Les parties au contrat d’assurance (Code des assurances)

Le contrat d’assurance, par la richesse de ses mécanismes et la variété des intérêts qu’il cristallise, se distingue au sein du droit des obligations comme une figure contractuelle particulièrement singulière. Instrument de prévoyance et de protection, il s’inscrit dans une logique de couverture du risque qui dépasse les frontières classiques de l’engagement bilatéral. Si, comme tout contrat, il unit deux volontés — celle de l’assureur, porteur du risque, et celle du souscripteur, en quête de sécurité — il irrigue, par sa structure et sa fonction, un champ d’effets plus large, souvent pluripersonnel, qui en accentue la complexité juridique.

À cette complexité tient notamment la pluralité des figures que l’opération d’assurance met en jeu. Car ce contrat, s’il repose fondamentalement sur une relation entre deux parties, n’en demeure pas moins ouvert, par vocation, à l’intervention de tiers, lesquels peuvent être les véritables destinataires de la garantie, voire, dans certains cas, ses titulaires effectifs. Le contrat d’assurance manifeste ainsi une capacité d’irradiation qui oblige à dépasser la stricte lecture synallagmatique, pour embrasser une conception fonctionnelle de la relation contractuelle, où se croisent et se combinent les intérêts du souscripteur, de l’assuré, du bénéficiaire, voire du tiers lésé.

Nous nous focaliserons ici sur les parties au contrat d’assurance.

Le contrat d’assurance repose d’abord sur l’intervention de deux parties essentielles: l’assureur, qui prend en charge un risque en contrepartie du paiement d’une prime, et le souscripteur, qui conclut le contrat et en supporte les principales obligations. L’un engage sa garantie, l’autre manifeste le consentement à l’acte assurantiel. Autour de ce duo s’organise la relation d’assurance, à laquelle peuvent s’ajouter d’autres figures (assuré, bénéficiaire, intermédiaire), mais dont la formation repose fondamentalement sur cet échange initial. Il convient ainsi d’examiner, en premier lieu, la qualité d’assureur, puis celle de souscripteur.

1. L’assureur

Le contrat d’assurance ne saurait valablement exister sans la présence d’un assureur, entendu comme la personne morale qui assume, en vertu d’un engagement contractuel, le risque garanti. Par cette obligation, l’assureur s’engage, en contrepartie d’une prime ou cotisation, à fournir une prestation déterminée lors de la survenance d’un événement aléatoire spécifié au contrat. Il est ainsi le débiteur originaire et principal de l’obligation d’assurance.

L’article L. 310-1 du Code des assurances réserve la qualité d’assureur à ceux qui, à titre habituel et professionnel, effectuent des opérations d’assurance ou de réassurance, sous réserve d’un agrément administratif préalable. Cette définition restrictive exclut expressément les simples intermédiaires, qui ne sont pas parties au contrat mais seulement intéressés à son exécution. L’usage commun, souvent imprécis, conduit à confondre ces opérateurs avec l’assureur véritable, alors même que seule l’entité investie du pouvoir de porter le risque — c’est-à-dire de garantir l’aléa — peut revendiquer cette qualité.

1.1. La diversité des porteurs de risques

Le contrat d’assurance implique, par essence, l’existence d’un assureur, entendu comme le porteur du risque. Celui-ci est tenu, en contrepartie d’une prime ou cotisation, d’exécuter la prestation convenue en cas de survenance du sinistre garanti. La figure de l’assureur ne se limite cependant pas à une seule catégorie d’entité : elle recouvre, en droit français, une pluralité d’organismes, régis par des régimes distincts, eux-mêmes déterminés par le code sectoriel auquel ils se rattachent. Trois grandes catégories peuvent ainsi être distinguées : les sociétés d’assurance régies par le Code des assurances, les mutuelles relevant du Code de la mutualité, et les institutions de prévoyance, soumises au Code de la sécurité sociale.

a. Les sociétés d’assurance (Code des assurances)

Les sociétés d’assurance constituent historiquement le cœur du secteur assurantiel. Leur activité est encadrée par les dispositions du Livre III du Code des assurances, qui établit une typologie reposant à la fois sur leur forme juridique et sur leur mode de fonctionnement.

i. Les sociétés anonymes d’assurance

Ces entités à but lucratif, soumises au droit commun des sociétés commerciales (C. com., art. L. 225-1 et s.), sont les plus répandues sur le marché français. Elles opèrent toutes branches d’assurance (sous réserve de compatibilité entre elles) et doivent satisfaire aux exigences prudentielles définies par la réglementation Solvabilité II. Leur gouvernance est souvent duale (directoire et conseil de surveillance), bien que le modèle moniste subsiste. Leur agrément est délivré par l’ACPR (Autorité de contrôle prudentiel et de résolution), au vu de critères relatifs à leur solvabilité, à leur gouvernance et à leur spécialisation technique.

ii. Les sociétés d’assurance mutuelle (SAM)

Les SAM relèvent également du Code des assurances (art. L. 322-26-1 et s.), mais se distinguent par leur but non lucratif et par leur mode de fonctionnement mutualiste. Dépourvues de capital social, elles reposent sur une logique de solidarité entre sociétaires, lesquels sont à la fois assurés et membres de la structure. Les excédents réalisés ne sont pas distribués mais réaffectés au bénéfice des sociétaires, par exemple sous la forme de réduction des cotisations. Ces sociétés ne sont pas commerciales au sens du droit commun et échappent à ce titre à la compétence des tribunaux de commerce.

iii. Les sociétés européennes d’assurance

Introduites par le règlement (CE) n° 2157/2001 et transposées en droit français par la loi n° 2005-842 du 26 juillet 2005 (art. L. 322-5-1 C. assur.), ces sociétés permettent une harmonisation des activités d’assurance au sein du marché intérieur européen. Elles peuvent librement transférer leur siège social d’un État membre à un autre, sans dissolution, et constituent un levier d’intégration pour les grands groupes opérant à l’échelle de l’Union.

iv. Les formes groupées : SGAM et GAM

Le Code des assurances reconnaît également des formes plurales, telles que les sociétés de groupe d’assurance mutuelle (SGAM) (art. L. 322-1-2 C. assur.) et les groupements d’assurance mutuelle (GAM) (art. L. 322-1-5). Tandis que la SGAM, en tant que société faîtière, peut regrouper plusieurs entités mutualistes autour d’un pilotage stratégique sans exercer elle-même d’activité d’assurance, le GAM a un rôle plus modeste et non contraignant, consistant à coordonner les actions des membres tout en laissant à chacun la responsabilité de ses engagements.

b. Les mutuelles (Code de la mutualité)

Les mutuelles sont régies, quant à elles, par le Livre II du Code de la mutualité. À l’instar des SAM, elles sont à but non lucratif, mais s’en distinguent par un cadre juridique propre et une vocation plus exclusivement orientée vers la santé, la prévoyance ou la solidarité sociale.

Les mutuelles fonctionnent selon un modèle démocratique, où chaque membre dispose d’une voix à l’assemblée générale (C. mut., art. L. 114-1). Elles ne disposent pas de capital social, mais doivent constituer un fonds d’établissement pour couvrir les engagements initiaux (C. mut., art. L. 114-4). Leur gouvernance est organisée autour d’un conseil d’administration et d’un dirigeant opérationnel, ce dernier n’étant pas administrateur (art. L. 211-14 C. mut.).

Les mutuelles du Livre II peuvent exercer des opérations d’assurance, à l’exclusion de certaines branches techniques (v. art. L. 111-1 C. mut.). En revanche, celles relevant du Livre III (mutuelles de prévention ou à vocation médico-sociale) n’ont pas vocation à pratiquer des opérations d’assurance, leur objet étant centré sur la gestion de prestations sociales ou sanitaires.

Comme les sociétés d’assurance, les mutuelles peuvent se regrouper sous forme d’union mutualiste de groupe (UMG) ou d’union de groupe mutualiste (UGM), structures analogues à la SGAM et au GAM, respectivement. Ces entités assurent une coordination stratégique sans mise en commun de la mutualisation du risque (C. mut., art. L. 111-4-1 et L. 111-4-2).

c. Les institutions de prévoyance (Code de la sécurité sociale)

Les institutions de prévoyance constituent la troisième catégorie d’assureurs à part entière, bien qu’elles soient souvent perçues comme des opérateurs spécifiques. Leur régime est défini par le Livre IX du Code de la sécurité sociale, plus précisément par les articles L. 931-1 et suivants.

Les institutions de prévoyance sont des personnes morales de droit privé à but non lucratif, créées pour couvrir les risques sociaux dans un cadre collectif. Elles sont administrées selon un modèle paritaire, associant des représentants des employeurs (membres adhérents) et des salariés (membres participants) (C. séc. soc., art. L. 931-1).

Leur activité est plus restreinte que celle des assureurs classiques. Elles ne peuvent intervenir que dans les branches suivantes : vie-décès, mariage-naissance, capitalisation, accidents, maladie, et perte d’emploi (art. L. 932-1 C. séc. soc.). Elles exercent leurs activités soit dans un cadre individuel, par adhésion directe d’un salarié, soit dans un cadre collectif, à adhésion facultative ou obligatoire.

Elles peuvent également se structurer en groupes prudentiels, autour d’une société de groupe assurantiel de protection sociale (SGAPS) (C. séc. soc., art. L. 931-2-2), ou en groupes non prudentiels, dénommés groupes assurantiels de protection sociale (GAPS) (art. L. 931-2-1). Des unions peuvent également être constituées pour mutualiser les engagements ou réassurer les opérations collectives.

1.2. Conditions d’intervention en France

L’accès au marché français de l’assurance est régi par un encadrement juridique exigeant. Il repose sur l’obtention préalable d’un agrément délivré par l’ACPR, auquel s’ajoutent des obligations étendues en matière de gouvernance, de comptabilité et de solvabilité. Ce régime combine les règles issues du droit national avec les prescriptions du droit européen, notamment celles de la directive 2009/138/CE du 25 novembre 2009, dite « Solvabilité II », qui structure l’ensemble des exigences prudentielles applicables aux entreprises d’assurance.

a. Délivrance d’un agrément

En vertu de l’article L. 310-10 du Code des assurances, aucun organisme ne peut pratiquer des opérations d’assurance en France sans avoir obtenu un agrément délivré par l’ACPR. Cette mesure d’autorisation préalable vise à contrôler la capacité de l’entreprise à tenir ses engagements et à protéger les intérêts des assurés. L’agrément, individuel, porte sur une ou plusieurs branches d’assurance déterminées, dont certaines sont incompatibles entre elles. Il est interdit à un même organisme d’exercer à la fois dans les branches d’assurance de personnes et dans celles des assurances de dommages, sauf exceptions strictement encadrées (C. assur., art. L. 322-2-2).

La délivrance de l’agrément suppose l’examen de critères relatifs à la solidité financière, à la gouvernance et à la nature des opérations envisagées. Le non-respect de l’objet social ainsi agréé est susceptible d’entraîner tant des sanctions disciplinaires que des sanctions civiles, voire pénales, en cas d’exercice illicite de l’activité assurantielle.

Les assureurs établis dans un autre État membre de l’Espace économique européen bénéficient d’un passeport européen, leur permettant, sous réserve de notification préalable par l’autorité de leur État d’origine, d’exercer en France en libre prestation de services ou par le biais d’un établissement secondaire (succursale ou agence). Ce régime repose sur le principe de contrôle unique, la surveillance de l’activité demeurant en principe du ressort de l’État d’origine, sauf en cas d’urgence ou de manquement manifeste à la législation de l’État d’accueil.

b. Exigences de gouvernance

L’agrément n’est que le préalable à l’exercice effectif. L’entreprise agréée doit en outre satisfaire aux exigences d’organisation interne imposées par le pilier II de la directive Solvabilité II, transposée en droit français notamment aux articles L. 354-1 et suivants du Code des assurances. Elle doit ainsi mettre en place un système de gouvernance structuré autour de deux dispositifs principaux : un système de contrôle interne et un système de gestion des risques.

Ces dispositifs sont servis par des fonctions clés, soumises à des conditions d’honorabilité et de compétence contrôlées par l’ACPR : la gestion des risques, la vérification de la conformité, l’audit interne et l’actuariat. L’ensemble repose sur des politiques écrites et sur une séparation claire des responsabilités. En outre, le recours à des prestataires extérieurs dans le cadre de l’externalisation de certaines fonctions ou services fait l’objet d’un encadrement particulier lorsqu’il concerne des fonctions critiques ou importantes, notamment en matière de continuité d’activité ou de maîtrise des risques.

c. Exigences financières

Le cœur du dispositif prudentiel est constitué par l’exigence de disposer de fonds propres suffisants pour faire face aux risques. Le capital de solvabilité requis (CSR), calculé selon une formule standard ou un modèle interne validé par l’ACPR, vise à garantir la continuité d’exploitation à un an avec un niveau de confiance de 99,5 %. Il correspond donc à une valeur en risque de l’entreprise, tenant compte de l’ensemble de ses engagements futurs. Le minimum de capital requis (MCR), plus bas, marque quant à lui le seuil en deçà duquel l’activité de l’assureur devient intolérable, signalant un niveau de fonds propres équivalant à une probabilité de ruine de 15 % à un an.

Ces exigences doivent être couvrables par des fonds propres éligibles, classés en trois niveaux selon leur qualité et leur capacité d’absorption des pertes. Les fonds de base (tier 1) doivent représenter plus de la moitié du total des fonds admissibles.

S’agissant du régime comptable applicable aux assureurs en France, il s’articule autour de deux exigences : la tenue de comptes sociaux établis selon les normes comptables nationales, et, pour les entités concernées, la publication de comptes consolidés conformes aux normes IFRS (International Financial Reporting Standards), conformément au règlement CE n° 1606/2002.

Le bilan social doit notamment refléter les provisions techniques, c’est-à-dire les montants destinés à faire face aux engagements de l’assureur envers les assurés, qu’il s’agisse de provisions mathématiques en assurance-vie ou de provisions pour sinistres et pour primes en assurance non-vie. L’actif de l’entreprise doit représenter ces engagements à travers un actif dit représentatif ou excédentaire, dont la valorisation varie selon qu’il est amortissable ou non.

2. Le souscripteur

Le contrat d’assurance trouve sa source dans l’initiative du souscripteur, véritable pivot de l’engagement assurantiel. Partie originaire à l’accord, il en provoque la formation, en assume les obligations principales, et peut, selon les cas, agir pour son propre compte ou dans l’intérêt d’autrui. Sa qualité ne se confond ni avec celle de l’assuré, ni avec celle du bénéficiaire, même si ces fonctions peuvent coïncider. Comprendre son rôle implique donc d’en cerner les contours juridiques, tant en matière de souscription individuelle que dans le cadre plus complexe des assurances collectives.

a. La notion de souscripteur

Le souscripteur — parfois désigné par la terminologie européenne comme le preneur d’assurance — désigne  la personne physique ou morale qui conclut le contrat d’assurance avec l’assureur. Partie originaire à la convention, il est juridiquement celui qui manifeste le consentement nécessaire à la formation du contrat et sur lequel pèsent les obligations essentielles qui en découlent, au premier rang desquelles figurent le paiement de la prime et la déclaration exacte du risque, conformément aux prescriptions de l’article L. 113-2 du Code des assurances.

Cette qualité de souscripteur, centrale dans l’économie contractuelle, ne doit cependant pas être confondue avec celles — distinctes bien que fréquemment cumulées — d’assuré ou de bénéficiaire. Tandis que l’assuré est la personne sur la tête ou sur le patrimoine de laquelle repose le risque couvert, le bénéficiaire est, quant à lui, celui qui a vocation à percevoir la prestation de l’assureur en cas de réalisation du sinistre. Cette distinction, solidement ancrée dans la tradition doctrinale et régulièrement réaffirmée par la jurisprudence, permet d’appréhender avec rigueur la structure tripartite que peut revêtir la relation d’assurance, et d’éviter les amalgames sémantiques parfois induits par l’usage courant.

Dans les contrats d’assurance individuels, la figure du souscripteur est généralement celle de l’assuré lui-même : il agit pour son propre compte, supporte le risque et perçoit, le cas échéant, la prestation. Cette identité des qualités, fréquente, ne présente cependant aucun caractère nécessaire. Le souscripteur peut contracter dans l’intérêt d’un tiers — par exemple dans le cadre d’une assurance sur la tête d’autrui, ou d’une assurance pour compte. Dans cette dernière configuration, visée par l’article L. 112-1 du Code des assurances, le contrat est conclu par une personne qui, sans disposer d’un mandat exprès, agit pour le compte d’un individu déterminé. Ce tiers, selon les circonstances, sera lié au contrat en vertu des règles applicables au mandat apparent ou à la gestion d’affaires, à condition que la souscription lui soit utile ou qu’il en ait ratifié les effets. La jurisprudence a ainsi précisé que, dans ces hypothèses, le contractant apparent ne demeure qu’un intermédiaire, la personne véritablement engagée étant celle pour le compte de laquelle l’assurance a été souscrite, pourvu qu’elle ait été identifiée ou identifiable à la date de formation du contrat.

Dans les contrats d’assurance collectifs, le rôle du souscripteur prend une envergure plus institutionnelle. Il s’agit, le plus souvent, d’un employeur, d’une association ou d’un organisme professionnel, qui conclut une convention d’assurance de groupe auprès d’un assureur, en vue de la couverture d’un ensemble de personnes unies par un lien objectif, tel qu’un contrat de travail, l’adhésion à une structure associative, ou une relation contractuelle avec un établissement de crédit. Ce type d’opération, régi par les articles L. 141-1 et suivants du Code des assurances, donne naissance à une configuration tripartite, dans laquelle les adhérents — c’est-à-dire les membres du groupe éligibles à la garantie — accèdent à la qualité d’assuré (et parfois de bénéficiaire), selon des modalités d’adhésion variables.

La doctrine souligne que, dans cette configuration, le souscripteur exerce des fonctions multiples : il négocie la teneur du contrat avec l’assureur, fixe les conditions d’adhésion et assure un rôle de relais entre les adhérents et l’assureur. L’article L. 141-6 du Code des assurances instaure à cet égard une présomption de mandat au profit du souscripteur, lequel est réputé agir pour le compte de l’entreprise d’assurance à l’égard des adhérents. Cette présomption, instituée dans un souci de sécurité juridique, implique que les actes et documents émanant du souscripteur engagent l’assureur vis-à-vis des adhérents, sauf clause contraire expressément portée à la connaissance de ces derniers, conformément à l’article A. 141-6 du même Code.

L’adhésion au contrat collectif peut être soit obligatoire, soit facultative. Dans le premier cas — typiquement en matière de protection sociale complémentaire liée à l’emploi —, l’adhésion résulte automatiquement de l’appartenance au groupe, sans qu’un acte exprès ne soit requis. Elle peut alors s’analyser comme une stipulation pour autrui acceptée tacitement, conférant aux adhérents la qualité d’assurés sans intervention individuelle de leur part. Dans le second cas, l’adhésion repose sur une manifestation de volonté expresse de la personne concernée. Elle s’analyse alors comme une pollicitation, acceptée par l’assureur par l’émission d’un certificat d’adhésion. La relation ainsi formée entre l’adhérent et l’assureur constitue un véritable contrat individuel d’assurance, régi par les conditions générales et particulières négociées dans la convention-cadre. La doctrine hésite, dans cette configuration, entre une analyse en termes de promesse de contrat pour autrui — l’assureur s’engageant à proposer à chaque adhérent les garanties convenues — ou de stipulation classique, chaque adhésion valant contrat distinct une fois acceptée.

Ainsi, qu’il intervienne dans un cadre individuel ou collectif, le souscripteur est toujours celui qui, en sa qualité de cocontractant de l’assureur, déclenche la formation du lien contractuel et en supporte les principales charges. Mais il peut aussi, par un jeu de représentations ou de stipulations, s’effacer derrière d’autres figures — assuré ou bénéficiaire — dont les intérêts justifient la souscription de la garantie.

b. La capacité du souscripteur

La souscription d’un contrat d’assurance constitue, par essence, un acte juridique dont la validité suppose que son auteur soit doté de la capacité requise pour contracter. Cette exigence, d’apparence triviale, n’en recouvre pas moins une diversité de situations dont le traitement repose principalement sur les dispositions du droit commun, en particulier les articles 1145 et suivants du Code civil, mais se colore aussi des règles spécifiques tenant à la nature même du contrat d’assurance. En effet, selon qu’il s’agisse d’un contrat de dommages ou d’un contrat d’assurance-vie, la qualification juridique de l’acte – acte d’administration ou de disposition – influe directement sur le régime applicable.

i. Les mineurs non émancipés

Privé de la capacité d’exercice, le mineur non émancipé ne peut, en principe, souscrire lui-même un contrat d’assurance. La représentation par l’administrateur légal ou le tuteur s’impose. La distinction entre actes d’administration et actes de disposition, reprise par le décret n° 2008-1484 du 22 décembre 2008 (annexe 1), joue ici un rôle déterminant?: la souscription d’un contrat d’assurance de dommages – telle qu’une assurance habitation ou de responsabilité civile – relève de la catégorie des actes d’administration et peut donc être accomplie par les représentants légaux agissant seuls, sauf disposition contraire.

En revanche, la conclusion d’un contrat d’assurance-vie est qualifiée d’acte de disposition. Dès lors, elle requiert l’autorisation préalable du conseil de famille ou du juge des tutelles, conformément à l’article 505 du Code civil. Le régime protecteur du mineur se double ainsi d’un contrôle juridictionnel lorsque la souscription emporte des conséquences patrimoniales substantielles.

Il n’en demeure pas moins que l’article 1148 du Code civil permet au mineur de conclure lui-même certains actes de la vie courante, à condition qu’ils soient conformes à l’usage et qu’ils interviennent à des conditions normales. Ce tempérament autorise, dans une certaine mesure, la souscription autonome d’assurances liées à des activités sportives ou scolaires. Toutefois, la validité d’un tel contrat demeure conditionnée à l’absence de lésion, laquelle, en matière d’assurance, est d’autant plus difficile à démontrer que le contrat repose sur un aléa (C. civ., art. 1305).

ii. Les majeurs protégés

La capacité du souscripteur fait également l’objet d’aménagements en présence d’une mesure de protection juridique. Le droit positif distingue selon le régime applicable – sauvegarde de justice, curatelle, tutelle ou habilitation familiale – chacun d’eux induisant des conséquences spécifiques.

  • Sous sauvegarde de justice, le majeur conserve la plénitude de sa capacité juridique. Toutefois, les actes accomplis peuvent être rescindés pour excès en vertu de l’article 435 du Code civil, si la souscription d’une assurance s’avérait manifestement inadaptée à sa situation patrimoniale. Ce risque est théoriquement limité par le caractère aléatoire du contrat d’assurance, qui rend la démonstration de la lésion complexe.
  • Sous curatelle, l’assistance du curateur est exigée pour les actes de disposition. Ainsi, la souscription d’une assurance-vie requiert son concours, conformément à l’article L. 132-4-1 du Code des assurances. En revanche, les contrats de dommages – qualifiés d’actes d’administration – peuvent être conclus par le majeur seul, sauf stipulation contraire ou circonstances particulières.
  • En tutelle, la logique de représentation s’impose de manière continue. Le tuteur est seul habilité à souscrire, y compris les contrats d’assurance de dommages. S’agissant de l’assurance-vie, l’article L. 132-4-1 du Code des assurances impose en outre l’autorisation du juge des tutelles ou du conseil de famille, tant pour la souscription que pour la désignation ou la modification du bénéficiaire.
  • Enfin, dans le cadre de l’habilitation familiale, instaurée par l’ordonnance n°2015-1288 du 15 octobre 2015, la capacité du majeur est maintenue, sous réserve des restrictions expressément prévues par la décision du juge. L’habilitation peut être générale ou limitée à certains actes, de sorte qu’une analyse casuistique s’impose au regard de la portée du mandat judiciaire (C. civ., art. 494-6 et s.).

iii. Les personnes mariées

Le droit des régimes matrimoniaux n’est pas sans incidence sur les règles de capacité. L’article 1421 du Code civil autorise chacun des époux à gérer seul les biens communs et, à ce titre, à souscrire un contrat d’assurance de dommages utile à la famille. Cette latitude n’est toutefois pas absolue?: dans l’hypothèse d’une assurance-vie souscrite au profit d’un tiers, le risque d’une requalification en donation de biens communs ne peut être écarté. Il convient alors d’apprécier si l’opération respecte les charges du mariage (C. civ., art. 223) ou si elle emporte une atteinte injustifiée au patrimoine commun, auquel cas l’article 1422 pourrait justifier l’exigence du consentement du conjoint.

En tout état de cause, la jurisprudence veille à ne pas restreindre indûment la liberté de chacun des époux de souscrire un contrat d’assurance-vie à titre personnel. L’attribution du capital à un tiers bénéficiaire est en principe considérée comme un droit propre, susceptible néanmoins d’être tempéré par le droit à récompense de la communauté si les primes ont été acquittées avec des deniers communs (Cass. 1re civ. , 31 mars 1992, n° 90-16.343).

iv. Les personnes morales

Enfin, les personnes morales ne jouissent que d’une capacité spéciale, limitée aux actes entrant dans leur objet statutaire ou y étant accessoires (C. civ., art. 1145, al. 2). La souscription d’un contrat d’assurance ne pose généralement pas difficulté, dès lors qu’elle vise à garantir des risques inhérents à l’activité de la structure – qu’il s’agisse de protéger ses biens, sa responsabilité ou ses ressources humaines.

L’acte est valablement accompli par le représentant légal, dont les pouvoirs sont présumés étendus vis-à-vis des tiers. Même lorsque les statuts comportent des limitations internes, celles-ci demeurent inopposables aux cocontractants de bonne foi, conformément au principe d’apparence et à la jurisprudence constante en matière de représentation des personnes morales.

c. La représentation du souscripteur

Le contrat d’assurance peut être valablement conclu par une personne agissant non pour son propre compte, mais au nom ou dans l’intérêt d’autrui. Deux mécanismes juridiques distincts permettent cette représentation du souscripteur : le mandat, d’une part, et la gestion d’affaires, d’autre part. Tous deux sont expressément visés à l’article L. 112-1, alinéa 1er, du Code des assurances, qui dispose que « l’assurance peut être contractée en vertu d’un mandat général ou spécial, ou sans mandat, pour le compte d’une personne déterminée ». Ce texte prévoit ainsi la possibilité d’une souscription indirecte.

Dans le cadre du mandat, la souscription est effectuée par un représentant dûment habilité. Le mandant, c’est-à-dire la personne pour le compte de laquelle l’assurance est contractée, est seul engagé dans les liens du contrat. Il en résulte qu’il est l’unique débiteur des primes (Cass. 1re civ., 18 juill. 1962) et qu’il bénéficie seul des prérogatives afférentes à la qualité de souscripteur (Cass. 1re civ., 27 déc. 1962). Le mandataire, en tant qu’intermédiaire, n’est pas partie au contrat — sauf à ce qu’il ait excédé les limites de son mandat ou qu’il ait omis de révéler sa qualité de représentant. En pareille hypothèse, sa responsabilité personnelle pourrait être engagée, notamment à l’égard de l’assureur.

Le gérant d’affaires, quant à lui, intervient sans mandat préalable, mais agit dans l’intérêt d’une personne déterminée. Ce mode de représentation spontanée, également reconnu par l’article L. 112-1 du Code des assurances et fondé sur les articles 1372 et suivants du Code civil, emporte des effets analogues au mandat, sous réserve de certaines spécificités. Le contrat d’assurance profite ici à celui que la jurisprudence qualifie de maître de l’affaire, dès lors que la gestion s’est avérée utile ou qu’elle a été ratifiée, fût-ce postérieurement à la survenance d’un sinistre (Cass. 1re civ., 13 juill. 1960). Le gérant d’affaires, tout comme le mandataire, n’est pas tenu personnellement des obligations issues du contrat, sauf s’il a manqué à ses devoirs ou s’il est lui-même à l’origine du sinistre.

Il convient de souligner que, dans ces hypothèses de représentation indirecte, la personne qui agit pour autrui doit clairement révéler sa qualité à l’assureur. À défaut, elle sera présumée avoir contracté en son nom propre, conformément aux règles de droit commun. La distinction entre représentation et souscription personnelle est, à cet égard, décisive, tant pour déterminer le débiteur des primes que pour identifier l’éventuel créancier de la prestation assurantielle.

Ces modes de représentation trouvent un écho particulier dans les assurances pour compte, lesquelles consistent à souscrire un contrat au profit d’un tiers, que ce tiers soit ou non déterminé au jour de la conclusion du contrat. La jurisprudence, tout comme la doctrine la plus autorisée, insiste sur la distinction à opérer entre la représentation, qui repose sur une délégation de volonté, et la stipulation pour autrui, qui ne crée pas un lien contractuel direct entre l’assureur et le bénéficiaire.

L’exécution de la promesse de porte-fort

Si la promesse de porte-fort intrigue par sa nature, elle suscite tout autant d’interrogations quant à ses modalités d’exécution. En effet, le simple fait que le promettant s’engage à obtenir d’un tiers un comportement déterminé ne saurait suffire à en épuiser les effets juridiques. C’est au stade de la mise en œuvre de cette promesse – qu’il s’agisse de provoquer une ratification, d’obtenir la conclusion d’un acte ou encore de garantir l’exécution d’une obligation – que se révèle la complexité du mécanisme.

À la croisée des obligations contractuelles, de la liberté individuelle et de la technique des garanties, l’exécution de la promesse de porte-fort repose sur une articulation subtile entre la rigueur de l’engagement souscrit par le promettant et la pleine autonomie du tiers concerné. Car si le promettant est tenu, le tiers, lui, demeure libre. Cette tension originelle structure toute l’économie de la promesse et en conditionne les effets.

C’est donc dans le mouvement même de son exécution – ou de sa non-exécution – que la promesse de porte-fort déploie ses conséquences, tant à l’égard du promettant que vis-à-vis du tiers. Encore faut-il distinguer les figures du porte-fort de ratification, de conclusion et d’exécution, chacune obéissant à une logique propre, mais répondant à un principe commun : le respect du caractère intersubjectif du lien contractuel.

A) Les modalités d’exécution de la promesse de porte-fort

La promesse de porte-fort, en tant qu’engagement personnel du promettant à obtenir d’un tiers la réalisation d’un fait – conclusion, ratification ou exécution d’un acte – n’épuise pas ses effets dans sa seule formation. Elle appelle, pour produire pleinement ses conséquences, une phase d’exécution, dont les modalités varient selon la nature de l’engagement, mais dont l’économie repose sur une structure commune articulée autour de la liberté du tiers, de la rigueur dans la preuve, et d’un régime différencié selon que l’on se trouve face à un porte-fort de ratification, de conclusion ou d’exécution.

1. Une exécution soumise à la libre volonté du tiers

Le principe directeur est celui de la liberté d’exécution du tiers. En vertu de l’article 1199 du Code civil, le contrat formé entre le promettant et le bénéficiaire ne saurait produire d’effet à l’égard du tiers tant que celui-ci n’y adhère pas de sa propre initiative. Qu’il s’agisse de conclure un contrat, d’y adhérer a posteriori ou d’exécuter une obligation déterminée, le tiers ne peut y être juridiquement contraint. La ratification, la conclusion ou l’exécution ne sauraient donc résulter que d’un acte volontaire du tiers.

Ce principe demeure même lorsque le tiers est, en pratique, intimement lié au promettant – en tant que parent, conjoint, associé ou, plus encore, héritier. Ainsi, le tiers successeur du porte-fort pourrait être tenté de satisfaire à l’engagement de son auteur afin d’éviter de voir sa responsabilité engagée sur le fondement d’une inexécution. Mais cette pression d’ordre moral ou économique ne saurait abolir sa liberté juridique. La jurisprudence, sur ce point, est constante : même en présence de liens successoraux, l’obligation de ratifier ne saurait être imposée (Cass. 1re civ., 26 nov. 1975, n°74-10.356).

Certaines décisions plus anciennes ont pu laisser croire que les héritiers du promettant seraient tenus de ratifier l’acte litigieux (Cass. civ., 28 juin 1859), mais ces arrêts doivent être relus à la lumière des circonstances particulières qui les fondaient. Ils concernaient en effet des cas où le porte-fort était également personnellement engagé, notamment en qualité de co-indivisaire ayant aliéné sa part : les héritiers étaient alors tenus non en tant que tiers, mais au titre de l’obligation de garantie contre l’éviction, transmise de plein droit.

2. L’acte de ratification dans le porte-fort de ratification

Lorsque le porte-fort s’analyse comme un engagement de faire ratifier un acte préalablement conclu, l’exécution promise prend classiquement la forme de la ratification du contrat par le tiers. Celle-ci, au sens strict, s’entend d’un acte juridique unilatéral, par lequel une personne approuve l’acte accompli pour elle mais sans mandat, en en endossant les effets à titre personnel. L’effet juridique en est déterminant : le contrat devient pleinement opposable au tiers, avec effet rétroactif, conformément à l’alinéa 3 de l’article 1204 du Code civil.

La ratification peut être expresse – par déclaration ou écrit non équivoque – ou tacite, lorsque le comportement du tiers manifeste sans ambiguïté sa volonté d’adhérer à l’acte (Cass., ass. plén., 22 avr. 2011, n° 09-16.008). La jurisprudence a ainsi déduit une ratification de l’exécution du contrat ou de la poursuite volontaire d’une situation contractuelle connue (Cass. 1re civ., 15 mai 2008, n° 06-20.806).

La forme de la ratification ne fait l’objet d’aucun formalisme particulier. Toutefois, certains auteurs estiment qu’un principe de parallélisme des formes pourrait s’imposer lorsque le contrat dont la ratification est attendue est soumis à une exigence de forme ad solemnitatem. Ainsi, une ratification d’un contrat solennel – tel qu’un contrat de mariage ou une hypothèque – devrait intervenir sous la même forme (Savatier, Boulanger). Cette thèse, bien que discutée, s’inscrit dans une logique de protection du consentement : si la forme vise la protection de la personne, elle doit s’étendre à tout acte préparatoire. À l’inverse, si elle tend à garantir les tiers, la ratification peut échapper à cette contrainte.

Enfin, il n’est pas exclu que la ratification soit réalisée par un tiers substitué au bénéficiaire désigné initialement, pourvu que le contrat le prévoie expressément (Cass. 3e civ., 26 juin 1996, n° 94-18.525).

3. L’exécution dans le porte-fort d’exécution

Lorsque l’engagement porte non sur l’adhésion à un acte, mais sur l’exécution d’une obligation déterminée – obligation de faire, de ne pas faire, voire de payer une somme d’argent – la réalisation du fait promis par le tiers suffit à libérer le promettant (art. 1204, al. 2 C. civ.). Il ne s’agit plus ici de ratification au sens technique du terme, mais bien d’un comportement d’exécution, constaté dans les faits.

La doctrine s’accorde pour dire que cette hypothèse, très fréquente dans la pratique contractuelle (distribution, cession de droits sociaux, engagement post-cession…), repose sur une logique différente : ce n’est pas l’adhésion rétroactive à un acte passé qui est attendue, mais la réalisation d’une prestation future. Il n’existe donc pas d’effet rétroactif. Le tiers n’est pas tenu, mais s’il exécute spontanément l’obligation, le promettant est libéré.

Ainsi, la distinction entre porte-fort de ratification et porte-fort d’exécution appelle une vigilance terminologique : si la ratification reste un acte juridique unilatéral, l’exécution dans le second cas est un simple fait juridique, étranger à toute notion de consentement rétroactif. Confondre les deux reviendrait à méconnaître les effets distincts qu’ils emportent, notamment en matière de responsabilité du promettant.

B) Les effets de l’exécution de la promesse

Lorsque le fait promis par le porte-fort n’est pas réalisé – en particulier, lorsque le tiers refuse de ratifier l’acte ou ne satisfait pas à l’obligation visée – l’économie de la promesse est bouleversée. Toutefois, cette inexécution ne produit pas les mêmes effets selon que l’on se place du point de vue du promettant ou de celui des tiers.

1. Les effets à l’égard du porte-fort

L’inexécution du fait promis par le tiers fait reposer la charge de la responsabilité exclusivement sur le porte-fort, lequel s’est personnellement engagé envers le bénéficiaire à l’obtention d’un comportement ou d’un acte d’autrui. Cette construction singulière du droit des obligations est expressément consacrée à l’article 1204, alinéa 2 du Code civil, qui érige la promesse de porte-fort en obligation autonome de faire.

En effet, l’engagement du porte-fort est un engagement de faire, plus précisément de faire faire. Or, l’ordre juridique exclut qu’une telle obligation puisse être exécutée par équivalent ou par contrainte directe. La jurisprudence, constante sur ce point, rejette toute possibilité d’exécution forcée, en nature ou sous astreinte, de l’obligation issue de la promesse. La Cour de cassation refuse ainsi de condamner le promettant à réaliser personnellement l’obligation qu’il s’était engagé à faire exécuter par un tiers (Cass. 1re civ., 7 mars 2018, n° 15-21.244), au motif que cela reviendrait à le substituer au débiteur initial, ce qui excède la nature même de l’engagement contracté.

La sanction attachée à cette inexécution se limite donc à une condamnation en dommages-intérêts. L’engagement du porte-fort, bien qu’il ait pu être qualifié par la doctrine ancienne de « garantie d’exécution », n’implique pas une obligation de résultat assimilable à celle de la caution. Il s’agit d’une obligation autonome dont l’inexécution, quelle qu’en soit la cause, ouvre droit à réparation, sous la forme indemnitaire, et non à l’exécution en nature.

L’indemnisation allouée au bénéficiaire n’est pas automatique ni nécessairement équivalente à la prestation promise. Contrairement à la caution, qui s’engage à exécuter l’obligation principale en cas de défaillance du débiteur, le porte-fort s’engage uniquement à obtenir cette exécution. Il ne saurait donc être mécaniquement tenu à la dette d’autrui. Dès lors, le montant des dommages-intérêts n’est pas nécessairement calqué sur la valeur du contrat non exécuté.

L’appréciation du préjudice relève d’un pouvoir souverain des juges du fond, qui doivent évaluer le dommage dans les limites de la prévisibilité au jour de la conclusion de la promesse (C. civ., art. 1231-3). La réparation peut être équivalente à la somme non perçue ou à la perte de chance, selon les circonstances (Cass. com. 30 juin 2009, n° 08-12.975). Par exemple, dans un arrêt de principe du 18 avril 2000, la société s’était engagée à garantir le maintien dans l’emploi d’un salarié jusqu’à l’âge légal de la retraite (Cass. 1re civ., 18 avr. 2000, n°98-15.360). Le licenciement prématuré du salarié a conduit à une condamnation à hauteur de 500 000 francs, soit une somme nettement inférieure au montant des rémunérations escomptées jusqu’à 60 ans. Cette solution illustre l’attachement de la jurisprudence à la spécificité de l’engagement de porte-fort, en refusant de confondre l’indemnisation du préjudice avec l’exécution pure et simple du contrat.

Comme l’a relevé la doctrine, ce raisonnement participe d’un retour à l’orthodoxie juridique: la responsabilité du porte-fort repose exclusivement sur la non-réalisation du fait promis, et non sur l’objet du contrat qui devait en résulter. C’est donc le préjudice réel du bénéficiaire – perte d’un avantage, perte de chance, frais engagés – qui fonde l’indemnisation.

Le porte-fort conserve toutefois la possibilité de s’exonérer de sa responsabilité, selon les règles classiques de la responsabilité contractuelle. Il pourra, par exemple, démontrer l’existence d’une cause étrangère, qu’il s’agisse d’un cas de force majeure ou d’une faute du bénéficiaire (C. civ., art. 1231-1). Toutefois, seule une faute exclusive de ce dernier pourra libérer totalement le promettant (Cass. com. 22 mai 2002, n° 00-12.523). La force majeure est, quant à elle, plus difficile à caractériser, car elle doit affecter l’obligation propre du porte-fort, et non celle du tiers (C. civ., art. 1218).

Sur le plan conventionnel, les parties peuvent aménager la responsabilité du porte-fort. Il est ainsi admis de stipuler une clause pénale, fixant forfaitairement le montant de l’indemnité due en cas d’inexécution (C. civ., art. 1231-5). Toutefois, cette clause est susceptible de modulation par le juge si elle présente un caractère manifestement excessif ou dérisoire, ou encore si l’obligation a été exécutée partiellement.

Il est également loisible de prévoir une limitation de responsabilité, sous réserve du respect des exigences issues du droit commun des contrats. Toute clause qui porterait atteinte à l’obligation essentielle serait réputée non écrite (art. 1170 C. civ.). De même, dans les contrats d’adhésion, les clauses créant un déséquilibre significatif au détriment de l’adhérent pourront être frappées de nullité (art. 1171 C. civ.), voire qualifiées de clauses abusives dans les relations de consommation (art. R. 212-1, 6° C. consom.). La jurisprudence récente souligne l’exigence de vigilance dans la rédaction de telles clauses (Cass. 1re civ., 26 janv. 2022, n° 20-16.782).

Enfin, il importe de rappeler que l’action en responsabilité fondée sur la promesse de porte-fort ne bénéficie qu’au seul cocontractant du promettant, c’est-à-dire au bénéficiaire de la promesse. Cette action est exclusivement personnelle : elle ne saurait être exercée par un tiers ni étendue au profit de personnes non parties à l’engagement (Cass. com. 6 janv. 1998, n° 95-11.763). Cette solution consacre le caractère essentiellement intersubjectif de la promesse de porte-fort, qui constitue une figure spécifique du droit des obligations inter partes.

2. Les effets à l’égard des tiers

L’un des fondements cardinaux du droit des contrats tient à l’effet relatif des conventions: elles n’engagent que les parties. La promesse de porte-fort, en ce qu’elle tend à garantir le comportement d’un tiers, ne fait pas exception à ce principe. Ainsi, le tiers auquel se rapporte la promesse ne saurait être tenu par elle, ni s’en prévaloir, tant qu’il n’a pas exprimé son adhésion à l’acte.

L’article 1199 du Code civil, issu de la réforme de 2016, énonce que « le contrat ne crée d’obligations qu’entre les parties ». Il confirme la jurisprudence antérieure qui affirmait que le tiers demeure totalement étranger à l’acte conclu entre le promettant et le bénéficiaire. Ce principe revêt une portée d’autant plus forte en matière de porte-fort que l’on pourrait être tenté de faire peser sur le tiers une pression contractuelle indirecte : or, cette tentation doit être écartée.

Le tiers ne saurait ainsi être tenu de respecter les stipulations de la promesse ni être juridiquement inquiété en cas de non-réalisation du fait promis. Il conserve, en principe, une entière liberté de comportement. Le bénéficiaire de la promesse ne dispose d’aucune action directe contre lui, la sanction de l’inexécution pesant uniquement sur le porte-fort.

La seule hypothèse dans laquelle le tiers se trouve lié par la promesse est celle où il y ratifie l’objet. Cette ratification peut être expresse ou tacite (C. civ., art. 1204, al. 1er). Par ce mécanisme, le tiers devient rétroactivement partie au contrat initial, lequel produit dès lors tous ses effets à son égard. Cette transformation de la promesse en engagement parfait s’opère sans qu’il soit besoin d’un nouvel acte.

La ratification tacite, bien que plus délicate à établir, peut être déduite de comportements non équivoques, tels qu’une exécution volontaire, des courriers manifestant l’intention d’honorer l’engagement, ou l’absence d’objection dans un contexte contractuel explicite. Toutefois, la preuve d’une telle ratification repose sur celui qui l’invoque, et les tribunaux se montrent légitimement exigeants dans leur appréciation.

À défaut de ratification, la promesse demeure sans effet à l’égard du tiers : l’inexécution du fait promis ne saurait lui être imputée.

Lorsque la promesse de porte-fort concerne la conclusion par le tiers d’un contrat déterminé, et que celui-ci ne ratifie pas l’engagement, la question de la survie du contrat principal se pose. En pareil cas, le contrat conclu par le promettant seul, sans le pouvoir ou le consentement du tiers, se trouve privé d’un élément essentiel : l’accord de volonté de la véritable partie concernée. Cette situation engendre la caducité du contrat, conformément à l’article 1186 du Code civil, qui prévoit que « le contrat devient caduc si l’un de ses éléments essentiels disparaît ».

La caducité se distingue ici de la nullité en ce qu’elle suppose un contrat valablement formé, mais devenu inopérant du fait de la défaillance d’un élément postérieur à sa formation : en l’occurrence, la non-ratification. Elle entraîne la disparition rétroactive du contrat, sauf si celui-ci a d’ores et déjà produit des effets irréversibles, comme un transfert de propriété, auquel cas la restitution devra être ordonnée, sauf prescription acquisitive (Cass. 1ère civ., 6 juin 1990, n° 88-16.896).

Une jurisprudence plus récente, en matière de contrats interdépendants, reconnaît d’ailleurs la possibilité d’une rétroactivité de la caducité (Cass. com. 5 juin 2007, n°04-20.380), ce qui conforte la thèse d’un anéantissement complet du contrat en l’absence de ratification.

Malgré l’absence de tout effet obligatoire à l’égard du tiers, certaines situations peuvent justifier son implication sur des fondements extracontractuels, et notamment quasi-contractuels.

La gestion d’affaires (C. civ., art. 1301) pourrait être invoquée lorsque le porte-fort agit dans l’intérêt manifeste du tiers et en son absence. Si les conditions sont réunies (initiative utile, absence de mandat, diligence conforme à l’intérêt du géré), le tiers pourra être tenu d’indemniser les frais engagés.

L’enrichissement injustifié (C. civ., art. 1303) peut également constituer un fondement d’action dans l’hypothèse où le tiers a profité de la promesse sans cause légitime, au détriment du bénéficiaire. Encore faudra-t-il démontrer un appauvrissement corrélatif et l’absence de cause juridique à l’enrichissement.

Ces mécanismes demeurent subsidiaires et sont soumis à une appréciation stricte des juridictions. Ils illustrent cependant que le tiers, bien que fondamentalement étranger à la promesse, n’échappe pas toujours totalement à toute forme de responsabilité, dès lors que son comportement ou son bénéfice objectif dépasse la simple passivité contractuelle.

La forme de la promesse de porte-fort

La promesse de porte-fort, comme la plupart des engagements contractuels, n’obéit à aucun formalisme ad validitatem. Elle peut être exprimée de manière expresse ou résulter de circonstances traduisant une volonté non équivoque de s’engager pour autrui. Toutefois, son identification soulève des exigences accrues en matière probatoire, en particulier lorsqu’elle est implicite, et connaît des limites lorsqu’elle s’inscrit dans le périmètre d’actes solennels ou juridiquement protégés.

==>Principe

La jurisprudence constante reconnaît que la promesse de porte-fort peut naître aussi bien d’un engagement explicite que d’une manifestation implicite de volonté. Encore faut-il, dans ce dernier cas, que les faits invoqués traduisent avec certitude l’intention du promettant de s’obliger pour un tiers. C’est précisément ce qu’exige la Cour de cassation lorsqu’elle affirme que l’engagement tacite « ne peut résulter que d’actes manifestant l’intention certaine du promettant de s’engager pour un tiers » (Cass. 1re civ., 17 juill. 2001, n° 98-10.827).

Cette exigence permet d’écarter toute assimilation mécanique entre promesse pour autrui et promesse de porte-fort, contre laquelle s’élèvent nombre d’auteurs, en dépit des arguments tirés de l’article 1191 du Code civil – selon lequel, en cas de doute sur le sens d’une clause, il convient de retenir celui qui lui donne effet. Certes, plusieurs auteurs classiques, à l’instar de Demolombe, Saleilles ou encore Baudry-Lacantinerie, ont soutenu qu’il fallait préférer une interprétation utile à une lecture neutralisante, même au prix d’une reconstruction implicite de la volonté. Mais cette approche, critiquée par la doctrine moderne, heurte tant l’article 1190 du Code civil, qui impose en cas de doute une lecture favorable au débiteur, que l’impératif de sécurité juridique.

Il en résulte qu’en dehors d’une stipulation claire, la promesse de porte-fort ne saurait être inférée qu’avec la plus grande prudence. Elle requiert, même de manière tacite, une démonstration positive de la volonté du promettant de garantir le comportement d’autrui. À cet égard, la rédaction d’un écrit, bien que non obligatoire, peut constituer un indice fort de l’intention d’engagement, notamment lorsqu’elle vise à suppléer un défaut de pouvoir ou à assurer la ratification d’un acte préalablement conclu.

==>Limites

La souplesse formelle attachée au porte-fort connaît toutefois d’importantes restrictions lorsque l’acte en cause est soumis à un formalisme ad solemnitatem. En effet, dès lors que le législateur exige la comparution personnelle de la partie à l’acte ou l’accomplissement d’une manifestation de volonté authentifiée, la substitution par un porte-fort devient inopérante.

C’est notamment le cas en matière de conventions matrimoniales, où l’article 1394 du Code civil impose la présence et le consentement simultané des futurs époux ou de leurs mandataires dûment habilités, devant notaire. La jurisprudence a ainsi très tôt invalidé les pratiques consistant, pour les parents, à conclure le contrat de mariage de leurs enfants en se portant fort de leur ratification (v. par ex. Cass. civ., 29 mai 1854), en considérant que cette substitution méconnaît les exigences protectrices du formalisme matrimonial. La ratification ultérieure par les époux eux-mêmes n’a aucun effet : la nullité de l’acte originel, entaché d’un vice substantiel, contamine la promesse de porte-fort elle-même, laquelle se trouve dépourvue d’objet.

Des réserves similaires s’imposent en matière de donation, où l’article 933 du Code civil impose une procuration en la forme authentique pour l’acceptation opérée par un représentant du donataire. En principe, il ne saurait y avoir de promesse valable visant à obtenir cette acceptation ultérieure : seule une acceptation personnelle conforme à l’article 932, assortie d’une notification régulière, peut valoir engagement du donataire. Toutefois, la doctrine reconnaît qu’une acceptation par porte-fort, bien qu’inopérante à l’égard du donataire, peut subsister comme engagement unilatéral du promettant, et permettre au donataire d’accepter directement la libéralité selon les formes requises.

En revanche, dans des matières où le formalisme ne vise pas à garantir le libre consentement mais à satisfaire des objectifs économiques – comme en matière hypothécaire – la promesse de porte-fort conserve sa place. Ainsi, l’authenticité exigée pour l’inscription hypothécaire n’interdit pas qu’un tiers, sans pouvoir, s’engage à faire ratifier l’affectation d’un bien par le propriétaire (Cass. req., 3 août 1859). Le formalisme, ici, n’est pas incompatible avec la logique du porte-fort, dès lors que l’intervention ultérieure du véritable titulaire peut valider l’acte dans les conditions légales.

Enfin, il convient de rappeler que le mécanisme du porte-fort ne peut être mobilisé pour valider rétroactivement un engagement entaché d’un vice de forme. L’aval d’un effet de commerce irrégulier, frappé de nullité, ne saurait être transformé en promesse de porte-fort (Cass. com., 8 sept. 2015, n° 14-14.208). Ce type de manœuvre reviendrait à contourner les exigences substantielles de la validité d’un acte par le truchement d’une garantie personnelle, ce que la jurisprudence refuse catégoriquement.

Porte-fort: la conclusion de la promesse

Au carrefour du droit des obligations et des mécanismes de garantie, la promesse de porte-fort intrigue par sa singularité. Elle ne consiste ni en une représentation, ni en une substitution, ni en une simple caution : elle engage une personne – le promettant – à obtenir d’un tiers un comportement déterminé, sans que ce dernier ne soit encore partie à l’acte. Fréquemment mobilisée en pratique – notamment dans les cessions d’actions, les garanties de passif, ou encore les conventions intragroupes – elle soulève des interrogations fondamentales sur la nature, l’objet et les effets de l’engagement contracté.

A) La nature de la promesse du porte-fort

La promesse de porte-fort occupe une place singulière au sein du droit des obligations, tant elle se distingue des mécanismes classiques d’engagement ou de garantie. Le promettant ne s’engage ni à représenter autrui, ni à exécuter à sa place, ni même à répondre de ses défaillances. Il contracte en son propre nom l’obligation de faire en sorte qu’un tiers accomplisse un fait déterminé : consentir à un acte, exécuter une prestation, ou encore adopter un certain comportement. Ce qui est promis, ce n’est donc pas un résultat matériel ou juridique, mais l’obtention de l’intervention d’un tiers.

Une telle configuration confère à l’engagement du promettant une physionomie particulière. Il s’agit d’une obligation strictement personnelle, détachée de toute représentation, fondée non sur la substitution, mais sur l’influence. Elle ne repose ni sur l’affectation d’un patrimoine ni sur une logique accessoire, mais sur un lien contractuel propre, dont le contenu et l’intensité font l’objet d’analyses doctrinales contrastées. Faut-il y voir une obligation de faire? Une obligation de résultat ? Ou simplement l’exigence d’un comportement loyal et actif ? L’hésitation même des textes et des jurisprudences révèle la richesse du modèle, et la nécessité d’une lecture nuancée.

C’est dans cette perspective que la promesse de porte-fort s’impose comme une construction contractuelle subtile, où la force de l’engagement tient autant à ce qu’il promet qu’à la manière dont il doit être mis en œuvre.

1. Une obligation de faire

L’engagement contracté par le porte-fort s’analyse traditionnellement comme une obligation de faire. Cette qualification, consacrée de longue date par la jurisprudence, vaut tant pour le porte-fort de ratification (Cass. 1re civ., 16 avr. 1991, n° 89-17.982) que pour le porte-fort d’exécution (Cass. com., 8 juill. 2014, n° 13-14.777). Le promettant ne s’engage ni à exécuter personnellement l’obligation du tiers, ni à s’y substituer, mais à obtenir de ce dernier qu’il réalise le fait promis. Il s’agit d’un engagement de faire advenir un comportement émanant d’autrui.

Certes, la réforme du droit des obligations opérée par l’ordonnance du 10 février 2016 a fait disparaître, à l’article 1101 du Code civil, la célèbre distinction entre les obligations de donner, de faire et de ne pas faire. Pour autant, cette mutation rédactionnelle ne saurait être interprétée comme une suppression de la catégorie elle-même. En pratique, la distinction conserve toute sa portée, notamment dans les régimes d’exécution et de responsabilité. L’obligation du porte-fort reste bien, au sens matériel, une obligation positive, dans laquelle il incombe au promettant d’agir – de se comporter – en vue d’obtenir le fait du tiers.

La nature même de cette obligation permet de souligner ce qui distingue fondamentalement la promesse de porte-fort des sûretés classiques telles que le cautionnement. La caution s’engage à payer ou exécuter en lieu et place du débiteur défaillant. Le porte-fort, en revanche, ne se substitue pas : il intervient. Il ne s’oblige pas à faire ce que le tiers n’a pas fait, mais à agir pour que ce dernier le fasse. Il ne s’agit donc ni d’une obligation pécuniaire, ni d’une obligation d’exécution substitutive, mais bien d’un engagement contractuel distinct, orienté vers l’obtention du comportement d’un tiers.

Une partie de la doctrine considère que le porte-fort ne peut qu’être débiteur d’une prestation positive. Selon cette conception classique, issue notamment des travaux de Frédéric Zenati-Castaing et Thierry Revet, l’engagement du porte-fort suppose nécessairement une intervention, une action, une démarche. Une obligation de ne pas faire, qui se caractérise par une abstention, serait dès lors inconciliable avec la nature même du mécanisme, lequel repose sur l’idée d’un soutien actif apporté au bénéficiaire du contrat.

Cette conception n’est toutefois pas exempte de critiques. Aucun texte ne prohibe expressément qu’un porte-fort s’engage à empêcher un tiers d’adopter un comportement déterminé. L’hypothèse, certes plus marginale, n’en est pas moins concevable : ainsi, un promettant pourrait s’engager à convaincre un tiers de ne pas se désister d’une instance, de ne pas résilier un contrat, ou encore de ne pas violer une clause de non-concurrence. Dans ces cas, la prestation promise consisterait non à susciter une action, mais à prévenir une initiative. Ce faisant, le porte-fort n’agirait pas pour faire advenir un fait, mais pour en empêcher la réalisation.

Dès lors, si l’on veut rendre compte de cette diversité des configurations possibles, la notion d’« obligation de faire », dans son acception stricte, apparaît insuffisante.

C’est dans cette perspective que certains auteurs ont proposé de raisonner non plus en termes d’obligation de faire ou de ne pas faire, mais d’« obligation comportementale ». Cette notion, mise en lumière notamment par Philippe Dupichot, a pour mérite de recentrer l’analyse sur l’essence fonctionnelle de l’engagement du porte-fort : ce qui est exigé de lui n’est pas un résultat matériel défini, mais une attitude déterminée, orientée vers un objectif contractuel.

L’obligation du porte-fort, sous cette lumière, apparaît comme une obligation d’adopter une conduite active, adaptée, appropriée – qu’il s’agisse de provoquer une action ou de contenir une initiative. La frontière entre « faire » et « ne pas faire » s’estompe : ce qui compte, c’est le comportement du promettant et son implication effective dans le processus de réalisation (ou d’empêchement) du fait promis.

Cette approche comportementale permet également de justifier que la promesse de porte-fort échappe au formalisme probatoire de l’article 1376 du Code civil (ancien art. 1326). Comme la jurisprudence l’a désormais confirmé (Cass. com., 18 juin 2013, n°12-18.890), l’objet de l’engagement n’est pas une somme d’argent ni une quantité de biens fongibles, mais un comportement à adopter. L’écrit simple suffit à en rapporter la preuve. La promesse de porte-fort se distingue donc non seulement du cautionnement par sa nature, mais aussi par son régime de preuve.

Une conclusion provisoire : l’obligation du porte-fort comme engagement de comportement

Qu’elle soit formulée en termes d’obligation de faire ou d’obligation comportementale, l’obligation du porte-fort conserve sa spécificité : elle repose sur la mobilisation personnelle du promettant en vue d’obtenir un comportement d’un tiers. Cette mobilisation peut revêtir différentes formes – action, négociation, dissuasion – mais elle suppose toujours une implication volontaire dans un processus contractuel dont le résultat échappe, en dernier ressort, à son contrôle direct.

C’est cette spécificité – l’engagement d’une volonté agissante au service de l’intervention d’un tiers – qui confère au porte-fort sa singularité et justifie son autonomie conceptuelle dans l’architecture des sûretés personnelles.

2. Une obligation personnelle

L’engagement souscrit dans le cadre d’une promesse de porte-fort se distingue par son caractère profondément personnel. Le promettant agit en son nom propre et pour son propre compte, sans recevoir de mandat ni disposer d’aucune délégation de pouvoir émanant du tiers. Il ne représente pas ce dernier : il ne parle pas pour lui, mais s’engage à provoquer son intervention.

Cette précision n’est pas anodine. Elle permet d’écarter toute confusion avec des institutions voisines, telles que la représentation (mandat ou pouvoir légal), la représentation sans pouvoir (soumise à ratification), ou encore la technique du prête-nom. Dans chacun de ces cas, celui qui intervient agit au nom et pour le compte d’un autre, dans le but de produire des effets juridiques à l’égard de ce dernier. Rien de tel dans le mécanisme du porte-fort, où le promettant ne peut créer la moindre obligation dans le chef du tiers.

Il n’y a donc pas de pouvoir de représentation attaché à la promesse de porte-fort. Le tiers reste entièrement libre de refuser d’exécuter le fait promis. Ce que le bénéficiaire tient, ce n’est pas un engagement du tiers, mais l’engagement personnel du promettant d’obtenir ce fait, à défaut de quoi ce dernier engage sa propre responsabilité contractuelle.

Cette autonomie dans l’engagement s’explique par l’essence même du mécanisme. Le promettant ne garantit pas le patrimoine d’un débiteur, comme le ferait une caution ou une sûreté réelle, mais mobilise son propre comportement pour susciter une action d’autrui. Ainsi, la promesse de porte-fort n’emprunte ni à la logique du cautionnement, fondée sur l’accessoire, ni à celle de la représentation, fondée sur la substitution juridique de volonté.

La promesse de porte-fort incarne, à bien des égards, l’expression la plus aboutie d’un engagement volontaire et strictement personnel. Le promettant ne s’efface pas derrière un tiers dont il relayerait la volonté ; il agit en son nom propre, en s’engageant à tout mettre en œuvre pour obtenir l’intervention d’un autre. Son rôle n’est pas de se substituer, mais d’influencer. Il ne représente pas, il mobilise. Ainsi, le lien contractuel ne s’établit qu’entre le promettant et le bénéficiaire : le tiers, objet du fait promis, demeure juridiquement extérieur à la relation, sauf à ratifier lui-même l’acte ou à exécuter l’obligation.

3. Une obligation autonome

Une autre des particularités de la promesse de porte-fort réside dans l’autonomie de l’engagement souscrit par le promettant. Contrairement aux garanties, tel que le cautionnement qui présentent un caractère accessoire, en ce sens qu’elles dépendent étroitement de l’existence et du contenu de l’obligation principale, l’obligation née du porte-fort se déploie indépendamment de l’obligation du tiers à laquelle elle se rapporte. C’est ce qu’a rappelé avec force la chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt du 1er avril 2014, en affirmant que « le porte-fort est tenu envers le bénéficiaire de la promesse des conséquences de l’inexécution de l’engagement promis » (Cass. com., 1er avr. 2014, n° 13-10.629).

L’autonomie de cette obligation se manifeste à deux égards. D’abord, l’existence, la validité ou l’efficacité de l’obligation du tiers ne conditionnent en rien l’engagement du porte-fort : le promettant contracte en son nom propre et engage sa responsabilité dès lors que le fait promis ne se réalise pas, quelle qu’en soit la cause. Ensuite, le bénéficiaire dispose, en vertu de cet engagement, d’un droit personnel direct contre le promettant, indépendamment de toute relation contractuelle ou juridique avec le tiers concerné.

L’autonomie de cette obligation se manifeste à deux égards. D’une part, le promettant contracte en son nom propre : il n’intervient ni comme représentant, ni comme débiteur substitué, mais comme contractant principal. D’autre part, le bénéficiaire dispose, en vertu de cet engagement, d’une créance directe contre le promettant, sans qu’aucun lien juridique n’ait besoin d’exister entre lui et le tiers dont le fait est promis.

C’est précisément cette autonomie qui a permis de dissiper l’ambiguïté entretenue par certaines décisions antérieures – notamment l’arrêt controversé du 13 décembre 2005 (Cass. com., 13 déc. 2005, n° 03-19.217) – qui tendaient à assimiler le porte-fort d’exécution à un cautionnement dissimulé, dès lors que l’objet de la promesse portait sur le paiement d’une somme d’argent. Cette assimilation a été vivement critiquée par la doctrine, qui y voyait une confusion entre deux techniques profondément distinctes, et elle a été abandonnée par la Cour dans sa jurisprudence postérieure.

En effet, le promettant ne s’engage pas à satisfaire l’obligation du tiers en cas de défaillance, mais à obtenir de ce dernier un comportement déterminé. Il ne s’agit donc ni d’un engagement subsidiaire, ni d’une garantie d’exécution, mais d’une obligation principale, autonome, qui trouve sa cause dans l’engagement contractuel librement consenti.

4. Une obligation de résultat… ou de moyens ?

La nature de l’obligation que souscrit le porte-fort a toujours fait l’objet d’un débat nourri, tant en doctrine qu’en jurisprudence. La question est simple dans sa formulation mais complexe dans ses implications : le promettant est-il tenu d’un simple effort ou d’un résultat ? L’analyse de la promesse de porte-fort oscille ainsi, classiquement, entre l’obligation de moyens et l’obligation de résultat, selon la dichotomie théorisée par René Demogue, dont la fortune jurisprudentielle fut considérable, mais dont l’usage en la matière révèle rapidement ses limites.

La jurisprudence majoritaire, soucieuse de renforcer la sécurité contractuelle du bénéficiaire, penche en faveur d’une obligation de résultat. Ainsi, dans un arrêt fondateur du 1er avril 2014, la première chambre civile de la Cour de cassation a énoncé que « le porte-fort, débiteur d’une obligation de résultat autonome, est tenu envers le bénéficiaire de la promesse des conséquences de l’inexécution de l’engagement promis » (Cass. 1re civ., 1er avr. 2014, n° 13-10.629). Il en résulte que la seule inexécution du fait promis par le tiers suffit à engager la responsabilité du porte-fort, sauf à démontrer l’existence d’un cas de force majeure ou d’une faute du bénéficiaire (Cass. com., 22 mai 2002, n° 00-12.523).

Ce raisonnement présente l’avantage, sur le plan probatoire, d’assurer une protection efficace du créancier : il n’a pas à prouver la carence du promettant, mais seulement l’inexécution du fait promis. La promesse de porte-fort se rapproche alors, dans sa mise en œuvre, d’un mécanisme de garantie stricte. Mais cette logique, si elle satisfait le bénéficiaire, ne manque pas de susciter des interrogations quant à la cohérence conceptuelle de l’analyse. Comment admettre qu’un promettant soit tenu d’un résultat qu’il ne maîtrise pas, puisque l’exécution du fait promis dépend du consentement libre et personnel d’un tiers ? L’atteinte du but est incertaine par essence, ce qui rend délicate l’imputation mécanique de la responsabilité au promettant.

C’est cette difficulté que met en lumière une partie de la doctrine contemporaine, à la suite notamment de Denis Mazeaud, qui appelle à dépasser l’alternative classique entre moyens et résultat au profit d’une lecture plus fine et contractuelle de l’engagement du porte-fort. Dans cette optique, l’obligation du promettant est analysée comme une obligation comportementale : le promettant ne garantit pas la survenance du fait promis, mais s’engage à adopter un comportement actif, persévérant et loyal, orienté vers la réalisation de ce fait. L’échec du tiers n’engage donc la responsabilité du porte-fort que s’il révèle une carence fautive de sa part.

Cette conception, loin d’être purement théorique, a trouvé un écho dans la jurisprudence. Un arrêt de la chambre commerciale du 29 février 2000 (Cass. com., 29 févr. 2000, n° 96-13.604), certes resté isolé, illustre avec acuité cette analyse. La Cour reproche aux juges du fond de ne pas avoir vérifié si le promettant avait, avant l’ouverture de la procédure collective du tiers, mis en œuvre tous les moyens nécessaires pour obtenir l’exécution de l’obligation promise. La solution, bien que discrète, marque un infléchissement notable : le juge n’exige plus un résultat, mais évalue l’intensité de l’effort fourni.

L’ambiguïté du texte de l’article 1204, alinéa 2, du Code civil, issu de l’ordonnance du 10 février 2016, renforce cette lecture. Le texte prévoit que « le promettant est libéré de toute obligation si le tiers accomplit le fait promis. Dans le cas contraire, il peut être condamné à des dommages et intérêts ». Le recours au mode verbal « peut » n’est pas fortuit : il suggère que la condamnation du promettant n’a rien d’automatique. Une appréciation in concreto du comportement adopté est exigée. Plusieurs auteurs y voient la marque d’une obligation de performance, c’est-à-dire d’un engagement à agir avec diligence en vue d’un résultat, sans en garantir l’obtention.

Dès lors, une synthèse semble s’imposer. L’analyse en termes d’obligation de résultat, rigoureuse sur le plan probatoire, apparaît trop stricte pour rendre compte de la réalité du mécanisme. Inversement, la qualification d’obligation de moyens stricto sensu semble inadaptée, tant elle laisse la possibilité au promettant d’adopter une attitude purement passive. Une voie intermédiaire, fondée sur la notion d’obligation comportementale, permet de concilier les exigences de rigueur contractuelle et de réalisme juridique : le porte-fort ne garantit pas le fait d’autrui, mais s’engage à faire tout ce qui est en son pouvoir pour le provoquer. Il est responsable non de l’échec, mais de son inertie ou de sa négligence.

Une telle approche s’inscrit dans un mouvement plus large de remise en cause des catégories classiques, comme en témoigne l’absence de toute référence à la distinction entre obligation de moyens et de résultat dans la réforme du droit des contrats. Elle invite à recentrer l’analyse sur le contenu précis de l’engagement souscrit et sur l’intensité de la mobilisation attendue. C’est ce qui rapproche, à bien des égards, la promesse de porte-fort de la lettre d’intention, dont elle partage la structure et la finalité. Dans les deux cas, il ne s’agit pas d’une promesse d’exécution, mais d’un engagement à influencer.

Ainsi, la promesse de porte-fort s’analyse moins comme une garantie de résultat que comme une obligation contractuelle exigeante, dont la portée dépendra de la qualité de l’implication du promettant. Ce dernier ne promet pas que le tiers agira, mais qu’il fera tout ce qui dépend de lui pour qu’il agisse. Là réside la véritable mesure de sa responsabilité.

B) L’objet de la promesse du porte-fort

La promesse de porte-fort, entendue comme l’engagement par lequel une personne s’oblige envers autrui à obtenir le fait d’un tiers, embrasse une diversité d’objets dont l’étude révèle l’extrême plasticité du mécanisme. Qu’il s’agisse d’un engagement visant à obtenir le consentement du tiers à un acte juridique, l’accomplissement matériel d’un fait déterminé ou encore l’exécution d’une obligation, le porte-fort se prête à des fonctions multiples – allant de la simple facilitation contractuelle à la garantie personnelle d’exécution.

1. Les engagements relatifs à la formation de l’acte : les porte-fort de ratification et de conclusion

La promesse de porte-fort trouve un terrain d’application privilégié dans la phase de formation du contrat, lorsque, pour des raisons juridiques ou pratiques, l’un des contractants souhaite anticiper la participation d’un tiers à une opération sans que ce dernier ne soit encore engagé. La doctrine contemporaine regroupe, sous l’appellation de porte-fort de formation, deux formes d’engagement distinctes mais étroitement apparentées : le porte-fort de ratification et le porte-fort de conclusion. Si la distinction repose sur le degré d’élaboration de l’acte auquel le tiers est appelé à participer, l’intention sous-jacente reste identique : permettre la réalisation d’un acte juridique avec la participation ultérieure d’un tiers, en sécurisant dès l’origine les intérêts de l’autre partie.

a. Le porte-fort de ratification

Le porte-fort de ratification constitue, historiquement et conceptuellement, la forme la plus ancienne et la plus classique de la promesse de porte-fort. Elle s’applique lorsque le tpromettant a conclu un acte juridique déterminé, en toute connaissance de cause de son absence de pouvoir de représentation, et qu’il s’engage à obtenir du tiers la ratification de cet acte.

La jurisprudence considère que cet engagement constitue une obligation de faire, à savoir celle d’agir en sorte que le tiers ratifie l’acte (Cass. 1re civ., 16 avr. 1991, n° 89-17.982). L’ordonnance du 10 février 2016, en consacrant à l’article 1204 du Code civil la figure du porte-fort, a maintenu cette conception, en posant que « celui qui se porte fort du fait d’un tiers est tenu envers le cocontractant de la bonne exécution de l’engagement ». Le mécanisme est ici dissocié de toute représentation effective : il suppose l’inexistence de pouvoirs de représentation, la volonté du promettant d’obtenir l’adhésion du tiers, et l’engagement de supporter personnellement les conséquences de son éventuel refus.

Ce type de porte-fort se rencontre dans de nombreux contextes : en droit des personnes, notamment lorsqu’un représentant légal, ne pouvant accomplir seul un acte au nom d’un incapable, s’engage à en obtenir la ratification à la majorité ou à la fin de l’incapacité ; en droit des sociétés, lorsque les fondateurs d’une société en formation contractent au nom de celle-ci et s’engagent à obtenir la ratification des organes compétents une fois la société immatriculée (Cass. com., 24 oct. 2000, n° 97-21.796).

La promesse de porte-fort joue alors un rôle de facilitation contractuelle, permettant de surmonter temporairement l’indisponibilité ou l’indétermination du tiers, sans compromettre la validité de l’opération. Elle permet également, pour le bénéficiaire, d’exiger des dommages-intérêts en cas de refus de ratification, confortant ainsi sa position.

b. Le porte-fort de conclusion

À la différence du porte-fort de ratification, le porte-fort de conclusion concerne les hypothèses où aucun acte juridique n’a encore été conclu : le promettant s’engage alors à ce qu’un tiers conclue à l’avenir un acte déterminé ou déterminable. L’objet de la promesse n’est donc pas la ratification d’un acte déjà formalisé, mais la conclusion d’un acte futur – contrat ou acte unilatéral – dont les termes peuvent ne pas encore être négociés.

Cette figure s’est considérablement développée en droit des affaires, et notamment dans le domaine des pactes d’actionnaires (clauses de sortie conjointe, d’entraînement ou de garantie de cession), où le promettant s’engage à ce qu’un tiers conclue un contrat de cession d’actions à des conditions identiques à celles dont il bénéficie (Cass. com., 24 mai 2016, n° 14-14.933). Elle est également courante dans les relations collectives du travail, par exemple lorsque le syndicat patronal s’engage à ce que des entreprises reclassent certains salariés (Cass. soc., 12 févr. 1975), ou encore dans les contrats de distribution, dans lesquels un exploitant se porte fort que ses ayants cause concluront eux aussi un contrat d’approvisionnement (Cass. com., 9 mars 2010, n° 09-11.807).

Contrairement au porte-fort de ratification, cette promesse n’entraîne pas de rétroactivité : le tiers, en acceptant ultérieurement de conclure l’acte envisagé, ne ratifie pas un acte antérieur mais conclut un contrat nouveau. Il s’agit dès lors non pas d’un simple prolongement du mécanisme classique, mais d’une figure autonome, que certains auteurs qualifient de porte-fort de conclusion.

L’intérêt de ce mécanisme réside dans sa souplesse et dans la fonction de garantie qu’il remplit : le promettant ne s’oblige pas seulement à obtenir la conclusion d’un acte, mais garantit également le cocontractant contre le préjudice que pourrait entraîner son absence. L’engagement revêt ainsi un caractère indemnitaire, assimilable à une garantie de conclusion.

c. Finalités communes

Malgré leurs différences structurelles – notamment quant au moment auquel l’acte visé est ou sera conclu – les deux figures partagent une finalité contractuelle identique : favoriser la participation d’un tiers à une opération envisagée, tout en assurant au bénéficiaire de la promesse une protection effective contre le refus du tiers. Leurs différences de régime (rétroactivité de la ratification dans un cas, conclusion autonome dans l’autre) ne remettent pas en cause leur unité fonctionnelle.

C’est en ce sens que la doctrine dominante regroupe ces deux figures sous la catégorie commune de porte-fort de formation. Cette approche trouve également appui dans le Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance du 10 février 2016, qui reconnaît l’existence d’un porte-fort de ratification, d’un porte-fort de conclusion, et d’un porte-fort d’exécution, tout en précisant que les deux premiers relèvent d’une même dynamique contractuelle.

2. L’engagement relatif à l’exécution de l’obligation

Si la promesse de porte-fort joue un rôle déterminant au stade de la formation du contrat, elle conserve toute son efficacité lorsque l’acte juridique est déjà valablement conclu, et que le tiers est engagé à l’égard du bénéficiaire de la promesse. Le promettant ne vise plus alors à obtenir l’adhésion d’un tiers à un acte projeté, mais à garantir l’exécution d’une obligation née d’un contrat existant. C’est cette seconde variété, consacrée par l’article 1204 du Code civil, que la doctrine et la jurisprudence désignent comme le porte-fort d’exécution.

Dans cette hypothèse, le promettant s’engage à ce qu’un tiers exécute effectivement l’obligation à laquelle il est tenu en vertu d’un acte juridique déjà formé. Ce tiers peut être débiteur en vertu d’un contrat ou d’un acte unilatéral. L’article 1204, alinéa 1er, consacre cette forme en affirmant que « celui qui se porte fort du fait d’un tiers est tenu envers le cocontractant de la bonne exécution de l’engagement ».

Le promettant ne saurait être considéré comme un garant passif ou un simple spectateur de la relation contractuelle : il s’oblige activement à faire en sorte que le tiers exécute son obligation. Cette obligation est donc une obligation de résultat, le promettant devant adopter les comportements nécessaires pour obtenir l’exécution. À défaut, il engage sa propre responsabilité contractuelle à l’égard du bénéficiaire, indépendamment de toute faute du tiers défaillant (Cass. com., 8 juill. 2014, n° 13-14.777).

Cette conception fonctionnelle – selon laquelle le promettant doit user de son influence, de son autorité ou de ses moyens pour conduire le tiers à l’exécution – a conduit certains auteurs à parler de “garantie d’influence”, notion particulièrement féconde dans les rapports d’affaires.

Le porte-fort d’exécution trouve une application récurrente en droit des affaires, où il sert de technique de sécurisation contractuelle.

Il est ainsi fréquent, à l’occasion d’une cession de droits sociaux, que le cessionnaire se porte fort de l’exécution d’obligations par la société cédée elle-même, à l’égard du cédant. Le mécanisme peut concerner, par exemple, le remboursement d’un compte courant d’associé, l’exécution d’un contrat de travail maintenu jusqu’à la retraite du dirigeant (Cass. 1ère civ., 18 avr. 2000, n°98-15.360), ou encore le respect d’une clause de non-concurrence stipulée dans l’acte de cession (Cass. com., 8 mars 2016, n° 14-24.921).

En matière de contrats de distribution, l’exploitant d’un fonds peut se porter fort que le locataire-gérant respectera les engagements pris envers un fournisseur dans le cadre d’un contrat d’approvisionnement (Cass. com., 14 janv. 1980, n°78-10.696), ou que les autres distributeurs du réseau respecteront une exclusivité territoriale, engageant ainsi la tête de réseau à répondre des comportements des membres du réseau (Cass. com., 9 mars 2010, n° 09-11.807).

De telles stipulations s’observent également dans les relations de groupe : le promettant peut garantir qu’un organe social prendra une décision favorable ou que la société mère exécutera une obligation envers un cocontractant du groupe.

La finalité du porte-fort d’exécution est clairement indemnitaire : le bénéficiaire de la promesse peut réclamer des dommages-intérêts si l’obligation du tiers n’est pas exécutée, sans qu’il ait besoin de démontrer une faute du promettant. Il s’agit là d’une obligation principale, née d’un lien contractuel autonome entre le promettant et le bénéficiaire, distinct du rapport entre ce dernier et le débiteur principal.

C’est en cela que le mécanisme se rapproche du cautionnement, sans toutefois s’y confondre. Pendant un temps, la jurisprudence commerciale a pu assimiler les deux mécanismes, qualifiant le porte-fort d’exécution de cautionnement (Cass. com. 13 déc. 2005, n°03-19.217), avant de revenir sur cette position et d’affirmer leur autonomie conceptuelle (Cass. com., 18 juin 2013, n° 12-18.890).

La doctrine majoritaire considère désormais le porte-fort d’exécution comme une sûreté personnelle sui generis, souvent qualifiée de garantie indemnitaire. Contrairement au cautionnement, dont le caractère accessoire implique que la nullité ou l’extinction de l’obligation principale entraîne la disparition de la sûreté, le porte-fort d’exécution subsiste indépendamment de la validité de l’engagement du tiers, dès lors que l’inexécution provoque un préjudice au bénéficiaire.

Certains auteurs, toutefois, soulignent que cette distinction peut s’avérer fragile lorsque l’obligation du tiers est une obligation monétaire, et que le promettant s’engage à obtenir son paiement : dans ce cas, la promesse s’apparente, matériellement, à un cautionnement. Mais cette analyse est critiquée au motif qu’elle méconnaît la structure propre de l’engagement du porte-fort, lequel n’est pas un engagement de substitution mais de moyens renforcés en vue d’obtenir l’exécution du tiers.

Enfin, la promesse de porte-fort d’exécution tend à s’imbriquer, dans la pratique, avec d’autres mécanismes de garantie, notamment avec la lettre d’intention, définie à l’article 2322 du Code civil. Lorsque cette dernière comporte une obligation de résultat, la frontière entre les deux techniques devient ténue : dans les deux cas, le garant s’engage personnellement à assurer la bonne exécution d’une obligation par un tiers, et à indemniser en cas d’échec.

Il a ainsi été proposé de regrouper ces techniques sous la catégorie de “garanties d’influence”, dont le point commun réside dans la volonté du bénéficiaire de s’assurer de la diligence du promettant pour faire exécuter une obligation par un tiers. Cette approche met en lumière la rationalité économique du porte-fort d’exécution, particulièrement adapté aux contextes où la confiance contractuelle repose davantage sur l’influence réelle du promettant que sur des garanties strictement patrimoniales.

3. Le cas marginal de la promesse d’un fait matériel

En marge des hypothèses classiques dans lesquelles la promesse de porte-fort porte sur un acte juridique, une fraction de la doctrine, dans une perspective plus théorique que pratique, a envisagé que l’engagement du promettant puisse viser un simple fait matériel. Cette figure, souvent rattachée à la tradition romaine et remise en lumière par la doctrine du XIXe siècle, trouve son origine dans les écrits de Pothier, selon lesquels « on peut promettre le fait d’autrui, comme de promettre qu’un tel fera une chose ».

Dans cette optique, la promesse pourrait porter, non sur la ratification ou la conclusion par un tiers d’un acte juridique, mais sur la réalisation d’un comportement matériel déterminé par ce dernier. Il en serait ainsi, par exemple, de la promesse selon laquelle un tiers traversera un pays à pied pour délivrer un message en main propre, ou encore de celle consistant à assurer qu’un tiers décorera une salle de réception à l’aide de compositions florales.

Dans ces hypothèses, le promettant ne s’engage ni à obtenir la ratification d’un acte juridique accompli sans pouvoir, ni à garantir la conclusion future d’un contrat, mais à faire en sorte que le tiers accomplisse une action déterminée, étrangère au registre des conventions. La doctrine classique, à l’instar de Bufnoir ou de Baudry-Lacantinerie, s’était ainsi plu à évoquer ces engagements singuliers pour en explorer les limites.

Toutefois, pareille hypothèse se heurte aux fondements techniques du mécanisme du porte-fort, tels que consacrés par la jurisprudence et par l’article 1204 du Code civil. En effet, la promesse de porte-fort suppose la mise en œuvre d’un rapport triangulaire dans lequel l’engagement du promettant vise à renforcer l’efficacité juridique d’un acte accompli ou à accomplir par le tiers. Elle requiert, à cet égard, un acte principal – qu’il s’agisse d’un contrat ou d’un acte unilatéral – et repose sur la possibilité d’une ratification ou d’une exécution juridique de cet acte.

Or, dans les hypothèses envisagées – telles que celle d’un tiers qui porterait assistance à une personne âgée lors de son déménagement ou exécuterait un morceau de musique à l’occasion d’un concert – aucune structure contractuelle n’est identifiable, et l’engagement du promettant ne saurait être rattaché à une quelconque volonté d’établir un lien juridique entre le bénéficiaire et le tiers. L’absence de rétroactivité, de capacité d’engagement du tiers, et de mécanisme de ratification ôte à l’opération toute consistance au regard du régime du porte-fort.

C’est pourquoi une partie importante de la doctrine, à la suite notamment de Jean Boulanger, refuse d’inclure de telles hypothèses dans le champ d’application du porte-fort proprement dit. Ces engagements sont le plus souvent analysés comme de simples promesses d’indemnisation conditionnelle, assises sur la survenance incertaine d’un fait futur : par exemple, « si votre frère ne joue pas son récital, je vous indemniserai », ou encore, « si votre amie ne vient pas livrer les œuvres prévues, je prendrai en charge les frais d’exposition ». Dans cette logique, il ne s’agit pas d’un engagement portant sur le fait d’un tiers, mais d’un engagement personnel subordonné à la survenance d’un événement, à l’instar de toute condition suspensive.

En outre, certaines situations relèvent en réalité d’un contrat d’entreprise, même lorsque l’exécution est confiée à un tiers. Celui qui promet qu’un traiteur livrera un dîner ou qu’un prestataire installera une œuvre lumineuse dans un lieu donné s’engage, non sur un fait matériel d’autrui, mais sur la bonne exécution d’une prestation, dont il est lui-même contractuellement responsable.

Il en résulte que la promesse de porte-fort portant sur un fait matériel ne correspond ni à la lettre ni à l’esprit de l’article 1204 du Code civil, et qu’elle demeure une construction purement doctrinale, sans pertinence pratique ni fondement normatif solide. La quasi-totalité de la jurisprudence contemporaine évite soigneusement de se placer sur ce terrain incertain, préférant recourir à des qualifications plus robustes : contrat d’entreprise, obligation de résultat assortie d’une clause pénale, ou engagement sous condition suspensive.

Comme le résume justement Jean Boulanger, la promesse de porte-fort « n’a révélé son utilité que dans la mesure où elle a pu servir à l’établissement d’un rapport contractuel où le promettant et le stipulant avaient le commun désir de faire entrer un tiers ». En dehors de ce schéma, l’engagement du promettant ne trouve pas à s’épanouir dans le cadre du droit commun des contrats.

Le porte-fort: définition, évolution, fonctions

§1: Définition

La promesse de porte-fort est une institution juridique singulière, dont l’originalité tient à la nature même de l’engagement souscrit par le promettant. Contrairement à la promesse pour autrui, qui aurait pour effet d’engager un tiers à son insu, la promesse de porte-fort repose exclusivement sur l’obligation personnelle du promettant, lequel s’engage envers le bénéficiaire à obtenir l’accomplissement d’un fait par un tiers.

Ainsi, il ne saurait être question d’une quelconque extension de l’effet obligatoire du contrat à un tiers, ce qui eût contrevenu au principe fondamental de l’effet relatif des conventions, énoncé aujourd’hui à l’article 1199 du Code civil et déjà consacré sous l’empire du texte napoléonien. Comme l’écrivait Planiol, « il ne peut y avoir de contrat qu’entre ceux qui ont donné leur consentement à ses stipulations »[1]. La promesse de porte-fort se démarque précisément de cette logique en instaurant un mécanisme fondé non sur l’engagement direct du tiers, mais sur la responsabilité du promettant qui s’oblige personnellement à obtenir du tiers un comportement déterminé.

Cette construction confère à la promesse de porte-fort une structure contractuelle triangulaire : elle implique trois personnes — le promettant, le bénéficiaire et le tiers —, mais repose sur la seule volonté de deux d’entre elles, le promettant et le bénéficiaire. Il en résulte une dissociation entre l’engagement du promettant et l’intervention effective du tiers, qui demeure libre d’exécuter ou non le fait promis. Comme l’avait souligné Pothier, le promettant « ne peut créer d’obligation à la charge d’un tiers », mais il peut « prendre l’engagement de le convaincre d’y consentir »[2].

La promesse de porte-fort se distingue par la nature de l’obligation qu’elle fait peser sur le promettant : il ne s’engage pas à exécuter lui-même l’obligation du tiers, mais à obtenir de ce dernier qu’il s’exécute. Il s’agit ainsi d’une obligation de faire, qui requiert du promettant qu’il déploie tous les moyens nécessaires pour convaincre le tiers d’accomplir le fait promis.

Cette obligation de faire, bien que simple en apparence, ne saurait être réduite à une simple déclaration d’intention ou à un engagement purement potestatif. Elle revêt, au contraire, un caractère juridiquement contraignant pour le promettant, qui ne peut se soustraire à son engagement sans en assumer les conséquences. Comme l’écrivait Pothier, « celui qui se porte fort n’engage pas le tiers, mais s’oblige lui-même à obtenir de lui ce qu’il a promis »[3].

Le promettant est ainsi tenu d’accomplir toutes diligences pour que le tiers exécute l’acte en cause. À défaut d’y parvenir, il engage sa responsabilité contractuelle envers le bénéficiaire. Cette mécanique distingue fondamentalement la promesse de porte-fort du cautionnement : là où la caution assume une obligation de paiement subsidiaire en cas d’inexécution du débiteur principal, le porte-fort demeure responsable non pas de l’exécution de l’obligation du tiers, mais de l’accomplissement de son engagement personnel d’obtenir cette exécution.

L’obligation du promettant s’exécute en deux temps :

  • Si le tiers accomplit l’acte promis
    • Lorsque le tiers exécute l’engagement envisagé, soit spontanément, soit sous l’influence du promettant, la promesse de porte-fort remplit sa fonction et libère ce dernier de toute obligation.
    • L’acte ainsi accompli est réputé pleinement valide et opposable au bénéficiaire, consolidant ainsi la relation contractuelle initialement établie.
    • Cette situation se rapproche du mécanisme de la ratification d’un acte accompli sans pouvoir préalable.
    • En droit de la représentation, lorsqu’un mandataire agit sans y être autorisé, la validation ultérieure de l’acte par le mandant confère à celui-ci une efficacité rétroactive, le faisant remonter à la date de sa conclusion initiale.
    • Cette logique transposée au porte-fort de ratification signifie que la promesse souscrite par le promettant trouve son plein effet dès que le tiers donne son accord.
    • L’article 1204, alinéa 3, du Code civil consacre expressément cette rétroactivité en énonçant que si le porte-fort vise la ratification d’un engagement, celle-ci est réputée valider l’acte dès la date à laquelle la promesse a été conclue.
    • Cette règle répond à un impératif de sécurité juridique, évitant une période d’incertitude quant au statut de l’engagement en cause.
    • Ce principe n’est pas une innovation récente. Planiol affirmait déjà que « la ratification opère rétroactivement et purifie l’acte de toute irrégularité tenant à l’absence de pouvoir initial ».
    • Cette approche, confirmée par la jurisprudence, implique que l’acte ratifié est réputé avoir toujours été valable, et non simplement à compter de l’accord ultérieur du tiers.
    • D’un point de vue pratique, cette rétroactivité est essentielle, notamment dans le domaine des affaires, où il est fréquent que des engagements soient pris avant que le tiers concerné ne soit en mesure de donner son consentement formel.
    • La promesse de porte-fort permet ainsi de sécuriser les transactions en garantissant au bénéficiaire soit l’engagement du tiers par ratification, soit une indemnisation en cas d’échec.
    • Ce mécanisme constitue ainsi un instrument de souplesse contractuelle tout en assurant une protection efficace des parties engagées dans l’opération.
  • Si le tiers refuse de s’exécuter
    • Si le promettant échoue à convaincre le tiers d’exécuter l’engagement promis, il se trouve alors en situation de manquement à son obligation et engage sa responsabilité contractuelle à l’égard du bénéficiaire.
    • Cette responsabilité repose sur le principe selon lequel tout engagement souscrit doit être honoré sous peine de réparation.
    • Dès le XIX? siècle, la doctrine s’était déjà prononcée sur cette spécificité de la promesse de porte-fort.
    • Planiol soulignait que « celui qui se porte fort ne contracte pas une dette d’autrui, mais une dette propre, qui consiste à obtenir d’un tiers qu’il s’exécute, sous peine d’indemnité ».
    • Cette analyse met en lumière le fait que l’obligation du promettant ne porte pas directement sur la prestation due par le tiers, mais sur les efforts qu’il doit fournir pour que celui-ci s’exécute.
    • En conséquence, si le tiers refuse de se conformer à l’engagement promis, le bénéficiaire ne dispose d’aucun recours contre lui, mais peut se retourner exclusivement contre le promettant.
    • Ce dernier devra alors réparer le préjudice causé par l’inexécution, ce qui peut donner lieu à deux formes d’indemnisation :
      • Des dommages-intérêts compensatoires, visant à replacer le bénéficiaire dans la situation où il se serait trouvé si le tiers avait honoré son engagement.
      • Une indemnisation plus large, incluant d’éventuels préjudices économiques ou moraux résultant du défaut d’exécution de la promesse.
    • La doctrine contemporaine a précisé la nature exacte de cette obligation. Philippe Simler observe ainsi que « l’engagement du porte-fort repose sur une obligation de moyens renforcée, en ce qu’il doit tout mettre en œuvre pour parvenir à ses fins, mais sans garantir nécessairement la réussite de l’opération »[4].
    • Aussi, contrairement à une obligation de résultat, où l’exécution est exigée à tout prix, la promesse de porte-fort impose au promettant d’agir avec diligence et persévérance, mais ne le contraint pas à un succès absolu.

Il importe de souligner, enfin, que la promesse de porte-fort, en dépit de son appellation, n’est nullement un engagement unilatéral. Elle constitue bien un contrat, au sens de l’article 1101 du Code civil, et doit donc satisfaire aux conditions de validité énoncées à l’article 1128: consentement des parties, capacité juridique, contenu licite et certain. Le terme de «promesse» ne doit donc pas induire en erreur : le porte-fort suppose un accord de volontés entre le promettant et le bénéficiaire. Comme le résument plusieurs auteurs, il s’agit d’un contrat référant au fait d’un tiers, et non d’une simple déclaration unilatérale de volonté.

La jurisprudence, quant à elle, admet l’existence d’une promesse de porte-fort tacite, à condition qu’elle résulte d’actes manifestant sans équivoque l’intention du promettant de s’engager à obtenir le fait du tiers (Cass. 1re civ., 17 juill. 2001, n° 98-10.827). Cette rigueur protège contre le risque d’une requalification abusive de toute promesse pour autrui en porte-fort.

Ainsi conçu, le contrat de porte-fort ne saurait être invoqué pour pallier la nullité d’un engagement entaché d’un vice de forme (Cass. com., 8 sept. 2015, n° 14-14.208), ni pour contourner des dispositions d’ordre public, telles que celles relatives au logement de la famille dans le cadre du régime matrimonial (Cass. 1re civ., 11 oct. 1989, n° 88-13.631). Il demeure un outil juridique à la fois souple et exigeant, qui repose sur un équilibre subtil entre liberté contractuelle et responsabilité personnelle.

Enfin, il convient de rejeter la tentation doctrinale de réduire le porte-fort à un simple contrat de couverture d’un risque. Si certaines analyses, à l’instar de celles d’E. Netter ou de J. Boulanger, ont tenté de rapprocher le porte-fort d’un mécanisme assurantiel, cette lecture apparaît réductrice. Contrairement à l’assureur, le porte-fort ne perçoit généralement aucune rémunération, n’est pas soumis à agrément, et surtout ne se borne pas à compenser un risque : il s’engage à l’éviter. Comme le résume pertinemment Isabelle Riassetto, « le porte-fort ne se contente pas de couvrir un risque : il s’oblige à l’empêcher de se réaliser ».

§2: Evolution

==>Origines

Dans le droit romain, le principe de l’intuitus personae gouvernait la formation des obligations et interdisait à quiconque d’engager un tiers sans son consentement. Conformément à la règle res inter alios acta, un contrat ne pouvait produire d’effet qu’entre les parties qui y avaient directement consenti. L’idée même qu’un individu puisse lier autrui contre son gré heurtait les fondements du formalisme juridique romain. Pourtant, certains fragments du droit classique laissaient entrevoir une préfiguration du porte-fort. L’un des exemples les plus significatifs est fourni par les Institutes de Justinien : Si quis effecturum se ut Tituis daret, spoponderit, obligatur (« Si quelqu’un promet qu’il fera en sorte que Titius donne, il est tenu »). Bien que le tiers restât libre de refuser, le promettant pouvait néanmoins être contraint à indemniser l’autre partie en cas d’échec. Loin de constituer une obligation pesant sur le tiers, cet engagement reposait sur une obligation propre du promettant, qui s’engageait à user de tous moyens pour atteindre le résultat souhaité.

Au fil des siècles, la rigidité du droit romain s’est atténuée sous l’influence des usages commerciaux et des pratiques féodales. Durant le Moyen Âge, la promesse de porte-fort s’est développée sous des formes variées, souvent dictées par des rapports de force plus que par une conception purement contractuelle. Le garant pouvait être un seigneur influent, un prince ou un suzerain, dont l’engagement consistait à user de son autorité, voire de la contrainte, pour obtenir du tiers qu’il exécute une obligation. L’histoire rapporte ainsi l’exemple du comte de Champagne, qui, en 1231, s’engagea auprès des bourgeois de Neufchâteau à contraindre militairement le duc de Lorraine à respecter ses engagements. À cette époque, la promesse de porte-fort n’était donc pas encore un mécanisme juridique structuré, mais une pratique informelle, souvent liée à des rapports de dépendance ou à une influence politique.

Avec la codification napoléonienne, la promesse de porte-fort fit son entrée dans le Code civil sous l’article 1120, qui affirmait que l’on peut se porter fort pour un tiers en promettant le fait de celui-ci, sauf à indemniser en cas de refus d’exécution du tiers. Toutefois, ce texte soulevait plusieurs difficultés. Insérée dans le chapitre consacré au consentement des parties, la promesse de porte-fort semblait être traitée comme une exception au principe de l’effet relatif des contrats, sans que son régime propre ne soit véritablement précisé. Le texte ne distinguait pas les différentes formes de porte-fort et n’explicitait pas clairement les obligations du promettant.

==>Porte-fort de ratification et porte-fort d’exécution

Face aux incertitudes entourant la portée de l’engagement du porte-fort, la jurisprudence s’attacha progressivement à en clarifier la nature. Deux formes distinctes de promesse de porte-fort furent ainsi dégagées. La première, dite porte-fort de ratification, repose sur l’engagement du promettant à obtenir du tiers qu’il ratifie rétroactivement un acte accompli en son nom, mais sans son consentement préalable. Cette technique s’est développée en droit des sociétés, notamment dans les hypothèses où une société en formation voit ses représentants conclure des engagements qui nécessitent une approbation postérieure des organes sociaux. La seconde forme, désignée sous le nom de porte-fort d’exécution, est apparue progressivement dans la jurisprudence du XIX? et du XX? siècle. Ici, le promettant ne se borne pas à garantir une ratification ultérieure, mais s’engage à ce que le tiers exécute effectivement une obligation. Si le tiers venait à refuser, le promettant pouvait alors être tenu de répondre personnellement du préjudice subi par le bénéficiaire, en lui versant des dommages-intérêts.

L’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 13 décembre 2005 s’inscrit pleinement dans cette évolution jurisprudentielle visant à clarifier le régime de la promesse de porte-fort en distinguant le porte-fort de ratification et le porte-fort d’exécution (Cass. com. 13 déc. 2005, n°03-19.217). Dans cet arrêt, la Cour de cassation énonce le principe selon lequel celui qui se porte fort pour un tiers en promettant la ratification par ce dernier d’un engagement est tenu d’une obligation autonome dont il se trouve déchargé dès la ratification par le tiers, tandis que celui qui se porte fort de l’exécution d’un engagement par un tiers s’engage accessoirement à l’engagement principal souscrit par ce dernier et à y satisfaire si le tiers ne l’exécute pas lui-même. Par cette distinction, la Haute juridicition affirme que le porte-fort de ratification constitue une obligation propre du promettant, qui disparaît une fois le tiers ratifiant l’acte, tandis que le porte-fort d’exécution l’assimile à un garant, contraint de répondre personnellement en cas de défaillance du tiers.

L’affaire en question portait sur un acquéreur qui, après avoir signé un protocole d’accord pour l’acquisition d’un fonds de commerce, avait indiqué qu’une société en formation se substituerait à lui pour la signature et l’exécution du contrat, tout en précisant qu’il se portait garant de la parfaite exécution des obligations de cette société. Toutefois, la société ayant ultérieurement fait défaut, les créanciers se sont retournés contre l’acquéreur en invoquant la promesse de porte-fort qu’il avait souscrite.

La cour d’appel, après avoir analysé les engagements successifs, avait estimé que l’acquéreur ne s’était pas engagé comme caution mais avait souscrit une promesse de porte-fort, en promettant que la société exécuterait effectivement les obligations prévues. La Cour de cassation casse cette décision en reprochant aux juges du fond de ne pas avoir recherché si les actes litigieux comportaient une mention manuscrite exprimant de manière claire et non équivoque la portée exacte de l’engagement du promettant. Elle rappelle ainsi que la qualification de porte-fort d’exécution implique une exigence accrue de précision quant à l’intention du promettant et à l’étendue de son obligation.

Cette distinction, qui avait déjà été analysée par la doctrine, notamment par Planiol, trouve ainsi une consécration explicite. Elle s’inscrit dans une approche où le porte-fort de ratification et le porte-fort d’exécution obéissent à des logiques distinctes : tandis que le premier permet de régulariser un engagement contracté sans pouvoir, en le validant rétroactivement par la ratification du tiers, le second impose au promettant une obligation propre et subsidiaire, qui lui fait supporter les conséquences d’une inexécution éventuelle du tiers. Comme le soulignera plus tard Philippe Simler, cette dernière forme de porte-fort s’apparente à une sûreté personnelle sui generis, renforçant la sécurité contractuelle sans pour autant se confondre avec un cautionnement stricto sensu.

==>Réforme du droit des obligations

La réforme du 10 février 2016 a définitivement consacré cette construction doctrinale et jurisprudentielle en intégrant la promesse de porte-fort dans le titre du Code civil relatif aux effets des contrats à l’égard des tiers. Cette modification a permis de lever l’ambiguïté entourant la nature de cet engagement. L’article 1203 du Code civil dispose que « on ne peut s’engager en son propre nom que pour soi-même », rappelant ainsi que la promesse de porte-fort ne crée pas d’obligation pour le tiers, mais uniquement pour le promettant. L’article 1204, quant à lui, établit une distinction claire entre les conséquences de la promesse selon que le tiers s’exécute ou non. Il prévoit que « le promettant est libéré de toute obligation si le tiers accomplit le fait promis », mais qu’à défaut, « il peut être condamné à des dommages-intérêts ». L’alinéa 3 précise en outre que lorsque la promesse de porte-fort porte sur une ratification, celle-ci produit un effet rétroactif, confirmant ainsi une solution admise en jurisprudence de longue date.

L’un des apports essentiels de la réforme du 10 février 2016 réside dans la consécration explicite du porte-fort d’exécution, dont la reconnaissance jusqu’alors reposait essentiellement sur la pratique contractuelle et l’interprétation jurisprudentielle. En lui conférant un fondement légal, le législateur a définitivement ancré ce mécanisme dans le droit des sûretés personnelles, le positionnant aux côtés du cautionnement et des garanties autonomes.

La doctrine s’est largement fait l’écho de cette évolution. Philippe Simler souligne ainsi que le porte-fort d’exécution constitue une sûreté personnelle atypique, distincte du cautionnement, en ce qu’il fait peser sur le promettant une obligation propre et non une simple garantie accessoire. Contrairement au cautionnement, où la caution s’engage à répondre d’une dette en cas de défaillance du débiteur principal, la promesse de porte-fort d’exécution n’impose pas au promettant de se substituer au tiers dans l’exécution de l’engagement promis. Elle lui impose seulement une obligation de moyens : il doit déployer tous les efforts nécessaires pour obtenir du tiers qu’il s’exécute, sans pour autant garantir le résultat.

L’efficacité de ce mécanisme repose donc sur la capacité du promettant à influencer le tiers et sur la confiance accordée par le bénéficiaire dans la faculté du promettant à obtenir l’exécution de l’engagement promis. Cette reconnaissance légale, en clarifiant la nature et les effets du porte-fort d’exécution, permet ainsi de sécuriser les opérations contractuelles, en offrant aux parties un instrument intermédiaire entre la simple promesse et la garantie pure et simple d’exécution.

En clarifiant le régime juridique du porte-fort et en mettant fin aux incertitudes entourant son application, la réforme de 2016 a définitivement intégré cet instrument dans le corpus du droit des obligations. Après une lente maturation doctrinale et jurisprudentielle, il s’impose aujourd’hui comme un outil incontournable de la pratique contractuelle, offrant aux parties un mécanisme souple et efficace pour sécuriser leurs engagements.

§3: Fonctions

I) Le porte-fort de ratification

A) Les fonctions assignées au porte-fort de ratification

Le porte-fort de ratification, consacré par l’article 1204 du Code civil, joue un rôle essentiel en droit des obligations. Il permet à une personne de s’engager à ce qu’un tiers, qui n’a pas initialement consenti à un acte, le ratifie ultérieurement. Ce mécanisme présente une double utilité : il offre au cocontractant une sécurité en lui garantissant que l’acte pourra être confirmé, tout en laissant au tiers la liberté d’accepter ou de refuser cette ratification.

Historiquement, le porte-fort de ratification est né d’un besoin de flexibilité contractuelle. Il visait à assurer la validité d’un engagement pris sans pouvoir préalable, en garantissant qu’il serait ratifié par l’intéressé une fois en mesure de le faire. Planiol soulignait déjà que le porte-fort de ratification « ne vise pas à imposer une obligation à un tiers, mais à garantir qu’il donnera son consentement, sous peine pour le promettant de devoir indemniser le cocontractant »[5].

L’une des avancées majeures de la réforme du 10 février 2016 réside dans la clarification des effets de la ratification. Désormais, lorsque le tiers confirme l’engagement promis, cette validation remonte rétroactivement à la date de la promesse de porte-fort, comme le prévoit expressément l’article 1204 du Code civil. Cette consécration met un terme aux incertitudes doctrinales et jurisprudentielles qui entouraient jusqu’alors la portée de la ratification.

L’un des premiers terrains d’application du porte-fort de ratification fut le droit des incapacités, où il palliait l’incapacité juridique de certaines personnes à s’engager directement. Avant l’entrée en vigueur de la réforme du 5 mars 2007, qui a introduit l’article 507 du Code civil, cette technique était fréquemment utilisée pour contourner les lourdeurs inhérentes au régime de protection des incapables. Ainsi, le représentant d’un mineur ou d’un majeur protégé pouvait conclure un acte en se portant fort de la ratification ultérieure de l’intéressé, une fois celui-ci devenu juridiquement capable.

Ce procédé offrait une alternative aux partages judiciaires, traditionnellement longs et onéreux, en permettant la conclusion d’un partage amiable assorti d’une promesse de ratification. Il assurait ainsi une certaine fluidité dans la gestion patrimoniale des incapables tout en conférant une sécurité aux cocontractants.

La jurisprudence a, par ailleurs, admis que le représentant légal d’un mineur puisse acquérir un bien immobilier en son nom, en se portant fort que l’intéressé ratifierait la transaction à sa majorité (Cass. 3e civ., 6 nov. 1970, n°69-12.426). Ce mécanisme permettait d’anticiper des opérations patrimoniales essentielles sans attendre l’extinction de l’incapacité, tout en garantissant au vendeur la conclusion effective de la transaction. En cas de refus de ratification par l’incapable devenu majeur, le promettant restait tenu de réparer le préjudice subi par l’autre partie, renforçant ainsi la sécurité juridique des transactions conclues sous ce régime.

Le porte-fort de ratification joue également un rôle en matière d’indivision. Un indivisaire ne peut, en principe, engager ses coïndivisaires sans leur consentement préalable. Toutefois, en se portant fort de leur ratification ultérieure, il apporte une souplesse bienvenue dans la gestion des biens indivis, en permettant d’éviter l’inertie qui résulterait de l’impossibilité d’obtenir immédiatement l’accord de tous les indivisaires.

Cette technique se révèle particulièrement utile dans le cadre des mandats de vente. Un indivisaire peut ainsi mandater un agent immobilier en garantissant que les autres indivisaires confirmeront la cession. Ce procédé permet de sécuriser l’opération pour l’acheteur potentiel tout en évitant d’attendre que chaque coïndivisaire donne son accord préalable.

Toutefois, cette méthode n’est pas exempte de risques. En cas de décès d’un coïndivisaire avant qu’il n’ait pu ratifier l’acte, la validité de l’engagement peut être remise en question, exposant ainsi le promettant à une responsabilité contractuelle. Dans cette hypothèse, le cocontractant peut exiger une indemnisation si la ratification promise n’a finalement pas lieu.

L’efficacité de ce mécanisme repose donc sur la capacité du promettant à anticiper les intentions des coïndivisaires, sans pour autant avoir l’assurance absolue de leur adhésion. Cette incertitude inhérente au porte-fort de ratification a conduit Ripert à affirmer que « la promesse de porte-fort projette une obligation conditionnelle qui dépend entièrement de la volonté d’un tiers, là où d’autres garanties créent un engagement direct »[6]. Loin d’être une sûreté classique, le porte-fort de ratification demeure un engagement délicat, où la crédibilité du promettant joue un rôle déterminant dans la réussite de l’opération.

Le droit des sociétés constitue un autre domaine privilégié d’application du porte-fort de ratification. Son utilité se manifeste notamment dans les hypothèses où un organe social excède ses pouvoirs en concluant un contrat qui nécessite l’approbation ultérieure d’un autre organe, tel que l’assemblée générale des actionnaires.

Avant l’adoption de la loi du 24 juillet 1966, les actes accomplis pour le compte d’une société en formation étaient systématiquement assortis d’une promesse de porte-fort, faute de quoi le signataire restait personnellement engagé. L’article L. 210-6 du Code de commerce a depuis lors formalisé cette pratique en prévoyant que la société peut reprendre les actes passés en son nom avant son immatriculation, mais cette reprise ne se fait qu’à l’initiative des organes compétents.

Le porte-fort de ratification est également utilisé dans les groupes de sociétés, où une société mère peut se porter fort que sa filiale ratifiera un engagement contracté en son nom (Cass. com., 25 mai 1970). Ce mécanisme est particulièrement stratégique dans des opérations nécessitant une réactivité immédiate, où il est impossible d’attendre l’approbation formelle de l’ensemble des actionnaires ou des organes de direction.

Enfin, la technique est largement employée en matière de cession de droits sociaux, où elle permet d’assurer que certains engagements seront ratifiés par les actionnaires ou les dirigeants d’une société cédée. La jurisprudence a admis qu’un cédant puisse se porter fort de la cession des actions de certains associés à un tiers, garantissant ainsi la réalisation de l’opération sous peine de voir sa responsabilité engagée (Cass. com., 22 juill. 1986).

B) Distinctions avec d’autres opérations juridiques

La promesse de porte-fort de ratification se distingue nettement d’autres mécanismes contractuels qui, bien que partageant certaines similitudes, obéissent à des logiques et des effets juridiques distincts. Qu’il s’agisse du mandat, de la représentation sans pouvoir, de la promesse de bons offices ou encore de la convention de prête-nom, l’analyse de ces figures révèle des différences fondamentales quant à la portée de l’engagement du promettant et aux effets juridiques attachés à l’intervention du tiers.

==>Promesse de porte-fort et mandat

Si la promesse de porte-fort de ratification repose sur l’engagement d’un promettant à obtenir l’adhésion d’un tiers à un acte, elle se distingue fondamentalement du mandat en ce que le porte-fort agit en dehors de toute investiture préalable de la part du tiers concerné. Le mandataire, en vertu des articles 1984 et suivants du Code civil, agit au nom et pour le compte du mandant, en vertu d’un pouvoir qui lui a été conféré. À l’inverse, le porte-fort n’intervient pas comme représentant du tiers, mais en son nom propre et sous sa seule responsabilité.

La jurisprudence a consacré cette distinction en affirmant que la qualité de porte-fort est exclusive de celle de mandataire. Ainsi, un indivisaire qui vend un bien indivis en se portant fort de la ratification de son coïndivisaire ne peut être considéré comme son mandataire, de sorte que le refus de ratification entraîne la résolution de l’acte (CA Riom, 14 janv. 1982). De même, la Cour de cassation a rappelé qu’un individu qui dépasse les pouvoirs qui lui avaient été conférés ne peut se prévaloir du mandat mais, au mieux, être tenu comme porte-fort s’il promet la ratification du mandant (Cass. com., 6 févr. 2007, n° 05-14.660.).

Loin de créer un lien de représentation entre le tiers et le bénéficiaire de la promesse, la promesse de porte-fort place le promettant dans une situation autonome : il prend sur lui l’engagement d’obtenir l’adhésion du tiers et en supporte les conséquences en cas d’échec.

==>Promesse de porte-fort et représentation sans pouvoir

La promesse de porte-fort de ratification présente, à première vue, certaines similitudes avec l’hypothèse de la représentation sans pouvoir. L’article 1156 du Code civil prévoit en effet que l’acte accompli par un pseudo-représentant, c’est-à-dire par une personne se présentant comme mandataire sans y avoir été habilitée, est inopposable au tiers tant que celui-ci ne l’a pas ratifié. Ce mécanisme repose ainsi sur une validation rétroactive de l’acte par le représenté, logique que l’on retrouve, en apparence, dans le cadre du porte-fort de ratification.

Toutefois, cette parenté est trompeuse. Une distinction s’impose : le pseudo-représentant, en agissant au nom d’autrui, ne s’engage pas personnellement. Il se borne à revendiquer un pouvoir dont l’existence conditionne l’efficacité de l’acte. Si la ratification n’intervient pas, l’acte reste sans effet à l’égard du tiers prétendument représenté, mais n’engage pas davantage celui qui en a pris l’initiative. Il en va tout autrement dans le mécanisme du porte-fort : le promettant n’entend pas agir au nom du tiers, mais en son nom propre. Il assume ainsi un engagement personnel et autonome, consistant à obtenir la ratification du tiers. En cas de refus de celui-ci, le promettant est tenu d’indemniser le cocontractant du préjudice résultant de l’inexécution de son obligation de faire.

Comme l’a souligné Alain Benabent, le porte-fort constitue une forme de « fausse représentation ». Cette expression rend compte de l’apparente proximité entre les deux figures, tout en soulignant leur différence de nature. Le mandat, désormais encadré aux articles 1153 à 1161 du Code civil depuis l’ordonnance du 10 février 2016, suppose en effet une habilitation préalable conférant au mandataire le pouvoir d’engager le mandant. Le porte-fort, au contraire, repose sur l’absence de tout pouvoir représentatif. Comme l’a écrit Delvincourt dès 1813, « si même je contracte au nom d’une personne dont je n’ai de pouvoir, ni légal, ni conventionnel, et que je me porte fort pour elle, je suis censé par là garantir à l’autre partie la ratification de celui au nom duquel j’ai agi, et m’obliger au paiement des dommages-intérêts, en cas de non-ratification ».

Cette différence entre les deux opérations explique que les actes accomplis par le porte-fort n’engagent pas le tiers pour lequel il se porte garant. Ce dernier n’intervient pas dans l’acte, et ne peut y être tenu qu’en cas de ratification expresse. C’est pourquoi la jurisprudence considère que la qualité de porte-fort est incompatible avec celle de mandataire (Cass. com., 6 févr. 2007, n° 05-14.660). Le promettant agit donc exclusivement en son propre nom et pour son propre compte, même s’il s’engage à rapporter ultérieurement le fait d’un tiers.

Enfin, si certains auteurs ont pu voir dans le porte-fort une modalité particulière de la représentation, cette assimilation se heurte à une limite structurelle : la représentation suppose un pouvoir donné par le représenté, là où le porte-fort agit sans autorisation préalable. Cette différence est d’autant plus significative qu’elle empêche d’expliquer certaines variantes du porte-fort, au premier rang desquelles le porte-fort d’exécution, pour lequel la logique de la représentation s’avère inopérante.

Ainsi, la promesse de porte-fort n’est pas un simple ersatz de la représentation sans pouvoir. Elle en épouse certains contours formels, mais s’en écarte résolument dans sa substance, en érigeant en engagement personnel ce qui, dans la représentation, repose sur un pouvoir d’autrui.

==>Promesse de porte-fort et promesse de bons offices

La promesse de porte-fort de ratification ne saurait être confondue avec la simple promesse de bons offices, bien que toutes deux tendent vers un même objectif : obtenir d’un tiers qu’il adopte un comportement déterminé, qu’il s’agisse de ratifier un acte ou de conclure une convention. Pourtant, la nature juridique de ces deux engagements diffère fondamentalement.

La promesse de bons offices se définit classiquement comme l’engagement d’une personne à « user de tous les moyens en son pouvoir pour obtenir l’engagement d’un tiers ». Elle repose ainsi sur une obligation de moyens. Le promettant ne garantit aucunement le résultat de son intervention, mais seulement sa diligence : il s’engage à faire ses meilleurs efforts, à déployer une activité, sans pouvoir être tenu responsable si celle-ci n’aboutit pas. En cas d’échec, le créancier n’est fondé à obtenir réparation que s’il démontre que le promettant a manqué à cette obligation de moyens – ce qui suppose, en pratique, la preuve d’une carence dans les diligences déployées.

C’est précisément cette logique que la Cour de cassation a illustrée dans un arrêt du 7 mars 1978 : elle y a jugé qu’un héritier, qui s’était engagé à favoriser l’accord de son cohéritier pour la cession d’un bien, ne s’était pas porté fort, faute d’avoir promis expressément d’obtenir cette adhésion. L’engagement pris ne dépassait donc pas la sphère des bons offices, et n’emportait pas d’obligation indemnitaire en cas d’échec de la transaction (Cass. 3e civ., 7 mars 1978, n°76-14.534).

En revanche, le promettant d’un porte-fort de ratification contracte une véritable obligation de faire, au sens de l’article 1204 du Code civil. Son engagement est personnel et autonome: il promet, non pas de tenter d’obtenir la ratification du tiers, mais de l’obtenir effectivement. L’échec de cette ratification constitue, en tant que tel, une inexécution fautive de son obligation, ouvrant droit à réparation. En ce sens, le porte-fort s’oblige à un résultat. La doctrine ne cesse de rappeler que cette promesse revêt une véritable valeur juridique, par opposition à ce que Jean Carbonnier qualifiait de « promesse morale de bons offices », impropre à engager juridiquement son auteur.

Cela étant, la frontière entre les deux mécanismes n’est pas toujours tracée avec la rigueur que l’on pourrait souhaiter. Ainsi, dans un arrêt du 29 février 2000, la chambre commerciale de la Cour de cassation a pu affirmer que le porte-fort est tenu « d’une obligation de moyens à l’égard de son cocontractant » (Cass. com., 29 févr. 2000, n° 96-13.604). Cette formulation, pour le moins ambivalente, a nourri les débats doctrinaux quant à l’intensité de l’obligation pesant sur le porte-fort, certains auteurs estimant que l’on pourrait concevoir une gradation entre le porte-fort et les bons offices, une sorte de « porte-fort atténué », en deçà de l’engagement de plein exercice.

Pour autant, cette tentation de dilution ne doit pas conduire à altérer la spécificité juridique du mécanisme. Le critère décisif demeure : alors que la promesse de bons offices est purement potestative et s’analyse en une obligation de moyens dépourvue d’effet automatique, le porte-fort implique une obligation ferme, dont l’inexécution engage nécessairement la responsabilité contractuelle de son auteur. Là où l’un propose un soutien, l’autre garantit un aboutissement.

En définitive, si les deux engagements peuvent être formulés dans des termes voisins, leur régime et leurs effets divergent profondément. L’un se borne à appuyer, l’autre à s’engager. Le premier repose sur la diligence, le second sur l’effectivité. C’est là, toute la différence entre la simple bienveillance du négociateur et l’engagement ferme du garant.

==>Promesse de porte-fort et convention de prête-nom

La promesse de porte-fort de ratification ne doit pas être assimilée à la convention de prête-nom, bien que ces deux mécanismes impliquent l’intervention d’un tiers dans une opération juridique.

Dans une convention de prête-nom, une personne conclut un acte en son nom propre mais pour le compte d’un tiers qui demeure caché. À l’inverse, dans la promesse de porte-fort, le tiers est identifié et sa ratification est attendue pour valider l’acte. Cette distinction a été rappelée par la Cour de cassation dans un arrêt du 21 janvier 2004, où elle a souligné que, dans le prête-nom, l’acquéreur apparent dissimule l’acquéreur réel, tandis que dans le porte-fort, l’existence du tiers est révélée dès la conclusion de l’acte (Cass. com., 21 janv. 2004, n° 00-14.211).

D’autre part, la convention de prête-nom emporte une transmission automatique des droits sur l’acte conclu par le prête-nom au bénéficiaire réel, tandis que dans le porte-fort de ratification, l’acte ne produit effet à l’égard du tiers que s’il consent expressément à sa ratification.

II) Le porte-fort d’exécution

A) Fonctions assignées au porte-fort d’exécution

Initialement conçu comme un instrument garantissant la ratification d’un engagement contracté par un tiers, le porte-fort a progressivement élargi son champ d’application pour remplir une autre fonction: l’exécution par ce tiers de l’engagement qu’il a souscrit. Cette évolution, consacrée par la jurisprudence et désormais admise en doctrine, a permis au porte-fort de se positionner comme un mécanisme de garantie contractuelle, particulièrement prisé dans les relations d’affaires et les montages contractuels complexes.

Longtemps, la jurisprudence a cantonné la promesse de porte-fort à un engagement de ratification, excluant toute assimilation à une sûreté personnelle. Ce positionnement strict s’appuyait sur la conception classique selon laquelle le porte-fort ne faisait que garantir l’adhésion future d’un tiers à un acte, sans s’engager sur l’exécution effective d’une obligation par ce dernier.

Toutefois, dès les années 1980, la pratique contractuelle a conduit à une relecture de cette notion, ouvrant la voie à la reconnaissance d’un porte-fort d’exécution. Désormais, le promettant ne s’engage plus seulement à obtenir l’adhésion du tiers, mais à garantir que ce dernier respectera l’obligation promise. En cas d’inexécution, le promettant devient alors débiteur d’une obligation de réparation, le plus souvent sous forme d’indemnisation du cocontractant lésé.

Le porte-fort d’exécution s’est particulièrement développé dans le cadre des relations d’affaires. Il est fréquemment utilisé pour sécuriser des engagements dont l’exécution dépend d’une entité tierce, notamment :

Dans toutes ces hypothèses, l’engagement du porte-fort ne consiste pas à contraindre le tiers, mais à compenser les conséquences d’une éventuelle inexécution.

L’émergence du porte-fort d’exécution a suscité des débats quant à sa nature juridique. Certaines décisions jont tenté de le rapprocher du cautionnement, en raison de sa fonction de garantie accessoire à un engagement principal. Dans un arrêt du 13 décembre 2005, la Cour de cassation a ainsi distingué le porte-fort de ratification, qui est une obligation autonome, du porte-fort d’exécution, qui s’analyse comme un engagement accessoire à l’obligation principale (Cass. com., 13 déc. 2005, n° 03-19.217).

Toutefois, cette assimilation au cautionnement n’a jamais été totalement admise. La doctrine s’accorde à reconnaître que le porte-fort d’exécution conserve une autonomie propre, distincte des sûretés personnelles traditionnelles, en ce qu’il repose sur une obligation de faire et non une obligation de paiement. Contrairement au cautionnement, qui impose au garant de s’exécuter à la place du débiteur en cas de défaillance, le porte-fort d’exécution ne crée pas d’obligation substitutive, mais uniquement une responsabilité contractuelle en cas de non-respect de l’engagement promis.

La réforme du droit des contrats opérée par l’ordonnance du 10 février 2016 a consacré la dualité du mécanisme du porte-fort en introduisant une distinction implicite entre le porte-fort de ratification et le porte-fort d’exécution. L’alinéa 2 de l’article 1204 du Code civil dispose ainsi que « si le tiers accomplit le fait promis », laissant entendre que l’engagement du promettant peut porter non seulement sur la ratification d’un acte, mais également sur son exécution.

Cette reconnaissance législative met un terme aux incertitudes doctrinales et jurisprudentielles qui entouraient la qualification du porte-fort d’exécution. Désormais, il est admis que ce dernier constitue une véritable garantie contractuelle, permettant de sécuriser des engagements sans nécessairement recourir aux mécanismes de cautionnement ou de garantie autonome.

B) Distinctions avec d’autres opérations juridiques

Le porte-fort d’exécution se distingue nettement d’autres mécanismes de garantie, bien qu’il partage avec eux certaines caractéristiques. Son originalité tient à la nature même de son engagement : le promettant garantit non pas le paiement d’une dette, comme une caution, mais l’accomplissement par un tiers d’un fait juridique déterminé. Cette spécificité a conduit la jurisprudence et la doctrine à examiner ses liens avec d’autres techniques de garantie, tout en insistant sur son autonomie conceptuelle.

==>Porte-fort d’exécution et cautionnement

Le porte-fort d’exécution, bien qu’il tende à garantir l’exécution d’une obligation par un tiers, ne saurait être assimilé au cautionnement, tant les fondements, la nature juridique et le régime de ces deux mécanismes divergent.

Le cautionnement, tel que défini à l’article 2288 du Code civil dans sa version issue de l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, repose sur un engagement subsidiaire et personnel de la caution de satisfaire à l’obligation d’un tiers débiteur en cas de défaillance de ce dernier. Il s’agit donc d’un contrat accessoire par essence, qui lie la caution au créancier dans les mêmes termes que l’obligation principale. La caution s’engage à payer la dette du débiteur, devenant ainsi, en cas d’inexécution, un véritable débiteur de substitution.

À l’inverse, le porte-fort d’exécution repose sur un engagement autonome de faire. Le promettant ne reprend pas à son compte l’obligation du tiers, mais s’engage en son nom propre à obtenir l’exécution de cette obligation par le débiteur principal. En cas d’inexécution, il ne paie pas la dette garantie, mais indemnise le bénéficiaire du préjudice résultant de son propre manquement à cette obligation de faire. La logique est donc indemnitaire, fondée sur la responsabilité contractuelle du promettant.

La jurisprudence a longtemps entretenu une certaine confusion sur ce point. Dans un arrêt emblématique du 13 décembre 2005 (Cass. com., 13 déc. 2005, n° 03-19.217), la Cour de cassation a qualifié l’engagement du porte-fort d’exécution d’« accessoire à l’engagement principal souscrit par le tiers », ajoutant que le promettant s’engage « à y satisfaire si le tiers ne l’exécute pas lui-même ». Une telle formule, empruntée au régime du cautionnement, laissait entendre que le porte-fort s’apparenterait à une sûreté personnelle accessoire, susceptible d’être requalifiée, selon les circonstances, en cautionnement. Cette assimilation a d’ailleurs été reprise dans plusieurs arrêts postérieurs.

Toutefois, cette position a été abandonnée au profit d’une approche plus fidèle à la nature indemnitaire du porte-fort. Dans un arrêt du 18 juin 2013 (Cass. com., 18 juin 2013, n° 12-18.890), la chambre commerciale a expressément écarté l’application de l’article 1326 du Code civil, en retenant que l’engagement de porte-fort constitue une obligation de faire. Elle a ainsi affirmé l’autonomie de cet engagement par rapport à l’obligation principale garantie, consacrant définitivement la spécificité du mécanisme. Cette solution a été réaffirmée par la suite (Cass. com., 8 juill. 2014, n° 13-14.777), contribuant à clarifier les frontières entre le porte-fort d’exécution et le cautionnement.

La doctrine dominante a salué cette clarification, en soulignant que le porte-fort d’exécution, loin d’être un cautionnement déguisé, obéit à une logique profondément différente. Il ne repose pas sur la solidarité ou sur une obligation de paiement subsidiaire, mais sur la réparation du dommage causé par la non-réalisation d’un fait promis. Comme le rappelle Isabelle Riassetto, l’engagement du porte-fort est strictement personnel et indemnitaire : il ne s’agit pas de garantir l’obligation d’autrui, mais de s’engager à en assurer l’exécution par un tiers, à ses risques et périls.

Ce caractère indemnitaire permet également d’écarter l’ensemble des règles spéciales propres au cautionnement, notamment celles relatives au formalisme de l’article 2297 du Code civil ou aux obligations d’information prévues aux articles 2293 et suivants. Le porte-fort d’exécution échappe à ces contraintes, ce qui en fait un outil de garantie souple, adapté aux besoins pratiques des acteurs économiques, notamment dans les montages contractuels impliquant des sociétés en formation ou des groupes de sociétés.

Ainsi, si le porte-fort d’exécution et le cautionnement partagent un objectif commun – garantir l’exécution d’une obligation –, leur structure juridique, leur régime applicable et la nature de l’engagement qu’ils recouvrent divergent fondamentalement. Le premier s’inscrit dans une logique d’engagement autonome de faire, générateur d’une responsabilité contractuelle en cas de manquement, là où le second repose sur une logique d’engagement subsidiaire de paiement. C’est précisément cette distinction conceptuelle qui justifie le refus, aujourd’hui consolidé, d’assimiler le porte-fort d’exécution au cautionnement.

==>Porte-fort d’exécution et garantie autonome

L’article 2321 du Code civil définit la garantie autonome comme l’engagement, pris en considération d’une obligation souscrite par un tiers, de verser une somme d’argent à première demande ou selon des modalités prédéterminées. Sa spécificité tient à son détachement radical de l’obligation principale : le garant s’engage de manière indépendante, sans pouvoir opposer les exceptions que le débiteur pourrait faire valoir. C’est ce mécanisme d’engagement abstrait, affranchi du sort de la dette garantie, qui confère à cette sûreté son caractère proprement autonome.

À l’inverse, le porte-fort d’exécution poursuit une finalité toute différente : il ne consiste pas en un engagement pécuniaire prédéterminé, mais en une obligation de faire. Le promettant s’engage à obtenir du tiers l’exécution d’une obligation déterminée, et n’est tenu d’indemniser le bénéficiaire qu’en cas d’échec de cette démarche. Il s’agit donc d’un engagement de comportement, et non d’un engagement de paiement. La nature indemnitaire du mécanisme a été confirmée par la Cour de cassation, laquelle a précisé que l’engagement du porte-fort repose sur les règles de la responsabilité contractuelle (Cass. com., 25 janv. 2005, n° 01-15.926), ce qui implique que la réparation est fonction du préjudice effectivement subi, et non d’un montant forfaitaire convenu à l’avance.

Certes, plusieurs arrêts ont qualifié le porte-fort d’engagement personnel autonome (Cass. 1re civ., 16 avr. 2015, n° 14-13.694), et une partie de la doctrine a repris cette formule pour souligner l’indépendance de l’obligation du promettant à l’égard du tiers. Toutefois, cette autonomie ne suffit pas à confondre le porte-fort d’exécution avec la garantie autonome visée à l’article 2321 du Code civil. Il ne s’agit ni d’un engagement de paiement à première demande, ni d’une promesse abstraite et détachée de toute inexécution préalable : le porte-fort n’intervient qu’en second lieu, pour réparer un manquement du tiers, et uniquement à hauteur du dommage prouvé.

Par ailleurs, contrairement à la garantie autonome, le porte-fort n’a jamais vocation à produire un effet libératoire immédiat pour le créancier. Il n’enclenche pas un mécanisme de substitution financière automatique, mais ouvre droit, le cas échéant, à des dommages et intérêts, selon une logique purement indemnitaire. Ce caractère indemnitaire exclut d’ailleurs toute assimilation au modèle de la garantie autonome, sauf à ce que le porte-fort soit assorti d’une clause pénale fixant par avance l’indemnité due en cas de manquement – hypothèse très particulière que certains auteurs mentionnent comme pouvant troubler la frontière conceptuelle.

Enfin, la tentation de rapprocher le porte-fort d’exécution d’autres mécanismes abstraits, telle la délégation imparfaite prévue à l’article 1336 du Code civil, doit également être écartée. Si la garantie autonome est parfois analysée comme une forme de délégation dans laquelle le garant s’oblige directement envers le créancier, le porte-fort d’exécution n’opère aucune substitution de débiteur. Le promettant ne s’engage pas à satisfaire personnellement à l’obligation du tiers : il garantit seulement que celui-ci l’exécutera, et répond de son propre fait si l’exécution échoue.

En somme, si le porte-fort d’exécution peut, à certains égards, paraître autonome dans son engagement, il ne revêt en aucun cas les caractéristiques essentielles de la garantie autonome au sens de l’article 2321. Il demeure un engagement de faire, structuré autour d’une logique indemnitaire fondée sur l’inexécution d’un fait promis, et ne saurait être confondu avec un instrument financier de paiement automatique.

==>Porte-fort d’exécution et assurance-crédit

L’assurance-crédit, bien qu’indemnitaire comme le porte-fort d’exécution, repose sur une logique différente : elle garantit exclusivement le non-recouvrement d’une créance en cas d’insolvabilité du débiteur.

Ainsi :

  • L’assurance-crédit couvre uniquement une obligation de paiement, tandis que le porte-fort d’exécution peut concerner toute obligation contractuelle.
  • L’indemnisation de l’assurance-crédit dépend de la survenance d’un sinistre économique (l’insolvabilité du débiteur), tandis que le porte-fort d’exécution engage la responsabilité du promettant dès que le tiers n’exécute pas son obligation.

==>Porte-fort d’exécution et délégation imparfaite

La délégation imparfaite implique qu’un délégant obtienne d’un tiers (le délégué) qu’il prenne un engagement envers un créancier (le délégataire).

Contrairement au porte-fort d’exécution :

  • La délégation crée un nouveau rapport d’obligation direct entre le délégataire et le délégué. Le porte-fort d’exécution, en revanche, ne lie pas directement le tiers au créancier, mais impose au promettant une obligation indemnitaire en cas de défaillance du tiers.
  • Le délégué devient débitrice principale du délégataire, tandis que dans le porte-fort d’exécution, le tiers reste le débiteur principal.

==>Porte-fort d’exécution et lettre d’intention

L’article 2322 du Code civil définit la lettre d’intention comme « l’engagement de faire ou de ne pas faire ayant pour objet le soutien apporté à un débiteur dans l’exécution de son obligation envers son créancier ». Par cette définition, le législateur a consacré la spécificité de cette sûreté personnelle, distincte du cautionnement, en insistant sur la notion de soutien, davantage comportementale qu’obligatoire dans ses effets.

Cette finalité rapproche la lettre d’intention du porte-fort d’exécution, dans la mesure où ces deux mécanismes ont pour objet de garantir indirectement l’exécution d’une obligation par un tiers. L’analogie devient particulièrement pertinente lorsque la lettre d’intention comporte une obligation de résultat. Dans une telle hypothèse, son souscripteur s’engage, tout comme le promettant dans une promesse de porte-fort, à faire en sorte que le débiteur principal exécute son obligation, sous peine d’être tenu à indemnisation. Cette convergence a conduit une partie de la doctrine à assimiler les deux figures, estimant que la lettre d’intention à obligation de résultat constitue une variante du porte-fort d’exécution.

Toutefois, cette assimilation ne saurait être générale ni systématique. D’une part, elle ne concerne nullement la lettre d’intention à obligation de moyens, dans laquelle le souscripteur ne promet aucun résultat déterminé, mais seulement de mettre en œuvre les diligences nécessaires pour favoriser l’exécution par le débiteur. En cas d’échec, sa responsabilité n’est engagée que si une faute peut lui être reprochée, ce qui le distingue nettement du porte-fort d’exécution, dont l’engagement est autonome et se résout en une obligation de réparation dès lors que le tiers n’exécute pas l’obligation promise, quelle que soit l’implication du promettant.

D’autre part, même dans l’hypothèse d’une lettre d’intention assortie d’une obligation de résultat, une distinction subsiste quant à l’intensité de l’engagement. Le porte-fort d’exécution impose au promettant de garantir effectivement le comportement du tiers : il s’engage à ce que ce dernier s’exécute, et non à simplement appuyer ou accompagner son exécution. Ce faisant, il assume une responsabilité de plein droit en cas de défaillance du tiers, indépendamment de toute faute ou négligence de sa part. La lettre d’intention, même contraignante, n’atteint généralement pas ce degré de rigueur.

Enfin, il convient de souligner que cette analogie ne vaut qu’à l’égard du porte-fort d’exécution. Le porte-fort de ratification, qui relève de la formation du contrat et non de sa garantie, échappe à cette logique et ne saurait être rattaché, même par analogie, à la lettre d’intention.

Ainsi, si certaines lettres d’intention, par leur formulation, tendent à produire des effets similaires à ceux du porte-fort d’exécution, en particulier lorsqu’elles traduisent une véritable obligation de résultat, la distinction entre les deux mécanismes demeure juridiquement fondée, tant en raison de leur régime que de la nature exacte de l’obligation qu’ils font peser sur leur auteur. Le premier s’analyse en une garantie stricte de comportement, engageant le promettant à réparer l’inexécution, tandis que la seconde, sauf stipulation expresse contraire, conserve une vocation d’assistance, modulée selon l’intensité de l’engagement souscrit.

Le porte-fort: régime

§1: Définition

La promesse de porte-fort est une institution juridique singulière, dont l’originalité tient à la nature même de l’engagement souscrit par le promettant. Contrairement à la promesse pour autrui, qui aurait pour effet d’engager un tiers à son insu, la promesse de porte-fort repose exclusivement sur l’obligation personnelle du promettant, lequel s’engage envers le bénéficiaire à obtenir l’accomplissement d’un fait par un tiers.

Ainsi, il ne saurait être question d’une quelconque extension de l’effet obligatoire du contrat à un tiers, ce qui eût contrevenu au principe fondamental de l’effet relatif des conventions, énoncé aujourd’hui à l’article 1199 du Code civil et déjà consacré sous l’empire du texte napoléonien. Comme l’écrivait Planiol, « il ne peut y avoir de contrat qu’entre ceux qui ont donné leur consentement à ses stipulations »[1]. La promesse de porte-fort se démarque précisément de cette logique en instaurant un mécanisme fondé non sur l’engagement direct du tiers, mais sur la responsabilité du promettant qui s’oblige personnellement à obtenir du tiers un comportement déterminé.

Cette construction confère à la promesse de porte-fort une structure contractuelle triangulaire : elle implique trois personnes — le promettant, le bénéficiaire et le tiers —, mais repose sur la seule volonté de deux d’entre elles, le promettant et le bénéficiaire. Il en résulte une dissociation entre l’engagement du promettant et l’intervention effective du tiers, qui demeure libre d’exécuter ou non le fait promis. Comme l’avait souligné Pothier, le promettant « ne peut créer d’obligation à la charge d’un tiers », mais il peut « prendre l’engagement de le convaincre d’y consentir »[2].

La promesse de porte-fort se distingue par la nature de l’obligation qu’elle fait peser sur le promettant : il ne s’engage pas à exécuter lui-même l’obligation du tiers, mais à obtenir de ce dernier qu’il s’exécute. Il s’agit ainsi d’une obligation de faire, qui requiert du promettant qu’il déploie tous les moyens nécessaires pour convaincre le tiers d’accomplir le fait promis.

Cette obligation de faire, bien que simple en apparence, ne saurait être réduite à une simple déclaration d’intention ou à un engagement purement potestatif. Elle revêt, au contraire, un caractère juridiquement contraignant pour le promettant, qui ne peut se soustraire à son engagement sans en assumer les conséquences. Comme l’écrivait Pothier, « celui qui se porte fort n’engage pas le tiers, mais s’oblige lui-même à obtenir de lui ce qu’il a promis »[3].

Le promettant est ainsi tenu d’accomplir toutes diligences pour que le tiers exécute l’acte en cause. À défaut d’y parvenir, il engage sa responsabilité contractuelle envers le bénéficiaire. Cette mécanique distingue fondamentalement la promesse de porte-fort du cautionnement : là où la caution assume une obligation de paiement subsidiaire en cas d’inexécution du débiteur principal, le porte-fort demeure responsable non pas de l’exécution de l’obligation du tiers, mais de l’accomplissement de son engagement personnel d’obtenir cette exécution.

L’obligation du promettant s’exécute en deux temps :

  • Si le tiers accomplit l’acte promis
    • Lorsque le tiers exécute l’engagement envisagé, soit spontanément, soit sous l’influence du promettant, la promesse de porte-fort remplit sa fonction et libère ce dernier de toute obligation.
    • L’acte ainsi accompli est réputé pleinement valide et opposable au bénéficiaire, consolidant ainsi la relation contractuelle initialement établie.
    • Cette situation se rapproche du mécanisme de la ratification d’un acte accompli sans pouvoir préalable.
    • En droit de la représentation, lorsqu’un mandataire agit sans y être autorisé, la validation ultérieure de l’acte par le mandant confère à celui-ci une efficacité rétroactive, le faisant remonter à la date de sa conclusion initiale.
    • Cette logique transposée au porte-fort de ratification signifie que la promesse souscrite par le promettant trouve son plein effet dès que le tiers donne son accord.
    • L’article 1204, alinéa 3, du Code civil consacre expressément cette rétroactivité en énonçant que si le porte-fort vise la ratification d’un engagement, celle-ci est réputée valider l’acte dès la date à laquelle la promesse a été conclue.
    • Cette règle répond à un impératif de sécurité juridique, évitant une période d’incertitude quant au statut de l’engagement en cause.
    • Ce principe n’est pas une innovation récente. Planiol affirmait déjà que « la ratification opère rétroactivement et purifie l’acte de toute irrégularité tenant à l’absence de pouvoir initial ».
    • Cette approche, confirmée par la jurisprudence, implique que l’acte ratifié est réputé avoir toujours été valable, et non simplement à compter de l’accord ultérieur du tiers.
    • D’un point de vue pratique, cette rétroactivité est essentielle, notamment dans le domaine des affaires, où il est fréquent que des engagements soient pris avant que le tiers concerné ne soit en mesure de donner son consentement formel.
    • La promesse de porte-fort permet ainsi de sécuriser les transactions en garantissant au bénéficiaire soit l’engagement du tiers par ratification, soit une indemnisation en cas d’échec.
    • Ce mécanisme constitue ainsi un instrument de souplesse contractuelle tout en assurant une protection efficace des parties engagées dans l’opération.
  • Si le tiers refuse de s’exécuter
    • Si le promettant échoue à convaincre le tiers d’exécuter l’engagement promis, il se trouve alors en situation de manquement à son obligation et engage sa responsabilité contractuelle à l’égard du bénéficiaire.
    • Cette responsabilité repose sur le principe selon lequel tout engagement souscrit doit être honoré sous peine de réparation.
    • Dès le XIX? siècle, la doctrine s’était déjà prononcée sur cette spécificité de la promesse de porte-fort.
    • Planiol soulignait que « celui qui se porte fort ne contracte pas une dette d’autrui, mais une dette propre, qui consiste à obtenir d’un tiers qu’il s’exécute, sous peine d’indemnité ».
    • Cette analyse met en lumière le fait que l’obligation du promettant ne porte pas directement sur la prestation due par le tiers, mais sur les efforts qu’il doit fournir pour que celui-ci s’exécute.
    • En conséquence, si le tiers refuse de se conformer à l’engagement promis, le bénéficiaire ne dispose d’aucun recours contre lui, mais peut se retourner exclusivement contre le promettant.
    • Ce dernier devra alors réparer le préjudice causé par l’inexécution, ce qui peut donner lieu à deux formes d’indemnisation :
      • Des dommages-intérêts compensatoires, visant à replacer le bénéficiaire dans la situation où il se serait trouvé si le tiers avait honoré son engagement.
      • Une indemnisation plus large, incluant d’éventuels préjudices économiques ou moraux résultant du défaut d’exécution de la promesse.
    • La doctrine contemporaine a précisé la nature exacte de cette obligation. Philippe Simler observe ainsi que « l’engagement du porte-fort repose sur une obligation de moyens renforcée, en ce qu’il doit tout mettre en œuvre pour parvenir à ses fins, mais sans garantir nécessairement la réussite de l’opération »[4].
    • Aussi, contrairement à une obligation de résultat, où l’exécution est exigée à tout prix, la promesse de porte-fort impose au promettant d’agir avec diligence et persévérance, mais ne le contraint pas à un succès absolu.

Il importe de souligner, enfin, que la promesse de porte-fort, en dépit de son appellation, n’est nullement un engagement unilatéral. Elle constitue bien un contrat, au sens de l’article 1101 du Code civil, et doit donc satisfaire aux conditions de validité énoncées à l’article 1128: consentement des parties, capacité juridique, contenu licite et certain. Le terme de «promesse» ne doit donc pas induire en erreur : le porte-fort suppose un accord de volontés entre le promettant et le bénéficiaire. Comme le résument plusieurs auteurs, il s’agit d’un contrat référant au fait d’un tiers, et non d’une simple déclaration unilatérale de volonté.

La jurisprudence, quant à elle, admet l’existence d’une promesse de porte-fort tacite, à condition qu’elle résulte d’actes manifestant sans équivoque l’intention du promettant de s’engager à obtenir le fait du tiers (Cass. 1re civ., 17 juill. 2001, n° 98-10.827). Cette rigueur protège contre le risque d’une requalification abusive de toute promesse pour autrui en porte-fort.

Ainsi conçu, le contrat de porte-fort ne saurait être invoqué pour pallier la nullité d’un engagement entaché d’un vice de forme (Cass. com., 8 sept. 2015, n° 14-14.208), ni pour contourner des dispositions d’ordre public, telles que celles relatives au logement de la famille dans le cadre du régime matrimonial (Cass. 1re civ., 11 oct. 1989, n° 88-13.631). Il demeure un outil juridique à la fois souple et exigeant, qui repose sur un équilibre subtil entre liberté contractuelle et responsabilité personnelle.

Enfin, il convient de rejeter la tentation doctrinale de réduire le porte-fort à un simple contrat de couverture d’un risque. Si certaines analyses, à l’instar de celles d’E. Netter ou de J. Boulanger, ont tenté de rapprocher le porte-fort d’un mécanisme assurantiel, cette lecture apparaît réductrice. Contrairement à l’assureur, le porte-fort ne perçoit généralement aucune rémunération, n’est pas soumis à agrément, et surtout ne se borne pas à compenser un risque : il s’engage à l’éviter. Comme le résume pertinemment Isabelle Riassetto, « le porte-fort ne se contente pas de couvrir un risque : il s’oblige à l’empêcher de se réaliser ».

§2: Evolution

==>Origines

Dans le droit romain, le principe de l’intuitus personae gouvernait la formation des obligations et interdisait à quiconque d’engager un tiers sans son consentement. Conformément à la règle res inter alios acta, un contrat ne pouvait produire d’effet qu’entre les parties qui y avaient directement consenti. L’idée même qu’un individu puisse lier autrui contre son gré heurtait les fondements du formalisme juridique romain. Pourtant, certains fragments du droit classique laissaient entrevoir une préfiguration du porte-fort. L’un des exemples les plus significatifs est fourni par les Institutes de Justinien : Si quis effecturum se ut Tituis daret, spoponderit, obligatur (« Si quelqu’un promet qu’il fera en sorte que Titius donne, il est tenu »). Bien que le tiers restât libre de refuser, le promettant pouvait néanmoins être contraint à indemniser l’autre partie en cas d’échec. Loin de constituer une obligation pesant sur le tiers, cet engagement reposait sur une obligation propre du promettant, qui s’engageait à user de tous moyens pour atteindre le résultat souhaité.

Au fil des siècles, la rigidité du droit romain s’est atténuée sous l’influence des usages commerciaux et des pratiques féodales. Durant le Moyen Âge, la promesse de porte-fort s’est développée sous des formes variées, souvent dictées par des rapports de force plus que par une conception purement contractuelle. Le garant pouvait être un seigneur influent, un prince ou un suzerain, dont l’engagement consistait à user de son autorité, voire de la contrainte, pour obtenir du tiers qu’il exécute une obligation. L’histoire rapporte ainsi l’exemple du comte de Champagne, qui, en 1231, s’engagea auprès des bourgeois de Neufchâteau à contraindre militairement le duc de Lorraine à respecter ses engagements. À cette époque, la promesse de porte-fort n’était donc pas encore un mécanisme juridique structuré, mais une pratique informelle, souvent liée à des rapports de dépendance ou à une influence politique.

Avec la codification napoléonienne, la promesse de porte-fort fit son entrée dans le Code civil sous l’article 1120, qui affirmait que l’on peut se porter fort pour un tiers en promettant le fait de celui-ci, sauf à indemniser en cas de refus d’exécution du tiers. Toutefois, ce texte soulevait plusieurs difficultés. Insérée dans le chapitre consacré au consentement des parties, la promesse de porte-fort semblait être traitée comme une exception au principe de l’effet relatif des contrats, sans que son régime propre ne soit véritablement précisé. Le texte ne distinguait pas les différentes formes de porte-fort et n’explicitait pas clairement les obligations du promettant.

==>Porte-fort de ratification et porte-fort d’exécution

Face aux incertitudes entourant la portée de l’engagement du porte-fort, la jurisprudence s’attacha progressivement à en clarifier la nature. Deux formes distinctes de promesse de porte-fort furent ainsi dégagées. La première, dite porte-fort de ratification, repose sur l’engagement du promettant à obtenir du tiers qu’il ratifie rétroactivement un acte accompli en son nom, mais sans son consentement préalable. Cette technique s’est développée en droit des sociétés, notamment dans les hypothèses où une société en formation voit ses représentants conclure des engagements qui nécessitent une approbation postérieure des organes sociaux. La seconde forme, désignée sous le nom de porte-fort d’exécution, est apparue progressivement dans la jurisprudence du XIX? et du XX? siècle. Ici, le promettant ne se borne pas à garantir une ratification ultérieure, mais s’engage à ce que le tiers exécute effectivement une obligation. Si le tiers venait à refuser, le promettant pouvait alors être tenu de répondre personnellement du préjudice subi par le bénéficiaire, en lui versant des dommages-intérêts.

L’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 13 décembre 2005 s’inscrit pleinement dans cette évolution jurisprudentielle visant à clarifier le régime de la promesse de porte-fort en distinguant le porte-fort de ratification et le porte-fort d’exécution (Cass. com. 13 déc. 2005, n°03-19.217). Dans cet arrêt, la Cour de cassation énonce le principe selon lequel celui qui se porte fort pour un tiers en promettant la ratification par ce dernier d’un engagement est tenu d’une obligation autonome dont il se trouve déchargé dès la ratification par le tiers, tandis que celui qui se porte fort de l’exécution d’un engagement par un tiers s’engage accessoirement à l’engagement principal souscrit par ce dernier et à y satisfaire si le tiers ne l’exécute pas lui-même. Par cette distinction, la Haute juridicition affirme que le porte-fort de ratification constitue une obligation propre du promettant, qui disparaît une fois le tiers ratifiant l’acte, tandis que le porte-fort d’exécution l’assimile à un garant, contraint de répondre personnellement en cas de défaillance du tiers.

L’affaire en question portait sur un acquéreur qui, après avoir signé un protocole d’accord pour l’acquisition d’un fonds de commerce, avait indiqué qu’une société en formation se substituerait à lui pour la signature et l’exécution du contrat, tout en précisant qu’il se portait garant de la parfaite exécution des obligations de cette société. Toutefois, la société ayant ultérieurement fait défaut, les créanciers se sont retournés contre l’acquéreur en invoquant la promesse de porte-fort qu’il avait souscrite.

La cour d’appel, après avoir analysé les engagements successifs, avait estimé que l’acquéreur ne s’était pas engagé comme caution mais avait souscrit une promesse de porte-fort, en promettant que la société exécuterait effectivement les obligations prévues. La Cour de cassation casse cette décision en reprochant aux juges du fond de ne pas avoir recherché si les actes litigieux comportaient une mention manuscrite exprimant de manière claire et non équivoque la portée exacte de l’engagement du promettant. Elle rappelle ainsi que la qualification de porte-fort d’exécution implique une exigence accrue de précision quant à l’intention du promettant et à l’étendue de son obligation.

Cette distinction, qui avait déjà été analysée par la doctrine, notamment par Planiol, trouve ainsi une consécration explicite. Elle s’inscrit dans une approche où le porte-fort de ratification et le porte-fort d’exécution obéissent à des logiques distinctes : tandis que le premier permet de régulariser un engagement contracté sans pouvoir, en le validant rétroactivement par la ratification du tiers, le second impose au promettant une obligation propre et subsidiaire, qui lui fait supporter les conséquences d’une inexécution éventuelle du tiers. Comme le soulignera plus tard Philippe Simler, cette dernière forme de porte-fort s’apparente à une sûreté personnelle sui generis, renforçant la sécurité contractuelle sans pour autant se confondre avec un cautionnement stricto sensu.

==>Réforme du droit des obligations

La réforme du 10 février 2016 a définitivement consacré cette construction doctrinale et jurisprudentielle en intégrant la promesse de porte-fort dans le titre du Code civil relatif aux effets des contrats à l’égard des tiers. Cette modification a permis de lever l’ambiguïté entourant la nature de cet engagement. L’article 1203 du Code civil dispose que « on ne peut s’engager en son propre nom que pour soi-même », rappelant ainsi que la promesse de porte-fort ne crée pas d’obligation pour le tiers, mais uniquement pour le promettant. L’article 1204, quant à lui, établit une distinction claire entre les conséquences de la promesse selon que le tiers s’exécute ou non. Il prévoit que « le promettant est libéré de toute obligation si le tiers accomplit le fait promis », mais qu’à défaut, « il peut être condamné à des dommages-intérêts ». L’alinéa 3 précise en outre que lorsque la promesse de porte-fort porte sur une ratification, celle-ci produit un effet rétroactif, confirmant ainsi une solution admise en jurisprudence de longue date.

L’un des apports essentiels de la réforme du 10 février 2016 réside dans la consécration explicite du porte-fort d’exécution, dont la reconnaissance jusqu’alors reposait essentiellement sur la pratique contractuelle et l’interprétation jurisprudentielle. En lui conférant un fondement légal, le législateur a définitivement ancré ce mécanisme dans le droit des sûretés personnelles, le positionnant aux côtés du cautionnement et des garanties autonomes.

La doctrine s’est largement fait l’écho de cette évolution. Philippe Simler souligne ainsi que le porte-fort d’exécution constitue une sûreté personnelle atypique, distincte du cautionnement, en ce qu’il fait peser sur le promettant une obligation propre et non une simple garantie accessoire. Contrairement au cautionnement, où la caution s’engage à répondre d’une dette en cas de défaillance du débiteur principal, la promesse de porte-fort d’exécution n’impose pas au promettant de se substituer au tiers dans l’exécution de l’engagement promis. Elle lui impose seulement une obligation de moyens : il doit déployer tous les efforts nécessaires pour obtenir du tiers qu’il s’exécute, sans pour autant garantir le résultat.

L’efficacité de ce mécanisme repose donc sur la capacité du promettant à influencer le tiers et sur la confiance accordée par le bénéficiaire dans la faculté du promettant à obtenir l’exécution de l’engagement promis. Cette reconnaissance légale, en clarifiant la nature et les effets du porte-fort d’exécution, permet ainsi de sécuriser les opérations contractuelles, en offrant aux parties un instrument intermédiaire entre la simple promesse et la garantie pure et simple d’exécution.

En clarifiant le régime juridique du porte-fort et en mettant fin aux incertitudes entourant son application, la réforme de 2016 a définitivement intégré cet instrument dans le corpus du droit des obligations. Après une lente maturation doctrinale et jurisprudentielle, il s’impose aujourd’hui comme un outil incontournable de la pratique contractuelle, offrant aux parties un mécanisme souple et efficace pour sécuriser leurs engagements.

§3: Fonctions

I) Le porte-fort de ratification

A) Les fonctions assignées au porte-fort de ratification

Le porte-fort de ratification, consacré par l’article 1204 du Code civil, joue un rôle essentiel en droit des obligations. Il permet à une personne de s’engager à ce qu’un tiers, qui n’a pas initialement consenti à un acte, le ratifie ultérieurement. Ce mécanisme présente une double utilité : il offre au cocontractant une sécurité en lui garantissant que l’acte pourra être confirmé, tout en laissant au tiers la liberté d’accepter ou de refuser cette ratification.

Historiquement, le porte-fort de ratification est né d’un besoin de flexibilité contractuelle. Il visait à assurer la validité d’un engagement pris sans pouvoir préalable, en garantissant qu’il serait ratifié par l’intéressé une fois en mesure de le faire. Planiol soulignait déjà que le porte-fort de ratification « ne vise pas à imposer une obligation à un tiers, mais à garantir qu’il donnera son consentement, sous peine pour le promettant de devoir indemniser le cocontractant »[5].

L’une des avancées majeures de la réforme du 10 février 2016 réside dans la clarification des effets de la ratification. Désormais, lorsque le tiers confirme l’engagement promis, cette validation remonte rétroactivement à la date de la promesse de porte-fort, comme le prévoit expressément l’article 1204 du Code civil. Cette consécration met un terme aux incertitudes doctrinales et jurisprudentielles qui entouraient jusqu’alors la portée de la ratification.

L’un des premiers terrains d’application du porte-fort de ratification fut le droit des incapacités, où il palliait l’incapacité juridique de certaines personnes à s’engager directement. Avant l’entrée en vigueur de la réforme du 5 mars 2007, qui a introduit l’article 507 du Code civil, cette technique était fréquemment utilisée pour contourner les lourdeurs inhérentes au régime de protection des incapables. Ainsi, le représentant d’un mineur ou d’un majeur protégé pouvait conclure un acte en se portant fort de la ratification ultérieure de l’intéressé, une fois celui-ci devenu juridiquement capable.

Ce procédé offrait une alternative aux partages judiciaires, traditionnellement longs et onéreux, en permettant la conclusion d’un partage amiable assorti d’une promesse de ratification. Il assurait ainsi une certaine fluidité dans la gestion patrimoniale des incapables tout en conférant une sécurité aux cocontractants.

La jurisprudence a, par ailleurs, admis que le représentant légal d’un mineur puisse acquérir un bien immobilier en son nom, en se portant fort que l’intéressé ratifierait la transaction à sa majorité (Cass. 3e civ., 6 nov. 1970, n°69-12.426). Ce mécanisme permettait d’anticiper des opérations patrimoniales essentielles sans attendre l’extinction de l’incapacité, tout en garantissant au vendeur la conclusion effective de la transaction. En cas de refus de ratification par l’incapable devenu majeur, le promettant restait tenu de réparer le préjudice subi par l’autre partie, renforçant ainsi la sécurité juridique des transactions conclues sous ce régime.

Le porte-fort de ratification joue également un rôle en matière d’indivision. Un indivisaire ne peut, en principe, engager ses coïndivisaires sans leur consentement préalable. Toutefois, en se portant fort de leur ratification ultérieure, il apporte une souplesse bienvenue dans la gestion des biens indivis, en permettant d’éviter l’inertie qui résulterait de l’impossibilité d’obtenir immédiatement l’accord de tous les indivisaires.

Cette technique se révèle particulièrement utile dans le cadre des mandats de vente. Un indivisaire peut ainsi mandater un agent immobilier en garantissant que les autres indivisaires confirmeront la cession. Ce procédé permet de sécuriser l’opération pour l’acheteur potentiel tout en évitant d’attendre que chaque coïndivisaire donne son accord préalable.

Toutefois, cette méthode n’est pas exempte de risques. En cas de décès d’un coïndivisaire avant qu’il n’ait pu ratifier l’acte, la validité de l’engagement peut être remise en question, exposant ainsi le promettant à une responsabilité contractuelle. Dans cette hypothèse, le cocontractant peut exiger une indemnisation si la ratification promise n’a finalement pas lieu.

L’efficacité de ce mécanisme repose donc sur la capacité du promettant à anticiper les intentions des coïndivisaires, sans pour autant avoir l’assurance absolue de leur adhésion. Cette incertitude inhérente au porte-fort de ratification a conduit Ripert à affirmer que « la promesse de porte-fort projette une obligation conditionnelle qui dépend entièrement de la volonté d’un tiers, là où d’autres garanties créent un engagement direct »[6]. Loin d’être une sûreté classique, le porte-fort de ratification demeure un engagement délicat, où la crédibilité du promettant joue un rôle déterminant dans la réussite de l’opération.

Le droit des sociétés constitue un autre domaine privilégié d’application du porte-fort de ratification. Son utilité se manifeste notamment dans les hypothèses où un organe social excède ses pouvoirs en concluant un contrat qui nécessite l’approbation ultérieure d’un autre organe, tel que l’assemblée générale des actionnaires.

Avant l’adoption de la loi du 24 juillet 1966, les actes accomplis pour le compte d’une société en formation étaient systématiquement assortis d’une promesse de porte-fort, faute de quoi le signataire restait personnellement engagé. L’article L. 210-6 du Code de commerce a depuis lors formalisé cette pratique en prévoyant que la société peut reprendre les actes passés en son nom avant son immatriculation, mais cette reprise ne se fait qu’à l’initiative des organes compétents.

Le porte-fort de ratification est également utilisé dans les groupes de sociétés, où une société mère peut se porter fort que sa filiale ratifiera un engagement contracté en son nom (Cass. com., 25 mai 1970). Ce mécanisme est particulièrement stratégique dans des opérations nécessitant une réactivité immédiate, où il est impossible d’attendre l’approbation formelle de l’ensemble des actionnaires ou des organes de direction.

Enfin, la technique est largement employée en matière de cession de droits sociaux, où elle permet d’assurer que certains engagements seront ratifiés par les actionnaires ou les dirigeants d’une société cédée. La jurisprudence a admis qu’un cédant puisse se porter fort de la cession des actions de certains associés à un tiers, garantissant ainsi la réalisation de l’opération sous peine de voir sa responsabilité engagée (Cass. com., 22 juill. 1986).

B) Distinctions avec d’autres opérations juridiques

La promesse de porte-fort de ratification se distingue nettement d’autres mécanismes contractuels qui, bien que partageant certaines similitudes, obéissent à des logiques et des effets juridiques distincts. Qu’il s’agisse du mandat, de la représentation sans pouvoir, de la promesse de bons offices ou encore de la convention de prête-nom, l’analyse de ces figures révèle des différences fondamentales quant à la portée de l’engagement du promettant et aux effets juridiques attachés à l’intervention du tiers.

==>Promesse de porte-fort et mandat

Si la promesse de porte-fort de ratification repose sur l’engagement d’un promettant à obtenir l’adhésion d’un tiers à un acte, elle se distingue fondamentalement du mandat en ce que le porte-fort agit en dehors de toute investiture préalable de la part du tiers concerné. Le mandataire, en vertu des articles 1984 et suivants du Code civil, agit au nom et pour le compte du mandant, en vertu d’un pouvoir qui lui a été conféré. À l’inverse, le porte-fort n’intervient pas comme représentant du tiers, mais en son nom propre et sous sa seule responsabilité.

La jurisprudence a consacré cette distinction en affirmant que la qualité de porte-fort est exclusive de celle de mandataire. Ainsi, un indivisaire qui vend un bien indivis en se portant fort de la ratification de son coïndivisaire ne peut être considéré comme son mandataire, de sorte que le refus de ratification entraîne la résolution de l’acte (CA Riom, 14 janv. 1982). De même, la Cour de cassation a rappelé qu’un individu qui dépasse les pouvoirs qui lui avaient été conférés ne peut se prévaloir du mandat mais, au mieux, être tenu comme porte-fort s’il promet la ratification du mandant (Cass. com., 6 févr. 2007, n° 05-14.660.).

Loin de créer un lien de représentation entre le tiers et le bénéficiaire de la promesse, la promesse de porte-fort place le promettant dans une situation autonome : il prend sur lui l’engagement d’obtenir l’adhésion du tiers et en supporte les conséquences en cas d’échec.

==>Promesse de porte-fort et représentation sans pouvoir

La promesse de porte-fort de ratification présente, à première vue, certaines similitudes avec l’hypothèse de la représentation sans pouvoir. L’article 1156 du Code civil prévoit en effet que l’acte accompli par un pseudo-représentant, c’est-à-dire par une personne se présentant comme mandataire sans y avoir été habilitée, est inopposable au tiers tant que celui-ci ne l’a pas ratifié. Ce mécanisme repose ainsi sur une validation rétroactive de l’acte par le représenté, logique que l’on retrouve, en apparence, dans le cadre du porte-fort de ratification.

Toutefois, cette parenté est trompeuse. Une distinction s’impose : le pseudo-représentant, en agissant au nom d’autrui, ne s’engage pas personnellement. Il se borne à revendiquer un pouvoir dont l’existence conditionne l’efficacité de l’acte. Si la ratification n’intervient pas, l’acte reste sans effet à l’égard du tiers prétendument représenté, mais n’engage pas davantage celui qui en a pris l’initiative. Il en va tout autrement dans le mécanisme du porte-fort : le promettant n’entend pas agir au nom du tiers, mais en son nom propre. Il assume ainsi un engagement personnel et autonome, consistant à obtenir la ratification du tiers. En cas de refus de celui-ci, le promettant est tenu d’indemniser le cocontractant du préjudice résultant de l’inexécution de son obligation de faire.

Comme l’a souligné Alain Benabent, le porte-fort constitue une forme de « fausse représentation ». Cette expression rend compte de l’apparente proximité entre les deux figures, tout en soulignant leur différence de nature. Le mandat, désormais encadré aux articles 1153 à 1161 du Code civil depuis l’ordonnance du 10 février 2016, suppose en effet une habilitation préalable conférant au mandataire le pouvoir d’engager le mandant. Le porte-fort, au contraire, repose sur l’absence de tout pouvoir représentatif. Comme l’a écrit Delvincourt dès 1813, « si même je contracte au nom d’une personne dont je n’ai de pouvoir, ni légal, ni conventionnel, et que je me porte fort pour elle, je suis censé par là garantir à l’autre partie la ratification de celui au nom duquel j’ai agi, et m’obliger au paiement des dommages-intérêts, en cas de non-ratification ».

Cette différence entre les deux opérations explique que les actes accomplis par le porte-fort n’engagent pas le tiers pour lequel il se porte garant. Ce dernier n’intervient pas dans l’acte, et ne peut y être tenu qu’en cas de ratification expresse. C’est pourquoi la jurisprudence considère que la qualité de porte-fort est incompatible avec celle de mandataire (Cass. com., 6 févr. 2007, n° 05-14.660). Le promettant agit donc exclusivement en son propre nom et pour son propre compte, même s’il s’engage à rapporter ultérieurement le fait d’un tiers.

Enfin, si certains auteurs ont pu voir dans le porte-fort une modalité particulière de la représentation, cette assimilation se heurte à une limite structurelle : la représentation suppose un pouvoir donné par le représenté, là où le porte-fort agit sans autorisation préalable. Cette différence est d’autant plus significative qu’elle empêche d’expliquer certaines variantes du porte-fort, au premier rang desquelles le porte-fort d’exécution, pour lequel la logique de la représentation s’avère inopérante.

Ainsi, la promesse de porte-fort n’est pas un simple ersatz de la représentation sans pouvoir. Elle en épouse certains contours formels, mais s’en écarte résolument dans sa substance, en érigeant en engagement personnel ce qui, dans la représentation, repose sur un pouvoir d’autrui.

==>Promesse de porte-fort et promesse de bons offices

La promesse de porte-fort de ratification ne saurait être confondue avec la simple promesse de bons offices, bien que toutes deux tendent vers un même objectif : obtenir d’un tiers qu’il adopte un comportement déterminé, qu’il s’agisse de ratifier un acte ou de conclure une convention. Pourtant, la nature juridique de ces deux engagements diffère fondamentalement.

La promesse de bons offices se définit classiquement comme l’engagement d’une personne à « user de tous les moyens en son pouvoir pour obtenir l’engagement d’un tiers ». Elle repose ainsi sur une obligation de moyens. Le promettant ne garantit aucunement le résultat de son intervention, mais seulement sa diligence : il s’engage à faire ses meilleurs efforts, à déployer une activité, sans pouvoir être tenu responsable si celle-ci n’aboutit pas. En cas d’échec, le créancier n’est fondé à obtenir réparation que s’il démontre que le promettant a manqué à cette obligation de moyens – ce qui suppose, en pratique, la preuve d’une carence dans les diligences déployées.

C’est précisément cette logique que la Cour de cassation a illustrée dans un arrêt du 7 mars 1978 : elle y a jugé qu’un héritier, qui s’était engagé à favoriser l’accord de son cohéritier pour la cession d’un bien, ne s’était pas porté fort, faute d’avoir promis expressément d’obtenir cette adhésion. L’engagement pris ne dépassait donc pas la sphère des bons offices, et n’emportait pas d’obligation indemnitaire en cas d’échec de la transaction (Cass. 3e civ., 7 mars 1978, n°76-14.534).

En revanche, le promettant d’un porte-fort de ratification contracte une véritable obligation de faire, au sens de l’article 1204 du Code civil. Son engagement est personnel et autonome: il promet, non pas de tenter d’obtenir la ratification du tiers, mais de l’obtenir effectivement. L’échec de cette ratification constitue, en tant que tel, une inexécution fautive de son obligation, ouvrant droit à réparation. En ce sens, le porte-fort s’oblige à un résultat. La doctrine ne cesse de rappeler que cette promesse revêt une véritable valeur juridique, par opposition à ce que Jean Carbonnier qualifiait de « promesse morale de bons offices », impropre à engager juridiquement son auteur.

Cela étant, la frontière entre les deux mécanismes n’est pas toujours tracée avec la rigueur que l’on pourrait souhaiter. Ainsi, dans un arrêt du 29 février 2000, la chambre commerciale de la Cour de cassation a pu affirmer que le porte-fort est tenu « d’une obligation de moyens à l’égard de son cocontractant » (Cass. com., 29 févr. 2000, n° 96-13.604). Cette formulation, pour le moins ambivalente, a nourri les débats doctrinaux quant à l’intensité de l’obligation pesant sur le porte-fort, certains auteurs estimant que l’on pourrait concevoir une gradation entre le porte-fort et les bons offices, une sorte de « porte-fort atténué », en deçà de l’engagement de plein exercice.

Pour autant, cette tentation de dilution ne doit pas conduire à altérer la spécificité juridique du mécanisme. Le critère décisif demeure : alors que la promesse de bons offices est purement potestative et s’analyse en une obligation de moyens dépourvue d’effet automatique, le porte-fort implique une obligation ferme, dont l’inexécution engage nécessairement la responsabilité contractuelle de son auteur. Là où l’un propose un soutien, l’autre garantit un aboutissement.

En définitive, si les deux engagements peuvent être formulés dans des termes voisins, leur régime et leurs effets divergent profondément. L’un se borne à appuyer, l’autre à s’engager. Le premier repose sur la diligence, le second sur l’effectivité. C’est là, toute la différence entre la simple bienveillance du négociateur et l’engagement ferme du garant.

==>Promesse de porte-fort et convention de prête-nom

La promesse de porte-fort de ratification ne doit pas être assimilée à la convention de prête-nom, bien que ces deux mécanismes impliquent l’intervention d’un tiers dans une opération juridique.

Dans une convention de prête-nom, une personne conclut un acte en son nom propre mais pour le compte d’un tiers qui demeure caché. À l’inverse, dans la promesse de porte-fort, le tiers est identifié et sa ratification est attendue pour valider l’acte. Cette distinction a été rappelée par la Cour de cassation dans un arrêt du 21 janvier 2004, où elle a souligné que, dans le prête-nom, l’acquéreur apparent dissimule l’acquéreur réel, tandis que dans le porte-fort, l’existence du tiers est révélée dès la conclusion de l’acte (Cass. com., 21 janv. 2004, n° 00-14.211).

D’autre part, la convention de prête-nom emporte une transmission automatique des droits sur l’acte conclu par le prête-nom au bénéficiaire réel, tandis que dans le porte-fort de ratification, l’acte ne produit effet à l’égard du tiers que s’il consent expressément à sa ratification.

II) Le porte-fort d’exécution

A) Fonctions assignées au porte-fort d’exécution

Initialement conçu comme un instrument garantissant la ratification d’un engagement contracté par un tiers, le porte-fort a progressivement élargi son champ d’application pour remplir une autre fonction: l’exécution par ce tiers de l’engagement qu’il a souscrit. Cette évolution, consacrée par la jurisprudence et désormais admise en doctrine, a permis au porte-fort de se positionner comme un mécanisme de garantie contractuelle, particulièrement prisé dans les relations d’affaires et les montages contractuels complexes.

Longtemps, la jurisprudence a cantonné la promesse de porte-fort à un engagement de ratification, excluant toute assimilation à une sûreté personnelle. Ce positionnement strict s’appuyait sur la conception classique selon laquelle le porte-fort ne faisait que garantir l’adhésion future d’un tiers à un acte, sans s’engager sur l’exécution effective d’une obligation par ce dernier.

Toutefois, dès les années 1980, la pratique contractuelle a conduit à une relecture de cette notion, ouvrant la voie à la reconnaissance d’un porte-fort d’exécution. Désormais, le promettant ne s’engage plus seulement à obtenir l’adhésion du tiers, mais à garantir que ce dernier respectera l’obligation promise. En cas d’inexécution, le promettant devient alors débiteur d’une obligation de réparation, le plus souvent sous forme d’indemnisation du cocontractant lésé.

Le porte-fort d’exécution s’est particulièrement développé dans le cadre des relations d’affaires. Il est fréquemment utilisé pour sécuriser des engagements dont l’exécution dépend d’une entité tierce, notamment :

Dans toutes ces hypothèses, l’engagement du porte-fort ne consiste pas à contraindre le tiers, mais à compenser les conséquences d’une éventuelle inexécution.

L’émergence du porte-fort d’exécution a suscité des débats quant à sa nature juridique. Certaines décisions jont tenté de le rapprocher du cautionnement, en raison de sa fonction de garantie accessoire à un engagement principal. Dans un arrêt du 13 décembre 2005, la Cour de cassation a ainsi distingué le porte-fort de ratification, qui est une obligation autonome, du porte-fort d’exécution, qui s’analyse comme un engagement accessoire à l’obligation principale (Cass. com., 13 déc. 2005, n° 03-19.217).

Toutefois, cette assimilation au cautionnement n’a jamais été totalement admise. La doctrine s’accorde à reconnaître que le porte-fort d’exécution conserve une autonomie propre, distincte des sûretés personnelles traditionnelles, en ce qu’il repose sur une obligation de faire et non une obligation de paiement. Contrairement au cautionnement, qui impose au garant de s’exécuter à la place du débiteur en cas de défaillance, le porte-fort d’exécution ne crée pas d’obligation substitutive, mais uniquement une responsabilité contractuelle en cas de non-respect de l’engagement promis.

La réforme du droit des contrats opérée par l’ordonnance du 10 février 2016 a consacré la dualité du mécanisme du porte-fort en introduisant une distinction implicite entre le porte-fort de ratification et le porte-fort d’exécution. L’alinéa 2 de l’article 1204 du Code civil dispose ainsi que « si le tiers accomplit le fait promis », laissant entendre que l’engagement du promettant peut porter non seulement sur la ratification d’un acte, mais également sur son exécution.

Cette reconnaissance législative met un terme aux incertitudes doctrinales et jurisprudentielles qui entouraient la qualification du porte-fort d’exécution. Désormais, il est admis que ce dernier constitue une véritable garantie contractuelle, permettant de sécuriser des engagements sans nécessairement recourir aux mécanismes de cautionnement ou de garantie autonome.

B) Distinctions avec d’autres opérations juridiques

Le porte-fort d’exécution se distingue nettement d’autres mécanismes de garantie, bien qu’il partage avec eux certaines caractéristiques. Son originalité tient à la nature même de son engagement : le promettant garantit non pas le paiement d’une dette, comme une caution, mais l’accomplissement par un tiers d’un fait juridique déterminé. Cette spécificité a conduit la jurisprudence et la doctrine à examiner ses liens avec d’autres techniques de garantie, tout en insistant sur son autonomie conceptuelle.

==>Porte-fort d’exécution et cautionnement

Le porte-fort d’exécution, bien qu’il tende à garantir l’exécution d’une obligation par un tiers, ne saurait être assimilé au cautionnement, tant les fondements, la nature juridique et le régime de ces deux mécanismes divergent.

Le cautionnement, tel que défini à l’article 2288 du Code civil dans sa version issue de l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, repose sur un engagement subsidiaire et personnel de la caution de satisfaire à l’obligation d’un tiers débiteur en cas de défaillance de ce dernier. Il s’agit donc d’un contrat accessoire par essence, qui lie la caution au créancier dans les mêmes termes que l’obligation principale. La caution s’engage à payer la dette du débiteur, devenant ainsi, en cas d’inexécution, un véritable débiteur de substitution.

À l’inverse, le porte-fort d’exécution repose sur un engagement autonome de faire. Le promettant ne reprend pas à son compte l’obligation du tiers, mais s’engage en son nom propre à obtenir l’exécution de cette obligation par le débiteur principal. En cas d’inexécution, il ne paie pas la dette garantie, mais indemnise le bénéficiaire du préjudice résultant de son propre manquement à cette obligation de faire. La logique est donc indemnitaire, fondée sur la responsabilité contractuelle du promettant.

La jurisprudence a longtemps entretenu une certaine confusion sur ce point. Dans un arrêt emblématique du 13 décembre 2005 (Cass. com., 13 déc. 2005, n° 03-19.217), la Cour de cassation a qualifié l’engagement du porte-fort d’exécution d’« accessoire à l’engagement principal souscrit par le tiers », ajoutant que le promettant s’engage « à y satisfaire si le tiers ne l’exécute pas lui-même ». Une telle formule, empruntée au régime du cautionnement, laissait entendre que le porte-fort s’apparenterait à une sûreté personnelle accessoire, susceptible d’être requalifiée, selon les circonstances, en cautionnement. Cette assimilation a d’ailleurs été reprise dans plusieurs arrêts postérieurs.

Toutefois, cette position a été abandonnée au profit d’une approche plus fidèle à la nature indemnitaire du porte-fort. Dans un arrêt du 18 juin 2013 (Cass. com., 18 juin 2013, n° 12-18.890), la chambre commerciale a expressément écarté l’application de l’article 1326 du Code civil, en retenant que l’engagement de porte-fort constitue une obligation de faire. Elle a ainsi affirmé l’autonomie de cet engagement par rapport à l’obligation principale garantie, consacrant définitivement la spécificité du mécanisme. Cette solution a été réaffirmée par la suite (Cass. com., 8 juill. 2014, n° 13-14.777), contribuant à clarifier les frontières entre le porte-fort d’exécution et le cautionnement.

La doctrine dominante a salué cette clarification, en soulignant que le porte-fort d’exécution, loin d’être un cautionnement déguisé, obéit à une logique profondément différente. Il ne repose pas sur la solidarité ou sur une obligation de paiement subsidiaire, mais sur la réparation du dommage causé par la non-réalisation d’un fait promis. Comme le rappelle Isabelle Riassetto, l’engagement du porte-fort est strictement personnel et indemnitaire : il ne s’agit pas de garantir l’obligation d’autrui, mais de s’engager à en assurer l’exécution par un tiers, à ses risques et périls.

Ce caractère indemnitaire permet également d’écarter l’ensemble des règles spéciales propres au cautionnement, notamment celles relatives au formalisme de l’article 2297 du Code civil ou aux obligations d’information prévues aux articles 2293 et suivants. Le porte-fort d’exécution échappe à ces contraintes, ce qui en fait un outil de garantie souple, adapté aux besoins pratiques des acteurs économiques, notamment dans les montages contractuels impliquant des sociétés en formation ou des groupes de sociétés.

Ainsi, si le porte-fort d’exécution et le cautionnement partagent un objectif commun – garantir l’exécution d’une obligation –, leur structure juridique, leur régime applicable et la nature de l’engagement qu’ils recouvrent divergent fondamentalement. Le premier s’inscrit dans une logique d’engagement autonome de faire, générateur d’une responsabilité contractuelle en cas de manquement, là où le second repose sur une logique d’engagement subsidiaire de paiement. C’est précisément cette distinction conceptuelle qui justifie le refus, aujourd’hui consolidé, d’assimiler le porte-fort d’exécution au cautionnement.

==>Porte-fort d’exécution et garantie autonome

L’article 2321 du Code civil définit la garantie autonome comme l’engagement, pris en considération d’une obligation souscrite par un tiers, de verser une somme d’argent à première demande ou selon des modalités prédéterminées. Sa spécificité tient à son détachement radical de l’obligation principale : le garant s’engage de manière indépendante, sans pouvoir opposer les exceptions que le débiteur pourrait faire valoir. C’est ce mécanisme d’engagement abstrait, affranchi du sort de la dette garantie, qui confère à cette sûreté son caractère proprement autonome.

À l’inverse, le porte-fort d’exécution poursuit une finalité toute différente : il ne consiste pas en un engagement pécuniaire prédéterminé, mais en une obligation de faire. Le promettant s’engage à obtenir du tiers l’exécution d’une obligation déterminée, et n’est tenu d’indemniser le bénéficiaire qu’en cas d’échec de cette démarche. Il s’agit donc d’un engagement de comportement, et non d’un engagement de paiement. La nature indemnitaire du mécanisme a été confirmée par la Cour de cassation, laquelle a précisé que l’engagement du porte-fort repose sur les règles de la responsabilité contractuelle (Cass. com., 25 janv. 2005, n° 01-15.926), ce qui implique que la réparation est fonction du préjudice effectivement subi, et non d’un montant forfaitaire convenu à l’avance.

Certes, plusieurs arrêts ont qualifié le porte-fort d’engagement personnel autonome (Cass. 1re civ., 16 avr. 2015, n° 14-13.694), et une partie de la doctrine a repris cette formule pour souligner l’indépendance de l’obligation du promettant à l’égard du tiers. Toutefois, cette autonomie ne suffit pas à confondre le porte-fort d’exécution avec la garantie autonome visée à l’article 2321 du Code civil. Il ne s’agit ni d’un engagement de paiement à première demande, ni d’une promesse abstraite et détachée de toute inexécution préalable : le porte-fort n’intervient qu’en second lieu, pour réparer un manquement du tiers, et uniquement à hauteur du dommage prouvé.

Par ailleurs, contrairement à la garantie autonome, le porte-fort n’a jamais vocation à produire un effet libératoire immédiat pour le créancier. Il n’enclenche pas un mécanisme de substitution financière automatique, mais ouvre droit, le cas échéant, à des dommages et intérêts, selon une logique purement indemnitaire. Ce caractère indemnitaire exclut d’ailleurs toute assimilation au modèle de la garantie autonome, sauf à ce que le porte-fort soit assorti d’une clause pénale fixant par avance l’indemnité due en cas de manquement – hypothèse très particulière que certains auteurs mentionnent comme pouvant troubler la frontière conceptuelle.

Enfin, la tentation de rapprocher le porte-fort d’exécution d’autres mécanismes abstraits, telle la délégation imparfaite prévue à l’article 1336 du Code civil, doit également être écartée. Si la garantie autonome est parfois analysée comme une forme de délégation dans laquelle le garant s’oblige directement envers le créancier, le porte-fort d’exécution n’opère aucune substitution de débiteur. Le promettant ne s’engage pas à satisfaire personnellement à l’obligation du tiers : il garantit seulement que celui-ci l’exécutera, et répond de son propre fait si l’exécution échoue.

En somme, si le porte-fort d’exécution peut, à certains égards, paraître autonome dans son engagement, il ne revêt en aucun cas les caractéristiques essentielles de la garantie autonome au sens de l’article 2321. Il demeure un engagement de faire, structuré autour d’une logique indemnitaire fondée sur l’inexécution d’un fait promis, et ne saurait être confondu avec un instrument financier de paiement automatique.

==>Porte-fort d’exécution et assurance-crédit

L’assurance-crédit, bien qu’indemnitaire comme le porte-fort d’exécution, repose sur une logique différente : elle garantit exclusivement le non-recouvrement d’une créance en cas d’insolvabilité du débiteur.

Ainsi :

  • L’assurance-crédit couvre uniquement une obligation de paiement, tandis que le porte-fort d’exécution peut concerner toute obligation contractuelle.
  • L’indemnisation de l’assurance-crédit dépend de la survenance d’un sinistre économique (l’insolvabilité du débiteur), tandis que le porte-fort d’exécution engage la responsabilité du promettant dès que le tiers n’exécute pas son obligation.

==>Porte-fort d’exécution et délégation imparfaite

La délégation imparfaite implique qu’un délégant obtienne d’un tiers (le délégué) qu’il prenne un engagement envers un créancier (le délégataire).

Contrairement au porte-fort d’exécution :

  • La délégation crée un nouveau rapport d’obligation direct entre le délégataire et le délégué. Le porte-fort d’exécution, en revanche, ne lie pas directement le tiers au créancier, mais impose au promettant une obligation indemnitaire en cas de défaillance du tiers.
  • Le délégué devient débitrice principale du délégataire, tandis que dans le porte-fort d’exécution, le tiers reste le débiteur principal.

==>Porte-fort d’exécution et lettre d’intention

L’article 2322 du Code civil définit la lettre d’intention comme « l’engagement de faire ou de ne pas faire ayant pour objet le soutien apporté à un débiteur dans l’exécution de son obligation envers son créancier ». Par cette définition, le législateur a consacré la spécificité de cette sûreté personnelle, distincte du cautionnement, en insistant sur la notion de soutien, davantage comportementale qu’obligatoire dans ses effets.

Cette finalité rapproche la lettre d’intention du porte-fort d’exécution, dans la mesure où ces deux mécanismes ont pour objet de garantir indirectement l’exécution d’une obligation par un tiers. L’analogie devient particulièrement pertinente lorsque la lettre d’intention comporte une obligation de résultat. Dans une telle hypothèse, son souscripteur s’engage, tout comme le promettant dans une promesse de porte-fort, à faire en sorte que le débiteur principal exécute son obligation, sous peine d’être tenu à indemnisation. Cette convergence a conduit une partie de la doctrine à assimiler les deux figures, estimant que la lettre d’intention à obligation de résultat constitue une variante du porte-fort d’exécution.

Toutefois, cette assimilation ne saurait être générale ni systématique. D’une part, elle ne concerne nullement la lettre d’intention à obligation de moyens, dans laquelle le souscripteur ne promet aucun résultat déterminé, mais seulement de mettre en œuvre les diligences nécessaires pour favoriser l’exécution par le débiteur. En cas d’échec, sa responsabilité n’est engagée que si une faute peut lui être reprochée, ce qui le distingue nettement du porte-fort d’exécution, dont l’engagement est autonome et se résout en une obligation de réparation dès lors que le tiers n’exécute pas l’obligation promise, quelle que soit l’implication du promettant.

D’autre part, même dans l’hypothèse d’une lettre d’intention assortie d’une obligation de résultat, une distinction subsiste quant à l’intensité de l’engagement. Le porte-fort d’exécution impose au promettant de garantir effectivement le comportement du tiers : il s’engage à ce que ce dernier s’exécute, et non à simplement appuyer ou accompagner son exécution. Ce faisant, il assume une responsabilité de plein droit en cas de défaillance du tiers, indépendamment de toute faute ou négligence de sa part. La lettre d’intention, même contraignante, n’atteint généralement pas ce degré de rigueur.

Enfin, il convient de souligner que cette analogie ne vaut qu’à l’égard du porte-fort d’exécution. Le porte-fort de ratification, qui relève de la formation du contrat et non de sa garantie, échappe à cette logique et ne saurait être rattaché, même par analogie, à la lettre d’intention.

Ainsi, si certaines lettres d’intention, par leur formulation, tendent à produire des effets similaires à ceux du porte-fort d’exécution, en particulier lorsqu’elles traduisent une véritable obligation de résultat, la distinction entre les deux mécanismes demeure juridiquement fondée, tant en raison de leur régime que de la nature exacte de l’obligation qu’ils font peser sur leur auteur. Le premier s’analyse en une garantie stricte de comportement, engageant le promettant à réparer l’inexécution, tandis que la seconde, sauf stipulation expresse contraire, conserve une vocation d’assistance, modulée selon l’intensité de l’engagement souscrit.

§4: Régime

I) La conclusion de la promesse de porte-fort

A) La nature de la promesse du porte-fort

La promesse de porte-fort occupe une place singulière au sein du droit des obligations, tant elle se distingue des mécanismes classiques d’engagement ou de garantie. Le promettant ne s’engage ni à représenter autrui, ni à exécuter à sa place, ni même à répondre de ses défaillances. Il contracte en son propre nom l’obligation de faire en sorte qu’un tiers accomplisse un fait déterminé : consentir à un acte, exécuter une prestation, ou encore adopter un certain comportement. Ce qui est promis, ce n’est donc pas un résultat matériel ou juridique, mais l’obtention de l’intervention d’un tiers.

Une telle configuration confère à l’engagement du promettant une physionomie particulière. Il s’agit d’une obligation strictement personnelle, détachée de toute représentation, fondée non sur la substitution, mais sur l’influence. Elle ne repose ni sur l’affectation d’un patrimoine ni sur une logique accessoire, mais sur un lien contractuel propre, dont le contenu et l’intensité font l’objet d’analyses doctrinales contrastées. Faut-il y voir une obligation de faire? Une obligation de résultat ? Ou simplement l’exigence d’un comportement loyal et actif ? L’hésitation même des textes et des jurisprudences révèle la richesse du modèle, et la nécessité d’une lecture nuancée.

C’est dans cette perspective que la promesse de porte-fort s’impose comme une construction contractuelle subtile, où la force de l’engagement tient autant à ce qu’il promet qu’à la manière dont il doit être mis en œuvre.

1. Une obligation de faire

L’engagement contracté par le porte-fort s’analyse traditionnellement comme une obligation de faire. Cette qualification, consacrée de longue date par la jurisprudence, vaut tant pour le porte-fort de ratification (Cass. 1re civ., 16 avr. 1991, n° 89-17.982) que pour le porte-fort d’exécution (Cass. com., 8 juill. 2014, n° 13-14.777). Le promettant ne s’engage ni à exécuter personnellement l’obligation du tiers, ni à s’y substituer, mais à obtenir de ce dernier qu’il réalise le fait promis. Il s’agit d’un engagement de faire advenir un comportement émanant d’autrui.

Certes, la réforme du droit des obligations opérée par l’ordonnance du 10 février 2016 a fait disparaître, à l’article 1101 du Code civil, la célèbre distinction entre les obligations de donner, de faire et de ne pas faire. Pour autant, cette mutation rédactionnelle ne saurait être interprétée comme une suppression de la catégorie elle-même. En pratique, la distinction conserve toute sa portée, notamment dans les régimes d’exécution et de responsabilité. L’obligation du porte-fort reste bien, au sens matériel, une obligation positive, dans laquelle il incombe au promettant d’agir – de se comporter – en vue d’obtenir le fait du tiers.

La nature même de cette obligation permet de souligner ce qui distingue fondamentalement la promesse de porte-fort des sûretés classiques telles que le cautionnement. La caution s’engage à payer ou exécuter en lieu et place du débiteur défaillant. Le porte-fort, en revanche, ne se substitue pas : il intervient. Il ne s’oblige pas à faire ce que le tiers n’a pas fait, mais à agir pour que ce dernier le fasse. Il ne s’agit donc ni d’une obligation pécuniaire, ni d’une obligation d’exécution substitutive, mais bien d’un engagement contractuel distinct, orienté vers l’obtention du comportement d’un tiers.

Une partie de la doctrine considère que le porte-fort ne peut qu’être débiteur d’une prestation positive. Selon cette conception classique, issue notamment des travaux de Frédéric Zenati-Castaing et Thierry Revet, l’engagement du porte-fort suppose nécessairement une intervention, une action, une démarche. Une obligation de ne pas faire, qui se caractérise par une abstention, serait dès lors inconciliable avec la nature même du mécanisme, lequel repose sur l’idée d’un soutien actif apporté au bénéficiaire du contrat.

Cette conception n’est toutefois pas exempte de critiques. Aucun texte ne prohibe expressément qu’un porte-fort s’engage à empêcher un tiers d’adopter un comportement déterminé. L’hypothèse, certes plus marginale, n’en est pas moins concevable : ainsi, un promettant pourrait s’engager à convaincre un tiers de ne pas se désister d’une instance, de ne pas résilier un contrat, ou encore de ne pas violer une clause de non-concurrence. Dans ces cas, la prestation promise consisterait non à susciter une action, mais à prévenir une initiative. Ce faisant, le porte-fort n’agirait pas pour faire advenir un fait, mais pour en empêcher la réalisation.

Dès lors, si l’on veut rendre compte de cette diversité des configurations possibles, la notion d’« obligation de faire », dans son acception stricte, apparaît insuffisante.

C’est dans cette perspective que certains auteurs ont proposé de raisonner non plus en termes d’obligation de faire ou de ne pas faire, mais d’« obligation comportementale ». Cette notion, mise en lumière notamment par Philippe Dupichot, a pour mérite de recentrer l’analyse sur l’essence fonctionnelle de l’engagement du porte-fort : ce qui est exigé de lui n’est pas un résultat matériel défini, mais une attitude déterminée, orientée vers un objectif contractuel.

L’obligation du porte-fort, sous cette lumière, apparaît comme une obligation d’adopter une conduite active, adaptée, appropriée – qu’il s’agisse de provoquer une action ou de contenir une initiative. La frontière entre « faire » et « ne pas faire » s’estompe : ce qui compte, c’est le comportement du promettant et son implication effective dans le processus de réalisation (ou d’empêchement) du fait promis.

Cette approche comportementale permet également de justifier que la promesse de porte-fort échappe au formalisme probatoire de l’article 1376 du Code civil (ancien art. 1326). Comme la jurisprudence l’a désormais confirmé (Cass. com., 18 juin 2013, n°12-18.890), l’objet de l’engagement n’est pas une somme d’argent ni une quantité de biens fongibles, mais un comportement à adopter. L’écrit simple suffit à en rapporter la preuve. La promesse de porte-fort se distingue donc non seulement du cautionnement par sa nature, mais aussi par son régime de preuve.

Une conclusion provisoire : l’obligation du porte-fort comme engagement de comportement

Qu’elle soit formulée en termes d’obligation de faire ou d’obligation comportementale, l’obligation du porte-fort conserve sa spécificité : elle repose sur la mobilisation personnelle du promettant en vue d’obtenir un comportement d’un tiers. Cette mobilisation peut revêtir différentes formes – action, négociation, dissuasion – mais elle suppose toujours une implication volontaire dans un processus contractuel dont le résultat échappe, en dernier ressort, à son contrôle direct.

C’est cette spécificité – l’engagement d’une volonté agissante au service de l’intervention d’un tiers – qui confère au porte-fort sa singularité et justifie son autonomie conceptuelle dans l’architecture des sûretés personnelles.

2. Une obligation personnelle

L’engagement souscrit dans le cadre d’une promesse de porte-fort se distingue par son caractère profondément personnel. Le promettant agit en son nom propre et pour son propre compte, sans recevoir de mandat ni disposer d’aucune délégation de pouvoir émanant du tiers. Il ne représente pas ce dernier : il ne parle pas pour lui, mais s’engage à provoquer son intervention.

Cette précision n’est pas anodine. Elle permet d’écarter toute confusion avec des institutions voisines, telles que la représentation (mandat ou pouvoir légal), la représentation sans pouvoir (soumise à ratification), ou encore la technique du prête-nom. Dans chacun de ces cas, celui qui intervient agit au nom et pour le compte d’un autre, dans le but de produire des effets juridiques à l’égard de ce dernier. Rien de tel dans le mécanisme du porte-fort, où le promettant ne peut créer la moindre obligation dans le chef du tiers.

Il n’y a donc pas de pouvoir de représentation attaché à la promesse de porte-fort. Le tiers reste entièrement libre de refuser d’exécuter le fait promis. Ce que le bénéficiaire tient, ce n’est pas un engagement du tiers, mais l’engagement personnel du promettant d’obtenir ce fait, à défaut de quoi ce dernier engage sa propre responsabilité contractuelle.

Cette autonomie dans l’engagement s’explique par l’essence même du mécanisme. Le promettant ne garantit pas le patrimoine d’un débiteur, comme le ferait une caution ou une sûreté réelle, mais mobilise son propre comportement pour susciter une action d’autrui. Ainsi, la promesse de porte-fort n’emprunte ni à la logique du cautionnement, fondée sur l’accessoire, ni à celle de la représentation, fondée sur la substitution juridique de volonté.

La promesse de porte-fort incarne, à bien des égards, l’expression la plus aboutie d’un engagement volontaire et strictement personnel. Le promettant ne s’efface pas derrière un tiers dont il relayerait la volonté ; il agit en son nom propre, en s’engageant à tout mettre en œuvre pour obtenir l’intervention d’un autre. Son rôle n’est pas de se substituer, mais d’influencer. Il ne représente pas, il mobilise. Ainsi, le lien contractuel ne s’établit qu’entre le promettant et le bénéficiaire : le tiers, objet du fait promis, demeure juridiquement extérieur à la relation, sauf à ratifier lui-même l’acte ou à exécuter l’obligation.

3. Une obligation autonome

Une autre des particularités de la promesse de porte-fort réside dans l’autonomie de l’engagement souscrit par le promettant. Contrairement aux garanties, tel que le cautionnement qui présentent un caractère accessoire, en ce sens qu’elles dépendent étroitement de l’existence et du contenu de l’obligation principale, l’obligation née du porte-fort se déploie indépendamment de l’obligation du tiers à laquelle elle se rapporte. C’est ce qu’a rappelé avec force la chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt du 1er avril 2014, en affirmant que « le porte-fort est tenu envers le bénéficiaire de la promesse des conséquences de l’inexécution de l’engagement promis » (Cass. com., 1er avr. 2014, n° 13-10.629).

L’autonomie de cette obligation se manifeste à deux égards. D’abord, l’existence, la validité ou l’efficacité de l’obligation du tiers ne conditionnent en rien l’engagement du porte-fort : le promettant contracte en son nom propre et engage sa responsabilité dès lors que le fait promis ne se réalise pas, quelle qu’en soit la cause. Ensuite, le bénéficiaire dispose, en vertu de cet engagement, d’un droit personnel direct contre le promettant, indépendamment de toute relation contractuelle ou juridique avec le tiers concerné.

L’autonomie de cette obligation se manifeste à deux égards. D’une part, le promettant contracte en son nom propre : il n’intervient ni comme représentant, ni comme débiteur substitué, mais comme contractant principal. D’autre part, le bénéficiaire dispose, en vertu de cet engagement, d’une créance directe contre le promettant, sans qu’aucun lien juridique n’ait besoin d’exister entre lui et le tiers dont le fait est promis.

C’est précisément cette autonomie qui a permis de dissiper l’ambiguïté entretenue par certaines décisions antérieures – notamment l’arrêt controversé du 13 décembre 2005 (Cass. com., 13 déc. 2005, n° 03-19.217) – qui tendaient à assimiler le porte-fort d’exécution à un cautionnement dissimulé, dès lors que l’objet de la promesse portait sur le paiement d’une somme d’argent. Cette assimilation a été vivement critiquée par la doctrine, qui y voyait une confusion entre deux techniques profondément distinctes, et elle a été abandonnée par la Cour dans sa jurisprudence postérieure.

En effet, le promettant ne s’engage pas à satisfaire l’obligation du tiers en cas de défaillance, mais à obtenir de ce dernier un comportement déterminé. Il ne s’agit donc ni d’un engagement subsidiaire, ni d’une garantie d’exécution, mais d’une obligation principale, autonome, qui trouve sa cause dans l’engagement contractuel librement consenti.

4. Une obligation de résultat… ou de moyens ?

La nature de l’obligation que souscrit le porte-fort a toujours fait l’objet d’un débat nourri, tant en doctrine qu’en jurisprudence. La question est simple dans sa formulation mais complexe dans ses implications : le promettant est-il tenu d’un simple effort ou d’un résultat ? L’analyse de la promesse de porte-fort oscille ainsi, classiquement, entre l’obligation de moyens et l’obligation de résultat, selon la dichotomie théorisée par René Demogue, dont la fortune jurisprudentielle fut considérable, mais dont l’usage en la matière révèle rapidement ses limites.

La jurisprudence majoritaire, soucieuse de renforcer la sécurité contractuelle du bénéficiaire, penche en faveur d’une obligation de résultat. Ainsi, dans un arrêt fondateur du 1er avril 2014, la première chambre civile de la Cour de cassation a énoncé que « le porte-fort, débiteur d’une obligation de résultat autonome, est tenu envers le bénéficiaire de la promesse des conséquences de l’inexécution de l’engagement promis » (Cass. 1re civ., 1er avr. 2014, n° 13-10.629). Il en résulte que la seule inexécution du fait promis par le tiers suffit à engager la responsabilité du porte-fort, sauf à démontrer l’existence d’un cas de force majeure ou d’une faute du bénéficiaire (Cass. com., 22 mai 2002, n° 00-12.523).

Ce raisonnement présente l’avantage, sur le plan probatoire, d’assurer une protection efficace du créancier : il n’a pas à prouver la carence du promettant, mais seulement l’inexécution du fait promis. La promesse de porte-fort se rapproche alors, dans sa mise en œuvre, d’un mécanisme de garantie stricte. Mais cette logique, si elle satisfait le bénéficiaire, ne manque pas de susciter des interrogations quant à la cohérence conceptuelle de l’analyse. Comment admettre qu’un promettant soit tenu d’un résultat qu’il ne maîtrise pas, puisque l’exécution du fait promis dépend du consentement libre et personnel d’un tiers ? L’atteinte du but est incertaine par essence, ce qui rend délicate l’imputation mécanique de la responsabilité au promettant.

C’est cette difficulté que met en lumière une partie de la doctrine contemporaine, à la suite notamment de Denis Mazeaud, qui appelle à dépasser l’alternative classique entre moyens et résultat au profit d’une lecture plus fine et contractuelle de l’engagement du porte-fort. Dans cette optique, l’obligation du promettant est analysée comme une obligation comportementale : le promettant ne garantit pas la survenance du fait promis, mais s’engage à adopter un comportement actif, persévérant et loyal, orienté vers la réalisation de ce fait. L’échec du tiers n’engage donc la responsabilité du porte-fort que s’il révèle une carence fautive de sa part.

Cette conception, loin d’être purement théorique, a trouvé un écho dans la jurisprudence. Un arrêt de la chambre commerciale du 29 février 2000 (Cass. com., 29 févr. 2000, n° 96-13.604), certes resté isolé, illustre avec acuité cette analyse. La Cour reproche aux juges du fond de ne pas avoir vérifié si le promettant avait, avant l’ouverture de la procédure collective du tiers, mis en œuvre tous les moyens nécessaires pour obtenir l’exécution de l’obligation promise. La solution, bien que discrète, marque un infléchissement notable : le juge n’exige plus un résultat, mais évalue l’intensité de l’effort fourni.

L’ambiguïté du texte de l’article 1204, alinéa 2, du Code civil, issu de l’ordonnance du 10 février 2016, renforce cette lecture. Le texte prévoit que « le promettant est libéré de toute obligation si le tiers accomplit le fait promis. Dans le cas contraire, il peut être condamné à des dommages et intérêts ». Le recours au mode verbal « peut » n’est pas fortuit : il suggère que la condamnation du promettant n’a rien d’automatique. Une appréciation in concreto du comportement adopté est exigée. Plusieurs auteurs y voient la marque d’une obligation de performance, c’est-à-dire d’un engagement à agir avec diligence en vue d’un résultat, sans en garantir l’obtention.

Dès lors, une synthèse semble s’imposer. L’analyse en termes d’obligation de résultat, rigoureuse sur le plan probatoire, apparaît trop stricte pour rendre compte de la réalité du mécanisme. Inversement, la qualification d’obligation de moyens stricto sensu semble inadaptée, tant elle laisse la possibilité au promettant d’adopter une attitude purement passive. Une voie intermédiaire, fondée sur la notion d’obligation comportementale, permet de concilier les exigences de rigueur contractuelle et de réalisme juridique : le porte-fort ne garantit pas le fait d’autrui, mais s’engage à faire tout ce qui est en son pouvoir pour le provoquer. Il est responsable non de l’échec, mais de son inertie ou de sa négligence.

Une telle approche s’inscrit dans un mouvement plus large de remise en cause des catégories classiques, comme en témoigne l’absence de toute référence à la distinction entre obligation de moyens et de résultat dans la réforme du droit des contrats. Elle invite à recentrer l’analyse sur le contenu précis de l’engagement souscrit et sur l’intensité de la mobilisation attendue. C’est ce qui rapproche, à bien des égards, la promesse de porte-fort de la lettre d’intention, dont elle partage la structure et la finalité. Dans les deux cas, il ne s’agit pas d’une promesse d’exécution, mais d’un engagement à influencer.

Ainsi, la promesse de porte-fort s’analyse moins comme une garantie de résultat que comme une obligation contractuelle exigeante, dont la portée dépendra de la qualité de l’implication du promettant. Ce dernier ne promet pas que le tiers agira, mais qu’il fera tout ce qui dépend de lui pour qu’il agisse. Là réside la véritable mesure de sa responsabilité.

B) L’objet de la promesse du porte-fort

La promesse de porte-fort, entendue comme l’engagement par lequel une personne s’oblige envers autrui à obtenir le fait d’un tiers, embrasse une diversité d’objets dont l’étude révèle l’extrême plasticité du mécanisme. Qu’il s’agisse d’un engagement visant à obtenir le consentement du tiers à un acte juridique, l’accomplissement matériel d’un fait déterminé ou encore l’exécution d’une obligation, le porte-fort se prête à des fonctions multiples – allant de la simple facilitation contractuelle à la garantie personnelle d’exécution.

1. Les engagements relatifs à la formation de l’acte : les porte-fort de ratification et de conclusion

La promesse de porte-fort trouve un terrain d’application privilégié dans la phase de formation du contrat, lorsque, pour des raisons juridiques ou pratiques, l’un des contractants souhaite anticiper la participation d’un tiers à une opération sans que ce dernier ne soit encore engagé. La doctrine contemporaine regroupe, sous l’appellation de porte-fort de formation, deux formes d’engagement distinctes mais étroitement apparentées : le porte-fort de ratification et le porte-fort de conclusion. Si la distinction repose sur le degré d’élaboration de l’acte auquel le tiers est appelé à participer, l’intention sous-jacente reste identique : permettre la réalisation d’un acte juridique avec la participation ultérieure d’un tiers, en sécurisant dès l’origine les intérêts de l’autre partie.

a. Le porte-fort de ratification

Le porte-fort de ratification constitue, historiquement et conceptuellement, la forme la plus ancienne et la plus classique de la promesse de porte-fort. Elle s’applique lorsque le tpromettant a conclu un acte juridique déterminé, en toute connaissance de cause de son absence de pouvoir de représentation, et qu’il s’engage à obtenir du tiers la ratification de cet acte.

La jurisprudence considère que cet engagement constitue une obligation de faire, à savoir celle d’agir en sorte que le tiers ratifie l’acte (Cass. 1re civ., 16 avr. 1991, n° 89-17.982). L’ordonnance du 10 février 2016, en consacrant à l’article 1204 du Code civil la figure du porte-fort, a maintenu cette conception, en posant que « celui qui se porte fort du fait d’un tiers est tenu envers le cocontractant de la bonne exécution de l’engagement ». Le mécanisme est ici dissocié de toute représentation effective : il suppose l’inexistence de pouvoirs de représentation, la volonté du promettant d’obtenir l’adhésion du tiers, et l’engagement de supporter personnellement les conséquences de son éventuel refus.

Ce type de porte-fort se rencontre dans de nombreux contextes : en droit des personnes, notamment lorsqu’un représentant légal, ne pouvant accomplir seul un acte au nom d’un incapable, s’engage à en obtenir la ratification à la majorité ou à la fin de l’incapacité ; en droit des sociétés, lorsque les fondateurs d’une société en formation contractent au nom de celle-ci et s’engagent à obtenir la ratification des organes compétents une fois la société immatriculée (Cass. com., 24 oct. 2000, n° 97-21.796).

La promesse de porte-fort joue alors un rôle de facilitation contractuelle, permettant de surmonter temporairement l’indisponibilité ou l’indétermination du tiers, sans compromettre la validité de l’opération. Elle permet également, pour le bénéficiaire, d’exiger des dommages-intérêts en cas de refus de ratification, confortant ainsi sa position.

b. Le porte-fort de conclusion

À la différence du porte-fort de ratification, le porte-fort de conclusion concerne les hypothèses où aucun acte juridique n’a encore été conclu : le promettant s’engage alors à ce qu’un tiers conclue à l’avenir un acte déterminé ou déterminable. L’objet de la promesse n’est donc pas la ratification d’un acte déjà formalisé, mais la conclusion d’un acte futur – contrat ou acte unilatéral – dont les termes peuvent ne pas encore être négociés.

Cette figure s’est considérablement développée en droit des affaires, et notamment dans le domaine des pactes d’actionnaires (clauses de sortie conjointe, d’entraînement ou de garantie de cession), où le promettant s’engage à ce qu’un tiers conclue un contrat de cession d’actions à des conditions identiques à celles dont il bénéficie (Cass. com., 24 mai 2016, n° 14-14.933). Elle est également courante dans les relations collectives du travail, par exemple lorsque le syndicat patronal s’engage à ce que des entreprises reclassent certains salariés (Cass. soc., 12 févr. 1975), ou encore dans les contrats de distribution, dans lesquels un exploitant se porte fort que ses ayants cause concluront eux aussi un contrat d’approvisionnement (Cass. com., 9 mars 2010, n° 09-11.807).

Contrairement au porte-fort de ratification, cette promesse n’entraîne pas de rétroactivité : le tiers, en acceptant ultérieurement de conclure l’acte envisagé, ne ratifie pas un acte antérieur mais conclut un contrat nouveau. Il s’agit dès lors non pas d’un simple prolongement du mécanisme classique, mais d’une figure autonome, que certains auteurs qualifient de porte-fort de conclusion.

L’intérêt de ce mécanisme réside dans sa souplesse et dans la fonction de garantie qu’il remplit : le promettant ne s’oblige pas seulement à obtenir la conclusion d’un acte, mais garantit également le cocontractant contre le préjudice que pourrait entraîner son absence. L’engagement revêt ainsi un caractère indemnitaire, assimilable à une garantie de conclusion.

c. Finalités communes

Malgré leurs différences structurelles – notamment quant au moment auquel l’acte visé est ou sera conclu – les deux figures partagent une finalité contractuelle identique : favoriser la participation d’un tiers à une opération envisagée, tout en assurant au bénéficiaire de la promesse une protection effective contre le refus du tiers. Leurs différences de régime (rétroactivité de la ratification dans un cas, conclusion autonome dans l’autre) ne remettent pas en cause leur unité fonctionnelle.

C’est en ce sens que la doctrine dominante regroupe ces deux figures sous la catégorie commune de porte-fort de formation. Cette approche trouve également appui dans le Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance du 10 février 2016, qui reconnaît l’existence d’un porte-fort de ratification, d’un porte-fort de conclusion, et d’un porte-fort d’exécution, tout en précisant que les deux premiers relèvent d’une même dynamique contractuelle.

2. L’engagement relatif à l’exécution de l’obligation

Si la promesse de porte-fort joue un rôle déterminant au stade de la formation du contrat, elle conserve toute son efficacité lorsque l’acte juridique est déjà valablement conclu, et que le tiers est engagé à l’égard du bénéficiaire de la promesse. Le promettant ne vise plus alors à obtenir l’adhésion d’un tiers à un acte projeté, mais à garantir l’exécution d’une obligation née d’un contrat existant. C’est cette seconde variété, consacrée par l’article 1204 du Code civil, que la doctrine et la jurisprudence désignent comme le porte-fort d’exécution.

Dans cette hypothèse, le promettant s’engage à ce qu’un tiers exécute effectivement l’obligation à laquelle il est tenu en vertu d’un acte juridique déjà formé. Ce tiers peut être débiteur en vertu d’un contrat ou d’un acte unilatéral. L’article 1204, alinéa 1er, consacre cette forme en affirmant que « celui qui se porte fort du fait d’un tiers est tenu envers le cocontractant de la bonne exécution de l’engagement ».

Le promettant ne saurait être considéré comme un garant passif ou un simple spectateur de la relation contractuelle : il s’oblige activement à faire en sorte que le tiers exécute son obligation. Cette obligation est donc une obligation de résultat, le promettant devant adopter les comportements nécessaires pour obtenir l’exécution. À défaut, il engage sa propre responsabilité contractuelle à l’égard du bénéficiaire, indépendamment de toute faute du tiers défaillant (Cass. com., 8 juill. 2014, n° 13-14.777).

Cette conception fonctionnelle – selon laquelle le promettant doit user de son influence, de son autorité ou de ses moyens pour conduire le tiers à l’exécution – a conduit certains auteurs à parler de “garantie d’influence”, notion particulièrement féconde dans les rapports d’affaires.

Le porte-fort d’exécution trouve une application récurrente en droit des affaires, où il sert de technique de sécurisation contractuelle.

Il est ainsi fréquent, à l’occasion d’une cession de droits sociaux, que le cessionnaire se porte fort de l’exécution d’obligations par la société cédée elle-même, à l’égard du cédant. Le mécanisme peut concerner, par exemple, le remboursement d’un compte courant d’associé, l’exécution d’un contrat de travail maintenu jusqu’à la retraite du dirigeant (Cass. 1ère civ., 18 avr. 2000, n°98-15.360), ou encore le respect d’une clause de non-concurrence stipulée dans l’acte de cession (Cass. com., 8 mars 2016, n° 14-24.921).

En matière de contrats de distribution, l’exploitant d’un fonds peut se porter fort que le locataire-gérant respectera les engagements pris envers un fournisseur dans le cadre d’un contrat d’approvisionnement (Cass. com., 14 janv. 1980, n°78-10.696), ou que les autres distributeurs du réseau respecteront une exclusivité territoriale, engageant ainsi la tête de réseau à répondre des comportements des membres du réseau (Cass. com., 9 mars 2010, n° 09-11.807).

De telles stipulations s’observent également dans les relations de groupe : le promettant peut garantir qu’un organe social prendra une décision favorable ou que la société mère exécutera une obligation envers un cocontractant du groupe.

La finalité du porte-fort d’exécution est clairement indemnitaire : le bénéficiaire de la promesse peut réclamer des dommages-intérêts si l’obligation du tiers n’est pas exécutée, sans qu’il ait besoin de démontrer une faute du promettant. Il s’agit là d’une obligation principale, née d’un lien contractuel autonome entre le promettant et le bénéficiaire, distinct du rapport entre ce dernier et le débiteur principal.

C’est en cela que le mécanisme se rapproche du cautionnement, sans toutefois s’y confondre. Pendant un temps, la jurisprudence commerciale a pu assimiler les deux mécanismes, qualifiant le porte-fort d’exécution de cautionnement (Cass. com. 13 déc. 2005, n°03-19.217), avant de revenir sur cette position et d’affirmer leur autonomie conceptuelle (Cass. com., 18 juin 2013, n° 12-18.890).

La doctrine majoritaire considère désormais le porte-fort d’exécution comme une sûreté personnelle sui generis, souvent qualifiée de garantie indemnitaire. Contrairement au cautionnement, dont le caractère accessoire implique que la nullité ou l’extinction de l’obligation principale entraîne la disparition de la sûreté, le porte-fort d’exécution subsiste indépendamment de la validité de l’engagement du tiers, dès lors que l’inexécution provoque un préjudice au bénéficiaire.

Certains auteurs, toutefois, soulignent que cette distinction peut s’avérer fragile lorsque l’obligation du tiers est une obligation monétaire, et que le promettant s’engage à obtenir son paiement : dans ce cas, la promesse s’apparente, matériellement, à un cautionnement. Mais cette analyse est critiquée au motif qu’elle méconnaît la structure propre de l’engagement du porte-fort, lequel n’est pas un engagement de substitution mais de moyens renforcés en vue d’obtenir l’exécution du tiers.

Enfin, la promesse de porte-fort d’exécution tend à s’imbriquer, dans la pratique, avec d’autres mécanismes de garantie, notamment avec la lettre d’intention, définie à l’article 2322 du Code civil. Lorsque cette dernière comporte une obligation de résultat, la frontière entre les deux techniques devient ténue : dans les deux cas, le garant s’engage personnellement à assurer la bonne exécution d’une obligation par un tiers, et à indemniser en cas d’échec.

Il a ainsi été proposé de regrouper ces techniques sous la catégorie de “garanties d’influence”, dont le point commun réside dans la volonté du bénéficiaire de s’assurer de la diligence du promettant pour faire exécuter une obligation par un tiers. Cette approche met en lumière la rationalité économique du porte-fort d’exécution, particulièrement adapté aux contextes où la confiance contractuelle repose davantage sur l’influence réelle du promettant que sur des garanties strictement patrimoniales.

3. Le cas marginal de la promesse d’un fait matériel

En marge des hypothèses classiques dans lesquelles la promesse de porte-fort porte sur un acte juridique, une fraction de la doctrine, dans une perspective plus théorique que pratique, a envisagé que l’engagement du promettant puisse viser un simple fait matériel. Cette figure, souvent rattachée à la tradition romaine et remise en lumière par la doctrine du XIXe siècle, trouve son origine dans les écrits de Pothier, selon lesquels « on peut promettre le fait d’autrui, comme de promettre qu’un tel fera une chose ».

Dans cette optique, la promesse pourrait porter, non sur la ratification ou la conclusion par un tiers d’un acte juridique, mais sur la réalisation d’un comportement matériel déterminé par ce dernier. Il en serait ainsi, par exemple, de la promesse selon laquelle un tiers traversera un pays à pied pour délivrer un message en main propre, ou encore de celle consistant à assurer qu’un tiers décorera une salle de réception à l’aide de compositions florales.

Dans ces hypothèses, le promettant ne s’engage ni à obtenir la ratification d’un acte juridique accompli sans pouvoir, ni à garantir la conclusion future d’un contrat, mais à faire en sorte que le tiers accomplisse une action déterminée, étrangère au registre des conventions. La doctrine classique, à l’instar de Bufnoir ou de Baudry-Lacantinerie, s’était ainsi plu à évoquer ces engagements singuliers pour en explorer les limites.

Toutefois, pareille hypothèse se heurte aux fondements techniques du mécanisme du porte-fort, tels que consacrés par la jurisprudence et par l’article 1204 du Code civil. En effet, la promesse de porte-fort suppose la mise en œuvre d’un rapport triangulaire dans lequel l’engagement du promettant vise à renforcer l’efficacité juridique d’un acte accompli ou à accomplir par le tiers. Elle requiert, à cet égard, un acte principal – qu’il s’agisse d’un contrat ou d’un acte unilatéral – et repose sur la possibilité d’une ratification ou d’une exécution juridique de cet acte.

Or, dans les hypothèses envisagées – telles que celle d’un tiers qui porterait assistance à une personne âgée lors de son déménagement ou exécuterait un morceau de musique à l’occasion d’un concert – aucune structure contractuelle n’est identifiable, et l’engagement du promettant ne saurait être rattaché à une quelconque volonté d’établir un lien juridique entre le bénéficiaire et le tiers. L’absence de rétroactivité, de capacité d’engagement du tiers, et de mécanisme de ratification ôte à l’opération toute consistance au regard du régime du porte-fort.

C’est pourquoi une partie importante de la doctrine, à la suite notamment de Jean Boulanger, refuse d’inclure de telles hypothèses dans le champ d’application du porte-fort proprement dit. Ces engagements sont le plus souvent analysés comme de simples promesses d’indemnisation conditionnelle, assises sur la survenance incertaine d’un fait futur : par exemple, « si votre frère ne joue pas son récital, je vous indemniserai », ou encore, « si votre amie ne vient pas livrer les œuvres prévues, je prendrai en charge les frais d’exposition ». Dans cette logique, il ne s’agit pas d’un engagement portant sur le fait d’un tiers, mais d’un engagement personnel subordonné à la survenance d’un événement, à l’instar de toute condition suspensive.

En outre, certaines situations relèvent en réalité d’un contrat d’entreprise, même lorsque l’exécution est confiée à un tiers. Celui qui promet qu’un traiteur livrera un dîner ou qu’un prestataire installera une œuvre lumineuse dans un lieu donné s’engage, non sur un fait matériel d’autrui, mais sur la bonne exécution d’une prestation, dont il est lui-même contractuellement responsable.

Il en résulte que la promesse de porte-fort portant sur un fait matériel ne correspond ni à la lettre ni à l’esprit de l’article 1204 du Code civil, et qu’elle demeure une construction purement doctrinale, sans pertinence pratique ni fondement normatif solide. La quasi-totalité de la jurisprudence contemporaine évite soigneusement de se placer sur ce terrain incertain, préférant recourir à des qualifications plus robustes : contrat d’entreprise, obligation de résultat assortie d’une clause pénale, ou engagement sous condition suspensive.

Comme le résume justement Jean Boulanger, la promesse de porte-fort « n’a révélé son utilité que dans la mesure où elle a pu servir à l’établissement d’un rapport contractuel où le promettant et le stipulant avaient le commun désir de faire entrer un tiers ». En dehors de ce schéma, l’engagement du promettant ne trouve pas à s’épanouir dans le cadre du droit commun des contrats.

C) La forme de la promesse du porte-fort

La promesse de porte-fort, comme la plupart des engagements contractuels, n’obéit à aucun formalisme ad validitatem. Elle peut être exprimée de manière expresse ou résulter de circonstances traduisant une volonté non équivoque de s’engager pour autrui. Toutefois, son identification soulève des exigences accrues en matière probatoire, en particulier lorsqu’elle est implicite, et connaît des limites lorsqu’elle s’inscrit dans le périmètre d’actes solennels ou juridiquement protégés.

==>Principe

La jurisprudence constante reconnaît que la promesse de porte-fort peut naître aussi bien d’un engagement explicite que d’une manifestation implicite de volonté. Encore faut-il, dans ce dernier cas, que les faits invoqués traduisent avec certitude l’intention du promettant de s’obliger pour un tiers. C’est précisément ce qu’exige la Cour de cassation lorsqu’elle affirme que l’engagement tacite « ne peut résulter que d’actes manifestant l’intention certaine du promettant de s’engager pour un tiers » (Cass. 1re civ., 17 juill. 2001, n° 98-10.827).

Cette exigence permet d’écarter toute assimilation mécanique entre promesse pour autrui et promesse de porte-fort, contre laquelle s’élèvent nombre d’auteurs, en dépit des arguments tirés de l’article 1191 du Code civil – selon lequel, en cas de doute sur le sens d’une clause, il convient de retenir celui qui lui donne effet. Certes, plusieurs auteurs classiques, à l’instar de Demolombe, Saleilles ou encore Baudry-Lacantinerie, ont soutenu qu’il fallait préférer une interprétation utile à une lecture neutralisante, même au prix d’une reconstruction implicite de la volonté. Mais cette approche, critiquée par la doctrine moderne, heurte tant l’article 1190 du Code civil, qui impose en cas de doute une lecture favorable au débiteur, que l’impératif de sécurité juridique.

Il en résulte qu’en dehors d’une stipulation claire, la promesse de porte-fort ne saurait être inférée qu’avec la plus grande prudence. Elle requiert, même de manière tacite, une démonstration positive de la volonté du promettant de garantir le comportement d’autrui. À cet égard, la rédaction d’un écrit, bien que non obligatoire, peut constituer un indice fort de l’intention d’engagement, notamment lorsqu’elle vise à suppléer un défaut de pouvoir ou à assurer la ratification d’un acte préalablement conclu.

==>Limites

La souplesse formelle attachée au porte-fort connaît toutefois d’importantes restrictions lorsque l’acte en cause est soumis à un formalisme ad solemnitatem. En effet, dès lors que le législateur exige la comparution personnelle de la partie à l’acte ou l’accomplissement d’une manifestation de volonté authentifiée, la substitution par un porte-fort devient inopérante.

C’est notamment le cas en matière de conventions matrimoniales, où l’article 1394 du Code civil impose la présence et le consentement simultané des futurs époux ou de leurs mandataires dûment habilités, devant notaire. La jurisprudence a ainsi très tôt invalidé les pratiques consistant, pour les parents, à conclure le contrat de mariage de leurs enfants en se portant fort de leur ratification (v. par ex. Cass. civ., 29 mai 1854), en considérant que cette substitution méconnaît les exigences protectrices du formalisme matrimonial. La ratification ultérieure par les époux eux-mêmes n’a aucun effet : la nullité de l’acte originel, entaché d’un vice substantiel, contamine la promesse de porte-fort elle-même, laquelle se trouve dépourvue d’objet.

Des réserves similaires s’imposent en matière de donation, où l’article 933 du Code civil impose une procuration en la forme authentique pour l’acceptation opérée par un représentant du donataire. En principe, il ne saurait y avoir de promesse valable visant à obtenir cette acceptation ultérieure : seule une acceptation personnelle conforme à l’article 932, assortie d’une notification régulière, peut valoir engagement du donataire. Toutefois, la doctrine reconnaît qu’une acceptation par porte-fort, bien qu’inopérante à l’égard du donataire, peut subsister comme engagement unilatéral du promettant, et permettre au donataire d’accepter directement la libéralité selon les formes requises.

En revanche, dans des matières où le formalisme ne vise pas à garantir le libre consentement mais à satisfaire des objectifs économiques – comme en matière hypothécaire – la promesse de porte-fort conserve sa place. Ainsi, l’authenticité exigée pour l’inscription hypothécaire n’interdit pas qu’un tiers, sans pouvoir, s’engage à faire ratifier l’affectation d’un bien par le propriétaire (Cass. req., 3 août 1859). Le formalisme, ici, n’est pas incompatible avec la logique du porte-fort, dès lors que l’intervention ultérieure du véritable titulaire peut valider l’acte dans les conditions légales.

Enfin, il convient de rappeler que le mécanisme du porte-fort ne peut être mobilisé pour valider rétroactivement un engagement entaché d’un vice de forme. L’aval d’un effet de commerce irrégulier, frappé de nullité, ne saurait être transformé en promesse de porte-fort (Cass. com., 8 sept. 2015, n° 14-14.208). Ce type de manœuvre reviendrait à contourner les exigences substantielles de la validité d’un acte par le truchement d’une garantie personnelle, ce que la jurisprudence refuse catégoriquement.

II) L’exécution de la promesse de porte-fort

A) Les modalités d’exécution de la promesse de porte-fort

La promesse de porte-fort, en tant qu’engagement personnel du promettant à obtenir d’un tiers la réalisation d’un fait – conclusion, ratification ou exécution d’un acte – n’épuise pas ses effets dans sa seule formation. Elle appelle, pour produire pleinement ses conséquences, une phase d’exécution, dont les modalités varient selon la nature de l’engagement, mais dont l’économie repose sur une structure commune articulée autour de la liberté du tiers, de la rigueur dans la preuve, et d’un régime différencié selon que l’on se trouve face à un porte-fort de ratification, de conclusion ou d’exécution.

1. Une exécution soumise à la libre volonté du tiers

Le principe directeur est celui de la liberté d’exécution du tiers. En vertu de l’article 1199 du Code civil, le contrat formé entre le promettant et le bénéficiaire ne saurait produire d’effet à l’égard du tiers tant que celui-ci n’y adhère pas de sa propre initiative. Qu’il s’agisse de conclure un contrat, d’y adhérer a posteriori ou d’exécuter une obligation déterminée, le tiers ne peut y être juridiquement contraint. La ratification, la conclusion ou l’exécution ne sauraient donc résulter que d’un acte volontaire du tiers.

Ce principe demeure même lorsque le tiers est, en pratique, intimement lié au promettant – en tant que parent, conjoint, associé ou, plus encore, héritier. Ainsi, le tiers successeur du porte-fort pourrait être tenté de satisfaire à l’engagement de son auteur afin d’éviter de voir sa responsabilité engagée sur le fondement d’une inexécution. Mais cette pression d’ordre moral ou économique ne saurait abolir sa liberté juridique. La jurisprudence, sur ce point, est constante : même en présence de liens successoraux, l’obligation de ratifier ne saurait être imposée (Cass. 1re civ., 26 nov. 1975, n°74-10.356).

Certaines décisions plus anciennes ont pu laisser croire que les héritiers du promettant seraient tenus de ratifier l’acte litigieux (Cass. civ., 28 juin 1859), mais ces arrêts doivent être relus à la lumière des circonstances particulières qui les fondaient. Ils concernaient en effet des cas où le porte-fort était également personnellement engagé, notamment en qualité de co-indivisaire ayant aliéné sa part : les héritiers étaient alors tenus non en tant que tiers, mais au titre de l’obligation de garantie contre l’éviction, transmise de plein droit.

2. L’acte de ratification dans le porte-fort de ratification

Lorsque le porte-fort s’analyse comme un engagement de faire ratifier un acte préalablement conclu, l’exécution promise prend classiquement la forme de la ratification du contrat par le tiers. Celle-ci, au sens strict, s’entend d’un acte juridique unilatéral, par lequel une personne approuve l’acte accompli pour elle mais sans mandat, en en endossant les effets à titre personnel. L’effet juridique en est déterminant : le contrat devient pleinement opposable au tiers, avec effet rétroactif, conformément à l’alinéa 3 de l’article 1204 du Code civil.

La ratification peut être expresse – par déclaration ou écrit non équivoque – ou tacite, lorsque le comportement du tiers manifeste sans ambiguïté sa volonté d’adhérer à l’acte (Cass., ass. plén., 22 avr. 2011, n° 09-16.008). La jurisprudence a ainsi déduit une ratification de l’exécution du contrat ou de la poursuite volontaire d’une situation contractuelle connue (Cass. 1re civ., 15 mai 2008, n° 06-20.806).

La forme de la ratification ne fait l’objet d’aucun formalisme particulier. Toutefois, certains auteurs estiment qu’un principe de parallélisme des formes pourrait s’imposer lorsque le contrat dont la ratification est attendue est soumis à une exigence de forme ad solemnitatem. Ainsi, une ratification d’un contrat solennel – tel qu’un contrat de mariage ou une hypothèque – devrait intervenir sous la même forme (Savatier, Boulanger). Cette thèse, bien que discutée, s’inscrit dans une logique de protection du consentement : si la forme vise la protection de la personne, elle doit s’étendre à tout acte préparatoire. À l’inverse, si elle tend à garantir les tiers, la ratification peut échapper à cette contrainte.

Enfin, il n’est pas exclu que la ratification soit réalisée par un tiers substitué au bénéficiaire désigné initialement, pourvu que le contrat le prévoie expressément (Cass. 3e civ., 26 juin 1996, n° 94-18.525).

3. L’exécution dans le porte-fort d’exécution

Lorsque l’engagement porte non sur l’adhésion à un acte, mais sur l’exécution d’une obligation déterminée – obligation de faire, de ne pas faire, voire de payer une somme d’argent – la réalisation du fait promis par le tiers suffit à libérer le promettant (art. 1204, al. 2 C. civ.). Il ne s’agit plus ici de ratification au sens technique du terme, mais bien d’un comportement d’exécution, constaté dans les faits.

La doctrine s’accorde pour dire que cette hypothèse, très fréquente dans la pratique contractuelle (distribution, cession de droits sociaux, engagement post-cession…), repose sur une logique différente : ce n’est pas l’adhésion rétroactive à un acte passé qui est attendue, mais la réalisation d’une prestation future. Il n’existe donc pas d’effet rétroactif. Le tiers n’est pas tenu, mais s’il exécute spontanément l’obligation, le promettant est libéré.

Ainsi, la distinction entre porte-fort de ratification et porte-fort d’exécution appelle une vigilance terminologique : si la ratification reste un acte juridique unilatéral, l’exécution dans le second cas est un simple fait juridique, étranger à toute notion de consentement rétroactif. Confondre les deux reviendrait à méconnaître les effets distincts qu’ils emportent, notamment en matière de responsabilité du promettant.

B) Les effets de l’exécution de la promesse

Lorsque le fait promis par le porte-fort n’est pas réalisé – en particulier, lorsque le tiers refuse de ratifier l’acte ou ne satisfait pas à l’obligation visée – l’économie de la promesse est bouleversée. Toutefois, cette inexécution ne produit pas les mêmes effets selon que l’on se place du point de vue du promettant ou de celui des tiers.

1. Les effets à l’égard du porte-fort

L’inexécution du fait promis par le tiers fait reposer la charge de la responsabilité exclusivement sur le porte-fort, lequel s’est personnellement engagé envers le bénéficiaire à l’obtention d’un comportement ou d’un acte d’autrui. Cette construction singulière du droit des obligations est expressément consacrée à l’article 1204, alinéa 2 du Code civil, qui érige la promesse de porte-fort en obligation autonome de faire.

En effet, l’engagement du porte-fort est un engagement de faire, plus précisément de faire faire. Or, l’ordre juridique exclut qu’une telle obligation puisse être exécutée par équivalent ou par contrainte directe. La jurisprudence, constante sur ce point, rejette toute possibilité d’exécution forcée, en nature ou sous astreinte, de l’obligation issue de la promesse. La Cour de cassation refuse ainsi de condamner le promettant à réaliser personnellement l’obligation qu’il s’était engagé à faire exécuter par un tiers (Cass. 1re civ., 7 mars 2018, n° 15-21.244), au motif que cela reviendrait à le substituer au débiteur initial, ce qui excède la nature même de l’engagement contracté.

La sanction attachée à cette inexécution se limite donc à une condamnation en dommages-intérêts. L’engagement du porte-fort, bien qu’il ait pu être qualifié par la doctrine ancienne de « garantie d’exécution », n’implique pas une obligation de résultat assimilable à celle de la caution. Il s’agit d’une obligation autonome dont l’inexécution, quelle qu’en soit la cause, ouvre droit à réparation, sous la forme indemnitaire, et non à l’exécution en nature.

L’indemnisation allouée au bénéficiaire n’est pas automatique ni nécessairement équivalente à la prestation promise. Contrairement à la caution, qui s’engage à exécuter l’obligation principale en cas de défaillance du débiteur, le porte-fort s’engage uniquement à obtenir cette exécution. Il ne saurait donc être mécaniquement tenu à la dette d’autrui. Dès lors, le montant des dommages-intérêts n’est pas nécessairement calqué sur la valeur du contrat non exécuté.

L’appréciation du préjudice relève d’un pouvoir souverain des juges du fond, qui doivent évaluer le dommage dans les limites de la prévisibilité au jour de la conclusion de la promesse (C. civ., art. 1231-3). La réparation peut être équivalente à la somme non perçue ou à la perte de chance, selon les circonstances (Cass. com. 30 juin 2009, n° 08-12.975). Par exemple, dans un arrêt de principe du 18 avril 2000, la société s’était engagée à garantir le maintien dans l’emploi d’un salarié jusqu’à l’âge légal de la retraite (Cass. 1re civ., 18 avr. 2000, n°98-15.360). Le licenciement prématuré du salarié a conduit à une condamnation à hauteur de 500 000 francs, soit une somme nettement inférieure au montant des rémunérations escomptées jusqu’à 60 ans. Cette solution illustre l’attachement de la jurisprudence à la spécificité de l’engagement de porte-fort, en refusant de confondre l’indemnisation du préjudice avec l’exécution pure et simple du contrat.

Comme l’a relevé la doctrine, ce raisonnement participe d’un retour à l’orthodoxie juridique: la responsabilité du porte-fort repose exclusivement sur la non-réalisation du fait promis, et non sur l’objet du contrat qui devait en résulter. C’est donc le préjudice réel du bénéficiaire – perte d’un avantage, perte de chance, frais engagés – qui fonde l’indemnisation.

Le porte-fort conserve toutefois la possibilité de s’exonérer de sa responsabilité, selon les règles classiques de la responsabilité contractuelle. Il pourra, par exemple, démontrer l’existence d’une cause étrangère, qu’il s’agisse d’un cas de force majeure ou d’une faute du bénéficiaire (C. civ., art. 1231-1). Toutefois, seule une faute exclusive de ce dernier pourra libérer totalement le promettant (Cass. com. 22 mai 2002, n° 00-12.523). La force majeure est, quant à elle, plus difficile à caractériser, car elle doit affecter l’obligation propre du porte-fort, et non celle du tiers (C. civ., art. 1218).

Sur le plan conventionnel, les parties peuvent aménager la responsabilité du porte-fort. Il est ainsi admis de stipuler une clause pénale, fixant forfaitairement le montant de l’indemnité due en cas d’inexécution (C. civ., art. 1231-5). Toutefois, cette clause est susceptible de modulation par le juge si elle présente un caractère manifestement excessif ou dérisoire, ou encore si l’obligation a été exécutée partiellement.

Il est également loisible de prévoir une limitation de responsabilité, sous réserve du respect des exigences issues du droit commun des contrats. Toute clause qui porterait atteinte à l’obligation essentielle serait réputée non écrite (art. 1170 C. civ.). De même, dans les contrats d’adhésion, les clauses créant un déséquilibre significatif au détriment de l’adhérent pourront être frappées de nullité (art. 1171 C. civ.), voire qualifiées de clauses abusives dans les relations de consommation (art. R. 212-1, 6° C. consom.). La jurisprudence récente souligne l’exigence de vigilance dans la rédaction de telles clauses (Cass. 1re civ., 26 janv. 2022, n° 20-16.782).

Enfin, il importe de rappeler que l’action en responsabilité fondée sur la promesse de porte-fort ne bénéficie qu’au seul cocontractant du promettant, c’est-à-dire au bénéficiaire de la promesse. Cette action est exclusivement personnelle : elle ne saurait être exercée par un tiers ni étendue au profit de personnes non parties à l’engagement (Cass. com. 6 janv. 1998, n° 95-11.763). Cette solution consacre le caractère essentiellement intersubjectif de la promesse de porte-fort, qui constitue une figure spécifique du droit des obligations inter partes.

2. Les effets à l’égard des tiers

L’un des fondements cardinaux du droit des contrats tient à l’effet relatif des conventions: elles n’engagent que les parties. La promesse de porte-fort, en ce qu’elle tend à garantir le comportement d’un tiers, ne fait pas exception à ce principe. Ainsi, le tiers auquel se rapporte la promesse ne saurait être tenu par elle, ni s’en prévaloir, tant qu’il n’a pas exprimé son adhésion à l’acte.

L’article 1199 du Code civil, issu de la réforme de 2016, énonce que « le contrat ne crée d’obligations qu’entre les parties ». Il confirme la jurisprudence antérieure qui affirmait que le tiers demeure totalement étranger à l’acte conclu entre le promettant et le bénéficiaire. Ce principe revêt une portée d’autant plus forte en matière de porte-fort que l’on pourrait être tenté de faire peser sur le tiers une pression contractuelle indirecte : or, cette tentation doit être écartée.

Le tiers ne saurait ainsi être tenu de respecter les stipulations de la promesse ni être juridiquement inquiété en cas de non-réalisation du fait promis. Il conserve, en principe, une entière liberté de comportement. Le bénéficiaire de la promesse ne dispose d’aucune action directe contre lui, la sanction de l’inexécution pesant uniquement sur le porte-fort.

La seule hypothèse dans laquelle le tiers se trouve lié par la promesse est celle où il y ratifie l’objet. Cette ratification peut être expresse ou tacite (C. civ., art. 1204, al. 1er). Par ce mécanisme, le tiers devient rétroactivement partie au contrat initial, lequel produit dès lors tous ses effets à son égard. Cette transformation de la promesse en engagement parfait s’opère sans qu’il soit besoin d’un nouvel acte.

La ratification tacite, bien que plus délicate à établir, peut être déduite de comportements non équivoques, tels qu’une exécution volontaire, des courriers manifestant l’intention d’honorer l’engagement, ou l’absence d’objection dans un contexte contractuel explicite. Toutefois, la preuve d’une telle ratification repose sur celui qui l’invoque, et les tribunaux se montrent légitimement exigeants dans leur appréciation.

À défaut de ratification, la promesse demeure sans effet à l’égard du tiers : l’inexécution du fait promis ne saurait lui être imputée.

Lorsque la promesse de porte-fort concerne la conclusion par le tiers d’un contrat déterminé, et que celui-ci ne ratifie pas l’engagement, la question de la survie du contrat principal se pose. En pareil cas, le contrat conclu par le promettant seul, sans le pouvoir ou le consentement du tiers, se trouve privé d’un élément essentiel : l’accord de volonté de la véritable partie concernée. Cette situation engendre la caducité du contrat, conformément à l’article 1186 du Code civil, qui prévoit que « le contrat devient caduc si l’un de ses éléments essentiels disparaît ».

La caducité se distingue ici de la nullité en ce qu’elle suppose un contrat valablement formé, mais devenu inopérant du fait de la défaillance d’un élément postérieur à sa formation : en l’occurrence, la non-ratification. Elle entraîne la disparition rétroactive du contrat, sauf si celui-ci a d’ores et déjà produit des effets irréversibles, comme un transfert de propriété, auquel cas la restitution devra être ordonnée, sauf prescription acquisitive (Cass. 1ère civ., 6 juin 1990, n° 88-16.896).

Une jurisprudence plus récente, en matière de contrats interdépendants, reconnaît d’ailleurs la possibilité d’une rétroactivité de la caducité (Cass. com. 5 juin 2007, n°04-20.380), ce qui conforte la thèse d’un anéantissement complet du contrat en l’absence de ratification.

Malgré l’absence de tout effet obligatoire à l’égard du tiers, certaines situations peuvent justifier son implication sur des fondements extracontractuels, et notamment quasi-contractuels.

La gestion d’affaires (C. civ., art. 1301) pourrait être invoquée lorsque le porte-fort agit dans l’intérêt manifeste du tiers et en son absence. Si les conditions sont réunies (initiative utile, absence de mandat, diligence conforme à l’intérêt du géré), le tiers pourra être tenu d’indemniser les frais engagés.

L’enrichissement injustifié (C. civ., art. 1303) peut également constituer un fondement d’action dans l’hypothèse où le tiers a profité de la promesse sans cause légitime, au détriment du bénéficiaire. Encore faudra-t-il démontrer un appauvrissement corrélatif et l’absence de cause juridique à l’enrichissement.

Ces mécanismes demeurent subsidiaires et sont soumis à une appréciation stricte des juridictions. Ils illustrent cependant que le tiers, bien que fondamentalement étranger à la promesse, n’échappe pas toujours totalement à toute forme de responsabilité, dès lors que son comportement ou son bénéfice objectif dépasse la simple passivité contractuelle.

 

 

 

  1. M. Planiol, Traité élémentaire de droit civil, t. II, n° 1021 ?
  2. R-J. Pothier, Traité des obligations, 1761, n° 68 ?
  3. Ibid. ?
  4. Ph. Simler, Cautionnement, garanties autonomes et garanties indemnitaires, 5e éd., 2015, n° 1080 ?
  5. M. Planiol, Traité élémentaire de droit civil, t. II, n° 1021 ?
  6. G. Ripert, Les grandes lignes du droit privé français, 1952, p. 327. ?

La stipulation pour autrui: effets

La stipulation pour autrui, en introduisant un tiers bénéficiaire dans un rapport contractuel auquel il n’a pas pris part, s’affranchit du principe de l’effet relatif des contrats. Ce mécanisme confère à ce tiers un droit direct à l’encontre du promettant, tandis que le stipulant demeure l’architecte de cette attribution. Dès lors, les effets de la stipulation ne se limitent pas à la seule relation entre le stipulant et le promettant : ils s’étendent également aux liens qu’ils entretiennent avec le bénéficiaire, chacun jouant un rôle distinct dans l’équilibre de l’opération.

Ainsi, trois rapports juridiques se superposent tout en conservant leur autonomie : d’abord, la relation contractuelle initiale entre le stipulant et le promettant, qui constitue le fondement même de la stipulation ; ensuite, le lien qui s’établit entre le promettant et le bénéficiaire, ce dernier pouvant revendiquer l’exécution de la prestation convenue ; enfin, la relation entre le stipulant et le bénéficiaire, qui peut soulever des interrogations quant à la nature et aux limites des droits que ce dernier tient de la stipulation.

Il convient donc d’examiner successivement ces trois séries d’effets, afin de mieux saisir la portée et l’articulation des obligations nées de la stipulation pour autrui.

A) Les effets de la stipulation dans les rapports entre le stipulant et le promettant

Si la stipulation pour autrui confère au bénéficiaire un droit propre contre le promettant, elle n’épuise pas pour autant les droits du stipulant, qui demeure lié contractuellement au promettant. Ce dernier, bien que tenu d’exécuter une obligation au profit d’un tiers, reste en rapport direct avec le stipulant, dont il tire l’obligation principale. La relation entre ces deux parties repose ainsi sur une articulation délicate entre l’engagement souscrit envers le bénéficiaire et les droits que le stipulant conserve du fait du contrat dont est issue la stipulation.

1. L’existence d’un droit propre du stipulant à l’égard du promettant

Le stipulant, en tant que partie au contrat générateur de la stipulation pour autrui, conserve des droits propres à l’encontre du promettant, distincts de ceux conférés au bénéficiaire. Ces prérogatives trouvent leur source dans un double fondement : d’une part, le contrat conclu entre le stipulant et le promettant, qui régit leurs relations et leur confère des droits et obligations réciproques ; d’autre part, la stipulation elle-même, qui, bien qu’ayant pour finalité l’octroi d’un avantage à un tiers, ne prive pas le stipulant de toute maîtrise sur l’exécution de l’engagement souscrit par le promettant.

Ainsi, la stipulation pour autrui, loin d’anéantir les droits du stipulant, lui confère, au contraire, la possibilité d’exiger du promettant qu’il s’exécute conformément aux engagements contractuellement souscrits. Le stipulant demeure ainsi un acteur central de l’opération, disposant d’un droit propre à veiller à l’effectivité de la prestation due au bénéficiaire et, en cas d’inexécution, à en tirer toutes les conséquences juridiques.

Toutefois, la coexistence entre le droit du stipulant et celui du bénéficiaire n’est pas absolue et peut, dans certaines configurations, se trouver résorbée au profit du seul droit du bénéficiaire. Cette absorption intervient notamment lorsque l’objet du contrat consiste exclusivement à faire bénéficier un tiers d’une prestation, à l’exclusion de toute créance résiduelle du stipulant contre le promettant.

Tel est le cas, par exemple, dans le cadre d’un contrat d’assurance-vie souscrit au profit d’un tiers : dès lors que l’assureur s’engage exclusivement à verser un capital au bénéficiaire, le souscripteur de l’assurance n’a plus, à l’égard de l’assureur, aucun droit propre lui permettant d’interférer dans l’exécution de l’engagement pris. Il en va de même lorsqu’un contrat de vente prévoit que le prix sera réglé directement entre les mains d’un tiers, que ce soit sous forme de rente viagère ou de capital payable en une seule fois : le droit du bénéficiaire à percevoir la somme convenue vient, en quelque sorte, supplanter et éteindre toute créance que le stipulant aurait pu initialement détenir à l’encontre du promettant.

Dans ces hypothèses, le stipulant se trouve privé de toute action propre contre le promettant et ne peut en aucun cas contester la transmission du droit au bénéficiaire. L’opération, une fois conclue, se referme sur elle-même : le stipulant disparaît de l’équation juridique, ne laissant subsister qu’une relation directe entre le bénéficiaire et le promettant.

Dans la plupart des cas, toutefois, le droit du stipulant demeure distinct de celui du bénéficiaire, ce qui soulève la question de l’articulation entre ces deux prérogatives. En effet, bien que le bénéficiaire puisse faire valoir un droit propre à l’encontre du promettant, ce dernier n’en devient pas pour autant son cocontractant direct au sens strict du terme : il reste tenu en vertu d’un engagement pris à l’égard du stipulant, qui demeure la source même de son obligation.

Dès lors, si le bénéficiaire est en droit d’exiger du promettant l’exécution de la stipulation, il ne saurait, en revanche, se prévaloir de moyens d’action propres aux parties au contrat générateur de la stipulation, tels que :

  • Les actions en nullité du contrat : seul le stipulant, en sa qualité de contractant, peut contester la validité du contrat ayant donné naissance à la stipulation. Ainsi, si le contrat est frappé de nullité pour un vice du consentement ou pour une cause illicite, le bénéficiaire ne pourra pas s’en prévaloir pour remettre en cause son droit. Cette incapacité tient au fait que les actions en nullité appartiennent aux parties contractantes et non aux tiers bénéficiant des effets d’un contrat.
  • Les actions en résolution pour inexécution des obligations contractuelles : si le promettant manque à ses engagements, le bénéficiaire ne peut, à lui seul, solliciter la résolution du contrat, car il ne détient pas la qualité de cocontractant. Cette prérogative demeure entre les mains du stipulant, qui, en tant que partie originelle au contrat, peut en poursuivre l’anéantissement en cas d’inexécution par le promettant.

Ainsi, malgré l’acquisition d’un droit propre par le bénéficiaire, la stipulation pour autrui ne le place pas sur un pied d’égalité avec le stipulant quant aux actions pouvant être exercées contre le promettant. Il en résulte que le stipulant, même après l’acceptation de la stipulation par le bénéficiaire, conserve un droit autonome, lui permettant d’intervenir dans l’exécution de l’engagement pris par le promettant.

Toutefois, l’exercice des droits du stipulant ne saurait être absolu et doit s’articuler avec le principe d’indépendance du droit du bénéficiaire une fois l’acceptation intervenue. En effet, si le stipulant conserve la faculté d’agir en nullité ou en résolution du contrat générateur de la stipulation, ces actions ne sauraient être mises en œuvre sans prendre en compte les effets qu’elles produisent à l’égard du bénéficiaire.

Lorsque la stipulation a été acceptée, son irrévocabilité empêche en principe le stipulant d’en anéantir les effets de manière unilatérale. Ainsi, si une action en nullité ou en résolution est engagée par le stipulant, il conviendra de distinguer selon que le bénéficiaire a été mis en cause dans la procédure ou non :

  • Si le bénéficiaire est partie au litige, la nullité ou la résolution prononcée lui est opposable et anéantit son droit. Dès lors, la disparition du contrat entraîne celle de la stipulation, dans un effet rétroactif global.
  • Si le bénéficiaire n’a pas été mis en cause, il pourra contester l’opposabilité de la décision et faire valoir que la résolution ne saurait lui être appliquée, faute d’avoir pu défendre ses intérêts. Dans cette hypothèse, la nullité ou la résolution sera inopposable au bénéficiaire, qui pourra toujours exiger du promettant l’exécution de la stipulation.

Ce mécanisme illustre la complexité des interactions entre le stipulant et le promettant dans le cadre d’une stipulation pour autrui. Si le stipulant reste maître du contrat générateur, il ne peut ignorer que la stipulation qu’il a instituée crée un droit au profit du bénéficiaire, lequel tend à s’émanciper progressivement du cadre contractuel initial.

2. Les voies de droit ouvertes au stipulant en cas d’inexécution du promettant

Si la stipulation pour autrui confère un droit direct au bénéficiaire à l’égard du promettant, elle ne prive pas pour autant le stipulant de tout recours en cas de défaillance de ce dernier. En tant que cocontractant du promettant, le stipulant demeure en effet investi d’un pouvoir d’action autonome, lui permettant d’assurer la mise en œuvre effective de la stipulation et de garantir le respect des engagements souscrits.

Ainsi, lorsqu’un manquement du promettant est constaté, trois voies de droit s’ouvrent au stipulant :

a. L’action en exécution de l’obligation souscrite par le promettant

Le stipulant, bien qu’il ne soit pas lui-même créancier direct de la prestation due au bénéficiaire, conserve la faculté d’exiger du promettant l’exécution de ses engagements. Cette prérogative repose sur le lien contractuel qui unit le stipulant et le promettant, en vertu duquel ce dernier s’est engagé à accomplir une prestation au profit du bénéficiaire.

La jurisprudence admet ainsi que le stipulant dispose d’un droit d’action en exécution forcée, lui permettant de contraindre le promettant à exécuter son obligation envers le bénéficiaire. Ce droit existe indépendamment de l’initiative du bénéficiaire : le stipulant peut agir, même si le bénéficiaire n’a pas encore exercé son propre recours contre le promettant. L’action du stipulant trouve sa justification dans l’intention même qui a présidé à la stipulation : il s’agit pour lui de garantir que l’engagement pris par le promettant au profit du tiers sera effectivement respecté.

Cette action en exécution peut revêtir plusieurs formes :

  • L’exécution forcée en nature: si l’obligation du promettant est encore susceptible d’être exécutée, le stipulant pourra demander au juge d’en ordonner l’exécution, le cas échéant sous astreinte. Cette solution s’impose notamment lorsque la prestation convenue revêt un caractère spécifique ou personnalisé, rendant une indemnisation pécuniaire insuffisante.
  • L’octroi de dommages-intérêts: lorsque l’exécution en nature est impossible ou manifestement disproportionnée, le stipulant pourra obtenir une indemnisation destinée à réparer l’inexécution de l’obligation contractuelle.

Ainsi, même si le bénéficiaire est titulaire d’un droit propre contre le promettant, la stipulation pour autrui ne dépossède pas le stipulant de son pouvoir d’intervention. Il conserve un intérêt légitime à veiller à l’exécution des engagements souscrits et peut, en conséquence, agir contre le promettant pour garantir l’effectivité de la stipulation.

b. L’action en résolution du contrat pour inexécution du promettant

Lorsqu’un contrat est créateur d’une stipulation pour autrui, il est admis que le stipulant puisse en solliciter la résolution en cas d’inexécution par le promettant. Cette faculté repose sur un principe fondamental : la stipulation pour autrui ne saurait subsister si le contrat dont elle est issue disparaît.

Ainsi, si le promettant manque à ses obligations à l’égard du bénéficiaire, le stipulant peut saisir le juge afin d’obtenir l’anéantissement rétroactif du contrat. Cette solution est largement consacrée par la jurisprudence, qui considère que le stipulant, en sa qualité de partie contractante, demeure en droit d’invoquer la résolution du contrat principal, même lorsque cette inexécution concerne exclusivement la prestation due au bénéficiaire.

Toutefois, le principe d’irrévocabilité de la stipulation après acceptation par le bénéficiaire vient tempérer ce pouvoir. En effet, une fois l’acceptation intervenue, la stipulation pour autrui acquiert une autonomie qui la protège d’une remise en cause arbitraire par le stipulant. La résolution du contrat devient alors plus délicate à obtenir et suppose un équilibre entre :

  • Le principe de l’irrévocabilité du droit du bénéficiaire, qui empêche le stipulant de remettre en cause la stipulation de manière unilatérale après acceptation ;
  • Le principe de dépendance du droit du bénéficiaire vis-à-vis du contrat dont il est issu, qui implique que la disparition du contrat entraîne logiquement celle de la stipulation.

Dès lors, si le bénéficiaire a accepté la stipulation, la résolution ne lui sera opposable que s’il a été mis en cause dans la procédure, conformément aux principes de l’autorité relative de la chose jugée. En revanche, en l’absence d’acceptation, la résolution s’impose naturellement, l’engagement du promettant envers le bénéficiaire trouvant exclusivement sa source dans le contrat initial.

Ainsi, l’action en résolution constitue une voie de droit essentielle pour le stipulant : elle lui permet d’exercer un contrôle sur la pérennité de la stipulation et de préserver ses intérêts en cas de défaillance du promettant.

c. L’action en responsabilité contractuelle pour obtenir des dommages-intérêts

Enfin, le stipulant peut solliciter une réparation pécuniaire lorsque l’inexécution du promettant lui cause un préjudice personnel. En effet, l’inexécution de la stipulation pour autrui ne saurait être neutre pour le stipulant : selon les circonstances, elle peut entraîner une atteinte à ses propres droits ou lui occasionner une perte financière.

L’action en responsabilité contractuelle du stipulant contre le promettant est susceptible d’intervenir dans deux situations:

  • Lorsque l’exécution de la stipulation conditionne une contrepartie due par le promettant. Tel est le cas, par exemple, lorsque le stipulant a prévu une prestation au profit du bénéficiaire en contrepartie d’une obligation réciproque du promettant. L’inexécution prive alors le stipulant de l’équilibre contractuel qu’il avait initialement recherché, justifiant ainsi une demande d’indemnisation.
  • Lorsque l’inexécution cause un préjudice propre au stipulant. L’absence d’exécution de la stipulation peut avoir des conséquences dommageables pour le stipulant lui-même, indépendamment des droits du bénéficiaire. Par exemple, si le stipulant avait un intérêt financier ou moral à voir la stipulation exécutée, il pourra prétendre à la réparation du préjudice subi.

Dans ces hypothèses, le stipulant peut solliciter l’octroi de dommages-intérêts sur le fondement de la responsabilité contractuelle, en démontrant :

  • Une inexécution imputable au promettant ;
  • Un préjudice personnellement subi ;
  • Un lien de causalité direct entre cette inexécution et son dommage.

Ainsi, le stipulant, loin d’être un simple intermédiaire passif dans l’opération de stipulation pour autrui, demeure pleinement investi d’un pouvoir d’action à l’égard du promettant.

3. L’incidence de la résolution du contrat sur les droits du bénéficiaire

La résolution du contrat créateur de la stipulation pour autrui soulève une question quant au sort du droit acquis par le bénéficiaire. En principe, l’anéantissement du contrat entraîne l’extinction de toutes les obligations qui en découlent, y compris celles résultant de la stipulation. Toutefois, lorsque le bénéficiaire a déjà accepté la stipulation, la situation se complexifie, suscitant une controverse doctrinale quant à la préservation ou à l’anéantissement de son droit.

a. Les thèses doctrinales

Deux approches doctrinales s’affrontent sur la question du maintien des droits du bénéficiaire après la résolution du contrat support :

  • L’autonomie du droit du bénéficiaire
    • Certains auteurs considèrent que, dès lors que le bénéficiaire a accepté la stipulation, son droit acquiert une autonomie qui le protège des aléas du contrat générateur.
    • Cette position repose sur le principe de l’irrévocabilité de la stipulation après acceptation, consacrée par l’article 1206, alinéa 3, du Code civil. L’idée sous-jacente est que le bénéficiaire ne saurait subir les conséquences d’un différend entre le stipulant et le promettant auquel il est étranger.
    • Ainsi, même en cas de résolution du contrat principal, la stipulation pour autrui perdurerait, contraignant le promettant à exécuter son obligation envers le bénéficiaire.
  • Le caractère accessoire du droit du bénéficiaire
    • À l’inverse, une autre partie de la doctrine soutient que le droit du bénéficiaire est intrinsèquement lié au contrat générateur de la stipulation, dont il constitue un accessoire.
    • Dans cette logique, la disparition du contrat principal emporte nécessairement l’extinction du droit du bénéficiaire, conformément au principe selon lequel l’accessoire suit le sort du principal.
    • Cette position repose sur une lecture rigoureuse du mécanisme de la stipulation pour autrui : le promettant ne s’engage pas directement envers le bénéficiaire, mais seulement en exécution d’une obligation contractuelle souscrite à l’égard du stipulant.
    • L’anéantissement de cette obligation contractuelle par voie de résolution priverait donc le bénéficiaire de tout fondement juridique pour réclamer l’exécution de la stipulation.

b. La solution jurisprudentielle

Face aux divergences doctrinales quant aux effets de la résolution du contrat générateur de la stipulation pour autrui, la jurisprudence a adopté une solution intermédiaire, conciliant l’irrévocabilité du droit du bénéficiaire avec la nécessité de préserver la cohérence contractuelle.

Cette position repose sur un critère déterminant : la mise en cause ou non du bénéficiaire dans l’instance en résolution. Deux situations doivent ainsi être distinguées.

==>La mise en cause du bénéficiaire dans l’instance en résolution : l’extinction de ses droits

Lorsqu’un litige survient entre le stipulant et le promettant et que la résolution du contrat est sollicitée, la jurisprudence exige que le bénéficiaire soit mis en cause dans l’instance. Cette exigence repose sur le principe de l’autorité relative de la chose jugée : un jugement ne saurait affecter les droits d’un tiers qui n’a pas été partie au litige.

Ainsi, si le bénéficiaire est appelé à la procédure, il a la possibilité de faire valoir ses arguments et de défendre son droit avant que le contrat ne soit anéanti. En pareille hypothèse, la résolution lui devient opposable et entraîne l’extinction de la stipulation pour autrui, dans la mesure où son fondement juridique disparaît.

Ce principe a été affirmé par la Cour de cassation dans un arrêt du 6 juin 1888 (Req., 6 juin 1888) aux termes duquel elle a jugé que la résolution prononcée en présence du bénéficiaire mettait fin à ses droits contre le promettant. La solution a été réaffirmée plus récemment dans des décisions portant sur la révocation de donations avec charges, lesquelles s’analysent en stipulations pour autrui (V. Cass. 1re civ., 7 juin 1989, n°87-14.648).

==>L’absence de mise en cause du bénéficiaire : la survie de la stipulation

En revanche, si le bénéficiaire n’a pas été mis en cause, il conserve son droit contre le promettant, qui ne pourra lui opposer la résolution du contrat principal. Dans ce cas, la stipulation survit à l’anéantissement du contrat, créant ainsi une obligation autonome du promettant envers le bénéficiaire.

Cette solution trouve son fondement dans l’idée qu’un tiers ne saurait être privé d’un droit dont il n’a pas eu l’opportunité de contester l’anéantissement devant un juge. Elle permet de garantir la sécurité juridique du bénéficiaire, en évitant qu’il ne soit soudainement privé de son droit sans avoir pu intervenir à la procédure.

La Cour de cassation a consacré cette approche dans un arrêt du 22 avril 1909 (Req., 22 avr. 1909, S. 1909, 1. 349), en refusant d’opposer la résolution du contrat au bénéficiaire d’une stipulation pour autrui qui n’avait pas été appelé à l’instance. Plus récemment, dans une affaire concernant l’assurance vie, elle a jugé que l’acceptation de la stipulation par le bénéficiaire créait un droit autonome, susceptible de survivre à la disparition du contrat initial (Cass. 1re civ., 12 mars 2002, n° 00-21.271).

==>Le recours du promettant contre le stipulant en cas d’exécution forcée

Lorsque la résolution du contrat ne peut être opposée au bénéficiaire, le promettant demeure tenu d’exécuter la stipulation, mais il conserve un recours en restitution contre le stipulant. Ce recours lui permet d’obtenir réparation du préjudice causé par l’exécution forcée d’une obligation qui aurait normalement dû disparaître avec le contrat initial.

La jurisprudence a confirmé que, dans une telle hypothèse, le promettant pouvait exercer une action en répétition des sommes versées (Cass. 1re civ., 14 déc. 1999, n° 97-20.040), ainsi qu’un recours en responsabilité contractuelle contre le stipulant s’il établissait un préjudice résultant de cette situation (Cass. com., 14 mai 1979, n°77-15.865).

4. Les recours dont dispose le promettant contre le stipulant aux fins d’exécution de ses obligations

Si la stipulation pour autrui confère au bénéficiaire un droit direct contre le promettant, elle ne réduit pas ce dernier à une position de simple débiteur passif, entièrement tributaire de la volonté du stipulant. En effet, en tant que partie au contrat générateur de la stipulation, le promettant conserve des voies de recours contre le stipulant, notamment lorsque ce dernier manque à ses propres engagements.

Ces recours revêtent une importance particulière dans le cadre d’un contrat synallagmatique, où l’obligation du promettant envers le bénéficiaire trouve sa contrepartie dans une prestation due par le stipulant. En ce sens, deux grandes catégories de recours sont ouvertes au promettant :

  • L’opposabilité au bénéficiaire des exceptions issues du contrat principal
  • Le recours en restitution contre le stipulant en cas d’exécution contrainte de la stipulation

a. L’opposabilité au bénéficiaire des exceptions tirées du contrat principal

Bien qu’il soit tenu d’une obligation à l’égard du bénéficiaire, le promettant conserve la possibilité d’invoquer des exceptions tirées du contrat conclu avec le stipulant. Ces exceptions lui permettent de suspendre ou de refuser l’exécution de l’obligation stipulée lorsque le contrat générateur n’est pas exécuté dans les conditions prévues.

==>L’exception d’inexécution

Le promettant peut opposer l’exception d’inexécution lorsque le stipulant n’a pas rempli ses obligations issues du contrat principal. Cette possibilité, consacrée par l’article 1219 du Code civil, permet au promettant de suspendre l’exécution de son obligation tant que le stipulant demeure défaillant.

En matière d’assurance vie, la jurisprudence admet que si le souscripteur n’a pas versé les primes dues, l’assureur peut refuser de verser le capital au bénéficiaire (Cass. 1re civ., 7 juin 1989, n° 87-14.648).

==>L’exception de nullité ou de résolution du contrat principal

Si le contrat générateur de la stipulation est entaché d’une cause de nullité ou fait l’objet d’une résolution, le promettant peut invoquer cette circonstance pour refuser d’exécuter l’obligation stipulée au profit du bénéficiaire.

La jurisprudence reconnaît en effet que le bénéficiaire ne peut prétendre à un droit dont le fondement juridique a disparu avec le contrat principal (Cass. 1re civ., 14 déc. 1999, n°97-20.040).

==>Limites aux exceptions opposables au bénéficiaire

Toutefois, le promettant ne peut pas opposer au bénéficiaire certaines exceptions personnelles au stipulant, notamment celles tenant à l’incapacité du stipulant ou à un vice du consentement, conformément aux articles 1147 et 1181 du Code civil.

Ainsi, si le contrat principal est annulé pour cause d’incapacité du stipulant, le promettant ne pourra pas s’en prévaloir à l’encontre du bénéficiaire (Cass. 1re civ., 12 mars 2002, n°00-21.271).

b. Le recours du promettant contre le stipulant en cas d’exécution forcée de la stipulation

Lorsqu’un promettant est contraint d’exécuter la stipulation malgré la disparition du contrat principal, il peut exercer un recours en restitution contre le stipulant. Ce recours repose sur le principe selon lequel le promettant ne doit pas être tenu d’exécuter une obligation qui a perdu son fondement contractuel.

==>L’action en répétition des prestations indûment exécutées

Si le promettant a été contraint d’exécuter une obligation au bénéfice du tiers alors que le contrat générateur a été annulé ou résolu, il peut exiger la restitution des prestations versées auprès du stipulant.

Ce principe s’inscrit dans la logique des restitutions consécutives à l’anéantissement d’un contrat, consacrée par l’article 1352 du Code civil et confirmée par la jurisprudence (Cass. req., 22 avr. 1909).

==>Le recours en responsabilité contractuelle contre le stipulant

Dans l’hypothèse où le promettant a dû exécuter la stipulation en raison d’un manquement du stipulant, il pourra engager la responsabilité contractuelle de ce dernier pour obtenir réparation du préjudice subi.

Ce recours suppose de prouver :

  • Un manquement contractuel du stipulant
  • Un préjudice pour le promettant
  • Un lien de causalité entre la faute du stipulant et le préjudice du promettant

Dans une affaire où un constructeur-promettant avait dû exécuter des travaux en faveur d’un bénéficiaire alors que le maître d’ouvrage (stipulant) n’avait pas payé le prix convenu, la Cour de cassation a admis son recours en responsabilité contractuelle contre le stipulant (Cass. com., 14 mai 1979).

c. Les actions dont dispose le stipulant après l’exécution de la stipulation

Bien que la stipulation pour autrui crée un droit direct au profit du bénéficiaire, elle ne prive pas pour autant le stipulant de toute action après l’exécution de l’obligation du promettant.

==>Le renouvellement des sûretés attachées à la créance du bénéficiaire

Lorsque la stipulation est assortie d’une sûreté garantissant l’exécution de la prestation due au bénéficiaire (gage, hypothèque, cautionnement), le stipulant peut prendre l’initiative de renouveler ces garanties afin de préserver le droit du bénéficiaire.

La Cour de cassation a reconnu la possibilité pour le stipulant de renouveler une hypothèque inscrite en garantie d’une obligation au profit d’un bénéficiaire (Cass. civ., 16 avr. 1894).

==>L’intervention en justice pour défendre l’exécution de la stipulation

Le stipulant, en sa qualité d’instigateur de la stipulation, peut également agir en justice pour garantir l’exécution de l’obligation souscrite par le promettant envers le bénéficiaire.

Par exemple, la Cour de cassation a admis que le stipulant puisse prendre des mesures conservatoires pour protéger le droit du bénéficiaire, notamment en saisissant des créances du promettant (Cass. civ., 16 janv. 1888)

B) Les effets dans les rapports entre le promettant et le tiers bénéficiaire

La stipulation pour autrui est un mécanisme contractuel singulier, permettant à un stipulant d’octroyer un droit à un tiers bénéficiaire, bien que celui-ci ne soit pas partie au contrat initial. Ce droit, d’abord rattaché à la volonté du stipulant, s’en émancipe progressivement pour devenir pleinement autonome dès qu’il est accepté par le bénéficiaire. Ainsi, l’équilibre entre la liberté contractuelle du stipulant et la protection du bénéficiaire repose sur trois principes essentiels : un droit direct conféré indépendamment de toute acceptation, une révocabilité tant que le bénéficiaire ne s’est pas prononcé, et une irrévocabilité consacrée par son adhésion à la stipulation.

1. Un droit direct conféré au bénéficiaire indépendamment de son acceptation

La stipulation pour autrui confère au bénéficiaire un droit direct et autonome à l’encontre du promettant, indépendamment de toute acceptation préalable de sa part. En d’autres termes, dès l’instant où la stipulation est réalisée, le bénéficiaire se trouve investi d’un droit de créance, qu’il peut faire valoir sans avoir à intervenir dans la formation du contrat initial. Ce principe, affirmé par l’article 1206, alinéa 1ere du Code civil, traduit une exception marquante au principe de l’effet relatif des contrats.

==>L’attribution immédiate d’un droit de créance au bénéficiaire

La jurisprudence reconnaît depuis longtemps que la stipulation pour autrui confère immédiatement au bénéficiaire un droit de créance opposable au promettant, sans qu’il ait besoin d’exprimer son accord (Cass. civ., 8 févr. 1888).

Ce droit peut naître de deux façons :

  • Une désignation immédiate du bénéficiaire au moment de la conclusion du contrat
    • Dès que le stipulant et le promettant concluent leur accord, le bénéficiaire est investi de son droit.
    • Il peut alors exiger directement du promettant l’exécution de la prestation convenue, sans intervention du stipulant.
  • Une désignation ultérieure du bénéficiaire
    • Dans ce cas, le stipulant modifie après coup le contrat pour désigner un bénéficiaire.
    • Une fois la désignation effectuée, ce dernier devient automatiquement titulaire de la créance, sans qu’il ait besoin de donner son accord préalable.

Dans tous les cas, la stipulation pour autrui opère un transfert immédiat du droit au bénéficiaire. Celui-ci peut donc exiger l’exécution de l’obligation sans qu’aucune formalité d’acceptation ne soit requise à ce stade. Cependant, tant qu’il ne l’a pas expressément acceptée, son droit demeure précaire et peut être révoqué par le stipulant.

==>Une action directe du bénéficiaire contre le promettant

L’un des principaux effets de la stipulation pour autrui réside dans la possibilité pour le bénéficiaire d’agir directement contre le promettant, sans que l’intervention du stipulant ne soit requise. Ce droit d’agir directement contre le promettant est reconnu par la Cour de cassation, qui affirme que le bénéficiaire peut réclamer l’exécution de la prestation directement entre les mains du promettant (Cass. com., 12 mai 1981, n°77-14.793).

Cette action ne dépend en rien de la volonté du stipulant : une fois la stipulation réalisée, le bénéficiaire dispose d’un droit propre, indépendant de toute demande ou validation du stipulant. Le promettant est ainsi juridiquement tenu envers le bénéficiaire comme s’il était directement partie au contrat, bien qu’il n’ait contracté initialement qu’avec le stipulant.

==>L’encadrement du droit du bénéficiaire par le contrat initial

Bien que le droit du bénéficiaire soit direct et opposable, il n’échappe pas aux limites et conditions fixées par le contrat initial. En effet, la créance dont il bénéficie découle exclusivement de l’accord entre le stipulant et le promettant, ce qui emporte plusieurs conséquences :

  • Le bénéficiaire ne peut prétendre à plus de droits que ceux prévus dans le contrat initial. Ainsi, il ne saurait revendiquer une prestation plus favorable ou en des termes différents de ceux établis par le stipulant et le promettant (Cass. com., 22 févr. 1950).
  • Le promettant peut lui opposer les exceptions inhérentes au contrat initial, comme l’extinction de l’obligation due à une inexécution fautive du stipulant, la survenance d’une condition résolutoire ou encore un vice du consentement affectant la formation du contrat (Cass. 1ere civ., 4 mai 1955)
  • La validité du contrat principal conditionne l’existence du droit du bénéficiaire. Si le contrat est nul ou anéanti, la stipulation pour autrui disparaît de plein droit, privant ainsi le bénéficiaire de toute prétention contre le promettant (Cass. 1ere civ., 17 mai 2005, n° 03-14.077).

En matière d’assurance sur la vie, ces principes sont codifiés à l’article L. 132-12 du Code des assurances, qui précise que le droit du bénéficiaire existe dès la conclusion du contrat, quelle que soit la date de sa désignation. Toutefois, tant que le bénéficiaire ne manifeste pas son adhésion à la stipulation, ce droit demeure fragile, car il reste à la merci d’une révocation par le stipulant.

==>L’incidence des clauses stipulées dans le contrat initial sur les droits du bénéficiaire

Le droit du bénéficiaire ne s’exerce pas en dehors du cadre contractuel qui le fonde. Dès lors, les clauses du contrat initial lui sont opposables, notamment :

  • Les clauses limitatives de responsabilité, qui peuvent restreindre l’étendue des obligations du promettant ;
  • Les clauses d’exclusion, notamment en matière d’assurance, où l’assureur peut refuser d’indemniser le bénéficiaire en raison des exclusions prévues dans le contrat (Cass. 1ere civ., 20 juill. 1981, n° 80-13.752) ;
  • Les clauses compromissoires et attributives de compétence, qui ont vocation à s’imposer au bénéficiaire si elles figurent dans le contrat principal (Cass. 1ere civ., 11 juill. 2006, n° 03-11.983).

Toutefois, la doctrine critique cette extension des clauses au bénéficiaire, considérant qu’il n’est pas partie au contrat et ne devrait pas être contraint par une clause compromissoire sauf acceptation expresse de sa part.

==>Un droit conféré sous conditions et limites contractuelles

Enfin, si la stipulation pour autrui octroie un droit direct au bénéficiaire, certaines situations peuvent en limiter les effets :

  • L’incapacité du stipulant : si le stipulant était juridiquement inapte à contracter, la stipulation pour autrui sera privée d’effet (Cass. 1ere civ., 8 mai 1979, n° 77-13.339).
  • L’inopposabilité de certaines clauses : le bénéficiaire ne peut se prévaloir d’une clause pénale prévue dans le contrat principal s’il n’en est pas expressément attributaire (Cass. com., 23 mai 1989, n° 86-14.936).

2. Un droit révocable jusqu’à l’acceptation du tiers bénéficiaire

Si la stipulation pour autrui confère immédiatement un droit au bénéficiaire, ce dernier demeure précaire tant qu’il ne l’a pas accepté. En effet, l’article 1206, alinéa 2 du Code civil dispose que « tant que le bénéficiaire ne l’a pas acceptée, le stipulant peut la révoquer ». Ce principe repose sur l’idée que le stipulant, à l’origine du droit conféré, conserve la maîtrise de son engagement jusqu’à ce qu’il devienne irrévocable par l’acceptation du bénéficiaire.

Cette faculté de révocation du stipulant, qui constitue le pendant négatif de son pouvoir d’attribution, se caractérise par trois éléments essentiels : son caractère unilatéral, discrétionnaire et effectif à compter de sa notification.

a. La faculté de révocation du stipulant

==>Le caractère unilatéral du droit de révocation

Le stipulant est le seul maître du sort de la stipulation tant que le bénéficiaire ne l’a pas acceptée. Il peut donc décider seul, sans requérir l’accord ni du bénéficiaire ni du promettant, de modifier, supprimer ou substituer un autre bénéficiaire à celui initialement désigné.

Ce principe a été consacré par la jurisprudence dès le XIX? siècle, qui a affirmé que le stipulant dispose d’une liberté absolue de rétractation avant acceptation du bénéficiaire (Cass. civ., 27 déc. 1853).

==>Le caractère discrétionnaire du droit de révocation

Le stipulant peut exercer sa faculté de révocation librement, sans condition de forme ou de justification. La doctrine souligne que cette prérogative repose sur le principe de l’autonomie de la volonté, qui lui permet de modifier à tout moment l’acte de stipulation.

Toutefois, des limites à cette liberté ont été reconnues par la jurisprudence :

  • Lorsque le promettant a un intérêt légitime dans la stipulation (économique ou moral), son consentement peut être requis pour révoquer la stipulation (CA Grenoble, 6 avr. 1881).
  • Une clause contractuelle peut prévoir que la stipulation est irrévocable dès son origine, restreignant ainsi la faculté du stipulant de la modifier ou de la supprimer (Cass. req., 30 juill. 1877).
  • En cas d’abus de droit, la révocation pourrait être sanctionnée si elle est exercée dans des conditions contraires à la bonne foi contractuelle (art. 1104 du Code civil).

==>Le caractère réceptice du droit de révocation

Bien que le stipulant soit libre de révoquer la stipulation, l’effet de cette révocation n’est pas automatique : l’article 1207, alinéa 3 du Code civil impose qu’elle soit portée à la connaissance du bénéficiaire ou du promettant pour être opposable. Cette exigence vise à garantir la sécurité juridique des parties et à éviter toute exécution d’une prestation en faveur d’un bénéficiaire dont le droit aurait disparu.

b. Les conditions d’exercice du droit de révocation

La révocation ne peut être exercée que sous certaines conditions tenant à la durée du pouvoir de révocation et à son extinction en cas d’acceptation du bénéficiaire.

==>Une faculté limitée dans le temps

Le pouvoir de révocation du stipulant disparaît dès l’acceptation du bénéficiaire. En vertu de l’article 1206, alinéas 2 et 3 du Code civil, dès que le bénéficiaire accepte la stipulation, celle-ci devient irrévocable.

La jurisprudence a confirmé ce principe, notamment en matière d’assurance sur la vie : tant que le bénéficiaire n’a pas accepté la désignation, l’assuré conserve un droit absolu de révocation. En revanche, dès que l’acceptation intervient, la stipulation devient définitive, rendant toute révocation impossible (Cass. 1ere civ., 17 nov. 2021, n° 20-12.711).

==>Le droit de révocation peut être exercé par les héritiers

Si le stipulant décède avant d’avoir révoqué la stipulation, ses héritiers peuvent encore le faire, sous réserve de respecter un délai strict. L’article 1207, alinéa 1er du Code civil prévoit qu’ils doivent mettre le bénéficiaire en demeure d’accepter dans un délai de trois mois. À défaut d’acceptation dans ce délai, la stipulation est réputée révoquée.

c. Les modalités d’exercice du droit de révocation

La révocation peut être expresse ou tacite, mais elle doit être notifiée pour produire effet.

En effet, aucune forme spécifique n’est requise pour révoquer la stipulation. Elle peut être :

  • Expresse : par une déclaration écrite (courrier, acte notarié, avenant au contrat principal) ou verbale.
  • Tacite : par un acte manifestant sans équivoque la volonté du stipulant d’anéantir la stipulation (par exemple, la désignation d’un nouveau bénéficiaire).

En matière d’assurance sur la vie, la jurisprudence a reconnu qu’un testament révoquant une désignation bénéficiaire pouvait suffire à caractériser la révocation, même si l’assureur n’en était pas informé immédiatement (Cass. 1ere civ., 24 juin 1969).

Bien que le stipulant puisse révoquer la stipulation librement, cette révocation ne produit effet qu’une fois notifiée au bénéficiaire ou au promettant (art. 1207, alinéa 3 du Code civil).

Cette règle poursuit un double objectif :

  • Sécuriser la situation du bénéficiaire : tant qu’il n’a pas été informé de la révocation, il peut toujours accepter la stipulation et la rendre irrévocable.
  • Protéger le promettant : pour éviter qu’il exécute une obligation au profit d’un bénéficiaire dont le droit a été supprimé.

En cas d’acceptation du bénéficiaire avant que la révocation ne lui soit notifiée, la révocation devient sans effet (Cass. soc., 5 janv. 1956).

d. Les effets de la révocation

Une fois notifiée, la révocation anéantit rétroactivement le droit du bénéficiaire. Celui-ci est censé n’en avoir jamais été titulaire (art. 1207, alinéa 5 du Code civil).

Si la révocation est pure et simple, la stipulation disparaît, mais le contrat principal subsiste. En revanche, si la stipulation était essentielle à l’équilibre du contrat, la disparition de la stipulation peut entraîner celle du contrat principal.

  • Sort de la prestation après révocation
    • Si aucun nouveau bénéficiaire n’est désigné, la prestation profite au stipulant ou à ses héritiers (Cass. civ., 27 déc. 1853).
    • Si un nouveau bénéficiaire est désigné, la stipulation est maintenue mais le droit direct est transféré au nouveau bénéficiaire (art. 1207, alinéa 2 du Code civil).
  • Opposabilité de la révocation
    • Une fois notifiée, la révocation devient opposable au bénéficiaire, qui ne peut plus prétendre au bénéfice du contrat.
    • Si le promettant exécute la prestation en faveur d’un bénéficiaire révoqué faute d’avoir été informé, il peut réclamer restitution au bénéficiaire initial (Cass. 2? civ., 13 juin 2019, n° 18-14.954).

3. Un droit irrévocable après l’acceptation du tiers bénéficiaire

L’acceptation de la stipulation pour autrui marque une rupture décisive dans la construction juridique de cette institution. Tant qu’elle n’intervient pas, le bénéficiaire demeure dans une situation d’incertitude, ne tenant son droit qu’à la volonté révocable du stipulant. Mais dès lors qu’il exprime son adhésion, ce droit se fige : il acquiert un caractère irrévocable, devient pleinement opposable au promettant et échappe définitivement au pouvoir de modification du stipulant.

Cette transition d’un droit fragile à un droit définitivement établi s’inscrit dans un cadre juridique rigoureusement structuré, régi par les articles 1206 à 1208 du Code civil, et, en matière d’assurance sur la vie, par l’article L. 132-9 du Code des assurances.

a. La faculté d’acceptation

L’acceptation de la stipulation pour autrui ne constitue en aucun cas une obligation pour le bénéficiaire : elle demeure une simple faculté, dont l’exercice relève de son libre arbitre. Ni le stipulant, ni le promettant ne peuvent le contraindre à accepter un droit qui lui est conféré.

Cette liberté trouve son fondement dans la nature même de la stipulation pour autrui, qui confère un avantage sans imposer de charge au bénéficiaire. Contrairement à un engagement contractuel classique, la stipulation ne crée aucune obligation tant que le bénéficiaire ne manifeste pas sa volonté de l’accepter.

==>Un droit discrétionnaire

Aussi, le bénéficiaire dispose d’un pouvoir souverain de décision quant à l’acceptation de la stipulation. Il peut choisir d’accepter ou de refuser le bénéfice qui lui est offert, sans avoir à en justifier les raisons.

Exemple: une personne désignée bénéficiaire d’une assurance-vie peut refuser ce bénéfice, notamment si elle ne souhaite pas être impliquée dans une situation successorale complexe.

Le refus du bénéficiaire entraîne la caducité de la stipulation. Aucun droit ne peut plus être revendiqué sur ce fondement.

==>Absence d’effet contraignant

Tant que le bénéficiaire ne s’est pas prononcé, aucune obligation ne pèse sur lui. Il ne peut être tenu d’exécuter une quelconque prestation, ni même d’assumer une quelconque responsabilité juridique.

Dès lors, un bénéficiaire désigné dans un contrat d’assurance-vie n’a aucun devoir envers l’assureur ni envers le souscripteur tant qu’il n’a pas accepté la stipulation. Il n’a donc pas à justifier son silence, ni ne s’expose à une action en responsabilité à raison de sa passivité.

==>Un droit précaire

Avant toute acceptation, le droit conféré au bénéficiaire reste fragile et révocable. Le stipulant conserve ainsi la faculté de modifier ou de rétracter son engagement à tout moment, sans que le bénéficiaire puisse s’y opposer.

La Cour de cassation a confirmé dès le XIX? siècle que, tant que l’acceptation n’est pas intervenue, le stipulant dispose d’un droit absolu de révocation (Cass. civ., 27 déc. 1853).

Exemple pratique :

  • Un souscripteur d’une assurance-vie peut modifier la clause bénéficiaire tant que le bénéficiaire initial ne l’a pas acceptée.
  • De même, dans un contrat de prestation de services, une entreprise peut révoquer une stipulation au profit d’un tiers avant que celui-ci ne manifeste son acceptation.

==>Les options ouvertes au bénéficiaire

Le bénéficiaire dispose de trois options, chacune ayant des conséquences distinctes :

  • Accepter la stipulation
    • L’acceptation a pour effet de consolider définitivement le droit conféré au bénéficiaire :
      • Le stipulant perd alors tout pouvoir de révocation.
      • Le bénéficiaire devient créancier direct du promettant.
    • Exemple : Lorsqu’un bénéficiaire accepte une assurance-vie, il devient le titulaire irrévocable du droit sur le capital garanti, et le souscripteur ne peut plus en modifier les termes.
  • Refuser le bénéfice de la stipulation
    • Si le bénéficiaire rejette la stipulation, celle-ci est anéantie et devient définitivement caduque.
    • Cette situation peut survenir, par exemple, lorsque l’acceptation de la stipulation entraînerait des conséquences fiscales indésirables ou un conflit d’intérêts.
    • Exemple: un bénéficiaire refuse un contrat d’assurance-vie pour éviter des frais fiscaux ou une gestion successorale complexe.
  • Ne pas se prononcer
    • Lorsque le bénéficiaire demeure silencieux et ne manifeste ni acceptation ni refus, la stipulation pour autrui reste en suspens, dans une situation juridique incertaine.
    • Cette absence de prise de position n’éteint pas la stipulation, mais la laisse dans un état précaire, où aucun droit définitif n’est acquis et où la faculté de révocation du stipulant demeure entière.
    • Tant que le bénéficiaire ne se prononce pas :
      • Le stipulant conserve un pouvoir discrétionnaire de révocation : il peut revenir sur son engagement à tout moment, sans avoir à justifier sa décision.
      • Le promettant n’est pas tenu envers le bénéficiaire : tant que ce dernier n’a pas accepté, aucune créance n’est constituée en sa faveur et le promettant ne peut être contraint d’exécuter l’obligation stipulée.
    • Exemple en matière d’assurance-vie:
      • Un bénéficiaire qui tarde à accepter ne fait naître aucune obligation à la charge de l’assureur.
      • L’assureur peut solliciter une clarification afin de savoir si le capital doit être versé au bénéficiaire désigné ou si un autre bénéficiaire doit être désigné en substitution.

b. Les conditions de l’acceptation

L’acceptation, en tant qu’acte juridique unilatéral du bénéficiaire, doit satisfaire aux conditions générales de validité des actes juridiques, telles que définies par le Code civil.

==>La capacité du bénéficiaire

L’acceptation suppose que le bénéficiaire soit juridiquement capable d’exercer ses droits. La jurisprudence considère que cette capacité doit être appréciée au jour de l’attribution du droit (Cass. civ., 8 févr. 1888), ce qui implique que si le bénéficiaire est frappé d’une incapacité à cette date, il ne pourra pas valablement accepter la stipulation sans l’intervention d’un représentant légal.

Si le bénéficiaire est frappé d’une incapacité juridique (mineur non émancipé, majeur sous tutelle, etc.), son représentant légal peut accepter la stipulation pour son compte. Cependant, cette acceptation ne doit pas être équivoque et doit clairement manifester l’intention du représentant d’accepter la stipulation au nom du bénéficiaire.

Toutefois, en matière d’assurance sur la vie, une protection supplémentaire est prévue afin d’éviter les abus ou l’exploitation d’un bénéficiaire vulnérable. Ainsi, l’article L. 132-4-1, alinéa 4 du Code des assurances dispose que l’acceptation d’un bénéficiaire sous tutelle ou curatelle peut être annulée si son incapacité était notoire ou connue du cocontractant au moment de l’acte.

Aussi, lorsqu’une personne vulnérable est désignée bénéficiaire d’une assurance-vie, l’assureur doit s’assurer de la capacité du bénéficiaire ou de son représentant avant d’enregistrer une acceptation, sous peine de voir l’acte annulé pour cause d’incapacité manifeste.

==>L’absence de vice du consentement

L’acceptation de la stipulation pour autrui doit être donnée en toute liberté et sans contrainte. Dès lors, elle doit être exempte d’erreur, de dol ou de violence, conformément aux principes généraux régissant la validité des actes juridiques (art. 1130 et s. du Code civil).

  • L’erreur
    • L’erreur peut affecter la validité de l’acceptation si elle porte sur l’objet même de la stipulation.
    • Par exemple, si le bénéficiaire accepte en croyant que la stipulation porte sur une prestation plus avantageuse qu’elle ne l’est en réalité, son consentement pourrait être remis en cause.
    • Exemple pratique: un bénéficiaire accepte un contrat d’assurance-vie en pensant qu’il percevra immédiatement un capital alors que la clause ne prévoit qu’un versement différé sous condition suspensive. S’il prouve que cette erreur était déterminante dans sa décision, il pourrait demander l’annulation de son acceptation.
  • Le dol
    • Le dol, défini comme une manœuvre frauduleuse ayant pour objet de tromper une personne et de l’inciter à contracter, constitue un vice du consentement susceptible d’entacher l’acceptation de nullité
    • Application en assurance-vie : si un stipulant ou un assureur cache volontairement des informations essentielles au bénéficiaire pour l’inciter à accepter la stipulation, cette acceptation pourrait être frappée de nullité pour dol.
  • La violence
    • L’acceptation doit être exempte de toute contrainte physique ou morale. Si un bénéficiaire accepte sous la pression d’un tiers (chantage, menace, abus de faiblesse), il pourrait contester son engagement et obtenir son annulation.
    • Exemple : un parent exerçant une pression morale sur son enfant pour qu’il accepte une stipulation dans un contrat d’assurance au profit d’un tiers non désiré pourrait voir cette acceptation annulée pour violence morale.

==>Une stipulation précise et déterminée

L’acceptation de la stipulation pour autrui ne saurait être efficace que si le bénéficiaire est en mesure d’identifier avec certitude les droits qui lui sont conférés. À défaut, l’acceptation reposerait sur une base incertaine, dépourvue de toute valeur juridique. Ce principe trouve son fondement dans l’exigence générale de détermination de l’objet des obligations, telle que consacrée par l’article 1128 du Code civil, qui impose que tout engagement juridique repose sur un objet certain et déterminé.

En effet, l’identification du droit conféré au bénéficiaire constitue une condition essentielle à la validité de son acceptation. Il ne peut exprimer un consentement éclairé qu’à la condition de connaître exactement l’étendue de la stipulation. L’objet de cette dernière doit être formulé en des termes suffisamment clairs pour éviter toute ambiguïté ou interprétation divergente.

Si la stipulation est trop vague, le bénéficiaire se trouverait dans l’impossibilité d’évaluer la portée de son droit et d’exercer librement sa faculté d’acceptation.

La jurisprudence est venue réaffirmer cette exigence en jugeant que le bénéficiaire doit être en mesure d’identifier sans équivoque les avantages qui lui sont conférés, sous peine d’invalidité de l’acceptation (Cass. civ., 8 févr. 1888).

Une stipulation qui se contenterait de mentionner « un avantage financier dont les modalités seront définies ultérieurement » ne saurait être acceptée valablement, faute d’éléments objectifs permettant d’en préciser la teneur.

L’exigence de détermination concerne tant la nature de la prestation que ses modalités d’exécution.

L’obligation stipulée doit être clairement définie et identifiable. Elle peut porter sur le versement d’une somme d’argent, l’octroi d’un droit particulier ou encore la fourniture d’une prestation en nature. Toutefois, elle ne peut être laissée à la seule discrétion du stipulant ou du promettant sans critères objectifs de détermination.

Ainsi, une clause prévoyant que « le bénéficiaire recevra un montant déterminé en fonction de la volonté du stipulant » est nulle, car elle repose sur un engagement potestatif, ce qui est prohibé par le droit des obligations (Cass. civ., 25 avr. 1903).

En matière d’assurance-vie, l’article L. 132-9, II du Code des assurances impose que la clause bénéficiaire soit rédigée avec suffisamment de précision pour permettre une identification certaine du bénéficiaire et des droits qui lui sont conférés.

Une stipulation trop vague ne saurait produire d’effet juridique. L’exigence de détermination joue ici un rôle fondamental de sécurité juridique, en garantissant que le bénéficiaire puisse comprendre l’étendue de ses droits et que le promettant puisse exécuter son engagement sans incertitude.

Par exemple, une clause stipulant que « le bénéficiaire recevra une aide financière adaptée à ses besoins » serait irrecevable, car elle ne précise ni le montant de l’aide, ni ses modalités d’octroi. Une telle clause pourrait être jugée nulle pour indétermination de l’objet (art. 1163 du Code civil).

Lorsqu’une stipulation offre plusieurs options de prestations, elle ne peut conférer un pouvoir discrétionnaire absolu au stipulant ou au promettant. Le choix entre plusieurs prestations doit être encadré par des critères objectifs. Ainsi, une clause précisant que « le bénéficiaire pourra recevoir soit une rente viagère, soit un capital forfaitaire de 100 000 € au choix du promettant » ne serait valide que si le contrat prévoit un mode de détermination du choix.

Par ailleurs, l’identification du bénéficiaire est également une condition de validité de la stipulation. Le droit conféré par celle-ci doit être attribué à une personne précisément désignée ou, à tout le moins, déterminable au moment de l’acceptation.

Lorsque le bénéficiaire est expressément désigné, la stipulation ne soulève aucune difficulté. En revanche, si la clause ne mentionne pas un nom précis, elle doit comporter des critères objectifs permettant d’identifier avec certitude la personne appelée à bénéficier de la prestation.

Ainsi, une stipulation prévoyant que « le bénéficiaire sera mon fils aîné » est valide, car elle repose sur un critère clair et vérifiable. En revanche, une désignation trop large, comme « l’un de mes proches », serait insuffisante et pourrait entraîner la caducité de la stipulation (Cass. civ., 7 oct. 1981).

En matière d’assurance-vie, la désignation du bénéficiaire doit respecter une rigueur particulière afin d’éviter toute contestation ultérieure. Une clause indiquant que « le bénéficiaire sera la personne vivant en concubinage avec moi au moment de mon décès » est considérée comme valide, dès lors qu’elle repose sur un critère objectif permettant d’identifier clairement le bénéficiaire.

c. Les modalités de l’acceptation

L’acceptation de la stipulation pour autrui constitue un acte juridique unilatéral qui peut prendre différentes formes, à condition qu’elle manifeste de manière claire et non équivoque la volonté du bénéficiaire d’adhérer aux droits qui lui sont conférés.

En l’absence d’exigences imposées par le Code civil, elle peut être expresse ou tacite. Toutefois, en matière d’assurance sur la vie, un formalisme particulier a été institué afin d’encadrer cette acceptation et d’en garantir l’opposabilité aux parties concernées.

==>L’acceptation expresse

L’acceptation est réputée expresse lorsqu’elle résulte d’une manifestation de volonté explicite du bénéficiaire, exprimée par écrit, verbalement ou par tout autre procédé ne laissant place à aucune équivoque quant à son intention d’adhérer à la stipulation.

L’article 1100-1 du Code civil exige que tout acte juridique unilatéral, tel que l’acceptation d’une stipulation pour autrui, soit formulé en des termes clairs et dépourvus d’ambiguïté. Par ailleurs, l’article 1172 du même code admet que l’acceptation puisse intervenir sous toute forme, sauf si un texte impose un formalisme spécifique.

La jurisprudence, dès le XIX? siècle, a consacré cette souplesse en affirmant que l’acceptation pouvait être rendue opposable au stipulant ou au promettant dès lors qu’elle résultait d’une déclaration expresse, qu’elle soit écrite ou verbale (Cass. civ., 25 avr. 1853).

Ainsi, l’acceptation peut se manifester de différentes manières :

  • Par l’envoi d’un écrit, tel qu’une lettre ou un courriel, adressé au stipulant ou au promettant.
  • Par une déclaration verbale dont l’existence peut être attestée par un écrit ou un témoignage.
  • Par l’insertion d’une mention explicite dans un acte juridique, tel qu’un testament ou un contrat.

Exemple pratique : en matière d’assurance-vie, si le bénéficiaire adresse une lettre recommandée à l’assureur et au souscripteur exprimant son acceptation, celle-ci devient irrévocable et prive le souscripteur de la faculté de modifier ultérieurement la clause bénéficiaire.

Toutefois, bien que l’acceptation expresse constitue la voie la plus sécurisante d’un point de vue juridique, elle ne constitue pas l’unique modalité d’adhésion à la stipulation, la jurisprudence reconnaissant également l’acceptation tacite lorsque certains indices factuels démontrent sans ambiguïté la volonté du bénéficiaire de se prévaloir du droit qui lui est conféré.

==>L’acceptation tacite

L’acceptation peut également résulter d’un comportement du bénéficiaire traduisant sans équivoque sa volonté d’adhérer à la stipulation. Ce mode d’acceptation repose sur une interprétation des actes du bénéficiaire, qui doivent être suffisamment explicites pour établir son intention.

La jurisprudence a reconnu plusieurs situations dans lesquelles une acceptation tacite peut être caractérisée :

  • La perception régulière d’une prestation : lorsque le bénéficiaire d’une rente prévue par la stipulation pour autrui commence à percevoir les versements et ne manifeste aucune opposition, son acceptation est présumée (Cass. req., 2 avr. 1912).
  • Le paiement des primes d’un contrat d’assurance-vie : lorsqu’un bénéficiaire prend en charge le règlement des cotisations, il manifeste son adhésion à la stipulation faite à son profit (CA Bordeaux, 21 mai 1885).
  • L’exercice de droits liés à la stipulation : le fait pour un bénéficiaire d’intenter une action en exécution de la stipulation traduit une acceptation implicite et irrévocable.

Cependant, certains comportements ne suffisent pas à établir une acceptation tacite.

La simple détention de l’original d’un contrat d’assurance-vie ne suffit pas à caractériser une acceptation tacite, sauf si d’autres éléments viennent corroborer cette intention (CA Paris, 3 janv. 1918).

A cet égard, un bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie qui détient une copie du contrat sans jamais en demander l’exécution ne peut être considéré comme ayant accepté tacitement la stipulation. En revanche, s’il engage des démarches auprès de l’assureur pour obtenir le versement du capital, l’acceptation sera considérée comme acquise.

L’acceptation tacite repose donc sur une analyse factuelle et peut donner lieu à des débats en cas de contentieux. Elle est moins sécurisante qu’une acceptation expresse et peut être contestée en l’absence d’éléments probants.

==>Régime spécial de l’assurance-vie

L’acceptation du bénéfice d’un contrat d’assurance-vie est encadrée par un formalisme rigoureux, imposé par l’article L. 132-9, II du Code des assurances. Ce régime spécifique vise à protéger le souscripteur en lui garantissant un contrôle effectif sur la désignation du bénéficiaire tant qu’il est en vie.

  • Avant le décès du souscripteur
    • Tant que le souscripteur est en vie, l’acceptation du bénéficiaire ne peut intervenir que sous l’une des deux formes suivantes :
      • Un avenant tripartite, signé par le souscripteur, le bénéficiaire et l’assureur. Cet acte engage définitivement les parties et empêche toute modification unilatérale ultérieure du bénéficiaire.
      • Un acte authentique ou sous seing privé, signé par le souscripteur et le bénéficiaire, qui doit ensuite être notifié à l’assureur. Cette notification constitue une formalité essentielle, permettant à l’assureur d’être informé officiellement du caractère désormais irrévocable de la désignation.
    • L’une de ces deux formalités doit impérativement être respectée pour que l’acceptation produise ses effets.
    • Une simple manifestation de volonté du bénéficiaire, même exprimée clairement, ne saurait suffire. Tant que cette acceptation formalisée n’a pas eu lieu, le souscripteur conserve la liberté de modifier la clause bénéficiaire sans restriction.
  • Après le décès du souscripteur
    • À compter du décès du souscripteur, les contraintes formelles disparaissent.
    • Le bénéficiaire peut alors accepter le bénéfice du contrat par tout moyen, que ce soit de manière expresse (par une déclaration écrite) ou tacite (par un acte révélant sans équivoque sa volonté d’accepter, comme la demande de versement du capital).

L’article L. 132-9, II du Code des assurances a suscité des interrogations quant à la portée de la signature de l’assureur dans l’avenant tripartite. Certains auteurs ont estimé que cette signature traduisait une forme d’adhésion contractuelle, transformant ainsi l’acceptation en un acte nécessitant le consentement de trois parties (stipulant, bénéficiaire, assureur). D’autres ont soutenu une lecture plus restrictive, considérant que la signature de l’assureur ne constituait qu’une formalisation administrative, destinée à garantir une bonne information des parties.

En tout état de cause, ce formalisme strict répond à un impératif de protection du souscripteur. Il empêche que l’acceptation du bénéficiaire ne soit réalisée à son insu ou sous une influence extérieure, et lui garantit la possibilité de revenir sur la désignation tant qu’il est en vie. Ce n’est qu’après acceptation formelle que le bénéficiaire acquiert un droit intangible, rendant toute modification impossible sans son consentement.

En définitive, le régime de l’acceptation en assurance-vie illustre l’équilibre recherché entre la protection du souscripteur et la consolidation des droits du bénéficiaire, en fonction du moment où intervient l’acceptation.

d. Les effets de l’acceptation

L’acceptation de la stipulation pour autrui marque une transformation décisive dans le régime juridique de l’attribution au profit du bénéficiaire. Tant qu’elle n’est pas intervenue, la stipulation demeure précaire et révocable, ne créant à son profit qu’une simple expectative. En revanche, dès que le bénéficiaire exprime son acceptation, son droit acquiert une assise définitive : il devient irrévocable et directement opposable au promettant, tout en échappant à l’influence du stipulant. Cette irrévocabilité s’impose de manière absolue et ne souffre d’aucune exception, sauf stipulation expresse contraire.

Si la doctrine s’interroge sur la nature rétroactive de l’acceptation, elle s’accorde néanmoins sur son caractère déclaratif. L’acte d’acceptation ne crée pas un droit nouveau, mais vient consolider un droit préexistant, sans en modifier la substance. Loin d’opérer un bouleversement dans l’économie du contrat initial, il fige les conditions de la stipulation et confère au bénéficiaire un droit désormais intangible.

Les effets de l’acceptation revêtent une intensité particulière en matière d’assurance-vie. Loin de se limiter à la seule irrévocabilité de l’attribution, elle prive le souscripteur de la faculté de rachat du contrat, empêchant ainsi toute remise en cause ultérieure du bénéfice conféré. Le droit du bénéficiaire se trouve ainsi définitivement cristallisé, s’imposant tant au promettant qu’au stipulant.

L’analyse des effets de l’acceptation peut dès lors être structurée autour de trois axes : l’irrévocabilité du droit du bénéficiaire, son opposabilité immédiate au promettant et les conséquences spécifiques qu’elle entraîne en matière d’assurance-vie.

==>L’irrévocabilité du droit du bénéficiaire

L’acceptation de la stipulation pour autrui opère une véritable cristallisation des droits du bénéficiaire en le plaçant hors d’atteinte des volontés ultérieures du stipulant. Avant cette manifestation de volonté, la stipulation demeure fragile et révocable : le stipulant conserve toute latitude pour en modifier ou en anéantir les effets. Toutefois, dès que le bénéficiaire accepte la stipulation, son droit devient intangible. L’article 1206, alinéa 3 du Code civil consacre ce principe en affirmant que l’acceptation rend l’attribution irrévocable. Toute tentative ultérieure du stipulant de modifier ou de révoquer la stipulation se heurte alors à une nullité de plein droit. La jurisprudence a confirmé cette règle avec constance, en affirmant que toute révocation postérieure à l’acceptation demeure dépourvue d’effet et ne saurait priver le bénéficiaire du droit qui lui a été conféré (Cass. 1re civ., 26 juin 1961).

L’irrévocabilité ainsi acquise ne se limite pas à la seule impossibilité de suppression du droit du bénéficiaire : elle s’étend également aux conditions de son exécution. L’acceptation fige définitivement les termes de l’engagement souscrit par le promettant, rendant toute modification ultérieure du contrat d’origine inopposable au bénéficiaire. Dès lors que ce dernier a accepté la stipulation, les évolutions contractuelles intervenues entre le stipulant et le promettant ne peuvent en aucun cas altérer ses droits. La Cour de cassation a consacré ce principe en jugeant qu’une modification du contrat conclu entre le stipulant et le promettant, postérieure à l’acceptation, reste sans effet sur la créance du bénéficiaire, qui demeure tenu aux conditions initialement convenues (Cass. 1re civ., 5 déc. 1978, n°77-14.029).

Cette règle revêt une importance particulière en matière d’assurance emprunteur. Une fois l’acceptation intervenue, toute modification du risque couvert par l’assureur, même convenue entre le stipulant et le promettant, ne saurait porter atteinte aux droits du bénéficiaire. Il en résulte une véritable stabilité juridique du mécanisme de la stipulation pour autrui, qui confère au bénéficiaire une protection efficace contre toute remise en cause ultérieure.

==>L’opposabilité immédiate au promettant

L’acceptation ne se borne pas à dessaisir le stipulant de sa faculté de révocation ; elle confère également au bénéficiaire un droit propre et directement opposable au promettant. Dès que l’acceptation est formulée, le bénéficiaire devient le créancier exclusif du promettant, lequel ne peut plus s’acquitter de son obligation qu’en exécutant la prestation à son profit. Toute tentative de paiement au stipulant, même conforme à la relation initiale entre ce dernier et le promettant, est juridiquement inopérante. La jurisprudence a consacré cette règle en affirmant que le bénéficiaire dispose, dès son acceptation, d’un droit autonome qui ne saurait être anéanti par un paiement effectué entre les mains du stipulant (Cass. 1re civ., 19 déc. 2000, n° 98-14.105).

Cette consécration du droit direct du bénéficiaire s’accompagne d’un corollaire essentiel: toute exécution irrégulière de l’obligation du promettant est frappée de nullité. Ainsi, le paiement effectué entre les mains du stipulant après acceptation ne produit aucun effet libératoire à l’égard du bénéficiaire, lequel demeure fondé à en exiger l’exécution intégrale. Ce principe confère à la stipulation pour autrui une efficacité propre, en soustrayant définitivement le bénéficiaire aux aléas des relations contractuelles initiales.

Toutefois, une partie de la doctrine s’est interrogée sur la possibilité d’une dérogation conventionnelle à cette règle. Il a ainsi été soutenu que le stipulant et le promettant pourraient convenir, dès la formation du contrat, que le droit direct du bénéficiaire demeurerait révocable malgré son acceptation. Une telle analyse, défendue notamment par Demogue suggère que l’acceptation du bénéficiaire ne ferait pas obstacle à une révocation convenue dès l’origine. Cette thèse reste cependant largement minoritaire et n’a reçu aucune consécration jurisprudentielle. La jurisprudence demeure en effet attachée au principe d’irrévocabilité du droit du bénéficiaire après acceptation, considérant que toute stipulation contraire porterait atteinte à la sécurité juridique du mécanisme de la stipulation pour autrui.

==>Les effets de l’acceptation en matière d’assurance-vie

L’acceptation produit des effets particulièrement marqués en matière d’assurance-vie, où elle a pour conséquence de priver le souscripteur de sa faculté de rachat. Avant acceptation, le souscripteur conserve la possibilité de modifier la clause bénéficiaire ou d’exercer son droit de rachat sur le contrat. En revanche, après acceptation, ces prérogatives lui échappent totalement. L’article L. 132-9, I du Code des assurances, dans sa version issue de la loi du 17 décembre 2007, consacre désormais ce principe en disposant qu’après acceptation, « le stipulant ne peut exercer sa faculté de rachat et l’entreprise d’assurance ne peut lui consentir d’avance sans l’accord du bénéficiaire ».

Cette interdiction du rachat a donné lieu à des controverses doctrinales et jurisprudentielles. Certains auteurs avaient soutenu que l’acceptation ne faisait pas obstacle à l’exercice du droit de rachat par le souscripteur, dès lors que ce droit était prévu dans le contrat et que le bénéficiaire avait accepté la stipulation en connaissance de cause. La chambre mixte de la Cour de cassation avait même admis, dans un premier temps, que l’acceptation du bénéficiaire ne privait pas nécessairement le souscripteur de sa faculté de rachat (Cass. ch. mixte, 22 févr. 2008, n°06-11.934). Toutefois, cette position a finalement été abandonnée au profit de la solution actuelle, qui consacre l’irrévocabilité de l’attribution après acceptation et l’interdiction corrélative du rachat.

La justification de cette solution repose sur la nature même de l’acceptation, qui équivaut à une acceptation de donation de la part du souscripteur. Or, en application des règles encadrant les donations, l’irrévocabilité constitue un principe d’ordre public, et la faculté de rachat reviendrait à vider l’acceptation de son effet juridique. Comme l’a souligné la doctrine, une clause par laquelle le souscripteur se réserverait la possibilité de racheter le contrat malgré l’acceptation du bénéficiaire serait contraire au principe d’irrévocabilité des donations et, à ce titre, juridiquement nulle[26].

Ainsi, en matière d’assurance-vie, l’acceptation ne se contente pas de figer les droits du bénéficiaire : elle soustrait également le contrat à toute possibilité de remise en cause par le souscripteur. Dès lors que le bénéficiaire a exprimé son acceptation, la stipulation lui devient définitivement acquise, et toute tentative du souscripteur de racheter le contrat en contradiction avec cette acceptation est juridiquement inefficace.

C) Les effets dans les rapports entre le stipulant et le tiers bénéficiaire

La stipulation pour autrui ne se réduit pas à la seule création d’un lien entre le bénéficiaire et le promettant. Elle instaure également une relation juridique entre le stipulant et le bénéficiaire, dont la nature et les effets varient selon l’intention qui a présidé à l’établissement de la stipulation dans le contrat principal. Cette relation, souvent sous-estimée, est pourtant fondamentale, car elle éclaire la portée véritable de la stipulation et détermine les éventuelles obligations réciproques des parties en présence.

==>Une relation qui peut être guidée par une intention libérale

Dans de nombreux cas, la stipulation pour autrui s’analyse comme une libéralité indirecte, en ce qu’elle vise à gratifier le bénéficiaire sans contrepartie. Cette qualification a des conséquences majeures, notamment en matière de protection des créanciers et des héritiers du stipulant.

D’une part, si la stipulation pour autrui a eu pour effet d’appauvrir le stipulant, ses créanciers peuvent agir par la voie de l’action paulienne pour en obtenir l’inopposabilité, à condition d’établir que la stipulation leur a causé un préjudice et qu’elle a été conclue en fraude de leurs droits.

D’autre part, en matière successorale, les héritiers du stipulant peuvent contester l’attribution au profit du bénéficiaire si celle-ci porte atteinte à la réserve héréditaire. Toutefois, cette contestation obéit à un régime particulier en ce qui concerne l’assurance-vie. L’article L. 132-13 du Code des assurances consacre en effet une règle spécifique selon laquelle seule la fraction des primes manifestement exagérées peut être réintégrée dans la succession. Le capital décès versé au bénéficiaire échappe ainsi à toute remise en cause, sauf en cas d’abus manifeste dans le versement des primes. Cette solution, largement admise par la jurisprudence, vise à préserver la spécificité du contrat d’assurance-vie en tant qu’instrument de prévoyance et de transmission patrimoniale.

==>L’absence d’obligation du stipulant envers le bénéficiaire

En principe, dès lors que la stipulation pour autrui a conféré un droit direct au bénéficiaire, le stipulant ne demeure tenu à aucune obligation à son égard. Le bénéficiaire ne peut exiger du stipulant qu’il veille à la bonne exécution de l’engagement pris par le promettant ni qu’il garantisse la prestation qui lui est due. Cette règle découle de la nature même de la stipulation pour autrui, qui repose sur un transfert de droit sans transfert d’obligation.

Le stipulant peut néanmoins choisir d’assumer un rôle plus actif dans la mise en œuvre de la stipulation. Ainsi, s’il s’engage expressément à garantir la réalisation de la prestation, il se trouve contractuellement tenu à l’égard du bénéficiaire. Dans cette hypothèse, une inexécution du promettant pourrait justifier une action du bénéficiaire contre le stipulant, fondée sur l’engagement de garantie souscrit. Toutefois, à défaut d’une stipulation expresse en ce sens, le bénéficiaire ne dispose d’aucun recours contre le stipulant et doit se retourner exclusivement contre le promettant pour faire valoir ses droits.

==>L’absence de recours du bénéficiaire contre le stipulant en cas d’échec de la stipulation

La question se pose avec acuité lorsque la stipulation pour autrui devient inefficace en raison d’une annulation ou d’une résolution du contrat principal. En pareil cas, le bénéficiaire se retrouve privé du droit qu’il croyait acquérir, et il pourrait être tenté d’agir contre le stipulant pour obtenir réparation du préjudice subi.

En principe, une telle action est irrecevable. La stipulation pour autrui ne crée en effet aucun engagement autonome du stipulant envers le bénéficiaire : son rôle se limite à instituer un droit au profit de ce dernier, mais sans obligation corrélative à sa charge. Ainsi, si le contrat principal est anéanti, la stipulation disparaît avec lui, sans que le bénéficiaire puisse en contester les effets. Cette solution, conforme aux principes généraux du droit des obligations, vise à éviter d’imputer au stipulant une responsabilité qui excéderait son engagement initial.

Toutefois, une exception mérite d’être relevée. Si le stipulant a expressément garanti au bénéficiaire la mise en œuvre de la stipulation, il pourrait voir sa responsabilité engagée en cas de défaillance du promettant. Une telle garantie ne se présume pas et doit résulter d’une clause expresse dans le contrat principal. En l’absence d’un tel engagement formel, le bénéficiaire demeure privé de tout recours contre le stipulant et doit exclusivement s’adresser au promettant pour obtenir l’exécution de la prestation qui lui est due.

 

 

 

  1. Pothier, Traité des obligations, 1761, n° 45. ?
  2. Planiol, Traité élémentaire de droit civil, t. 2, 1901, n° 1123. ?
  3. E. Gaudemet, Théorie générale des obligations, 1937, p. 237 ?
  4. Traité des obligations en général, t. VII, 1933, n° 77 ?
  5. M. Mignot, Commentaire article par article de l’ordonnance du 10 février 2016, LPA, 30 mars 2016, p. 11. ?
  6. F. Terré et Ph. Simler, Les obligations, Dalloz, 12e éd., 2019, n° 699. ?
  7. R. Remogue, Traité des obligations en général, t. VII, 1933, n° 759 ?
  8. J. Ghestin, Ch. Jamin et M. Billiau, Les effets du contrat, LGDJ, 3? éd. 2001, n° 967. ?
  9. R. Rodière, Droit des transports, Sirey, 2? éd., 1977, n° 364 ?
  10. Planiol, Traité élémentaire de droit civil, t. II, 3e éd., n° 629 ?
  11. J. Ghestin, Traité de droit civil, Les effets du contrat, LGDJ, 3e éd., 2001, n° 967 ?
  12. R. Demogue, Traité des obligations en général, t. VII, 1933, n° 77 ?
    1. Colin et H. Capitant, Traité de droit civil, t. II, Dalloz, 1959, n° 973

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  13. R. Beudant, Cours de droit civil français, 1953, n° 941 ?
  14. Pothier, Traité des obligations, 1761, n° 45. ?
  15. Portalis, Discours préliminaire du Code civil, 1801. ?
  16. P. Esmein, Traité pratique de droit civil français, t. VI, 1952, n° 48 ?
  17. M. Mignot, Commentaire de l’ordonnance du 10 février 2016, LPA, 2016, n° 64, p. 11 ?
  18. M. Marty et M. Raynaud, Les obligations, t. 1, 2? éd., Sirey, 1988, n° 283. ?
  19. Eugène Gaudemet, Théorie générale des obligations, 1937, Dalloz, p. 243 ?
  20. Guy Flattet, Les contrats pour le compte d’autrui, thèse, Paris, 1950, n° 106 ?
  21. G. Ripert et J. Boulanger, Traité de droit civil, d’après le traité de M. Planiol, t. II, LGDJ, 1957, n° 630 et 642. ?
  22. J. Ghestin, C. Jamin et M. Billiau, Les effets du contrat, 3? éd., 2001, LGDJ, n° 994 ?
  23. Ph. Amsler, Donation à cause de mort et désignation du bénéficiaire d’une assurance de personnes, 1979, p. 68. ?
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  25. M. Grimaldi, Les donations à terme, Études offertes à P. Catala, Litec 2001, n° 14, p. 432 ?

La stipulation pour autrui: conditions

La stipulation pour autrui constitue une exception au principe de l’effet relatif des contrats, qui veut qu’un contrat ne crée d’obligations qu’entre les parties qui l’ont conclu. Elle permet ainsi à une personne (le stipulant) de prévoir, dans un contrat conclu avec une autre personne (le promettant), qu’un tiers bénéficiaire pourra directement se prévaloir d’un droit issu de cet accord.

Désormais consacrée aux articles 1205 à 1209 du Code civil, cette institution repose sur une construction doctrinale et jurisprudentielle ancienne, qui a progressivement évolué pour s’affranchir de certaines limitations initialement imposées par la théorie contractuelle classique.

Pour être valable, la stipulation pour autrui doit réunir deux conditions essentielles :

  • Son caractère contractuel : elle ne peut exister sans un accord exprès entre le stipulant et le promettant visant à conférer un droit à un tiers.
  • La désignation du bénéficiaire : le tiers doit être déterminé ou, à défaut, déterminable au moment de l’exécution du contrat.

C’est l’existence de ces deux éléments qui permet au bénéficiaire d’opposer la stipulation au promettant et d’exercer le droit qui lui a été conféré.

A) Le caractère contractuel de la stipulation pour autrui

La stipulation pour autrui puise son essence dans la volonté concertée du stipulant et du promettant, qui s’accordent expressément à conférer un droit direct à un tiers bénéficiaire. Ce fondement contractuel, consacré par l’article 1205 du Code civil, implique que la stipulation ne saurait se déduire du silence des parties : elle requiert une manifestation de volonté non équivoque (Cass. 1re civ., 7 janv. 1997, n° 94-16.151).

Longtemps perçue comme un mécanisme nécessairement accessoire à une obligation sous-jacente, la stipulation pour autrui s’est progressivement affranchie de cette exigence, au point d’acquérir une autonomie conceptuelle reconnue tant par la doctrine que par la jurisprudence. Ainsi, son existence n’est plus subordonnée à l’existence d’une prestation entre le stipulant et le promettant (Cass. 1re civ., 12 avr. 1967).

Dès lors, la stipulation pour autrui ne procède ni d’un impératif d’utilité pour le stipulant ni d’une relation sous-jacente entre les parties contractantes, mais exclusivement de l’engagement du promettant à l’égard du tiers, par la seule force de l’accord contractuel qui l’y oblige.

1. La volonté conjointe du stipulant et du promettant de faire naître un droit au profit d’un tiers

La stipulation pour autrui trouve son assise dans l’accord concerté du stipulant et du promettant, lesquels manifestent une volonté expresse et non équivoque de conférer un droit direct à un tiers bénéficiaire. Ce principe, désormais consacré par l’article 1205 du Code civil, constitue le fondement même de cette institution, en ce qu’il permet d’affranchir le bénéficiaire du principe de l’effet relatif des contrats.

a. Une volonté de créer un droit au profit d’un tiers

Loin de se déduire implicitement du contrat, la stipulation pour autrui exige une intention claire et indubitable des parties. Aussi, le principe selon lequel la stipulation pour autrui ne saurait se présumer est désormais bien établi en droit français. L’article 1205 du Code civil rappelle avec fermeté que la volonté de conférer un droit au tiers doit être clairement exprimée. La jurisprudence a réaffirmé cette exigence, en jugeant que l’intention des parties de créer une stipulation pour autrui devait être non équivoque et ne pouvait se déduire implicitement du contrat (Cass. 1re civ., 7 janv. 1997, n° 94-16.151).

Cette exigence trouve sa justification dans la nature même de la stipulation pour autrui. Elle constitue en effet une dérogation au principe de l’effet relatif des conventions (art. 1199 C. civ.), qui dispose que les contrats ne créent d’obligations qu’entre les parties. Dès lors, il ne saurait être admis qu’un tiers puisse revendiquer un droit contractuel sans que cette conséquence ait été expressément voulue par le stipulant et le promettant.

Toutefois, si cette volonté conjointe est essentielle à la validité de la stipulation, l’analyse du mécanisme révèle une distinction à faire entre la création de la créance et son attribution au bénéficiaire.

  • La création de la créance trouve son origine dans l’accord entre le stipulant et le promettant. C’est cette rencontre des volontés qui génère une obligation nouvelle.
  • L’attribution de la créance au bénéficiaire, en revanche, repose sur la seule volonté du stipulant. Ce dernier agit ici unilatéralement, à l’instar d’un cédant dans une cession de créance, tandis que le promettant, assimilable au cédé, n’a pas à consentir à cette transmission (art. 1321, al. 4 C. civ.). Tout au plus doit-il être informé de celle-ci (C. civ., art. 1324, al. 1er).

La distinction entre ces deux étapes de l’opération trouve une illustration particulièrement évocatrice dans la jurisprudence relative à l’assurance pour compte. En effet, l’existence d’une telle stipulation repose exclusivement sur l’accord du souscripteur et de l’assureur, indépendamment de la volonté du bénéficiaire (Cass. 2e civ., 24 oct. 2019, n° 18-21.363). À l’inverse, lorsque cet accord fait défaut ou demeure incertain, la stipulation ne saurait prospérer, ce qui conduit la jurisprudence à refuser la reconnaissance d’une assurance pour compte en l’absence d’une volonté suffisamment caractérisée en faveur du bénéficiaire (Cass. 2e civ., 25 juin 2020, n° 18-26.685 et 19-10.157).

Ainsi, plus encore que l’attribution de la créance au bénéficiaire, c’est bien la rencontre des volontés du stipulant et du promettant qui constitue le socle de la stipulation pour autrui. Loin d’être un mécanisme implicite, elle requiert une intention manifeste des parties, seule garante de la rigueur contractuelle et de la sécurité juridique de l’opération.

b. L’inopérance de l’exigence d’un intérêt du stipulant

Si l’existence d’une volonté claire est unanimement requise, la question de l’intérêt du stipulant dans l’opération a fait l’objet de vives controverses doctrinales et jurisprudentielles.

Historiquement, la jurisprudence a conditionné la validité de la stipulation pour autrui à l’existence d’un intérêt du stipulant, qu’il soit moral ou patrimonial (Cass. civ. 16 janv. 1888). Cette approche reposait sur l’idée que le stipulant devait agir dans une finalité qui lui était propre et non dans une logique purement gratuite. En d’autres termes, la stipulation pour autrui n’était admise que si le stipulant trouvait un avantage dans l’opération.

Toutefois, cette exigence a progressivement perdu de sa pertinence, au point d’être qualifiée de « faux problème » par la doctrine. Des auteurs tels que Marty et Raynaud soutiennent que la seule volonté conjointe du stipulant et du promettant suffit à justifier la stipulation, indépendamment de toute considération d’intérêt propre du stipulant. L’intérêt du stipulant ne constitue pas une condition essentielle, dès lors que l’acte de stipulation repose sur une autonomie juridique propre.

La jurisprudence a suivi cette évolution en cessant progressivement de faire référence à l’intérêt du stipulant comme condition de validité de la stipulation pour autrui (Cass. com. 1er déc. 1975, n°74-13.788). Désormais, l’accord des parties constitue le seul fondement du mécanisme, sans que le stipulant ait à démontrer un quelconque avantage personnel.

L’ordonnance du 10 février 2016 a définitivement consacré l’autonomie de la stipulation pour autrui en supprimant toute référence à l’intérêt du stipulant dans le Code civil. Alors que l’ancien article 1121 imposait que la stipulation fût l’accessoire d’une obligation principale pesant sur le stipulant, cette exigence a été expressément abandonnée dans les nouvelles dispositions de l’article 1205.

Cet abandon marque l’aboutissement d’une évolution tendant à détacher la stipulation pour autrui des contraintes inutiles qui limitaient son efficacité. Désormais, ce mécanisme contractuel fonctionne librement, sans que l’on ait à s’interroger sur l’utilité du stipulant dans l’opération.

Ainsi, l’essence de la stipulation pour autrui ne réside pas dans l’intérêt du stipulant, mais bien dans la volonté conjointe de ce dernier et du promettant de faire naître un droit au profit d’un tiers. Dès lors, l’accord des parties demeure le seul fondement de la stipulation, affranchi de toute exigence d’utilité ou d’intérêt personnel du stipulant.

2. L’abandon du caractère accessoire de la stipulation pour autrui

La stipulation pour autrui a longtemps été conçue comme un mécanisme intrinsèquement lié à un engagement principal du stipulant. L’ancien article 1121 du Code civil consacrait cette approche, en posant comme condition de validité que la stipulation pour autrui fût l’accessoire d’une obligation du stipulant, lequel devait lui-même retirer un bénéfice de l’opération. En d’autres termes, la stipulation pour autrui ne pouvait prospérer que dans le cadre d’une convention où le stipulant trouvait un intérêt propre à conférer un avantage au tiers bénéficiaire.

Toutefois, cette exigence a progressivement perdu en pertinence, jusqu’à être entièrement abandonnée par la doctrine et la jurisprudence. Dès 1967, la Cour de cassation a marqué un tournant décisif en reconnaissant qu’une stipulation pour autrui pouvait exister indépendamment de toute obligation principale du stipulant (Cass. 1re civ., 12 avr. 1967). Cette décision opérait une rupture avec la conception traditionnelle du mécanisme en consacrant la pleine autonomie de la stipulation pour autrui, y compris dans l’hypothèse où le stipulant ne retirait aucun avantage personnel de l’engagement pris par le promettant.

Cette évolution s’est prolongée dans la jurisprudence contemporaine, notamment en matière d’assurance, où il a été jugé que la désignation ou la substitution du bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie, effectuée par voie testamentaire, n’avait pas à être portée à la connaissance de l’assureur pour être valide (Cass. 2e civ., 10 mars 2022, n°20-19.655). Cet arrêt illustre le fait que la stipulation pour autrui, loin d’être conditionnée par l’existence d’un engagement principal du stipulant, est un acte unilatéral attributif de créance, dont l’effet se déploie sans intervention nécessaire du promettant au moment de son exécution.

a. La remise en cause doctrinale de l’exigence d’accessoire

La doctrine, largement favorable à cette évolution, a souligné l’inanité d’une telle contrainte, qui limitait artificiellement la portée du mécanisme. M. Marty et M. Raynaud relèvent ainsi que « l’exigence d’accessoire constituait une entrave inutile à l’effectivité du procédé, sans fondement réel dans la logique contractuelle »[19].

Dans le même esprit, des auteurs comme Eugène Gaudemet[20], Théorie générale des obligations, 1937, Dalloz, p. 243 et Guy Flattet[21] démontrent que rien dans la construction contractuelle ne justifiait que la stipulation pour autrui fût nécessairement subordonnée à une prestation du stipulant. Loin de constituer un principe essentiel, l’ancienne exigence d’accessoire apparaissait comme un dogme artificiel, entravant la souplesse du droit des obligations.

Cette critique a conduit à une inversion des perspectives : alors que la conception classique considérait que la stipulation pour autrui devait être l’accessoire d’une obligation du stipulant, certains auteurs ont soutenu que c’est, au contraire, la stipulation pour soi-même qui peut être reléguée à un rôle secondaire, le véritable moteur du mécanisme étant l’engagement du promettant envers le bénéficiaire. Cette analyse rejoint les observations de Georges Ripert et Jean Boulanger, selon lesquels « la stipulation pour autrui n’est pas une opération technique qui se suffise à elle-même. C’est un mécanisme juridique qui fonctionne à l’intérieur d’un contrat pour en diviser les effets »[22]. Dans le même sens, d’autres auteurs ont souligné que « ce n’est plus la stipulation pour autrui qui est accessoire à un engagement du stipulant, mais bien la stipulation pour soi-même qui l’accompagne qui peut être reléguée à un rôle secondaire »[23].

Par ailleurs, il a été démontré que la stipulation pour autrui s’apparente à un acte unilatéral du stipulant attribuant une créance au bénéficiaire, sans que l’accord du promettant ne soit requis à ce stade (art. 1321, al. 4 C. civ.). Dès lors, l’existence d’un contrat générateur de la créance demeure une condition préalable nécessaire, mais la stipulation elle-même n’a plus à s’inscrire dans un cadre accessoire.

b. La consécration de l’autonomie de la stipulation pour autrui

Cette évolution doctrinale et jurisprudentielle a finalement trouvé son aboutissement dans la réforme du droit des contrats opérée par l’ordonnance du 10 février 2016. Les nouveaux articles 1205 et suivants du Code civil consacrent désormais l’autonomie de la stipulation pour autrui, sans exiger qu’elle s’inscrive dans un engagement principal du stipulant.

Désormais, la stipulation pour autrui est reconnue comme un acte distinct du contrat générateur de la créance, soumis aux conditions générales du droit des actes juridiques, notamment en matière de capacité (art. 1128 C. civ.). La jurisprudence récente a confirmé cette autonomie, en reconnaissant notamment qu’une stipulation pour autrui pouvait être implicite, dès lors qu’elle résultait de la volonté non équivoque des parties (Cass. 1re civ., 10 juill. 1995, n° 92-13.534).

En définitive, l’abandon du caractère accessoire marque l’aboutissement d’une évolution tendant à détacher la stipulation pour autrui des contraintes inutiles qui limitaient sa portée. Elle confère à cette institution une autonomie renouvelée, lui permettant de s’adapter plus librement aux besoins des contractants et d’assurer une meilleure prévisibilité des droits du bénéficiaire. Ainsi affranchi de son ancrage traditionnel dans une obligation du stipulant, le mécanisme de la stipulation pour autrui acquiert une souplesse nouvelle, renforçant son efficacité en tant qu’outil de structuration des relations contractuelles.

B) Le tiers bénéficiaire de la stipulation

La stipulation pour autrui confère un droit direct au bénéficiaire, bien que celui-ci ne soit pas partie au contrat initial. Toutefois, pour que ce droit soit reconnu, encore faut-il que le bénéficiaire soit déterminé ou déterminable, qu’il accepte la stipulation, et qu’il puisse, dans certains cas, être tenu d’obligations corrélatives.

L’évolution de la jurisprudence et de la doctrine a progressivement affiné ces conditions, en conciliant la flexibilité contractuelle avec la nécessité de préserver la sécurité juridique. Loin d’être un simple spectateur du contrat, le bénéficiaire devient un acteur dont les droits et obligations doivent être précisément encadrés.

1. La désignation du bénéficiaire

a. L’exercice d’un pouvoir unilatéral du stipulant

L’identification du bénéficiaire est une pierre angulaire du mécanisme de la stipulation pour autrui, en ce qu’elle conditionne l’attribution effective du droit conféré. Ce pouvoir appartient exclusivement au stipulant, seul habilité à attribuer à un tiers la créance qu’il détient contre le promettant. Il ne s’agit pas d’une simple prérogative, mais d’un droit discrétionnaire, corollaire du principe selon lequel la stipulation pour autrui confère au stipulant la maîtrise du droit né du contrat, lui permettant d’en disposer librement (art. 537 C. civ.). Dès lors, l’acte par lequel le stipulant désigne le bénéficiaire s’analyse en un acte unilatéral, qui modifie l’économie du contrat initial en déterminant la personne à laquelle la créance sera directement transmise[24].

L’effet de cette désignation est contraignant pour le promettant, lequel, à l’instar du débiteur dans une cession de créance (art. 1321 C. civ.) ou une indication de paiement (art. 1342-2, al. 1er C. civ.,), est tenu d’exécuter son obligation au profit du bénéficiaire désigné, sans qu’un consentement de sa part soit requis pour la validité de l’attribution (art. 1321, al. 4 C. civ.). Ainsi, la jurisprudence a refusé d’admettre comme bénéficiaire d’une assurance-décès une personne mentionnée de manière informelle par l’assureur dans un certificat d’adhésion partiellement complété, au motif que seule la volonté expresse du stipulant est de nature à conférer un droit direct au tiers (CA Toulouse, 2e ch., 1re sect., 23 juin 2005).

La désignation du bénéficiaire emporte un effet attributif immédiat, dont la nature varie selon le moment où elle intervient. Lorsque la stipulation est formulée dès l’origine, la créance naît directement dans le patrimoine du bénéficiaire, sans jamais transiter par celui du stipulant (Cass. 1re civ., 7 janv. 1997, n° 94-16.151). À l’inverse, si la créance a préalablement existé dans le patrimoine du stipulant avant d’être attribuée, l’opération s’apparente davantage à une transmission. Toutefois, la stipulation pour autrui se distingue fondamentalement d’une cession de créance en ce que le bénéficiaire n’est pas l’ayant cause du stipulant : il n’hérite pas d’un droit préexistant, mais devient titulaire d’une créance qui prend naissance en sa faveur.

Ainsi, la désignation du bénéficiaire ne se réduit pas à une simple modalité du contrat : elle constitue l’acte fondateur par lequel le stipulant confère au tiers un droit direct contre le promettant, consacrant ainsi la vocation autonome de la stipulation pour autrui.

b. Moment et modalités de la désignation du bénéficiaire

La stipulation pour autrui suppose que le bénéficiaire soit désigné par le stipulant au promettant (art. 1205, al. 2 C. civ). Toutefois, cette désignation ne doit pas nécessairement intervenir lors de la conclusion du contrat : elle peut être effectuée ultérieurement, sous réserve que le promettant ne s’y oppose pas. Cette possibilité découle du fait que l’attribution d’un droit au profit d’un tiers dépend exclusivement de la volonté du stipulant, lequel dispose d’une faculté de révocation tant que le bénéficiaire n’a pas accepté la stipulation (Cass., ass. plén., 12 déc. 1986, n°84-17.867).

Ainsi, le stipulant conserve la liberté de modifier la désignation du bénéficiaire à tout moment, sous réserve des conditions posées par la loi ou par la nature du contrat. Par exemple, en matière d’assurance-vie, la jurisprudence a admis qu’un souscripteur puisse substituer un nouveau bénéficiaire à l’ancien par simple déclaration, sans que cela ne constitue une cession de créance (Cass. 1re civ., 10 juill. 1996, n° 94-18.733). Cette solution repose sur l’idée que le stipulant ne saurait céder un droit qui ne lui appartient pas, dès lors qu’il l’a fait naître directement au profit du bénéficiaire désigné.

En l’absence de désignation expresse, la créance issue de la stipulation pour autrui revient au stipulant lui-même ou, en cas de décès, à sa succession (art. L. 132-11 C. ass.). Cette solution, appliquée en matière d’assurance-vie, a valeur de principe général et s’étend à toutes les hypothèses de stipulation pour autrui. Il en résulte que tant que le bénéficiaire n’est pas formellement désigné, le droit demeure dans la sphère patrimoniale du stipulant, qui peut en disposer librement.

Si le bénéficiaire est désigné, il n’est pas nécessaire que celui-ci soit informé immédiatement de l’attribution du droit à son profit. L’acte attributif est en effet non réceptice par nature : la créance est transmise indépendamment de la connaissance qu’en a le bénéficiaire. Toutefois, cette situation change dès lors que le stipulant décide de notifier la stipulation au bénéficiaire : dans ce cas, la faculté de révocation disparaît, et toute modification ultérieure de la désignation du bénéficiaire requiert son consentement (art. 1207, al. 3 C. civ.).

c. Le bénéficiaire : un ayant cause particulier du stipulant

Le bénéficiaire de la stipulation pour autrui est traditionnellement qualifié d’ayant cause à titre particulier du stipulant. Son droit résulte directement de la volonté de ce dernier et s’exerce avec les caractères qui lui ont été conférés par le stipulant (Cass. com., 19 déc. 1960, n° 58-11.141). Cette qualification a des implications majeures, notamment en ce qui concerne la pérennité du droit du bénéficiaire : tant que la stipulation n’a pas été acceptée, le stipulant conserve la faculté de révoquer l’attribution ou de substituer un autre bénéficiaire. Cette possibilité de révocation souligne le fait que le droit direct du bénéficiaire ne naît que de la volonté du stipulant et demeure suspendu tant qu’il ne l’a pas accepté.

D’un point de vue économique, la stipulation pour autrui peut répondre à diverses causes objectives : elle peut être motivée par une intention libérale (donation), par une logique de financement (prêt) ou par un objectif d’exécution d’une obligation préexistante (paiement). Dans tous les cas, elle se réalise en deux temps : d’abord, l’attribution de la créance, puis, le cas échéant, la transformation de cette créance en somme d’argent par l’exécution de l’obligation du promettant.

==>Qui peut être bénéficiaire d’une stipulation pour autrui ?

  • Les parfaits étrangers (penitus extranei)
    • Il ne fait aucun doute qu’une stipulation pour autrui peut être faite au profit d’un tiers totalement étranger aux parties contractantes.
    • Un stipulant peut ainsi, sans difficulté, conférer un droit à une personne qui ne possède aucun lien de droit avec lui ou avec le promettant.
    • La doctrine et la jurisprudence admettent sans réserve cette faculté, considérant qu’elle ne rencontre aucun obstacle juridique ou logique.
    • Dans ce cas, l’engagement du promettant bénéficie directement à ce tiers, sans que celui-ci ait à justifier d’un lien antérieur avec le stipulant. Par exemple, en matière d’assurance, un souscripteur peut valablement stipuler au profit d’une fondation ou d’une œuvre caritative, alors même qu’aucun lien préexistant ne l’unissait à ces entités.
  • Les ayants cause à titre particulier
    • La stipulation pour autrui peut également être faite au profit des ayants cause à titre particulier du stipulant, c’est-à-dire des personnes qui reçoivent un droit précis et identifiable de sa part.
    • Ce cas est largement admis, car rien n’empêche un stipulant de transmettre à un tiers, en plus d’un droit direct, un droit accessoire contre le promettant.
    • Par exemple, lorsqu’un propriétaire vend un immeuble et impose à l’acquéreur une clause de non-concurrence en faveur du repreneur d’un fonds de commerce attenant, ce dernier devient bénéficiaire d’une stipulation pour autrui.
    • Il détient ainsi un droit propre à faire respecter la clause, indépendamment du lien contractuel entre le vendeur et l’acheteur (Cass. com., 19 déc. 1960, n° 58-11.141).
  • Les ayants cause universels ou à titre universel (héritiers et successeurs)
    • Le cas des héritiers et ayants cause universels est plus complexe.
    • Traditionnellement, la jurisprudence a longtemps refusé d’admettre qu’un stipulant puisse stipuler pour ses héritiers, au motif que ces derniers recueillent déjà, par l’effet de la succession, les droits de leur auteur.
    • En d’autres termes, stipuler en faveur de ses héritiers reviendrait à se stipuler pour soi-même, ce qui viderait de son sens la stipulation pour autrui (Cass. Req. 15 juill. 1875, S. 1877. 1. 326).
    • Toutefois, cette position a évolué, notamment en matière d’assurance sur la vie.
    • L’article L. 132-8 du Code des assurances permet expressément de désigner comme bénéficiaires les héritiers de l’assuré.
    • Dans ce cas, leur droit naît du contrat d’assurance et non de la succession.
    • Ils ne recueillent donc pas un droit dérivé du défunt, mais un droit direct issu de la stipulation, ce qui les distingue des simples successeurs universels.
    • La jurisprudence a également validé des stipulations pour autrui au profit de certains héritiers seulement.
    • Si le stipulant choisit de conférer un droit à un héritier particulier sans que cette qualité n’ait d’incidence sur l’attribution du droit, alors la stipulation demeure valable.
    • Ainsi, un parent peut souscrire une assurance-vie au profit d’un seul de ses enfants sans que cette désignation soit assimilée à un pacte sur succession future prohibé (Cass., ch. réun., 28 avr. 1961, n°57.12.658).

2. La nécessité d’un bénéficiaire déterminé ou déterminable

La stipulation pour autrui, pour produire ses effets, exige que le bénéficiaire soit soit déterminé ab initio, soit déterminable avec certitude au moment de l’exécution de la promesse. Cette exigence trouve sa justification dans la nécessité d’assurer la sécurité juridique des parties et d’éviter qu’un droit soit créé sans titulaire certain.

a. Un bénéficiaire nécessairement déterminable

La stipulation pour autrui ne saurait déployer ses effets qu’au bénéfice d’un titulaire précisément identifié ou, à défaut, rigoureusement déterminable au moment où la promesse est appelée à s’exécuter. Cette exigence, désormais consacrée par l’article 1205, alinéa 2, du Code civil, assure la sécurité juridique du mécanisme en prévenant toute incertitude quant à l’attribution des droits conférés. En ce sens, le texte prévoit que le bénéficiaire peut être « déterminé au moment de l’exécution de la promesse », consacrant ainsi une solution qui, longtemps débattue, s’est progressivement imposée en doctrine et en jurisprudence.

Historiquement, l’incertitude pesait sur la possibilité d’instituer un bénéficiaire non immédiatement désigné. Le principe classique, solidement ancré en droit des obligations, commande que tout rapport d’obligation suppose nécessairement un créancier identifiable, de sorte qu’un droit ne peut exister sans titulaire certain. Cette conception rigide semblait a priori exclure toute stipulation au profit d’un bénéficiaire non encore individualisé.

Toutefois, la jurisprudence a admis, par souci de pragmatisme, que la stipulation puisse viser une personne non déterminée au jour de la conclusion du contrat, dès lors qu’elle est susceptible d’être identifiée au moment où la promesse produit ses effets. Cette évolution s’explique par la nature même du mécanisme, qui repose sur un décalage temporel entre la formation du contrat initial et l’attribution effective du droit au bénéficiaire.

Ainsi, il est jugé que la stipulation peut être consentie au profit d’un bénéficiaire dont l’identité demeure incertaine au moment de la conclusion du contrat, mais qui sera nécessairement identifiable en fonction d’éléments objectifs prédéterminés. Ce principe a été consacré en matière d’assurance pour compte, où la Cour de cassation a reconnu qu’un contrat pouvait bénéficier à un créancier encore éventuel à la date de souscription (Cass. 1re civ., 7 oct. 1959).

La reconnaissance de bénéficiaires déterminables s’est traduite par l’admission de stipulations formulées en des termes généraux, dès lors qu’elles permettent d’identifier sans ambiguïté les personnes appelées à bénéficier de la promesse. C’est ainsi que la jurisprudence a validé des stipulations visant :

  • Les héritiers directs du stipulant (Cass. civ., 28 déc. 1927) : cette désignation implique que la qualité d’héritier, appréciée au jour du décès, permette d’identifier les bénéficiaires de manière certaine.
  • Les créanciers de la communauté conjugale (Cass. 1re civ., 18 avr. 1961) : ici, l’identité des bénéficiaires est déterminable à la date de dissolution du régime matrimonial, dès lors que la communauté a vocation à s’acquitter de ses dettes à l’égard de créanciers identifiés.
  • Les ouvriers et fournisseurs d’un entrepreneur (Cass. req., 4 nov. 1907) : lorsque la stipulation pour autrui est insérée dans un marché de travaux, elle peut bénéficier à des tiers dont l’identité ne sera connue qu’au fur et à mesure de l’exécution du marché.

Dans chacun de ces cas, bien que les bénéficiaires ne soient pas nommément désignés dès la conclusion du contrat, leur individualisation devient possible grâce aux critères objectifs définis dans la stipulation.

Si l’ordonnancement juridique admet que le bénéficiaire soit déterminable, encore faut-il que la stipulation repose sur des critères suffisamment précis pour permettre son identification. À défaut, l’attribution demeure juridiquement inefficace et la créance ne peut être revendiquée par quiconque.

Ainsi, une stipulation formulée en des termes trop vagues ou généraux serait nulle, faute de conférer un droit à un titulaire identifiable. Tel serait le cas, par exemple, d’une stipulation visant de manière imprécise « les pauvres d’une ville », sans qu’aucun élément ne permette d’individualiser les personnes concernées. En revanche, la jurisprudence a admis la validité d’une stipulation au profit des pauvres d’une commune, dès lors que ceux-ci étaient représentés par un bureau d’aide sociale (Cass. req., 13 juin 1877).

De même, la stipulation au profit d’une personne future ne peut être admise que si son existence, bien que différée, est prévisible avec certitude. C’est notamment le cas en matière d’assurance sur la vie, où la loi admet qu’un contrat puisse être souscrit au bénéfice d’enfants à naître, sous réserve qu’ils soient conçus au moment du décès de l’assuré (art. L. 132-8, al. 3 C. civ.).

b. L’alternative en cas d’absence de bénéficiaire désigné

La stipulation pour autrui repose sur l’attribution d’un droit à un bénéficiaire clairement désigné ou, au moins, déterminable. À défaut, elle devient inopérante et n’a pas d’effet. Autrement dit, si personne ne peut être identifié comme bénéficiaire au moment où le contrat doit produire ses effets, le droit issu de la stipulation revient au stipulant lui-même.

Cette règle est particulièrement évidente en matière d’assurance-vie. Si le souscripteur n’a désigné aucun bénéficiaire, le capital assuré intègre automatiquement sa succession (art. L. 132-11 C. civ.). La jurisprudence applique cette solution à toutes les stipulations pour autrui: lorsqu’il n’y a pas de bénéficiaire désigné ou déterminable, le droit profite au stipulant ou, s’il est décédé, à ses héritiers (Cass. 1re civ., 16 févr. 1983, n° 81-16.715).

Un autre cas d’inefficacité de la stipulation se rencontre lorsque le bénéficiaire est incapable de recevoir le droit qui lui a été attribué. Par exemple, si une personne désignée ne remplit pas les conditions légales pour bénéficier du contrat, la stipulation est considérée comme inexistante, et l’obligation du promettant s’exécute directement au profit du stipulant.

Ainsi, pour que la stipulation pour autrui soit valable, il faut impérativement qu’un bénéficiaire puisse être identifié au moment où la prestation devient exigible.

==>Peut-on stipuler pour une personne qui n’existe pas encore ?

Pendant longtemps, la possibilité de désigner comme bénéficiaire une personne non encore existante a fait débat. L’argument principal contre cette idée était simple : un droit ne peut exister sans titulaire. Si la stipulation vise un bénéficiaire qui n’est pas encore né ou qui n’a pas encore d’existence juridique, cela reviendrait, selon certains auteurs, à créer un droit sans sujet, ce qui serait contraire aux principes du droit des obligations.

Cependant, cette vision a évolué. Il est désormais admis que le bénéficiaire peut être une personne qui n’existe pas encore au moment où le contrat est conclu, tant qu’il peut être déterminé lorsque la stipulation produit ses effets. Cette solution est consacrée par l’article 1205 du Code civil, qui prévoit que « le bénéficiaire peut être une personne future mais doit être précisément désigné ou pouvoir être déterminé lors de l’exécution de la promesse ».

Un exemple courant est celui de l’assurance-vie, où il est fréquent de prévoir que le capital reviendra aux enfants à naître du souscripteur (art. L. 132-8, al. 3 C. civ.). La jurisprudence a également admis que des fondations non encore constituées puissent être désignées comme bénéficiaires, à condition que leur création intervienne avant l’exécution de la promesse (Cass. req., 7 mars 1893).

Ainsi, une stipulation pour autrui peut viser une personne qui n’existe pas encore, mais uniquement si elle est déterminable au moment où la prestation doit être effectuée. Ce principe permet d’assurer la validité de nombreuses opérations, tout en garantissant une sécurité juridique aux parties concernées.

3. La faculté de mettre une obligation à la charge du bénéficiaire

Si la stipulation pour autrui repose fondamentalement sur l’idée d’un droit conféré au tiers bénéficiaire, elle n’exclut pas pour autant que celui-ci puisse se voir imposer une obligation en contrepartie de l’avantage qui lui est accordé. Cette perspective, qui s’éloigne de la conception purement libérale de la stipulation pour autrui, trouve son fondement tant dans la jurisprudence que dans la doctrine, qui s’interroge sur les limites de cette évolution.

a. Une obligation conditionnée par l’acceptation du bénéficiaire

La stipulation pour autrui diffère fondamentalement de la promesse pour autrui en ce qu’elle ne contraint pas nécessairement le bénéficiaire à une obligation. Néanmoins, la jurisprudence admet que le bénéficiaire puisse être tenu d’une charge ou d’une contrepartie, à condition qu’il accepte expressément la stipulation pour autrui (Cass. 1re civ., 8 déc. 1987, n°85-11.769).

Cette approche se justifie par le fait que la stipulation pour autrui repose sur une logique contractuelle. En conséquence, il est envisageable que le bénéficiaire, en exerçant le droit qui lui est conféré, adhère implicitement ou explicitement aux obligations qui l’accompagnent. Toutefois, ces obligations ne sauraient lui être imposées de manière unilatérale : elles ne deviennent opposables qu’au moment où il accepte la stipulation.

b. L’exemple de l’assurance de groupe

Le domaine des assurances illustre parfaitement ce mécanisme. Dans le cadre d’un contrat d’assurance de groupe, l’adhérent – bénéficiaire de la couverture assurantielle – est tenu de s’acquitter des primes en contrepartie des garanties qui lui sont offertes. La Cour de cassation a ainsi jugé que l’adhérent à un contrat d’assurance de groupe, bien que n’ayant pas directement négocié la stipulation, était tenu de respecter les obligations qui en découlaient, notamment le paiement des cotisations (Cass. 1ère civ., 7 juin 1989, n°87-14.648).

Cette décision témoigne de la reconnaissance d’un équilibre contractuel au sein de la stipulation pour autrui : si le bénéficiaire souhaite se prévaloir du droit qui lui est conféré, il doit en assumer les charges qui en découlent.

c. Une remise en question de la nature même de la stipulation pour autrui ?

L’admission d’une obligation à la charge du bénéficiaire soulève toutefois une interrogation fondamentale : ne transforme-t-elle pas la stipulation pour autrui en un contrat pour autrui ? Un auteur soutient que dès lors que le bénéficiaire est simultanément créancier et débiteur du promettant, la stipulation pour autrui perd de sa spécificité et s’apparente davantage à un mécanisme contractuel classique[25].

Cette analyse repose sur une distinction essentielle : dans la stipulation pour autrui, le bénéficiaire acquiert un droit par la seule volonté du stipulant, tandis que dans un contrat pour autrui, il devient directement partie à une relation contractuelle impliquant des obligations réciproques. Ainsi, si le bénéficiaire d’une stipulation pour autrui ne peut jouir du droit qui lui est conféré qu’en contrepartie d’une charge déterminée, on peut légitimement s’interroger sur la pertinence du maintien de la qualification initiale.

En dépit de ces évolutions, la jurisprudence demeure vigilante quant à la préservation du caractère fondamental de la stipulation pour autrui. Si elle admet que le bénéficiaire puisse se voir imposer une obligation, c’est uniquement à la condition qu’il en ait accepté la charge et que celle-ci ne remette pas en cause l’essence même de l’institution.

En définitive, la possibilité d’imposer une obligation au bénéficiaire témoigne d’une évolution pragmatique du droit des contrats, visant à concilier souplesse et équilibre contractuel. Elle confirme que la stipulation pour autrui, loin d’être un mécanisme rigide, s’adapte aux réalités économiques et aux exigences de la pratique contractuelle, tout en préservant son fondement premier : l’octroi d’un droit au profit d’un tiers, voulu par le stipulant et accepté par le promettant.

La stipulation pour autrui: vue générale

==>Notion

Il est des mécanismes juridiques dont la singularité se manifeste avec d’autant plus d’éclat qu’ils défient l’architecture traditionnelle du droit des obligations. Parmi eux, la stipulation pour autrui occupe une place de choix, en ce qu’elle permet à une personne, le stipulant, de conférer un droit à un tiers bénéficiaire, par l’intermédiaire d’un promettant, qui s’engage à accomplir une prestation au profit de ce dernier. Cet engagement, bien que contracté entre le stipulant et le promettant, fait naître au profit du bénéficiaire un droit propre et direct, qu’il pourra faire valoir lui-même contre le promettant, sans qu’il soit besoin d’une intervention supplémentaire du stipulant.

 

Le mécanisme de la stipulation pour autrui trouve aujourd’hui sa consécration à l’article 1205 du Code civil, issu de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. Selon cette disposition, « l’un des contractants, le stipulant, peut faire promettre à l’autre, le promettant, d’accomplir une prestation au profit d’un tiers, le bénéficiaire ». Le texte précise encore que le bénéficiaire peut être une personne future, à condition d’être déterminé ou déterminable au moment de l’exécution de la prestation.

Cette formulation entérine une évolution doctrinale et jurisprudentielle de longue date, puisque la stipulation pour autrui ne figurait que de manière incidente dans l’ancien article 1121 du Code civil de 1804, lequel stipulait que « l’on peut pareillement stipuler au profit d’autrui lorsque telle est la condition d’une stipulation que l’on fait pour soi-même ou d’une donation que l’on fait à un autre ». Ce texte, ambigu, fut interprété de manière restrictive par une doctrine qui voyait dans la stipulation pour autrui une exception à la règle de l’effet relatif des contrats.

Le principe de l’effet relatif des conventions, codifié à l’article 1199 du Code civil, énonce que « le contrat ne crée d’obligations qu’entre les parties ». L’idée qui le sous-tend, héritée du droit romain (alteri stipulari nemo potest), est que les effets d’un contrat ne sauraient s’étendre à des tiers qui n’ont pas donné leur consentement. Cette règle est ancienne: Pothier rappelait déjà que « les conventions ne peuvent préjudicier à ceux qui n’y sont pas parties »[1].

Or, la stipulation pour autrui semble, en apparence, déroger à ce principe, en permettant à un tiers d’acquérir un droit directement issu du contrat conclu entre le stipulant et le promettant. Comme le relève Planiol, «cette institution, loin d’être une anomalie, est une nécessité économique et sociale qui s’est progressivement imposée dans la jurisprudence»[2]. De même, Ripert et Boulanger expliquent que la stipulation pour autrui constitue une dérogation maîtrisée au principe de l’effet relatif, en ce qu’elle repose sur un mécanisme contractuel spécifique.

Toutefois, cette rupture apparente avec la logique contractuelle classique ne doit pas masquer la véritable spécificité de l’institution : ce n’est pas tant son effet exceptionnel à l’égard des tiers qui la distingue, mais bien la manière dont ce droit se forme et se transmet.

La stipulation pour autrui repose ainsi sur une subtile combinaison entre un engagement contractuel entre stipulant et promettant et une attribution extracontractuelle d’un droit au profit du bénéficiaire. Comme l’explique Eugène Gaudemet, « l’originalité du mécanisme réside en ce que la créance naît directement dans le patrimoine du bénéficiaire, sans qu’elle ait transité par celui du stipulant »[3].

Cette distinction est d’une importance majeure car elle justifie que le droit du bénéficiaire :

Ainsi, contrairement aux autres mécanismes qui confèrent un droit à un tiers en se fondant sur un transfert ou une représentation (comme la cession de créance ou le mandat), la stipulation pour autrui ne suppose ni l’intervention du bénéficiaire dans l’accord initial, ni une transmission d’un droit déjà existant. René Demogue précise ainsi que « le droit du bénéficiaire est un droit immédiat, qui ne dépend ni d’une cession ni d’une substitution, mais d’une création contractuelle qui s’opère par l’engagement du promettant »[4].

Si le Code civil de 1804 ne consacrait qu’incidemment la stipulation pour autrui, l’ordonnance de 2016 est venue clarifier et moderniser son régime, en lui dédiant plusieurs articles (1205 à 1209 du Code civil). Toutefois, la doctrine relève que cette réforme, bien que bienvenue, n’a pas saisi toute la portée de l’institution. Marc Mignot souligne notamment que le législateur « a traité la stipulation pour autrui comme une simple exception à l’effet relatif, sans en analyser la structure fondamentale, qui repose en réalité sur une double logique d’attribution et d’engagement contractuel »[5].

D’autres auteurs regrettent que la réforme n’ait pas pris en compte certaines évolutions jurisprudentielles qui avaient fait de la stipulation pour autrui un outil juridique particulièrement souple. François Terré et Philippe Simler rappellent ainsi que la jurisprudence avait progressivement admis des stipulations pour autrui implicites, notamment dans le cadre des contrats d’assurance ou des conventions collectives, avant que le Code civil réformé ne revienne à une approche plus formelle[6].

==>Distinctions avec d’autres opérations juridiques

La stipulation pour autrui ne saurait être confondue avec d’autres mécanismes juridiques impliquant plusieurs parties, bien qu’elle partage avec eux une apparente parenté structurelle. Si tous ces dispositifs permettent, d’une manière ou d’une autre, d’attribuer des droits à un tiers, leur mode opératoire diffère fondamentalement.

Là où certains reposent sur une transmission ou une substitution de droits existants, la stipulation pour autrui se singularise en ce qu’elle crée ex nihilo un droit au profit du bénéficiaire, indépendamment d’un quelconque transfert. Cette distinction est essentielle pour comprendre l’autonomie conceptuelle de l’institution et les effets qui en résultent.

  • Stipulation pour autrui et action directe
    • Si la stipulation pour autrui et l’action directe permettent toutes deux à un tiers d’exercer un droit contre une partie à un contrat auquel il n’est pas directement lié, elles reposent néanmoins sur des fondements conceptuels distincts.
    • Tandis que la stipulation pour autrui confère au bénéficiaire un droit propre, né immédiatement de la volonté du stipulant et du promettant, l’action directe se rattache au principe de transmission accessoire des créances et constitue une prérogative accordée par la loi dans des hypothèses strictement définies.
    • Pour mémoire, la stipulation pour autrui se définit comme l’acte par lequel un contractant, le stipulant, fait promettre à l’autre partie, le promettant, d’exécuter une prestation au bénéfice d’un tiers bénéficiaire.
    • Ce dernier, sans être partie au contrat, se voit immédiatement reconnaître un droit propre et direct contre le promettant.
    • L’élément central de la stipulation pour autrui réside dans la création ex nihilo d’un droit de créance dans le patrimoine du bénéficiaire.
    • Ce droit ne résulte ni d’une transmission de créance ni d’un déplacement d’obligation, mais bien d’une manifestation de volonté expresse ou implicite du stipulant.
    • Comme le relève Demogue, « la stipulation pour autrui ne relève pas d’un transfert de droit, mais d’une attribution immédiate et autonome, qui confère au bénéficiaire un droit direct sans antécédent patrimonial »[7].
    • L’action directe, pour sa part, permet à un créancier d’agir contre un sous-débiteur dans une chaîne de contrats successifs.
    • Contrairement à la stipulation pour autrui, qui repose sur la volonté contractuelle, l’action directe est une prérogative exceptionnelle accordée par la loi.
    • Elle repose sur le principe de la transmission accessoire des créances, lequel justifie que certains droits contractuels puissent être exercés directement contre un sous-débiteur lorsque l’économie du contrat le requiert.
    • Ainsi, dans une chaîne contractuelle (par exemple, un sous-traitant qui n’est pas payé par un entrepreneur principal), le législateur ou la jurisprudence peuvent conférer à certains créanciers un droit d’agir contre le sous-débiteur final, même en l’absence de lien contractuel direct.
    • Cette prérogative s’analyse souvent comme une protection économique accordée à certaines catégories de créanciers vulnérables, comme les salariés (action directe en paiement des salaires en cas de sous-traitance), les victimes d’accidents (action directe en matière d’assurance) ou encore les fournisseurs dans les contrats de construction.
    • Comme l’indiquent des auteurs, l’action directe « ne confère pas un droit nouveau au créancier, mais lui permet seulement d’exercer un droit déjà existant, en raison d’une chaîne d’obligations préétablie »[8].
    • En ce sens, elle suppose nécessairement un lien de dépendance juridique entre l’obligation initiale et l’action conférée au créancier, ce qui n’est pas le cas de la stipulation pour autrui.
    • La distinction entre stipulation pour autrui et action directe est parfois brouillée par la jurisprudence, notamment dans les affaires de responsabilité contractuelle et de contrats de transport.
    • En effet, la Cour de cassation a parfois eu recours à la stipulation pour autrui là où une action directe aurait été plus appropriée.
    • Ainsi, dans un arrêt du 17 décembre 1954, la Haute juridiction a admis que le contrat conclu entre un hôpital et un centre de transfusion sanguine contenait une stipulation pour autrui au profit des patients, leur permettant d’agir contre le centre en cas de contamination (Cass. 2e civ., 17 déc. 1954).
    • Toutefois, cette analyse a été critiquée par la doctrine, notamment par René Savatier, qui souligne que le patient ne devient pas titulaire d’un droit propre, mais exerce simplement une action contractuelle sur la base d’une transmission accessoire de créance.
    • Dans les affaires de contamination par le VIH ou l’hépatite C, la jurisprudence a finalement abandonné l’analyse en termes de stipulation pour autrui et a reconnu que la victime pouvait exercer une action directe en responsabilité contractuelle contre le centre de transfusion.
    • Cette solution est plus rigoureuse, car elle repose sur une chaîne contractuelle où chaque maillon engage sa responsabilité pour inexécution de son obligation de fournir un sang exempt de vices.
    • Le contrat de transport illustre également la confusion entre action directe et stipulation pour autrui.
    • Pendant longtemps, la jurisprudence a vu dans l’engagement du transporteur envers le destinataire une stipulation pour autrui au profit de ce dernier (Cass. civ., 24 mai 1897).
    • Toutefois, la doctrine moderne, à l’instar de René Rodière considère que cette analyse est erronée : le destinataire dispose en réalité d’une action directe contre le transporteur en raison de la nature même du contrat de transport, qui l’intègre intrinsèquement à l’opération économique[9].
    • La Cour de cassation a progressivement évolué et a admis que le destinataire « dispose d’une action directe pour contraindre le transporteur à exécuter ses obligations » (Cass. 1ère civ., 1er févr. 1955).
    • Cette approche est plus conforme à la nature tripartite du contrat de transport, qui crée des obligations réciproques entre l’expéditeur, le transporteur et le destinataire.
  • Stipulation pour autrui et cession de créance
    • Si la stipulation pour autrui et la cession de créance permettent toutes deux de conférer un droit à un tiers, elles reposent sur des logiques juridiques distinctes.
    • Tandis que la cession de créance implique une transmission d’un droit préexistant, la stipulation pour autrui crée un droit ex nihilo au profit du bénéficiaire.
    • La cession de créance, régie par l’article 1321 du Code civil, est l’acte par lequel un créancier (le cédant) transmet à un tiers (le cessionnaire) la créance qu’il détient contre un débiteur (le cédé). Cette opération repose sur un transfert de créance : le cessionnaire reçoit un droit qui appartenait préalablement au cédant, lequel se dessaisit de sa créance au profit du nouvel ayant droit.
    • À l’inverse, la stipulation pour autrui repose sur un mécanisme créateur de droit.
    • Le stipulant conclut avec le promettant un contrat prévoyant une obligation en faveur d’un tiers bénéficiaire, qui devient directement créancier du promettant.
    • Comme le souligne Planiol, « dans la cession de créance, le droit passe d’un titulaire à un autre, tandis que dans la stipulation pour autrui, le droit naît immédiatement et exclusivement dans le patrimoine du bénéficiaire »[10].
    • Ainsi, alors que la cession de créance implique une transmission, la stipulation pour autrui opère une véritable attribution de créance, sans que celle-ci ait appartenu au stipulant à un quelconque moment.
    • A cet égard, le mode d’attribution du droit constitue un second élément de différenciation essentiel.
      • Dans la cession de créance, le droit du cessionnaire contre le débiteur cédé est dérivé : il préexistait dans le patrimoine du cédant et est simplement transféré au cessionnaire. Le créancier initial (cédant) peut encore être tenu vis-à-vis du cessionnaire si la cession est assortie d’une garantie de paiement. De plus, avant sa cession, la créance peut être saisie par les créanciers du cédant, et le débiteur cédé peut opposer au cessionnaire les exceptions qu’il aurait pu opposer au cédant (art. 1324 C. civ.).
      • Dans la stipulation pour autrui, le droit du bénéficiaire est originaire et direct. Il n’a jamais appartenu au stipulant et ne procède pas d’un transfert. Le bénéficiaire exerce directement son droit contre le promettant, sans que le stipulant intervienne dans l’exécution de l’obligation.
    • La jurisprudence a parfois hésité entre ces qualifications. En matière de crédit-bail, certaines décisions ont qualifié de stipulation pour autrui la clause permettant au crédit-preneur d’agir directement contre le fournisseur du bien loué (CA Paris, 5e ch. A, 28 nov. 1989).
    • Toutefois, d’autres décisions ont préféré voir dans ce mécanisme une cession de créance de garantie (Cass. com., 26 janv. 1977, n°75-12.613). Cette hésitation jurisprudentielle repose sur l’ambiguïté du régime juridique applicable aux garanties accordées au crédit-preneur.
    • La distinction entre la cession de créance et la stipulation pour autrui emporte des effets concrets:
      • Possibilité de recours des créanciers du cédant
        • En cas de cession de créance, les créanciers du cédant peuvent saisir la créance avant qu’elle ne soit transmise au cessionnaire.
        • En revanche, dans la stipulation pour autrui, le droit du bénéficiaire n’a jamais appartenu au stipulant, de sorte qu’aucun créancier du stipulant ne peut exercer un recours sur ce droit.
      • Opposabilité des exceptions
        • Dans la cession de créance, le débiteur cédé peut opposer au cessionnaire les mêmes exceptions qu’il aurait pu opposer au cédant avant la cession (art. 1324 C. civ.).
        • Dans la stipulation pour autrui, le promettant ne peut invoquer les éventuelles exceptions qu’il aurait pu opposer au stipulant contre le bénéficiaire, puisque la créance du bénéficiaire est une création autonome et ne résulte pas d’un transfert.
      • Nature de l’engagement du débiteur
        • En cas de cession de créance, le débiteur cédé est contraint d’accepter la substitution de son créancier, sauf si la cession est soumise à son accord préalable (C. civ., art. 1322).
        • Dans la stipulation pour autrui, le promettant s’engage librement envers le bénéficiaire dès la conclusion du contrat avec le stipulant.
    • Enfin, la jurisprudence a parfois confondu stipulation pour autrui et cession de créance dans certaines hypothèses complexes.
    • Ainsi, la transmission d’une créance résultant d’une promesse unilatérale de vente a pu être analysée tantôt comme une cession de créance, tantôt comme une stipulation pour autrui.
    • De même, la délégation d’honoraires à un expert d’assurance a fait l’objet d’une hésitation jurisprudentielle quant à sa qualification, certains y voyant une cession de créance, d’autres une stipulation pour autrui.
    • Toutefois, comme le relève Jacques Ghestin, la cession de créance implique toujours un rapport tripartite, alors que la stipulation pour autrui ne repose que sur la relation entre le stipulant et le promettant[11].
    • Cette distinction fondamentale explique que la stipulation pour autrui demeure une exception au principe de l’effet relatif des conventions, tandis que la cession de créance reste une technique de transmission des obligations.
  • Stipulation pour autrui et cession de dette
    • La stipulation pour autrui et la cession de dette sont deux mécanismes qui, bien qu’impliquant l’intervention de plusieurs parties dans un rapport obligataire, se distinguent profondément tant dans leur objet que dans leurs effets.
    • Tandis que la stipulation pour autrui crée une obligation nouvelle au profit d’un tiers, la cession de dette, prévue à l’article 1327 du Code civil, opère une substitution d’un débiteur à un autre, sans nécessairement libérer l’ancien débiteur de son engagement.
    • Si la confusion entre ces deux notions est fréquente, leur distinction est essentielle, tant pour comprendre leur régime propre que pour en maîtriser les implications pratiques.
      • Une différence de structure : création d’une obligation vs transmission d’une dette existante
        • Dans la cession de dette, un nouveau débiteur (le cessionnaire) se substitue à l’ancien débiteur (le cédant) dans l’exécution d’une obligation préexistante envers le créancier.
        • Cette opération implique donc une transmission d’une dette antérieure, dont la cause et l’objet demeurent inchangés.
        • Le créancier peut accepter ou refuser cette substitution, et, sauf stipulation contraire, il conserve son action contre le débiteur d’origine (Cass. 3e civ, 10 avr. 1973, n°71-12.719).
        • À l’inverse, dans la stipulation pour autrui, aucune obligation préexistante n’est transmise.
        • Il s’agit d’un engagement nouveau pris par un promettant envers un bénéficiaire, à l’initiative d’un stipulant.
        • Ce mécanisme ne repose pas sur le transfert d’une dette, mais sur la création ex nihilo d’un droit propre et direct au profit du tiers bénéficiaire, sans qu’il y ait eu auparavant une obligation qui lui aurait été due.
        • La stipulation pour autrui trouve ainsi sa source dans la relation contractuelle entre le stipulant et le promettant, tandis que la cession de dette s’ancre dans une obligation déjà existante.
      • L’implication du créancier : consentement et effet immédiat
        • Dans la cession de dette, le créancier initial ne bénéficie pas immédiatement d’un droit contre le cessionnaire.
        • L’efficacité de la substitution dépend de son consentement : tant que celui-ci n’a pas donné son accord, il conserve une action contre le débiteur cédant, lequel demeure tenu de l’obligation.
        • Ce maintien de l’action contre le cédant traduit la nature progressive de la substitution, qui ne devient définitive qu’avec l’adhésion expresse du créancier à l’opération (Cass. com., 7 déc. 1976, n°75-12.464).
        • En revanche, dans la stipulation pour autrui, le bénéficiaire est immédiatement investi d’un droit contre le promettant, sans que le consentement du stipulant ou du bénéficiaire soit requis pour conférer cet effet direct (art. 1205 C. civ.).
        • Il appartient au bénéficiaire d’accepter la stipulation pour la rendre irrévocable, mais son droit existe dès la formation du contrat.
        • Cet effet immédiat différencie la stipulation pour autrui de la cession de dette, où l’acquisition d’un droit contre le cessionnaire suppose l’adhésion du créancier.
      • L’absence de superposition des obligations dans la stipulation pour autrui
        • Une autre différence essentielle entre ces deux mécanismes réside dans l’articulation des obligations entre les parties.
        • Dans la cession de dette, il existe une période de superposition des engagements du cédant et du cessionnaire: tant que le créancier n’a pas accepté la substitution, il conserve son action contre le débiteur d’origine, qui reste tenu de la dette.
        • Cette dualité d’engagements peut, dans certains cas, générer une responsabilité solidaire, contraignant le cédant et le cessionnaire à répondre ensemble de l’exécution de l’obligation (Cass. 2e civ., 10 juill. 2014, n°13-20.620).
        • À l’inverse, dans la stipulation pour autrui, le bénéficiaire ne partage aucune obligation avec le stipulant : son droit naît directement de la volonté du stipulant et s’exerce exclusivement contre le promettant.
        • Il n’existe donc aucun chevauchement d’obligations entre le stipulant et le bénéficiaire, ce dernier n’ayant pas à se prévaloir d’une transmission de dette mais d’un droit originaire créé à son profit.
        • Demogue expliquait ainsi que « la stipulation pour autrui ne relève pas d’un déplacement d’obligation, mais d’une création ex nihilo d’un droit autonome, qui ne connaît pas d’antécédent patrimonial »[12].
      • Les enjeux pratiques de la distinction
        • Les implications pratiques de la distinction entre cession de dette et stipulation pour autrui, les enjeux sont considérables.
        • Dans le cadre d’une cession de dette, la nécessité de recueillir le consentement du créancier peut ralentir l’opération et en limiter l’efficacité.
        • Le créancier demeure exposé au risque d’insolvabilité du cédant tant que la substitution n’a pas été agréée.
        • En outre, l’existence d’une responsabilité conjointe entre le cédant et le cessionnaire peut poser des difficultés en cas de litige sur l’exécution de l’obligation.
        • En revanche, la stipulation pour autrui offre une plus grande sécurité juridique : le bénéficiaire acquiert immédiatement un droit direct contre le promettant, sans dépendre d’un consentement extérieur.
        • Cela en fait un outil contractuel privilégié dans des domaines tels que le droit des assurances (où l’assuré stipule pour ses ayants droit), le droit bancaire (assurances collectives souscrites par une banque pour ses clients) ou encore le droit des contrats commerciaux (garanties de passif au profit d’une société cédée).
        • Cette autonomie de la stipulation pour autrui justifie que la jurisprudence en encadre strictement l’usage, afin d’éviter toute confusion avec une reprise de dette ou une délégation.
        • Ainsi, la Cour de cassation a jugé qu’une clause par laquelle un cessionnaire s’engageait à prendre en charge les dettes d’une société ne constituait pas une stipulation pour autrui mais une reprise de dette externe, impliquant une acceptation du créancier concerné (Cass. com., 7 déc. 1976, n°75-12.464).
        • La distinction est donc essentielle pour déterminer le régime applicable et les exigences requises pour l’opposabilité de l’engagement au créancier.
  • Stipulation pour autrui et délégation
    • La délégation, prévue à l’article 1336 du Code civil, est l’opération par laquelle une personne, le délégant, obtient qu’un tiers, le délégué, s’engage envers un créancier, le délégataire.
    • Elle peut présenter plusieurs formes :
      • La délégation simple ou imparfaite, par laquelle le délégant reste tenu de l’obligation en parallèle du délégué.
      • La délégation novatoire ou parfaite, où l’engagement du délégué remplace celui du délégant.
    • La différence fondamentale entre la délégation et la stipulation pour autrui réside dans le fait que la délégation repose sur un engagement du délégant, alors que la stipulation pour autrui repose uniquement sur l’engagement du promettant.
    • Comme le soulignent Ambroise Colin et Henri Capitant, « dans la délégation, le débiteur (délégant) joue un rôle actif, soit en conservant une obligation conjointe, soit en se substituant totalement un tiers ; dans la stipulation pour autrui, le stipulant disparaît totalement après la formation du droit du bénéficiaire »[13].
    • Autres distinctions importantes :
      • Dans la délégation, il est souvent possible d’opposer des exceptions au délégataire (en cas de délégation imparfaite), tandis que dans la stipulation pour autrui, le bénéficiaire est titulaire d’un droit direct, ce qui limite les moyens de contestation du promettant.
      • La délégation crée des obligations complexes, parfois superposées, alors que la stipulation pour autrui crée une obligation unique et immédiate en faveur du bénéficiaire.
  • Stipulation pour autrui et mandat
    • Le mandat, défini par l’article 1984 du Code civil, est le contrat par lequel une personne, le mandant, confère à une autre, le mandataire, le pouvoir d’agir en son nom et pour son compte.
    • Contrairement au stipulant, le mandataire agit pour le compte du mandant et engage ce dernier dans ses relations avec les tiers.
    • Autrement dit, dans un mandat, le bénéficiaire de l’opération est également l’une des parties au contrat, ce qui le distingue radicalement de la stipulation pour autrui, où le bénéficiaire est un tiers extérieur à la convention initiale.
    • De plus, dans le mandat, le mandataire n’est qu’un intermédiaire : il ne crée aucun droit nouveau, mais exerce une action en représentation du mandant.
    • Robert Beudant souligne ainsi que « le mandataire ne fait que prolonger juridiquement la personne du mandant, tandis que le stipulant crée un droit autonome au profit du bénéficiaire, sans qu’il soit nécessaire que celui-ci intervienne dans l’opération »[14].
    • Enfin, le mandat repose sur un lien de représentation, ce qui n’est pas le cas de la stipulation pour autrui.
    • Le stipulant ne représente pas le bénéficiaire, il ne contracte pas en son nom, ni pour son compte : il contracte en son propre nom, mais avec l’intention de faire naître un droit dans le patrimoine d’un tiers.
  • Stipulation pour autrui et gestion d’affaires
    • Enfin, la stipulation pour autrui ne doit pas être confondue avec la gestion d’affaires, mécanisme par lequel une personne (le gérant) prend l’initiative d’accomplir un acte dans l’intérêt d’un tiers (le maître d’affaire), en dehors de tout mandat préalable.
    • À la différence de la gestion d’affaires :
      • Le stipulant ne prend pas d’initiative pour gérer les intérêts du bénéficiaire, il se borne à faire naître un droit en sa faveur.
      • Le bénéficiaire d’une stipulation pour autrui n’a pas à ratifier l’acte pour que son droit existe, contrairement au maître d’affaire, qui peut accepter ou refuser la gestion à son bénéfice.

==>Évolution historique

L’histoire de la stipulation pour autrui est celle d’une lente reconnaissance au sein du droit positif, marquée par une opposition initiale fondée sur le principe du caractère personnel des obligations, puis par une acceptation progressive sous l’effet des évolutions économiques et juridiques. Ce mécanisme, qui permet à un tiers d’acquérir un droit directement issu d’un contrat auquel il n’est pas partie, s’est heurté aux résistances d’un droit longtemps attaché au caractère strictement personnel des obligations. Il aura fallu l’effort conjoint de la doctrine et de la jurisprudence pour que la stipulation pour autrui s’impose comme un instrument juridique pleinement légitime, jusqu’à sa consécration législative par la réforme entreprise par l’ordonnance du 10 février de 2016.

  • La prohibition de la stipulation pour autrui en droit romain

Le droit romain considérait, en principe, la stipulation pour autrui comme une anomalie, en vertu de l’adage nemo alteri stipulari potest : nul ne peut stipuler pour autrui (Digeste, 45, 1, 38). L’obligation, perçue comme un lien strictement personnel entre créancier et débiteur, ne pouvait créer de droits au profit d’un tiers. Le droit romain reposait sur l’idée que seule une personne directement engagée dans un acte pouvait en tirer les effets juridiques.

Toutefois, sous l’influence des pratiques commerciales et successorales, certaines atténuations furent progressivement admises. Ainsi, Paul, jurisconsulte du II? siècle, relevait déjà que la stipulation pouvait être faite au profit d’un héritier encore à naître (D. 45, 1, 126), préfigurant ainsi l’idée d’un droit bénéficiant à une personne déterminable mais non encore existante.

Malgré ces assouplissements ponctuels, le droit romain ne consacra jamais pleinement la stipulation pour autrui en tant que mécanisme général, considérant que la transmission des droits devait passer par la novation, la cession de créance ou la représentation. Ce rigorisme allait toutefois être progressivement remis en question par les nécessités de la pratique juridique.

  • L’émergence progressive de la stipulation pour autrui en Ancien droit français

Sous l’Ancien Régime, la prohibition romaine de la stipulation pour autrui fut progressivement édulcorée, à mesure que la pratique reconnaissait la nécessité de conférer des droits à des tiers.

Le droit coutumier français, influencé par les nécessités économiques et sociales, ouvrit la voie à des formes rudimentaires de stipulation pour autrui, notamment dans le cadre de la transmission des obligations successorales et des contrats d’assurance maritime. Ces évolutions, bien que pragmatiques, demeuraient fragmentaires et ne s’accompagnaient pas d’une véritable théorie générale.

C’est dans cette perspective que Robert-Joseph Pothier (1699-1772) jeta les bases d’une reconnaissance doctrinale plus large. Dans son Traité des obligations, il admettait déjà que « rien ne s’oppose à ce qu’un contrat stipule une obligation envers un tiers, lorsque cela résulte de la commune intention des parties »[15]. Cette approche, qui reposait sur une lecture souple de l’intention contractuelle, annonçait la position qui serait progressivement adoptée par la jurisprudence du XIX? siècle.

  • Le Code civil de 1804 : une consécration timide et ambiguë

Le Code civil napoléonien n’accorda qu’une reconnaissance minimale à la stipulation pour autrui, en la cantonnant à des hypothèses précises et limitatives.

L’ancien article 1121 du Code civil disposait ainsi : « On peut stipuler au profit d’autrui lorsque telle est la condition d’une stipulation que l’on fait pour soi-même ou d’une donation que l’on fait à un autre. »

Cette formulation, volontairement restrictive, traduisait l’hésitation du législateur, qui souhaitait éviter qu’un tiers puisse acquérir un droit sans consentement explicite de sa part.

Portalis, l’un des principaux rédacteurs du Code civil, justifiait cette prudence en invoquant la nécessité de protéger la sécurité juridique et de prévenir les engagements trop incertains[16]. Cette position se traduisit par une interprétation rigoriste de l’institution, qui freina son développement au cours du XIX? siècle.

  • L’essor jurisprudentiel du XIX? siècle sous l’impulsion des assurances sur la vie

C’est la jurisprudence du XIX? siècle qui allait véritablement consacrer la stipulation pour autrui comme un mécanisme autonome du droit des obligations.

L’essor des assurances sur la vie imposait la reconnaissance d’un droit propre au bénéficiaire, sans que celui-ci ait à le revendiquer auprès du souscripteur. Ce besoin pratique allait progressivement contraindre la jurisprudence à admettre que la stipulation pour autrui créait un droit direct au profit du tiers bénéficiaire.

Dans un arrêt fondateur (Cass. Req., 16 janv. 1888), la Cour de cassation admet ainsi que le bénéficiaire d’une assurance-vie dispose d’un droit propre, qui ne transite pas par le patrimoine du souscripteur. Cette décision marque un tournant décisif dans la reconnaissance de la stipulation pour autrui.

Commentant cette évolution, Paul Esmein souligna que « l’assurance sur la vie a été le catalyseur d’une évolution nécessaire du droit des obligations, en consacrant la stipulation pour autrui comme un mode normal de transmission des engagements »[17].

  • La réforme de 2016 : une consécration législative attendue

L’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, a marqué une avancée significative en procédant à une refonte du cadre normatif de la stipulation pour autrui. Désormais consacrée aux articles 1205 à 1209 du Code civil, cette institution bénéficie d’un régime autonome, clarifiant les conditions de sa mise en œuvre et entérinant les solutions dégagées par la jurisprudence au fil du temps.

L’ambition du législateur, à travers cette réforme, était double : moderniser et sécuriser l’usage de la stipulation pour autrui, en la libérant de certaines incertitudes qui entouraient encore son régime antérieur, hérité de l’ancien article 1121 du Code civil. À cette fin, l’ordonnance lui confère une place explicite au sein du chapitre IV du titre III du Code civil, relatif aux effets du contrat à l’égard des tiers, marquant ainsi la reconnaissance de sa spécificité au regard du principe de l’effet relatif des conventions (art. 1199 c. civ.).

Désormais, la stipulation pour autrui repose sur des principes clairs et codifiés, précisant notamment que :

  • La stipulation pour autrui peut être librement stipulée, sans qu’il soit nécessaire de justifier d’une condition particulière pour sa validité. Cette consécration met fin aux incertitudes issues de l’ancien article 1121 du Code civil, qui ne permettait la stipulation pour autrui que lorsqu’elle constituait une condition d’un engagement pris pour soi-même ou d’une donation. Désormais, les contractants disposent d’une liberté totale pour conférer un droit direct à un tiers, dès lors qu’ils expriment une volonté en ce sens.
  • Le droit du bénéficiaire naît immédiatement du contrat conclu entre le stipulant et le promettant, sans qu’il soit nécessaire que le bénéficiaire manifeste son acceptation dès l’origine. Toutefois, tant que ce droit n’a pas été accepté, le stipulant conserve la faculté de le révoquer (art. 1206 c. civ.). Ce pouvoir de révocation, qui constitue une innovation majeure de la réforme, confère une souplesse accrue à l’institution, permettant au stipulant de revenir sur son engagement tant que le bénéficiaire ne s’en est pas prévalu.
  • La stipulation pour autrui est désormais expressément consacrée comme une exception au principe de l’effet relatif des contrats. Cette précision, bien qu’implicite en jurisprudence, n’avait jamais été affirmée avec autant de netteté par le législateur. Elle confirme que la stipulation pour autrui permet de conférer un droit propre au bénéficiaire, qui pourra en poursuivre l’exécution à l’encontre du promettant sans être partie au contrat initial.

Si la réforme de 2016 a le mérite d’avoir clarifié et stabilisé le régime de la stipulation pour autrui, elle n’a pas pour autant dissipé toutes les réserves doctrinales.

Certains auteurs regrettent notamment que le législateur ait inscrit la stipulation pour autrui dans la logique de l’effet relatif, alors même qu’il aurait été préférable de consacrer son autonomie conceptuelle. Ainsi, Marc Mignot observe avec justesse que « le législateur a inscrit la stipulation pour autrui dans la logique de l’effet relatif, alors qu’il aurait dû consacrer son autonomie conceptuelle »[18].

Cette critique repose sur une analyse approfondie du mécanisme en question : en effet, la stipulation pour autrui ne se contente pas d’aménager l’effet relatif du contrat, elle procède d’une création directe d’un droit au profit du tiers bénéficiaire, sans que ce droit ait transité par le patrimoine du stipulant. Dès lors, la rattacher aux effets du contrat à l’égard des tiers, plutôt que d’affirmer son autonomie en tant que technique d’attribution de créance par acte unilatéral, apparaît comme une approche réductrice, voire incomplète.

D’autres critiques portent sur l’absence de précision sur le sort du droit du bénéficiaire avant acceptation, notamment en cas de décès du stipulant ou du promettant. En l’état du droit positif, l’article 1208 du Code civil semble suggérer que le droit du bénéficiaire peut être transmis à ses héritiers s’il décède avant d’avoir accepté la stipulation. Cette solution, bien que conforme aux principes généraux du droit des obligations, aurait mérité d’être davantage explicitée, tant elle soulève des interrogations pratiques.

En dépit de ces critiques, la réforme de 2016 constitue une étape décisive dans l’évolution de la stipulation pour autrui, qui s’affirme désormais comme un instrument contractuel incontournable, parfaitement intégré dans l’architecture du droit des obligations.

Ce mécanisme, jadis perçu comme une anomalie, s’impose aujourd’hui comme une technique juridique polyvalente, dont les applications se retrouvent dans une grande variété de domaines, allant des contrats d’assurance aux conventions collectives, en passant par les contrats de cession de contrôle et les engagements bancaires.

==>Applications pratiques

La stipulation pour autrui, en ce qu’elle permet d’attribuer à un tiers un droit direct contre un promettant sans qu’il soit partie au contrat, trouve des applications multiples dans divers domaines du droit. Son utilité s’étend à des secteurs variés, où elle assure la transmission efficace de droits et la protection des intérêts économiques et sociaux des bénéficiaires.

  • Droit des assurances

La stipulation pour autrui trouve une application particulièrement marquante dans le droit des assurances. En permettant à un tiers de bénéficier d’un contrat auquel il n’est pas partie, elle confère une assise juridique aux nombreux mécanismes d’assurance, tels que l’assurance-vie, l’assurance pour compte ou encore l’assurance de groupe.

  • L’assurance sur la vie
    • L’assurance-vie constitue l’illustration la plus aboutie de la stipulation pour autrui dans le domaine assurantiel.
    • Ce mécanisme repose sur un contrat conclu entre un souscripteur (assimilé au stipulant) et un assureur (assimilé au promettant), par lequel ce dernier s’engage, en contrepartie du paiement de primes, à verser une prestation à un bénéficiaire désigné lors du décès de l’assuré.
    • L’essence même de l’assurance-vie repose donc sur la création d’un droit direct et autonome au profit du bénéficiaire, lequel, bien qu’étranger à l’accord initial entre le souscripteur et l’assureur, acquiert un droit propre sur la prestation due.
    • Cette autonomie juridique distingue fondamentalement l’assurance-vie d’autres mécanismes de transmission patrimoniale, tels que la cession de créance ou la donation, qui impliquent un transfert de droits existants, alors que la stipulation pour autrui, en l’espèce, génère une créance nouvelle dans le patrimoine du bénéficiaire.
    • Dès la fin du XIX? siècle, la jurisprudence a reconnu l’application de la stipulation pour autrui à l’assurance-vie.
    • Dans un arrêt du 16 janvier 1888, la Cour de cassation a consacré le principe selon lequel le bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie dispose d’un droit direct contre l’assureur, indépendamment de tout lien contractuel personnel avec ce dernier (Cass. civ., 16 janv. 1888).
    • Cette solution a été consacrée par le législateur à travers les articles L. 132-1 et suivants du Code des assurances, lesquels établissent expressément la validité du mécanisme de la stipulation pour autrui dans le cadre de l’assurance-vie et précisent que la prestation due par l’assureur est directement attribuée au bénéficiaire désigné.
    • Cette reconnaissance législative confère au bénéficiaire un droit propre et opposable, qui s’impose non seulement à l’assureur, mais également aux tiers, y compris aux créanciers du souscripteur et aux héritiers.
    • Contrairement aux autres mécanismes de transmission patrimoniale, tels que la donation ou la succession, la stipulation pour autrui en matière d’assurance-vie place le bénéficiaire dans une situation privilégiée : il acquiert un droit immédiat et autonome, insusceptible d’être remis en cause par les ayants droit du souscripteur, sauf en cas de primes manifestement exagérées au regard des facultés de ce dernier.
    • Ce caractère intangible de la désignation bénéficiaire marque une rupture avec le régime de droit commun des libéralités, auquel les capitaux d’assurance-vie échappent en principe.
    • Toutefois, si la stipulation pour autrui appliquée à l’assurance-vie ne souffre aujourd’hui d’aucune contestation, la question de la distinction entre l’assurance-vie et le contrat de capitalisation a longtemps suscité des débats.
    • En effet, ces deux instruments ont en commun de permettre la constitution et la transmission d’un capital à un tiers, mais leur nature juridique et leur finalité économique divergent fondamentalement.
    • L’élément déterminant de cette distinction réside dans la présence ou l’absence d’aléa.
      • L’assurance-vie repose sur un événement incertain, à savoir le décès du souscripteur ou d’une tierce personne. Ce caractère aléatoire justifie son assimilation à un contrat de prévoyance, distinct des mécanismes purement patrimoniaux.
      • À l’inverse, le contrat de capitalisation relève d’une logique strictement financière, dans laquelle l’échéance de la prestation due par l’assureur est prédéterminée et indépendante de la durée de vie du souscripteur. Le contrat de capitalisation ne contient ainsi aucun élément d’aléa, ce qui exclut son rattachement au régime juridique de l’assurance-vie et le soumet au droit commun des obligations et des successions.
    • Cette distinction a été définitivement consacrée par la Cour de cassation, siégeant en chambre mixte dans un arrêt du 23 novembre 2004 (Cass. ch. mixte, 23 nov. 2004, n° 01-13.592).
    • Dans cette décision, elle a affirmé que « le contrat d’assurance dont les effets dépendent de la durée de la vie humaine comporte un aléa », et qu’il constitue donc un véritable contrat d’assurance-vie au sens des articles 1964 du Code civil, L. 310-1 et R. 321-1 du Code des assurances.
    • Cette solution procède du raisonnement suivant :
      • Si l’assuré est encore en vie à l’échéance du contrat, le capital lui revient ;
      • Si l’assuré décède avant l’échéance, le capital est versé aux bénéficiaires désignés ;
      • Cette incertitude quant à l’identité du créancier au moment de la souscription caractérise l’aléa inhérent à l’assurance-vie.
    • En consacrant la nécessité d’un aléa, la Cour de cassation a clairement distingué l’assurance-vie des contrats de capitalisation, qui ne peuvent bénéficier du régime juridique protecteur de l’assurance-vie.
    • Ce raisonnement est d’autant plus essentiel que la reconnaissance de cet aléa empêche toute requalification de l’assurance-vie en contrat de capitalisation, ce qui aurait des implications majeures en matière fiscale et successorale.
    • L’une des conséquences majeures de l’application de la stipulation pour autrui à l’assurance-vie réside dans son incidence sur les règles successorales.
    • Contrairement aux libéralités classiques, la prestation versée au bénéficiaire échappe, en principe, aux règles du rapport à la succession et de la réduction des libéralités excessives, sous réserve de l’application de l’article L. 132-13 du Code des assurances.
    • Toutefois, si les primes versées au titre d’un contrat d’assurance-vie sont manifestement exagérées eu égard aux facultés du souscripteur, elles peuvent être réintégrées dans la masse successorale et donner lieu à réduction au profit des héritiers réservataires.
    • Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 23 novembre 2004, un héritier contestait ainsi le versement des capitaux aux bénéficiaires désignés, soutenant que les primes versées devaient être réintégrées dans l’actif successoral.
    • La Cour de cassation a rejeté cette argumentation en confirmant que seules les primes manifestement exagérées peuvent être réintégrées dans la succession, ce qui suppose une appréciation in concreto des facultés du souscripteur au moment du versement des primes. En l’espèce, la cour d’appel avait constaté que :
      • L’assurée disposait d’un patrimoine mobilier conséquent ;
      • Son revenu mensuel était de 30 000 francs ;
      • Le montant total des primes versées (310 000 francs) représentait seulement un quart de ce patrimoine.
    • En conséquence, la Cour de cassation a validé l’analyse de la cour d’appel, considérant que les primes n’étaient pas manifestement excessives.
    • Cette décision a suscité des réactions contrastées au sein de la doctrine. Jean-Luc Aubert a critiqué cette solution en estimant que la Cour de cassation avait adopté une conception extensive de l’aléa, dans une logique de sécurisation des contrats d’assurance-vie.
    • À l’inverse, Jacques Ghestin a approuvé cette qualification, soulignant qu’elle permet d’éviter une requalification en contrat de capitalisation, qui aurait eu des conséquences fiscales et successorales considérables.
    • D’un point de vue pratique, l’application de la stipulation pour autrui à l’assurance-vie emporte plusieurs conséquences majeures :
      • Une protection juridique accrue du bénéficiaire : ce dernier acquiert un droit direct opposable à l’assureur, indépendamment des héritiers du souscripteur.
      • Un régime fiscal et successoral favorable : en principe, les capitaux versés échappent aux droits de succession, sauf en cas de primes excessives.
      • Une sécurisation des opérations de prévoyance : l’assuré peut organiser la transmission de son capital en dehors du cadre rigide des successions.
    • L’assurance-vie illustre donc parfaitement le modèle de la stipulation pour autrui, en conférant au bénéficiaire un droit propre et immédiat, tout en garantissant une autonomie contractuelle qui le distingue des autres instruments de transmission patrimoniale.
  • L’assurance pour compte
    • L’assurance pour compte constitue l’une des applications les plus marquantes de la stipulation pour autrui dans le domaine des assurances.
    • Ce type de contrat repose sur la conclusion d’une convention entre un souscripteur et un assureur, au bénéfice d’un tiers, qui sera indemnisé en cas de sinistre affectant l’objet de l’assurance.
    • Ainsi, bien que ce tiers ne soit pas signataire du contrat, il bénéficie d’un droit propre sur l’indemnisation, ce qui traduit parfaitement le mécanisme de la stipulation pour autrui.
    • La jurisprudence a admis cette qualification dans plusieurs hypothèses, notamment en matière d’assurance de dommages et d’assurance de transport, soulignant toutefois que la stipulation pour autrui ne saurait être présumée et doit résulter d’une volonté claire et non équivoque des parties (Cass. 1ere civ., 10 juill. 1995, n° 92-13.534).
    • A cet égard, l’assurance pour compte trouve une application privilégiée en matière d’assurance de dommages.
    • Dans ce cadre, le souscripteur du contrat ne cherche pas tant à se prémunir contre un risque personnel qu’à garantir la protection d’un tiers déterminé ou indéterminé au moment de la conclusion du contrat.
    • Une illustration marquante de ce mécanisme réside dans l’assurance dommages-ouvrage, souscrite par le maître d’ouvrage afin de garantir les désordres affectant une construction. Cette assurance bénéficie notamment aux constructeurs, dont elle couvre la responsabilité décennale sans que ceux-ci aient besoin d’être directement parties au contrat. La jurisprudence a confirmé cette analyse en reconnaissant que l’assurance dommages-ouvrage constitue une assurance pour compte bénéficiant aux propriétaires successifs de l’ouvrage (Cass. 3? civ., 30 mars 1994, n° 92-11.996).
    • L’assurance pour compte est également utilisée dans le cadre des assurances souscrites par un propriétaire pour le compte d’un locataire ou par un syndic au profit des copropriétaires.
    • Dans ces situations, l’assurance souscrite par le tiers principal garantit les occupants ou copropriétaires contre des risques spécifiques, sans qu’ils aient besoin de conclure un contrat en leur nom propre.
    • Toutefois, la stipulation pour autrui dans le cadre de l’assurance pour compte ne saurait être automatique.
    • Elle repose nécessairement sur une volonté expresse ou implicite mais non équivoque des parties, ce qui explique que la jurisprudence ait parfois refusé de reconnaître une assurance pour compte en l’absence d’une manifestation de volonté claire (Cass. 2? civ., 23 mars 2017, n°16-14.621).
    • L’assurance pour compte joue également un rôle essentiel dans le cadre du transport de marchandises.
    • En effet, les biens transportés peuvent faire l’objet de cessions successives au cours de l’exécution du contrat de transport.
    • Dès lors, il est impératif que la couverture assurantielle s’étende au propriétaire effectif des marchandises au moment du sinistre, même si ce dernier n’est pas encore identifié lors de la conclusion du contrat d’assurance.
    • La Cour de cassation a confirmé cette analyse en reconnaissant que l’assurance pour compte permet au propriétaire des marchandises, même non déterminé au moment de la souscription du contrat, d’exercer un droit propre contre l’assureur en cas de sinistre (Cass. 1ere civ., 10 juill. 1995, n°92-13.534).
    • Ce mécanisme protège ainsi l’intérêt économique du propriétaire final sans nécessiter une modification du contrat d’assurance à chaque transfert de propriété.
    • Cette application de l’assurance pour compte est particulièrement fréquente dans les domaines du commerce international et du transport maritime, où les marchandises changent souvent de propriétaire avant d’arriver à destination.
    • Il est dès lors primordial que la garantie souscrite initialement puisse bénéficier à l’acquéreur final des biens, ce qui justifie pleinement le recours à la stipulation pour autrui.
    • Si la stipulation pour autrui est largement admise en matière d’assurance pour compte, elle n’est toutefois pas présumée.
    • Pour être reconnue, elle doit remplir plusieurs conditions essentielles :
      • Une volonté claire et non équivoque des parties : la stipulation pour autrui ne saurait être implicite. Il appartient au souscripteur et à l’assureur de prévoir expressément que l’assurance bénéficiera à un tiers. En l’absence d’une telle manifestation de volonté, la stipulation ne saurait être imposée (Cass. 2? civ., 18 janv. 2018, n°16-27.250).
      • Un tiers bénéficiaire identifiable : même si l’identité du bénéficiaire n’a pas besoin d’être déterminée dès la conclusion du contrat, il doit être possible de l’identifier au moment de la survenance du sinistre. C’est le cas, par exemple, du propriétaire effectif des marchandises dans une assurance pour compte en transport maritime.
      • Un engagement effectif du promettant (l’assureur) envers le bénéficiaire : l’un des principes fondamentaux de la stipulation pour autrui est que le bénéficiaire dispose d’un droit direct contre l’assureur. Ainsi, il peut agir directement en exécution du contrat sans avoir à obtenir l’autorisation du souscripteur
    • L’assurance pour compte permet de pallier les limites du principe de l’effet relatif des contrats en assurant la protection de tiers n’ayant pas directement contracté avec l’assureur.
    • Cette extension du bénéfice de l’assurance repose sur une logique économique et pratique :
      • D’abord, dans le domaine du transport ou de la construction, il est essentiel que les acteurs économiques puissent bénéficier d’une garantie sans avoir à souscrire individuellement une assurance.
      • D’autre part, l’assurance pour compte évite la nécessité de conclure une multitude de contrats distincts, tout en garantissant une couverture homogène aux personnes concernées.
      • Enfin, en permettant d’assurer un bien au profit de son propriétaire effectif au moment du sinistre, l’assurance pour compte s’adapte à la réalité des échanges économiques et du commerce international.
  • L’assurance de groupe
    • L’assurance de groupe constitue une application particulièrement aboutie du mécanisme de la stipulation pour autrui, en ce qu’elle repose sur une adhésion collective à une couverture assurantielle, organisée au profit d’un ensemble de bénéficiaires sans que ceux-ci aient nécessairement à conclure individuellement un contrat d’assurance.
    • Ce régime est expressément encadré par l’article L. 141-1 du Code des assurances, qui définit l’assurance de groupe comme celle souscrite par une personne morale (employeur, association, organisme professionnel, etc.) au bénéfice des membres d’un groupe déterminé, tels que les salariés d’une entreprise ou les adhérents d’une association.
    • Dans ce cadre, le souscripteur (employeur, association, institution professionnelle) contracte avec l’assureur en vue de garantir les risques pesant sur une pluralité de personnes.
    • Ces dernières, qualifiées de bénéficiaires, se voient ainsi reconnaître des droits à couverture assurantielle sans être parties directement au contrat initial, ce qui constitue l’essence même du mécanisme de la stipulation pour autrui.
    • La jurisprudence a rapidement admis que l’assurance de groupe reposait sur une stipulation pour autrui, le souscripteur ayant vocation à stipuler des garanties au profit des adhérents du groupe.
    • Dès lors, ces derniers disposent d’un droit propre à l’égard de l’assureur, indépendamment de tout engagement contractuel personnel avec ce dernier.
    • Toutefois, la Cour de cassation a précisé que l’adhésion au contrat d’assurance de groupe emportait la création d’un lien contractuel direct entre l’adhérent et l’assureur (Cass. 1ere civ., 7 juin 1989, n° 87-14.648).
    • Cette solution s’explique par le fait que l’adhérent, bien que tiers lors de la formation initiale du contrat entre le souscripteur et l’assureur, devient par la suite partie au contrat d’assurance, dès lors qu’il adhère aux garanties qui lui sont ouvertes.
    • Cette particularité conduit à s’interroger sur la nature exacte du lien juridique unissant les différentes parties au contrat d’assurance de groupe.
    • Il convient d’opérer une distinction fondamentale entre les assurances de groupe facultatives et les assurances de groupe obligatoires, distinction qui a une incidence directe sur l’application de la stipulation pour autrui.
      • Dans les assurances de groupe facultatives, chaque membre du groupe concerné est libre de souscrire ou non à l’assurance collective. L’adhésion individuelle donne lieu à la conclusion d’un contrat d’assurance spécifique entre l’adhérent et l’assureur. Dans cette hypothèse, la qualification de stipulation pour autrui est exclue, puisque le bénéficiaire ne tire pas son droit d’un engagement pris par le souscripteur en sa faveur, mais bien d’un contrat personnel conclu avec l’assureur (Cass. 1ere civ., 9 mars 1983).
      • Dans les assurances de groupe obligatoires, en revanche, l’adhésion résulte automatiquement de l’appartenance au groupe (par exemple, les salariés d’une entreprise ou les adhérents d’une mutuelle professionnelle). Ici, l’adhérent ne signe pas individuellement un contrat avec l’assureur : c’est le souscripteur qui contracte avec l’assureur pour couvrir les tiers bénéficiaires. Dans cette configuration, la stipulation pour autrui trouve pleinement à s’appliquer : les bénéficiaires sont désignés dès la conclusion du contrat, et ils disposent d’un droit direct à l’indemnisation sans qu’ils aient à être parties prenantes au contrat initial. Cette analyse a été confirmée par la jurisprudence (Cass. com., 13 avr. 2010, n° 09-13.712).
    • L’application de la stipulation pour autrui dans l’assurance de groupe entraîne plusieurs conséquences juridiques notables :
      • En premier lieu, dans une assurance de groupe obligatoire, le bénéficiaire ne tient pas son droit du souscripteur, mais directement de l’engagement de l’assureur. En d’autres termes, même si le souscripteur venait à se désengager ou à disparaître, l’adhérent conserverait ses droits, puisque ceux-ci sont autonomes et opposables à l’assureur.
      • En deuxième lieu, contrairement aux héritiers ou créanciers du souscripteur, qui pourraient prétendre à la remise en cause de certaines libéralités ou engagements, le droit du bénéficiaire d’une assurance de groupe est protégé. Ce dernier peut exiger l’exécution du contrat directement auprès de l’assureur, sans que la volonté du souscripteur puisse y faire obstacle.
      • En dernier lieu, l’un des intérêts majeurs de l’assurance de groupe est qu’elle garantit aux bénéficiaires une protection pérenne, indépendamment des éventuelles difficultés financières du souscripteur. Ainsi, dans le cadre des régimes de prévoyance collectifs, un employé couvert par une assurance de groupe bénéficie d’une protection assurantielle qui ne dépend pas de la solvabilité de son employeur.
    • Si l’assurance de groupe constitue un exemple institutionnalisé de la stipulation pour autrui, la doctrine s’est interrogée sur les limites de cette assimilation.
    • Certains auteurs ont souligné que, dans l’assurance de groupe facultative, l’adhérent devient partie au contrat, ce qui érode l’idée d’un droit conféré par une stipulation pour autrui.
    • En revanche, dans l’assurance de groupe obligatoire, la qualification de stipulation pour autrui ne souffre guère de contestation, car l’adhésion des bénéficiaires découle d’un engagement pris par un tiers (le souscripteur) à leur profit.
    • Ainsi, la jurisprudence continue de maintenir une distinction rigoureuse entre ces deux régimes, tout en assurant une protection accrue aux adhérents, conformément à l’objectif poursuivi par l’assurance collective.
  • Droit bancaire

Le droit bancaire offre de nombreux exemples d’application de la stipulation pour autrui. Ce mécanisme permet à une personne (le stipulant) de conclure un contrat avec un autre (le promettant) afin qu’un tiers (le bénéficiaire) puisse en tirer un droit direct. En d’autres termes, un contrat passé entre une banque et un client peut conférer des droits à une personne extérieure à ce contrat, sans qu’elle ait eu besoin de participer à sa conclusion.

Ce schéma se retrouve notamment dans les contrats de prêt, où l’emprunteur peut s’engager à rembourser une somme à un tiers plutôt qu’au prêteur initial, ou encore dans les contrats de crédit-bail, où le fournisseur du bien financé peut bénéficier directement d’un engagement du crédit-bailleur. Il apparaît aussi dans certains services bancaires, comme l’assurance invalidité souscrite par un emprunteur au bénéfice de sa banque, ou encore dans des situations où une entreprise de transport de fonds s’engage envers une banque à sécuriser l’acheminement des dépôts des clients.

  • Contrat de prêt
    • Le contrat de prêt constitue un cadre privilégié pour l’application de la stipulation pour autrui.
    • Dans ce contexte, l’emprunteur ne s’engage pas nécessairement à rembourser directement la banque ou l’organisme prêteur, mais peut être tenu de verser les sommes dues à un tiers désigné dans le contrat.
    • Ce mécanisme permet ainsi de conférer un droit direct au bénéficiaire, sans que celui-ci soit partie au contrat initial.
    • L’un des cas les plus typiques de stipulation pour autrui dans le cadre d’un prêt se rencontre lorsque l’emprunteur est tenu de rembourser non pas le prêteur lui-même, mais une personne expressément désignée comme bénéficiaire.
    • Cette situation a été reconnue par la Cour de cassation dans une affaire où un emprunteur s’était engagé à rembourser la somme prêtée non pas au prêteur, mais à l’épouse de ce dernier (Cass. 1re civ., 15 nov. 1978, n° 77-10.891).
    • Dans ce cas, l’épouse, bien qu’étrangère au contrat de prêt initial, a acquis un droit direct à réclamer le remboursement des sommes dues.
    • De même, une stipulation pour autrui peut être mise en œuvre lorsque l’acte de prêt prévoit que le remboursement s’effectuera directement entre l’emprunteur et un tiers désigné, par exemple un fournisseur ou un créancier du prêteur.
    • Le créancier initial ne joue alors qu’un rôle intermédiaire dans la mise en place de l’opération.
    • La stipulation pour autrui trouve également à s’appliquer dans le cadre des prêts assortis d’une hypothèque.
    • Il est possible, par exemple, que l’acte de prêt prévoie une obligation spécifique de l’emprunteur de libérer les lieux en cas de saisie et de vente de l’immeuble hypothéqué.
    • Cette obligation ne bénéficie pas directement au prêteur, mais à l’adjudicataire, qui devient ainsi bénéficiaire d’une stipulation pour autrui.
    • Ainsi, dans une affaire portée devant la cour d’appel de Paris, un contrat de prêt hypothécaire stipulait que l’emprunteur devait laisser les lieux libres de toute occupation afin de permettre la vente sur saisie (CA Paris, 16? ch., 27 juin 1979).
    • Cette obligation profitait directement à l’acquéreur lors de la vente judiciaire, lequel pouvait dès lors se prévaloir de cette clause pour obtenir l’évacuation du bien. Dans cette hypothèse, l’adjudicataire bénéficie d’un droit propre découlant du contrat initial de prêt, même s’il n’était pas partie à celui-ci.
    • L’inclusion d’une stipulation pour autrui dans un contrat de prêt poursuit plusieurs objectifs :
      • Faciliter l’exécution des obligations : en prévoyant que le remboursement soit effectué directement entre l’emprunteur et un tiers bénéficiaire, on simplifie le circuit financier et on évite des transferts intermédiaires inutiles.
      • Sécuriser certaines opérations financières : par exemple, un créancier peut exiger qu’un prêt contracté par son débiteur soit directement remboursé à lui-même ou à une autre entité désignée, garantissant ainsi le bon déroulement de la transaction.
      • Préserver les intérêts des parties tierces : notamment dans les prêts hypothécaires, où les acheteurs ou adjudicataires peuvent se voir reconnaître des droits dès la conclusion du prêt initial.
  • Crédit-bail
    • Le contrat de crédit-bail donne fréquemment lieu à des stipulations pour autrui, tant en faveur du crédit-preneur que du fournisseur du matériel financé.
      • Stipulation en faveur du fournisseur: dans certains cas, le crédit-preneur ne verse pas directement les loyers au crédit-bailleur, mais au fournisseur du matériel, qui n’est pourtant pas partie au contrat initial.
      • Stipulation en faveur du crédit-preneur: il est également fréquent que le crédit-bailleur stipule, au profit du crédit-preneur, une garantie contractuelle du fournisseur, afin que ce dernier puisse directement agir contre lui en cas de défectuosité du bien loué (Cass. com., 15 mai 1979, n° 78-10.437). Dans cette hypothèse, le crédit-preneur acquiert ainsi un droit d’action propre contre le fournisseur, sans nécessiter une cession de créance.
      • Stipulation en faveur du crédit-bailleur: une autre configuration apparaît lorsque le fournisseur s’engage envers le crédit-bailleur à lui verser la valeur résiduelle du matériel en cas de non-levée de l’option d’achat par le crédit-preneur. Ici, la banque (crédit-bailleur) bénéficie directement d’un engagement pris dans un contrat auquel elle n’est pas partie.
  • Cautionnement
    • Le cautionnement bancaire constitue une autre illustration du recours à la stipulation pour autrui.
    • Ce mécanisme est particulièrement fréquent dans les relations économiques impliquant des garanties personnelles, notamment dans le cadre des groupements d’intérêt économique (GIE).
    • Dans certaines situations, le cautionnement ne bénéficie pas uniquement au créancier, mais également à des tiers qui ne sont pas directement parties au contrat de garantie.
    • C’est le cas lorsqu’un dirigeant de société se porte caution non seulement pour l’engagement de sa société, mais aussi pour les membres d’un GIE auquel elle appartient.
    • Dans cette hypothèse, les adhérents du GIE se trouvent bénéficiaires d’une stipulation pour autrui, en ce qu’ils acquièrent un droit propre contre la caution.
    • La Cour de cassation, dans un arrêt du 23 novembre 1999, a confirmé cette analyse en consacrant l’irrévocabilité de l’engagement de la caution au profit des bénéficiaires de la stipulation pour autrui (Cass. com., 23 nov. 1999, n° 96-16.257).
    • Dans cette affaire, un dirigeant d’entreprise s’était porté caution pour garantir les engagements d’un GIE.
    • Par la suite, il a tenté de révoquer unilatéralement son engagement, en invoquant l’absence d’acceptation formelle des bénéficiaires.
    • Or, la Cour a rejeté cet argument, affirmant que :
      • La stipulation pour autrui confère aux bénéficiaires un droit propre et opposable à la caution ;
      • L’acceptation expresse des bénéficiaires n’est pas une condition de l’opposabilité de leur droit ;
      • L’engagement de la caution devient irrévocable dès la conclusion du contrat de cautionnement.
    • Dès lors, la caution ne peut se soustraire unilatéralement à son obligation, une fois celle-ci souscrite dans l’intérêt d’un tiers identifiable.
    • La qualification de stipulation pour autrui en matière de cautionnement bancaire présente des avantages significatifs, tant pour les créanciers que pour les bénéficiaires du cautionnement.
    • Tout d’abord, en reconnaissant aux membres du GIE un droit direct contre la caution, la stipulation pour autrui leur évite d’avoir à obtenir un nouvel engagement contractuel de la part de la caution.
    • Cette qualification renforce ainsi l’efficacité et la rapidité de mise en œuvre de la garantie, en offrant aux bénéficiaires une action immédiate contre la caution.
    • Ensuite, l’irrévocabilité de l’engagement de la caution assure une stabilité contractuelle, empêchant la caution de se rétracter au gré de ses intérêts.
    • Ainsi, les bénéficiaires sont protégés contre les risques de retrait unilatéral de la caution, ce qui est particulièrement crucial dans des structures économiques collaboratives comme les GIE ou les associations professionnelles.
    • Enfin, la finalité du cautionnement bancaire est précisément de garantir l’exécution d’une obligation en faveur du créancier ou de tiers spécifiquement désignés.
    • L’application de la stipulation pour autrui permet donc de sécuriser des engagements collectifs, notamment dans les relations interentreprises où plusieurs parties dépendent d’une même garantie.
  • Services bancaires
    • Le droit bancaire recourt fréquemment à la stipulation pour autrui, notamment dans le cadre des prestations de services impliquant des tiers.
    • Dans ces hypothèses, bien que le bénéficiaire ne soit pas directement partie au contrat, il en tire un droit propre et opposable au promettant.
    • Ce mécanisme permet ainsi d’offrir des garanties aux clients des établissements bancaires sans qu’ils aient à négocier individuellement ces engagements.
    • L’un des cas les plus emblématiques de l’application de la stipulation pour autrui en droit bancaire concerne les contrats de transport de fonds.
    • Lorsqu’une banque conclut un contrat avec une entreprise de transport spécialisé pour assurer l’acheminement sécurisé des fonds déposés par ses clients, ces derniers peuvent être considérés comme bénéficiaires d’une stipulation pour autrui.
    • La Cour de cassation a reconnu cette qualification dans un arrêt du 21 novembre 1978 (Cass. 1re civ., 21 nov. 1978, n°77-14.653), aux termes duquel elle a jugé que les clients de la banque bénéficiaient d’un droit propre à l’exécution de l’engagement pris par la société de transport.
    • Autrement dit, bien qu’ils ne soient pas signataires du contrat conclu entre la banque (stipulant) et la société de transport de fonds (promettant), ils pouvaient se prévaloir directement de l’obligation de transport sécurisé.
    • Cette solution repose sur une finalité économique : le contrat ayant été conclu dans l’intérêt direct des déposants, il était logique que ceux-ci puissent en exiger l’exécution en cas de manquement. L’obligation principale de la société de transport ne vise donc pas uniquement la banque contractante, mais aussi ses clients, qui se trouvent protégés contre les risques liés au transport des fonds.
    • Un autre exemple typique de stipulation pour autrui en droit bancaire concerne les contrats d’assurance invalidité souscrits en garantie d’un prêt bancaire.
    • Dans cette configuration, l’emprunteur souscrit une assurance invalidité, mais désigne la banque comme bénéficiaire en cas de survenance du risque couvert (invalidité empêchant le remboursement du prêt).
    • Dès lors, si l’assuré devient invalide, c’est l’assureur qui verse directement à la banque les sommes dues, lui permettant ainsi de récupérer son dû sans avoir à engager d’action contre l’emprunteur.
    • Ce schéma a été expressément reconnu comme une stipulation pour autrui par la Cour de cassation dans un arrêt du 12 juin 2001 (Cass. com., 12 juin 2001, n° 98-19.873).
    • La Haute juridiction a considéré que la banque bénéficiait d’un droit direct à l’exécution du contrat d’assurance, bien qu’elle n’en soit pas partie, dès lors que l’assurance avait été souscrite dans son intérêt.
    • Cette qualification a des implications majeures :
      • La banque dispose d’un droit autonome contre l’assureur, sans avoir besoin de solliciter l’emprunteur pour le paiement.
      • L’assurance ne bénéficie pas directement à l’emprunteur, mais bien à son créancier, ce qui en fait une sûreté efficace pour les établissements prêteurs.
      • L’emprunteur n’a pas de lien contractuel avec l’assureur en ce qui concerne le versement de la prestation, ce qui évite toute intervention de sa part dans le processus d’indemnisation.
  • Droit des sociétés

La stipulation pour autrui trouve certaines applications en droit des sociétés, notamment dans le cadre des cessions de contrôle et des garanties de passif. Ce mécanisme, qui permet à une société cédée de se prévaloir directement d’un engagement contractuel conclu entre le cédant et le cessionnaire, répond à une nécessité économique et juridique impérieuse : assurer la pérennité financière de la société après son changement d’actionnaire majoritaire, en la protégeant contre des dettes antérieures à la cession.

Lorsqu’un cédant transfère le contrôle d’une société, il peut s’engager, par le biais d’une garantie de passif, à couvrir certaines dettes ou charges dont l’origine est antérieure à la cession. L’objectif est de préserver la valeur patrimoniale de l’entité cédée, en évitant que le cessionnaire ne découvre ultérieurement des engagements dissimulés ou sous-évalués lors de la négociation du prix de cession.

Dans certains cas, cet engagement est stipulé non pas uniquement au bénéfice du cessionnaire, mais également au profit de la société elle-même, qui est directement impactée par ces dettes. La stipulation pour autrui trouve alors sa pleine justification : le cédant fait promettre à l’acheteur ou s’engage lui-même à exécuter une obligation financière directement au profit de la société cédée, lui conférant ainsi un droit propre.

La jurisprudence a admis qu’une telle stipulation pour autrui pouvait conférer à la société cédée un droit direct à l’exécution de la garantie, indépendamment de l’action du cessionnaire. Ainsi, la Cour de cassation a jugé que, lorsque l’acte de cession stipule une garantie du passif au profit de la société, celle-ci peut directement agir en exécution de la garantie et contraindre le cédant à prendre en charge les dettes concernées (Cass. com. 7 oct. 1997, n° 95-18.119).

Cette reconnaissance d’un droit autonome au profit de la société repose sur plusieurs considérations :

  • L’intérêt économique de la société : l’endettement d’une entreprise grève sa trésorerie, fragilise sa situation financière et peut compromettre son activité. En lui permettant de réclamer directement l’exécution de la garantie, la stipulation pour autrui renforce la sécurité juridique des opérations de cession.
  • L’indépendance des intérêts en présence : le cessionnaire et la société cédée, bien que liés par l’opération de transmission, poursuivent des intérêts distincts. La reconnaissance d’un droit propre à la société lui permet d’agir sans dépendre de l’initiative du cessionnaire, qui pourrait, pour des raisons stratégiques ou transactionnelles, renoncer à invoquer la garantie.
  • La cohérence avec le régime des obligations : en l’absence de stipulation pour autrui, le cessionnaire resterait le seul créancier du cédant. Or, il n’a pas toujours vocation à réinjecter dans la société les fonds obtenus au titre de la garantie de passif. La stipulation pour autrui permet d’assurer que la compensation financière profite directement à l’entité affectée par les dettes.

En pratique, il arrive que l’acte de cession ne mentionne pas expressément que la garantie est stipulée au profit de la société cédée. Dans ce cas, les tribunaux s’attachent à rechercher l’intention des parties, afin de déterminer si elles ont entendu conférer à la société un droit propre à l’exécution de la garantie. La Cour de cassation a ainsi admis qu’une stipulation pour autrui implicite pouvait être reconnue lorsque les circonstances révèlent une volonté claire d’avantager la société cédée (Cass. com. 19 déc. 1989, n°88-15.335).

Cette solution repose sur une lecture pragmatique du contrat, visant à éviter qu’une interprétation trop stricte du principe de l’effet relatif des conventions ne prive la société du bénéfice d’une protection pourtant manifestement prévue par les parties.

  • Droit des contrats

La stipulation pour autrui intervient dans divers contrats où elle assure la transmission efficace des obligations et l’articulation des intérêts entre plusieurs parties. Son utilisation se révèle particulièrement significative dans les contrats de construction, les marchés publics et les relations de travail, où elle concourt à sécuriser les engagements contractuels et à renforcer la protection des bénéficiaires.

  • Contrats de construction et marchés publics
    • Dans le cadre des marchés de travaux, la stipulation pour autrui intervient fréquemment afin d’assurer le paiement des sous-traitants, lesquels sont juridiquement distincts du maître d’ouvrage.
    • Cette utilisation du mécanisme est dictée par un double impératif : garantir la solvabilité des opérations de construction et protéger les sous-traitants contre les défaillances de l’entrepreneur principal.
    • Le schéma contractuel repose sur un engagement du maître d’ouvrage à faire promettre à l’entrepreneur principal (le promettant) de payer directement les sous-traitants (les bénéficiaires).
    • L’effet juridique en découle directement est clair: le sous-traitant acquiert un droit propre contre l’entrepreneur principal, qui lui permet d’agir directement contre lui en cas de non-paiement, sans devoir passer par le maître d’ouvrage.
    • En pratique, la reconnaissance d’une stipulation pour autrui évite que les sous-traitants ne soient privés de recours en cas de défaillance financière de l’entrepreneur principal.
    • A cet égard, la Cour de cassation a consacré dans un arrêt du 29 novembre 1994 l’analyse selon laquelle une clause de paiement direct stipulée dans un contrat de travaux pouvait être qualifiée de stipulation pour autrui, conférant ainsi au fournisseur un droit propre à l’encontre du maître d’ouvrage (Cass. 1re civ, 29 nov. 1994, n° 92-15.783).
    • Dans cette affaire, un maître d’ouvrage avait conclu un marché à forfait avec un entrepreneur général pour la construction d’un bâtiment.
    • Le contrat stipulait que le maître d’ouvrage pouvait payer directement un fournisseur désigné pour certaines fournitures nécessaires à l’exécution des travaux.
    • Le fournisseur, ayant livré les matériaux, avait adressé ses factures au maître d’ouvrage. Toutefois, lorsque l’entrepreneur principal a abandonné le chantier, le fournisseur s’est trouvé privé de paiement et a assigné le maître d’ouvrage en règlement de sa créance.
    • La Cour d’appel avait rejeté cette demande, considérant que le fournisseur n’avait pas établi l’existence d’un contrat de vente entre lui et le maître d’ouvrage.
    • La Cour de cassation, au contraire, a jugé que la clause contractuelle prévoyant la possibilité d’un paiement direct au fournisseur devait être interprétée comme une stipulation pour autrui, en raison des éléments suivants :
      • L’existence d’une stipulation claire et expresse : la Cour de cassation a retenu que la clause du marché de travaux autorisant le maître d’ouvrage à régler directement le fournisseur exprimait la volonté des parties de conférer à ce dernier un droit propre contre le maître d’ouvrage.
      • La création d’un droit direct au profit du bénéficiaire : en vertu de cette stipulation pour autrui, le fournisseur n’était pas tributaire du seul entrepreneur principal pour obtenir son paiement ; il pouvait agir directement contre le maître d’ouvrage.
      • Une justification économique et une protection du sous-traitant : cette solution vise à éviter que les fournisseurs et sous-traitants ne soient privés de tout recours en cas de défaillance financière de l’entrepreneur principal. La clause de paiement direct leur assure une source de paiement alternative, limitant ainsi le risque d’impayés.
    • Toutefois, la Cour de cassation a également précisé que le maître d’ouvrage pouvait opposer au fournisseur les mêmes exceptions qu’il aurait pu soulever à l’encontre de l’entrepreneur principal.
    • Cette précision permet d’éviter que le fournisseur ne bénéficie d’un droit absolu au paiement, qui ferait abstraction des éventuelles causes d’inexécution du marché de travaux.
    • En définitive, cette décision illustre le rôle de la stipulation pour autrui comme mécanisme de sécurisation des paiements dans les marchés de travaux.
    • Dès lors qu’un contrat prévoit expressément qu’un tiers (le fournisseur) pourra être directement payé par une partie (le maître d’ouvrage), la jurisprudence reconnaît que ce tiers bénéficie d’un droit propre à l’exécution de la prestation promise.
    • Toutefois, en l’absence de clause expresse, les juges doivent rechercher si une telle stipulation peut être déduite de l’intention des parties, ce qui témoigne de la souplesse et de l’importance pratique de ce mécanisme contractuel.
  • Contrat de bail
    • Le bail constitue un terrain propice à l’intégration de stipulations pour autrui, dès lors que certaines clauses insérées dans le contrat confèrent des droits à des tiers non parties au bail.
    • Ce mécanisme, bien que relevant d’une construction juridique classique, a donné lieu à de nombreuses applications en jurisprudence, notamment en matière de charges imposées au preneur, de protection de tiers, et de clause de non-concurrence.
    • Il est fréquent qu’un bailleur insère dans le contrat de bail des obligations qui profitent directement à un tiers.
    • Dans ce cas, le preneur, bien qu’il ne soit pas directement lié à ce tiers par un rapport contractuel, se voit imposer une obligation dont l’exécution bénéficie à ce dernier.
    • Ainsi, la jurisprudence a reconnu l’existence d’une stipulation pour autrui dans les hypothèses suivantes :
      • Lorsqu’un propriétaire d’une exploitation viticole adhère à une coopérative et insère dans le bail de son locataire une clause prévoyant que ce dernier devra payer la cotisation due à cette coopérative. Ici, la société coopérative se trouve bénéficiaire d’une stipulation pour autrui (CA Montpellier, 1re ch. B, 10 févr. 1993).
      • Lorsqu’un bail prévoit que le preneur devra payer directement aux architectes ou entrepreneurs une partie des travaux réalisés dans l’immeuble loué, ces derniers pouvant alors exiger directement leur paiement sur le fondement de la stipulation pour autrui (Cass. civ., 30 nov. 1948).
    • Dans ces hypothèses, le tiers bénéficiaire se voit reconnaître un droit propre à exiger l’exécution de l’obligation stipulée en sa faveur, indépendamment de la volonté du preneur. Ce dernier, en qualité de débiteur de l’obligation, ne peut en contester l’opposabilité dès lors que cette stipulation a été expressément prévue dans le contrat de bail.
    • Une autre application marquante de la stipulation pour autrui dans le domaine des baux commerciaux réside dans la clause de non-concurrence.
    • Cette clause, souvent insérée par un bailleur lorsqu’il loue plusieurs locaux à des exploitants distincts, vise à protéger les intérêts économiques d’un locataire contre l’installation d’un concurrent direct dans un autre local du même bailleur.
    • La jurisprudence a depuis longtemps admis qu’une clause de non-concurrence stipulée dans un bail commercial peut constituer une stipulation pour autrui en faveur du preneur voisin (Cass. 3e civ., 4 févr. 1986).
    • Ainsi, lorsque le bailleur consent successivement plusieurs baux commerciaux dans un même ensemble immobilier, il peut insérer dans ces baux des clauses interdisant l’exercice d’activités concurrentes dans un autre local.
    • Cette clause profite directement au locataire initial, qui peut ainsi se prévaloir d’un droit propre à l’encontre du second locataire, en exigeant le respect de la restriction d’activité prévue dans son bail.
    • L’intérêt de qualifier la clause de non-concurrence de stipulation pour autrui est double :
      • Le locataire bénéficiaire de la clause dispose d’un droit propre, qu’il peut invoquer en justice pour empêcher l’exercice de l’activité concurrente, même s’il n’est pas partie au bail conclu avec le second locataire.
      • Le second locataire est tenu à l’égard du premier, non pas en raison d’un rapport contractuel direct, mais en vertu de l’engagement souscrit par le bailleur. Dès lors, le non-respect de la clause peut donner lieu à des sanctions, telles que la résiliation du bail ou l’octroi de dommages et intérêts au profit du locataire lésé.
    • Cette analyse a également été retenue en matière d’adhésion obligatoire à une association de commerçants d’un centre commercial.
    • La Cour de cassation a ainsi reconnu que la clause obligeant un preneur à verser des cotisations à une association de commerçants constitue une stipulation pour autrui en faveur de ladite association, celle-ci pouvant directement exiger le paiement des cotisations dues par le preneur (Cass. 1ere civ., 31 mars 1992, n° 90-18.880).
  • Conventions collectives et contrats de travail
    • En droit social, la stipulation pour autrui joue un rôle significatif dans la protection des travailleurs, en leur conférant, dans certaines hypothèses, des droits directs issus de conventions collectives ou de contrats de travail conclus entre des tiers.
      • La stipulation pour autrui dans les conventions collectives
        • Les conventions collectives, conclues entre des organisations patronales et des syndicats de salariés, comportent souvent des dispositions stipulées au profit des salariés, leur conférant des droits qu’ils peuvent invoquer directement contre leur employeur ou des organismes tiers.
        • La Cour de cassation a reconnu, par exemple, que certaines clauses de conventions collectives pouvaient comporter des stipulations pour autrui en faveur des salariés, leur permettant d’agir directement contre leur employeur ou contre des institutions sociales en cas de non-respect des engagements conventionnels (Cass. Soc. 4 févr. 1981, n°78-41.008).
        • Cette qualification leur permet d’obtenir directement l’exécution des obligations issues de la convention, sans que cela ne requiert l’intervention du syndicat négociateur.
    • La stipulation pour autrui dans les contrats de travail
      • Le contrat de travail peut lui-même comporter des stipulations pour autrui au profit des salariés, notamment lorsqu’il prévoit des engagements à leur bénéfice pris par des tiers.
      • Un exemple marquant est celui des clauses de garantie d’emploi stipulées dans les contrats de travail en cas de transfert d’entreprise.
      • Lorsqu’un employeur s’engage, en cas de cession de son entreprise, à imposer au repreneur l’obligation de reprendre les salariés, cette stipulation est analysée comme une stipulation pour autrui.
      • A cet égard, la Cour de cassation a admis que lorsqu’un contrat de travail impose à un nouvel employeur de reprendre les salariés d’une entreprise en cas de transfert, cette clause constitue bien une stipulation pour autrui au profit des salariés concernés, qui peuvent alors s’en prévaloir directement (Cass. com. 14 mai 1979, n°77-15.865).
      • Cette solution présente un enjeu social majeur : elle garantit la continuité de l’emploi et protège les salariés contre les effets souvent brutaux des restructurations.
      • En leur conférant un droit propre, elle leur permet d’obtenir l’exécution de l’engagement pris à leur égard sans qu’ils aient à démontrer une quelconque transmission contractuelle de leur contrat de travail.
  • La stipulation pour autrui présumée

Si la stipulation pour autrui repose, en principe, sur l’expression expresse de la volonté contractuelle, la jurisprudence a, dans certaines circonstances exceptionnelles, présumé son existence afin d’assurer la protection des victimes.

Cette démarche, motivée par des considérations d’équité et de sécurité juridique, a principalement été développée en matière d’accidents de transport et dans le cadre de l’affaire du sang contaminé. Toutefois, la tendance actuelle de la Cour de cassation est au repli, celle-ci réaffirmant que la stipulation pour autrui ne saurait être admise en l’absence d’une clause explicite.

  • La protection des proches de victimes d’accidents de transport
    • La stipulation pour autrui a parfois été présumée par la jurisprudence afin de garantir une protection accrue aux proches de victimes d’accidents de transport.
    • Cette construction, forgée dans un souci d’efficacité juridique et de préservation des droits des tiers affectés par l’exécution du contrat de transport, a toutefois été abandonnée par la Cour de cassation, soucieuse de préserver la rigueur du principe de l’effet relatif des conventions.
    • L’un des arrêts fondateurs de cette approche prétorienne est rendu par la chambre civile de la Cour de cassation le 6 décembre 1932.
    • Dans cette décision, la Haute juridiction admet que le contrat conclu entre un passager et un transporteur peut implicitement contenir une stipulation pour autrui au profit des proches du voyageur.
    • Ce raisonnement permettait aux ayants droit de la victime d’un accident de transport de se prévaloir de la responsabilité contractuelle du transporteur, bien plus favorable que la responsabilité délictuelle.
    • En effet, cette dernière supposait la preuve d’une faute du transporteur, tandis que l’obligation de sécurité qui pesait sur ce dernier en matière contractuelle était de nature objective, offrant aux demandeurs une meilleure garantie d’indemnisation.
    • Cette solution reposait sur une lecture extensive du contrat de transport, assimilant implicitement les proches du passager à des bénéficiaires directs de l’engagement contractuel du transporteur.
    • Toutefois, cette construction a été critiquée par la doctrine, certains auteurs dénonçant une dérive consistant à dénaturer la stipulation pour autrui en la présumant là où elle ne correspondait pas aux volontés des parties.
    • Consciente des risques d’un tel raisonnement, la Cour de cassation a progressivement infléchi sa position.
    • Dans un arrêt du 28 octobre 2003, elle met fin à cette jurisprudence en affirmant que les proches d’une victime d’accident de transport ne peuvent invoquer la responsabilité contractuelle du transporteur en l’absence d’une stipulation expresse en leur faveur (Cass. 1re civ., 28 oct. 2003, n° 00-18.794).
    • Cette décision marque un revirement notable, traduisant une volonté de la Haute juridiction de ne pas altérer la nature du contrat de transport et de cantonner la stipulation pour autrui à des hypothèses où elle résulte clairement de la volonté des parties.
    • Ce revirement s’explique également par l’évolution du droit de la responsabilité.
    • Lorsque la jurisprudence des années 1930 admettait la stipulation pour autrui implicite, la responsabilité objective du fait des choses n’était pas encore solidement implantée en droit français.
    • Il était alors plus avantageux pour les proches d’une victime d’invoquer la responsabilité contractuelle du transporteur plutôt que d’agir sur le terrain de l’ancien article 1382 du Code civil (devenu art. 1240), lequel imposait la preuve d’une faute.
    • Or, avec la généralisation de la responsabilité objective du fait des choses et l’adoption de régimes spéciaux favorisant l’indemnisation des victimes d’accidents de transport, la nécessité de recourir à une stipulation pour autrui présumée a disparu.
    • En outre, la reconnaissance d’une stipulation pour autrui présumée avait conduit à des incohérences avec d’autres principes du droit des obligations, notamment la prohibition du cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle.
    • La jurisprudence permettait aux proches d’une victime d’accident de renoncer à la stipulation pour autrui prétendument incluse dans le contrat de transport et d’agir sur le fondement de la responsabilité délictuelle si cette dernière leur était plus favorable (Cass. 2e civ., 23 janv. 1959).
    • Cette faculté leur offrait un véritable droit d’option entre deux régimes de responsabilité, en contradiction avec la règle du non-cumul des responsabilités.
    • En mettant un terme à cette jurisprudence, la Cour de cassation a réaffirmé que les engagements contractuels ne sauraient être étendus au-delà de ce que les parties ont expressément convenu, tout en rétablissant la cohérence du droit de la responsabilité en matière d’accidents de transport.
    • Ainsi, bien que motivée à l’origine par une préoccupation de protection des victimes, la stipulation pour autrui présumée au profit des proches de passagers d’un transport a progressivement perdu sa raison d’être.
    • L’évolution du cadre juridique de la responsabilité des transporteurs a contribué à rendre ce mécanisme inutile, et la jurisprudence contemporaine s’attache désormais à exiger une volonté expresse du stipulant lorsqu’il entend conférer un droit à un tiers.
    • Cette évolution témoigne d’un retour à une application plus stricte du principe de l’effet relatif des conventions, évitant ainsi de faire de la stipulation pour autrui un instrument d’indemnisation artificiel.
  • L’affaire du sang contaminé : une présomption justifiée par l’intérêt des victimes
    • Une autre illustration marquante de la stipulation pour autrui présumée se rencontre dans l’affaire du sang contaminé.
    • La gravité du préjudice subi par les victimes de transfusions sanguines infectées par le VIH ou l’hépatite C a conduit la jurisprudence à rechercher un fondement juridique leur permettant d’obtenir réparation de manière efficace et rapide.
    • Dans cette perspective, elle s’est appuyée sur une décision antérieure (Cass. 2e civ., 17 déc. 1954) qui avait déjà admis qu’un contrat conclu entre un hôpital et un centre de transfusion sanguine pouvait contenir une stipulation pour autrui implicite en faveur des patients recevant des transfusions.
    • En reprenant cette solution, les juridictions ont considéré que les victimes de contamination transfusionnelle pouvaient se prévaloir d’un droit propre contre le centre de transfusion, sans qu’il soit nécessaire d’établir un lien contractuel direct avec celui-ci.
    • Cette construction permettait d’imputer aux centres de transfusion une obligation de sécurité de résultat, leur imposant de fournir un sang exempt de toute contamination (Cass 1ère civ., 14 nov. 1995, n°92-18.199).
    • L’objectif poursuivi était de soustraire les victimes aux exigences probatoires complexes du droit commun de la responsabilité, en leur permettant d’agir directement contre les organismes en charge de la collecte et de la distribution du sang.
    • Toutefois, à mesure que le droit de la responsabilité civile s’est adapté aux enjeux liés aux contaminations transfusionnelles, l’utilité de cette présomption jurisprudentielle s’est progressivement estompée.
    • Déjà avant l’intervention du législateur, la jurisprudence s’était inspirée de la directive européenne du 25 juillet 1985 pour permettre aux victimes par ricochet – notamment les ayants droit d’un patient décédé – d’invoquer le manquement de l’organisme de transfusion à son obligation de sécurité sans recourir à la stipulation pour autrui (Cass. 1ère civ., 13 févr. 2001, n°99-13.589).
    • La loi du 19 mai 1998 (art. 1245 et s. du Code civil) a parachevé cette évolution en instaurant un régime de responsabilité du fait des produits défectueux applicable aux produits de santé, rendant inutile le recours à une qualification contractuelle pour garantir l’indemnisation des victimes.
    • Dès lors, si la reconnaissance d’une stipulation pour autrui implicite a pu constituer une solution pragmatique dans un contexte d’urgence sanitaire, elle s’inscrivait avant tout dans une logique de protection des victimes.
    • L’évolution du droit positif et l’émergence de dispositifs d’indemnisation spécifiques ont cependant conduit la jurisprudence à restreindre l’usage de cette construction.
    • Aujourd’hui, la reconnaissance d’une stipulation pour autrui présumée repose sur une interprétation plus stricte, exigeant que la volonté de stipuler au profit d’un tiers résulte explicitement de l’acte.
    • Cette évolution traduit une volonté de ne pas instrumentaliser la stipulation pour autrui à des fins purement indemnitaires et de préserver l’équilibre contractuel en s’assurant que les obligations n’engagent que ceux qui les ont librement consenties.

La stipulation pour autrui: régime

==>Notion

Il est des mécanismes juridiques dont la singularité se manifeste avec d’autant plus d’éclat qu’ils défient l’architecture traditionnelle du droit des obligations. Parmi eux, la stipulation pour autrui occupe une place de choix, en ce qu’elle permet à une personne, le stipulant, de conférer un droit à un tiers bénéficiaire, par l’intermédiaire d’un promettant, qui s’engage à accomplir une prestation au profit de ce dernier. Cet engagement, bien que contracté entre le stipulant et le promettant, fait naître au profit du bénéficiaire un droit propre et direct, qu’il pourra faire valoir lui-même contre le promettant, sans qu’il soit besoin d’une intervention supplémentaire du stipulant.

 

Le mécanisme de la stipulation pour autrui trouve aujourd’hui sa consécration à l’article 1205 du Code civil, issu de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. Selon cette disposition, « l’un des contractants, le stipulant, peut faire promettre à l’autre, le promettant, d’accomplir une prestation au profit d’un tiers, le bénéficiaire ». Le texte précise encore que le bénéficiaire peut être une personne future, à condition d’être déterminé ou déterminable au moment de l’exécution de la prestation.

Cette formulation entérine une évolution doctrinale et jurisprudentielle de longue date, puisque la stipulation pour autrui ne figurait que de manière incidente dans l’ancien article 1121 du Code civil de 1804, lequel stipulait que « l’on peut pareillement stipuler au profit d’autrui lorsque telle est la condition d’une stipulation que l’on fait pour soi-même ou d’une donation que l’on fait à un autre ». Ce texte, ambigu, fut interprété de manière restrictive par une doctrine qui voyait dans la stipulation pour autrui une exception à la règle de l’effet relatif des contrats.

Le principe de l’effet relatif des conventions, codifié à l’article 1199 du Code civil, énonce que « le contrat ne crée d’obligations qu’entre les parties ». L’idée qui le sous-tend, héritée du droit romain (alteri stipulari nemo potest), est que les effets d’un contrat ne sauraient s’étendre à des tiers qui n’ont pas donné leur consentement. Cette règle est ancienne: Pothier rappelait déjà que « les conventions ne peuvent préjudicier à ceux qui n’y sont pas parties »[1].

Or, la stipulation pour autrui semble, en apparence, déroger à ce principe, en permettant à un tiers d’acquérir un droit directement issu du contrat conclu entre le stipulant et le promettant. Comme le relève Planiol, «cette institution, loin d’être une anomalie, est une nécessité économique et sociale qui s’est progressivement imposée dans la jurisprudence»[2]. De même, Ripert et Boulanger expliquent que la stipulation pour autrui constitue une dérogation maîtrisée au principe de l’effet relatif, en ce qu’elle repose sur un mécanisme contractuel spécifique.

Toutefois, cette rupture apparente avec la logique contractuelle classique ne doit pas masquer la véritable spécificité de l’institution : ce n’est pas tant son effet exceptionnel à l’égard des tiers qui la distingue, mais bien la manière dont ce droit se forme et se transmet.

La stipulation pour autrui repose ainsi sur une subtile combinaison entre un engagement contractuel entre stipulant et promettant et une attribution extracontractuelle d’un droit au profit du bénéficiaire. Comme l’explique Eugène Gaudemet, « l’originalité du mécanisme réside en ce que la créance naît directement dans le patrimoine du bénéficiaire, sans qu’elle ait transité par celui du stipulant »[3].

Cette distinction est d’une importance majeure car elle justifie que le droit du bénéficiaire :

Ainsi, contrairement aux autres mécanismes qui confèrent un droit à un tiers en se fondant sur un transfert ou une représentation (comme la cession de créance ou le mandat), la stipulation pour autrui ne suppose ni l’intervention du bénéficiaire dans l’accord initial, ni une transmission d’un droit déjà existant. René Demogue précise ainsi que « le droit du bénéficiaire est un droit immédiat, qui ne dépend ni d’une cession ni d’une substitution, mais d’une création contractuelle qui s’opère par l’engagement du promettant »[4].

Si le Code civil de 1804 ne consacrait qu’incidemment la stipulation pour autrui, l’ordonnance de 2016 est venue clarifier et moderniser son régime, en lui dédiant plusieurs articles (1205 à 1209 du Code civil). Toutefois, la doctrine relève que cette réforme, bien que bienvenue, n’a pas saisi toute la portée de l’institution. Marc Mignot souligne notamment que le législateur « a traité la stipulation pour autrui comme une simple exception à l’effet relatif, sans en analyser la structure fondamentale, qui repose en réalité sur une double logique d’attribution et d’engagement contractuel »[5].

D’autres auteurs regrettent que la réforme n’ait pas pris en compte certaines évolutions jurisprudentielles qui avaient fait de la stipulation pour autrui un outil juridique particulièrement souple. François Terré et Philippe Simler rappellent ainsi que la jurisprudence avait progressivement admis des stipulations pour autrui implicites, notamment dans le cadre des contrats d’assurance ou des conventions collectives, avant que le Code civil réformé ne revienne à une approche plus formelle[6].

==>Distinctions avec d’autres opérations juridiques

La stipulation pour autrui ne saurait être confondue avec d’autres mécanismes juridiques impliquant plusieurs parties, bien qu’elle partage avec eux une apparente parenté structurelle. Si tous ces dispositifs permettent, d’une manière ou d’une autre, d’attribuer des droits à un tiers, leur mode opératoire diffère fondamentalement.

Là où certains reposent sur une transmission ou une substitution de droits existants, la stipulation pour autrui se singularise en ce qu’elle crée ex nihilo un droit au profit du bénéficiaire, indépendamment d’un quelconque transfert. Cette distinction est essentielle pour comprendre l’autonomie conceptuelle de l’institution et les effets qui en résultent.

  • Stipulation pour autrui et action directe
    • Si la stipulation pour autrui et l’action directe permettent toutes deux à un tiers d’exercer un droit contre une partie à un contrat auquel il n’est pas directement lié, elles reposent néanmoins sur des fondements conceptuels distincts.
    • Tandis que la stipulation pour autrui confère au bénéficiaire un droit propre, né immédiatement de la volonté du stipulant et du promettant, l’action directe se rattache au principe de transmission accessoire des créances et constitue une prérogative accordée par la loi dans des hypothèses strictement définies.
    • Pour mémoire, la stipulation pour autrui se définit comme l’acte par lequel un contractant, le stipulant, fait promettre à l’autre partie, le promettant, d’exécuter une prestation au bénéfice d’un tiers bénéficiaire.
    • Ce dernier, sans être partie au contrat, se voit immédiatement reconnaître un droit propre et direct contre le promettant.
    • L’élément central de la stipulation pour autrui réside dans la création ex nihilo d’un droit de créance dans le patrimoine du bénéficiaire.
    • Ce droit ne résulte ni d’une transmission de créance ni d’un déplacement d’obligation, mais bien d’une manifestation de volonté expresse ou implicite du stipulant.
    • Comme le relève Demogue, « la stipulation pour autrui ne relève pas d’un transfert de droit, mais d’une attribution immédiate et autonome, qui confère au bénéficiaire un droit direct sans antécédent patrimonial »[7].
    • L’action directe, pour sa part, permet à un créancier d’agir contre un sous-débiteur dans une chaîne de contrats successifs.
    • Contrairement à la stipulation pour autrui, qui repose sur la volonté contractuelle, l’action directe est une prérogative exceptionnelle accordée par la loi.
    • Elle repose sur le principe de la transmission accessoire des créances, lequel justifie que certains droits contractuels puissent être exercés directement contre un sous-débiteur lorsque l’économie du contrat le requiert.
    • Ainsi, dans une chaîne contractuelle (par exemple, un sous-traitant qui n’est pas payé par un entrepreneur principal), le législateur ou la jurisprudence peuvent conférer à certains créanciers un droit d’agir contre le sous-débiteur final, même en l’absence de lien contractuel direct.
    • Cette prérogative s’analyse souvent comme une protection économique accordée à certaines catégories de créanciers vulnérables, comme les salariés (action directe en paiement des salaires en cas de sous-traitance), les victimes d’accidents (action directe en matière d’assurance) ou encore les fournisseurs dans les contrats de construction.
    • Comme l’indiquent des auteurs, l’action directe « ne confère pas un droit nouveau au créancier, mais lui permet seulement d’exercer un droit déjà existant, en raison d’une chaîne d’obligations préétablie »[8].
    • En ce sens, elle suppose nécessairement un lien de dépendance juridique entre l’obligation initiale et l’action conférée au créancier, ce qui n’est pas le cas de la stipulation pour autrui.
    • La distinction entre stipulation pour autrui et action directe est parfois brouillée par la jurisprudence, notamment dans les affaires de responsabilité contractuelle et de contrats de transport.
    • En effet, la Cour de cassation a parfois eu recours à la stipulation pour autrui là où une action directe aurait été plus appropriée.
    • Ainsi, dans un arrêt du 17 décembre 1954, la Haute juridiction a admis que le contrat conclu entre un hôpital et un centre de transfusion sanguine contenait une stipulation pour autrui au profit des patients, leur permettant d’agir contre le centre en cas de contamination (Cass. 2e civ., 17 déc. 1954).
    • Toutefois, cette analyse a été critiquée par la doctrine, notamment par René Savatier, qui souligne que le patient ne devient pas titulaire d’un droit propre, mais exerce simplement une action contractuelle sur la base d’une transmission accessoire de créance.
    • Dans les affaires de contamination par le VIH ou l’hépatite C, la jurisprudence a finalement abandonné l’analyse en termes de stipulation pour autrui et a reconnu que la victime pouvait exercer une action directe en responsabilité contractuelle contre le centre de transfusion.
    • Cette solution est plus rigoureuse, car elle repose sur une chaîne contractuelle où chaque maillon engage sa responsabilité pour inexécution de son obligation de fournir un sang exempt de vices.
    • Le contrat de transport illustre également la confusion entre action directe et stipulation pour autrui.
    • Pendant longtemps, la jurisprudence a vu dans l’engagement du transporteur envers le destinataire une stipulation pour autrui au profit de ce dernier (Cass. civ., 24 mai 1897).
    • Toutefois, la doctrine moderne, à l’instar de René Rodière considère que cette analyse est erronée : le destinataire dispose en réalité d’une action directe contre le transporteur en raison de la nature même du contrat de transport, qui l’intègre intrinsèquement à l’opération économique[9].
    • La Cour de cassation a progressivement évolué et a admis que le destinataire « dispose d’une action directe pour contraindre le transporteur à exécuter ses obligations » (Cass. 1ère civ., 1er févr. 1955).
    • Cette approche est plus conforme à la nature tripartite du contrat de transport, qui crée des obligations réciproques entre l’expéditeur, le transporteur et le destinataire.
  • Stipulation pour autrui et cession de créance
    • Si la stipulation pour autrui et la cession de créance permettent toutes deux de conférer un droit à un tiers, elles reposent sur des logiques juridiques distinctes.
    • Tandis que la cession de créance implique une transmission d’un droit préexistant, la stipulation pour autrui crée un droit ex nihilo au profit du bénéficiaire.
    • La cession de créance, régie par l’article 1321 du Code civil, est l’acte par lequel un créancier (le cédant) transmet à un tiers (le cessionnaire) la créance qu’il détient contre un débiteur (le cédé). Cette opération repose sur un transfert de créance : le cessionnaire reçoit un droit qui appartenait préalablement au cédant, lequel se dessaisit de sa créance au profit du nouvel ayant droit.
    • À l’inverse, la stipulation pour autrui repose sur un mécanisme créateur de droit.
    • Le stipulant conclut avec le promettant un contrat prévoyant une obligation en faveur d’un tiers bénéficiaire, qui devient directement créancier du promettant.
    • Comme le souligne Planiol, « dans la cession de créance, le droit passe d’un titulaire à un autre, tandis que dans la stipulation pour autrui, le droit naît immédiatement et exclusivement dans le patrimoine du bénéficiaire »[10].
    • Ainsi, alors que la cession de créance implique une transmission, la stipulation pour autrui opère une véritable attribution de créance, sans que celle-ci ait appartenu au stipulant à un quelconque moment.
    • A cet égard, le mode d’attribution du droit constitue un second élément de différenciation essentiel.
      • Dans la cession de créance, le droit du cessionnaire contre le débiteur cédé est dérivé : il préexistait dans le patrimoine du cédant et est simplement transféré au cessionnaire. Le créancier initial (cédant) peut encore être tenu vis-à-vis du cessionnaire si la cession est assortie d’une garantie de paiement. De plus, avant sa cession, la créance peut être saisie par les créanciers du cédant, et le débiteur cédé peut opposer au cessionnaire les exceptions qu’il aurait pu opposer au cédant (art. 1324 C. civ.).
      • Dans la stipulation pour autrui, le droit du bénéficiaire est originaire et direct. Il n’a jamais appartenu au stipulant et ne procède pas d’un transfert. Le bénéficiaire exerce directement son droit contre le promettant, sans que le stipulant intervienne dans l’exécution de l’obligation.
    • La jurisprudence a parfois hésité entre ces qualifications. En matière de crédit-bail, certaines décisions ont qualifié de stipulation pour autrui la clause permettant au crédit-preneur d’agir directement contre le fournisseur du bien loué (CA Paris, 5e ch. A, 28 nov. 1989).
    • Toutefois, d’autres décisions ont préféré voir dans ce mécanisme une cession de créance de garantie (Cass. com., 26 janv. 1977, n°75-12.613). Cette hésitation jurisprudentielle repose sur l’ambiguïté du régime juridique applicable aux garanties accordées au crédit-preneur.
    • La distinction entre la cession de créance et la stipulation pour autrui emporte des effets concrets:
      • Possibilité de recours des créanciers du cédant
        • En cas de cession de créance, les créanciers du cédant peuvent saisir la créance avant qu’elle ne soit transmise au cessionnaire.
        • En revanche, dans la stipulation pour autrui, le droit du bénéficiaire n’a jamais appartenu au stipulant, de sorte qu’aucun créancier du stipulant ne peut exercer un recours sur ce droit.
      • Opposabilité des exceptions
        • Dans la cession de créance, le débiteur cédé peut opposer au cessionnaire les mêmes exceptions qu’il aurait pu opposer au cédant avant la cession (art. 1324 C. civ.).
        • Dans la stipulation pour autrui, le promettant ne peut invoquer les éventuelles exceptions qu’il aurait pu opposer au stipulant contre le bénéficiaire, puisque la créance du bénéficiaire est une création autonome et ne résulte pas d’un transfert.
      • Nature de l’engagement du débiteur
        • En cas de cession de créance, le débiteur cédé est contraint d’accepter la substitution de son créancier, sauf si la cession est soumise à son accord préalable (C. civ., art. 1322).
        • Dans la stipulation pour autrui, le promettant s’engage librement envers le bénéficiaire dès la conclusion du contrat avec le stipulant.
    • Enfin, la jurisprudence a parfois confondu stipulation pour autrui et cession de créance dans certaines hypothèses complexes.
    • Ainsi, la transmission d’une créance résultant d’une promesse unilatérale de vente a pu être analysée tantôt comme une cession de créance, tantôt comme une stipulation pour autrui.
    • De même, la délégation d’honoraires à un expert d’assurance a fait l’objet d’une hésitation jurisprudentielle quant à sa qualification, certains y voyant une cession de créance, d’autres une stipulation pour autrui.
    • Toutefois, comme le relève Jacques Ghestin, la cession de créance implique toujours un rapport tripartite, alors que la stipulation pour autrui ne repose que sur la relation entre le stipulant et le promettant[11].
    • Cette distinction fondamentale explique que la stipulation pour autrui demeure une exception au principe de l’effet relatif des conventions, tandis que la cession de créance reste une technique de transmission des obligations.
  • Stipulation pour autrui et cession de dette
    • La stipulation pour autrui et la cession de dette sont deux mécanismes qui, bien qu’impliquant l’intervention de plusieurs parties dans un rapport obligataire, se distinguent profondément tant dans leur objet que dans leurs effets.
    • Tandis que la stipulation pour autrui crée une obligation nouvelle au profit d’un tiers, la cession de dette, prévue à l’article 1327 du Code civil, opère une substitution d’un débiteur à un autre, sans nécessairement libérer l’ancien débiteur de son engagement.
    • Si la confusion entre ces deux notions est fréquente, leur distinction est essentielle, tant pour comprendre leur régime propre que pour en maîtriser les implications pratiques.
      • Une différence de structure : création d’une obligation vs transmission d’une dette existante
        • Dans la cession de dette, un nouveau débiteur (le cessionnaire) se substitue à l’ancien débiteur (le cédant) dans l’exécution d’une obligation préexistante envers le créancier.
        • Cette opération implique donc une transmission d’une dette antérieure, dont la cause et l’objet demeurent inchangés.
        • Le créancier peut accepter ou refuser cette substitution, et, sauf stipulation contraire, il conserve son action contre le débiteur d’origine (Cass. 3e civ, 10 avr. 1973, n°71-12.719).
        • À l’inverse, dans la stipulation pour autrui, aucune obligation préexistante n’est transmise.
        • Il s’agit d’un engagement nouveau pris par un promettant envers un bénéficiaire, à l’initiative d’un stipulant.
        • Ce mécanisme ne repose pas sur le transfert d’une dette, mais sur la création ex nihilo d’un droit propre et direct au profit du tiers bénéficiaire, sans qu’il y ait eu auparavant une obligation qui lui aurait été due.
        • La stipulation pour autrui trouve ainsi sa source dans la relation contractuelle entre le stipulant et le promettant, tandis que la cession de dette s’ancre dans une obligation déjà existante.
      • L’implication du créancier : consentement et effet immédiat
        • Dans la cession de dette, le créancier initial ne bénéficie pas immédiatement d’un droit contre le cessionnaire.
        • L’efficacité de la substitution dépend de son consentement : tant que celui-ci n’a pas donné son accord, il conserve une action contre le débiteur cédant, lequel demeure tenu de l’obligation.
        • Ce maintien de l’action contre le cédant traduit la nature progressive de la substitution, qui ne devient définitive qu’avec l’adhésion expresse du créancier à l’opération (Cass. com., 7 déc. 1976, n°75-12.464).
        • En revanche, dans la stipulation pour autrui, le bénéficiaire est immédiatement investi d’un droit contre le promettant, sans que le consentement du stipulant ou du bénéficiaire soit requis pour conférer cet effet direct (art. 1205 C. civ.).
        • Il appartient au bénéficiaire d’accepter la stipulation pour la rendre irrévocable, mais son droit existe dès la formation du contrat.
        • Cet effet immédiat différencie la stipulation pour autrui de la cession de dette, où l’acquisition d’un droit contre le cessionnaire suppose l’adhésion du créancier.
      • L’absence de superposition des obligations dans la stipulation pour autrui
        • Une autre différence essentielle entre ces deux mécanismes réside dans l’articulation des obligations entre les parties.
        • Dans la cession de dette, il existe une période de superposition des engagements du cédant et du cessionnaire: tant que le créancier n’a pas accepté la substitution, il conserve son action contre le débiteur d’origine, qui reste tenu de la dette.
        • Cette dualité d’engagements peut, dans certains cas, générer une responsabilité solidaire, contraignant le cédant et le cessionnaire à répondre ensemble de l’exécution de l’obligation (Cass. 2e civ., 10 juill. 2014, n°13-20.620).
        • À l’inverse, dans la stipulation pour autrui, le bénéficiaire ne partage aucune obligation avec le stipulant : son droit naît directement de la volonté du stipulant et s’exerce exclusivement contre le promettant.
        • Il n’existe donc aucun chevauchement d’obligations entre le stipulant et le bénéficiaire, ce dernier n’ayant pas à se prévaloir d’une transmission de dette mais d’un droit originaire créé à son profit.
        • Demogue expliquait ainsi que « la stipulation pour autrui ne relève pas d’un déplacement d’obligation, mais d’une création ex nihilo d’un droit autonome, qui ne connaît pas d’antécédent patrimonial »[12].
      • Les enjeux pratiques de la distinction
        • Les implications pratiques de la distinction entre cession de dette et stipulation pour autrui, les enjeux sont considérables.
        • Dans le cadre d’une cession de dette, la nécessité de recueillir le consentement du créancier peut ralentir l’opération et en limiter l’efficacité.
        • Le créancier demeure exposé au risque d’insolvabilité du cédant tant que la substitution n’a pas été agréée.
        • En outre, l’existence d’une responsabilité conjointe entre le cédant et le cessionnaire peut poser des difficultés en cas de litige sur l’exécution de l’obligation.
        • En revanche, la stipulation pour autrui offre une plus grande sécurité juridique : le bénéficiaire acquiert immédiatement un droit direct contre le promettant, sans dépendre d’un consentement extérieur.
        • Cela en fait un outil contractuel privilégié dans des domaines tels que le droit des assurances (où l’assuré stipule pour ses ayants droit), le droit bancaire (assurances collectives souscrites par une banque pour ses clients) ou encore le droit des contrats commerciaux (garanties de passif au profit d’une société cédée).
        • Cette autonomie de la stipulation pour autrui justifie que la jurisprudence en encadre strictement l’usage, afin d’éviter toute confusion avec une reprise de dette ou une délégation.
        • Ainsi, la Cour de cassation a jugé qu’une clause par laquelle un cessionnaire s’engageait à prendre en charge les dettes d’une société ne constituait pas une stipulation pour autrui mais une reprise de dette externe, impliquant une acceptation du créancier concerné (Cass. com., 7 déc. 1976, n°75-12.464).
        • La distinction est donc essentielle pour déterminer le régime applicable et les exigences requises pour l’opposabilité de l’engagement au créancier.
  • Stipulation pour autrui et délégation
    • La délégation, prévue à l’article 1336 du Code civil, est l’opération par laquelle une personne, le délégant, obtient qu’un tiers, le délégué, s’engage envers un créancier, le délégataire.
    • Elle peut présenter plusieurs formes :
      • La délégation simple ou imparfaite, par laquelle le délégant reste tenu de l’obligation en parallèle du délégué.
      • La délégation novatoire ou parfaite, où l’engagement du délégué remplace celui du délégant.
    • La différence fondamentale entre la délégation et la stipulation pour autrui réside dans le fait que la délégation repose sur un engagement du délégant, alors que la stipulation pour autrui repose uniquement sur l’engagement du promettant.
    • Comme le soulignent Ambroise Colin et Henri Capitant, « dans la délégation, le débiteur (délégant) joue un rôle actif, soit en conservant une obligation conjointe, soit en se substituant totalement un tiers ; dans la stipulation pour autrui, le stipulant disparaît totalement après la formation du droit du bénéficiaire »[13].
    • Autres distinctions importantes :
      • Dans la délégation, il est souvent possible d’opposer des exceptions au délégataire (en cas de délégation imparfaite), tandis que dans la stipulation pour autrui, le bénéficiaire est titulaire d’un droit direct, ce qui limite les moyens de contestation du promettant.
      • La délégation crée des obligations complexes, parfois superposées, alors que la stipulation pour autrui crée une obligation unique et immédiate en faveur du bénéficiaire.
  • Stipulation pour autrui et mandat
    • Le mandat, défini par l’article 1984 du Code civil, est le contrat par lequel une personne, le mandant, confère à une autre, le mandataire, le pouvoir d’agir en son nom et pour son compte.
    • Contrairement au stipulant, le mandataire agit pour le compte du mandant et engage ce dernier dans ses relations avec les tiers.
    • Autrement dit, dans un mandat, le bénéficiaire de l’opération est également l’une des parties au contrat, ce qui le distingue radicalement de la stipulation pour autrui, où le bénéficiaire est un tiers extérieur à la convention initiale.
    • De plus, dans le mandat, le mandataire n’est qu’un intermédiaire : il ne crée aucun droit nouveau, mais exerce une action en représentation du mandant.
    • Robert Beudant souligne ainsi que « le mandataire ne fait que prolonger juridiquement la personne du mandant, tandis que le stipulant crée un droit autonome au profit du bénéficiaire, sans qu’il soit nécessaire que celui-ci intervienne dans l’opération »[14].
    • Enfin, le mandat repose sur un lien de représentation, ce qui n’est pas le cas de la stipulation pour autrui.
    • Le stipulant ne représente pas le bénéficiaire, il ne contracte pas en son nom, ni pour son compte : il contracte en son propre nom, mais avec l’intention de faire naître un droit dans le patrimoine d’un tiers.
  • Stipulation pour autrui et gestion d’affaires
    • Enfin, la stipulation pour autrui ne doit pas être confondue avec la gestion d’affaires, mécanisme par lequel une personne (le gérant) prend l’initiative d’accomplir un acte dans l’intérêt d’un tiers (le maître d’affaire), en dehors de tout mandat préalable.
    • À la différence de la gestion d’affaires :
      • Le stipulant ne prend pas d’initiative pour gérer les intérêts du bénéficiaire, il se borne à faire naître un droit en sa faveur.
      • Le bénéficiaire d’une stipulation pour autrui n’a pas à ratifier l’acte pour que son droit existe, contrairement au maître d’affaire, qui peut accepter ou refuser la gestion à son bénéfice.

==>Évolution historique

L’histoire de la stipulation pour autrui est celle d’une lente reconnaissance au sein du droit positif, marquée par une opposition initiale fondée sur le principe du caractère personnel des obligations, puis par une acceptation progressive sous l’effet des évolutions économiques et juridiques. Ce mécanisme, qui permet à un tiers d’acquérir un droit directement issu d’un contrat auquel il n’est pas partie, s’est heurté aux résistances d’un droit longtemps attaché au caractère strictement personnel des obligations. Il aura fallu l’effort conjoint de la doctrine et de la jurisprudence pour que la stipulation pour autrui s’impose comme un instrument juridique pleinement légitime, jusqu’à sa consécration législative par la réforme entreprise par l’ordonnance du 10 février de 2016.

  • La prohibition de la stipulation pour autrui en droit romain

Le droit romain considérait, en principe, la stipulation pour autrui comme une anomalie, en vertu de l’adage nemo alteri stipulari potest : nul ne peut stipuler pour autrui (Digeste, 45, 1, 38). L’obligation, perçue comme un lien strictement personnel entre créancier et débiteur, ne pouvait créer de droits au profit d’un tiers. Le droit romain reposait sur l’idée que seule une personne directement engagée dans un acte pouvait en tirer les effets juridiques.

Toutefois, sous l’influence des pratiques commerciales et successorales, certaines atténuations furent progressivement admises. Ainsi, Paul, jurisconsulte du II? siècle, relevait déjà que la stipulation pouvait être faite au profit d’un héritier encore à naître (D. 45, 1, 126), préfigurant ainsi l’idée d’un droit bénéficiant à une personne déterminable mais non encore existante.

Malgré ces assouplissements ponctuels, le droit romain ne consacra jamais pleinement la stipulation pour autrui en tant que mécanisme général, considérant que la transmission des droits devait passer par la novation, la cession de créance ou la représentation. Ce rigorisme allait toutefois être progressivement remis en question par les nécessités de la pratique juridique.

  • L’émergence progressive de la stipulation pour autrui en Ancien droit français

Sous l’Ancien Régime, la prohibition romaine de la stipulation pour autrui fut progressivement édulcorée, à mesure que la pratique reconnaissait la nécessité de conférer des droits à des tiers.

Le droit coutumier français, influencé par les nécessités économiques et sociales, ouvrit la voie à des formes rudimentaires de stipulation pour autrui, notamment dans le cadre de la transmission des obligations successorales et des contrats d’assurance maritime. Ces évolutions, bien que pragmatiques, demeuraient fragmentaires et ne s’accompagnaient pas d’une véritable théorie générale.

C’est dans cette perspective que Robert-Joseph Pothier (1699-1772) jeta les bases d’une reconnaissance doctrinale plus large. Dans son Traité des obligations, il admettait déjà que « rien ne s’oppose à ce qu’un contrat stipule une obligation envers un tiers, lorsque cela résulte de la commune intention des parties »[15]. Cette approche, qui reposait sur une lecture souple de l’intention contractuelle, annonçait la position qui serait progressivement adoptée par la jurisprudence du XIX? siècle.

  • Le Code civil de 1804 : une consécration timide et ambiguë

Le Code civil napoléonien n’accorda qu’une reconnaissance minimale à la stipulation pour autrui, en la cantonnant à des hypothèses précises et limitatives.

L’ancien article 1121 du Code civil disposait ainsi : « On peut stipuler au profit d’autrui lorsque telle est la condition d’une stipulation que l’on fait pour soi-même ou d’une donation que l’on fait à un autre. »

Cette formulation, volontairement restrictive, traduisait l’hésitation du législateur, qui souhaitait éviter qu’un tiers puisse acquérir un droit sans consentement explicite de sa part.

Portalis, l’un des principaux rédacteurs du Code civil, justifiait cette prudence en invoquant la nécessité de protéger la sécurité juridique et de prévenir les engagements trop incertains[16]. Cette position se traduisit par une interprétation rigoriste de l’institution, qui freina son développement au cours du XIX? siècle.

  • L’essor jurisprudentiel du XIX? siècle sous l’impulsion des assurances sur la vie

C’est la jurisprudence du XIX? siècle qui allait véritablement consacrer la stipulation pour autrui comme un mécanisme autonome du droit des obligations.

L’essor des assurances sur la vie imposait la reconnaissance d’un droit propre au bénéficiaire, sans que celui-ci ait à le revendiquer auprès du souscripteur. Ce besoin pratique allait progressivement contraindre la jurisprudence à admettre que la stipulation pour autrui créait un droit direct au profit du tiers bénéficiaire.

Dans un arrêt fondateur (Cass. Req., 16 janv. 1888), la Cour de cassation admet ainsi que le bénéficiaire d’une assurance-vie dispose d’un droit propre, qui ne transite pas par le patrimoine du souscripteur. Cette décision marque un tournant décisif dans la reconnaissance de la stipulation pour autrui.

Commentant cette évolution, Paul Esmein souligna que « l’assurance sur la vie a été le catalyseur d’une évolution nécessaire du droit des obligations, en consacrant la stipulation pour autrui comme un mode normal de transmission des engagements »[17].

  • La réforme de 2016 : une consécration législative attendue

L’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, a marqué une avancée significative en procédant à une refonte du cadre normatif de la stipulation pour autrui. Désormais consacrée aux articles 1205 à 1209 du Code civil, cette institution bénéficie d’un régime autonome, clarifiant les conditions de sa mise en œuvre et entérinant les solutions dégagées par la jurisprudence au fil du temps.

L’ambition du législateur, à travers cette réforme, était double : moderniser et sécuriser l’usage de la stipulation pour autrui, en la libérant de certaines incertitudes qui entouraient encore son régime antérieur, hérité de l’ancien article 1121 du Code civil. À cette fin, l’ordonnance lui confère une place explicite au sein du chapitre IV du titre III du Code civil, relatif aux effets du contrat à l’égard des tiers, marquant ainsi la reconnaissance de sa spécificité au regard du principe de l’effet relatif des conventions (art. 1199 c. civ.).

Désormais, la stipulation pour autrui repose sur des principes clairs et codifiés, précisant notamment que :

  • La stipulation pour autrui peut être librement stipulée, sans qu’il soit nécessaire de justifier d’une condition particulière pour sa validité. Cette consécration met fin aux incertitudes issues de l’ancien article 1121 du Code civil, qui ne permettait la stipulation pour autrui que lorsqu’elle constituait une condition d’un engagement pris pour soi-même ou d’une donation. Désormais, les contractants disposent d’une liberté totale pour conférer un droit direct à un tiers, dès lors qu’ils expriment une volonté en ce sens.
  • Le droit du bénéficiaire naît immédiatement du contrat conclu entre le stipulant et le promettant, sans qu’il soit nécessaire que le bénéficiaire manifeste son acceptation dès l’origine. Toutefois, tant que ce droit n’a pas été accepté, le stipulant conserve la faculté de le révoquer (art. 1206 c. civ.). Ce pouvoir de révocation, qui constitue une innovation majeure de la réforme, confère une souplesse accrue à l’institution, permettant au stipulant de revenir sur son engagement tant que le bénéficiaire ne s’en est pas prévalu.
  • La stipulation pour autrui est désormais expressément consacrée comme une exception au principe de l’effet relatif des contrats. Cette précision, bien qu’implicite en jurisprudence, n’avait jamais été affirmée avec autant de netteté par le législateur. Elle confirme que la stipulation pour autrui permet de conférer un droit propre au bénéficiaire, qui pourra en poursuivre l’exécution à l’encontre du promettant sans être partie au contrat initial.

Si la réforme de 2016 a le mérite d’avoir clarifié et stabilisé le régime de la stipulation pour autrui, elle n’a pas pour autant dissipé toutes les réserves doctrinales.

Certains auteurs regrettent notamment que le législateur ait inscrit la stipulation pour autrui dans la logique de l’effet relatif, alors même qu’il aurait été préférable de consacrer son autonomie conceptuelle. Ainsi, Marc Mignot observe avec justesse que « le législateur a inscrit la stipulation pour autrui dans la logique de l’effet relatif, alors qu’il aurait dû consacrer son autonomie conceptuelle »[18].

Cette critique repose sur une analyse approfondie du mécanisme en question : en effet, la stipulation pour autrui ne se contente pas d’aménager l’effet relatif du contrat, elle procède d’une création directe d’un droit au profit du tiers bénéficiaire, sans que ce droit ait transité par le patrimoine du stipulant. Dès lors, la rattacher aux effets du contrat à l’égard des tiers, plutôt que d’affirmer son autonomie en tant que technique d’attribution de créance par acte unilatéral, apparaît comme une approche réductrice, voire incomplète.

D’autres critiques portent sur l’absence de précision sur le sort du droit du bénéficiaire avant acceptation, notamment en cas de décès du stipulant ou du promettant. En l’état du droit positif, l’article 1208 du Code civil semble suggérer que le droit du bénéficiaire peut être transmis à ses héritiers s’il décède avant d’avoir accepté la stipulation. Cette solution, bien que conforme aux principes généraux du droit des obligations, aurait mérité d’être davantage explicitée, tant elle soulève des interrogations pratiques.

En dépit de ces critiques, la réforme de 2016 constitue une étape décisive dans l’évolution de la stipulation pour autrui, qui s’affirme désormais comme un instrument contractuel incontournable, parfaitement intégré dans l’architecture du droit des obligations.

Ce mécanisme, jadis perçu comme une anomalie, s’impose aujourd’hui comme une technique juridique polyvalente, dont les applications se retrouvent dans une grande variété de domaines, allant des contrats d’assurance aux conventions collectives, en passant par les contrats de cession de contrôle et les engagements bancaires.

==>Applications pratiques

La stipulation pour autrui, en ce qu’elle permet d’attribuer à un tiers un droit direct contre un promettant sans qu’il soit partie au contrat, trouve des applications multiples dans divers domaines du droit. Son utilité s’étend à des secteurs variés, où elle assure la transmission efficace de droits et la protection des intérêts économiques et sociaux des bénéficiaires.

  • Droit des assurances

La stipulation pour autrui trouve une application particulièrement marquante dans le droit des assurances. En permettant à un tiers de bénéficier d’un contrat auquel il n’est pas partie, elle confère une assise juridique aux nombreux mécanismes d’assurance, tels que l’assurance-vie, l’assurance pour compte ou encore l’assurance de groupe.

  • L’assurance sur la vie
    • L’assurance-vie constitue l’illustration la plus aboutie de la stipulation pour autrui dans le domaine assurantiel.
    • Ce mécanisme repose sur un contrat conclu entre un souscripteur (assimilé au stipulant) et un assureur (assimilé au promettant), par lequel ce dernier s’engage, en contrepartie du paiement de primes, à verser une prestation à un bénéficiaire désigné lors du décès de l’assuré.
    • L’essence même de l’assurance-vie repose donc sur la création d’un droit direct et autonome au profit du bénéficiaire, lequel, bien qu’étranger à l’accord initial entre le souscripteur et l’assureur, acquiert un droit propre sur la prestation due.
    • Cette autonomie juridique distingue fondamentalement l’assurance-vie d’autres mécanismes de transmission patrimoniale, tels que la cession de créance ou la donation, qui impliquent un transfert de droits existants, alors que la stipulation pour autrui, en l’espèce, génère une créance nouvelle dans le patrimoine du bénéficiaire.
    • Dès la fin du XIX? siècle, la jurisprudence a reconnu l’application de la stipulation pour autrui à l’assurance-vie.
    • Dans un arrêt du 16 janvier 1888, la Cour de cassation a consacré le principe selon lequel le bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie dispose d’un droit direct contre l’assureur, indépendamment de tout lien contractuel personnel avec ce dernier (Cass. civ., 16 janv. 1888).
    • Cette solution a été consacrée par le législateur à travers les articles L. 132-1 et suivants du Code des assurances, lesquels établissent expressément la validité du mécanisme de la stipulation pour autrui dans le cadre de l’assurance-vie et précisent que la prestation due par l’assureur est directement attribuée au bénéficiaire désigné.
    • Cette reconnaissance législative confère au bénéficiaire un droit propre et opposable, qui s’impose non seulement à l’assureur, mais également aux tiers, y compris aux créanciers du souscripteur et aux héritiers.
    • Contrairement aux autres mécanismes de transmission patrimoniale, tels que la donation ou la succession, la stipulation pour autrui en matière d’assurance-vie place le bénéficiaire dans une situation privilégiée : il acquiert un droit immédiat et autonome, insusceptible d’être remis en cause par les ayants droit du souscripteur, sauf en cas de primes manifestement exagérées au regard des facultés de ce dernier.
    • Ce caractère intangible de la désignation bénéficiaire marque une rupture avec le régime de droit commun des libéralités, auquel les capitaux d’assurance-vie échappent en principe.
    • Toutefois, si la stipulation pour autrui appliquée à l’assurance-vie ne souffre aujourd’hui d’aucune contestation, la question de la distinction entre l’assurance-vie et le contrat de capitalisation a longtemps suscité des débats.
    • En effet, ces deux instruments ont en commun de permettre la constitution et la transmission d’un capital à un tiers, mais leur nature juridique et leur finalité économique divergent fondamentalement.
    • L’élément déterminant de cette distinction réside dans la présence ou l’absence d’aléa.
      • L’assurance-vie repose sur un événement incertain, à savoir le décès du souscripteur ou d’une tierce personne. Ce caractère aléatoire justifie son assimilation à un contrat de prévoyance, distinct des mécanismes purement patrimoniaux.
      • À l’inverse, le contrat de capitalisation relève d’une logique strictement financière, dans laquelle l’échéance de la prestation due par l’assureur est prédéterminée et indépendante de la durée de vie du souscripteur. Le contrat de capitalisation ne contient ainsi aucun élément d’aléa, ce qui exclut son rattachement au régime juridique de l’assurance-vie et le soumet au droit commun des obligations et des successions.
    • Cette distinction a été définitivement consacrée par la Cour de cassation, siégeant en chambre mixte dans un arrêt du 23 novembre 2004 (Cass. ch. mixte, 23 nov. 2004, n° 01-13.592).
    • Dans cette décision, elle a affirmé que « le contrat d’assurance dont les effets dépendent de la durée de la vie humaine comporte un aléa », et qu’il constitue donc un véritable contrat d’assurance-vie au sens des articles 1964 du Code civil, L. 310-1 et R. 321-1 du Code des assurances.
    • Cette solution procède du raisonnement suivant :
      • Si l’assuré est encore en vie à l’échéance du contrat, le capital lui revient ;
      • Si l’assuré décède avant l’échéance, le capital est versé aux bénéficiaires désignés ;
      • Cette incertitude quant à l’identité du créancier au moment de la souscription caractérise l’aléa inhérent à l’assurance-vie.
    • En consacrant la nécessité d’un aléa, la Cour de cassation a clairement distingué l’assurance-vie des contrats de capitalisation, qui ne peuvent bénéficier du régime juridique protecteur de l’assurance-vie.
    • Ce raisonnement est d’autant plus essentiel que la reconnaissance de cet aléa empêche toute requalification de l’assurance-vie en contrat de capitalisation, ce qui aurait des implications majeures en matière fiscale et successorale.
    • L’une des conséquences majeures de l’application de la stipulation pour autrui à l’assurance-vie réside dans son incidence sur les règles successorales.
    • Contrairement aux libéralités classiques, la prestation versée au bénéficiaire échappe, en principe, aux règles du rapport à la succession et de la réduction des libéralités excessives, sous réserve de l’application de l’article L. 132-13 du Code des assurances.
    • Toutefois, si les primes versées au titre d’un contrat d’assurance-vie sont manifestement exagérées eu égard aux facultés du souscripteur, elles peuvent être réintégrées dans la masse successorale et donner lieu à réduction au profit des héritiers réservataires.
    • Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 23 novembre 2004, un héritier contestait ainsi le versement des capitaux aux bénéficiaires désignés, soutenant que les primes versées devaient être réintégrées dans l’actif successoral.
    • La Cour de cassation a rejeté cette argumentation en confirmant que seules les primes manifestement exagérées peuvent être réintégrées dans la succession, ce qui suppose une appréciation in concreto des facultés du souscripteur au moment du versement des primes. En l’espèce, la cour d’appel avait constaté que :
      • L’assurée disposait d’un patrimoine mobilier conséquent ;
      • Son revenu mensuel était de 30 000 francs ;
      • Le montant total des primes versées (310 000 francs) représentait seulement un quart de ce patrimoine.
    • En conséquence, la Cour de cassation a validé l’analyse de la cour d’appel, considérant que les primes n’étaient pas manifestement excessives.
    • Cette décision a suscité des réactions contrastées au sein de la doctrine. Jean-Luc Aubert a critiqué cette solution en estimant que la Cour de cassation avait adopté une conception extensive de l’aléa, dans une logique de sécurisation des contrats d’assurance-vie.
    • À l’inverse, Jacques Ghestin a approuvé cette qualification, soulignant qu’elle permet d’éviter une requalification en contrat de capitalisation, qui aurait eu des conséquences fiscales et successorales considérables.
    • D’un point de vue pratique, l’application de la stipulation pour autrui à l’assurance-vie emporte plusieurs conséquences majeures :
      • Une protection juridique accrue du bénéficiaire : ce dernier acquiert un droit direct opposable à l’assureur, indépendamment des héritiers du souscripteur.
      • Un régime fiscal et successoral favorable : en principe, les capitaux versés échappent aux droits de succession, sauf en cas de primes excessives.
      • Une sécurisation des opérations de prévoyance : l’assuré peut organiser la transmission de son capital en dehors du cadre rigide des successions.
    • L’assurance-vie illustre donc parfaitement le modèle de la stipulation pour autrui, en conférant au bénéficiaire un droit propre et immédiat, tout en garantissant une autonomie contractuelle qui le distingue des autres instruments de transmission patrimoniale.
  • L’assurance pour compte
    • L’assurance pour compte constitue l’une des applications les plus marquantes de la stipulation pour autrui dans le domaine des assurances.
    • Ce type de contrat repose sur la conclusion d’une convention entre un souscripteur et un assureur, au bénéfice d’un tiers, qui sera indemnisé en cas de sinistre affectant l’objet de l’assurance.
    • Ainsi, bien que ce tiers ne soit pas signataire du contrat, il bénéficie d’un droit propre sur l’indemnisation, ce qui traduit parfaitement le mécanisme de la stipulation pour autrui.
    • La jurisprudence a admis cette qualification dans plusieurs hypothèses, notamment en matière d’assurance de dommages et d’assurance de transport, soulignant toutefois que la stipulation pour autrui ne saurait être présumée et doit résulter d’une volonté claire et non équivoque des parties (Cass. 1ere civ., 10 juill. 1995, n° 92-13.534).
    • A cet égard, l’assurance pour compte trouve une application privilégiée en matière d’assurance de dommages.
    • Dans ce cadre, le souscripteur du contrat ne cherche pas tant à se prémunir contre un risque personnel qu’à garantir la protection d’un tiers déterminé ou indéterminé au moment de la conclusion du contrat.
    • Une illustration marquante de ce mécanisme réside dans l’assurance dommages-ouvrage, souscrite par le maître d’ouvrage afin de garantir les désordres affectant une construction. Cette assurance bénéficie notamment aux constructeurs, dont elle couvre la responsabilité décennale sans que ceux-ci aient besoin d’être directement parties au contrat. La jurisprudence a confirmé cette analyse en reconnaissant que l’assurance dommages-ouvrage constitue une assurance pour compte bénéficiant aux propriétaires successifs de l’ouvrage (Cass. 3? civ., 30 mars 1994, n° 92-11.996).
    • L’assurance pour compte est également utilisée dans le cadre des assurances souscrites par un propriétaire pour le compte d’un locataire ou par un syndic au profit des copropriétaires.
    • Dans ces situations, l’assurance souscrite par le tiers principal garantit les occupants ou copropriétaires contre des risques spécifiques, sans qu’ils aient besoin de conclure un contrat en leur nom propre.
    • Toutefois, la stipulation pour autrui dans le cadre de l’assurance pour compte ne saurait être automatique.
    • Elle repose nécessairement sur une volonté expresse ou implicite mais non équivoque des parties, ce qui explique que la jurisprudence ait parfois refusé de reconnaître une assurance pour compte en l’absence d’une manifestation de volonté claire (Cass. 2? civ., 23 mars 2017, n°16-14.621).
    • L’assurance pour compte joue également un rôle essentiel dans le cadre du transport de marchandises.
    • En effet, les biens transportés peuvent faire l’objet de cessions successives au cours de l’exécution du contrat de transport.
    • Dès lors, il est impératif que la couverture assurantielle s’étende au propriétaire effectif des marchandises au moment du sinistre, même si ce dernier n’est pas encore identifié lors de la conclusion du contrat d’assurance.
    • La Cour de cassation a confirmé cette analyse en reconnaissant que l’assurance pour compte permet au propriétaire des marchandises, même non déterminé au moment de la souscription du contrat, d’exercer un droit propre contre l’assureur en cas de sinistre (Cass. 1ere civ., 10 juill. 1995, n°92-13.534).
    • Ce mécanisme protège ainsi l’intérêt économique du propriétaire final sans nécessiter une modification du contrat d’assurance à chaque transfert de propriété.
    • Cette application de l’assurance pour compte est particulièrement fréquente dans les domaines du commerce international et du transport maritime, où les marchandises changent souvent de propriétaire avant d’arriver à destination.
    • Il est dès lors primordial que la garantie souscrite initialement puisse bénéficier à l’acquéreur final des biens, ce qui justifie pleinement le recours à la stipulation pour autrui.
    • Si la stipulation pour autrui est largement admise en matière d’assurance pour compte, elle n’est toutefois pas présumée.
    • Pour être reconnue, elle doit remplir plusieurs conditions essentielles :
      • Une volonté claire et non équivoque des parties : la stipulation pour autrui ne saurait être implicite. Il appartient au souscripteur et à l’assureur de prévoir expressément que l’assurance bénéficiera à un tiers. En l’absence d’une telle manifestation de volonté, la stipulation ne saurait être imposée (Cass. 2? civ., 18 janv. 2018, n°16-27.250).
      • Un tiers bénéficiaire identifiable : même si l’identité du bénéficiaire n’a pas besoin d’être déterminée dès la conclusion du contrat, il doit être possible de l’identifier au moment de la survenance du sinistre. C’est le cas, par exemple, du propriétaire effectif des marchandises dans une assurance pour compte en transport maritime.
      • Un engagement effectif du promettant (l’assureur) envers le bénéficiaire : l’un des principes fondamentaux de la stipulation pour autrui est que le bénéficiaire dispose d’un droit direct contre l’assureur. Ainsi, il peut agir directement en exécution du contrat sans avoir à obtenir l’autorisation du souscripteur
    • L’assurance pour compte permet de pallier les limites du principe de l’effet relatif des contrats en assurant la protection de tiers n’ayant pas directement contracté avec l’assureur.
    • Cette extension du bénéfice de l’assurance repose sur une logique économique et pratique :
      • D’abord, dans le domaine du transport ou de la construction, il est essentiel que les acteurs économiques puissent bénéficier d’une garantie sans avoir à souscrire individuellement une assurance.
      • D’autre part, l’assurance pour compte évite la nécessité de conclure une multitude de contrats distincts, tout en garantissant une couverture homogène aux personnes concernées.
      • Enfin, en permettant d’assurer un bien au profit de son propriétaire effectif au moment du sinistre, l’assurance pour compte s’adapte à la réalité des échanges économiques et du commerce international.
  • L’assurance de groupe
    • L’assurance de groupe constitue une application particulièrement aboutie du mécanisme de la stipulation pour autrui, en ce qu’elle repose sur une adhésion collective à une couverture assurantielle, organisée au profit d’un ensemble de bénéficiaires sans que ceux-ci aient nécessairement à conclure individuellement un contrat d’assurance.
    • Ce régime est expressément encadré par l’article L. 141-1 du Code des assurances, qui définit l’assurance de groupe comme celle souscrite par une personne morale (employeur, association, organisme professionnel, etc.) au bénéfice des membres d’un groupe déterminé, tels que les salariés d’une entreprise ou les adhérents d’une association.
    • Dans ce cadre, le souscripteur (employeur, association, institution professionnelle) contracte avec l’assureur en vue de garantir les risques pesant sur une pluralité de personnes.
    • Ces dernières, qualifiées de bénéficiaires, se voient ainsi reconnaître des droits à couverture assurantielle sans être parties directement au contrat initial, ce qui constitue l’essence même du mécanisme de la stipulation pour autrui.
    • La jurisprudence a rapidement admis que l’assurance de groupe reposait sur une stipulation pour autrui, le souscripteur ayant vocation à stipuler des garanties au profit des adhérents du groupe.
    • Dès lors, ces derniers disposent d’un droit propre à l’égard de l’assureur, indépendamment de tout engagement contractuel personnel avec ce dernier.
    • Toutefois, la Cour de cassation a précisé que l’adhésion au contrat d’assurance de groupe emportait la création d’un lien contractuel direct entre l’adhérent et l’assureur (Cass. 1ere civ., 7 juin 1989, n° 87-14.648).
    • Cette solution s’explique par le fait que l’adhérent, bien que tiers lors de la formation initiale du contrat entre le souscripteur et l’assureur, devient par la suite partie au contrat d’assurance, dès lors qu’il adhère aux garanties qui lui sont ouvertes.
    • Cette particularité conduit à s’interroger sur la nature exacte du lien juridique unissant les différentes parties au contrat d’assurance de groupe.
    • Il convient d’opérer une distinction fondamentale entre les assurances de groupe facultatives et les assurances de groupe obligatoires, distinction qui a une incidence directe sur l’application de la stipulation pour autrui.
      • Dans les assurances de groupe facultatives, chaque membre du groupe concerné est libre de souscrire ou non à l’assurance collective. L’adhésion individuelle donne lieu à la conclusion d’un contrat d’assurance spécifique entre l’adhérent et l’assureur. Dans cette hypothèse, la qualification de stipulation pour autrui est exclue, puisque le bénéficiaire ne tire pas son droit d’un engagement pris par le souscripteur en sa faveur, mais bien d’un contrat personnel conclu avec l’assureur (Cass. 1ere civ., 9 mars 1983).
      • Dans les assurances de groupe obligatoires, en revanche, l’adhésion résulte automatiquement de l’appartenance au groupe (par exemple, les salariés d’une entreprise ou les adhérents d’une mutuelle professionnelle). Ici, l’adhérent ne signe pas individuellement un contrat avec l’assureur : c’est le souscripteur qui contracte avec l’assureur pour couvrir les tiers bénéficiaires. Dans cette configuration, la stipulation pour autrui trouve pleinement à s’appliquer : les bénéficiaires sont désignés dès la conclusion du contrat, et ils disposent d’un droit direct à l’indemnisation sans qu’ils aient à être parties prenantes au contrat initial. Cette analyse a été confirmée par la jurisprudence (Cass. com., 13 avr. 2010, n° 09-13.712).
    • L’application de la stipulation pour autrui dans l’assurance de groupe entraîne plusieurs conséquences juridiques notables :
      • En premier lieu, dans une assurance de groupe obligatoire, le bénéficiaire ne tient pas son droit du souscripteur, mais directement de l’engagement de l’assureur. En d’autres termes, même si le souscripteur venait à se désengager ou à disparaître, l’adhérent conserverait ses droits, puisque ceux-ci sont autonomes et opposables à l’assureur.
      • En deuxième lieu, contrairement aux héritiers ou créanciers du souscripteur, qui pourraient prétendre à la remise en cause de certaines libéralités ou engagements, le droit du bénéficiaire d’une assurance de groupe est protégé. Ce dernier peut exiger l’exécution du contrat directement auprès de l’assureur, sans que la volonté du souscripteur puisse y faire obstacle.
      • En dernier lieu, l’un des intérêts majeurs de l’assurance de groupe est qu’elle garantit aux bénéficiaires une protection pérenne, indépendamment des éventuelles difficultés financières du souscripteur. Ainsi, dans le cadre des régimes de prévoyance collectifs, un employé couvert par une assurance de groupe bénéficie d’une protection assurantielle qui ne dépend pas de la solvabilité de son employeur.
    • Si l’assurance de groupe constitue un exemple institutionnalisé de la stipulation pour autrui, la doctrine s’est interrogée sur les limites de cette assimilation.
    • Certains auteurs ont souligné que, dans l’assurance de groupe facultative, l’adhérent devient partie au contrat, ce qui érode l’idée d’un droit conféré par une stipulation pour autrui.
    • En revanche, dans l’assurance de groupe obligatoire, la qualification de stipulation pour autrui ne souffre guère de contestation, car l’adhésion des bénéficiaires découle d’un engagement pris par un tiers (le souscripteur) à leur profit.
    • Ainsi, la jurisprudence continue de maintenir une distinction rigoureuse entre ces deux régimes, tout en assurant une protection accrue aux adhérents, conformément à l’objectif poursuivi par l’assurance collective.
  • Droit bancaire

Le droit bancaire offre de nombreux exemples d’application de la stipulation pour autrui. Ce mécanisme permet à une personne (le stipulant) de conclure un contrat avec un autre (le promettant) afin qu’un tiers (le bénéficiaire) puisse en tirer un droit direct. En d’autres termes, un contrat passé entre une banque et un client peut conférer des droits à une personne extérieure à ce contrat, sans qu’elle ait eu besoin de participer à sa conclusion.

Ce schéma se retrouve notamment dans les contrats de prêt, où l’emprunteur peut s’engager à rembourser une somme à un tiers plutôt qu’au prêteur initial, ou encore dans les contrats de crédit-bail, où le fournisseur du bien financé peut bénéficier directement d’un engagement du crédit-bailleur. Il apparaît aussi dans certains services bancaires, comme l’assurance invalidité souscrite par un emprunteur au bénéfice de sa banque, ou encore dans des situations où une entreprise de transport de fonds s’engage envers une banque à sécuriser l’acheminement des dépôts des clients.

  • Contrat de prêt
    • Le contrat de prêt constitue un cadre privilégié pour l’application de la stipulation pour autrui.
    • Dans ce contexte, l’emprunteur ne s’engage pas nécessairement à rembourser directement la banque ou l’organisme prêteur, mais peut être tenu de verser les sommes dues à un tiers désigné dans le contrat.
    • Ce mécanisme permet ainsi de conférer un droit direct au bénéficiaire, sans que celui-ci soit partie au contrat initial.
    • L’un des cas les plus typiques de stipulation pour autrui dans le cadre d’un prêt se rencontre lorsque l’emprunteur est tenu de rembourser non pas le prêteur lui-même, mais une personne expressément désignée comme bénéficiaire.
    • Cette situation a été reconnue par la Cour de cassation dans une affaire où un emprunteur s’était engagé à rembourser la somme prêtée non pas au prêteur, mais à l’épouse de ce dernier (Cass. 1re civ., 15 nov. 1978, n° 77-10.891).
    • Dans ce cas, l’épouse, bien qu’étrangère au contrat de prêt initial, a acquis un droit direct à réclamer le remboursement des sommes dues.
    • De même, une stipulation pour autrui peut être mise en œuvre lorsque l’acte de prêt prévoit que le remboursement s’effectuera directement entre l’emprunteur et un tiers désigné, par exemple un fournisseur ou un créancier du prêteur.
    • Le créancier initial ne joue alors qu’un rôle intermédiaire dans la mise en place de l’opération.
    • La stipulation pour autrui trouve également à s’appliquer dans le cadre des prêts assortis d’une hypothèque.
    • Il est possible, par exemple, que l’acte de prêt prévoie une obligation spécifique de l’emprunteur de libérer les lieux en cas de saisie et de vente de l’immeuble hypothéqué.
    • Cette obligation ne bénéficie pas directement au prêteur, mais à l’adjudicataire, qui devient ainsi bénéficiaire d’une stipulation pour autrui.
    • Ainsi, dans une affaire portée devant la cour d’appel de Paris, un contrat de prêt hypothécaire stipulait que l’emprunteur devait laisser les lieux libres de toute occupation afin de permettre la vente sur saisie (CA Paris, 16? ch., 27 juin 1979).
    • Cette obligation profitait directement à l’acquéreur lors de la vente judiciaire, lequel pouvait dès lors se prévaloir de cette clause pour obtenir l’évacuation du bien. Dans cette hypothèse, l’adjudicataire bénéficie d’un droit propre découlant du contrat initial de prêt, même s’il n’était pas partie à celui-ci.
    • L’inclusion d’une stipulation pour autrui dans un contrat de prêt poursuit plusieurs objectifs :
      • Faciliter l’exécution des obligations : en prévoyant que le remboursement soit effectué directement entre l’emprunteur et un tiers bénéficiaire, on simplifie le circuit financier et on évite des transferts intermédiaires inutiles.
      • Sécuriser certaines opérations financières : par exemple, un créancier peut exiger qu’un prêt contracté par son débiteur soit directement remboursé à lui-même ou à une autre entité désignée, garantissant ainsi le bon déroulement de la transaction.
      • Préserver les intérêts des parties tierces : notamment dans les prêts hypothécaires, où les acheteurs ou adjudicataires peuvent se voir reconnaître des droits dès la conclusion du prêt initial.
  • Crédit-bail
    • Le contrat de crédit-bail donne fréquemment lieu à des stipulations pour autrui, tant en faveur du crédit-preneur que du fournisseur du matériel financé.
      • Stipulation en faveur du fournisseur: dans certains cas, le crédit-preneur ne verse pas directement les loyers au crédit-bailleur, mais au fournisseur du matériel, qui n’est pourtant pas partie au contrat initial.
      • Stipulation en faveur du crédit-preneur: il est également fréquent que le crédit-bailleur stipule, au profit du crédit-preneur, une garantie contractuelle du fournisseur, afin que ce dernier puisse directement agir contre lui en cas de défectuosité du bien loué (Cass. com., 15 mai 1979, n° 78-10.437). Dans cette hypothèse, le crédit-preneur acquiert ainsi un droit d’action propre contre le fournisseur, sans nécessiter une cession de créance.
      • Stipulation en faveur du crédit-bailleur: une autre configuration apparaît lorsque le fournisseur s’engage envers le crédit-bailleur à lui verser la valeur résiduelle du matériel en cas de non-levée de l’option d’achat par le crédit-preneur. Ici, la banque (crédit-bailleur) bénéficie directement d’un engagement pris dans un contrat auquel elle n’est pas partie.
  • Cautionnement
    • Le cautionnement bancaire constitue une autre illustration du recours à la stipulation pour autrui.
    • Ce mécanisme est particulièrement fréquent dans les relations économiques impliquant des garanties personnelles, notamment dans le cadre des groupements d’intérêt économique (GIE).
    • Dans certaines situations, le cautionnement ne bénéficie pas uniquement au créancier, mais également à des tiers qui ne sont pas directement parties au contrat de garantie.
    • C’est le cas lorsqu’un dirigeant de société se porte caution non seulement pour l’engagement de sa société, mais aussi pour les membres d’un GIE auquel elle appartient.
    • Dans cette hypothèse, les adhérents du GIE se trouvent bénéficiaires d’une stipulation pour autrui, en ce qu’ils acquièrent un droit propre contre la caution.
    • La Cour de cassation, dans un arrêt du 23 novembre 1999, a confirmé cette analyse en consacrant l’irrévocabilité de l’engagement de la caution au profit des bénéficiaires de la stipulation pour autrui (Cass. com., 23 nov. 1999, n° 96-16.257).
    • Dans cette affaire, un dirigeant d’entreprise s’était porté caution pour garantir les engagements d’un GIE.
    • Par la suite, il a tenté de révoquer unilatéralement son engagement, en invoquant l’absence d’acceptation formelle des bénéficiaires.
    • Or, la Cour a rejeté cet argument, affirmant que :
      • La stipulation pour autrui confère aux bénéficiaires un droit propre et opposable à la caution ;
      • L’acceptation expresse des bénéficiaires n’est pas une condition de l’opposabilité de leur droit ;
      • L’engagement de la caution devient irrévocable dès la conclusion du contrat de cautionnement.
    • Dès lors, la caution ne peut se soustraire unilatéralement à son obligation, une fois celle-ci souscrite dans l’intérêt d’un tiers identifiable.
    • La qualification de stipulation pour autrui en matière de cautionnement bancaire présente des avantages significatifs, tant pour les créanciers que pour les bénéficiaires du cautionnement.
    • Tout d’abord, en reconnaissant aux membres du GIE un droit direct contre la caution, la stipulation pour autrui leur évite d’avoir à obtenir un nouvel engagement contractuel de la part de la caution.
    • Cette qualification renforce ainsi l’efficacité et la rapidité de mise en œuvre de la garantie, en offrant aux bénéficiaires une action immédiate contre la caution.
    • Ensuite, l’irrévocabilité de l’engagement de la caution assure une stabilité contractuelle, empêchant la caution de se rétracter au gré de ses intérêts.
    • Ainsi, les bénéficiaires sont protégés contre les risques de retrait unilatéral de la caution, ce qui est particulièrement crucial dans des structures économiques collaboratives comme les GIE ou les associations professionnelles.
    • Enfin, la finalité du cautionnement bancaire est précisément de garantir l’exécution d’une obligation en faveur du créancier ou de tiers spécifiquement désignés.
    • L’application de la stipulation pour autrui permet donc de sécuriser des engagements collectifs, notamment dans les relations interentreprises où plusieurs parties dépendent d’une même garantie.
  • Services bancaires
    • Le droit bancaire recourt fréquemment à la stipulation pour autrui, notamment dans le cadre des prestations de services impliquant des tiers.
    • Dans ces hypothèses, bien que le bénéficiaire ne soit pas directement partie au contrat, il en tire un droit propre et opposable au promettant.
    • Ce mécanisme permet ainsi d’offrir des garanties aux clients des établissements bancaires sans qu’ils aient à négocier individuellement ces engagements.
    • L’un des cas les plus emblématiques de l’application de la stipulation pour autrui en droit bancaire concerne les contrats de transport de fonds.
    • Lorsqu’une banque conclut un contrat avec une entreprise de transport spécialisé pour assurer l’acheminement sécurisé des fonds déposés par ses clients, ces derniers peuvent être considérés comme bénéficiaires d’une stipulation pour autrui.
    • La Cour de cassation a reconnu cette qualification dans un arrêt du 21 novembre 1978 (Cass. 1re civ., 21 nov. 1978, n°77-14.653), aux termes duquel elle a jugé que les clients de la banque bénéficiaient d’un droit propre à l’exécution de l’engagement pris par la société de transport.
    • Autrement dit, bien qu’ils ne soient pas signataires du contrat conclu entre la banque (stipulant) et la société de transport de fonds (promettant), ils pouvaient se prévaloir directement de l’obligation de transport sécurisé.
    • Cette solution repose sur une finalité économique : le contrat ayant été conclu dans l’intérêt direct des déposants, il était logique que ceux-ci puissent en exiger l’exécution en cas de manquement. L’obligation principale de la société de transport ne vise donc pas uniquement la banque contractante, mais aussi ses clients, qui se trouvent protégés contre les risques liés au transport des fonds.
    • Un autre exemple typique de stipulation pour autrui en droit bancaire concerne les contrats d’assurance invalidité souscrits en garantie d’un prêt bancaire.
    • Dans cette configuration, l’emprunteur souscrit une assurance invalidité, mais désigne la banque comme bénéficiaire en cas de survenance du risque couvert (invalidité empêchant le remboursement du prêt).
    • Dès lors, si l’assuré devient invalide, c’est l’assureur qui verse directement à la banque les sommes dues, lui permettant ainsi de récupérer son dû sans avoir à engager d’action contre l’emprunteur.
    • Ce schéma a été expressément reconnu comme une stipulation pour autrui par la Cour de cassation dans un arrêt du 12 juin 2001 (Cass. com., 12 juin 2001, n° 98-19.873).
    • La Haute juridiction a considéré que la banque bénéficiait d’un droit direct à l’exécution du contrat d’assurance, bien qu’elle n’en soit pas partie, dès lors que l’assurance avait été souscrite dans son intérêt.
    • Cette qualification a des implications majeures :
      • La banque dispose d’un droit autonome contre l’assureur, sans avoir besoin de solliciter l’emprunteur pour le paiement.
      • L’assurance ne bénéficie pas directement à l’emprunteur, mais bien à son créancier, ce qui en fait une sûreté efficace pour les établissements prêteurs.
      • L’emprunteur n’a pas de lien contractuel avec l’assureur en ce qui concerne le versement de la prestation, ce qui évite toute intervention de sa part dans le processus d’indemnisation.
  • Droit des sociétés

La stipulation pour autrui trouve certaines applications en droit des sociétés, notamment dans le cadre des cessions de contrôle et des garanties de passif. Ce mécanisme, qui permet à une société cédée de se prévaloir directement d’un engagement contractuel conclu entre le cédant et le cessionnaire, répond à une nécessité économique et juridique impérieuse : assurer la pérennité financière de la société après son changement d’actionnaire majoritaire, en la protégeant contre des dettes antérieures à la cession.

Lorsqu’un cédant transfère le contrôle d’une société, il peut s’engager, par le biais d’une garantie de passif, à couvrir certaines dettes ou charges dont l’origine est antérieure à la cession. L’objectif est de préserver la valeur patrimoniale de l’entité cédée, en évitant que le cessionnaire ne découvre ultérieurement des engagements dissimulés ou sous-évalués lors de la négociation du prix de cession.

Dans certains cas, cet engagement est stipulé non pas uniquement au bénéfice du cessionnaire, mais également au profit de la société elle-même, qui est directement impactée par ces dettes. La stipulation pour autrui trouve alors sa pleine justification : le cédant fait promettre à l’acheteur ou s’engage lui-même à exécuter une obligation financière directement au profit de la société cédée, lui conférant ainsi un droit propre.

La jurisprudence a admis qu’une telle stipulation pour autrui pouvait conférer à la société cédée un droit direct à l’exécution de la garantie, indépendamment de l’action du cessionnaire. Ainsi, la Cour de cassation a jugé que, lorsque l’acte de cession stipule une garantie du passif au profit de la société, celle-ci peut directement agir en exécution de la garantie et contraindre le cédant à prendre en charge les dettes concernées (Cass. com. 7 oct. 1997, n° 95-18.119).

Cette reconnaissance d’un droit autonome au profit de la société repose sur plusieurs considérations :

  • L’intérêt économique de la société : l’endettement d’une entreprise grève sa trésorerie, fragilise sa situation financière et peut compromettre son activité. En lui permettant de réclamer directement l’exécution de la garantie, la stipulation pour autrui renforce la sécurité juridique des opérations de cession.
  • L’indépendance des intérêts en présence : le cessionnaire et la société cédée, bien que liés par l’opération de transmission, poursuivent des intérêts distincts. La reconnaissance d’un droit propre à la société lui permet d’agir sans dépendre de l’initiative du cessionnaire, qui pourrait, pour des raisons stratégiques ou transactionnelles, renoncer à invoquer la garantie.
  • La cohérence avec le régime des obligations : en l’absence de stipulation pour autrui, le cessionnaire resterait le seul créancier du cédant. Or, il n’a pas toujours vocation à réinjecter dans la société les fonds obtenus au titre de la garantie de passif. La stipulation pour autrui permet d’assurer que la compensation financière profite directement à l’entité affectée par les dettes.

En pratique, il arrive que l’acte de cession ne mentionne pas expressément que la garantie est stipulée au profit de la société cédée. Dans ce cas, les tribunaux s’attachent à rechercher l’intention des parties, afin de déterminer si elles ont entendu conférer à la société un droit propre à l’exécution de la garantie. La Cour de cassation a ainsi admis qu’une stipulation pour autrui implicite pouvait être reconnue lorsque les circonstances révèlent une volonté claire d’avantager la société cédée (Cass. com. 19 déc. 1989, n°88-15.335).

Cette solution repose sur une lecture pragmatique du contrat, visant à éviter qu’une interprétation trop stricte du principe de l’effet relatif des conventions ne prive la société du bénéfice d’une protection pourtant manifestement prévue par les parties.

  • Droit des contrats

La stipulation pour autrui intervient dans divers contrats où elle assure la transmission efficace des obligations et l’articulation des intérêts entre plusieurs parties. Son utilisation se révèle particulièrement significative dans les contrats de construction, les marchés publics et les relations de travail, où elle concourt à sécuriser les engagements contractuels et à renforcer la protection des bénéficiaires.

  • Contrats de construction et marchés publics
    • Dans le cadre des marchés de travaux, la stipulation pour autrui intervient fréquemment afin d’assurer le paiement des sous-traitants, lesquels sont juridiquement distincts du maître d’ouvrage.
    • Cette utilisation du mécanisme est dictée par un double impératif : garantir la solvabilité des opérations de construction et protéger les sous-traitants contre les défaillances de l’entrepreneur principal.
    • Le schéma contractuel repose sur un engagement du maître d’ouvrage à faire promettre à l’entrepreneur principal (le promettant) de payer directement les sous-traitants (les bénéficiaires).
    • L’effet juridique en découle directement est clair: le sous-traitant acquiert un droit propre contre l’entrepreneur principal, qui lui permet d’agir directement contre lui en cas de non-paiement, sans devoir passer par le maître d’ouvrage.
    • En pratique, la reconnaissance d’une stipulation pour autrui évite que les sous-traitants ne soient privés de recours en cas de défaillance financière de l’entrepreneur principal.
    • A cet égard, la Cour de cassation a consacré dans un arrêt du 29 novembre 1994 l’analyse selon laquelle une clause de paiement direct stipulée dans un contrat de travaux pouvait être qualifiée de stipulation pour autrui, conférant ainsi au fournisseur un droit propre à l’encontre du maître d’ouvrage (Cass. 1re civ, 29 nov. 1994, n° 92-15.783).
    • Dans cette affaire, un maître d’ouvrage avait conclu un marché à forfait avec un entrepreneur général pour la construction d’un bâtiment.
    • Le contrat stipulait que le maître d’ouvrage pouvait payer directement un fournisseur désigné pour certaines fournitures nécessaires à l’exécution des travaux.
    • Le fournisseur, ayant livré les matériaux, avait adressé ses factures au maître d’ouvrage. Toutefois, lorsque l’entrepreneur principal a abandonné le chantier, le fournisseur s’est trouvé privé de paiement et a assigné le maître d’ouvrage en règlement de sa créance.
    • La Cour d’appel avait rejeté cette demande, considérant que le fournisseur n’avait pas établi l’existence d’un contrat de vente entre lui et le maître d’ouvrage.
    • La Cour de cassation, au contraire, a jugé que la clause contractuelle prévoyant la possibilité d’un paiement direct au fournisseur devait être interprétée comme une stipulation pour autrui, en raison des éléments suivants :
      • L’existence d’une stipulation claire et expresse : la Cour de cassation a retenu que la clause du marché de travaux autorisant le maître d’ouvrage à régler directement le fournisseur exprimait la volonté des parties de conférer à ce dernier un droit propre contre le maître d’ouvrage.
      • La création d’un droit direct au profit du bénéficiaire : en vertu de cette stipulation pour autrui, le fournisseur n’était pas tributaire du seul entrepreneur principal pour obtenir son paiement ; il pouvait agir directement contre le maître d’ouvrage.
      • Une justification économique et une protection du sous-traitant : cette solution vise à éviter que les fournisseurs et sous-traitants ne soient privés de tout recours en cas de défaillance financière de l’entrepreneur principal. La clause de paiement direct leur assure une source de paiement alternative, limitant ainsi le risque d’impayés.
    • Toutefois, la Cour de cassation a également précisé que le maître d’ouvrage pouvait opposer au fournisseur les mêmes exceptions qu’il aurait pu soulever à l’encontre de l’entrepreneur principal.
    • Cette précision permet d’éviter que le fournisseur ne bénéficie d’un droit absolu au paiement, qui ferait abstraction des éventuelles causes d’inexécution du marché de travaux.
    • En définitive, cette décision illustre le rôle de la stipulation pour autrui comme mécanisme de sécurisation des paiements dans les marchés de travaux.
    • Dès lors qu’un contrat prévoit expressément qu’un tiers (le fournisseur) pourra être directement payé par une partie (le maître d’ouvrage), la jurisprudence reconnaît que ce tiers bénéficie d’un droit propre à l’exécution de la prestation promise.
    • Toutefois, en l’absence de clause expresse, les juges doivent rechercher si une telle stipulation peut être déduite de l’intention des parties, ce qui témoigne de la souplesse et de l’importance pratique de ce mécanisme contractuel.
  • Contrat de bail
    • Le bail constitue un terrain propice à l’intégration de stipulations pour autrui, dès lors que certaines clauses insérées dans le contrat confèrent des droits à des tiers non parties au bail.
    • Ce mécanisme, bien que relevant d’une construction juridique classique, a donné lieu à de nombreuses applications en jurisprudence, notamment en matière de charges imposées au preneur, de protection de tiers, et de clause de non-concurrence.
    • Il est fréquent qu’un bailleur insère dans le contrat de bail des obligations qui profitent directement à un tiers.
    • Dans ce cas, le preneur, bien qu’il ne soit pas directement lié à ce tiers par un rapport contractuel, se voit imposer une obligation dont l’exécution bénéficie à ce dernier.
    • Ainsi, la jurisprudence a reconnu l’existence d’une stipulation pour autrui dans les hypothèses suivantes :
      • Lorsqu’un propriétaire d’une exploitation viticole adhère à une coopérative et insère dans le bail de son locataire une clause prévoyant que ce dernier devra payer la cotisation due à cette coopérative. Ici, la société coopérative se trouve bénéficiaire d’une stipulation pour autrui (CA Montpellier, 1re ch. B, 10 févr. 1993).
      • Lorsqu’un bail prévoit que le preneur devra payer directement aux architectes ou entrepreneurs une partie des travaux réalisés dans l’immeuble loué, ces derniers pouvant alors exiger directement leur paiement sur le fondement de la stipulation pour autrui (Cass. civ., 30 nov. 1948).
    • Dans ces hypothèses, le tiers bénéficiaire se voit reconnaître un droit propre à exiger l’exécution de l’obligation stipulée en sa faveur, indépendamment de la volonté du preneur. Ce dernier, en qualité de débiteur de l’obligation, ne peut en contester l’opposabilité dès lors que cette stipulation a été expressément prévue dans le contrat de bail.
    • Une autre application marquante de la stipulation pour autrui dans le domaine des baux commerciaux réside dans la clause de non-concurrence.
    • Cette clause, souvent insérée par un bailleur lorsqu’il loue plusieurs locaux à des exploitants distincts, vise à protéger les intérêts économiques d’un locataire contre l’installation d’un concurrent direct dans un autre local du même bailleur.
    • La jurisprudence a depuis longtemps admis qu’une clause de non-concurrence stipulée dans un bail commercial peut constituer une stipulation pour autrui en faveur du preneur voisin (Cass. 3e civ., 4 févr. 1986).
    • Ainsi, lorsque le bailleur consent successivement plusieurs baux commerciaux dans un même ensemble immobilier, il peut insérer dans ces baux des clauses interdisant l’exercice d’activités concurrentes dans un autre local.
    • Cette clause profite directement au locataire initial, qui peut ainsi se prévaloir d’un droit propre à l’encontre du second locataire, en exigeant le respect de la restriction d’activité prévue dans son bail.
    • L’intérêt de qualifier la clause de non-concurrence de stipulation pour autrui est double :
      • Le locataire bénéficiaire de la clause dispose d’un droit propre, qu’il peut invoquer en justice pour empêcher l’exercice de l’activité concurrente, même s’il n’est pas partie au bail conclu avec le second locataire.
      • Le second locataire est tenu à l’égard du premier, non pas en raison d’un rapport contractuel direct, mais en vertu de l’engagement souscrit par le bailleur. Dès lors, le non-respect de la clause peut donner lieu à des sanctions, telles que la résiliation du bail ou l’octroi de dommages et intérêts au profit du locataire lésé.
    • Cette analyse a également été retenue en matière d’adhésion obligatoire à une association de commerçants d’un centre commercial.
    • La Cour de cassation a ainsi reconnu que la clause obligeant un preneur à verser des cotisations à une association de commerçants constitue une stipulation pour autrui en faveur de ladite association, celle-ci pouvant directement exiger le paiement des cotisations dues par le preneur (Cass. 1ere civ., 31 mars 1992, n° 90-18.880).
  • Conventions collectives et contrats de travail
    • En droit social, la stipulation pour autrui joue un rôle significatif dans la protection des travailleurs, en leur conférant, dans certaines hypothèses, des droits directs issus de conventions collectives ou de contrats de travail conclus entre des tiers.
      • La stipulation pour autrui dans les conventions collectives
        • Les conventions collectives, conclues entre des organisations patronales et des syndicats de salariés, comportent souvent des dispositions stipulées au profit des salariés, leur conférant des droits qu’ils peuvent invoquer directement contre leur employeur ou des organismes tiers.
        • La Cour de cassation a reconnu, par exemple, que certaines clauses de conventions collectives pouvaient comporter des stipulations pour autrui en faveur des salariés, leur permettant d’agir directement contre leur employeur ou contre des institutions sociales en cas de non-respect des engagements conventionnels (Cass. Soc. 4 févr. 1981, n°78-41.008).
        • Cette qualification leur permet d’obtenir directement l’exécution des obligations issues de la convention, sans que cela ne requiert l’intervention du syndicat négociateur.
    • La stipulation pour autrui dans les contrats de travail
      • Le contrat de travail peut lui-même comporter des stipulations pour autrui au profit des salariés, notamment lorsqu’il prévoit des engagements à leur bénéfice pris par des tiers.
      • Un exemple marquant est celui des clauses de garantie d’emploi stipulées dans les contrats de travail en cas de transfert d’entreprise.
      • Lorsqu’un employeur s’engage, en cas de cession de son entreprise, à imposer au repreneur l’obligation de reprendre les salariés, cette stipulation est analysée comme une stipulation pour autrui.
      • A cet égard, la Cour de cassation a admis que lorsqu’un contrat de travail impose à un nouvel employeur de reprendre les salariés d’une entreprise en cas de transfert, cette clause constitue bien une stipulation pour autrui au profit des salariés concernés, qui peuvent alors s’en prévaloir directement (Cass. com. 14 mai 1979, n°77-15.865).
      • Cette solution présente un enjeu social majeur : elle garantit la continuité de l’emploi et protège les salariés contre les effets souvent brutaux des restructurations.
      • En leur conférant un droit propre, elle leur permet d’obtenir l’exécution de l’engagement pris à leur égard sans qu’ils aient à démontrer une quelconque transmission contractuelle de leur contrat de travail.
  • La stipulation pour autrui présumée

Si la stipulation pour autrui repose, en principe, sur l’expression expresse de la volonté contractuelle, la jurisprudence a, dans certaines circonstances exceptionnelles, présumé son existence afin d’assurer la protection des victimes.

Cette démarche, motivée par des considérations d’équité et de sécurité juridique, a principalement été développée en matière d’accidents de transport et dans le cadre de l’affaire du sang contaminé. Toutefois, la tendance actuelle de la Cour de cassation est au repli, celle-ci réaffirmant que la stipulation pour autrui ne saurait être admise en l’absence d’une clause explicite.

  • La protection des proches de victimes d’accidents de transport
    • La stipulation pour autrui a parfois été présumée par la jurisprudence afin de garantir une protection accrue aux proches de victimes d’accidents de transport.
    • Cette construction, forgée dans un souci d’efficacité juridique et de préservation des droits des tiers affectés par l’exécution du contrat de transport, a toutefois été abandonnée par la Cour de cassation, soucieuse de préserver la rigueur du principe de l’effet relatif des conventions.
    • L’un des arrêts fondateurs de cette approche prétorienne est rendu par la chambre civile de la Cour de cassation le 6 décembre 1932.
    • Dans cette décision, la Haute juridiction admet que le contrat conclu entre un passager et un transporteur peut implicitement contenir une stipulation pour autrui au profit des proches du voyageur.
    • Ce raisonnement permettait aux ayants droit de la victime d’un accident de transport de se prévaloir de la responsabilité contractuelle du transporteur, bien plus favorable que la responsabilité délictuelle.
    • En effet, cette dernière supposait la preuve d’une faute du transporteur, tandis que l’obligation de sécurité qui pesait sur ce dernier en matière contractuelle était de nature objective, offrant aux demandeurs une meilleure garantie d’indemnisation.
    • Cette solution reposait sur une lecture extensive du contrat de transport, assimilant implicitement les proches du passager à des bénéficiaires directs de l’engagement contractuel du transporteur.
    • Toutefois, cette construction a été critiquée par la doctrine, certains auteurs dénonçant une dérive consistant à dénaturer la stipulation pour autrui en la présumant là où elle ne correspondait pas aux volontés des parties.
    • Consciente des risques d’un tel raisonnement, la Cour de cassation a progressivement infléchi sa position.
    • Dans un arrêt du 28 octobre 2003, elle met fin à cette jurisprudence en affirmant que les proches d’une victime d’accident de transport ne peuvent invoquer la responsabilité contractuelle du transporteur en l’absence d’une stipulation expresse en leur faveur (Cass. 1re civ., 28 oct. 2003, n° 00-18.794).
    • Cette décision marque un revirement notable, traduisant une volonté de la Haute juridiction de ne pas altérer la nature du contrat de transport et de cantonner la stipulation pour autrui à des hypothèses où elle résulte clairement de la volonté des parties.
    • Ce revirement s’explique également par l’évolution du droit de la responsabilité.
    • Lorsque la jurisprudence des années 1930 admettait la stipulation pour autrui implicite, la responsabilité objective du fait des choses n’était pas encore solidement implantée en droit français.
    • Il était alors plus avantageux pour les proches d’une victime d’invoquer la responsabilité contractuelle du transporteur plutôt que d’agir sur le terrain de l’ancien article 1382 du Code civil (devenu art. 1240), lequel imposait la preuve d’une faute.
    • Or, avec la généralisation de la responsabilité objective du fait des choses et l’adoption de régimes spéciaux favorisant l’indemnisation des victimes d’accidents de transport, la nécessité de recourir à une stipulation pour autrui présumée a disparu.
    • En outre, la reconnaissance d’une stipulation pour autrui présumée avait conduit à des incohérences avec d’autres principes du droit des obligations, notamment la prohibition du cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle.
    • La jurisprudence permettait aux proches d’une victime d’accident de renoncer à la stipulation pour autrui prétendument incluse dans le contrat de transport et d’agir sur le fondement de la responsabilité délictuelle si cette dernière leur était plus favorable (Cass. 2e civ., 23 janv. 1959).
    • Cette faculté leur offrait un véritable droit d’option entre deux régimes de responsabilité, en contradiction avec la règle du non-cumul des responsabilités.
    • En mettant un terme à cette jurisprudence, la Cour de cassation a réaffirmé que les engagements contractuels ne sauraient être étendus au-delà de ce que les parties ont expressément convenu, tout en rétablissant la cohérence du droit de la responsabilité en matière d’accidents de transport.
    • Ainsi, bien que motivée à l’origine par une préoccupation de protection des victimes, la stipulation pour autrui présumée au profit des proches de passagers d’un transport a progressivement perdu sa raison d’être.
    • L’évolution du cadre juridique de la responsabilité des transporteurs a contribué à rendre ce mécanisme inutile, et la jurisprudence contemporaine s’attache désormais à exiger une volonté expresse du stipulant lorsqu’il entend conférer un droit à un tiers.
    • Cette évolution témoigne d’un retour à une application plus stricte du principe de l’effet relatif des conventions, évitant ainsi de faire de la stipulation pour autrui un instrument d’indemnisation artificiel.
  • L’affaire du sang contaminé : une présomption justifiée par l’intérêt des victimes
    • Une autre illustration marquante de la stipulation pour autrui présumée se rencontre dans l’affaire du sang contaminé.
    • La gravité du préjudice subi par les victimes de transfusions sanguines infectées par le VIH ou l’hépatite C a conduit la jurisprudence à rechercher un fondement juridique leur permettant d’obtenir réparation de manière efficace et rapide.
    • Dans cette perspective, elle s’est appuyée sur une décision antérieure (Cass. 2e civ., 17 déc. 1954) qui avait déjà admis qu’un contrat conclu entre un hôpital et un centre de transfusion sanguine pouvait contenir une stipulation pour autrui implicite en faveur des patients recevant des transfusions.
    • En reprenant cette solution, les juridictions ont considéré que les victimes de contamination transfusionnelle pouvaient se prévaloir d’un droit propre contre le centre de transfusion, sans qu’il soit nécessaire d’établir un lien contractuel direct avec celui-ci.
    • Cette construction permettait d’imputer aux centres de transfusion une obligation de sécurité de résultat, leur imposant de fournir un sang exempt de toute contamination (Cass 1ère civ., 14 nov. 1995, n°92-18.199).
    • L’objectif poursuivi était de soustraire les victimes aux exigences probatoires complexes du droit commun de la responsabilité, en leur permettant d’agir directement contre les organismes en charge de la collecte et de la distribution du sang.
    • Toutefois, à mesure que le droit de la responsabilité civile s’est adapté aux enjeux liés aux contaminations transfusionnelles, l’utilité de cette présomption jurisprudentielle s’est progressivement estompée.
    • Déjà avant l’intervention du législateur, la jurisprudence s’était inspirée de la directive européenne du 25 juillet 1985 pour permettre aux victimes par ricochet – notamment les ayants droit d’un patient décédé – d’invoquer le manquement de l’organisme de transfusion à son obligation de sécurité sans recourir à la stipulation pour autrui (Cass. 1ère civ., 13 févr. 2001, n°99-13.589).
    • La loi du 19 mai 1998 (art. 1245 et s. du Code civil) a parachevé cette évolution en instaurant un régime de responsabilité du fait des produits défectueux applicable aux produits de santé, rendant inutile le recours à une qualification contractuelle pour garantir l’indemnisation des victimes.
    • Dès lors, si la reconnaissance d’une stipulation pour autrui implicite a pu constituer une solution pragmatique dans un contexte d’urgence sanitaire, elle s’inscrivait avant tout dans une logique de protection des victimes.
    • L’évolution du droit positif et l’émergence de dispositifs d’indemnisation spécifiques ont cependant conduit la jurisprudence à restreindre l’usage de cette construction.
    • Aujourd’hui, la reconnaissance d’une stipulation pour autrui présumée repose sur une interprétation plus stricte, exigeant que la volonté de stipuler au profit d’un tiers résulte explicitement de l’acte.
    • Cette évolution traduit une volonté de ne pas instrumentaliser la stipulation pour autrui à des fins purement indemnitaires et de préserver l’équilibre contractuel en s’assurant que les obligations n’engagent que ceux qui les ont librement consenties.

I) Conditions

La stipulation pour autrui constitue une exception au principe de l’effet relatif des contrats, qui veut qu’un contrat ne crée d’obligations qu’entre les parties qui l’ont conclu. Elle permet ainsi à une personne (le stipulant) de prévoir, dans un contrat conclu avec une autre personne (le promettant), qu’un tiers bénéficiaire pourra directement se prévaloir d’un droit issu de cet accord.

Désormais consacrée aux articles 1205 à 1209 du Code civil, cette institution repose sur une construction doctrinale et jurisprudentielle ancienne, qui a progressivement évolué pour s’affranchir de certaines limitations initialement imposées par la théorie contractuelle classique.

Pour être valable, la stipulation pour autrui doit réunir deux conditions essentielles :

  • Son caractère contractuel : elle ne peut exister sans un accord exprès entre le stipulant et le promettant visant à conférer un droit à un tiers.
  • La désignation du bénéficiaire : le tiers doit être déterminé ou, à défaut, déterminable au moment de l’exécution du contrat.

C’est l’existence de ces deux éléments qui permet au bénéficiaire d’opposer la stipulation au promettant et d’exercer le droit qui lui a été conféré.

A) Le caractère contractuel de la stipulation pour autrui

La stipulation pour autrui puise son essence dans la volonté concertée du stipulant et du promettant, qui s’accordent expressément à conférer un droit direct à un tiers bénéficiaire. Ce fondement contractuel, consacré par l’article 1205 du Code civil, implique que la stipulation ne saurait se déduire du silence des parties : elle requiert une manifestation de volonté non équivoque (Cass. 1re civ., 7 janv. 1997, n° 94-16.151).

Longtemps perçue comme un mécanisme nécessairement accessoire à une obligation sous-jacente, la stipulation pour autrui s’est progressivement affranchie de cette exigence, au point d’acquérir une autonomie conceptuelle reconnue tant par la doctrine que par la jurisprudence. Ainsi, son existence n’est plus subordonnée à l’existence d’une prestation entre le stipulant et le promettant (Cass. 1re civ., 12 avr. 1967).

Dès lors, la stipulation pour autrui ne procède ni d’un impératif d’utilité pour le stipulant ni d’une relation sous-jacente entre les parties contractantes, mais exclusivement de l’engagement du promettant à l’égard du tiers, par la seule force de l’accord contractuel qui l’y oblige.

1. La volonté conjointe du stipulant et du promettant de faire naître un droit au profit d’un tiers

La stipulation pour autrui trouve son assise dans l’accord concerté du stipulant et du promettant, lesquels manifestent une volonté expresse et non équivoque de conférer un droit direct à un tiers bénéficiaire. Ce principe, désormais consacré par l’article 1205 du Code civil, constitue le fondement même de cette institution, en ce qu’il permet d’affranchir le bénéficiaire du principe de l’effet relatif des contrats.

a. Une volonté de créer un droit au profit d’un tiers

Loin de se déduire implicitement du contrat, la stipulation pour autrui exige une intention claire et indubitable des parties. Aussi, le principe selon lequel la stipulation pour autrui ne saurait se présumer est désormais bien établi en droit français. L’article 1205 du Code civil rappelle avec fermeté que la volonté de conférer un droit au tiers doit être clairement exprimée. La jurisprudence a réaffirmé cette exigence, en jugeant que l’intention des parties de créer une stipulation pour autrui devait être non équivoque et ne pouvait se déduire implicitement du contrat (Cass. 1re civ., 7 janv. 1997, n° 94-16.151).

Cette exigence trouve sa justification dans la nature même de la stipulation pour autrui. Elle constitue en effet une dérogation au principe de l’effet relatif des conventions (art. 1199 C. civ.), qui dispose que les contrats ne créent d’obligations qu’entre les parties. Dès lors, il ne saurait être admis qu’un tiers puisse revendiquer un droit contractuel sans que cette conséquence ait été expressément voulue par le stipulant et le promettant.

Toutefois, si cette volonté conjointe est essentielle à la validité de la stipulation, l’analyse du mécanisme révèle une distinction à faire entre la création de la créance et son attribution au bénéficiaire.

  • La création de la créance trouve son origine dans l’accord entre le stipulant et le promettant. C’est cette rencontre des volontés qui génère une obligation nouvelle.
  • L’attribution de la créance au bénéficiaire, en revanche, repose sur la seule volonté du stipulant. Ce dernier agit ici unilatéralement, à l’instar d’un cédant dans une cession de créance, tandis que le promettant, assimilable au cédé, n’a pas à consentir à cette transmission (art. 1321, al. 4 C. civ.). Tout au plus doit-il être informé de celle-ci (C. civ., art. 1324, al. 1er).

La distinction entre ces deux étapes de l’opération trouve une illustration particulièrement évocatrice dans la jurisprudence relative à l’assurance pour compte. En effet, l’existence d’une telle stipulation repose exclusivement sur l’accord du souscripteur et de l’assureur, indépendamment de la volonté du bénéficiaire (Cass. 2e civ., 24 oct. 2019, n° 18-21.363). À l’inverse, lorsque cet accord fait défaut ou demeure incertain, la stipulation ne saurait prospérer, ce qui conduit la jurisprudence à refuser la reconnaissance d’une assurance pour compte en l’absence d’une volonté suffisamment caractérisée en faveur du bénéficiaire (Cass. 2e civ., 25 juin 2020, n° 18-26.685 et 19-10.157).

Ainsi, plus encore que l’attribution de la créance au bénéficiaire, c’est bien la rencontre des volontés du stipulant et du promettant qui constitue le socle de la stipulation pour autrui. Loin d’être un mécanisme implicite, elle requiert une intention manifeste des parties, seule garante de la rigueur contractuelle et de la sécurité juridique de l’opération.

b. L’inopérance de l’exigence d’un intérêt du stipulant

Si l’existence d’une volonté claire est unanimement requise, la question de l’intérêt du stipulant dans l’opération a fait l’objet de vives controverses doctrinales et jurisprudentielles.

Historiquement, la jurisprudence a conditionné la validité de la stipulation pour autrui à l’existence d’un intérêt du stipulant, qu’il soit moral ou patrimonial (Cass. civ. 16 janv. 1888). Cette approche reposait sur l’idée que le stipulant devait agir dans une finalité qui lui était propre et non dans une logique purement gratuite. En d’autres termes, la stipulation pour autrui n’était admise que si le stipulant trouvait un avantage dans l’opération.

Toutefois, cette exigence a progressivement perdu de sa pertinence, au point d’être qualifiée de « faux problème » par la doctrine. Des auteurs tels que Marty et Raynaud soutiennent que la seule volonté conjointe du stipulant et du promettant suffit à justifier la stipulation, indépendamment de toute considération d’intérêt propre du stipulant. L’intérêt du stipulant ne constitue pas une condition essentielle, dès lors que l’acte de stipulation repose sur une autonomie juridique propre.

La jurisprudence a suivi cette évolution en cessant progressivement de faire référence à l’intérêt du stipulant comme condition de validité de la stipulation pour autrui (Cass. com. 1er déc. 1975, n°74-13.788). Désormais, l’accord des parties constitue le seul fondement du mécanisme, sans que le stipulant ait à démontrer un quelconque avantage personnel.

L’ordonnance du 10 février 2016 a définitivement consacré l’autonomie de la stipulation pour autrui en supprimant toute référence à l’intérêt du stipulant dans le Code civil. Alors que l’ancien article 1121 imposait que la stipulation fût l’accessoire d’une obligation principale pesant sur le stipulant, cette exigence a été expressément abandonnée dans les nouvelles dispositions de l’article 1205.

Cet abandon marque l’aboutissement d’une évolution tendant à détacher la stipulation pour autrui des contraintes inutiles qui limitaient son efficacité. Désormais, ce mécanisme contractuel fonctionne librement, sans que l’on ait à s’interroger sur l’utilité du stipulant dans l’opération.

Ainsi, l’essence de la stipulation pour autrui ne réside pas dans l’intérêt du stipulant, mais bien dans la volonté conjointe de ce dernier et du promettant de faire naître un droit au profit d’un tiers. Dès lors, l’accord des parties demeure le seul fondement de la stipulation, affranchi de toute exigence d’utilité ou d’intérêt personnel du stipulant.

2. L’abandon du caractère accessoire de la stipulation pour autrui

La stipulation pour autrui a longtemps été conçue comme un mécanisme intrinsèquement lié à un engagement principal du stipulant. L’ancien article 1121 du Code civil consacrait cette approche, en posant comme condition de validité que la stipulation pour autrui fût l’accessoire d’une obligation du stipulant, lequel devait lui-même retirer un bénéfice de l’opération. En d’autres termes, la stipulation pour autrui ne pouvait prospérer que dans le cadre d’une convention où le stipulant trouvait un intérêt propre à conférer un avantage au tiers bénéficiaire.

Toutefois, cette exigence a progressivement perdu en pertinence, jusqu’à être entièrement abandonnée par la doctrine et la jurisprudence. Dès 1967, la Cour de cassation a marqué un tournant décisif en reconnaissant qu’une stipulation pour autrui pouvait exister indépendamment de toute obligation principale du stipulant (Cass. 1re civ., 12 avr. 1967). Cette décision opérait une rupture avec la conception traditionnelle du mécanisme en consacrant la pleine autonomie de la stipulation pour autrui, y compris dans l’hypothèse où le stipulant ne retirait aucun avantage personnel de l’engagement pris par le promettant.

Cette évolution s’est prolongée dans la jurisprudence contemporaine, notamment en matière d’assurance, où il a été jugé que la désignation ou la substitution du bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie, effectuée par voie testamentaire, n’avait pas à être portée à la connaissance de l’assureur pour être valide (Cass. 2e civ., 10 mars 2022, n°20-19.655). Cet arrêt illustre le fait que la stipulation pour autrui, loin d’être conditionnée par l’existence d’un engagement principal du stipulant, est un acte unilatéral attributif de créance, dont l’effet se déploie sans intervention nécessaire du promettant au moment de son exécution.

a. La remise en cause doctrinale de l’exigence d’accessoire

La doctrine, largement favorable à cette évolution, a souligné l’inanité d’une telle contrainte, qui limitait artificiellement la portée du mécanisme. M. Marty et M. Raynaud relèvent ainsi que « l’exigence d’accessoire constituait une entrave inutile à l’effectivité du procédé, sans fondement réel dans la logique contractuelle »[19].

Dans le même esprit, des auteurs comme Eugène Gaudemet[20], Théorie générale des obligations, 1937, Dalloz, p. 243 et Guy Flattet[21] démontrent que rien dans la construction contractuelle ne justifiait que la stipulation pour autrui fût nécessairement subordonnée à une prestation du stipulant. Loin de constituer un principe essentiel, l’ancienne exigence d’accessoire apparaissait comme un dogme artificiel, entravant la souplesse du droit des obligations.

Cette critique a conduit à une inversion des perspectives : alors que la conception classique considérait que la stipulation pour autrui devait être l’accessoire d’une obligation du stipulant, certains auteurs ont soutenu que c’est, au contraire, la stipulation pour soi-même qui peut être reléguée à un rôle secondaire, le véritable moteur du mécanisme étant l’engagement du promettant envers le bénéficiaire. Cette analyse rejoint les observations de Georges Ripert et Jean Boulanger, selon lesquels « la stipulation pour autrui n’est pas une opération technique qui se suffise à elle-même. C’est un mécanisme juridique qui fonctionne à l’intérieur d’un contrat pour en diviser les effets »[22]. Dans le même sens, d’autres auteurs ont souligné que « ce n’est plus la stipulation pour autrui qui est accessoire à un engagement du stipulant, mais bien la stipulation pour soi-même qui l’accompagne qui peut être reléguée à un rôle secondaire »[23].

Par ailleurs, il a été démontré que la stipulation pour autrui s’apparente à un acte unilatéral du stipulant attribuant une créance au bénéficiaire, sans que l’accord du promettant ne soit requis à ce stade (art. 1321, al. 4 C. civ.). Dès lors, l’existence d’un contrat générateur de la créance demeure une condition préalable nécessaire, mais la stipulation elle-même n’a plus à s’inscrire dans un cadre accessoire.

b. La consécration de l’autonomie de la stipulation pour autrui

Cette évolution doctrinale et jurisprudentielle a finalement trouvé son aboutissement dans la réforme du droit des contrats opérée par l’ordonnance du 10 février 2016. Les nouveaux articles 1205 et suivants du Code civil consacrent désormais l’autonomie de la stipulation pour autrui, sans exiger qu’elle s’inscrive dans un engagement principal du stipulant.

Désormais, la stipulation pour autrui est reconnue comme un acte distinct du contrat générateur de la créance, soumis aux conditions générales du droit des actes juridiques, notamment en matière de capacité (art. 1128 C. civ.). La jurisprudence récente a confirmé cette autonomie, en reconnaissant notamment qu’une stipulation pour autrui pouvait être implicite, dès lors qu’elle résultait de la volonté non équivoque des parties (Cass. 1re civ., 10 juill. 1995, n° 92-13.534).

En définitive, l’abandon du caractère accessoire marque l’aboutissement d’une évolution tendant à détacher la stipulation pour autrui des contraintes inutiles qui limitaient sa portée. Elle confère à cette institution une autonomie renouvelée, lui permettant de s’adapter plus librement aux besoins des contractants et d’assurer une meilleure prévisibilité des droits du bénéficiaire. Ainsi affranchi de son ancrage traditionnel dans une obligation du stipulant, le mécanisme de la stipulation pour autrui acquiert une souplesse nouvelle, renforçant son efficacité en tant qu’outil de structuration des relations contractuelles.

B) Le tiers bénéficiaire de la stipulation

La stipulation pour autrui confère un droit direct au bénéficiaire, bien que celui-ci ne soit pas partie au contrat initial. Toutefois, pour que ce droit soit reconnu, encore faut-il que le bénéficiaire soit déterminé ou déterminable, qu’il accepte la stipulation, et qu’il puisse, dans certains cas, être tenu d’obligations corrélatives.

L’évolution de la jurisprudence et de la doctrine a progressivement affiné ces conditions, en conciliant la flexibilité contractuelle avec la nécessité de préserver la sécurité juridique. Loin d’être un simple spectateur du contrat, le bénéficiaire devient un acteur dont les droits et obligations doivent être précisément encadrés.

1. La désignation du bénéficiaire

a. L’exercice d’un pouvoir unilatéral du stipulant

L’identification du bénéficiaire est une pierre angulaire du mécanisme de la stipulation pour autrui, en ce qu’elle conditionne l’attribution effective du droit conféré. Ce pouvoir appartient exclusivement au stipulant, seul habilité à attribuer à un tiers la créance qu’il détient contre le promettant. Il ne s’agit pas d’une simple prérogative, mais d’un droit discrétionnaire, corollaire du principe selon lequel la stipulation pour autrui confère au stipulant la maîtrise du droit né du contrat, lui permettant d’en disposer librement (art. 537 C. civ.). Dès lors, l’acte par lequel le stipulant désigne le bénéficiaire s’analyse en un acte unilatéral, qui modifie l’économie du contrat initial en déterminant la personne à laquelle la créance sera directement transmise[24].

L’effet de cette désignation est contraignant pour le promettant, lequel, à l’instar du débiteur dans une cession de créance (art. 1321 C. civ.) ou une indication de paiement (art. 1342-2, al. 1er C. civ.,), est tenu d’exécuter son obligation au profit du bénéficiaire désigné, sans qu’un consentement de sa part soit requis pour la validité de l’attribution (art. 1321, al. 4 C. civ.). Ainsi, la jurisprudence a refusé d’admettre comme bénéficiaire d’une assurance-décès une personne mentionnée de manière informelle par l’assureur dans un certificat d’adhésion partiellement complété, au motif que seule la volonté expresse du stipulant est de nature à conférer un droit direct au tiers (CA Toulouse, 2e ch., 1re sect., 23 juin 2005).

La désignation du bénéficiaire emporte un effet attributif immédiat, dont la nature varie selon le moment où elle intervient. Lorsque la stipulation est formulée dès l’origine, la créance naît directement dans le patrimoine du bénéficiaire, sans jamais transiter par celui du stipulant (Cass. 1re civ., 7 janv. 1997, n° 94-16.151). À l’inverse, si la créance a préalablement existé dans le patrimoine du stipulant avant d’être attribuée, l’opération s’apparente davantage à une transmission. Toutefois, la stipulation pour autrui se distingue fondamentalement d’une cession de créance en ce que le bénéficiaire n’est pas l’ayant cause du stipulant : il n’hérite pas d’un droit préexistant, mais devient titulaire d’une créance qui prend naissance en sa faveur.

Ainsi, la désignation du bénéficiaire ne se réduit pas à une simple modalité du contrat : elle constitue l’acte fondateur par lequel le stipulant confère au tiers un droit direct contre le promettant, consacrant ainsi la vocation autonome de la stipulation pour autrui.

b. Moment et modalités de la désignation du bénéficiaire

La stipulation pour autrui suppose que le bénéficiaire soit désigné par le stipulant au promettant (art. 1205, al. 2 C. civ). Toutefois, cette désignation ne doit pas nécessairement intervenir lors de la conclusion du contrat : elle peut être effectuée ultérieurement, sous réserve que le promettant ne s’y oppose pas. Cette possibilité découle du fait que l’attribution d’un droit au profit d’un tiers dépend exclusivement de la volonté du stipulant, lequel dispose d’une faculté de révocation tant que le bénéficiaire n’a pas accepté la stipulation (Cass., ass. plén., 12 déc. 1986, n°84-17.867).

Ainsi, le stipulant conserve la liberté de modifier la désignation du bénéficiaire à tout moment, sous réserve des conditions posées par la loi ou par la nature du contrat. Par exemple, en matière d’assurance-vie, la jurisprudence a admis qu’un souscripteur puisse substituer un nouveau bénéficiaire à l’ancien par simple déclaration, sans que cela ne constitue une cession de créance (Cass. 1re civ., 10 juill. 1996, n° 94-18.733). Cette solution repose sur l’idée que le stipulant ne saurait céder un droit qui ne lui appartient pas, dès lors qu’il l’a fait naître directement au profit du bénéficiaire désigné.

En l’absence de désignation expresse, la créance issue de la stipulation pour autrui revient au stipulant lui-même ou, en cas de décès, à sa succession (art. L. 132-11 C. ass.). Cette solution, appliquée en matière d’assurance-vie, a valeur de principe général et s’étend à toutes les hypothèses de stipulation pour autrui. Il en résulte que tant que le bénéficiaire n’est pas formellement désigné, le droit demeure dans la sphère patrimoniale du stipulant, qui peut en disposer librement.

Si le bénéficiaire est désigné, il n’est pas nécessaire que celui-ci soit informé immédiatement de l’attribution du droit à son profit. L’acte attributif est en effet non réceptice par nature : la créance est transmise indépendamment de la connaissance qu’en a le bénéficiaire. Toutefois, cette situation change dès lors que le stipulant décide de notifier la stipulation au bénéficiaire : dans ce cas, la faculté de révocation disparaît, et toute modification ultérieure de la désignation du bénéficiaire requiert son consentement (art. 1207, al. 3 C. civ.).

c. Le bénéficiaire : un ayant cause particulier du stipulant

Le bénéficiaire de la stipulation pour autrui est traditionnellement qualifié d’ayant cause à titre particulier du stipulant. Son droit résulte directement de la volonté de ce dernier et s’exerce avec les caractères qui lui ont été conférés par le stipulant (Cass. com., 19 déc. 1960, n° 58-11.141). Cette qualification a des implications majeures, notamment en ce qui concerne la pérennité du droit du bénéficiaire : tant que la stipulation n’a pas été acceptée, le stipulant conserve la faculté de révoquer l’attribution ou de substituer un autre bénéficiaire. Cette possibilité de révocation souligne le fait que le droit direct du bénéficiaire ne naît que de la volonté du stipulant et demeure suspendu tant qu’il ne l’a pas accepté.

D’un point de vue économique, la stipulation pour autrui peut répondre à diverses causes objectives : elle peut être motivée par une intention libérale (donation), par une logique de financement (prêt) ou par un objectif d’exécution d’une obligation préexistante (paiement). Dans tous les cas, elle se réalise en deux temps : d’abord, l’attribution de la créance, puis, le cas échéant, la transformation de cette créance en somme d’argent par l’exécution de l’obligation du promettant.

==>Qui peut être bénéficiaire d’une stipulation pour autrui ?

  • Les parfaits étrangers (penitus extranei)
    • Il ne fait aucun doute qu’une stipulation pour autrui peut être faite au profit d’un tiers totalement étranger aux parties contractantes.
    • Un stipulant peut ainsi, sans difficulté, conférer un droit à une personne qui ne possède aucun lien de droit avec lui ou avec le promettant.
    • La doctrine et la jurisprudence admettent sans réserve cette faculté, considérant qu’elle ne rencontre aucun obstacle juridique ou logique.
    • Dans ce cas, l’engagement du promettant bénéficie directement à ce tiers, sans que celui-ci ait à justifier d’un lien antérieur avec le stipulant. Par exemple, en matière d’assurance, un souscripteur peut valablement stipuler au profit d’une fondation ou d’une œuvre caritative, alors même qu’aucun lien préexistant ne l’unissait à ces entités.
  • Les ayants cause à titre particulier
    • La stipulation pour autrui peut également être faite au profit des ayants cause à titre particulier du stipulant, c’est-à-dire des personnes qui reçoivent un droit précis et identifiable de sa part.
    • Ce cas est largement admis, car rien n’empêche un stipulant de transmettre à un tiers, en plus d’un droit direct, un droit accessoire contre le promettant.
    • Par exemple, lorsqu’un propriétaire vend un immeuble et impose à l’acquéreur une clause de non-concurrence en faveur du repreneur d’un fonds de commerce attenant, ce dernier devient bénéficiaire d’une stipulation pour autrui.
    • Il détient ainsi un droit propre à faire respecter la clause, indépendamment du lien contractuel entre le vendeur et l’acheteur (Cass. com., 19 déc. 1960, n° 58-11.141).
  • Les ayants cause universels ou à titre universel (héritiers et successeurs)
    • Le cas des héritiers et ayants cause universels est plus complexe.
    • Traditionnellement, la jurisprudence a longtemps refusé d’admettre qu’un stipulant puisse stipuler pour ses héritiers, au motif que ces derniers recueillent déjà, par l’effet de la succession, les droits de leur auteur.
    • En d’autres termes, stipuler en faveur de ses héritiers reviendrait à se stipuler pour soi-même, ce qui viderait de son sens la stipulation pour autrui (Cass. Req. 15 juill. 1875, S. 1877. 1. 326).
    • Toutefois, cette position a évolué, notamment en matière d’assurance sur la vie.
    • L’article L. 132-8 du Code des assurances permet expressément de désigner comme bénéficiaires les héritiers de l’assuré.
    • Dans ce cas, leur droit naît du contrat d’assurance et non de la succession.
    • Ils ne recueillent donc pas un droit dérivé du défunt, mais un droit direct issu de la stipulation, ce qui les distingue des simples successeurs universels.
    • La jurisprudence a également validé des stipulations pour autrui au profit de certains héritiers seulement.
    • Si le stipulant choisit de conférer un droit à un héritier particulier sans que cette qualité n’ait d’incidence sur l’attribution du droit, alors la stipulation demeure valable.
    • Ainsi, un parent peut souscrire une assurance-vie au profit d’un seul de ses enfants sans que cette désignation soit assimilée à un pacte sur succession future prohibé (Cass., ch. réun., 28 avr. 1961, n°57.12.658).

2. La nécessité d’un bénéficiaire déterminé ou déterminable

La stipulation pour autrui, pour produire ses effets, exige que le bénéficiaire soit soit déterminé ab initio, soit déterminable avec certitude au moment de l’exécution de la promesse. Cette exigence trouve sa justification dans la nécessité d’assurer la sécurité juridique des parties et d’éviter qu’un droit soit créé sans titulaire certain.

a. Un bénéficiaire nécessairement déterminable

La stipulation pour autrui ne saurait déployer ses effets qu’au bénéfice d’un titulaire précisément identifié ou, à défaut, rigoureusement déterminable au moment où la promesse est appelée à s’exécuter. Cette exigence, désormais consacrée par l’article 1205, alinéa 2, du Code civil, assure la sécurité juridique du mécanisme en prévenant toute incertitude quant à l’attribution des droits conférés. En ce sens, le texte prévoit que le bénéficiaire peut être « déterminé au moment de l’exécution de la promesse », consacrant ainsi une solution qui, longtemps débattue, s’est progressivement imposée en doctrine et en jurisprudence.

Historiquement, l’incertitude pesait sur la possibilité d’instituer un bénéficiaire non immédiatement désigné. Le principe classique, solidement ancré en droit des obligations, commande que tout rapport d’obligation suppose nécessairement un créancier identifiable, de sorte qu’un droit ne peut exister sans titulaire certain. Cette conception rigide semblait a priori exclure toute stipulation au profit d’un bénéficiaire non encore individualisé.

Toutefois, la jurisprudence a admis, par souci de pragmatisme, que la stipulation puisse viser une personne non déterminée au jour de la conclusion du contrat, dès lors qu’elle est susceptible d’être identifiée au moment où la promesse produit ses effets. Cette évolution s’explique par la nature même du mécanisme, qui repose sur un décalage temporel entre la formation du contrat initial et l’attribution effective du droit au bénéficiaire.

Ainsi, il est jugé que la stipulation peut être consentie au profit d’un bénéficiaire dont l’identité demeure incertaine au moment de la conclusion du contrat, mais qui sera nécessairement identifiable en fonction d’éléments objectifs prédéterminés. Ce principe a été consacré en matière d’assurance pour compte, où la Cour de cassation a reconnu qu’un contrat pouvait bénéficier à un créancier encore éventuel à la date de souscription (Cass. 1re civ., 7 oct. 1959).

La reconnaissance de bénéficiaires déterminables s’est traduite par l’admission de stipulations formulées en des termes généraux, dès lors qu’elles permettent d’identifier sans ambiguïté les personnes appelées à bénéficier de la promesse. C’est ainsi que la jurisprudence a validé des stipulations visant :

  • Les héritiers directs du stipulant (Cass. civ., 28 déc. 1927) : cette désignation implique que la qualité d’héritier, appréciée au jour du décès, permette d’identifier les bénéficiaires de manière certaine.
  • Les créanciers de la communauté conjugale (Cass. 1re civ., 18 avr. 1961) : ici, l’identité des bénéficiaires est déterminable à la date de dissolution du régime matrimonial, dès lors que la communauté a vocation à s’acquitter de ses dettes à l’égard de créanciers identifiés.
  • Les ouvriers et fournisseurs d’un entrepreneur (Cass. req., 4 nov. 1907) : lorsque la stipulation pour autrui est insérée dans un marché de travaux, elle peut bénéficier à des tiers dont l’identité ne sera connue qu’au fur et à mesure de l’exécution du marché.

Dans chacun de ces cas, bien que les bénéficiaires ne soient pas nommément désignés dès la conclusion du contrat, leur individualisation devient possible grâce aux critères objectifs définis dans la stipulation.

Si l’ordonnancement juridique admet que le bénéficiaire soit déterminable, encore faut-il que la stipulation repose sur des critères suffisamment précis pour permettre son identification. À défaut, l’attribution demeure juridiquement inefficace et la créance ne peut être revendiquée par quiconque.

Ainsi, une stipulation formulée en des termes trop vagues ou généraux serait nulle, faute de conférer un droit à un titulaire identifiable. Tel serait le cas, par exemple, d’une stipulation visant de manière imprécise « les pauvres d’une ville », sans qu’aucun élément ne permette d’individualiser les personnes concernées. En revanche, la jurisprudence a admis la validité d’une stipulation au profit des pauvres d’une commune, dès lors que ceux-ci étaient représentés par un bureau d’aide sociale (Cass. req., 13 juin 1877).

De même, la stipulation au profit d’une personne future ne peut être admise que si son existence, bien que différée, est prévisible avec certitude. C’est notamment le cas en matière d’assurance sur la vie, où la loi admet qu’un contrat puisse être souscrit au bénéfice d’enfants à naître, sous réserve qu’ils soient conçus au moment du décès de l’assuré (art. L. 132-8, al. 3 C. civ.).

b. L’alternative en cas d’absence de bénéficiaire désigné

La stipulation pour autrui repose sur l’attribution d’un droit à un bénéficiaire clairement désigné ou, au moins, déterminable. À défaut, elle devient inopérante et n’a pas d’effet. Autrement dit, si personne ne peut être identifié comme bénéficiaire au moment où le contrat doit produire ses effets, le droit issu de la stipulation revient au stipulant lui-même.

Cette règle est particulièrement évidente en matière d’assurance-vie. Si le souscripteur n’a désigné aucun bénéficiaire, le capital assuré intègre automatiquement sa succession (art. L. 132-11 C. civ.). La jurisprudence applique cette solution à toutes les stipulations pour autrui: lorsqu’il n’y a pas de bénéficiaire désigné ou déterminable, le droit profite au stipulant ou, s’il est décédé, à ses héritiers (Cass. 1re civ., 16 févr. 1983, n° 81-16.715).

Un autre cas d’inefficacité de la stipulation se rencontre lorsque le bénéficiaire est incapable de recevoir le droit qui lui a été attribué. Par exemple, si une personne désignée ne remplit pas les conditions légales pour bénéficier du contrat, la stipulation est considérée comme inexistante, et l’obligation du promettant s’exécute directement au profit du stipulant.

Ainsi, pour que la stipulation pour autrui soit valable, il faut impérativement qu’un bénéficiaire puisse être identifié au moment où la prestation devient exigible.

==>Peut-on stipuler pour une personne qui n’existe pas encore ?

Pendant longtemps, la possibilité de désigner comme bénéficiaire une personne non encore existante a fait débat. L’argument principal contre cette idée était simple : un droit ne peut exister sans titulaire. Si la stipulation vise un bénéficiaire qui n’est pas encore né ou qui n’a pas encore d’existence juridique, cela reviendrait, selon certains auteurs, à créer un droit sans sujet, ce qui serait contraire aux principes du droit des obligations.

Cependant, cette vision a évolué. Il est désormais admis que le bénéficiaire peut être une personne qui n’existe pas encore au moment où le contrat est conclu, tant qu’il peut être déterminé lorsque la stipulation produit ses effets. Cette solution est consacrée par l’article 1205 du Code civil, qui prévoit que « le bénéficiaire peut être une personne future mais doit être précisément désigné ou pouvoir être déterminé lors de l’exécution de la promesse ».

Un exemple courant est celui de l’assurance-vie, où il est fréquent de prévoir que le capital reviendra aux enfants à naître du souscripteur (art. L. 132-8, al. 3 C. civ.). La jurisprudence a également admis que des fondations non encore constituées puissent être désignées comme bénéficiaires, à condition que leur création intervienne avant l’exécution de la promesse (Cass. req., 7 mars 1893).

Ainsi, une stipulation pour autrui peut viser une personne qui n’existe pas encore, mais uniquement si elle est déterminable au moment où la prestation doit être effectuée. Ce principe permet d’assurer la validité de nombreuses opérations, tout en garantissant une sécurité juridique aux parties concernées.

3. La faculté de mettre une obligation à la charge du bénéficiaire

Si la stipulation pour autrui repose fondamentalement sur l’idée d’un droit conféré au tiers bénéficiaire, elle n’exclut pas pour autant que celui-ci puisse se voir imposer une obligation en contrepartie de l’avantage qui lui est accordé. Cette perspective, qui s’éloigne de la conception purement libérale de la stipulation pour autrui, trouve son fondement tant dans la jurisprudence que dans la doctrine, qui s’interroge sur les limites de cette évolution.

a. Une obligation conditionnée par l’acceptation du bénéficiaire

La stipulation pour autrui diffère fondamentalement de la promesse pour autrui en ce qu’elle ne contraint pas nécessairement le bénéficiaire à une obligation. Néanmoins, la jurisprudence admet que le bénéficiaire puisse être tenu d’une charge ou d’une contrepartie, à condition qu’il accepte expressément la stipulation pour autrui (Cass. 1re civ., 8 déc. 1987, n°85-11.769).

Cette approche se justifie par le fait que la stipulation pour autrui repose sur une logique contractuelle. En conséquence, il est envisageable que le bénéficiaire, en exerçant le droit qui lui est conféré, adhère implicitement ou explicitement aux obligations qui l’accompagnent. Toutefois, ces obligations ne sauraient lui être imposées de manière unilatérale : elles ne deviennent opposables qu’au moment où il accepte la stipulation.

b. L’exemple de l’assurance de groupe

Le domaine des assurances illustre parfaitement ce mécanisme. Dans le cadre d’un contrat d’assurance de groupe, l’adhérent – bénéficiaire de la couverture assurantielle – est tenu de s’acquitter des primes en contrepartie des garanties qui lui sont offertes. La Cour de cassation a ainsi jugé que l’adhérent à un contrat d’assurance de groupe, bien que n’ayant pas directement négocié la stipulation, était tenu de respecter les obligations qui en découlaient, notamment le paiement des cotisations (Cass. 1ère civ., 7 juin 1989, n°87-14.648).

Cette décision témoigne de la reconnaissance d’un équilibre contractuel au sein de la stipulation pour autrui : si le bénéficiaire souhaite se prévaloir du droit qui lui est conféré, il doit en assumer les charges qui en découlent.

c. Une remise en question de la nature même de la stipulation pour autrui ?

L’admission d’une obligation à la charge du bénéficiaire soulève toutefois une interrogation fondamentale : ne transforme-t-elle pas la stipulation pour autrui en un contrat pour autrui ? Un auteur soutient que dès lors que le bénéficiaire est simultanément créancier et débiteur du promettant, la stipulation pour autrui perd de sa spécificité et s’apparente davantage à un mécanisme contractuel classique[25].

Cette analyse repose sur une distinction essentielle : dans la stipulation pour autrui, le bénéficiaire acquiert un droit par la seule volonté du stipulant, tandis que dans un contrat pour autrui, il devient directement partie à une relation contractuelle impliquant des obligations réciproques. Ainsi, si le bénéficiaire d’une stipulation pour autrui ne peut jouir du droit qui lui est conféré qu’en contrepartie d’une charge déterminée, on peut légitimement s’interroger sur la pertinence du maintien de la qualification initiale.

En dépit de ces évolutions, la jurisprudence demeure vigilante quant à la préservation du caractère fondamental de la stipulation pour autrui. Si elle admet que le bénéficiaire puisse se voir imposer une obligation, c’est uniquement à la condition qu’il en ait accepté la charge et que celle-ci ne remette pas en cause l’essence même de l’institution.

En définitive, la possibilité d’imposer une obligation au bénéficiaire témoigne d’une évolution pragmatique du droit des contrats, visant à concilier souplesse et équilibre contractuel. Elle confirme que la stipulation pour autrui, loin d’être un mécanisme rigide, s’adapte aux réalités économiques et aux exigences de la pratique contractuelle, tout en préservant son fondement premier : l’octroi d’un droit au profit d’un tiers, voulu par le stipulant et accepté par le promettant.

II) Effets

La stipulation pour autrui, en introduisant un tiers bénéficiaire dans un rapport contractuel auquel il n’a pas pris part, s’affranchit du principe de l’effet relatif des contrats. Ce mécanisme confère à ce tiers un droit direct à l’encontre du promettant, tandis que le stipulant demeure l’architecte de cette attribution. Dès lors, les effets de la stipulation ne se limitent pas à la seule relation entre le stipulant et le promettant : ils s’étendent également aux liens qu’ils entretiennent avec le bénéficiaire, chacun jouant un rôle distinct dans l’équilibre de l’opération.

Ainsi, trois rapports juridiques se superposent tout en conservant leur autonomie : d’abord, la relation contractuelle initiale entre le stipulant et le promettant, qui constitue le fondement même de la stipulation ; ensuite, le lien qui s’établit entre le promettant et le bénéficiaire, ce dernier pouvant revendiquer l’exécution de la prestation convenue ; enfin, la relation entre le stipulant et le bénéficiaire, qui peut soulever des interrogations quant à la nature et aux limites des droits que ce dernier tient de la stipulation.

Il convient donc d’examiner successivement ces trois séries d’effets, afin de mieux saisir la portée et l’articulation des obligations nées de la stipulation pour autrui.

A) Les effets de la stipulation dans les rapports entre le stipulant et le promettant

Si la stipulation pour autrui confère au bénéficiaire un droit propre contre le promettant, elle n’épuise pas pour autant les droits du stipulant, qui demeure lié contractuellement au promettant. Ce dernier, bien que tenu d’exécuter une obligation au profit d’un tiers, reste en rapport direct avec le stipulant, dont il tire l’obligation principale. La relation entre ces deux parties repose ainsi sur une articulation délicate entre l’engagement souscrit envers le bénéficiaire et les droits que le stipulant conserve du fait du contrat dont est issue la stipulation.

1. L’existence d’un droit propre du stipulant à l’égard du promettant

Le stipulant, en tant que partie au contrat générateur de la stipulation pour autrui, conserve des droits propres à l’encontre du promettant, distincts de ceux conférés au bénéficiaire. Ces prérogatives trouvent leur source dans un double fondement : d’une part, le contrat conclu entre le stipulant et le promettant, qui régit leurs relations et leur confère des droits et obligations réciproques ; d’autre part, la stipulation elle-même, qui, bien qu’ayant pour finalité l’octroi d’un avantage à un tiers, ne prive pas le stipulant de toute maîtrise sur l’exécution de l’engagement souscrit par le promettant.

Ainsi, la stipulation pour autrui, loin d’anéantir les droits du stipulant, lui confère, au contraire, la possibilité d’exiger du promettant qu’il s’exécute conformément aux engagements contractuellement souscrits. Le stipulant demeure ainsi un acteur central de l’opération, disposant d’un droit propre à veiller à l’effectivité de la prestation due au bénéficiaire et, en cas d’inexécution, à en tirer toutes les conséquences juridiques.

Toutefois, la coexistence entre le droit du stipulant et celui du bénéficiaire n’est pas absolue et peut, dans certaines configurations, se trouver résorbée au profit du seul droit du bénéficiaire. Cette absorption intervient notamment lorsque l’objet du contrat consiste exclusivement à faire bénéficier un tiers d’une prestation, à l’exclusion de toute créance résiduelle du stipulant contre le promettant.

Tel est le cas, par exemple, dans le cadre d’un contrat d’assurance-vie souscrit au profit d’un tiers : dès lors que l’assureur s’engage exclusivement à verser un capital au bénéficiaire, le souscripteur de l’assurance n’a plus, à l’égard de l’assureur, aucun droit propre lui permettant d’interférer dans l’exécution de l’engagement pris. Il en va de même lorsqu’un contrat de vente prévoit que le prix sera réglé directement entre les mains d’un tiers, que ce soit sous forme de rente viagère ou de capital payable en une seule fois : le droit du bénéficiaire à percevoir la somme convenue vient, en quelque sorte, supplanter et éteindre toute créance que le stipulant aurait pu initialement détenir à l’encontre du promettant.

Dans ces hypothèses, le stipulant se trouve privé de toute action propre contre le promettant et ne peut en aucun cas contester la transmission du droit au bénéficiaire. L’opération, une fois conclue, se referme sur elle-même : le stipulant disparaît de l’équation juridique, ne laissant subsister qu’une relation directe entre le bénéficiaire et le promettant.

Dans la plupart des cas, toutefois, le droit du stipulant demeure distinct de celui du bénéficiaire, ce qui soulève la question de l’articulation entre ces deux prérogatives. En effet, bien que le bénéficiaire puisse faire valoir un droit propre à l’encontre du promettant, ce dernier n’en devient pas pour autant son cocontractant direct au sens strict du terme : il reste tenu en vertu d’un engagement pris à l’égard du stipulant, qui demeure la source même de son obligation.

Dès lors, si le bénéficiaire est en droit d’exiger du promettant l’exécution de la stipulation, il ne saurait, en revanche, se prévaloir de moyens d’action propres aux parties au contrat générateur de la stipulation, tels que :

  • Les actions en nullité du contrat : seul le stipulant, en sa qualité de contractant, peut contester la validité du contrat ayant donné naissance à la stipulation. Ainsi, si le contrat est frappé de nullité pour un vice du consentement ou pour une cause illicite, le bénéficiaire ne pourra pas s’en prévaloir pour remettre en cause son droit. Cette incapacité tient au fait que les actions en nullité appartiennent aux parties contractantes et non aux tiers bénéficiant des effets d’un contrat.
  • Les actions en résolution pour inexécution des obligations contractuelles : si le promettant manque à ses engagements, le bénéficiaire ne peut, à lui seul, solliciter la résolution du contrat, car il ne détient pas la qualité de cocontractant. Cette prérogative demeure entre les mains du stipulant, qui, en tant que partie originelle au contrat, peut en poursuivre l’anéantissement en cas d’inexécution par le promettant.

Ainsi, malgré l’acquisition d’un droit propre par le bénéficiaire, la stipulation pour autrui ne le place pas sur un pied d’égalité avec le stipulant quant aux actions pouvant être exercées contre le promettant. Il en résulte que le stipulant, même après l’acceptation de la stipulation par le bénéficiaire, conserve un droit autonome, lui permettant d’intervenir dans l’exécution de l’engagement pris par le promettant.

Toutefois, l’exercice des droits du stipulant ne saurait être absolu et doit s’articuler avec le principe d’indépendance du droit du bénéficiaire une fois l’acceptation intervenue. En effet, si le stipulant conserve la faculté d’agir en nullité ou en résolution du contrat générateur de la stipulation, ces actions ne sauraient être mises en œuvre sans prendre en compte les effets qu’elles produisent à l’égard du bénéficiaire.

Lorsque la stipulation a été acceptée, son irrévocabilité empêche en principe le stipulant d’en anéantir les effets de manière unilatérale. Ainsi, si une action en nullité ou en résolution est engagée par le stipulant, il conviendra de distinguer selon que le bénéficiaire a été mis en cause dans la procédure ou non :

  • Si le bénéficiaire est partie au litige, la nullité ou la résolution prononcée lui est opposable et anéantit son droit. Dès lors, la disparition du contrat entraîne celle de la stipulation, dans un effet rétroactif global.
  • Si le bénéficiaire n’a pas été mis en cause, il pourra contester l’opposabilité de la décision et faire valoir que la résolution ne saurait lui être appliquée, faute d’avoir pu défendre ses intérêts. Dans cette hypothèse, la nullité ou la résolution sera inopposable au bénéficiaire, qui pourra toujours exiger du promettant l’exécution de la stipulation.

Ce mécanisme illustre la complexité des interactions entre le stipulant et le promettant dans le cadre d’une stipulation pour autrui. Si le stipulant reste maître du contrat générateur, il ne peut ignorer que la stipulation qu’il a instituée crée un droit au profit du bénéficiaire, lequel tend à s’émanciper progressivement du cadre contractuel initial.

2. Les voies de droit ouvertes au stipulant en cas d’inexécution du promettant

Si la stipulation pour autrui confère un droit direct au bénéficiaire à l’égard du promettant, elle ne prive pas pour autant le stipulant de tout recours en cas de défaillance de ce dernier. En tant que cocontractant du promettant, le stipulant demeure en effet investi d’un pouvoir d’action autonome, lui permettant d’assurer la mise en œuvre effective de la stipulation et de garantir le respect des engagements souscrits.

Ainsi, lorsqu’un manquement du promettant est constaté, trois voies de droit s’ouvrent au stipulant :

a. L’action en exécution de l’obligation souscrite par le promettant

Le stipulant, bien qu’il ne soit pas lui-même créancier direct de la prestation due au bénéficiaire, conserve la faculté d’exiger du promettant l’exécution de ses engagements. Cette prérogative repose sur le lien contractuel qui unit le stipulant et le promettant, en vertu duquel ce dernier s’est engagé à accomplir une prestation au profit du bénéficiaire.

La jurisprudence admet ainsi que le stipulant dispose d’un droit d’action en exécution forcée, lui permettant de contraindre le promettant à exécuter son obligation envers le bénéficiaire. Ce droit existe indépendamment de l’initiative du bénéficiaire : le stipulant peut agir, même si le bénéficiaire n’a pas encore exercé son propre recours contre le promettant. L’action du stipulant trouve sa justification dans l’intention même qui a présidé à la stipulation : il s’agit pour lui de garantir que l’engagement pris par le promettant au profit du tiers sera effectivement respecté.

Cette action en exécution peut revêtir plusieurs formes :

  • L’exécution forcée en nature: si l’obligation du promettant est encore susceptible d’être exécutée, le stipulant pourra demander au juge d’en ordonner l’exécution, le cas échéant sous astreinte. Cette solution s’impose notamment lorsque la prestation convenue revêt un caractère spécifique ou personnalisé, rendant une indemnisation pécuniaire insuffisante.
  • L’octroi de dommages-intérêts: lorsque l’exécution en nature est impossible ou manifestement disproportionnée, le stipulant pourra obtenir une indemnisation destinée à réparer l’inexécution de l’obligation contractuelle.

Ainsi, même si le bénéficiaire est titulaire d’un droit propre contre le promettant, la stipulation pour autrui ne dépossède pas le stipulant de son pouvoir d’intervention. Il conserve un intérêt légitime à veiller à l’exécution des engagements souscrits et peut, en conséquence, agir contre le promettant pour garantir l’effectivité de la stipulation.

b. L’action en résolution du contrat pour inexécution du promettant

Lorsqu’un contrat est créateur d’une stipulation pour autrui, il est admis que le stipulant puisse en solliciter la résolution en cas d’inexécution par le promettant. Cette faculté repose sur un principe fondamental : la stipulation pour autrui ne saurait subsister si le contrat dont elle est issue disparaît.

Ainsi, si le promettant manque à ses obligations à l’égard du bénéficiaire, le stipulant peut saisir le juge afin d’obtenir l’anéantissement rétroactif du contrat. Cette solution est largement consacrée par la jurisprudence, qui considère que le stipulant, en sa qualité de partie contractante, demeure en droit d’invoquer la résolution du contrat principal, même lorsque cette inexécution concerne exclusivement la prestation due au bénéficiaire.

Toutefois, le principe d’irrévocabilité de la stipulation après acceptation par le bénéficiaire vient tempérer ce pouvoir. En effet, une fois l’acceptation intervenue, la stipulation pour autrui acquiert une autonomie qui la protège d’une remise en cause arbitraire par le stipulant. La résolution du contrat devient alors plus délicate à obtenir et suppose un équilibre entre :

  • Le principe de l’irrévocabilité du droit du bénéficiaire, qui empêche le stipulant de remettre en cause la stipulation de manière unilatérale après acceptation ;
  • Le principe de dépendance du droit du bénéficiaire vis-à-vis du contrat dont il est issu, qui implique que la disparition du contrat entraîne logiquement celle de la stipulation.

Dès lors, si le bénéficiaire a accepté la stipulation, la résolution ne lui sera opposable que s’il a été mis en cause dans la procédure, conformément aux principes de l’autorité relative de la chose jugée. En revanche, en l’absence d’acceptation, la résolution s’impose naturellement, l’engagement du promettant envers le bénéficiaire trouvant exclusivement sa source dans le contrat initial.

Ainsi, l’action en résolution constitue une voie de droit essentielle pour le stipulant : elle lui permet d’exercer un contrôle sur la pérennité de la stipulation et de préserver ses intérêts en cas de défaillance du promettant.

c. L’action en responsabilité contractuelle pour obtenir des dommages-intérêts

Enfin, le stipulant peut solliciter une réparation pécuniaire lorsque l’inexécution du promettant lui cause un préjudice personnel. En effet, l’inexécution de la stipulation pour autrui ne saurait être neutre pour le stipulant : selon les circonstances, elle peut entraîner une atteinte à ses propres droits ou lui occasionner une perte financière.

L’action en responsabilité contractuelle du stipulant contre le promettant est susceptible d’intervenir dans deux situations:

  • Lorsque l’exécution de la stipulation conditionne une contrepartie due par le promettant. Tel est le cas, par exemple, lorsque le stipulant a prévu une prestation au profit du bénéficiaire en contrepartie d’une obligation réciproque du promettant. L’inexécution prive alors le stipulant de l’équilibre contractuel qu’il avait initialement recherché, justifiant ainsi une demande d’indemnisation.
  • Lorsque l’inexécution cause un préjudice propre au stipulant. L’absence d’exécution de la stipulation peut avoir des conséquences dommageables pour le stipulant lui-même, indépendamment des droits du bénéficiaire. Par exemple, si le stipulant avait un intérêt financier ou moral à voir la stipulation exécutée, il pourra prétendre à la réparation du préjudice subi.

Dans ces hypothèses, le stipulant peut solliciter l’octroi de dommages-intérêts sur le fondement de la responsabilité contractuelle, en démontrant :

  • Une inexécution imputable au promettant ;
  • Un préjudice personnellement subi ;
  • Un lien de causalité direct entre cette inexécution et son dommage.

Ainsi, le stipulant, loin d’être un simple intermédiaire passif dans l’opération de stipulation pour autrui, demeure pleinement investi d’un pouvoir d’action à l’égard du promettant.

3. L’incidence de la résolution du contrat sur les droits du bénéficiaire

La résolution du contrat créateur de la stipulation pour autrui soulève une question quant au sort du droit acquis par le bénéficiaire. En principe, l’anéantissement du contrat entraîne l’extinction de toutes les obligations qui en découlent, y compris celles résultant de la stipulation. Toutefois, lorsque le bénéficiaire a déjà accepté la stipulation, la situation se complexifie, suscitant une controverse doctrinale quant à la préservation ou à l’anéantissement de son droit.

a. Les thèses doctrinales

Deux approches doctrinales s’affrontent sur la question du maintien des droits du bénéficiaire après la résolution du contrat support :

  • L’autonomie du droit du bénéficiaire
    • Certains auteurs considèrent que, dès lors que le bénéficiaire a accepté la stipulation, son droit acquiert une autonomie qui le protège des aléas du contrat générateur.
    • Cette position repose sur le principe de l’irrévocabilité de la stipulation après acceptation, consacrée par l’article 1206, alinéa 3, du Code civil. L’idée sous-jacente est que le bénéficiaire ne saurait subir les conséquences d’un différend entre le stipulant et le promettant auquel il est étranger.
    • Ainsi, même en cas de résolution du contrat principal, la stipulation pour autrui perdurerait, contraignant le promettant à exécuter son obligation envers le bénéficiaire.
  • Le caractère accessoire du droit du bénéficiaire
    • À l’inverse, une autre partie de la doctrine soutient que le droit du bénéficiaire est intrinsèquement lié au contrat générateur de la stipulation, dont il constitue un accessoire.
    • Dans cette logique, la disparition du contrat principal emporte nécessairement l’extinction du droit du bénéficiaire, conformément au principe selon lequel l’accessoire suit le sort du principal.
    • Cette position repose sur une lecture rigoureuse du mécanisme de la stipulation pour autrui : le promettant ne s’engage pas directement envers le bénéficiaire, mais seulement en exécution d’une obligation contractuelle souscrite à l’égard du stipulant.
    • L’anéantissement de cette obligation contractuelle par voie de résolution priverait donc le bénéficiaire de tout fondement juridique pour réclamer l’exécution de la stipulation.

b. La solution jurisprudentielle

Face aux divergences doctrinales quant aux effets de la résolution du contrat générateur de la stipulation pour autrui, la jurisprudence a adopté une solution intermédiaire, conciliant l’irrévocabilité du droit du bénéficiaire avec la nécessité de préserver la cohérence contractuelle.

Cette position repose sur un critère déterminant : la mise en cause ou non du bénéficiaire dans l’instance en résolution. Deux situations doivent ainsi être distinguées.

==>La mise en cause du bénéficiaire dans l’instance en résolution : l’extinction de ses droits

Lorsqu’un litige survient entre le stipulant et le promettant et que la résolution du contrat est sollicitée, la jurisprudence exige que le bénéficiaire soit mis en cause dans l’instance. Cette exigence repose sur le principe de l’autorité relative de la chose jugée : un jugement ne saurait affecter les droits d’un tiers qui n’a pas été partie au litige.

Ainsi, si le bénéficiaire est appelé à la procédure, il a la possibilité de faire valoir ses arguments et de défendre son droit avant que le contrat ne soit anéanti. En pareille hypothèse, la résolution lui devient opposable et entraîne l’extinction de la stipulation pour autrui, dans la mesure où son fondement juridique disparaît.

Ce principe a été affirmé par la Cour de cassation dans un arrêt du 6 juin 1888 (Req., 6 juin 1888) aux termes duquel elle a jugé que la résolution prononcée en présence du bénéficiaire mettait fin à ses droits contre le promettant. La solution a été réaffirmée plus récemment dans des décisions portant sur la révocation de donations avec charges, lesquelles s’analysent en stipulations pour autrui (V. Cass. 1re civ., 7 juin 1989, n°87-14.648).

==>L’absence de mise en cause du bénéficiaire : la survie de la stipulation

En revanche, si le bénéficiaire n’a pas été mis en cause, il conserve son droit contre le promettant, qui ne pourra lui opposer la résolution du contrat principal. Dans ce cas, la stipulation survit à l’anéantissement du contrat, créant ainsi une obligation autonome du promettant envers le bénéficiaire.

Cette solution trouve son fondement dans l’idée qu’un tiers ne saurait être privé d’un droit dont il n’a pas eu l’opportunité de contester l’anéantissement devant un juge. Elle permet de garantir la sécurité juridique du bénéficiaire, en évitant qu’il ne soit soudainement privé de son droit sans avoir pu intervenir à la procédure.

La Cour de cassation a consacré cette approche dans un arrêt du 22 avril 1909 (Req., 22 avr. 1909, S. 1909, 1. 349), en refusant d’opposer la résolution du contrat au bénéficiaire d’une stipulation pour autrui qui n’avait pas été appelé à l’instance. Plus récemment, dans une affaire concernant l’assurance vie, elle a jugé que l’acceptation de la stipulation par le bénéficiaire créait un droit autonome, susceptible de survivre à la disparition du contrat initial (Cass. 1re civ., 12 mars 2002, n° 00-21.271).

==>Le recours du promettant contre le stipulant en cas d’exécution forcée

Lorsque la résolution du contrat ne peut être opposée au bénéficiaire, le promettant demeure tenu d’exécuter la stipulation, mais il conserve un recours en restitution contre le stipulant. Ce recours lui permet d’obtenir réparation du préjudice causé par l’exécution forcée d’une obligation qui aurait normalement dû disparaître avec le contrat initial.

La jurisprudence a confirmé que, dans une telle hypothèse, le promettant pouvait exercer une action en répétition des sommes versées (Cass. 1re civ., 14 déc. 1999, n° 97-20.040), ainsi qu’un recours en responsabilité contractuelle contre le stipulant s’il établissait un préjudice résultant de cette situation (Cass. com., 14 mai 1979, n°77-15.865).

4. Les recours dont dispose le promettant contre le stipulant aux fins d’exécution de ses obligations

Si la stipulation pour autrui confère au bénéficiaire un droit direct contre le promettant, elle ne réduit pas ce dernier à une position de simple débiteur passif, entièrement tributaire de la volonté du stipulant. En effet, en tant que partie au contrat générateur de la stipulation, le promettant conserve des voies de recours contre le stipulant, notamment lorsque ce dernier manque à ses propres engagements.

Ces recours revêtent une importance particulière dans le cadre d’un contrat synallagmatique, où l’obligation du promettant envers le bénéficiaire trouve sa contrepartie dans une prestation due par le stipulant. En ce sens, deux grandes catégories de recours sont ouvertes au promettant :

  • L’opposabilité au bénéficiaire des exceptions issues du contrat principal
  • Le recours en restitution contre le stipulant en cas d’exécution contrainte de la stipulation

a. L’opposabilité au bénéficiaire des exceptions tirées du contrat principal

Bien qu’il soit tenu d’une obligation à l’égard du bénéficiaire, le promettant conserve la possibilité d’invoquer des exceptions tirées du contrat conclu avec le stipulant. Ces exceptions lui permettent de suspendre ou de refuser l’exécution de l’obligation stipulée lorsque le contrat générateur n’est pas exécuté dans les conditions prévues.

==>L’exception d’inexécution

Le promettant peut opposer l’exception d’inexécution lorsque le stipulant n’a pas rempli ses obligations issues du contrat principal. Cette possibilité, consacrée par l’article 1219 du Code civil, permet au promettant de suspendre l’exécution de son obligation tant que le stipulant demeure défaillant.

En matière d’assurance vie, la jurisprudence admet que si le souscripteur n’a pas versé les primes dues, l’assureur peut refuser de verser le capital au bénéficiaire (Cass. 1re civ., 7 juin 1989, n° 87-14.648).

==>L’exception de nullité ou de résolution du contrat principal

Si le contrat générateur de la stipulation est entaché d’une cause de nullité ou fait l’objet d’une résolution, le promettant peut invoquer cette circonstance pour refuser d’exécuter l’obligation stipulée au profit du bénéficiaire.

La jurisprudence reconnaît en effet que le bénéficiaire ne peut prétendre à un droit dont le fondement juridique a disparu avec le contrat principal (Cass. 1re civ., 14 déc. 1999, n°97-20.040).

==>Limites aux exceptions opposables au bénéficiaire

Toutefois, le promettant ne peut pas opposer au bénéficiaire certaines exceptions personnelles au stipulant, notamment celles tenant à l’incapacité du stipulant ou à un vice du consentement, conformément aux articles 1147 et 1181 du Code civil.

Ainsi, si le contrat principal est annulé pour cause d’incapacité du stipulant, le promettant ne pourra pas s’en prévaloir à l’encontre du bénéficiaire (Cass. 1re civ., 12 mars 2002, n°00-21.271).

b. Le recours du promettant contre le stipulant en cas d’exécution forcée de la stipulation

Lorsqu’un promettant est contraint d’exécuter la stipulation malgré la disparition du contrat principal, il peut exercer un recours en restitution contre le stipulant. Ce recours repose sur le principe selon lequel le promettant ne doit pas être tenu d’exécuter une obligation qui a perdu son fondement contractuel.

==>L’action en répétition des prestations indûment exécutées

Si le promettant a été contraint d’exécuter une obligation au bénéfice du tiers alors que le contrat générateur a été annulé ou résolu, il peut exiger la restitution des prestations versées auprès du stipulant.

Ce principe s’inscrit dans la logique des restitutions consécutives à l’anéantissement d’un contrat, consacrée par l’article 1352 du Code civil et confirmée par la jurisprudence (Cass. req., 22 avr. 1909).

==>Le recours en responsabilité contractuelle contre le stipulant

Dans l’hypothèse où le promettant a dû exécuter la stipulation en raison d’un manquement du stipulant, il pourra engager la responsabilité contractuelle de ce dernier pour obtenir réparation du préjudice subi.

Ce recours suppose de prouver :

  • Un manquement contractuel du stipulant
  • Un préjudice pour le promettant
  • Un lien de causalité entre la faute du stipulant et le préjudice du promettant

Dans une affaire où un constructeur-promettant avait dû exécuter des travaux en faveur d’un bénéficiaire alors que le maître d’ouvrage (stipulant) n’avait pas payé le prix convenu, la Cour de cassation a admis son recours en responsabilité contractuelle contre le stipulant (Cass. com., 14 mai 1979).

c. Les actions dont dispose le stipulant après l’exécution de la stipulation

Bien que la stipulation pour autrui crée un droit direct au profit du bénéficiaire, elle ne prive pas pour autant le stipulant de toute action après l’exécution de l’obligation du promettant.

==>Le renouvellement des sûretés attachées à la créance du bénéficiaire

Lorsque la stipulation est assortie d’une sûreté garantissant l’exécution de la prestation due au bénéficiaire (gage, hypothèque, cautionnement), le stipulant peut prendre l’initiative de renouveler ces garanties afin de préserver le droit du bénéficiaire.

La Cour de cassation a reconnu la possibilité pour le stipulant de renouveler une hypothèque inscrite en garantie d’une obligation au profit d’un bénéficiaire (Cass. civ., 16 avr. 1894).

==>L’intervention en justice pour défendre l’exécution de la stipulation

Le stipulant, en sa qualité d’instigateur de la stipulation, peut également agir en justice pour garantir l’exécution de l’obligation souscrite par le promettant envers le bénéficiaire.

Par exemple, la Cour de cassation a admis que le stipulant puisse prendre des mesures conservatoires pour protéger le droit du bénéficiaire, notamment en saisissant des créances du promettant (Cass. civ., 16 janv. 1888)

B) Les effets dans les rapports entre le promettant et le tiers bénéficiaire

La stipulation pour autrui est un mécanisme contractuel singulier, permettant à un stipulant d’octroyer un droit à un tiers bénéficiaire, bien que celui-ci ne soit pas partie au contrat initial. Ce droit, d’abord rattaché à la volonté du stipulant, s’en émancipe progressivement pour devenir pleinement autonome dès qu’il est accepté par le bénéficiaire. Ainsi, l’équilibre entre la liberté contractuelle du stipulant et la protection du bénéficiaire repose sur trois principes essentiels : un droit direct conféré indépendamment de toute acceptation, une révocabilité tant que le bénéficiaire ne s’est pas prononcé, et une irrévocabilité consacrée par son adhésion à la stipulation.

1. Un droit direct conféré au bénéficiaire indépendamment de son acceptation

La stipulation pour autrui confère au bénéficiaire un droit direct et autonome à l’encontre du promettant, indépendamment de toute acceptation préalable de sa part. En d’autres termes, dès l’instant où la stipulation est réalisée, le bénéficiaire se trouve investi d’un droit de créance, qu’il peut faire valoir sans avoir à intervenir dans la formation du contrat initial. Ce principe, affirmé par l’article 1206, alinéa 1ere du Code civil, traduit une exception marquante au principe de l’effet relatif des contrats.

==>L’attribution immédiate d’un droit de créance au bénéficiaire

La jurisprudence reconnaît depuis longtemps que la stipulation pour autrui confère immédiatement au bénéficiaire un droit de créance opposable au promettant, sans qu’il ait besoin d’exprimer son accord (Cass. civ., 8 févr. 1888).

Ce droit peut naître de deux façons :

  • Une désignation immédiate du bénéficiaire au moment de la conclusion du contrat
    • Dès que le stipulant et le promettant concluent leur accord, le bénéficiaire est investi de son droit.
    • Il peut alors exiger directement du promettant l’exécution de la prestation convenue, sans intervention du stipulant.
  • Une désignation ultérieure du bénéficiaire
    • Dans ce cas, le stipulant modifie après coup le contrat pour désigner un bénéficiaire.
    • Une fois la désignation effectuée, ce dernier devient automatiquement titulaire de la créance, sans qu’il ait besoin de donner son accord préalable.

Dans tous les cas, la stipulation pour autrui opère un transfert immédiat du droit au bénéficiaire. Celui-ci peut donc exiger l’exécution de l’obligation sans qu’aucune formalité d’acceptation ne soit requise à ce stade. Cependant, tant qu’il ne l’a pas expressément acceptée, son droit demeure précaire et peut être révoqué par le stipulant.

==>Une action directe du bénéficiaire contre le promettant

L’un des principaux effets de la stipulation pour autrui réside dans la possibilité pour le bénéficiaire d’agir directement contre le promettant, sans que l’intervention du stipulant ne soit requise. Ce droit d’agir directement contre le promettant est reconnu par la Cour de cassation, qui affirme que le bénéficiaire peut réclamer l’exécution de la prestation directement entre les mains du promettant (Cass. com., 12 mai 1981, n°77-14.793).

Cette action ne dépend en rien de la volonté du stipulant : une fois la stipulation réalisée, le bénéficiaire dispose d’un droit propre, indépendant de toute demande ou validation du stipulant. Le promettant est ainsi juridiquement tenu envers le bénéficiaire comme s’il était directement partie au contrat, bien qu’il n’ait contracté initialement qu’avec le stipulant.

==>L’encadrement du droit du bénéficiaire par le contrat initial

Bien que le droit du bénéficiaire soit direct et opposable, il n’échappe pas aux limites et conditions fixées par le contrat initial. En effet, la créance dont il bénéficie découle exclusivement de l’accord entre le stipulant et le promettant, ce qui emporte plusieurs conséquences :

  • Le bénéficiaire ne peut prétendre à plus de droits que ceux prévus dans le contrat initial. Ainsi, il ne saurait revendiquer une prestation plus favorable ou en des termes différents de ceux établis par le stipulant et le promettant (Cass. com., 22 févr. 1950).
  • Le promettant peut lui opposer les exceptions inhérentes au contrat initial, comme l’extinction de l’obligation due à une inexécution fautive du stipulant, la survenance d’une condition résolutoire ou encore un vice du consentement affectant la formation du contrat (Cass. 1ere civ., 4 mai 1955)
  • La validité du contrat principal conditionne l’existence du droit du bénéficiaire. Si le contrat est nul ou anéanti, la stipulation pour autrui disparaît de plein droit, privant ainsi le bénéficiaire de toute prétention contre le promettant (Cass. 1ere civ., 17 mai 2005, n° 03-14.077).

En matière d’assurance sur la vie, ces principes sont codifiés à l’article L. 132-12 du Code des assurances, qui précise que le droit du bénéficiaire existe dès la conclusion du contrat, quelle que soit la date de sa désignation. Toutefois, tant que le bénéficiaire ne manifeste pas son adhésion à la stipulation, ce droit demeure fragile, car il reste à la merci d’une révocation par le stipulant.

==>L’incidence des clauses stipulées dans le contrat initial sur les droits du bénéficiaire

Le droit du bénéficiaire ne s’exerce pas en dehors du cadre contractuel qui le fonde. Dès lors, les clauses du contrat initial lui sont opposables, notamment :

  • Les clauses limitatives de responsabilité, qui peuvent restreindre l’étendue des obligations du promettant ;
  • Les clauses d’exclusion, notamment en matière d’assurance, où l’assureur peut refuser d’indemniser le bénéficiaire en raison des exclusions prévues dans le contrat (Cass. 1ere civ., 20 juill. 1981, n° 80-13.752) ;
  • Les clauses compromissoires et attributives de compétence, qui ont vocation à s’imposer au bénéficiaire si elles figurent dans le contrat principal (Cass. 1ere civ., 11 juill. 2006, n° 03-11.983).

Toutefois, la doctrine critique cette extension des clauses au bénéficiaire, considérant qu’il n’est pas partie au contrat et ne devrait pas être contraint par une clause compromissoire sauf acceptation expresse de sa part.

==>Un droit conféré sous conditions et limites contractuelles

Enfin, si la stipulation pour autrui octroie un droit direct au bénéficiaire, certaines situations peuvent en limiter les effets :

  • L’incapacité du stipulant : si le stipulant était juridiquement inapte à contracter, la stipulation pour autrui sera privée d’effet (Cass. 1ere civ., 8 mai 1979, n° 77-13.339).
  • L’inopposabilité de certaines clauses : le bénéficiaire ne peut se prévaloir d’une clause pénale prévue dans le contrat principal s’il n’en est pas expressément attributaire (Cass. com., 23 mai 1989, n° 86-14.936).

2. Un droit révocable jusqu’à l’acceptation du tiers bénéficiaire

Si la stipulation pour autrui confère immédiatement un droit au bénéficiaire, ce dernier demeure précaire tant qu’il ne l’a pas accepté. En effet, l’article 1206, alinéa 2 du Code civil dispose que « tant que le bénéficiaire ne l’a pas acceptée, le stipulant peut la révoquer ». Ce principe repose sur l’idée que le stipulant, à l’origine du droit conféré, conserve la maîtrise de son engagement jusqu’à ce qu’il devienne irrévocable par l’acceptation du bénéficiaire.

Cette faculté de révocation du stipulant, qui constitue le pendant négatif de son pouvoir d’attribution, se caractérise par trois éléments essentiels : son caractère unilatéral, discrétionnaire et effectif à compter de sa notification.

a. La faculté de révocation du stipulant

==>Le caractère unilatéral du droit de révocation

Le stipulant est le seul maître du sort de la stipulation tant que le bénéficiaire ne l’a pas acceptée. Il peut donc décider seul, sans requérir l’accord ni du bénéficiaire ni du promettant, de modifier, supprimer ou substituer un autre bénéficiaire à celui initialement désigné.

Ce principe a été consacré par la jurisprudence dès le XIX? siècle, qui a affirmé que le stipulant dispose d’une liberté absolue de rétractation avant acceptation du bénéficiaire (Cass. civ., 27 déc. 1853).

==>Le caractère discrétionnaire du droit de révocation

Le stipulant peut exercer sa faculté de révocation librement, sans condition de forme ou de justification. La doctrine souligne que cette prérogative repose sur le principe de l’autonomie de la volonté, qui lui permet de modifier à tout moment l’acte de stipulation.

Toutefois, des limites à cette liberté ont été reconnues par la jurisprudence :

  • Lorsque le promettant a un intérêt légitime dans la stipulation (économique ou moral), son consentement peut être requis pour révoquer la stipulation (CA Grenoble, 6 avr. 1881).
  • Une clause contractuelle peut prévoir que la stipulation est irrévocable dès son origine, restreignant ainsi la faculté du stipulant de la modifier ou de la supprimer (Cass. req., 30 juill. 1877).
  • En cas d’abus de droit, la révocation pourrait être sanctionnée si elle est exercée dans des conditions contraires à la bonne foi contractuelle (art. 1104 du Code civil).

==>Le caractère réceptice du droit de révocation

Bien que le stipulant soit libre de révoquer la stipulation, l’effet de cette révocation n’est pas automatique : l’article 1207, alinéa 3 du Code civil impose qu’elle soit portée à la connaissance du bénéficiaire ou du promettant pour être opposable. Cette exigence vise à garantir la sécurité juridique des parties et à éviter toute exécution d’une prestation en faveur d’un bénéficiaire dont le droit aurait disparu.

b. Les conditions d’exercice du droit de révocation

La révocation ne peut être exercée que sous certaines conditions tenant à la durée du pouvoir de révocation et à son extinction en cas d’acceptation du bénéficiaire.

==>Une faculté limitée dans le temps

Le pouvoir de révocation du stipulant disparaît dès l’acceptation du bénéficiaire. En vertu de l’article 1206, alinéas 2 et 3 du Code civil, dès que le bénéficiaire accepte la stipulation, celle-ci devient irrévocable.

La jurisprudence a confirmé ce principe, notamment en matière d’assurance sur la vie : tant que le bénéficiaire n’a pas accepté la désignation, l’assuré conserve un droit absolu de révocation. En revanche, dès que l’acceptation intervient, la stipulation devient définitive, rendant toute révocation impossible (Cass. 1ere civ., 17 nov. 2021, n° 20-12.711).

==>Le droit de révocation peut être exercé par les héritiers

Si le stipulant décède avant d’avoir révoqué la stipulation, ses héritiers peuvent encore le faire, sous réserve de respecter un délai strict. L’article 1207, alinéa 1er du Code civil prévoit qu’ils doivent mettre le bénéficiaire en demeure d’accepter dans un délai de trois mois. À défaut d’acceptation dans ce délai, la stipulation est réputée révoquée.

c. Les modalités d’exercice du droit de révocation

La révocation peut être expresse ou tacite, mais elle doit être notifiée pour produire effet.

En effet, aucune forme spécifique n’est requise pour révoquer la stipulation. Elle peut être :

  • Expresse : par une déclaration écrite (courrier, acte notarié, avenant au contrat principal) ou verbale.
  • Tacite : par un acte manifestant sans équivoque la volonté du stipulant d’anéantir la stipulation (par exemple, la désignation d’un nouveau bénéficiaire).

En matière d’assurance sur la vie, la jurisprudence a reconnu qu’un testament révoquant une désignation bénéficiaire pouvait suffire à caractériser la révocation, même si l’assureur n’en était pas informé immédiatement (Cass. 1ere civ., 24 juin 1969).

Bien que le stipulant puisse révoquer la stipulation librement, cette révocation ne produit effet qu’une fois notifiée au bénéficiaire ou au promettant (art. 1207, alinéa 3 du Code civil).

Cette règle poursuit un double objectif :

  • Sécuriser la situation du bénéficiaire : tant qu’il n’a pas été informé de la révocation, il peut toujours accepter la stipulation et la rendre irrévocable.
  • Protéger le promettant : pour éviter qu’il exécute une obligation au profit d’un bénéficiaire dont le droit a été supprimé.

En cas d’acceptation du bénéficiaire avant que la révocation ne lui soit notifiée, la révocation devient sans effet (Cass. soc., 5 janv. 1956).

d. Les effets de la révocation

Une fois notifiée, la révocation anéantit rétroactivement le droit du bénéficiaire. Celui-ci est censé n’en avoir jamais été titulaire (art. 1207, alinéa 5 du Code civil).

Si la révocation est pure et simple, la stipulation disparaît, mais le contrat principal subsiste. En revanche, si la stipulation était essentielle à l’équilibre du contrat, la disparition de la stipulation peut entraîner celle du contrat principal.

  • Sort de la prestation après révocation
    • Si aucun nouveau bénéficiaire n’est désigné, la prestation profite au stipulant ou à ses héritiers (Cass. civ., 27 déc. 1853).
    • Si un nouveau bénéficiaire est désigné, la stipulation est maintenue mais le droit direct est transféré au nouveau bénéficiaire (art. 1207, alinéa 2 du Code civil).
  • Opposabilité de la révocation
    • Une fois notifiée, la révocation devient opposable au bénéficiaire, qui ne peut plus prétendre au bénéfice du contrat.
    • Si le promettant exécute la prestation en faveur d’un bénéficiaire révoqué faute d’avoir été informé, il peut réclamer restitution au bénéficiaire initial (Cass. 2? civ., 13 juin 2019, n° 18-14.954).

3. Un droit irrévocable après l’acceptation du tiers bénéficiaire

L’acceptation de la stipulation pour autrui marque une rupture décisive dans la construction juridique de cette institution. Tant qu’elle n’intervient pas, le bénéficiaire demeure dans une situation d’incertitude, ne tenant son droit qu’à la volonté révocable du stipulant. Mais dès lors qu’il exprime son adhésion, ce droit se fige : il acquiert un caractère irrévocable, devient pleinement opposable au promettant et échappe définitivement au pouvoir de modification du stipulant.

Cette transition d’un droit fragile à un droit définitivement établi s’inscrit dans un cadre juridique rigoureusement structuré, régi par les articles 1206 à 1208 du Code civil, et, en matière d’assurance sur la vie, par l’article L. 132-9 du Code des assurances.

a. La faculté d’acceptation

L’acceptation de la stipulation pour autrui ne constitue en aucun cas une obligation pour le bénéficiaire : elle demeure une simple faculté, dont l’exercice relève de son libre arbitre. Ni le stipulant, ni le promettant ne peuvent le contraindre à accepter un droit qui lui est conféré.

Cette liberté trouve son fondement dans la nature même de la stipulation pour autrui, qui confère un avantage sans imposer de charge au bénéficiaire. Contrairement à un engagement contractuel classique, la stipulation ne crée aucune obligation tant que le bénéficiaire ne manifeste pas sa volonté de l’accepter.

==>Un droit discrétionnaire

Aussi, le bénéficiaire dispose d’un pouvoir souverain de décision quant à l’acceptation de la stipulation. Il peut choisir d’accepter ou de refuser le bénéfice qui lui est offert, sans avoir à en justifier les raisons.

Exemple: une personne désignée bénéficiaire d’une assurance-vie peut refuser ce bénéfice, notamment si elle ne souhaite pas être impliquée dans une situation successorale complexe.

Le refus du bénéficiaire entraîne la caducité de la stipulation. Aucun droit ne peut plus être revendiqué sur ce fondement.

==>Absence d’effet contraignant

Tant que le bénéficiaire ne s’est pas prononcé, aucune obligation ne pèse sur lui. Il ne peut être tenu d’exécuter une quelconque prestation, ni même d’assumer une quelconque responsabilité juridique.

Dès lors, un bénéficiaire désigné dans un contrat d’assurance-vie n’a aucun devoir envers l’assureur ni envers le souscripteur tant qu’il n’a pas accepté la stipulation. Il n’a donc pas à justifier son silence, ni ne s’expose à une action en responsabilité à raison de sa passivité.

==>Un droit précaire

Avant toute acceptation, le droit conféré au bénéficiaire reste fragile et révocable. Le stipulant conserve ainsi la faculté de modifier ou de rétracter son engagement à tout moment, sans que le bénéficiaire puisse s’y opposer.

La Cour de cassation a confirmé dès le XIX? siècle que, tant que l’acceptation n’est pas intervenue, le stipulant dispose d’un droit absolu de révocation (Cass. civ., 27 déc. 1853).

Exemple pratique :

  • Un souscripteur d’une assurance-vie peut modifier la clause bénéficiaire tant que le bénéficiaire initial ne l’a pas acceptée.
  • De même, dans un contrat de prestation de services, une entreprise peut révoquer une stipulation au profit d’un tiers avant que celui-ci ne manifeste son acceptation.

==>Les options ouvertes au bénéficiaire

Le bénéficiaire dispose de trois options, chacune ayant des conséquences distinctes :

  • Accepter la stipulation
    • L’acceptation a pour effet de consolider définitivement le droit conféré au bénéficiaire :
      • Le stipulant perd alors tout pouvoir de révocation.
      • Le bénéficiaire devient créancier direct du promettant.
    • Exemple : Lorsqu’un bénéficiaire accepte une assurance-vie, il devient le titulaire irrévocable du droit sur le capital garanti, et le souscripteur ne peut plus en modifier les termes.
  • Refuser le bénéfice de la stipulation
    • Si le bénéficiaire rejette la stipulation, celle-ci est anéantie et devient définitivement caduque.
    • Cette situation peut survenir, par exemple, lorsque l’acceptation de la stipulation entraînerait des conséquences fiscales indésirables ou un conflit d’intérêts.
    • Exemple: un bénéficiaire refuse un contrat d’assurance-vie pour éviter des frais fiscaux ou une gestion successorale complexe.
  • Ne pas se prononcer
    • Lorsque le bénéficiaire demeure silencieux et ne manifeste ni acceptation ni refus, la stipulation pour autrui reste en suspens, dans une situation juridique incertaine.
    • Cette absence de prise de position n’éteint pas la stipulation, mais la laisse dans un état précaire, où aucun droit définitif n’est acquis et où la faculté de révocation du stipulant demeure entière.
    • Tant que le bénéficiaire ne se prononce pas :
      • Le stipulant conserve un pouvoir discrétionnaire de révocation : il peut revenir sur son engagement à tout moment, sans avoir à justifier sa décision.
      • Le promettant n’est pas tenu envers le bénéficiaire : tant que ce dernier n’a pas accepté, aucune créance n’est constituée en sa faveur et le promettant ne peut être contraint d’exécuter l’obligation stipulée.
    • Exemple en matière d’assurance-vie:
      • Un bénéficiaire qui tarde à accepter ne fait naître aucune obligation à la charge de l’assureur.
      • L’assureur peut solliciter une clarification afin de savoir si le capital doit être versé au bénéficiaire désigné ou si un autre bénéficiaire doit être désigné en substitution.

b. Les conditions de l’acceptation

L’acceptation, en tant qu’acte juridique unilatéral du bénéficiaire, doit satisfaire aux conditions générales de validité des actes juridiques, telles que définies par le Code civil.

==>La capacité du bénéficiaire

L’acceptation suppose que le bénéficiaire soit juridiquement capable d’exercer ses droits. La jurisprudence considère que cette capacité doit être appréciée au jour de l’attribution du droit (Cass. civ., 8 févr. 1888), ce qui implique que si le bénéficiaire est frappé d’une incapacité à cette date, il ne pourra pas valablement accepter la stipulation sans l’intervention d’un représentant légal.

Si le bénéficiaire est frappé d’une incapacité juridique (mineur non émancipé, majeur sous tutelle, etc.), son représentant légal peut accepter la stipulation pour son compte. Cependant, cette acceptation ne doit pas être équivoque et doit clairement manifester l’intention du représentant d’accepter la stipulation au nom du bénéficiaire.

Toutefois, en matière d’assurance sur la vie, une protection supplémentaire est prévue afin d’éviter les abus ou l’exploitation d’un bénéficiaire vulnérable. Ainsi, l’article L. 132-4-1, alinéa 4 du Code des assurances dispose que l’acceptation d’un bénéficiaire sous tutelle ou curatelle peut être annulée si son incapacité était notoire ou connue du cocontractant au moment de l’acte.

Aussi, lorsqu’une personne vulnérable est désignée bénéficiaire d’une assurance-vie, l’assureur doit s’assurer de la capacité du bénéficiaire ou de son représentant avant d’enregistrer une acceptation, sous peine de voir l’acte annulé pour cause d’incapacité manifeste.

==>L’absence de vice du consentement

L’acceptation de la stipulation pour autrui doit être donnée en toute liberté et sans contrainte. Dès lors, elle doit être exempte d’erreur, de dol ou de violence, conformément aux principes généraux régissant la validité des actes juridiques (art. 1130 et s. du Code civil).

  • L’erreur
    • L’erreur peut affecter la validité de l’acceptation si elle porte sur l’objet même de la stipulation.
    • Par exemple, si le bénéficiaire accepte en croyant que la stipulation porte sur une prestation plus avantageuse qu’elle ne l’est en réalité, son consentement pourrait être remis en cause.
    • Exemple pratique: un bénéficiaire accepte un contrat d’assurance-vie en pensant qu’il percevra immédiatement un capital alors que la clause ne prévoit qu’un versement différé sous condition suspensive. S’il prouve que cette erreur était déterminante dans sa décision, il pourrait demander l’annulation de son acceptation.
  • Le dol
    • Le dol, défini comme une manœuvre frauduleuse ayant pour objet de tromper une personne et de l’inciter à contracter, constitue un vice du consentement susceptible d’entacher l’acceptation de nullité
    • Application en assurance-vie : si un stipulant ou un assureur cache volontairement des informations essentielles au bénéficiaire pour l’inciter à accepter la stipulation, cette acceptation pourrait être frappée de nullité pour dol.
  • La violence
    • L’acceptation doit être exempte de toute contrainte physique ou morale. Si un bénéficiaire accepte sous la pression d’un tiers (chantage, menace, abus de faiblesse), il pourrait contester son engagement et obtenir son annulation.
    • Exemple : un parent exerçant une pression morale sur son enfant pour qu’il accepte une stipulation dans un contrat d’assurance au profit d’un tiers non désiré pourrait voir cette acceptation annulée pour violence morale.

==>Une stipulation précise et déterminée

L’acceptation de la stipulation pour autrui ne saurait être efficace que si le bénéficiaire est en mesure d’identifier avec certitude les droits qui lui sont conférés. À défaut, l’acceptation reposerait sur une base incertaine, dépourvue de toute valeur juridique. Ce principe trouve son fondement dans l’exigence générale de détermination de l’objet des obligations, telle que consacrée par l’article 1128 du Code civil, qui impose que tout engagement juridique repose sur un objet certain et déterminé.

En effet, l’identification du droit conféré au bénéficiaire constitue une condition essentielle à la validité de son acceptation. Il ne peut exprimer un consentement éclairé qu’à la condition de connaître exactement l’étendue de la stipulation. L’objet de cette dernière doit être formulé en des termes suffisamment clairs pour éviter toute ambiguïté ou interprétation divergente.

Si la stipulation est trop vague, le bénéficiaire se trouverait dans l’impossibilité d’évaluer la portée de son droit et d’exercer librement sa faculté d’acceptation.

La jurisprudence est venue réaffirmer cette exigence en jugeant que le bénéficiaire doit être en mesure d’identifier sans équivoque les avantages qui lui sont conférés, sous peine d’invalidité de l’acceptation (Cass. civ., 8 févr. 1888).

Une stipulation qui se contenterait de mentionner « un avantage financier dont les modalités seront définies ultérieurement » ne saurait être acceptée valablement, faute d’éléments objectifs permettant d’en préciser la teneur.

L’exigence de détermination concerne tant la nature de la prestation que ses modalités d’exécution.

L’obligation stipulée doit être clairement définie et identifiable. Elle peut porter sur le versement d’une somme d’argent, l’octroi d’un droit particulier ou encore la fourniture d’une prestation en nature. Toutefois, elle ne peut être laissée à la seule discrétion du stipulant ou du promettant sans critères objectifs de détermination.

Ainsi, une clause prévoyant que « le bénéficiaire recevra un montant déterminé en fonction de la volonté du stipulant » est nulle, car elle repose sur un engagement potestatif, ce qui est prohibé par le droit des obligations (Cass. civ., 25 avr. 1903).

En matière d’assurance-vie, l’article L. 132-9, II du Code des assurances impose que la clause bénéficiaire soit rédigée avec suffisamment de précision pour permettre une identification certaine du bénéficiaire et des droits qui lui sont conférés.

Une stipulation trop vague ne saurait produire d’effet juridique. L’exigence de détermination joue ici un rôle fondamental de sécurité juridique, en garantissant que le bénéficiaire puisse comprendre l’étendue de ses droits et que le promettant puisse exécuter son engagement sans incertitude.

Par exemple, une clause stipulant que « le bénéficiaire recevra une aide financière adaptée à ses besoins » serait irrecevable, car elle ne précise ni le montant de l’aide, ni ses modalités d’octroi. Une telle clause pourrait être jugée nulle pour indétermination de l’objet (art. 1163 du Code civil).

Lorsqu’une stipulation offre plusieurs options de prestations, elle ne peut conférer un pouvoir discrétionnaire absolu au stipulant ou au promettant. Le choix entre plusieurs prestations doit être encadré par des critères objectifs. Ainsi, une clause précisant que « le bénéficiaire pourra recevoir soit une rente viagère, soit un capital forfaitaire de 100 000 € au choix du promettant » ne serait valide que si le contrat prévoit un mode de détermination du choix.

Par ailleurs, l’identification du bénéficiaire est également une condition de validité de la stipulation. Le droit conféré par celle-ci doit être attribué à une personne précisément désignée ou, à tout le moins, déterminable au moment de l’acceptation.

Lorsque le bénéficiaire est expressément désigné, la stipulation ne soulève aucune difficulté. En revanche, si la clause ne mentionne pas un nom précis, elle doit comporter des critères objectifs permettant d’identifier avec certitude la personne appelée à bénéficier de la prestation.

Ainsi, une stipulation prévoyant que « le bénéficiaire sera mon fils aîné » est valide, car elle repose sur un critère clair et vérifiable. En revanche, une désignation trop large, comme « l’un de mes proches », serait insuffisante et pourrait entraîner la caducité de la stipulation (Cass. civ., 7 oct. 1981).

En matière d’assurance-vie, la désignation du bénéficiaire doit respecter une rigueur particulière afin d’éviter toute contestation ultérieure. Une clause indiquant que « le bénéficiaire sera la personne vivant en concubinage avec moi au moment de mon décès » est considérée comme valide, dès lors qu’elle repose sur un critère objectif permettant d’identifier clairement le bénéficiaire.

c. Les modalités de l’acceptation

L’acceptation de la stipulation pour autrui constitue un acte juridique unilatéral qui peut prendre différentes formes, à condition qu’elle manifeste de manière claire et non équivoque la volonté du bénéficiaire d’adhérer aux droits qui lui sont conférés.

En l’absence d’exigences imposées par le Code civil, elle peut être expresse ou tacite. Toutefois, en matière d’assurance sur la vie, un formalisme particulier a été institué afin d’encadrer cette acceptation et d’en garantir l’opposabilité aux parties concernées.

==>L’acceptation expresse

L’acceptation est réputée expresse lorsqu’elle résulte d’une manifestation de volonté explicite du bénéficiaire, exprimée par écrit, verbalement ou par tout autre procédé ne laissant place à aucune équivoque quant à son intention d’adhérer à la stipulation.

L’article 1100-1 du Code civil exige que tout acte juridique unilatéral, tel que l’acceptation d’une stipulation pour autrui, soit formulé en des termes clairs et dépourvus d’ambiguïté. Par ailleurs, l’article 1172 du même code admet que l’acceptation puisse intervenir sous toute forme, sauf si un texte impose un formalisme spécifique.

La jurisprudence, dès le XIX? siècle, a consacré cette souplesse en affirmant que l’acceptation pouvait être rendue opposable au stipulant ou au promettant dès lors qu’elle résultait d’une déclaration expresse, qu’elle soit écrite ou verbale (Cass. civ., 25 avr. 1853).

Ainsi, l’acceptation peut se manifester de différentes manières :

  • Par l’envoi d’un écrit, tel qu’une lettre ou un courriel, adressé au stipulant ou au promettant.
  • Par une déclaration verbale dont l’existence peut être attestée par un écrit ou un témoignage.
  • Par l’insertion d’une mention explicite dans un acte juridique, tel qu’un testament ou un contrat.

Exemple pratique : en matière d’assurance-vie, si le bénéficiaire adresse une lettre recommandée à l’assureur et au souscripteur exprimant son acceptation, celle-ci devient irrévocable et prive le souscripteur de la faculté de modifier ultérieurement la clause bénéficiaire.

Toutefois, bien que l’acceptation expresse constitue la voie la plus sécurisante d’un point de vue juridique, elle ne constitue pas l’unique modalité d’adhésion à la stipulation, la jurisprudence reconnaissant également l’acceptation tacite lorsque certains indices factuels démontrent sans ambiguïté la volonté du bénéficiaire de se prévaloir du droit qui lui est conféré.

==>L’acceptation tacite

L’acceptation peut également résulter d’un comportement du bénéficiaire traduisant sans équivoque sa volonté d’adhérer à la stipulation. Ce mode d’acceptation repose sur une interprétation des actes du bénéficiaire, qui doivent être suffisamment explicites pour établir son intention.

La jurisprudence a reconnu plusieurs situations dans lesquelles une acceptation tacite peut être caractérisée :

  • La perception régulière d’une prestation : lorsque le bénéficiaire d’une rente prévue par la stipulation pour autrui commence à percevoir les versements et ne manifeste aucune opposition, son acceptation est présumée (Cass. req., 2 avr. 1912).
  • Le paiement des primes d’un contrat d’assurance-vie : lorsqu’un bénéficiaire prend en charge le règlement des cotisations, il manifeste son adhésion à la stipulation faite à son profit (CA Bordeaux, 21 mai 1885).
  • L’exercice de droits liés à la stipulation : le fait pour un bénéficiaire d’intenter une action en exécution de la stipulation traduit une acceptation implicite et irrévocable.

Cependant, certains comportements ne suffisent pas à établir une acceptation tacite.

La simple détention de l’original d’un contrat d’assurance-vie ne suffit pas à caractériser une acceptation tacite, sauf si d’autres éléments viennent corroborer cette intention (CA Paris, 3 janv. 1918).

A cet égard, un bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie qui détient une copie du contrat sans jamais en demander l’exécution ne peut être considéré comme ayant accepté tacitement la stipulation. En revanche, s’il engage des démarches auprès de l’assureur pour obtenir le versement du capital, l’acceptation sera considérée comme acquise.

L’acceptation tacite repose donc sur une analyse factuelle et peut donner lieu à des débats en cas de contentieux. Elle est moins sécurisante qu’une acceptation expresse et peut être contestée en l’absence d’éléments probants.

==>Régime spécial de l’assurance-vie

L’acceptation du bénéfice d’un contrat d’assurance-vie est encadrée par un formalisme rigoureux, imposé par l’article L. 132-9, II du Code des assurances. Ce régime spécifique vise à protéger le souscripteur en lui garantissant un contrôle effectif sur la désignation du bénéficiaire tant qu’il est en vie.

  • Avant le décès du souscripteur
    • Tant que le souscripteur est en vie, l’acceptation du bénéficiaire ne peut intervenir que sous l’une des deux formes suivantes :
      • Un avenant tripartite, signé par le souscripteur, le bénéficiaire et l’assureur. Cet acte engage définitivement les parties et empêche toute modification unilatérale ultérieure du bénéficiaire.
      • Un acte authentique ou sous seing privé, signé par le souscripteur et le bénéficiaire, qui doit ensuite être notifié à l’assureur. Cette notification constitue une formalité essentielle, permettant à l’assureur d’être informé officiellement du caractère désormais irrévocable de la désignation.
    • L’une de ces deux formalités doit impérativement être respectée pour que l’acceptation produise ses effets.
    • Une simple manifestation de volonté du bénéficiaire, même exprimée clairement, ne saurait suffire. Tant que cette acceptation formalisée n’a pas eu lieu, le souscripteur conserve la liberté de modifier la clause bénéficiaire sans restriction.
  • Après le décès du souscripteur
    • À compter du décès du souscripteur, les contraintes formelles disparaissent.
    • Le bénéficiaire peut alors accepter le bénéfice du contrat par tout moyen, que ce soit de manière expresse (par une déclaration écrite) ou tacite (par un acte révélant sans équivoque sa volonté d’accepter, comme la demande de versement du capital).

L’article L. 132-9, II du Code des assurances a suscité des interrogations quant à la portée de la signature de l’assureur dans l’avenant tripartite. Certains auteurs ont estimé que cette signature traduisait une forme d’adhésion contractuelle, transformant ainsi l’acceptation en un acte nécessitant le consentement de trois parties (stipulant, bénéficiaire, assureur). D’autres ont soutenu une lecture plus restrictive, considérant que la signature de l’assureur ne constituait qu’une formalisation administrative, destinée à garantir une bonne information des parties.

En tout état de cause, ce formalisme strict répond à un impératif de protection du souscripteur. Il empêche que l’acceptation du bénéficiaire ne soit réalisée à son insu ou sous une influence extérieure, et lui garantit la possibilité de revenir sur la désignation tant qu’il est en vie. Ce n’est qu’après acceptation formelle que le bénéficiaire acquiert un droit intangible, rendant toute modification impossible sans son consentement.

En définitive, le régime de l’acceptation en assurance-vie illustre l’équilibre recherché entre la protection du souscripteur et la consolidation des droits du bénéficiaire, en fonction du moment où intervient l’acceptation.

d. Les effets de l’acceptation

L’acceptation de la stipulation pour autrui marque une transformation décisive dans le régime juridique de l’attribution au profit du bénéficiaire. Tant qu’elle n’est pas intervenue, la stipulation demeure précaire et révocable, ne créant à son profit qu’une simple expectative. En revanche, dès que le bénéficiaire exprime son acceptation, son droit acquiert une assise définitive : il devient irrévocable et directement opposable au promettant, tout en échappant à l’influence du stipulant. Cette irrévocabilité s’impose de manière absolue et ne souffre d’aucune exception, sauf stipulation expresse contraire.

Si la doctrine s’interroge sur la nature rétroactive de l’acceptation, elle s’accorde néanmoins sur son caractère déclaratif. L’acte d’acceptation ne crée pas un droit nouveau, mais vient consolider un droit préexistant, sans en modifier la substance. Loin d’opérer un bouleversement dans l’économie du contrat initial, il fige les conditions de la stipulation et confère au bénéficiaire un droit désormais intangible.

Les effets de l’acceptation revêtent une intensité particulière en matière d’assurance-vie. Loin de se limiter à la seule irrévocabilité de l’attribution, elle prive le souscripteur de la faculté de rachat du contrat, empêchant ainsi toute remise en cause ultérieure du bénéfice conféré. Le droit du bénéficiaire se trouve ainsi définitivement cristallisé, s’imposant tant au promettant qu’au stipulant.

L’analyse des effets de l’acceptation peut dès lors être structurée autour de trois axes : l’irrévocabilité du droit du bénéficiaire, son opposabilité immédiate au promettant et les conséquences spécifiques qu’elle entraîne en matière d’assurance-vie.

==>L’irrévocabilité du droit du bénéficiaire

L’acceptation de la stipulation pour autrui opère une véritable cristallisation des droits du bénéficiaire en le plaçant hors d’atteinte des volontés ultérieures du stipulant. Avant cette manifestation de volonté, la stipulation demeure fragile et révocable : le stipulant conserve toute latitude pour en modifier ou en anéantir les effets. Toutefois, dès que le bénéficiaire accepte la stipulation, son droit devient intangible. L’article 1206, alinéa 3 du Code civil consacre ce principe en affirmant que l’acceptation rend l’attribution irrévocable. Toute tentative ultérieure du stipulant de modifier ou de révoquer la stipulation se heurte alors à une nullité de plein droit. La jurisprudence a confirmé cette règle avec constance, en affirmant que toute révocation postérieure à l’acceptation demeure dépourvue d’effet et ne saurait priver le bénéficiaire du droit qui lui a été conféré (Cass. 1re civ., 26 juin 1961).

L’irrévocabilité ainsi acquise ne se limite pas à la seule impossibilité de suppression du droit du bénéficiaire : elle s’étend également aux conditions de son exécution. L’acceptation fige définitivement les termes de l’engagement souscrit par le promettant, rendant toute modification ultérieure du contrat d’origine inopposable au bénéficiaire. Dès lors que ce dernier a accepté la stipulation, les évolutions contractuelles intervenues entre le stipulant et le promettant ne peuvent en aucun cas altérer ses droits. La Cour de cassation a consacré ce principe en jugeant qu’une modification du contrat conclu entre le stipulant et le promettant, postérieure à l’acceptation, reste sans effet sur la créance du bénéficiaire, qui demeure tenu aux conditions initialement convenues (Cass. 1re civ., 5 déc. 1978, n°77-14.029).

Cette règle revêt une importance particulière en matière d’assurance emprunteur. Une fois l’acceptation intervenue, toute modification du risque couvert par l’assureur, même convenue entre le stipulant et le promettant, ne saurait porter atteinte aux droits du bénéficiaire. Il en résulte une véritable stabilité juridique du mécanisme de la stipulation pour autrui, qui confère au bénéficiaire une protection efficace contre toute remise en cause ultérieure.

==>L’opposabilité immédiate au promettant

L’acceptation ne se borne pas à dessaisir le stipulant de sa faculté de révocation ; elle confère également au bénéficiaire un droit propre et directement opposable au promettant. Dès que l’acceptation est formulée, le bénéficiaire devient le créancier exclusif du promettant, lequel ne peut plus s’acquitter de son obligation qu’en exécutant la prestation à son profit. Toute tentative de paiement au stipulant, même conforme à la relation initiale entre ce dernier et le promettant, est juridiquement inopérante. La jurisprudence a consacré cette règle en affirmant que le bénéficiaire dispose, dès son acceptation, d’un droit autonome qui ne saurait être anéanti par un paiement effectué entre les mains du stipulant (Cass. 1re civ., 19 déc. 2000, n° 98-14.105).

Cette consécration du droit direct du bénéficiaire s’accompagne d’un corollaire essentiel: toute exécution irrégulière de l’obligation du promettant est frappée de nullité. Ainsi, le paiement effectué entre les mains du stipulant après acceptation ne produit aucun effet libératoire à l’égard du bénéficiaire, lequel demeure fondé à en exiger l’exécution intégrale. Ce principe confère à la stipulation pour autrui une efficacité propre, en soustrayant définitivement le bénéficiaire aux aléas des relations contractuelles initiales.

Toutefois, une partie de la doctrine s’est interrogée sur la possibilité d’une dérogation conventionnelle à cette règle. Il a ainsi été soutenu que le stipulant et le promettant pourraient convenir, dès la formation du contrat, que le droit direct du bénéficiaire demeurerait révocable malgré son acceptation. Une telle analyse, défendue notamment par Demogue suggère que l’acceptation du bénéficiaire ne ferait pas obstacle à une révocation convenue dès l’origine. Cette thèse reste cependant largement minoritaire et n’a reçu aucune consécration jurisprudentielle. La jurisprudence demeure en effet attachée au principe d’irrévocabilité du droit du bénéficiaire après acceptation, considérant que toute stipulation contraire porterait atteinte à la sécurité juridique du mécanisme de la stipulation pour autrui.

==>Les effets de l’acceptation en matière d’assurance-vie

L’acceptation produit des effets particulièrement marqués en matière d’assurance-vie, où elle a pour conséquence de priver le souscripteur de sa faculté de rachat. Avant acceptation, le souscripteur conserve la possibilité de modifier la clause bénéficiaire ou d’exercer son droit de rachat sur le contrat. En revanche, après acceptation, ces prérogatives lui échappent totalement. L’article L. 132-9, I du Code des assurances, dans sa version issue de la loi du 17 décembre 2007, consacre désormais ce principe en disposant qu’après acceptation, « le stipulant ne peut exercer sa faculté de rachat et l’entreprise d’assurance ne peut lui consentir d’avance sans l’accord du bénéficiaire ».

Cette interdiction du rachat a donné lieu à des controverses doctrinales et jurisprudentielles. Certains auteurs avaient soutenu que l’acceptation ne faisait pas obstacle à l’exercice du droit de rachat par le souscripteur, dès lors que ce droit était prévu dans le contrat et que le bénéficiaire avait accepté la stipulation en connaissance de cause. La chambre mixte de la Cour de cassation avait même admis, dans un premier temps, que l’acceptation du bénéficiaire ne privait pas nécessairement le souscripteur de sa faculté de rachat (Cass. ch. mixte, 22 févr. 2008, n°06-11.934). Toutefois, cette position a finalement été abandonnée au profit de la solution actuelle, qui consacre l’irrévocabilité de l’attribution après acceptation et l’interdiction corrélative du rachat.

La justification de cette solution repose sur la nature même de l’acceptation, qui équivaut à une acceptation de donation de la part du souscripteur. Or, en application des règles encadrant les donations, l’irrévocabilité constitue un principe d’ordre public, et la faculté de rachat reviendrait à vider l’acceptation de son effet juridique. Comme l’a souligné la doctrine, une clause par laquelle le souscripteur se réserverait la possibilité de racheter le contrat malgré l’acceptation du bénéficiaire serait contraire au principe d’irrévocabilité des donations et, à ce titre, juridiquement nulle[26].

Ainsi, en matière d’assurance-vie, l’acceptation ne se contente pas de figer les droits du bénéficiaire : elle soustrait également le contrat à toute possibilité de remise en cause par le souscripteur. Dès lors que le bénéficiaire a exprimé son acceptation, la stipulation lui devient définitivement acquise, et toute tentative du souscripteur de racheter le contrat en contradiction avec cette acceptation est juridiquement inefficace.

C) Les effets dans les rapports entre le stipulant et le tiers bénéficiaire

La stipulation pour autrui ne se réduit pas à la seule création d’un lien entre le bénéficiaire et le promettant. Elle instaure également une relation juridique entre le stipulant et le bénéficiaire, dont la nature et les effets varient selon l’intention qui a présidé à l’établissement de la stipulation dans le contrat principal. Cette relation, souvent sous-estimée, est pourtant fondamentale, car elle éclaire la portée véritable de la stipulation et détermine les éventuelles obligations réciproques des parties en présence.

==>Une relation qui peut être guidée par une intention libérale

Dans de nombreux cas, la stipulation pour autrui s’analyse comme une libéralité indirecte, en ce qu’elle vise à gratifier le bénéficiaire sans contrepartie. Cette qualification a des conséquences majeures, notamment en matière de protection des créanciers et des héritiers du stipulant.

D’une part, si la stipulation pour autrui a eu pour effet d’appauvrir le stipulant, ses créanciers peuvent agir par la voie de l’action paulienne pour en obtenir l’inopposabilité, à condition d’établir que la stipulation leur a causé un préjudice et qu’elle a été conclue en fraude de leurs droits.

D’autre part, en matière successorale, les héritiers du stipulant peuvent contester l’attribution au profit du bénéficiaire si celle-ci porte atteinte à la réserve héréditaire. Toutefois, cette contestation obéit à un régime particulier en ce qui concerne l’assurance-vie. L’article L. 132-13 du Code des assurances consacre en effet une règle spécifique selon laquelle seule la fraction des primes manifestement exagérées peut être réintégrée dans la succession. Le capital décès versé au bénéficiaire échappe ainsi à toute remise en cause, sauf en cas d’abus manifeste dans le versement des primes. Cette solution, largement admise par la jurisprudence, vise à préserver la spécificité du contrat d’assurance-vie en tant qu’instrument de prévoyance et de transmission patrimoniale.

==>L’absence d’obligation du stipulant envers le bénéficiaire

En principe, dès lors que la stipulation pour autrui a conféré un droit direct au bénéficiaire, le stipulant ne demeure tenu à aucune obligation à son égard. Le bénéficiaire ne peut exiger du stipulant qu’il veille à la bonne exécution de l’engagement pris par le promettant ni qu’il garantisse la prestation qui lui est due. Cette règle découle de la nature même de la stipulation pour autrui, qui repose sur un transfert de droit sans transfert d’obligation.

Le stipulant peut néanmoins choisir d’assumer un rôle plus actif dans la mise en œuvre de la stipulation. Ainsi, s’il s’engage expressément à garantir la réalisation de la prestation, il se trouve contractuellement tenu à l’égard du bénéficiaire. Dans cette hypothèse, une inexécution du promettant pourrait justifier une action du bénéficiaire contre le stipulant, fondée sur l’engagement de garantie souscrit. Toutefois, à défaut d’une stipulation expresse en ce sens, le bénéficiaire ne dispose d’aucun recours contre le stipulant et doit se retourner exclusivement contre le promettant pour faire valoir ses droits.

==>L’absence de recours du bénéficiaire contre le stipulant en cas d’échec de la stipulation

La question se pose avec acuité lorsque la stipulation pour autrui devient inefficace en raison d’une annulation ou d’une résolution du contrat principal. En pareil cas, le bénéficiaire se retrouve privé du droit qu’il croyait acquérir, et il pourrait être tenté d’agir contre le stipulant pour obtenir réparation du préjudice subi.

En principe, une telle action est irrecevable. La stipulation pour autrui ne crée en effet aucun engagement autonome du stipulant envers le bénéficiaire : son rôle se limite à instituer un droit au profit de ce dernier, mais sans obligation corrélative à sa charge. Ainsi, si le contrat principal est anéanti, la stipulation disparaît avec lui, sans que le bénéficiaire puisse en contester les effets. Cette solution, conforme aux principes généraux du droit des obligations, vise à éviter d’imputer au stipulant une responsabilité qui excéderait son engagement initial.

Toutefois, une exception mérite d’être relevée. Si le stipulant a expressément garanti au bénéficiaire la mise en œuvre de la stipulation, il pourrait voir sa responsabilité engagée en cas de défaillance du promettant. Une telle garantie ne se présume pas et doit résulter d’une clause expresse dans le contrat principal. En l’absence d’un tel engagement formel, le bénéficiaire demeure privé de tout recours contre le stipulant et doit exclusivement s’adresser au promettant pour obtenir l’exécution de la prestation qui lui est due.

 

 

 

  1. Pothier, Traité des obligations, 1761, n° 45. ?
  2. Planiol, Traité élémentaire de droit civil, t. 2, 1901, n° 1123. ?
  3. E. Gaudemet, Théorie générale des obligations, 1937, p. 237 ?
  4. Traité des obligations en général, t. VII, 1933, n° 77 ?
  5. M. Mignot, Commentaire article par article de l’ordonnance du 10 février 2016, LPA, 30 mars 2016, p. 11. ?
  6. F. Terré et Ph. Simler, Les obligations, Dalloz, 12e éd., 2019, n° 699. ?
  7. R. Remogue, Traité des obligations en général, t. VII, 1933, n° 759 ?
  8. J. Ghestin, Ch. Jamin et M. Billiau, Les effets du contrat, LGDJ, 3? éd. 2001, n° 967. ?
  9. R. Rodière, Droit des transports, Sirey, 2? éd., 1977, n° 364 ?
  10. Planiol, Traité élémentaire de droit civil, t. II, 3e éd., n° 629 ?
  11. J. Ghestin, Traité de droit civil, Les effets du contrat, LGDJ, 3e éd., 2001, n° 967 ?
  12. R. Demogue, Traité des obligations en général, t. VII, 1933, n° 77 ?
    1. Colin et H. Capitant, Traité de droit civil, t. II, Dalloz, 1959, n° 973

    ?

  13. R. Beudant, Cours de droit civil français, 1953, n° 941 ?
  14. Pothier, Traité des obligations, 1761, n° 45. ?
  15. Portalis, Discours préliminaire du Code civil, 1801. ?
  16. P. Esmein, Traité pratique de droit civil français, t. VI, 1952, n° 48 ?
  17. M. Mignot, Commentaire de l’ordonnance du 10 février 2016, LPA, 2016, n° 64, p. 11 ?
  18. M. Marty et M. Raynaud, Les obligations, t. 1, 2? éd., Sirey, 1988, n° 283. ?
  19. Eugène Gaudemet, Théorie générale des obligations, 1937, Dalloz, p. 243 ?
  20. Guy Flattet, Les contrats pour le compte d’autrui, thèse, Paris, 1950, n° 106 ?
  21. G. Ripert et J. Boulanger, Traité de droit civil, d’après le traité de M. Planiol, t. II, LGDJ, 1957, n° 630 et 642. ?
  22. J. Ghestin, C. Jamin et M. Billiau, Les effets du contrat, 3? éd., 2001, LGDJ, n° 994 ?
  23. Ph. Amsler, Donation à cause de mort et désignation du bénéficiaire d’une assurance de personnes, 1979, p. 68. ?
  24. D. R. Martin, La stipulation de contrat pour autrui, D. 1994. Chron. 145 ?
  25. M. Grimaldi, Les donations à terme, Études offertes à P. Catala, Litec 2001, n° 14, p. 432 ?