La transaction: régime juridique

Lorsque survient un différend entre justiciables, la saisine du juge constitue toujours un échec pour ces derniers.

Car en effet, porter son litige devant une juridiction c’est renoncer à son pouvoir de décision à la faveur d’une tierce personne.

Plus précisément, c’est accepter de faire dépendre son sort d’un aléa judiciaire, lequel est susceptible de faire pencher la balance dans un sens ou dans l’autre.

Certes, le juge tranche le litige qui lui est soumis en fonction des éléments de preuve produits par les parties. Ces éléments doivent néanmoins être appréciés par lui, sans compter qu’il tranchera, en définitive, selon son intime conviction.

Or cette intime conviction du juge est difficilement sondable. Il y a donc bien un aléa qui est inhérent à toute action en justice, ce qui est de nature à placer les parties dans une situation précaire dont elles n’ont pas la maîtrise.

Au surplus, quelle que soit la décision entreprise par le juge – le plus souvent après plusieurs années de procédure – il est un risque qu’elle ne satisfasse aucune des parties pour la raison simple que cette décision n’aura, par hypothèse, pas été voulue par ces dernières.

Est-ce à dire que la survenance d’un litige condamne nécessairement les parties à une relégation au rang de spectateur, compte tenu de ce qu’elles n’auraient d’autre choix que de subir une solution qui leur aura été imposée ?

À l’analyse, la conduite d’un procès n’est pas la seule solution qui existe pour éteindre un litige ; il est une autre voie susceptible d’être empruntée.

Cette voie réside dans le choix de ce que l’on appelle les modes alternatifs de règlement des conflits désignés couramment sous l’appellation générique de MARC.

Les MARC désignent tous les modes de règlement des conflits autres que le mode contentieux judiciaire traditionnel. Ils offrent la possibilité aux parties, seules ou avec l’aide d’un tiers, assistées ou non d’un avocat, d’être acteurs de leur propre litige.

Depuis le milieu des années 1990, les MARC connaissent un essor considérable en France, le législateur ayant adopté une succession de mesures tendant à en assurer le développement auprès des justiciables jusqu’à, dans certains cas, les rendre obligatoires.

Aujourd’hui, il existe une grande variété de MARC : arbitrage, conciliation, médiation, convention de procédure participative, transaction…

Les dernières réformes en date qui ont favorisé le recours aux modes alternatifs de règlement des conflits ne sont autres que :

  • La loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle qui a notamment introduit l’obligation de réaliser une tentative amiable de résolution du litige préalablement à la saisine de l’ancien Juge d’instance
  • La loi n°2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice qui a renforcé les obligations de recours à la conciliation ou à la médiation en conférant notamment au juge le pouvoir d’enjoindre les parties de rencontrer un médiateur

Plus récemment encore, le décret n°2023-686 du 29 juillet 2023 a créé deux nouveaux outils procéduraux visant à favoriser la résolution amiable des litiges devant le Tribunal judiciaire : l’audience de règlement amiable et la césure du procès civil.

Dans sa décision rendue le 21 mars 2019, le Conseil constitutionnel a affirmé que la démarche du législateur visant à réduire le nombre des litiges soumis au juge participe de la poursuite de l’objectif à valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice.

Parmi ces techniques, qui constituent autant d’alternatives au procès, il en est une qui offre la possibilité aux parties de régler elles-mêmes leur différend sans l’intervention d’un tiers : c’est la transaction.

🡺Notion

Le terme transaction résulte de la combinaison des mots latins « trans » (au-delà) et « agere » (pousser). Étymologiquement, la transaction exprime ainsi l’idée d’une technique visant à dépasser un conflit.

À cet égard, la transaction est une institution des plus anciennes qui était connue des romains. Ces derniers l’envisageaient comme un accord conclu entre les parties permettant de prévenir ou de mettre fin à un procès.

Elle avait également les faveurs de l’un des rédacteurs du Code civil, Bigot de Préameneu, qui, dans les travaux préparatoires, écrivaient que « de tous les moyens de mettre fin aux différents que font naître entre les hommes leurs rapports variés et multipliés à l’infini, le plus heureux dans tous ses effets est la transaction, ce contrat par lequel sont terminées les contestations existantes, ou par lequel on prévient les contestations à naître ».

Assez curieusement, il n’avait pourtant pas été prévu, à l’origine, de consacrer à la transaction des dispositions spécifiques dans le Code civil. Ce n’est qu’à la toute fin du parcours législatif que des articles portant sur la transaction ont été intégrés dans le Code Napoléonien.

Aujourd’hui, la définition que l’on retrouve de la transaction dans le Code civil n’est pas très éloignée de celle retenue par le droit romain.

L’article 2044 du Code civil définit, en effet, la transaction comme « un contrat par lequel les parties, par des concessions réciproques, terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître ».

Il ressort de cette disposition que la transaction s’analyse comme un contrat et plus précisément comme un contrat nommé.

À la vérité, elle est plus qu’un contrat dans la mesure où elle emprunte également au droit judiciaire privé, en raison de ses fonctions.

🡺Fonctions

La transaction, telle qu’envisagée par le Code civil, remplit les mêmes fonctions que la technique issue du droit romain :

  • Première fonction : prévenir une contestation à naître
    • Lorsque les parties optent pour la conclusion d’un accord transactionnel, elles font le choix de renoncer à faire trancher leur différend par un juge.
    • Transiger c’est donc éviter de s’engager dans une procédure judiciaire qui promet d’être longue, coûteuse et surtout incertaine.
    • La transaction permet ainsi aux parties de conserver la maîtrise de leur sort et, par voie de conséquence, de mieux accepter le compromis qui en résultera.
  • Seconde fonction : terminer une contestation née
    • La transaction n’a pas seulement pour fonction de prévenir un éventuel procès ; elle met fin à la contestation des parties.
    • Cette technique a, en effet, pour effet d’éteindre le droit d’agir en justice, en ce sens que, une fois conclue et sous réserve de valable, elle fait obstacle à la saisine du juge.
    • En transigeant, les parties vident le litige de sa substance. Or un litige qui perd son objet emporte extinction de l’intérêt à agir des parties.
    • Si une partie saisissait le juge, nonobstant la conclusion d’une transaction, elle se verrait opposer une fin de non-recevoir pour cause de chose transigée.

🡺Intérêt

L’intérêt de la transaction est triple pour les parties :

  • D’une part, la transaction confère aux parties la faculté de mettre définitivement fin à leur litige au moyen d’un compromis et donc d’éviter de subir une décision dont les termes seraient déterminés par le juge. Une solution négociée par les parties a, en effet, bien plus de chance d’être acceptée par elles et donc d’être exécutée, qu’une solution qui leur serait imposée.
  • D’autre part, la transaction est pourvue, à l’instar de n’importe quel contrat, de la force obligatoire, de sorte qu’elle ne peut pas être remise en cause, sauf irrégularité affectant la validité de l’accord transactionnel. Lorsqu’elle est homologuée, la transaction pourra, en outre, être dotée de la force exécutoire, ce qui signifie qu’elle s’élèvera au rang de titre exécutoire autorisant alors la partie créancière à solliciter une exécution forcée de l’accord conclu avec son cocontractant.
  • Enfin, la transaction permet de chasser l’incertitude quant à la mise en œuvre d’une procédure judiciaire. En transigeant, les parties acquièrent, en effet, la certitude que leur litige ne pourra pas être porté, dans le futur, devant une juridiction.

Ce triple intérêt que recèle la transaction est résumé par l’adage : « mieux vaut un mauvais arrangement qu’un bon procès ».

🡺Règles applicables

La transaction, en ce qu’elle consiste en un contrat, est régie par le droit commun des contrats, de sorte que s’appliquent notamment à elle les règles relatives à la formation, aux effets et à l’exécution des conventions.

Par ailleurs, parce qu’elle relève de la catégorie des contrats nommés, la transaction est également soumise à des règles spéciales. Ces règles sont énoncées aux articles 2044 à 2052 du Code civil.

Là ne sont pas les seules règles applicables à la transaction, il faut aussi compter sur les dispositions que l’on retrouve dans des matières très spécifiques, telles que le droit du travail ou encore le droit des accidents de la circulation.

On retrouve, en effet, dans ces matières des règles qui intéressent la transaction et qui dérogent au droit commun.

La Cour de cassation a, par exemple, décidé s’agissant d’une transaction ayant pour objet de mettre fin à un litige résultant d’un licenciement, qu’elle ne pouvait être valablement conclue qu’une fois la rupture du contrat de travail intervenue et définitive (Cass. soc. 29 mai 1996, n°92-45.115).

En matière d’indemnisation des accidents de la circulation, l’article 211-16 du Code des assurances atténue la force obligatoire de la transaction en prévoyant que « la victime peut, par lettre recommandée, ou par envoi recommandé électronique avec demande d’avis de réception, dénoncer la transaction dans les quinze jours de sa conclusion. »

I) Les éléments constitutifs de la transaction

Il s’infère de la définition de la transaction énoncée à l’article 2044 du Code civil que ses éléments constitutifs sont au nombre de trois :

  • L’existence d’une contestation née ou à naître
  • L’existence de concessions réciproques entre les parties
  • L’existence d’une intention de mettre fin à un différend

A) L’existence d’une contestation née ou à naître

La conclusion d’un accord transactionnel est subordonnée, dit l’article 2044 du Code civil, à l’existence d’une contestation née ou à naître.

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir ce que l’on doit entendre :

  • D’une part, par « contestation »
  • D’autre part, par « contestation née ou à naître »

🡺La notion de contestation

La notion de contestation n’est définie par aucun texte. Dans une acception large, comme souligné par le Professeur Louis THIBIERGE, elle désigne une « incertitude ».

Est-ce à dire que des parties qui seraient prises d’un doute sur l’un des éléments de la situation qui les lie seraient fondées à conclure une transaction afin de mettre fin à ce doute ?

C’est ce que prévoit le droit allemand, lequel admet qu’une transaction puisse être régularisée aux fins de mettre un terme à une incertitude.

Tel n’est toutefois pas la conception retenue en droit français de la notion de contestation.

Les auteurs s’accordent à dire que la seule existence d’un doute n’autorise pas des parties à conclure une transaction. Pour justifier la conclusion d’un accord transactionnel, ce doute doit dégénérer en litige.

La Cour de cassation a statué en ce sens dans un arrêt du 3 avril 2007 en jugeant qu’aucune transaction ne pouvait être valablement constatée faute par la partie qui s’en prévalait d’établir l’existence d’une « situation litigieuse » (Cass. 1ère civ. 3 avr. 2007, n°06-12.494).

Ainsi, la conclusion d’une transaction requiert nécessairement l’existence d’un désaccord susceptible d’être porté par les parties devant un juge. Il faut, en d’autres termes, que le différend qui oppose les parties leur ouvre le droit d’agir en justice.

La raison en est que la transaction n’est pas un simple contrat ; elle présente une dimension juridictionnelle puisqu’admise au rang des modes alternatifs de règlement des litiges.

Or sans litige, une transaction devient sans objet ; raison pour laquelle un accord qui viserait à mettre fin à une incertitude ou à une opposition d’intérêts ne pourrait pas être qualifié de transaction.

🡺La notion de contestation née ou à naître

L’article 2044 du Code civil envisage deux sortes de contestation : celle qui est déjà née et celle qui est à naître.

  • La contestation née
    • Une contestation née est celle qui a déjà été portée devant une juridiction, soit qui a donné lieu à un procès.
    • À ce stade, la contestation est donc en voie d’être tranchée par le juge.
    • La conclusion d’une transaction permet aux parties de trouver une issue amiable à leur litige avant que le juge ne rende sa décision.
    • Lorsqu’une transaction intervient dans ce cadre, elle est qualifiée de judiciaire.
    • La question qui immédiatement se pose est de savoir si une transaction peut intervenir à n’importe quel stade de la procédure.
    • Dans le silence des textes sur ce point, il est admis qu’une transaction puisse être conclue à tout moment dans le procès à l’instar de la conciliation (art. 128 CPC).
    • Qu’en est-il lorsque le juge a rendu sa décision ?
    • Dans cette hypothèse, il y a lieu de distinguer les décisions rendues avant-dire droit et les décisions rendues au fond
      • Les décisions rendues avant dire droit
        • L’article 482 du Code de procédure civile prévoit que « le jugement qui se borne, dans son dispositif, à ordonner une mesure d’instruction ou une mesure provisoire n’a pas, au principal, l’autorité de la chose jugée »
        • Il ressort de cette disposition que la décision rendue avant dire droit est celle qui se borne à ordonner une mesure d’instruction (désignation d’un expert) ou une mesure provisoire (mise d’un bien sous séquestre) avant que le litige principal ne soit tranché par le juge saisi au fond.
        • Lorsqu’un jugement avant dire droit a été rendu, il ne fait aucun doute qu’une transaction peut être conclue dans la mesure où le litige principal n’a pas encore été tranché et que donc, par hypothèse, il existe toujours
      • Les décisions rendues au fond
        • Lorsqu’une décision est rendue au fond, elle est pourvue de l’autorité de la chose jugée au principal, ce qui signifie qu’il n’est plus possible pour les parties de revenir judiciairement sur ce qui a été jugé, sauf exercice de voies de recours.
        • À la question de savoir si une transaction peut être conclue entre les parties postérieurement à une décision rendue au fond, les auteurs sont partagés.
        • D’aucuns soutiennent que cette pratique ne devrait pas être admise.
        • Pour les tenants de cette thèse, dans la mesure où la contestation portée devant le juge a été tranchée, le litige s’en trouve, par voie de conséquence, éteint.
        • Or parce que le litige est éteint, une transaction ne devrait pas pouvoir intervenir faute d’objet.
        • D’autres auteurs, auxquels nous nous rallions, soutiennent le contraire en avançant que des désaccords susceptibles d’être portés devant un juge peuvent subsister entre les parties postérieurement à la décision rendue au fond.
        • On pense, en premier lieu, au désaccord initial qui, bien que tranché par un juge, peut donner lieu à l’exercice d’une voie de recours.
        • La transaction permettra alors d’éviter que la partie succombante n’interjette appel ou se pourvoit en cassation.
        • Des désaccords peuvent également survenir au stade de l’exécution de la décision rendue au fond.
        • Afin de prévenir ces désaccords, on voit mal pourquoi on interdirait aux parties de conclure une transaction.
        • Dans un arrêt du 28 mars 1973, la Cour de cassation l’a d’ailleurs admis (Cass. 2e civ. 28 mars 1973, 72-10.317).
        • Aussi parce que postérieurement à la décision rendue au fond des désaccords susceptibles d’être portés devant le juge peuvent encore survenir, il y a lieu, selon nous d’admettre, que des transactions puissent être conclues par les parties.
  • La contestation à naître
    • La contestation à naître est celle qui intervient avant qu’une action justice n’ait été engagée par une partie.
    • À ce stade, le juge n’a donc pas été saisi ; la contestation, si elle perdure, est toutefois susceptible de conduire une partie à exercer son droit d’agir en justice.
    • Aussi, dans cette hypothèse, la conclusion d’une transaction a-t-elle pour but d’éviter que la contestation ne soit portée devant une juridiction.
    • Lorsqu’elle intervient dans ce cadre, la transaction est qualifiée d’extrajudiciaire.
    • S’agissant de l’objet de la contestation à naître, elle ne peut donner lieu à la conclusion d’une transaction que si celle porte sur un droit actuel.
    • Si donc la contestation porte sur un droit futur, elle ne pourra pas être éteinte au moyen d’un protocole transactionnel.
    • Par droit futur, il faut entendre le droit qui n’est pas encore né, faute de survenance de son fait générateur.
    • Dans un arrêt du 21 mars 1988, la Cour de cassation a, par exemple jugé, s’agissant d’une transaction portant sur l’octroi d’une prestation compensatoire, « qu’aucune procédure de divorce n’étant engagée, les époux ne pouvaient valablement transiger sur leur droit futur à une prestation compensatoire » (Cass. 2e civ. 21 mars 1988, n°86-16.598).
    • S’agissant de la caractérisation d’une contestation à naître, il y a lieu de distinguer selon qu’elle porte sur un fait juridique ou sur un acte juridique.
      • En présence d’un fait juridique
        • La contestation consistera ici en tout désaccord sur l’existence ou l’exercice d’un droit.
        • Ce désaccord pourra notamment porter sur le droit à indemnisation né du préjudice causé à autrui.
      • En présence d’un acte juridique
        • Il y a lieu ici de distinguer selon que l’on situe au stade de la phase précontractuelle ou au stade de l’exécution du contrat.
          • Au stade de la phase précontractuelle
            • À ce stade, les parties négocient les termes du contrat.
            • Aussi, les désaccords susceptibles d’intervenir dans le cadre des négociations ne peuvent pas donner lieu à une transaction.
            • Il est, en effet, tout à fait normal que des désaccords surviennent pendant la phase de négociation.
            • De même qu’il n’appartient pas aux juges de trancher ces désaccords, les parties ne sont pas fondées à les régler par voie de transaction.
            • Si, en effet, elles trouvent un compromis, celui-ci donnera lieu à l’établissement, non pas d’une transaction au sens de l’article 2044 du Code civil, mais du contrat dont elles ont négocié les termes.
          • Au stade de l’exécution du contrat
            • Dès lors que le contrat a été conclu, tout désaccord qui surviendrait entre les parties au cours de l’exécution du contrat peut donner lieu à la régularisation d’une transaction.

B) L’existence de concessions réciproques entre les parties

1. Principe

1.1. Origine

De longue date, il est admis que la validité d’une transaction est subordonnée à l’existence de concessions réciproques entre les parties.

Cette exigence, qui ne figurait pas dans la version initiale du Code civil, a d’abord été formulée par la jurisprudence.

À cet égard, on la retrouvait déjà dans le Code Justinien qui énonçait : transactio nullo dato, vel retento, seu promisso, minime procedit. Cela signifie littéralement qu’il ne peut y avoir de transaction sans que rien ne soit donné, retenu ou promis

Très tôt, l’exigence de concessions réciproques est devenue l’une des pierres angulaires du régime de la transaction en droit français.

Il a toutefois fallu attendre l’adoption de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle pour qu’elle soit consacrée par le législateur.

C’est désormais chose faite ; l’exigence de concessions réciproques est énoncée à l’article 2044 du Code civil.

1.2. Contenu de l’exigence

Le Code civil ne donne aucune définition de la notion de « concessions réciproques », l’article 2044 se bornant à en formuler l’exigence.

Aussi, est-ce vers la jurisprudence qu’il y a lieu de se tourner afin de mieux cerner le contenu de cette exigence.

L’analyse des décisions rendues révèle que les juges exigent tant, l’existence de concessions entre les parties, que l’existence de réciprocité de ces concessions.

a. L’exigence de concessions entre les parties

🡺La notion de concession

Dans son acception courante, une concession se définit, selon le dictionnaire de l’Académie française, comme l’action consistant à accorder quelque chose à quelqu’un dans le cadre d’un différend.

Appliquée à la transaction, immédiatement cette définition interroge : que faut-il, en effet, attendre par « accorder » ?

Par « accorder », faut-il entendre renoncer à un droit et/ou souscrire une obligation nouvelle ?

La jurisprudence admet les deux, de sorte qu’une concession peut tout autant consister en la renonciation en droit (Cass. com. 23 mai 1989, n°87-19.552), qu’en la souscription d’une obligation nouvelle (Cass. ass. plén., 24 févr. 2006, n°04-20.525).

Il pourra ainsi s’agir pour une partie, victime d’un dommage, de renoncer à son droit d’agir en justice en contrepartie de quoi l’auteur du dommage s’engage à verser une indemnité de réparation.

Il pourra encore s’agir pour un employeur de renoncer à licencier un salarié sur le fondement de la faute grave, en contrepartie de l’abandon par ce dernier au droit éventuel de réclamer des dommages et intérêts.

🡺L’appréciation de la concession

Très tôt, la question s’est posée en jurisprudence de savoir comment apprécier les concessions consenties par les parties.

Plus précisément, doit-on considérer que pour être qualifiée de concession, la prétention à laquelle renonce une partie doit être légitime ou doit-on seulement tenir compte de la prétention formulée par elle initialement indépendamment de son bien-fondé en droit ?

Supposons, par exemple, une victime qui réclame à l’auteur de son dommage le versement d’une indemnité de 100.000 euros.

Finalement, elle accepte de transiger à hauteur de 50.000 euros, alors même que le juge l’aurait débouté de son action en responsabilité.

Si l’on apprécie la renonciation faite en l’espèce par la victime à sa prétention au regard de sa légitimité, alors on doit considérer qu’il ne s’agit pas d’une concession dans la mesure où elle n’aurait pas obtenu gain de cause si elle avait agi en justice.

Si, en revanche, on apprécie la renonciation consentie par la victime au regard de la prétention faite initialement, alors il y a bien concession dans la mesure où la victime accepte de recevoir une indemnité moins élevée que celle réclamée initialement.

Pour la Cour de cassation, afin d’apprécier si la renonciation par une partie à une prétention consiste en une concession, il y a lieu de tenir compte de la seule prétention initiale.

Il est donc indifférent que cette prétention ne soit pas légitime, car non fondée en droit ; ce qui importe c’est que la prétention initiale fasse l’objet d’une renonciation.

Dans un arrêt du 27 mars 1996, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « l’existence de concessions réciproques, qui conditionne la validité d’une transaction, doit s’apprécier en fonction des prétentions des parties au moment de la signature de l’acte » (Cass. soc., 27 mars 1996, n°92-40.448).

Afin de déterminer si la transaction qui lui est soumise repose bien sur des concessions, il n’appartient donc pas au juge de vérifier si les prétentions formulées par les parties étaient légitimes ; il doit s’en tenir à celles formulées initialement.

b. L’exigence de réciprocité des concessions

🡺Énoncé de l’exigence de réciprocité

Il ne suffit pas pour être valable qu’une transaction constate des concessions, il faut encore que les concessions consenties soient réciproques.

Par réciproques, il faut entendre que les concessions faites doivent profiter à l’ensemble des parties à l’acte.

Dans un arrêt du 24 février 2006, la Cour de cassation est allée encore plus loin en exigeant l’existence d’« engagements réciproques interdépendants » (Cass. ass. plén., 24 févr. 2006, n°04-20.525).

Il ressort de cette décision que la seule existence de concessions mutuelles entre les parties ne suffit pas à remplir l’exigence de réciprocité.

Cette exigence suppose également une interdépendance entre les engagements pris par les parties.

Or pour que des engagements soient interdépendants, ils doivent se servir mutuellement de cause, soit avoir été envisagés par les parties comme la contrepartie de l’un à l’autre.

🡺L’appréciation de la réciprocité

L’appréciation de la réciprocité soulève principalement deux difficultés qui tiennent, d’une part au bénéficiaire des concessions constatées dans la transaction et, d’autre part, à l’équivalence des concessions.

  • Le bénéficiaire des concessions
    • L’exigence de réciprocité des concessions suppose qu’elles profitent à toutes les parties.
    • La question s’est toutefois posée de savoir si ce bénéfice devait être direct ou s’il pouvait être indirect.
    • Autrement dit, dans l’hypothèse où la concession serait consentie, non pas à une partie, mais à un tiers, remplirait-elle l’exigence de réciprocité ?
    • Dans un arrêt du 4 octobre 1966, la Cour de cassation a d’abord jugé que, pour être valables, les concessions devaient bénéficier directement aux parties et non à un tiers (Cass. com. 4 oct. 1966).
    • Puis, dans un arrêt du 25 octobre 2011, elle a opéré un revirement de jurisprudence en admettant que les concessions puissent bénéficier à un tiers (Cass. com. 25 oct. 2011, n°10-23.538).
    • Il n’est donc pas exigé que la concession faite profite directement à une partie, ce qui importe c’est qu’elle lui bénéficie au moins indirectement.
  • L’équivalence des concessions
    • Principe
      • Si l’article 2044 du Code civil exige que les concessions constatées dans la transaction soient réciproques, il ne dit pas qu’elles doivent être équivalentes.
      • Est-ce à dire que l’absence d’équivalence entre les concessions est sans effet sur la validité de la transaction ?
      • C’est ce qui a, très tôt, été admis par la jurisprudence.
      • Dans un arrêt du 5 janvier 1994, la Cour de cassation a, par exemple, affirmé que « constitue une transaction l’accord qui a pour objet de mettre fin à un différend s’étant élevé entre les parties et qui comporte des concessions réciproques, quelle que soit leur importance relative » (Cass. soc. 5 janv. 1994, n°89-40.961).
      • Il est donc indifférent que les concessions consenties entre les parties soient dépourvues d’équivalence.
      • Cette indifférence se confirme si l’on se reporte à la règle énoncée par l’ancien article 2052 du Code civil qui disposait qu’une transaction ne pouvait pas être attaquée « pour cause de lésion ».
      • Aujourd’hui, la seule règle qui aborde l’équivalence des engagements pris par les parties et qui serait applicable à la transaction relève du droit commun.
      • Elle a pour siège l’article 1168 du Code civil qui prévoit que « dans les contrats synallagmatiques, le défaut d’équivalence des prestations n’est pas une cause de nullité du contrat, à moins que la loi n’en dispose autrement ».
      • Or dans la partie du Code civil dédiée aux transactions il n’est aucune disposition qui prévoit le contraire.
      • Aussi, la seule exigence qui valle dans le cadre d’une transaction s’agissant de la valeur des concessions faites entre les parties est qu’elles soient réelles et non fictives.
    • Limite
      • L’article 1169 du Code civil prévoit que « un contrat à titre onéreux est nul lorsque, au moment de sa formation, la contrepartie convenue au profit de celui qui s’engage est illusoire ou dérisoire ».
      • Cette disposition, qui relève du droit commun des contrats, s’applique à la transaction.
      • Il en résulte que l’indifférence d’équivalence des concessions entre les parties dans le cadre d’une transaction n’est pas sans limite.
      • Pour être valables, les concessions consenties ne doivent pas être illusoires ou dérisoires.
      • Par illusoires ou dérisoires, il faut comprendre des concessions qui seraient tellement faibles ou insignifiantes que cela revient à l’absence de concessions faite par son auteur.
      • Or la validité d’une transaction est subordonnée à la réciprocité des concessions, ce qui implique que toutes les parties doivent justifier de concessions réelles et non fictives.
      • Dans un arrêt du 18 septembre 2002, la Cour de cassation a ainsi jugé qu’une transaction était nulle en raison du caractère dérisoire de l’indemnité versée par un assureur à la victime d’un accident de la circulation.
      • Au cas particulier, la concession se limitait au paiement des frais d’obsèques ce qui était sans commune mesure par rapport au préjudice économique subi par l’épouse de la victime décédée (Cass. 1ère civ. 18 sept. 2002, n°00-14.773).
      • Dans un arrêt du 23 avril 1997, la Chambre sociale a encore décidé que « le seul fait pour un employeur de dispenser le salarié qu’il licencie de l’exécution d’un préavis, sans pour autant lui verser d’indemnité compensatrice, ne constitue pas, de sa part et à lui seul, une concession de nature à rendre valable la transaction » (Cass. soc. 23 avr. 1997, n°94-40.349).
      • La Haute juridiction a retenu la même solution dans un arrêt du 28 novembre 2000 s’agissant du versement par un employeur d’une indemnité forfaitaire de 5000 francs à son salarié en réparation du préjudice résultant de son licenciement pour inaptitude (Cass. soc. 28 nov. 2000, n°98-43.635).

1.3. Sanction de l’inobservation de l’exigence

En cas d’absence de concessions réciproques entre les parties, deux sanctions sont encourues :

  • La requalification de la transaction
  • La nullité de la transaction

🡺La requalification de la transaction

Dans la mesure où comme souligné par la jurisprudence « l’existence de concessions réciproques […] conditionne la validité d’une transaction » (Cass. soc. 27 mars 1996, n°92-40.448), la sanction en cas de non-respect de cette exigence devrait être la nullité de l’opération.

Telle n’est pourtant pas la voie empruntée par la Cour de cassation qui privilégie la requalification de la transaction.

Dans un arrêt du 24 octobre 2006, la Cour de cassation a, par exemple, requalifié la transaction dont la validité était contestée en remise de dette (Cass. 1ère civ. 24 oct. 2006, n°05-19.792).

Elle a encore admis qu’une transaction puisse être requalifiée en donation-partage dans un arrêt du 4 mai 1976 (Cass. 1ère civ. 4 mai 1976, n°74-12.526).

On peut enfin citer un arrêt du rendu le 25 mars 2003 aux termes duquel la Première chambre civile a estimé qu’un accord conclu entre des concubins faisait ressortir un apurement de comptes mais non des concessions réciproques, de sorte que cet accord ne pouvait pas être qualifié de transaction (Cass. 1ère civ. 25 mars 2003, n°00-20.772).

🡺La nullité de la transaction

S’il est de principe que l’absence de concessions réciproques soit sanctionnée par la requalification de la transaction il arrive, par exception, que la sanction prononcée soit finalement la nullité de l’opération.

La Cour de cassation a, par exemple, statué en ce sens dans un arrêt du 9 juillet 2003 (Cass. 9 juill. 2003, n°01-11.963).

À l’analyse, il peut être observé que la sanction de la nullité sera surtout, sinon systématiquement, encourue lorsque la transaction est conclue dans le cadre d’un litige qui oppose un salarié à son employeur (Cass. soc. 2 déc. 1997, n°95-42.981 ; Cass. soc. 28 nov. 2000, n°98-635 ; Cass. soc. 29 nov. 2006, n°04-47.787).

2. Exception

Par exception, l’existence de concessions réciproques n’est pas exigée lorsque la transaction intervient dans le cadre de l’indemnisation d’une victime d’un accident de la circulation par un assureur.

Dans un arrêt remarqué du 16 novembre 2006, la Cour de cassation a jugé que « la loi du 5 juillet 1985 instituant un régime d’indemnisation en faveur des victimes d’accident de la circulation, d’ordre public, dérogatoire au droit commun, qualifie de transaction la convention qui se forme lors de l’acceptation par la victime de l’offre de l’assureur et que cette transaction ne peut être remise en cause à raison de l’absence de concessions réciproques » (Cass. 2e civ. 16 nov. 2006, n°05-18.631).

C) L’existence d’une intention de mettre fin à un différend

La validité d’une transaction est subordonnée à l’existence d’une intention des parties de mettre fin au litige.

Cette exigence est expressément énoncée par l’article 2044 du Code civil. Elle signifie que les parties doivent avoir la volonté en optant pour la transaction :

  • Soit de mettre un terme à l’instance si elle est déjà engagée
  • Soit de renoncer à l’introduction postérieure d’une action en justice

Compte tenu de l’exigence de cette intention des parties de mettre fin à leur litige, la question s’est posée de savoir si une transaction conclue sous condition suspensive était valable.

Si, en effet, les parties subordonnent la conclusion d’un accord transactionnel à la réalisation d’une condition, peut-on réellement considérer qu’elles sont animées de l’intention ferme de régler leur différend ?

Pour la Cour de cassation, la conclusion d’une transaction sous condition suspensive est pleinement valable. Elle a notamment statué en ce sens dans un arrêt du 26 mars 2003 (Cass. 3e civ. 26 mars 2003, n°01-02.410).

II) Conditions de formation de la transaction

Parce que la transaction s’analyse en un contrat, elle est soumise aux conditions de validité de droit commun applicables à tous les contrats.

Aussi, pour être valable, elle doit satisfaire à plusieurs des conditions de fond qui tiennent :

  • À la capacité des parties
  • Au pouvoir des parties
  • Au consentement des parties
  • À l’objet de l’accord

La transaction n’est en revanche soumise à aucune condition de forme, à tout le moins à un formalisme qui serait exigée ad validitatem.

A) Les conditions de fond

1. La capacité des parties

L’article 2045 du Code civil prévoit que « pour transiger, il faut avoir la capacité de disposer des objets compris dans la transaction. »

Ainsi, pour être autorisées à conclure une transaction les parties doivent justifier de la capacité à contracter et plus précisément de la capacité de disposer des droits objets de la transaction.

La raison en est que l’action de transiger consiste à renoncer à des prétentions, ce qui constitue un acte grave ; d’où sa reconnaissance parmi les actes de disposition.

Pour mémoire, dans son acception générale, la capacité juridique se définit comme la faculté pour une personne physique ou morale à être titulaire de droits et à les exercer.

Classiquement on distingue la capacité de jouissance de la capacité d’exercice :

  • La capacité de jouissance : il s’agit de l’aptitude d’une personne à être titulaire de droits subjectifs (droits réels et personnels)
  • La capacité d’exercice : il s’agit de l’aptitude pour une personne physique ou morale à exercer les droits dont elle est titulaire au titre de sa capacité de jouissance

Si toutes les personnes sont pourvues de la capacité de jouissance, il n’en va pas de même pour la capacité d’exercice.

Or c’est précisément à cette capacité d’exercice que sont rattachées les capacités de contracter et de disposer exigées pour pouvoir conclure une transaction.

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir quelles sont les personnes qui sont douées de la capacité d’exercice.

Pour le déterminer, il convient de distinguer les personnes capables des personnes incapables.

1.1 Les personnes capables

Les personnes dites capables sont celles qui jouissent d’une capacité d’exercice générale.

Aussi, ont-elles la faculté d’exercer tous les droits dont elles sont titulaires, sans limitation, sinon celle, le cas échéant, de l’abus de droit.

Il s’en déduit que les personnes capables sont toutes autorisées à contracter et à disposer de leurs droits et, par voie de conséquence, à conclure une transaction.

Classiquement, on distingue trois catégories de personnes capables :

  • Les personnes physiques majeures
    • Il s’agit de toutes les personnes qui ont atteint l’âge de dix-huit ans révolus.
    • Les personnes physiques majeures qui ne sont frappées d’aucune incapacité d’exercice ont la capacité de conclure une transaction par elles-mêmes, c’est-à-dire sans qu’il leur soit besoin d’être représentées
  • Les personnes morales
    • Il s’agit des groupements, tels que les sociétés, les associations ou encore les syndicats, qui sont dotés d’une personnalité juridique, laquelle s’acquiert sous certaines conditions.
    • Si les personnes morales sont pourvues d’une capacité juridique, elles ne peuvent, en revanche, exercer leurs droits que par l’entremise d’un représentant.
    • Aussi, la validité d’une transaction conclue au nom et pour le compte d’une personne morale est subordonnée moins à sa capacité de transiger, ce qui sera toujours le cas, qu’au pouvoir de son représentant.
  • Les personnes mineures émancipées
    • Il s’agit des personnes qui n’ont pas atteint l’âge de dix-huit ans révolus, et qui donc ne sont pas majeures, mais qui ont été émancipées, soit par mariage, soit par décision judiciaire.
    • L’article 413-6 du Code civil prévoit que le mineur émancipé est capable, comme un majeur, de tous les actes de la vie civile.
    • Il en résulte qu’il est autorisé à conclure une transaction comme n’importe quelle personne majeure douée de sa capacité de contracter.

1.2 Les personnes incapables

Les personnes incapables se divisent en deux catégories :

  • Les personnes frappées d’une incapacité d’exercice générale
  • Les personnes frappées d’une incapacité d’exercice spéciale

a. S’agissant des personnes frappées d’une incapacité d’exercice générale

Deux catégories de personnes sont frappées d’une incapacité d’exercice générale

  • Les mineurs non émancipés
  • Les majeurs faisant l’objet d’une mesure de tutelle

Lorsqu’une personne est frappée d’une incapacité d’exercice générale, cela ne signifie pas qu’elle ne dispose pas de la faculté à être titulaires de droits.

Tant le mineur, que la personne placée sous tutelle jouissent d’une capacité de jouissance générale.

Ces personnes n’ont simplement pas la capacité d’exercer les droits dont elles sont titulaires. Il leur faut nécessairement être représentées pour l’accomplissement des actes de la vie civile.

a.1. S’agissant du mineur non émancipé

🡺Dispositions générales

Frappé d’une incapacité d’exercice générale, le mineur non émancipé n’est, par principe, pas autorisé à contracter seul et, par voie de conséquence, à conclure une transaction.

Pour ce faire, il doit nécessairement se faire représenter, soit par ses administrateurs légaux que sont ses parents, soit le cas échéant, par son tuteur s’il ne bénéficie pas du système de l’administration légale en raison de sa situation de famille.

En tout état de cause, quel que soit le mode de représentation du mineur, l’étendue des pouvoirs confiés à ses représentants diffère selon la gravité des actes à accomplir dans l’intérêt de celui-ci.

En effet, tandis qu’il est certains actes – la plupart – qui peuvent être accomplis par le représentant du mineur en toute autonomie, il en est d’autres – les plus graves – dont l’accomplissement est subordonné, tantôt à l’autorisation du juge des tutelles, tantôt au conseil de famille.

Afin de déterminer à quelle catégorie d’actes appartient la transaction, il y a lieu, au préalable, de distinguer selon que le mineur est soumis au dispositif de l’administration légale (représentation par ses parents) ou au dispositif de la tutelle.

  • Le mineur est soumis au dispositif de l’administration légale
    • Dans cette hypothèse, l’article 387-1 du Code civil prévoit que « l’administrateur légal ne peut, sans l’autorisation préalable du juge des tutelles […] renoncer pour le mineur à un droit, transiger ou compromettre en son nom ».
    • Il ressort de cette disposition que les administrateurs légaux du mineur ne peuvent pas conclure seuls une transaction au nom de ce dernier.
    • Aussi, doivent-ils nécessairement solliciter l’accord du juge des tutelles avant de transiger.
  • Le mineur est soumis au dispositif de la tutelle
    • Dans cette hypothèse, l’article 505 du Code civil prévoit que « le tuteur ne peut, sans y être autorisé par le conseil de famille ou, à défaut, le juge, faire des actes de disposition au nom de la personne protégée. »
    • La question qui alors se pose est de savoir si la transaction relève de la catégorie des actes de disposition auquel cas l’autorisation du juge des tutelles ou du conseil de famille est requise.
    • Pour le déterminer, il convient de se reporter au décret n° 2008-1484 du 22 décembre 2008 qui dresse une liste des actes de disposition.
    • Or il ressort de cette liste que la transaction est bien regardée comme un acte de disposition.
    • Il en résulte que le tuteur devra nécessairement obtenir l’accord préalable du conseil de famille ou, à défaut, du juge des tutelles pour conclure une transaction dans l’intérêt du mineur.
    • À cet égard, l’article 2045, al. 2e du Code civil prévoit que « le tuteur ne peut transiger pour le mineur ou le majeur en tutelle que conformément à l’article 467 ».
    • Si l’on se reporte à l’article 467, il se déduit de cette disposition que l’autorisation du juge des tutelles ou du Conseil de famille est requise préalablement à la conclusion d’une transaction.

En tout état de cause, quel que soit le mode de représentation dont bénéficie le mineur, en cas de non-sollicitation de l’accord du juge des tutelles ou du conseil de famille préalablement à la conclusion d’une transaction, l’opération est susceptible d’être frappée d’une nullité relative (Cass. 1ère civ. 26 juin 1974, n°72-11.524).

Cela signifie notamment que cette nullité ne pourra être soulevée que par les personnes représentant les intérêts du mineur ou par le mineur lui-même devenu majeur (Cass. 1ère civ. 10 mars 1998, n°95-22.111). Elle pourra, par ailleurs, faire l’objet d’une confirmation.

🡺Dispositions spéciales

En cas de dommage causé à la victime d’un accident de la circulation, obligation est faite à l’assureur de lui proposer une indemnité en réparation de son préjudice.

L’article L. 211-9 du Code des assurances prévoit en ce sens que, « quelle que soit la nature du dommage, dans le cas où la responsabilité n’est pas contestée et où le dommage a été entièrement quantifié, l’assureur qui garantit la responsabilité civile du fait d’un véhicule terrestre à moteur est tenu de présenter à la victime une offre d’indemnité motivée dans le délai de trois mois à compter de la demande d’indemnisation qui lui est présentée. »

Lorsque la victime d’un accident de l’accident de la circulation est une personne mineure, le législateur a entendu encadrer l’offre d’indemnité qu’est tenu de formuler l’assureur.

En effet, l’article L. 211-15 du Code des assurances prévoit que « l’assureur doit soumettre au juge des tutelles ou au conseil de famille, compétents suivant les cas pour l’autoriser, tout projet de transaction concernant un mineur ou un majeur en tutelle »

Ainsi, l’assureur a-t-il l’obligation de soumettre au juge des tutelles ou au conseil de famille l’offre d’indemnisation qu’il entend proposer aux représentants du mineur.

Il en va de même pour le représentant du mineur qui ne peut négocier seul le projet de transaction qui lui a été adressé par l’assureur.

Dans un arrêt du 20 janvier 2010, la Cour de cassation a ainsi jugé que « le tuteur ne peut transiger au nom de la personne protégée qu’après avoir fait approuver par le conseil de famille ou le juge des tutelles les clauses de la transaction » (Cass. 1ère civ. 20 janv. 2010, n°08-19.627).

Là ne s’arrête pas les obligations instituées par le législateur aux fins de protéger les intérêts du mineur.

L’article L. 211-15, al. 2e du Code des assurances précise que l’assureur doit également « donner avis sans formalité au juge des tutelles, quinze jours au moins à l’avance, du paiement du premier arrérage d’une rente ou de toute somme devant être versée à titre d’indemnité au représentant légal de la personne protégée ».

S’agissant de la sanction du non-respect de ces exigences, l’article L. 211-15, al. du Code des assurances dispose que « le paiement qui n’a pas été précédé de l’avis requis ou la transaction qui n’a pas été autorisée peut être annulé à la demande de tout intéressé ou du ministère public à l’exception de l’assureur. »

a.2. S’agissant de la personne faisant l’objet d’une mesure de tutelle

i. Dispositions générales

🡺Régime

À l’instar du mineur, une personne faisant l’objet d’une mesure de tutelle est frappée d’une incapacité d’exercice générale.

Il en résulte qu’elle n’est pas autorisée à contracter seule. Elle ne peut conclure une transaction que par l’entreprise d’un représentant : son tuteur.

L’article 473 du Code civil prévoit en ce sens que « sous réserve des cas où la loi ou l’usage autorise la personne en tutelle à agir elle-même, le tuteur la représente dans tous les actes de la vie civile. »

Les pouvoirs de représentation conférés au tuteur ne sont toutefois pas illimités. Certains actes sont subordonnés à l’autorisation du juge des tutelles.

Pour déterminer si la transaction conclue au nom et pour le compte d’une personne placée sous tutelle est soumise à une telle autorisation, il y a lieu de se reporter à l’article 506 du Code civil.

Cette disposition prévoit que « le tuteur ne peut transiger ou compromettre au nom de la personne protégée qu’après avoir fait approuver par le conseil de famille ou, à défaut, par le juge les clauses de la transaction ou du compromis et, le cas échéant, la clause compromissoire. »

Il ressort de ce texte que le tuteur ne dispose pas du pouvoir de conclure une transaction ou négocier les termes d’une transaction sans avoir obtenu, au préalable, l’accord du juge des tutelles.

Cette règle est rappelée par l’article 2045 du Code civil qui prévoit que « le tuteur ne peut transiger pour le mineur ou le majeur en tutelle que conformément à l’article 467 ».

Or si l’on se reporte à l’article 467, il se déduit de cette disposition que l’autorisation du juge des tutelles ou du Conseil de famille est requise préalablement à la conclusion d’une transaction.

🡺Sanctions

Les sanctions attachées à la conclusion d’une transaction en violation des règles encadrant la tutelle diffèrent selon que l’opération est intervenue avant ou après le jugement d’ouverture de la mesure de protection :

  • La transaction a été conclue antérieurement à la date du jugement d’ouverture de la tutelle
    • Dans cette hypothèse, l’article 464, al. 1er du Code civil prévoit que les obligations résultant des actes accomplis par la personne protégée moins de deux ans avant la publicité du jugement d’ouverture de la mesure de protection peuvent être réduites sur la seule preuve que son inaptitude à défendre ses intérêts, par suite de l’altération de ses facultés personnelles, était notoire ou connue du cocontractant à l’époque où les actes ont été passés.
    • Ainsi, toutes les transactions accomplies par le majeur placé sous tutelle moins de deux ans avant la date du jugement d’ouverture peuvent être remises en cause.
    • Plus précisément, les obligations stipulées dans l’acte pourront faire l’objet d’une réduction.
    • L’alinéa 2 du texte précise que, en cas de préjudice subi par la personne protégée, la transaction n’encourt pas seulement la réduction, elle est également susceptible d’être frappée de nullité.
    • S’agissant de la prescription de l’action, l’alinéa 3 prévoit qu’elle doit être introduite dans les cinq ans de la date du jugement d’ouverture de la mesure.
  • La transaction a été conclue postérieurement à la date du jugement d’ouverture de la curatelle
    • La transaction a été conclue par la personne protégée seule sans qu’elle ait été représentée par son tuteur
      • Dans cette hypothèse l’article 465, 3° prévoit que l’acte est nul de plein droit sans qu’il soit nécessaire de justifier d’un préjudice ;
      • L’action en nullité se prescrit par le délai de cinq ans à compter du jour où le titulaire du droit d’agir a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
      • Par ailleurs, le tuteur peut, avec l’autorisation du juge ou du conseil de famille s’il a été constitué, engager seul l’action en nullité.
    • La transaction a été conclue par le tuteur seul sans qu’il ait obtenu au préalable l’autorisation du juge des tutelles
      • Dans cette hypothèse, l’article 465, 4° prévoit que l’acte est nul de plein droit sans qu’il soit nécessaire de justifier d’un préjudice.
      • L’action en nullité se prescrit par le délai de cinq ans à compter du jour où le titulaire du droit d’agir a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

🡺Dispositions spéciales

Comme pour les mineurs, lorsque la victime d’un accident de l’accident de la circulation est une personne placée sous un régime de tutelle, le législateur a entendu encadrer l’offre d’indemnité qu’est tenu de formuler l’assureur.

En effet, l’article L. 211-15 du Code des assurances prévoit que « l’assureur doit soumettre au juge des tutelles ou au conseil de famille, compétents suivant les cas pour l’autoriser, tout projet de transaction concernant un mineur ou un majeur en tutelle »

Ainsi, l’assureur a-t-il l’obligation de soumettre au juge des tutelles ou au conseil de famille l’offre d’indemnisation qu’il entend proposer au représentant du majeur sous tutelle.

Il en va de même pour le tuteur qui ne peut négocier seul le projet de transaction qui lui a été adressé par l’assureur.

Par ailleurs, le juge des tutelles doit être prévenu au moins 15 jours à l’avance de toute somme versée à titre d’indemnité au tuteur (art. L. 211-15 C. assur.).

b. S’agissant des personnes frappées d’une incapacité d’exercice spéciale

Les personnes frappées d’une incapacité d’exercice spéciale sont les personnes qui font l’objet :

  • Soit d’une sauvegarde de justice
  • Soit d’une curatelle
  • Soit d’un mandat de protection future

En somme, ces personnes peuvent accomplir seules la plupart des actes de la vie courante.

Toutefois, pour les actes de disposition les plus graves, elles doivent se faire, tantôt assister, tantôt représenter.

À cet égard, l’étendue de leur capacité d’exercice dépend de la mesure de protection dont elles dont l’objet.

i. Les majeurs protégés placés sous sauvegarde de justice

  • Principe
    • La personne sous sauvegarde de justice conserve sa pleine de capacité juridique (art. 435, al. 1er C. civ.)
    • Il en résulte qu’elle est, par principe, autorisée à conclure seule une transaction.
    • L’alinéa 2 de l’article 435 précise toutefois que les actes que la personne placée sous sauvegarde de justice a passés et les engagements qu’elle a contractés pendant la durée de la mesure peuvent être rescindés pour simple lésion ou réduits en cas d’excès.
    • À cet égard, le juge devra notamment prendre en considération l’utilité ou l’inutilité de l’opération, l’importance ou la consistance du patrimoine de la personne protégée et la bonne ou mauvaise foi de ceux avec qui elle a contracté.
    • L’article 435, al. 3e du Code civil précise que l’action en rescision pour lésion n’appartient qu’à la personne protégée et, après sa mort, à ses héritiers.
    • Elle s’éteint par le délai de cinq ans à compter du jour où le titulaire du droit d’agir a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
  • Exception
    • La personne placée sous sauvegarde de justice ne peut, à peine de nullité, faire un acte pour lequel un mandataire spécial a été désigné (art. 435 C. civ.).
    • Lorsque, dès lors, la conclusion d’une transaction relève des actes pour lesquels le juge a exigé une représentation, la personne placée sous sauvegarde de justice n’est pas autorisée à transiger seule.
    • Elle doit, dans ce cas de figure, nécessairement se faire représenter par le mandataire désigné dans la décision rendue.
    • La violation de cette règle est sanctionnée par la nullité de l’acte accompli.
    • En application de l’article 435, al. 3e du Code civil, l’action en nullité, n’appartient qu’à la personne protégée et, après sa mort, à ses héritiers.
    • Elle s’éteint par le délai de cinq ans à compter du jour où le titulaire du droit d’agir a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

ii. Les majeurs protégés placés sous curatelle

🡺Régime

En application de l’article 467, al. 1er du Code civil, une personne placée sous un régime de curatelle ne peut, sans l’assistance de son curateur, faire aucun acte qui, en cas de tutelle, requerrait une autorisation du juge ou du conseil de famille.

Il ressort de cette disposition que la personne sous curatelle ne peut accomplir seule une transaction dans la mesure où il s’agit là d’une opération dont l’accomplissement est, sous le régime de la tutelle, subordonné à l’intervention du juge des tutelles.

Pour mémoire, l’article 506 du Code civil prévoit que « « le tuteur ne peut transiger ou compromettre au nom de la personne protégée qu’après avoir fait approuver par le conseil de famille ou, à défaut, par le juge les clauses de la transaction ou du compromis et, le cas échéant, la clause compromissoire. »

La transaction ne peut donc être réalisée par une personne placée sous curatelle qu’avec l’assistance du curateur.

À cet égard, l’alinéa 2 de l’article 467 du Code civil prévoit que lors de la conclusion d’un acte écrit, l’assistance du curateur se manifeste par l’apposition de sa signature à côté de celle de la personne protégée.

🡺Sanctions

Les sanctions attachées à la conclusion d’une transaction en violation des règles encadrant la curatelle diffèrent selon que l’opération est intervenue avant ou après le jugement d’ouverture de la mesure de protection :

  • La transaction a été conclue antérieurement à la date du jugement d’ouverture de la curatelle
    • Dans cette hypothèse, l’article 464, al. 1er du Code civil prévoit que les obligations résultant des actes accomplis par la personne protégée moins de deux ans avant la publicité du jugement d’ouverture de la mesure de protection peuvent être réduites sur la seule preuve que son inaptitude à défendre ses intérêts, par suite de l’altération de ses facultés personnelles, était notoire ou connue du cocontractant à l’époque où les actes ont été passés.
    • Ainsi, toutes les transactions accomplies par le majeur placé sous curatelle moins de deux ans avant la date du jugement d’ouverture peuvent être remises en cause.
    • Plus précisément, les obligations stipulées dans l’acte pourront faire l’objet d’une réduction.
    • L’alinéa 2 du texte précise que, en cas de préjudice subi par la personne protégée, la transaction n’encourt pas seulement la réduction, elle est également susceptible d’être frappée de nullité.
    • S’agissant de la prescription de l’action, l’alinéa 3 prévoit qu’elle doit être introduite dans les cinq ans de la date du jugement d’ouverture de la mesure.
  • La transaction a été conclue postérieurement à la date du jugement d’ouverture de la curatelle
    • La transaction a été conclue par la personne protégée sans l’assistance du curateur
      • Dans cette hypothèse, l’article 465, 2° prévoit que l’acte encourt la nullité, à la condition toutefois que la personne protégée ait subi un préjudice.
      • L’action en nullité se prescrit par le délai de cinq ans à compter du jour où le titulaire du droit d’agir a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
    • La transaction a été conclue par le curateur seul alors qu’elle aurait dû être conclue par la personne protégée avec son assistance
      • Dans cette hypothèse, l’article 465, 4° prévoit que l’acte est nul de plein droit sans qu’il soit nécessaire de justifier d’un préjudice.
      • L’action en nullité se prescrit par le délai de cinq ans à compter du jour où le titulaire du droit d’agir a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

iii. Les majeurs protégés placés sous mandat de protection future

Toute personne majeure ou mineure émancipée ne faisant pas l’objet d’une mesure de tutelle ou d’une habilitation familiale peut charger une ou plusieurs personnes, par un même mandat, de la représenter lorsqu’elle ne pourrait plus pourvoir seule à ses intérêts en raison d’une altération, médicalement constatée, soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles de nature à empêcher l’expression de sa volonté (art. 477 C. civ.)

Il appartient donc au mandant de déterminer les actes pour lesquelles elle entend se faire représenter lorsqu’elle la mesure de protection sera activée.

La conclusion d’une transaction peut parfaitement figurer au nombre de ces actes, à la condition néanmoins que cette opération soit expressément visée dans le mandat, lequel doit nécessairement être établi par écrit (par acte notarié ou par acte sous seing privé).

2. Le pouvoir de transiger

Le pouvoir se définit comme l’aptitude pour celui qui en est investi à représenter une personne.

Il s’agit, autrement dit, de la faculté d’agir au nom et pour le compte d’autrui, soit d’être son représentant.

Ainsi, tandis que la capacité correspond à l’aptitude à être titulaire de droits ou à les exercer, le pouvoir est attaché à la notion de représentation.

Le représentant est celui qui a le pouvoir d’exercer les droits dont est titulaire le représenté. Celui qui est investi d’un pouvoir de représentation ne devient pas titulaire des droits du représenté.

Le représentant est seulement habilité à les exercer, étant précisé que cela n’ôte pas au représenté, sa capacité d’exercice.

Au fond, le pouvoir de représentation est une modalité d’exercice d’un droit. Il est conféré au représentant, soit par la loi, soit par décision de justice, soit par convention, le pouvoir d’exercer le droit dont est seul titulaire le représenté.

2.1 La représentation légale

La représentation est donc dite légale lorsque le représentant tient son pouvoir de représentation de la loi.

Selon les cas, le législateur a conféré des pouvoirs plus ou moins étendus au représentant.

C’est la raison pour laquelle le pouvoir de conclure ou de ne pas conclure une transaction peut différer selon les cas de représentation légale. Nous nous limiterons à aborder les principaux.

a. Les mineurs non émancipés

Frappé d’une incapacité d’exercice générale, le mineur non émancipé doit être représenté pour tous les actes de la vie civile.

Or cette représentation est assurée de plein droit, lorsque la situation du mineur s’y prête, par ses parents lesquels sont investis de pouvoirs étendus pour administrer ses biens, voire en disposer.

Reste que pour les actes les plus graves, les parents ne sont pas investis du pouvoir de représentation du mineur ; ils doivent solliciter l’autorisation du juge des tutelles.

Tel est notamment le cas, s’agissant de la conclusion d’une transaction.

Pour mémoire, l’article 387-1 du Code civil prévoit que « l’administrateur légal ne peut, sans l’autorisation préalable du juge des tutelles […] renoncer pour le mineur à un droit, transiger ou compromettre en son nom ».

b. Les sociétés

À l’instar des personnes physiques, les personnes morales sont dotées de la capacité juridique.

Il en résulte qu’elles sont aptes à être titulaire de droits et à les exercer, ce qui les autorise notamment à contracter.

À ce titre, il est admis que les personnes morales puissent conclure une transaction. Reste qu’elles ne pourront agir que par l’entremise d’un représentant.

La représentation des personnes morales est assurée par les dirigeants sociaux, lesquels ne doivent pas être confondus avec les associés.

  • Les dirigeants sociaux sont investis du pouvoir d’agir au nom et pour le compte de la personne morale.
  • Les associés sont quant à eux investis du pouvoir, non pas de représenter la personne morale, mais d’exprimer directement sa volonté au moyen de leur droit vote

Ainsi, tandis que les associés expriment en assemblée la volonté de la personne morale, les dirigeants sociaux représentent cette volonté qui a été exprimée par les associés.

Selon la forme de la société, le représentant de la société pour être notamment :

  • Un gérant
  • Un président
  • Un directeur général
  • Un directeur général délégué

Bien que les dirigeants sociaux soient investis d’un pouvoir d’agir au nom et pour le compte de la société qu’ils représentent, ce pouvoir est limité en raison du principe de spécialité qui préside à l’exercice de l’objet social.

En effet, la capacité juridique que l’on reconnaît aux sociétés est limitée en ce sens qu’elles ne peuvent exercer que les seules activités comprises dans leur objet social.

Cette règle a été consacrée par l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.

Le nouvel article 1145, al. 2e du Code civil issu de cette ordonnance prévoit que « la capacité des personnes morales est limitée par les règles applicables à chacune d’entre elles ».

Aussi est-il fait interdiction aux personnes morales d’accomplir des actes qui seraient étrangers à leur objet.

Cette limitation de la capacité de jouissance des personnes morales se répercute sur les pouvoirs dont sont investis leurs représentants légaux qui ne peuvent agir que dans la limite de l’objet défini dans les statuts.

Appliqué à l’opération de transaction, ce principe dit de spécialité signifie qu’un représentant légal ne peut valablement conclure un accord transactionnel au nom et pour le compte de la personne morale qu’à la condition que cet acte entre directement ou indirectement dans l’objet social de cette dernière.

La sanction encourue diffère toutefois selon que la personne morale représentée est une société à responsabilité limitée ou illimitée.

Tandis que dans le premier cas l’irrégularité de l’acte sera inopposable au tiers, dans le second cas la transaction sera frappée de nullité.

Il en résulte une différence de régime, s’agissant de l’exigence de conformité de la transaction à l’objet social, entre les sociétés à responsabilité limitée et les sociétés à responsabilité illimitée

i. Les sociétés à responsabilité limitée

🡺Principe

Dans les sociétés à responsabilité limitée, bien que, en application du principe de spécialité, les actes accomplis par le dirigeant doivent être conformes à l’objet social de la personne morale, la violation de cette règle n’a de conséquence que dans l’ordre interne.

En effet, en cas d’accomplissement d’un acte en dépassement de l’objet social, la société demeure engagée à l’égard du tiers contractant.

Cette règle est exprimée pour les SARL à l’article L. 223-18 du Code de commerce qui prévoit que « la société est engagée même par les actes du gérant qui ne relèvent pas de l’objet social, à moins qu’elle ne prouve que le tiers savait que l’acte dépassait cet objet ou qu’il ne pouvait l’ignorer compte tenu des circonstances, étant exclu que la seule publication des statuts suffise à constituer cette preuve. »

Les articles L. 225-56 et L. 225-64 instituent le même principe pour les Sociétés anonymes avec Conseil d’administration et Conseil de surveillance.

Ce principe est énoncé dans les mêmes termes pour les SAS à l’article L. 227-6 du Code de commerce.

Les actes accomplis en dépassement de l’objet social d’une société à responsabilité limitée lui sont donc opposables, sauf à démontrer que le tiers avait connaissance de l’irrégularité.

S’agissant d’une transaction, il n’est pas dérogé pas à la règle, ce qui conduit à admettre que la non-conformité d’une transaction à l’objet social de la société est sans incidence sur sa validité.

Tout au plus, l’acte accompli en méconnaissance de l’objet social engagera la responsabilité de son auteur. Reste que la société demeurera tenue d’exécuter l’engagement pris à l’égard du tiers.

🡺Tempérament

Par exception au principe d’opposabilité de la transaction en dépassement de l’objet social d’une société à responsabilité limitée, il est admis que l’acte puisse être annulé dans l’hypothèse où il serait démontré que le créancier bénéficiaire était de mauvaise foi.

La mauvaise foi du tiers fait néanmoins l’objet d’une appréciation restrictive, le législateur ayant notamment interdit qu’elle puisse se déduire de la publication des statuts.

Lorsqu’elle est établie, la mauvaise foi est sanctionnée par la nullité de l’acte accompli en dépassement de l’objet social.

ii. Les sociétés à responsabilité illimitée

🡺Principe

En application du principe de spécialité, lorsque le représentant légal d’une société à responsabilité illimitée agit en dépassement de l’objet social, il n’engage pas la société.

L’article 1849 du Code civil prévoit en ce sens, pour les sociétés civiles, que « dans les rapports avec les tiers, le gérant engage la société par les actes entrant dans l’objet social. »

La même règle est énoncée pour les sociétés en nom collectif à l’article L. 221-5 du Code de commerce. Cette disposition s’applique également aux sociétés en commandite.

Cette limitation des pouvoirs du représentant légal dans l’ordre externe s’explique par le souci de protection des associés qui prime les intérêts des tiers.

En effet, dans ce type de groupement, la responsabilité des associés, parce qu’illimitée, peut être recherchée – conjointement ou solidairement selon la forme sociale retenue – au-delà de leurs apports respectifs.

Pratiquement cela signifie que les associés peuvent être poursuivis par les créanciers de la société pour toutes les dettes souscrites au cours de la vie sociale.

À ce titre, ils sont tenus à l’obligation à la dette, outre leur contribution aux pertes qui interviendra au jour de la dissolution de la personne morale.

Aussi, afin de prévenir les agissements intempestifs de dirigeants susceptibles de faire peser sur les associés d’importants risques financiers, il a été décidé par la jurisprudence que les sociétés à responsabilité illimitée ne devaient pas être engagées par des actes accomplis en dépassement de leur objet social et que, par voie de conséquence, de tels actes devaient être frappés de nullité.

Il en résulte qu’une transaction qui serait conclue par le représentant légal d’une société à responsabilité illimitée en dépassement de son objet social serait nul.

Afin d’apprécier la validité de l’acte litigieux, il sera donc procédé à un contrôle systématique de son objet social, lequel doit comprendre l’opération faisant l’objet de la transaction.

🡺Tempérament

Il est désormais admis que lorsqu’un acte accompli au nom et pour le compte d’une société à responsabilité illimitée est étranger à son objet social, il peut être sauvé s’il répond à l’un des deux critères suivants :

  • Il existe une communauté d’intérêts entre la personne morale et le bénéficiaire de l’acte conclu en dépassement de l’objet social
  • La conclusion de l’acte litigieux procède d’une décision unanime des associés

Lorsque l’un ou l’autre situation se présente, la transaction conclue en dépassement de l’objet social sera pleinement valable et n’encourra donc pas la nullité.

c. Les époux

Le mariage n’est pas seulement une union des personnes, il consiste également en une union des biens.

Cette particularité du mariage a conduit le législateur à conférer aux époux des pouvoirs de représentation mutuelle quant à l’administration et à la disposition de leurs biens.

La question qui alors se pose est de savoir dans quelle mesure les époux sont-ils autorisés à conclure une transaction qui engagerait les biens du ménage. Un tel acte requiert-il le consentement des deux époux ou peut-il être accompli en toute autonomie par chacun d’eux ?

À l’analyse, tout dépend :

  • D’une part, du statut du bien concerné par la transaction
  • D’autre part, du régime matrimonial applicable aux époux

🡺Le pouvoir de transiger au regard du statut du bien concerné

S’il est des biens du ménage qui jouissent d’un statut très particulier, ce sont le logement de famille et les meubles meublants attachés.

La spécificité de ce statut tient à son caractère dérogatoire en ce sens qu’il soustrait la résidence familiale au jeu du droit commun des biens.

Le législateur a été guidé par cette idée que l’intérêt de la famille devait primer sur les considérations d’ordre patrimonial, ce qui, en certaines circonstances, justifie qu’il puisse être porté atteinte au droit de propriété individuel d’un époux.

Ainsi, l’article 215, al. 3e du Code civil prévoit que « les époux ne peuvent l’un sans l’autre disposer des droits par lesquels est assuré le logement de la famille, ni des meubles meublants dont il est garni. »

Il ressort de cette disposition qu’un époux ne peut disposer seul de la résidence familiale ainsi que des meubles qui y sont attachés. Il ne peut le faire qu’avec le consentement de son conjoint, ce qui, lorsqu’il s’agit de biens propres n’est pas sans porter atteinte à son droit de propriété.

Il résulte de cette règle que toute transaction qui aurait pour effet de priver le ménage de la jouissance de la résidence familiale requiert le consentement des deux époux, quand bien même cette dernière appartiendrait en propre à l’un d’eux.

Cette règle de cogestion relève du régime primaire, de sorte qu’elle s’applique quel que soit le régime matrimonial pour lequel les époux ont opté.

La violation de l’article 215, al. 3e du Code civil est sanctionnée par la nullité de l’acte accompli en dépassement des pouvoirs de l’époux qui a agi.

Cette disposition précise que l’action en nullité est ouverte au conjoint lésé « dans l’année à partir du jour où il a eu connaissance de l’acte, sans pouvoir jamais être intentée plus d’un an après que le régime matrimonial s’est dissous. »

🡺Le pouvoir de transiger au regard du régime matrimonial applicable

Les pouvoirs de représentation mutuelle des époux diffèrent selon le régime matrimonial qui leur est applicable.

Lorsqu’ils sont mariés sous le régime de la séparation de biens, l’article 1536, al. 1er du Code civil prévoit que « chacun d’eux conserve l’administration, la jouissance et la libre disposition de ses biens personnels. »

Il en résulte que, en dehors du logement de famille, chaque époux est autorisé à transiger seul sur tous les biens qui lui appartiennent en propre sans qu’il lui soit besoin d’obtenir le consentement de son conjoint.

Lorsque, en revanche, les époux ont opté pour le régime de la communauté réduite aux acquêts (régime légal), il leur faudra nécessairement solliciter l’accord du conjoint pour la conclusion d’une transaction portant sur certains biens relevant de la masse commune.

Tel sera notamment le cas pour les biens visés aux articles 1422 et 1424 du Code civil :

  • L’article 1422 prévoit que « les époux ne peuvent, l’un sans l’autre, disposer entre vifs, à titre gratuit, des biens de la communauté »
  • L’article 1424 prévoit que « les époux ne peuvent, l’un sans l’autre, aliéner ou grever de droits réels les immeubles, fonds de commerce et exploitations dépendant de la communauté, non plus que les droits sociaux non négociables et les meubles corporels dont l’aliénation est soumise à publicité. Ils ne peuvent, sans leur conjoint, percevoir les capitaux provenant de telles opérations. »

En cas de conclusion d’une transaction en violation de l’une ou l’autre règle de cogestion, l’article 1427, al. 1er du Code civil prévoit que « si l’un des époux a outrepassé ses pouvoirs sur les biens communs, l’autre, à moins qu’il n’ait ratifié l’acte, peut en demander l’annulation. »

2.2 La représentation conventionnelle

a. Principe

🡺L’exigence d’un pouvoir spécial

Le pouvoir de représentation dont est investi un représentant peut lui avoir été conféré au titre d’un contrat.

Le pouvoir de représentation sera ainsi le produit d’un accord de volontés. Cette hypothèse correspond à la conclusion d’un contrat de mandat.

L’article 1984 du Code civil prévoit en ce sens que « le mandat ou procuration est un acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom. »

Ainsi, tous les actes conclus par le mandataire sont réputés avoir été accomplis par le mandant en la personne de qui ils produisent directement leurs effets.

S’agissant de la transaction conclue par un mandataire investi d’un pouvoir de représentation conventionnelle, la question se pose du type de mandat admis à conférer le pouvoir d’accomplissement d’un tel acte :

En effet, l’article 1987 du Code civil distingue de sortes de mandats :

  • Le mandat général qui confère au mandataire le pouvoir de gérer toutes les affaires du mandant
  • Le mandat spécial qui confère au mandataire le pouvoir de gérer certaines affaires seulement

Aussi, un mandat rédigé en des termes généraux suffit-il à conférer au mandataire le pouvoir de transiger au nom et pour le compte du mandant ou ce pouvoir doit-il, au contraire, avoir été expressément et spécialement stipulé dans l’acte ?

Pour le déterminer, il convient de se reporter à l’article 1988 du Code civil qui prévoit que « le mandat conçu en termes généraux n’embrasse que les actes d’administration. »

Dans le même sens, le nouvel article 1155 du Code civil énonce le principe général, qui s’applique à tous les actes de représentation au-delà du mandat, selon lequel « lorsque le pouvoir du représentant est défini en termes généraux, il ne couvre que les actes conservatoires et d’administration. »

Il s’en déduit que pour les actes de disposition, le pouvoir conféré au représentant doit nécessairement être spécial, soit avoir été expressément stipulé dans l’acte.

S’agissant de la transaction, compte tenu de ce qu’elle a pour effet de renoncer à un droit, elle s’analyse en un acte de disposition.

C’est la raison pour laquelle elle requiert que le représentant ait été investi d’un pouvoir spécial qui devra avoir été expressément stipulé dans le mandat reçu.

Le pouvoir de transiger ne peut, dans ces conditions, jamais être tacite. Le représentant doit justifier d’un pouvoir exprès pour être admis à conclure une transaction au nom et pour le compte de la personne qu’il représente.

🡺Sanctions

En cas de défaut ou de dépassement de pouvoir, l’article 1156 du Code civil envisage deux sanctions :

  • L’inopposabilité de l’acte
    • Principe
      • Aux termes de l’article 1156, al. 1er « l’acte accompli par un représentant sans pouvoir ou au-delà de ses pouvoirs est inopposable au représenté »
      • Par inopposable, il faut entendre que, tout en conservant sa validité, l’acte ne produira aucun effet à l’égard du représentant
      • Cela signifie donc, concrètement, qu’il ne pourra pas être considéré comme partie à l’acte.
      • En cas d’inexécution du contrat, la responsabilité du représenté ne pourra donc pas être recherchée.
      • Seul le représentant qui a agi en dépassement de son pouvoir de représentation sera donc tenu à l’acte.
      • Il endossera donc seul la qualité de débiteur ou créancier.
    • Exception
      • L’article 1156 pose une exception au principe d’inopposabilité de l’acte en cas de défaut ou de dépassement apparent : le mandat apparent
      • L’alinéa 1 in fine de cette disposition prévoit, en effet, que si le tiers contractant a légitimement cru en la réalité des pouvoirs du représentant, notamment en raison du comportement ou des déclarations du représenté.
      • Aussi, dans cette hypothèse l’acte accompli par le représentant, en dépassement de ses pouvoirs, demeura opposable au représenté.
      • Le tiers contractant sera alors fondé à exiger de ce dernier qu’il exécute la prestation convenue.
  • La nullité de l’acte
    • L’article 1156, al. 2e prévoit que « lorsqu’il ignorait que l’acte était accompli par un représentant sans pouvoir ou au-delà de ses pouvoirs, le tiers contractant peut en invoquer la nullité. »
    • Cela signifie donc que le tiers contractant dispose d’un choix
      • Soit il opte pour l’inopposabilité de l’acte, car il souhaite que le contrat conclu reçoive une exécution
      • Soit il opte pour la nullité de l’acte, car préfère son anéantissement
    • Cette option est laissée à la seule discrétion du tiers contractant, lequel a seul qualité à agir en nullité

En cas de ratification de l’acte par le représenté, l’article 1156, al. 3 prévoit que, tant l’inopposabilité que la nullité ne peuvent être invoquées. Ainsi, la ratification vient-elle couvrir l’irrégularité dont l’acte est entaché.

À cet égard, l’article 1158 du Code civil précise que le tiers qui doute de l’étendue du pouvoir du représentant conventionnel à l’occasion d’un acte qu’il s’apprête à conclure, peut demander par écrit au représenté de lui confirmer, dans un délai qu’il fixe et qui doit être raisonnable, que le représentant est habilité à conclure cet acte.

À défaut de réponse dans le délai fixé, le représentant est réputé habilité à conclure l’acte litigieux.

b. Exception

Aux termes de l’article 411 du CPC, la constitution d’avocat emporte mandat de représentation en justice : l’avocat reçoit ainsi pouvoir et devoir d’accomplir pour son mandant et en son nom, les actes de la procédure. On parle alors traditionnellement de mandat « ad litem », en vue du procès.

Il ressort de cette disposition que l’avocat est donc investi du pouvoir de représentation de son client pour tous les actes de procédure.

Parmi ces actes, faut-il inclure la transaction ? C’est là l’épineuse question soulevée par le mandat ad litem. L’avocat est-il habilité de plein droit par ce seul mandat à représenter son client pour transiger ou doit-il doit avoir reçu un mandat spécial, comme exigé par le droit commun ?

Pour le déterminer, il y a lieu de se reporter à l’article 417 du Code de procédure civile qui prévoit que « la personne investie d’un mandat de représentation en justice est réputée, à l’égard du juge et de la partie adverse, avoir reçu pouvoir spécial de faire ou accepter un désistement, d’acquiescer, de faire, accepter ou donner des offres, un aveu ou un consentement. »

À l’analyse, cette disposition ne vise pas expressément la transaction. Est-ce à dire qu’elle ne relève pas du domaine du mandat ad litem ?

Dans un arrêt du 7 juillet 1987, la Cour de cassation a répondu par la négative en jugeant, au visa de l’article 417 du Code de procédure civile, que « il résulte de ce texte que la personne investie d’un mandat de représentation en justice est réputée à l’égard du juge et de la partie adverse avoir reçu pouvoir spécial de transiger » (Cass. 1ère civ. 7 juill. 1987, n°85-18.769).

Le mandat ad litem dont est investi l’avocat comprend donc bien le pouvoir de transiger au nom et pour le compte de son client.

La jurisprudence a toutefois apporté un tempérament à cette règle en affirmant qu’elle ne s’appliquait que dans l’hypothèse où l’avocat était investi d’un pouvoir de représentation de son client.

Lorsque la mission qui lui est confiée se limite, en revanche, à l’assistance et au conseil de son client, il n’est pas investi du pouvoir de transiger. Pour ce faire, il devra avoir reçu un mandat spécial (V. en ce sens CA Paris, 17 mars 1980).

2.3 La représentation judiciaire

Elle correspond à l’hypothèse où le pouvoir de représentation est conféré à une personne par le juge.

Cette situation peut intervenir dans plusieurs cas :

  • Représentation d’une personne incapable
    • Lorsqu’une personne est frappée d’une incapacité d’exercice générale ou spéciale, l’expression de sa volonté ne peut s’opérer que par l’entremise d’un représentant.
    • Aussi, concomitamment à l’institution d’une mesure juridique de protection, le juge désignera, selon la mesure choisie (sauvegarde de justice, curatelle ou tutelle), un représentant chargé d’agir au nom et pour le compte de la personne protégée.
    • Le pouvoir de transiger dépend ici de la nature de la mesure mise en place.
    • Comme vu précédemment, s’il s’agit d’une tutelle, le tuteur devra solliciter l’accord du juge des tutelles.
    • S’il s’agit d’une curatelle, pour être valable, la transaction devra être contresignée par le curateur.
    • Enfin, s’il s’agit d’une mesure de sauvegarde de justice, la personne protégée pourra conclure seule une transaction, sauf à ce que le juge ait décidé que pour ce type d’acte elle devait être représentée.
  • La représentation de l’époux hors d’état de manifester sa volonté
    • Aux termes de l’article 219 du Code civil « si l’un des époux se trouve hors d’état de manifester sa volonté, l’autre peut se faire habiliter par justice à le représenter, d’une manière générale, ou pour certains actes particuliers, dans l’exercice des pouvoirs résultant du régime matrimonial, les conditions et l’étendue de cette représentation étant fixées par le juge. »
    • Cette disposition vise l’hypothèse où un époux qui, sans être frappé d’incapacité, est inapte à exprimer sa volonté.
    • C’est donc son conjoint qui est investi par le juge d’accomplir un certain nombre d’actes déterminés par ce dernier.
    • À cet égard, le conjoint représentant l’époux hors d’état de manifester sa volonté ne pourra conclure une condition qu’à la condition d’avoir été expressément autorisé par le juge.
  • La représentation d’un indivisaire hors d’état de manifester sa volonté
    • L’article 815-4 du Code civil prévoit que « si l’un des indivisaires se trouve hors d’état de manifester sa volonté, un autre peut se faire habiliter par justice à le représenter, d’une manière générale ou pour certains actes particuliers, les conditions et l’étendue de cette représentation étant fixées par le juge. »
    • La règle est ici la même que celle énoncée à l’article 219 appliquée aux indivisaires.
    • Elle permet ainsi aux coindivisaires de prendre les mesures nécessaires à l’administration du bien indivis.
    • Là encore, les coindivisaires ne pourront transiger en représentation de l’indivisaire hors d’état de manifester sa volonté qu’à la condition que le juge leur ait conféré un pouvoir spécial à cet effet.
  • La représentation d’une personne présumée absente
    • Aux termes de l’article 113 du Code civil « le juge peut désigner un ou plusieurs parents ou alliés, ou, le cas échéant, toutes autres personnes pour représenter la personne présumée absente dans l’exercice de ses droits ou dans tout acte auquel elle serait intéressée, ainsi que pour administrer tout ou partie de ses biens ; la représentation du présumé absent et l’administration de ses biens sont alors soumises aux règles applicables à la tutelle des majeurs sans conseil de famille, et en outre sous les modifications qui suivent. »
    • Il se déduit de cette disposition que la conclusion d’une transaction par le représentant d’une personne absence sera soumise aux mêmes règles que celles applicables à la tutelle.
    • Aussi, l’accord transactionnel devra être soumis préalablement à sa conclusion à l’autorisation du juge des tutelles.

3. La rencontre des volontés

a. Les pourparlers

La conclusion d’une transaction est généralement précédée par une phase dite de pourparlers.

Ces pourparlers comprennent :

  • Une phase d’entrée en négociation
  • Une phase de conduite des négociations

Parfois, lorsque les parties ne trouvent pas d’accord, les pourparlers peuvent se solder par une rupture des négociations.

i. L’entrée en négociations

Aux termes de l’article 1112 du Code civil « l’initiative, le déroulement et la rupture des négociations précontractuelles sont libres ».

Ainsi, le législateur a-t-il institué un principe de liberté des négociations. Négativement, cela signifie que les agents sont libres de décliner une invitation à entrer en pourparlers.

Autrement dit, un refus de négocier ne saurait, en lui-même, engager la responsabilité de son auteur.

Immédiatement une question alors se pose : que doit-on entendre par « négociations » ?

🡺Définition

François Terré définit la négociation contractuelle comme « la période exploratoire durant laquelle les futurs contractants échangent leurs points de vue, formulent et discutent les propositions qu’ils font mutuellement afin de déterminer le contenu du contrat, sans être pour autant assurés de le conclure »[1].

Il s’agit, en d’autres termes, de la phase au cours de laquelle les agents vont chercher à trouver un accord quant à la détermination des termes du contrat.

À défaut d’accord, la rencontre des volontés ne se réalisera pas, de sorte que le contrat ne pourra pas former. Aucune obligation ne sera donc créée.

🡺Invitation à entrer en pourparlers et offre de contracter

  • Exposé de la distinction
    • L’invitation à entrer en pourparlers doit être distinguée de l’offre de contracter :
      • L’offre doit être ferme et précise en ce sens qu’elle doit comporter tous les éléments essentiels du contrat, lesquels traduisent la volonté de l’offrant de s’engager dans le processus contractuel
        • Pour mémoire, l’article 1114 C. civ prévoit que « l’offre faite à personne déterminée ou indéterminée, comprend les éléments essentiels du contrat envisagé et exprime la volonté de son auteur d’être lié en cas d’acceptation »
      • L’invitation à entrer en pourparlers porte seulement, soit sur le principe même de conclure un contrat, soit sur certains de ses éléments dont la teneur n’est pas suffisante pour traduire la volonté de l’auteur de contracter en l’état.
  • Intérêt de la distinction
    • L’intérêt de distinguer l’offre de contracter de l’invitation à entrer en pourparlers réside dans la détermination du seuil à partir duquel le contrat est réputé conclu :
      • En cas d’acceptation de l’offre de contracter, le contrat est formé
        • La conséquence en est que l’offrant ne peut plus se rétracter
        • Il est tenu d’exécuter les obligations nées de la rencontre des volontés qui a pu se réaliser, les contractants étant tombés d’accord sur les éléments essentiels du contrat
        • À défaut, sa responsabilité contractuelle est susceptible d’être engagée
      • En cas d’acceptation de l’invitation à entrer en pourparlers, le contrat n’est pas pour autant conclu.
        • L’auteur de l’invitation à entrer en négociation a simplement exprimé sa volonté de discuter des termes du contrat
        • Or pour que le contrat soit conclu, soit pour que la rencontre des volontés se réalise, cela suppose que les parties soient d’accord sur tous les éléments essentiels du contrat
        • Aussi longtemps qu’ils ne parviennent pas à tomber d’accord, les parties sont toujours libres de poursuivre les négociations

ii. Le déroulement des négociations

Lors du déroulement des négociations, plusieurs obligations échoient aux futurs contractants ce qui témoigne de la volonté du législateur d’encadrer cette situation de fait qui précède la formation du contrat.

Ainsi, nonobstant la liberté de négociations dont jouissent les parties n’est-elle pas absolue. Elle trouve sa limite dans l’observation de deux obligations générales qui président à la formation du contrat :

  • L’obligation de bonne foi
  • L’obligation précontractuelle d’information

🡺Sur l’obligation de bonne foi

Il peut être observé qu’il est désormais fait référence à l’obligation de bonne foi à deux reprises dans le sous-titre du Code civil consacré au contrat

  • L’article 1104 du code civil prévoit dans le chapitre consacré aux principes cardinaux qui régissent le droit des contrats que « les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. »
  • L’article 1112, situé, quant à lui, dans la section relative à la conclusion du contrat que « l’initiative, le déroulement et la rupture des négociations précontractuelles […] doivent impérativement satisfaire aux exigences de la bonne foi. »

Cette double référence à l’obligation de bonne foi révèle la place que le législateur a entendu donner à l’obligation de bonne foi en droit des contrats : centrale.

Ainsi, tout autant les parties doivent observer l’obligation de bonne foi au moment de l’exécution de la transaction, ils devront s’y plier en amont, soit durant toute la phase de négociation.

Lors du déroulement des négociations, l’exigence de bonne foi signifie que les parties doivent être véritablement animées par la volonté de contracter. Autrement dit, elles doivent être sincères dans leur démarche de négocier et ne pas délibérément laisser croire à l’autre que les pourparlers ont une chance d’aboutir, alors qu’il n’en est rien.

Dans un arrêt du 20 mars 1972 la Cour de cassation considère en ce sens qu’une partie a manqué « aux règles de la bonne foi dans les relations commerciales » en maintenant « dans une incertitude prolongée » son cocontractant alors qu’elle n’avait nullement l’intention de contracter (Cass. com. 20 mars 1972, n°70-14.154).

La même solution a été retenue dans un arrêt du 18 juin 2002 (Cass. com. 18 juin 2002, n°99-16.488)

🡺Sur l’obligation précontractuelle d’information

L’obligation précontractuelle d’information qui pèse sur les futurs contractants est expressément formulée à l’article 1112-1 du Code civil.

Cette disposition prévoit notamment que « celle des parties qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant.

Ainsi, lorsque dans le cadre de négociations portant sur une transaction à intervenir l’une des parties détient une information dont l’importance est déterminante du consentement de son cocontractant elle doit la lui communiquer.

Que doit-on entendre par « importance déterminante de l’information » ?

L’alinéa 3 de l’article 1112-1 du Code civil précise que « ont une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties. »

Il ne peut donc s’agir que des informations pertinentes, soit celles qui ont un rapport avec l’objet ou la cause des obligations nées de la transaction ou encore la qualité des cocontractants.

L’information communiquée doit, en d’autres termes, permettre au cocontractant de s’engager en toute connaissance de cause, soit de mesurer la portée de son engagement.

Aussi, l’obligation d’information garantit-elle l’expression d’un consentement libre et éclairé.

En cas de manquement à l’obligation générale d’information, l’article 1112-1, al. 6 du Code civil prévoit que « outre la responsabilité de celui qui en était tenu, le manquement à ce devoir d’information peut entraîner l’annulation du contrat dans les conditions prévues aux articles 1130 et suivants. »

Deux catégories de sanctions sont donc envisagées par cette disposition :

  • La mise en œuvre de la responsabilité du débiteur de l’obligation d’information
  • La nullité du contrat

iii. La rupture des négociations

🡺Principe : la liberté de rupture des pourparlers

Aux termes de l’article 1112, al. 1 « la rupture des négociations précontractuelles […] libres ».

Ainsi, cette règle n’est autre que le corollaire de la liberté contractuelle : dans la mesure où les futures parties sont libres de contracter, elles sont tout autant libres de ne pas s’engager dans les liens contractuels

Il en résulte que la rupture unilatérale des pourparlers ne saurait constituer, en soi, un fait générateur de responsabilité. La rupture ne peut, en elle-même, être fautive, quand bien même elle causerait un préjudice au partenaire.

Admettre le contraire reviendrait à porter atteinte à la liberté individuelle et à la sécurité commerciale.

C’est la raison pour laquelle la Cour de cassation aime à rappeler dans certains arrêts l’existence d’un « droit de rupture unilatérale des pourparlers précontractuels » (Cass. 3e civ., 28 juin 2006, n°04-20.040).

Une question immédiatement se pose : le droit de rupture des pourparlers constitue-t-il un droit discrétionnaire, en ce sens que son exercice dommageable ne donnera jamais lieu à réparation ou s’agit-il d’un droit relatif, soit d’un droit dont l’exercice abusif est sanctionné ?

🡺Exception : l’exercice abusif du droit de rupture des pourparlers

L’examen de la jurisprudence révèle que l’exercice du droit de rupture des pourparlers est susceptible d’engager la responsabilité de titulaire lorsqu’un abus est caractérisé.

Aussi, dans un arrêt du 3 octobre 1972, la Cour de cassation a-t-elle eu l’occasion de préciser qu’en cas de rupture abusive des négociations « la responsabilité délictuelle prévue aux articles susvisés du code civil peut être retenue en l’absence d’intention de nuire » (Cass. 3e civ. 3 oct. 1972, n°71-12.993).

Ainsi, le droit de rompre unilatéralement les pourparlers n’est-il pas sans limite. Il s’agit d’un droit, non pas discrétionnaire, mais relatif dont l’exercice abusif est sanctionné.

b. La rencontre de l’offre et de l’acceptation

Parce que la transaction appartient à la catégorie des contrats consensuels, sa formation procède d’une rencontre des volontés laquelle s’opère, en simplifiant à l’extrême, selon le processus suivant :

  • Premier temps : une personne, le pollicitant, émet une offre de contracter
  • Second temps : l’offre fait l’objet d’une acceptation par le destinataire

Si, pris séparément, l’offre et l’acceptation ne sont que des manifestations unilatérales de volontés, soit dépourvues d’effet obligatoire, lorsqu’elles se rencontrent, cela conduit à la création d’un contrat, lui-même générateur d’obligations.

Tous les contrats, dont la transaction, sont le fruit d’une rencontre de l’offre et de l’acceptation, peu importe que leur formation soit instantanée où s’opère dans la durée.

L’article 1113 prévoit en ce sens que « le contrat est formé par la rencontre d’une offre et d’une acceptation par lesquelles les parties manifestent leur volonté de s’engager. ».

Il ressort de cette disposition que la formation d’une transaction requiert :

  • D’un côté, l’émission d’une offre de transaction
  • D’un autre côté, l’acceptation de cette offre de transaction

b.1. S’agissant de l’émission de l’offre

i. Droit commun

Aux termes de l’article 1114 du Code civil, « l’offre, faite à personne déterminée ou indéterminée, comprend les éléments essentiels du contrat envisagé et exprime la volonté de son auteur d’être lié en cas d’acceptation ».

Bien que, étonnamment, cette disposition n’en fasse pas directement mention, il en ressort que, pour être valide, à tout le moins pour être efficace, l’offre doit être ferme et précise.

  • La fermeté de l’offre
    • L’absence de réserve
      • L’offre doit être ferme
      • Par ferme, il faut entendre que le pollicitant a exprimé sa volonté « d’être lié en cas d’acceptation ».
      • Autrement dit, l’offre doit révéler la volonté irrévocable de son auteur de conclure le contrat proposé.
      • Plus concrètement, l’offre ne doit être assortie d’aucune réserve, ce qui aurait pour conséquence de permettre au pollicitant de faire échec à la formation du contrat en cas d’acceptation
      • Cela lui permettrait, en effet, de garder la possibilité de choisir son cocontractant parmi tous ceux qui ont répondu favorablement à l’offre
      • Or au regard de la théorie de l’offre et de l’acceptation, cela est inconcevable.
      • L’auteur de l’offre ne saurait disposer de la faculté d’émettre des réserves, dans la mesure où il est de l’essence de l’offre, une fois acceptée, d’entraîner instantanément la conclusion du contrat
      • Elle ne saurait, par conséquent, être assortie d’une condition, faute de quoi elle s’apparenterait à une simple invitation à entrer en pourparlers.
      • Dans un arrêt du 10 janvier 2012, la Cour de cassation a, par exemple, censuré une Cour d’appel pour avoir estimé qu’une offre de prêt qui était assortie de « réserves d’usage » était valide (Cass. com. 10 janv. 2012).
      • Au soutien de sa décision la chambre commerciale avance que « un accord de principe donné par une banque ‘sous les réserves d’usage’ implique nécessairement que les conditions définitives de l’octroi de son concours restent à définir et oblige seulement celle-ci à poursuivre, de bonne foi, les négociations en cours ».
    • Tempérament
      • Il est un cas où, malgré l’émission d’une réserve, l’offre n’est pas déchue de sa fermeté : il s’agit de l’hypothèse où la réserve concerne un événement extérieur à la volonté du pollicitant.
        • Exemples :
          • L’offre de vente de marchandises peut être conditionnée au non-épuisement des stocks
          • L’offre de prêt peut être conditionnée à l’obtention, par le destinataire, d’une garantie du prêt (Cass. 3e civ., 23 juin 2010)
      • Ce qui compte c’est que la réalisation de la réserve ne dépende pas de la volonté du pollicitant.
  • La précision de l’offre
    • Dans la mesure où aussitôt qu’elle sera acceptée, l’offre suffira à former le contrat, elle doit être suffisamment précise, faute de quoi la rencontre des volontés ne saurait se réaliser.
    • L’article 1114 du Code civil prévoit en ce sens que « l’offre, faite à personne déterminée ou indéterminée, comprend les éléments essentiels du contrat envisagé »
    • Par éléments essentiels, il faut entendre, selon Philippe Delebecque, « les éléments centraux, spécifiques, qui traduisent l’opération juridique et économique que les parties veulent réaliser »[2].
    • Autrement dit, il s’agit des éléments dont la détermination constitue une condition de validité de la transaction.
    • A contrario, l’offre pourra être considérée comme précise, bien que les modalités d’exécution du contrat n’aient pas été exprimées par le pollicitant (Cass. 3e civ., 28 oct. 2009), sauf à ce qu’il soit d’usage qu’elles soient tenues pour essentielles par les parties.
    • Rien n’interdit, par ailleurs, à l’offrant de conférer un caractère essentiel à un élément du contrat qui, d’ordinaire, est regardé comme accessoire.
    • Il lui appartiendra, néanmoins, d’exprimer clairement dans son offre que cet élément est déterminant de son consentement (V en ce sens Cass. com., 16 avr. 1991), faute de quoi les juridictions estimeront qu’il n’est pas entré dans le champ contractuel.
  • Sanction
    • L’article 1114 du Code civil prévoit que la sanction du défaut de précision et de fermeté de l’offre n’est autre que la requalification en « invitation à entrer en négociation ».
    • Cela signifie dès lors que, en cas d’acceptation, le contrat ne pourra pas être considéré comme formé, la rencontre des volontés n’ayant pas pu se réaliser.
    • Ni l’offrant, ni le destinataire de l’offre ne pourront, par conséquent, exiger l’exécution du contrat.
    • Deux options vont alors s’offrir à eux
      • Soit poursuivre les négociations jusqu’à l’obtention d’un accord
      • Soit renoncer à la conclusion du contrat
    • En toute hypothèse, tant que les partenaires ne se sont pas entendus sur les éléments essentiels du contrat, la seule obligation qui leur échoit est de faire preuve de loyauté de bonne foi lors du déroulement des négociations et en cas de rupture des pourparlers.

🡺Droit spécial

Lorsque la transaction porte sur l’indemnisation d’une personne victime d’un dommage corporel résultant d’un accident de la circulation, d’un acte de terrorisme ou d’un accident médical, l’offre est encadrée par des règles spécifiques.

Nous nous limiterons ici à aborder la procédure d’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation laquelle est régie par les articles L. 211-8 à L. 211-25 du Code des assurances et qui a servi de modèle aux autres procédures d’indemnisation (loi n° 86-1020 du 9 septembre 1986 pour les victimes d’actes de terrorisme et loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 pour les victimes d’accidents médicaux).

  • Obligation pesant sur l’assureur de formuler une offre
    • L’article L. 211-9 du Code des assurances prévoit que l’assureur a l’obligation d’adresser une offre d’indemnisation à la victime qui a subi une atteinte à sa personne
    • En cas de décès de la victime, cette offre doit être adressée à ses héritiers et, s’il y a lieu, à son conjoint.
    • Cette disposition déroge manifestement au droit commun dans la mesure où, en principe, la conclusion d’une transaction est subordonnée à l’existence d’un litige né ou à naître.
    • Or tel n’est pas le cas ici, puisque la seule survenance d’un accident de la circulation ayant causé un dommage corporel autorise la conclusion d’une transaction, sans qu’il soit besoin qu’un litige naisse entre la victime et le responsable du dommage.
  • Obligation pesant sur l’assureur d’observer certains délais
    • Principe
      • L’offre d’indemnisation doit être formulée par l’assureur dans un délai de huit mois à compter de l’accident.
      • Il s’agit là d’un délai impératif qui donc s’impose à l’assureur.
    • Tempérament
      • L’article L. 221-9, al. 3 du Code des assurances prévoit que l’offre d’indemnisation peut avoir un caractère provisionnel lorsque l’assureur n’a pas, dans les trois mois de l’accident, été informé de la consolidation de l’état de la victime.
      • Dans cette hypothèse, l’offre définitive d’indemnisation doit alors être faite dans un délai de cinq mois suivant la date à laquelle l’assureur a été informé de cette consolidation.
      • L’alinéa 4 précise que, en tout état de cause, le délai le plus favorable à la victime s’applique.
      • L’article L. 211-13 ajoute que lorsque l’offre n’a pas été faite dans les délais impartis, le montant de l’indemnité offerte par l’assureur ou allouée par le juge à la victime produit intérêt de plein droit au double du taux de l’intérêt légal à compter de l’expiration du délai et jusqu’au jour de l’offre ou du jugement devenu définitif.
      • Cette pénalité peut toutefois être réduite par le juge en raison de circonstances non imputables à l’assureur.
  • Obligation pesant sur l’assureur de formuler une offre couvrant tous les chefs de préjudice
    • L’article L. 221-9 du Code des assurances prévoit que l’offre d’indemnisation formulée par l’assureur doit comprendre tous les éléments indemnisables du préjudice, y compris les éléments relatifs aux dommages aux biens lorsqu’ils n’ont pas fait l’objet d’un règlement préalable.
  • Obligation pesant sur l’assureur de formuler une offre portant sur un montant suffisant
    • L’offre d’indemnisation formulée par l’assureur à la victime doit être sérieuse, en ce sens qu’elle doit couvrir les préjudices subis.
    • Si l’assureur ne satisfait pas à cette exigence, il s’expose à une sanction qui sera prononcée par le juge dans le cadre de l’action en réparation dont il sera saisi.
    • L’article, L. 211-14 du Code des assurances dispose en ce sens que « si le juge qui fixe l’indemnité estime que l’offre proposée par l’assureur était manifestement insuffisante, il condamne d’office l’assureur à verser au fonds de garantie prévu par l’article L. 421-1 une somme au plus égale à 15 % de l’indemnité allouée, sans préjudice des dommages et intérêts dus de ce fait à la victime. »

b.2. S’agissant de l’acceptation de l’offre

L’acceptation est définie à l’article 1118 du Code civil comme « la manifestation de volonté de son auteur d’être lié dans les termes de l’offre. »

Pour mémoire, l’article 1114 du Code civil définit l’offre comme « la volonté de son auteur d’être lié en cas d’acceptation ».

Ainsi l’acceptation apparaît-elle comme le miroir de l’offre. Et pour cause, dans la mesure où elle est censée venir à sa rencontre. L’acceptation est, en ce sens l’acte unilatéral par lequel l’acceptant signifie au pollicitant qu’il entend consentir au contrat.

À la différence, néanmoins, de l’offre, l’acceptation, lorsqu’elle est exprimée, a pour effet de parfaire le contrat.

Quand, en d’autres termes, l’offre rencontre l’acceptation, le contrat est, en principe, réputé formé. Le pollicitant et l’acceptant deviennent immédiatement liés contractuellement. L’acceptation ne réalisera, toutefois, la rencontre des volontés qu’à certaines conditions

i. Conditions de l’acceptation

Afin d’être efficace, l’acceptation de la transaction doit répondre à 2 conditions cumulatives qui tiennent :

  • D’une part, au moment de son expression
  • D’autre part, à ses caractères

🡺Le moment de l’acceptation

L’acceptation doit nécessairement intervenir avant que l’offre ne soit caduque

Aussi, cela signifie-t-il que l’acceptation doit avoir été émise :

  • Soit pendant le délai stipulé par le pollicitant
  • Soit, à défaut, dans un délai raisonnable, c’est-à-dire, selon la jurisprudence, pendant « le temps nécessaire pour que celui à qui [l’offre] a été adressée examine la proposition et y réponde » (Cass. req., 28 févr. 1870)

Lorsque l’acceptation intervient en dehors de l’un de ces délais, elle ne saurait rencontrer l’offre qui est devenue caduque.

L’acceptation est alors privée d’efficacité, en conséquence de quoi le contrat ne peut pas être formé.

🡺Les caractères de l’acceptation

  • L’acceptation pure et simple
    • Pour être efficace, l’acceptation doit être pure et simple.
    • En d’autres termes, il n’existe véritablement d’acceptation propre à former le contrat qu’à la condition que la volonté de l’acceptant se manifeste de façon identique à la volonté du pollicitant.
    • La Cour de cassation a estimé en ce sens que le contrat « ne se forme qu’autant que les deux parties s’obligent dans les mêmes termes » (Cass. 2e civ., 16 mai 1990, n°89-13.941).
    • Par pure et simple, il faut donc entendre, conformément à l’article 1118, al. 1er, que l’acceptation doit avoir été formulée par le destinataire de l’offre de telle sorte qu’il a exprimé sa volonté claire et non équivoque « d’être lié dans les termes de l’offre. »
  • La modification de l’offre
    • L’article 1118, al. 3 du Code civil prévoit que « l’acceptation non conforme à l’offre est dépourvue d’effet, sauf à constituer une offre nouvelle. »
    • Lorsque, dès lors, l’acceptant émet une réserve à l’offre sur un ou plusieurs de ses éléments ou propose une modification, l’acceptation s’apparente à une contre-proposition insusceptible de réaliser la formation du contrat.
    • Au fond, l’acceptation se transforme en une nouvelle offre que le pollicitant initial peut ou non accepter.
    • En toutes hypothèses, le contrat n’est pas formé
    • Le pollicitant et le destinataire de l’offre doivent, en somme, être regardés comme des partenaires dont la rencontre des volontés n’est qu’au stade des pourparlers.
    • Aussi, la conclusion définitive du contrat est-elle subordonnée à la concordance parfaite entre l’offre et l’acceptation.
    • La question qui immédiatement se pose est alors de savoir ce que l’on doit entendre par une « acceptation non conforme à l’offre ».
      • La jurisprudence
        • La jurisprudence considère que le contrat n’est réputé formé qu’à la condition que l’offre et l’acceptation se rencontrent sur les éléments essentiels du contrat (V. en ce sens Cass. req., 1er déc. 1885).
        • Dans un arrêt du 28 février 2006, la Cour de cassation a ainsi reconnu la conformité d’une acceptation à l’offre en relevant « qu’un accord de volontés était intervenu entre les parties sur les éléments qu’elle-même tenait pour essentiels même si des discussions se poursuivaient par ailleurs pour parfaire le contrat sur des points secondaires et admis s’être engagée » (Cass. com. 28 févr. 2006, n°04-14.719)
        • Il résulte de cette décision que, dès lors que l’acceptation a porté sur les éléments essentiels du contrat, elle est réputée conforme à l’offre
        • A contrario, cela signifie que lorsque la réserve émise par le destinataire de l’offre porte sur des éléments accessoires au contrat, elle ne fait pas obstacle à la rencontre de l’acceptation et de l’offre.
        • Toutefois, dans l’hypothèse où la réserve exprimée par le destinataire de l’offre porte sur un élément accessoire tenu pour essentiel par l’une des parties, elle s’apparente à une simple contre-proposition, soit à une nouvelle offre et non à acceptation pure et simple de nature à parfaire le contrat (Cass. 3e civ. 27 mai 1998).
      • L’ordonnance du 10 février 2016
        • Si l’article 1118, al. 3 du Code civil prévoit que « l’acceptation non conforme à l’offre est dépourvue d’effet », cette disposition se garde bien de préciser ce que l’on doit entendre par « acceptation non conforme à l’offre. »
        • Toutefois, la formule « sauf à constituer une offre nouvelle », laisse à penser que le législateur a entendu consentir une certaine latitude au juge quant à l’appréciation de la conformité de l’acceptation à l’offre.
        • Est-ce à dire que la distinction établie par la jurisprudence entre les réserves qui portent sur des éléments essentiels du contrat et les réserves relatives à des éléments contractuels accessoires a été reconduite ?
        • On peut raisonnablement le penser, étant précisé que pour apprécier la conformité de l’acceptation à l’offre le juge se référera toujours à la commune intention des parties.

ii. Effets

À la différence de l’offre, l’acceptation, lorsqu’elle est exprimée, a pour effet de parfaire le contrat.

En vertu du principe du consensualisme, le contrat est donc formé, de sorte que le pollicitant devient immédiatement lié contractuellement à l’acceptant.

Dans un arrêt du 14 janvier 1987, la Cour de cassation affirme en ce sens que s’agissant d’un contrat de vente que « la vente est parfaite entre les parties dès qu’on est convenu de la chose et du prix et que le défaut d’accord définitif sur les éléments accessoires de la vente ne peut empêcher le caractère parfait de la vente à moins que les parties aient entendu retarder la formation du contrat jusqu’à la fixation de ces modalités » (Cass. 3e civ. 14 janv. 1987, n°85-16.306).

4. Le consentement des parties

Là encore, parce qu’elle est un contrat, la transaction est soumise aux règles encadrant le consentement des parties.

Aussi, pour qu’un accord transactionnel soit valable, le consentement doit :

  • D’une part, exister
  • D’autre part, avoir été donné librement et de façon éclairée

a. L’existence du consentement

L’article 1129 du Code civil prévoit que « conformément à l’article 414-1, il faut être sain d’esprit pour consentir valablement à un contrat. ».

Il ressort de cette disposition que pour pouvoir contracter et donc transiger il ne faut pas être atteint d’un trouble mental, à défaut de quoi on ne saurait valablement consentir à l’acte.

Il peut être observé que cette règle existait déjà à l’article 414-1 du Code civil qui prévoit que « pour faire un acte valable, il faut être sain d’esprit. »

Cette disposition est, de surcroît d’application générale, à la différence, par exemple de l’article 901 du Code civil qui fait également référence à l’insanité d’esprit mais qui ne se rapporte qu’aux libéralités.

L’article 1129 fait donc doublon avec l’article 414-1. Il ne fait que rappeler une règle déjà existante qui s’applique à tous les actes juridiques en général.

🡺Insanité d’esprit et incapacité juridique

L’insanité d’esprit doit impérativement être distinguée de l’incapacité juridique :

  • L’incapacité dont est frappée une personne a pour cause :
    • Soit la loi
      • Tel est le cas s’agissant de l’incapacité d’exercice général dont sont frappés les mineurs non émancipés.
    • Soit une décision du juge
      • Tel est le cas s’agissant de l’incapacité d’exercice dont sont frappées les personnes majeures qui font l’objet d’une tutelle, d’une curatelle, d’une sauvegarde de justice ou encore d’un mandat de protection future.
  • L’insanité d’esprit n’a pour cause la loi ou la décision d’un juge : son fait générateur réside dans le trouble mental dont est atteinte une personne.

Aussi, il peut être observé que toutes les personnes frappées d’insanité d’esprit ne sont pas nécessairement privées de leur capacité juridique.

Réciproquement, toutes les personnes incapables (majeures ou mineures) ne sont pas nécessairement frappées d’insanité d’esprit.

À la vérité, la règle qui exige d’être sain d’esprit pour contracter a été instaurée aux fins de protéger les personnes qui seraient frappées d’insanité d’esprit, mais qui jouiraient toujours de la capacité juridique de contracter.

En effet, les personnes placées sous curatelle ou sous mandat de protection future sont seulement frappées d’une incapacité d’exercice spécial, soit pour l’accomplissement de certains actes (les plus graves).

L’article 1129 du Code civil jouit donc d’une autonomie totale par rapport aux dispositions qui régissent les incapacités juridiques.

Il en résulte qu’une action en nullité fondée sur l’insanité d’esprit pourrait indifféremment être engagée à l’encontre d’une personne capable ou incapable.

🡺Notion d’insanité d’esprit

Le Code civil ne définit pas l’insanité d’esprit.

Aussi, c’est à la jurisprudence qu’est revenue cette tâche

Dans un arrêt du 4 février 1941, la Cour de cassation a jugé en ce sens que l’insanité d’esprit doit être regardée comme comprenant « toutes les variétés d’affections mentales par l’effet desquelles l’intelligence du disposant aurait été obnubilée ou sa faculté de discernement déréglée » (Cass. civ. 4 févr. 1941).

Ainsi, l’insanité d’esprit s’apparente au trouble mental dont souffre une personne qui a pour effet de la priver de sa faculté de discernement.

Il peut être observé que la Cour de cassation n’exerce aucun contrôle sur la notion d’insanité d’esprit, de sorte que son appréciation relève du pouvoir souverain des juges du fond (V. notamment en ce sens Cass. 1re civ., 24 oct. 2000, n°98-17.341).

🡺Sanction de l’insanité d’esprit

En ce que l’insanité d’esprit prive le contractant de son consentement, elle est sanctionnée par la nullité du contrat.

Autrement dit, le contrat est réputé n’avoir jamais été conclu.

Il est anéanti rétroactivement, soit tant pour ses effets passés, que pour ses effets futurs.

Il peut être rappelé, par ailleurs, qu’une action en nullité sur le fondement de l’insanité d’esprit, peut être engagée quand bien même la personne concernée n’était pas frappée d’une incapacité d’exercice.

L’action en nullité pour incapacité et l’action en nullité pour insanité d’esprit sont deux actions bien distinctes.

La question enfin se pose du régime de la nullité en cas d’insanité d’esprit.

S’il ne fait guère de doute qu’il s’agit d’une nullité relative, dans la mesure où l’article 1129 vise à protéger un intérêt particulier quid de l’application du régime juridique attaché à l’article 414-1 ?

La nullité prévue à cet article est, en effet, régie par l’article 414-2 qui pose des conditions pour le moins restrictives lorsque l’action en nullité est introduite par les héritiers de la personne personnes protégée.

Cette disposition prévoit en ce sens que « après sa mort, les actes faits par lui, autres que la donation entre vifs et le testament, ne peuvent être attaqués par ses héritiers, pour insanité d’esprit, que dans les cas suivants :

  • 1° Si l’acte porte en lui-même la preuve d’un trouble mental ;
  • 2° S’il a été fait alors que l’intéressé était placé sous sauvegarde de justice ;
  • 3° Si une action a été introduite avant son décès aux fins d’ouverture d’une curatelle ou d’une tutelle ou aux fins d’habilitation familiale ou si effet a été donné au mandat de protection future. »

La question alors se pose si cette disposition est ou non applicable en matière contractuelle. En l’absence de dispositions contraires, il semble que oui.

b. L’intégrité du consentement

Il ne suffit pas que les cocontractants soient sains d’esprit pour que la condition tenant au consentement soit remplie.

Il faut encore que ledit consentement ne soit pas vicié, ce qui signifie qu’il doit être libre et éclairé :

  • Libre signifie que le consentement ne doit pas avoir été sous la contrainte
  • Éclairé signifie que le consentement doit avoir été donné en connaissance de cause

Manifestement, le Code civil fait une large place aux vices du consentement. Cela se justifie par le principe d’autonomie de la volonté qui préside à la formation du contrat.

Dès lors, en effet, que l’on fait de la volonté le seul fait générateur du contrat, il est nécessaire qu’elle présente certaines qualités.

Pour autant, les rédacteurs du Code civil ont eu conscience de ce que la prise en considération de la seule psychologie des contractants aurait conduit à une trop grande insécurité juridique.

Car en tenant compte de tout ce qui est susceptible d’altérer le consentement, cela aurait permis aux parties d’invoquer le moindre vice en vue d’obtenir l’annulation du contrat.

C’est la raison pour laquelle, tout en réservant une place importante aux vices du consentement, tant les rédacteurs du Code civil, que le législateur contemporain n’ont admis qu’ils puissent entraîner la nullité du contrat qu’à des conditions très précises.

Aux termes de l’article 1130, al. 1 du Code civil « l’erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu’ils sont de telle nature que, sans eux, l’une des parties n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes ».

Les vices du consentement énoncés par cette disposition sont susceptibles de se rencontrer dans le cadre d’une transaction. Aussi, convient-il de s’arrêter un instant sur chacun d’eux.

b.1. L’erreur

🡺Notion

L’erreur peut se définir comme le fait pour une personne de se méprendre sur la réalité. Cette représentation inexacte de la réalité vient de ce que l’errans considère, soit comme vrai ce qui est faux, soit comme faux ce qui est vrai.

L’erreur consiste, en d’autres termes, en la discordance, le décalage entre la croyance de celui qui se trompe et la réalité.

Lorsqu’elle est commise à l’occasion de la conclusion d’un contrat, l’erreur consiste ainsi dans l’idée fausse que se fait le contractant sur tel ou tel autre élément du contrat.

Il peut donc exister de multiples erreurs :

  • L’erreur sur la valeur des prestations : j’acquiers un tableau en pensant qu’il s’agit d’une toile de maître, alors que, en réalité, il n’en est rien. Je m’aperçois peu de temps après que le tableau a été mal expertisé.
  • L’erreur sur la personne : je crois solliciter les services d’un avocat célèbre, alors qu’il est inconnu de tous
  • Erreur sur les motifs de l’engagement : j’acquiers un appartement dans le VIe arrondissement de Paris car je crois y être muté. En réalité, je suis affecté dans la ville de Bordeaux

Manifestement, ces hypothèses ont toutes en commun de se rapporter à une représentation fausse que l’errans se fait de la réalité.

Cela justifie-t-il, pour autant, qu’elles entraînent la nullité du contrat ? Les rédacteurs du Code civil ont estimé que non.

Afin de concilier l’impératif de protection du consentement des parties au contrat avec la nécessité d’assurer la sécurité des transactions juridiques, le législateur, tant en 1804, qu’à l’occasion de la réforme du droit des obligations, a décidé que toutes les erreurs ne constituaient pas des causes de nullité.

Aussi, certaines erreurs sont-elles sans incidence sur la validité du contrat. D’où la distinction qu’il convient d’opérer entre les erreurs sanctionnées et les erreurs indifférentes.

🡺Droit antérieur

Sous l’empire du droit antérieur la transaction était soumise à des règles spécifiques s’agissant de l’erreur.

Alors qu’elle pouvait être rescindée pour lésion en cas d’erreur dans la personne ou sur l’objet de la contestation (art. 2053, al. 1er C civ.), l’ancien article 2052, al. 2e prévoyait que la transaction ne pouvait en revanche pas être attaquée « pour cause d’erreur de droit ».

Par erreur de droit on entend, traditionnellement, la fausse croyance de l’errans sur l’existence ou les conditions de mise en œuvre de la règle en considération de laquelle il s’est engagé.

Lorsqu’elle est commise dans le cadre d’une transaction, l’erreur de droit consiste donc pour l’errans à se méprendre :

  • Soit sur la teneur du droit auquel il a renoncé
  • Soit sur le bien-fondé du droit dont s’est prévalu la partie adverse

Si, pour la transaction, les rédacteurs du Code civil ont entendu exclure l’erreur de droit du domaine des erreurs sanctionnées, c’est en raison de l’objet de cette opération.

En effet, la transaction a pour objet de mettre fin à un litige né ou à naître, ce qui suppose pour les parties de trouver un compromis. Or la recherche de ce compromis implique précisément pour ces dernières à faire fi de leurs chances de succès respectives si l’affaire était portée devant un juge.

En transigeant les parties acceptent, en d’autres termes, l’aléa, en ce sens qu’elles prennent le risque de renoncer à une prétention qui aurait été peut-être accueillie favorablement par un juge.

Aussi, est-ce parce que les parties choisissent d’écarter les règles de droit applicables à leur litige à la faveur de la recherche d’une solution amiable, que l’ancien article 2052 n’admettait pas qu’elles puissent, par suite, se prévaloir d’une erreur de droit.

Si l’exclusion de l’erreur de droit par les rédacteurs du Code civil était parfaitement justifiée au regard de la particularité de la transaction, on a toutefois assisté, à compter de la fin des années 1990, à un mouvement jurisprudentiel tendant à neutraliser cette exclusion.

Nombreuses sont, en effet, les juridictions qui ont été animées par la volonté d’octroyer une plus grande protection aux parties les plus faibles poussées à transiger, ce qui impliquait de cantonner le domaine de l’erreur de droit afin qu’elle ne fasse pas obstacle à l’annulation des transactions qui leur étaient soumises.

En dépit des termes de l’article 2052 alinéa 2, la Cour de cassation a ainsi progressivement admis l’erreur de droit dans la transaction, soit sous couvert d’une autre qualification, soit en retenant l’existence d’une erreur sur l’objet de la contestation.

Dans un arrêt du 22 mai 2008, elle a par exemple jugé que « l’erreur, fût-elle de droit, qui affecte l’objet de la contestation défini par la transaction » justifie la rescision de ladite transaction (Cass. 1ère civ. 22 mai 2008, n°06-19.643).

En tout état de cause, comme relevé par la doctrine majoritaire, aucun motif convaincant ne justifiait aujourd’hui d’exclure la nullité de la transaction pour erreur de droit.

D’où la proposition doctrinale de supprimer l’exclusion de l’erreur de droit en matière de transaction formulée à l’occasion de l’adoption de la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle.

🡺Réforme

La loi du 18 novembre 2016 a donc abrogé les anciens articles 2052 et 2053 du Code civil qui opérait une distinction entre l’erreur de droit, non sanctionnée, et les erreurs dans la personne ou sur l’objet de la contestation définie dans la transaction qui, elles, étaient sanctionnées.

Désormais, la transaction ne fait dès lors l’objet de plus aucune disposition spécifique s’agissant de l’erreur. Elle peut donc être attaquée pour cause d’erreur dans les mêmes conditions que celles applicables à n’importe quel contrat relevant du droit commun.

i. Les conditions de l’erreur

Aussi, pour constituer une cause de nullité l’erreur doit, en toutes hypothèses, être :

  • Déterminante
  • Excusable

Il peut être ajouté qu’il importe peu que l’erreur soit de fait ou de droit.

🡺Une erreur déterminante

  • Principe
    • L’article1130 du Code civil prévoit que l’erreur vicie le consentement lorsque sans elle « l’une des parties n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes »
    • Autrement dit, l’erreur est une cause de consentement lorsqu’elle a été déterminante du consentement de l’errans.
    • Cette exigence est conforme à la position de la Cour de cassation.
    • Dans un arrêt du 21 septembre 2010, la troisième chambre civile a, par exemple, rejeté le pourvoi formé par la partie à une promesse synallagmatique de vente estimant que cette dernière « ne justifiait pas du caractère déterminant pour son consentement de l’erreur qu’il prétendait avoir commise » (Cass. 3e civ., 21 sept. 2010, n°09-66.297).
  • Appréciation du caractère déterminant
    • L’article 1130, al. 2 précise que le caractère déterminant de l’erreur « s’apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné »
    • Le juge est ainsi invité à se livrer à une appréciation in concreto du caractère déterminant de l’erreur

🡺Une erreur excusable

  • Principe
    • Il ressort de l’article 1132 du Code civil que, pour constituer une cause de nullité, l’erreur doit être excusable
    • Par excusable, il faut entendre l’erreur commise une partie au contrat qui, malgré la diligence raisonnable dont elle a fait preuve, n’a pas pu l’éviter.
    • Cette règle se justifie par le fait que l’erreur ne doit pas être la conséquence d’une faute de l’errans.
    • Celui qui s’est trompé ne saurait, en d’autres termes, tirer profit de son erreur lorsqu’elle est grossière.
    • C’est la raison pour laquelle la jurisprudence refuse systématiquement de sanctionner l’erreur inexcusable (V. en ce sens par exemple Cass. 3e civ., 13 sept. 2005, n°04-16.144).
  • Domaine
    • Le caractère excusable n’est exigé qu’en matière d’erreur sur les qualités essentielles de la prestation ou de la personne.
    • En matière de dol, l’erreur commise par le cocontractant sera toujours sanctionnée par la nullité, quand bien même ladite erreur serait grossière.
    • Dans un arrêt du 21 février 2001, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que la « réticence dolosive à la supposer établie, rend toujours excusable l’erreur provoquée » (Cass. 3e civ., 21 févr. 2001, n°98-20.817).
  • Appréciation
    • L’examen de la jurisprudence révèle que les juges se livrent à une appréciation in concreto de l’erreur pour déterminer si elle est ou non inexcusable.
    • Lorsque, de la sorte, l’erreur est commise par un professionnel, il sera tenu compte des compétences de l’errans (V. en ce sens Cass. soc., 3 juill. 1990, n°87-40.349).
    • Les juges feront également preuve d’une plus grande sévérité lorsque l’erreur porte sur sa propre prestation.

🡺L’indifférence de l’erreur de droit ou de fait

Il ressort de l’article 1130 du Code civil que l’erreur peut indifféremment être de fait ou de droit.

Dans un arrêt du 4 novembre 1975, la Cour de cassation a ainsi décidé que « si l’erreur de droit peut justifier l’annulation d’un acte juridique pour vice du consentement ou défaut de cause, elle ne prive pas d’efficacité les dispositions légales qui produisent leurs effets en dehors de toute manifestation de volonté de la part de celui qui se prévaut de leur ignorance » (Cass. 1ère civ. 4 nov. 1975, n°73-13.701).

L’erreur de droit n’est ainsi plus exclue du domaine des erreurs sanctionnées en matière de transaction.

ii. Les variétés d’erreurs

🡺Les erreurs sanctionnées

Aux termes de l’article 1132 du Code civil « l’erreur de droit ou de fait, à moins qu’elle ne soit inexcusable, est une cause de nullité du contrat lorsqu’elle porte sur les qualités essentielles de la prestation due ou sur celles du cocontractant. »

Il ressort de cette disposition que seules deux catégories d’erreur sont constitutives d’une cause de nullité du contrat : l’erreur sur les qualités essentielles de la prestation due et l’erreur sur les qualités essentielles du cocontractant

  • L’erreur sur les qualités essentielles de la prestation due
    • Aux termes de l’article 1132 du Code civil « l’erreur de droit ou de fait, à moins qu’elle ne soit inexcusable, est une cause de nullité du contrat lorsqu’elle porte sur les qualités essentielles de la prestation due »
    • L’article 1133 précise que les qualités essentielles sont celles « qui ont été expressément ou tacitement convenues et en considération desquelles les parties ont contracté ».
    • Autrement dit, pour être qualifiées d’essentielles, les qualités de la prestation sur lesquelles porte l’erreur doivent être entrées dans le champ contractuel.
    • C’est donc à l’aune de la commune intention des parties que le juge décidera si tel, ou tel autre élément du contrat revêt un caractère essentiel.
    • À défaut de stipulations contractuelles, il appartiendra à l’errans d’établir que son cocontractant savait que la qualité de la prestation sur laquelle a porté son erreur était déterminante de son consentement.
    • S’agissant de la transaction, les qualités essentielles pourront correspondre à l’existence ou à la teneur des droits auxquels les parties entendent renoncer, étant précisé qu’il est indifférent que l’erreur porte sur la prestation de l’une ou de l’autre partie (art. 1133, al. 2e C. civ.).
  • L’erreur sur les qualités essentielles du cocontractant
    • Au même titre que l’erreur sur les qualités essentielles de la prestation, le législateur a entendu faire de l’erreur sur les qualités essentielles du cocontractant une cause de nullité (art. 1133, al. 1 C. civ.).
    • Le législateur a ainsi reconduit la solution retenue en 1804 à la nuance près toutefois qu’il a inversé le principe et l’exception.
    • L’ancien article 1110 prévoyait, en effet, que l’erreur « n’est point une cause de nullité lorsqu’elle ne tombe que sur la personne avec laquelle on a intention de contracter, à moins que la considération de cette personne ne soit la cause principale de la convention. »
    • Ainsi, l’erreur sur les qualités essentielles de la personne n’était, par principe, pas sanctionnée.
    • Elle ne constituait une cause de nullité qu’à la condition que le contrat ait été conclu intuitu personae, soit en considération de la personne du cocontractant.
    • Aujourd’hui, le nouvel article 1134 du Code civil prévoit que « l’erreur sur les qualités essentielles du cocontractant n’est une cause de nullité que dans les contrats conclus en considération de la personne. »
    • L’exception instaurée en 1804 est, de la sorte, devenue le principe en 2016.
    • Cette inversion n’a cependant aucune incidence sur le contenu de la règle dans la mesure où, in fine, l’erreur sur les qualités essentielles du cocontractant n’est une cause de nullité qu’en matière de contrats conclus intuitu personae.
    • En pratique, l’erreur sur la personne ne se rencontrera que très rarement en matière de transaction, le caractère intuitu personae de cette opération n’étant pas suffisamment marqué.

🡺Les erreurs indifférentes

Les erreurs indifférences sont l’erreur sur les motifs et l’erreur sur la valeur :

  • S’agissant de l’erreur sur les motifs
    • Principe
      • L’article 1135 du Code civil prévoit que « l’erreur sur un simple motif, étranger aux qualités essentielles de la prestation due ou du cocontractant, n’est pas une cause de nullité, à moins que les parties n’en aient fait expressément un élément déterminant de leur consentement ».
      • Ainsi, lorsque l’erreur porte sur les motifs, soit sur les raisons qui ont déterminé les parties à contracter, elle ne constitue pas une cause de nullité.
      • Les motifs qui ont conduit les parties à transiger sont donc indifférents ; ils ne sauraient fonder une action en nullité de la transaction.
      • L’article 1135 précise qu’il importe peu que le motif sur lequel porte l’erreur ait été déterminant du consentement de l’errans, elle demeure indifférente.
    • Tempérament
      • Si l’indifférence de l’erreur sur les motifs se justifie par le caractère extérieur au contrat des circonstances qui ont conduit l’errans à contracter, dans l’hypothèse où lesdites circonstances seraient connues du cocontractant, l’erreur sur les motifs devrait alors en toute logique affecter la validité du contrat.
      • Tel est le sens de l’article 1135 du Code civil qui après avoir exclu, par principe, des causes de nullité l’erreur sur les motifs, précise qu’elle est toujours susceptible de le devenir lorsque les parties ont en fait un élément de leur consentement, soit lorsque le motif du contrat est entré dans le champ contractuel.
  • S’agissant de l’erreur sur la valeur
    • L’article 1136 du Code civil prévoit que « l’erreur sur la valeur par laquelle, sans se tromper sur les qualités essentielles de la prestation, un contractant fait seulement de celle-ci une appréciation économique inexacte, n’est pas une cause de nullité. »
    • L’erreur sur la valeur doit donc être entendue comme l’erreur sur l’évaluation économique de l’objet du contrat
    • En matière de transaction, elle porterait sur la valeur des concessions réciproques et plus généralement des engagements pris par les parties
    • Bien que l’erreur sur la valeur consiste en un décalage entre la croyance de l’errans et la réalité, ce déséquilibre objectif des prestations ne constitue cependant pas une cause de nullité du contrat.

b.2. Le dol

La transaction n’est soumise à aucun régime particulier s’agissant du dol. Ce sont les dispositions relevant du droit commun des contrats qui lui sont applicables.

Classiquement, le dol est défini comme le comportement malhonnête d’une partie qui vise à provoquer une erreur déterminante du consentement de son cocontractant.

Si, de la sorte, le dol est de nature à vicier le consentement d’une partie au contrat, il constitue, pour son auteur, un délit civil susceptible d’engager sa responsabilité.

Il est régi aux articles 1137 à 1139 du Code civil. Il ressort de ces dispositions que la caractérisation du dol suppose toujours la réunion de conditions qui tiennent :

  • D’une part, à ses éléments constitutifs
  • D’autre part, à son auteur
  • Enfin, à la victime

i. Les conditions du dol

α: Les conditions relatives aux éléments constitutifs du dol

Aux termes de l’article 1137, alinéa 1er du Code civil « le dol est le fait pour un contractant d’obtenir le consentement de l’autre par des manœuvres ou des mensonges ».

L’alinéa 2 ajoute que « constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie. ».

La lecture de cette disposition nous révèle que le dol est constitué de deux éléments cumulatifs :

  • Un élément matériel
  • Un élément intentionnel

🡺L’élément matériel

L’article 1137 alinéa 1, du Code civil prévoit que « le dol est le fait pour un contractant d’obtenir le consentement de l’autre par des manœuvres ou des mensonges ».

L’alinéa 2 ajoute que « constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie »

Ainsi, le dol est susceptible de se manifester sous trois formes différentes :

  • des manœuvres
  • un mensonge
  • un silence

Si, les deux premières formes de dol ne soulèvent guère de difficultés, il n’en va pas de même pour la réticence dolosive qui, si elle est consacrée par le législateur, n’en suscite pas moins des interrogations quant à la teneur de son élément matériel.

Pour rappel, il ressort de la jurisprudence que le silence constitue une cause de nullité du contrat :

  • soit parce qu’une obligation d’information pesait sur celui qui s’est tu
  • soit parce que ce dernier a manqué à son obligation de bonne foi

Ainsi les juridictions ont-elles assimilé la réticence dolosive à la violation de deux obligations distinctes, encore que, depuis les arrêts Vilgrain (Cass. com., 27 févr. 1996, n°94-11.241) et Baldus (Cass. 1ère civ. 3 mai 2000, n°98-11.381) les obligations de bonne foi et d’information ne semblent pas devoir être placées sur le même plan.

La première ne serait autre que le fondement de la seconde, de sorte que l’élément matériel de la réticence dolosive résiderait, en réalité, dans la seule violation de l’obligation d’information.

Est-ce cette solution qui a été retenue par le législateur lors de la réforme des obligations ?

Pour mémoire, une obligation générale d’information a été consacrée par le législateur à l’article 1112-1 du Code civil, de sorte que cette obligation dispose d’un fondement textuel qui lui est propre.

Aussi, est-elle désormais totalement déconnectée des autres fondements juridiques auxquels elle était traditionnellement rattachée.

Il en résulte qu’il n’y a plus lieu de s’interroger sur l’opportunité de reconnaître une obligation d’information lors de la formation du contrat ou à l’occasion de son exécution.

Elle ne peut donc plus être regardée comme une obligation d’appoint de la théorie des vices du consentement.

Dorénavant, l’obligation d’information s’impose en toutes circonstances : elle est érigée en principe cardinal du droit des contrats.

Dans le cadre des négociations d’une transaction, chaque partie a donc l’obligation de communiquer à l’autre les informations dont elle sait le caractère déterminant pour son cocontractant.

L’article 1137 du Code civil apporte toutefois une limite à cette règle en précisant que « ne constitue pas un dol le fait pour une partie de ne pas révéler à son cocontractant son estimation de la valeur de la prestation. »

🡺L’élément intentionnel

Le dol suppose la volonté de tromper son cocontractant. C’est en cela qu’il constitue un délit civil, soit une faute susceptible d’engager la responsabilité extracontractuelle de son auteur.

Aussi, est-ce sur ce point que le dol se distingue de l’erreur, laquelle ne peut jamais être provoquée. Elle est nécessairement spontanée.

  • En matière de sol simple
    • Dans un arrêt du 12 novembre 1987 la Cour de cassation reproche en ce sens à une Cour d’appel d’avoir retenu un dol à l’encontre du vendeur d’un camion qui ne répondait pas aux attentes de l’acquéreur « sans rechercher si le défaut de communication des factures de réparation et d’indication de réparations restant à effectuer avait été fait intentionnellement pour tromper le contractant et le déterminer à conclure la vente » (Cass. 1ère civ. 12 nov. 1987, n°85-18.350)
    • Plus récemment, la Cour de cassation a encore approuvé une Cour d’appel qui avait retenu un dol à l’encontre du vendeur d’un fonds de commerce, celle-ci ayant parfaitement « fait ressortir l’intention de tromper du cédant » (Cass. com. 11 juin 2013, n°12-22.014).
  • En matière de réticence dolosive
    • Dans un arrêt du 28 juin 2005 rendu en matière de réticence dolosive, la haute juridiction a adopté une solution identique en affirmant que « le manquement à une obligation précontractuelle d’information, à le supposer établi, ne peut suffire à caractériser le dol par réticence, si ne s’y ajoute la constatation du caractère intentionnel de ce manquement et d’une erreur déterminante provoquée par celui-ci » (Cass. com. 28 juin 2005, n°03-16.794)

β: Les conditions relatives à l’auteur du dol

🡺Principe

Pour être cause de nullité, le dol doit émaner, en principe, d’une partie au contrat.

L’article 1137 du Code civil formule expressément cette exigence en disposant que « le dol est le fait pour un contractant ».

Ainsi, le dol se distingue-t-il de la violence sur ce point, l’origine de cette dernière étant indifférente.

L’article 1142 du Code civil prévoit, en effet, que « la violence est une cause de nullité qu’elle ait été exercée par une partie ou par un tiers »

🡺Exclusion

Il résulte de l’exigence posée à l’article 1137, que le dol ne peut jamais avoir pour origine un tiers au contrat.

Dans un arrêt du 27 novembre 2001, la Cour de cassation a eu l’occasion de rappeler cette règle en décidant que « le dol n’est une cause de nullité que s’il émane de la partie envers laquelle l’obligation est contractée » (Cass. com. 27 nov. 2001, n°99-17.568).

Si donc le dol émane d’un tiers, le contrat auquel est partie la victime n’encourt pas la nullité.

🡺Correctif

La jurisprudence a apporté un correctif à l’exclusion du tiers de la catégorie des personnes dont doit nécessairement le dol, en admettant que la victime puisse agir sur le fondement de l’erreur.

Si cette dernière parvient ainsi à établir que les manœuvres d’un tiers l’ont induite en erreur, soit sur les qualités essentielles de la prestation, soit sur les qualités essentielles de son cocontractant, le contrat pourra être annulé.

Dans un arrêt du 3 juillet 1996, la première chambre civile a affirmé en ce sens que « l’erreur provoquée par le dol d’un tiers à la convention peut entraîner la nullité du contrat lorsqu’elle porte sur la substance même de ce contrat » (Cass. 1ère civ. 3 juill. 1996, n°94-15.729).

Si toutefois, l’erreur commise par la victime du dol causé par un tiers n’était pas sanctionnée, car portant soit sur la valeur, soit sur les motifs, elle disposerait, en toute hypothèse, d’un recours contre ce dernier sur le fondement de la responsabilité délictuelle.

🡺Exceptions

Il ressort de l’article 1138 du Code civil que, par exception, le dol peut émaner :

  • Soit du représentant, gérant d’affaires, préposé ou porte-fort du contractant
  • Soit d’un tiers de connivence

γ: Les conditions relatives à la victime du dol

Pour que le dol constitue une cause de nullité,

  • D’une part, le consentement de la victime doit avoir été donné par erreur
  • D’autre part, l’erreur provoquée par l’auteur du dol doit avoir été déterminante

🡺L’exigence d’une erreur

Pour que le dol puisse être retenu à l’encontre de l’auteur d’agissements trompeurs, encore faut-il qu’une erreur ait été commise par la victime. À défaut, le contrat ne saurait encourir la nullité.

Cette sanction ne se justifie, en effet, que s’il y a vice du consentement. Or lorsque les manœuvres d’une partie n’ont provoqué aucune erreur chez son cocontractant, le consentement de celle-ci n’a, par définition, pas été vicié.

Parce que le dol vient sanctionner un comportement malhonnête de son auteur, il constitue une cause de nullité quand bien même l’erreur qu’il provoque chez le cocontractant est indifférente.

Une erreur qui donc serait insusceptible d’entraîner l’annulation du contrat si elle avait été commise de manière spontanée, peut avoir l’effet opposé dès lors qu’elle a été provoquée.

Dans un arrêt du 2 octobre 1974, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « dès lors qu’elle a déterminé le consentement du cocontractant, l’erreur provoquée par le dol peut être prise en considération, même si elle ne porte pas sur la substance de la chose qui fait l’objet du contrat. » (Cass. 3e civ. 2 oct. 1974, n°73-11.901).

Cette solution a manifestement été consacrée à l’article 1139 du Code civil par l’ordonnance du 10 février 2016 qui prévoit que « l’erreur […] est une cause de nullité alors même qu’elle porterait sur la valeur de la prestation ou sur un simple motif du contrat ».

Il en résulte que, en matière de dol, l’erreur de la victime peut indifféremment porter :

  • Sur la valeur de la prestation due ou fournie
  • Sur les motifs de l’engagement

Par ailleurs, l’article 1139 du Code civil précise que lorsqu’elle est provoquée par un dol, l’erreur qui devrait être considérée comme inexcusable, quand elle est commise spontanément, devient excusable et donc une cause de nullité du contrat.

Le caractère excusable ou inexcusable de l’erreur est, de la sorte, indifférent.

🡺L’exigence d’une erreur déterminante

Pour que la nullité d’un contrat puisse être prononcée sur le fondement du dol, encore faut-il que l’erreur provoquée ait été déterminante du consentement du cocontractant.

Cette règle est désormais énoncée à l’article 1130 du Code civil qui prévoit que le dol constitue une cause de nullité lorsque sans lui l’une des parties n’aurait pas contracté (dol principal) ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes (dol incident).

Ainsi, le législateur a-t-il choisi de ne pas distinguer selon que le dol dont est victime l’une des parties au contrat est principal ou incident, conformément à la position adoptée par la jurisprudence.

ii. La sanction du dol

Lorsqu’un contrat a été conclu au moyen d’un dol, deux sanctions sont encourues :

  • La nullité du contrat
  • L’allocation de dommages et intérêts

🡺Sur la nullité du contrat

Aux termes de l’article 1131 du Code civil, « les vices de consentement sont une cause de nullité relative du contrat »

Aussi, cela signifie-t-il que seule la victime du dol, soit la partie dont le consentement a été vicié a qualité à agir en nullité du contrat

Cette solution, consacrée par l’ordonnance du 10 février 2016, est conforme à la jurisprudence antérieure (V. notamment en ce sens Cass. 1ère civ. 4 juill. 1995, n°93-15.005).

🡺Sur l’allocation de dommages et intérêts

Parce que le dol constitue un délit civil, la responsabilité extracontractuelle de son auteur est toujours susceptible d’être recherchée.

Dans la mesure où, en effet, le dol a été commis antérieurement à la formation du contrat, la victime ne peut agir que sur le fondement de la responsabilité délictuelle.

Dans un arrêt du 15 février 2002, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « la victime de manœuvres dolosives peut exercer, outre une action en annulation du contrat, une action en responsabilité délictuelle pour obtenir de leur auteur réparation du dommage qu’elle a subi » (Cass. com. 15 janv. 2002, n°99-18.774).

b.3. La violence

La transaction n’est soumise à aucun régime particulier s’agissant de la violence. Ce sont les dispositions relevant du droit commun des contrats qui lui sont applicables.

Classiquement, la violence est définie comme la pression exercée sur un contractant aux fins de le contraindre à consentir au contrat.

Le nouvel article 1140 traduit cette idée en prévoyant qu’« il y a violence lorsqu’une partie s’engage sous la pression d’une contrainte qui lui inspire la crainte d’exposer sa personne, sa fortune ou celles de ses proches à un mal considérable. ».

i. Les conditions de la violence

Il ressort des articles 1140 à 1143 du Code civil que la caractérisation de la violence suppose toujours la réunion de conditions qui tiennent :

  • D’une part, à ses éléments constitutifs
  • D’autre part, à son origine

α : Les conditions relatives aux éléments constitutifs de la violence

En application de l’article 1140 du Code civil, la violence est une cause de nullité lorsque deux éléments constitutifs sont réunis :

  • L’exercice d’une contrainte
  • L’inspiration d’une crainte

🡺Une contrainte

  • L’objet de la contrainte : la volonté du contractant
    • Tout d’abord, il peut être observé que la violence envisagée à l’article 1140 du Code civil n’est autre que la violence morale, soit une contrainte exercée par la menace sur la volonté du contractant.
    • La contrainte exercée par l’auteur de la violence doit donc avoir pour seul effet que d’atteindre le consentement de la victime, à défaut de quoi, par hypothèse, on ne saurait parler de vice du consentement.
  • La consistance de la contrainte : une menace
    • La contrainte visée à l’article 1140 s’apparente, en réalité, à une menace qui peut prendre différentes formes.
    • Cette menace peut consister en tout ce qui est susceptible de susciter un sentiment de crainte chez la victime.
    • Ainsi, peut-il s’agir, indifféremment, d’un geste, de coups, d’une parole, d’un écrit, d’un contexte, soit tout ce qui est porteur de sens
    • La conclusion d’une transaction obtenue sous la menace physique ou morale tombera nécessairement sous le coup de la violence et pourra donc faire l’objet d’une annulation.
  • Le caractère de la contrainte : une menace illégitime
    • La menace dont fait l’objet le contractant doit être illégitime, en ce sens que l’acte constitutif de la contrainte ne doit pas être autorisé par le droit positif.
    • A contrario, lorsque la pression exercée sur le contractant est légitime, quand bien même elle aurait pour effet de faire plier la volonté de ce dernier, elle sera insusceptible d’entraîner l’annulation du contrat.
    • La question alors se pose de savoir quelles sont les circonstances qui justifient qu’une contrainte puisse être exercée sur un contractant.
    • En quoi consiste, autrement dit, une menace légitime ?
    • Pour le déterminer, il convient de se reporter à l’article 1141 qui prévoit que « la menace d’une voie de droit ne constitue pas une violence. Il en va autrement lorsque la voie de droit est détournée de son but ou lorsqu’elle est invoquée ou exercée pour obtenir un avantage manifestement excessif. »
    • Cette disposition est, manifestement, directement inspirée de la position de la Cour de cassation qui, dans un arrêt du 17 janvier 1984 avait estimé que « la menace de l’emploi d’une voie de droit ne constitue une violence au sens des articles 1111 et suivants du code civil que s’il y a abus de cette voie de droit soit en la détournant de son but, soit en en usant pour obtenir une promesse ou un avantage sans rapport ou hors de proportion avec l’engagement primitif » (Cass. 3e civ. 17 janv. 1984, n°82-15.753).
    • Quel enseignement retenir de la règle énoncée par la jurisprudence, puis reprise sensiblement dans les mêmes termes par le législateur ?
    • Un principe assorti d’une limite.
      • Principe
        • La menace exercée à l’encontre d’un contractant est toujours légitime lorsqu’elle consiste en l’exercice d’une voie de droit
        • Ainsi, la menace d’une poursuite judiciaire ou de la mise en œuvre d’une mesure d’exécution forcée ne saurait constituer, en elle-même, une contrainte illégitime.
        • Une partie qui donc consentirait à conclure une transaction en réaction à ce type de menace ne saurait se prévaloir de la violence afin d’obtenir son annulation.
        • La menace d’exercice d’une voie de droit est, en effet, par principe toujours légitime.
      • Limites
        • La légitimité de la menace cesse, dit l’article 1141, lorsque la voie de droit est :
          • Soit détournée de son but
            • Il en va ainsi lorsque l’avantage procuré par l’exercice d’une voie de droit à l’auteur de la menace est sans rapport avec le droit dont il se prévaut.
            • La Cour de cassation a, de la sorte, approuvé une Cour d’appel pour avoir prononcé la nullité d’une reconnaissance de dette qui avait été « obtenue sous la menace d’une saisie immobilière relative au recouvrement d’une autre créance » (Cass. 1ère civ. 25 mars 2003, n°99-21.348).
          • Soit invoquée ou exercée pour obtenir un avantage manifestement excessif
            • La menace sera ainsi considérée comme illégitime lorsqu’elle est exercée en vue d’obtenir un avantage hors de proportion avec l’engagement primitif ou le droit invoqué.
            • La Cour de cassation a ainsi estimé que la contrainte consistant à menacer son cocontractant d’une procédure de faillite était illégitime, dans la mesure où elle avait conduit le créancier à obtenir de son débiteur des avantages manifestement excessifs (Cass. com. 28 avr. 1953).

🡺Une crainte

La menace exercée à l’encontre d’un contractant ne sera constitutive d’une cause de nullité que si, conformément à l’article 1140, elle inspire chez la victime « la crainte d’exposer sa personne, sa fortune ou celles de ses proches à un mal considérable. »

  • L’exposition à un mal considérable
    • L’exigence tenant à l’établissement d’une crainte d’un mal considérable a été reprise de l’ancien article 1112 du Code civil qui prévoyait déjà cette condition.
    • Que doit-on entendre par l’exposition à un mal considérable ?
    • Cette exigence signifie simplement que le mal en question doit être suffisamment grave pour que la violence dont est victime le contractant soit déterminante de son consentement.
    • Autrement dit, sans cette violence, la victime n’aurait, soit pas contracté, soit conclu l’acte à des conditions différentes.
    • Le caractère déterminant de la violence sera apprécié in concreto, soit en considération des circonstances de la cause.
    • La Cour de cassation prendra, en d’autres termes, en compte l’âge, les aptitudes, ou encore la qualité de la victime.
  • L’objet de la crainte
    • Pour mémoire, l’ancien article 1113 du Code civil prévoyait que « la violence est une cause de nullité du contrat, non seulement lorsqu’elle a été exercée sur la partie contractante, mais encore lorsqu’elle l’a été sur son époux ou sur son épouse, sur ses descendants ou ses ascendants. »
    • Dorénavant, la violence est caractérisée dès lors que la crainte qu’elle inspire chez la victime expose à un mal considérable :
      • soit sa personne
      • soit sa fortune
      • soit celles de ses proches

β : Les conditions relatives à l’origine de la violence

Il ressort des articles 1142 et 1143 du Code civil que la violence est sanctionnée quel que soit son auteur.

Contrairement au dol, elle peut émaner :

  • Soit d’un tiers
  • Soit de circonstances particulières

🡺La violence émanant d’un tiers

L’article 1142 du Code civil prévoit expressément que « la violence est une cause de nullité qu’elle ait été exercée par une partie ou par un tiers. »

Pour mémoire, l’ancien article 1111 disposait que la violence est une cause de nullité quand bien même elle est « exercée par un tiers autre que celui au profit duquel la convention a été faite. »

Les auteurs justifient cette règle par le fait que la violence n’a pas seulement pour effet de vicier le consentement de la victime : elle porte atteinte à sa liberté de contracter.

Le contractant qui fait l’objet de violences est donc privé de tout consentement, d’où la sévérité du législateur à son endroit.

🡺La violence émanant de circonstances

S’il ne fait aucun doute que la violence peut émaner d’une personne, qu’il s’agisse du contractant lui-même ou d’un tiers, la question s’est rapidement posée de savoir si elle ne pouvait pas dériver de circonstances extérieures au contrat.

Plus précisément, les auteurs se sont interrogés sur l’assimilation de ce que l’on appelle l’état de nécessité à la violence.

En matière contractuelle, l’état de nécessité se définit comme la situation dans laquelle se trouve une personne qui, en raison de circonstances économiques, naturelles ou politiques est contrainte, par la force des choses, de contracter à des conditions qu’elle n’aurait jamais acceptées si les circonstances qui la placent dans cette situation ne s’étaient pas produites.

De toute évidence, cette situation est susceptible de se rencontrer en matière de transaction, une partie, la plus faible, pouvant être conduite à transiger, non pas parce qu’elle le veut, mais parce qu’elle y est obligée en raison de l’état de dépendance économique dans lequel elle se trouve par rapport à son cocontractant.

C’est d’ailleurs un litige né de la conclusion d’une transaction qui a donné lieu à la reconnaissance par la Cour de cassation de la violence économique comme cause de nullité du contrat.

Dans un arrêt du 30 mai 2000, la première chambre civile a en effet admis l’assimilation de l’état de nécessité à la violence en jugeant que « la contrainte économique se rattache à la violence et non à la lésion » (Cass. 1er civ. 30 mai 2000, n°98-15.242).

Cass. 1ère civ. 30 mai 2000

Attendu que M. X…, assuré par les Assurances mutuelles de France ” Groupe azur ” (le Groupe Azur) a été victime d’un incendie survenu le 15 janvier 1991 dans le garage qu’il exploitait ; que, le 10 septembre 1991, il a signé un accord sur la proposition de l’expert pour fixer les dommages à la somme de 667 382 francs, dont, en premier règlement 513 233 francs, et en règlement différé 154 149 francs ;

Sur le premier moyen : (Publication sans intérêt) ;

Mais sur le deuxième moyen :

Vu les articles 2052 et 2053 du Code civil, ensemble l’article 12 du nouveau Code de procédure civile ;

Attendu que, pour rejeter la demande d’annulation de l’acte du 10 septembre 1991, l’arrêt attaqué retient que, la transaction ne pouvant être attaquée pour cause de lésion, la contrainte économique dont fait état M. X… ne saurait entraîner la nullité de l’accord ;

Attendu qu’en se déterminant ainsi, alors que la transaction peut être attaquée dans tous les cas où il y a violence, et que la contrainte économique se rattache à la violence et non à la lésion, la cour d’appel a violé les textes susvisés

  • Faits
    • Un particulier a été victime d’un incendie survenu le 15 janvier 1991 dans le garage qu’il exploitait
    • Le 10 septembre 1991, il a signé un accord transactionnel sur la proposition de l’expert pour fixer les dommages à la somme de 667 382 francs, dont, en premier règlement 513 233 francs, et en règlement différé 154 149 francs
  • Demande
    • L’assuré engage une action en nullité de la transaction conclue, en invoquant la violence dont il aurait fait l’objet
  • Procédure
    • Dans un arrêt du 18 mars 1998, la Cour d’appel de Paris rejette la demande formulée par l’assuré
    • Elle estime que la transaction litigieuse ne pouvait pas être attaquée pour cause de lésion, celle-ci ne constituant pas une cause de nullité en droit français.
  • Solution
    • Dans son arrêt du 30 mai 2000, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel estimant que la transaction en l’espèce pouvait parfaitement faire l’objet d’une action en nullité, dans la mesure où la contrainte économique à laquelle était soumis l’assuré lors de la conclusion de l’acte litigieux était constitutive du vice de violence et non d’une lésion.
  • Analysé
    • Ainsi, pour la première fois, la Cour de cassation admet-elle que la contrainte économique puisse constituer un cas de violence en dehors du contexte maritime.

Dans un célèbre arrêt Bordas du 3 avril 2002, la Cour de cassation a, par suite, estimé que « seule l’exploitation abusive d’une situation de dépendance économique, faite pour tirer profit de la crainte d’un mal menaçant directement les intérêts légitimes de la personne, peut vicier de violence son consentement » (Cass. 1ère civ. 3 avr. 2002, n°00-12.932).

Aussi, pour la Première chambre civile, la seule situation de dépendance économique ne suffit pas à caractériser la violence cause de nullité contractuelle.

Pour elle, le vice de violence ne peut être caractérisé que s’il existe une exploitation de la situation de dépendance économique dans laquelle se trouve la personne placée sous cette dépendance.

La solution dégagée dans l’arrêt Bordas a été confirmée par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats qui a inséré un article 1143 dans le Code civil.

Cette disposition prévoit que « il y a également violence lorsqu’une partie, abusant de l’état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant, obtient de lui un engagement qu’il n’aurait pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif. »

Il ressort de ce texte que trois conditions cumulatives doivent être réunies pour que l’abus de l’état de dépendance soit caractérisé :

  • Une situation de dépendance
    • Le texte ne précisant pas de quel type de dépendance il doit s’agir, on peut en déduire qu’il ne vise pas seulement l’état de dépendance économique.
    • Est-ce à dire que l’état de dépendance affective serait également visé ?
    • Rien ne permet d’exclure, en l’état du droit positif, cette éventualité.
  • Un abus de la situation de dépendance
    • Il ne suffit pas de démontrer qu’une partie au contrat se trouve dans un état de dépendance par rapport à une autre pour établir le vice de violence.
    • Encore faut-il que la partie en position de supériorité ait abusé de la situation.
    • Aussi, l’existence d’une situation de dépendance n’est pas propre à faire peser une présomption de violence.
    • Pour qu’une transaction soit annulée sur le fondement de la violence, il faudra démontrer un abus de la situation de dépendance.
  • L’octroi d’un avantage manifestement excessif
    • Pour que l’abus de dépendance soit caractérisé, cela suppose que l’auteur de la violence ait obtenu un avantage manifestement excessif que son cocontractant ne lui aurait jamais consenti s’il ne s’était pas retrouvé en situation de dépendance
    • Cette condition a, manifestement, été reprise de la jurisprudence de la Cour de cassation qui, dès l’arrêt Bordas, faisait de cette exigence un élément constitutif de la violence économique (V. notamment Cass. 3e civ. 22 mai 2012, n°11-16.826).

ii. La sanction de la violence

Lorsqu’un contrat a été conclu au moyen d’un acte de violence, deux sanctions sont encourues :

  • La nullité du contrat
  • L’allocation de dommages et intérêts

🡺Sur la nullité du contrat

Aux termes de l’article 1131 du Code civil, « les vices de consentement sont une cause de nullité relative du contrat »

Aussi, cela signifie-t-il que seule la victime de la violence, soit la partie dont le consentement a été vicié a qualité à agir en nullité du contrat

Cette solution, consacrée par l’ordonnance du 10 février 2016, est conforme à la jurisprudence antérieure (V. notamment en ce sens Cass. 1ère civ. 4 juill. 1995).

🡺Sur l’allocation de dommages et intérêts

Parce que la violence constitue un délit civil, la responsabilité extracontractuelle de son auteur est toujours susceptible d’être recherchée.

Dans la mesure où, en effet, la violence a été commise antérieurement à la formation du contrat, la victime ne peut agir que sur le fondement de la responsabilité délictuelle (V. notamment Cass. com. 18 février 1997, n°94-19.272).

5. Le contenu de la transaction

Le nouvel article 1128 du Code civil subordonne la validité du contrat à l’existence d’un « contenu licite et certain ».

La notion de « contenu » du contrat est une nouveauté introduite par l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats.

Le législateur a entendu regrouper sous une même notion les concepts d’objet et de cause qui, antérieurement à la réforme, étaient traités dans des sections distinctes du Titre III.

Aussi, désormais, les différentes fonctions qui étaient autrefois dévolues à l’objet et à la cause sont exercées par une seule et même figure juridique : la notion de contenu du contrat.

En ce qu’elle est soumise aux conditions générales de validité des contrats, la transaction doit répondre aux exigences de licéité et de détermination du contenu.

a. La licéité du contenu de la transaction

🡺Principe

Aux termes de l’article 1162 du Code civil « le contrat ne peut déroger à l’ordre public ni par ses stipulations, ni par son but, que ce dernier ait été connu ou non par toutes les parties. »

Il ressort de cette disposition que la licéité du contrat est subordonnée au respect d’une double exigence : tant les stipulations du contrat, que le but poursuivi par les parties doivent être conformes à l’ordre public.

Une transaction ne peut, dès lors, être valable que si elle ne contrevient pas à l’ordre public.

Pour mémoire, l’ordre public fait partie de ces notions qui échappent à l’emprise de toute définition. Il s’agit là d’un concept dont les contours sont flous et le contenu difficile à déterminer.

Après avoir listé près d’une vingtaine de définitions, Philippe Malaurie dira de l’ordre public que, en définitive, « c’est le bon fonctionnement des institutions indispensables à la collectivité »[3]

Quant au Code civil, lui non plus ne donne aucune définition de l’ordre public.

Tout au plus, il peut être déduit de l’article 6 que l’ordre public vise l’ensemble des règles auxquelles on ne saurait déroger « par conventions particulières ».

Ainsi, l’ordre public consisterait-il en un corpus de normes impératives, soit un cadre juridique en dehors duquel la volonté des parties serait inopérante quant à la création d’obligations.

Conformément au principe d’autonomie de la volonté, les parties devraient pourtant être libres de contracter et plus encore de déterminer le contenu du contrat.

À la vérité, bien que la volonté des contractants constitue une source d’obligations aux côtés de la loi, elle n’a jamais été considérée, pas même par les rédacteurs du Code civil, comme toute puissante en matière contractuelle.

La marge de manœuvre des parties comporte une limite : celle fixée par les règles qui protègent des intérêts supérieurs placés hors d’atteinte des conventions particulières.

Pour Jean Carbonnier « l’idée générale est celle d’une suprématie de la collectivité sur l’individu. L’ordre public exprime le vouloir-vivre de la nation que menaceraient certaines initiatives individuelles en forme de contrats »[4]

Cet auteur ajoute que, finalement, l’ordre public n’est autre qu’un rappel à l’ordre adressé par l’État « aux contractants s’ils veulent toucher à des règles qu’il regarde comme essentielles »[5]

Dans cette perspective, le nouvel article 1102 du Code civil prévoit que « la liberté contractuelle ne permet pas de déroger aux règles qui intéressent l’ordre public. »

Lorsque dès lors des parties transigent, elles doivent toujours veiller à ne pas contrevenir à des règles d’ordre public. La question qui alors se pose est de savoir comment identifier une règle d’ordre public.

Comme le fait observer Philippe Malinvaud « l’ordre public est la marque de certaines règles légales ou réglementaires qui tirent leur suprématie de leur objet : la défense d’un intérêt général devant lequel doivent s’incliner les intérêts particuliers et les contrats qui les expriment »[6].

Ainsi, l’ordre public vise-t-il toujours à protéger des intérêts qui, s’ils sont de natures diverses et variées, ont tous pour point commun de se situer au sommet de la hiérarchie des valeurs.

Dans cette perspective, classiquement on distingue deux sortes de règles d’ordre public : celles qui relèvent de l’ordre public politique et celles qui relèvent de l’ordre public économique.

  • S’agissant de l’ordre public politique
    • Il est composé de toutes les règles qui assurent la protection des intérêts relatifs à l’État, à la famille et à la morale.
      • La défense de l’État
        • Toutes les règles qui régissent l’organisation et le fonctionnement de l’État sont d’ordre public
        • Il en résulte que les transactions qui, par exemple, porteraient sur le droit de vote ou qui viseraient à restreindre l’exercice du pouvoir politique seraient nulles.
        • Dès lors sont impératives les lois constitutionnelles, les lois fiscales ou encore les lois pénales
      • La défense de la famille
        • La plupart des règles qui touchent à l’organisation et à la structuration de la famille sont d’ordre public.
        • L’article 1388 du Code civil prévoit en ce sens que « les époux ne peuvent déroger ni aux devoirs ni aux droits qui résultent pour eux du mariage, ni aux règles de l’autorité parentale, de l’administration légale et de la tutelle. »
        • Toutefois, il convient de distinguer les règles qui régissent les rapports personnels entre les membres de la famille, de celles qui gouvernent les rapports patrimoniaux.
        • Tandis que les premières constituent presque toujours des dispositions impératives, les secondes sont le plus souvent supplétives.
      • La défense de la morale
        • Si, jusqu’à récemment, la défense de la morale se traduisait essentiellement par l’exigence de conformité des conventions aux bonnes mœurs cette exigence s’est peu à peu déportée à la faveur d’une protection de l’ordre moral qui postule désormais le respect de la personne humaine et de la liberté individuelle.
  • S’agissant de l’ordre public économique
    • il est composé de règles qui régissent les échanges de biens et services
    • Cet ordre public est constitué de deux composantes :
      • L’ordre public économique de direction
        • L’ordre public économique de direction vise à assurer la protection d’un intérêt économique général.
        • Il s’agit là, autrement dit, de règles qui ont été édictées en vue de protéger l’économie de marché et plus généralement de servir le développement des échanges de biens et de services.
        • L’ordre public de direction est de la sorte très présent en droit de la concurrence.
        • Dans un arrêt du 26 mai 1992 la Cour de cassation a, de la sorte, affirmé que « sont nulles les conventions sous quelque forme et pour quelque cause que ce soit, ayant pour objet ou pouvant avoir pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence » (Cass. com. 26 mai 1992, n°90-13.499)
      • L’ordre public économique de protection
        • L’ordre public économique de protection vise à préserver les droits de la partie jugée faible au contrat
        • Le terrain d’élection privilégié de cet ordre public est le droit du travail, le droit de la consommation ou encore le droit des locataires.
        • La présence de cet ordre public de protection se traduit, le plus souvent, par la réglementation stricte d’un certain nombre de contrats.

🡺Tempéraments

L’interdiction de déroger par convention contraire à une règle d’ordre public devrait conduire à considérer qu’une transaction ne saurait contrevenir à une telle règle.

Pourtant, il est des cas où les parties seront autorisées à transiger alors même que la règle en jeu présente un caractère d’ordre public.

  • Cas des transactions portant sur une nullité
    • Alors que les règles instituant la nullité d’un acte sont d’ordre public, il est admis qu’une transaction puisse avoir pour l’objet la renonciation par une partie à se prévaloir d’une nullité.
    • Toutes les nullités ne peuvent néanmoins pas faire l’objet d’une transaction.
    • Une partie ne peut renoncer à soulever une nullité dans le cadre d’une transaction que s’il s’agit d’une nullité relative.
    • La raison en est que la règle qui institue une nullité relative relève de l’ordre public de protection.
    • Il s’agit, autrement dit, d’une règle qui vise à protéger un intérêt particulier, l’intérêt de la partie au profit de laquelle la nullité est instituée.
    • Or, en application de l’article 1181 du Code civile, elle seule peut se prévaloir de cette nullité.
    • Il est dans ces conditions cohérent d’admettre que la partie que la loi entend protéger puisse renoncer à se prévaloir d’une nullité relative.
    • Tel n’est, en revanche, pas le cas, lorsque la transaction porte sur une nullité absolue.
    • Cette nullité est, en effet, instituée par une règle qui vise à protéger l’ordre public de direction, soit l’intérêt général.
    • À ce titre, elle peut être soulevée par quiconque justifie d’un intérêt à agir (art. 1180 C. civ.).
    • Aussi, très tôt la jurisprudence a jugé qu’on ne pouvait pas transiger sur une nullité absolue (Cass. civ. 18 déc. 1893).
  • Cas des transactions portant sur des droits acquis
    • S’il est a priori interdit de transiger sur un droit subjectif qui présente un caractère d’ordre public, la jurisprudence opère toutefois une distinction entre les droits acquis et les droits non acquis.
    • Dans un arrêt du 16 novembre 1960, la Cour de cassation a, en effet, jugé qu’« il est loisible au plaideur de transiger sur les modalités d’application d’un droit acquis, d’ordre public » (Cass. soc., 16 nov. 1960).
    • Il ressort de cette décision que la transaction qui porte sur un droit acquis est parfaitement valable, peu importe que ce droit soit d’ordre public.
    • Par acquis, il faut entendre un droit qui est né, par opposition au droit non acquis dont le fait générateur n’est pas encore survenu.
    • Cette solution a été réitérée à plusieurs reprises par la Cour de cassation et notamment dans un arrêt du 17 mars 1998.
    • Aux termes de cette décision, la Première chambre civile a ainsi affirmé que « s’il est interdit de renoncer par avance aux règles de protection établies par une loi d’ordre public, il est en revanche permis de renoncer aux effets acquis de telles règles » (Cass. 1ère civ., 17 mars 1998, n°96-13.972).
    • Afin de mieux appréhender cette jurisprudence, prenons l’exemple de la prestation compensatoire.
    • S’il est fait interdiction à un époux de renoncer, dans le cadre d’une transaction, à toute prestation compensatoire en prévision d’un éventuel divorce, celui-ci sera en revanche admis à renoncer à cet effet du divorce lorsque la procédure sera engagée (Cass. 2e civ. 10 mai 1991, n°90-11.008).
    • La solution est la même pour un salarié qui renoncerait à engager la responsabilité de son employeur en cas d’accident de travail futur : il ne pourra renoncer à une telle action dans le cadre d’une transaction qu’en cas de naissance d’un droit à indemnisation, soit en cas de survenance d’un accident de travail.
    • En somme, s’il est interdit de transiger à l’avance sur un droit présentant un caractère d’ordre public, il est en revanche admis qu’il y soit renoncé lorsque ce droit est né.
    • La chambre commerciale a statué en ce sens dans un arrêt du 16 décembre 2014 aux termes duquel elle a jugé, au visa de l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, que « si [ce] texte institue une responsabilité d’ordre public à laquelle les parties ne peuvent renoncer par anticipation, il ne leur interdit pas de convenir des modalités de la rupture de leur relation commerciale, ou de transiger sur l’indemnisation du préjudice subi par suite de la brutalité de cette rupture » (Cass. com. 16 déc. 2014, n°13-21.363).

b. La détermination du contenu de la transaction

i. Le domaine de l’objet de la transaction

Peut-on transiger en tous domaines ? Le Code civil est silencieux sur cette question. L’article 2046 précise tout au plus qu’« on peut transiger sur l’intérêt civil qui résulte d’un délit ».

Parce que la transaction est un contrat, au titre de la liberté contractuelle, les parties devraient a priori être autorisées à transiger en toutes matières, pourvu que la convention conclue ne porte pas atteinte à l’ordre public, ni par ses stipulations, ni par son but.

Reste que la transaction constitue un acte grave en ce qu’elle emporte renonciation pour les parties d’agir en justice. Or pour pouvoir renoncer à un droit, encore faut-il être libre d’en disposer.

Aussi, cela suppose-t-il que ce droit soit :

  • D’une part disponible
  • D’autre part, aliénable

🡺Un droit disponible

Il est donc admis que pour pouvoir faire l’objet d’une transaction, le droit concerné doit être disponible.

Par disponible, il faut entendre positivement un droit dont on peut disposer. Cette définition n’est toutefois pas suffisante car elle ne permet pas de cerner avec précision les contours de la notion, laquelle recouvre, en réalité, un périmètre plus restreint.

Car en effet, un droit peut, dans son état primitif, être disponible, mais être inaliénable et donc non cessible, en raison, par exemple, d’une clause spécifique qui aurait été stipulée dans le cadre d’une convention ou encore de son statut de bien public.

Aussi, pour comprendre ce qu’est un droit disponible, il faut envisager la notion négativement. Sous cet angle, un droit disponible est un droit qui ne relève pas de la catégorie des droits qui sont dits « hors du commerce ».

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir comment reconnaître les droits « hors du commerce » et ceux qui ne le sont pas.

Par hypothèse, la ligne de démarcation serait celle qui distingue les droits patrimoniaux des droits extra-patrimoniaux.

Tandis que les premiers sont des droits appréciables en argent et, à ce titre, peuvent faire l’objet d’opérations translatives, les seconds n’ont pas de valeur pécuniaire, raison pour laquelle on dit qu’ils sont hors du commerce ou encore indisponibles.

Ainsi, selon cette distinction, on ne pourrait transiger que sur les seuls droits patrimoniaux. Pour mémoire, ils se scindent en deux catégories :

  • Les droits réels (le droit de propriété est l’archétype du droit réel)
  • Les droits personnels (le droit de créance : obligation de donner, faire ou ne pas faire)

Quant aux droits extrapatrimoniaux, qui donc ne peuvent faire l’objet d’aucune transaction, on en distingue classiquement trois sortes :

  • Les droits de la personnalité (droit à la vie privée, droit à l’image, droit à la dignité, droit au nom, droit à la nationalité)
  • Les droits familiaux (l’autorité parentale, droit au mariage, droit à la filiation, droit au respect de la vie familiale)
  • Les droits civiques et politiques (droit de vote, droit de se présenter à une élection etc.)

Bien que la ligne de démarcation entre les droits extrapatrimoniaux et les droits patrimoniaux soit particulièrement marquée, les droits sur lesquels les parties sont libres de transiger sont parfois difficiles à identifier. Ce sera notamment le cas en présence d’intérêts pécuniaires.

Aussi, afin d’appréhender les droits susceptibles de faire l’objet d’une transaction et ceux qui ne le peuvent pas convient-il, non pas de raisonner par domaine, mais d’opérer des distinctions au sein de chacun d’eux.

  • État des personnes
    • L’état des personnes est le terrain d’élection privilégié des droits extrapatrimoniaux.
    • Il se définit comme « l’ensemble des éléments caractérisant la situation juridique d’une personne au plan individuel (date et lieu de naissance, nom, prénom, sexe, capacité, domicile), au plan familial (filiation, mariage) et au plan politique (qualité de français ou d’étranger), de nature à permettre d’individualiser cette personne dans la société dans laquelle elle vit »[7].
    • Par principe, l’état des personnes est indisponible, cela qui signifie que l’on ne peut pas céder ou renoncer à un élément de son état.
    • En matière de filiation cette interdiction est expressément formulée à l’article 323 du Code civil.
    • Cette disposition prévoit que « les actions relatives à la filiation ne peuvent faire l’objet de renonciation. »
    • Une transaction qui, dès lors, aurait pour objet la renonciation par une partie d’un ou plusieurs éléments de son état serait nulle.
    • Dans un arrêt du 20 janvier 1981 la Cour de cassation a, par exemple, validé l’annulation d’une transaction aux termes de laquelle une mère avait renoncé à son droit d’agir en recherche de paternité (Cass. 1ère civ. 20 janv. 1981, n°79-12.605).
    • Si les droits résultant de l’état des personnes sont par principe indisponible, tous ne le sont pas.
    • Il est, en effet, admis qu’une transaction puisse porter sur les conséquences pécuniaires de l’état des personnes.
    • Si donc il est interdit de transiger sur la filiation, il est en revanche permis de conclure une transaction qui aurait pour objet la pension alimentaire résultant de l’établissement d’un lien de filiation.
  • Mariage et divorce
    • En application du principe d’indisponibilité de l’état des personnes, des époux ne sauraient conclure une transaction aux fins de déroger aux règles du mariage ou du divorce.
    • Ainsi des époux ne sauraient transiger sur le devoir de fidélité, l’obligation de communauté de vie ou encore sur le droit de demander le divorce dans les cas ouverts par la loi.
    • Il en va de même pour une transaction aux termes de laquelle un époux renoncerait au bénéfice d’une règle gouvernant son régime matrimonial (Cass., 1ère civ., 8 avr. 2009, n°07-15945).
    • À l’instar de l’état des personnes, s’il n’est pas possible de conclure une transaction qui dérogerait aux règles du mariage et du divorce, il est en revanche permis de transiger sur les conséquences pécuniaires de l’un et l’autre.
    • Dans le cadre d’un divorce, les époux sont, par exemple, autorisés à conclure une transaction qui viserait à réduire le montant de la prestation compensatoire fixé par le juge (Cass. 1ère, 8 févr. 2005, n°03-17.923).
    • La Cour de cassation a statué dans le même sens dans un arrêt du 9 mars 1994 s’agissant du partage de la communauté consécutivement au prononcé du divorce.
    • Aux termes de cette décision elle a jugé que « après la dissolution de leur mariage par le divorce, les ex-époux sont libres de liquider leur régime matrimonial comme ils l’entendent et de passer, à cet effet, toutes conventions transactionnelles, sous réserve des droits des créanciers tels que fixés par l’article 882 du Code civil » (Cass. 1ère civ. 9 mars 1994, n°92-13.455).
  • Obligations alimentaires
    • La loi a institué des obligations dites « alimentaires » qui contraignent leur débiteur à fournir une aide matérielle ou en nature à certains membres de leur famille qui se trouveraient dans le besoin.
    • Ces obligations jouent notamment dans les rapports entre :
      • Parents et enfants
      • Grands-parents et petits-enfants
      • Gendres ou belles-filles et beaux-parents
    • Parce qu’elles présentent un caractère d’ordre public, les obligations alimentaires sont incessibles et insaisissables.
    • Il en résulte qu’elles ne sauraient, en principe, faire l’objet d’une transaction : le créancier d’une obligation alimentaire ne peut, ni y renoncer, ni la céder.
    • Cette interdiction n’est toutefois pas absolue ; la jurisprudence l’a assortie d’un tempérament.
    • Dans un arrêt du 29 mai 1985, la Cour de cassation a, en effet, opéré une distinction entre les créances d’aliments actuelles (les créances nées) et les créances d’aliments éventuelles (les créances à naître).
    • Dans cette affaire, des parents avaient conclu un accord transactionnel aux termes duquel la mère, en contrepartie d’une somme d’argent, se déclarait être remplie de tous ses droits et renoncer à toute action en justice s’agissant de la pension alimentaire due par le père au bénéfice de ses enfants mineurs.
    • Quelque temps plus tard la mère remet en cause l’accord conclu en faisant notamment valoir que la renonciation à une action alimentaire était contraire à l’ordre public.
    • La première chambre civile rejette le pourvoi formé par la requérante en reconnaissant la validité de la transaction conclue à tout le moins pour ses effets passés.
    • Elle affirme en, effet, que si la transaction dénoncée en l’espèce ne pouvait valoir renonciation pour l’avenir à obtenir le versement d’une pension alimentaires pour les enfants, elle n’en était pas moins licite pour le passé, des parents étant parfaitement libres de transiger quant au remboursement de frais déjà été engagés par l’un d’eux pour l’entretien et l’éducation des enfants.
    • Ainsi, pour la Cour de cassation, l’interdiction de transiger en matière d’obligation alimentaire ne vise que les seuls droits éventuels, soit ceux qui ne sont pas encore nés.
    • Pour les droits actuels, c’est-à-dire ceux déjà nés, ils peuvent au contraire faire l’objet d’une transaction (Cass. 1ère civ. 29 mai 1985, n°84-11.626).
    • En somme, s’il est interdit de renoncer à son droit à aliments pour l’avenir, il est en revanche possible de transiger sur ce même droit dès lors qu’il est devenu échu.
  • Poursuites pénales
    • Principe
      • Lorsqu’une infraction pénale est constatée, le ministère public est libre d’engager des poursuites pénales.
      • Ces poursuites prennent la forme de ce que l’on appelle une action publique, laquelle est exercée aux fins de défendre les intérêts de la collectivité.
      • Parce que cette action est d’ordre public, elle est indisponible et, par voie de conséquence, ne peut faire l’objet d’aucune transaction.
      • L’article 2046 du Code civil prévoit en ce sens que « la transaction n’empêche pas la poursuite du ministère public. »
      • Ainsi, l’auteur d’une infraction ne saurait transiger avec le ministère public et réclamer, par exemple, l’abandon des poursuites engagées moyennant le versement d’une somme d’argent.
    • Tempéraments
      • S’il est interdit de transiger sur l’action publique, ce principe est assorti de deux tempéraments
        • Premier tempérament
          • L’article 6, al. 3e du Code de procédure pénale prévoit que l’action publique peut « s’éteindre par transaction lorsque la loi en dispose expressément ou par l’exécution d’une composition pénale ; il en est de même en cas de retrait de plainte, lorsque celle-ci est une condition nécessaire de la poursuite. »
          • Ainsi est-il admis que l’auteur d’une infraction puisse transiger sur les poursuites pénales engagées à son endroit lorsque les conditions énoncées par ce texte sont réunies.
          • La transaction est, par exemple, admise dans de nombreux cas en matière fiscale et douanière (V. en ce sens Cass. crim. 18 avr. 1983, n°82-90.081 et 81-92.517).
          • Le procureur est, par ailleurs, autorisé par de nombreux textes à conclure avec la personne poursuivie une convention qui présente toutes les caractéristiques d’une transaction.
          • On peut notamment évoquer l’article 41-2 du Code de procédure pénale qui prévoit que le procureur de la République peut, tant que l’action publique n’a pas été mise en mouvement, proposer une composition pénale à une personne physique qui reconnaît avoir commis un ou plusieurs délits punis à titre de peine principale d’une peine d’amende ou d’une peine d’emprisonnement d’une durée inférieure ou égale à cinq ans, ainsi que, le cas échéant, une ou plusieurs contraventions connexes qui consiste en une ou plusieurs des mesures limitativement énumérées, telles que le versement d’une amende, le suivi d’un stage de formation ou encore l’accomplissement d’un stage de citoyenneté.
        • Second tempérament
          • Si l’action publique est indisponible, il est en revanche permis de transiger sur l’action civile née d’une infraction pénale.
          • Cette règle est énoncée par l’article 2046, al. 1er du Code civil qui prévoit que « on peut transiger sur l’intérêt civil qui résulte d’un délit. »
          • Cette règle se justifie par la nature de l’action civile : elle n’est autre que l’exercice du droit à réparation dont est titulaire toute victime d’un dommage.
          • Or le droit à réparation est un droit patrimonial ; il est dès lors susceptible de faire l’objet d’une transaction.
          • Pour que la transaction conclue sur l’action civile soit opérante, encore faut-il qu’elle porte sur les faits à l’origine des poursuites pénales (Cass. crim. 6 oct. 1964, n°64-90.560).
          • Par ailleurs, pour être valable, la transaction doit avoir été conclue entre la victime et l’auteur de l’infraction et non entre les coauteurs ou complices (Cass. req., 7 nov. 1865).
  • Procédures collectives
    • On présente généralement les procédures collectives comme remplissant plusieurs objectifs au nombre desquels figurent notamment le redressement économique de l’entreprise, l’apurement de son passif et le maintien de l’emploi tout en assurant l’égalité des créanciers.
    • Aussi, les procédures collectives poursuivent-elles des objectifs qui vont bien au-delà de la préservation des intérêts particuliers du débiteur ; elles visent, en premier lieu, à servir des intérêts communs.
    • C’est pour cette raison que le droit des procédures collectives recèle de très nombreuses règles qui présentent un caractère d’ordre public.
    • Il en résulte que la possibilité de transiger dans le cadre d’une procédure collective est pour le moins limitée.
    • En application des articles L. 632-1 et suivants du Code de commerce il est, par exemple, fait interdiction au débiteur de transiger sur les actes susceptibles d’être frappés de nullité en cas d’accomplissement au cours de la période suspecte (Cass. com., 20 sept. 2005, n°04-11.789).
    • Dans un arrêt du 24 mars 2009, la Cour de cassation a, par ailleurs, décidé que les condamnations au paiement des dettes sociales à l’encontre du dirigeant d’entreprise ne peuvent faire l’objet d’une transaction (Cass. com., 24 mars 2009, n°07-20.383).
    • Il a encore été jugé que « aux termes d’une transaction, des créanciers n’ayant aucune garantie ne peuvent se voir accorder plus de droits qu’un créancier nanti » (Cass. com. 10 déc. 2002, n°99-21.411).

🡺Un droit inaliénable

Si une transaction peut porter sur un droit disponible, encore faut-il que ce droit ne soit pas frappé d’inaliénabilité.

Quels sont les droits inaliénables ? Il s’agit des droits qui notamment :

  • Soit sont attachés à des biens qui possèdent un statut particulier, tels que les biens relevant du domaine public ou les biens appartenant à la catégorie des souvenirs de famille
  • Soit sont grevés par une stipulation d’inaliénabilité, pourvu que cette stipulation produise des effets limités dans le temps et qu’elle soit justifiée par un intérêt sérieux et légitime

Parce qu’un droit frappé d’inaliénabilité ne peut pas être cédé, il ne peut, par voie de conséquence, pas faire l’objet d’une transaction.

ii. L’interprétation de l’objet de la transaction

🡺Principe

La transaction a pour fonction de mettre fin à un litige né ou à naitre. Pour atteindre son but, encore faut-il que les termes du litige soient définis avec suffisamment de précision dans l’acte, faute de quoi les parties pourraient être portées à saisir le juge afin de lui soumettre une question qui n’aurait pas été abordée dans la transaction conclue.

La question qui alors se pose est de savoir comment une transaction doit-elle être interprétée ?

Doit-on considérer que la transaction couvre le litige constaté dans l’acte ainsi que toutes les ramifications que ce litige est susceptible de comporter ou doit-on estimer que les effets de la transaction sont cantonnés au périmètre du différent décrit dans l’acte ?

Pour le déterminer, il convient de se reporter à l’article 2048 du Code civil qui prévoit que « les transactions se renferment dans leur objet : la renonciation qui y est faite à tous droits, actions et prétentions, ne s’entend que de ce qui est relatif au différend qui y a donné lieu. »

Il ressort de cette disposition que l’objet de la transaction doit être interprété restrictivement.

Selon cette approche, il y a lieu de considérer que la transaction ne règle que ce qui est expressément énoncé dans l’acte. Si dès lors un différend comporte plusieurs chefs, la transaction ne règle que ceux qu’elle vise spécifiquement.

S’agissant des autres chefs du litige qui ne seraient pas abordés dans la transaction, ils pourront dès lors être portés devant le juge.

Pour cette raison, lorsque des parties décident de transiger il leur faudra bien veiller, au stade de la rédaction, à énoncer dans l’acte l’ensemble des chefs de litige et plus généralement tout « ce qui est relatif au différend qui y a donné lieu ».

🡺Tempérament

Le principe d’interprétation restrictive des termes d’une transaction est assorti d’un tempérament énoncé à l’article 2049 du Code civil.

Cette disposition prévoit que « les transactions ne règlent que les différends qui s’y trouvent compris, soit que les parties aient manifesté leur intention par des expressions spéciales ou générales, soit que l’on reconnaisse cette intention par une suite nécessaire de ce qui est exprimé. »

À l’analyse, ce texte ne fait que reprendre la règle de droit commun énoncée à l’article 1194 du Code civil qui prévoit que « les contrats obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que leur donnent l’équité, l’usage ou la loi. »

Cette règle vise à autoriser le juge à aller au-delà de ce qui est énoncé dans la transaction lorsque les stipulations de l’acte sont obscures ou trop générales.

En cas de lacunes et de silence d’un contrat, il est, en effet, illusoire de rechercher la commune intention des parties qui, par définition, n’a probablement pas été exprimée par elles.

Aussi, le juge n’aura-t-il d’autre choix que d’adopter la méthode objective d’interprétation, soit pour combler le vide contractuel, de se rapporter à des valeurs extérieures à l’acte, telles que l’équité ou la bonne foi.

En somme, l’article 2049 autorise le juge à découvrir des obligations qui s’imposent aux parties alors mêmes qu’elles n’avaient pas été envisagées lors de la conclusion du contrat : c’est ce que l’on appelle le forçage du contrat.

Une illustration de cette méthode d’interprétation appliquée en matière de transaction peut être trouvée dans un arrêt rendu par la Cour de cassation le 16 octobre 2019.

Aux termes de cette décision, elle a admis que « la renonciation du salarié à ses droits nés ou à naître et à toute instance relative à l’exécution du contrat de travail ne [rendait] pas irrecevable une demande portant sur des faits survenus pendant la période d’exécution du contrat de travail postérieure à la transaction et dont le fondement est né postérieurement à la transaction » (Cass. soc. 16 oct. 2019, n°18-18.287).

Dans un arrêt du 28 novembre 2006, la Chambre sociale a encore admis, s’agissant d’une transaction qui avait pour objet le règlement des conséquences d’un licenciement économique que le droit de lever l’option de souscription d’actions qui avait été réservé aux seules personnes ayant la qualité de salarié au moment de l’opération se rattachait bien à l’exécution du contrat de travail et était, comme tel, soumis au champ d’application de la transaction (Cass. soc. 28 nov. 2006, n°05-41.684).

B) Les conditions de forme

1. Exigence d’un écrit

Une disposition est consacrée dans le code civil au formalisme de la transaction. L’article 2044 prévoit, en effet, que « ce contrat doit être rédigé par écrit. »

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir si cet écrit est exigé ad validitatem ou seulement ad probationem.

Parce que la transaction est un contrat consensuel, il a très tôt été admis que l’établissement d’un écrit n’était, en aucune façon, une condition de validité de la transaction (Cass. req., 2 août 1927).

Dans un arrêt du 18 mars 1986, la Cour de cassation a notamment affirmé que « l’écrit prévu par l’article 2044 du Code civil n’est pas exigé pour la validité du contrat de transaction dont l’existence peut être établie selon les modes de preuve prévus en matière de contrats par les articles 1341 et suivants du Code civil ».

Ainsi, l’exigence d’écrit formulée à l’article 2044 du Code civil est seulement une règle de preuve et non une règle de fond.

Cette solution a été réitérée récemment par la Deuxième chambre civile dans un arrêt du 21 janvier 2021 aux termes duquel elle a affirmé que « l’écrit prévu par l’article 2044 du Code civil n’étant pas exigé pour la validité du contrat de transaction, mais seulement à des fins probatoires » (Cass. 2e civ., 21 janv. 2021, n°19-20.724).

La conséquence en est que l’absence d’écrit au sens de l’article 1364 du Code civil n’entachera pas la transaction de nullité. Celle-ci pourra par exemple se déduire d’un échange de lettres missives (Cass. 1ère civ., 18 févr. 2015, n° 13-27.465).

En revanche, la conclusion d’une transaction ne pourra pas se déduire du comportement des parties, de sorte qu’elle ne pourra pas être présumée.

2. Preuve de la transaction

Si la validité d’une transaction n’est pas subordonnée à l’établissement d’un écrit, l’écrit n’en est pas moins exigé à titre de preuve.

Aussi, la transaction est-elle soumise aux règles générales de preuve applicables aux actes juridiques.

À cet égard, il y a lieu de distinguer selon que la transaction présente un caractère civil ou commercial, les règles d’admissibilité des modes de preuve n’étant pas les mêmes dans l’un ou l’autre cas.

2.1 La transaction présente un caractère civil

Bien que pour les actes juridiques, l’exigence de preuve littérale vaille tant s’agissant d’établir l’existence de l’acte que son contenu, la jurisprudence a apporté une dérogation à cette règle pour les transactions.

a. Preuve de l’existence de la transaction

a.1. Principe

L’article 1359 du Code civil prévoit que « l’acte juridique portant sur une somme ou une valeur excédant un montant fixé par décret doit être prouvé par écrit sous signature privée ou authentique. »

Il ressort de cette disposition que la preuve d’un acte juridique suppose nécessairement la production d’un écrit.

Lorsqu’il s’agit d’établir l’existence d’une transaction, la production d’un écrit est exigée quel que soit le montant de l’objet de cette dernière, l’article 2044 du Code civil ne reprenant pas l’exigence de seuil énoncé par l’article 1359 (1500 euros).

La jurisprudence en a déduit qu’il était indifférent que la transaction porte sur un montant supérieur ou inférieur à ce seuil (V. en ce sens Cass. civ. 9 juin 1947).

Aussi, l’existence d’une transaction ne peut être prouvée, en toute hypothèse, qu’au moyen d’une preuve littérale.

Cette exigence n’est toutefois pas absolue. Le législateur a prévu des dérogations à l’exigence de preuve littérale.

a.2. Dérogations

Si l’existence d’une transaction ne peut, en principe, être prouvée qu’au moyen d’un écrit, cette exigence est susceptible d’être écartée :

  • Soit lorsqu’il y a d’impossibilité de se procurer un écrit
  • Soit en cas de recours à un mode de preuve admis à suppléer l’écrit

i. L’impossibilité de se procurer un écrit

L’article 1360 du Code civil prévoit que l’exigence de production d’un écrit pour faire la preuve d’un acte juridique reçoit « exception en cas d’impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit, s’il est d’usage de ne pas établir un écrit, ou lorsque l’écrit a été perdu par force majeure. »

Lorsque cette impossibilité de se procurer un écrit est établie, la partie qui se prévaut de la transaction litigieuse serait admise à faire la preuve de son existence par tous moyens de preuve.

À cet égard, il pourra s’agir d’une impossibilité de rédiger un écrit résultant d’un empêchement moral ou matériel survenu au moment de la conclusion de la transaction.

Mais il pourra également s’agir d’une impossibilité de produire un écrit au cours de l’instance en raison de la survenance d’un cas de force de force majeure.

Dans les deux cas, la partie qui se prévaut de l’impossibilité de se procurer un écrit devra démontrer que les conditions énoncées par l’article 1360 du Code civil sont remplies.

ii. Le recours à un mode de preuve admis à suppléer l’écrit

L’article 1361 du Code civil prévoit que « il peut être suppléé à l’écrit par l’aveu judiciaire, le serment décisoire ou un commencement de preuve par écrit corroboré par un autre moyen de preuve. »

Il ressort de cette disposition qu’il est deux catégories de preuves qui sont reconnues comme équivalentes à l’écrit et qui, à ce titre, peuvent le suppléer :

  • Le commencement de preuve par écrit corroboré par un autre moyen de preuve
  • L’aveu judiciaire et le serment que l’on qualifie de modes de preuve parfaits

🡺S’agissant du commencement preuve par écrit

L’article 1361 du Code civil prévoit donc qu’il peut être suppléé à l’écrit « par un commencement de preuve par écrit corroboré par un autre moyen de preuve. »

Le commencement de preuve par écrit est ainsi envisagé par ce texte comme l’équivalent d’un écrit, à tout le moins dès lors qu’il est « corroboré par un autre moyen de preuve ».

Par commencement de preuve par écrit il faut entendre, selon la définition qui en est donnée par l’article 1362 du Code civil, « tout écrit qui, émanant de celui qui conteste un acte ou de celui qu’il représente, rend vraisemblable ce qui est allégué. »

Il ressort de cette disposition, pour être recevable à suppléer l’écrit, le commencement de preuve par écrit doit être caractérisé dans ses trois éléments constitutifs :

  • Un écrit
  • Un écrit émanant de celui qui conteste un acte ou de celui qu’il représente
  • Un écrit rendant vraisemblable ce qui est allégué

L’alinéa 2 de l’article 1362 du Code civil précise, par ailleurs, que « peuvent être considérés par le juge comme équivalant à un commencement de preuve par écrit les déclarations faites par une partie lors de sa comparution personnelle, son refus de répondre ou son absence à la comparution. »

Une fois la condition tenant à la production d’un commencement de preuve par écrit remplie, pour que celui-ci soit recevable à faire la preuve d’un acte juridique il doit nécessairement, dit l’article 1361 du Code civil, être « corroboré par un autre moyen de preuve ».

Dans un arrêt du 6 février 1973, la Cour de cassation a jugé en ce sens, s’agissant de la preuve d’une transaction, que, en ce que « la transaction est un contrat et est, à ce titre, soumise aux règles édictées par l’article 1347 du code civil, que la preuve peut en être rapportée par témoins ou présomptions lorsqu’il existe un commencement de preuve par écrit » (Cass. 3e civ. 6 févr. 1973, n°71-12.511).

De façon plus générale, les autres moyens de preuve admis à compléter un commencement de preuve par écrit ne sont autres que les modes de preuve imparfaits, soit :

  • Le témoignage
  • Les présomptions judiciaires
  • L’aveu extrajudiciaire
  • Le serment supplétoire

N’importe lequel parmi ces modes de preuve est ainsi recevable à corroborer un commencement de preuve par écrit, pourvu qu’il présente un caractère extrinsèque.

Autrement dit, il doit s’agit d’un élément de preuve qui n’émane pas de l’auteur du commencement de preuve par écrit produit.

🡺S’agissant des modes de preuve parfaits

En application de l’article 1361 du Code civil, il peut être suppléé à l’écrit :

  • Soit par l’aveu judiciaire
  • Soit par le serment décisoire

Ces deux moyens de preuve appartiennent à la catégorie des modes de preuve parfaits.

Aussi, présentent-ils une double spécificité :

  • En premier lieu, ils sont admis en toutes matières, soit pour faire la preuve, tant des faits juridiques, que des actes juridiques peu importe le montant de ces deniers
  • En second lieu, ils s’imposent au juge en ce sens que le rôle de celui-ci se cantonnera à vérifier que le moyen de preuve qui lui est soumis répond aux exigences légales.

En l’absence d’écrit pour faire la preuve d’une transaction, les plaideurs ont ainsi la faculté de recourir à un mode de preuve parfait, étant précisé qu’il n’existe aucune hiérarchie entre ces derniers (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 28 janv. 1981, 79-17.501).

Sous réserve que les conditions d’admission du mode de preuve parfait soient réunies, le juge n’aura d’autre choix que d’admettre que la preuve de l’acte juridique litigieux soit rapportée, peu importe que son intime conviction lui suggère le contraire.

b. Preuve du contenu de la transaction

L’exigence de preuve littérale vaut en principe, tant s’agissant d’établir l’existence de l’acte, que son contenu.

Bien que de portée générale, cette règle a fait l’objet d’un assouplissement par la jurisprudence en matière de transaction.

La Cour de cassation admet, en effet, que la preuve du contenu d’une transaction est libre (V. en ce sens Cass. soc. 22 juin 1960).

2.2 La transaction présente un caractère commercial

Bien que l’article 2044 du Code civil exige l’établissement d’un écrit pour faire la preuve d’une transaction, il est admis que cette règle ne joue pas en matière commerciale V. en ce sens Cass. civ. 26 déc. 1950).

Aussi, est-ce, dans cette matière, l’article L. 110-3 du Code de commerce qui s’applique.

Pour mémoire, cette disposition prévoit que « à l’égard des commerçants, les actes de commerce peuvent se prouver par tous moyens à moins qu’il n’en soit autrement disposé par la loi ».

Ainsi, en matière commerciale, la preuve est libre, de sorte qu’une transaction pourrait être prouvée par présomptions ou par témoins.

Pour que la preuve soit libre encore faut-il que deux conditions cumulatives soient remplies :

  • Première condition
    • La transaction litigieuse doit présenter un caractère commercial.
    • Pour mémoire, il existe trois sortes d’actes de commerce :
      • Les actes de commerce par nature, soit ceux portant sur les opérations visées aux articles L. 110-1 et L. 110-2 du Code de commerce et qui, pour présenter un caractère commercial, doivent nécessairement être accomplis de façon répétée et à des fins spéculatives
      • Les actes de commerce par la forme, soit ceux dont la commercialité ne dépend ni de la qualité de la personne qui les accomplit, ni de leur finalité ou de leur répétition
      • Les actes de commerce par accessoire, soit ceux, quelle que soit leur nature, dont l’accomplissement se rattache à une opération commerciale principale.
  • Seconde condition
    • Pour que le plaideur auquel il appartient de prouver la transaction ne soit pas soumis à l’exigence d’écrit, le défendeur doit endosser la qualité de commerçant.
    • En effet, si l’article L. 110-3 du Code de commerce prévoit que les actes de commerce peuvent être prouvés par tous moyens, le texte précise que la règle ne joue que pour les seuls actes accomplis « à l’égard des commerçants ».
    • Aussi, dans l’hypothèse où le défendeur n’endosserait pas la qualité de commerçant, la preuve de la transaction requerra la production d’un écrit, à tout le moins pour le demandeur.
    • On parlera alors d’acte de mixte.
    • Un acte est dit mixte, lorsqu’il présente un caractère commercial à l’égard d’une partie et un caractère civil à l’égard de l’autre partie.
    • Dans cette hypothèse, le régime probatoire applicable est asymétrique :

III) Les effets de la transaction

La transaction présente, pour mémoire, une double dimension :

  • Une dimension contractuelle, en ce que sa formation procède d’un échange des volontés entre les parties
  • Une dimension juridictionnelle, en ce qu’elle est admise au rang des modes alternatifs de règlement des litiges

Aussi, les effets de la transaction se rapportent à chacune de ces deux dimensions.

A) Les effets attachés à la dimension contractuelle de la transaction

1. Les effets entre les parties

1.1 La force obligatoire de la transaction

a. La force obligatoire à l’égard des parties

i. Le principe de force obligatoire de la transaction

🡺Énoncé du principe

Parce que la transaction est un contrat elle est pourvue de ce que l’on appelle la force obligatoire.

Cet effet que l’on reconnaît à tout contrat est énoncé à l’article 1103 du Code civil qui prévoit que « les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ».

Que doit-on par cette formule directement issue de l’ancien article 1134 ?

Il faut comprendre cette disposition comme posant la règle fondamentale selon laquelle, dès lors que le contrat est valablement conclu, il est créateur de normes.

Or la principale caractéristique d’une norme est qu’elle est obligatoire, de sorte qu’elle prescrit aux parties l’adoption d’une certaine conduite sous peine de sanctions.

Parce que la transaction est pourvue de la force obligatoire, elle s’impose donc aux parties qui n’ont d’autre choix que de l’exécuter et notamment de tenir leurs engagements s’agissant des concessions consenties l’une à l’autre.

À défaut, le créancier de l’engagement qui n’aurait pas été exécuté est fondé à saisir le juge afin, d’une part, qu’il constate l’inexécution et, d’autre part, qu’il commande au débiteur de s’exécuter, si besoin sous la contrainte.

🡺Modification / révocation

Autre conséquence de la force obligatoire d’une transaction, sa modification ou sa révocation requièrent l’accord de toutes les parties.

L’article 1193 du Code civil prévoit en ce sens que « les contrats ne peuvent être modifiés ou révoqués que du consentement mutuel des parties, ou pour les causes que la loi autorise. »

Lorsqu’ainsi une partie souhaite réviser ou mettre fin à la transaction conclue, elle ne peut le faire qu’en accord avec l’autre partie.

Dès lors que les deux parties sont consentantes, il est en revanche admis, soit qu’il soit procédé à la révocation conjointe de la transaction (Cass. civ., 26 févr. 1884), soit qu’un nouvel accord transactionnel se substitue à la transaction anciennement conclue (Cass. 2e civ. 14 févr. 1974).

À cet égard, en cas d’accord des parties sur le principe d’une révision de la transaction, elles devront le faire en observant l’exigence de forme énoncée à l’article 2044 du Code civil, lequel requiert l’établissement d’un écrit.

Cet écrit n’est certes pas reconnu comme une condition de validité de la modification de la transaction ; il est toutefois exigé à titre de preuve.

S’agissant de la renonciation à une transaction, la Cour de cassation a jugé qu’elle pouvait se déduire de la poursuite du procès en cours par les parties (Cass. civ. 27 juin 1888).

ii. Les sanctions de l’inexécution de la transaction

Parce que le contrat est pourvu de la force obligatoire qui, en application de l’article 1103 du Code civil, lui est conférée par la loi, il a vocation à être exécuté.

Reste que cette exécution ne saurait dépendre de la seule volonté des parties, ne serait-ce que parce que, de bonne foi ou de mauvaise foi, ces dernières sont susceptibles d’être défaillantes.

Aussi, afin de contraindre les parties à satisfaire à leurs obligations le législateur, secondé par la jurisprudence, a-t-il prévu un certain nombre de sanctions, lesquelles sanctions vont de l’exécution forcée à la résolution du contrat, en passant par l’octroi de dommages et intérêts.

Au fond, ces sanctions visent à assurer l’efficacité des conventions et à en garantir la bonne exécution.

À cet égard, l’article 1217, al. 1er du Code civil dispose que la partie envers laquelle l’engagement n’a pas été exécuté, ou l’a été imparfaitement, peut :

  • Soit refuser d’exécuter ou suspendre l’exécution de sa propre obligation ;
  • Soit la poursuite de l’exécution forcée en nature
  • Soit obtenir une réduction du prix ;
  • Soit provoquer la résolution du contrat ;
  • Soit demander réparation des conséquences de l’inexécution.

L’ensemble de ces sanctions sont a priori susceptibles d’être mises en œuvre en cas d’inexécution d’une transaction ; raison pour laquelle il y a lieu d’envisager chacune d’elles individuellement.

🡺S’agissant de l’exception d’inexécution

L’exception d’inexécution, ou « exceptio non adimpleti contractus », est définie classiquement comme le droit, pour une partie, de suspendre l’exécution de ses obligations tant que son cocontractant n’a pas exécuté les siennes.

Il ressort des articles 1219 et 1220 du Code civil que cette exception d’inexécution peut être exercée :

  • Soit consécutivement à une inexécution avérée
  • Soit par anticipation d’une inexécution à venir

Appliquée à la transaction, cette règle autorise donc une partie à ne pas exécuter ses engagements en cas d’inexécution par son cocontractant de ses propres obligations.

Lorsque les conditions de l’exception d’inexécution sont remplies, le contrat n’est nullement anéanti : l’exigibilité des obligations de l’excipiens est seulement suspendue temporairement, étant précisé que cette suspension est unilatérale.

Dès lors que le débiteur aura régularisé sa situation, il incombera au créancier de lever la suspension exercée et d’exécuter ses obligations.

En tout état de cause, l’exercice de l’exception d’inexécution n’autorise pas le créancier à rompre le contrat (V. en ce sens Cass. com. 1er déc. 1992, n° 91-10930).

Pour sortir de la relation contractuelle, il n’aura d’autre choix que de solliciter la résolution du contrat, selon l’une des modalités énoncées à l’article 1224 du Code civil.

En l’absence de réaction du débiteur, le créancier peut également saisir le juge aux fins de solliciter l’exécution forcée du contrat.

À l’inverse, dès lors que l’exercice de l’exception d’inexécution est justifié, le débiteur est irrecevable à solliciter l’exécution forcée du contrat ou sa résolution. Le créancier est par ailleurs à l’abri d’une condamnation au paiement de dommages et intérêts.

🡺S’agissant de la poursuite de l’exécution forcée de la transaction en nature

Parce que les contrats sont pourvus de la force obligatoire (art. 1103 C. civ), lorsqu’une partie, qui s’est engagée à fournir une prestation ou une chose, ne s’exécute pas, elle devrait, en toute logique, pouvoir y être contrainte. C’est la raison pour laquelle la loi le lui permet.

Cette possibilité, pour le créancier, de contraindre le débiteur défaillant à honorer ses obligations vise à obtenir ce que l’on appelle l’exécution forcée.

Pratiquement, l’exécution forcée peut prendre deux formes :

  • Elle peut avoir lieu en nature : le débiteur est contraint de fournir ce à quoi il s’est engagé
  • Elle peut avoir lieu par équivalent : le débiteur verse au créancier une somme d’argent qui correspond à la valeur de la prestation promise initialement

Tandis que les rédacteurs du Code civil avaient fait de l’exécution par équivalent le principe, pour les obligations de faire et de ne pas faire, l’ordonnance du 10 février 2016 a inversé ce principe en généralisant l’exécution forcée en nature dont le recours n’est plus limité, en simplifiant à l’extrême, aux obligations de donner.

Aussi, l’article 1221 du Code civil dispose désormais que le créancier d’une obligation peut, après mise en demeure, en poursuivre l’exécution en nature.

Ainsi, ce texte rompt avec la lettre de l’ancien article 1142 du code civil, dont la Cour de cassation avait déjà retenu une interprétation contraire au texte et qui était également contredit par la procédure d’injonction de faire prévue par les articles 1425-1 à 1425-9 du code de procédure civile.

Le principe est donc dorénavant inversé. Il est indifférent que l’engagement souscrit consiste en une obligation de donner, de faire ou de ne pas faire, le créancier est fondé, par principe, à solliciter l’exécution forcée en nature de son débiteur, sauf à ce que :

  • Soit l’exécution est impossible
  • Soit il existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur de bonne foi et son intérêt pour le créancier.

À cet égard, le créancier dispose toujours d’une alternative prévue à l’article 1222 du Code civil qui consiste, « au lieu de poursuivre l’exécution forcée de l’obligation concernée, de faire exécuter lui-même l’obligation ou détruire ce qui a été mal exécuté après mise en demeure du débiteur, et de solliciter ensuite du débiteur le remboursement des sommes exposées pour ce faire ».

🡺S’agissant de l’obtention d’une réduction du prix

Issu de la réforme du droit des obligations, l’article 1223 du Code civil dispose que « en cas d’exécution imparfaite de la prestation, le créancier peut, après mise en demeure et s’il n’a pas encore payé tout ou partie de la prestation, notifier dans les meilleurs délais au débiteur sa décision d’en réduire de manière proportionnelle le prix ».

Ainsi, au nombre des sanctions susceptibles d’être invoquées par le créancier en cas de défaillance du débiteur, figure la faculté de solliciter la réduction du prix initialement convenu dans la transaction.

Il s’agit là d’une sanction intermédiaire entre l’exception d’inexécution et la résolution, qui permet de procéder à une révision du contrat à hauteur de ce à quoi il a réellement été exécuté en lieu et place de ce qui était contractuellement prévu.

En somme, l’article 1223 du Code civil offre la possibilité au créancier d’une obligation imparfaitement exécutée d’accepter cette réduction sans devoir saisir le juge en diminution du prix. C’est là la véritable nouveauté introduite par l’ordonnance du 10 février 2016.

Il peut être observé que les conditions de mise en œuvre de cette sanction diffèrent selon que la réduction du prix intervient :

  • Avant le paiement du prix (art. 1223, al. 1er c. civ.)
    • Le créancier de l’obligation imparfaitement exécutée qui n’aurait pas encore payé de tout ou partie du prix doit notamment notifier au débiteur sa décision unilatérale de réduire le prix proportionnellement à l’inexécution constatée, dans les meilleurs délais.
  • Après le paiement du prix (art. 1223, al. 2e civ.)
    • Le créancier de la prestation qui aurait déjà payé l’intégralité du prix ne pourra que demander au juge d’ordonner au débiteur un remboursement des sommes versées proportionnel à l’inexécution constatée.

🡺S’agissant de la résolution de la transaction

La résolution est classiquement définie comme l’anéantissement rétroactif d’un contrat en réaction à l’inexécution d’une obligation. En ce qu’elle a pour effet de rompre le lien contractuel, la résolution est la plus radicale des sanctions de l’inexécution.

Elle est envisagée aux articles 1224 à 1230 du Code civil qui instaurent un dispositif articulé autour des trois modes de résolution du contrat que sont :

  • La clause résolutoire
  • La résolution unilatérale
  • La résolution judiciaire

Selon le rapport au Président de la République accompagnant l’ordonnance du 10 février 2016, il est apparu essentiel de traiter de la résolution du contrat parmi les différents remèdes à l’inexécution, et non pas seulement à l’occasion des articles relatifs à la condition résolutoire qui serait toujours sous-entendue dans les contrats selon l’ancien article 1184.

Ainsi l’article 1224 énonce les trois modes de résolution du contrat précités, la résolution unilatérale et la résolution judiciaire étant soumises à une condition de gravité suffisante de l’inexécution, par opposition à la clause résolutoire dont l’effet est automatique dès lors que les conditions prévues au contrat sont réunies.

Surtout, fait marquant de la réforme, l’ordonnance du 10 février 2016 a introduit la résolution unilatérale du contrat, alors qu’elle n’était admise jusqu’alors par la Cour de cassation que comme une exception à notre traditionnelle résolution judiciaire.

Aussi, dans les textes, le contractant, victime d’une inexécution suffisamment grave, a désormais de plusieurs options :

  • Soit il peut demander la résolution du contrat au juge
  • Soit il peut la notifier au débiteur sa décision de mettre fin au contrat
  • Soit il peut se prévaloir de la clause résolutoire si elle est stipulée dans le contrat

La résolution unilatérale est donc érigée au rang de principe concurrent de la résolution judiciaire ou de la clause résolutoire.

Néanmoins, son régime est plus rigoureusement encadré qu’en droit positif, puisque le créancier qui choisit la voie de la résolution unilatérale est tenu de mettre en demeure son débiteur de s’exécuter, et si celle-ci est infructueuse, d’une obligation de motivation (article 1226).

En outre, il semble résulter de l’article 1228 que le juge peut, si la résolution unilatérale est infondée, ordonner la poursuite de l’exécution du contrat.

Sous l’empire du droit antérieur, l’application de la résolution à la transaction a fait l’objet d’un vif débat en doctrine.

Certains auteurs estimaient, que le caractère juridictionnel de la transaction faisait obstacle à la résolution. Pour eux, en effet, dans la mesure où la transaction a pour finalité de mettre fin à un litige, admettre qu’elle puisse être anéantie rétroactivement reviendrait à contrevenir à la volonté des parties.

Cette thèse n’a toutefois pas prospéré, de sorte qu’une transaction peut parfaitement faire l’objet d’une résolution en cas d’inexécution d’une ou plusieurs obligations.

L’inexécution soulevée doit toutefois présenter un certain niveau de gravité (V. en ce sens Cass. soc. 7 juin 1989, n°86-43-012).

Afin de prévenir un débat judiciaire sur la notion « d’inexécution suffisamment grave », les parties peuvent stipuler dans la transaction une clause résolutoire.

La stipulation d’une telle clause présente un triple intérêt :

  • Premier intérêt
    • La stipulation d’une clause résolutoire présente l’avantage, pour le créancier, de disposer d’un moyen de pression sur le débiteur.
    • Un cas d’inexécution de l’une de ses obligations visées par la clause, il s’expose à la résolution de la transaction.
    • La stipulation d’une clause résolutoire apparaît ainsi comme un excellent moyen de garantir l’efficacité du contrat.
    • Ajoutée à cela, cette clause ne fait nullement obstacle à la mise en œuvre des autres sanctions contractuelles qui restent à la disposition du créancier.
    • Rien n’empêche, en effet, ce dernier de solliciter l’exécution forcée de la transaction, de se prévaloir de l’exception d’inexécution ou de saisir le juge aux fins d’obtenir la résolution judiciaire.
    • La liberté du créancier quant au choix des sanctions demeure la plus totale, nonobstant la stipulation d’une clause résolutoire.
  • Deuxième intérêt
    • Tout d’abord, la mise en œuvre de la clause résolutoire n’est pas subordonnée à la démonstration « d’une inexécution suffisamment grave » du contrat.
    • Dès lors qu’un manquement contractuel est visé par la clause résolutoire, le créancier est fondé à mettre automatiquement fin au contrat, peu importe la gravité du manquement dénoncé.
    • Mieux, dans un arrêt du 24 septembre 2003, la Cour de cassation a jugé que la bonne foi du débiteur « est sans incidence sur l’acquisition de la clause résolutoire » (Cass. 3e civ. 24 sept. 2003).
    • À l’examen, seuls comptent les termes de la clause qui doivent être suffisamment précis pour couvrir le manquement contractuel dont se prévaut le créancier pour engager la résolution du contrat.
  • Troisième intérêt
    • La clause résolutoire a pour effet de limiter les pouvoirs du juge dont l’appréciation se limite au contrôle des conditions de mise en œuvre de la clause (Cass. com. 14 déc. 2004, n°03-14380).
    • Lorsque la résolution est judiciaire ou unilatérale, il appartient au juge d’apprécier la gravité de l’inexécution contractuelle.
    • Tel n’est pas le cas lorsqu’une clause résolutoire est stipulée, ce qui n’est pas sans protéger les parties de l’ingérence du juge.
    • La stipulation d’une clause résolutoire est ainsi source de sécurité contractuelle.
    • D’où l’enjeu de la rédaction de la clause qui doit être suffisamment large et précise pour rendre compte de l’intention des parties et plus précisément leur permettre de mettre fin au contrat chaque fois que le manquement contractuel en cause le justifie.

🡺S’agissant de la réparation des conséquences de l’inexécution

L’article 1231-1 du Code civil dispose que « le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure. »

Il ressort de cette disposition que, en cas de manquement par une partie à une ou plusieurs de ses obligations, le cocontractant peut solliciter l’octroi de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi.

Le préjudice réparable ne peut toutefois être que celui qui était prévisible au moment de la conclusion de la transaction.

L’article 1231-3 du Code civil prévoit en ce sens que « le débiteur n’est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qui pouvaient être prévus lors de la conclusion du contrat, sauf lorsque l’inexécution est due à une faute lourde ou dolosive. »

Pour être réparable, le préjudice qui résulte d’une inexécution contractuelle doit ainsi être prévisible, soit avoir été envisagé contractuellement par les parties.

Lorsque, toutefois, une faute lourde ou dolosive est susceptible d’être reprochée au débiteur, le son cocontractant sera fondé à réclamer une réparation intégrale de son préjudice, soit au-delà de ce qui avait été prévu au contrat.

S’agissant de la stipulation d’une clause pénale dans une transaction, elle est admise nonobstant l’abrogation de l’ancien article 2047 du Code civil qui prévoyait que « on peut ajouter à une transaction la stipulation d’une peine contre celui qui manquera de l’exécuter. »

Le législateur a jugé cette disposition surabondante compte tenu de ce que la liberté contractuelle dont jouissent les parties à un contrat suffit, à elle seule, à fonder le droit de stipuler une clause pénale dans une transaction.

Ainsi, l’article 1231-5 du Code civil est-il pleinement applicable à la transaction. Pour mémoire, cette disposition prévoit que « lorsque le contrat stipule que celui qui manquera de l’exécuter paiera une certaine somme à titre de dommages et intérêts, il ne peut être alloué à l’autre partie une somme plus forte ni moindre. »

Il s’infère de ce texte que la clause pénale présente un caractère forfaitaire, en ce sens que, en cas d’inexécution contractuelle, elle fera office d’indemnité de réparation indépendamment du montant du préjudice subi par le créancier.

L’enjeu pour les parties sera alors de fixer un montant de la clause pénale qui, d’une part, ne risque pas d’être révisé par le juge, parce qu’excessif, d’autre part, qui soit suffisamment élevé pour correspondre au préjudice qu’elle vise à réparer.

En tout état de cause, l’inexécution donnant lieu à la mise en œuvre de la clause pénale doit avoir été définie contractuellement pas les parties.

Autrement dit, il doit avoir été prévu, dans le contrat, le fait générateur qui ouvrira le droit au paiement de pénalités.

À cet égard, il est indifférent que l’inexécution sanctionnée porte ou non sur une obligation essentielle : ce qui importe c’est que l’obligation en cause soit expressément visée par la clause pénale.

En cas de survenance d’une cause étrangère ayant pour effet d’empêcher le débiteur d’exécuter son obligation, la jurisprudence admet que le jeu de la clause pénale est neutralisé, sauf stipulation contraire (V. en ce sens Cass. req. 3 déc. 1890)

Ainsi, pour que les pénalités soient dues, l’inexécution contractuelle doit être imputable au débiteur.

Enfin, il convient d’observer que l’inexécution du contrat est une condition suffisante à la mise en œuvre de la clause pénale. Des pénalités pourront, dans ces conditions, être dues au créancier même en l’absence de préjudice (V. en ce sens Cass. 3e civ., 12 janv. 1994, no 91-19540).

C’est là tout l’intérêt de la clause pénale, elle ne remplit pas seulement une fonction réparatrice : elle vise également à sanctionner une inexécution contractuelle.

1.2 La force exécutoire de la transaction

Si les modalités de formalisation d’une transaction sont a priori sans incidence sur sa validité ; il n’en va pas de même pour la force exécutoire susceptible de lui être attachée.

Car en effet, selon que la transaction est conclue par voie d’acte sous signature privée ou par voie d’acte notarié, les conditions de reconnaissance de cette force obligatoire diffèrent.

a. La transaction conclue par voie d’acte sous signature privée

Afin de déterminer les conditions dans lesquelles une transaction conclue par voie d’acte sous signature privée est susceptible d’être pourvue de la force exécutoire, il y a lieu de distinguer selon qu’elle intervient ou non dans le cadre d’une procédure de résolution amiable des différends.

a.1. La transaction est conclue dans le cadre d’une procédure de résolution amiable des différends

Il est des cas où la transaction sera conclue consécutivement à la mise en œuvre d’une procédure de résolution amiable des différends au nombre desquels figurent :

  • La procédure de médiation
  • La procédure de conciliation
  • La procédure participative

Dans le cadre de ces procédures, deux options s’offrent aux parties pour conférer à la transaction en résultant une force exécutoire :

  • Saisir le juge aux fins d’homologation de la transaction
  • Faire contresigner la transaction par les avocats en présence

i. L’homologation judiciaire

🡺Principe

L’article 1565 du CPC prévoit donc que « l’accord auquel sont parvenues les parties à une médiation, une conciliation ou une procédure participative peut être soumis, aux fins de le rendre exécutoire, à l’homologation du juge compétent pour connaître du contentieux dans la matière considérée. »

Lorsqu’ainsi des parties ont emprunté la voie de la résolution amiable de leur différend en se soumettant à une procédure de médiation, de conciliation ou à une procédure participative et que leur démarche aboutit à la conclusion d’une transaction, elles peuvent solliciter son homologation en justice.

À cet égard, l’homologation de la transaction par un juge a pour effet, dit le texte, de la rendre exécutoire. Une fois homologuée, elle pourra dès lors donner lieu à la mise en œuvre de mesures d’exécution forcée par un commissaire de justice.

🡺Procédure

S’agissant de la procédure d’homologation judiciaire, elle est régie aux articles 1565 à 1566 du CPC.

  • Compétence
    • Le juge compétent pour homologuer une transaction est, selon l’article 1565 du CPC, celui-là même qui est compétent « pour connaître du contentieux dans la matière considérée. »
  • Saisine du juge
    • L’article 1567, al. 2e du CPC prévoit que le juge peut être saisi par la partie la plus diligente ou l’ensemble des parties à la transaction.
    • En tout état de cause, la saisine s’opère nécessairement au moyen d’une requête qui est présentée au juge sans débat.
    • Pour mémoire, la requête est définie à l’article 57 du CPC comme l’acte par lequel le demandeur saisit la juridiction sans que son adversaire en ait été préalablement informé.
    • À la différence de l’assignation, la requête est donc adressée, non pas à la partie adverse, mais à la juridiction auprès de laquelle est formulée la demande en justice.
    • Reste qu’elle produit le même effet, en ce qu’elle est un acte introductif d’instance.
    • L’article 1566 du CPC précise que le juge peut entendre les parties s’il l’estime nécessaire.
  • Pouvoirs du juge
    • L’article 1565 du CPC prévoit que « le juge à qui est soumis l’accord ne peut en modifier les termes. »
    • Ainsi, est-il fait interdiction au juge de modifier la transaction qui lui est soumise.
    • Son pouvoir se limite à soit homologuer la transaction, soit à rejeter la demande d’homologation qui lui est adressée, s’il considère que l’accord conclu entre les parties ne répond pas aux exigences légales.
  • Décision du juge
    • Le juge dispose donc de deux options :
      • Première option : le juge accès à la demande d’homologation de la transaction
        • Dans cette hypothèse, le juge rend une ordonnance d’homologation qui confère à la transaction une force exécutoire.
        • L’article 1566, al. 2e du CPC précise toutefois que « s’il est fait droit à la requête, tout intéressé peut en référer au juge qui a rendu la décision. »
        • Cela signifie que dans l’hypothèse où la transaction porterait atteinte aux droits de tiers, ils disposent d’un recours aux fins d’obtenir la rétractation de l’ordonnance d’homologation rendue par le juge.
      • Seconde option : le juge rejette la demande d’homologation de la transaction
        • Le juge peut refuser d’homologuer la transaction qui lui est soumise s’il estime qu’elle ne répond pas aux exigences légales ou qu’elle porte atteinte à l’ordre public.
        • En tout état de cause, dans cette hypothèse, la transaction demeurera dépourvue de toute force exécutoire.
        • L’article 1566, al. 3e du CPC précise que la décision qui refuse d’homologuer l’accord peut faire l’objet d’un appel.
        • Cet appel doit alors être formé par déclaration au greffe de la cour d’appel.
        • La Cour d’appel statuera selon la procédure gracieuse.

ii. La contresignature d’avocats

🡺Principe

Depuis l’adoption de la loi n°2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire, la saisine du juge aux fins d’homologation de la transaction conclue dans le cadre d’une procédure de résolution amiable des différends n’est plus la seule voie possible pour lui conférer une force exécutoire.

Ce texte a, en effet, créé une nouvelle voie qui consiste pour les parties à faire contresigner la transaction par leurs avocats respectifs, ce qui lui confère la valeur de titre exécutoire.

L’article L. 111-3, 7° du Code des procédures civiles d’exécution prévoit en ce sens que « les transactions et les actes constatant un accord issu d’une médiation, d’une conciliation ou d’une procédure participative, lorsqu’ils sont contresignés par les avocats de chacune des parties et revêtus de la formule exécutoire par le greffe de la juridiction compétente. »

Selon le législateur, l’objectif poursuivi par la création de ce nouveau titre exécutoire vise à favoriser le recours aux modes alternatifs de résolution des litiges, en renforçant l’efficacité des accords conclus par les parties.

À cet égard, l’acte contresigné par les avocats de chacune des parties apporte un certain nombre de garanties quant à la réalité et à la régularité de l’accord auquel elles sont parvenues.

En effet, pour mémoire, l’article 1374 du Code civil prévoit que « l’acte sous signature privée contresigné par les avocats de chacune des parties ou par l’avocat de toutes les parties fait foi de l’écriture et de la signature des parties, tant à leur égard qu’à celui de leurs héritiers ou ayants cause ».

En apposant leur contresignature à l’acte, les avocats des parties confèrent ainsi une valeur probante à l’origine de l’accord. Plus précisément, en contresignant, ils attestent l’identité des parties dont ils sont les conseils ainsi que l’authenticité de leur écriture et de leur signature.

L’autre garantie apportée par la contresignature de l’acte par les avocats est qu’elle permet d’opérer une partie du contrôle formel qui est habituellement réalisé par le juge de l’homologation.

🡺Domaine

Pour qu’une transaction conclue dans le cadre d’une procédure de résolution amiable des différends puisse se voir reconnaître la valeur de titre exécutoire en dehors de l’intervention du juge de l’homologation, elle doit avoir été contresignée, dit l’article L.111-3 du Code des procédures civiles d’exécution, par les avocats de chacune des parties.

Cela signifie donc que cette voie, qui permet de conférer à une transaction une force exécutoire sans qu’il soit besoin de saisir le juge, ne peut être empruntée que si toutes les parties sont représentées par un avocat.

Cette obligation, qui existe déjà par exemple dans le cadre du divorce par consentement mutuel sous signature privée prévu à l’article 229-1 du Code civil, est de nature à éviter tout conflit d’intérêts.

Aussi, dans l’hypothèse où les parties seraient représentées par un seul avocat, la contresignature ne conférera pas à l’acte la valeur de titre exécutoire.

Elles conservent toutefois la possibilité de recourir à l’homologation par le juge sur le fondement de l’article 1565 du CPC.

🡺Insuffisance de la contresignature d’avocats

S’il est désormais plus facile pour les parties de rendre exécutoire la transaction qu’elles ont conclue dans le cadre d’une procédure de résolution amiable des différends, le caractère de titre exécutoire n’est pas conféré directement à l’acte contresigné par les avocats, mais nécessite, en outre, l’apposition de la formule exécutoire par le greffe de la juridiction compétente.

L’article L. 111-3, 7° du Code des procédures civiles d’exécution prévoit en ce sens que la transaction ne peut valoir titre exécutoire qu’à la double condition qu’elle soit :

  • D’une part, contresignée par les avocats de chacune des parties
  • D’autre part, revêtue de la formule exécutoire apposée par le greffe de la juridiction compétente

Il ressort des travaux parlementaires que cette intervention du greffe vise à écarter le risque d’inconstitutionnalité pesant sur un dispositif qui aurait placé l’avocat comme seul acteur du contrôle de l’acte.

En effet, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur les conditions dans lesquelles le législateur peut autoriser une personne morale de droit privé à délivrer des titres exécutoires.

Dans sa décision n°99-416 DC du 23 juillet 1999, le Conseil constitutionnel a notamment jugé que « si le législateur peut conférer un effet exécutoire à certains titres délivrés par des personnes morales de droit public et, le cas échéant, par des personnes morales de droit privé chargées d’une mission de service public, et permettre ainsi la mise en œuvre de mesures d’exécution forcée, il doit garantir au débiteur le droit à un recours effectif en ce qui concerne tant le bien-fondé desdits titres et l’obligation de payer que le déroulement de la procédure d’exécution forcée ».

Il ressort notamment de cette décision que si une personne de droit privé peut être habilitée par le législateur à émettre des titres exécutoires, c’est à la condition qu’elle soit chargée d’une mission de service public.

La question qui alors se pose est de savoir comment identifier une personne de droit privé chargé d’une mission de service public.

Pour le déterminer, il convient de se reporter à un arrêt APREI rendu par le Conseil d’État le 22 février 2007, aux termes duquel il a été jugé qu’« une personne privée qui assure une mission d’intérêt général sous le contrôle de l’administration et qui est dotée à cette fin de prérogatives de puissance publique est chargée de l’exécution d’un service public » (CE, 22 févr. 2007, n°26541).

À l’analyse, l’avocat contresignant un acte sous seing privé ne satisfait pas aux critères d’identification de la personne privée chargée d’une mission de service public énoncés dans cette décision.

D’une part, l’avocat n’exerce pas une mission de service public en tant que telle mais agit en tant que représentant de son client dont il cherche à préserver les intérêts.

La Cour de cassation a d’ailleurs qualifié l’avocat de « conseil représentant ou assistant l’une des parties en litige » et exclut de ce fait sa qualité de collaborateur occasionnel du service public de la justice (Cass. 1ère civ. 13 oct. 1998, n°96-13.862).

D’autre part, le critère du contrôle de l’administration ne saurait davantage être retenu à l’égard d’une profession libérale qui, contrairement aux notaires ou aux commissaires de justice dont certains actes ont valeur de titre exécutoire en application de l’article L. 111-3 du code des procédures civiles d’exécution, sont des officiers publics ministériels.

C’est donc pour écarter le risque d’inconstitutionnalité d’un dispositif centré sur le seul acte contresigné par avocats qu’a été ajoutée la condition d’apposition par le greffe de la formule exécutoire.

🡺Procédure d’apposition de la formule exécutoire par le greffe

La procédure d’apposition de la formule exécutoire par le greffe sur un acte contresigné par des avocats est régie par les articles 1568 à 1571 du Code de procédure civile.

  • Auteur de la demande d’apposition de la formule exécutoire
    • L’article 1568 du CPC prévoit que la demande d’apposition de la formule exécutoire sur une transaction contresignée par des avocats peut être formulée par l’une ou l’autre partie.
  • Forme de la demande d’apposition de la formule exécutoire
    • La demande d’apposition de la formule exécutoire doit être formée par écrit et en double exemplaire, auprès du greffe de la juridiction du domicile du demandeur matériellement compétente pour connaître du contentieux de la matière dont relève l’accord.
  • Instruction de la demande d’apposition de la formule exécutoire
    • L’article 1568, al. 3e du CPC prévoit que le greffier n’appose la formule exécutoire qu’après avoir vérifié :
      • Sa compétence
      • La nature de l’acte qui lui est soumis
  • Communication et conservation de la décision du greffier
    • Le greffier accède à la demande d’apposition de la formule exécutoire
      • L’acte contresigné par avocats et revêtu de la formule exécutoire, est alors remis ou adressé au demandeur par lettre simple.
      • Le double de la demande ainsi que la copie de l’acte sont conservés au greffe.
    • Le greffier n’accède pas à la demande d’apposition de la formule exécutoire
      • La décision de refus du greffier d’apposer la formule exécutoire est notifiée par lettre simple au demandeur
      • Elle est conservée au greffe avec le double de la demande ainsi que la copie de l’acte
  • Contestation de l’apposition de la formule exécutoire
    • L’article 1570 du CPC prévoit que toute personne intéressée peut former une demande aux fins de suppression de la formule exécutoire devant la juridiction dont le greffe a apposé cette formule.
    • La demande est alors formée, instruite et jugée selon les règles de la procédure accélérée au fond.

a.2. La transaction est conclue en dehors d’une procédure de résolution amiable des différends

i. Principe : l’absence de force exécutoire

L’article 502 du Code de procédure civile prévoit que « nul jugement, nul acte ne peut être mis à exécution que sur présentation d’une expédition revêtue de la formule exécutoire, à moins que la loi n’en dispose autrement. »

Il ressort de cette disposition que pour que des obligations puissent faire l’objet d’une exécution forcée, l’acte constatant ces obligations doit revêtir ce que l’on appelle la « formule exécutoire ».

Cette formule est ce qui confère à l’acte ou à la décision de justice sur laquelle elle est apposée sa valeur de titre exécutoire.

À cet égard, conformément à l’article L. 111-2 du Code des procédures civiles d’exécution, seul le créancier muni d’un tel titre peut poursuivre l’exécution forcée de sa créance sur les biens de son débiteur.

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir comment se procurer un titre exécutoire.

Pour le déterminer, il convient de se reporter à l’article L. 111-3 du Code des procédures civiles d’exécution qui dresse une liste limitative des titres exécutoires. L’examen de cette liste révèle que les actes sous signature privée n’en font pas partie.

Il s’en déduit qu’une transaction conclue par voie d’acte sous signature privée est dépourvue de toute force exécutoire.

Autrement dit, en cas d’inexécution d’une obligation, le créancier n’aura d’autre choix que d’entreprendre des démarches auprès d’un juge aux fins d’obtenir un titre exécutoire.

La seule présentation d’un acte sous signature privée à un commissaire de justice, est donc impuissante à déclencher la mise en œuvre de mesures d’exécution forcée. Le commissaire de justice ne peut intervenir que s’il est en possession d’un titre exécutoire.

ii. Exception : l’homologation judiciaire

Si, par principe, une transaction conclue sous signature privée est dépourvue de toute force exécutoire, il est fait exception à la règle en cas d’homologation judiciaire de celle-ci.

En effet, l’article 1567, al. 1er du CPC prévoit que « les dispositions des articles 1565 et 1566 sont applicables à la transaction conclue sans qu’il ait été recouru à une médiation, une conciliation ou une procédure participative »

Il ressort de cette disposition que lorsqu’une transaction a été conclue en dehors d’une procédure de résolution amiable des différends, la faculté est ouverte aux parties de saisir le juge aux fins de faire homologuer leur accord.

Cette possibilité d’homologation, qui n’est ouverte que pour les seules transactions, présente l’avantage pour les parties de conférer immédiatement à leur accord une force exécutoire sans qu’il leur soit besoin d’attendre la survenance d’une éventuelle inexécution, ce qui les contraindrait dès lors à devoir engager une procédure au fond.

La procédure d’homologation est quant à elle bien moins lourde et bien moins coûteuse à mettre en œuvre. Il s’agit en effet, comme vu précédemment, d’une procédure sur requête, soit une procédure non contradictoire.

S’agissant des dispositions encadrant la procédure d’homologation d’une transaction conclue en dehors d’une médiation, d’une conciliation ou d’une procédure participative, l’article 1567 du CPC renvoie aux articles 1565 à 1566 du même Code.

Aussi, se déroule-t-elle selon les mêmes règles procédurales que celles applicables à l’homologation judiciaire intervenant consécutivement à la mise en œuvre d’une procédure de résolution amiable des différends.

b. La transaction conclue par voie d’acte notarié

Une transaction peut être conclue par voie d’acte notarié, ce qui donc suppose l’intervention d’un notaire.

La particularité de l’acte notarié est qu’il est revêtu de la formule exécutoire ce qui présente l’immense avantage de conférer à l’accord constaté dans l’acte une force exécutoire.

L’article L. 111-3 du Code des procédures civiles d’exécution prévoit en effet que les actes notariés revêtus de la formule exécutoire constituent des titres exécutoires.

Aussi, en cas d’inexécution de la transaction, la partie créancière de l’obligation inexécutée sera dispensée de saisir le juge de l’homologation.

Elle pourra, sans qu’il lui soit besoin d’accomplir aucune démarche auprès d’un juge ou du greffier, poursuivre, par l’entremise d’un commissaire de justice, l’exécution forcée de la transaction sur les biens de son débiteur

À cet égard, dans un arrêt du 21 octobre 2010, la Cour de cassation a précisé que « les dispositions de l’article 1441-4 du code de procédure civile [article 1567 aujourd’hui] ne font pas obstacle à ce qu’une transaction soit reçue par un notaire et que celui-ci lui confère force exécutoire » (Cass. 2e civ. 21 oct. 2010, n009-12.378).

2. Les effets à l’égard du juge

La force obligatoire attachée à la convention ne produit pas seulement des effets à l’égard des parties, elle a également des conséquences pour le juge qui tiennent :

  • d’une part, à l’interprétation de la transaction
  • d’autre part, à la révision de la transaction

🡺S’agissant de l’interprétation de la transaction

Ainsi qu’il a été indiqué précédemment, l’article 2048 du Code civil prévoit que « les transactions se renferment dans leur objet : la renonciation qui y est faite à tous droits, actions et prétentions, ne s’entend que de ce qui est relatif au différend qui y a donné lieu. »

Il ressort de cette disposition que le juge a pour obligation d’interpréter de façon restrictive l’objet des transactions qui lui seraient déférées.

Selon cette approche, il y a lieu de considérer que la transaction ne règle que ce qui est expressément énoncé dans l’acte. Si dès lors un différend comporte plusieurs chefs, la transaction ne règle que ceux qu’elle vise spécifiquement.

S’agissant des autres chefs du litige qui ne seraient pas abordés dans la transaction, ils pourront dès lors être portés devant le juge.

Pour cette raison, lorsque des parties décident de transiger il leur faudra bien veiller, au stade de la rédaction, à énoncer dans l’acte l’ensemble des chefs de litige et plus généralement tout « ce qui est relatif au différend qui y a donné lieu ».

Le principe d’interprétation restrictive des termes d’une transaction est toutefois assorti d’un tempérament énoncé à l’article 2049 du Code civil.

Cette disposition prévoit que « les transactions ne règlent que les différends qui s’y trouvent compris, soit que les parties aient manifesté leur intention par des expressions spéciales ou générales, soit que l’on reconnaisse cette intention par une suite nécessaire de ce qui est exprimé. »

Cette règle vise à autoriser le juge à aller au-delà de ce qui est énoncé dans la transaction lorsque les stipulations de l’acte sont obscures ou trop générales.

En cas de lacunes et de silence d’un contrat, il est, en effet, illusoire de rechercher la commune intention des parties qui, par définition, n’a probablement pas été exprimée par elles.

Aussi, le juge n’aura-t-il d’autre choix que d’adopter la méthode objective d’interprétation, soit pour combler le vide contractuel, de se rapporter à des valeurs extérieures à l’acte, telles que l’équité ou la bonne foi.

En somme, l’article 2049 autorise le juge à découvrir des obligations qui s’imposent aux parties alors mêmes qu’elles n’avaient pas été envisagées lors de la conclusion du contrat : c’est ce que l’on appelle le forçage du contrat.

🡺S’agissant de la révision de la transaction

Issu de l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, l’article 1195 du Code civil prévoit que « si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant »

Il ressort de cette disposition que, dans l’hypothèse où l’équilibre d’un contrat se trouve considérablement bouleversé par une ou plusieurs circonstances indépendantes de la volonté des parties, alors celle qui subit un préjudice est fondée à réclamer une renégociation des termes de l’accord conclu.

À cet égard, l’alinéa 2 de l’article 1195 du Code civil précise que, « en cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation ».

Le texte ajoute que « à défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe. »

Si donc le cocontractant de la partie pour laquelle le changement des circonstances économiques rend l’exécution de ses obligations excessivement onéreuses, refuse de renégocier le contrat en cours, elle s’expose à ce que le juge, soit en modifie les termes, soit y mette fin.

La question qui alors se pose est de savoir si ce dispositif s’applique à la transaction. L’interrogation est permise compte tenu de la dimension juridictionnelle de la transaction[8].

Bien que, pour l’heure, la Cour de cassation ne se soit pas encore prononcée sur cette question, la doctrine est plutôt favorable à l’application de la théorie de l’imprévision à la transaction. Nous nous rangeons derrière cette opinion.

Aussi, n’est-il pas exclu qu’une partie puisse solliciter la renégociation d’une transaction dans l’hypothèse où son exécution serait devenue trop onéreuse pour cette dernière.

L’article 1195 du Code civil est toutefois une disposition supplétive. Afin d’écarter toute faculté de renégociation de la transaction conclue, les parties sont donc libres d’écarter le jeu de la théorie de l’imprévision.

3. Les effets à l’égard des tiers

a. L’effet relatif de la transaction

Parce que la transaction est un contrat, elle est soumise au principe général de l’effet relatif.

Ce principe est énoncé à l’article 1199 du Code civil qui prévoit que « le contrat ne crée d’obligations qu’entre les parties. ».

Il ressort de cette disposition que nul ne peut devenir créancier ou débiteur d’une obligation s’il n’est pas partie au contrat.

Le principe de l’effet relatif, qui était perçu comme une évidence par les rédacteurs du Code civil dans la lignée de Pothier, n’est autre que la conséquence du principe de l’autonomie de la volonté couplé à la liberté contractuelle.

Le tiers qui, par définition, n’a pas consenti à l’acte ne saurait se voir imposer des obligations ou en bénéficier.

Le principe de l’effet relatif est rappelé pour la transaction à l’article 2051 du Code civil.

Cette disposition prévoit que « la transaction faite par l’un des intéressés ne lie point les autres intéressés et ne peut être opposée par eux. »

Une illustration de ce principe peut être trouvée dans un arrêt rendu le 17 décembre 1996 par la Cour de cassation.

Dans cette affaire, un syndicat de copropriété avait assigné un voisin de la résidence en démolition d’une construction ayant privé de la vue sur la mer certains copropriétaires de cette résidence.

Une transaction a alors été conclue entre le syndicat et le voisin stipulant le paiement au syndicat d’une indemnité contre renonciation à la demande de démolition.

Nonobstant la conclusion de cette transaction, un couple de propriétaires a engagé une action à l’encontre du voisin de la résidence visant à obtenir réparation de leur préjudice résultant de la perte de vue sur mer.

Par un arrêt du 14 février 1995, la Cour d’appel de Montpellier les déboute de leur demande au motif que l’indemnité versée au syndicat incluait la réparation du préjudice subi par ces copropriétaires et que l’autorité de la chose jugée s’attachant à la transaction ne les autorisait plus à engager une action personnelle contre le voisin signataire de cette transaction.

Par un arrêt du 17 décembre 1996, la Cour de cassation casse et annule la décision rendue par les juges du fond, considérant que dans la mesure où les demandeurs n’étaient pas partie à titre personnel à la transaction conclue avec le voisin de la résidence, elle n’avait produit aucun effet à leur encontre, ce, conformément au principe de l’effet relatif (Cass. 3e civ., 17 déc. 1996, n°95-13.903).

L’enseignement qu’il y a lieu de retirer de cette décision, c’est qu’une transaction ne saurait créer aucune obligation à l’encontre des tiers.

Si donc la conclusion d’une transaction ne saurait rendre des tiers, débiteurs d’une quelconque obligation à laquelle ils n’ont, par hypothèse, pas consenti, est-ce à dire qu’elle ne produit aucun effet à leur endroit ? C’est là toute la question de l’opposabilité de la transaction.

b. L’opposabilité de la transaction

Si, en application du principe de l’effet relatif, est admis que les tiers ne sauraient être obligés par une transaction, ni réclamer son exécution, elle leur est, en revanche, opposable.

L’article 1200 du Code civil prévoit, en effet, que :

  • D’une part, « les tiers doivent respecter la situation juridique créée par le contrat »
  • D’autre part, « ils peuvent s’en prévaloir notamment pour apporter la preuve d’un fait. »

Il ressort de cette disposition que, opposable aux tiers par les parties, la situation juridique née du contrat l’est aussi par les tiers aux parties.

b.1. L’opposabilité de la transaction aux tiers

🡺Principe général

L’article 1200, al. 1er énonce le principe selon lequel les tiers doivent respecter la situation juridique créée par le contrat

Cela signifie que les parties peuvent se prévaloir de la convention à l’encontre de personnes qui, par définition, ne l’ont pas conclue.

Dans un arrêt du 31 mars 2009, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « si en principe les conventions n’ont d’effet qu’à l’égard des parties, elles constituent des faits juridiques dont peuvent être déduites des conséquences de droit à l’égard des tiers » (Cass. com., 31 mars 2009, n°08-15.655).

Aussi, une transaction existe à l’égard des tiers en tant que fait juridique opposable. Ils ne peuvent donc pas se comporter que si elle n’existait pas.

À cet égard, un tiers qui ferait obstacle à l’exécution d’une transaction engagerait sa responsabilité, sur le fondement de l’article 1240 du Code civil.

🡺Cas particuliers

  • Opposabilité de la transaction à l’assureur
    • L’article L. 124-2 du Code des assurances prévoit que « l’assureur peut stipuler qu’aucune reconnaissance de responsabilité, aucune transaction, intervenues en dehors de lui, ne lui sont opposables. »
    • Cette disposition autorise ainsi l’assureur à stipuler dans la police qu’une transaction qui interviendrait entre l’assuré et la victime d’un dommage sans qu’il ait, au préalable, donné son accord, lui serait inopposable (V. en ce sens Cass. civ. 1ère 4 avr. 2001, n°98-11.841).
    • Dans un arrêt du 16 mars 2022, la Cour de cassation a précisé qu’il ne pouvait pas se déduire du fait qu’un assureur a été informé de l’existence de négociations entre l’assuré et la victime qu’il avait pris part à ces négociations (Cass. 1ère civ. 16 mars 2022, n°20-13.552).
  • Opposabilité de la transaction à la sécurité sociale
    • L’article L. 376-3 du Code de la sécurité sociale prévoit que « le règlement amiable pouvant intervenir entre le tiers et l’assuré ne peut être opposé à la caisse de sécurité sociale qu’autant que celle-ci a été invitée à y participer par lettre recommandée et ne devient définitif que quinze jours après l’envoi de cette lettre. »
    • Dans un arrêt du 16 décembre 1976, la Cour de cassation a précisé que le simple fait que la Sécurité sociale ait eu connaissance du règlement amiable entre l’assuré social et le responsable du dommage ne suffisait pas à rendre opposable à son endroit la transaction qui en résulterait.
    • Pour que cette transaction lui soit opposable, la sécurité sociale doit avoir été invitée à participer au règlement amiable dans les formes et délais prévus par l’article L. 376-3 du Code de la sécurité sociale (Cass. soc. 16 déc. 1976, n°75-15.133).
    • La Cour de cassation a statué dans le même sens dans un arrêt du rendu le 27 mars 2014.
    • Aux termes de cette décision, elle a censuré une Cour d’appel qui avait admis l’opposabilité d’une transaction à la sécurité sociale alors que cette dernière avait seulement été avisée de l’existence de négociations en cours. Elle n’avait en revanche, ni participé au règlement amiable ni été invitée à le faire par lettre recommandée, tel que prévu par la loi (Cass. 2e civ. 27 mars 2014, n°13-10.059).

b.2. L’opposabilité de la transaction par les tiers

Dès lors qu’il est admis que la transaction est opposable aux tiers, il serait injuste de dénier une application de ce principe en sens inverse.

C’est la raison pour laquelle l’article 1200 du Code civil autorise les tiers à se prévaloir de l’acte conclu à l’encontre des parties.

L’exercice de cette prérogative conférée aux tiers se rencontrera dans deux situations distinctes :

  • Afin de rapporter la preuve d’un fait
  • Afin d’engager la responsabilité des parties

i. L’invocation de l’acte aux fins de rapporter la preuve d’un fait

L’invocation du contrat contre une partie par un tiers afin de rapporter la preuve d’un fait est expressément envisagée par l’article 1200 du Code civil. La Cour de cassation avait notamment exprimé cette règle dans un arrêt du 22 octobre 1991.

Dans cette décision elle considère que « s’ils ne peuvent être constitués ni débiteurs ni créanciers, les tiers à un contrat peuvent invoquer à leur profit, comme un fait juridique, la situation créée par ce contrat » (Cass. com. 22 oct. 1991, n°89-20.490).

Cette règle est parfaitement applicable à la transaction.

Dans un arrêt du 14 mai 2008, la Cour de cassation a, par exemple jugé que « si l’effet relatif des contrats interdit aux tiers de se prévaloir de l’autorité d’une transaction à laquelle ils ne sont pas intervenus, ces mêmes tiers peuvent néanmoins invoquer la renonciation à un droit que renferme cette transaction » (Cass. soc., 14 mai 2008, n° 07-40.946 à 07-41.061)

En défense, la partie contre qui l’acte est invoqué peut toutefois opposer au tiers sa nullité.

La Première chambre civile a affirmé en ce sens dans un arrêt du 21 février 1995 que « la victime d’un dol est en droit d’invoquer la nullité du contrat vicié contre le tiers qui se prévaut de celui-ci » (Cass. 1ère civ. 21 févr. 1995, n°92-17.814).

ii. L’invocation de l’acte aux fins d’engager la responsabilité des parties

En application de l’article 1200 du Code civil, l’opposabilité du contrat, en tant que situation de fait, induit la faculté pour les tiers, dans l’hypothèse de la méconnaissance de cette situation par ceux qui l’ont créée, d’en obtenir la sanction juridique en se plaçant sur le terrain délictuel.

Très tôt, la jurisprudence a ainsi admis que le tiers peut invoquer un contrat pour rechercher la responsabilité d’une partie, lorsqu’il subit un préjudice du fait de la mauvaise exécution du contrat.

Dans un arrêt du 22 juillet 1931, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « si dans les rapports des parties entre elles, les dispositions des articles 1382 et 1383 du Code civil ne peuvent en principe être invoquées pour le règlement de la faute commise dans l’exécution d’une obligation résultant d’un engagement contractuel, elles reprennent leur empire au regard des tiers étrangers au contrat » (Cass. civ. 22 juill. 1931)

Un tiers pourrait dès lors engager la responsabilité des parties à une transaction dans l’hypothèse où l’exécution de celle-ci lui causerait un préjudice.

À cet égard, si le bien-fondé de l’action en responsabilité délictuelle dont est titulaire le tiers à l’encontre de la partie au contrat auteur du dommage n’a jamais été discuté, il n’en a pas été de même pour ses conditions de mise en œuvre.

Un débat est né autour de la question de savoir si, en cas de préjudice occasionné aux tiers, la seule inexécution contractuelle suffisait à engager la responsabilité du contractant fautif où s’il fallait, en outre, que caractériser de manière distinction l’existence d’une faute délictuelle.

Ce débat a été tranché par l’assemblée plénière de la Cour de cassation dans un arrêt du 6 octobre 2006.

Aux termes de cette décision, elle a estimé que « le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage » (Cass. ass. plén. 6 oct. 2006, n°05-13.255).

Ainsi, la seule inexécution contractuelle suffit, selon la Haute juridiction, à fonder l’action en responsabilité délictuelle engagée par le tiers victime à l’encontre du contractant fautif.

Nul n’est dès lors besoin de rapporter la preuve d’une faute délictuelle distincte de la faute contractuelle. Les deux fautes font ici l’objet d’une assimilation.

L’inexécution du contrat est, autrement dit, regardée comme une faute délictuelle, ce qui justifie que la responsabilité du contractant fautif puisse être recherchée.

La solution adoptée par l’assemblée plénière en 2006 a, par la suite, été confirmée à plusieurs reprises, tant par la première chambre civile (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 4 juill. 2007 ; Cass. 1ère civ. 30 sept. 2010, n°09-69.129), que par la chambre commerciale.

Dans un arrêt du 2 mars 2007, cette dernière a ainsi considéré que « le tiers à un contrat peut invoquer sur le fondement de la responsabilité délictuelle un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage » (Cass. com. 2 mars 2007, n°04-13.689).

Elle reprend ici mot pour mot la solution dégagée par l’assemblée plénière ce qui marque l’abandon de sa position antérieure.

La position de la Cour de cassation a, manifestement, été accueillie pour le moins froidement par une frange de la doctrine, certains auteurs estimant qu’elle était bien trop favorable aux tiers.

Cette solution leur permet, en effet, de s’émanciper de la rigueur contractuelle à laquelle se sont astreintes les parties notamment par le jeu des obligations de résultat ou des clauses limitatives de responsabilité.

Aussi, peut-on regretter que le législateur soit resté silencieux sur ce point. L’avant-projet de réforme de la responsabilité civile laisse toutefois augurer une modification de ce point de droit.

Les auteurs de cet avant-projet envisagent d’introduire un nouvel article 1234 qui disposerait que :

  • « Lorsque l’inexécution du contrat cause un dommage à un tiers, celui-ci ne peut demander réparation de ses conséquences au débiteur que sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle, à charge pour lui de rapporter la preuve de l’un des faits générateurs visés à la section II du chapitre II.
  • Toutefois, le tiers ayant un intérêt légitime à la bonne exécution d’un contrat peut également invoquer, sur le fondement de la responsabilité contractuelle, un manquement contractuel dès lors que celui-ci lui a causé un dommage. Les conditions et limites de la responsabilité qui s’appliquent dans les relations entre les contractants lui sont opposables. Toute clause qui limite la responsabilité contractuelle d’un contractant à l’égard des tiers est réputée non écrite. »

B) Les effets attachés à la dimension juridictionnelle de la transaction

En tant que contrat présentant un caractère juridictionnel, la transaction produit deux effets spécifiques :

  • Un effet extinctif
  • Un effet déclaratif

1. L’effet extinctif

a. Principe de l’effet extinctif

🡺Énoncé du principe de l’effet extinctif

On dit que la transaction produit un effet extinctif, parce qu’il est de son essence, comme suggéré par l’article 2044 du Code civil, de terminer une contestation née, ou prévenir une contestation à naître.

Autrement dit, une transaction a pour fonction première d’éteindre le droit pour les parties d’agir en justice.

Cette fonction de la transaction est expressément énoncée à l’article 2052 du Code civil qui prévoit que « la transaction fait obstacle à l’introduction ou à la poursuite entre les parties d’une action en justice ayant le même objet. »

Aussi, une partie qui agirait en justice nonobstant la conclusion d’une transaction s’exposerait à se voir opposer par la partie adverse une fin de non-recevoir, laquelle s’impose au juge.

🡺Effet extinctif et autorité de la chose jugée

Sous l’empire du droit antérieur, l’ancien article 2052, al. 1er du Code civil prévoyait que « les transactions ont, entre les parties, l’autorité de la chose jugée au dernier ressort »

La loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle a supprimé la référence à « l’autorité de la chose jugée ».

Désormais, le nouvel article 2052 énonce que transaction fait seulement « obstacle à l’introduction ou à la poursuite entre les parties d’une action en justice ayant le même objet ».

Pourquoi cette modification ? Le législateur a exaucé les vœux de la doctrine qui contestait cette référence à « l’autorité de la chose jugée » que l’on attache plutôt aux jugements.

À cet égard, à la différence d’un jugement, une transaction ne se limite pas à mettre fin à une contestation née ; elle peut également être conclue en vue de prévenir une contestation à naître.

Or la notion d’autorité de la chose jugée ne se conçoit que dans le cadre d’un litige en cours. Aussi, cette notion était-elle trop courte pour couvrir la portée de l’effet extinctif de la transaction ; d’où sa suppression de l’article 2052 du Code civil à la faveur d’une formulation qui embrasse tout le périmètre de la transaction.

Si désormais, la transaction n’a plus l’autorité de la chose jugée entre les parties au dernier ressort, elle en emprunte néanmoins les effets en ce qu’elle éteint le droit d’agir en justice des parties.

b. Conditions de l’effet extinctif

Pour qu’une transaction produise son effet extinctif, plusieurs conditions doivent être remplies.

Ces conditions tiennent :

  • D’une part, à la bonne exécution de la transaction
  • D’autre part, à l’identité de parties et d’objet de la transaction

i. La condition tenant à la bonne exécution de la transaction

L’effet extinctif de la transaction est subordonné à sa bonne exécution. Cette exigence a été rappelée par la Cour de cassation dans un arrêt remarqué rendu en date du 12 juillet 2012.

Aux termes de cette décision, la Première chambre civile a jugé que « la transaction, qui ne met fin au litige que sous réserve de son exécution, ne peut être opposée par l’une des parties que si celle-ci en a respecté les conditions » (Cass. 1ère civ. 12 juill. 2012, n°09-11.582).

Une transaction qui dès lors n’aurait pas été exécutée par les parties ne produirait aucun effet extinctif, de sorte qu’il serait permis à ces dernières de saisir le juge.

ii. La condition tenant à l’identité de parties et d’objet

🡺Droit antérieur

Sous l’empire du droit antérieur, on reconnaissait à la transaction l’autorité de la chose jugée.

Il en résultait que l’on exigeait, pour qu’elle produise son effet extinctif, qu’elle satisfasse aux mêmes conditions, soit celles relatives à l’identité d’objet, de cause et de parties.

Pour mémoire, l’article 1355 du CPC dispose que « l’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité. »

Il s’infère de cette disposition que l’autorité de la chose jugée fait obstacle à l’examen d’une nouvelle demande en justice dès lors qu’il y a :

  • Identité de parties
    • Il y a identité de parties, lorsque les parties qui saisissent le juge sont les mêmes que celles qui s’étaient opposées dans le cadre de l’instance précédente.
  • Identité de cause
    • Il y a identité de cause, lorsque le fondement juridique dont les parties se prévalent aux fins qu’il soit fait droit à leurs demandes respectives est le même.
  • Identité d’objet
    • Il y a identité d’objet lorsque les prétentions des parties qui s’opposent sont identiques (obtention de dommages et intérêts, annulation d’un acte, etc.)

Cette triple exigence attachée à l’autorité de la chose jugée était ainsi appliquée à la transaction.

Cela signifiait donc que son effet extinctif ne pouvait jouer qu’entre les parties qui avaient transigé ainsi que pour les seuls prétentions et fondements juridiques en jeu dans l’accord conclu.

🡺Droit positif

En ayant supprimé toute référence à l’autorité de la chose jugée, la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 n’a pas pour autant supprimé toutes les conditions relatives à l’effet extinctif de la transaction.

En effet, pour faire obstacle à l’introduction ou à la poursuite d’une action en justice, la transaction doit être intervenue entre les mêmes parties et avoir le même objet.

  • S’agissant de l’identité de parties
    • La transaction ne produira donc son effet extinctif qu’entre les seules parties qui ont transigé.
    • L’article 2050 du Code civil apporte toutefois un tempérament à cette règle en énonçant que « si celui qui avait transigé sur un droit qu’il avait de son chef acquiert ensuite un droit semblable du chef d’une autre personne, il n’est point, quant au droit nouvellement acquis, lié par la transaction antérieure. »
    • Il faut comprendre ici que si la transaction a pour effet d’éteindre le droit d’agir en justice des parties, cela ne vaut que pour le rapport d’obligation qui les liait lors de la conclusion de l’acte.
    • Aussi, n’est-il pas interdit à une partie de formuler une prétention, quoique semblable, différente auprès de l’autre partie, dès lors qu’elle agit en vertu d’une qualité ou d’un titre différent.
    • L’exemple peut être pris dans la transaction qui serait conclue entre la victime d’un accident et un assureur qui n’interdit pas les héritiers de solliciter une indemnisation au titre du préjudice personnel qu’ils auraient subi.
  • S’agissant de l’identité d’objet
    • L’effet extinctif de la transaction ne joue que s’agissant des droits en jeu dans le cadre de la conclusion de l’accord, soit de ceux sur lesquels les parties ont transigé.
    • La délimitation de l’objet de la transaction est donc déterminante : l’effet extinctif ne porte que sur ce qui est expressément énoncé dans l’acte.
    • Si dès lors un différend comporte plusieurs chefs, l’effet extinctif ne portera que sur ceux visés spécifiquement par la transaction.
    • S’agissant des autres chefs du litige qui ne seraient pas abordés dans la transaction, ils pourront dès lors être portés devant le juge.
    • Pour cette raison, lorsque des parties décident de transiger il leur faudra bien veiller, au stade de la rédaction, à énoncer dans l’acte l’ensemble des chefs de litige et plus généralement tout « ce qui est relatif au différend qui y a donné lieu ».
    • Quid dans l’hypothèse où un fait nouveau se rattachant aux faits abordés dans la transaction se manifesterait ?
    • On peut penser, par exemple, à la survenance postérieure à la conclusion de la transaction d’un préjudice qui serait la conséquence de l’accident ayant donné lieu à la conclusion de l’accord.
    • La transaction ferait-elle obstacle à la formulation d’une nouvelle demande ?
    • Tout dépend de l’objet de la transaction :
      • Si l’accord conclu vise à régler les seuls rapports déjà nés entre les parties, alors la transaction ne fait pas obstacle à la formulation d’une nouvelle demande (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 30 mai 1985, n°84-12.619).
      • Si, en revanche, l’accord conclu vise à régler, tant les rapports passés entre les parties, que les rapports à naître, alors aucune nouvelle demande ne pourra être formulée nonobstant la survenance d’un fait nouveau (V. en ce sens Cass., ass. plén., 4 juill. 1997, n°93-43.375)

c. Manifestations de l’effet extinctif

Les manifestations de l’effet extinctif attaché à la transaction diffèrent selon que l’accord des parties intervient en cours d’instance en cours ou avant l’introduction d’une instance

i. La transaction intervient en cours d’instance

🡺Principe

Dans l’hypothèse où la transaction intervient en cours d’instance, elle a pour effet de dessaisir le juge

Cette règle est expressément énoncée à l’article 384 du Code de procédure civile qui prévoit que « en dehors des cas où cet effet résulte du jugement, l’instance s’éteint accessoirement à l’action par l’effet de la transaction […] ».

Ainsi, la transaction interdit-elle au juge de trancher le litige qui lui a été soumis. Il n’a d’autre choix que de prendre acte de la transaction, laquelle s’impose à lui.

Réciproquement, la transaction interdit les parties d’exiger du juge qu’il statue sur les demandes qu’elles lui ont soumises.

Dans un arrêt du 21 octobre 2010, la Cour de cassation a précisé que lorsque la transaction est intervenue « quelques jours avant le prononcé du jugement », elle doit être interprétée comme une renonciation par anticipation par les parties aux effets de la décision à intervenir (Cass. 2e civ. 21 oct. 2010, n°09-12.378).

Il en résulte que cette décision ne pourra faire l’objet d’aucune exécution forcée. Par ailleurs, la transaction a pour effet de priver les parties de leur faculté d’interjeter appel (Cass. civ. 2e, 18 juin 1969) ou de former un pourvoi (Cass. 1ère civ. 18 juill. 1977).

De façon générale, une transaction fait obstacle à toute voie de recours, peu importe qu’elle ait été exercée avant la conclusion de l’accord (Cass. 1ère civ. 1er oct. 1980).

À cet égard, l’exercice d’une voie de recours au mépris d’une transaction est susceptible de justifier une demande de dommages et intérêts sur le fondement de la procédure abusive (Cass. soc. 16 nov. 1960).

🡺Tempéraments

Si la conclusion d’une transaction en cours d’instance interdit le juge de trancher le litige qui lui a été soumis par les parties, elle n’emporte pas radiation automatique de l’affaire du rôle.

Aussi, tant que l’affaire demeure inscrite au rôle, le juge peut encore être sollicité sur certaines demandes formulées par les parties, au nombre desquelles figurent celles relatives à :

  • L’exécution de la transaction
    • Dans un arrêt du 12 juin 1991, la Cour de cassation a ainsi jugé que « lorsque, en cours d’instance, les parties mettent fin au litige par une transaction, la juridiction saisie est compétente pour en ordonner l’exécution » (Cass. 2e civ. 12 juin 1991, n°90-14.841).
  • L’interprétation de la transaction
    • Il est admis que le juge demeure compétent pour interpréter la transaction.
  • La résolution ou l’annulation de la transaction
    • Le juge est également compétent pour connaître de la résolution de la transaction ou de son annulation (Cass. com., 14 oct. 1953).

ii. La transaction intervient avant l’introduction d’une instance

La conclusion d’une transaction fait obstacle à l’introduction d’une instance. Aussi constitue-t-elle ce que l’on appelle une fin de non-recevoir.

Par fin de non-recevoir, il faut entendre, selon l’article 122 du Code de procédure civile, L’article 122 du Code de procédure civile définit la fin de non-recevoir comme « tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée. ».

Lorsque, dès lors, une partie engage agit en justice au mépris d’une transaction, son action est susceptible d’être jugée irrecevable.

À cet égard, cette irrecevabilité peut être soulevée en tout état de cause, soit à n’importe quel stade de l’instance (Cass. 2e civ. 24 mai 1971, n°70-11.087).

L’article 123 du CPC réserve toutefois au juge la possibilité de condamner à des dommages-intérêts la partie qui se serait abstenue, dans une intention dilatoire, de soulever plus tôt la fin de non-recevoir invoquée tardivement.

Dans un arrêt du 30 juin 1976, la Deuxième chambre civile a, par ailleurs, précisé que si l’exception de transaction pouvait, pour la première fois, être soulevée en appel, elle ne peut, en revanche, pas être invoquée dans le cadre d’un pourvoi en cassation (Cass. 2e civ. 30 juin 1976, n°75-10-033).

L’article 124 prévoit encore que les fins de non-recevoir doivent être accueillies sans que celui qui les invoque ait à justifier d’un grief et alors même que l’irrecevabilité ne résulterait d’aucune disposition expresse.

En revanche, il est admis que le juge n’est pas investi du pouvoir de relever d’office une exception de transaction.

La raison en est que cette fin de non-recevoir ne présente plus de caractère d’ordre public depuis que l’on a rompu le lien entre la transaction et l’autorité de la chose jugée.

Or conformément à l’article 125 du CPC, c’est là une condition d’exercice de la faculté pour le juge de relever d’office une fin de non-recevoir.

2. L’effet déclaratif

🡺Principe

On reconnaît à la transaction un effet déclaratif, en ce sens qu’elle ne crée pas de situation juridique nouvelle.

Autrement dit, la transaction ne fait que constater des droits préexistants, lesquels ne constituent donc pas le produit de l’accord conclu entre les parties.

Pour être précis, l’effet déclaratif se borne aux seuls droits litigieux sur lesquels les parties ont transigé.

Il est, en effet, admis que les concessions réciproques consenties par les parties puissent donner lieu à la constitution ou à un transfert de droits.

🡺Conséquences

La reconnaissance d’un effet déclaratif à la transaction emporte plusieurs conséquences :

  • L’absence d’effet novatoire
    • Parce que la transaction ne crée pas de situation juridique nouvelle, elle ne produit aucun effet novatoire.
    • Cour de cassation rappelle régulièrement en ce sens que « sauf intention contraire des parties, la transaction n’emporte pas novation » (Cass. 1ère civ. 25 févr. 1976, n°73-13.191).
    • Pour mémoire, la novation consiste en un « contrat qui a pour objet de substituer à une obligation, qu’elle éteint, une obligation nouvelle qu’elle crée » (art. 1329 C. civ.)
    • Il s’agit, autrement dit, d’une modalité d’extinction d’une obligation préexistante par la substitution d’une obligation nouvelle.
    • S’agissant de la transaction, elle est donc dépourvue de tout effet novatoire, dans la mesure où elle n’a pas vocation à éteindre une obligation pour en créer une nouvelle : elle constate seulement une situation juridique qui préexiste.
    • Autrement dit, les droits constatés dans la transaction sont supposés avoir toujours existé et conservent donc la nature qui leur avait été reconnue au jour de leur création par l’acte originel.
    • Les parties peuvent toutefois décider du contraire en conférer à la transaction un effet novatoire ; il leur faudra alors le stipuler expressément dans l’acte, la novation ne se présumant pas.
  • L’absence d’effet recognitif
    • Si on reconnaît à la transaction un effet déclaratif, on ne produit pas pour autant un effet recognitif.
    • Aussi, se limite-t-elle à constater une situation préexistante ; elle ne vise pas à reconnaître les droits de l’une et l’autre partie.
    • Dans un arrêt du 10 novembre 1971, la Cour de cassation a jugé en ce sens qu’une transaction n’emporte pas reconnaissance du bien-fondé des prétentions des parties (Cass. 3e civ. 10 nov. 1971, n°70-12.911).
  • L’absence de garanties
    • Faute pour la transaction de produire un effet translatif, il est admis qu’elle ne saurait procurer aux parties des garanties.
    • En cas de renonciation d’une partie à un droit réel, l’autre partie ne saurait, dans ces conditions, se prévaloir de la garantie des vices cachés ou encore de la garantie d’éviction.
  • Formalités de publicité
    • Parce que la transaction produit un effet déclaratif, il en résulte une conséquence en matière de publicité foncière.
    • L’article 28 du décret n°55-22 du 4 janvier 1955 portant réforme de la publicité foncière prévoit, en effet, que « sont obligatoirement publiés au service chargé de la publicité foncière de la situation des immeubles : […] es actes et décisions déclaratifs ».
    • Toute transaction qui dès lors porte sur un bien immobilier doit faire l’objet de formalités de publicité foncière.
  1. F. Terré, Ph. Simpler et Y. Lequette, Droit civil – Les obligations, Dalloz, 9e éd., 2005, coll. « précis », n°184, p. 185.
  2. Ph. Delebecque, Les clauses allégeant les obligations : thèse, Aix, 1981, p. 198, n° 164
  3. Ph. Malaurie, L’ordre public et le contrat, th., 1953, p. 69, n°99.
  4. J. Carbonnier, Droit civil : les biens, les obligations, PUF, 2004, n°984, p. 2037.
  5. Ibid.
  6. Ph. Malinvaud et D. Fenouillet, Droit des obligations, LexisNexis, 2012, n°267, p. 207-208.
  7. Lexique des termes juridiques, 30e éd. Dalloz
  8. V. en ce sens L. Thibierge, La transaction, Rép Dalloz. n°156.

Le nouveau statut de l’entrepreneur individuel

==> Ratio legis

Lorsqu’un entrepreneur individuel exerce, en nom propre, son activité professionnelle, il s’expose à ce que la totalité de son patrimoine – professionnel et personnel – soit saisie en cas de difficultés financières.

Jusque récemment, le seul moyen pour un entrepreneur de préserver son patrimoine personnel en limitant le gage des créanciers aux biens exploités à titre professionnel était de créer une société.

En effet, le recours à la forme sociétale répond parfaitement au souci de distinguer patrimoine professionnel et patrimoine personnel, dettes professionnelles et dettes personnelles.

Une société, personne morale distincte de l’entrepreneur, dispose d’un patrimoine propre et répond des dettes résultant de son activité. Quant au patrimoine personnel de l’entrepreneur, il demeure extérieur à l’activité professionnelle et, par conséquent, est protégé de ses aléas.

La création d’une personne morale se révèle néanmoins parfois inadaptée à l’exercice d’une activité professionnelle à titre individuel en raison de la lourdeur du formalisme et des obligations qui pèsent sur le chef d’entreprise.

Par ailleurs, des études ont révélé que la vulnérabilité de leur statut ou plutôt de leur absence de statut, ne suffisait pas à inciter les entrepreneurs individuels à faire le choix systématique de la forme sociétale. Ils sont en proie à des « freins psychologiques », que l’on peut résumer en une réticence de l’entrepreneur à constituer une personne morale distincte.

==> De l’EURL à l’EIRL

Fort de ce constat, le législateur a cherché à encourager les entrepreneurs à se tourner vers la forme sociale en simplifiant les règles de création et de fonctionnement des sociétés :

  • La loi n° 85-697 du 11 juillet 1985 relative à l’entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée et à l’exploitation agricole à responsabilité limitée a rompu avec le principe de l’affectio societatis, selon lequel une société résulte de la volonté de collaborer d’au moins deux associés, en permettant à un entrepreneur individuel de constituer seul une société ;
  • La loi n° 94-126 du 11 février 1994 relative à l’initiative et à l’entreprise individuelle a procédé à une refonte des formalités et obligations auxquelles étaient soumises les entreprises, dans le but de les simplifier ;
  • La loi du 1er août 2003 pour l’initiative économique a d’abord institué le mécanisme d’insaisissabilité de la résidence principale aux articles L. 526-1 à L. 526-5 du code de commerce, constituant une entorse au droit de gage général posé aux articles 2284 et 2285 du code civil. Elle a ensuite supprimé le capital minimum dans les SARL, rompant ainsi avec le principe de capitalisation des sociétés ;
  • La loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie a procédé à de nouvelles simplifications dans le fonctionnement des entreprises et étendu l’insaisissabilité à tous les biens fonciers non affectés à l’usage professionnel.

Nonobstant ces réformes successives qui visaient à encourager l’exercice de l’entreprenariat individuel au moyen d’une forme sociale, ni l’EURL ni l’insaisissabilité de la résidence principale n’ont attiré les entrepreneurs.

Le législateur en a tiré la conséquence, qu’il convenait de changer de paradigme et d’ouvrir une brèche dans le sacro-saint principe de l’unicité du patrimoine.

Pour mémoire, ce principe théorisé au début du XIXe siècle par Charles Aubry et Charles-Frédéric Rau, signifie qu’une personne ne peut être titulaire que d’un seul patrimoine. Aussi, parle-t-on, d’unicité ou d’indivisibilité du patrimoine.

  • Positivement, il en résulte que le passif répond du passif et que l’ensemble des dettes sont exécutoires sur l’ensemble des biens, conformément aux articles 2284 et 2285 du Code civil : « qui s’oblige, oblige le sien»
  • Négativement, il se déduit qu’il est interdit d’isoler certains éléments du patrimoine, pour constituer une universalité distincte du reste du patrimoine

Ainsi, une personne qui affecterait certains biens à l’exercice d’une activité professionnelle n’aurait, par principe, pas pour effet de créer un ensemble de biens et de dettes séparé de son patrimoine personnel, sauf à créer une personne morale ou à accomplir les formalités aux fins de constituer un patrimoine professionnel.

Très tôt le principe d’unicité du patrimoine a été critiqué par la doctrine en ce qu’elle exposait l’entrepreneur individuel à des risques financiers importants sur son patrimoine personnel pour des dettes nées dans le cadre de son activité professionnelle.

Jusque récemment, la seule solution qui s’offrait à lui pour contourner le principe d’unicité du patrimoine était de créer une société, laquelle serait titulaire d’un patrimoine distinct de son propre patrimoine.

À cet égard, tout entrepreneur individuel, qu’il soit commerçant, artisan, indépendant ou agriculteur, peut créer une société unipersonnelle à responsabilité limitée et opérer de cette manière une distinction entre son patrimoine personnel et son patrimoine professionnel.

L’EURL n’a toutefois pas obtenu le succès escompté, les entrepreneurs individuels préférant majoritairement exercer leur activité en nom propre.

Par souci de justice sociale et de protection de la famille des entrepreneurs ayant adopté cette seconde modalité – risquée – d’exercice, le législateur a finalement décidé d’ouvrir une brèche dans le principe d’unicité du patrimoine en créant, par la loi n° 2010-658 du 15 juin 2010, le statut d’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL).

La particularité de ce statut – et c’est la révolution opérée par ce texte – est qu’il permet à l’entrepreneur individuel, tout à la fois d’exercer son activité en nom propre et de créer un patrimoine d’affectation.

Pour la première fois, l’entrepreneur individuel était ainsi autorisé à affecter un patrimoine à l’exercice de son activité professionnelle de façon à protéger son patrimoine personnel et familial, sans créer de personne morale distincte de sa personne.

À l’analyse, la création d’un patrimoine d’affectation déroge aux règles posées aux articles 2284 et 2285 du Code civil, en établissant que les créances personnelles de l’entrepreneur ne sont gagées que sur le patrimoine non affecté, et les créances professionnelles sur le patrimoine affecté.

L’admission de la constitution d’un patrimoine d’affectation opère donc une rupture profonde avec le dogme de l’unicité du patrimoine organisé jusqu’alors par le droit civil français.

Le bénéfice du régime de l’EIRL était toutefois subordonné à l’observation d’un formalisme rigoureux visant à garantir la sécurité juridique de l’entrepreneur lui-même et des tiers.

Pour créer un patrimoine d’affectation, l’entrepreneur devait notamment :

  • D’une part, procéder à une déclaration d’affectation
  • D’autre part, tenir une comptabilité séparée

Là encore, à l’instar de l’EURL, l’EIRL n’a pas rencontré un franc succès chez les entrepreneurs individuels.

Selon une étude réalisée par le Conseil d’État, en 2021, seuls 97 000 chefs d’entreprise étaient soumis au régime de l’EIRL alors que, à la même époque, on comptait près de 3 millions de travailleurs indépendants.

Les raisons de cet échec doivent sans doute être recherchées dans la complexité des formalités administratives et comptables requises pour créer une EIRL, quoiqu’elles aient été progressivement simplifiées, notamment par la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises dite « PACTE ».

C’est dans ce contexte, qu’il est à nouveau apparu nécessaire de réformer le statut de l’entrepreneur individuel.

==> La création d’un statut unique d’entrepreneur individuel

Animé par la volonté de renforcer la protection des travailleurs indépendants, le législateur est intervenu en 2022 aux fins de créer un statut unique d’entrepreneur individuel.

À cet effet, la loi n° 2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante a innové en instaurant une séparation de plein droit entre le patrimoine personnel et le patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel.

Il n’est désormais plus nécessaire que celui-ci procède à une déclaration préalable d’affectation.

Dès lors qu’une personne exerce en son nom propre une ou plusieurs activités professionnelles indépendantes, elle est titulaire de deux patrimoines :

  • Un patrimoine professionnel constitué des biens, droits, obligations et sûretés dont l’entrepreneur est titulaire et qui sont utiles à son activité ou à ses activités professionnelles indépendantes
  • Un patrimoine personnel constitué des éléments du patrimoine de l’entrepreneur individuel non compris dans le patrimoine professionnel

Outre la consécration d’une séparation de plein droit des patrimoines de l’entrepreneur individuel, la loi du 14 février 2022 a instauré un dispositif permettant la transmission universelle du patrimoine professionnel entre vifs, y compris sous la forme d’un apport en société.

Ce dispositif déroge au principe selon lequel une personne physique ne peut, de son vivant, transmettre son patrimoine.

Pour cette catégorie de personnes, il est seulement permis de transmettre des biens et des obligations à titre particulier.

Le régime de cette transmission universelle de patrimoine instauré par la loi du 14 février 2022 est largement emprunté à celui applicable en cas de fusion de sociétés ou de réunion des parts sociales en une seule main.

À cet égard, bien qu’ouvert désormais aux personnes physiques, ce nouveau dispositif, à l’instar de la séparation des patrimoines professionnel et personnel, ne peut bénéficier qu’aux seuls entrepreneurs individuels.

Aussi, convient-il, avant d’envisager un à un chacun de ces dispositifs, d’aborder les conditions du statut d’entrepreneur individuel qui diffèrent sensiblement de celles anciennement requises pour accéder au statut d’EIRL.

Section 1 : Les conditions du statut unique d’entrepreneur individuel

§1: Les conditions d’éligibilité au statut d’entrepreneur individuel

Le statut institué par la loi n° 2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante ne bénéficie qu’aux seuls entrepreneurs individuels.

L’article L. 526-22 du Code de commerce définit l’entrepreneur individuel comme « une personne physique qui exerce en son nom propre une ou plusieurs activités professionnelles indépendantes. »

Il ressort de cette disposition que la qualité d’entrepreneur individuel requiert la réunion de plusieurs éléments cumulatifs :

  • Premier élément
    • L’entrepreneur individuel est nécessairement une personne physique.
    • Et pour cause, le statut unique d’entrepreneur individuel a précisément été créé pour les personnes qui ne souhaitaient pas, pour diverses raisons, exercer leur activité professionnelle par l’entremise d’une société.
    • Aussi, le statut d’entrepreneur individuel ne saurait être sollicité par une personne morale.
    • Une société est donc strictement assujettie au principe d’unicité de son patrimoine sans possibilité pour elle d’y déroger.
  • Deuxième élément
    • L’entrepreneur individuel exerce nécessairement en son nom propre, ce qui signifie qu’il agit pour son propre compte.
    • Il n’intervient donc pas en représentation d’une tierce personne, de sorte qu’il est personnellement tenu aux engagements qu’il souscrit.
  • Troisième élément
    • Pour se prévaloir du statut d’entrepreneur individuel, il est nécessaire, précise l’article L. 526-22 du Code de commerce, d’exercer « une ou plusieurs activités professionnelles».
    • La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par « activité professionnelle».
    • Aussi, l’activité exercée par l’entrepreneur doit constituer une profession.
    • Par profession, il faut entendre selon le doyen Riper « le fait de consacrer d’une façon principale et habituelle son activité à l’accomplissement d’une tâche dans le dessein d’en tirer profit »
    • En d’autres termes, pour qu’une activité constitue une profession, cela suppose qu’elle soit, pour son auteur, sa principale source de revenus et, surtout, lui permette d’assurer la pérennité de son entreprise
  • Quatrième élément
    • Le statut d’entrepreneur individuel ne peut bénéficier qu’aux personnes qui exercent une activité indépendante.
    • L’indépendance dont il s’agit est juridique et non économique.
    • Il en résulte que les membres d’un réseau de distribution ou un franchisé peuvent parfaitement endosser le statut d’entrepreneur individuel.
    • Les personnes en revanche exclues du bénéfice de ce statut sont :
      • Les salariés qui agissent pour le compte de leur employeur.
      • Les dirigeants sociaux qui agissent au nom et pour le compte d’une société.
      • Les mandataires, tels que les agents commerciaux qui représentent un commerçant

Il ressort de ces quatre éléments constitutifs de la notion d’entrepreneur individuel que le statut attaché à cette qualité est ouvert à de nombreux agents économiques au nombre desquels figurent notamment les commerçants, les artisans, les agriculteurs et plus généralement tous les autres professionnels indépendants, qu’ils relèvent ou nom d’une profession réglementée.

À cet égard, comme indiqué par les travaux parlementaires, l’immatriculation à un registre de publicité légale professionnelle n’est pas une condition pour bénéficier du statut d’entrepreneur individuel : ce statut peut donc bénéficier à un entrepreneur individuel dont la profession n’est pas soumise à une réglementation qui lui est propre et qui n’est donc pas inscrit sur un registre spécifique ou un ordre particulier.

§2: Les conditions d’exercice du statut d’entrepreneur individuel

==> La dénomination professionnelle

L’article R. 526-27 du Code de commerce issu du décret n° 2022-725 du 28 avril 2022, pose deux exigences s’agissant de la dénomination professionnelle adoptée par l’entrepreneur individuel :

  • Première exigence
    • Pour l’exercice de son activité professionnelle l’entrepreneur individuel utilise une dénomination incorporant son nom ou nom d’usage précédé ou suivi immédiatement des mots : “ entrepreneur individuel ” ou des initiales : “ EI ”.
    • Cette restriction de la liberté de choisir une dénomination professionnelle se justifie par la protection des tiers auxquels le statut de l’entrepreneur individuel doit être porté à leur connaissance.
  • Seconde exigence
    • La dénomination choisie par l’entrepreneur individuel doit figurer sur tous les documents et correspondances à usage professionnel de l’intéressé.

À ces deux exigences énoncées par l’article R. 526-27 du Code de commerce, il convient d’en compter une troisième lorsque l’entrepreneur individuel exerce une activité commerciale.

En effet, l’article R. 123-237 du Code de commerce prévoit que toute personne immatriculée au registre du commerce et des sociétés est tenu d’indiquer sur ses factures, notes de commande, tarifs et documents publicitaires ainsi que sur toutes correspondances et tous récépissés concernant son activité et signés par elle ou en son nom la dénomination utilisée pour l’exercice de l’activité professionnelle incorporant son nom ou nom d’usage précédé ou suivi immédiatement des mots : “ entrepreneur individuel ” ou des initiales : “ EI ”.

Il devra indiquer, en outre, sur son site internet la mention RCS suivie du nom de la ville où se trouve le greffe où elle est immatriculée.

==> Le compte bancaire

Sous l’empire du droit antérieur, l’article L. 526-13 du Code de commerce imposait à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL) d’« ouvrir dans un établissement de crédit un ou plusieurs comptes bancaires exclusivement dédiés à l’activité à laquelle le patrimoine a été affecté ».

Le décret n° 2022-725 du 28 avril 2022 a mis fin à cette obligation, de sorte que l’entrepreneur individuel n’est plus tenu d’ouvrir un compte bancaire exclusivement dédié à son activité professionnelle.

L’article R. 526-27 du Code de commerce prévoit seulement que « chaque compte bancaire dédié à son activité professionnelle ouvert par l’entrepreneur individuel doit contenir la dénomination dans son intitulé. »

Section 2 : Le contenu du statut unique d’entrepreneur individuel

Le statut de l’entrepreneur individuel repose sur trois dispositifs spécifiques :

  • La séparation de plein droit des patrimoines professionnel et personnel
  • La faculté de transmission universelle du patrimoine professionnel
  • Le principe d’insaisissabilité de la résidence principale

§1 : La séparation de plein droit des patrimoines professionnel et personnel de l’entrepreneur individuel

I) Le principe de séparation de plein droit des patrimoines professionnel et personnel

==> Patrimoine professionnel et patrimoine personnel

La loi n° 2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante a donc instauré un principe de séparation de plein droit des patrimoines professionnel et personnel de l’entrepreneur individuel.

Cela signifie que toute personne endossant le statut d’entrepreneur individuel est désormais titulaire, de plein droit, soit sans qu’il soit nécessaire d’accomplir un quelconque acte de volonté ou toute autre formalité, de deux patrimoines distincts :

  • Un patrimoine professionnel constitué des biens, droits, obligations et sûretés dont l’entrepreneur est titulaire et qui sont utiles à son activité ou à ses activités professionnelles indépendantes
  • Un patrimoine personnel constitué des éléments du patrimoine de l’entrepreneur individuel non compris dans le patrimoine professionnel

Sous l’empire du droit antérieur, la ligne de démarcation entre le patrimoine professionnel et le patrimoine personnel de l’entrepreneur exerçant en EIRL procédait d’une déclaration d’affectation.

Pratiquement cette déclaration consistait pour l’entrepreneur à désigner les biens qu’il jugeait nécessaire à l’exercice de son activité professionnelle.

Désormais, la consistance de l’un et l’autre patrimoine est déterminée par un critère fixé par la loi : le critère de « l’utilité ».

==> Le critère de l’utilité

En application de l’article L. 526-22 du Code de commerce, le patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel serait donc constitué – automatiquement – de l’ensemble des biens, droits, obligations et sûretés « utiles » à l’exercice de son activité professionnelle.

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir ce que l’on doit entendre par « utile ». Il s’agit là d’une notion qui occupe une place centrale dans le dispositif mis en place par le législateur.

Aussi, afin de garantir la sécurité juridique de l’entrepreneur individuel, de ses ayants droit, mais également des tiers, le décret n° 2022-725 du 28 avril 2022 est venu préciser la notion d’utilité en dressant une liste des biens, droits et obligations réputés utiles à l’exercice de l’activité professionnelle de l’entrepreneur individuel.

L’article R. 526-26 du Code de commerce, issu de ce décret, prévoit en ce sens :

En premier lieu, que les biens, droits, obligations et sûretés dont l’entrepreneur individuel est titulaire, utiles à l’activité professionnelle, s’entendent de ceux qui, par nature, par destination ou en fonction de leur objet, servent à cette activité, tels que :

  • Le fonds de commerce, le fonds artisanal, le fonds agricole, tous les biens corporels ou incorporels qui les constituent et les droits y afférents et le droit de présentation de la clientèle d’un professionnel libéral ;
  • Les biens meubles comme la marchandise, le matériel et l’outillage, le matériel agricole, ainsi que les moyens de mobilité pour les activités itinérantes telles que la vente et les prestations à domicile, les activités de transport ou de livraison ;
  • Les biens immeubles servant à l’activité, y compris la partie de la résidence principale de l’entrepreneur individuel utilisée pour un usage professionnel ; lorsque ces immeubles sont détenus par une société dont l’entrepreneur individuel est actionnaire ou associé et qui a pour activité principale leur mise à disposition au profit de l’entrepreneur individuel, les actions ou parts d’une telle société ;
  • Les biens incorporels comme les données relatives aux clients, les brevets d’invention, les licences, les marques, les dessins et modèles, et plus généralement les droits de propriété intellectuelle, le nom commercial et l’enseigne ;
  • Les fonds de caisse, toute somme en numéraire conservée sur le lieu d’exercice de l’activité professionnelle, les sommes inscrites aux comptes bancaires dédiés à cette activité, notamment au titre des articles L. 613-10 du code de la sécurité sociale et L. 123-24 du présent code, ainsi que les sommes destinées à pourvoir aux dépenses courantes relatives à cette même activité.

En second lieu, que lorsque l’entrepreneur individuel est tenu à des obligations comptables légales ou réglementaires, son patrimoine professionnel est présumé comprendre au moins l’ensemble des éléments enregistrés au titre des documents comptables, sous réserve qu’ils soient réguliers et sincères et donnent une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l’entreprise. Sous la même réserve, les documents comptables sont présumés identifier la rémunération tirée de l’activité professionnelle indépendante, qui est comprise dans le patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel.

==> Sort des biens mixtes

À l’occasion des travaux parlementaires, le Sénat avait relevé que le projet de loi examiné était silencieux sur le sort des biens mixtes, soit ceux utilisés à la fois à des fins professionnelles ou personnelles.

La question qui est alors susceptible de se poser est de savoir à quelle masse de biens ce type de bien appartient, à tout le moins comment articuler le droit de gage des créanciers professionnel et personnel.

Afin d’apporter une meilleure protection à l’entrepreneur individuel les sénateurs ont proposé de limiter les biens relevant du patrimoine professionnel à ceux « exclusivement utiles » à l’exercice de l’activité professionnelle.

De cette façon, les biens à usage mixte seraient nécessairement compris dans le patrimoine personnel.

En contrepartie, il a été imaginé que le droit de gage des créanciers professionnels soit étendu au patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel à hauteur de la valeur d’un droit d’usage des biens mixtes, correspondant à leur utilisation effective dans un cadre professionnel pour une durée d’une année.

L’illustration a été donnée du local dont l’entrepreneur individuel est propriétaire ou locataire qui serait utilisé à des fins professionnelles et personnelles. Les créanciers professionnels seraient en droit de saisir sur le patrimoine personnel de l’entrepreneur l’équivalent des sommes dues pour une mise à disposition non exclusive du local pendant un an.

Bien que séduisante, cette proposition n’a finalement pas été retenue par l’Assemblée nationale au motif qu’elle aurait conduit à ajouter de la complexité au critère de l’utilité.

Faute de précision dans la version finale de la loi du sort des biens mixtes, la Conseil d’État a suggéré qu’un décret soit adopté afin de pallier cette carence qui est de nature à affecter la sécurité juridique de l’entrepreneur individuel.

==> Charge de la preuve

L’article L. 526-22, al. 6e du Code de commerce prévoit que la charge de la preuve incombe à l’entrepreneur individuel pour toute contestation de mesures d’exécution forcée ou de mesures conservatoires qu’il élève concernant l’inclusion ou non de certains éléments d’actif dans le périmètre du droit de gage général du créancier.

Aussi, appartiendra-t-il à l’entrepreneur, pour échapper aux poursuites de ses créanciers, de prouver que le bien appréhendé :

  • Soit est utile à son activité professionnelle s’il prétend que la dette poursuivie n’est pas née à l’occasion de son activité professionnelle
  • Soit n’est pas utile à son activité professionnelle s’il prétend que la dette poursuivie est née à l’occasion de son activité professionnelle.

Le texte ajoute que la responsabilité du créancier saisissant peut être recherchée pour abus de saisie lorsqu’il a procédé à une mesure d’exécution forcée ou à une mesure conservatoire sur un élément d’actif ne faisant manifestement pas partie de son gage général.

Avant d’appréhender un ou plusieurs biens de l’entrepreneur individuel, le créancier devra donc s’assurer que le bien convoité relève du patrimoine sur lequel s’exerce son droit de gage général. À défaut, il s’expose à engager sa responsabilité.

II) Les effets du principe de séparation de plein droit des patrimoines professionnel et personnel

A) La date de prise d’effet du principe de séparation de plein droit des patrimoines professionnel et personnel

L’article L. 526-23 du Code de commerce régit la prise d’effet du principe de séparation des patrimoines dont la mise en œuvre consiste pour l’entrepreneur individuel à ne répondre de ses dettes contractées dans le cadre de son activité professionnelle que sur son seul patrimoine professionnel.

L’enjeu pour le législateur était de permettre aux tiers de savoir au moment où ils contractent avec un entrepreneur individuel s’il est ou non tenu de répondre de ses engagements sur l’ensemble de ses biens.

Afin de satisfaire à cet objectif, le législateur a subordonné la limitation du droit de gage des créanciers de l’entrepreneur individuel à la condition que son activité professionnelle ait fait l’objet, à la date de naissance de la créance, d’une mesure de publicité adéquate : immatriculation à un registre de publicité légale, inscription sur une liste ou au tableau d’un ordre etc.

Dans l’hypothèse toutefois où aucune obligation d’immatriculation ne pèse sur l’entrepreneur individuel, la date de prise d’effet est fixée au jour de l’accomplissement du premier acte matérialisant le commencement d’activité professionnelle.

Pratiquement, la prise d’effet du principe de séparation des patrimoines diffère donc selon que pèse ou non sur l’entrepreneur individuel une obligation d’immatriculation.

  • L’entrepreneur est assujetti à une obligation d’immatriculation
    • Dans cette hypothèse, le principe de séparation des patrimoines prend effet à compter de l’immatriculation au registre dont relève l’entrepreneur individuel pour son activité (registre du commerce et des sociétés, répertoires des métiers etc.).
    • Lorsque celui-ci relève de plusieurs registres, la dérogation prend effet à compter de la date d’immatriculation la plus ancienne.
    • À cet égard, lorsque la date d’immatriculation est postérieure à la date déclarée du début d’activité, le principe de séparation des patrimoines prend effet à compter de la date déclarée du début d’activité, dans les conditions prévues par décret en Conseil d’État.
  • L’entrepreneur n’est pas assujetti à une obligation d’immatriculation
    • Dans cette hypothèse, l’article L. 526-23 du Code de commerce prévoit que la séparation des patrimoines opère à compter du premier acte que l’entrepreneur exerce en qualité d’entrepreneur individuel.
    • Pour déterminer cette date, il conviendra, suggère le texte, de se reporter aux documents et correspondances éventuellement établis par l’entrepreneur individuel dans la mesure à sa qualité doit obligatoirement y être mentionnée.

B) Le déploiement des effets du principe de séparation de plein droit des patrimoines professionnel et personnel

1. Dans les rapports entre l’entrepreneur et les créanciers professionnels

1.1 Principe

L’article L. 526-22, al. 3e du Code de commerce prévoit que « par dérogation aux articles 2284 et 2285 du code civil et sans préjudice des dispositions légales relatives à l’insaisissabilité de certains biens, notamment la section 1 du présent chapitre et l’article L. 526-7 du présent code, l’entrepreneur individuel n’est tenu de remplir son engagement à l’égard de ses créanciers dont les droits sont nés à l’occasion de son exercice professionnel que sur son seul patrimoine professionnel, sauf sûretés conventionnelles ou renonciation dans les conditions prévues à l’article L. 526-25. »

Il ressort de cette disposition que l’entrepreneur individuel répond des dettes contractées dans le cadre de son activité professionnelle sur son seul patrimoine professionnel.

C’est là la conséquence directe du principe de séparation des patrimoines qui donc limite le gage des créanciers professionnels qui ne pourront donc pas exercer leurs poursuites sur le patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel.

La séparation entre les patrimoines professionnel et personnel n’est toutefois pas absolue ; elle souffre de quelques tempéraments visant tantôt à octroyer de la souplesse quant à la mise en œuvre du dispositif, tantôt à protéger certains créanciers.

1.2 Tempéraments

Le législateur a assorti le principe de séparation des patrimoines de deux tempéraments afin de faciliter l’accès au crédit de l’entrepreneur individuel dans ses rapports avec les créanciers professionnels.

a. Constitution de sûretés sur le patrimoine personnel

L’article L. 526-22, al. 4e du Code de commerce autorise l’entrepreneur individuel, nonobstant le principe de séparation des patrimoines, à consentir à ses créanciers professionnels des sûretés constituées sur des biens relevant de son patrimoine personnel.

Par exemple, il peut constituer une hypothèque sur un bien immobilier personnel en garantie d’un prêt contracté auprès d’un établissement de crédit aux fins de financer son activité professionnelle.

L’alinéa 3 du texte précise, en revanche, que « la distinction des patrimoines personnel et professionnel de l’entrepreneur individuel ne l’autorise pas à se porter caution en garantie d’une dette dont il est débiteur principal. »

Cette règle qui interdit à l’entrepreneur individuel de s’auto-cautionner trouve sa racine dans l’économie générale de l’opération de cautionnement qui requiert que la caution soit une personne distincte du débiteur principal.

Déjà sous l’empire du droit antérieur, la Cour de cassation avait jugé dans un arrêt du 28 avril 1964 qu’un entrepreneur individuel ne pouvait pas cautionner les dettes souscrites au titre de son activité professionnelle.

Au soutien de sa décision, elle avait avancé que « celui qui est débiteur d’une obligation à titre principal ne peut être tenu de la même obligation comme caution » (Cass. com. 28 avr. 1964). Était ainsi posée l’interdiction de l’engagement de caution souscrit pour soi-même.

Il en résulte que la faculté pour l’entrepreneur principal de consentir à ses créanciers professionnels des garanties conventionnelles n’opère que pour les sûretés réelles.

Il peut enfin être observé que cette faculté n’est prévue par la loi qu’au bénéfice des créanciers professionnels.

Aucune disposition de ce type n’est prévue en sens inverse, au profit des créanciers personnels.

Il s’en déduit qu’il est fait interdiction à l’entrepreneur individuel de constituer une sûreté sur un bien relevant de son patrimoine professionnel aux fins de garantir une dette personnelle.

b. Renonciation à la séparation des patrimoines

b.1 Principe de la renonciation

Afin de ne pas limiter les capacités de financement de l’entrepreneur individuel, la loi l’autorise à renoncer purement et simplement au principe de séparation des patrimoines.

En exerçant ce droit, l’entrepreneur permet ainsi à ses créanciers d’étendre leur droit de gage sur tout ou partie de son patrimoine personnel.

Concrètement, le créancier poursuivant pourra ainsi saisir les biens personnels de l’entrepreneur individuel pour obtenir le recouvrement de sa créance, à l’exclusion de ceux frappés d’insaisissabilités telle que la résidence principale.

Cette faculté de renonciation a été prévue par le législateur afin de ne pas empêcher les entrepreneurs qui n’ont que peu de garanties à proposer d’accéder plus facilement au crédit.

Comme relevé lors de débats parlementaires, il s’agit là d’une grande avancée par rapport au statut de l’EIRL, qui ne permettait pas une renonciation spécifique : c’était « tout ou rien ».

b.2 Modalités de la renonciation

La renonciation étant un acte grave, dont les conséquences peuvent être ruineuses pour l’entrepreneur, sa validité est subordonnée à l’observation d’un certain nombre de modalités fixées par la loi.

i. Une demande formulée par le créancier professionnel

L’article L. 526-25 du Code de commerce prévoit que la renonciation de l’entrepreneur au principe de séparation des patrimoines n’est valable que si, au préalable, le créancier professionnel en a fait la demande.

Cette demande, formulée par le créancier professionnel doit être écrite

Le créancier professionnel devra s’assurer qu’elle a bien été réceptionnée par l’entrepreneur individuel, dans la mesure où la réception de la demande de renonciation fait courir au délai de réflexion.

ii. L’observation d’un délai de réflexion 

  • Principe
    • À réception de la demande de renonciation formulée par le créancier professionnel, l’entrepreneur individuel dispose d’un délai de réflexion de sept jours francs.
    • Cela signifie que l’acte de renonciation ne peut produire ses effets avant l’expiration de ce délai.
  • Tempérament
    • L’article L. 526-25, al. 2e du Code de commerce prévoit la possibilité de réduire le délai de réflexion à trois jours francs Si l’entrepreneur individuel fait précéder sa signature d’une mention manuscrite dont les termes sont fixés par l’article D. 526-28, IV du Code de commerce.
    • Cette disposition prévoit que Lorsque l’entrepreneur individuel et le bénéficiaire de la renonciation entendent réduire le délai de réflexion au terme duquel la renonciation intervient, dans les conditions prévues au second alinéa de l’article L. 526-25, l’acte de renonciation porte, de la main de l’entrepreneur individuel, la mention manuscrite suivante :
      • « Je déclare par la présente renoncer au bénéfice du délai de réflexion de sept jours francs, fixé conformément aux dispositions de l’article L. 526-25 du code de commerce. En conséquence, ledit délai est réduit à trois jours francs. »
    • La possibilité de réduire le délai de réflexion à 3 jours procède d’un amendement proposé par les sénateurs qui ont fait valoir que le délai de sept jours pourrait apparaître long en cas de besoin urgent pour l’entrepreneur individuel d’accéder au crédit et notamment obtenir un crédit court terme pour faire face à une baisse voire à une interruption imprévue de son activité.

iii. L’établissement d’un acte de renonciation

?: Conditions de fond 

  • Une renonciation spéciale
    • L’article L. 526-25 du Code de commerce prévoit que l’entrepreneur individuel ne peut renoncer au principe de séparation des patrimoines que « pour un engagement spécifique dont il doit rappeler le terme et le montant, qui doit être déterminé ou déterminable. »
    • À la différence de l’entrepreneur qui exerçait en EIRL, l’entrepreneur individuel ne pourra donc pas opter pour une renonciation globale, soit qui opérerait pour l’ensemble des dettes contractées.
    • Pratiquement, l’acte de renonciation devra donc :
      • D’une part, désigner l’engagement spécifique concerné
      • D’autre part, préciser le terme et le montant de cet engagement
    • À défaut, la renonciation encourt la nullité
  • Une renonciation éclairée
    • L’article D 526-28 du Code de commerce met à la charge du bénéficiaire de la renonciation une obligation d’information sur les conséquences de celle-ci sur les patrimoines de l’entrepreneur individuel.
    • L’information délivrée doit ainsi permettre à ce dernier d’apprécier la portée de cette renonciation, laquelle est susceptible d’emporter de lourdes conséquences sur le patrimoine personnel de l’entrepreneur. Individuel, puisque réintégré dans l’assiette du droit de gage général des créanciers professionnels.
    • Cette obligation d’information n’est toutefois assortie d’aucune sanction.
    • Aussi, est-ce à la jurisprudence qu’il reviendra de préciser ce point et notamment de déterminer si le défaut d’information doit être sanctionné par la nullité de la renonciation ou par l’octroi de dommages et intérêts.

?: Conditions de forme

==> Remise d’un modèle d’acte

L’article D. 526-29 du Code de commerce prévoit que « si le bénéficiaire de la renonciation est un établissement de crédit ou une société de financement au sens de l’article L. 511-1 du code monétaire et financier, il remet gratuitement un exemplaire du modèle type à l’entrepreneur individuel qui en fait la demande. »

À cet effet, un modèle type d’acte de renonciation a été approuvé par l’arrêté du 12 mai 2022 relatif à certaines formalités concernant l’entrepreneur individuel et ses patrimoines (accessible à partir du lien suivant : modèle de renonciation)

==> Les mentions figurant dans l’acte

L’article L. 526-25 du Code de commerce prévoit que la renonciation par l’entrepreneur individuel au principe de séparation des patrimoines « doit respecter, à peine de nullité, des formes prescrites par décret. »

Il y a donc lieu de se reporter à l’article D. 526-28 issu du décret n° 2022-799 du 12 mai 2022 afin de déterminer les formes devant être observées par l’acte de renonciation.

Cette disposition prévoit que doivent figurer plusieurs sortes de mentions sur l’acte de renonciation :

  • En ce qui concerne l’entrepreneur individuel renonçant à la protection de son patrimoine personnel
    • Les nom de naissance, nom d’usage, prénoms, nationalité, date et lieu de naissance et domicile de l’entrepreneur individuel ;
    • L’activité ou les activités professionnelles et, s’il en est utilisé, le nom commercial et l’enseigne ainsi que les numéros et codes caractérisant l’activité ou les activités visés aux 1° à 3° de l’article R. 123-223 ;
    • L’adresse de l’établissement principal où est exercée l’activité professionnelle, ou, à défaut d’établissement, l’adresse du local d’habitation où l’entreprise est fixée ;
    • Le numéro unique d’identification de l’entreprise, délivré conformément à l’article D. 123-235 si l’entrepreneur est déjà immatriculé, ou, lorsqu’elle est antérieure à la date d’immatriculation, la date déclarée du début d’activité ;
  • En ce qui concerne le bénéficiaire de la renonciation
    • Si le bénéficiaire de la renonciation est une personne physique :
      • les nom de naissance, nom d’usage, prénoms, date, lieu de naissance et domicile du bénéficiaire de la renonciation ;
      • le cas échéant, l’activité ou les activités professionnelles exercées, l’adresse de l’établissement principal où est exercée l’activité professionnelle, ou, à défaut d’établissement, l’adresse du local d’habitation où l’entreprise est fixée et, s’il en est utilisé, le nom commercial et l’enseigne ainsi que les numéros et codes caractérisant l’activité ou les activités visés aux 1° à 3° de l’article R. 123-223 et le numéro unique d’identification de l’entreprise délivré conformément à l’article D. 123-235 ;
    • Si le bénéficiaire de la renonciation est une personne morale :
      • la raison sociale ou la dénomination sociale, suivie, le cas échéant, du sigle et de la forme ;
      • l’adresse du siège social ou de l’établissement, ou, à défaut, l’adresse du local d’habitation où l’entreprise est fixée ;
      • le numéro unique d’identification de l’entreprise, délivré conformément à l’article D. 123-235 ;
      • l’indication que le bénéficiaire de la renonciation est un établissement de crédit ou une société de financement au sens de l’article L. 511-1 du code monétaire et financier.
  • En ce qui concerne l’engagement au titre duquel la renonciation est sollicitée
    • La date de l’engagement ;
    • L’objet de l’engagement ;
    • La date d’échéance de l’engagement, c’est-à-dire la date contractuelle prévue pour le remboursement total des sommes dues au titre de l’engagement, étant précisé que celle-ci peut être prorogée soit par un accord des parties soit par une décision judiciaire ;
    • Le montant de l’engagement ou les éléments permettant de le déterminer ; ces éléments, une fois spécifiés dans l’acte de renonciation fixent définitivement le plafond pour lequel une même renonciation vaut ;
    • La date de demande de la renonciation.

==> La signature de l’acte de renonciation

L’article D. 526-28 du Code de commerce prévoit que, à peine de nullité, l’entrepreneur individuel et le bénéficiaire de la renonciation apposent leur signature sur l’acte, ainsi que la date et le lieu.

Ce texte précise qu’il peut être fait usage d’une signature électronique qualifiée répondant aux exigences du décret n° 2017-1416 du 28 septembre 2017 relatif à la signature électronique.

c. L’inopposabilité de la séparation des patrimoines aux créanciers publics

L’article L. 526-24 du Code de commerce prévoit une dérogation au principe de séparation des patrimoines au profit des créanciers publics et plus précisément de l’administration fiscale et des organismes de recouvrement de la sécurité sociale.

Cette disposition prévoit que « le droit de gage de l’administration fiscale et des organismes de sécurité sociale porte sur l’ensemble des patrimoines professionnel et personnel de l’entrepreneur individuel en cas de manœuvres frauduleuses ou d’inobservation grave et répétée de ses obligations fiscales, dans les conditions prévues aux I et II de l’article L. 273 B du livre des procédures fiscales, ou d’inobservation grave et répétée dans le recouvrement des cotisations et contributions sociales, dans les conditions prévues à l’article L. 133-4-7 du code de la sécurité sociale ».

Ainsi, la dissociation des patrimoines ne sera pas opposable à l’administration fiscale et aux organismes de sécurité sociale en cas de manœuvres frauduleuses ou d’inobservation grave et répétée des obligations fiscales ou sociales.

Le texte ajoute que cette inopposabilité joue également pour les impositions mentionnées au III de l’article L. 273 B du livre des procédures fiscales.

Pour mémoire, cette disposition prévoit que « le recouvrement de l’impôt sur le revenu et des prélèvements sociaux ainsi que de la taxe foncière afférente aux biens immeubles utiles à l’activité professionnelle dont est redevable la personne physique exerçant une activité professionnelle en tant qu’entrepreneur individuel ou son foyer fiscal peut être recherché sur l’ensemble des patrimoines professionnel et personnel. Le présent III n’est pas applicable au recouvrement de l’impôt sur le revenu et des prélèvements sociaux lorsque l’entrepreneur individuel a opté pour l’impôt sur les sociétés dans les conditions prévues à l’article 1655 sexies du code général des impôts. »

Enfin, l’article L. 526-24 du Code de commerce précise, s’agissant spécifiquement des organismes de sécurité sociale, que la séparation des patrimoines professionnels et personnels de l’entrepreneur individuel leur est inopposable pour les impositions et contributions mentionnées au deuxième alinéa de l’article L. 133-4-7 du même code.

2. Dans les rapports entre l’entrepreneur et les créanciers personnels

a. Principe

L’article L. 526-22, al. 6e du Code de commerce prévoit que « seul le patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel constitue le gage général des créanciers dont les droits ne sont pas nés à l’occasion de son exercice professionnel ».

Il ressort de cette disposition que l’entrepreneur individuel répond des dettes contractées en dehors du cadre de son activité professionnelle sur son seul patrimoine personnel.

Il en résulte que les biens relevant du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel sont hors de portée de ses créanciers personnels dont le gage est limité aux seuls biens qui ne sont pas utiles à l’activité professionnelle.

Ce principe n’est toutefois pas absolu. Le législateur l’a assorti de tempéraments.

b. Tempéraments

En application du principe de séparation des patrimoines, parce qu’il existe une corrélation entre les dettes contractées par l’entrepreneur individuel et le passif engagé, les tempéraments dont ce principe est assorti devraient, en toute logique, jouer symétriquement à la faveur tant des créanciers professionnels que des créanciers personnels.

Telle n’est toutefois pas la voie empruntée par le législateur qui a institué une différence de traitement entre les deux catégories de créanciers.

Les possibilités offertes aux créanciers personnels de l’entrepreneur individuel de se soustraire à l’application du principe de séparation des patrimoines sont, en effet, bien plus limitées que celles dont bénéficient les créanciers professionnels.

==> Tempéraments retenus

Le principe de séparation des patrimoines souffre de deux tempéraments en faveur des créanciers personnels

  • Premier tempérament
    • L’article L. 526-22, al. 6e du Code de commerce prévoit que, par exception au principe de séparation des patrimoines, « si le patrimoine personnel est insuffisant, le droit de gage général des créanciers peut s’exercer sur le patrimoine professionnel, dans la limite du montant du bénéfice réalisé lors du dernier exercice clos. »
    • Pratiquement, dans l’hypothèse où la réalisation de l’actif relevant du patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel ne permettrait pas désintéresser totalement ses créanciers personnels, ces derniers seront autorisés à appréhender le bénéfice éventuellement réalisé par leur débiteur dans le cadre de son activité professionnelle.
    • S’agissant de prendre pour point de référence le dernier exercice clos pour calculer le montant du bénéfice saisissable par les créanciers personnels, les travaux parlementaires justifient ce choix par l’impossibilité de déterminer en cours d’exercice quel montant a vocation à être prélevé par l’entrepreneur pour son usage personnel, autrement dit à rejoindre le patrimoine personnel.
    • À l’analyse, le montant maximal susceptible d’être prélevé par l’entrepreneur étant celui du bénéfice annuel, la seule solution est de se reporter au dernier exercice clos.
  • Second tempérament
    • L’article L. 526-22, al. 6e du Code de commerce prévoit que les sûretés réelles consenties par l’entrepreneur individuel avant le commencement de son activité ou de ses activités professionnelles indépendantes conservent leur effet, quelle que soit leur assiette.
    • Il en résulte que dans l’hypothèse où une sûreté serait constituée sur un bien devenu utile à l’activité professionnelle de l’entrepreneur individuel en garantie d’une dette personnelle, le bénéficiaire de la sûreté sera autorisé à saisir le bien grevé, nonobstant le principe de séparation des patrimoines.

==> Tempéraments exclus

Deux tempéraments au principe de séparation des patrimoines qui jouent en faveur des créanciers professionnels ne bénéficient pas aux créanciers personnels.

  • Première exclusion
    • Bien que la loi soit silencieuse sur ce point, il est fait interdiction à l’entrepreneur individuel de renoncer à la séparation des patrimoines en faveur de ses créanciers personnels.
    • Cette renonciation ne peut jouer qu’au profit des seuls créanciers professionnels.
    • Le gage des créanciers personnels sera, dans ces conditions, nécessairement cantonné aux biens composant le patrimoine personnel de l’entrepreneur
  • Seconde exclusion
    • Comme précisé dans le rapport établi par Christophe-André Frassa, si la loi ménage expressément la faculté, pour l’entrepreneur individuel, de consentir à ses créanciers professionnels des sûretés conventionnelles assises sur des biens compris dans son patrimoine personnel, « aucune disposition de ce type n’est prévue, en sens inverse, au bénéfice des créanciers personnels».
    • Il est donc fait interdiction à l’entrepreneur individuel d’accorder à ses créanciers personnels une sûreté qui serait constituée sur un bien relevant de son patrimoine professionnel.

Ainsi, comme relevé dans les travaux parlementaires, une nette dissymétrie oppose les créanciers professionnels aux créanciers personnels.

Les premiers, pour assurer le recouvrement de leur créance, pourront saisir dans certaines conditions tout ou partie des biens compris dans le patrimoine personnel, soit qu’ils soient titulaires d’une sûreté conventionnelle assise sur l’un de ces biens, soit qu’ils bénéficient d’une renonciation à la séparation des patrimoines.

Les seconds, en revanche, ne pourront exercer leur droit de gage général sur le patrimoine professionnel qu’à titre subsidiaire et dans la limite du montant du bénéfice du dernier exercice clos.

Les biens à usage professionnel sont donc mis hors de portée des créanciers personnels, comme s’ils étaient logés dans une société.

Selon Christophe-André Frassa, cette dissymétrie peut se justifier. En effet, alors que le patrimoine professionnel est défini limitativement, ce n’est pas le cas du patrimoine personnel, qui comprend tous les biens et droits non compris dans l’autre patrimoine.

En outre, parmi les biens de l’entrepreneur individuel, les plus précieux (notamment, le cas échéant, sa résidence principale) seraient le plus souvent compris dans son patrimoine personnel et pourraient donc être appréhendés par ses créanciers personnels.

Afin de ne pas diminuer excessivement les droits des créanciers professionnels, il est donc légitime de ne pas autoriser, au profit des créanciers personnels, la constitution de sûretés sur des biens professionnels ou la renonciation à la séparation des patrimoines.

III) L’extinction des effets du principe de séparation de plein droit des patrimoines professionnel et personnel

L’article L. 526-22 du Code de commerce prévoit deux cas de réunion des patrimoines professionnels et personnels :

  • Premier cas : la cessation d’activité
    • Dans le cas où un entrepreneur individuel cesse toute activité professionnelle indépendante, le texte prévoit que le patrimoine professionnel et le patrimoine personnel sont réunis.
    • Il en résulte que les créanciers antérieurs recouvrent un droit de gage général sur l’ensemble des biens de leur débiteur.
    • Cette solution diffère manifestement de celle applicable à l’EIRL.
    • En effet, sous ce statut, le gage général des créanciers antérieurs demeurait limité aux seuls biens qui relevaient du patrimoine d’affectation de l’entrepreneur.
    • Ce « gel » du gage des créanciers antérieurs était toutefois possible en raison de la déclaration d’affectation réalisée par l’entrepreneur individuel qui consistait à dresser une liste exhaustive des biens affectés à l’exercice de son activité professionnelle.
    • Tel n’est pas le cas de l’entrepreneur individuel qui exerce sous le nouveau statut.
    • Aucun texte ne l’oblige à réaliser un inventaire des biens qui composent son patrimoine professionnel.
    • Aussi, leur identification au moment de la cessation d’activité de l’entrepreneur individuel – laquelle est susceptible d’intervenir plusieurs années après leur entrée dans le patrimoine professionnel – s’avérerait complexe sinon impossible.
    • C’est la raison pour laquelle le législateur a préféré n’opérer aucune distinction : le droit de gage des créanciers antérieur s’exerce sur l’ensemble des biens de l’entrepreneur individuel qui a cessé son activité.
  • Second cas : le décès
    • En application de l’article L. 526-22 du Code de commerce, le décès de l’entrepreneur individuel a pour effet de réunir les patrimoines professionnels et personnels.
    • Comme pour le cas de la cessation d’activité, s’est posée la question du cantonnement du gage des créanciers antérieurs aux biens relevant du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel.
    • La raison en est que la réunion des patrimoines professionnels et personnels pour former un patrimoine successoral unique fait peser un risque important sur les héritiers et autres successeurs à titre universel, qui sont susceptibles de se voir transmettre l’intégralité des dettes de l’entrepreneur individuel au jour de son décès sans que le droit de gage des créanciers ne soit limité.
    • Aussi, comme souligné par Christophe-André Frassa, « la protection des héritiers repose alors entièrement sur leur droit d’option : dans le cas où des dettes trop lourdes grèveraient le patrimoine successoral, ils pourraient renoncer à la succession ou ne l’accepter qu’à concurrence de l’actif net (la liquidation portant alors sur l’ensemble du patrimoine successoral, issu de la réunion des patrimoines professionnel et personnel).»

§2 : Le dispositif de transmission universelle du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel

==> Généralités

La loi n° 2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante a fortement innové en prévoyant la possibilité pour l’entrepreneur individuel de procéder à une transmission universelle entre vifs de son patrimoine professionnel.

Le transfert universel du patrimoine professionnel peut être défini comme la cession, à titre universel et indivisible, de l’ensemble des biens, droits et obligations compris dans ce patrimoine. Elle peut être consentie à titre onéreux ou gratuit. La cession des biens et droits à une société peut également revêtir la forme d’un apport en société.

L’objectif recherché par le législateur est de faciliter la transmission d’une entreprise individuelle (par vente ou donation) ou de faciliter sa transformation en société, tout en préservant les droits des créanciers.

À cet égard, comme souligné par l’étude d’impact réalisé au stade du projet de loi, le dispositif envisagé vise à « créer un continuum permettant d’assurer la fluidité du passage d’une activité amorcée en entreprise individuelle vers l’exploitation en société pour en poursuivre le développement et la croissance ».

Le dispositif instauré par le législateur permet a priori à l’entrepreneur individuel de bénéficier d’un régime de faveur quant aux modalités de la transmission des biens et obligations composant son patrimoine qui, s’ils étaient transmis à titre particulier, seraient soumis à des règles hétérogènes et, pour certaines, contraignantes (donation, cession de créances, vente immobilière etc.).

Le dispositif de transmission universelle de patrimoine présente l’avantage de pouvoir être mise en œuvre par l’effet d’un seul acte soumis aux seules conditions attachées aux modalités de transmission propres à l’universalité[1].

I) Le principe de transmission universelle entre vifs du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel

L’article L. 526-27 du Code de commerce prévoit que « l’entrepreneur individuel peut céder à titre onéreux, transmettre à titre gratuit entre vifs ou apporter en société l’intégralité de son patrimoine professionnel, sans procéder à la liquidation de celui-ci. »

Cette disposition reconnaît donc à l’entrepreneur la faculté de céder ou de donner l’intégralité de son patrimoine et de préciser que cette transmission s’opère sans qu’il y ait lieu de procéder à une liquidation.

Cela signifie qu’il n’est pas besoin pour l’entrepreneur individuel de se libérer de ses obligations pour transmettre son patrimoine.

Elles sont transmises, sans novation, ni extinction, au bénéficiaire de la transmission, lequel se substitue à l’entrepreneur individuel dans ses rapports d’obligations.

Cette faculté de transmission universelle octroyée à l’entrepreneur individuel constitue une véritable nouveauté en ce qu’elle déroge au principe général interdisant à une personne physique de transmettre, de son vivant, son patrimoine.

Cette interdiction s’explique par le fait que « le patrimoine est la représentation pécuniaire de la personne ».

Autrement dit, si le patrimoine exprime la situation financière de son titulaire, il traduit surtout son aptitude à être titulaires de droits et d’obligations. Or cette aptitude perdure aussi longtemps que la personne est en vie.

Cette caractéristique du patrimoine emporte notamment comme conséquence son incessibilité du vivant de la personne physique.

Si rien n’empêche le titulaire – personne physique – d’un patrimoine à céder tous ses biens et/ou toutes ses dettes, il ne peut, en revanche, céder son aptitude à acquérir de nouveaux droits et contracter de nouvelles dettes.

C’est la raison pour laquelle le patrimoine d’une personne physique est incessible entre vifs. Il ne peut être transmis qu’à cause de mort.

Tel était du moins l’état du droit positif avant l’entrée en vigueur de la loi n° 2022-172 du 14 février 2022 qui a instauré un dispositif permettant à un entrepreneur individuel de transmettre un ensemble d’actifs et de passifs afférents à son activité professionnelle.

Il peut être observé que contrairement à la cession d’un fonds de commerce, qui ne porte que sur un actif composé de divers biens et droits, le transfert de patrimoine professionnel peut aussi porter sur des dettes professionnelles.

De ce point de vue, le transfert d’un patrimoine professionnel ressemble très étroitement, dans son principe, à la succession d’une personne physique.

En effet, le patrimoine transmis s’analyse ici comme une universalité de droit, soit comme un ensemble constitué d’un actif et d’un passif.

Pour cette raison, la transmission universelle de patrimoine ne s’envisage que si elle vise à céder l’intégralité de l’actif et du passif de l’entrepreneur individuel présentant un caractère professionnel.

À cet égard, l’article L. 526-27 du Code de commerce précise que cette transmission s’opère sans qu’il y ait lieu de procéder à une liquidation.

Cela signifie qu’il n’est pas besoin pour l’entrepreneur individuel de se libérer de ses obligations pour céder son patrimoine.

Elles sont transmises, sans novation, ni extinction, au bénéficiaire de la transmission, lequel se substitue à l’entrepreneur individuel dans ses rapports d’obligations.

II) Le régime de la transmission universelle entre vifs du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel

A) Les modalités de transmission

L’article L. 526-27, al. 2e du Code de commerce prévoit que le transfert universel du patrimoine professionnel peut s’opérer selon trois modalités différentes :

  • La cession à titre onéreux
  • La donation
  • L’apport en société

B) Règles applicables

Si le régime de la transmission universelle de patrimoine est, pour une large part, emprunté à celui applicable en cas de fusion de sociétés ou de réunion des parts en une seule main, il s’en distingue néanmoins en raison de la différence de situation.

En effet, à la différence de la transmission universelle du patrimoine d’une société dissoute, celle d’un patrimoine professionnel n’emporte pas disparition de la personne de l’entrepreneur individuel.

Pour cette raison, le législateur a été contraint d’opérer un certain nombre d’adaptations, à telle enseigne que certaines règles interrogent sur le caractère réellement universel de la transmission de patrimoine telle qu’envisagée pour l’entrepreneur individuel

==> Des règles propres à la transmission universelle

L’un des principaux intérêts de la transmission universelle réside pour son auteur dans la possibilité de soumettre le transfert de son patrimoine à un régime juridique unique.

Si, en effet, il avait transmis à titre particulier les éléments de ce patrimoine, chaque opération, prise individuellement, aurait été soumise à un régime juridique spécifique.

C’est d’ailleurs ce que rappelle en substance l’article L. 526-27, al. 1er du Code de commerce en prévoyant que « le transfert non intégral d’éléments de ce patrimoine demeure soumis aux conditions légales applicables à la nature dudit transfert et, le cas échéant, à celle du ou des éléments transférés. »

Ce n’est donc que si le transfert porte sur l’intégralité du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel que les règles propres à la transmission universelles peuvent jouer.

À cet égard, selon les modalités choisies par l’entrepreneur individuel pour transmettre son patrimoine, la transmission universelle obéira à des règles différentes.

La transmission universelle à titre onéreux devrait ainsi être soumise au régime de la vente, tandis que la transmission universelle à titre gratuit devrait être soumise au régime des donations.

Quant à la transmission du patrimoine au profit d’une société, elle devrait être régie par les règles de l’apport.

Afin que la transmission universelle du patrimoine de l’entrepreneur individuel puisse s’opérer efficacement et pour faciliter sa mise en œuvre, le législateur a écarté le jeu de plusieurs règles susceptibles d’interférer avec le transfert.

L’article L. 526-29 du Code de commerce prévoit ainsi que ne sont pas applicables au transfert universel du patrimoine professionnel d’un entrepreneur individuel, toute clause contraire étant réputée non écrite :

  • L’article 815-14 du Code civil
    • Cette disposition régit le droit de préemption dont sont titulaires les coïndivisaires d’un bien en cas de cession d’une quote-part indivise par un indivisaire à un tiers.
  • L’article 1699 du Code civil
    • Cette disposition régit la cession d’un droit litigieux
  • Les articles L. 141-12 à L. 141-22 du Code de commerce
    • Ces dispositions régissent le privilège du vendeur de fonds de commerce

Aussi, dans l’hypothèse où le patrimoine de l’entrepreneur individuel comprendrait un bien indivis ou un fonds de commerce, la transmission de ce patrimoine ne pourra ainsi pas se heurter à l’exercice du droit de préemption d’un coindivisaire ou à la mise en œuvre du privilège du vendeur.

La transmission universelle s’opèrera nonobstant ces dispositifs qui, en cas de transfert à titre particulier, feraient obstacle à la réalisation de l’opération.

==> La résurgence de règles de droit commun

Bien que le dispositif de transmission universelle d’un patrimoine présente la particularité d’être soumis à un seul et même régime juridique, l’article L. 526-27, al. 3e du Code de commerce assortit ce principe d’une exception.

Cette disposition prévoit, en effet, que « sous réserve de la présente section, les dispositions légales relatives à la vente, à la donation ou à l’apport en société de biens de toute nature sont applicables, selon le cas. Il en est de même des dispositions légales relatives à la cession de créances, de dettes et de contrats. »

Une lecture du texte suggère que, nonobstant la transmission universelle, les règles propres au transfert de chaque bien et de chaque obligation logés dans le patrimoine transmis demeureraient applicables.

La règle ainsi posée est pour le moins énigmatique dans la mesure où son application littérale conduirait à ruiner le principe même de la transmission universelle qui devrait précisément avoir pour effet de neutraliser le jeu des règles applicables à chaque opération prise individuellement.

En l’absence de dispositions qui précisent l’intention du législateur, la question de l’articulation entre les règles propres à la transmission universelle et celles propres au transfert de chaque élément du patrimoine est ouverte.

C) Les conditions de transmission

Selon les modalités choisies par l’entrepreneur individuel pour transmettre son patrimoine, les conditions applicables diffèrent.

Certaines conditions s’appliquent, en revanche, quelle que soit la modalité de transmission retenue

1. Conditions communes

La transmission universelle du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel est subordonnée à la réunion de deux conditions générales :

  • Première condition
    • L’article L. 526-30 du Code de commerce prévoit que « le transfert doit porter sur l’intégralité du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel, qui ne peut être scindé»
    • Aussi, quand bien même l’entrepreneur individuel exercerait plusieurs activités professionnelles, interdiction lui est faite de « scinder » son patrimoine en plusieurs parties.
    • La transmission ne pourra porter que sur la globalité de son patrimoine.
    • Il s’agit ici d’éviter qu’une scission du patrimoine préjudicie à certains créanciers.
    • Le non-respect de cette condition est sanctionné par la nullité de la transmission du patrimoine.
  • Seconde condition
    • L’article L. 526-27, al. 4e du Code de commerce prévoit que la transmission universelle du patrimoine n’est pas permise si l’entrepreneur individuel s’est « obligé contractuellement à ne pas céder un élément de son patrimoine professionnel ou à ne pas transférer celui-ci à titre universel».
    • Le texte précise que la violation de cette règle engage la responsabilité de l’entrepreneur individuel sur l’ensemble de ses biens, sans emporter la nullité du transfert.

2. Conditions spécifiques

Selon les modalités de transmission choisies par l’entrepreneur individuel les conditions d’application diffèrent.

==> La transmission universelle à titre onéreux

Dans cette hypothèse, ce sont donc les règles de la vente qui devraient s’appliquer.

Aussi, pour être valide, la transmission devra notamment satisfaire aux conditions posées à l’article 1583 du Code civil.

Pour mémoire, cette disposition prévoit que la vente « est parfaite entre les parties, et la propriété est acquise de droit à l’acheteur à l’égard du vendeur, dès qu’on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n’ait pas encore été livrée ni le prix payé. »

Bien que s’imposant comme naturelle en cas de cession à titre onéreux du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel, l’application du régime de la vente n’est pas sans soulever des difficultés.

Il est plusieurs questions qui se posent auxquelles les textes n’apportent, pour l’heure, aucune réponse.

Ainsi, le cédant du patrimoine sera-t-il tenu aux mêmes garanties que celles du vendeur (garantie des vices cachés, garantie d’éviction) ? La rescision pour lésion sera-t-elle possible, lorsque le patrimoine professionnel comprend des biens dont la vente peut être rescindée ? Le cédant à titre onéreux jouira-t-il des divers privilèges du vendeur ?

==> La transmission universelle à titre gratuit

Dans cette hypothèse, la transmission universelle s’analysera en une donation. Elle pourra prendre la forme d’une donation ordinaire ou d’une donation-partage.

En tout état de cause, ce sont les règles des libéralités qui ont vocation à s’appliquer et plus précisément celles relatives aux donations.

Pour être valable, la transmission supposera notamment, conformément à l’article 931 du Code civil, d’établir un acte notarié.

==> La transmission universelle sous la forme d’un apport en société

Lorsque la transmission universelle prend la forme d’un apport en société, elle s’analyse en un apport en nature.

Aussi, ce sont les règles du droit des sociétés qui s’appliquent ; mais pas seulement.

Les articles L. 526-30 et L. 526-31 énoncent trois règles spécifiques applicables à la transmission universelle sous forme d’apport en société.

  • Première règle
    • En cas d’apport à une société nouvellement créée, l’actif disponible du patrimoine professionnel doit permettre de faire face au passif exigible sur ce même patrimoine ( L. 526-30, 2e C. com.)
    • La situation contraire serait, en effet, constitutive d’une cessation des paiements et devrait donc obliger le titulaire du patrimoine professionnel à demander l’ouverture d’une procédure collective portant sur ce patrimoine.
  • Deuxième règle
    • Ni l’auteur, ni le bénéficiaire du transfert ne doivent avoir été frappés de faillite personnelle ou d’une peine d’interdiction prévue à l’article L. 653-8 du présent code ou à l’article 131-27 du Code pénal, par une décision devenue définitive ( L. 526-30, 3° C. com.)
  • Troisième règle
    • Lorsque le patrimoine professionnel apporté en société contient des biens constitutifs d’un apport en nature, il est fait recours à un commissaire aux apports ( L. 526-31 C. com.)

III) Les effets de la transmission universelle entre vifs du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel

A) Les effets de la transmission universelle entre les parties

L’article L. 526-27, al. 2e du Code de commerce prévoit que « le transfert universel du patrimoine professionnel emporte cession des droits, biens, obligations et sûretés dont celui-ci est constitué ».

Le transfert vise ici à transférer le patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel envisagé comme une universalité de droit.

Par universalité de droit il faut entendre, pour mémoire, un ensemble pécuniaire permanent qui comprend, un actif et un passif réuni autour d’une même personne et dont l’un répond de l’autre.

Aussi, est-ce l’ensemble de l’actif, mais également du passif qui sont transférés, étant précisé que ce transfert s’opère sans liquidation.

Le transfert a donc pour effet de libérer l’entrepreneur individuel de ses obligations professionnelles qui sont transmises au bénéficiaire du patrimoine.

S’agissant des sûretés constituées en garantie des obligations transférées, elles subissent le même sort en raison de leur caractère accessoire.

L’opération de transmission ne devrait donc pas avoir pour effet de libérer les cautions, ni de remettre en cause les sûretés réelles constituées sur les biens relevant du patrimoine professionnel, objet du transfert.

B) Les effets de transmission universelle à l’égard des tiers

La transmission universelle de patrimoine n’est pas sans incidence sur les tiers, en particulier sur les créanciers de l’entrepreneur individuel.

L’opération a pour effet de leur donner un nouveau débiteur, le bénéficiaire de la transmission universelle, qui se substitue à l’entrepreneur individuel.

Il en résulte que le cessionnaire, le donataire ou le bénéficiaire de l’apport en société devient débiteur des créanciers dont les droits sont nés à l’occasion de l’activité professionnelle de l’entrepreneur individuel, sans que cette substitution emporte novation à leur égard.

Si, à première vue, cette substitution de débiteur s’apparente à une cession de dette, à l’analyse, elle s’en distingue en ce que l’accord des créanciers cédés n’est pas requis.

Ces derniers sont donc « cédés » de plein droit par l’effet de la transmission universelle du patrimoine.

Dans le silence des textes, cette cession joue pour tous les créanciers y compris pour ceux dont la créance est issue d’un contrat intuitu personae, ce qui n’est pas sans portée atteinte au principe d’autonomie de la volonté.

Pour cette raison, le législateur a mis en place un dispositif visant à assurer la protection des créanciers antérieurs auxquels le changement le débiteur est susceptible de préjudicier.

Ce dispositif s’articule autour de deux séries de règles qui instituent :

  • D’une part, un formalisme d’opposabilité
  • D’autre part, un droit d’opposition

1. Le formalisme d’opposabilité aux tiers de la transmission universelle de patrimoine

==> Formalités générales

L’article L. 526-27 du Code de commerce prévoit que « le transfert de propriété ainsi opéré n’est opposable aux tiers qu’à compter de sa publicité, dans des conditions prévues par décret. »

Il ressort de cette disposition que l’opposabilité de la transmission universelle est subordonnée à l’accomplissement de formalités de publicité.

La date de ces formalités correspond, en quelque sorte, à la ligne de démarcation entre les créanciers antérieurs et les créanciers postérieurs.

À cet égard, seuls les créanciers dont la créance est née antérieurement avant la publicité du transfert de propriété peuvent former opposition au transfert du patrimoine professionnel.

S’agissant des formalités à accomplir, l’article D. 526-30 du Code de commerce prévoit que le cédant, le donateur ou l’apporteur publie, à sa diligence, le transfert universel du patrimoine professionnel, sous forme d’avis au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales, au plus tard un mois après sa réalisation.

Cet avis contient les indications suivantes :

  • S’agissant du cédant, du donateur ou de l’apporteur : les nom de naissance, nom d’usage, prénoms, le cas échéant nom commercial ou professionnel, l’activité professionnelle ou les activités professionnelles exercées ainsi que les numéros et codes caractérisant cette activité ou ces activités visés aux 1° à 3° de l’article R. 123-223, l’adresse de l’établissement principal ou, à défaut d’établissement, l’adresse du local d’habitation où l’entreprise est fixée et le numéro unique d’identification de l’entreprise délivré conformément à l’article D. 123-235 ;
  • S’agissant du cessionnaire, du donataire ou du bénéficiaire de l’apport : les nom de naissance, nom d’usage, prénoms, le cas échéant nom commercial ou professionnel, l’adresse de l’établissement principal ou, à défaut d’établissement, l’adresse du local d’habitation où l’entreprise est fixée, le cas échéant, la raison sociale ou la dénomination sociale suivie du sigle, de la forme, de l’adresse du siège, du montant du capital et du numéro unique d’identification de l’entreprise délivré conformément à l’article D. 123-235 ainsi que, le cas échéant, les numéros et codes caractérisant l’activité ou les activités professionnelles exercées visés aux 1° à 3° de l’article R. 123-223.

L’avis publié au bulletin est accompagné d’un état descriptif des biens, droits, obligations ou sûretés composant le patrimoine professionnel, tel qu’il résulte du dernier exercice comptable clos actualisé à la date du transfert, ou, pour les entrepreneurs individuels qui ne sont pas soumis à des obligations comptables, à la date qui résulte de l’accord des parties.

L’état descriptif est établi dans des formes prévues par arrêté du ministre chargé de l’économie.

La sanction de l’absence de réalisation de ces formalités est l’inopposabilité du transfert aux tiers.

==> Formalités spéciales

En principe, les formalités accomplies au titre de la transmission universelle devraient dispenser l’entrepreneur individuel d’accomplir les formalités qui auraient été exigées s’il avait transmis, à titre particulier, les biens et obligations composant son patrimoine professionnel.

Reste que le transfert de propriété de certains biens demeure soumis à l’accomplissement de formalités spécifiques.

À tout le moins, c’est ce que l’on peut déduire de l’article L. 526-27, al. 3e du Code de commerce qui prévoit que « sous réserve de la présente section, les dispositions légales relatives à la vente, à la donation ou à l’apport en société de biens de toute nature sont applicables, selon le cas. Il en est de même des dispositions légales relatives à la cession de créances, de dettes et de contrats. »

Aussi, dans l’hypothèse où le patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel comprendrait des immeubles, son transfert supposerait l’accomplissement de formalités auprès des services de la publicité foncière, conformément à l’article 28 du décret n°55-22 du 4 janvier 1955 portant réforme de la publicité foncière.

2. Le droit d’opposition des tiers à la transmission universelle de patrimoine

==> L’octroi d’un droit d’opposition

L’article L. 526-28, al. 1er du Code de commerce prévoit que « les créanciers de l’entrepreneur individuel dont la créance est née avant la publicité du transfert de propriété peuvent former opposition au transfert du patrimoine professionnel »

Le législateur a ainsi octroyé la faculté aux créanciers qui s’estimeraient lésés par la transmission du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel de réagir.

Si comme précisé par l’alinéa 2 du texte, l’opposition formée par un créancier n’a pas pour effet d’interdire le transfert du patrimoine professionnel, elle vise en revanche pour le créancier à obtenir auprès d’un juge le remboursement de sa créance ou la constitution de garanties, si le cessionnaire, le donataire ou le bénéficiaire en offre et si elles sont jugées suffisantes.

==> La titularité du droit d’opposition

En application de l’article L. 526-28, al. 1er du Code de commerce, le droit d’opposition ne peut être exercé que par les seuls créanciers « dont la créance est née avant la publicité du transfert de propriété ».

S’agissant des créanciers dont les droits sont nés postérieurement au transfert, ils ne disposent d’aucun droit de gage sur l’entrepreneur individuel qui a cédé son patrimoine professionnel, raison pour laquelle ils ne peuvent pas former opposition.

S’agissant des créanciers antérieurs, le texte n’opère aucune distinction entre eux, de sorte que le droit d’opposition devrait pouvoir être exercé, tant pour les créanciers professionnels, que par les créanciers personnels de l’entrepreneur.

Comme souligné par certains auteurs, l’ouverture d’un droit d’opposition aux créanciers personnels ne se justifie en aucune manière, dans la mesure où la transmission du patrimoine professionnel de l’entrepreneur est sans incidence sur leur droit de gage qui demeure cantonné au patrimoine personnel.

Tout au plus, ils perdent la faculté, en cas d’insuffisance d’actif dans le patrimoine personnel, d’appréhender le montant du bénéfice réalisé lors du dernier exercice clos de l’activité professionnelle de l’entrepreneur individuel (art. L. 526-22, al. 6e C. com.).

La situation des créanciers professionnels est, au contraire, tout à fait différente. L’opération de transfert affecte directement leur droit de gage en ce qu’ils subissent un changement de débiteur.

À supposer que leur nouveau débiteur ne soit pas solvable ou se trouve en difficulté financière, ils auront tout intérêt à réclamer auprès de l’entrepreneur individuel, soit le règlement immédiat de leur créance, soit à la constitution de sûretés.

==> L’exercice du droit d’opposition

  • Le délai d’exercice du droit d’opposition
    • Les créanciers dont la créance est née avant la publicité du transfert de propriété doivent exercer leur droit d’opposition dans le mois suivant la publication ( D. 526-30 C. com.)
  • Les modalités d’exercice du droit d’opposition
    • L’exercice du droit d’opposition requiert la saisine du Tribunal compétent qui, selon la nature de l’activité exercée par l’entrepreneur individuel, sera tantôt le Tribunal judiciaire, tantôt le Tribunal de commerce
  • L’issue de la procédure d’opposition
    • La décision de justice statuant sur l’opposition
      • Soit rejette la demande du créancier
      • Soit ordonne le remboursement des créances ou la constitution de garanties, si le cessionnaire, le donataire ou le bénéficiaire en offre et si elles sont jugées suffisantes
    • L’article L. 526-28, al. 4e précise que lorsque la décision de justice ordonne le remboursement des créances, l’entrepreneur individuel auteur du transfert est tenu de remplir son engagement.
    • Autrement dit, dans cette hypothèse, les droits des créanciers antérieurs dont l’opposition est admise sont préservés par le fait que le transfert du patrimoine professionnel leur est inopposable en cas de défaut de remboursement des créances ou de constitution des garanties ordonnées par le juge.

§3 : L’insaisissabilité de la résidence principale et des biens immobiliers non affectés à l’usage professionnel

I) Principe de l’insaisissabilité

Autre entorse faite par le législateur au principe d’unicité du patrimoine : l’adoption de textes qui visent à rendre insaisissable de la résidence principale et plus généralement les biens immobiliers détenus par l’entrepreneur individuel.

Les biens couverts par cette insaisissabilité sont, en effet, exclus du gage général des créanciers, ce qui revient à créer une masse de biens protégée au sein même du patrimoine de l’entrepreneur individuel.

Cette protection patrimoniale dont jouit ce dernier a été organisée par une succession de lois qui, au fil des réformes, ont non seulement assoupli les conditions de l’insaisissabilité de la résidence principale, mais encore ont étendu son assiette aux autres biens immobiliers non affectés à l’activité professionnelle.

  • Première étape : la loi n° 2003-271 du 1er août 2003 sur l’initiative économique avait permis à l’entrepreneur individuel de rendre insaisissables les droits qu’il détient sur l’immeuble lui servant de résidence principale.
  • Deuxième étape: la loi n° 2008-776 du 4 août 2008, dite loi de modernisation de l’économie (LME) a étendu le bénéfice de l’insaisissabilité aux droits détenus par l’entrepreneur individuel sur tout bien foncier bâti ou non bâti non affecté à un usage professionnel.
  • Troisième étape: la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière a limité les effets de la déclaration d’insaisissabilité en prévoyant que celle-ci n’est pas opposable à l’administration fiscale lorsqu’elle relève, à l’encontre du déclarant, soit des manœuvres frauduleuses, soit l’inobservation grave et répétée de ses obligations fiscales au sens de l’article 1729 du code général des impôts.
  • Quatrième étape: la loi n°2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques a rendu, de plein droit, insaisissable la résidence principale de l’entrepreneur individuel

Ainsi, cette dernière loi a-t-elle renforcé la protection de ce dernier qui n’est plus obligé d’accomplir une déclaration pour bénéficier du dispositif d’insaisissabilité.

Reste que cette insaisissabilité, de droit, ne vaut que pour la résidence principale. S’agissant, en effet, des autres biens immobiliers détenus par l’entrepreneur et non affectés à son activité professionnelle, leur insaisissabilité est subordonnée à l’accomplissement d’un acte de déclaration.

II) Domaine

En application de l’article L. 526-1 du Code de commerce le dispositif ne bénéficie qu’aux seuls entrepreneurs immatriculés à un registre de publicité légale à caractère professionnel ou exerçant une activité professionnelle agricole ou indépendante.

Il convient ainsi d’opérer une distinction entre les entrepreneurs individuels pour lesquels le texte exige qu’ils soient immatriculés et ceux qui ne sont pas assujettis à cette obligation

  • Les entrepreneurs assujettis à l’obligation d’immatriculation
    • Les commerçants doivent s’immatriculer au Registre du commerce et des sociétés
    • Les artisans doivent s’immatriculer au Répertoire des métiers
    • Les agents commerciaux doivent s’immatriculer au registre national des agents commerciaux s’il est commercial.
    • Concomitamment à cette immatriculation, l’article L. 526-4 du Code de commerce prévoit que « lors de sa demande d’immatriculation à un registre de publicité légale à caractère professionnel, la personne physique mariée sous un régime de communauté légale ou conventionnelle doit justifier que son conjoint a été informé des conséquences sur les biens communs des dettes contractées dans l’exercice de sa profession. »
  • Les entrepreneurs non assujettis à l’obligation d’immatriculation
    • Les agriculteurs n’ont pas l’obligation de s’immatriculer au registre de l’agriculture pour bénéficier du dispositif d’insaisissabilité
    • Il en va de même pour les professionnels exerçant à titre indépendant, telles que les professions libérales (avocats, architectes, médecins etc.)

Au total, le dispositif d’insaisissabilité bénéficie aux entrepreneurs individuels, au régime réel comme au régime des microentreprises, aux entrepreneurs individuels à responsabilité limitée propriétaires de biens immobiliers exerçant une activité commerciale, artisanale, libérale ou agricole, ainsi qu’aux entrepreneurs au régime de la microentreprise et aux entrepreneurs individuels à responsabilité limitée (EIRL).

III) Régime

Désormais, le régime de l’insaisissabilité des biens immobiliers détenus par l’entrepreneur individuel diffère, selon qu’il s’agit de sa résidence principale ou de ses autres biens immobiliers.

==> L’insaisissabilité de la résidence principale

L’article L. 526-1, al. 1er du Code de commerce dispose désormais en ce sens que « les droits d’une personne physique immatriculée à un registre de publicité légale à caractère professionnel ou exerçant une activité professionnelle agricole ou indépendante sur l’immeuble où est fixée sa résidence principale sont de droit insaisissables par les créanciers dont les droits naissent à l’occasion de l’activité professionnelle de la personne ».

Il ressort de cette disposition que l’insaisissabilité de la résidence principale est de droit, de sorte qu’elle n’est pas subordonnée à l’accomplissement d’une déclaration.

Le texte précise que lorsque la résidence principale est utilisée en partie pour un usage professionnel, la partie non utilisée pour un usage professionnel est de droit insaisissable, sans qu’un état descriptif de division soit nécessaire.

==> L’insaisissabilité des biens immobiliers autres que la résidence principale

L’article L. 526-1, al. 2e du Code de commerce prévoit que « une personne physique immatriculée à un registre de publicité légale à caractère professionnel ou exerçant une activité professionnelle agricole ou indépendante peut déclarer insaisissables ses droits sur tout bien foncier, bâti ou non bâti, qu’elle n’a pas affecté à son usage professionnel. »

Ainsi, si les biens immobiliers autres que la résidence principale peuvent bénéficier du dispositif de l’insaisissabilité, c’est à la double condition que l’entrepreneur individuel accomplisse, outre les formalités d’immatriculation le cas échéant requises, qu’il accomplisse une déclaration d’insaisissabilité et qu’il procède aux formalités de publication.

  • Sur l’établissement de la déclaration d’insaisissabilité
    • L’article L. 526-2 du Code de commerce précise qu’elle doit être reçue par notaire sous peine de nullité.
    • C’est donc par acte notarié que la déclaration d’insaisissabilité doit être établie
    • En outre, elle doit contenir la description détaillée des biens et l’indication de leur caractère propre, commun ou indivis.
    • Par ailleurs, l’article L. 526-1 du Code de commerce prévoit que lorsque le bien foncier n’est pas utilisé en totalité pour un usage professionnel, la partie non affectée à un usage professionnel ne peut faire l’objet de la déclaration qu’à la condition d’être désignée dans un état descriptif de division.
  • Sur la publicité de la déclaration d’insaisissabilité
    • Une fois établie, la déclaration d’insaisissabilité doit faire l’objet de deux formalités de publicité
      • En premier lieu, elle doit être publiée au fichier immobilier ou, dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, au livre foncier, de sa situation.
      • En second lieu, elle doit :
        • Soit, lorsque la personne est immatriculée dans un registre de publicité légale à caractère professionnel, y être mentionnée.
        • Soit, lorsque la personne n’est pas tenue de s’immatriculer dans un registre de publicité légale, être publié sous la forme d’extrait dans un support habilité à recevoir des annonces légales dans le département dans lequel est exercée l’activité professionnelle pour que cette personne puisse se prévaloir du bénéfice de l’insaisissabilité.

Enfin, il convient d’observer que la déclaration d’insaisissabilité ne peut porter que sur les biens immobiliers non affectés à l’usage professionnel.

Aussi, elle se distingue de la déclaration d’affection du patrimoine du régime de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée, laquelle porte obligatoirement sur les biens, droits, obligations ou sûretés nécessaires à l’exercice de l’activité professionnelle et facultativement sur les biens, droits, obligations ou sûretés utilisés dans ce cadre (cette dernière, permet d’exclure du patrimoine professionnel tous les biens mobiliers et les droits qui ne peuvent être protégés par la déclaration d’insaisissabilité).

Il en résulte que, l’entrepreneur d’une EIRL peut limiter l’étendue de la responsabilité en constituant un patrimoine d’affectation, destiné à l’activité professionnelle, sans constituer de société, étant précisé que les deux déclarations peuvent être cumulées.

IV) Effets

S’agissant de la résidence principale de l’entrepreneur individuel, l’article L. 526-1 du Code de commerce prévoit que l’insaisissabilité, qui est ici de droit, ne produit ses effets qu’à l’encontre des créanciers dont les droits naissent à l’occasion de l’activité professionnelle de la personne.

Dès lors que la dette est contractée dans le cadre de l’activité professionnelle de l’entrepreneur individuel, il bénéficie du dispositif d’insaisissabilité de sa résidence principale. La date de la créance est ici indifférente.

S’agissant des biens immobiliers autres que la résidence principale, l’article L. 526-1 du Code de commerce prévoit que la déclaration d’insaisissabilité n’a d’effet qu’à l’égard des créanciers dont les droits naissent, après sa publication, à l’occasion de l’activité professionnelle du déclarant.

Il en résulte que les dettes à caractère professionnel contractées antérieurement à la publication de la déclaration d’insaisissabilité, elles demeurent exécutoires sur l’ensemble des biens immobiliers détenus par l’entrepreneur individuel, y compris sur sa résidence principale.

En toute hypothèse, seules les dettes contractées dans le cadre d’une activité professionnelle autorisent l’entrepreneur individuel à se prévaloir de l’insaisissabilité de ses biens immobiliers.

En outre, en application de l’article L. 526-1, al. 3 du Code de commerce, l’insaisissabilité n’est jamais opposable à l’administration fiscale lorsque celle-ci relève, à l’encontre de la personne, soit des manœuvres frauduleuses, soit l’inobservation grave et répétée de ses obligations fiscales.

Par ailleurs, les effets de l’insaisissabilité et ceux de la déclaration subsistent après la dissolution du régime matrimonial lorsque l’entrepreneur est attributaire du bien. Ils subsistent également en cas de décès jusqu’à la liquidation de la succession.

Enfin, en cas de cession des droits immobiliers sur la résidence principale, le prix obtenu demeure insaisissable, sous la condition du remploi dans le délai d’un an des sommes à l’acquisition par l’entrepreneur individuel d’un immeuble où est fixée sa résidence principale.

V) La renonciation

À l’analyse le dispositif d’insaisissabilité mis en place par le législateur peut avoir un impact sur l’accès au crédit, dans la mesure où la résidence principale ne fait plus d’emblée partie du gage de l’ensemble des créanciers.

C’est la raison pour laquelle le législateur a prévu que l’entrepreneur individuel puisse, afin de ne pas limiter ses capacités de financement, d’y renoncer.

==> Principe

L’article L. 526-3 du Code de commerce prévoit que « l’insaisissabilité des droits sur la résidence principale et la déclaration d’insaisissabilité portant sur tout bien foncier, bâti ou non bâti, non affecté à l’usage professionnel peuvent, à tout moment, faire l’objet d’une renonciation soumise aux conditions de validité et d’opposabilité prévues à l’article L. 526-2 ».

Il ressort de cette disposition que l’insaisissabilité qui protège les biens immobiliers de l’entrepreneur individuel peut, sur sa décision, être levée à la faveur de créanciers avec lesquels il aurait contracté dans le cadre de son activité professionnelle.

Cette faculté de renonciation dont jouit l’entrepreneur individuel peut porter sur tout ou partie des biens.

Elle peut également être faite au bénéfice d’un ou de plusieurs créanciers désignés par l’acte authentique de renonciation.

Afin d’obtenir un prêt, il est donc possible à l’entrepreneur individuel de renoncer au profit d’une banque à l’insaisissabilité de sa résidence principale.

==> Conditions

Tout d’abord, la renonciation au dispositif d’insaisissabilité doit être effectuée au moyen d’un acte notarié à l’instar de la déclaration d’insaisissabilité.

Ensuite, l’article R. 526-2 du Code de commerce prévoir que cette renonciation doit dans un délai d’un mois, faire l’objet d’une demande d’inscription modificative au registre du commerce et des sociétés.

Enfin, lorsque le bénéficiaire de cette renonciation cède sa créance, le cessionnaire peut se prévaloir de celle-ci.

==> Révocation

La renonciation peut néanmoins, à tout moment, être révoquée dans les mêmes conditions de validité et d’opposabilité que celles prévues pour la déclaration d’insaisissabilité.

Il s’agit là d’une faculté qui peut être exercée discrétionnairement par l’entrepreneur individuel, sans que les créanciers puissent former opposition.

Cette révocation n’aura toutefois d’effet qu’à l’égard des créanciers dont les droits sont nés postérieurement à sa publication.

[1] V. en ce sens N. Jullian, « La transmission du patrimoine de l’entrepreneur, de nouvelles opérations au service des entrepreneurs individuels », JCP E, n°13, mars 2022, 1137.

Protection de l’entrepreneur individuel: l’insaisissabilité de la résidence principale

I) Principe de l’insaisissabilité

Autre entorse faite par le législateur au principe d’unicité du patrimoine : l’adoption de textes qui visent à rendre insaisissable de la résidence principale et plus généralement les biens immobiliers détenus par l’entrepreneur individuel.

Les biens couverts par cette insaisissabilité sont, en effet, exclus du gage général des créanciers, ce qui revient à créer une masse de biens protégée au sein même du patrimoine de l’entrepreneur individuel.

Cette protection patrimoniale dont jouit ce dernier a été organisée par une succession de lois qui, au fil des réformes, ont non seulement assoupli les conditions de l’insaisissabilité de la résidence principale, mais encore ont étendu son assiette aux autres biens immobiliers non affectés à l’activité professionnelle.

  • Première étape : la loi n° 2003-271 du 1er août 2003 sur l’initiative économique avait permis à l’entrepreneur individuel de rendre insaisissables les droits qu’il détient sur l’immeuble lui servant de résidence principale.
  • Deuxième étape: la loi n° 2008-776 du 4 août 2008, dite loi de modernisation de l’économie (LME) a étendu le bénéfice de l’insaisissabilité aux droits détenus par l’entrepreneur individuel sur tout bien foncier bâti ou non bâti non affecté à un usage professionnel.
  • Troisième étape: la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière a limité les effets de la déclaration d’insaisissabilité en prévoyant que celle-ci n’est pas opposable à l’administration fiscale lorsqu’elle relève, à l’encontre du déclarant, soit des manœuvres frauduleuses, soit l’inobservation grave et répétée de ses obligations fiscales au sens de l’article 1729 du code général des impôts.
  • Quatrième étape: la loi n°2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques a rendu, de plein droit, insaisissable la résidence principale de l’entrepreneur individuel

Ainsi, cette dernière loi a-t-elle renforcé la protection de ce dernier qui n’est plus obligé d’accomplir une déclaration pour bénéficier du dispositif d’insaisissabilité.

Reste que cette insaisissabilité, de droit, ne vaut que pour la résidence principale. S’agissant, en effet, des autres biens immobiliers détenus par l’entrepreneur et non affectés à son activité professionnelle, leur insaisissabilité est subordonnée à l’accomplissement d’un acte de déclaration.

II) Domaine

En application de l’article L. 526-1 du Code de commerce le dispositif ne bénéficie qu’aux seuls entrepreneurs immatriculés à un registre de publicité légale à caractère professionnel ou exerçant une activité professionnelle agricole ou indépendante.

Il convient ainsi d’opérer une distinction entre les entrepreneurs individuels pour lesquels le texte exige qu’ils soient immatriculés et ceux qui ne sont pas assujettis à cette obligation

  • Les entrepreneurs assujettis à l’obligation d’immatriculation
    • Les commerçants doivent s’immatriculer au Registre du commerce et des sociétés
    • Les artisans doivent s’immatriculer au Répertoire des métiers
    • Les agents commerciaux doivent s’immatriculer au registre national des agents commerciaux s’il est commercial.
    • Concomitamment à cette immatriculation, l’article L. 526-4 du Code de commerce prévoit que « lors de sa demande d’immatriculation à un registre de publicité légale à caractère professionnel, la personne physique mariée sous un régime de communauté légale ou conventionnelle doit justifier que son conjoint a été informé des conséquences sur les biens communs des dettes contractées dans l’exercice de sa profession. »
  • Les entrepreneurs non assujettis à l’obligation d’immatriculation
    • Les agriculteurs n’ont pas l’obligation de s’immatriculer au registre de l’agriculture pour bénéficier du dispositif d’insaisissabilité
    • Il en va de même pour les professionnels exerçant à titre indépendant, telles que les professions libérales (avocats, architectes, médecins etc.)

Au total, le dispositif d’insaisissabilité bénéficie aux entrepreneurs individuels, au régime réel comme au régime des microentreprises, aux entrepreneurs individuels à responsabilité limitée propriétaires de biens immobiliers exerçant une activité commerciale, artisanale, libérale ou agricole, ainsi qu’aux entrepreneurs au régime de la microentreprise et aux entrepreneurs individuels à responsabilité limitée (EIRL).

III) Régime

Désormais, le régime de l’insaisissabilité des biens immobiliers détenus par l’entrepreneur individuel diffère, selon qu’il s’agit de sa résidence principale ou de ses autres biens immobiliers.

==> L’insaisissabilité de la résidence principale

L’article L. 526-1, al. 1er du Code de commerce dispose désormais en ce sens que « les droits d’une personne physique immatriculée à un registre de publicité légale à caractère professionnel ou exerçant une activité professionnelle agricole ou indépendante sur l’immeuble où est fixée sa résidence principale sont de droit insaisissables par les créanciers dont les droits naissent à l’occasion de l’activité professionnelle de la personne ».

Il ressort de cette disposition que l’insaisissabilité de la résidence principale est de droit, de sorte qu’elle n’est pas subordonnée à l’accomplissement d’une déclaration.

Le texte précise que lorsque la résidence principale est utilisée en partie pour un usage professionnel, la partie non utilisée pour un usage professionnel est de droit insaisissable, sans qu’un état descriptif de division soit nécessaire.

==> L’insaisissabilité des biens immobiliers autres que la résidence principale

L’article L. 526-1, al. 2e du Code de commerce prévoit que « une personne physique immatriculée à un registre de publicité légale à caractère professionnel ou exerçant une activité professionnelle agricole ou indépendante peut déclarer insaisissables ses droits sur tout bien foncier, bâti ou non bâti, qu’elle n’a pas affecté à son usage professionnel. »

Ainsi, si les biens immobiliers autres que la résidence principale peuvent bénéficier du dispositif de l’insaisissabilité, c’est à la double condition que l’entrepreneur individuel accomplisse, outre les formalités d’immatriculation le cas échéant requises, qu’il accomplisse une déclaration d’insaisissabilité et qu’il procède aux formalités de publication.

  • Sur l’établissement de la déclaration d’insaisissabilité
    • L’article L. 526-2 du Code de commerce précise qu’elle doit être reçue par notaire sous peine de nullité.
    • C’est donc par acte notarié que la déclaration d’insaisissabilité doit être établie
    • En outre, elle doit contenir la description détaillée des biens et l’indication de leur caractère propre, commun ou indivis.
    • Par ailleurs, l’article L. 526-1 du Code de commerce prévoit que lorsque le bien foncier n’est pas utilisé en totalité pour un usage professionnel, la partie non affectée à un usage professionnel ne peut faire l’objet de la déclaration qu’à la condition d’être désignée dans un état descriptif de division.
  • Sur la publicité de la déclaration d’insaisissabilité
    • Une fois établie, la déclaration d’insaisissabilité doit faire l’objet de deux formalités de publicité
      • En premier lieu, elle doit être publiée au fichier immobilier ou, dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, au livre foncier, de sa situation.
      • En second lieu, elle doit :
        • Soit, lorsque la personne est immatriculée dans un registre de publicité légale à caractère professionnel, y être mentionnée.
        • Soit, lorsque la personne n’est pas tenue de s’immatriculer dans un registre de publicité légale, être publié sous la forme d’extrait dans un support habilité à recevoir des annonces légales dans le département dans lequel est exercée l’activité professionnelle pour que cette personne puisse se prévaloir du bénéfice de l’insaisissabilité.

Enfin, il convient d’observer que la déclaration d’insaisissabilité ne peut porter que sur les biens immobiliers non affectés à l’usage professionnel.

Aussi, elle se distingue de la déclaration d’affection du patrimoine du régime de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée, laquelle porte obligatoirement sur les biens, droits, obligations ou sûretés nécessaires à l’exercice de l’activité professionnelle et facultativement sur les biens, droits, obligations ou sûretés utilisés dans ce cadre (cette dernière, permet d’exclure du patrimoine professionnel tous les biens mobiliers et les droits qui ne peuvent être protégés par la déclaration d’insaisissabilité).

Il en résulte que, l’entrepreneur d’une EIRL peut limiter l’étendue de la responsabilité en constituant un patrimoine d’affectation, destiné à l’activité professionnelle, sans constituer de société, étant précisé que les deux déclarations peuvent être cumulées.

IV) Effets

S’agissant de la résidence principale de l’entrepreneur individuel, l’article L. 526-1 du Code de commerce prévoit que l’insaisissabilité, qui est ici de droit, ne produit ses effets qu’à l’encontre des créanciers dont les droits naissent à l’occasion de l’activité professionnelle de la personne.

Dès lors que la dette est contractée dans le cadre de l’activité professionnelle de l’entrepreneur individuel, il bénéficie du dispositif d’insaisissabilité de sa résidence principale. La date de la créance est ici indifférente.

S’agissant des biens immobiliers autres que la résidence principale, l’article L. 526-1 du Code de commerce prévoit que la déclaration d’insaisissabilité n’a d’effet qu’à l’égard des créanciers dont les droits naissent, après sa publication, à l’occasion de l’activité professionnelle du déclarant.

Il en résulte que les dettes à caractère professionnel contractées antérieurement à la publication de la déclaration d’insaisissabilité, elles demeurent exécutoires sur l’ensemble des biens immobiliers détenus par l’entrepreneur individuel, y compris sur sa résidence principale.

En toute hypothèse, seules les dettes contractées dans le cadre d’une activité professionnelle autorisent l’entrepreneur individuel à se prévaloir de l’insaisissabilité de ses biens immobiliers.

En outre, en application de l’article L. 526-1, al. 3 du Code de commerce, l’insaisissabilité n’est jamais opposable à l’administration fiscale lorsque celle-ci relève, à l’encontre de la personne, soit des manœuvres frauduleuses, soit l’inobservation grave et répétée de ses obligations fiscales.

Par ailleurs, les effets de l’insaisissabilité et ceux de la déclaration subsistent après la dissolution du régime matrimonial lorsque l’entrepreneur est attributaire du bien. Ils subsistent également en cas de décès jusqu’à la liquidation de la succession.

Enfin, en cas de cession des droits immobiliers sur la résidence principale, le prix obtenu demeure insaisissable, sous la condition du remploi dans le délai d’un an des sommes à l’acquisition par l’entrepreneur individuel d’un immeuble où est fixée sa résidence principale.

V) La renonciation

À l’analyse le dispositif d’insaisissabilité mis en place par le législateur peut avoir un impact sur l’accès au crédit, dans la mesure où la résidence principale ne fait plus d’emblée partie du gage de l’ensemble des créanciers.

C’est la raison pour laquelle le législateur a prévu que l’entrepreneur individuel puisse, afin de ne pas limiter ses capacités de financement, d’y renoncer.

==> Principe

L’article L. 526-3 du Code de commerce prévoit que « l’insaisissabilité des droits sur la résidence principale et la déclaration d’insaisissabilité portant sur tout bien foncier, bâti ou non bâti, non affecté à l’usage professionnel peuvent, à tout moment, faire l’objet d’une renonciation soumise aux conditions de validité et d’opposabilité prévues à l’article L. 526-2 ».

Il ressort de cette disposition que l’insaisissabilité qui protège les biens immobiliers de l’entrepreneur individuel peut, sur sa décision, être levée à la faveur de créanciers avec lesquels il aurait contracté dans le cadre de son activité professionnelle.

Cette faculté de renonciation dont jouit l’entrepreneur individuel peut porter sur tout ou partie des biens.

Elle peut également être faite au bénéfice d’un ou de plusieurs créanciers désignés par l’acte authentique de renonciation.

Afin d’obtenir un prêt, il est donc possible à l’entrepreneur individuel de renoncer au profit d’une banque à l’insaisissabilité de sa résidence principale.

==> Conditions

Tout d’abord, la renonciation au dispositif d’insaisissabilité doit être effectuée au moyen d’un acte notarié à l’instar de la déclaration d’insaisissabilité.

Ensuite, l’article R. 526-2 du Code de commerce prévoir que cette renonciation doit dans un délai d’un mois, faire l’objet d’une demande d’inscription modificative au registre du commerce et des sociétés.

Enfin, lorsque le bénéficiaire de cette renonciation cède sa créance, le cessionnaire peut se prévaloir de celle-ci.

==> Révocation

La renonciation peut néanmoins, à tout moment, être révoquée dans les mêmes conditions de validité et d’opposabilité que celles prévues pour la déclaration d’insaisissabilité.

Il s’agit là d’une faculté qui peut être exercée discrétionnairement par l’entrepreneur individuel, sans que les créanciers puissent former opposition.

Cette révocation n’aura toutefois d’effet qu’à l’égard des créanciers dont les droits sont nés postérieurement à sa publication.

La transmission universelle du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel: régime

==> Généralités

La loi n° 2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante a fortement innové en prévoyant la possibilité pour l’entrepreneur individuel de procéder à une transmission universelle entre vifs de son patrimoine professionnel.

Le transfert universel du patrimoine professionnel peut être défini comme la cession, à titre universel et indivisible, de l’ensemble des biens, droits et obligations compris dans ce patrimoine. Elle peut être consentie à titre onéreux ou gratuit. La cession des biens et droits à une société peut également revêtir la forme d’un apport en société.

L’objectif recherché par le législateur est de faciliter la transmission d’une entreprise individuelle (par vente ou donation) ou de faciliter sa transformation en société, tout en préservant les droits des créanciers.

À cet égard, comme souligné par l’étude d’impact réalisé au stade du projet de loi, le dispositif envisagé vise à « créer un continuum permettant d’assurer la fluidité du passage d’une activité amorcée en entreprise individuelle vers l’exploitation en société pour en poursuivre le développement et la croissance ».

Le dispositif instauré par le législateur permet a priori à l’entrepreneur individuel de bénéficier d’un régime de faveur quant aux modalités de la transmission des biens et obligations composant son patrimoine qui, s’ils étaient transmis à titre particulier, seraient soumis à des règles hétérogènes et, pour certaines, contraignantes (donation, cession de créances, vente immobilière etc.).

Le dispositif de transmission universelle de patrimoine présente l’avantage de pouvoir être mise en œuvre par l’effet d’un seul acte soumis aux seules conditions attachées aux modalités de transmission propres à l’universalité[1].

I) Le principe de transmission universelle entre vifs du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel

L’article L. 526-27 du Code de commerce prévoit que « l’entrepreneur individuel peut céder à titre onéreux, transmettre à titre gratuit entre vifs ou apporter en société l’intégralité de son patrimoine professionnel, sans procéder à la liquidation de celui-ci. »

Cette disposition reconnaît donc à l’entrepreneur la faculté de céder ou de donner l’intégralité de son patrimoine et de préciser que cette transmission s’opère sans qu’il y ait lieu de procéder à une liquidation.

Cela signifie qu’il n’est pas besoin pour l’entrepreneur individuel de se libérer de ses obligations pour transmettre son patrimoine.

Elles sont transmises, sans novation, ni extinction, au bénéficiaire de la transmission, lequel se substitue à l’entrepreneur individuel dans ses rapports d’obligations.

Cette faculté de transmission universelle octroyée à l’entrepreneur individuel constitue une véritable nouveauté en ce qu’elle déroge au principe général interdisant à une personne physique de transmettre, de son vivant, son patrimoine.

Cette interdiction s’explique par le fait que « le patrimoine est la représentation pécuniaire de la personne ».

Autrement dit, si le patrimoine exprime la situation financière de son titulaire, il traduit surtout son aptitude à être titulaires de droits et d’obligations. Or cette aptitude perdure aussi longtemps que la personne est en vie.

Cette caractéristique du patrimoine emporte notamment comme conséquence son incessibilité du vivant de la personne physique.

Si rien n’empêche le titulaire – personne physique – d’un patrimoine à céder tous ses biens et/ou toutes ses dettes, il ne peut, en revanche, céder son aptitude à acquérir de nouveaux droits et contracter de nouvelles dettes.

C’est la raison pour laquelle le patrimoine d’une personne physique est incessible entre vifs. Il ne peut être transmis qu’à cause de mort.

Tel était du moins l’état du droit positif avant l’entrée en vigueur de la loi n° 2022-172 du 14 février 2022 qui a instauré un dispositif permettant à un entrepreneur individuel de transmettre un ensemble d’actifs et de passifs afférents à son activité professionnelle.

Il peut être observé que contrairement à la cession d’un fonds de commerce, qui ne porte que sur un actif composé de divers biens et droits, le transfert de patrimoine professionnel peut aussi porter sur des dettes professionnelles.

De ce point de vue, le transfert d’un patrimoine professionnel ressemble très étroitement, dans son principe, à la succession d’une personne physique.

En effet, le patrimoine transmis s’analyse ici comme une universalité de droit, soit comme un ensemble constitué d’un actif et d’un passif.

Pour cette raison, la transmission universelle de patrimoine ne s’envisage que si elle vise à céder l’intégralité de l’actif et du passif de l’entrepreneur individuel présentant un caractère professionnel.

À cet égard, l’article L. 526-27 du Code de commerce précise que cette transmission s’opère sans qu’il y ait lieu de procéder à une liquidation.

Cela signifie qu’il n’est pas besoin pour l’entrepreneur individuel de se libérer de ses obligations pour céder son patrimoine.

Elles sont transmises, sans novation, ni extinction, au bénéficiaire de la transmission, lequel se substitue à l’entrepreneur individuel dans ses rapports d’obligations.

II) Le régime de la transmission universelle entre vifs du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel

A) Les modalités de transmission

L’article L. 526-27, al. 2e du Code de commerce prévoit que le transfert universel du patrimoine professionnel peut s’opérer selon trois modalités différentes :

  • La cession à titre onéreux
  • La donation
  • L’apport en société

B) Règles applicables

Si le régime de la transmission universelle de patrimoine est, pour une large part, emprunté à celui applicable en cas de fusion de sociétés ou de réunion des parts en une seule main, il s’en distingue néanmoins en raison de la différence de situation.

En effet, à la différence de la transmission universelle du patrimoine d’une société dissoute, celle d’un patrimoine professionnel n’emporte pas disparition de la personne de l’entrepreneur individuel.

Pour cette raison, le législateur a été contraint d’opérer un certain nombre d’adaptations, à telle enseigne que certaines règles interrogent sur le caractère réellement universel de la transmission de patrimoine telle qu’envisagée pour l’entrepreneur individuel

==> Des règles propres à la transmission universelle

L’un des principaux intérêts de la transmission universelle réside pour son auteur dans la possibilité de soumettre le transfert de son patrimoine à un régime juridique unique.

Si, en effet, il avait transmis à titre particulier les éléments de ce patrimoine, chaque opération, prise individuellement, aurait été soumise à un régime juridique spécifique.

C’est d’ailleurs ce que rappelle en substance l’article L. 526-27, al. 1er du Code de commerce en prévoyant que « le transfert non intégral d’éléments de ce patrimoine demeure soumis aux conditions légales applicables à la nature dudit transfert et, le cas échéant, à celle du ou des éléments transférés. »

Ce n’est donc que si le transfert porte sur l’intégralité du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel que les règles propres à la transmission universelles peuvent jouer.

À cet égard, selon les modalités choisies par l’entrepreneur individuel pour transmettre son patrimoine, la transmission universelle obéira à des règles différentes.

La transmission universelle à titre onéreux devrait ainsi être soumise au régime de la vente, tandis que la transmission universelle à titre gratuit devrait être soumise au régime des donations.

Quant à la transmission du patrimoine au profit d’une société, elle devrait être régie par les règles de l’apport.

Afin que la transmission universelle du patrimoine de l’entrepreneur individuel puisse s’opérer efficacement et pour faciliter sa mise en œuvre, le législateur a écarté le jeu de plusieurs règles susceptibles d’interférer avec le transfert.

L’article L. 526-29 du Code de commerce prévoit ainsi que ne sont pas applicables au transfert universel du patrimoine professionnel d’un entrepreneur individuel, toute clause contraire étant réputée non écrite :

  • L’article 815-14 du Code civil
    • Cette disposition régit le droit de préemption dont sont titulaires les coïndivisaires d’un bien en cas de cession d’une quote-part indivise par un indivisaire à un tiers.
  • L’article 1699 du Code civil
    • Cette disposition régit la cession d’un droit litigieux
  • Les articles L. 141-12 à L. 141-22 du Code de commerce
    • Ces dispositions régissent le privilège du vendeur de fonds de commerce

Aussi, dans l’hypothèse où le patrimoine de l’entrepreneur individuel comprendrait un bien indivis ou un fonds de commerce, la transmission de ce patrimoine ne pourra ainsi pas se heurter à l’exercice du droit de préemption d’un coindivisaire ou à la mise en œuvre du privilège du vendeur.

La transmission universelle s’opèrera nonobstant ces dispositifs qui, en cas de transfert à titre particulier, feraient obstacle à la réalisation de l’opération.

==> La résurgence de règles de droit commun

Bien que le dispositif de transmission universelle d’un patrimoine présente la particularité d’être soumis à un seul et même régime juridique, l’article L. 526-27, al. 3e du Code de commerce assortit ce principe d’une exception.

Cette disposition prévoit, en effet, que « sous réserve de la présente section, les dispositions légales relatives à la vente, à la donation ou à l’apport en société de biens de toute nature sont applicables, selon le cas. Il en est de même des dispositions légales relatives à la cession de créances, de dettes et de contrats. »

Une lecture du texte suggère que, nonobstant la transmission universelle, les règles propres au transfert de chaque bien et de chaque obligation logés dans le patrimoine transmis demeureraient applicables.

La règle ainsi posée est pour le moins énigmatique dans la mesure où son application littérale conduirait à ruiner le principe même de la transmission universelle qui devrait précisément avoir pour effet de neutraliser le jeu des règles applicables à chaque opération prise individuellement.

En l’absence de dispositions qui précisent l’intention du législateur, la question de l’articulation entre les règles propres à la transmission universelle et celles propres au transfert de chaque élément du patrimoine est ouverte.

C) Les conditions de transmission

Selon les modalités choisies par l’entrepreneur individuel pour transmettre son patrimoine, les conditions applicables diffèrent.

Certaines conditions s’appliquent, en revanche, quelle que soit la modalité de transmission retenue

1. Conditions communes

La transmission universelle du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel est subordonnée à la réunion de deux conditions générales :

  • Première condition
    • L’article L. 526-30 du Code de commerce prévoit que « le transfert doit porter sur l’intégralité du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel, qui ne peut être scindé»
    • Aussi, quand bien même l’entrepreneur individuel exercerait plusieurs activités professionnelles, interdiction lui est faite de « scinder » son patrimoine en plusieurs parties.
    • La transmission ne pourra porter que sur la globalité de son patrimoine.
    • Il s’agit ici d’éviter qu’une scission du patrimoine préjudicie à certains créanciers.
    • Le non-respect de cette condition est sanctionné par la nullité de la transmission du patrimoine.
  • Seconde condition
    • L’article L. 526-27, al. 4e du Code de commerce prévoit que la transmission universelle du patrimoine n’est pas permise si l’entrepreneur individuel s’est « obligé contractuellement à ne pas céder un élément de son patrimoine professionnel ou à ne pas transférer celui-ci à titre universel».
    • Le texte précise que la violation de cette règle engage la responsabilité de l’entrepreneur individuel sur l’ensemble de ses biens, sans emporter la nullité du transfert.

2. Conditions spécifiques

Selon les modalités de transmission choisies par l’entrepreneur individuel les conditions d’application diffèrent.

==> La transmission universelle à titre onéreux

Dans cette hypothèse, ce sont donc les règles de la vente qui devraient s’appliquer.

Aussi, pour être valide, la transmission devra notamment satisfaire aux conditions posées à l’article 1583 du Code civil.

Pour mémoire, cette disposition prévoit que la vente « est parfaite entre les parties, et la propriété est acquise de droit à l’acheteur à l’égard du vendeur, dès qu’on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n’ait pas encore été livrée ni le prix payé. »

Bien que s’imposant comme naturelle en cas de cession à titre onéreux du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel, l’application du régime de la vente n’est pas sans soulever des difficultés.

Il est plusieurs questions qui se posent auxquelles les textes n’apportent, pour l’heure, aucune réponse.

Ainsi, le cédant du patrimoine sera-t-il tenu aux mêmes garanties que celles du vendeur (garantie des vices cachés, garantie d’éviction) ? La rescision pour lésion sera-t-elle possible, lorsque le patrimoine professionnel comprend des biens dont la vente peut être rescindée ? Le cédant à titre onéreux jouira-t-il des divers privilèges du vendeur ?

==> La transmission universelle à titre gratuit

Dans cette hypothèse, la transmission universelle s’analysera en une donation. Elle pourra prendre la forme d’une donation ordinaire ou d’une donation-partage.

En tout état de cause, ce sont les règles des libéralités qui ont vocation à s’appliquer et plus précisément celles relatives aux donations.

Pour être valable, la transmission supposera notamment, conformément à l’article 931 du Code civil, d’établir un acte notarié.

==> La transmission universelle sous la forme d’un apport en société

Lorsque la transmission universelle prend la forme d’un apport en société, elle s’analyse en un apport en nature.

Aussi, ce sont les règles du droit des sociétés qui s’appliquent ; mais pas seulement.

Les articles L. 526-30 et L. 526-31 énoncent trois règles spécifiques applicables à la transmission universelle sous forme d’apport en société.

  • Première règle
    • En cas d’apport à une société nouvellement créée, l’actif disponible du patrimoine professionnel doit permettre de faire face au passif exigible sur ce même patrimoine ( L. 526-30, 2e C. com.)
    • La situation contraire serait, en effet, constitutive d’une cessation des paiements et devrait donc obliger le titulaire du patrimoine professionnel à demander l’ouverture d’une procédure collective portant sur ce patrimoine.
  • Deuxième règle
    • Ni l’auteur, ni le bénéficiaire du transfert ne doivent avoir été frappés de faillite personnelle ou d’une peine d’interdiction prévue à l’article L. 653-8 du présent code ou à l’article 131-27 du Code pénal, par une décision devenue définitive ( L. 526-30, 3° C. com.)
  • Troisième règle
    • Lorsque le patrimoine professionnel apporté en société contient des biens constitutifs d’un apport en nature, il est fait recours à un commissaire aux apports ( L. 526-31 C. com.)

III) Les effets de la transmission universelle entre vifs du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel

A) Les effets de la transmission universelle entre les parties

L’article L. 526-27, al. 2e du Code de commerce prévoit que « le transfert universel du patrimoine professionnel emporte cession des droits, biens, obligations et sûretés dont celui-ci est constitué ».

Le transfert vise ici à transférer le patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel envisagé comme une universalité de droit.

Par universalité de droit il faut entendre, pour mémoire, un ensemble pécuniaire permanent qui comprend, un actif et un passif réuni autour d’une même personne et dont l’un répond de l’autre.

Aussi, est-ce l’ensemble de l’actif, mais également du passif qui sont transférés, étant précisé que ce transfert s’opère sans liquidation.

Le transfert a donc pour effet de libérer l’entrepreneur individuel de ses obligations professionnelles qui sont transmises au bénéficiaire du patrimoine.

S’agissant des sûretés constituées en garantie des obligations transférées, elles subissent le même sort en raison de leur caractère accessoire.

L’opération de transmission ne devrait donc pas avoir pour effet de libérer les cautions, ni de remettre en cause les sûretés réelles constituées sur les biens relevant du patrimoine professionnel, objet du transfert.

B) Les effets de transmission universelle à l’égard des tiers

La transmission universelle de patrimoine n’est pas sans incidence sur les tiers, en particulier sur les créanciers de l’entrepreneur individuel.

L’opération a pour effet de leur donner un nouveau débiteur, le bénéficiaire de la transmission universelle, qui se substitue à l’entrepreneur individuel.

Il en résulte que le cessionnaire, le donataire ou le bénéficiaire de l’apport en société devient débiteur des créanciers dont les droits sont nés à l’occasion de l’activité professionnelle de l’entrepreneur individuel, sans que cette substitution emporte novation à leur égard.

Si, à première vue, cette substitution de débiteur s’apparente à une cession de dette, à l’analyse, elle s’en distingue en ce que l’accord des créanciers cédés n’est pas requis.

Ces derniers sont donc « cédés » de plein droit par l’effet de la transmission universelle du patrimoine.

Dans le silence des textes, cette cession joue pour tous les créanciers y compris pour ceux dont la créance est issue d’un contrat intuitu personae, ce qui n’est pas sans portée atteinte au principe d’autonomie de la volonté.

Pour cette raison, le législateur a mis en place un dispositif visant à assurer la protection des créanciers antérieurs auxquels le changement le débiteur est susceptible de préjudicier.

Ce dispositif s’articule autour de deux séries de règles qui instituent :

  • D’une part, un formalisme d’opposabilité
  • D’autre part, un droit d’opposition

1. Le formalisme d’opposabilité aux tiers de la transmission universelle de patrimoine

==> Formalités générales

L’article L. 526-27 du Code de commerce prévoit que « le transfert de propriété ainsi opéré n’est opposable aux tiers qu’à compter de sa publicité, dans des conditions prévues par décret. »

Il ressort de cette disposition que l’opposabilité de la transmission universelle est subordonnée à l’accomplissement de formalités de publicité.

La date de ces formalités correspond, en quelque sorte, à la ligne de démarcation entre les créanciers antérieurs et les créanciers postérieurs.

À cet égard, seuls les créanciers dont la créance est née antérieurement avant la publicité du transfert de propriété peuvent former opposition au transfert du patrimoine professionnel.

S’agissant des formalités à accomplir, l’article D. 526-30 du Code de commerce prévoit que le cédant, le donateur ou l’apporteur publie, à sa diligence, le transfert universel du patrimoine professionnel, sous forme d’avis au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales, au plus tard un mois après sa réalisation.

Cet avis contient les indications suivantes :

  • S’agissant du cédant, du donateur ou de l’apporteur : les nom de naissance, nom d’usage, prénoms, le cas échéant nom commercial ou professionnel, l’activité professionnelle ou les activités professionnelles exercées ainsi que les numéros et codes caractérisant cette activité ou ces activités visés aux 1° à 3° de l’article R. 123-223, l’adresse de l’établissement principal ou, à défaut d’établissement, l’adresse du local d’habitation où l’entreprise est fixée et le numéro unique d’identification de l’entreprise délivré conformément à l’article D. 123-235 ;
  • S’agissant du cessionnaire, du donataire ou du bénéficiaire de l’apport : les nom de naissance, nom d’usage, prénoms, le cas échéant nom commercial ou professionnel, l’adresse de l’établissement principal ou, à défaut d’établissement, l’adresse du local d’habitation où l’entreprise est fixée, le cas échéant, la raison sociale ou la dénomination sociale suivie du sigle, de la forme, de l’adresse du siège, du montant du capital et du numéro unique d’identification de l’entreprise délivré conformément à l’article D. 123-235 ainsi que, le cas échéant, les numéros et codes caractérisant l’activité ou les activités professionnelles exercées visés aux 1° à 3° de l’article R. 123-223.

L’avis publié au bulletin est accompagné d’un état descriptif des biens, droits, obligations ou sûretés composant le patrimoine professionnel, tel qu’il résulte du dernier exercice comptable clos actualisé à la date du transfert, ou, pour les entrepreneurs individuels qui ne sont pas soumis à des obligations comptables, à la date qui résulte de l’accord des parties.

L’état descriptif est établi dans des formes prévues par arrêté du ministre chargé de l’économie.

La sanction de l’absence de réalisation de ces formalités est l’inopposabilité du transfert aux tiers.

==> Formalités spéciales

En principe, les formalités accomplies au titre de la transmission universelle devraient dispenser l’entrepreneur individuel d’accomplir les formalités qui auraient été exigées s’il avait transmis, à titre particulier, les biens et obligations composant son patrimoine professionnel.

Reste que le transfert de propriété de certains biens demeure soumis à l’accomplissement de formalités spécifiques.

À tout le moins, c’est ce que l’on peut déduire de l’article L. 526-27, al. 3e du Code de commerce qui prévoit que « sous réserve de la présente section, les dispositions légales relatives à la vente, à la donation ou à l’apport en société de biens de toute nature sont applicables, selon le cas. Il en est de même des dispositions légales relatives à la cession de créances, de dettes et de contrats. »

Aussi, dans l’hypothèse où le patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel comprendrait des immeubles, son transfert supposerait l’accomplissement de formalités auprès des services de la publicité foncière, conformément à l’article 28 du décret n°55-22 du 4 janvier 1955 portant réforme de la publicité foncière.

2. Le droit d’opposition des tiers à la transmission universelle de patrimoine

==> L’octroi d’un droit d’opposition

L’article L. 526-28, al. 1er du Code de commerce prévoit que « les créanciers de l’entrepreneur individuel dont la créance est née avant la publicité du transfert de propriété peuvent former opposition au transfert du patrimoine professionnel »

Le législateur a ainsi octroyé la faculté aux créanciers qui s’estimeraient lésés par la transmission du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel de réagir.

Si comme précisé par l’alinéa 2 du texte, l’opposition formée par un créancier n’a pas pour effet d’interdire le transfert du patrimoine professionnel, elle vise en revanche pour le créancier à obtenir auprès d’un juge le remboursement de sa créance ou la constitution de garanties, si le cessionnaire, le donataire ou le bénéficiaire en offre et si elles sont jugées suffisantes.

==> La titularité du droit d’opposition

En application de l’article L. 526-28, al. 1er du Code de commerce, le droit d’opposition ne peut être exercé que par les seuls créanciers « dont la créance est née avant la publicité du transfert de propriété ».

S’agissant des créanciers dont les droits sont nés postérieurement au transfert, ils ne disposent d’aucun droit de gage sur l’entrepreneur individuel qui a cédé son patrimoine professionnel, raison pour laquelle ils ne peuvent pas former opposition.

S’agissant des créanciers antérieurs, le texte n’opère aucune distinction entre eux, de sorte que le droit d’opposition devrait pouvoir être exercé, tant pour les créanciers professionnels, que par les créanciers personnels de l’entrepreneur.

Comme souligné par certains auteurs, l’ouverture d’un droit d’opposition aux créanciers personnels ne se justifie en aucune manière, dans la mesure où la transmission du patrimoine professionnel de l’entrepreneur est sans incidence sur leur droit de gage qui demeure cantonné au patrimoine personnel.

Tout au plus, ils perdent la faculté, en cas d’insuffisance d’actif dans le patrimoine personnel, d’appréhender le montant du bénéfice réalisé lors du dernier exercice clos de l’activité professionnelle de l’entrepreneur individuel (art. L. 526-22, al. 6e C. com.).

La situation des créanciers professionnels est, au contraire, tout à fait différente. L’opération de transfert affecte directement leur droit de gage en ce qu’ils subissent un changement de débiteur.

À supposer que leur nouveau débiteur ne soit pas solvable ou se trouve en difficulté financière, ils auront tout intérêt à réclamer auprès de l’entrepreneur individuel, soit le règlement immédiat de leur créance, soit à la constitution de sûretés.

==> L’exercice du droit d’opposition

  • Le délai d’exercice du droit d’opposition
    • Les créanciers dont la créance est née avant la publicité du transfert de propriété doivent exercer leur droit d’opposition dans le mois suivant la publication ( D. 526-30 C. com.)
  • Les modalités d’exercice du droit d’opposition
    • L’exercice du droit d’opposition requiert la saisine du Tribunal compétent qui, selon la nature de l’activité exercée par l’entrepreneur individuel, sera tantôt le Tribunal judiciaire, tantôt le Tribunal de commerce
  • L’issue de la procédure d’opposition
    • La décision de justice statuant sur l’opposition
      • Soit rejette la demande du créancier
      • Soit ordonne le remboursement des créances ou la constitution de garanties, si le cessionnaire, le donataire ou le bénéficiaire en offre et si elles sont jugées suffisantes
    • L’article L. 526-28, al. 4e précise que lorsque la décision de justice ordonne le remboursement des créances, l’entrepreneur individuel auteur du transfert est tenu de remplir son engagement.
    • Autrement dit, dans cette hypothèse, les droits des créanciers antérieurs dont l’opposition est admise sont préservés par le fait que le transfert du patrimoine professionnel leur est inopposable en cas de défaut de remboursement des créances ou de constitution des garanties ordonnées par le juge.

[1] V. en ce sens N. Jullian, « La transmission du patrimoine de l’entrepreneur, de nouvelles opérations au service des entrepreneurs individuels », JCP E, n°13, mars 2022, 1137.

Statut de l’entrepreneur individuel: la séparation des patrimoines personnel et professionnel (principe et effets)

Animé par la volonté de renforcer la protection des travailleurs indépendants, le législateur est intervenu en 2022 aux fins de créer un statut unique d’entrepreneur individuel.

À cet effet, la loi n° 2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante a innové en instaurant une séparation de plein droit entre le patrimoine personnel et le patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel.

Il n’est désormais plus nécessaire que celui-ci procède à une déclaration préalable d’affectation.

Dès lors qu’une personne exerce en son nom propre une ou plusieurs activités professionnelles indépendantes, elle est titulaire de deux patrimoines :

  • Un patrimoine professionnel constitué des biens, droits, obligations et sûretés dont l’entrepreneur est titulaire et qui sont utiles à son activité ou à ses activités professionnelles indépendantes
  • Un patrimoine personnel constitué des éléments du patrimoine de l’entrepreneur individuel non compris dans le patrimoine professionnel

Après avoir envisagé le principe de séparation des patrimoines, nous aborderons ses effets.

I) Le principe de séparation de plein droit des patrimoines professionnel et personnel

==> Patrimoine professionnel et patrimoine personnel

La loi n° 2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante a donc instauré un principe de séparation de plein droit des patrimoines professionnel et personnel de l’entrepreneur individuel.

Cela signifie que toute personne endossant le statut d’entrepreneur individuel est désormais titulaire, de plein droit, soit sans qu’il soit nécessaire d’accomplir un quelconque acte de volonté ou toute autre formalité, de deux patrimoines distincts :

  • Un patrimoine professionnel constitué des biens, droits, obligations et sûretés dont l’entrepreneur est titulaire et qui sont utiles à son activité ou à ses activités professionnelles indépendantes
  • Un patrimoine personnel constitué des éléments du patrimoine de l’entrepreneur individuel non compris dans le patrimoine professionnel

Sous l’empire du droit antérieur, la ligne de démarcation entre le patrimoine professionnel et le patrimoine personnel de l’entrepreneur exerçant en EIRL procédait d’une déclaration d’affectation.

Pratiquement cette déclaration consistait pour l’entrepreneur à désigner les biens qu’il jugeait nécessaire à l’exercice de son activité professionnelle.

Désormais, la consistance de l’un et l’autre patrimoine est déterminée par un critère fixé par la loi : le critère de « l’utilité ».

==> Le critère de l’utilité

En application de l’article L. 526-22 du Code de commerce, le patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel serait donc constitué – automatiquement – de l’ensemble des biens, droits, obligations et sûretés « utiles » à l’exercice de son activité professionnelle.

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir ce que l’on doit entendre par « utile ». Il s’agit là d’une notion qui occupe une place centrale dans le dispositif mis en place par le législateur.

Aussi, afin de garantir la sécurité juridique de l’entrepreneur individuel, de ses ayants droit, mais également des tiers, le décret n° 2022-725 du 28 avril 2022 est venu préciser la notion d’utilité en dressant une liste des biens, droits et obligations réputés utiles à l’exercice de l’activité professionnelle de l’entrepreneur individuel.

L’article R. 526-26 du Code de commerce, issu de ce décret, prévoit en ce sens :

En premier lieu, que les biens, droits, obligations et sûretés dont l’entrepreneur individuel est titulaire, utiles à l’activité professionnelle, s’entendent de ceux qui, par nature, par destination ou en fonction de leur objet, servent à cette activité, tels que :

  • Le fonds de commerce, le fonds artisanal, le fonds agricole, tous les biens corporels ou incorporels qui les constituent et les droits y afférents et le droit de présentation de la clientèle d’un professionnel libéral ;
  • Les biens meubles comme la marchandise, le matériel et l’outillage, le matériel agricole, ainsi que les moyens de mobilité pour les activités itinérantes telles que la vente et les prestations à domicile, les activités de transport ou de livraison ;
  • Les biens immeubles servant à l’activité, y compris la partie de la résidence principale de l’entrepreneur individuel utilisée pour un usage professionnel ; lorsque ces immeubles sont détenus par une société dont l’entrepreneur individuel est actionnaire ou associé et qui a pour activité principale leur mise à disposition au profit de l’entrepreneur individuel, les actions ou parts d’une telle société ;
  • Les biens incorporels comme les données relatives aux clients, les brevets d’invention, les licences, les marques, les dessins et modèles, et plus généralement les droits de propriété intellectuelle, le nom commercial et l’enseigne ;
  • Les fonds de caisse, toute somme en numéraire conservée sur le lieu d’exercice de l’activité professionnelle, les sommes inscrites aux comptes bancaires dédiés à cette activité, notamment au titre des articles L. 613-10 du code de la sécurité sociale et L. 123-24 du présent code, ainsi que les sommes destinées à pourvoir aux dépenses courantes relatives à cette même activité.

En second lieu, que lorsque l’entrepreneur individuel est tenu à des obligations comptables légales ou réglementaires, son patrimoine professionnel est présumé comprendre au moins l’ensemble des éléments enregistrés au titre des documents comptables, sous réserve qu’ils soient réguliers et sincères et donnent une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l’entreprise. Sous la même réserve, les documents comptables sont présumés identifier la rémunération tirée de l’activité professionnelle indépendante, qui est comprise dans le patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel.

==> Sort des biens mixtes

À l’occasion des travaux parlementaires, le Sénat avait relevé que le projet de loi examiné était silencieux sur le sort des biens mixtes, soit ceux utilisés à la fois à des fins professionnelles ou personnelles.

La question qui est alors susceptible de se poser est de savoir à quelle masse de biens ce type de bien appartient, à tout le moins comment articuler le droit de gage des créanciers professionnel et personnel.

Afin d’apporter une meilleure protection à l’entrepreneur individuel les sénateurs ont proposé de limiter les biens relevant du patrimoine professionnel à ceux « exclusivement utiles » à l’exercice de l’activité professionnelle.

De cette façon, les biens à usage mixte seraient nécessairement compris dans le patrimoine personnel.

En contrepartie, il a été imaginé que le droit de gage des créanciers professionnels soit étendu au patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel à hauteur de la valeur d’un droit d’usage des biens mixtes, correspondant à leur utilisation effective dans un cadre professionnel pour une durée d’une année.

L’illustration a été donnée du local dont l’entrepreneur individuel est propriétaire ou locataire qui serait utilisé à des fins professionnelles et personnelles. Les créanciers professionnels seraient en droit de saisir sur le patrimoine personnel de l’entrepreneur l’équivalent des sommes dues pour une mise à disposition non exclusive du local pendant un an.

Bien que séduisante, cette proposition n’a finalement pas été retenue par l’Assemblée nationale au motif qu’elle aurait conduit à ajouter de la complexité au critère de l’utilité.

Faute de précision dans la version finale de la loi du sort des biens mixtes, la Conseil d’État a suggéré qu’un décret soit adopté afin de pallier cette carence qui est de nature à affecter la sécurité juridique de l’entrepreneur individuel.

==> Charge de la preuve

L’article L. 526-22, al. 6e du Code de commerce prévoit que la charge de la preuve incombe à l’entrepreneur individuel pour toute contestation de mesures d’exécution forcée ou de mesures conservatoires qu’il élève concernant l’inclusion ou non de certains éléments d’actif dans le périmètre du droit de gage général du créancier.

Aussi, appartiendra-t-il à l’entrepreneur, pour échapper aux poursuites de ses créanciers, de prouver que le bien appréhendé :

  • Soit est utile à son activité professionnelle s’il prétend que la dette poursuivie n’est pas née à l’occasion de son activité professionnelle
  • Soit n’est pas utile à son activité professionnelle s’il prétend que la dette poursuivie est née à l’occasion de son activité professionnelle.

Le texte ajoute que la responsabilité du créancier saisissant peut être recherchée pour abus de saisie lorsqu’il a procédé à une mesure d’exécution forcée ou à une mesure conservatoire sur un élément d’actif ne faisant manifestement pas partie de son gage général.

Avant d’appréhender un ou plusieurs biens de l’entrepreneur individuel, le créancier devra donc s’assurer que le bien convoité relève du patrimoine sur lequel s’exerce son droit de gage général. À défaut, il s’expose à engager sa responsabilité.

II) Les effets du principe de séparation de plein droit des patrimoines professionnel et personnel

A) La date de prise d’effet du principe de séparation de plein droit des patrimoines professionnel et personnel

L’article L. 526-23 du Code de commerce régit la prise d’effet du principe de séparation des patrimoines dont la mise en œuvre consiste pour l’entrepreneur individuel à ne répondre de ses dettes contractées dans le cadre de son activité professionnelle que sur son seul patrimoine professionnel.

L’enjeu pour le législateur était de permettre aux tiers de savoir au moment où ils contractent avec un entrepreneur individuel s’il est ou non tenu de répondre de ses engagements sur l’ensemble de ses biens.

Afin de satisfaire à cet objectif, le législateur a subordonné la limitation du droit de gage des créanciers de l’entrepreneur individuel à la condition que son activité professionnelle ait fait l’objet, à la date de naissance de la créance, d’une mesure de publicité adéquate : immatriculation à un registre de publicité légale, inscription sur une liste ou au tableau d’un ordre etc.

Dans l’hypothèse toutefois où aucune obligation d’immatriculation ne pèse sur l’entrepreneur individuel, la date de prise d’effet est fixée au jour de l’accomplissement du premier acte matérialisant le commencement d’activité professionnelle.

Pratiquement, la prise d’effet du principe de séparation des patrimoines diffère donc selon que pèse ou non sur l’entrepreneur individuel une obligation d’immatriculation.

  • L’entrepreneur est assujetti à une obligation d’immatriculation
    • Dans cette hypothèse, le principe de séparation des patrimoines prend effet à compter de l’immatriculation au registre dont relève l’entrepreneur individuel pour son activité (registre du commerce et des sociétés, répertoires des métiers etc.).
    • Lorsque celui-ci relève de plusieurs registres, la dérogation prend effet à compter de la date d’immatriculation la plus ancienne.
    • À cet égard, lorsque la date d’immatriculation est postérieure à la date déclarée du début d’activité, le principe de séparation des patrimoines prend effet à compter de la date déclarée du début d’activité, dans les conditions prévues par décret en Conseil d’État.
  • L’entrepreneur n’est pas assujetti à une obligation d’immatriculation
    • Dans cette hypothèse, l’article L. 526-23 du Code de commerce prévoit que la séparation des patrimoines opère à compter du premier acte que l’entrepreneur exerce en qualité d’entrepreneur individuel.
    • Pour déterminer cette date, il conviendra, suggère le texte, de se reporter aux documents et correspondances éventuellement établis par l’entrepreneur individuel dans la mesure à sa qualité doit obligatoirement y être mentionnée.

B) Le déploiement des effets du principe de séparation de plein droit des patrimoines professionnel et personnel

1. Dans les rapports entre l’entrepreneur et les créanciers professionnels

1.1 Principe

L’article L. 526-22, al. 3e du Code de commerce prévoit que « par dérogation aux articles 2284 et 2285 du code civil et sans préjudice des dispositions légales relatives à l’insaisissabilité de certains biens, notamment la section 1 du présent chapitre et l’article L. 526-7 du présent code, l’entrepreneur individuel n’est tenu de remplir son engagement à l’égard de ses créanciers dont les droits sont nés à l’occasion de son exercice professionnel que sur son seul patrimoine professionnel, sauf sûretés conventionnelles ou renonciation dans les conditions prévues à l’article L. 526-25. »

Il ressort de cette disposition que l’entrepreneur individuel répond des dettes contractées dans le cadre de son activité professionnelle sur son seul patrimoine professionnel.

C’est là la conséquence directe du principe de séparation des patrimoines qui donc limite le gage des créanciers professionnels qui ne pourront donc pas exercer leurs poursuites sur le patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel.

La séparation entre les patrimoines professionnel et personnel n’est toutefois pas absolue ; elle souffre de quelques tempéraments visant tantôt à octroyer de la souplesse quant à la mise en œuvre du dispositif, tantôt à protéger certains créanciers.

1.2 Tempéraments

Le législateur a assorti le principe de séparation des patrimoines de deux tempéraments afin de faciliter l’accès au crédit de l’entrepreneur individuel dans ses rapports avec les créanciers professionnels.

a. Constitution de sûretés sur le patrimoine personnel

L’article L. 526-22, al. 4e du Code de commerce autorise l’entrepreneur individuel, nonobstant le principe de séparation des patrimoines, à consentir à ses créanciers professionnels des sûretés constituées sur des biens relevant de son patrimoine personnel.

Par exemple, il peut constituer une hypothèque sur un bien immobilier personnel en garantie d’un prêt contracté auprès d’un établissement de crédit aux fins de financer son activité professionnelle.

L’alinéa 3 du texte précise, en revanche, que « la distinction des patrimoines personnel et professionnel de l’entrepreneur individuel ne l’autorise pas à se porter caution en garantie d’une dette dont il est débiteur principal. »

Cette règle qui interdit à l’entrepreneur individuel de s’auto-cautionner trouve sa racine dans l’économie générale de l’opération de cautionnement qui requiert que la caution soit une personne distincte du débiteur principal.

Déjà sous l’empire du droit antérieur, la Cour de cassation avait jugé dans un arrêt du 28 avril 1964 qu’un entrepreneur individuel ne pouvait pas cautionner les dettes souscrites au titre de son activité professionnelle.

Au soutien de sa décision, elle avait avancé que « celui qui est débiteur d’une obligation à titre principal ne peut être tenu de la même obligation comme caution » (Cass. com. 28 avr. 1964). Était ainsi posée l’interdiction de l’engagement de caution souscrit pour soi-même.

Il en résulte que la faculté pour l’entrepreneur principal de consentir à ses créanciers professionnels des garanties conventionnelles n’opère que pour les sûretés réelles.

Il peut enfin être observé que cette faculté n’est prévue par la loi qu’au bénéfice des créanciers professionnels.

Aucune disposition de ce type n’est prévue en sens inverse, au profit des créanciers personnels.

Il s’en déduit qu’il est fait interdiction à l’entrepreneur individuel de constituer une sûreté sur un bien relevant de son patrimoine professionnel aux fins de garantir une dette personnelle.

b. Renonciation à la séparation des patrimoines

b.1 Principe de la renonciation

Afin de ne pas limiter les capacités de financement de l’entrepreneur individuel, la loi l’autorise à renoncer purement et simplement au principe de séparation des patrimoines.

En exerçant ce droit, l’entrepreneur permet ainsi à ses créanciers d’étendre leur droit de gage sur tout ou partie de son patrimoine personnel.

Concrètement, le créancier poursuivant pourra ainsi saisir les biens personnels de l’entrepreneur individuel pour obtenir le recouvrement de sa créance, à l’exclusion de ceux frappés d’insaisissabilités telle que la résidence principale.

Cette faculté de renonciation a été prévue par le législateur afin de ne pas empêcher les entrepreneurs qui n’ont que peu de garanties à proposer d’accéder plus facilement au crédit.

Comme relevé lors de débats parlementaires, il s’agit là d’une grande avancée par rapport au statut de l’EIRL, qui ne permettait pas une renonciation spécifique : c’était « tout ou rien ».

b.2 Modalités de la renonciation

La renonciation étant un acte grave, dont les conséquences peuvent être ruineuses pour l’entrepreneur, sa validité est subordonnée à l’observation d’un certain nombre de modalités fixées par la loi.

i. Une demande formulée par le créancier professionnel

L’article L. 526-25 du Code de commerce prévoit que la renonciation de l’entrepreneur au principe de séparation des patrimoines n’est valable que si, au préalable, le créancier professionnel en a fait la demande.

Cette demande, formulée par le créancier professionnel doit être écrite

Le créancier professionnel devra s’assurer qu’elle a bien été réceptionnée par l’entrepreneur individuel, dans la mesure où la réception de la demande de renonciation fait courir au délai de réflexion.

ii. L’observation d’un délai de réflexion 

  • Principe
    • À réception de la demande de renonciation formulée par le créancier professionnel, l’entrepreneur individuel dispose d’un délai de réflexion de sept jours francs.
    • Cela signifie que l’acte de renonciation ne peut produire ses effets avant l’expiration de ce délai.
  • Tempérament
    • L’article L. 526-25, al. 2e du Code de commerce prévoit la possibilité de réduire le délai de réflexion à trois jours francs Si l’entrepreneur individuel fait précéder sa signature d’une mention manuscrite dont les termes sont fixés par l’article D. 526-28, IV du Code de commerce.
    • Cette disposition prévoit que Lorsque l’entrepreneur individuel et le bénéficiaire de la renonciation entendent réduire le délai de réflexion au terme duquel la renonciation intervient, dans les conditions prévues au second alinéa de l’article L. 526-25, l’acte de renonciation porte, de la main de l’entrepreneur individuel, la mention manuscrite suivante :
      • « Je déclare par la présente renoncer au bénéfice du délai de réflexion de sept jours francs, fixé conformément aux dispositions de l’article L. 526-25 du code de commerce. En conséquence, ledit délai est réduit à trois jours francs. »
    • La possibilité de réduire le délai de réflexion à 3 jours procède d’un amendement proposé par les sénateurs qui ont fait valoir que le délai de sept jours pourrait apparaître long en cas de besoin urgent pour l’entrepreneur individuel d’accéder au crédit et notamment obtenir un crédit court terme pour faire face à une baisse voire à une interruption imprévue de son activité.

iii. L’établissement d’un acte de renonciation

?: Conditions de fond 

  • Une renonciation spéciale
    • L’article L. 526-25 du Code de commerce prévoit que l’entrepreneur individuel ne peut renoncer au principe de séparation des patrimoines que « pour un engagement spécifique dont il doit rappeler le terme et le montant, qui doit être déterminé ou déterminable. »
    • À la différence de l’entrepreneur qui exerçait en EIRL, l’entrepreneur individuel ne pourra donc pas opter pour une renonciation globale, soit qui opérerait pour l’ensemble des dettes contractées.
    • Pratiquement, l’acte de renonciation devra donc :
      • D’une part, désigner l’engagement spécifique concerné
      • D’autre part, préciser le terme et le montant de cet engagement
    • À défaut, la renonciation encourt la nullité
  • Une renonciation éclairée
    • L’article D 526-28 du Code de commerce met à la charge du bénéficiaire de la renonciation une obligation d’information sur les conséquences de celle-ci sur les patrimoines de l’entrepreneur individuel.
    • L’information délivrée doit ainsi permettre à ce dernier d’apprécier la portée de cette renonciation, laquelle est susceptible d’emporter de lourdes conséquences sur le patrimoine personnel de l’entrepreneur. Individuel, puisque réintégré dans l’assiette du droit de gage général des créanciers professionnels.
    • Cette obligation d’information n’est toutefois assortie d’aucune sanction.
    • Aussi, est-ce à la jurisprudence qu’il reviendra de préciser ce point et notamment de déterminer si le défaut d’information doit être sanctionné par la nullité de la renonciation ou par l’octroi de dommages et intérêts.

?: Conditions de forme

==> Remise d’un modèle d’acte

L’article D. 526-29 du Code de commerce prévoit que « si le bénéficiaire de la renonciation est un établissement de crédit ou une société de financement au sens de l’article L. 511-1 du code monétaire et financier, il remet gratuitement un exemplaire du modèle type à l’entrepreneur individuel qui en fait la demande. »

À cet effet, un modèle type d’acte de renonciation a été approuvé par l’arrêté du 12 mai 2022 relatif à certaines formalités concernant l’entrepreneur individuel et ses patrimoines (accessible à partir du lien suivant : modèle de renonciation)

==> Les mentions figurant dans l’acte

L’article L. 526-25 du Code de commerce prévoit que la renonciation par l’entrepreneur individuel au principe de séparation des patrimoines « doit respecter, à peine de nullité, des formes prescrites par décret. »

Il y a donc lieu de se reporter à l’article D. 526-28 issu du décret n° 2022-799 du 12 mai 2022 afin de déterminer les formes devant être observées par l’acte de renonciation.

Cette disposition prévoit que doivent figurer plusieurs sortes de mentions sur l’acte de renonciation :

  • En ce qui concerne l’entrepreneur individuel renonçant à la protection de son patrimoine personnel
    • Les nom de naissance, nom d’usage, prénoms, nationalité, date et lieu de naissance et domicile de l’entrepreneur individuel ;
    • L’activité ou les activités professionnelles et, s’il en est utilisé, le nom commercial et l’enseigne ainsi que les numéros et codes caractérisant l’activité ou les activités visés aux 1° à 3° de l’article R. 123-223 ;
    • L’adresse de l’établissement principal où est exercée l’activité professionnelle, ou, à défaut d’établissement, l’adresse du local d’habitation où l’entreprise est fixée ;
    • Le numéro unique d’identification de l’entreprise, délivré conformément à l’article D. 123-235 si l’entrepreneur est déjà immatriculé, ou, lorsqu’elle est antérieure à la date d’immatriculation, la date déclarée du début d’activité ;
  • En ce qui concerne le bénéficiaire de la renonciation
    • Si le bénéficiaire de la renonciation est une personne physique :
      • les nom de naissance, nom d’usage, prénoms, date, lieu de naissance et domicile du bénéficiaire de la renonciation ;
      • le cas échéant, l’activité ou les activités professionnelles exercées, l’adresse de l’établissement principal où est exercée l’activité professionnelle, ou, à défaut d’établissement, l’adresse du local d’habitation où l’entreprise est fixée et, s’il en est utilisé, le nom commercial et l’enseigne ainsi que les numéros et codes caractérisant l’activité ou les activités visés aux 1° à 3° de l’article R. 123-223 et le numéro unique d’identification de l’entreprise délivré conformément à l’article D. 123-235 ;
    • Si le bénéficiaire de la renonciation est une personne morale :
      • la raison sociale ou la dénomination sociale, suivie, le cas échéant, du sigle et de la forme ;
      • l’adresse du siège social ou de l’établissement, ou, à défaut, l’adresse du local d’habitation où l’entreprise est fixée ;
      • le numéro unique d’identification de l’entreprise, délivré conformément à l’article D. 123-235 ;
      • l’indication que le bénéficiaire de la renonciation est un établissement de crédit ou une société de financement au sens de l’article L. 511-1 du code monétaire et financier.
  • En ce qui concerne l’engagement au titre duquel la renonciation est sollicitée
    • La date de l’engagement ;
    • L’objet de l’engagement ;
    • La date d’échéance de l’engagement, c’est-à-dire la date contractuelle prévue pour le remboursement total des sommes dues au titre de l’engagement, étant précisé que celle-ci peut être prorogée soit par un accord des parties soit par une décision judiciaire ;
    • Le montant de l’engagement ou les éléments permettant de le déterminer ; ces éléments, une fois spécifiés dans l’acte de renonciation fixent définitivement le plafond pour lequel une même renonciation vaut ;
    • La date de demande de la renonciation.

==> La signature de l’acte de renonciation

L’article D. 526-28 du Code de commerce prévoit que, à peine de nullité, l’entrepreneur individuel et le bénéficiaire de la renonciation apposent leur signature sur l’acte, ainsi que la date et le lieu.

Ce texte précise qu’il peut être fait usage d’une signature électronique qualifiée répondant aux exigences du décret n° 2017-1416 du 28 septembre 2017 relatif à la signature électronique.

c. L’inopposabilité de la séparation des patrimoines aux créanciers publics

L’article L. 526-24 du Code de commerce prévoit une dérogation au principe de séparation des patrimoines au profit des créanciers publics et plus précisément de l’administration fiscale et des organismes de recouvrement de la sécurité sociale.

Cette disposition prévoit que « le droit de gage de l’administration fiscale et des organismes de sécurité sociale porte sur l’ensemble des patrimoines professionnel et personnel de l’entrepreneur individuel en cas de manœuvres frauduleuses ou d’inobservation grave et répétée de ses obligations fiscales, dans les conditions prévues aux I et II de l’article L. 273 B du livre des procédures fiscales, ou d’inobservation grave et répétée dans le recouvrement des cotisations et contributions sociales, dans les conditions prévues à l’article L. 133-4-7 du code de la sécurité sociale ».

Ainsi, la dissociation des patrimoines ne sera pas opposable à l’administration fiscale et aux organismes de sécurité sociale en cas de manœuvres frauduleuses ou d’inobservation grave et répétée des obligations fiscales ou sociales.

Le texte ajoute que cette inopposabilité joue également pour les impositions mentionnées au III de l’article L. 273 B du livre des procédures fiscales.

Pour mémoire, cette disposition prévoit que « le recouvrement de l’impôt sur le revenu et des prélèvements sociaux ainsi que de la taxe foncière afférente aux biens immeubles utiles à l’activité professionnelle dont est redevable la personne physique exerçant une activité professionnelle en tant qu’entrepreneur individuel ou son foyer fiscal peut être recherché sur l’ensemble des patrimoines professionnel et personnel. Le présent III n’est pas applicable au recouvrement de l’impôt sur le revenu et des prélèvements sociaux lorsque l’entrepreneur individuel a opté pour l’impôt sur les sociétés dans les conditions prévues à l’article 1655 sexies du code général des impôts. »

Enfin, l’article L. 526-24 du Code de commerce précise, s’agissant spécifiquement des organismes de sécurité sociale, que la séparation des patrimoines professionnels et personnels de l’entrepreneur individuel leur est inopposable pour les impositions et contributions mentionnées au deuxième alinéa de l’article L. 133-4-7 du même code.

2. Dans les rapports entre l’entrepreneur et les créanciers personnels

a. Principe

L’article L. 526-22, al. 6e du Code de commerce prévoit que « seul le patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel constitue le gage général des créanciers dont les droits ne sont pas nés à l’occasion de son exercice professionnel ».

Il ressort de cette disposition que l’entrepreneur individuel répond des dettes contractées en dehors du cadre de son activité professionnelle sur son seul patrimoine personnel.

Il en résulte que les biens relevant du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel sont hors de portée de ses créanciers personnels dont le gage est limité aux seuls biens qui ne sont pas utiles à l’activité professionnelle.

Ce principe n’est toutefois pas absolu. Le législateur l’a assorti de tempéraments.

b. Tempéraments

En application du principe de séparation des patrimoines, parce qu’il existe une corrélation entre les dettes contractées par l’entrepreneur individuel et le passif engagé, les tempéraments dont ce principe est assorti devraient, en toute logique, jouer symétriquement à la faveur tant des créanciers professionnels que des créanciers personnels.

Telle n’est toutefois pas la voie empruntée par le législateur qui a institué une différence de traitement entre les deux catégories de créanciers.

Les possibilités offertes aux créanciers personnels de l’entrepreneur individuel de se soustraire à l’application du principe de séparation des patrimoines sont, en effet, bien plus limitées que celles dont bénéficient les créanciers professionnels.

==> Tempéraments retenus

Le principe de séparation des patrimoines souffre de deux tempéraments en faveur des créanciers personnels

  • Premier tempérament
    • L’article L. 526-22, al. 6e du Code de commerce prévoit que, par exception au principe de séparation des patrimoines, « si le patrimoine personnel est insuffisant, le droit de gage général des créanciers peut s’exercer sur le patrimoine professionnel, dans la limite du montant du bénéfice réalisé lors du dernier exercice clos. »
    • Pratiquement, dans l’hypothèse où la réalisation de l’actif relevant du patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel ne permettrait pas désintéresser totalement ses créanciers personnels, ces derniers seront autorisés à appréhender le bénéfice éventuellement réalisé par leur débiteur dans le cadre de son activité professionnelle.
    • S’agissant de prendre pour point de référence le dernier exercice clos pour calculer le montant du bénéfice saisissable par les créanciers personnels, les travaux parlementaires justifient ce choix par l’impossibilité de déterminer en cours d’exercice quel montant a vocation à être prélevé par l’entrepreneur pour son usage personnel, autrement dit à rejoindre le patrimoine personnel.
    • À l’analyse, le montant maximal susceptible d’être prélevé par l’entrepreneur étant celui du bénéfice annuel, la seule solution est de se reporter au dernier exercice clos.
  • Second tempérament
    • L’article L. 526-22, al. 6e du Code de commerce prévoit que les sûretés réelles consenties par l’entrepreneur individuel avant le commencement de son activité ou de ses activités professionnelles indépendantes conservent leur effet, quelle que soit leur assiette.
    • Il en résulte que dans l’hypothèse où une sûreté serait constituée sur un bien devenu utile à l’activité professionnelle de l’entrepreneur individuel en garantie d’une dette personnelle, le bénéficiaire de la sûreté sera autorisé à saisir le bien grevé, nonobstant le principe de séparation des patrimoines.

==> Tempéraments exclus

Deux tempéraments au principe de séparation des patrimoines qui jouent en faveur des créanciers professionnels ne bénéficient pas aux créanciers personnels.

  • Première exclusion
    • Bien que la loi soit silencieuse sur ce point, il est fait interdiction à l’entrepreneur individuel de renoncer à la séparation des patrimoines en faveur de ses créanciers personnels.
    • Cette renonciation ne peut jouer qu’au profit des seuls créanciers professionnels.
    • Le gage des créanciers personnels sera, dans ces conditions, nécessairement cantonné aux biens composant le patrimoine personnel de l’entrepreneur
  • Seconde exclusion
    • Comme précisé dans le rapport établi par Christophe-André Frassa, si la loi ménage expressément la faculté, pour l’entrepreneur individuel, de consentir à ses créanciers professionnels des sûretés conventionnelles assises sur des biens compris dans son patrimoine personnel, « aucune disposition de ce type n’est prévue, en sens inverse, au bénéfice des créanciers personnels».
    • Il est donc fait interdiction à l’entrepreneur individuel d’accorder à ses créanciers personnels une sûreté qui serait constituée sur un bien relevant de son patrimoine professionnel.

Ainsi, comme relevé dans les travaux parlementaires, une nette dissymétrie oppose les créanciers professionnels aux créanciers personnels.

Les premiers, pour assurer le recouvrement de leur créance, pourront saisir dans certaines conditions tout ou partie des biens compris dans le patrimoine personnel, soit qu’ils soient titulaires d’une sûreté conventionnelle assise sur l’un de ces biens, soit qu’ils bénéficient d’une renonciation à la séparation des patrimoines.

Les seconds, en revanche, ne pourront exercer leur droit de gage général sur le patrimoine professionnel qu’à titre subsidiaire et dans la limite du montant du bénéfice du dernier exercice clos.

Les biens à usage professionnel sont donc mis hors de portée des créanciers personnels, comme s’ils étaient logés dans une société.

Selon Christophe-André Frassa, cette dissymétrie peut se justifier. En effet, alors que le patrimoine professionnel est défini limitativement, ce n’est pas le cas du patrimoine personnel, qui comprend tous les biens et droits non compris dans l’autre patrimoine.

En outre, parmi les biens de l’entrepreneur individuel, les plus précieux (notamment, le cas échéant, sa résidence principale) seraient le plus souvent compris dans son patrimoine personnel et pourraient donc être appréhendés par ses créanciers personnels.

Afin de ne pas diminuer excessivement les droits des créanciers professionnels, il est donc légitime de ne pas autoriser, au profit des créanciers personnels, la constitution de sûretés sur des biens professionnels ou la renonciation à la séparation des patrimoines.

III) L’extinction des effets du principe de séparation de plein droit des patrimoines professionnel et personnel

L’article L. 526-22 du Code de commerce prévoit deux cas de réunion des patrimoines professionnels et personnels :

  • Premier cas : la cessation d’activité
    • Dans le cas où un entrepreneur individuel cesse toute activité professionnelle indépendante, le texte prévoit que le patrimoine professionnel et le patrimoine personnel sont réunis.
    • Il en résulte que les créanciers antérieurs recouvrent un droit de gage général sur l’ensemble des biens de leur débiteur.
    • Cette solution diffère manifestement de celle applicable à l’EIRL.
    • En effet, sous ce statut, le gage général des créanciers antérieurs demeurait limité aux seuls biens qui relevaient du patrimoine d’affectation de l’entrepreneur.
    • Ce « gel » du gage des créanciers antérieurs était toutefois possible en raison de la déclaration d’affectation réalisée par l’entrepreneur individuel qui consistait à dresser une liste exhaustive des biens affectés à l’exercice de son activité professionnelle.
    • Tel n’est pas le cas de l’entrepreneur individuel qui exerce sous le nouveau statut.
    • Aucun texte ne l’oblige à réaliser un inventaire des biens qui composent son patrimoine professionnel.
    • Aussi, leur identification au moment de la cessation d’activité de l’entrepreneur individuel – laquelle est susceptible d’intervenir plusieurs années après leur entrée dans le patrimoine professionnel – s’avérerait complexe sinon impossible.
    • C’est la raison pour laquelle le législateur a préféré n’opérer aucune distinction : le droit de gage des créanciers antérieur s’exerce sur l’ensemble des biens de l’entrepreneur individuel qui a cessé son activité.
  • Second cas : le décès
    • En application de l’article L. 526-22 du Code de commerce, le décès de l’entrepreneur individuel a pour effet de réunir les patrimoines professionnels et personnels.
    • Comme pour le cas de la cessation d’activité, s’est posée la question du cantonnement du gage des créanciers antérieurs aux biens relevant du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel.
    • La raison en est que la réunion des patrimoines professionnels et personnels pour former un patrimoine successoral unique fait peser un risque important sur les héritiers et autres successeurs à titre universel, qui sont susceptibles de se voir transmettre l’intégralité des dettes de l’entrepreneur individuel au jour de son décès sans que le droit de gage des créanciers ne soit limité.
    • Aussi, comme souligné par Christophe-André Frassa, « la protection des héritiers repose alors entièrement sur leur droit d’option : dans le cas où des dettes trop lourdes grèveraient le patrimoine successoral, ils pourraient renoncer à la succession ou ne l’accepter qu’à concurrence de l’actif net (la liquidation portant alors sur l’ensemble du patrimoine successoral, issu de la réunion des patrimoines professionnel et personnel).»

[1] V. en ce sens N. Jullian, « La transmission du patrimoine de l’entrepreneur, de nouvelles opérations au service des entrepreneurs individuels », JCP E, n°13, mars 2022, 1137.

Le statut de l’entrepreneur individuel: règles générales et conditions

==> Ratio legis

Lorsqu’un entrepreneur individuel exerce, en nom propre, son activité professionnelle, il s’expose à ce que la totalité de son patrimoine – professionnel et personnel – soit saisie en cas de difficultés financières.

Jusque récemment, le seul moyen pour un entrepreneur de préserver son patrimoine personnel en limitant le gage des créanciers aux biens exploités à titre professionnel était de créer une société.

En effet, le recours à la forme sociétale répond parfaitement au souci de distinguer patrimoine professionnel et patrimoine personnel, dettes professionnelles et dettes personnelles.

Une société, personne morale distincte de l’entrepreneur, dispose d’un patrimoine propre et répond des dettes résultant de son activité. Quant au patrimoine personnel de l’entrepreneur, il demeure extérieur à l’activité professionnelle et, par conséquent, est protégé de ses aléas.

La création d’une personne morale se révèle néanmoins parfois inadaptée à l’exercice d’une activité professionnelle à titre individuel en raison de la lourdeur du formalisme et des obligations qui pèsent sur le chef d’entreprise.

Par ailleurs, des études ont révélé que la vulnérabilité de leur statut ou plutôt de leur absence de statut, ne suffisait pas à inciter les entrepreneurs individuels à faire le choix systématique de la forme sociétale. Ils sont en proie à des « freins psychologiques », que l’on peut résumer en une réticence de l’entrepreneur à constituer une personne morale distincte.

==> De l’EURL à l’EIRL

Fort de ce constat, le législateur a cherché à encourager les entrepreneurs à se tourner vers la forme sociale en simplifiant les règles de création et de fonctionnement des sociétés :

  • La loi n° 85-697 du 11 juillet 1985 relative à l’entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée et à l’exploitation agricole à responsabilité limitée a rompu avec le principe de l’affectio societatis, selon lequel une société résulte de la volonté de collaborer d’au moins deux associés, en permettant à un entrepreneur individuel de constituer seul une société ;
  • La loi n° 94-126 du 11 février 1994 relative à l’initiative et à l’entreprise individuelle a procédé à une refonte des formalités et obligations auxquelles étaient soumises les entreprises, dans le but de les simplifier ;
  • La loi du 1er août 2003 pour l’initiative économique a d’abord institué le mécanisme d’insaisissabilité de la résidence principale aux articles L. 526-1 à L. 526-5 du code de commerce, constituant une entorse au droit de gage général posé aux articles 2284 et 2285 du code civil. Elle a ensuite supprimé le capital minimum dans les SARL, rompant ainsi avec le principe de capitalisation des sociétés ;
  • La loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie a procédé à de nouvelles simplifications dans le fonctionnement des entreprises et étendu l’insaisissabilité à tous les biens fonciers non affectés à l’usage professionnel.

Nonobstant ces réformes successives qui visaient à encourager l’exercice de l’entreprenariat individuel au moyen d’une forme sociale, ni l’EURL ni l’insaisissabilité de la résidence principale n’ont attiré les entrepreneurs.

Le législateur en a tiré la conséquence, qu’il convenait de changer de paradigme et d’ouvrir une brèche dans le sacro-saint principe de l’unicité du patrimoine.

Pour mémoire, ce principe théorisé au début du XIXe siècle par Charles Aubry et Charles-Frédéric Rau, signifie qu’une personne ne peut être titulaire que d’un seul patrimoine. Aussi, parle-t-on, d’unicité ou d’indivisibilité du patrimoine.

  • Positivement, il en résulte que le passif répond du passif et que l’ensemble des dettes sont exécutoires sur l’ensemble des biens, conformément aux articles 2284 et 2285 du Code civil : « qui s’oblige, oblige le sien»
  • Négativement, il se déduit qu’il est interdit d’isoler certains éléments du patrimoine, pour constituer une universalité distincte du reste du patrimoine

Ainsi, une personne qui affecterait certains biens à l’exercice d’une activité professionnelle n’aurait, par principe, pas pour effet de créer un ensemble de biens et de dettes séparé de son patrimoine personnel, sauf à créer une personne morale ou à accomplir les formalités aux fins de constituer un patrimoine professionnel.

Très tôt le principe d’unicité du patrimoine a été critiqué par la doctrine en ce qu’elle exposait l’entrepreneur individuel à des risques financiers importants sur son patrimoine personnel pour des dettes nées dans le cadre de son activité professionnelle.

Jusque récemment, la seule solution qui s’offrait à lui pour contourner le principe d’unicité du patrimoine était de créer une société, laquelle serait titulaire d’un patrimoine distinct de son propre patrimoine.

À cet égard, tout entrepreneur individuel, qu’il soit commerçant, artisan, indépendant ou agriculteur, peut créer une société unipersonnelle à responsabilité limitée et opérer de cette manière une distinction entre son patrimoine personnel et son patrimoine professionnel.

L’EURL n’a toutefois pas obtenu le succès escompté, les entrepreneurs individuels préférant majoritairement exercer leur activité en nom propre.

Par souci de justice sociale et de protection de la famille des entrepreneurs ayant adopté cette seconde modalité – risquée – d’exercice, le législateur a finalement décidé d’ouvrir une brèche dans le principe d’unicité du patrimoine en créant, par la loi n° 2010-658 du 15 juin 2010, le statut d’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL).

La particularité de ce statut – et c’est la révolution opérée par ce texte – est qu’il permet à l’entrepreneur individuel, tout à la fois d’exercer son activité en nom propre et de créer un patrimoine d’affectation.

Pour la première fois, l’entrepreneur individuel était ainsi autorisé à affecter un patrimoine à l’exercice de son activité professionnelle de façon à protéger son patrimoine personnel et familial, sans créer de personne morale distincte de sa personne.

À l’analyse, la création d’un patrimoine d’affectation déroge aux règles posées aux articles 2284 et 2285 du Code civil, en établissant que les créances personnelles de l’entrepreneur ne sont gagées que sur le patrimoine non affecté, et les créances professionnelles sur le patrimoine affecté.

L’admission de la constitution d’un patrimoine d’affectation opère donc une rupture profonde avec le dogme de l’unicité du patrimoine organisé jusqu’alors par le droit civil français.

Le bénéfice du régime de l’EIRL était toutefois subordonné à l’observation d’un formalisme rigoureux visant à garantir la sécurité juridique de l’entrepreneur lui-même et des tiers.

Pour créer un patrimoine d’affectation, l’entrepreneur devait notamment :

  • D’une part, procéder à une déclaration d’affectation
  • D’autre part, tenir une comptabilité séparée

Là encore, à l’instar de l’EURL, l’EIRL n’a pas rencontré un franc succès chez les entrepreneurs individuels.

Selon une étude réalisée par le Conseil d’État, en 2021, seuls 97 000 chefs d’entreprise étaient soumis au régime de l’EIRL alors que, à la même époque, on comptait près de 3 millions de travailleurs indépendants.

Les raisons de cet échec doivent sans doute être recherchées dans la complexité des formalités administratives et comptables requises pour créer une EIRL, quoiqu’elles aient été progressivement simplifiées, notamment par la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises dite « PACTE ».

C’est dans ce contexte, qu’il est à nouveau apparu nécessaire de réformer le statut de l’entrepreneur individuel.

==> La création d’un statut unique d’entrepreneur individuel

Animé par la volonté de renforcer la protection des travailleurs indépendants, le législateur est intervenu en 2022 aux fins de créer un statut unique d’entrepreneur individuel.

À cet effet, la loi n° 2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante a innové en instaurant une séparation de plein droit entre le patrimoine personnel et le patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel.

Il n’est désormais plus nécessaire que celui-ci procède à une déclaration préalable d’affectation.

Dès lors qu’une personne exerce en son nom propre une ou plusieurs activités professionnelles indépendantes, elle est titulaire de deux patrimoines :

  • Un patrimoine professionnel constitué des biens, droits, obligations et sûretés dont l’entrepreneur est titulaire et qui sont utiles à son activité ou à ses activités professionnelles indépendantes
  • Un patrimoine personnel constitué des éléments du patrimoine de l’entrepreneur individuel non compris dans le patrimoine professionnel

Outre la consécration d’une séparation de plein droit des patrimoines de l’entrepreneur individuel, la loi du 14 février 2022 a instauré un dispositif permettant la transmission universelle du patrimoine professionnel entre vifs, y compris sous la forme d’un apport en société.

Ce dispositif déroge au principe selon lequel une personne physique ne peut, de son vivant, transmettre son patrimoine.

Pour cette catégorie de personnes, il est seulement permis de transmettre des biens et des obligations à titre particulier.

Le régime de cette transmission universelle de patrimoine instauré par la loi du 14 février 2022 est largement emprunté à celui applicable en cas de fusion de sociétés ou de réunion des parts sociales en une seule main.

À cet égard, bien qu’ouvert désormais aux personnes physiques, ce nouveau dispositif, à l’instar de la séparation des patrimoines professionnel et personnel, ne peut bénéficier qu’aux seuls entrepreneurs individuels.

§1: Les conditions d’éligibilité au statut d’entrepreneur individuel

Le statut institué par la loi n° 2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante ne bénéficie qu’aux seuls entrepreneurs individuels.

L’article L. 526-22 du Code de commerce définit l’entrepreneur individuel comme « une personne physique qui exerce en son nom propre une ou plusieurs activités professionnelles indépendantes. »

Il ressort de cette disposition que la qualité d’entrepreneur individuel requiert la réunion de plusieurs éléments cumulatifs :

  • Premier élément
    • L’entrepreneur individuel est nécessairement une personne physique.
    • Et pour cause, le statut unique d’entrepreneur individuel a précisément été créé pour les personnes qui ne souhaitaient pas, pour diverses raisons, exercer leur activité professionnelle par l’entremise d’une société.
    • Aussi, le statut d’entrepreneur individuel ne saurait être sollicité par une personne morale.
    • Une société est donc strictement assujettie au principe d’unicité de son patrimoine sans possibilité pour elle d’y déroger.
  • Deuxième élément
    • L’entrepreneur individuel exerce nécessairement en son nom propre, ce qui signifie qu’il agit pour son propre compte.
    • Il n’intervient donc pas en représentation d’une tierce personne, de sorte qu’il est personnellement tenu aux engagements qu’il souscrit.
  • Troisième élément
    • Pour se prévaloir du statut d’entrepreneur individuel, il est nécessaire, précise l’article L. 526-22 du Code de commerce, d’exercer « une ou plusieurs activités professionnelles».
    • La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par « activité professionnelle».
    • Aussi, l’activité exercée par l’entrepreneur doit constituer une profession.
    • Par profession, il faut entendre selon le doyen Riper « le fait de consacrer d’une façon principale et habituelle son activité à l’accomplissement d’une tâche dans le dessein d’en tirer profit »
    • En d’autres termes, pour qu’une activité constitue une profession, cela suppose qu’elle soit, pour son auteur, sa principale source de revenus et, surtout, lui permette d’assurer la pérennité de son entreprise
  • Quatrième élément
    • Le statut d’entrepreneur individuel ne peut bénéficier qu’aux personnes qui exercent une activité indépendante.
    • L’indépendance dont il s’agit est juridique et non économique.
    • Il en résulte que les membres d’un réseau de distribution ou un franchisé peuvent parfaitement endosser le statut d’entrepreneur individuel.
    • Les personnes en revanche exclues du bénéfice de ce statut sont :
      • Les salariés qui agissent pour le compte de leur employeur.
      • Les dirigeants sociaux qui agissent au nom et pour le compte d’une société.
      • Les mandataires, tels que les agents commerciaux qui représentent un commerçant

Il ressort de ces quatre éléments constitutifs de la notion d’entrepreneur individuel que le statut attaché à cette qualité est ouvert à de nombreux agents économiques au nombre desquels figurent notamment les commerçants, les artisans, les agriculteurs et plus généralement tous les autres professionnels indépendants, qu’ils relèvent ou nom d’une profession réglementée.

À cet égard, comme indiqué par les travaux parlementaires, l’immatriculation à un registre de publicité légale professionnelle n’est pas une condition pour bénéficier du statut d’entrepreneur individuel : ce statut peut donc bénéficier à un entrepreneur individuel dont la profession n’est pas soumise à une réglementation qui lui est propre et qui n’est donc pas inscrit sur un registre spécifique ou un ordre particulier.

§2: Les conditions d’exercice du statut d’entrepreneur individuel

==> La dénomination professionnelle

L’article R. 526-27 du Code de commerce issu du décret n° 2022-725 du 28 avril 2022, pose deux exigences s’agissant de la dénomination professionnelle adoptée par l’entrepreneur individuel :

  • Première exigence
    • Pour l’exercice de son activité professionnelle l’entrepreneur individuel utilise une dénomination incorporant son nom ou nom d’usage précédé ou suivi immédiatement des mots : “ entrepreneur individuel ” ou des initiales : “ EI ”.
    • Cette restriction de la liberté de choisir une dénomination professionnelle se justifie par la protection des tiers auxquels le statut de l’entrepreneur individuel doit être porté à leur connaissance.
  • Seconde exigence
    • La dénomination choisie par l’entrepreneur individuel doit figurer sur tous les documents et correspondances à usage professionnel de l’intéressé.

À ces deux exigences énoncées par l’article R. 526-27 du Code de commerce, il convient d’en compter une troisième lorsque l’entrepreneur individuel exerce une activité commerciale.

En effet, l’article R. 123-237 du Code de commerce prévoit que toute personne immatriculée au registre du commerce et des sociétés est tenu d’indiquer sur ses factures, notes de commande, tarifs et documents publicitaires ainsi que sur toutes correspondances et tous récépissés concernant son activité et signés par elle ou en son nom la dénomination utilisée pour l’exercice de l’activité professionnelle incorporant son nom ou nom d’usage précédé ou suivi immédiatement des mots : “ entrepreneur individuel ” ou des initiales : “ EI ”.

Il devra indiquer, en outre, sur son site internet la mention RCS suivie du nom de la ville où se trouve le greffe où elle est immatriculée.

==> Le compte bancaire

Sous l’empire du droit antérieur, l’article L. 526-13 du Code de commerce imposait à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL) d’« ouvrir dans un établissement de crédit un ou plusieurs comptes bancaires exclusivement dédiés à l’activité à laquelle le patrimoine a été affecté ».

Le décret n° 2022-725 du 28 avril 2022 a mis fin à cette obligation, de sorte que l’entrepreneur individuel n’est plus tenu d’ouvrir un compte bancaire exclusivement dédié à son activité professionnelle.

L’article R. 526-27 du Code de commerce prévoit seulement que « chaque compte bancaire dédié à son activité professionnelle ouvert par l’entrepreneur individuel doit contenir la dénomination dans son intitulé. »

Traitement des situations de crise traversées par le couple marié: les mesures de sauvegarde (art. 220-1 et s. C. civ.)

Si, comme aiment à le rappeler certains auteurs le mariage est envisagé par le droit comme ce qui « confère à la famille sa légitimité »[1] et plus encore, comme son « acte fondateur »[2], il demeure malgré tout impuissant à la mettre à l’abri des épreuves qui se dressent sur son chemin.

Pour paraphraser le titre d’un film désormais devenu célèbre mettant en scène deux familles qui évoluent dans des milieux sociaux radicalement opposés : la vie maritale n’est pas un long fleuve tranquille.

Nombre d’événements sont susceptibles d’affecter son cours, à commencer par ce qu’il y a de plus ordinaire, mais pas moins important : la maladie, les disputes et plus généralement toutes ces situations qui font obstacle au dialogue dans le couple.

Or sans dialogue, sans échange, sans compromis, le couple marié ne peut pas fonctionner, à tout le moins s’agissant de l’accomplissement des actes les plus graves, soit ceux qui requièrent le consentement des deux époux.

Que faire lorsque le couple rencontre des difficultés qui peuvent aller du simple désaccord à l’impossibilité pour un époux d’exprimer sa volonté ?

Afin de permettre au couple de surmonter ces difficultés, le législateur a mis en place plusieurs dispositifs énoncés aux articles 217, 219 et 220-1 du Code civil.

Parmi ces dispositifs qui visent spécifiquement à régler les situations de crise traversées par le couple marié on compte :

  • L’autorisation judiciaire
  • La représentation judiciaire
  • La sauvegarde judiciaire.

Nous nous focaliserons ici sur la sauvegarde judiciaire.

En situation de crise conjugale, tandis que la représentation judiciaire (art. 219 C. civ.) et l’autorisation judiciaire (art. 217 C. civ.) visent à étendre les pouvoirs d’un époux aux fins de lui permettre d’accomplir un ou plusieurs actes sans le consentement de son conjoint, il est des mesures qui produisent l’effet radicalement puisque consistant à réduire les prérogatives de ce dernier en l’interdisant d’agir.

Le point commun entre ces trois dispositifs réside dans leur finalité : ils ont vocation à permettre au couple de surmonter une crise et de préserver les intérêts de la famille.

S’agissant spécifiquement des mesures qui ont pour effet de restreindre les pouvoirs d’un époux, elles sont envisagées aux articles 220-1, 220-2 et 220-3 du Code civil.

Ces mesures sont issues de la loi n° 65-570 du 13 juillet 1965 portant réforme des régimes matrimoniaux.

Le législateur justifiait leur instauration à l’époque en indiquant, dans l’exposé des motifs de la loi, que « tout cet effort en vue d’accomplir l’égalité entre l’homme et

la femme dans le régime matrimonial devait, si l’on voulait qu’il fût efficace, suivant une vision réaliste des choses, être complété par trois séries de mesures, quelque peu extérieures à la structure même des régimes matrimoniaux ».

Il poursuit en affirmant que, au nombre de ces mesures, doivent figurer « des mesures de protection adaptées au quotidien de la vie, contre les dangers que peut faire courir aux intérêts familiaux un époux irréfléchi ou malveillant.

Tel est la finalité des mesures envisagées aux articles 220-1 et suivants du Code civil : octroyer le droit à chaque époux, pour les situations matrimoniales de crise, de recourir au juge afin d’obtenir des mesures urgentes et provisoires tendant à empêcher des actes juridiques de disposition, voire des actes matériels de détournement.

Le prononcé de ces mesures est toutefois subordonné à la réunion de plusieurs conditions. Lorsqu’elles sont réunies, le juge dispose d’une relativement grande latitude quant au choix des mesures urgentes qui peuvent être prises.

I) Les conditions des mesures

L’article 220-1 du Code civil prévoit que « si l’un des époux manque gravement à ses devoirs et met ainsi en péril les intérêts de la famille, le juge aux affaires familiales peut prescrire toutes les mesures urgentes que requièrent ces intérêts. »

Il ressort de cette disposition que la prescription par le juge de mesures urgentes est subordonnée à la réunion de deux conditions cumulatives :

  • D’une part, l’établissement d’un manquement grave de l’un des époux à ses devoirs
  • D’autre part, l’existence d’une mise en péril des intérêts de la famille

A) S’agissant du manquement grave de l’un des époux à ses devoirs

L’exigence d’établissement d’un manquement grave de l’un des époux à ses devoirs n’est pas sans faire écho à la notion de faute en matière de divorce contentieux.

Pour mémoire, l’article 242 du Code civil prévoit que « le divorce peut être demandé par l’un des époux lorsque des faits constitutifs d’une violation grave ou renouvelée des devoirs et obligations du mariage sont imputables à son conjoint et rendent intolérable le maintien de la vie commune. »

Si dans les deux cas le manquement aux devoirs du mariage doit être grave, là s’arrête la ressemblance.

En effet, l’article 220-1 du Code civil n’exige pas que ce manquement rende intolérable le maintien de la vie commune.

Par ailleurs, il est indifférent que ce manquement ne soit pas imputable au conjoint contre lequel les mesures urgences sont sollicitées, à tout le moins c’est la thèse que nous défendons.

Ce qui importe c’est qu’un manquement soit constaté, l’objectif recherché étant, moins de sanctionner un époux, que de sauvegarder les intérêts en péril de la famille.

Aussi, on pourrait envisager que des mesures urgentes puissent être prises à l’encontre d’un époux, alors même qu’il n’a commis aucune faute. Reste que sur ce point, la doctrine est divisée.

S’agissant des manquements susceptibles de justifier l’adoption de ces mesures, ils peuvent porter :

  • Soit sur des devoirs qui relèvent du régime primaire impératif
  • Soit sur des devoirs qui relèvent du régime matrimonial

Par ailleurs, les devoirs qui ont fait l’objet d’une violation peuvent tout aussi bien être d’ordre patrimonial, qu’extrapatrimonial.

Au nombre des devoirs dont le manquement est susceptible de donner lieu à l’adoption de mesures urgences on compte notamment :

  • L’obligation de vie commune ( 215 al. 1 C. civ.)
  • Le devoir de respect ( 212 C. civ.)
  • Le devoir de fidélité ( 212 C. civ.)
  • Le devoir de secours ( 212 C. civ.)
  • Le devoir d’assistance ( 212 C. civ.)
  • Le devoir conjugal ( 215, al. 1 C. civ.)
  • L’obligation de contribuer aux charges du mariage ( 214 C. civ.)
  • L’obligation de solidarité aux dettes ménagères ( 220 C. civ.)

Comme prévu par l’article 220-1, il ne suffit pas qu’un manquement aux devoirs de l’un des époux soit constaté pour que des mesures urgentes soient prises, qui rappelons le, conduisent à restreindre les pouvoirs d’un époux, ce qui n’est pas neutre.

Il faut encore que ce manquement soit « grave », en ce sens qu’il doit :

  • Soit être renouvelé
  • Soit être caractérisé

Un simplement manquement ne saurait justifier l’intervention du juge. Au fond, l’article 220-1 du Code civil ne peut être mobilisé par un époux que s’il y a lieu de résoudre une crise profonde traversée par le couple.

Le juge n’a pas vocation à régler les difficultés du quotidien que le couple est en mesure de surmonter lui-même, à tout le moins qui ne sont pas de nature à mettre en péril les intérêts de la famille.

Car c’est là le critère décisif d’appréciation qui guidera le juge quant à l’opportunité de prononcer une mesure urgente.

B) S’agissant de la mise en péril des intérêts de la famille

Le manquement grave de l’un des époux à ses devoirs doit donc être apprécié en fonction des conséquences que ce manquement emporte et plus précisément du péril qu’il fait courir aux intérêts de la famille.

La question qui alors se pose est double :

  • Que doit-on entendre par péril
  • Que doit-on entendre par intérêt de la famille

==> Sur la notion de péril

Le texte est silencieux sur la notion de péril. Si l’on se reporte à la définition commune, il s’agit de l’état d’une personne qui court de grands risques, qui est menacée dans sa sécurité, dans ses intérêts ou dans son existence même.

Ce qu’il y a lieu de retenir de cette définition, c’est que lorsqu’il y a péril, le préjudice bien que, imminent, ne s’est pas encore réalisé.

Aussi, faut-il interpréter l’article 220-1 du Code civil comme autorisant à saisir le juge, alors même que les intérêts de la famille n’ont pas été contrariés. Ils sont seulement menacés par la conduite déviante d’un époux.

Afin d’empêcher que cette conduite ne cause un préjudice à la famille, il est nécessaire d’adopter des mesures préventives.

Pour mettre en jeu l’article 220-1 du Code civil, il est donc indifférent qu’un dommage se soit produit. Ce qui importe c’est que soit établi l’existence d’un risque imminent de réalisation de se dommage.

==> Sur la notion d’intérêt de la famille

Pour que des mesures urgentes soient prises par le juge, le manquement de l’un des époux doit être de nature à mettre en péril les intérêts de la famille.

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir ce que l’on doit entendre par intérêt de la famille. Que recouvre cette notion que l’on retrouve dans de nombreuses autres dispositions du Code civil et notamment, en matière d’autorisation judiciaire (art. 217 C. civ.) ou encore en matière de changement de régime matrimonial (art. 1397 C. civ.) ?

À l’analyse, la notion d’intérêt de la famille n’est définie par aucun texte. La raison en est que le législateur a souhaité conférer une liberté d’appréciation au juge qui donc n’est pas entravé dans son appréhension de la situation qui lui est soumise.

Dans un arrêt du 6 janvier 1976, la Cour de cassation est seulement venue préciser, dans une affaire se rapportant à un changement de régime matrimonial, que « l’existence et la légitimé d’un tel intérêt doivent faire l’objet d’une appréciation d’ensemble, le seul fait que l’un des membres de la famille de se trouver lésé n’interdisant pas nécessairement la modification ou le changement envisagé » (Cass. 1ère civ. 6 janv. 1976, n°74-12.212).

Il s’infère de cette décision que la notion d’intérêt de la famille doit faire l’objet d’une appréciation d’ensemble.

Autrement dit, il appartient au juge d’apprécier cet intérêt pris dans sa globalité, soit en considération des intérêts de chaque membre de la famille, étant précisé que la jurisprudence tient compte, tant des intérêts des époux, que de celui des enfants.

La Cour d’appel de Paris a jugé en ce sens que « les descendants des époux doivent être pris en compte pour l’appréciation objective qui doit être donnée de l’intérêt de la famille pris dans sa globalité » (CA Paris, 11 sept. 1997).

L’intérêt de la famille doit ainsi être apprécié par le juge comme constituant un tout, ce qui exige qu’il cherche à en avoir une vue d’ensemble.

Aussi, l’intérêt de la famille ne saurait se confondre avec l’intérêt personnel d’un seul de ses membres.

Et s’il est des cas où c’est la préservation d’un intérêt individuel qui guidera la décision de juge quant à retenir l’intérêt de la famille. Reste qu’il ne pourra statuer en ce sens qu’après avoir réalisé une balance des intérêts en présence.

Quelles sont les situations de mise en péril des intérêts de la famille susceptibles de justifier l’adoption de mesures urgentes ?

Il s’agit, la plupart du temps, de situations qui présentent un enjeu pécuniaire, bien que l’intérêt de la famille puisse être tout autant d’ordre patrimonial, que d’ordre extrapatrimonial.

S’agissant de la charge de la preuve, dans la mesure où l’intérêt de la famille doit faire l’objet d’une appréciation d’ensemble, elle pèserait, selon André Colomer, sur les deux époux, chacun devant convaincre le juge du caractère justifié ou injustifié du refus d’accomplir l’acte discuté.

Reste que, en cas de doute, il conviendra d’appliquer l’article 1353 du Code civil, qui fait peser la charge de la preuve sur l’époux qui sollicite une mesure urgente.

II) L’objet des mesures

Il ressort du premier alinéa de l’article 220-1 du Code civil que les mesures susceptibles d’être prises par le juge peuvent être classées en deux catégories :

  • Les mesures prises en application d’un principe général
  • Les mesures prises en application de dispositions spéciales

A) Les mesures prises en application d’un principe général

L’article 220-1 du Code civil pose un principe général aux termes duquel, lorsque les conditions sont réunies, le juge peut prescrire toutes les mesures urgentes que requièrent les intérêts de la famille.

La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par mesures urgentes. Le texte ne fournit aucune définition.

Classiquement, on dit qu’il y a urgence lorsque « qu’un retard dans la prescription de la mesure sollicitée serait préjudiciable aux intérêts du demandeur » (R. Perrot, Cours de droit judiciaire privé, 1976-1977, p. 432).

Il appartient de la sorte au juge de mettre en balance les intérêts de la famille qui, en cas de retard, sont susceptibles d’être mis en péril et les intérêts de l’époux défendeur qui pourraient être négligés en cas de décision trop hâtive à tout le moins mal-fondée.

En toute hypothèse, l’urgence est appréciée in concreto, soit en considération des circonstances de la cause.

En tout état de cause, les mesures urgentes peuvent être, tout aussi bien des mesures d’ordre patrimonial (interdiction d’accomplir un acte sur un bien) que des mesures extrapatrimoniales (éloignement du conjoint violent de la résidence familiale).

B) Les mesures prises en application de dispositions spéciales

L’alinéa 2 de l’article 220-1 du Code civil envisage deux séries de mesures susceptibles d’être prises par le juge en situation de crise conjugale :

  • En premier lieu, il peut interdire à un époux de faire, sans le consentement de l’autre, des actes de disposition sur ses propres biens ou sur ceux de la communauté, meubles ou immeubles.
  • En second lieu, Il peut interdire le déplacement des meubles, sauf à spécifier ceux dont il attribue l’usage personnel à l’un ou à l’autre des conjoints.

==> S’agissant de l’interdiction d’accomplir des actes de disposition

Il s’agit donc ici d’interdire à un époux d’accomplir des actes de disposition sans le consentement de son conjoint, ce qui revient à étendre, temporairement, le domaine de la cogestion.

Le texte ne précisant pas quels biens seraient concernés par cette mesure, on en déduit qu’il est indifférent qu’il s’agisse d’un bien commun ou d’un bien propre.

Il est encore indifférent que le bien consiste en un meuble ou un immeuble. Tous les biens sont susceptibles de faire l’objet d’une mesure de sauvegarde.

Par ailleurs, ce type de mesure peut être prononcé dans le cadre de n’importe quel régime matrimonial, notamment sous la séparation de biens. Il s’agit là d’une règle particulièrement dérogatoire au droit commun.

La seule contrainte qui s’impose au juge est que la mesure prise se limite à sauvegarder les intérêts de la famille, en ce sens qu’elle doit être adoptée à titre conservatoire.

Elle ne saurait produire des effets irréversibles au préjudice de l’époux contre lequel elle est prononcée.

Ainsi, est-il exclu que le juge puisse autoriser l’accomplissement d’un acte de disposition sur le fondement de l’article 220-1 du Code civil.

==> S’agissant de l’interdiction de déplacer des meubles

Il s’agit ici d’interdire à un époux de meubles, sauf à spécifier ceux dont il attribue l’usage personnel à l’un ou à l’autre des conjoints.

Là encore, le texte n’opère aucune distinction entre les biens, sinon celle tenant à leur caractère mobilier. Car seuls les meubles sont visés ici.

En revanche, il est indifférent que le bien soit commun ou appartienne en propre à un époux.

Le plus souvent, seront concernés par ce type de mesures les biens affectés à l’activité professionnelle d’un époux ou les meubles qui garnissent le logement familial.

À la vérité, il s’agit là d’une mesure qui sera prononcée en prévision de la mise en œuvre d’une procédure de divorce.

III) La mise en œuvre des mesures

A) Procédure

L’article 1290 du Code de procédure civile prévoit que « les mesures urgentes prévues à l’article 220-1 du code civil sont prescrites par le juge aux affaires familiales statuant en référé ou, en cas de besoin, par ordonnance sur requête. »

Le juge peut ainsi être saisi :

  • Soit par voie d’assignation en référé
    • Dans cette hypothèse, l’adoption de la mesure sollicitée féra l’objet d’un débat contradictoire
  • Soit par voie de requête
    • Dans cette hypothèse, la mesure pourra être prononcée par le juge sans discussion préalable entre les époux sur son bien-fondé

La voie la plus rapide est, sans aucun doute, la procédure sur requête. Elle est particulièrement indiquée lorsqu’il s’agit de provoquer un effet de surprise ou d’obtenir une décision dans l’urgence.

Elle présente néanmoins l’inconvénient de conduire à l’adoption d’une mesure pour le moins fragile puisque plus facilement révocable en raison de son caractère non contradictoire.

Pour ce faire, il appartiendra à l’époux défendeur d’engager une procédure de référé-rétraction qui, quelle que soit l’issue, aura pour effet de retarder la mise en œuvre de la mesure.

B) Durée de la mesure

L’article 220-1 al. 3e du Code civil prévoit que « la durée des mesures prises en application du présent article doit être déterminée par le juge et ne saurait, prolongation éventuellement comprise, dépasser trois ans. »

Ainsi, s’il appartient au juge de fixer la durée de la mesure, cette durée ne peut excéder trois ans ce qui confère un caractère nécessairement provisoire à la mesure.

À cet égard, il est admis qu’en cas de circonstances nouvelles, de nouvelles mesures seraient susceptibles d’être prises à l’issue du délai de trois ans.

À l’inverse, en cas de disparition des circonstances qui justifiaient l’adoption de la mesure, le juge pourra être saisi pour en prononcer la révocation ou la modification.

Dans un arrêt du 25 octobre 1972, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « l’obligation faite aux juges […] de déterminer la durée des mesures de sauvegarde qu’il ordonne n’est pas prévue à peine de nullité de la décision qui a un caractère provisoire et dont les dispositions peuvent à tout moment être rapportée ou modifiées » (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 25 oct. 1972, n°71-13073).

C) Publicité de la mesure

S’agissant de la publicité de la mesure prononcée par le juge, elle n’est exigée que pour les mesures spécifiques visées par l’alinéa 2 de l’article 220-1 du Code civil, c’est-à-dire :

  • L’interdiction d’accomplir des actes de disposition
  • L’interdiction de déplacer des meubles

==> S’agissant de l’interdiction d’accomplir des actes de disposition

L’article 220-2, al. 1er du Code civil prévoit que si l’ordonnance porte interdiction de faire des actes de disposition sur des biens dont l’aliénation est sujette à publicité, elle doit être publiée à la diligence de l’époux requérant.

Lorsque le bien est un immeuble, la publicité devra être réalisée conformément aux règles de la publicité foncière.

En tout état de cause, cette publication cesse de produire effet à l’expiration de la période déterminée par l’ordonnance, sauf à la partie intéressée à obtenir dans l’intervalle une ordonnance modificative, qui sera publiée de la même manière.

==> S’agissant de l’interdiction de déplacer des meubles

L’article 220-2, al. 2e du Code civil prévoit que si l’ordonnance porte interdiction de disposer des meubles corporels, ou de les déplacer, elle est signifiée par le requérant à son conjoint, et a pour effet de rendre celui-ci gardien responsable des meubles dans les mêmes conditions qu’un saisi.

Lorsqu’elle est signifiée à un tiers, elle le constitue de mauvaise foi. Autrement dit, en cas d’acquisition du bien déplacé, il sera contraint de le restituer.

Si, en revanche, la mesure ne lui est pas signifiée, il sera présumé de bonne foi, de sorte qu’elle lui sera inopposable, sauf à ce qu’il soit établi qu’il en avait connaissance.

D) Sanction de l’inobservation de la mesure

  1. La nullité de l’acte

L’article 220-3 du Code civil prévoit que l’inobservation de la mesure de sauvegarde prononcée par le juge est sanctionnée par la nullité de l’acte.

Par nullité, il faut entendre l’anéantissement de l’acte, en ce sens qu’il est censé n’avoir jamais existé.

Il est donc supprimé de l’ordonnancement juridique, tant pour ses effets passés, que pour ses effets futurs.

  1. Caractère de la nullité

Une lecture de l’article 220-3 du Code civil révèle que les actes accomplis en violation de l’ordonnance peuvent ne pas être systématiquement annulés. Ils sont seulement « annulables ».

La doctrine a déduit de cette formulation que la nullité visée par l’article 220-3 du Code civil était facultative, en ce sens qu’elle ne s’impose pas au juge.

Il lui est donc permis de ne pas prononcer la nullité de l’acte, alors mêmes que les conditions seraient réunies. Il dispose, en la matière, d’un large pouvoir d’appréciation.

  1. Titularité de l’action en nullité

L’article 220-3 du Code civil prévoit que les actes accomplis en violation de l’ordonnance sont annulables « à la demande du conjoint requérant ».

L’action appartient donc au seul époux que la mesure vise à protéger. Il s’agit là d’une nullité relative, car sanctionnant la violation d’une règle de protection.

  1. Les actes annulables

La question qui ici se pose est de savoir quels sont les actes accomplis en violation de l’ordonnance qui sont susceptibles d’être annulés.

L’article 220-3 du Code civil prévoit que sont annulables « tous les actes accomplis en violation de l’ordonnance, s’ils ont été passés avec un tiers de mauvaise foi, ou même s’agissant d’un bien dont l’aliénation est sujette à publicité, s’ils sont simplement postérieurs à la publication prévue par l’article précédent. »

Il s’infère de cette disposition qu’il y a lieu de distinguer deux situations :

==> L’aliénation du bien discuté n’exige pas l’accomplissement d’une mesure de publicité

Dans cette hypothèse, l’acte de disposition ne pourra être annulé qu’à la condition que la mauvaise foi du tiers soit établie.

À cet égard, sa mauvaise foi sera présumée, dès lors que l’ordonnance lui aura été signifié. Il ne pourra, en effet, pas avancer qu’il ignorait l’existence de la mesure.

==> L’aliénation du bien discuté exige l’accomplissement d’une mesure de publicité

Dans cette hypothèse, l’article 220-3, al. 1er du Code civil distingue deux situations :

  • Les actes ont été accomplis postérieurement à la publication de l’ordonnance
    • Dans cette hypothèse, ils sont annulables peu importe que tiers soit de bonne ou de mauvaise moi.
    • Il y a, en quelque sorte, présomption irréfragable de mauvaise foi du tiers.
  • Les actes ont été accomplis antérieurement à la publication de l’ordonnance
    • Dans cette hypothèse, il y a lieu de distinguer selon que le tiers est de bonne ou de mauvaise foi.
      • S’il est de mauvaise foi, l’acte pourra être annulé
      • S’il est de bonne foi, l’acte ne demeurera validé
    • La bonne ou mauvaise foi du tiers tient à sa connaissance de la mesure
  1. La prescription de l’action en nullité

L’article 220-3, al. 2e du Code civil prévoit que l’action en nullité est ouverte à l’époux requérant pendant deux années à partir du jour où il a eu connaissance de l’acte, sans pouvoir jamais être intentée, si cet acte est sujet à publicité, plus de deux ans après sa publication.

Cette disposition enferme ainsi l’action en nullité dans un double délai :

  • Le requérant doit agir dans un délai de deux ans à compter du jour où il a connaissance de l’acte accompli en violation de l’ordonnance
  • Le requérant ne pourra jamais agir au-delà d’un délai de deux ans, à compter de la date de publication de l’ordonnance.

[1] F. Terré, Droit civil – La famille, éd. Dalloz, 2011, n°325, p. 299

[2] Ph. Malaurie et H. Fulchiron, La famille, Defrénois, coll. « Droit civil », 2006, n°47, p. 25.

Traitement des situations de crise traversées par le couple marié: la représentation judiciaire (art. 219 C. civ.)

Paragraphe

Si, comme aiment à le rappeler certains auteurs le mariage est envisagé par le droit comme ce qui « confère à la famille sa légitimité »[1] et plus encore, comme son « acte fondateur »[2], il demeure malgré tout impuissant à la mettre à l’abri des épreuves qui se dressent sur son chemin.

Si, comme aiment à le rappeler certains auteurs le mariage est envisagé par le droit comme ce qui « confère à la famille sa légitimité »[1] et plus encore, comme son « acte fondateur »[2], il demeure malgré tout impuissant à la mettre à l’abri des épreuves qui se dressent sur son chemin.

Pour paraphraser le titre d’un film désormais devenu célèbre mettant en scène deux familles qui évoluent dans des milieux sociaux radicalement opposés : la vie maritale n’est pas un long fleuve tranquille.

Nombre d’événements sont susceptibles d’affecter son cours, à commencer par ce qu’il y a de plus ordinaire, mais pas moins important : la maladie, les disputes et plus généralement toutes ces situations qui font obstacle au dialogue dans le couple.

Or sans dialogue, sans échange, sans compromis, le couple marié ne peut pas fonctionner, à tout le moins s’agissant de l’accomplissement des actes les plus graves, soit ceux qui requièrent le consentement des deux époux.

Que faire lorsque le couple rencontre des difficultés qui peuvent aller du simple désaccord à l’impossibilité pour un époux d’exprimer sa volonté ?

Afin de permettre au couple de surmonter ces difficultés, le législateur a mis en place plusieurs dispositifs énoncés aux articles 217, 219 et 220-1 du Code civil.

Parmi ces dispositifs qui visent spécifiquement à régler les situations de crise traversées par le couple marié on compte :

  • L’autorisation judiciaire
  • La représentation judiciaire
  • La sauvegarde judiciaire.

Tandis que les deux premières mesures visent à étendre les pouvoirs d’un époux afin de lui permettre d’accomplir seul un acte qui, en temps normal, supposerait l’accord de son conjoint, la troisième mesure a, quant à elle, pour effet de restreindre le pouvoir de l’époux qui manquerait gravement à ses devoirs et mettrait en péril les intérêts de la famille.

Nous nous focaliserons ici sur la représentation judiciaire.

La mesure de représentation judiciaire est envisagée à l’article 219 du Code civil. Ce texte prévoit que « si l’un des époux se trouve hors d’état de manifester sa volonté, l’autre peut se faire habiliter par justice à le représenter, d’une manière générale, ou pour certains actes particuliers, dans l’exercice des pouvoirs résultant du régime matrimonial, les conditions et l’étendue de cette représentation étant fixées par le juge. »

Il ressort de cette disposition qu’un époux peut donc se faire habiliter judiciairement à l’effet d’agir en représentation de son conjoint, soit d’accomplir des actes au nom et pour le compte de ce dernier.

À l’instar de l’autorisation judiciaire, cette mesure est issue de la loi du 22 septembre 1942. L’objectif recherché par le législateur était d’étendre les pouvoirs de la femme mariée qui devait être en capacité, en l’absence de son mari, d’accomplir les actes nécessaires au fonctionnement de la famille et de pourvoir à ses besoins.

La représentation judiciaire se différencie toutefois de l’autorisation judiciaire sur quatre points essentiels :

  • En premier lieu, la représentation a pour effet d’engager personnellement le conjoint représenté, tandis que l’autorisation judiciaire ne peut jamais obliger l’époux qui n’a pas consenti à l’acte. Elle engage uniquement, à titre personnel, l’époux auquel elle a été délivrée.
  • En deuxième lieu, l’habilitation d’un époux à l’effet de représenter son conjoint ne peut être délivrée que dans l’hypothèse où ce dernier est hors d’état de manifester sa volonté. Contrairement à l’autorisation judiciaire, elle ne peut jamais être octroyée aux fins de surmonter le refus d’un époux de consentir à un acte, peu importe que ce refus soit justifié ou non par l’intérêt de la famille.
  • En troisième lieu, il est indifférent que l’époux habilité soit investi d’un pouvoir sur le bien qui fait l’objet de l’acte accompli en représentation du conjoint, alors qu’il s’agit là d’une condition de délivrance de l’autorisation judiciaire.
  • En quatrième lieu, tandis que l’autorisation judiciaire est toujours délivrée pour l’accomplissement d’un ou plusieurs actes déterminés, la représentation judiciaire confère, au conjoint habilité un pouvoir général qui lui permet d’accomplir tout acte utile dans l’intérêt de l’époux représenté.

Afin d’appréhender le régime de la représentation judiciaire dans toutes ses composantes, il conviendra d’envisager, tout d’abord, les conditions de l’habilitation, puis les règles de procédure applicables et, enfin, les effets de la représentation.

I) Les conditions de la représentation judiciaire

A) Conditions quant aux circonstances

En application de l’article 219 du Code civil, un époux ne peut être habilité par le juge à l’effet de représenter son conjoint que dans l’hypothèse où ce dernier « se trouve hors d’état de manifester sa volonté ».

C’est là une différence fondamentale avec l’autorisation judiciaire qui peut également être délivrée si le refus du conjoint « n’est pas justifié par l’intérêt de la famille. »

Cette situation de crise n’étant pas visée par l’article 219, elle ne pourra jamais fonder l’octroi d’une habilitation judiciaire.

La raison en est que l’on ne saurait engager un époux contre son gré. Admettre le contraire reviendrait à porter atteinte au principe d’autonomie de la volonté.

Aussi, la représentation judiciaire n’a-t-elle été envisagée par le législateur que pour le cas où un époux est dans l’incapacité de consentir à l’accomplissement d’un acte.

La question qui ici se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par la formule « hors d’état de manifester sa volonté. »

Faute de précision à l’article 219 sur cette situation de crise, la doctrine suggère de se reporter à l’article 373 du Code civil qui prévoit que « est privé de l’exercice de l’autorité parentale le père ou la mère qui est hors d’état de manifester sa volonté, en raison de son incapacité, de son absence ou de toute autre cause. »

Il s’infère de ce texte que l’impossibilité pour un époux de manifester sa volonté correspondrait à :

  • D’une part, deux situations juridiquement bien identifiées que sont l’absence et l’incapacité
  • D’autre part, une troisième situation qui laisse le champ des possibles ouvert, puisque est seulement visée « toute autre cause ».

S’appuyant sur cette base textuelle pour déterminer ce que l’on devait entendre par « hors d’état de manifester sa volonté » la jurisprudence a jugé que les situations visées par l’article 373 recouvraient trois cas que sont :

  • L’absence
  • L’altération des facultés mentales
  • L’éloignement
  1. Sur l’absence

Cette situation est envisagée aux articles 112 à 132 du Code civil.

À cet égard, l’article 112 prévoit que « lorsqu’une personne a cessé de paraître au lieu de son domicile ou de sa résidence sans que l’on en ait eu de nouvelles, le juge des tutelles peut, à la demande des parties intéressées ou du ministère public, constater qu’il y a présomption d’absence. »

Dès lors que la présomption d’absence produit ses effets, ce qui suppose une constatation judiciaire par le juge des tutelles, le conjoint de la personne présumée absente peut se voir confier la gestion de ses biens.

À cet égard, il pourra notamment solliciter une habilitation judiciaire sur le fondement de l’article 219 du Code civil à l’effet d’accomplir un ou plusieurs actes au nom et pour le compte de son conjoint.

2. L’altération des facultés mentales

Bien que l’article 373 du Code civil vise seulement la situation d’incapacité, la jurisprudence considère que les mécanismes d’autorisation judiciaire et de représentation institués respectivement aux articles 217 et 219 du Code civil sont susceptibles de jouer plus largement en cas d’altération des facultés mentales d’un époux.

Il s’agit de l’hypothèse où ce dernier, sans nécessairement être frappé d’une incapacité (tutelle, curatelle, sauvegarde de justice, etc.), est privé de sa capacité de discernement à telle enseigne qu’il est inapte à exprimer une volonté libre et éclairée.

Cette inaptitude est de nature :

  • Tantôt à affecter la validité des actes qu’il accomplirait et notamment ceux qui requièrent le consentement des deux époux.
  • Tantôt à l’empêcher d’accomplir des actes nécessaires à la préservation de ses intérêts propres

Afin de remédier à cette situation qui, non seulement risque de causer un préjudice à l’époux qui se trouve hors d’état de manifester sa volonté, mais encore est susceptible de bloquer le fonctionnement du ménage, il est nécessaire que son conjoint puisse agir seul.

Pour ce faire, deux dispositifs sont susceptibles d’être mise en place :

  • Le premier dispositif relève du droit des incapacités: il s’agit de l’adoption d’une mesure de protection judiciaire (tutelle, curatelle ou sauvegarde de justice)
  • Le second relève du droit des régimes matrimoniaux: il s’agit de l’application des articles 217 ou 219 du Code civil (autorisation ou représentation judiciaires)

==> L’adoption d’une mesure de protection judiciaire

L’article 425 du Code civil prévoit que « toute personne dans l’impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts en raison d’une altération, médicalement constatée, soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles de nature à empêcher l’expression de sa volonté peut bénéficier d’une mesure de protection juridique »

Il ressort de cette disposition que lorsque les facultés mentales d’une personne sont altérées, il est susceptible – il n’y a là rien d’automatique – de faire l’objet d’une mesure de protection judiciaire, laquelle aura pour effet de le frapper d’une incapacité d’exercice plus ou moins étendue selon la mesure retenue par le juge des tutelles.

À l’analyse, les incapacités se divisent en deux catégories

  • Première catégorie : les majeurs frappés d’une incapacité d’exercice générale
    • Il s’agit des majeurs qui font l’objet d’une mesure de tutelle
    • L’incapacité d’exercice générale ne signifie pas qu’ils ne disposent pas de la faculté à être titulaire de droits
    • Ils ne sont nullement privés de leur capacité de jouissance générale.
    • Ils n’ont simplement pas la capacité d’exercer les droits dont ils sont titulaires.
    • Il leur faut être représentés par un tuteur pour l’accomplissement, tant des actes les plus graves (actes de disposition), que des actes de la vie courante (actes d’administration)
  • Seconde catégorie : les majeurs frappés d’une incapacité d’exercice spéciale
    • Il s’agit ici des majeurs qui font l’objet :
      • Soit d’une sauvegarde de justice
      • Soit d’une curatelle
      • Soit d’un mandat de protection future
    • En somme, ces personnes peuvent accomplir seules la plupart des actes de la vie courante.
    • Toutefois, pour les actes de disposition les plus graves, elles doivent se faire représenter.
    • L’étendue de leur capacité dépend de la mesure de protection dont elles dont l’objet.

==> Articulation entre droit des régimes matrimoniaux et droit des incapacités

La question s’est rapidement posée de savoir comment se combine le droit des incapacités avec le droit des régimes matrimoniaux qui, dans les hypothèses visées aux articles 217 et 219 du Code civil, étend les pouvoirs d’un époux aux fins de lui permettre d’accomplir des actes sans le consentement de son conjoint et qui, selon la mesure retenue, l’engage ou non.

L’articulation de ces deux branches du droit est envisagée à l’article 428 du Code civil qui prévoit que « la mesure de protection judiciaire ne peut être ordonnée par le juge qu’en cas de nécessité et lorsqu’il ne peut être suffisamment pourvu aux intérêts de la personne par la mise en œuvre du mandat de protection future conclu par l’intéressé, par l’application des règles du droit commun de la représentation, de celles relatives aux droits et devoirs respectifs des époux et des règles des régimes matrimoniaux, en particulier celles prévues aux articles 217, 219, 1426 et 1429 ou, par une autre mesure de protection moins contraignante. »

Il s’infère de cette disposition, issue de la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs, qu’est institué un principe de subsidiarité s’agissant de l’adoption d’une mesure de protection judiciaire.

Aussi, lorsqu’il est saisi d’une demande de mise en place d’une mesure de tutelle, de curatelle ou de sauvegarde de justice, le juge des tutelles doit désormais vérifier, au préalable, si les règles des régimes matrimoniaux, en particulier les articles 217, 219, 1426 et 1429 du Code civil, ne permettent pas de pourvoir, seuls, aux intérêts de la personne concernée.

L’objectif recherché ici par le législateur est que les mesures de protection judiciaire, qui sont assorties de lourdes contraintes, tant pour le majeur incapable, que pour son protecteur, ne puissent être adoptées qu’en dernier recours.

Il en résulte une primauté de l’application des articles 217 et 219 du Code civil sur la mise en place de ces mesures de protection.

Cette primauté n’est toutefois pas sans limite. Lorsqu’un mandat de protection future a été valablement régularisé, l’article 483, al. 1er, 4° interdit sa révocation au motif qu’il peut être suffisamment pourvu aux intérêts de la personne par l’application des règles du droit commun de la représentation, de celles relatives aux droits et devoirs respectifs des époux et des règles des régimes matrimoniaux.

Cette interdiction résulte de la loi n°2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice qui a notamment toiletté certaines dispositions régissant la protection des majeurs incapables.

Lorsque, dès lors, un mandat de protection est activé, il prime sur tout autre dispositif de protection, y compris les règles qui relèvent du régime matrimonial des époux, sauf à ce que l’acte envisagé ne soit pas couvert par le mandat.

==> Mise en œuvre

L’articulation entre l’article 428, qui relève du droit des incapacités, et les dispositifs institués aux articles 217 et 219 qui relèvent du droit des régimes matrimoniaux conduit à distinguer deux situations :

  • L’application des articles des articles 217 et 219 permet de pourvoir aux intérêts de la personne hors d’état de manifester sa volonté
    • En pareille hypothèse, parce que ces dispositions priment la mise en place d’une mesure de protection judiciaire, le juge des tutelles ne pourra faire droit à la demande d’adoption d’une tutelle, d’une curatelle ou encore d’une sauvegarde de justice.
    • Les actes qui requièrent le consentement de l’époux hors d’état de manifester sa volonté ne pourront être accomplis que dans le cadre, soit d’une autorisation judiciaire, soit de la représentation judiciaire.
    • Le conjoint pourra ainsi pourvoir aux intérêts propres de celui qui est hors d’état de manifester sa volonté et à continuer à faire fonctionner le ménage par le jeu des seuls articles 217 et 219 du Code civil.
  • L’application des articles des articles 217 et 219 ne permet pas de pourvoir aux intérêts de la personne hors d’état de manifester sa volonté
    • Dans cette hypothèse, une mesure de protection judiciaire pourra être adoptée à la faveur de l’époux dont les facultés mentales sont altérées.
    • Est-ce à dire que la mise en place d’une telle mesure est exclusive de la délivrance d’une autorisation judiciaire ou de la mise en place de la représentation judiciaire ?
    • Il n’en est rien. Ces mesures, qui relèvent du droit des régimes matrimoniaux, pourront toujours être prises pour les actes non couverts par la mesure de protection judiciaire.
    • Si, par exemple, l’époux sous sauvegarde de justice conserve sa capacité à aliéner des immeubles, son conjoint pourra solliciter une habilitation pour agir en représentation de ce dernier quant à la vente de la résidence secondaire du couple.

3. Sur l’éloignement

La jurisprudence considère que la formule « hors d’état de manifester sa volonté » recouvre la situation d’éloignement d’un époux qui, sans être sous le coup d’une présomption d’absence, serait dans l’incapacité matérielle de régulariser l’acte envisagé.

Cet éloignement peut être tout autant volontaire qu’involontaire. Il se peut, par exemple, que l’époux soit en déplacement à l’autre bout du monde, qu’il soit retenu en captivité (otage) ou encore qu’il soit injoignable.

Dans ces hypothèses, il est admis que les dispositifs de l’autorisation judiciaire et de la représentation puissent jouer.

B) Conditions quant aux pouvoirs

L’article 219, al. 1er du Code civil prévoit que si un époux peut être habilité à l’effet de représenter son conjoint qui se trouve hors d’état de manifester sa volonté, le mandat judiciaire qui lui est confié ne peut jouer que « dans l’exercice des pouvoirs résultant du régime matrimonial ».

De l’avis des auteurs, cette précision apportée par le texte quant au périmètre de la représentation n’est pas sans présenter une certaine ambiguïté.

La question se pose en effet de savoir dans l’exercice de quels pouvoirs le conjoint de l’époux empêché peut être habilité à le représenter[1].

Pour répondre à cette question il convient de revenir à l’ancienne rédaction de l’article 219 du Code civil qui visait, non pas « les pouvoirs résultant du régime matrimonial », mais les « pouvoirs que le contrat de mariage attribue » à l’époux empêché.

Cette formulation, qui était en vigueur sous l’empire de la loi du 22 septembre 1942, avait conduit les auteurs à se demander s’il n’y avait pas lieu d’exclure du périmètre de la représentation fondé sur l’article 219 du Code civil les pouvoirs des époux portant sur leurs bien propres.

Deux approches sont envisageables :

  • Première approche
    • Cette approche consiste à considérer que les pouvoirs dont sont investis les époux sur leurs biens propres leur sont conférés, non pas par leur statut matrimonial, mais par leur qualité de propriétaire.
    • Admettre cette thèse revient alors à exclure la représentation judiciaire d’un époux pour l’accomplissement d’actes portant sur ces biens propres.
    • L’article 219 autorise, un effet, la représentation d’un époux empêché s’agissant du seul exercice des pouvoirs que « le contrat de mariage [lui] attribue».
    • Les pouvoirs portant sur les biens propres ne résultant pas du statut matrimonial, ils ne peuvent donc pas être exercés par le biais d’une représentation judiciaire.
  • Seconde approche
    • Il s’agit ici de considérer que les pouvoirs dont sont investis les époux sur leurs biens propres leur sont conférés, non pas par leur qualité de propriétaire, mais par leur statut matrimonial.
    • Dans cette hypothèse, et à la différence de la première approche, la représentation judiciaire est susceptible d’intervenir pour l’accomplissement d’actes portant sur les biens propres, puisque envisagée par l’article 219 du Code civil qui vise expressément les « pouvoirs résultant du régime matrimonial».
    • L’époux empêché pourra donc se faire représenter par son conjoint pour les actes portant, tant sur les biens communs, que sur ses biens propres.

Manifestement, selon que l’on retient l’une ou l’autre approche le périmètre de la représentation judiciaire s’en trouvera plus ou moins étendu.

  • La première approche conduit à limiter la représentation du conjoint empêché à l’accomplissement des actes portant sur les seuls biens communs.
  • La seconde approche permet, quant à elle, d’étendre la représentation de l’époux empêché à ses biens propres.

La doctrine a majoritairement opté pour l’adoption de la seconde approche qui serait conforme à l’esprit de l’article 219 du Code civil.

Cette disposition vise, en effet, à étendre les pouvoirs d’un époux en cas d’empêchement de son conjoint en vue, non seulement de préserver ses intérêts, mais encore de pourvoir aux besoins du ménage.

Restreindre le domaine de l’article 219 à la représentation des seuls pouvoirs portant sur les biens communs reviendrait à écarter son application pour les régimes séparatistes.

Cette restriction serait, par ailleurs, de nature à le rendre inefficace quant à résoudre les situations de crise impliquant des biens propres de l’époux empêché.

Le dispositif institué à l’article 219 comporterait ainsi un angle mort auquel il ne pourrait nullement être remédié par le recours à l’article 217 du Code civil.

Une autorisation judiciaire ne peut, en effet, être sollicité que pour les actes se rapportant à un bien sur lequel le demandeur détient une fraction de pouvoir. Or tel n’est pas le cas, lorsque le bien appartient en propre à l’époux empêché. L’article 217 est donc inapplicable pour cette catégorie de biens.

Seule alternative qui s’offre au conjoint : la mise en place d’un mandat de protection future et, le cas, échéant, d’une mesure de protection judiciaire (tutelle, curatelle ou sauvegarde de justice).

Il s’agit là, néanmoins, de mesures qui ne sont pas toujours adaptées à la situation de crise concernée en raison, notamment, des contraintes qu’elles impliquent.

Pour toutes les raisons ci-avant exposées, la doctrine a plaidé pour une application de l’article 219 aux actes portant, tant les biens communs, que les biens propres de l’époux empêché.

Son vœu a été exaucé, puisque par un arrêt du 18 février 1981, la Cour de cassation a jugé que « l’article 219 du code civil est applicable quel que soit le régime matrimonial des époux et même si le conjoint dont la représentation est demandée est déjà placé sous l’un des régimes de protection institué par la loi n° 68-5 du 3 janvier 1968 portant réforme du droit des incapables majeurs » (Cass. 1ère civ. 18 févr. 1981, n°80-10.403).

Ainsi la représentation fondée sur l’article 219 du Code civil peut jouer dans les régimes séparatistes où les époux ne disposent d’aucuns pouvoirs réciproques sur leurs biens personnels.

Cette position, prise par la Cour de cassation en 1981, a été confirmée 4 ans plus tard dans un nouvel arrêt rendu le 1er octobre 1985.

Dans cette décision, la Première chambre civile a affirmé que « quel que soit le régime matrimonial, le mariage crée entre les époux une association d’intérêts à raison de laquelle chacun d’eux a vocation à représenter l’autre sous le contrôle du juge [et] que l’article 219 du code civil, en permettant à un époux de représenter son conjoint dans l’exercice des pouvoirs du régime matrimonial, vise donc tous les pouvoirs d’ordre patrimonial sans exclure ceux de l’époux sépare de biens sur ses biens personnels » (Cass. 1ère civ. 1er oct. 1985, n°84-12476).

La solution retenue dans cet arrêt ne présente aucune ambiguïté : un époux peut être habilité en justice sur le fondement de l’article 219 du Code civil à l’effet de le représenter pour l’accomplissement des actes portant sur tous ses biens, sans qu’il y ait lieu de distinguer entre les biens communs et les biens propres.

Il est donc indifférent que l’acte visé par la représentation fasse l’objet d’une gestion exclusive, concurrente ou conjointe. L’article 219 pourra jouer dès lors qu’il est établi que l’époux empêché se trouve hors d’état de manifester sa volonté.

C) Conditions quant aux actes

L’article 219 du Code civil prévoit que l’habilitation peut être octroyée à un époux à l’effet de représenter son conjoint :

  • Soit d’une manière générale
  • Soit pour certains actes particuliers

Ainsi, contrairement à l’autorisation judiciaire, la représentation judiciaire n’est pas cantonnée à l’accomplissement d’actes déterminés.

Un époux peut être habilité sur le fondement de l’article 219 pour représenter son conjoint de manière générale.

Selon que l’habilitation est donnée est générale ou spéciale, les actes susceptibles d’être accomplis par l’époux habilité ne sont pas les mêmes :

  • L’habilitation donnée est générale
    • Dans cette hypothèse, l’époux habilité ne pourra accomplir que des actes administration.
    • L’article 1988 du Code civil exige, en effet, l’établissement d’un mandat exprès pour les actes de disposition les plus graves.
    • Aussi, faute d’habilitation spéciale pour accomplir un acte de disposition, il lui faudra revenir devant le juge.
    • À cet égard, l’alinéa 2 de l’article 219 précise que « à défaut de pouvoir légal, de mandat ou d’habilitation par justice, les actes faits par un époux en représentation de l’autre ont effet, à l’égard de celui-ci, suivant les règles de la gestion d’affaires.»
  • L’habilitation donnée est spéciale
    • Dans cette hypothèse, si l’époux habilité pourra accomplir, tant des actes d’administration, que des actes administration, son pouvoir de représentation sera limité aux seuls actes expressément visés, dans la décision du juge.
    • Il ne pourra accomplir aucun acte qui ne serait pas mentionné dans cette décision, quand bien même l’acte accompli l’aurait été dans l’intérêt exclusif de l’époux représenté.

De son côté, le juge devra veiller à bien circonscrire le périmètre de l’habilitation donnée au conjoint sur la base des besoins exprimé dans la demande.

Surtout, il devra statuer en considération de l’intérêt de l’époux empêché. La Cour de cassation a jugé en ce sens que « s’agissant d’un acte de disposition, les juges du fond avaient à rechercher si des circonstances particulières justifiaient la vente de la maison dans l’intérêt du conjoint qui en était propriétaire » (Cass. 1ère civ. 1er oct. 1985, n°84-12476).

Bien que l’article 219 soit silencieux sur cette exigence, le demandeur devra démontrer que l’accomplissement de l’acte pour lequel il sollicite une habilitation est dans l’intérêt de son conjoint.

II) La procédure de la représentation judiciaire

L’article 1286, al. 2e du CPC dispose que la demande d’habilitation prévue par l’article 219 du code civil, lorsque le conjoint est hors d’état de manifester sa volonté est présentée au juge des tutelles.

L’article 1289 précise que cette demande ainsi que l’appel relèvent de la matière gracieuse.

À cet égard, la requête de l’époux doit être accompagnée de tous éléments de nature à établir l’impossibilité pour son conjoint de manifester sa volonté ou d’un certificat médical, si l’impossibilité est d’ordre médical.

Le juge peut, soit d’office, soit à la demande des parties, ordonner toute mesure d’instruction.

À l’audience, il entend le conjoint. Il peut toutefois, sur avis médical, décider qu’il n’y a pas lieu de procéder à cette audition.

L’article 1289-2 ajoute, enfin, que, il peut être mis fin à l’habilitation générale donnée par le juge des tutelles en application de l’article 219 du code civil, dans les mêmes formes.

III) Les effets de la représentation judiciaire

==> Les effets de la représentation à l’égard des tiers

À la différence de l’autorisation judiciaire qui n’engage que l’époux auquel elle est délivrée, la représentation judiciaire a pour effet, lorsqu’elle est mise en œuvre, d’engager le conjoint représenté.

Aussi, est-il partie à l’acte comme s’il l’avait lui-même accompli. La conséquence en est que la dette contractée au nom et pour le compte du conjoint représenté sera exécutoire sur ses biens propres.

Les biens de l’époux habilité seront, quant à eux, exclus du gage des créanciers sauf à ce qu’il se soit, en parallèle, engagé personnellement.

==> Les effets de la représentation entre les époux

La représentation judiciaire produit, entre les époux, les mêmes effets que le mandat. L’époux habilité n’est autre que le mandataire de l’époux empêché.

Il en résulte plusieurs conséquences pour l’époux habilité :

  • Il répond des dommages-intérêts qui pourraient résulter de l’inexécution du mandat ( 1991 C. civ.)
  • Il répond des fautes qu’il commet dans sa gestion ( 1992 C. civ.).
  • Il est tenu de rendre compte de sa gestion ( 1993 C. civ.)

Quant à l’époux représenté, pèse sur lui un certain nombre d’obligations :

  • Il est tenu d’exécuter les engagements contractés par le mandataire, conformément au pouvoir qui lui a été donné ( 1998 C. civ.)
  • Le mandant doit rembourser au mandataire les avances et frais que celui-ci a faits pour l’exécution du mandat, et lui payer ses salaires lorsqu’il en a été promis ( 1999 C. civ.).
  • Il doit indemniser le mandataire des pertes que celui-ci a essuyées à l’occasion de sa gestion, sans imprudence qui lui soit imputable ( 2000 C. civ.)

Ainsi que l’observent des auteurs, s’il est des règles spécifiques aux mandats entre époux qui opèrent, tant en régime de communauté, qu’en régime de séparation de biens, ces règles qui atténuent notamment la rigueur de l’obligation de rendre compte ne sont pas applicables en cas de représentation fondée sur l’article 219 du Code civil[2].

L’argument avancé consiste à dire que les mandats entre époux envisagés par les dispositions qui ne relèvent pas du régime primaire ne se conçoivent que lorsque l’époux qui les a conclus a agi en toute connaissance.

Or tel n’est pas le cas du conjoint représenté qui, par hypothèse, est investi de la qualité de mandant sans en avoir exprimé la volonté.

[1] V. en ce sens J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand Colin, 2001, n°135, p. 124.

[2] J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand Colin, 2001, n°138.

Traitement des situations de crise traversées par le couple marié: l’autorisation judiciaire (art. 217 C. civ.)

Si, comme aiment à le rappeler certains auteurs le mariage est envisagé par le droit comme ce qui « confère à la famille sa légitimité »[1] et plus encore, comme son « acte fondateur »[2], il demeure malgré tout impuissant à la mettre à l’abri des épreuves qui se dressent sur son chemin.

Pour paraphraser le titre d’un film désormais devenu célèbre mettant en scène deux familles qui évoluent dans des milieux sociaux radicalement opposés : la vie maritale n’est pas un long fleuve tranquille.

Nombre d’événements sont susceptibles d’affecter son cours, à commencer par ce qu’il y a de plus ordinaire, mais pas moins important : la maladie, les disputes et plus généralement toutes ces situations qui font obstacle au dialogue dans le couple.

Or sans dialogue, sans échange, sans compromis, le couple marié ne peut pas fonctionner, à tout le moins s’agissant de l’accomplissement des actes les plus graves, soit ceux qui requièrent le consentement des deux époux.

Que faire lorsque le couple rencontre des difficultés qui peuvent aller du simple désaccord à l’impossibilité pour un époux d’exprimer sa volonté ?

Afin de permettre au couple de surmonter ces difficultés, le législateur a mis en place plusieurs dispositifs énoncés aux articles 217, 219 et 220-1 du Code civil.

Parmi ces dispositifs qui visent spécifiquement à régler les situations de crise traversées par le couple marié on compte :

  • L’autorisation judiciaire
  • La représentation judiciaire
  • La sauvegarde judiciaire.

Tandis que les deux premières mesures visent à étendre les pouvoirs d’un époux afin de lui permettre d’accomplir seul un acte qui, en temps normal, supposerait l’accord de son conjoint, la troisième mesure a, quant à elle, pour effet de restreindre le pouvoir de l’époux qui manquerait gravement à ses devoirs et mettrait en péril les intérêts de la famille.

Nous nous focaliserons ici sur l’autorisation judiciaire.

Cette mesure est envisagée à l’article 217 du Code civil. Lorsqu’elle est prononcée, elle permet à un époux d’accomplir un acte en son nom personnel en se dispensant de recueillir le consentement de son conjoint.

À l’examen, l’autorisation judiciaire se différencie de la représentation judiciaire sur quatre points essentiels :

  • En premier lieu, la représentation a pour effet d’engager personnellement le conjoint représenté, tandis que l’autorisation judiciaire ne peut jamais obliger l’époux qui n’a pas consenti à l’acte. Elle engage uniquement, à titre personnel, l’époux auquel elle a été délivrée.
  • En deuxième lieu, l’habilitation d’un époux à l’effet de représenter son conjoint ne peut être délivrée que dans l’hypothèse où ce dernier est hors d’état de manifester sa volonté. L’autorisation judiciaire peut, quant à elle peut, quant à elle, également être octroyée aux fins de surmonter le refus d’un époux de consentir à un acte, peu importe que ce refus soit justifié ou non par l’intérêt de la famille.
  • En troisième lieu, il est indifférent que l’époux habilité soit investi d’un pouvoir sur le bien qui fait l’objet de l’acte accompli en représentation du conjoint, alors qu’il s’agit là d’une condition de délivrance de l’autorisation judiciaire.
  • En quatrième lieu, tandis que l’autorisation judiciaire est toujours délivrée pour l’accomplissement d’un ou plusieurs actes déterminés, la représentation judiciaire confère, au conjoint habilité un pouvoir général qui lui permet d’accomplir tout acte utile dans l’intérêt de l’époux représenté.

L’autorisation judiciaire est issue de la loi du 22 septembre 1942. L’objectif recherché par le législateur était d’étendre les pouvoirs de la femme mariée qui devait être en capacité, en l’absence de son mari, d’accomplir les actes nécessaires au fonctionnement de la famille et de pourvoir à ses besoins.

Son régime a, par suite, été très légèrement retouché par la loi n° 65-570 du 13 juillet 1965, puis par la loi n°85-1372 du 23 décembre 1985.

Ces deux lois n’ont toutefois pas fondamentalement modifié l’économie générale de l’article 217 du Code civil.

I) Les conditions de l’autorisation judiciaire

A) Conditions quant aux circonstances

En application de l’article 217 du Code civil, deux situations de crise sont susceptibles de donner lieu à la délivrance par le juge d’une autorisation judiciaire à un époux aux fins d’accomplir un acte qui, en situation normale, requerrait le consentement de son conjoint.

Le texte prévoit en ce sens que, un époux peut être autorisé par justice à passer seul un acte pour lequel le concours ou le consentement de son conjoint serait nécessaire :

  • Soit si celui-ci est hors d’état de manifester sa volonté
  • Soit si son refus n’est pas justifié par l’intérêt de la famille.
  1. S’agissant de l’impossibilité pour un époux de manifester sa volonté

La question qui ici se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par la formule « hors d’état de manifester sa volonté. »

Faute de précision à l’article 217 sur cette situation de crise, la doctrine suggère de se reporter à l’article 373 du Code civil qui prévoit que « est privé de l’exercice de l’autorité parentale le père ou la mère qui est hors d’état de manifester sa volonté, en raison de son incapacité, de son absence ou de toute autre cause. »

Il s’infère de ce texte que l’impossibilité pour un époux de manifester sa volonté correspondrait à :

  • D’une part, deux situations juridiquement bien identifiées que sont l’absence et l’incapacité
  • D’autre part, une troisième situation qui laisse le champ des possibles ouvert, puisque est seulement visée « toute autre cause ».

S’appuyant sur cette base textuelle pour déterminer ce que l’on devait entendre par « hors d’état de manifester sa volonté » la jurisprudence a jugé que les situations visées par l’article 373 recouvraient trois cas que sont :

  • L’absence
  • L’altération des facultés mentales
  • L’éloignement

a) Sur l’absence

Cette situation est envisagée aux articles 112 à 132 du Code civil.

À cet égard, l’article 112 prévoit que « lorsqu’une personne a cessé de paraître au lieu de son domicile ou de sa résidence sans que l’on en ait eu de nouvelles, le juge des tutelles peut, à la demande des parties intéressées ou du ministère public, constater qu’il y a présomption d’absence. »

Dès lors que la présomption d’absence produit ses effets, ce qui suppose une constatation judiciaire par le juge des tutelles, le conjoint de la personne présumée absente peut se voir confier la gestion de ses biens.

À cet égard, il pourra notamment solliciter une autorisation judiciaire sur le fondement de l’article 217 du Code civil pour accomplir seul l’acte qui exige le consentement des deux époux.

b) L’altération des facultés mentales

Bien que l’article 373 du Code civil vise seulement la situation d’incapacité, la jurisprudence considère que les mécanismes d’autorisation judiciaire et de représentation institués respectivement aux articles 217 et 219 du Code civil sont susceptibles de jouer plus largement en cas d’altération des facultés mentales d’un époux.

Il s’agit de l’hypothèse où ce dernier, sans nécessairement être frappé d’une incapacité (tutelle, curatelle, sauvegarde de justice, etc.), est privé de sa capacité de discernement à telle enseigne qu’il est inapte à exprimer une volonté libre et éclairée.

Cette inaptitude est de nature à affecter la validité des actes qu’il accomplirait et notamment ceux qui requièrent le consentement des deux époux.

Reste que son conjoint doit pouvoir continuer à pourvoir aux intérêts du ménage, sans risquer de voir les actes qu’il réalise remis en cause.

Aussi, est-il nécessaire qu’il puisse agir seul, à tout le moins que l’époux qui se trouve hors d’état de manifester sa volonté soit représenté.

Pour ce faire, deux dispositifs sont susceptibles d’être mise en place :

  • Le premier dispositif relève du droit des incapacités: il s’agit de l’adoption d’une mesure de protection judiciaire (tutelle, curatelle ou sauvegarde de justice)
  • Le second relève du droit des régimes matrimoniaux: il s’agit de l’application des articles 217 ou 219 du Code civil (autorisation ou représentation judiciaires)

==> L’adoption d’une mesure de protection judiciaire

L’article 425 du Code civil prévoit que « toute personne dans l’impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts en raison d’une altération, médicalement constatée, soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles de nature à empêcher l’expression de sa volonté peut bénéficier d’une mesure de protection juridique »

Il ressort de cette disposition que lorsque les facultés mentales d’une personne sont altérées, il est susceptible – il n’y a là rien d’automatique – de faire l’objet d’une mesure de protection judiciaire, laquelle aura pour effet de le frapper d’une incapacité d’exercice plus ou moins étendue selon la mesure retenue par le juge des tutelles.

À l’analyse, les incapacités se divisent en deux catégories

  • Première catégorie : les majeurs frappés d’une incapacité d’exercice générale
    • Il s’agit des majeurs qui font l’objet d’une mesure de tutelle
    • L’incapacité d’exercice générale ne signifie pas qu’ils ne disposent pas de la faculté à être titulaire de droits
    • Ils ne sont nullement privés de leur capacité de jouissance générale.
    • Ils n’ont simplement pas la capacité d’exercer les droits dont ils sont titulaires.
    • Il leur faut être représentés par un tuteur pour l’accomplissement, tant des actes les plus graves (actes de disposition), que des actes de la vie courante (actes d’administration)
  • Seconde catégorie : les majeurs frappés d’une incapacité d’exercice spéciale
    • Il s’agit ici des majeurs qui font l’objet :
      • Soit d’une sauvegarde de justice
      • Soit d’une curatelle
      • Soit d’un mandat de protection future
    • En somme, ces personnes peuvent accomplir seules la plupart des actes de la vie courante.
    • Toutefois, pour les actes de disposition les plus graves, elles doivent se faire représenter.
    • L’étendue de leur capacité dépend de la mesure de protection dont elles dont l’objet.

==> Articulation entre droit des régimes matrimoniaux et droit des incapacités

La question s’est rapidement posée de savoir comment se combine le droit des incapacités avec le droit des régimes matrimoniaux qui, dans les hypothèses visées aux articles 217 et 219 du Code civil, étend les pouvoirs d’un époux aux fins de lui permettre d’accomplir des actes sans le consentement de son conjoint.

L’articulation de ces deux branches du droit est envisagée à l’article 428 du Code civil qui prévoit que « la mesure de protection judiciaire ne peut être ordonnée par le juge qu’en cas de nécessité et lorsqu’il ne peut être suffisamment pourvu aux intérêts de la personne par la mise en œuvre du mandat de protection future conclu par l’intéressé, par l’application des règles du droit commun de la représentation, de celles relatives aux droits et devoirs respectifs des époux et des règles des régimes matrimoniaux, en particulier celles prévues aux articles 217, 219, 1426 et 1429 ou, par une autre mesure de protection moins contraignante. »

Il s’infère de cette disposition, issue de la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs, qu’est institué un principe de subsidiarité s’agissant de l’adoption d’une mesure de protection judiciaire.

Aussi, lorsqu’il est saisi d’une demande de mise en place d’une mesure de tutelle, de curatelle ou de sauvegarde de justice, le juge des tutelles doit désormais vérifier, au préalable, si les règles des régimes matrimoniaux, en particulier les articles 217, 219, 1426 et 1429 du Code civil, ne permettent pas de pourvoir, seuls, aux intérêts de la personne concernée.

L’objectif recherché ici par le législateur est que les mesures de protection judiciaire, qui sont assorties de lourdes contraintes, tant pour le majeur incapable, que pour son protecteur, ne puissent être adoptées qu’en dernier recours.

Il en résulte une primauté de l’application des articles 217 et 219 du Code civil sur la mise en place de ces mesures de protection.

Cette primauté n’est toutefois pas sans limite. Lorsqu’un mandat de protection future a été valablement régularisé, l’article 483, al. 1er, 4° interdit sa révocation au motif qu’il peut être suffisamment pourvu aux intérêts de la personne par l’application des règles du droit commun de la représentation, de celles relatives aux droits et devoirs respectifs des époux et des règles des régimes matrimoniaux.

Cette interdiction résulte de la loi n°2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice qui a notamment toiletté certaines dispositions régissant la protection des majeurs incapables.

Lorsque, dès lors, un mandat de protection est activé, il prime sur tout autre dispositif de protection, y compris les règles qui relèvent du régime matrimonial des époux, sauf à ce que l’acte envisagé ne soit pas couvert par le mandat.

==> Mise en œuvre

L’articulation entre l’article 428, qui relève du droit des incapacités, et les dispositifs institués aux articles 217 et 219 qui relèvent du droit des régimes matrimoniaux conduit à distinguer deux situations :

  • L’application des articles des articles 217 et 219 permet de pourvoir aux intérêts de la personne hors d’état de manifester sa volonté
    • En pareille hypothèse, parce que ces dispositions priment la mise en place d’une mesure de protection judiciaire, le juge des tutelles ne pourra faire droit à la demande d’adoption d’une tutelle, d’une curatelle ou encore d’une sauvegarde de justice.
    • Les actes qui requièrent le consentement de l’époux hors d’état de manifester sa volonté ne pourront être accomplis que dans le cadre, soit d’une autorisation judiciaire, soit de la représentation judiciaire.
    • Le conjoint pourra ainsi à continuer à faire fonctionner le ménage par le jeu des seuls articles 217 et 219 du Code civil.
  • L’application des articles des articles 217 et 219 ne permet pas de pourvoir aux intérêts de la personne hors d’état de manifester sa volonté
    • Dans cette hypothèse, une mesure de protection judiciaire pourra être adoptée à la faveur de l’époux dont les facultés mentales sont altérées.
    • Est-ce à dire que la mise en place d’une telle mesure est exclusive de la délivrance d’une autorisation judiciaire ou de la mise en place de la représentation judiciaire ?
    • Il n’en est rien. Ces mesures, qui relèvent du droit des régimes matrimoniaux, pourront toujours être prises pour les actes non couverts par la mesure de protection judiciaire.
    • Si, par exemple, l’époux sous sauvegarde de justice conserve sa capacité à aliéner des immeubles, son conjoint pourra solliciter une autorisation judiciaire pour accomplir seul l’acte de vente de la résidence secondaire du couple.

c) Sur l’éloignement

La jurisprudence considère que la formule « hors d’état de manifester sa volonté » recouvre la situation d’éloignement d’un époux qui, sans être sous le coup d’une présomption d’absence, serait dans l’incapacité matérielle de régulariser l’acte envisagé.

Cet éloignement peut être tout autant volontaire qu’involontaire. Il se peut, par exemple, que l’époux soit en déplacement à l’autre bout du monde, qu’il soit retenu en captivité (otage) ou encore qu’il soit injoignable.

Dans ces hypothèses, il est admis que les dispositifs de l’autorisation judiciaire et de la représentation puissent jouer.

2. S’agissant du refus d’un époux qui n’est pas justifié par l’intérêt de la famille

Seconde circonstance susceptible de justifier la délivrance d’une autorisation judiciaire : le refus d’un époux d’accomplir un acte qui n’est pas justifié par l’intérêt de la famille.

C’est là une différence majeure avec la mise en place d’une représentation judiciaire qui n’est pas subordonnée à la caractérisation de cette circonstance.

Dans cette hypothèse de refus contraire à l’intérêt de la famille, le juge peut donc autoriser le conjoint à accomplir seul cet acte qui, en temps normal, requiert le consentement des deux époux.

La question qui immédiatement se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par intérêt de la famille. Que recouvre cette notion que l’on retrouve dans de nombreuses autres dispositions du Code civil et notamment à l’article 1397 qui régit le changement de régime matrimonial.

À l’analyse, la notion d’intérêt de la famille n’est définie par aucun texte. La raison en est que le législateur a souhaité conférer une liberté d’appréciation au juge qui donc n’est pas entravé dans son appréhension de la situation qui lui est soumise.

Dans un arrêt du 6 janvier 1976, la Cour de cassation est seulement venue préciser, dans une affaire se rapportant à un changement de régime matrimonial, que « l’existence et la légitimé d’un tel intérêt doivent faire l’objet d’une appréciation d’ensemble, le seul fait que l’un des membres de la famille de se trouver lésé n’interdisant pas nécessairement la modification ou le changement envisagé » (Cass. 1ère civ. 6 janv. 1976, n°74-12.212).

Il s’infère de cette décision que la notion d’intérêt de la famille doit faire l’objet d’une appréciation d’ensemble.

Autrement dit, il appartient au juge d’apprécier cet intérêt pris dans sa globalité, soit en considération des intérêts de chaque membre de la famille, étant précisé que la jurisprudence tient compte, tant des intérêts des époux, que de celui des enfants.

La Cour d’appel de Paris a jugé en ce sens que « les descendants des époux doivent être pris en compte pour l’appréciation objective qui doit être donnée de l’intérêt de la famille pris dans sa globalité » (CA Paris, 11 sept. 1997).

L’intérêt de la famille doit ainsi être apprécié par le juge comme constituant un tout, ce qui exige qu’il cherche à en avoir une vue d’ensemble.

Aussi, l’intérêt de la famille ne saurait se confondre avec l’intérêt personnel d’un seul de ses membres.

Et s’il est des cas où c’est la préservation d’un intérêt individuel qui guidera la décision de juge quant à retenir l’intérêt de la famille. Reste qu’il ne pourra statuer en ce sens qu’après avoir réalisé une balance des intérêts en présence.

Quelles sont les situations de refus du conjoint d’accomplir un acte non justifié par l’intérêt de la famille ?

Il s’agit, la plupart du temps, de situations qui présentent un enjeu pécuniaire, bien que l’intérêt de la famille puisse être tout autant d’ordre patrimonial, que d’ordre extrapatrimonial.

Tel sera notamment le cas dans l’hypothèse où un époux s’oppose à accomplir un acte qui vise à apurer le passif du ménage en aliénant un bien commun (Cass. 1ère civ. 31 janv. 1974).

L’intérêt de la famille a encore été reconnu s’agissant de la vente du logement familial dont l’entretien était devenu trop coûteux et qui ne pouvait plus être assuré au regard des ressources financières du couple (Cass. 1ère civ. 23 juin 1993, n°92-10945).

En revanche, l’intérêt de la famille n’a pas été retenu s’agissant d’une épouse qui s’était opposée à la cession, par son mari, de parts sociales d’une société à responsabilité limitée dont il était le gérant (CA Douai, 9 mars 2006, n° 06/00584).

S’agissant de la charge de la preuve, dans la mesure où l’intérêt de la famille doit faire l’objet d’une appréciation d’ensemble, elle pèserait, selon André Colomer, sur les deux époux, chacun devant convaincre le juge du caractère justifié ou injustifié du refus d’accomplir l’acte discuté.

Reste que, en cas de doute, il conviendra d’appliquer l’article 1353 du Code civil, qui fait peser la charge de la preuve sur l’époux qui sollicite une autorisation (V. en ce sens CA Grenoble 7 nov. 1972).

B) Conditions quant aux actes

Tous les actes susceptibles d’être accomplis par un époux ne permettent pas d’obtenir une autorisation judiciaire sur le fondement de l’article 217 du Code civil.

Cette autorisation ne peut être délivrée que :

  • D’une part, pour les actes soumis à cogestion ou codécision
  • D’autre part, pour des actes déterminés

==> Des actes soumis à cogestion/codécision

Il s’infère de l’article 217 du Code civil que seuls les actes dont l’accomplissement requiert le consentement des deux époux peuvent donner lieu à la délivrance d’une autorisation judiciaire.

Cette disposition vise plus précisément les actes pour lesquels « le concours ou le consentement de son conjoint serait nécessaire ».

  • S’agissant des actes qui exigent le concours du conjoint, il s’agit de ceux soumis à cogestion, soit pour lesquels les deux époux doivent être partie à l’acte
    • Exemple: disposer entre vifs, à titre gratuit, des biens de la communauté ( 1422 C. civ.) ou encore aliéner ou grever de droits réels les immeubles, fonds de commerce et exploitations dépendant de la communauté (art. 1424 C. civ.)
  • S’agissant des actes qui exigent le consentement du conjoint, il s’agit de ceux soumis à la codécision, soit pour lesquels le conjoint doit seulement donner son accord, sans pour autant être partie à l’acte
    • Exemple: aliénation du logement familial ou des meubles meublants qui appartiennent en propre à un époux ( 215, al. 3e C. civ.).

Parce que ne peuvent donner lieu à la délivrance d’une autorisation judiciaire les actes soumis à cogestion ou à codécision, l’article 217 du Code civil est inapplicable s’agissant de l’accomplissement d’un acte portant sur un bien propre du conjoint.

L’époux qui sollicite l’autorisation doit être investi d’une fraction de pouvoir sur le bien. C’est parce que ce pouvoir est insuffisant qu’il est fondé à saisir le juge pour être autorisé à accomplir l’acte envisagé sans le consentement ou le concours de son conjoint.

Aussi, en régime de séparation de biens, l’article 217 du Code civil n’a pas vocation à jouer, faute de pouvoirs réciproques des époux sur les biens de l’autre.

Il en va de même en régime de communauté pour les biens qui font l’objet d’une gestion exclusive, au nombre desquels figurent, outre les biens propres, les biens affectés à une activité professionnelle ou encore les gains et salaires.

Qu’en est-il lorsqu’un bien est détenu par les époux en indivision ? De l’avis de la doctrine et de la jurisprudence l’application du droit des régimes matrimoniaux n’est pas incompatible avec les règles qui gouvernent l’indivision.

À cet égard, lorsque les conditions de l’article 217 du Code civil sont réunies, l’application de cette disposition présente l’avantage de permettre à un époux d’accomplir seul un acte en cas de refus injustifié du conjoint, ce qui n’est pas permis en matière d’indivision où cette circonstance est indifférente.

L’article 815-3 du Code civil prévoit, en effet, que « le consentement de tous les indivisaires est requis pour effectuer tout acte qui ne ressortit pas à l’exploitation normale des biens indivis et pour effectuer tout acte de disposition autre que […] vendre des meubles indivis pour payer les dettes et charges de l’indivision » (art. 815-3 C. civ.).

En matière d’indivision, pour les actes les plus graves, c’est donc la règle de l’unanimité qui s’applique, de sorte qu’il est nécessaire que tous les indivisaires consentent à l’acte.

La jurisprudence a néanmoins admis qu’un époux puisse être autorisé, sur le fondement de l’article 217 du Code civil, à aliéner seul un bien immobilier acquis en indivision par les époux (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 19 oct. 1999, n°97-21466).

À cet égard, il peut être observé que ce résultat aurait également pu être obtenu par voie de licitation. Cette action consiste à provoquer judiciairement la cessation de l’indivision en application de l’article 815 du Code civil.

L’article 217 n’en reste pas moins une option procédurale qui confère aux époux un important pouvoir, ce qui conduit, dans un second temps, à s’interroger sur ses limites, notamment lorsqu’il est invoqué pour accomplir un acte sur un bien qui appartient en propre au conjoint.

Cette problématique se rencontrera notamment, lorsque le bien en question n’est autre que le logement familial.

Pour mémoire, l’article 215, al. 3e du code civil prévoit que « les époux ne peuvent l’un sans l’autre disposer des droits par lesquels est assuré le logement de la famille, ni des meubles meublants dont il est garni. »

L’aliénation du logement familial requiert ainsi le consentement des deux époux, y compris dans l’hypothèse où il appartiendrait en propre à un époux.

S’il est acquis que cet époux pourrait, sur le fondement de l’article 217 du Code civil, solliciter une autorisation judiciaire aux fins d’accomplir seul un acte de disposition sur le logement familial en raison, soit du refus injustifié de son conjoint, soit de son impossibilité de manifester sa volonté, l’hypothèse inverse pourrait-elle être envisagée ?

Autrement dit, l’application de l’article 217 du Code civil pourrait-elle fonder la délivrance d’une autorisation judiciaire à un époux qui souhaiterait aliéner le logement familial dont est propriétaire à titre personnel son conjoint ?

Pour la doctrine, « on en saurait admettre (par une fausse symétrie) que l’autre époux (non-propriétaire) puisse obliger son conjoint à vendre l’immeuble lui appartenant personnellement (ce qui équivaudrait à une expropriation pour cause d’intérêt familial) »[3].

La raison en est que l’article 215 du Code civil confère au conjoint, non pas un pouvoir d’administration ou de disposition sur le logement familial qui ne lui appartient pas, mais seulement un droit d’opposition.

Tout au plus, l’époux non-propriétaire pourra agir en représentation de son conjoint sur le fondement de l’article 219 du Code civil.

Quant à la circonstance où le logement familial est un bien commun ou indivis, elle ne soulève pas de difficulté dans la mesure où l’époux qui solliciterait une autorisation judiciaire pour agir seul est titulaire d’une fraction de pouvoir sur ce bien.

Le recours à l’article 217 du Code civil lui permettra alors de surmonter l’obstacle de l’article 215, al. 3e qui pose un principe de codécision pour l’accomplissement de tout acte de disposition portant sur le logement familial.

Il lui faudra néanmoins démontrer, soit que son conjoint est hors d’état de manifester sa volonté, soit que son refus d’aliéner le logement familial n’est pas justifié par l’intérêt de la famille.

==> Des actes déterminés

La lecture de l’article 217 du Code civil révèle que l’autorisation judiciaire ne peut être délivrée que pour l’accomplissement d’un acte déterminé, soit pour la réalisation d’une opération spécifique.

Le texte vise « un acte pour lequel pour lequel le concours ou le consentement de son conjoint serait nécessaire ».

On peut en déduire, que l’autorisation ne pourra jamais fonder l’octroi à un époux d’un pouvoir général sur les biens de son conjoint.

Il appartiendra donc au juge de bien circonscrire le périmètre de l’autorisation donnée. Si elle porte sur un ensemble d’actes, ils devront relever d’une opération unique qui devra être expressément visée dans la décision du juge.

II) La procédure de l’autorisation judiciaire

Afin de déterminer la juridiction compétente pour connaître d’une demande d’autorisation judiciaire fondée sur l’article 217 du Code civil, l’article 1286 du Code de procédure civile invite à distinguer deux situations :

  • La demande d’autorisation a pour cause l’impossibilité pour un époux de manifester sa volonté
    • Dans cette hypothèse, l’article 1286, al. 2e du CPC prévoit que la demande doit être adressée au Juge des tutelles.
    • L’article 1289 précise que cette demande ainsi que l’appel relèvent de la matière gracieuse.
    • À cet égard, la requête de l’époux doit être accompagnée de tous éléments de nature à établir l’impossibilité pour son conjoint de manifester sa volonté ou d’un certificat médical, si l’impossibilité est d’ordre médical.
    • Le juge peut, soit d’office, soit à la demande des parties, ordonner toute mesure d’instruction.
    • À l’audience, il entend le conjoint.
    • Il peut toutefois, sur avis médical, décider qu’il n’y a pas lieu de procéder à cette audition.
  • La demande d’autorisation a pour cause le refus injustifié du conjoint d’accomplir l’acte litigieux
    • Dans cette hypothèse, l’article 1286, al. 1er du CPC prévoit que la demande est formée par requête devant le Juge aux affaires familiales.
    • L’article 1287, al. 2e précise que la demande est instruite et jugée comme en matière gracieuse et obéit aux règles applicables à cette procédure devant le tribunal judiciaire.
    • En cas d’urgence, l’époux qui sollicite une autorisation judiciaire dispose de la possibilité d’emprunter la voie de la procédure à jour fixe, laquelle permet d’obtenir rapidement une décision. Pour ce faire, il devra :
      • Dans un premier temps saisir le Président du Tribunal par voie de requête pour être autorisé à assigner à jour fixe
      • Dans un second temps, faire délivrer une assignation à jour fixe à son conjoint
    • Dans le cadre de la procédure ordinaire, le juge entend le conjoint à moins que celui-ci, régulièrement cité, ne se présente pas. L’affaire est alors instruite et jugée en chambre du conseil.
    • En cas d’appel, celui-ci est instruit et jugé, selon les cas, comme en matière gracieuse ou comme en matière contentieuse.

III) Les effets de l’autorisation judiciaire

Lorsqu’elle est régulièrement délivrée, l’autorisation judiciaire permet à un époux d’accomplir seul un acte pour lequel le concours ou le consentement de son conjoint serait, en temps normal, nécessaire.

L’acte ainsi accompli ne pourra pas être remis en cause au motif que le consentement d’un époux fait défaut.

L’alinéa 2 de l’article 217 prévoit, en ce sens, que « l’acte passé dans les conditions fixées par l’autorisation de justice est opposable à l’époux dont le concours ou le consentement a fait défaut »

Si un époux peut, sur le fondement de cette disposition passer outre le consentement de son conjoint, le texte précise néanmoins qu’il ne peut en résulter à la charge de ce dernier aucune obligation personnelle.

Autrement dit, l’époux qui accomplit l’acte agi, non pas en représentation de son conjoint tel que le permet l’article 219 du Code civil, mais uniquement en son nom personnel.

Pratiquement, cela signifie que le conjoint qui n’a pas consenti à l’acte ne sera pas engagé.

Les dettes nées de l’accomplissement de cet acte ne seront donc pas exécutoires sur ses biens propres, à tout le moins, précise le texte, si l’acte a été « passé dans les conditions fixées par l’autorisation de justice ». Si tel n’est pas le cas, l’acte sera privé de ses effets entre les époux.

Si, en revanche, l’acte a été accompli conformément aux termes de l’autorisation donnée, il sera pleinement opposable au conjoint qui, en contrepartie, ne sera pas personnellement engagé.

[1] F. Terré, Droit civil – La famille, éd. Dalloz, 2011, n°325, p. 299

[2] Ph. Malaurie et H. Fulchiron, La famille, Defrénois, coll. « Droit civil », 2006, n°47, p. 25.

[3] J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand Colin, 2001, n°143, p. 132.

La gestion d’affaires: vue générale

Sauf à être frappée d’une incapacité d’exercice (minorité, tutelle, curatelle, sauvegarde de justice etc.), il est de principe que toute personne qui jouit de la pleine capacité juridique est souveraine quant à assurer la gestion de ses intérêts.

Aussi est-il fait interdiction aux tiers de s’immiscer dans les affaires d’autrui, une intervention intempestive étant susceptible d’engager la responsabilité civile, voire pénale de son auteur.

Il est des cas néanmoins où une personne peut être empêchée d’agir, alors même que la gestion de ses affaires requerrait une intervention immédiate, intervention sans laquelle la préservation de ses intérêts s’en trouverait menacée.

L’exemple retenu classiquement pour illustrer la situation est celui d’une personne témoin d’un danger (incendie, fuite de gaz, affaissement etc) qui menace la maison de son voisin absent.

S’il n’intervient pas en urgence, il est un risque, sinon une certitude que le sinistre qui est sur le point de se produire n’endommage irrémédiablement l’immeuble.

Deux approches de la situation peuvent alors être envisagées :

  • L’approche individualiste
    • Si l’on retient une approche purement individualiste de la situation, il y a lieu de considérer que, en application du principe d’indépendance juridique des individus, il est fait interdiction à quiconque d’intervenir.
    • Une intrusion délibérée dans les lieux s’apparenterait, au mieux à une immixtion fautive dans les affaires du propriétaire, au pire à une violation de domicile.
  • L’approche sociale
    • Si l’on adopte une approche sociale, l’initiative de la personne qui intervient spontanément doit être approuvée car visant à prévenir un dommage imminent.
    • Son intervention doit ainsi être regardée comme un acte de bienveillance puisque procédant d’une volonté désintéressée de rendre service à son voisin dans la gestion de ses affaires.

À l’examen, le législateur a opté pour une approche intermédiaire en instituant le mécanisme de la gestion d’affaires.

Ainsi que le relève un Philippe le Tourneau « le droit positif n’a omis aucun de ces deux visages de la gestion d’affaires, en adoptant via media, c’est-à-dire un régime en demi-teinte, pour ne pas encourager les interventions intempestives, sans pour autant décourager les interventions utiles ».

Tout est affaire d’équilibre, celui-ci étant assuré, d’un côté, par l’instauration de conditions restrictives de mise en œuvre de la gestion d’affaires et, d’un autre côté, par la création d’obligations qui pèsent sur la tête de celui qui profite de l’intervention utile d’autrui.

Ceci étant posé, il convient d’aborder désormais la notion de gestion d’affaires, telle qu’envisagée par les textes.

==>Notion

La gestion d’affaires est définie à l’article 1301 du Code civil comme le fait de « celui qui, sans y être tenu, gère sciemment et utilement l’affaire d’autrui, à l’insu ou sans opposition du maître de cette affaire ».

Il s’agit autrement dit pour une personne, que l’on appelle le gérant d’affaires, d’intervenir spontanément dans les affaires d’autrui, le maître de l’affaire ou le géré, aux fins de lui rendre un service.

La particularité de la gestion d’affaires est qu’elle suppose qu’une personne ait agi pour le compte d’un tiers et dans son intérêt, ce, sans avoir été mandaté par celui-ci, ni qu’il en ait été tenu informé.

Ainsi qu’il l’a été dit, cette situation se rencontre, par exemple, lorsqu’une personne, souhaitant rendre un service à ami ou à un voisin absent, entreprend d’effectuer une réparation urgente sur ses biens.

Il peut encore s’agir d’organiser les obsèques d’une personne décédée sans héritier connu, de porter secours à la victime d’un accident prisonnier d’un véhicule en flamme ou encore de recueillir et de soigner un animal domestique égaré.

Schématiquement, la gestion d’affaires se décompose en deux temps :

  • Premier temps
    • Immixtion du gérant dans les affaires d’autrui, charge à lui d’accomplir, en bon père de famille, tous les actes utiles jusqu’à ce que le maître de l’affaire ou ses ayants droits soit en capacité d’y pourvoir lui-même.
  • Second temps
    • Indemnisation du gérant par le maître des dépenses exposées pour la gestion, pourvu que l’affaire ait été utile et bien gérée

Cette configuration n’est pas sans rapprocher la gestion d’affaires d’autres figures juridiques.

==>Distinctions

La gestion d’affaires doit être distinguée du mandat, de la stipulation pour autrui et de l’enrichissement injustifié.

  • Gestion d’affaires et mandat
    • Si la gestion d’affaires consiste, comme le mandat, à réaliser une action pour autrui, elle s’en distingue sur deux points.
      • Première différence
        • Tandis que le mandat est le produit d’un accord de volontés, la gestion d’affaires procède d’une initiative spontanée du gérant d’affaire qui va intervenir sans en avoir reçu l’ordre du maître de l’affaire.
        • Aussi, tandis que les obligations qui échoient au mandataire naissent de l’accomplissement d’un acte juridique, celles qui pèsent sur le gérant de l’affaire prennent leur source dans un fait purement volontaire.
      • Seconde différence
        • Tandis que le mandat ne peut avoir pour objet que des actes juridiques (conservatoires, d’administration et de disposition), la gestion d’affaires peut donner lieu à l’accomplissement d’actes matériels.
        • Ces actes matériels peuvent consister à surveiller une compétition sportive, conserver une chose égarée ou encore porter secours à une personne.
  • Gestion d’affaires et stipulation pour autrui
    • À l’instar de la stipulation pour autrui, la gestion d’affaires a pour effet de conférer des droits à autrui.
    • Pour mémoire, la stipulation pour autrui est un contrat par lequel une partie appelée le stipulant, obtient d’une autre, appelée le promettant, l’engagement qu’elle donnera ou fera, ou ne fera pas quelque chose au profit d’un tiers appelé le bénéficiaire.
    • Bien que, assez proche, la gestion d’affaires se différencie de la stipulation pour autrui sur deux points :
      • Première différence
        • La stipulation pour autrui procède de la conclusion d’un contrat entre le stipulant et le promettant alors que la gestion d’affaires est une source autonome d’obligation.
        • En effet, les droits conférés au maître de l’affaire procèdent, non pas d’un contrat, mais d’un fait volontaire consistant en l’intervention spontanée du gérant de l’affaire
      • Seconde différence
        • Tandis que la stipulation pour autrui ne peut conférer que des droits au bénéficiaire, la gestion d’affaire peut être source d’obligations pour le maître de l’affaire.
        • Ce dernier devra notamment indemniser le gérant de l’affaire pour les frais exposés dans son intérêt.
  • Gestion d’affaires et enrichissement injustifié
    • Tant la gestion d’affaires que l’enrichissement injustifié (ou sans cause) visent à rétablir un équilibre injustement rompu entre deux patrimoines.
    • Ces deux figurent juridiques reposent, au fond, sur l’idée que l’équité commande que la personne qui est intervenu spontanément dans l’intérêt d’autrui, puisse être indemnisé par ce dernier des dépenses qu’il a été amené à effectuer.
    • Là encore la gestion d’affaires et l’enrichissement injustifiés, bien que poursuivant un objectif commun, se distinguent sur deux points :
      • Première différence
        • Le rétablissement de l’équilibre patrimonial injustement rompu n’a pas la même cause selon qu’il s’agit de la gestion d’affaire ou de l’enrichissement injustifié.
          • La gestion d’affaires repose sur la caractérisation d’un élément subjectif, en ce sens qu’il s’agira d’établir la volonté du gérant d’intervenir dans les affaires d’autrui
          • L’enrichissement injustifié repose, au contraire, sur la caractérisation d’un élément objectif, soit sur la démonstration d’une corrélation entre l’enrichissement d’un patrimoine au détriment d’un autre.
        • En matière d’enrichissement injustifié, il est donc indifférent que l’enrichissement ait ou non pour origine une volonté d’agir, ce qui n’est pas le cas de la gestion d’affaires dont l’élément central est la volonté du maître d’intervenir sciemment dans les affaires d’autrui.
      • Seconde différence
        • En matière d’enrichissement injustifié, non seulement, l’indemnisation de la personne qui s’est appauvri est plafonnée par un double montant (plus forte des deux sommes entre l’enrichissement et l’appauvrissement), mais encore l’enrichissement doit avoir subsisté au moment où l’action de in rem verso est introduite.
        • En matière de gestion d’affaires il échoit au maître de l’affaire de rembourser le gérant à hauteur de toutes les sommes utilement exposées, ce quand bien même il n’en aurait retiré aucun profit.

==>Origine

La gestion d’affaire est loin d’être une création des rédacteurs du Code civil. Il s’agit là d’une figure juridique, comme beaucoup d’autres, héritée du droit romain.

Celui-ci était riche de deux actions susceptibles d’être exercées, soit par le gérant, soit par le maître de l’affaire. L’action negotiorum gestorum contrario était conférée au gérant, tandis que l’action negotiorum gestorum directa pouvait être exercée par le maître de l’affaire.

Ces deux actions étaient calquées sur les règles du mandat, raison pour laquelle la gestion d’affaires est parfois qualifiée de quasi-mandat.

L’analogie entre les deux dispositifs obligationnels explique le régime actuel de la gestion d’affaires. Elle se distingue néanmoins du mandat sur un point essentiel : elle procède, non pas d’un accord de volontés, mais d’un fait juridique purement volontaire, ce qui fait d’elle un quasi-contrat.

==>Nature

La gestion d’affaires est envisagée dans une partie du Code civil consacrée « aux autres sources d’obligations ».

Ainsi que le précise le Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, cette partie du Code napoléonien qui suit, un sous-titre Ier consacré au contrat et un sous-titre II qui traite de la responsabilité extracontractuelle ne porte pas, à proprement parler sur toutes les autres sources d’obligations (telles que la loi ou l’engagement unilatéral de volonté), mais seulement sur les quasi-contrats connus en droit positif.

La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par quasi-contrat, la gestion d’affaires relevant manifestement de cette catégorie d’obligations.

  • Définition
    • Les quasi-contrats sont définis à l’article 1300 C. civ (ancien art 1371 C. civ.) comme « des faits purement volontaires dont il résulte un engagement de celui qui en profite sans y avoir droit, et parfois un engagement de leur auteur envers autrui ».
    • Il s’agit autrement dit, du fait spontané d’une personne, d’où il résulte un avantage pour un tiers et un appauvrissement de celui qui agit.
    • Au nom de l’équité, la loi rétablit l’équilibre injustement rompu en obligeant le tiers à indemniser celui qui, par son intervention, s’est appauvri.
  • Différence avec le contrat
    • Tandis que le contrat est le produit d’un accord de volontés, le quasi-contrat naît d’un fait volontaire licite
      • Ainsi la formation d’un quasi-contrat, ne suppose pas la rencontre des volontés entre les deux « parties », comme tel est le cas en matière de contrat.
    • Les obligations qui naissent d’un quasi-contrat sont un effet de la loi et non un produit de la volonté.
  • Différence avec le délit et le quasi-délit
    • Contrairement au délit ou au quasi-délit, le quasi-contrat est un fait volontaire non pas illicite mais licite, en ce sens qu’il ne constitue pas une faute civile.
    • Le fait générateur d’un quasi-contrat ne permet donc pas d’engager la responsabilité de son auteur.
    • Leur point commun est que les effets de droits attachés au quasi-contrat et au délit/quasi-délit procèdent de la loi et non d’un accord entre les personnes intéressées qui, par hypothèse, fait défaut.

La gestion d’affaires relève donc de la catégorie des quasi-contrats. Il en résulte deux conséquences immédiates :

  • Tout d’abord, il ne peut être recouru à la figure juridique de la gestion d’affaires qu’à titre subsidiaire, soit dans l’hypothèse où aucun contrat n’a été conclu entre le maître de l’affaire et le gérant.
  • Ensuite, parce que les obligations attachées à la gestion d’affaires ne procèdent pas de l’accomplissement d’un acte juridique, mais d’un fait, la preuve est libre et se rapporte donc par tous moyens, nonobstant l’accomplissement d’actes juridiques par le gérant dans le cadre de son intervention (V. en ce sens Cass. civ. 19 mars 1845).

==>Réforme des obligations

Sous l’empire du droit antérieur, la gestion d’affaires était régie avec le paiement de l’indu, autre forme de quasi-contrat, par les articles 1371 à 1381 du code civil.

L’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 a transféré la gestion d’affaires aux articles 1301 à 1301-5.

À l’analyse, l’intervention du législateur s’est limitée à un toilettage des textes, la principale innovation consistant à étendre les obligations du gérant qui doit désormais « remplir les engagements contractés dans son intérêt par le gérant », alors que, auparavant, il ne devait reprendre que les engagements « contractés en son nom ».

En tout état de cause, la gestion d’affaires ne peut être invoquée qu’à la condition de satisfaire à plusieurs conditions cumulatives. Une fois ces conditions remplies, elle produit un certain nombre d’effets spécifiques, tant à l’égard à l’égard du gérant et du maître, qu’à l’égard des tiers.