cession projetée, est cruciale pour permettre aux coindivisaires d’exercer leur droit de préemption. Ce mécanisme vise à préserver l’intégrité de l’indivision en évitant l’intrusion d’un tiers non désiré.

==>Application du droit commun de la vente

En cas de cession droits indivis portant sur un bien déterminé, l’opération est régie par le droit commun de la vente. Le cessionnaire bénéficie donc des garanties légales attachées à ce contrat, notamment celles relatives à l’éviction et aux vices cachés.

Toutefois, cette soumission aux règles de la vente ne permet pas au cessionnaire de contourner les spécificités du régime de l’indivision.

==>Des prérogatives diminuées

Contrairement à un coindivisaire, le cessionnaire n’endosse pas automatiquement la qualité d’indivisaire dans toute son étendue. Il est privé de certains droits fondamentaux qui découlent de cette qualité, ce qui limite considérablement ses prérogatives dans le cadre de l’indivision :

  • Absence de droit au partage du bien indivis
    • Le cessionnaire ne peut pas provoquer le partage du bien dans lequel il détient des droits indivis.
    • Cette restriction découle de sa position extérieure à la structure initiale de l’indivision.
    • Par exemple, dans un arrêt du 17 octobre 1973 la Cour de cassation a clairement énoncé qu’un cessionnaire de droits indivis dans un bien déterminé ne pouvait pas exiger le partage de ce bien (Cass. 1ère civ.,17 oct. 1973, n°71-14.086).
    • Ce dernier ne détient pas la qualité nécessaire pour exercer un tel droit.
  • Absence de qualité pour solliciter l’attribution préférentielle
    • Le cessionnaire ne peut prétendre à une attribution préférentielle, un mécanisme réservé exclusivement aux coindivisaires.
    • Cette absence de qualité pour solliciter l’attribution préférentielle découle du fait que la cession ne lui confère qu’un droit limité sur la quote-part cédée, sans intégration pleine et entière dans l’indivision.

==>Les conséquences à l’égard des créanciers

La cession de droits indivis dans un bien déterminé a également des répercussions sur les créanciers du cédant. En principe, les créanciers conservent leur droit de gage sur la quote-part cédée. Cependant, l’opération reste opposable aux créanciers uniquement si elle respecte les règles imposées par le régime de l’indivision.

Les créanciers peuvent, par exemple, exercer une opposition au partage en vertu de l’article 882 du Code civil. Cette procédure leur permet d’intervenir dans l’opération pour préserver leurs droits sur les actifs concernés. Toutefois, ils ne peuvent pas empêcher la cession elle-même mais seulement demander son aménagement pour garantir le règlement de leurs créances.

B) La constitution de sûretés sur des droits indivis

1. L’inscription d’une hypothèque sur une quote-part indivise

Avant la réforme entreprise par la loi du 31 décembre 1976, la jurisprudence avait déjà admis la possibilité pour un indivisaire de constituer une hypothèque sur sa quote-part indivise lorsque les biens indivis comprenaient des immeubles (Cass. Req., 26 mars 1907).

Ce principe a été consacré par la loi du 31 décembre 1976 et trouve aujourd’hui son fondement dans l’article 2412, alinéa 2, du Code civil, dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 23 mars 2006 et recodifié par l’ordonnance n°2021-1192 du 15 septembre 2021 réformant les sûretés.

Cette disposition prévoit toutefois que l’hypothèque consentie sur une quote-part indivise demeure conditionnelle. Elle ne devient effective que si, lors du partage, le bien hypothéqué est attribué à l’indivisaire constituant.

En cas d’attribution, l’hypothèque s’étend à l’ensemble des droits obtenus dans le partage, et non seulement à la quote-part initialement visée.

Malgré cette possibilité, l’hypothèque portant sur une quote-part indivise reste peu utilisée en pratique. Son efficacité est étroitement liée au résultat du partage. Si le bien hypothéqué est attribué à un autre indivisaire, l’hypothèque devient inopérante. Cette incertitude dissuade souvent les créanciers, qui privilégient des garanties plus sécurisées.

Par ailleurs, le créancier souhaitant garantir sa créance par une hypothèque sur une quote-part indivise doit être vigilant quant à la publicité de la sûreté, tout comme il doit s’assurer qu’aucune opposition au partage n’a été formulée, ce qui pourrait entraver l’efficacité de l’hypothèque.

2. L’inscription d’un nantissement sur une quote-part indivise

Depuis la réforme des sûretés entreprise par la loi du 23 mars 2006 qui a notamment modifié la classification des sûretés réelles mobilières, il est admis que les droits indivis de nature incorporelle, tels que la quote-part indivise détenue dans une créance ou dans un droit de propriété intellectuelle, peuvent faire l’objet d’un nantissement en garantie d’une dette.

Cette faculté résulte du principe de libre disposition des droits indivis, qui permet à chaque indivisaire de constituer un nantissement sur sa part, sans nécessiter l’accord des autres indivisaires, dès lors que les formalités légales de publicité sont respectées.

Toutefois, lorsque le nantissement vise l’intégralité d’un bien incorporel indivis, l’accord unanime des indivisaires reste requis.

Cette exigence découle du principe selon lequel les actes de disposition affectant l’ensemble de l’indivision doivent être approuvés collectivement, afin de préserver l’équilibre des droits de chacun.

Ainsi, par exemple, le nantissement d’un brevet indivis ne saurait être valablement constitué sans l’aval de l’ensemble des coindivisaires.

II) Les droits de préemption ou de substitution sur les parts indivises

Dans le cadre de l’indivision, chaque indivisaire dispose d’un droit exclusif sur sa quote-part abstraite, qui lui confère la faculté d’en disposer librement, notamment par cession. Cette liberté, essentielle à la nature même du droit de propriété, n’est toutefois pas absolue.

Elle s’inscrit dans un régime spécifique destiné à préserver l’équilibre fragile de l’indivision, souvent marquée par un intuitu personae, et à prévenir l’introduction de tiers non souhaités dans la communauté indivise.

Les mécanismes du droit de préemption et du droit de substitution, institués par la réforme de 1976, traduisent cette volonté de protéger les coïndivisaires face aux risques inhérents à l’aliénation des droits indivis.

Ces dispositifs permettent aux indivisaires d’intervenir pour maintenir la cohérence de l’indivision, tout en respectant la faculté de cession attachée à chaque quote-part. Ils incarnent ainsi un subtil équilibre entre la liberté individuelle des indivisaires et les exigences collectives inhérentes à cette situation juridique particulière.

A) Le droit de préemption

Le droit de préemption constitue une prérogative essentielle pour les coïndivisaires, leur permettant de préserver l’intégrité de l’indivision en cas de cession de droits indivis par l’un d’eux.

Ce mécanisme, ancré dans l’article 815-14 du Code civil, illustre une volonté de concilier la liberté de disposer de sa quote-part avec la nécessité de prévenir l’intrusion d’un tiers non souhaité, susceptible de perturber le fonctionnement harmonieux de l’indivision.

En offrant aux indivisaires un droit prioritaire d’acquérir les droits cédés par leur coïndivisaire, cette institution garantit la continuité d’un lien souvent marqué par des considérations familiales ou personnelles.

Elle permet ainsi de maintenir l’intuitu personae propre à de nombreuses indivisions, tout en encadrant strictement les modalités de son exercice pour éviter tout abus.

1. Origines et mécanisme

Le droit de préemption, consacré par l’article 815-14 du Code civil, a pour ancêtre l’ancien dispositif du retrait successoral.

Ce dernier, régi par l’article 841 ancien du Code civil, visait à permettre à un héritier de se porter acquéreur prioritaire des parts d’un cohéritier cédant, préservant ainsi l’unité familiale au sein de l’indivision successorale.

Cependant, en dépit de sa vocation louable, le retrait successoral se heurtait à des pesanteurs procédurales et à des limites pratiques, notamment l’absence d’un dispositif d’information des coindivisaires et l’incertitude juridique pesant sur les transactions. Ces imperfections ont conduit à sa suppression par la loi du 31 décembre 1976, laquelle a permis l’émergence d’un mécanisme plus abouti : le droit de préemption.

Le droit de préemption se distingue par sa simplicité et son efficacité, apportant une solution aux insuffisances du retrait successoral. Désormais applicable à toute cession à titre onéreux de droits indivis, dès lors qu’elle implique une personne étrangère à l’indivision, ce mécanisme impose au cédant de notifier son intention aux autres indivisaires. Ces derniers se voient alors offrir la faculté de se substituer au cessionnaire envisagé, en acquérant les droits aux mêmes prix et conditions.

Ce cadre procédural, à la fois clair et protecteur, garantit aux indivisaires une protection contre l’intrusion d’un tiers étranger, susceptible de bouleverser l’harmonie de la gestion commune. Ainsi, le droit de préemption parvient-il à concilier deux impératifs essentiels : la liberté contractuelle de l’indivisaire cédant et la préservation de l’affectio communionis, cette solidarité essentielle à l’administration partagée des biens indivis.

L’abrogation du retrait successoral a marqué une étape importante dans l’évolution du droit des successions, illustrant une adaptation du législateur aux contraintes modernes. Ce mécanisme, malgré son ambition louable de préserver l’intégrité familiale, se heurtait à des lourdeurs procédurales, au premier rang desquelles figurait l’exigence d’une double mutation pour aboutir à la transmission effective des droits.

En effet, la mise en œuvre du retrait successoral impliquait, dans un premier temps, une cession initiale des droits indivis du cédant à un tiers cessionnaire, suivie d’une seconde mutation lorsque l’héritier exerçait son droit de retrait pour récupérer ces mêmes droits. Ce processus, outre sa complexité, engendrait des coûts, des délais, et une insécurité juridique pesant sur les transactions.

Le droit de préemption, en remédiant à ces carences, instaure une procédure plus fluide et sécurisante, permettant aux indivisaires d’exercer leur droit directement, sans étape intermédiaire, et d’acquérir les droits cédés aux mêmes prix et conditions que le cessionnaire pressenti. Cette simplification bénéficie tant aux indivisaires qu’aux tiers, en garantissant une meilleure prévisibilité des opérations.

Ainsi, le droit de préemption, véritable héritier rationnalisé de l’ancien droit de retrait, poursuit l’objectif essentiel de stabilité des indivisions tout en favorisant la fluidité des transactions. Il s’impose comme un outil équilibré et moderne, conciliant les impératifs de continuité familiale et de pragmatisme économique.

2. Le domaine du droit de préemption

a. Les indivisions concernées

==>Principe

Contrairement à l’ancien retrait successoral, qui se limitait strictement aux indivisions successorales (ancien article 841 du Code civil), le droit de préemption s’étend désormais à toutes les indivisions relevant du régime général.

Cette extension a été confirmée par la jurisprudence, notamment dans un arrêt de la Cour de cassation du 23 avril 1985 aux termes duquel elle a jugé que « les dispositions de l’article 815-14 […] sont applicables à toutes les indivisions qu’elles soient ou non d’origine successorale » (Cass. 1re civ., 23 avr. 1985, n° 83-16.703).

Dans cette affaire, il s’agissait d’un fonds de commerce exploité en indivision à la suite de successions familiales. Une première cession des droits indivis avait été réalisée en faveur d’un tiers, sans que les coindivisaires aient été consultés. Par la suite, ces droits indivis furent cédés à d’autres acquéreurs sans notification préalable aux indivisaires. Ces derniers, invoquant une violation de leur droit de préemption, saisirent les juridictions compétentes pour obtenir l’annulation de la vente.

La Cour de cassation rejeta le pourvoi du cessionnaire en affirmant avec clarté que les dispositions de l’article 815-14 du Code civil « sont applicables à toutes les indivisions qu’elles soient ou non d’origine successorale ».

Il s’en déduit que le droit de préemption s’applique à toutes les indivisions ordinaires relevant du régime des articles 815 et suivants du Code civil.

Par son universalité, il renforce la cohésion de l’indivision en permettant aux indivisaires de préserver leur affectio communionis face à l’introduction de tiers étrangers. Cela concerne les indivisions successorales, post-communautaires ou conventionnelles, pour toute cession réalisée à titre onéreux.

==>Exclusions

Le domaine du droit de préemption n’est pas sans limites. En effet, bien que le droit de préemption des indivisaires, institué à l’article 815-14 du Code civil, s’applique de manière générale à toutes les indivisions ordinaires, son champ d’application connaît des exclusions.

Ces exclusions, dictées par des considérations juridiques et pratiques, concernent principalement les indivisions qualifiées de forcées et perpétuelles.

Pour mémoire, une indivision est dite forcée et perpétuelle lorsque les biens indivis, par leur nature même, remplissent une fonction indispensable pour d’autres propriétés et ne peuvent, en conséquence, faire l’objet ni d’un partage ni d’une cession ordinaire.

Ces indivisions se rencontrent dans des cas spécifiques où la conservation collective du bien est essentielle à son usage.

Les exemples les plus représentatifs sont :

  • Les servitudes de passage : un chemin d’accès servant plusieurs propriétés indivises, par exemple, constitue souvent une indivision forcée, car son partage ou sa cession porterait atteinte à l’usage des fonds qu’il dessert.
  • Les parties communes nécessaires : il peut s’agir d’une cour commune ou d’un mur mitoyen indispensables à plusieurs parcelles ou bâtiments.
  • Les biens affectés à un service collectif : par exemple, une piscine ou un jardin commun dans le cadre d’un immeuble en copropriété.

Dans ces cas, l’objectif de préserver la fonctionnalité collective et l’intérêt général des propriétaires prime sur le droit individuel à préempter.

A plusieurs reprises, la Cour de cassation a exclu l’application du droit de préemption en présence d’indivisions perpétuelles ou forcées.

Dans un arrêt du 12 février 1985, elle a, par exemple, jugé que le droit de préemption ne pouvait s’appliquer à une parcelle indivise servant de chemin d’accès à plusieurs propriétés, dès lors que cette parcelle constituait un accessoire indispensable à l’usage des fonds qu’elle desservait (Cass. 1re civ., 12 févr. 1985, n°84-10.301). La Première chambre civile reprochait à la juridiction du fond de ne pas avoir recherché si cette parcelle, en sa qualité de desserte essentielle, relevait d’une indivision forcée et perpétuelle, laquelle échappe aux dispositions des articles 815-14 et 815-16 du Code civil.

Dans une logique similaire, la Cour de cassation, dans un arrêt du 8 juin 1999, a rappelé que le caractère forcé et perpétuel d’une indivision devait être apprécié de manière objective et ne pouvait dépendre de la volonté subjective des parties. Elle a ainsi censuré une décision qui, pour retenir l’existence d’une indivision perpétuelle, s’était fondée uniquement sur l’intention des parties sans vérifier si l’usage des parcelles concernées était matériellement impossible sans recourir au bien litigieux (Cass. 1re civ., 8 juin 1999, n°97-13.987).

L’exclusion des indivisions forcées et perpétuelles du champ d’application de l’article 815-14 du Code civil repose sur une logique de préservation de l’équilibre collectif.

Dans ces situations, permettre à un indivisaire d’exercer son droit de préemption contreviendrait à l’affectation essentielle du bien, au détriment des autres propriétaires ou utilisateurs.

Par conséquent, le domaine du droit de préemption, bien qu’étendu, est circonscrit par la nécessité de garantir la continuité et la fonctionnalité des biens indivis indispensables. Ces limites, loin de constituer une entrave, traduisent un équilibre entre les droits des indivisaires et les impératifs collectifs attachés à certains biens.

b. Les cessions concernées

b.1. Une cession portant sur des droits indivis

L’article 815-14 du Code civil prévoit que le droit de préemption s’exerce sur la cession « de tout ou partie des droits dans les biens indivis ou dans un ou plusieurs de ces biens ».

Cette rédaction marque une extension du domaine du droit de préemption rapport à l’ancien retrait successoral, limité aux aliénations portant sur la quote-part globale d’un héritier dans une succession.

Désormais, toute cession à titre onéreux de droits indivis à une personne étrangère à l’indivision est susceptible d’ouvrir ce droit.

Ainsi, il importe peu que la cession porte sur la totalité des droits indivis de l’indivisaire cédant, sur une partie seulement de ces droits, ou sur les droits indivis attachés à un bien déterminé.

Par exemple, un indivisaire peut céder tout ou partie de ses droits indivis dans un immeuble sans que l’étendue de la cession empêche l’exercice du droit de préemption par les coïndivisaires. Cette latitude vise à prévenir toute intrusion d’un tiers dans l’indivision, laquelle pourrait compromettre l’affectio communionis nécessaire à la bonne gestion des biens indivis.

En revanche, dans un arrêt du 30 juin 1992, la Cour de cassation a jugé que le droit de préemption prévu par l’article 815-14 du Code civil ne s’applique que lorsque la cession porte sur des droits indivis et non sur les biens indivis eux-mêmes (Cass. 1re civ., 30 juin 1992, n° 90-19.052).

En l’espèce, à la suite du décès d’un indivisaire, son conjoint survivant et une autre coïndivisaire se trouvaient en indivision sur l’intégralité des parts d’une société à responsabilité limitée ayant pour objet une activité économique spécifique.

Face à l’impossibilité pour l’entreprise de financer les mises aux normes réglementaires exigées par l’administration sous peine de fermeture, le conjoint survivant, gérant de la société, avait obtenu l’autorisation judiciaire de céder l’intégralité des parts sociales de la société en application de l’article 815-5 du Code civil, malgré l’opposition de l’autre coïndivisaire.

Cette dernière a tenté d’exercer un droit de préemption sur les parts sociales ainsi cédées, en invoquant les dispositions de l’article 815-14 du Code civil.

Cependant, la Haute juridiction a confirmé que le mécanisme préemptif est inopérant lorsque la cession porte sur la totalité d’un bien indivis et non sur les droits indivis de l’un des indivisaires.

Elle a estimé que, dans ce cas, la cession, autorisée par le juge, visait à retirer le bien de l’indivision, et non à introduire un tiers dans celle-ci. La substitution du prix de vente au bien dans l’indivision ne justifiait donc pas l’application du droit de préemption, dont la finalité est de protéger l’intégrité de l’indivision face à l’arrivée d’un étranger.

b.2. Une cession conclue à titre onéreux

i. Application aux cessions à titre onéreux

==>Principe

Le droit de préemption s’exerce exclusivement lorsqu’un indivisaire souhaite céder tout ou partie de ses droits indivis à un tiers en contrepartie d’un prix.

L’article 815-14, alinéa 1er, du Code civil pose ainsi comme condition sine qua non la stipulation d’un prix dans la transaction. Cette exigence découle de la finalité même du droit de préemption : permettre aux autres indivisaires de se substituer au cessionnaire en acquérant les droits aux mêmes conditions.

Dès lors, toutes les cessions à titre onéreux, qu’elles portent sur une quote-part de l’ensemble indivis ou sur des droits indivis d’un bien déterminé, sont soumises à ce mécanisme.

Peu importent les modalités de paiement du prix, que ce soit en argent, en rente viagère ou sous une autre forme monétaire, tant que la prestation est quantifiable et fongible, les indivisaires peuvent intervenir pour préserver l’unité de l’indivision.

==>Exceptions

S’il est de principe que le droit de préemption des indivisaires puisse jouer dans le cadre des cessions à titre onéreux, il connaît néanmoins des limites. Certaines opérations, en raison de leur nature ou des caractéristiques spécifiques des prestations convenues, échappent au mécanisme préemptif prévu par l’article 815-14 du Code civil. Ces exclusions sont fondées sur l’impossibilité technique ou juridique pour les coïndivisaires de reproduire la contrepartie stipulée dans le contrat.

  • L’échange
    • Bien que l’échange soit régi par les règles de la vente (article 1707 du Code civil), il est exclu du champ d’application du droit de préemption.
    • En effet, l’échange implique une contrepartie non monétaire, souvent constituée d’un bien précis, non fongible, que les coïndivisaires ne peuvent pas nécessairement fournir.
    • La Cour de cassation a confirmé cette exclusion dans un arrêt du 21 mai 1997 (Cass. 1re civ., 21 mai 1997, n° 95-12.460), soulignant que le mécanisme préemptif repose sur une stricte substitution.
    • Dans cette affaire, des droits mobiliers et immobiliers détenus par deux mineures dans une indivision successorale avaient été cédés à une société.
    • Bien que cette opération ait initialement été qualifiée de vente, elle avait ultérieurement été requalifiée en contrat d’échange.
    • La contrepartie de cet échange consistait en des appartements appartenant à un tiers, promis en échange des droits indivis.
    • Un coïndivisaire avait exprimé son intention d’exercer son droit de préemption afin de se substituer à la société et de préserver l’unité de l’indivision.
    • Cependant, il n’était pas propriétaire des appartements promis en contrepartie, soulevant ainsi la question de l’applicabilité du droit de préemption dans ce contexte.
    • La Cour de cassation a censuré la décision de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, qui avait admis l’exercice du droit de préemption au motif que le coïndivisaire aurait pu se procurer les appartements auprès du coéchangiste pour satisfaire aux termes de l’échange.
    • La Haute juridiction a estimé que cette analyse méconnaissait les exigences de l’article 815-14 du Code civil.
    • Elle a jugé que le droit de préemption exige une stricte identité entre la prestation que le coïndivisaire préempteur doit fournir et celle stipulée dans le contrat initial.
    • En l’espèce, le coïndivisaire était dans l’impossibilité absolue de fournir aux cédants les appartements convenus comme contrepartie, faute d’en être propriétaire.
    • Cette impossibilité matérielle et juridique rendait inapplicable le droit de préemption dans ces circonstances.
  • L’apport en société
    • Lorsque des droits indivis sont apportés à une société, le cédant reçoit en contrepartie des parts sociales, lesquelles s’inscrivent dans une relation d’affectio societatis, fondée sur la confiance et la collaboration entre les associés.
    • Cette prestation, qui n’est pas strictement monétaire, rend le droit de préemption inapplicable, car les coïndivisaires ne peuvent fournir une contrepartie équivalente à celle convenue avec la société.
    • Le mécanisme préemptif repose, en effet, sur la possibilité pour les coïndivisaires de se substituer au cessionnaire en acquérant les mêmes droits et obligations attachées à l’opération.
    • Or, dans le cas d’un apport en société, l’avantage obtenu par le cédant, à savoir des parts sociales, est indissociable de l’intuitus personae propre à l’affectio societatis.
    • Cette spécificité exclut toute possibilité de substitution par les coïndivisaires.
    • La jurisprudence a clairement consacré cette exclusion. Si elle a d’abord été reconnue dans le cadre du droit de préemption des preneurs ruraux (Cass. 3e civ. 4 mars 1971, n°69-10.540), elle a été étendue explicitement au droit de préemption des coïndivisaires régi par l’article 815-14 du Code civil.
    • Ainsi, bien que le droit de préemption s’applique généralement aux cessions à titre onéreux, les apports en société, par leur nature intrinsèque, échappent à ce mécanisme, illustrant une des limites importantes du champ d’application de l’article 815-14 du Code civil (V. en ce sens CA Paris, 11 sept. 1997).
  • La dation en paiement
    • Dans le cadre d’une dation en paiement, la contrepartie attendue par le cédant est l’extinction d’une dette, et non la réception d’un prix monétaire ou d’une prestation fongible.
    • Les coïndivisaires, n’étant pas les créanciers de cette dette, ne peuvent matériellement ni juridiquement se substituer au bénéficiaire pour éteindre l’obligation.
    • Cette impossibilité de fournir une prestation équivalente justifie en principe l’exclusion de la dation en paiement du champ d’application du droit de préemption.
    • À ce jour, il n’a jamais été statué en jurisprudence sur l’applicabilité du droit de préemption dans le cas spécifique de la dation en paiement.
    • Cependant, les principes dégagés dans des situations analogues, notamment concernant des prestations intuitu personae ou des contreparties non monétaires, tendent à exclure cette hypothèse.
    • Certains auteurs ont néanmoins envisagé une solution théorique où les coïndivisaires pourraient exercer leur droit de préemption en payant la dette du cédant au moyen d’une somme d’argent.
    • Cela permettrait d’assurer l’extinction de l’obligation tout en respectant l’exigence de substitution.
    • Toutefois, une telle démarche, bien qu’imaginable, ne correspond pas à l’objet même de la dation en paiement et semble difficilement conciliable avec les attentes légitimes des parties initialement impliquées dans l’opération.
    • En définitive, bien que la dation en paiement ne puisse être considérée comme un obstacle insurmontable à l’exercice du droit de préemption, les caractéristiques intrinsèques de ce mécanisme, qui reposent sur une logique non monétaire, rendent son inclusion hautement improbable dans le périmètre de l’article 815-14 du Code civil.
  • Les ventes intuitu personae
    • Il est admis de longue date que les opérations conclues en considération de la personne du cessionnaire échappent également au droit de préemption.
    • Cette exclusion repose sur le caractère intuitus personae de ces opérations, où la personne de l’acquéreur constitue un élément déterminant du consentement du cédant.
    • Dans de telles situations, il est impossible pour les coïndivisaires de se substituer à l’acquéreur sans altérer la nature même de l’accord initial.
    • Un exemple typique de cette exclusion réside dans le bail à nourriture.
    • Ce type de contrat prévoit que le cédant transfère ses droits indivis en échange d’une obligation de soins ou d’assistance personnelle.
    • La prestation convenue dépasse alors la simple contrepartie monétaire et repose sur des engagements spécifiques directement liés à la personnalité du cessionnaire.
    • Dans un arrêt du 3 octobre 1985, la Cour de cassation a jugé que l’intuitus personae inhérent à ce type d’accord rendait le droit de préemption inapplicable (Cass. 3e civ., 3 oct. 1985).
    • En effet, un coïndivisaire ne saurait fournir une prestation équivalente à celle attendue par le cédant, laquelle est indissociablement liée à la personne choisie.
    • La jurisprudence a, par suite, étendu cette exclusion à d’autres cas toujours en se fondant sur l’existence d’un intuitus personae.
    • Ainsi, elle a admis que le droit de préemption ne pouvait être exercé lorsqu’une cession de droits indivis était consentie à une usufruitière afin de lui permettre de demander l’attribution préférentielle des terres ayant appartenu à son époux.
    • Ici encore, les qualités personnelles du cessionnaire, en tant qu’usufruitière et ayant droit, constituaient le fondement du consentement du cédant, excluant toute possibilité de substitution par les coïndivisaires.

ii. Exclusion des cessions à titre gratuit

Le droit de préemption, prévu par l’article 815-14 du Code civil, est strictement limité aux cessions à titre onéreux, excluant ainsi les transmissions de droits indivis réalisées à titre gratuit.

Cette exclusion trouve son fondement dans l’absence de contrepartie économique, rendant impossible la substitution des coïndivisaires au bénéficiaire désigné par le cédant.

==>Libéralités : donations et legs

Les donations entre vifs et les legs échappent au droit de préemption, comme l’a clairement établi la jurisprudence.

Dans un arrêt de principe rendu le 11 décembre 1984, la Cour de cassation a jugé que, faute de prix stipulé, le mécanisme préemptif devient inopérant (Cass. 1re civ., 11 déc. 1984, n°83-13.874).

En effet, l’absence de contrepartie monétaire rend impossible pour les indivisaires de se substituer au bénéficiaire en acquérant les droits dans les mêmes conditions.

Peu importe que la libéralité soit assortie de charges ou non : la gratuité de l’acte prive le droit de préemption de sa fonction essentielle, à savoir préserver l’unité de l’indivision en empêchant l’entrée d’un tiers moyennant une compensation économique.

Cependant, une autre question complexe se pose concernant les donations assorties de charges. Si ces charges revêtent une importance telle qu’elles confèrent à l’acte un caractère onéreux, certains auteurs suggèrent que le droit de préemption pourrait théoriquement trouver à s’appliquer. Néanmoins, pour que cette hypothèse se concrétise, il serait nécessaire que le caractère onéreux de la donation apparaisse explicitement dès la rédaction de l’acte, ce qui reste une situation rare en pratique.

==>Cas particuliers : donations déguisées

La question des donations déguisées, revêtant les apparences d’une cession à titre onéreux, a suscité des débats.

Dans ces situations, les coïndivisaires peuvent initialement exercer leur droit de préemption sur la base de l’apparente vente.

Toutefois, si la véritable nature de l’acte est ultérieurement qualifiée de donation, la préemption est écartée.

Cette requalification ne saurait cependant être utilisée de manière frauduleuse pour contourner les droits des indivisaires.

En vertu du principe selon lequel « la fraude corrompt tout », une donation dissimulée derrière une prétendue vente, destinée à éluder le droit de préemption des coïndivisaires, peut conduire à l’annulation de l’opération. La Cour de cassation a statué en ce sens dans un arrêt rendu le 11 mars 1997 (Cass. 1ère civ., 11 mars 1997, n°95-15.480).

Dans cette affaire, une indivisaire avait successivement consenti deux actes portant sur ses droits indivis détenus dans un domaine agricole.

Par un premier acte, elle avait octroyé à un bénéficiaire. une donation symbolique représentant 6 centièmes de sa part dans l’indivision. Quelques mois plus tard, par un second acte, elle avait vendu à ce même bénéficiaire une part beaucoup plus significative, correspondant à 90 centièmes de ses droits indivis.

La cour d’appel a constaté que ces deux actes, bien que distincts en apparence, révélaient une intention frauduleuse. En rapprochant le caractère symbolique de la donation et l’importance de la part cédée ultérieurement à titre onéreux, les juges ont déduit que l’objectif poursuivi par la donatrice était d’éluder le droit de préemption de son coïndivisaire. Ce dernier aurait pu, en l’absence de fraude, exercer son droit sur l’ensemble des droits indivis cédés.

La Cour de cassation a approuvé cette analyse, estimant que la donation, bien que licite en apparence, avait été instrumentalisée pour contourner les droits des coïndivisaires. En conséquence, elle a validé l’annulation de l’opération, renforçant ainsi le principe selon lequel le droit de préemption redevient applicable en présence d’une fraude.

b.3. Une cession consentie à une personne étrangère à l’indivision

Pour que le droit de préemption s’applique, il est indispensable que la cession envisagée soit consentie à une personne étrangère à l’indivision.

Cette condition, posée à l’article 815-14, alinéa 1er, du Code civil, reflète la finalité même du mécanisme : éviter l’introduction d’un tiers dans l’indivision afin de préserver son équilibre et sa pérennité. Une telle présence extérieure pourrait en effet perturber la gestion commune des biens indivis, notamment en cas d’intérêts divergents.

==>Principe

L’exigence selon laquelle la cession doit être réalisée au profit d’une personne étrangère à l’indivision s’inscrit dans la logique protectrice du droit de préemption. Ce mécanisme vise à empêcher l’introduction d’un tiers dans l’indivision, une situation qui pourrait perturber la gestion commune des biens indivis et compromettre l’entente nécessaire entre indivisaires.

À l’inverse, lorsque la cession intervient entre coïndivisaires, cette justification disparaît, car aucun élément extérieur ne vient troubler l’équilibre de l’indivision. En vertu de ce principe, un indivisaire est parfaitement libre de céder tout ou partie de ses droits indivis à un autre coïndivisaire sans que les autres puissent s’opposer à cette transaction en invoquant un droit de préemption.

A cet égard, dans un arrêt rendu le 16 avril 1991, la Cour de cassation a rappelé avec force que « tout indivisaire peut librement disposer, au profit d’un cohéritier, de sa quote-part sur un ou plusieurs biens indivis » (Cass. 1re civ., 16 avr. 1991, n°89-17.930).

En l’espèce, des héritiers avaient cédé leurs droits indivis à d’autres membres de l’indivision avant le partage des biens concernés. L’un des indivisaires contestait cette cession, arguant qu’elle portait atteinte à l’équilibre de l’indivision et soulevait des questions quant à la licitation des biens indivis.

La Première chambre civile a rejeté cet argument, affirmant que la liberté de disposer entre coïndivisaires n’est pas limitée par le droit de préemption prévu à l’article 815-14 du Code civil. Ce dernier a pour finalité d’empêcher l’intrusion de tiers étrangers, mais ne s’applique pas aux cessions intervenant entre membres de l’indivision.

De plus, la Haute juridiction a précisé que cette liberté s’étend même aux situations où la cession modifie substantiellement la répartition des droits au sein de l’indivision.

Ainsi, est-il admis qu’un indivisaire puisse acquérir successivement les droits des autres coïndivisaires, jusqu’à détenir une majorité, voire la totalité des parts, sans que les autres indivisaires puissent s’y opposer par le biais du droit de préemption.

==>Cas particulier des relations entre usufruitiers et nus-propriétaires

La cession de droits indivis entre usufruitiers et nus-propriétaires soulève des questions complexes, en raison de la nature distincte des droits en présence.

Bien que les usufruitiers et les nus-propriétaires partagent un intérêt commun sur le bien indivis, ils n’appartiennent pas à la même indivision.

Dans un arrêt du 17 mai 1983, la Cour de cassation a, en effet, jugé que l’usufruitier devait être regardé comme un étranger à l’indivision en nue-propriété (Cass. 1re civ., 17 mai 1983, n°82-11.931).

Dans cette affaire, un indivisaire en nue-propriété avait cédé ses droits indivis à l’usufruitier. Les autres nus-propriétaires ont contesté cette cession, arguant qu’elle aurait dû leur être notifiée afin qu’ils puissent exercer leur droit de préemption.

La Cour de cassation a confirmé cette position, estimant que l’usufruitier, n’étant pas titulaire de droits en nue-propriété, devait être considéré comme une personne étrangère à l’indivision en nue-propriété.

Par conséquent, la cession des droits indivis en nue-propriété à l’usufruitier aurait dû être notifiée aux autres nus-propriétaires, afin de leur permettre d’exercer leur droit de préemption.

Ainsi, lorsqu’un nu-propriétaire décide de céder ses droits indivis à un usufruitier, les autres nus-propriétaires conservent leur droit de préemption.

Cette règle vise à éviter que l’usufruitier n’acquière une position dominante dans l’indivision en nue-propriété, ce qui pourrait déséquilibrer les relations entre les indivisaires.

La même logique s’applique dans le cas inverse : si un usufruitier cède ses droits indivis à un nu-propriétaire, les autres usufruitiers conservent leur droit de préemption.

Cette situation se fonde sur le principe selon lequel chaque catégorie de droits (usufruit et nue-propriété) constitue une indivision distincte. Par conséquent, un nu-propriétaire acquérant des droits en usufruit serait considéré comme un tiers à l’indivision des usufruitiers, ce qui justifie l’ouverture du droit de préemption au profit de ces derniers.

3. L’exercice du droit de préemption

a. Les titulaires du droit de préemption

i. Détermination des titulaires du droit de préemption

==>Les bénéficiaires principaux

L’article 815-14, alinéa 2, du Code civil confère un droit de préemption prioritaire à tout indivisaire en cas de cession de droits indivis à une personne étrangère à l’indivision.

Cette prérogative s’étend à tous les indivisaires, quelle que soit la nature de leurs droits : pleine propriété, nue-propriété ou usufruit.

Par exemple, si un nu-propriétaire indivis décide de céder ses droits à un tiers, ses coïndivisaires en nue-propriété peuvent exercer leur droit de préemption pour préserver l’intégrité de l’indivision.

Ce droit est d’ordre personnel, ce qui signifie que son exercice repose sur la seule appréciation de l’indivisaire concerné, en fonction de son intérêt à éviter l’entrée d’un tiers dans l’indivision.

Ce caractère personnel exclut toute action oblique par les créanciers du titulaire du droit de préemption, mais permet la transmission de ce droit aux héritiers du coïndivisaire.

La jurisprudence a également précisé que ce droit peut être exercé conjointement par plusieurs indivisaires : dans ce cas, ils sont réputés acquérir ensemble les droits cédés, à proportion de leur part respective dans l’indivision (C. civ., art. 815-14, al. 4).

==>Les bénéficiaires subsidiaires

L’article 815-18, alinéa 2, du Code civil introduit un droit de préemption subsidiaire dans les cas où la cession porte sur des droits indivis de nature différente, comme l’usufruit ou la nue-propriété.

Ainsi, en cas de cession de droits indivis en nue-propriété à un tiers, les usufruitiers peuvent exercer un droit de préemption, mais uniquement si aucun autre nu-propriétaire ne s’en porte acquéreur.

De manière symétrique, en cas de cession de droits indivis en usufruit, les nus-propriétaires bénéficient d’un droit de préemption, mais seulement en l’absence d’intérêt manifesté par un autre usufruitier.

Ces droits de préemption subsidiaires, bien que distincts de ceux des coïndivisaires au sens strict de l’article 815-14, visent à protéger les intérêts des titulaires de droits portant sur le même bien, en limitant les risques d’immixtion d’un tiers dans l’équilibre de l’indivision.

La jurisprudence considère en effet que, bien que de nature différente, ces droits confèrent aux usufruitiers et aux nus-propriétaires une proximité suffisante avec l’indivision pour justifier l’existence de ces mécanismes de préemption subsidiaire.

ii. Renonciation au droit de préemption

==>Principe de la renonciation

Bien que le droit de préemption prévu aux articles 815-14 et 815-18 du Code civil vise à protéger les indivisaires contre l’intrusion d’un tiers dans l’indivision, il n’est pas d’ordre public.

Cette caractéristique permet à ses titulaires d’y renoncer librement, dans le respect des conditions de validité requises. La renonciation peut être expresse ou tacite, mais dans tous les cas, elle suppose une volonté non équivoque de ne pas exercer cette prérogative.

==>Renonciation tacite

Une renonciation tacite intervient lorsque l’indivisaire, malgré la notification du projet de cession, laisse s’écouler le délai imparti pour exercer son droit de préemption sans manifester son intention de l’exercer.

Cette absence de réaction est interprétée comme une renonciation implicite, traduisant un désintérêt pour l’acquisition des droits cédés.

Toutefois, chaque nouvelle cession de droits indivis rouvre le droit de préemption et nécessite une nouvelle notification, même si l’indivisaire n’a pas exercé ce droit lors d’une cession antérieure.

==>Renonciation expresse

La renonciation expresse, quant à elle, peut intervenir à différents moments :

  • Avant la notification du projet de cession
    • Un indivisaire peut, dans une convention ou un arrangement préalable, renoncer à exercer son droit de préemption pour toutes les cessions à venir.
    • Cette renonciation, bien que licite, doit être formulée avec précaution et refléter une intention claire et éclairée.
  • Après la notification du projet de cession
    • Une renonciation postérieure à la notification des conditions de la cession projetée est la situation la plus fréquente.
    • Elle exige que l’indivisaire ait connaissance précise des modalités de la cession, notamment le prix, pour que son consentement soit valide.

==>Conditions de validité de la renonciation

La validité d’une renonciation, qu’elle soit tacite ou expresse, repose sur plusieurs critères :

  • D’une part, la volonté de renoncer doit être manifeste et exempte de toute ambiguïté.
  • D’autre part, le renonçant doit avoir une connaissance précise des modalités de la cession pour pouvoir y renoncer en toute conscience.
  • Enfin, si la renonciation est expresse, elle doit être formalisée dans un écrit signé par l’indivisaire ou par acte authentique. Certains auteurs préconisent l’intervention d’un acte authentique, bien que cette formalité ne soit pas obligatoire.

Dans la pratique, il est recommandé que la renonciation expresse fasse l’objet d’un écrit détaillé ou soit intégrée dans l’acte notifiant la cession.

Cela garantit une sécurité juridique optimale pour toutes les parties concernées. En cas de renonciation tacite, le notaire ou le rédacteur de l’acte doit veiller à ce que le délai de préemption ait expiré avant de procéder à la cession.

Enfin, il peut être observé que, compte tenu de ce qu’elle constitue un acte unilatéral une fois la renonciation consommée, qu’elle soit tacite ou expresse, l’indivisaire ne peut plus revenir sur sa décision. La cession des droits indivis peut alors se poursuivre librement, sans que le droit de préemption puisse être opposé ultérieurement.

iii. Exercice simultané par plusieurs indivisaires

L’exercice simultané du droit de préemption par plusieurs coïndivisaires est une hypothèse explicitement prévue par l’article 815-14, alinéa 4, du Code civil.

Aussi, lorsque plusieurs indivisaires notifient leur intention d’exercer leur droit de préemption sur les droits cédés, la loi instaure une règle claire : ces indivisaires sont réputés acquérir ensemble la part mise en vente, à proportion de leurs parts respectives dans l’indivision, sauf convention contraire.

Cette répartition équitable des droits acquis reflète le poids relatif de chaque indivisaire dans l’indivision, évitant ainsi que l’un d’eux prenne un avantage excessif au détriment des autres.

L’objectif est également de maintenir l’unité et la solidarité entre les indivisaires, tout en minimisant les tensions susceptibles de découler d’un déséquilibre dans les acquisitions.

Aussi, l’exercice du droit de préemption des indivisaires ne répond pas à la règle du premier arrivé, premier servi. Tous les coïndivisaires qui exercent leur droit dans les délais impartis sont placés sur un pied d’égalité.

Cette égalité de traitement découle du fait que la notification du projet de cession ne constitue pas une offre de vente qui pourrait être acceptée unilatéralement par un indivisaire. La vente ne devient parfaite qu’une fois que l’ensemble des indivisaires ayant manifesté leur volonté de préempter sont reconnus comme acquéreurs selon les règles prévues par la loi.

La règle de l’acquisition proportionnelle n’est toutefois pas impérative. Les indivisaires peuvent convenir entre eux d’un autre mode de répartition des droits acquis, à condition que cette convention respecte les formes légales et soit acceptée par l’ensemble des parties concernées.

Par exemple l’un des indivisaires pourrait acquérir l’intégralité des droits cédés avec l’accord des autres. On peut également imaginer, une répartition différente soit établie en fonction d’accords antérieurs ou d’autres critères objectifs.

En tout état de cause, lorsque plusieurs indivisaires exercent leur droit simultanément, la répartition proportionnelle suppose une coordination dans le paiement du prix d’acquisition. Chaque indivisaire participant à l’opération doit verser sa quote-part, calculée en fonction de ses droits dans l’indivision.

Le notaire ou l’intermédiaire chargé de la transaction doit veiller à ce que les modalités financières soient clairement définies et exécutées, afin d’éviter tout litige ultérieur.

En présence de droits de nature différente (usufruit et nue-propriété), l’exercice simultané du droit de préemption par plusieurs indivisaires peut nécessiter une ventilation spécifique des droits acquis entre usufruitiers et nus-propriétaires.

Cette ventilation doit respecter les règles posées par l’article 815-18, alinéa 2, du Code civil.

Dans certains cas, le curateur d’une succession vacante pourrait également intervenir pour exercer le droit de préemption au nom de la succession, en application des règles spécifiques de gestion.

b. Les modalités d’exercice du droit de préemption

i. Notification de la cession envisagée

==>Principe de la notification

L’article 815-14, alinéa 1er, du Code civil impose à l’indivisaire souhaitant céder ses droits indivis de notifier son projet aux autres coïndivisaires.

Cette formalité vise à informer les coïndivisaires des conditions de la cession projetée et à leur permettre, le cas échéant, d’exercer leur droit de préemption.

Ce principe s’étend également, en vertu de l’article 815-18, alinéa 2, aux cessions portant sur des droits en usufruit ou en nue-propriété, avec une obligation de notification envers tous les usufruitiers et nus-propriétaires concernés.

==>Auteur de la notification

Le Code civil prévoit, à l’article 815-14, que l’obligation de notifier aux coïndivisaires le projet de cession incombe à l’indivisaire cédant.

Ce dernier, initiateur de la cession, est, en effet, le mieux placé pour fournir les informations sur les conditions de la transaction et l’identité du cessionnaire pressenti. C’est la raison pour laquelle c’est sur lui que pèse l’obligation de notifier la cession aux coindivisaires dans les formes prescrites par la loi.

Cependant, il peut arriver que le cédant néglige ou refuse de notifier le projet de cession, compromettant ainsi la validité de l’opération.

Dans une telle hypothèse, la jurisprudence admet que le bénéficiaire d’une promesse de cession puisse, par voie oblique, procéder lui-même à la notification aux coïndivisaires (V. en ce sens CA Bordeaux, 29 janv. 1996).

La reconnaissance de cette faculté au bénéficiaire de l’opération repose sur des considérations pratiques et juridiques.

L’absence de notification par le cédant pourrait entraîner l’annulation de la cession pour violation des droits des coïndivisaires. En permettant au bénéficiaire d’une promesse de cession de procéder lui-même à la notification, cela permet de préserver les intérêts des parties à l’opération tout en respectant les droits des coïndivisaires.

Toutefois, cette intervention à titre subsidiaire est encadrée : le bénéficiaire ne peut agir qu’en cas de défaillance du cédant et doit se conformer aux prescriptions légales, tant s’agissant du contenu que de la forme de la notification.

==>Forme de la notification

La notification des conditions de la cession projetée doit être réalisée par acte extrajudiciaire, conformément aux prescriptions de l’article 815-14, alinéa 1er, du Code civil.

Ce formalisme a pour objectif principal de garantir la sécurité juridique en assurant une preuve incontestable de l’information transmise aux coïndivisaires. L’utilisation de cette forme de notification permet également de prévenir les contestations ultérieures quant à la validité de la notification.

Toutefois, la Cour de cassation a admis qu’une notification réalisée par lettre recommandée avec accusé de réception pouvait être considérée comme valable, à condition qu’elle comporte toutes les informations exigées par la loi (Cass. 1re civ., 9 oct. 1991, n°89-17.916).

En l’espèce, une indivisaire, avait exercé son droit de préemption par lettre recommandée adressée au notaire chargé de l’opération.

La société bénéficiaire d’une promesse unilatérale de vente sur les mêmes droits indivis contestait la validité de cette préemption en raison de l’absence de notification par acte extrajudiciaire, comme le prévoit le texte.

Toutefois, la Cour a confirmé la validité de la préemption exercée, en considérant que la lettre recommandée avait permis aux coïndivisaires de recevoir toutes les informations nécessaires pour évaluer l’opération projetée.

Cette solution procède d’une approche fonctionnelle de l’article 815-14 du Code civil. Elle met l’accent sur la finalité de la notification, à savoir garantir une information complète et traçable, plutôt que sur une stricte exigence formelle.

A cet égard, la Haute juridiction a souligné que les coïndivisaires avaient renoncé à exiger des formalités supplémentaires, ce qui rendait sans effet l’argument du formalisme invoqué par la société bénéficiaire.

Ainsi, bien que l’acte extrajudiciaire demeure la forme devant être privilégiée, cet arrêt admet une certaine souplesse quant à la forme de la notification, dès lors que l’objectif d’information des coïndivisaires est atteint et que leur consentement éclairé est préservé.

==>Contenu de la notification

La notification du projet de cession doit, conformément aux exigences de l’article 815-14 du Code civil, impérativement comporter deux types d’informations :

  • Les conditions de la cession
    • Les coïndivisaires doivent être pleinement informés des aspects financiers et contractuels de l’opération projetée.
    • À ce titre, la notification doit indiquer :
      • Le prix de cession : élément central permettant d’évaluer la faisabilité et l’opportunité d’exercer le droit de préemption.
      • Les modalités de paiement : incluant notamment les délais éventuels pour régler le prix, les intérêts applicables en cas de paiement différé, ou encore toute disposition spécifique liée à l’échelonnement des versements.
      • Les frais annexes : par exemple, les honoraires d’intermédiaires ou de notaires, qui peuvent avoir une incidence sur l’équilibre économique de l’opération.
    • Ces informations précises permettent aux coïndivisaires de mesurer l’étendue des obligations qu’ils auraient à assumer s’ils décidaient de préempter.
    • Toute omission ou imprécision pourrait les induire en erreur et compromettre leur capacité à prendre une décision éclairée.
  • Des informations relatives au cessionnaire
    • La notification doit également permettre aux coïndivisaires de s’assurer que la personne appelée à entrer dans l’indivision ne compromettra pas l’équilibre de celle-ci.
    • À cette fin, la loi exige que soient communiqués :
      • Le nom du cessionnaire : permettant de l’identifier avec certitude.
      • Le domicile : offrant une indication sur sa situation géographique et facilitant d’éventuelles démarches futures.
      • La profession : pouvant fournir des indices sur ses intentions ou sa capacité à gérer l’indivision.
    • Ces éléments subjectifs revêtent une importance particulière dans une indivision où l’affectio communionis doit être préservée.
    • Ils permettent aux coïndivisaires d’évaluer si l’intégration du cessionnaire pressenti est compatible avec les intérêts communs.

Toute notification omettant l’une de ces informations essentielles est susceptible d’être qualifiée d’irrégulière.

Une telle irrégularité pourrait entraîner des conséquences importantes, notamment l’impossibilité pour le cédant de se prévaloir de l’absence d’exercice du droit de préemption par les coïndivisaires, voire la nullité de la cession elle-même.

Cette exigence vise à garantir une transparence totale et à protéger les droits des indivisaires contre toute tentative d’évasion de leurs prérogatives.

==>Portée de la notification

La notification constitue l’acte par lequel les coïndivisaires sont informés des conditions de la cession envisagée et peuvent manifester leur intention d’exercer leur droit de préemption. Elle ouvre ainsi la voie à l’exercice de ce droit, mais n’emporte pas pour autant offre de vente.

Conformément à une jurisprudence désormais constante, la notification effectuée en application de l’article 815-14 du Code civil ne peut être assimilée à une offre de vente.

Cette position repose sur une interprétation stricte du texte, visant à respecter l’intention du législateur et la volonté manifeste de l’indivisaire cédant.

La Cour de cassation a ainsi affirmé que la notification, destinée à informer les coïndivisaires et à leur permettre d’exercer leur droit de préemption, n’impose aucune obligation au cédant quant à la réalisation de la cession projetée (Cass. 1ère civ., 5 juin 1984, n°83-10.660).

Cette jurisprudence s’appuie sur l’idée que la notification ne constitue qu’un préalable à l’exercice du droit de préemption et non une offre de vendre.

Comme souligné par la Première chambre civile dans la décision précitée, « à défaut de disposition le précisant dans l’article 815-14 du Code civil, qui a seulement pour but d’éviter l’intrusion d’un tiers étranger à l’indivision, la notification faite au titulaire du droit de préemption de l’intention de céder les droits indivis ne vaut pas offre de vente ».

Cette analyse a été confirmée dans un arrêt du 9 février 2011, où la Cour a rappelé que l’indivisaire cédant conserve la faculté de renoncer à son projet de cession, et ce, même après que l’un des coïndivisaires a manifesté son intention de préempter (Cass. 1ère civ., 9 févr. 2011, n°10-10.759).

Cette solution garantit un équilibre entre la protection des coïndivisaires contre l’intrusion d’un tiers dans l’indivision et la liberté contractuelle du cédant.

Ainsi, le droit de préemption, bien qu’il vise à préserver l’harmonie entre les coïndivisaires et à maintenir l’affectio communionis, n’impose pas au cédant de conclure la cession, dès lors qu’aucune disposition expresse ne prévoit une telle obligation.

Cette jurisprudence illustre un équilibre subtil entre deux objectifs : la protection des coïndivisaires et la préservation de la liberté contractuelle du cédant.

D’une part, le droit de préemption conféré aux coïndivisaires constitue un rempart contre l’intrusion d’un tiers étranger, permettant ainsi de maintenir l’affectio communionis, indispensable à la gestion harmonieuse de l’indivision.

D’autre part, la liberté contractuelle demeure intacte, le cédant conservant la faculté de renoncer à son projet si les circonstances le justifient.

Dans les situations où la cession concerne des droits en usufruit ou en nue-propriété, la mécanique du droit de préemption se complexifie en raison de la nature distincte de ces droits.

L’article 815-18, alinéa 2, du Code civil établit une hiérarchie stricte dans l’exercice des droits de préemption.

Les coïndivisaires directs, partageant la même nature de droits que le cédant, bénéficient d’une priorité absolue.

Ce n’est qu’après la purge de ces droits prioritaires que les nus-propriétaires ou usufruitiers peuvent, à titre subsidiaire, se prévaloir de leur propre droit de préemption.

Cette hiérarchie repose sur un double objectif :

  • D’une part, elle garantit aux coïndivisaires directs un moyen efficace de préserver la stabilité de l’indivision en écartant toute intrusion intempestive.
  • D’autre part, elle reconnaît la spécificité des relations juridiques entre usufruitiers et nus-propriétaires, qui, bien que distinctes en nature, convergent sur un même objet matériel.

Cette approche reflète une volonté claire du législateur : favoriser en premier lieu les acteurs les plus directement impliqués dans la gestion de l’indivision avant d’élargir le cercle des bénéficiaires.

ii. Réponse des titulaires du droit de préemption

==>Principe

L’article 815-14, alinéa 2, confère à tout indivisaire, après notification d’un projet de cession, la possibilité d’exercer un droit de préemption en se substituant au cessionnaire pressenti.

Ce droit est conditionné par une déclaration expresse adressée au cédant et formulée dans les conditions prévues par la loi.

L’objectif est double : permettre aux indivisaires de préserver l’harmonie au sein de l’indivision en écartant l’entrée d’un tiers, tout en garantissant au cédant une sécurité juridique quant aux modalités de réponse.

==>Délai de réponse

Le délai pour manifester l’intention de préempter est fixé à un mois à compter de la notification du projet de cession.

Ce délai, considéré comme raisonnable, permet aux indivisaires d’évaluer les implications financières et juridiques d’un éventuel exercice du droit.

Si un indivisaire souhaite renoncer à son droit, il peut se contenter de laisser s’écouler ce délai sans manifester sa volonté.

L’absence de réponse équivaut alors à une renonciation tacite, conformément à l’interprétation majoritaire des textes et de la jurisprudence.

==>Forme de la réponse

Pour exercer son droit de préemption, l’indivisaire doit adresser sa réponse au cédant par un acte extrajudiciaire. Cette exigence, identique à celle prévue pour la notification initiale, vise à garantir une preuve incontestable de la manifestation de volonté.

Chaque indivisaire désireux de préempter doit effectuer une déclaration distincte. En revanche, la loi n’impose pas de notification au cessionnaire pressenti, bien que cette démarche soit recommandée pour éviter toute confusion ou litige ultérieur, notamment en cas de signature prématurée d’un acte de cession.

==>Termes de la réponse

L’indivisaire préempteur, en manifestant sa volonté d’exercer son droit, est tenu de se conformer intégralement aux exigences suivantes :

  • Le prix fixé dans la notification
    • Le prix de cession doit être accepté dans son intégralité, sans aucune renégociation possible.
    • Ce montant constitue un élément central du contrat projeté et reflète l’accord initial entre le cédant et le cessionnaire pressenti.
  • Les modalités de paiement
    • Cela inclut les délais de paiement, les taux d’intérêt appliqués en cas de paiement différé, ainsi que toute autre condition financière précisée dans la notification.
    • L’indivisaire préempteur doit s’engager à respecter ces modalités dans leur intégralité.
  • Les conditions accessoires
    • Les éventuels frais liés à la cession, tels que les commissions d’agents immobiliers ou autres intermédiaires, doivent également être pris en charge par l’indivisaire.
    • Ces conditions, bien que secondaires, sont indissociables des termes de la cession projetée dès lors qu’elles figurent dans la notification.

L’indivisaire exerçant son droit de préemption n’a aucune latitude pour modifier les conditions initiales.

La Cour de cassation a réaffirmé avec rigueur le principe selon lequel l’indivisaire exerçant son droit de préemption doit se conformer strictement aux termes de la cession notifiés, sans possibilité de les modifier.

Dans un arrêt du 18 janvier 2012, la Haute juridiction a, en effet, eu à se prononcer sur une situation où l’indivisaire préempteur avait tenté d’introduire une condition suspensive non prévue initialement (Cass. 1ère civ., 18 janv. 2012, n°10-28.311).

En l’espèce, un indivisaire avait notifié à son coïndivisaire son intention de céder ses parts pour un prix déterminé, payable comptant le jour de la signature de l’acte authentique.

Le coïndivisaire, souhaitant exercer son droit de préemption, avait répondu dans le délai légal. Cependant, lors de la rédaction du projet d’acte, il avait stipulé une clause conditionnant la vente à l’obtention d’un prêt bancaire, condition qui ne figurait pas dans les termes notifiés par le cédant.

La Cour de cassation a considéré que cette modification substantielle des conditions de la cession initiale rendait la déclaration de préemption irrégulière. En effet, en ajoutant une condition suspensive non prévue, l’indivisaire préempteur avait dévié des termes exacts de l’offre, ce qui est incompatible avec l’exigence d’acceptation pure et simple imposée par la loi. La Première chambre civile a donc validé la vente réalisée par le cédant au profit du tiers initialement pressenti, estimant que le droit de préemption n’avait pas été valablement exercé.

Cette décision illustre la stricte application du principe d’immutabilité des conditions de la cession dans le cadre du droit de préemption des indivisaires.

Contrairement à d’autres régimes spéciaux, tels que celui du preneur rural, où la loi permet une certaine adaptation des conditions de la vente, l’indivisaire ne dispose d’aucune marge de manœuvre pour modifier les termes notifiés. Toute tentative de négociation ou d’ajout de clauses supplémentaires est susceptible d’entraîner l’invalidité de la préemption.

Ainsi, l’indivisaire souhaitant exercer son droit doit accepter intégralement le prix, les modalités de paiement et les conditions accessoires telles qu’elles lui ont été notifiées.

Cette exigence vise à assurer la sécurité juridique des transactions et à éviter que le droit de préemption ne soit détourné de sa finalité, qui est de permettre aux coïndivisaires de maintenir l’harmonie au sein de l’indivision sans porter atteinte aux droits du cédant.

==>Effets de la réponse

L’exercice du droit de préemption opéré par un indivisaire se traduit par une substitution automatique et intégrale au cessionnaire initialement pressenti, conformément à l’article 815-14 du Code civil.

Cette substitution vise à reproduire le cadre contractuel initial sans altération, en maintenant l’équilibre des droits et obligations prévus par la cession.

  • Substitution dans les obligations souscrites envers le cédant
    • L’indivisaire préempteur est tenu d’exécuter l’ensemble des obligations stipulées dans le projet de cession notifié, sans déviation possible.
    • La conséquence en est que si les conditions de la cession, telles qu’énoncées dans la notification, échouent à se réaliser, l’exercice du droit de préemption est privé d’effet.
    • L’indivisaire préempteur ne peut alors se substituer au cessionnaire pour conclure la vente.
  • Substitution dans les obligations souscrites envers les tiers
    • L’indivisaire exerçant son droit de préemption doit également se conformer aux obligations contractuelles du cessionnaire à l’égard de tiers, à condition qu’elles aient été dûment portées à sa connaissance dans la notification.
    • Ainsi, la portée de la substitution s’étend, notamment :
      • Aux commissions des intermédiaires : si la notification mentionne des frais d’agents immobiliers ou d’intermédiaires liés à la cession, le préempteur est tenu de les acquitter.
      • Dans un arrêt du 26 mars 1996, la Cour de cassation a validé la condamnation d’un indivisaire préempteur à payer la commission due à un agent immobilier, cette obligation ayant été stipulée dans les termes de la cession notifiée (Cass. 1re civ., 26 mars 1996, n°93-17.574).
      • Aux frais accessoires et charges : tous les termes et conditions qui figurent dans la notification doivent être intégralement respectés par le préempteur, qu’il s’agisse de frais de notaire, de charges ou d’autres obligations similaires.
    • Toutefois, cette substitution ne saurait s’appliquer à des engagements du cessionnaire qui n’auraient pas été expressément mentionnés dans la notification.
    • En effet, la portée de l’article 815-14 est limitée aux conditions strictement notifiées, de sorte que le préempteur ne peut être tenu à des obligations dont il n’a pas eu connaissance.

iii. Réalisation de l’acte de vente

==>Délai de réalisation de la vente

  • Délai imparti et point de départ
    • L’article 815-14, alinéa 3, accorde à l’indivisaire préempteur un délai de deux mois pour réaliser l’acte de vente.
    • Ce délai court à compter de la date d’envoi de la réponse au vendeur, formalisée par acte extrajudiciaire.
    • Le mode de calcul de ce délai suit les dispositions de l’article 641 du Code de procédure civile : lorsque le délai expire un jour férié, un samedi ou un dimanche, il est prorogé au premier jour ouvrable suivant.
  • Notion de réalisation de la vente
    • Le texte exige que la vente soit “réalisée” dans le délai imparti.
    • Cette notion reste sujette à interprétation.
    • Bien qu’il soit généralement admis que l’acte authentique constitue le standard attendu, il est également possible de considérer une vente comme “réalisée” si un accord définitif des parties est constaté, même sous seing privé, dès lors que cet accord respecte les conditions notifiées.

==>Non-respect du délai

  • Mise en demeure adressée au préempteur
    • Si la vente n’est pas réalisée dans le délai de deux mois, le cédant peut adresser une mise en demeure au préempteur pour qu’il conclue l’acte.
    • La mise en demeure peut être effectuée par sommation d’un Commissaire de justice ou par lettre recommandée.
    • Le délai de mise en demeure n’est pas strictement encadré par la loi et peut être initié longtemps après l’expiration des deux mois initiaux.
    • Ce mécanisme vise à protéger le cédant contre l’inaction du préempteur tout en lui offrant un cadre clair pour faire valoir ses droits.
  • Mise en demeure sans suite
    • Si, après un délai de quinze jours suivant la mise en demeure, l’acte de vente n’est toujours pas réalisé, la déclaration de préemption est nulle de plein droit.
    • Cette nullité n’exige aucune formalité supplémentaire, mais une contestation peut néanmoins survenir, nécessitant alors l’intervention du juge.
    • En l’absence de contestation, le cédant retrouve sa liberté contractuelle et peut conclure la vente avec le cessionnaire initial.

==>Cession au préempteur

  • Action en complément de part pour lésion
    • La cession des droits indivis au profit du préempteur est assimilée à un partage, ouvrant la possibilité d’une action en complément de part pour lésion si le prix convenu est inférieur d’un quart à la valeur réelle des droits cédés. Cependant, cette action est exclue en présence d’un aléa défini et accepté dans l’acte (article 891 du Code civil).
    • L’existence de cet aléa doit être appréciée à la date de l’acte d’exercice du droit de préemption.
  • Préemption exercée par plusieurs indivisaires
    • Lorsque plusieurs indivisaires exercent leur droit, l’article 815-14, alinéa 4, prévoit qu’ils acquièrent ensemble, à proportion de leurs droits dans l’indivision, sauf convention contraire.
      • En cas de droits égaux : chaque indivisaire préempteur acquiert une part égale.
      • En cas de droits inégaux : l’acquisition se fait en proportion des droits de chacun, sauf accord particulier précisant d’autres modalités.
  • Délais de paiement et ajustements
    • Si des délais de paiement ont été consentis au cessionnaire initial, le préempteur est soumis aux mêmes modalités.
    • L’article 815-14, alinéa 5, renvoie à l’application de l’article 828 du Code civil, prévoyant des ajustements en cas de variation significative de la valeur des droits cédés.
    • Toutefois, les parties peuvent convenir contractuellement que le montant dû reste fixe, afin de prévenir tout litige lié aux fluctuations économiques.

4. La sanction de la violation du droit de préemption

a. Principe de la nullité

L’article 815-16 dispose que « toute cession ou toute licitation opérée au mépris des dispositions des articles 815-14 et 815-15 est nulle ». La nullité est donc la sanction générale applicable dans ce cadre.

Cette nullité frappe indifféremment :

  • Les cessions amiables effectuées sans notification préalable régulière ;
  • Les adjudications, lorsque les indivisaires n’ont pas été dûment informés.

La nullité s’applique également lorsque la notification est irrégulière dans sa forme. Ainsi, une notification ne respectant pas les modalités prévues à l’article 815-14, telle qu’une absence d’acte extrajudiciaire, ne saurait être régularisée par le principe selon lequel « pas de nullité sans grief » (art. 114 du CPC), comme l’a confirmé la Cour de cassation dans un arrêt du 5 mars 2022 (Cass. 1ère civ., 5 mars 2002, n°00-13.511).

Enfin, la bonne foi de l’acquéreur ou de l’adjudicataire est sans incidence : le simple manquement aux exigences légales entraîne la nullité de la cession. Cette rigueur reflète la volonté de protéger efficacement les droits des coïndivisaires.

b. Régime de la nullité

La nullité prévue par l’article 815-16 est une nullité relative, car visant exclusivement à protéger les indivisaires bénéficiaires du droit de préemption.

==>Titulaires de l’action

Seuls les indivisaires à qui les notifications devaient être faites, ou leurs héritiers, peuvent invoquer cette nullité.

En revanche, un indivisaire qui avait connaissance du projet de cession, même en l’absence de notification formelle, et qui n’avait pas l’intention d’exercer son droit de préemption, ne saurait en demander l’annulation.

==>Absence de renonciation explicite

Lorsqu’un indivisaire n’a pas renoncé de manière explicite à son droit, l’absence de notification ou le non-respect des formes prévues ouvre à celui-ci, ou à ses ayants droit, la possibilité de solliciter l’annulation de la cession.

c. Prescription de l’action en nullité

L’article 815-16 prévoit que l’action en nullité se prescrit par cinq ans. Ce délai, destiné à garantir une certaine sécurité juridique, commence à courir à partir de la date de publication de l’acte de cession au registre foncier.

Cette publication rend la cession opposable aux tiers et présume la connaissance par les coïndivisaires (Cass. 1re civ., 5 mars 2014, n°12-28.348).

Cette exigence est susceptible de soulever une difficulté dans les cas où la cession a été effectuée en fraude des droits de préemption et où les indivisaires n’en prennent connaissance qu’après plusieurs années.

En effet, la loi ne prévoit aucun report du point de départ du délai en cas de découverte tardive de la fraude.

En tout état de cause, une fois le délai de cinq ans écoulé, l’action en nullité est définitivement irrecevable. Les indivisaires lésés ne disposent alors que d’une action éventuelle en responsabilité contre le notaire rédacteur, si celui-ci a omis de notifier correctement la cession.

B) Le droit de substitution

Le droit de substitution, consacré par l’article 815-15 du Code civil, offre aux coïndivisaires une faculté précieuse en cas de vente aux enchères de droits indivis.

Ce mécanisme vise à protéger l’indivision en permettant à l’un des indivisaires de se substituer à l’acquéreur après l’adjudication, moyennant le respect des conditions de la vente.

Distinct du droit de préemption, le droit de substitution s’exerce a posteriori et répond à une finalité similaire : éviter l’intrusion d’un tiers non souhaité dans l’indivision.

Ce dispositif, pensé pour préserver l’équilibre et la cohérence de cette situation juridique, incarne un subtil équilibre entre la protection des indivisaires et la liberté de disposer de sa quote-part.

1. Principe

Le droit de substitution, institué par l’article 815-15 du Code civil, répond à une limite inhérente au droit de préemption prévu à l’article 815-14 du même code. Ce dernier, en effet, ne s’applique qu’en cas de cession amiable des droits indivis d’un coïndivisaire.

Dans le cadre d’une vente aux enchères publiques, les conditions mêmes de l’adjudication – absence de connaissance préalable du prix et de l’identité de l’acquéreur – rendent impossible l’exercice d’un droit de préemption avant la réalisation de la vente.

C’est précisément pour pallier cette lacune et préserver l’objectif fondamental du droit de préemption que le législateur a institué le droit de substitution.

Celui-ci permet aux coïndivisaires de se substituer, a posteriori, à l’adjudicataire, moyennant le paiement du prix d’adjudication. Ce mécanisme, bien qu’intervenant après l’acte de cession, poursuit la même finalité que le droit de préemption : empêcher l’intrusion d’un tiers dans l’indivision.

A cet égard, le mécanisme du droit de substitution est particulièrement pertinent dans le contexte des ventes aux enchères, où les aléas inhérents à l’adjudication – notamment l’incertitude sur le prix et l’identité de l’acquéreur – renforcent le risque de fragmentation de l’indivision.

En instituant ce droit, le législateur a permis de prolonger les garanties offertes par le droit de préemption, tout en adaptant les règles au cadre spécifique des adjudications. Le droit de substitution répond ainsi à une exigence d’équité, en alignant les protections offertes aux coïndivisaires, quel que soit le mode de cession, amiable ou judiciaire.

Enfin, en empêchant l’entrée non désirée d’un tiers dans l’indivision, ce droit contribue également à maintenir la cohésion économique et juridique de la communauté indivisaire, préservant ainsi l’intérêt collectif de ses membres.

2. Domaine

Le droit de substitution, prévu par l’article 815-15 du Code civil, a un champ d’application limité mais essentiel pour préserver la stabilité de l’indivision face au risque d’intrusion d’un tiers.

Ce mécanisme vise spécifiquement les adjudications portant sur les droits indivis d’un coïndivisaire, et non sur les biens indivis eux-mêmes.

a. Adjudication de droits indivis

Le droit de substitution s’applique exclusivement lorsque l’adjudication porte sur tout ou partie des droits indivis d’un coïndivisaire.

Cette restriction découle de la finalité même du dispositif : empêcher l’arrivée d’un tiers dans l’indivision.

Dans un arrêt du 14 février 1989, la Cour de cassation a fermement rappelé cette exigence, en affirmant que « l’article 815-15 du Code civil ne pouvait être appliqué qu’en cas d’adjudication portant sur les droits d’un indivisaire dans les biens indivis et non sur les biens indivis eux-mêmes » (Cass. 1ère civ., 14 févr. 1989, n°87-14.392).

En pratique, cette situation est rare, notamment parce que les créanciers personnels d’un indivisaire ne peuvent saisir ses droits indivis (art. 815-17 C. civ.).

Cependant, elle peut survenir dans certains cas exceptionnels, comme une licitation préalable de la quote-part indivise d’un indivisaire décédé, laissant plusieurs héritiers.

Dans ce cadre, le droit de substitution permet aux coïndivisaires de racheter ces droits et d’éviter l’entrée d’un étranger dans l’indivision.

b. Adjudication d’un bien indivis

Lorsque l’adjudication concerne un bien indivis dans son ensemble, le droit de substitution ne s’applique pas.

Cette limitation se comprend aisément : la vente d’un bien indivis met fin à l’indivision sur ce bien, supprimant ainsi tout risque d’intrusion d’un tiers dans la communauté indivisaire.

La Cour de cassation a confirmé cette règle, en soulignant dans un arrêt du 30 juin 1992 que « si les articles 815-14 et 815-15 du Code civil confèrent à un indivisaire un droit de préemption ou de substitution suivant qu’il y a cession amiable ou licitation de droits indivis par un coïndivisaire, ces textes ne sont applicables, l’un et l’autre, que dans la mesure où l’opération porte sur des droits dans un ou plusieurs biens indivis, et non sur les biens indivis eux-mêmes » (Cass. 1ère civ., 30 juin 1992, n°90-19.052).

Il en résulte que, dans ce cas, les indivisaires ne peuvent pas exercer droit de substitution. L’indivision prenant fin sur le bien vendu, aucune justification ne permettrait de leur reconnaître une telle faculté.

Si la loi n’accorde aucun droit de substitution en cas d’adjudication d’un bien indivis, les parties peuvent toutefois prévoir une telle faculté par voie conventionnelle.

Une clause stipulée dans le cahier des charges de la vente peut ainsi accorder aux coïndivisaires un droit de substitution, à condition que cette stipulation soit clairement formulée et respecte les exigences légales.

La Cour de cassation a validé cette possibilité dans un arrêt du 3 ami 1989 en affirmant qu’aucune règle d’ordre public ne s’y oppose (Cass. 3e civ., 3 mai 1989, n°87-17.094).

Dans cette affaire, un indivisaire avait exercé son droit de substitution après une adjudication sur licitation. L’adjudicataire contestait la validité de la clause en avançant que l’article 815-15 du Code civil n’était pas applicable à la vente du bien indivis en totalité. Toutefois, la Haute juridiction a jugé que la clause, bien que reposant sur une base conventionnelle et non légale, n’avait ni un objet, ni une cause illicite, et qu’aucune disposition impérative ne l’interdisait.

Ce droit de substitution, de nature conventionnelle, se distingue du droit légal prévu par l’article 815-15 du Code civil. Il est soumis aux modalités définies par le l’acte qui l’institue. Ainsi, cet acte peut, par exemple, imposer une consignation préalable des fonds nécessaires à l’exercice de la substitution. La Cour de cassation a rappelé dans un autre arrêt que le non-respect d’une telle condition entraîne la nullité de la déclaration de substitution (Cass. 1re civ., 13 janv. 1993, n°91-13.851).

La rédaction de ces clauses requiert une vigilance particulière. Elles doivent éviter toute ambiguïté, notamment lorsque l’adjudicataire est lui-même un indivisaire. La Troisième chambre civile a précisé que la clause ne saurait empêcher un indivisaire adjudicataire d’acquérir le bien à titre exclusif, en l’absence d’une stipulation explicite dans ce sens (Cass. 3e civ., 17 nov. 2010, n°09-68.013).

3. Mise en œuvre

a. Notification préalable

L’article 815-15 du Code civil prévoit que, dans le cadre d’une adjudication portant sur des droits indivis, « l’avocat ou le notaire doit en informer les indivisaires par notification un mois avant la vente ».

Cette exigence légale, essentielle à la mise en œuvre du droit de substitution, impose aux professionnels en charge de l’adjudication de transmettre aux coïndivisaires les informations nécessaires leur permettant d’évaluer les conditions de la vente et, le cas échéant, d’organiser l’exercice de leur droit.

==>Contenu de la notification

La notification, qui doit intervenir au moins un mois avant la date prévue pour l’adjudication, constitue une étape indispensable pour garantir le respect des droits des indivisaires.

Elle doit comporter des éléments précis, parmi lesquels :

  • La désignation des droits mis en vente, afin de clarifier l’objet de l’adjudication.
  • La date, l’heure et le lieu de la vente, permettant aux indivisaires d’en anticiper le déroulement.
  • Les modalités de consultation du cahier des charges, document clé qui précise les conditions de l’adjudication et les éventuelles clauses spécifiques, telles que les garanties financières ou les obligations de consignation.

L’objectif principal de cette notification est de permettre aux indivisaires de prendre une décision éclairée sur l’opportunité d’exercer leur droit de substitution.

Ce mécanisme, qui s’apparente à un droit de retrait, offre aux coïndivisaires la possibilité de préserver la cohérence de l’indivision en se substituant à l’adjudicataire.

==>Formes de la notification

L’article 815-15 reste relativement souple quant à la forme que doit revêtir la notification.

Deux modes principaux sont admis :

  • La lettre recommandée avec accusé de réception, qui constitue une solution courante mais susceptible de présenter des lacunes, notamment en cas de non-réclamation de la lettre par le destinataire.
  • L’acte extrajudiciaire, solution plus coûteuse mais fortement recommandée pour garantir une sécurité accrue. En effet, ce mode permet de s’assurer que la notification est bien délivrée et que les délais imposés par la loi sont respectés, réduisant ainsi les risques de contentieux.

Lorsque l’adresse des indivisaires n’est pas connue ou qu’un doute subsiste quant à la réception de la notification, le recours à un Commissaire de justice est vivement conseillé. Ce choix limite les risques d’annulation de la vente pour irrégularité de la procédure et renforce la sécurité juridique de l’opération.

==>Sanction

Le non-respect des formalités de notification peut avoir des répercussions importantes. Une notification tardive, incomplète ou omise expose le notaire ou l’avocat à une responsabilité professionnelle si un préjudice en découle.

Ce préjudice peut consister, par exemple, en une privation pour les indivisaires d’exercer leur droit de substitution ou en une perte d’opportunité de maintenir les droits indivis au sein de l’indivision.

En outre, une notification irrégulière ou inexistante pourrait entraîner la nullité de l’adjudication, en application de l’article 815-16 du Code civil, qui sanctionne par la nullité les ventes réalisées en violation des règles prévues par l’article 815-15.

Cette nullité, bien que relative, peut être invoquée par tout indivisaire ou ses héritiers dans un délai de cinq ans à compter de la publication de l’adjudication.

b. Exercice du droit de substitution

L’exercice du droit de substitution, prévu à l’article 815-15 du Code civil, offre aux indivisaires une opportunité unique de se substituer à l’adjudicataire après la réalisation de la vente aux enchères.

Ce mécanisme, qui repose sur un droit de retrait, s’accompagne de formalités strictes et d’un encadrement juridique précis.

==>Formalités de la déclaration de substitution

Une fois l’adjudication réalisée, chaque indivisaire dispose d’un délai d’un mois pour déclarer sa volonté de se substituer à l’adjudicataire.

Cette déclaration, qui peut être effectuée auprès du greffe (en cas d’adjudication judiciaire) ou auprès du notaire (pour une adjudication amiable), doit impérativement être consignée de manière à garantir sa sécurité juridique.

Deux moyens permettent de donner date certaine à cette déclaration :

  • L’acte authentique, dressé par le notaire ou le greffe, qui constitue une preuve irréfutable de la déclaration.
  • L’acte d’un commissaire de justice, solution recommandée pour prévenir tout litige concernant la date de l’exercice du droit.

Le texte ne fixe pas de formalisme particulier, mais il est essentiel que la déclaration soit datée de manière incontestable afin de respecter les exigences légales.

==>Calcul du délai de substitution

Le délai d’un mois imparti pour exercer le droit de substitution court de quantième à quantième, à compter du jour de l’adjudication, conformément aux dispositions de l’article 640 du Code de procédure civile.

Par exemple, si l’adjudication a lieu le 15 mars, le délai expire le 15 avril. Toute déclaration effectuée après ce délai est considérée comme tardive et n’a aucun effet juridique, l’adjudicataire initial conservant alors la qualité d’acquéreur.

==>Cas particulier des déclarations multiples

Lorsque plusieurs indivisaires exercent leur droit de substitution dans le délai légal prévu par l’article 815-15 du Code civil, des conflits peuvent surgir quant à l’attribution du bien mis en adjudication. La jurisprudence a opté pour une application stricte du principe « prior tempore, potior jure », selon lequel le premier indivisaire à déclarer sa substitution est privilégié.

Dans un arrêt du 7 octobre 1997, la Cour de cassation a confirmé que la priorité devait être accordée à l’indivisaire ayant exercé son droit de substitution en premier, même si d’autres indivisaires manifestaient leur intention dans le délai légal (Cass. 1re civ., 7 oct. 1997, n° 95-17.071). Dans cette affaire, plusieurs indivisaires avaient successivement déclaré leur substitution. La Haute juridiction a considéré que seuls les premiers déclarants pouvaient être substitués à l’adjudicataire initial, rejetant ainsi la demande des indivisaires ayant déclaré leur substitution ultérieurement.

Cette solution repose sur l’idée que la substitution agit comme un retrait qui anéantit rétroactivement l’acquisition de l’adjudicataire initial. Elle implique nécessairement qu’un seul indivisaire ou un groupe d’indivisaires coordonnés puisse être substitué pour une même adjudication.

Il est important de souligner que l’arrêt précité portait sur une clause stipulée dans un cahier des charges et non sur l’application directe de l’article 815-15 du Code civil. La Cour de cassation n’a pas explicitement étendu ce principe à toutes les hypothèses relevant de cet article. Par conséquent, un doute subsiste quant à l’applicabilité générale de la règle de priorité temporelle en l’absence de stipulations spécifiques dans le cahier des charges.

Pour éviter les litiges, il est fortement recommandé d’anticiper ces éventualités dans le cahier des charges de l’adjudication. Plusieurs solutions pratiques peuvent être envisagées :

  • Une clause peut stipuler que les indivisaires souhaitant exercer leur droit de substitution doivent se coordonner avant toute déclaration. Cette démarche permet d’éviter des déclarations concurrentes et d’assurer une répartition consensuelle des droits.
  • Une clause peut encore prévoir que, si plusieurs indivisaires exercent leur droit, ils acquièrent ensemble les droits mis en adjudication, en proportion de leur part dans l’indivision. Cette solution, inspirée du droit de préemption, garantit une continuité de l’indivision tout en respectant l’égalité entre coïndivisaires.
  • Enfin, il est possible de préciser dans le cahier des charges que la priorité sera accordée à l’indivisaire ayant respecté certaines conditions objectives (par exemple, consignation préalable des fonds ou dépôt d’une déclaration plus détaillée).

Une fois la substitution validée en faveur du premier déclarant ou d’un groupe d’indivisaires, le transfert de propriété est effectif, et les autres indivisaires ne peuvent plus revendiquer un droit sur les parts adjugées. Toutefois, si des contestations persistent, le juge pourrait être saisi pour statuer sur la validité des clauses du cahier des charges ou des déclarations de substitution.

c. Effets de la substitution

L’exercice du droit de substitution, tel que prévu par l’article 815-15 du Code civil, emporte plusieurs effets.

La substitution opère un remplacement rétroactif de l’adjudicataire par l’indivisaire déclarant. Ce dernier se voit investi de tous les droits attachés à l’acquisition des parts indivises, comme s’il avait lui-même participé à l’adjudication et remporté l’enchère. La rétroactivité de cet effet garantit qu’aucune mutation intermédiaire n’intervient, simplifiant ainsi les implications juridiques et fiscales de l’opération.

L’indivisaire substitué devient immédiatement propriétaire des droits indivis aux mêmes conditions que celles de l’adjudication.

Ce transfert de droits inclut :

  • Le respect du prix d’adjudication.
  • L’acceptation des clauses définies dans le cahier des charges, qui fixent les modalités financières et contractuelles de l’acquisition.

Ce transfert s’effectue sans modification des termes de la vente, assurant ainsi une parfaite transparence et sécurité juridique pour l’ensemble des parties concernées.

Par ailleurs, les clauses financières prévues dans le cahier des charges de la vente trouvent également à s’appliquer à l’indivisaire substitué.

Parmi ces clauses figurent fréquemment :

  • La consignation préalable des fonds : l’indivisaire doit justifier qu’il dispose des montants nécessaires à l’acquisition avant que la substitution ne prenne effet. Cette condition garantit que la substitution ne met pas en péril la finalisation de l’opération.
  • Les garanties éventuelles : si le cahier des charges exige des garanties (par exemple, une caution bancaire ou un dépôt de garantie), celles-ci doivent être fournies par l’indivisaire substitué dans les délais impartis.

En cas de non-respect de ces exigences, la substitution peut être contestée, voire annulée, laissant l’adjudicataire initial dans sa position d’acquéreur.

La substitution opérée dans le cadre du droit de retrait se traduit par une mutation unique.

Cela emporte plusieurs conséquences :

  • Fiscalité simplifiée : l’indivisaire substitué est considéré comme l’acquéreur unique, ce qui évite une double taxation ou des calculs complexes liés à des mutations intermédiaires.
  • Opposabilité immédiate : les tiers, y compris les créanciers et les administrations, peuvent immédiatement considérer l’indivisaire substitué comme propriétaire, une fois la substitution formalisée.

Enfin, la substitution protège l’intégrité de l’indivision en écartant l’intrusion d’un tiers non souhaité.

L’indivisaire substitué reprend sa place dans l’indivision sans altérer la répartition des droits ou les relations entre coïndivisaires. Ce mécanisme renforce ainsi la cohésion et la stabilité de l’indivision, tout en évitant des conflits potentiels avec un adjudicataire extérieur.

d. Sanctions

==>Nullité

L’article 815-16 du Code civil prévoit que toute violation des règles encadrant le droit de substitution fixé à l’article 815-15 est sanctionnée par la nullité de l’adjudication.

Plusieurs situations peuvent donner lieu à une nullité de l’adjudication, en raison de la violation des droits des indivisaires bénéficiaires :

  • Absence de notification préalable
    • L’article 815-15 impose une notification formelle aux indivisaires, un mois avant l’adjudication, effectuée par un avocat (adjudication judiciaire) ou un notaire (adjudication amiable).
    • Si cette notification est omise ou irrégulière (par exemple, absence de preuve de la réception), les indivisaires sont privés de l’information nécessaire pour organiser leur éventuelle substitution, ce qui justifie l’annulation de l’adjudication.
  • Violation des délais de substitution
    • Le délai légal d’un mois pour exercer le droit de substitution est impératif.
    • Toute déclaration faite en dehors de ce délai est sans effet.
    • Si, malgré cette irrégularité, un indivisaire tardif est substitué à l’adjudicataire, l’adjudication peut être frappée de nullité.
  • Omission des droits de substitution dans le cahier des charges
    • L’article 815-15 exige que le cahier des conditions de vente mentionne expressément les droits de substitution.
    • Si cette mention est absente, les indivisaires ne disposent pas des informations nécessaires pour évaluer leur position, compromettant leur droit de substitution.
    • Cette omission peut entraîner non seulement la nullité de l’adjudication, mais aussi la responsabilité professionnelle du notaire ou de l’avocat rédacteur.

==>Nature de la nullité

La nullité prévue par l’article 815-16 est relative, ce qui signifie qu’elle ne peut être invoquée que par les indivisaires lésés ou leurs héritiers.

Cette particularité reflète la volonté du législateur de protéger les intérêts spécifiques des indivisaires tout en évitant de compromettre la stabilité des adjudications au détriment des tiers.

Contrairement à une nullité absolue, qui pourrait être soulevée par tout intéressé, la nullité relative est limitée à ceux dont les droits sont directement affectés.

Elle constitue ainsi un moyen de préserver l’équilibre entre la protection des indivisaires et la sécurité juridique des transactions.

==>Prescription de l’action en nullité

L’action en nullité est soumise à un délai de prescription de cinq ans, qui commence à courir à compter de la publication de l’adjudication aux services de publicité foncière.

==>Responsabilité

Outre la nullité, les professionnels en charge de l’adjudication (avocats ou notaires) peuvent voir leur responsabilité professionnelle engagée si leur manquement a causé un préjudice.

Cela peut inclure :

  • L’absence ou l’irrégularité de la notification préalable.
  • La rédaction défaillante du cahier des charges, omettant les mentions obligatoires.
  • Une négligence dans le contrôle des délais ou des formalités.

Si ces fautes privent les indivisaires de leur droit de substitution ou entraînent une nullité, les professionnels concernés peuvent être tenus de réparer les dommages subis.

==>Conséquences de la nullité

En cas d’annulation de l’adjudication, les droits adjugés retrouvent leur situation antérieure à la vente.

Cette rétroactivité peut engendrer des complications pratiques, notamment si l’adjudicataire a entrepris des démarches sur le bien acquis ou s’il a cédé ses droits à un tiers.

Ces situations peuvent donner lieu à des contentieux supplémentaires, accentuant la nécessité de respecter scrupuleusement les règles encadrant le droit de substitution.

Traitement des situations de crise traversées par le couple marié: les mesures de sauvegarde (art. 220-1 et s. C. civ.)

Si, comme aiment à le rappeler certains auteurs le mariage est envisagé par le droit comme ce qui « confère à la famille sa légitimité »[1] et plus encore, comme son « acte fondateur »[2], il demeure malgré tout impuissant à la mettre à l’abri des épreuves qui se dressent sur son chemin.

Pour paraphraser le titre d’un film désormais devenu célèbre mettant en scène deux familles qui évoluent dans des milieux sociaux radicalement opposés : la vie maritale n’est pas un long fleuve tranquille.

Nombre d’événements sont susceptibles d’affecter son cours, à commencer par ce qu’il y a de plus ordinaire, mais pas moins important : la maladie, les disputes et plus généralement toutes ces situations qui font obstacle au dialogue dans le couple.

Or sans dialogue, sans échange, sans compromis, le couple marié ne peut pas fonctionner, à tout le moins s’agissant de l’accomplissement des actes les plus graves, soit ceux qui requièrent le consentement des deux époux.

Que faire lorsque le couple rencontre des difficultés qui peuvent aller du simple désaccord à l’impossibilité pour un époux d’exprimer sa volonté ?

Afin de permettre au couple de surmonter ces difficultés, le législateur a mis en place plusieurs dispositifs énoncés aux articles 217, 219 et 220-1 du Code civil.

Parmi ces dispositifs qui visent spécifiquement à régler les situations de crise traversées par le couple marié on compte :

  • L’autorisation judiciaire
  • La représentation judiciaire
  • La sauvegarde judiciaire.

Nous nous focaliserons ici sur la sauvegarde judiciaire.

En situation de crise conjugale, tandis que la représentation judiciaire (art. 219 C. civ.) et l’autorisation judiciaire (art. 217 C. civ.) visent à étendre les pouvoirs d’un époux aux fins de lui permettre d’accomplir un ou plusieurs actes sans le consentement de son conjoint, il est des mesures qui produisent l’effet radicalement puisque consistant à réduire les prérogatives de ce dernier en l’interdisant d’agir.

Le point commun entre ces trois dispositifs réside dans leur finalité : ils ont vocation à permettre au couple de surmonter une crise et de préserver les intérêts de la famille.

S’agissant spécifiquement des mesures qui ont pour effet de restreindre les pouvoirs d’un époux, elles sont envisagées aux articles 220-1, 220-2 et 220-3 du Code civil.

Ces mesures sont issues de la loi n° 65-570 du 13 juillet 1965 portant réforme des régimes matrimoniaux.

Le législateur justifiait leur instauration à l’époque en indiquant, dans l’exposé des motifs de la loi, que « tout cet effort en vue d’accomplir l’égalité entre l’homme et

la femme dans le régime matrimonial devait, si l’on voulait qu’il fût efficace, suivant une vision réaliste des choses, être complété par trois séries de mesures, quelque peu extérieures à la structure même des régimes matrimoniaux ».

Il poursuit en affirmant que, au nombre de ces mesures, doivent figurer « des mesures de protection adaptées au quotidien de la vie, contre les dangers que peut faire courir aux intérêts familiaux un époux irréfléchi ou malveillant.

Tel est la finalité des mesures envisagées aux articles 220-1 et suivants du Code civil : octroyer le droit à chaque époux, pour les situations matrimoniales de crise, de recourir au juge afin d’obtenir des mesures urgentes et provisoires tendant à empêcher des actes juridiques de disposition, voire des actes matériels de détournement.

Le prononcé de ces mesures est toutefois subordonné à la réunion de plusieurs conditions. Lorsqu’elles sont réunies, le juge dispose d’une relativement grande latitude quant au choix des mesures urgentes qui peuvent être prises.

I) Les conditions des mesures

L’article 220-1 du Code civil prévoit que « si l’un des époux manque gravement à ses devoirs et met ainsi en péril les intérêts de la famille, le juge aux affaires familiales peut prescrire toutes les mesures urgentes que requièrent ces intérêts. »

Il ressort de cette disposition que la prescription par le juge de mesures urgentes est subordonnée à la réunion de deux conditions cumulatives :

  • D’une part, l’établissement d’un manquement grave de l’un des époux à ses devoirs
  • D’autre part, l’existence d’une mise en péril des intérêts de la famille

A) S’agissant du manquement grave de l’un des époux à ses devoirs

L’exigence d’établissement d’un manquement grave de l’un des époux à ses devoirs n’est pas sans faire écho à la notion de faute en matière de divorce contentieux.

Pour mémoire, l’article 242 du Code civil prévoit que « le divorce peut être demandé par l’un des époux lorsque des faits constitutifs d’une violation grave ou renouvelée des devoirs et obligations du mariage sont imputables à son conjoint et rendent intolérable le maintien de la vie commune. »

Si dans les deux cas le manquement aux devoirs du mariage doit être grave, là s’arrête la ressemblance.

En effet, l’article 220-1 du Code civil n’exige pas que ce manquement rende intolérable le maintien de la vie commune.

Par ailleurs, il est indifférent que ce manquement ne soit pas imputable au conjoint contre lequel les mesures urgences sont sollicitées, à tout le moins c’est la thèse que nous défendons.

Ce qui importe c’est qu’un manquement soit constaté, l’objectif recherché étant, moins de sanctionner un époux, que de sauvegarder les intérêts en péril de la famille.

Aussi, on pourrait envisager que des mesures urgentes puissent être prises à l’encontre d’un époux, alors même qu’il n’a commis aucune faute. Reste que sur ce point, la doctrine est divisée.

S’agissant des manquements susceptibles de justifier l’adoption de ces mesures, ils peuvent porter :

  • Soit sur des devoirs qui relèvent du régime primaire impératif
  • Soit sur des devoirs qui relèvent du régime matrimonial

Par ailleurs, les devoirs qui ont fait l’objet d’une violation peuvent tout aussi bien être d’ordre patrimonial, qu’extrapatrimonial.

Au nombre des devoirs dont le manquement est susceptible de donner lieu à l’adoption de mesures urgences on compte notamment :

  • L’obligation de vie commune ( 215 al. 1 C. civ.)
  • Le devoir de respect ( 212 C. civ.)
  • Le devoir de fidélité ( 212 C. civ.)
  • Le devoir de secours ( 212 C. civ.)
  • Le devoir d’assistance ( 212 C. civ.)
  • Le devoir conjugal ( 215, al. 1 C. civ.)
  • L’obligation de contribuer aux charges du mariage ( 214 C. civ.)
  • L’obligation de solidarité aux dettes ménagères ( 220 C. civ.)

Comme prévu par l’article 220-1, il ne suffit pas qu’un manquement aux devoirs de l’un des époux soit constaté pour que des mesures urgentes soient prises, qui rappelons le, conduisent à restreindre les pouvoirs d’un époux, ce qui n’est pas neutre.

Il faut encore que ce manquement soit « grave », en ce sens qu’il doit :

  • Soit être renouvelé
  • Soit être caractérisé

Un simplement manquement ne saurait justifier l’intervention du juge. Au fond, l’article 220-1 du Code civil ne peut être mobilisé par un époux que s’il y a lieu de résoudre une crise profonde traversée par le couple.

Le juge n’a pas vocation à régler les difficultés du quotidien que le couple est en mesure de surmonter lui-même, à tout le moins qui ne sont pas de nature à mettre en péril les intérêts de la famille.

Car c’est là le critère décisif d’appréciation qui guidera le juge quant à l’opportunité de prononcer une mesure urgente.

B) S’agissant de la mise en péril des intérêts de la famille

Le manquement grave de l’un des époux à ses devoirs doit donc être apprécié en fonction des conséquences que ce manquement emporte et plus précisément du péril qu’il fait courir aux intérêts de la famille.

La question qui alors se pose est double :

  • Que doit-on entendre par péril
  • Que doit-on entendre par intérêt de la famille

==> Sur la notion de péril

Le texte est silencieux sur la notion de péril. Si l’on se reporte à la définition commune, il s’agit de l’état d’une personne qui court de grands risques, qui est menacée dans sa sécurité, dans ses intérêts ou dans son existence même.

Ce qu’il y a lieu de retenir de cette définition, c’est que lorsqu’il y a péril, le préjudice bien que, imminent, ne s’est pas encore réalisé.

Aussi, faut-il interpréter l’article 220-1 du Code civil comme autorisant à saisir le juge, alors même que les intérêts de la famille n’ont pas été contrariés. Ils sont seulement menacés par la conduite déviante d’un époux.

Afin d’empêcher que cette conduite ne cause un préjudice à la famille, il est nécessaire d’adopter des mesures préventives.

Pour mettre en jeu l’article 220-1 du Code civil, il est donc indifférent qu’un dommage se soit produit. Ce qui importe c’est que soit établi l’existence d’un risque imminent de réalisation de se dommage.

==> Sur la notion d’intérêt de la famille

Pour que des mesures urgentes soient prises par le juge, le manquement de l’un des époux doit être de nature à mettre en péril les intérêts de la famille.

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir ce que l’on doit entendre par intérêt de la famille. Que recouvre cette notion que l’on retrouve dans de nombreuses autres dispositions du Code civil et notamment, en matière d’autorisation judiciaire (art. 217 C. civ.) ou encore en matière de changement de régime matrimonial (art. 1397 C. civ.) ?

À l’analyse, la notion d’intérêt de la famille n’est définie par aucun texte. La raison en est que le législateur a souhaité conférer une liberté d’appréciation au juge qui donc n’est pas entravé dans son appréhension de la situation qui lui est soumise.

Dans un arrêt du 6 janvier 1976, la Cour de cassation est seulement venue préciser, dans une affaire se rapportant à un changement de régime matrimonial, que « l’existence et la légitimé d’un tel intérêt doivent faire l’objet d’une appréciation d’ensemble, le seul fait que l’un des membres de la famille de se trouver lésé n’interdisant pas nécessairement la modification ou le changement envisagé » (Cass. 1ère civ. 6 janv. 1976, n°74-12.212).

Il s’infère de cette décision que la notion d’intérêt de la famille doit faire l’objet d’une appréciation d’ensemble.

Autrement dit, il appartient au juge d’apprécier cet intérêt pris dans sa globalité, soit en considération des intérêts de chaque membre de la famille, étant précisé que la jurisprudence tient compte, tant des intérêts des époux, que de celui des enfants.

La Cour d’appel de Paris a jugé en ce sens que « les descendants des époux doivent être pris en compte pour l’appréciation objective qui doit être donnée de l’intérêt de la famille pris dans sa globalité » (CA Paris, 11 sept. 1997).

L’intérêt de la famille doit ainsi être apprécié par le juge comme constituant un tout, ce qui exige qu’il cherche à en avoir une vue d’ensemble.

Aussi, l’intérêt de la famille ne saurait se confondre avec l’intérêt personnel d’un seul de ses membres.

Et s’il est des cas où c’est la préservation d’un intérêt individuel qui guidera la décision de juge quant à retenir l’intérêt de la famille. Reste qu’il ne pourra statuer en ce sens qu’après avoir réalisé une balance des intérêts en présence.

Quelles sont les situations de mise en péril des intérêts de la famille susceptibles de justifier l’adoption de mesures urgentes ?

Il s’agit, la plupart du temps, de situations qui présentent un enjeu pécuniaire, bien que l’intérêt de la famille puisse être tout autant d’ordre patrimonial, que d’ordre extrapatrimonial.

S’agissant de la charge de la preuve, dans la mesure où l’intérêt de la famille doit faire l’objet d’une appréciation d’ensemble, elle pèserait, selon André Colomer, sur les deux époux, chacun devant convaincre le juge du caractère justifié ou injustifié du refus d’accomplir l’acte discuté.

Reste que, en cas de doute, il conviendra d’appliquer l’article 1353 du Code civil, qui fait peser la charge de la preuve sur l’époux qui sollicite une mesure urgente.

II) L’objet des mesures

Il ressort du premier alinéa de l’article 220-1 du Code civil que les mesures susceptibles d’être prises par le juge peuvent être classées en deux catégories :

  • Les mesures prises en application d’un principe général
  • Les mesures prises en application de dispositions spéciales

A) Les mesures prises en application d’un principe général

L’article 220-1 du Code civil pose un principe général aux termes duquel, lorsque les conditions sont réunies, le juge peut prescrire toutes les mesures urgentes que requièrent les intérêts de la famille.

La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par mesures urgentes. Le texte ne fournit aucune définition.

Classiquement, on dit qu’il y a urgence lorsque « qu’un retard dans la prescription de la mesure sollicitée serait préjudiciable aux intérêts du demandeur » (R. Perrot, Cours de droit judiciaire privé, 1976-1977, p. 432).

Il appartient de la sorte au juge de mettre en balance les intérêts de la famille qui, en cas de retard, sont susceptibles d’être mis en péril et les intérêts de l’époux défendeur qui pourraient être négligés en cas de décision trop hâtive à tout le moins mal-fondée.

En toute hypothèse, l’urgence est appréciée in concreto, soit en considération des circonstances de la cause.

En tout état de cause, les mesures urgentes peuvent être, tout aussi bien des mesures d’ordre patrimonial (interdiction d’accomplir un acte sur un bien) que des mesures extrapatrimoniales (éloignement du conjoint violent de la résidence familiale).

B) Les mesures prises en application de dispositions spéciales

L’alinéa 2 de l’article 220-1 du Code civil envisage deux séries de mesures susceptibles d’être prises par le juge en situation de crise conjugale :

  • En premier lieu, il peut interdire à un époux de faire, sans le consentement de l’autre, des actes de disposition sur ses propres biens ou sur ceux de la communauté, meubles ou immeubles.
  • En second lieu, Il peut interdire le déplacement des meubles, sauf à spécifier ceux dont il attribue l’usage personnel à l’un ou à l’autre des conjoints.

==> S’agissant de l’interdiction d’accomplir des actes de disposition

Il s’agit donc ici d’interdire à un époux d’accomplir des actes de disposition sans le consentement de son conjoint, ce qui revient à étendre, temporairement, le domaine de la cogestion.

Le texte ne précisant pas quels biens seraient concernés par cette mesure, on en déduit qu’il est indifférent qu’il s’agisse d’un bien commun ou d’un bien propre.

Il est encore indifférent que le bien consiste en un meuble ou un immeuble. Tous les biens sont susceptibles de faire l’objet d’une mesure de sauvegarde.

Par ailleurs, ce type de mesure peut être prononcé dans le cadre de n’importe quel régime matrimonial, notamment sous la séparation de biens. Il s’agit là d’une règle particulièrement dérogatoire au droit commun.

La seule contrainte qui s’impose au juge est que la mesure prise se limite à sauvegarder les intérêts de la famille, en ce sens qu’elle doit être adoptée à titre conservatoire.

Elle ne saurait produire des effets irréversibles au préjudice de l’époux contre lequel elle est prononcée.

Ainsi, est-il exclu que le juge puisse autoriser l’accomplissement d’un acte de disposition sur le fondement de l’article 220-1 du Code civil.

==> S’agissant de l’interdiction de déplacer des meubles

Il s’agit ici d’interdire à un époux de meubles, sauf à spécifier ceux dont il attribue l’usage personnel à l’un ou à l’autre des conjoints.

Là encore, le texte n’opère aucune distinction entre les biens, sinon celle tenant à leur caractère mobilier. Car seuls les meubles sont visés ici.

En revanche, il est indifférent que le bien soit commun ou appartienne en propre à un époux.

Le plus souvent, seront concernés par ce type de mesures les biens affectés à l’activité professionnelle d’un époux ou les meubles qui garnissent le logement familial.

À la vérité, il s’agit là d’une mesure qui sera prononcée en prévision de la mise en œuvre d’une procédure de divorce.

III) La mise en œuvre des mesures

A) Procédure

L’article 1290 du Code de procédure civile prévoit que « les mesures urgentes prévues à l’article 220-1 du code civil sont prescrites par le juge aux affaires familiales statuant en référé ou, en cas de besoin, par ordonnance sur requête. »

Le juge peut ainsi être saisi :

  • Soit par voie d’assignation en référé
    • Dans cette hypothèse, l’adoption de la mesure sollicitée féra l’objet d’un débat contradictoire
  • Soit par voie de requête
    • Dans cette hypothèse, la mesure pourra être prononcée par le juge sans discussion préalable entre les époux sur son bien-fondé

La voie la plus rapide est, sans aucun doute, la procédure sur requête. Elle est particulièrement indiquée lorsqu’il s’agit de provoquer un effet de surprise ou d’obtenir une décision dans l’urgence.

Elle présente néanmoins l’inconvénient de conduire à l’adoption d’une mesure pour le moins fragile puisque plus facilement révocable en raison de son caractère non contradictoire.

Pour ce faire, il appartiendra à l’époux défendeur d’engager une procédure de référé-rétraction qui, quelle que soit l’issue, aura pour effet de retarder la mise en œuvre de la mesure.

B) Durée de la mesure

L’article 220-1 al. 3e du Code civil prévoit que « la durée des mesures prises en application du présent article doit être déterminée par le juge et ne saurait, prolongation éventuellement comprise, dépasser trois ans. »

Ainsi, s’il appartient au juge de fixer la durée de la mesure, cette durée ne peut excéder trois ans ce qui confère un caractère nécessairement provisoire à la mesure.

À cet égard, il est admis qu’en cas de circonstances nouvelles, de nouvelles mesures seraient susceptibles d’être prises à l’issue du délai de trois ans.

À l’inverse, en cas de disparition des circonstances qui justifiaient l’adoption de la mesure, le juge pourra être saisi pour en prononcer la révocation ou la modification.

Dans un arrêt du 25 octobre 1972, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « l’obligation faite aux juges […] de déterminer la durée des mesures de sauvegarde qu’il ordonne n’est pas prévue à peine de nullité de la décision qui a un caractère provisoire et dont les dispositions peuvent à tout moment être rapportée ou modifiées » (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 25 oct. 1972, n°71-13073).

C) Publicité de la mesure

S’agissant de la publicité de la mesure prononcée par le juge, elle n’est exigée que pour les mesures spécifiques visées par l’alinéa 2 de l’article 220-1 du Code civil, c’est-à-dire :

  • L’interdiction d’accomplir des actes de disposition
  • L’interdiction de déplacer des meubles

==> S’agissant de l’interdiction d’accomplir des actes de disposition

L’article 220-2, al. 1er du Code civil prévoit que si l’ordonnance porte interdiction de faire des actes de disposition sur des biens dont l’aliénation est sujette à publicité, elle doit être publiée à la diligence de l’époux requérant.

Lorsque le bien est un immeuble, la publicité devra être réalisée conformément aux règles de la publicité foncière.

En tout état de cause, cette publication cesse de produire effet à l’expiration de la période déterminée par l’ordonnance, sauf à la partie intéressée à obtenir dans l’intervalle une ordonnance modificative, qui sera publiée de la même manière.

==> S’agissant de l’interdiction de déplacer des meubles

L’article 220-2, al. 2e du Code civil prévoit que si l’ordonnance porte interdiction de disposer des meubles corporels, ou de les déplacer, elle est signifiée par le requérant à son conjoint, et a pour effet de rendre celui-ci gardien responsable des meubles dans les mêmes conditions qu’un saisi.

Lorsqu’elle est signifiée à un tiers, elle le constitue de mauvaise foi. Autrement dit, en cas d’acquisition du bien déplacé, il sera contraint de le restituer.

Si, en revanche, la mesure ne lui est pas signifiée, il sera présumé de bonne foi, de sorte qu’elle lui sera inopposable, sauf à ce qu’il soit établi qu’il en avait connaissance.

D) Sanction de l’inobservation de la mesure

  1. La nullité de l’acte

L’article 220-3 du Code civil prévoit que l’inobservation de la mesure de sauvegarde prononcée par le juge est sanctionnée par la nullité de l’acte.

Par nullité, il faut entendre l’anéantissement de l’acte, en ce sens qu’il est censé n’avoir jamais existé.

Il est donc supprimé de l’ordonnancement juridique, tant pour ses effets passés, que pour ses effets futurs.

  1. Caractère de la nullité

Une lecture de l’article 220-3 du Code civil révèle que les actes accomplis en violation de l’ordonnance peuvent ne pas être systématiquement annulés. Ils sont seulement « annulables ».

La doctrine a déduit de cette formulation que la nullité visée par l’article 220-3 du Code civil était facultative, en ce sens qu’elle ne s’impose pas au juge.

Il lui est donc permis de ne pas prononcer la nullité de l’acte, alors mêmes que les conditions seraient réunies. Il dispose, en la matière, d’un large pouvoir d’appréciation.

  1. Titularité de l’action en nullité

L’article 220-3 du Code civil prévoit que les actes accomplis en violation de l’ordonnance sont annulables « à la demande du conjoint requérant ».

L’action appartient donc au seul époux que la mesure vise à protéger. Il s’agit là d’une nullité relative, car sanctionnant la violation d’une règle de protection.

  1. Les actes annulables

La question qui ici se pose est de savoir quels sont les actes accomplis en violation de l’ordonnance qui sont susceptibles d’être annulés.

L’article 220-3 du Code civil prévoit que sont annulables « tous les actes accomplis en violation de l’ordonnance, s’ils ont été passés avec un tiers de mauvaise foi, ou même s’agissant d’un bien dont l’aliénation est sujette à publicité, s’ils sont simplement postérieurs à la publication prévue par l’article précédent. »

Il s’infère de cette disposition qu’il y a lieu de distinguer deux situations :

==> L’aliénation du bien discuté n’exige pas l’accomplissement d’une mesure de publicité

Dans cette hypothèse, l’acte de disposition ne pourra être annulé qu’à la condition que la mauvaise foi du tiers soit établie.

À cet égard, sa mauvaise foi sera présumée, dès lors que l’ordonnance lui aura été signifié. Il ne pourra, en effet, pas avancer qu’il ignorait l’existence de la mesure.

==> L’aliénation du bien discuté exige l’accomplissement d’une mesure de publicité

Dans cette hypothèse, l’article 220-3, al. 1er du Code civil distingue deux situations :

  • Les actes ont été accomplis postérieurement à la publication de l’ordonnance
    • Dans cette hypothèse, ils sont annulables peu importe que tiers soit de bonne ou de mauvaise moi.
    • Il y a, en quelque sorte, présomption irréfragable de mauvaise foi du tiers.
  • Les actes ont été accomplis antérieurement à la publication de l’ordonnance
    • Dans cette hypothèse, il y a lieu de distinguer selon que le tiers est de bonne ou de mauvaise foi.
      • S’il est de mauvaise foi, l’acte pourra être annulé
      • S’il est de bonne foi, l’acte ne demeurera validé
    • La bonne ou mauvaise foi du tiers tient à sa connaissance de la mesure
  1. La prescription de l’action en nullité

L’article 220-3, al. 2e du Code civil prévoit que l’action en nullité est ouverte à l’époux requérant pendant deux années à partir du jour où il a eu connaissance de l’acte, sans pouvoir jamais être intentée, si cet acte est sujet à publicité, plus de deux ans après sa publication.

Cette disposition enferme ainsi l’action en nullité dans un double délai :

  • Le requérant doit agir dans un délai de deux ans à compter du jour où il a connaissance de l’acte accompli en violation de l’ordonnance
  • Le requérant ne pourra jamais agir au-delà d’un délai de deux ans, à compter de la date de publication de l’ordonnance.

[1] F. Terré, Droit civil – La famille, éd. Dalloz, 2011, n°325, p. 299

[2] Ph. Malaurie et H. Fulchiron, La famille, Defrénois, coll. « Droit civil », 2006, n°47, p. 25.

Traitement des situations de crise traversées par le couple marié: la représentation judiciaire (art. 219 C. civ.)

Paragraphe

Si, comme aiment à le rappeler certains auteurs le mariage est envisagé par le droit comme ce qui « confère à la famille sa légitimité »[1] et plus encore, comme son « acte fondateur »[2], il demeure malgré tout impuissant à la mettre à l’abri des épreuves qui se dressent sur son chemin.

Si, comme aiment à le rappeler certains auteurs le mariage est envisagé par le droit comme ce qui « confère à la famille sa légitimité »[1] et plus encore, comme son « acte fondateur »[2], il demeure malgré tout impuissant à la mettre à l’abri des épreuves qui se dressent sur son chemin.

Pour paraphraser le titre d’un film désormais devenu célèbre mettant en scène deux familles qui évoluent dans des milieux sociaux radicalement opposés : la vie maritale n’est pas un long fleuve tranquille.

Nombre d’événements sont susceptibles d’affecter son cours, à commencer par ce qu’il y a de plus ordinaire, mais pas moins important : la maladie, les disputes et plus généralement toutes ces situations qui font obstacle au dialogue dans le couple.

Or sans dialogue, sans échange, sans compromis, le couple marié ne peut pas fonctionner, à tout le moins s’agissant de l’accomplissement des actes les plus graves, soit ceux qui requièrent le consentement des deux époux.

Que faire lorsque le couple rencontre des difficultés qui peuvent aller du simple désaccord à l’impossibilité pour un époux d’exprimer sa volonté ?

Afin de permettre au couple de surmonter ces difficultés, le législateur a mis en place plusieurs dispositifs énoncés aux articles 217, 219 et 220-1 du Code civil.

Parmi ces dispositifs qui visent spécifiquement à régler les situations de crise traversées par le couple marié on compte :

  • L’autorisation judiciaire
  • La représentation judiciaire
  • La sauvegarde judiciaire.

Tandis que les deux premières mesures visent à étendre les pouvoirs d’un époux afin de lui permettre d’accomplir seul un acte qui, en temps normal, supposerait l’accord de son conjoint, la troisième mesure a, quant à elle, pour effet de restreindre le pouvoir de l’époux qui manquerait gravement à ses devoirs et mettrait en péril les intérêts de la famille.

Nous nous focaliserons ici sur la représentation judiciaire.

La mesure de représentation judiciaire est envisagée à l’article 219 du Code civil. Ce texte prévoit que « si l’un des époux se trouve hors d’état de manifester sa volonté, l’autre peut se faire habiliter par justice à le représenter, d’une manière générale, ou pour certains actes particuliers, dans l’exercice des pouvoirs résultant du régime matrimonial, les conditions et l’étendue de cette représentation étant fixées par le juge. »

Il ressort de cette disposition qu’un époux peut donc se faire habiliter judiciairement à l’effet d’agir en représentation de son conjoint, soit d’accomplir des actes au nom et pour le compte de ce dernier.

À l’instar de l’autorisation judiciaire, cette mesure est issue de la loi du 22 septembre 1942. L’objectif recherché par le législateur était d’étendre les pouvoirs de la femme mariée qui devait être en capacité, en l’absence de son mari, d’accomplir les actes nécessaires au fonctionnement de la famille et de pourvoir à ses besoins.

La représentation judiciaire se différencie toutefois de l’autorisation judiciaire sur quatre points essentiels :

  • En premier lieu, la représentation a pour effet d’engager personnellement le conjoint représenté, tandis que l’autorisation judiciaire ne peut jamais obliger l’époux qui n’a pas consenti à l’acte. Elle engage uniquement, à titre personnel, l’époux auquel elle a été délivrée.
  • En deuxième lieu, l’habilitation d’un époux à l’effet de représenter son conjoint ne peut être délivrée que dans l’hypothèse où ce dernier est hors d’état de manifester sa volonté. Contrairement à l’autorisation judiciaire, elle ne peut jamais être octroyée aux fins de surmonter le refus d’un époux de consentir à un acte, peu importe que ce refus soit justifié ou non par l’intérêt de la famille.
  • En troisième lieu, il est indifférent que l’époux habilité soit investi d’un pouvoir sur le bien qui fait l’objet de l’acte accompli en représentation du conjoint, alors qu’il s’agit là d’une condition de délivrance de l’autorisation judiciaire.
  • En quatrième lieu, tandis que l’autorisation judiciaire est toujours délivrée pour l’accomplissement d’un ou plusieurs actes déterminés, la représentation judiciaire confère, au conjoint habilité un pouvoir général qui lui permet d’accomplir tout acte utile dans l’intérêt de l’époux représenté.

Afin d’appréhender le régime de la représentation judiciaire dans toutes ses composantes, il conviendra d’envisager, tout d’abord, les conditions de l’habilitation, puis les règles de procédure applicables et, enfin, les effets de la représentation.

I) Les conditions de la représentation judiciaire

A) Conditions quant aux circonstances

En application de l’article 219 du Code civil, un époux ne peut être habilité par le juge à l’effet de représenter son conjoint que dans l’hypothèse où ce dernier « se trouve hors d’état de manifester sa volonté ».

C’est là une différence fondamentale avec l’autorisation judiciaire qui peut également être délivrée si le refus du conjoint « n’est pas justifié par l’intérêt de la famille. »

Cette situation de crise n’étant pas visée par l’article 219, elle ne pourra jamais fonder l’octroi d’une habilitation judiciaire.

La raison en est que l’on ne saurait engager un époux contre son gré. Admettre le contraire reviendrait à porter atteinte au principe d’autonomie de la volonté.

Aussi, la représentation judiciaire n’a-t-elle été envisagée par le législateur que pour le cas où un époux est dans l’incapacité de consentir à l’accomplissement d’un acte.

La question qui ici se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par la formule « hors d’état de manifester sa volonté. »

Faute de précision à l’article 219 sur cette situation de crise, la doctrine suggère de se reporter à l’article 373 du Code civil qui prévoit que « est privé de l’exercice de l’autorité parentale le père ou la mère qui est hors d’état de manifester sa volonté, en raison de son incapacité, de son absence ou de toute autre cause. »

Il s’infère de ce texte que l’impossibilité pour un époux de manifester sa volonté correspondrait à :

  • D’une part, deux situations juridiquement bien identifiées que sont l’absence et l’incapacité
  • D’autre part, une troisième situation qui laisse le champ des possibles ouvert, puisque est seulement visée « toute autre cause ».

S’appuyant sur cette base textuelle pour déterminer ce que l’on devait entendre par « hors d’état de manifester sa volonté » la jurisprudence a jugé que les situations visées par l’article 373 recouvraient trois cas que sont :

  • L’absence
  • L’altération des facultés mentales
  • L’éloignement
  1. Sur l’absence

Cette situation est envisagée aux articles 112 à 132 du Code civil.

À cet égard, l’article 112 prévoit que « lorsqu’une personne a cessé de paraître au lieu de son domicile ou de sa résidence sans que l’on en ait eu de nouvelles, le juge des tutelles peut, à la demande des parties intéressées ou du ministère public, constater qu’il y a présomption d’absence. »

Dès lors que la présomption d’absence produit ses effets, ce qui suppose une constatation judiciaire par le juge des tutelles, le conjoint de la personne présumée absente peut se voir confier la gestion de ses biens.

À cet égard, il pourra notamment solliciter une habilitation judiciaire sur le fondement de l’article 219 du Code civil à l’effet d’accomplir un ou plusieurs actes au nom et pour le compte de son conjoint.

2. L’altération des facultés mentales

Bien que l’article 373 du Code civil vise seulement la situation d’incapacité, la jurisprudence considère que les mécanismes d’autorisation judiciaire et de représentation institués respectivement aux articles 217 et 219 du Code civil sont susceptibles de jouer plus largement en cas d’altération des facultés mentales d’un époux.

Il s’agit de l’hypothèse où ce dernier, sans nécessairement être frappé d’une incapacité (tutelle, curatelle, sauvegarde de justice, etc.), est privé de sa capacité de discernement à telle enseigne qu’il est inapte à exprimer une volonté libre et éclairée.

Cette inaptitude est de nature :

  • Tantôt à affecter la validité des actes qu’il accomplirait et notamment ceux qui requièrent le consentement des deux époux.
  • Tantôt à l’empêcher d’accomplir des actes nécessaires à la préservation de ses intérêts propres

Afin de remédier à cette situation qui, non seulement risque de causer un préjudice à l’époux qui se trouve hors d’état de manifester sa volonté, mais encore est susceptible de bloquer le fonctionnement du ménage, il est nécessaire que son conjoint puisse agir seul.

Pour ce faire, deux dispositifs sont susceptibles d’être mise en place :

  • Le premier dispositif relève du droit des incapacités: il s’agit de l’adoption d’une mesure de protection judiciaire (tutelle, curatelle ou sauvegarde de justice)
  • Le second relève du droit des régimes matrimoniaux: il s’agit de l’application des articles 217 ou 219 du Code civil (autorisation ou représentation judiciaires)

==> L’adoption d’une mesure de protection judiciaire

L’article 425 du Code civil prévoit que « toute personne dans l’impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts en raison d’une altération, médicalement constatée, soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles de nature à empêcher l’expression de sa volonté peut bénéficier d’une mesure de protection juridique »

Il ressort de cette disposition que lorsque les facultés mentales d’une personne sont altérées, il est susceptible – il n’y a là rien d’automatique – de faire l’objet d’une mesure de protection judiciaire, laquelle aura pour effet de le frapper d’une incapacité d’exercice plus ou moins étendue selon la mesure retenue par le juge des tutelles.

À l’analyse, les incapacités se divisent en deux catégories

  • Première catégorie : les majeurs frappés d’une incapacité d’exercice générale
    • Il s’agit des majeurs qui font l’objet d’une mesure de tutelle
    • L’incapacité d’exercice générale ne signifie pas qu’ils ne disposent pas de la faculté à être titulaire de droits
    • Ils ne sont nullement privés de leur capacité de jouissance générale.
    • Ils n’ont simplement pas la capacité d’exercer les droits dont ils sont titulaires.
    • Il leur faut être représentés par un tuteur pour l’accomplissement, tant des actes les plus graves (actes de disposition), que des actes de la vie courante (actes d’administration)
  • Seconde catégorie : les majeurs frappés d’une incapacité d’exercice spéciale
    • Il s’agit ici des majeurs qui font l’objet :
      • Soit d’une sauvegarde de justice
      • Soit d’une curatelle
      • Soit d’un mandat de protection future
    • En somme, ces personnes peuvent accomplir seules la plupart des actes de la vie courante.
    • Toutefois, pour les actes de disposition les plus graves, elles doivent se faire représenter.
    • L’étendue de leur capacité dépend de la mesure de protection dont elles dont l’objet.

==> Articulation entre droit des régimes matrimoniaux et droit des incapacités

La question s’est rapidement posée de savoir comment se combine le droit des incapacités avec le droit des régimes matrimoniaux qui, dans les hypothèses visées aux articles 217 et 219 du Code civil, étend les pouvoirs d’un époux aux fins de lui permettre d’accomplir des actes sans le consentement de son conjoint et qui, selon la mesure retenue, l’engage ou non.

L’articulation de ces deux branches du droit est envisagée à l’article 428 du Code civil qui prévoit que « la mesure de protection judiciaire ne peut être ordonnée par le juge qu’en cas de nécessité et lorsqu’il ne peut être suffisamment pourvu aux intérêts de la personne par la mise en œuvre du mandat de protection future conclu par l’intéressé, par l’application des règles du droit commun de la représentation, de celles relatives aux droits et devoirs respectifs des époux et des règles des régimes matrimoniaux, en particulier celles prévues aux articles 217, 219, 1426 et 1429 ou, par une autre mesure de protection moins contraignante. »

Il s’infère de cette disposition, issue de la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs, qu’est institué un principe de subsidiarité s’agissant de l’adoption d’une mesure de protection judiciaire.

Aussi, lorsqu’il est saisi d’une demande de mise en place d’une mesure de tutelle, de curatelle ou de sauvegarde de justice, le juge des tutelles doit désormais vérifier, au préalable, si les règles des régimes matrimoniaux, en particulier les articles 217, 219, 1426 et 1429 du Code civil, ne permettent pas de pourvoir, seuls, aux intérêts de la personne concernée.

L’objectif recherché ici par le législateur est que les mesures de protection judiciaire, qui sont assorties de lourdes contraintes, tant pour le majeur incapable, que pour son protecteur, ne puissent être adoptées qu’en dernier recours.

Il en résulte une primauté de l’application des articles 217 et 219 du Code civil sur la mise en place de ces mesures de protection.

Cette primauté n’est toutefois pas sans limite. Lorsqu’un mandat de protection future a été valablement régularisé, l’article 483, al. 1er, 4° interdit sa révocation au motif qu’il peut être suffisamment pourvu aux intérêts de la personne par l’application des règles du droit commun de la représentation, de celles relatives aux droits et devoirs respectifs des époux et des règles des régimes matrimoniaux.

Cette interdiction résulte de la loi n°2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice qui a notamment toiletté certaines dispositions régissant la protection des majeurs incapables.

Lorsque, dès lors, un mandat de protection est activé, il prime sur tout autre dispositif de protection, y compris les règles qui relèvent du régime matrimonial des époux, sauf à ce que l’acte envisagé ne soit pas couvert par le mandat.

==> Mise en œuvre

L’articulation entre l’article 428, qui relève du droit des incapacités, et les dispositifs institués aux articles 217 et 219 qui relèvent du droit des régimes matrimoniaux conduit à distinguer deux situations :

  • L’application des articles des articles 217 et 219 permet de pourvoir aux intérêts de la personne hors d’état de manifester sa volonté
    • En pareille hypothèse, parce que ces dispositions priment la mise en place d’une mesure de protection judiciaire, le juge des tutelles ne pourra faire droit à la demande d’adoption d’une tutelle, d’une curatelle ou encore d’une sauvegarde de justice.
    • Les actes qui requièrent le consentement de l’époux hors d’état de manifester sa volonté ne pourront être accomplis que dans le cadre, soit d’une autorisation judiciaire, soit de la représentation judiciaire.
    • Le conjoint pourra ainsi pourvoir aux intérêts propres de celui qui est hors d’état de manifester sa volonté et à continuer à faire fonctionner le ménage par le jeu des seuls articles 217 et 219 du Code civil.
  • L’application des articles des articles 217 et 219 ne permet pas de pourvoir aux intérêts de la personne hors d’état de manifester sa volonté
    • Dans cette hypothèse, une mesure de protection judiciaire pourra être adoptée à la faveur de l’époux dont les facultés mentales sont altérées.
    • Est-ce à dire que la mise en place d’une telle mesure est exclusive de la délivrance d’une autorisation judiciaire ou de la mise en place de la représentation judiciaire ?
    • Il n’en est rien. Ces mesures, qui relèvent du droit des régimes matrimoniaux, pourront toujours être prises pour les actes non couverts par la mesure de protection judiciaire.
    • Si, par exemple, l’époux sous sauvegarde de justice conserve sa capacité à aliéner des immeubles, son conjoint pourra solliciter une habilitation pour agir en représentation de ce dernier quant à la vente de la résidence secondaire du couple.

3. Sur l’éloignement

La jurisprudence considère que la formule « hors d’état de manifester sa volonté » recouvre la situation d’éloignement d’un époux qui, sans être sous le coup d’une présomption d’absence, serait dans l’incapacité matérielle de régulariser l’acte envisagé.

Cet éloignement peut être tout autant volontaire qu’involontaire. Il se peut, par exemple, que l’époux soit en déplacement à l’autre bout du monde, qu’il soit retenu en captivité (otage) ou encore qu’il soit injoignable.

Dans ces hypothèses, il est admis que les dispositifs de l’autorisation judiciaire et de la représentation puissent jouer.

B) Conditions quant aux pouvoirs

L’article 219, al. 1er du Code civil prévoit que si un époux peut être habilité à l’effet de représenter son conjoint qui se trouve hors d’état de manifester sa volonté, le mandat judiciaire qui lui est confié ne peut jouer que « dans l’exercice des pouvoirs résultant du régime matrimonial ».

De l’avis des auteurs, cette précision apportée par le texte quant au périmètre de la représentation n’est pas sans présenter une certaine ambiguïté.

La question se pose en effet de savoir dans l’exercice de quels pouvoirs le conjoint de l’époux empêché peut être habilité à le représenter[1].

Pour répondre à cette question il convient de revenir à l’ancienne rédaction de l’article 219 du Code civil qui visait, non pas « les pouvoirs résultant du régime matrimonial », mais les « pouvoirs que le contrat de mariage attribue » à l’époux empêché.

Cette formulation, qui était en vigueur sous l’empire de la loi du 22 septembre 1942, avait conduit les auteurs à se demander s’il n’y avait pas lieu d’exclure du périmètre de la représentation fondé sur l’article 219 du Code civil les pouvoirs des époux portant sur leurs bien propres.

Deux approches sont envisageables :

  • Première approche
    • Cette approche consiste à considérer que les pouvoirs dont sont investis les époux sur leurs biens propres leur sont conférés, non pas par leur statut matrimonial, mais par leur qualité de propriétaire.
    • Admettre cette thèse revient alors à exclure la représentation judiciaire d’un époux pour l’accomplissement d’actes portant sur ces biens propres.
    • L’article 219 autorise, un effet, la représentation d’un époux empêché s’agissant du seul exercice des pouvoirs que « le contrat de mariage [lui] attribue».
    • Les pouvoirs portant sur les biens propres ne résultant pas du statut matrimonial, ils ne peuvent donc pas être exercés par le biais d’une représentation judiciaire.
  • Seconde approche
    • Il s’agit ici de considérer que les pouvoirs dont sont investis les époux sur leurs biens propres leur sont conférés, non pas par leur qualité de propriétaire, mais par leur statut matrimonial.
    • Dans cette hypothèse, et à la différence de la première approche, la représentation judiciaire est susceptible d’intervenir pour l’accomplissement d’actes portant sur les biens propres, puisque envisagée par l’article 219 du Code civil qui vise expressément les « pouvoirs résultant du régime matrimonial».
    • L’époux empêché pourra donc se faire représenter par son conjoint pour les actes portant, tant sur les biens communs, que sur ses biens propres.

Manifestement, selon que l’on retient l’une ou l’autre approche le périmètre de la représentation judiciaire s’en trouvera plus ou moins étendu.

  • La première approche conduit à limiter la représentation du conjoint empêché à l’accomplissement des actes portant sur les seuls biens communs.
  • La seconde approche permet, quant à elle, d’étendre la représentation de l’époux empêché à ses biens propres.

La doctrine a majoritairement opté pour l’adoption de la seconde approche qui serait conforme à l’esprit de l’article 219 du Code civil.

Cette disposition vise, en effet, à étendre les pouvoirs d’un époux en cas d’empêchement de son conjoint en vue, non seulement de préserver ses intérêts, mais encore de pourvoir aux besoins du ménage.

Restreindre le domaine de l’article 219 à la représentation des seuls pouvoirs portant sur les biens communs reviendrait à écarter son application pour les régimes séparatistes.

Cette restriction serait, par ailleurs, de nature à le rendre inefficace quant à résoudre les situations de crise impliquant des biens propres de l’époux empêché.

Le dispositif institué à l’article 219 comporterait ainsi un angle mort auquel il ne pourrait nullement être remédié par le recours à l’article 217 du Code civil.

Une autorisation judiciaire ne peut, en effet, être sollicité que pour les actes se rapportant à un bien sur lequel le demandeur détient une fraction de pouvoir. Or tel n’est pas le cas, lorsque le bien appartient en propre à l’époux empêché. L’article 217 est donc inapplicable pour cette catégorie de biens.

Seule alternative qui s’offre au conjoint : la mise en place d’un mandat de protection future et, le cas, échéant, d’une mesure de protection judiciaire (tutelle, curatelle ou sauvegarde de justice).

Il s’agit là, néanmoins, de mesures qui ne sont pas toujours adaptées à la situation de crise concernée en raison, notamment, des contraintes qu’elles impliquent.

Pour toutes les raisons ci-avant exposées, la doctrine a plaidé pour une application de l’article 219 aux actes portant, tant les biens communs, que les biens propres de l’époux empêché.

Son vœu a été exaucé, puisque par un arrêt du 18 février 1981, la Cour de cassation a jugé que « l’article 219 du code civil est applicable quel que soit le régime matrimonial des époux et même si le conjoint dont la représentation est demandée est déjà placé sous l’un des régimes de protection institué par la loi n° 68-5 du 3 janvier 1968 portant réforme du droit des incapables majeurs » (Cass. 1ère civ. 18 févr. 1981, n°80-10.403).

Ainsi la représentation fondée sur l’article 219 du Code civil peut jouer dans les régimes séparatistes où les époux ne disposent d’aucuns pouvoirs réciproques sur leurs biens personnels.

Cette position, prise par la Cour de cassation en 1981, a été confirmée 4 ans plus tard dans un nouvel arrêt rendu le 1er octobre 1985.

Dans cette décision, la Première chambre civile a affirmé que « quel que soit le régime matrimonial, le mariage crée entre les époux une association d’intérêts à raison de laquelle chacun d’eux a vocation à représenter l’autre sous le contrôle du juge [et] que l’article 219 du code civil, en permettant à un époux de représenter son conjoint dans l’exercice des pouvoirs du régime matrimonial, vise donc tous les pouvoirs d’ordre patrimonial sans exclure ceux de l’époux sépare de biens sur ses biens personnels » (Cass. 1ère civ. 1er oct. 1985, n°84-12476).

La solution retenue dans cet arrêt ne présente aucune ambiguïté : un époux peut être habilité en justice sur le fondement de l’article 219 du Code civil à l’effet de le représenter pour l’accomplissement des actes portant sur tous ses biens, sans qu’il y ait lieu de distinguer entre les biens communs et les biens propres.

Il est donc indifférent que l’acte visé par la représentation fasse l’objet d’une gestion exclusive, concurrente ou conjointe. L’article 219 pourra jouer dès lors qu’il est établi que l’époux empêché se trouve hors d’état de manifester sa volonté.

C) Conditions quant aux actes

L’article 219 du Code civil prévoit que l’habilitation peut être octroyée à un époux à l’effet de représenter son conjoint :

  • Soit d’une manière générale
  • Soit pour certains actes particuliers

Ainsi, contrairement à l’autorisation judiciaire, la représentation judiciaire n’est pas cantonnée à l’accomplissement d’actes déterminés.

Un époux peut être habilité sur le fondement de l’article 219 pour représenter son conjoint de manière générale.

Selon que l’habilitation est donnée est générale ou spéciale, les actes susceptibles d’être accomplis par l’époux habilité ne sont pas les mêmes :

  • L’habilitation donnée est générale
    • Dans cette hypothèse, l’époux habilité ne pourra accomplir que des actes administration.
    • L’article 1988 du Code civil exige, en effet, l’établissement d’un mandat exprès pour les actes de disposition les plus graves.
    • Aussi, faute d’habilitation spéciale pour accomplir un acte de disposition, il lui faudra revenir devant le juge.
    • À cet égard, l’alinéa 2 de l’article 219 précise que « à défaut de pouvoir légal, de mandat ou d’habilitation par justice, les actes faits par un époux en représentation de l’autre ont effet, à l’égard de celui-ci, suivant les règles de la gestion d’affaires.»
  • L’habilitation donnée est spéciale
    • Dans cette hypothèse, si l’époux habilité pourra accomplir, tant des actes d’administration, que des actes administration, son pouvoir de représentation sera limité aux seuls actes expressément visés, dans la décision du juge.
    • Il ne pourra accomplir aucun acte qui ne serait pas mentionné dans cette décision, quand bien même l’acte accompli l’aurait été dans l’intérêt exclusif de l’époux représenté.

De son côté, le juge devra veiller à bien circonscrire le périmètre de l’habilitation donnée au conjoint sur la base des besoins exprimé dans la demande.

Surtout, il devra statuer en considération de l’intérêt de l’époux empêché. La Cour de cassation a jugé en ce sens que « s’agissant d’un acte de disposition, les juges du fond avaient à rechercher si des circonstances particulières justifiaient la vente de la maison dans l’intérêt du conjoint qui en était propriétaire » (Cass. 1ère civ. 1er oct. 1985, n°84-12476).

Bien que l’article 219 soit silencieux sur cette exigence, le demandeur devra démontrer que l’accomplissement de l’acte pour lequel il sollicite une habilitation est dans l’intérêt de son conjoint.

II) La procédure de la représentation judiciaire

L’article 1286, al. 2e du CPC dispose que la demande d’habilitation prévue par l’article 219 du code civil, lorsque le conjoint est hors d’état de manifester sa volonté est présentée au juge des tutelles.

L’article 1289 précise que cette demande ainsi que l’appel relèvent de la matière gracieuse.

À cet égard, la requête de l’époux doit être accompagnée de tous éléments de nature à établir l’impossibilité pour son conjoint de manifester sa volonté ou d’un certificat médical, si l’impossibilité est d’ordre médical.

Le juge peut, soit d’office, soit à la demande des parties, ordonner toute mesure d’instruction.

À l’audience, il entend le conjoint. Il peut toutefois, sur avis médical, décider qu’il n’y a pas lieu de procéder à cette audition.

L’article 1289-2 ajoute, enfin, que, il peut être mis fin à l’habilitation générale donnée par le juge des tutelles en application de l’article 219 du code civil, dans les mêmes formes.

III) Les effets de la représentation judiciaire

==> Les effets de la représentation à l’égard des tiers

À la différence de l’autorisation judiciaire qui n’engage que l’époux auquel elle est délivrée, la représentation judiciaire a pour effet, lorsqu’elle est mise en œuvre, d’engager le conjoint représenté.

Aussi, est-il partie à l’acte comme s’il l’avait lui-même accompli. La conséquence en est que la dette contractée au nom et pour le compte du conjoint représenté sera exécutoire sur ses biens propres.

Les biens de l’époux habilité seront, quant à eux, exclus du gage des créanciers sauf à ce qu’il se soit, en parallèle, engagé personnellement.

==> Les effets de la représentation entre les époux

La représentation judiciaire produit, entre les époux, les mêmes effets que le mandat. L’époux habilité n’est autre que le mandataire de l’époux empêché.

Il en résulte plusieurs conséquences pour l’époux habilité :

  • Il répond des dommages-intérêts qui pourraient résulter de l’inexécution du mandat ( 1991 C. civ.)
  • Il répond des fautes qu’il commet dans sa gestion ( 1992 C. civ.).
  • Il est tenu de rendre compte de sa gestion ( 1993 C. civ.)

Quant à l’époux représenté, pèse sur lui un certain nombre d’obligations :

  • Il est tenu d’exécuter les engagements contractés par le mandataire, conformément au pouvoir qui lui a été donné ( 1998 C. civ.)
  • Le mandant doit rembourser au mandataire les avances et frais que celui-ci a faits pour l’exécution du mandat, et lui payer ses salaires lorsqu’il en a été promis ( 1999 C. civ.).
  • Il doit indemniser le mandataire des pertes que celui-ci a essuyées à l’occasion de sa gestion, sans imprudence qui lui soit imputable ( 2000 C. civ.)

Ainsi que l’observent des auteurs, s’il est des règles spécifiques aux mandats entre époux qui opèrent, tant en régime de communauté, qu’en régime de séparation de biens, ces règles qui atténuent notamment la rigueur de l’obligation de rendre compte ne sont pas applicables en cas de représentation fondée sur l’article 219 du Code civil[2].

L’argument avancé consiste à dire que les mandats entre époux envisagés par les dispositions qui ne relèvent pas du régime primaire ne se conçoivent que lorsque l’époux qui les a conclus a agi en toute connaissance.

Or tel n’est pas le cas du conjoint représenté qui, par hypothèse, est investi de la qualité de mandant sans en avoir exprimé la volonté.

[1] V. en ce sens J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand Colin, 2001, n°135, p. 124.

[2] J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand Colin, 2001, n°138.

Traitement des situations de crise traversées par le couple marié: l’autorisation judiciaire (art. 217 C. civ.)

Si, comme aiment à le rappeler certains auteurs le mariage est envisagé par le droit comme ce qui « confère à la famille sa légitimité »[1] et plus encore, comme son « acte fondateur »[2], il demeure malgré tout impuissant à la mettre à l’abri des épreuves qui se dressent sur son chemin.

Pour paraphraser le titre d’un film désormais devenu célèbre mettant en scène deux familles qui évoluent dans des milieux sociaux radicalement opposés : la vie maritale n’est pas un long fleuve tranquille.

Nombre d’événements sont susceptibles d’affecter son cours, à commencer par ce qu’il y a de plus ordinaire, mais pas moins important : la maladie, les disputes et plus généralement toutes ces situations qui font obstacle au dialogue dans le couple.

Or sans dialogue, sans échange, sans compromis, le couple marié ne peut pas fonctionner, à tout le moins s’agissant de l’accomplissement des actes les plus graves, soit ceux qui requièrent le consentement des deux époux.

Que faire lorsque le couple rencontre des difficultés qui peuvent aller du simple désaccord à l’impossibilité pour un époux d’exprimer sa volonté ?

Afin de permettre au couple de surmonter ces difficultés, le législateur a mis en place plusieurs dispositifs énoncés aux articles 217, 219 et 220-1 du Code civil.

Parmi ces dispositifs qui visent spécifiquement à régler les situations de crise traversées par le couple marié on compte :

  • L’autorisation judiciaire
  • La représentation judiciaire
  • La sauvegarde judiciaire.

Tandis que les deux premières mesures visent à étendre les pouvoirs d’un époux afin de lui permettre d’accomplir seul un acte qui, en temps normal, supposerait l’accord de son conjoint, la troisième mesure a, quant à elle, pour effet de restreindre le pouvoir de l’époux qui manquerait gravement à ses devoirs et mettrait en péril les intérêts de la famille.

Nous nous focaliserons ici sur l’autorisation judiciaire.

Cette mesure est envisagée à l’article 217 du Code civil. Lorsqu’elle est prononcée, elle permet à un époux d’accomplir un acte en son nom personnel en se dispensant de recueillir le consentement de son conjoint.

À l’examen, l’autorisation judiciaire se différencie de la représentation judiciaire sur quatre points essentiels :

  • En premier lieu, la représentation a pour effet d’engager personnellement le conjoint représenté, tandis que l’autorisation judiciaire ne peut jamais obliger l’époux qui n’a pas consenti à l’acte. Elle engage uniquement, à titre personnel, l’époux auquel elle a été délivrée.
  • En deuxième lieu, l’habilitation d’un époux à l’effet de représenter son conjoint ne peut être délivrée que dans l’hypothèse où ce dernier est hors d’état de manifester sa volonté. L’autorisation judiciaire peut, quant à elle peut, quant à elle, également être octroyée aux fins de surmonter le refus d’un époux de consentir à un acte, peu importe que ce refus soit justifié ou non par l’intérêt de la famille.
  • En troisième lieu, il est indifférent que l’époux habilité soit investi d’un pouvoir sur le bien qui fait l’objet de l’acte accompli en représentation du conjoint, alors qu’il s’agit là d’une condition de délivrance de l’autorisation judiciaire.
  • En quatrième lieu, tandis que l’autorisation judiciaire est toujours délivrée pour l’accomplissement d’un ou plusieurs actes déterminés, la représentation judiciaire confère, au conjoint habilité un pouvoir général qui lui permet d’accomplir tout acte utile dans l’intérêt de l’époux représenté.

L’autorisation judiciaire est issue de la loi du 22 septembre 1942. L’objectif recherché par le législateur était d’étendre les pouvoirs de la femme mariée qui devait être en capacité, en l’absence de son mari, d’accomplir les actes nécessaires au fonctionnement de la famille et de pourvoir à ses besoins.

Son régime a, par suite, été très légèrement retouché par la loi n° 65-570 du 13 juillet 1965, puis par la loi n°85-1372 du 23 décembre 1985.

Ces deux lois n’ont toutefois pas fondamentalement modifié l’économie générale de l’article 217 du Code civil.

I) Les conditions de l’autorisation judiciaire

A) Conditions quant aux circonstances

En application de l’article 217 du Code civil, deux situations de crise sont susceptibles de donner lieu à la délivrance par le juge d’une autorisation judiciaire à un époux aux fins d’accomplir un acte qui, en situation normale, requerrait le consentement de son conjoint.

Le texte prévoit en ce sens que, un époux peut être autorisé par justice à passer seul un acte pour lequel le concours ou le consentement de son conjoint serait nécessaire :

  • Soit si celui-ci est hors d’état de manifester sa volonté
  • Soit si son refus n’est pas justifié par l’intérêt de la famille.
  1. S’agissant de l’impossibilité pour un époux de manifester sa volonté

La question qui ici se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par la formule « hors d’état de manifester sa volonté. »

Faute de précision à l’article 217 sur cette situation de crise, la doctrine suggère de se reporter à l’article 373 du Code civil qui prévoit que « est privé de l’exercice de l’autorité parentale le père ou la mère qui est hors d’état de manifester sa volonté, en raison de son incapacité, de son absence ou de toute autre cause. »

Il s’infère de ce texte que l’impossibilité pour un époux de manifester sa volonté correspondrait à :

  • D’une part, deux situations juridiquement bien identifiées que sont l’absence et l’incapacité
  • D’autre part, une troisième situation qui laisse le champ des possibles ouvert, puisque est seulement visée « toute autre cause ».

S’appuyant sur cette base textuelle pour déterminer ce que l’on devait entendre par « hors d’état de manifester sa volonté » la jurisprudence a jugé que les situations visées par l’article 373 recouvraient trois cas que sont :

  • L’absence
  • L’altération des facultés mentales
  • L’éloignement

a) Sur l’absence

Cette situation est envisagée aux articles 112 à 132 du Code civil.

À cet égard, l’article 112 prévoit que « lorsqu’une personne a cessé de paraître au lieu de son domicile ou de sa résidence sans que l’on en ait eu de nouvelles, le juge des tutelles peut, à la demande des parties intéressées ou du ministère public, constater qu’il y a présomption d’absence. »

Dès lors que la présomption d’absence produit ses effets, ce qui suppose une constatation judiciaire par le juge des tutelles, le conjoint de la personne présumée absente peut se voir confier la gestion de ses biens.

À cet égard, il pourra notamment solliciter une autorisation judiciaire sur le fondement de l’article 217 du Code civil pour accomplir seul l’acte qui exige le consentement des deux époux.

b) L’altération des facultés mentales

Bien que l’article 373 du Code civil vise seulement la situation d’incapacité, la jurisprudence considère que les mécanismes d’autorisation judiciaire et de représentation institués respectivement aux articles 217 et 219 du Code civil sont susceptibles de jouer plus largement en cas d’altération des facultés mentales d’un époux.

Il s’agit de l’hypothèse où ce dernier, sans nécessairement être frappé d’une incapacité (tutelle, curatelle, sauvegarde de justice, etc.), est privé de sa capacité de discernement à telle enseigne qu’il est inapte à exprimer une volonté libre et éclairée.

Cette inaptitude est de nature à affecter la validité des actes qu’il accomplirait et notamment ceux qui requièrent le consentement des deux époux.

Reste que son conjoint doit pouvoir continuer à pourvoir aux intérêts du ménage, sans risquer de voir les actes qu’il réalise remis en cause.

Aussi, est-il nécessaire qu’il puisse agir seul, à tout le moins que l’époux qui se trouve hors d’état de manifester sa volonté soit représenté.

Pour ce faire, deux dispositifs sont susceptibles d’être mise en place :

  • Le premier dispositif relève du droit des incapacités: il s’agit de l’adoption d’une mesure de protection judiciaire (tutelle, curatelle ou sauvegarde de justice)
  • Le second relève du droit des régimes matrimoniaux: il s’agit de l’application des articles 217 ou 219 du Code civil (autorisation ou représentation judiciaires)

==> L’adoption d’une mesure de protection judiciaire

L’article 425 du Code civil prévoit que « toute personne dans l’impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts en raison d’une altération, médicalement constatée, soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles de nature à empêcher l’expression de sa volonté peut bénéficier d’une mesure de protection juridique »

Il ressort de cette disposition que lorsque les facultés mentales d’une personne sont altérées, il est susceptible – il n’y a là rien d’automatique – de faire l’objet d’une mesure de protection judiciaire, laquelle aura pour effet de le frapper d’une incapacité d’exercice plus ou moins étendue selon la mesure retenue par le juge des tutelles.

À l’analyse, les incapacités se divisent en deux catégories

  • Première catégorie : les majeurs frappés d’une incapacité d’exercice générale
    • Il s’agit des majeurs qui font l’objet d’une mesure de tutelle
    • L’incapacité d’exercice générale ne signifie pas qu’ils ne disposent pas de la faculté à être titulaire de droits
    • Ils ne sont nullement privés de leur capacité de jouissance générale.
    • Ils n’ont simplement pas la capacité d’exercer les droits dont ils sont titulaires.
    • Il leur faut être représentés par un tuteur pour l’accomplissement, tant des actes les plus graves (actes de disposition), que des actes de la vie courante (actes d’administration)
  • Seconde catégorie : les majeurs frappés d’une incapacité d’exercice spéciale
    • Il s’agit ici des majeurs qui font l’objet :
      • Soit d’une sauvegarde de justice
      • Soit d’une curatelle
      • Soit d’un mandat de protection future
    • En somme, ces personnes peuvent accomplir seules la plupart des actes de la vie courante.
    • Toutefois, pour les actes de disposition les plus graves, elles doivent se faire représenter.
    • L’étendue de leur capacité dépend de la mesure de protection dont elles dont l’objet.

==> Articulation entre droit des régimes matrimoniaux et droit des incapacités

La question s’est rapidement posée de savoir comment se combine le droit des incapacités avec le droit des régimes matrimoniaux qui, dans les hypothèses visées aux articles 217 et 219 du Code civil, étend les pouvoirs d’un époux aux fins de lui permettre d’accomplir des actes sans le consentement de son conjoint.

L’articulation de ces deux branches du droit est envisagée à l’article 428 du Code civil qui prévoit que « la mesure de protection judiciaire ne peut être ordonnée par le juge qu’en cas de nécessité et lorsqu’il ne peut être suffisamment pourvu aux intérêts de la personne par la mise en œuvre du mandat de protection future conclu par l’intéressé, par l’application des règles du droit commun de la représentation, de celles relatives aux droits et devoirs respectifs des époux et des règles des régimes matrimoniaux, en particulier celles prévues aux articles 217, 219, 1426 et 1429 ou, par une autre mesure de protection moins contraignante. »

Il s’infère de cette disposition, issue de la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs, qu’est institué un principe de subsidiarité s’agissant de l’adoption d’une mesure de protection judiciaire.

Aussi, lorsqu’il est saisi d’une demande de mise en place d’une mesure de tutelle, de curatelle ou de sauvegarde de justice, le juge des tutelles doit désormais vérifier, au préalable, si les règles des régimes matrimoniaux, en particulier les articles 217, 219, 1426 et 1429 du Code civil, ne permettent pas de pourvoir, seuls, aux intérêts de la personne concernée.

L’objectif recherché ici par le législateur est que les mesures de protection judiciaire, qui sont assorties de lourdes contraintes, tant pour le majeur incapable, que pour son protecteur, ne puissent être adoptées qu’en dernier recours.

Il en résulte une primauté de l’application des articles 217 et 219 du Code civil sur la mise en place de ces mesures de protection.

Cette primauté n’est toutefois pas sans limite. Lorsqu’un mandat de protection future a été valablement régularisé, l’article 483, al. 1er, 4° interdit sa révocation au motif qu’il peut être suffisamment pourvu aux intérêts de la personne par l’application des règles du droit commun de la représentation, de celles relatives aux droits et devoirs respectifs des époux et des règles des régimes matrimoniaux.

Cette interdiction résulte de la loi n°2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice qui a notamment toiletté certaines dispositions régissant la protection des majeurs incapables.

Lorsque, dès lors, un mandat de protection est activé, il prime sur tout autre dispositif de protection, y compris les règles qui relèvent du régime matrimonial des époux, sauf à ce que l’acte envisagé ne soit pas couvert par le mandat.

==> Mise en œuvre

L’articulation entre l’article 428, qui relève du droit des incapacités, et les dispositifs institués aux articles 217 et 219 qui relèvent du droit des régimes matrimoniaux conduit à distinguer deux situations :

  • L’application des articles des articles 217 et 219 permet de pourvoir aux intérêts de la personne hors d’état de manifester sa volonté
    • En pareille hypothèse, parce que ces dispositions priment la mise en place d’une mesure de protection judiciaire, le juge des tutelles ne pourra faire droit à la demande d’adoption d’une tutelle, d’une curatelle ou encore d’une sauvegarde de justice.
    • Les actes qui requièrent le consentement de l’époux hors d’état de manifester sa volonté ne pourront être accomplis que dans le cadre, soit d’une autorisation judiciaire, soit de la représentation judiciaire.
    • Le conjoint pourra ainsi à continuer à faire fonctionner le ménage par le jeu des seuls articles 217 et 219 du Code civil.
  • L’application des articles des articles 217 et 219 ne permet pas de pourvoir aux intérêts de la personne hors d’état de manifester sa volonté
    • Dans cette hypothèse, une mesure de protection judiciaire pourra être adoptée à la faveur de l’époux dont les facultés mentales sont altérées.
    • Est-ce à dire que la mise en place d’une telle mesure est exclusive de la délivrance d’une autorisation judiciaire ou de la mise en place de la représentation judiciaire ?
    • Il n’en est rien. Ces mesures, qui relèvent du droit des régimes matrimoniaux, pourront toujours être prises pour les actes non couverts par la mesure de protection judiciaire.
    • Si, par exemple, l’époux sous sauvegarde de justice conserve sa capacité à aliéner des immeubles, son conjoint pourra solliciter une autorisation judiciaire pour accomplir seul l’acte de vente de la résidence secondaire du couple.

c) Sur l’éloignement

La jurisprudence considère que la formule « hors d’état de manifester sa volonté » recouvre la situation d’éloignement d’un époux qui, sans être sous le coup d’une présomption d’absence, serait dans l’incapacité matérielle de régulariser l’acte envisagé.

Cet éloignement peut être tout autant volontaire qu’involontaire. Il se peut, par exemple, que l’époux soit en déplacement à l’autre bout du monde, qu’il soit retenu en captivité (otage) ou encore qu’il soit injoignable.

Dans ces hypothèses, il est admis que les dispositifs de l’autorisation judiciaire et de la représentation puissent jouer.

2. S’agissant du refus d’un époux qui n’est pas justifié par l’intérêt de la famille

Seconde circonstance susceptible de justifier la délivrance d’une autorisation judiciaire : le refus d’un époux d’accomplir un acte qui n’est pas justifié par l’intérêt de la famille.

C’est là une différence majeure avec la mise en place d’une représentation judiciaire qui n’est pas subordonnée à la caractérisation de cette circonstance.

Dans cette hypothèse de refus contraire à l’intérêt de la famille, le juge peut donc autoriser le conjoint à accomplir seul cet acte qui, en temps normal, requiert le consentement des deux époux.

La question qui immédiatement se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par intérêt de la famille. Que recouvre cette notion que l’on retrouve dans de nombreuses autres dispositions du Code civil et notamment à l’article 1397 qui régit le changement de régime matrimonial.

À l’analyse, la notion d’intérêt de la famille n’est définie par aucun texte. La raison en est que le législateur a souhaité conférer une liberté d’appréciation au juge qui donc n’est pas entravé dans son appréhension de la situation qui lui est soumise.

Dans un arrêt du 6 janvier 1976, la Cour de cassation est seulement venue préciser, dans une affaire se rapportant à un changement de régime matrimonial, que « l’existence et la légitimé d’un tel intérêt doivent faire l’objet d’une appréciation d’ensemble, le seul fait que l’un des membres de la famille de se trouver lésé n’interdisant pas nécessairement la modification ou le changement envisagé » (Cass. 1ère civ. 6 janv. 1976, n°74-12.212).

Il s’infère de cette décision que la notion d’intérêt de la famille doit faire l’objet d’une appréciation d’ensemble.

Autrement dit, il appartient au juge d’apprécier cet intérêt pris dans sa globalité, soit en considération des intérêts de chaque membre de la famille, étant précisé que la jurisprudence tient compte, tant des intérêts des époux, que de celui des enfants.

La Cour d’appel de Paris a jugé en ce sens que « les descendants des époux doivent être pris en compte pour l’appréciation objective qui doit être donnée de l’intérêt de la famille pris dans sa globalité » (CA Paris, 11 sept. 1997).

L’intérêt de la famille doit ainsi être apprécié par le juge comme constituant un tout, ce qui exige qu’il cherche à en avoir une vue d’ensemble.

Aussi, l’intérêt de la famille ne saurait se confondre avec l’intérêt personnel d’un seul de ses membres.

Et s’il est des cas où c’est la préservation d’un intérêt individuel qui guidera la décision de juge quant à retenir l’intérêt de la famille. Reste qu’il ne pourra statuer en ce sens qu’après avoir réalisé une balance des intérêts en présence.

Quelles sont les situations de refus du conjoint d’accomplir un acte non justifié par l’intérêt de la famille ?

Il s’agit, la plupart du temps, de situations qui présentent un enjeu pécuniaire, bien que l’intérêt de la famille puisse être tout autant d’ordre patrimonial, que d’ordre extrapatrimonial.

Tel sera notamment le cas dans l’hypothèse où un époux s’oppose à accomplir un acte qui vise à apurer le passif du ménage en aliénant un bien commun (Cass. 1ère civ. 31 janv. 1974).

L’intérêt de la famille a encore été reconnu s’agissant de la vente du logement familial dont l’entretien était devenu trop coûteux et qui ne pouvait plus être assuré au regard des ressources financières du couple (Cass. 1ère civ. 23 juin 1993, n°92-10945).

En revanche, l’intérêt de la famille n’a pas été retenu s’agissant d’une épouse qui s’était opposée à la cession, par son mari, de parts sociales d’une société à responsabilité limitée dont il était le gérant (CA Douai, 9 mars 2006, n° 06/00584).

S’agissant de la charge de la preuve, dans la mesure où l’intérêt de la famille doit faire l’objet d’une appréciation d’ensemble, elle pèserait, selon André Colomer, sur les deux époux, chacun devant convaincre le juge du caractère justifié ou injustifié du refus d’accomplir l’acte discuté.

Reste que, en cas de doute, il conviendra d’appliquer l’article 1353 du Code civil, qui fait peser la charge de la preuve sur l’époux qui sollicite une autorisation (V. en ce sens CA Grenoble 7 nov. 1972).

B) Conditions quant aux actes

Tous les actes susceptibles d’être accomplis par un époux ne permettent pas d’obtenir une autorisation judiciaire sur le fondement de l’article 217 du Code civil.

Cette autorisation ne peut être délivrée que :

  • D’une part, pour les actes soumis à cogestion ou codécision
  • D’autre part, pour des actes déterminés

==> Des actes soumis à cogestion/codécision

Il s’infère de l’article 217 du Code civil que seuls les actes dont l’accomplissement requiert le consentement des deux époux peuvent donner lieu à la délivrance d’une autorisation judiciaire.

Cette disposition vise plus précisément les actes pour lesquels « le concours ou le consentement de son conjoint serait nécessaire ».

  • S’agissant des actes qui exigent le concours du conjoint, il s’agit de ceux soumis à cogestion, soit pour lesquels les deux époux doivent être partie à l’acte
    • Exemple: disposer entre vifs, à titre gratuit, des biens de la communauté ( 1422 C. civ.) ou encore aliéner ou grever de droits réels les immeubles, fonds de commerce et exploitations dépendant de la communauté (art. 1424 C. civ.)
  • S’agissant des actes qui exigent le consentement du conjoint, il s’agit de ceux soumis à la codécision, soit pour lesquels le conjoint doit seulement donner son accord, sans pour autant être partie à l’acte
    • Exemple: aliénation du logement familial ou des meubles meublants qui appartiennent en propre à un époux ( 215, al. 3e C. civ.).

Parce que ne peuvent donner lieu à la délivrance d’une autorisation judiciaire les actes soumis à cogestion ou à codécision, l’article 217 du Code civil est inapplicable s’agissant de l’accomplissement d’un acte portant sur un bien propre du conjoint.

L’époux qui sollicite l’autorisation doit être investi d’une fraction de pouvoir sur le bien. C’est parce que ce pouvoir est insuffisant qu’il est fondé à saisir le juge pour être autorisé à accomplir l’acte envisagé sans le consentement ou le concours de son conjoint.

Aussi, en régime de séparation de biens, l’article 217 du Code civil n’a pas vocation à jouer, faute de pouvoirs réciproques des époux sur les biens de l’autre.

Il en va de même en régime de communauté pour les biens qui font l’objet d’une gestion exclusive, au nombre desquels figurent, outre les biens propres, les biens affectés à une activité professionnelle ou encore les gains et salaires.

Qu’en est-il lorsqu’un bien est détenu par les époux en indivision ? De l’avis de la doctrine et de la jurisprudence l’application du droit des régimes matrimoniaux n’est pas incompatible avec les règles qui gouvernent l’indivision.

À cet égard, lorsque les conditions de l’article 217 du Code civil sont réunies, l’application de cette disposition présente l’avantage de permettre à un époux d’accomplir seul un acte en cas de refus injustifié du conjoint, ce qui n’est pas permis en matière d’indivision où cette circonstance est indifférente.

L’article 815-3 du Code civil prévoit, en effet, que « le consentement de tous les indivisaires est requis pour effectuer tout acte qui ne ressortit pas à l’exploitation normale des biens indivis et pour effectuer tout acte de disposition autre que […] vendre des meubles indivis pour payer les dettes et charges de l’indivision » (art. 815-3 C. civ.).

En matière d’indivision, pour les actes les plus graves, c’est donc la règle de l’unanimité qui s’applique, de sorte qu’il est nécessaire que tous les indivisaires consentent à l’acte.

La jurisprudence a néanmoins admis qu’un époux puisse être autorisé, sur le fondement de l’article 217 du Code civil, à aliéner seul un bien immobilier acquis en indivision par les époux (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 19 oct. 1999, n°97-21466).

À cet égard, il peut être observé que ce résultat aurait également pu être obtenu par voie de licitation. Cette action consiste à provoquer judiciairement la cessation de l’indivision en application de l’article 815 du Code civil.

L’article 217 n’en reste pas moins une option procédurale qui confère aux époux un important pouvoir, ce qui conduit, dans un second temps, à s’interroger sur ses limites, notamment lorsqu’il est invoqué pour accomplir un acte sur un bien qui appartient en propre au conjoint.

Cette problématique se rencontrera notamment, lorsque le bien en question n’est autre que le logement familial.

Pour mémoire, l’article 215, al. 3e du code civil prévoit que « les époux ne peuvent l’un sans l’autre disposer des droits par lesquels est assuré le logement de la famille, ni des meubles meublants dont il est garni. »

L’aliénation du logement familial requiert ainsi le consentement des deux époux, y compris dans l’hypothèse où il appartiendrait en propre à un époux.

S’il est acquis que cet époux pourrait, sur le fondement de l’article 217 du Code civil, solliciter une autorisation judiciaire aux fins d’accomplir seul un acte de disposition sur le logement familial en raison, soit du refus injustifié de son conjoint, soit de son impossibilité de manifester sa volonté, l’hypothèse inverse pourrait-elle être envisagée ?

Autrement dit, l’application de l’article 217 du Code civil pourrait-elle fonder la délivrance d’une autorisation judiciaire à un époux qui souhaiterait aliéner le logement familial dont est propriétaire à titre personnel son conjoint ?

Pour la doctrine, « on en saurait admettre (par une fausse symétrie) que l’autre époux (non-propriétaire) puisse obliger son conjoint à vendre l’immeuble lui appartenant personnellement (ce qui équivaudrait à une expropriation pour cause d’intérêt familial) »[3].

La raison en est que l’article 215 du Code civil confère au conjoint, non pas un pouvoir d’administration ou de disposition sur le logement familial qui ne lui appartient pas, mais seulement un droit d’opposition.

Tout au plus, l’époux non-propriétaire pourra agir en représentation de son conjoint sur le fondement de l’article 219 du Code civil.

Quant à la circonstance où le logement familial est un bien commun ou indivis, elle ne soulève pas de difficulté dans la mesure où l’époux qui solliciterait une autorisation judiciaire pour agir seul est titulaire d’une fraction de pouvoir sur ce bien.

Le recours à l’article 217 du Code civil lui permettra alors de surmonter l’obstacle de l’article 215, al. 3e qui pose un principe de codécision pour l’accomplissement de tout acte de disposition portant sur le logement familial.

Il lui faudra néanmoins démontrer, soit que son conjoint est hors d’état de manifester sa volonté, soit que son refus d’aliéner le logement familial n’est pas justifié par l’intérêt de la famille.

==> Des actes déterminés

La lecture de l’article 217 du Code civil révèle que l’autorisation judiciaire ne peut être délivrée que pour l’accomplissement d’un acte déterminé, soit pour la réalisation d’une opération spécifique.

Le texte vise « un acte pour lequel pour lequel le concours ou le consentement de son conjoint serait nécessaire ».

On peut en déduire, que l’autorisation ne pourra jamais fonder l’octroi à un époux d’un pouvoir général sur les biens de son conjoint.

Il appartiendra donc au juge de bien circonscrire le périmètre de l’autorisation donnée. Si elle porte sur un ensemble d’actes, ils devront relever d’une opération unique qui devra être expressément visée dans la décision du juge.

II) La procédure de l’autorisation judiciaire

Afin de déterminer la juridiction compétente pour connaître d’une demande d’autorisation judiciaire fondée sur l’article 217 du Code civil, l’article 1286 du Code de procédure civile invite à distinguer deux situations :

  • La demande d’autorisation a pour cause l’impossibilité pour un époux de manifester sa volonté
    • Dans cette hypothèse, l’article 1286, al. 2e du CPC prévoit que la demande doit être adressée au Juge des tutelles.
    • L’article 1289 précise que cette demande ainsi que l’appel relèvent de la matière gracieuse.
    • À cet égard, la requête de l’époux doit être accompagnée de tous éléments de nature à établir l’impossibilité pour son conjoint de manifester sa volonté ou d’un certificat médical, si l’impossibilité est d’ordre médical.
    • Le juge peut, soit d’office, soit à la demande des parties, ordonner toute mesure d’instruction.
    • À l’audience, il entend le conjoint.
    • Il peut toutefois, sur avis médical, décider qu’il n’y a pas lieu de procéder à cette audition.
  • La demande d’autorisation a pour cause le refus injustifié du conjoint d’accomplir l’acte litigieux
    • Dans cette hypothèse, l’article 1286, al. 1er du CPC prévoit que la demande est formée par requête devant le Juge aux affaires familiales.
    • L’article 1287, al. 2e précise que la demande est instruite et jugée comme en matière gracieuse et obéit aux règles applicables à cette procédure devant le tribunal judiciaire.
    • En cas d’urgence, l’époux qui sollicite une autorisation judiciaire dispose de la possibilité d’emprunter la voie de la procédure à jour fixe, laquelle permet d’obtenir rapidement une décision. Pour ce faire, il devra :
      • Dans un premier temps saisir le Président du Tribunal par voie de requête pour être autorisé à assigner à jour fixe
      • Dans un second temps, faire délivrer une assignation à jour fixe à son conjoint
    • Dans le cadre de la procédure ordinaire, le juge entend le conjoint à moins que celui-ci, régulièrement cité, ne se présente pas. L’affaire est alors instruite et jugée en chambre du conseil.
    • En cas d’appel, celui-ci est instruit et jugé, selon les cas, comme en matière gracieuse ou comme en matière contentieuse.

III) Les effets de l’autorisation judiciaire

Lorsqu’elle est régulièrement délivrée, l’autorisation judiciaire permet à un époux d’accomplir seul un acte pour lequel le concours ou le consentement de son conjoint serait, en temps normal, nécessaire.

L’acte ainsi accompli ne pourra pas être remis en cause au motif que le consentement d’un époux fait défaut.

L’alinéa 2 de l’article 217 prévoit, en ce sens, que « l’acte passé dans les conditions fixées par l’autorisation de justice est opposable à l’époux dont le concours ou le consentement a fait défaut »

Si un époux peut, sur le fondement de cette disposition passer outre le consentement de son conjoint, le texte précise néanmoins qu’il ne peut en résulter à la charge de ce dernier aucune obligation personnelle.

Autrement dit, l’époux qui accomplit l’acte agi, non pas en représentation de son conjoint tel que le permet l’article 219 du Code civil, mais uniquement en son nom personnel.

Pratiquement, cela signifie que le conjoint qui n’a pas consenti à l’acte ne sera pas engagé.

Les dettes nées de l’accomplissement de cet acte ne seront donc pas exécutoires sur ses biens propres, à tout le moins, précise le texte, si l’acte a été « passé dans les conditions fixées par l’autorisation de justice ». Si tel n’est pas le cas, l’acte sera privé de ses effets entre les époux.

Si, en revanche, l’acte a été accompli conformément aux termes de l’autorisation donnée, il sera pleinement opposable au conjoint qui, en contrepartie, ne sera pas personnellement engagé.

[1] F. Terré, Droit civil – La famille, éd. Dalloz, 2011, n°325, p. 299

[2] Ph. Malaurie et H. Fulchiron, La famille, Defrénois, coll. « Droit civil », 2006, n°47, p. 25.

[3] J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand Colin, 2001, n°143, p. 132.

La protection du logement familial: régime juridique (art. 215, al. 3e C. civ.)

Parce que les époux se sont mutuellement obligés à une communauté de vie, ils doivent affecter un lieu à leur résidence familiale. C’est le logement de la famille.

Ce logement de la famille a pour fonction première d’abriter la cellule familiale et plus précisément d’être le point d’ancrage de la vie du ménage. C’est lui qui assure l’unité, la cohésion et la sécurité de la famille. D’une certaine manière, ainsi que l’observe Anne Karm, il la protège des « agressions matérielles et morales extérieures »[1].

Pour toutes ces raisons, le logement familial bénéficie d’un statut particulier, l’objectif recherché par le législateur étant de faire primer l’intérêt de la famille sur des considérations d’ordre purement patrimonial.

La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par logement de famille, l’enjeu étant de pouvoir déterminer quels sont les lieux éligibles à la protection instituée par la loi.

==> Notion de logement familial

Les textes sont silencieux sur la notion de logement familial. L’article 215 du Code civil, qui régit son statut, ne fournit aucune définition.

Ainsi que le relèvent des auteurs, la notion de logement de la famille « à la différence du domicile, notion de droit […] est une notion concrète qui exprime une donnée de fait »[2].

En substance, il s’agit de l’endroit où réside la famille et plus encore du lieu où le ménage, composé des époux et de leurs enfants, s’est établi pour vivre.

Aussi, le logement familial correspond nécessairement à la résidence principale du ménage, soit le lieu, pour reprendre la formule d’un auteur, « où se concentrent les intérêts moraux et patrimoniaux de la famille »[3].

Pratiquement, il s’agit donc de l’endroit qui est effectivement occupé par le ménage et qui est donc susceptible de changer autant de fois que la famille déménage.

Il s’en déduit que la résidence secondaire ne peut jamais, par hypothèse, endosser la qualification de logement familial au sens de l’article 215, al. 2e du Code civil.

La Cour de cassation a statué en ce sens dans un arrêt du 19 octobre 1999, aux termes duquel elle a affirmé « qu’un immeuble qui sert de résidence secondaire aux époux, et non de résidence principale, ne constitue pas le logement familial » (Cass. 1ère civ. 19 oct. 1999, n°97-21.466).

Seule la résidence principale est ainsi éligible à la qualification de logement de la famille.

Quant au logement de fonction, il ressort d’un arrêt du 4 octobre 1983 (Cass. 1ère civ. 4 oct. 1983, n°84-14093), qu’il se voit appliquer d’un statut hybride. Il convient, en effet, de s’attacher à la situation du conjoint qui bénéficie de ce logement :

  • Tant que l’époux exerce ses fonctions, le logement qui lui est attribué au titre de son activité professionnelle endosse le statut de résidence familiale, dès lors que c’est à cet endroit que le ménage vie
    • Il en résulte qu’il lui est fait défense de renoncer à son logement de fonction pour des convenances d’ordre personnel, à tout le moins sans obtenir le consentement de son conjoint.
    • Il lui faudra donc observer les règles énoncées à l’article 215, al. 3e du Code civil.
  • Lorsque, en revanche, l’époux quitte ses fonctions, le logement qui lui est attribué au titre de son activité professionnelle perd son statut de résidence familiale
    • La conséquence en est que le conjoint ne peut pas s’opposer à la restitution de ce logement.
    • La première chambre civile justifie cette position en arguant que l’application du dispositif posé à l’article 215, al. 3e du Code civil serait de nature à porter atteinte à la liberté d’exercice professionnel de l’époux auquel est attribué le logement de fonction.

Enfin, il convient de préciser que le logement de la famille ne se confond pas nécessairement avec la résidence des époux qui peuvent, pour de multiples raisons, vivre séparément.

Dans un arrêt du 22 mars 1972, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « le logement de la famille ne s’identifie pas nécessairement avec le domicile conjugal » (Cass. 1ère civ. 22 mars 1972, n°70-14.049).

Toute la question est alors de savoir quel est le logement familial lorsque les époux ne résident pas au même endroit.

==> Logement familial et séparation des époux

La plupart du temps, tous les membres du ménage vivent sous le même toit, de sorte que l’identification de la résidence familiale ne soulèvera aucune difficulté.

Il est néanmoins des circonstances, de droit ou de fait, susceptibles de conduire les époux à vivre séparément. En pareil cas, la question se pose inévitablement du lieu de situation du logement de la famille.

Pour le déterminer, il y a lieu de distinguer deux situations :

  • Première situation : l’un des époux occupe la résidence dans laquelle le ménage s’était établi avant la séparation du couple
    • Dans cette hypothèse, la Cour de cassation considère que la séparation est sans incidence sur le lieu de la résidence familiale.
    • Ce lieu ne change pas : il demeure celui choisi en commun par les époux avant que la situation de crise ne surgisse (v. en ce sens 1ère civ. 14 nov. 2006, n°05-19.402).
    • Dans un arrêt du 26 janvier 2011, la Cour de cassation a eu l’occasion de préciser en ce sens que « le logement de la famille ne perd pas cette qualité lorsque sa jouissance a été attribuée, à titre provisoire, à l’un des époux pour la durée de l’instance en divorce» ( 1ère civ. 26 janv. 2011, n°09-13.138).
  • Seconde situation : les époux ont tous deux quitter la résidence dans laquelle le ménage s’était établi avant la séparation du couple
    • Dans cette hypothèse, le juge est susceptible de désigner le lieu qu’il considérera comme constituant le logement de la famille en se laissant guider par un faisceau d’indices.
    • Il pourra notamment prendre en compte le lieu de résidence des enfants où encore l’endroit où l’un des époux a décidé d’installer son conjoint.
    • Quid néanmoins lorsqu’aucun élément tangible ne permet de désigner le lieu de situation de la résidence familiale, notamment lorsque les époux n’ont pas d’enfants, à tout le moins à charge ?
    • Doit-on considérer les logements occupés séparément par les époux endossent tous deux la qualification de résidence familiale ou peut-on admettre que le logement de la famille n’a tout bonnement pas survécu à la séparation du ménage ?
    • La doctrine est partagée sur ce point. Quant à la jurisprudence, elle ne s’est pas encore prononcée.

Au total, l’identification du logement familial présente un enjeu majeur, dans la mesure où elle permet de déterminer quelle résidence est protégée par le régime primaire.

À cet égard, ce statut protecteur attaché au logement de la famille repose sur deux dispositifs énoncés aux alinéas 2 et 3 de l’article 215 du Code civil :

  • Le premier dispositif vise à encadrer le choix du logement familial qui ne peut procéder que d’un commun accord des époux
  • Le second dispositif vise quant à lui à protéger le logement familial d’actes accomplis par un époux seul qui porterait atteinte à l’intérêt de la famille

Nous nous focaliserons ici sur le second dispositif.

Parce que la famille est le principal pilier de l’ordre social, ainsi qu’aimait à le rappeler le Doyen Carbonnier[4], le législateur a donc entendu sanctuariser le logement dans lequel elle a élu domicile en lui conférant un statut spécifique.

La spécificité de ce statut tient à son caractère dérogatoire en ce sens qu’il soustrait la résidence familiale au jeu du droit commun des biens.

Le législateur a été guidé par cette idée que l’intérêt de la famille devait primer sur les considérations d’ordre patrimonial, ce qui, en certaines circonstances, justifie qu’il puisse être porté atteinte au droit de propriété individuel d’un époux.

À l’examen, cette protection dont jouit la résidence familiale se compose de deux corps de règles. Les premières, énoncées à l’article 215, al. 3e du Code civil, ont une portée générale tandis que les secondes, énoncées à l’article 1751, n’intéressent que le cas où le logement de la famille est occupé par le ménage au titre d’un contrat de bail.

§1: La protection générale du logement familial ( 215, al. 3e C. civ.)

L’article 215, al. 3e du Code civil prévoit que « les époux ne peuvent l’un sans l’autre disposer des droits par lesquels est assuré le logement de la famille, ni des meubles meublants dont il est garni. »

Il ressort de cette disposition qu’un époux ne peut disposer seul de la résidence familiale ainsi que des meubles qui y sont attachés. Il ne peut le faire qu’avec le consentement de son conjoint, ce qui, lorsqu’il s’agit de biens propres n’est pas sans porter atteinte à son droit de propriété.

Après avoir déterminé le domaine d’application de cette règle qui ne concerne que le logement de la famille, nous envisagerons sa mise en œuvre.

I) Le domaine de la protection

A) Le domaine de la protection quant à son objet

L’article 215, al. 3 du Code civil interdit donc les époux de disposer l’un sans l’autre « des droits par lesquels est assuré le logement de la famille, ni des meubles meublants dont il est garni ».

L’objet de l’interdiction ainsi posée est double :

  • D’une part, elle porte sur la résidence familiale
  • D’autre part, elle s’étend aux meubles meublants qui le garnissent
  1. Le logement familial

À l’analyse, l’objet de l’interdiction faite aux époux de disposer seul du logement familial est des plus larges.

L’article 215, al. 3e du Code civil précise, en effet, que cette interdiction porte, non pas sur le bien qui sert de lieu de résidence aux époux, mais sur « les droits par lesquels est assuré le logement de famille ».

Deux questions alors se posent :

  • Première question: que doit-on entendre par logement de famille
  • Seconde question: quels sont les droits visés par l’interdiction formulée par le texte

==> La notion de logement de famille

Ainsi qu’il l’a été exposé précédemment, le logement familial correspond à l’endroit où réside la famille et plus encore du lieu où le ménage, composé des époux et de leurs enfants, s’est établi pour vivre.

Il s’agit, plus précisément de sa résidence principale, soit le lieu où elle vit de façon stable et habituelle.

Les résidences secondaires sont de la sorte exclues du champ d’application de l’interdiction énoncée à l’article 215, al. 3e du Code civil.

Quant au logement de fonction, il jouit d’un statut hybride en ce sens qu’il ne jouit de la protection instituée par le texte qu’autant que l’époux auquel il est attribué conserve ses fonctions. Lorsqu’il les quitte, son conjoint ne peut s’opposer à la restitution du logement.

==> Les droits dont un époux ne peut disposer seul

L’article 215, al. 3e du Code civil prévoit que l’interdiction porte sur « sur « les droits par lesquels est assuré le logement de famille ».

Il est admis, tant par la doctrine, que par la jurisprudence que sont ici visées tous les droits qui confèrent au ménage un titre de jouissance de la résidence familiale.

La Cour de cassation a jugé en ce sens, dans un arrêt du 20 janvier 2004, au visa de l’article 215, al. 3e « que ce texte institue un régime de protection du logement familial visant les droits de toute nature de l’un des conjoints sur le logement de la famille » (Cass. 1ère civ. 20 janv. 2004, n°02-12.130).

Il est donc indifférent qu’il s’agisse de droits réels ou de droits personnels. Au nombre des droits éligibles au dispositif de protection du logement de famille figurent donc :

  • Le droit de propriété
  • Le droit d’usufruit
  • Le droit d’habitation
  • Le droit au bail
  • Le droit au maintien dans les lieux

Dans un arrêt du 14 mars 2018, la Cour de cassation est venue préciser que « si l’article 215, alinéa 3, du code civil, qui a pour objectif la protection du logement familial, subordonne au consentement des deux époux les actes de disposition portant sur les droits par lesquels ce logement est assuré, c’est à la condition, lorsque ces droits appartiennent à une société civile immobilière dont l’un des époux au moins est associé, que celui-ci soit autorisé à occuper le bien en raison d’un droit d’associé ou d’une décision prise à l’unanimité de ceux-ci, dans les conditions prévues aux articles 1853 et 1854 du code civil ».

Aussi, lorsqu’il n’est justifié, poursuit la première chambre civile, d’aucun bail, droit d’habitation ou convention de mise à disposition du logement occupé par le ménage, la protection accordée par l’article 215, al. 3e doit être écartée (Cass. 1ère civ. 14 mars 2018, n°17-16.482).

L’enseignement qui peut manifestement être retiré de cet arrêt est que seuls les droits donnant vocation à la jouissance ou à l’attribution d’un logement sont visés par l’interdiction posée par ce texte.

2. Les meubles meublants

La protection instituée par l’article 215, al. 3e du Code civil ne concerne pas seulement le logement familial, elle porte également sur les meubles meublants qui le garnissent.

La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par meubles meublants. Pour le déterminer, il y a lieu de se reporter à l’article 534 du Code civil qui en donne une définition.

Cette disposition prévoit, en effet, que les meubles meublants correspondent à ceux « destinés à l’usage et à l’ornement des appartements, comme tapisseries, lits, sièges, glaces, pendules, tables, porcelaines et autres objets de cette nature ».

L’alinéa 2 de l’article 534 précise que, « les tableaux et les statues qui font partie du meuble d’un appartement y sont aussi compris, mais non les collections de tableaux qui peuvent être dans les galeries ou pièces particulières ». Sont ainsi exclus de la qualification de meubles meublants, les biens mobiliers qui constituent une universalité de fait.

L’alinéa 3 du texte ajoute qu’« il en est de même des porcelaines : celles seulement qui font partie de la décoration d’un appartement sont comprises sous la dénomination de “meubles meublants ».

Pour qu’un bien mobilier puisse être qualifié de meuble meublant, encore faut-il qu’il soit toujours présent dans le logement au moment où l’acte litigieux est accompli par un époux seul.

Par ailleurs, il peut être observé que l’interdiction pour les époux de disposer des meubles meublants prime sur la règle énoncée à l’article 222 du Code civil qui prévoit que « si l’un des époux se présente seul pour faire un acte d’administration, de jouissance ou de disposition sur un bien meuble qu’il détient individuellement, il est réputé, à l’égard des tiers de bonne foi, avoir le pouvoir de faire seul cet acte. »

Aussi, en cas de violation par un époux de l’interdiction posée à l’article 215, al. 3e du Code civil, l’acte accompli au mépris de cette interdiction pourrait faire l’objet d’une annulation, nonobstant la bonne foi du tiers.

Cette disposition n’est pas applicable aux meubles meublants visés à l’article 215, alinéa 3, non plus qu’aux meubles corporels dont la nature fait présumer la propriété de l’autre conjoint conformément à l’article 1404.

Cette dérogation à la présomption de pouvoir édictée par l’article 222 est expressément prévue au second alinéa de ce texte.

B) Le domaine de la protection quant aux actes

  1. Principe

L’article 215, al. 3e du Code civil prévoit que les actes portant sur le logement familial soumis au consentement des deux époux sont les actes de disposition.

La formulation est des plus larges, de sorte que tous les actes qui tendent à aliéner, à titre onéreux ou à titre gratuit, le bien dans lequel le ménage a élu domicile sont d’emblée visés par l’interdiction.

Plus que l’aliénation de la résidence familiale, ce sont, en réalité, tous les actes susceptibles de priver la famille de son logement qui relèvent du domaine d’application de l’article 215, al. 3e du Code civil.

==> Les actes visant à aliéner le logement familial

Au nombre des actes qui ne peuvent être accomplis par un époux seul figurent, au premier chef, la vente ainsi que tous les actes qui en dérivent.

Ainsi, dans un arrêt du 6 avril 1994, la Cour de cassation a admis que la conclusion d’une promesse synallagmatique de vente valant vente, elle constituait un acte de disposition des droits par lequel est assuré le logement de la famille au sens de l’article 215, al. 3e du Code civil peu important que le transfert de propriété ait été reporté au jour de l’acte authentique dès lors que cette stipulation n’avait pas été considérée par les parties comme un élément essentiel à la formation de la vente (Cass. 1ère civ. 6 avr. 1994, n°92-15.000).

Dans un arrêt du 16 juin 1992, elle a encore décidé que la vente avec réserve d’usufruit au profit du seul époux propriétaire vendeur supposait le recueil du consentement de son conjoint (Cass. 1ère civ. 16 juin 1992, n°89-17.305).

De façon générale, sont visés par l’interdiction énoncée à l’article 215, al. 3e du Code civil tous les actes qui opèrent un transfert de propriété du bien, tels que la donation, l’échange ou encore l’apport en société.

Il en va de même pour les actes réalisant un démembrement du droit de propriété conduisant à priver la famille de son logement, tels que la constitution d’un usufruit, d’un droit d’habitation ou encore d’un droit d’usage.

Tel est encore le cas des actes constitutifs de sûretés sur le logement familial (hypothèque) ou sur les meubles meublant (gage).

S’agissant de la constitution d’une hypothèque, la Cour de cassation a pris le soin de préciser dans un arrêt du 4 octobre 1983 que « l’inscription d’hypothèque judiciaire qui n’est que l’exercice d’une prérogative légale accordée au titulaire d’une créance, même chirographaire, n’est pas un acte de disposition par un époux au sens de l’article 215, alinéa 3, du code civil » (Cass. 1ère civ. 4 oct. 1983, n°82-13.781).

Aussi, pour la Première chambre civile, seule l’hypothèque conventionnelle est visée par ce texte.

Dans une décision du 17 décembre 1991, elle a jugé en ce sens, au visa des articles 215, al. 3e et 2124 du Code civil « qu’il résulte du premier de ces textes que le mari ne peut disposer seul des droits par lesquels est assuré le logement de la famille ; qu’aux termes du second, les hypothèques conventionnelles ne peuvent être consenties que par ceux qui ont la capacité d’aliéner les immeubles qu’ils y soumettent » (Cass. 1ère civ. 17 déc. 1991, n°90-11.908).

La simple promesse d’affectation hypothécaire n’est, en revanche, pas soumise à l’exigence du double consentement des époux, dans la mesure où la violation d’une telle promesse donne seulement lieu à l’octroi de dommages et intérêts (Cass. 3e civ. 29 mai 2002, n°99-21.018).

En définitive, il y a donc lieu de distinguer l’aliénation volontaire du logement familial qui suppose le consentement des deux époux, de l’aliénation forcée (judiciaire) qui échappe, quant à elle, à l’application de l’article 215, al. 3e du Code civil.

==> Les actes visant à priver la famille de son logement

Une analyse de la jurisprudence révèle que la Cour de cassation ne s’est pas limitée à inclure dans le giron de l’article 215, al. 3e du Code civil les seuls actes de pure disposition.

Par une interprétation extensive de la règle, elle a jugé qu’étaient également visés par l’exigence double consentement tous les actes privant ou risquant de priver la famille de son logement.

C’est ainsi que la Cour de cassation a admis que la conclusion, par un époux seul, d’un bail au profit d’un tiers pouvait être frappée de nullité dès lors que l’acte accompli était de nature à compromettre la vocation familiale du logement donné en location (Cass. 1ère civ. 16 mai 2000, n°98-13.441).

Au soutien de sa décision, elle affirme qu’il résulte des termes généraux de l’article 215, alinéa 3, du Code civil instituant un régime de protection du logement familial que ce texte vise les actes qui anéantissent ou réduisent les droits réels ou les droits personnels de l’un des conjoints sur le logement de la famille.

Or tel est le cas, poursuit-elle, d’une location puisque conduisant à priver la famille de ses droits de jouissance ou d’occupation du logement familial.

Dans le droit fil de cette solution, la Cour de cassation a considéré que le mandat confié à un agent immobilier de vendre le logement familial exigeait le consentement des deux époux dès lors que l’acte conclu engageait le mandant (Cass. 1ère civ. 13 avr. 1983, n°82-11.121).

Pour elle, cet acte étant susceptible de priver la famille de son logement, rien ne justifie qu’il échappe à l’application de l’article 215, al. 3e du Code civil.

La première chambre civile est allée encore plus loin en jugeant, dans un arrêt du 10 mars 2004, que la résiliation du contrat d’assurance garantissant le logement familial contre d’éventuels sinistres ne pouvait être accomplie par un époux seul et exigeait donc, pour être valable, le consentement du conjoint (Cass. 2e civ. 10 mars 2004, n°02-20.275).

Cette position a pour le moins été froidement accueillie par la doctrine. Pour Isabelle Dauriac, par exemple, la solution retenue fait « le jeu d’une politique peut être à l’excès sécuritaire. Cette application de l’article 215, al. 3e est à ce point déformante qu’elle pourrait transformer l’exception de cogestion – censée éviter que la famille ne soit exposée à la privation de son toit par la seule initiative d’un époux –, en règle de principe applicable à tout acte du seul fait qu’il concerne le logement »[5].

Malgré les critiques, la Cour de cassation a persévéré dans sa position en précisant dans un arrêt du 14 novembre 2006 que la résiliation par un époux, sans le consentement de son conjoint, d’un contrat d’assurance relatif à un bien commun n’encourt la nullité « que dans la seule mesure où ce bien est affecté au logement de la famille en application de l’article 215, alinéa 3, du code civil » (Cass. 1ère civ. 14 nov. 2006, n°05-19.402).

Au bilan, il apparaît que les actes portant sur le logement familial qui requièrent le consentement des deux époux sont moins ceux qui visent à aliéner le bien, que ceux qui ont pour effet de priver la famille de son logement.

C’est là le véritable critère retenu par la jurisprudence pour déterminer si un acte relève ou non du domaine d’application de l’article 215, al. 3e du Code civil.

Reste que la règle ainsi posée n’est pas sans faire l’objet d’un certain nombre d’exceptions.

2. Exceptions

L’interdiction pour les époux d’accomplir seul un acte susceptible de priver la famille de son logement n’est pas absolue. Elle souffre de plusieurs exceptions qui intéressent plusieurs catégories d’actes.

  • Les actes n’opérant pas d’aliénation du logement familial
    • L’interdiction posée par l’article 215, al. 3e du Code civil ne se conçoit qu’en présence d’un acte qui vise à aliéner le logement familial, à tout le moins d’en priver le ménage.
    • C’est la raison pour laquelle les actes qui n’opèrent pas d’aliénation de ce bien ne requièrent pas le consentement des deux époux.
    • Ainsi, une vente assortie d’une clause de réserve d’usufruit au profit du conjoint survivant du vendeur ne semble pas être visée par l’interdiction faite aux époux de disposer seul du logement familial (TGI Paris, 16 déc. 1970).
    • Dans le même sens, la Cour de cassation a jugé, dans un arrêt du 22 mai 2019, qu’une donation avec réserve d’usufruit au profit de l’époux donateur échappait à l’exigence du double consentement, dès lors que la donation consentie ne portait pas atteinte « à l’usage et à la jouissance du logement familial».
    • À cet égard, la Cour de cassation précise qu’il est indifférent que la donation soit de nature à priver le conjoint survivant du logement de famille au décès du donateur, dans la mesure où la règle édictée à l’article 215, al. 3e du Code civil, « qui procède de l’obligation de communauté de vie des époux, ne protège le logement familial que pendant le mariage» ( 1ère civ. 22 mai 2019, n°18-16.666).
  • Les actes de disposition à cause de mort
    • La question s’est posée en jurisprudence de savoir si les actes de disposition à cause de mort (les testaments) étaient visés par l’article 215, al. 3e du Code civil.
      • Les arguments pour l’application du texte
        • Tout d’abord, il peut être avancé que l’article 215, al. 3 ne distingue pas selon la nature de l’acte accompli par un époux seul, de sorte que l’interdiction viserait indifféremment tous les actes de disposition, peu important qu’ils soient accomplis entre vifs ou à cause de mort.
        • Ensuite, il a été soutenu que le testament attribuant la résidence familiale à un tiers devait nécessairement être soumis au consentement des deux époux dans la mesure où au décès du testateur il aurait pour effet de priver la famille, à commencer par le conjoint survivant, de son logement.
        • Or ce serait là contraire à l’esprit de l’article 215, al. 3 qui a précisément été institué en vue d’assurer un toit au ménage.
      • Les arguments contre l’application du texte
        • En premier lieu, il peut être observé que, exiger d’un époux qu’il obtienne l’autorisation de son conjoint, pour léguer la propriété du logement familial qui lui appartient en propre reviendrait à porter atteinte à la liberté de tester.
        • En second lieu, et c’est là l’argument décisif nous semble-t-il, l’interdiction posée à l’article 215, al. 3e du code civil n’a cours qu’autant que le mariage perdure.
        • Or le décès d’un époux emporte dissolution de l’union matrimoniale et, par voie de conséquence, extinction de tous les droits et obligations qui y sont attachés.
        • Aussi, n’est-il pas illogique de considérer que la protection instituée par l’article 215, al. 3e ne survit pas au décès d’un époux.
    • Finalement, la Cour de cassation a tranché en faveur de l’inapplication de l’interdiction posée par ce texte aux actes de disposition accomplis à cause de mort.
    • Dans un arrêt du 22 octobre 1974, elle a jugé en ce sens que « l’article 215, alinéa 4, du code civil qui protège le logement de la famille […] le mariage ne porte pas atteinte au droit qu’à chaque conjoint de disposer de ses biens à cause de mort» ( 1ère civ. 22 oct. 1974, n°73-12.402).
    • A cet égard, il peut être observé que la portée de cette solution doit être mise en perspective avec la loi du 3 décembre 2001 qui a réformé le droit des successions.
    • Cette loi a notamment institué au profit du conjoint survivant un droit de maintien, à titre gratuit, pendant une durée d’un an, dans le logement de la famille qui était occupé par le couple ( 763 C. civ.) et est titulaire, à l’expiration de ce délai, d’un droit viager d’habitation et d’usage de ce logement à titre onéreux (qui s’impute sur la succession) sauf volonté contraire de l’époux défunt (art. 764 C. civ.).
    • Le conjoint survivant n’est, de la sorte, pas sans protection en cas de legs à un tiers, par son époux, de la résidence familiale. L’esprit de l’article 215, al. 3e est sauf.
  • La demande en partage
    • Dans l’hypothèse où le logement familial est détenu en indivision par les époux, la question s’est posée de savoir si la demande en partage formulée par l’un d’eux tombait sous le coup de l’article 215, al. 3e du Code civil.
    • Cette situation se rencontrera notamment, lorsque les époux seront mariés sous le régime de la séparation de biens.
    • Une demande en partage est constitutive, a priori, d’un acte de disposition de sorte qu’elle devrait être soumise au consentement des deux époux, en particulier, lorsque cette demande est susceptible de conduire à priver la famille de son logement.
    • Dans un arrêt du 4 juillet 1978, la Cour de cassation a pourtant considéré que « nonobstant les dispositions de l’article 215 alinéa 3 du code civil, les époux ont le droit de demander le partage de biens indivis servant au logement de la famille et que ces dispositions doivent, hors le cas de fraude, être considérées comme inopposables aux créanciers sous peine de frapper les biens d’une insaisissabilité contraire à la loi» ( 1ère civ. 4 juill. 1978, n°76-15.253).
    • Dans cette décision, la première chambre civile semble ainsi faire primer l’application de l’article 815 sur le dispositif énoncé à l’article 215, al. 3 du Code civil.
    • Dans un arrêt du 19 octobre 2004, la Cour de cassation est toutefois venue préciser que « les dispositions de l’article 215, alinéa 3, du Code civil ne font pas obstacle à une demande en partage des biens indivis, dès lors que sont préservés les droits sur le logement de la famille» ( 1ère civ. 19 oct. 2004, n°02-13.671).
    • Autrement dit, si la demande en partage peut être formulée par un époux seul, c’est à la condition qu’elle n’ait pas pour effet de priver son conjoint de la jouissance du logement de la famille, ce qui implique que lui soit réservé un droit d’habitation et d’usage de l’immeuble dont la propriété est transférée à un attributaire tiers.
  • L’acte de cautionnement
    • Bien que l’acte de cautionnement ne soit pas constitutif d’un acte de disposition en tant que tel, dans la mesure où il consiste seulement à consentir à un créancier un droit de gage général sur le patrimoine de la caution, sa réalisation est, quant à elle, susceptible de conduire à une aliénation – forcée – des biens dont est propriétaire cette dernière.
    • Or parmi ces biens, est susceptible de figurer le logement familial ; d’où la question qui s’est posée de savoir si l’acte de cautionnement relevait du champ d’application de l’article 215, al. 3e du Code civil.
    • À cette question, il a été répondu par la négative par la Cour de cassation dans un arrêt du 21 juillet 1978, sous réserve qu’aucune fraude ne soit constatée ( 1ère civ. 21 juill. 1978, n°77-10.330).
    • Reste que, dans l’hypothèse où les époux sont mariés sous le régime de la communauté réduite aux acquêts et que le logement familial est un bien commun, celui-ci ne pourra être saisi en exécution d’un cautionnement qu’à la condition que le conjoint de l’époux qui a agi seul ait consenti à l’acte.
    • L’article 1415 du Code civil prévoit, en effet, que « chacun des époux ne peut engager que ses biens propres et ses revenus, par un cautionnement ou un emprunt, à moins que ceux-ci n’aient été contractés avec le consentement exprès de l’autre conjoint qui, dans ce cas, n’engage pas ses biens propres. »
    • En l’absence de consentement du conjoint, le cautionnement souscrit par un époux ne sera donc exécutoire que sur ses biens propres ainsi que sur ses gains et salaires.
  • Les actes d’exécution forcée accomplis par les créanciers du ménage
    • Principe
      • Il est admis de longue date que l’indisponibilité du logement de la famille au titre de l’article 215, al. 3e du Code civil n’emporte pas l’insaisissabilité de ce bien.
      • Autrement dit, cette disposition ne saurait faire obstacle à la saisie de la résidence familiale pratiquée en exécution d’une dette contractée par un époux seul.
      • Dans un arrêt du 12 octobre 1977, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « l’article 215, alinéa 3, du code civil, selon lequel les époux ne peuvent l’un sans l’autre disposer des droits par lesquels est assuré le logement de la famille, n’est pas applicable lorsqu’il s’agit d’une vente forcée poursuivie en vertu de la loi du 13 juillet 1967 sur la liquidation des biens» ( 3e civ. 12 oct. 1977, n°76-12.482).
      • Cette position se justifie en raison de l’objet de la règle posée par ce texte qui se borne à exiger le consentement des deux époux pour les seuls actes volontaires qui visent à aliéner le logement familial.
      • Lorsque l’aliénation est subie, soit lorsqu’elle procède du recouvrement forcé d’une dette contractée par un époux seul, elle échappe à l’application de l’article 215, al. 3e du Code civil.
      • Il s’agit là d’une jurisprudence constante maintenue par la Cour de cassation qui se refuse à étendre le champ d’application aux actes qui certes engagent le patrimoine du ménage, mais qui ne portent pas directement sur les droits qui assurent le logement de la famille.
      • Les cas d’aliénation forcée sont variés : il peut s’agir de la constitution d’une sûreté judiciaire ( 1ère civ. 4 oct. 1983, n°84-14093), d’une vente forcée dans le cadre d’une liquidation judiciaire (Cass. 3e civ. 12 oct. 1977, n°76-12.482) ou encore d’un partage du bien indivis provoqué par les créanciers (Cass. 1ère civ., 3 déc. 1991, n°90-12.469)
      • Ainsi que le relèvent des auteurs « la solution contraire conduirait les créanciers à exiger le consentement des deux époux, ce qui étendrait excessivement le domaine de la cogestion voulue par le législateur»[6].
      • Les juridictions réservent néanmoins le cas de la fraude qui donnerait lieu à un rétablissement de la règle posée à l’article 215, al. 3e du Code civil.
    • Tempérament
      • Par exception au principe de saisissabilité du logement familial dans le cadre du recouvrement d’une dette contractée du chef d’un seul époux, la loi du 1er août 2003 pour l’initiative économique a institué à la faveur de l’entrepreneur individuel un mécanisme d’insaisissabilité de la résidence principale.
      • En application de l’article L. 526-1 du Code de commerce le dispositif ne bénéficie qu’aux seuls entrepreneurs immatriculés à un registre de publicité légale à caractère professionnel ou exerçant une activité professionnelle agricole ou indépendante.
      • Il convient ainsi d’opérer une distinction entre les entrepreneurs individuels pour lesquels le texte exige qu’ils soient immatriculés et ceux qui ne sont pas assujettis à cette obligation.
        • Les entrepreneurs assujettis à l’obligation d’immatriculation
          • Les commerçants doivent s’immatriculer au Registre du commerce et des sociétés
          • Les artisans doivent s’immatriculer au Répertoire des métiers
          • Les agents commerciaux doivent s’immatriculer au registre national des agents commerciaux s’il est commercial.
          • Concomitamment à cette immatriculation, l’article L. 526-4 du Code de commerce prévoit que « lors de sa demande d’immatriculation à un registre de publicité légale à caractère professionnel, la personne physique mariée sous un régime de communauté légale ou conventionnelle doit justifier que son conjoint a été informé des conséquences sur les biens communs des dettes contractées dans l’exercice de sa profession. »
        • Les entrepreneurs non assujettis à l’obligation d’immatriculation
          • Les agriculteurs n’ont pas l’obligation de s’immatriculer au registre de l’agriculture pour bénéficier du dispositif d’insaisissabilité
          • Il en va de même pour les professionnels exerçant à titre indépendant, telles que les professions libérales (avocats, architectes, médecins etc.)
      • Au total, le dispositif d’insaisissabilité bénéficie aux entrepreneurs individuels, au régime réel comme au régime des microentreprises, aux entrepreneurs individuels à responsabilité limitée propriétaires de biens immobiliers exerçant une activité commerciale, artisanale, libérale ou agricole, ainsi qu’aux entrepreneurs au régime de la microentreprise et aux entrepreneurs individuels à responsabilité limitée (EIRL).
      • S’agissant du régime de l’insaisissabilité de la résidence principale, l’article 526-1, al. 1er du Code de commerce dispose que « les droits d’une personne physique immatriculée à un registre de publicité légale à caractère professionnel ou exerçant une activité professionnelle agricole ou indépendante sur l’immeuble où est fixée sa résidence principale sont de droit insaisissables par les créanciers dont les droits naissent à l’occasion de l’activité professionnelle de la personne».
      • Il ressort de cette disposition que l’insaisissabilité de la résidence principale est de droit, de sorte qu’elle n’est pas subordonnée à l’accomplissement d’une déclaration.
      • Le texte précise que lorsque la résidence principale est utilisée en partie pour un usage professionnel, la partie non utilisée pour un usage professionnel est de droit insaisissable, sans qu’un état descriptif de division soit nécessaire.

C) Le domaine de la protection quant à la durée

Il est admis que la protection du logement familial opère aussi longtemps que le mariage perdure.

Aussi, seule la dissolution de l’union matrimoniale est susceptible de mettre fin à l’interdiction posée à l’article 215, al. 3 du Code civil.

À cet égard, dans un arrêt du 22 mai 2019, la Cour de cassation a affirmé que la règle édictée à l’article 215, al. 3e du Code civil, « qui procède de l’obligation de communauté de vie des époux, ne protège le logement familial que pendant le mariage » (Cass. 1ère civ. 22 mai 2019, n°18-16.666).

La séparation de fait des époux est donc sans incidence sur les effets de cette règle qui ne sont nullement suspendus en pareille circonstance (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 16 mai 2000, n°98-13.141).

Il en va de même s’agissant de la séparation de droit, telle que celle qui intervient dans le cadre d’une procédure de divorce.

La plupart du temps, le juge attribuera temporairement la jouissance du logement familial à l’un des époux pendant toute la durée de l’instance.

Dans un arrêt du 26 janvier 2011, la Cour de cassation a jugé, à cet égard, que « le logement de la famille ne perd pas cette qualité lorsque sa jouissance a été attribuée, à titre provisoire, à l’un des époux pour la durée de l’instance en divorce »

Elle en déduit que, en cas de vente de ce bien par un époux seul sans le consentement de son conjoint alors que la dissolution du mariage n’est pas encore intervenue, est nulle en application de l’article 215, alinéa 3, du code civil (Cass. 1ère civ. 26 janv. 2011, n° 09-13.138).

Dans un arrêt du 30 septembre 2011, elle a toutefois précisé que « l’attribution, à titre provisoire, de la jouissance du domicile conjugal à l’un des époux par le juge du divorce ne fait pas obstacle à une autorisation judiciaire de vente du logement familial à la demande de l’autre époux en application de l’article 217 du code civil » (Cass. 1ère civ. 30 sept. 2009, n°08-13.220).

II) La mise en œuvre de la protection

A) L’exigence de consentement des deux époux

==> Le principe de codécision

L’article 215, al. 3e du Code civil requiert le consentement des deux époux pour tous les actes qui visent à priver la famille de son logement.

Est ainsi instauré un principe de codécision, en ce sens que les époux, selon la lettre du texte, « ne peuvent l’un sans l’autre » accomplir d’actes de disposition sur la résidence familiale.

Un auteur relève que, techniquement, l’article 215, al. 3 n’instaure pas un mécanisme de cogestion, tel qu’envisagé dans le régime légal, mais plutôt un mécanisme de codécision.

La cogestion renvoie, selon lui, à l’idée que le consentement des époux est mis sur le même plan, soit qu’il aurait la même portée.

Or s’agissant des actes de disposition du logement familial, la portée du consentement du conjoint varie d’un régime matrimonial à l’autre.

En effet, tandis qu’il peut s’agir d’une « simple autorisation » lorsque le logement de la famille est un bien propre du mari, le consentement du conjoint peut valoir « coparticipation à l’acte » en régime communautaire lorsque la résidence familiale est un bien commun[7].

La notion de codécision présente cet avantage d’embrasser les différents degrés de consentement que l’article 215, al. 3 mobilise au titre de la protection du logement de la famille.

==> Les modalités du consentement

Dans le silence des textes, il est admis que le consentement du conjoint puisse ne pas se traduire par l’établissement d’un écrit.

Dans un arrêt du 13 avril 1983, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « l’article 215 du code civil n’exige pas que, pour un acte de nature à priver la famille de son logement, le consentement de chaque conjoint soit constaté par écrit »

Le texte exige seulement précise-t-elle « que ce consentement soit certain » (Cass. 1ère civ. 13 avr. 1983, n°82-11.121).

Quant à l’étendue du consentement, il ne doit pas seulement porter sur le principe de l’aliénation du logement familial, le conjoint doit également se prononcer sur les termes de cette aliénation.

Ainsi, dans un arrêt du 16 juillet 1985, la Cour de cassation a-t-elle affirmé, au visa de l’article 215, al. 3e du Code civil, « que le consentement du conjoint, exigé par ce texte, doit porter non seulement sur le principe de la disposition des droits par lesquels est assure le logement de la famille, mais aussi sur les conditions de leur cession » (Cass. 1ère civ. 16 juill. 1985, n°83-17.393).

Le consentement donné par le conjoint doit, dans ces conditions, être certain et spécial, faute de quoi il ne suffira pas à valider l’acte de disposition.

B) La sanction de l’exigence de consentement des deux époux

  1. La nullité relative

L’article 215, al. 3e du Code civil prévoit que, en cas de violation de l’exigence du double consentement des époux « celui des deux qui n’a pas donné son consentement à l’acte peut en demander l’annulation : l’action en nullité lui est ouverte dans l’année à partir du jour où il a eu connaissance de l’acte, sans pouvoir jamais être intentée plus d’un an après que le régime matrimonial s’est dissous. »

Il ressort de cette disposition que, en cas d’accomplissement par un époux seul d’un acte privant la famille de son logement, la sanction encourue c’est la nullité de l’acte.

Et par nullité, il faut entendre nullité relative dans la mesure où la règle instaurée par le texte intéresse l’ordre public de protection.

Il en résulte qu’elle ne peut être soulevée que par l’époux dont les intérêts ont été contrariés, ce qui interdit donc à l’auteur de l’acte litigieux de s’en prévaloir (V. en ce sens Cass. com. 26 mars 1996, n°94-13.124).

Dans un arrêt du 3 mars 2010, la Cour de cassation a néanmoins précisé que « si l’article 215 du code civil désigne l’époux dont le consentement n’a pas été donné comme ayant seul qualité pour exercer l’action en nullité de l’acte de disposition, par son conjoint, des droits par lesquels est assuré le logement de la famille, cet époux doit justifier d’un intérêt actuel à demander l’annulation de l’acte » (Cass. 1ère civ. 3 mars 2010, n°08-13.500)

Dans cette affaire, l’épouse qui se prévalait de la nullité de l’acte n’occupait plus le logement familial au jour de l’introduction de son action en justice, de sorte qu’elle ne justifiait d’aucun intérêt à agir.

Lorsque, toutefois, cet intérêt à agir sera démontré, le juge ne dispose d’aucun pouvoir d’appréciation quat à accueillir la nullité dès lors que les conditions de l’article 215, al. 3e di Code civil. Il s’agit là d’une nullité de droit et non d’une nullité faculté dont le prononcé est laissé à la discrétion du juge.

2. L’action en nullité

==> Principe : le bref délai

L’article 215, al. 3e du Code civil prévoit que l’action en nullité est ouverte au conjoint lésé « dans l’année à partir du jour où il a eu connaissance de l’acte, sans pouvoir jamais être intentée plus d’un an après que le régime matrimonial s’est dissous. »

Cette action est ainsi enfermée dans un double délai :

  • Premier délai
    • L’action en nullité peut être exercé dans le délai d’un an à compter du jour où son titulaire a eu connaissance de l’acte.
    • Dans un arrêt du 2 décembre 1982, la Cour de cassation a précisé qu’il s’agit là d’un délai de prescription, de sorte qu’il est susceptible de faire l’objet d’une interruption ou d’une suspension (V. en ce sens 2e civ. 2 déc. 1982, n°80-15.998).
    • Quant à la preuve de la connaissance de l’acte, il est admis qu’elle puisse être rapportée par tous moyens, dans la mesure où il s’agit de prouver un fait juridique.
    • La charge de la preuve pèse, selon la jurisprudence, sur le tiers défendeur auquel qui il appartiendra de démontrer que le conjoint de l’époux avec lequel il a contracté ne pouvait pas ignorer l’opération contestée (V. en ce sens 1ère civ. 6 avr. 1994, n°92-15.000).
  • Second délai
    • L’action en nullité ne peut être exercée, en tout état de cause, au-delà d’un délai d’un an à compter de la date de dissolution du mariage.
    • Cela signifie, dès lors, que dans l’hypothèse où l’époux lésé découvrirait l’acte litigieux après la dissolution du mariage il ne pourra agir en nullité qu’à la condition que cette dissolution soit intervenue moins d’un an avant la saisine du juge.
    • La Cour de cassation a rappelé cette règle dans un arrêt du 12 janvier 2011 en affirmant « qu’aux termes de l’article 215, alinéa 3, du code civil, l’action en nullité accordée à l’épouse ne peut être exercée plus d’un an à compter du jour où elle a eu connaissance de l’acte sans jamais pouvoir être intentée plus d’un an après la dissolution du régime matrimonial» ( 1ère civ. 12 janv. 2011, n°09-15.631).
    • Au-delà de ce délai d’un an, l’action en nullité est forclose, étant précisé qu’il s’agit là d’un délai préfix, soit insusceptible d’interruption ou de suspension.
    • Quant à la notion de dissolution, elle est discutée en doctrine, recouvre-t-elle seulement les cas de dissolution au sens classique du terme (divorce et décès) ou doit-elle être étendue aux cas de séparation de corps et de changement de régime matrimonial ?
    • La doctrine majoritaire, derrière laquelle nous nous rangeons, abonde dans le sens de la première solution.
    • En effet, l’article 215 al. 3 du Code civil a vocation à s’appliquer autant que le mariage perdure.
    • Dans ces conditions, seule la dissolution qui met définitivement fin à l’union matrimoniale doit être prise en compte pour déterminer le point de départ de l’action en nullité.

==> Tempéraments

Si, de principe, l’action en nullité est enfermée dans un bref délai, il est des cas où ce délai est susceptible d’être allongé.

  • La nullité est soulevée en défense par l’époux lésé
    • Il est des cas où la nullité de l’acte privant la famille de son logement est susceptible d’être excipée par voie d’exception, soit lorsque l’époux lésé est le défendeur à l’instance.
    • Dans cette hypothèse, le délai pour soulever la nullité s’en trouve modifié.
      • Le principe de perpétuité de l’exception de nullité
        • Lorsque la nullité est soulevée par voie d’exception, le délai de prescription est très différent de celui imparti à celui qui agit par voie d’action.
        • Aux termes de l’article 1185 du Code civil « l’exception de nullité ne se prescrit pas si elle se rapporte à un contrat qui n’a reçu aucune exécution. »
        • Il ressort de cette disposition que l’exception de nullité est perpétuelle
        • Cette règle n’est autre que la traduction de l’adage quae temporalia ad agendum perpetua sunt ad excipiendum, soit les actions sont temporaires, les exceptions perpétuelles
        • Concrètement, cela signifie que, tandis que le demandeur peut se voir opposer la prescription de son action en nullité pendant un délai de défini par un texte (5 ans en droit commun et 1 an pour l’action fondée sur l’article 215, al. 3), le défendeur pourra toujours invoquer la nullité de l’acte pour échapper à son exécution
        • Cette règle a été instituée afin d’empêcher que le créancier d’une obligation n’attende la prescription de l’action pour solliciter l’exécution de l’acte sans que le débiteur ne puisse lui opposer la nullité dont il serait frappé.
      • Les conditions à la perpétuité de l’exception de nullité
        • Pour que l’exception de nullité soit perpétuelle, trois conditions doivent être réunies
          • Première condition
            • Conformément à un arrêt rendu par la Cour de cassation le 1er décembre 1998 « l’exception de nullité peut seulement jouer pour faire échec à la demande d’exécution d’un acte juridique qui n’a pas encore été exécuté» ( 1ère civ. 1er déc. 1998)
            • Autrement dit, l’exception de nullité doit être soulevée par le défendeur pour faire obstacle à une demande d’exécution de l’acte
            • Dans le cas contraire, l’exception en nullité ne pourra pas être opposée au demandeur dans l’hypothèse où l’action serait prescrite.
          • Deuxième condition
            • Il ressort de l’article 1185 du Code civil, que l’exception de nullité est applicable à la condition que l’acte n’ai reçu aucune exécution.
            • Cette solution avait été adoptée par la Cour de cassation dans un arrêt du 4 mai 2012 ( 1ère civ. 4 mai 2012)
            • Dans cette décision, elle a affirmé que « la règle selon laquelle l’exception de nullité peut seulement jouer pour faire échec à la demande d’exécution d’un acte qui n’a pas encore été exécuté»
            • Cette règle a été complétée par la jurisprudence dont il ressort que peu importe :
              • Que le contrat n’ait été exécuté que partiellement ( 1ère civ. 1er déc. 1998)
              • Que la nullité invoquée soit absolue ou relative ( 1ère civ. 24 avr. 2013).
              • Que le commencement d’exécution ait porté sur d’autres obligations que celle arguée de nullité ( 1ère civ. 13 mai 2004)
          • Troisième condition
            • Bien que l’article 1185 ne le précise pas, l’exception de nullité n’est perpétuelle qu’à la condition qu’elle soit invoquée aux fins d’obtenir le rejet des prétentions de la partie adverse
            • Dans l’hypothèse où elle serait soulevée au soutien d’une autre demande, elle devrait alors être requalifiée en demande reconventionnelle au sens de l’article 64 du Code de procédure civil.
            • Aussi, se retrouverait-elle à la portée de la prescription qui, si elle n’affecte jamais l’exception, frappe toujours l’action.
            • Or une demande reconventionnelle s’apparente à une action, en ce sens qu’elle consiste pour son auteur à « être entendu sur le fond de celle-ci afin que le juge la dise bien ou mal fondée» ( 30 CPC).
    • La question s’est posée en jurisprudence de savoir si l’époux lésé pouvait se prévaloir de la nullité l’acte privant la famille de son logement par voie d’exception et, par voie de conséquence invoquer cette nullité sans condition de délai.
    • Par un arrêt du 8 février 2000, la Cour de cassation a répondu par l’affirmation à cette question.
    • Elle a affirmé en ce sens, au visa de l’article 215, al. 3e du Code civil « qu’il résulte de ce texte, que si l’un des époux a outrepassé ses pouvoirs sur les droits par lesquels est assuré le logement de la famille, l’action en nullité est ouverte à son conjoint pendant une année à partir du jour où il a eu connaissance de l’acte, sans pouvoir jamais être intentée plus d’un an après que le régime matrimonial s’est dissous ; que cette disposition ne peut avoir pour effet de priver le conjoint du droit d’invoquer la nullité comme moyen de défense contre la demande d’exécution d’un acte irrégulièrement passé par l’autre époux» ( 1ère civ. 8 févr. 2000, n°98-10.836).
      • Faits
        • Dans cette affaire, pour garantir le remboursement d’un emprunt qu’il avait contracté auprès d’un établissement de crédit, un époux séparé de biens lui avait consenti une hypothèque sur une maison qui lui appartenait en propre et qui était affectée au logement de sa famille.
        • Consécutivement à la défaillance de cet époux, la banque engage des poursuites judiciaires aux fins de saisie du bien donné en garantie.
        • En défense, la conjointe de l’emprunteur qui n’avait pas consenti à la constitution de l’hypothèque sur le bien alors qu’il s’agissait de la résidence familiale excipe la nullité de l’acte d’affectation hypothécaire.
      • Procédure
        • Par un jugement du 28 novembre 1997, le Tribunal de grande instance de Thonon-les-Bains a rejeté la demande de nullité formulée par l’épouse lésée.
        • Au soutien de sa décision il a considéré que l’action était prescrite et que l’épouse ne pouvait pas soulever la nullité par voie d’exception, dès lors qu’il lui avait été possible d’agir.
      • Décision
        • La Cour de cassation casse et annule le jugement rendu par les juges du fond au visa de l’article 215, al. 3e du Code civil.
        • Elle estime que, bien au contraire, l’épouse était parfaitement recevable à exciper l’exception de nullité de sorte que si l’action était bien prescrite, la nullité pouvait néanmoins être soulevée par voie d’exception.
      • Au bilan, l’époux dont le consentement était requis en application de l’article 215, al. 3e du Code civil pourra toujours, nonobstant l’écoulement du délai de prescription, opposer l’exception de nullité à un tiers qui solliciterait l’exécution d’un acte conclu en violation du dispositif de protection du logement familial.
  • Le logement familial est un bien commun
    • Dans l’hypothèse où les époux sont mariés sous le régime légal et que le logement familial constitue un bien commun, l’article 215, al. 3e du Code civil se retrouve en concurrence avec l’article 1427 du Code civil.
    • Cette dernière disposition envisage, en effet, la sanction de la violation par un époux d’une règle de cogestion.
    • Le premier alinéa du texte prévoit en ce sens que « si l’un des époux a outrepassé ses pouvoirs sur les biens communs, l’autre, à moins qu’il n’ait ratifié l’acte, peut en demander l’annulation».
    • L’alinéa 2 précise que « l’action en nullité est ouverte au conjoint pendant deux années à partir du jour où il a eu connaissance de l’acte, sans pouvoir jamais être intentée plus de deux ans après la dissolution de la communauté. »
    • La question qui alors se pose est de savoir quel délai retenir dans l’hypothèse où le logement familial est un bien commun.
    • En principe, les règles du régime primaire priment sur les règles du régime matrimonial pour lequel ont opté les époux.
    • Reste que, au cas particulier, l’article 1427 du Code civil instaure une règle plus protectrice que celle énoncée par le régime primaire en portant de délai pour agir en nullité de l’acte qui prive la famille de son logement à deux ans.
    • Dans ces conditions, quelle disposition appliquer ? L’article 215 qui instaure un bref délai d’un an ou l’article 1427 qui prévoit un délai de deux ans ?
    • Pour la doctrine, il y a lieu de faire application de l’article 1427, de sorte que l’action en nullité peut être exercée pendant un délai de deux ans lorsque le logement de la famille est un bien commun.
    • Encore faut-il néanmoins que l’acte en cause corresponde à l’un des cas de cogestion énoncés aux articles 1422, 1424 et 1425 du Code civil.
    • Tel ne sera pas le cas, par exemple, de la résiliation d’un contrat d’assurance, la Cour de cassation ayant estimé, dans un arrêt du 14 novembre 2006, que cet acte ne relève pas du domaine de la cogestion ( 1ère civ. 14 nov. 2006, n°05-19.402).

3. Les effets de la nullité

La nullité a pour effet d’anéantir rétroactivement l’acte accompli en violation de l’article 215, al. 3e du Code civil. Par rétroactivité il faut entendre que l’acte est censé n’avoir jamais existé.

Cela signifie, autrement dit, que l’acte est anéanti, tant pour ses effets futurs que pour ses effets passés.

Dans l’hypothèse où l’acte a reçu un commencement d’exécution, voire a été exécuté totalement, l’annulation du contrat suppose de revenir à la situation antérieure, soit au statu quo ante.

Dans un arrêt du 3 mars 2010 la Cour de cassation a pris le soin de préciser que la nullité privait l’acte de tout effet, de sorte que le tiers contractant ne pouvait pas se prévaloir du bénéfice d’une clause pénale stipulée dans cet acte (Cass. 1ère civ. 3 mars 2010, n°08-18.947).

La première chambre civile est allée encore plus loin en jugeant que la nullité pouvait s’étendre, par contamination, à la promesse de porte-fort attachée à l’acte anéanti (Cass. 1ère civ. 11 oct. 1989, n°88-13.631).

Dans cette affaire, un époux a vendu le bien affecté au logement de la famille à un tiers par l’entremise d’une agence immobilière en se portant fort de la ratification de l’acte par sa conjointe.

Consécutivement au refus de cette dernière de consentir à la vente, les tiers acquéreurs ont sollicité l’exécution de la promesse de porte-fort consentie à leur profit, exécution qui devait se traduire par l’octroi de dommages et intérêts.

Tandis que les juges du fonds ont considéré que cette promesse était parfaitement valable, la Première chambre civile retient la solution inverse, au motif que la nullité frappant l’acte de vente atteignait également la promesse de porte-fort qui y était attachée.

La solution est ici contestable dans la mesure où elle revient à étendre de façon excessive le périmètre de l’article 215, al. 3e du Code civil.

Non seulement la promesse de porte-fort ne menaçait en rien le logement familial puisque son inexécution ne pouvait donner lieu qu’à l’octroi de dommages et intérêts, mais encore cette promesse pouvait être regardée comme totalement indépendante de l’acte de vente pris séparément.

Telle n’est toutefois pas la voie que la Cour de cassation a choisi d’emprunter. Depuis lors, elle n’est jamais revenue sur sa position.

Pratiquement, cela signifie que le tiers qui est victime de l’annulation de l’acte, ne dispose d’aucun recours contre l’époux avec lequel il a contracté.

La Cour de cassation considère qu’il lui appartenait « d’exiger les consentements nécessaires à la validité de la vente » (Cass. 1ère civ. 11 oct. 1989, n°88-13.631).

Tout au plus, il pourra engager la responsabilité du professionnel de l’immobilier pour manquement à son obligation de conseil.

§2: La protection spéciale du logement familial ( 1751 C. civ.)

==> Vue générale

L’article 1751 du Code civil prévoit que « le droit au bail du local, sans caractère professionnel ou commercial, qui sert effectivement à l’habitation de deux époux, quel que soit leur régime matrimonial et nonobstant toute convention contraire et même si le bail a été conclu avant le mariage, ou de deux partenaires liés par un pacte civil de solidarité, dès lors que les partenaires en font la demande conjointement, est réputé appartenir à l’un et à l’autre des époux ou partenaires liés par un pacte civil de solidarité. »

Il ressort de cette disposition que lorsqu’un époux est titulaire d’un bail qui assure le logement de la famille, la titularité de ce bail est étendue à son conjoint.

Ainsi que le relève un auteur, est ainsi instituée une sorte d’« indivision forcée atypique »[8]. Cette thèse semble avoir été consacrée par la Cour de cassation qui, dans un arrêt du 27 janvier 1993, a affirmé que l’article 1751 du Code civil « crée une indivision, conférant à chacun des époux des droits et obligations identiques, notamment l’obligation de payer des loyers et accessoires » (Cass. 3e civ. 27 janv. 1993, n°90-21.825).

Bien que logée dans la partie du Code civil dédiée aux baux des maisons et des biens ruraux, la règle énoncée à l’article 1751 relève du régime primaire impératif puisque, comme précisé par le texte, elle est applicable « quel que soit » le régime matrimonial des époux.

Il s’agit donc là d’une disposition à laquelle il ne saurait être dérogé par convention contraire et notamment par l’établissement d’un contrat de mariage. Et il est indifférent que les époux aient opté pour un régime de communauté ou un régime de séparation de biens. La règle de cotitularité du bail prévaut.

Reste que le domaine de cette règle demeure circonscrit tout autant que ses effets ainsi que sa durée.

I) Le domaine de la protection instituée pour les baux

Pour que la protection instituée par l’article 1751 du Code civil puisse opérer, trois conditions cumulatives doivent être remplies :

  • D’une part, la cotitularité ne joue que s’il est question d’un droit au bail
  • D’autre part, seuls les baux d’habitation ne sont visés par la protection
  • Enfin, le local doit servir effectivement à l’habitation des époux

==> S’agissant de l’exigence d’un bail

Comme précisé par l’article 1751 du Code civil, le dispositif de protection institué n’a vocation à s’appliquer qu’en présence d’un bail.

Par bail, il faut entendre, selon l’article 1709 du Code civil, le contrat par lequel l’une des parties s’oblige (le bailleur) à faire jouir l’autre (le preneur ou locataire) d’une chose pendant un certain temps, et moyennant un certain prix que celle-ci s’oblige de lui payer.

Aussi, la jurisprudence a-t-elle refusé de faire application de l’article 1751 à une convention d’occupation gratuite d’un immeuble qui se distingue d’un bail en ce qu’elle confère au preneur un droit précaire sur le local auquel il peut être mis fin à tout moment.

Dans un arrêt du 13 mars 2002, la Troisième chambre civile affirme que « les dispositions de l’article 1751 du Code civil ne sont pas applicables à une convention d’occupation gratuite d’un local » (Cass. 3e civ. 13 mars 2002, n°00-17.707).

Aussi, est-il absolument nécessaire qu’un bail soit conclu pour que la règle énoncée à l’article 1751 du Code civil puisse jouer.

À cet égard, il est indifférent que le bail ait été conclu avant le mariage ou qu’il soit assujetti à un statut spécifique, encore qu’il doive consister, a minima, en un bail d’habitation.

==> S’agissant de l’exigence d’un bail d’habitation

L’article 1751 du Code civil prévoit que l’extension de la titularité du bail au conjoint ne peut opérer qu’à la condition que les locaux loués soient affectés à un usage d’habitation.

Cette disposition exclut, en effet, de son champ d’application les baux conclus aux fins d’usage professionnel, commercial, rural ou mixte.

Il s’agit là, manifestement d’une différence avec l’article 215, al. 3e du Code civil qui ne distingue pas selon la destination du local. La protection instituée par cette disposition opère, en effet, dès lors que le local constitue le lieu de vie effectif de la famille.

==> S’agissant de l’exigence d’habitation effective du local loué

L’article 1751 du Code civil vise le seul « droit au bail du local […] qui sert effectivement à l’habitation de deux époux ».

Il en résulte que la protection instituée par cette disposition ne pourra pas jouer pour le bail qui se rapporte à une résidence secondaire et plus généralement à un local dans lequel la famille ne vit pas à titre habituel (V. en ce sens CA Orléans, 20 févr. 1964).

Dans le même sens, la Cour de cassation a décidé, dans un arrêt du 7 novembre 1995, que la cotitularité du bail n’avait pas vocation à jouer lorsque les époux n’avaient pas cohabité dans le local (Cass. 1ère civ. 7 nov. 1995, n°92-21.276).

Pour que l’article 1751 s’applique le local disputé doit nécessairement avoir servi à l’habitation des deux époux (Cass. 3e civ. 28 janv. 1971, n°69-13.314).

II) Les effets de la protection spéciale instituée pour les baux

L’extension de la titularité du bail au conjoint par le jeu de l’article 1751 du Code civil emporte plusieurs effets :

  • Premier effet
    • Le principal effet de l’instauration d’une cotitularité du bail et dont découlent tous les autres est qu’il « est réputé appartenir à l’un et à l’autre des époux».
    • Autrement dit, quand bien même le bail aurait été conclu, lors de l’entrée en possession des lieux, pas un époux seul, le mariage a pour effet de conférer à son conjoint la qualité de partie au contrat.
    • Il s’agit là, manifestement, d’une règle exorbitante du droit commun et plus précisément une dérogation à l’effet relatif des conventions.
    • En principe, seules les personnes qui ont participé à la conclusion d’un contrat acquièrent la qualité de partie à l’acte.
    • L’article 1751 du Code civil vient ici déroger à la règle en octroyant au conjoint, peu important qu’il ait consenti ou non à l’acte, la qualité de partie au contrat.
    • Selon le texte, il est « réputé» (terme qui signale une fiction juridique) être cotitulaire du bail.
  • Deuxième effet
    • Conséquence de l’extension de la titularité du bail au conjoint, le contrat ne peut faire l’objet d’aucune résiliation du chef d’un seul époux.
    • La résiliation du bail requiert, autrement dit, le consentement des deux époux.
    • Dans un arrêt du 20 février 1969, la Cour de cassation a jugé en ce sens que le congé donné par le mari seul ne peut avoir effet à l’égard de la femme, cotitulaire du droit au bail ( 3e civ. 20 févr. 1969).
    • Plus généralement, un époux ne peut disposer seul du bail, en ce sens qu’il ne peut, ni le résilier, ni le modifier.
    • La violation de cette interdiction est sanctionnée par l’inopposabilité de l’acte (V. en ce sens 1ère civ. 1er avr. 2009, n°08-15.929).
    • La Troisième chambre civile a, par ailleurs, précisé dans un arrêt du 19 juin 2002 que « le congé donné par un seul des époux titulaires du bail n’est pas opposable à l’autre et que l’époux qui a donné congé reste solidairement tenu des loyers » ( 3e civ. 19 juin 2002, n°01-00.652).
  • Troisième effet
    • Autre effet de la cotitularité du bail, les obligations stipulées dans le contrat pèsent sur les deux époux, en particulier l’obligation solidaire de paiement des loyers.
    • Dans un arrêt du 7 mai 1969, la Cour de cassation a ainsi validé la décision d’une Cour d’appel qui avait décidé, en application de l’article 1751 du Code civil, « que l’épouse est réputée par l’effet du bail conclu au profit du mari et dès cette époque co-preneur avec celui-ci en vertu d’un droit distinct et qu’elle est tenue personnellement des obligations qui en résultent».
    • Elle en déduit qu’elle était tenue solidairement du paiement des loyers avec son époux ( 1er civ. 1 mai 1969).
    • À l’examen, cette solidarité du paiement des loyers tient tout autant à l’application de l’article 1751 du Code civil, qu’à la convocation de la règle énoncée à l’article 220 du Code civil qui prévoit une solidarité des époux pour les dépenses ménagères.
    • La Cour de cassation a eu l’occasion de préciser qu’il était indifférent que l’époux poursuivi en paiement des loyers ait quitté les lieux, le critère déterminant étant le maintien du lien matrimonial (V. en ce sens 2e civ. 3 oct. 1990, n°88-18.453).
    • Or tant que ce lien perdure, l’article 1751 du Code civil continue à produire ses effets.
  • Quatrième effet
    • La jurisprudence considère que pour opérer, le congé donné par le bailleur doit être notifié individuellement aux deux époux, faute de quoi ce congé est inopposable au conjoint qui n’a pas été touché par la notification ( 3e civ. 10 mai 1989, n°88-10.363).
    • La solution est sévère pour le bailleur, dans la mesure où il est susceptible de n’avoir pas eu connaissance de la situation matrimoniale du preneur notamment lorsqu’il n’était pas marié au jour de la conclusion du bail.
    • Reste que la jurisprudence est constante sur l’application de cette règle dont les effets ont toutefois été atténués par le législateur lors de l’adoption de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs.
    • Cette loi comporte, en effet, un article 9-1 qui prévoit que « nonobstant les dispositions des articles 515-4 et 1751 du code civil, les notifications ou significations faites en application du présent titre par le bailleur sont de plein droit opposables au partenaire lié par un pacte civil de solidarité au locataire ou au conjoint du locataire si l’existence de ce partenaire ou de ce conjoint n’a pas été préalablement portée à la connaissance du bailleur. »
    • Autrement dit, toute évolution de la situation matrimoniale du preneur doit être portée à la connaissance du bailleur, faute de quoi en cas de délivrance d’un congé, le conjoint ne sera pas fondé à se prévaloir, auprès du bailleur, de la cotitularité du bail.
    • Dans un arrêt du 19 octobre 2005, la Cour de cassation n’a pas manqué de rappeler cette exigence en affirmant, s’agissant d’un congé qui avait été délivré au seul mari, que « l’article 9-1 de la loi du 6 juillet 1989 faisait peser sur le locataire une obligation d’information de son lien matrimonial impliquant une démarche positive de sa part envers son bailleur et que la preuve que cette information avait bien été donnée incombait au preneur, la cour d’appel, qui a souverainement retenu que cette preuve n’était pas rapportée, en a exactement déduit que le congé notifié à M. Y… seul était opposable à son épouse» ( 3e civ. 19 oct. 2005, n°04-17.039).
    • La Cour de cassation a toutefois précisé dans un arrêt du 9 novembre 2011 que l’absence de notification au bailleur du changement de situation matrimoniale du preneur était sans incidence sur la cotitularité du bail, soit sur les rapports entre époux ( 3e civ. 9 nov. 2011, n°10-20.287).
  • Cinquième effet
    • Au même titre que l’époux qui a conclu le bail, le conjoint qui, par l’effet du mariage, devient cotitulaire de ce bail, se voit conférer, un droit de préemption qu’il peut exercer en cas de projet de cession du bien loué.
    • Pour la Cour de cassation « il résulte de l’article 11 de la loi du 22 juin 1982, rapproché des dispositions de l’article 1751 du Code civil, qu’en cas de vente d’un immeuble servant à l’habitation des deux époux, chacun d’eux bénéficie d’un droit de préemption aux conditions fixées par le propriétaire» ( 3e civ. 16 oct. 1996, n°89-20.260).

III) La durée de la protection spéciale instituée pour les baux

L’article 1751 du Code civil envisage à ses alinéas 2 et 3 le sort du bail en cas, d’une part, de divorce ou de séparation de corps, et, d’autre part, de décès d’un des époux.

  • S’agissant du divorce ou de la séparation de corps
    • L’alinéa 2 de l’article 1751 du Code civil prévoit que « en cas de divorce ou de séparation de corps, ce droit pourra être attribué, en considération des intérêts sociaux et familiaux en cause, par la juridiction saisie de la demande en divorce ou en séparation de corps, à l’un des époux, sous réserve des droits à récompense ou à indemnité au profit de l’autre époux.»
    • Ainsi, revient-il au juge de décider du sort du bail, sauf à ce que les époux s’entendent sur son attribution.
    • Lorsqu’aucun accord ne sera trouvé entre les époux, il appartiendra au juge de se déterminer en considération « des intérêts sociaux et familiaux en cause».
  • S’agissant du décès d’un des époux
    • L’alinéa 3 de l’article 1751 prévoit que « en cas de décès d’un des époux ou d’un des partenaires liés par un pacte civil de solidarité, le conjoint ou le partenaire lié par un pacte civil de solidarité survivant cotitulaire du bail dispose d’un droit exclusif sur celui-ci sauf s’il y renonce expressément. »
    • Issue de la loi n°2001-1135 du 3 décembre 2001 relative aux droits du conjoint survivant et des enfants adultérins et modernisant diverses dispositions de droit successoral, cette disposition confère au conjoint survivant un droit exclusif sur le bail.
    • Cette loi a ainsi mis fin à une situation qui, par une application stricte de l’article 1751 du Code civil, conduisait à mettre le conjoint survivant en concurrence avec les ayants droit de l’époux décédé quant à la titularité du bail.
    • Désormais, il est protégé et dispose d’une option qui lui octroie la faculté de se maintenir dans les lieux ou de renoncer au bail.

[1] A. Karm, Mariage – Organisation de la communauté conjugale et familiale – Communauté de résidence, Jurisclasseur, fasc. 30, n°3.

[2] J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand Colin, 2001, n°123, p. 113.

[3] I. Dauriac, Les régimes matrimoniaux, éd. LGDJ, 2010, n°53, p. 42.

[4] J. Carbonnier, « Les trois piliers du droit », Flexible droit. Pour une sociologie du droit sans rigueur, LGDJ, 2001, pp. 257 et s.

[5] I. Dauriac, Les régimes matrimoniaux et le pacs, éd. LGDJ, 2010, n°61, p. 47.

[6] J. Flour et Gérard Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand Colin, éd. 2001, n°126, p. 119.

[7] R. Cabrillac, Droit des régimes matrimoniaux, éd. Monchrestien, 2011, n°42, p. 45.

[8] A. Colomer, Droit civil – Régimes matrimoniaux, éd. Litec, 2004, n°82, p. 42.