Solution.
Un manquement grave commis avant la rupture du contrat mais découvert ex post ne peut priver l’agent commercial de son droit à indemnité compensatrice (1).
Quant aux manquements graves renseignés dans la lettre de résiliation aux fins de privation dudit droit, il importe au mandant de rapporter la preuve que chacun desdits manquements renseignés est à lui-seul constitutif d’une faute grave (2).
Impact.
La Chambre commerciale confirme sa jurisprudence sur le premier point (1) et précise relativement au second les conditions d’application de l’article L. 134-13 du code de commerce (2).
Commentaire.
En l’espèce, les juges sont saisis d’un défaut de règlement pécuniaire consécutivement à la rupture d’un contrat d’agence commerciale. Les commissions dues ne sont pas intégralement payées au mandataire. Quant à l’indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi, qui seule retient l’attention de la Cour de cassation, elle ne l’est pas du tout.
Saisie, la Cour d’appel de Bordeaux (12 juin 2023) considère que des fautes professionnelles en cascades et répétées (erreurs sur les chantiers, erreurs de facturation, erreurs commerciales) ont été commises, qui sont jugées constitutives d’une faute grave exclusive du droit à indemnité de l’article L. 134-12 c. com., peu important qu’un certain nombre d’entre elles aient été découvertes après la rupture du contrat.
Cette dernière considération fonde à elle-seule la cassation (partielle) et le renvoi de l’affaire devant la Cour d’appel de Toulouse.
1.- La Chambre commerciale considère que « l’agent commercial, qui a commis un manquement grave, antérieurement à la rupture du contrat, dont il n’a pas été fait état dans la lettre de résiliation et qui a été découvert postérieurement à celle-ci par le mandant, de sorte qu’il n’a pas provoqué la rupture, ne peut être privé de son droit à indemnité. » Cette décision s’inscrit dans un courant jurisprudentiel initié par un arrêt de revirement rendu le 16 novembre 2022 par la Chambre commerciale (pourvoi n° 21-17.423) en application stricte de la directive 86/653/CEE du Conseil du 18 décembre 1986 relative à la coordination des droits des États membres concernant les agents commerciaux indépendants telle qu’interprétée par la Cour de justice de l’Union européenne (28 octobre 2010, Volvo Car Germany GmbH, C-203/09, points 38, 42 et 43). En résumé, les articles L. 134-12 et L. 134-13 du code de commerce, qui sont issus de la transposition en droit interne de ladite directive, doivent être interprétés en ce sens que seule une faute grave commise avant la rupture du contrat et connue du mandant peut être considérée comme ayant provoqué la rupture, excluant le droit à indemnité de l’agent commercial. La cassation était inévitable.
2.- D’autres manquements sont reprochés dans la lettre de résiliation litigieuse, qui semblaient satisfaire les conditions de la loi au vu de leur gravité. A l’analyse, la Cour de cassation ne les considère pas opposables en l’état. Il n’est pas suffisant de lister une série de manquements au contrat pour soutenir ce faisant qu’ils sont constitutifs d’une faute grave. Il importe au mandant, qui entend priver son cocontractant du droit subjectif à l’indemnité compensatrice de rapporter la preuve que chacun desdits manquements renseignés est à lui-seul constitutif d’une faute grave. La privation du droit à commission ne se déduit donc pas d’une série de faits pas plus du reste d’une banale information obtenue ex post ou bien encore d’une lettre exogène (Cass. com. 27 sept. 2005, n° 04-13.106, publié au bulletin).
L’économie générale des règles de faveur sous étude, qui sont d’ordre public (art. L. 134-16 c. com. Cass. com. 23 juin 2015, n° 14-17.894, publié au bulletin), commandait cette interprétation. L’indemnité est un facteur de correction et de rééquilibrage des patrimoines des parties. En raison de la rupture du contrat, le mandant a vocation à conserver seul la valeur commune qui a été créée conjointement avec l’agent commercial. L’indemnité compense en conséquence le préjudice subi par le mandataire en raison de la perte de sa part dans ladite valeur créée et prévient en quelque sorte un enrichissement injustifié du mandant.
En technique, la prévention de l’inopposabilité des manquements aux fins d’exclusion de toute indemnité compensatrice recommande, d’une part, de consigner dans un registre les événements affectant la relation d’affaires constitutifs d’une faute grave et, d’autre part, de renseigner dans la lettre de résiliation chacun des manquements objectivés en regard.
La loyauté contractuelle, qui innerve absolument toute la relation d’affaire, et qui est essentielle dans le cas particulier du mandat d’intérêt commun (Cass. com. 15 mai 2007, n° 06-12.282 publié au bulletin), fonde le mandant à reprocher son comportement au cocontractant pour demander, sur le terrain de l’équité, une réduction de l’indemnité compensatrice (Cjue, décision préc. point n° 44).
A noter encore que les voies civiles de la réparation ne sont pas fermées. L’agent commercial peut tout à fait répondre de l’inexécution dommageable des obligations convenues sur le fondement des articles 1231-1 et 1231-2 du code civil – art. 1147 et 1145 anc. – (Cass. com., 19 oct. 2022, n° 21-20.681, publié au bulletin).
(Article publié in Responsabilité civile et assurance févr. 2025, comm. n° 26)