Les fondements de l’assurance: mutualisation des risques et gestion de l’aléa

La technique de l’assurance ne saurait se réduire à une simple mécanique contractuelle ou à la seule exécution d’un accord bilatéral entre un assureur et un assuré. Elle s’inscrit, plus fondamentalement, dans une architecture savante, à la croisée de plusieurs disciplines, où l’analyse probabiliste, la théorie de la mutualisation, l’équilibre actuariel et les logiques de gestion financière s’entrelacent pour former un dispositif d’une remarquable sophistication. Comme l’a souligné le André Besson, l’assurance constitue « une entreprise rationnelle d’organisation de la solidarité devant l’aléa » – autrement dit, un mécanisme destiné à apprivoiser l’incertitude par la prévision et la mise en commun.

Par-delà la figure du contrat, c’est bien une technique sociale, économique et mathématique qui se donne à voir, visant à transformer le risque individuel – par nature incertain et inégalement réparti – en une sécurité collective, organisée autour de la compensation des sinistres par la mutualisation des cotisations. L’assurance repose ainsi sur un principe fondamental : la dispersion des risques dans le temps, l’espace et parmi un grand nombre d’individus, selon une logique que Georges Ripert qualifiait déjà de «socialisation du hasard».

Cette construction repose sur un postulat méthodologique d’autant plus essentiel que les risques sont, par définition, futurs et incertains : c’est en effet dans l’anticipation, par des instruments d’observation, de mesure et de prévision, que réside l’efficacité du système. Dès lors, l’assurance ne se comprend qu’à la lumière des lois statistiques (notamment la loi des grands nombres) et de la théorie actuarielle, qui permettent de transformer l’incertain en calculable, l’inconnu en provisionné.

Aussi convient-il, pour en comprendre toute la portée, d’examiner les mécanismes qui en constituent le socle. Ces mécanismes relèvent de deux ordres distincts mais complémentaires : d’une part, les techniques d’organisation et de compensation du risque au sein d’une mutualité structurée ; d’autre part, les techniques de gestion financière et de maîtrise de l’équilibre économique, parmi lesquelles la réassurance, la coassurance ou encore les logiques de répartition et de capitalisation occupent une place centrale.

I) La compensation de l’aléa par la mutualisation : fondement technique du contrat d’assurance

A. La mise en commun des risques : principe de solidarité technique

L’assurance repose, en son essence, sur un principe cardinal : la mise en commun des risques au sein d’une mutualité organisée. Que l’entreprise d’assurance revête la forme d’une société anonyme ou d’une société d’assurance mutuelle, la technique demeure inchangée : elle consiste à constituer un groupement d’individus exposés à des risques similaires, afin de répartir entre eux la charge des sinistres futurs. À cette fin, chacun s’engage à verser une cotisation – ou prime – calculée en fonction de la probabilité et de la gravité du risque qu’il apporte à la mutualité. L’objectif n’est pas de garantir l’indemnisation certaine d’un sinistre individuel, mais d’atteindre, à l’échelle du groupe, un équilibre global entre les contrats sinistrés et ceux qui ne le sont pas.

Cette opération, qui trouve ses fondements dans la théorie de la mutualisation, vise à transformer l’aléa individuel en certitude collective. Comme le rappelle Jean Bigot, « la mutualisation est le socle technique de l’assurance, son fondement économique autant que social ». Elle permet en effet de compenser les pertes de quelques-uns par les contributions de tous, selon une logique de solidarité technique, distincte de la solidarité nationale ou étatique. Il ne s’agit pas ici d’un transfert unilatéral, mais d’une organisation méthodique des contributions et des prestations, fondée sur le calcul et la prévision.

Cette rationalité économique suppose une double condition : d’une part, que les risques mutualisés soient homogènes, c’est-à-dire comparables dans leur nature et dans leur fréquence ; d’autre part, que le nombre d’assurés soit suffisamment élevé pour que les lois statistiques produisent leurs effets. C’est là que la loi des grands nombres prend tout son sens : plus le nombre de membres de la mutualité est important, plus la fréquence des sinistres tend à se rapprocher de la fréquence théorique observée dans les séries statistiques. La charge moyenne devient alors prévisible, et les cotisations peuvent être ajustées avec justesse.

La mutualité organisée réalise ainsi une forme de socialisation du hasard, dans laquelle le groupe absorbe l’incertitude individuelle. Cette technique ne se limite pas à une finalité réparatrice : elle répond également à une demande sociale de sécurité et de stabilité. Selon Jean-Luc Pierre, elle constitue « une réponse collective à l’incertitude, par laquelle le risque cesse d’être une menace individuelle pour devenir une charge partagée ».

Encore faut-il que cette mutualisation ne soit pas compromise par des déséquilibres internes. L’assureur, garant du bon fonctionnement du système, doit veiller à l’hétérogénéité maîtrisée des risques, à la dispersion géographique, temporelle et qualitative des engagements, et à la prévention de toute antisélection, c’est-à-dire du comportement consistant pour les assurés à souscrire une garantie parce qu’ils savent leur exposition au risque supérieure à la moyenne. La littérature spécialisée souligne à cet égard le rôle du questionnaire préalable, de l’examen médical, ou encore de la franchise, comme instruments de filtrage du risque et de limitation des asymétries d’information.

Ainsi structurée, la mutualisation ne relève pas du hasard, mais d’une organisation rigoureuse, fondée sur l’expertise statistique et la régulation technique. Elle permet à l’assureur d’atteindre un équilibre actuariel entre les recettes issues des primes et les dépenses résultant des sinistres, condition indispensable à la pérennité du système.

Enfin, il convient de souligner que cette solidarité technique connaît des prolongements dans d’autres mécanismes, tels que la coassurance ou la réassurance, qui poursuivent, selon des modalités complémentaires, la logique de partage et de diffusion du risque. Mais c’est bien cette première opération – la mise en commun –, à la fois simple et géniale, qui constitue le cœur de la technique assurantielle.

B. Le calcul probabiliste : science de l’anticipation de l’aléa

L’une des singularités majeures de la technique assurantielle réside dans ce que la doctrine qualifie classiquement d’inversion du cycle de production. Alors que, dans les activités économiques classiques, le prix de vente d’un bien ou d’un service est fixé à partir d’un prix de revient connu ou anticipé, l’assureur, quant à lui, se trouve dans une situation exactement inverse : il détermine aujourd’hui le montant d’une prime sans connaître le coût exact du risque qu’il devra peut-être indemniser demain. Le prix de revient du contrat d’assurance ne sera connu qu’a posteriori, à la lumière des sinistres effectivement survenus. Cette caractéristique impose à l’assureur une anticipation rigoureuse et méthodique des charges futures, afin de garantir l’équilibre technique de ses engagements.

Pour faire face à cette incertitude, l’assureur mobilise les outils de la mathématique des probabilités. Il ne cherche pas à prédire tel ou tel sinistre en particulier, mais à estimer, sur la base de données statistiques passées, la fréquence et l’intensité probables des sinistres futurs, sur une population suffisamment large. C’est ce que permet la loi des grands nombres, selon laquelle la fréquence relative d’un événement tend, à mesure que la taille de l’échantillon augmente, à se rapprocher de sa probabilité théorique. En ce sens, la prévision probabiliste devient une opération de régularisation de l’aléa : elle transforme un avenir incertain en une charge globalement prévisible.

Comme le résume Jean Bigot, « l’assurance repose sur l’observation et l’extrapolation : elle ne prétend pas connaître le futur, mais elle se donne les moyens d’en maîtriser les effets statistiques ». L’assureur constitue ainsi des bases de données historiques sur la sinistralité (nombre de sinistres, montants indemnisés, causes et circonstances), qu’il ventile selon des critères homogènes (âge, nature du bien assuré, usage, zone géographique, etc.), afin de déterminer ce que l’on appelle les taux techniques. Ces taux représentent le niveau minimal de prime que l’assureur doit exiger pour couvrir la charge moyenne du risque, en intégrant des marges de sécurité destinées à absorber les écarts conjoncturels.

L’activité actuarielle prend ici toute sa dimension. L’actuaire, technicien du risque, est chargé de modéliser les comportements sinistres, d’estimer les provisions techniques nécessaires, et d’évaluer les impacts financiers de scénarios extrêmes. Il mobilise des outils de plus en plus complexes, empruntés non seulement à la statistique classique, mais également à l’analyse stochastique, à l’économie comportementale et, désormais, à la science des données (data science).

Cette rationalisation mathématique du risque a permis le développement d’un véritable marché de l’assurance, où les produits sont tarifés, segmentés et commercialisés en fonction d’une granularité toujours plus fine des profils assurés. Toutefois, cette dynamique n’est pas sans tension : les impératifs techniques – qui imposent des primes proportionnées au risque – entrent parfois en contradiction avec les objectifs commerciaux, qui incitent à proposer des tarifs attractifs pour conquérir des parts de marché. De cette tension naissent des cycles assurantiels, alternant périodes de sous-tarification (où la sinistralité excède les recettes) et périodes de redressement technique (hausse des primes, sélection accrue des risques).

En définitive, le calcul probabiliste constitue le socle épistémologique de la technique assurantielle. Il permet non seulement de fixer des primes économiquement soutenables, mais également de garantir, sur le long terme, la solvabilité de l’assureur et la stabilité du système. Sans cette science de l’anticipation, fondée sur l’observation rigoureuse de l’expérience passée et sur la projection statistique dans l’avenir, l’assurance ne serait qu’une gageure hasardeuse. Grâce à elle, elle devient une institution rationnelle de gestion de l’aléa.

C. Des cycles économiques propres à l’assurance

La technique de l’assurance, bien qu’assise sur des fondements mathématiques stables et rationnels, n’échappe pas aux mouvements cycliques qui caractérisent l’économie des marchés concurrentiels. Elle est, en effet, structurée par une dynamique propre, marquée par l’alternance de phases d’expansion et de contraction, communément désignées sous le nom de cycles assurantiels. Ces cycles traduisent la tension constante entre, d’une part, les impératifs techniques liés à l’équilibre actuariel des portefeuilles, et, d’autre part, les objectifs commerciaux inhérents à la conquête de nouveaux assurés.

Dans une première phase, les entreprises d’assurance, sous la pression de la concurrence, sont tentées d’abaisser leurs primes pour accroître leurs parts de marché. Cette politique de sous-tarification, souvent accompagnée d’un assouplissement des conditions de souscription, peut générer à court terme une croissance du chiffre d’affaires et une illusion de rentabilité. Toutefois, en l’absence d’un provisionnement suffisant et d’une stricte sélection des risques, cette stratégie fragilise l’équilibre technique de l’assureur. La sinistralité croît, les résultats financiers se détériorent, et les charges deviennent supérieures aux recettes. La situation est d’autant plus critique que, comme l’a souligné Jean Bigot, « les effets de la sous-tarification ne se font sentir qu’avec retard, au moment où les sinistres surviennent, parfois plusieurs années après la souscription des contrats ».

S’ouvre alors une seconde phase : celle du resserrement technique. Pour restaurer leur solvabilité, les assureurs révisent à la hausse leurs primes, durcissent les conditions générales de souscription, procèdent à une segmentation plus fine de leurs portefeuilles, et renforcent les contrôles internes. La sélection des risques devient plus rigoureuse, les garanties sont limitées, les franchises augmentées. Cette période de correction, si elle est bien conduite, permet de rétablir la rentabilité technique et de reconstituer les marges de solvabilité. Le secteur retrouve alors un équilibre relatif.

Mais cet équilibre reste fragile. Sitôt les résultats rétablis, les assureurs – ou certains d’entre eux – cèdent de nouveau à la tentation du relâchement, sous l’effet conjugué de la compétition sur les prix, de la pression des distributeurs, ou encore de la volonté de croissance. Le cycle recommence alors, dans un phénomène que Gilles Plantin décrit comme une spirale endogène des marchés assurantiels, où l’absence de régulation peut aggraver les déséquilibres systémiques.

Ces cycles sont particulièrement sensibles dans les branches à longue traîne, telles que l’assurance de responsabilité civile ou la construction, où l’écart temporel entre la perception de la prime et la réalisation du sinistre peut excéder une décennie. L’assureur doit donc opérer sur des projections de long terme, avec un risque élevé de sous-estimation de ses engagements futurs.

Il convient également de noter que ces mouvements cycliques peuvent être amplifiés par des facteurs exogènes : évolutions climatiques (multiplication des événements extrêmes), crises économiques, modifications législatives ou encore bouleversements technologiques. À titre d’illustration, la numérisation de l’économie et l’émergence des risques cyber ont profondément déstabilisé les modèles traditionnels de tarification, contraignant les assureurs à repenser leurs méthodes d’évaluation et à intégrer des marges d’incertitude accrues.

En définitive, la gestion de ces cycles appelle une grande rigueur technique, une politique de provisionnement prudente, et un pilotage stratégique fondé sur une vision de long terme. Elle témoigne de ce que l’assurance, bien qu’ancrée dans la rationalité actuarielle, demeure soumise aux aléas du marché et à la complexité du comportement humain face au risque.

II) Les instruments de maîtrise du risque : techniques de gestion et systèmes de protection de l’équilibre

A. Diversification et dispersion : limites à la concentration du risque

L’un des impératifs techniques les plus fondamentaux de l’activité assurantielle réside dans la maîtrise de la concentration du risque. L’assureur, par essence, s’engage à garantir des événements aléatoires dont la réalisation individuelle peut être incertaine, mais dont la fréquence statistique est globalement maîtrisable. Toutefois, lorsque ces risques présentent un potentiel de réalisation simultanée – que ce soit en raison de leur nature, de leur localisation ou de leur interdépendance – l’équilibre technique peut être mis en péril. D’où la nécessité, pour l’assureur, de mettre en œuvre une politique rigoureuse de dispersion et de diversification.

La dispersion géographique constitue la première modalité de cette stratégie. Elle consiste à répartir les engagements de l’assureur sur des zones suffisamment éloignées les unes des autres pour éviter que la survenance d’un événement localisé (tremblement de terre, inondation, cyclone, etc.) ne provoque un sinistre global affectant une part trop importante du portefeuille. De même, la diversification sectorielle permet d’équilibrer l’exposition aux risques entre différentes branches d’activité (automobile, habitation, santé, responsabilité civile, etc.), dont les profils de sinistralité sont distincts et rarement corrélés.

Cette logique vise à éviter ce que Jean-Luc Pierre appelle « le basculement brutal du risque statistique en risque systémique » : en d’autres termes, le passage d’une sinistralité dispersée à un phénomène de masse, ingérable par la seule mutualisation. À cet égard, l’assureur veille à ne pas concentrer ses garanties sur des segments trop exposés à des événements cumulatifs ou à des risques émergents. Il recourt alors à des mécanismes d’exclusion (tels que les clauses de guerre ou de catastrophe nucléaire), à des limitations contractuelles (plafonds d’indemnisation), ou encore à des segmentations tarifaires permettant d’ajuster les primes au niveau de risque sous-jacent.

Toutefois, certaines situations, en raison de leur intensité ou de leur portée nationale, échappent aux logiques ordinaires de l’assurabilité. Tel est le cas des catastrophes naturelles, des attentats, ou encore de certains risques exceptionnels à très faible fréquence mais à très forte gravité (risques industriels majeurs, risques biologiques ou pandémiques). Ces risques dits « anormaux » ou « systémiques » ont conduit à la mise en place de mécanismes institutionnels de prise en charge, notamment par l’intervention de la puissance publique.

À cet égard, la Caisse centrale de réassurance (CCR), établissement public bénéficiant de la garantie de l’État, joue un rôle essentiel dans la réassurance des risques exceptionnels. En application des articles L. 431-9 à L. 431-10 du Code des assurances, elle est notamment habilitée à pratiquer la réassurance des risques résultant de catastrophes naturelles, d’attentats ou d’événements d’origine nucléaire. Cette intervention étatique permet de compenser l’inassurabilité partielle de ces risques en instaurant une forme de solidarité nationale, en complément de la solidarité technique propre au secteur privé.

On soulignera, avec M. Fontaine, que cette intervention publique ne remet pas en cause les fondements techniques de l’assurance, mais en constitue le prolongement nécessaire dans les cas où la loi des grands nombres ne suffit plus à absorber la violence de l’aléa.

En somme, la dispersion et la diversification du risque constituent non seulement des instruments techniques de gestion, mais aussi des conditions structurelles de viabilité de l’assurance. Leur mise en œuvre conditionne la résilience du système assurantiel face aux chocs massifs, et justifie, dans certains cas, l’articulation entre mécanismes privés et instruments publics de garantie.

B. La division des risques : réassurance et coassurance

L’assureur, tout en assumant la charge du risque au titre du contrat souscrit avec l’assuré, ne saurait exposer l’intégralité de ses fonds propres à des engagements susceptibles, en cas de sinistre grave ou cumulé, de compromettre sa solvabilité. Aussi recourt-il à des mécanismes de division du risque, conçus pour en répartir la charge, soit postérieurement à la souscription (réassurance), soit dès l’origine de celle-ci (coassurance). Ces deux techniques, bien que distinctes, poursuivent un objectif commun : renforcer la stabilité financière de l’entreprise d’assurance en limitant la concentration du risque sur un seul opérateur.

1. La réassurance : l’assurance de l’assureur

La réassurance est définie à l’article L. 310-1-1 du Code des assurances comme l’activité consistant à accepter des risques d’assurance cédés par une entreprise d’assurance, une autre entreprise de réassurance ou certains organismes habilités. Elle permet à l’assureur, dit cédant, de transférer tout ou partie du risque qu’il a souscrit à un ou plusieurs réassureurs, en contrepartie d’une cession de prime. Cette opération, qui ne modifie en rien le lien contractuel entre l’assuré et son assureur d’origine, constitue un engagement entre professionnels soumis à un régime juridique distinct du droit commun de l’assurance.

La doctrine classique, à l’instar de Jean Bigot, souligne que la réassurance n’a pas seulement une fonction de protection financière, mais également une fonction d’extension de la capacité de souscription de l’assureur. Elle lui permet d’accepter des risques plus importants ou plus nombreux que ceux que sa solvabilité immédiate permettrait de garantir.

Les formes de réassurance sont variées. On distingue notamment :

  • La réassurance proportionnelle, dans laquelle le réassureur prend en charge une part fixe du risque (et perçoit, en contrepartie, la même part des primes) : il peut s’agir de réassurance en quote-part, ou de réassurance en excédent de plein (le réassureur intervient au-delà d’un certain seuil de capitaux).
  • La réassurance non proportionnelle, dans laquelle le réassureur n’intervient que si le sinistre excède un certain montant : on parle alors de réassurance en excédent de sinistre ou en excédent de pertes, permettant de protéger l’assureur contre les événements particulièrement coûteux.

Par ailleurs, les entreprises de réassurance elles-mêmes peuvent transférer une part de leurs engagements à d’autres réassureurs : il s’agit alors de rétrocession, technique qui prolonge la chaîne de partage du risque.

La réassurance est aujourd’hui un marché internationalisé, structuré autour de grands groupes (Munich Re, Swiss Re, SCOR, etc.), notés par des agences spécialisées selon leur solidité financière. Cette mondialisation a conduit à l’adoption de règles prudentielles harmonisées au niveau européen (directive 2005/68/CE transposée par l’ordonnance n° 2008-556 du 13 juin 2008), reconnaissant la spécificité de l’activité de réassurance tout en l’intégrant au régime de solvabilité applicable aux entreprises d’assurance.

2. La coassurance : le partage initial du risque

À côté de la réassurance, qui intervient en aval de la souscription, la coassurance permet de répartir le risque entre plusieurs assureurs dès la conclusion du contrat. Chacun d’eux prend en charge une quote-part convenue du risque, et assume à ce titre une part équivalente de la prime et des prestations. Cette technique est fréquemment utilisée pour les risques industriels de grande ampleur (chantiers de construction majeurs, installations nucléaires, œuvres d’art de grande valeur), dont l’exposition excède les capacités d’un assureur isolé.

La coassurance repose sur une stipulation expresse du contrat liant l’assuré aux différents assureurs. Elle suppose un accord de volonté coordonné entre les coassureurs, l’un d’entre eux agissant souvent comme chef de file pour la gestion administrative et la coordination des prestations, sans que cette fonction n’emporte de responsabilité particulière à l’égard des autres.

Si la coassurance présente l’avantage d’une répartition immédiate de la charge, elle comporte toutefois une certaine lourdeur dans sa mise en œuvre et sa gestion, ce qui explique qu’elle soit moins fréquente que la réassurance dans les pratiques courantes.

C. La gestion technique : provisionnement, répartition, capitalisation

La viabilité économique d’une entreprise d’assurance repose sur une gestion technique rigoureuse, à la fois prévisionnelle et prudentielle. Elle implique que les engagements pris à l’égard des assurés soient garantis par une politique de provisionnement adéquate, et que les mécanismes de couverture des risques soient adaptés à la nature des prestations promises. À cette fin, les assureurs recourent à deux techniques : la répartition et la capitalisation, chacune répondant à des logiques de gestion distinctes selon les branches concernées.

1. Le principe de l’exercice et le provisionnement technique

L’assurance est soumise à une règle comptable stricte, souvent désignée sous le nom de règle de l’exercice. Selon cette exigence, les sinistres survenus au cours d’un exercice donné doivent être couverts par les primes afférentes à ce même exercice, indépendamment de la date à laquelle les prestations seront effectivement versées. Or, nombre de sinistres, notamment en assurance de responsabilité civile ou en assurance construction, se manifestent avec un décalage parfois important par rapport à leur fait générateur. Il en résulte une nécessité impérieuse de constituer des provisions techniques, c’est-à-dire des sommes mises de côté pour faire face à des charges futures connues dans leur principe, mais incertaines quant à leur montant et à leur échéance.

Ces provisions, encadrées par le Code des assurances (notamment les articles R. 343-1 et suivants), se déclinent en plusieurs catégories : provisions pour risques en cours, provisions pour sinistres à payer, provisions pour participation aux bénéfices, ou encore provisions mathématiques en assurance-vie. Elles constituent un indicateur central de la solidité d’un assureur, et sont soumises au contrôle permanent de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), dans le cadre des exigences de solvabilité.

2. La technique de la répartition : solidarité instantanée

Dans les branches où les risques sont courts et la réalisation des sinistres relativement prévisible (incendie, automobile, maladie), les assureurs recourent à la gestion en répartition. Dans ce modèle, les primes perçues au cours d’une année servent directement à indemniser les sinistres survenus pendant cette même période. Il s’agit d’un mécanisme fondé sur la solidarité interindividuelle immédiate, dans lequel la prime constitue la contrepartie du risque couvert, sans vocation d’épargne.

Ce système est adapté aux assurances dites « de dommages », dont les effets sont ponctuels et où la charge moyenne peut être estimée avec une certaine précision. Comme le relève Jean Bigot, « la répartition est l’essence même du mutualisme assurantiel : elle suppose un équilibre global entre cotisants et sinistrés, entre les risques présents et ceux qui se réaliseront dans l’exercice ».

3. La technique de la capitalisation : gestion différée du risque

À l’inverse, les assurances à long terme, et en particulier l’assurance-vie, relèvent d’un régime de capitalisation. Dans ce modèle, les primes versées ne sont pas immédiatement consommées pour couvrir des sinistres, mais constituent une épargne individuelle, placée et fructifiant selon les règles des intérêts composés. À l’échéance du contrat – ou en cas de rachat anticipé –, l’assureur restitue le capital accumulé, augmenté des produits financiers générés.

La capitalisation repose sur une logique de provision mathématique, c’est-à-dire une évaluation actuarielle du montant que l’assureur devra restituer, tenant compte de la durée du contrat, de la table de mortalité utilisée, du taux d’actualisation et du rendement escompté. Ce régime suppose une gestion financière rigoureuse des actifs adossés aux engagements, en particulier une adéquation constante entre les passifs techniques et les placements réalisés. Cette discipline est au cœur de la régulation prudentielle, notamment sous le régime de Solvabilité II.

4. Cas hybrides et arbitrages techniques

Certaines assurances combinent des logiques de répartition et de capitalisation. Tel est le cas, par exemple, de la garantie décennale, pour laquelle la prime est versée une seule fois au départ, mais couvre un risque s’étalant sur dix ans. L’assureur doit constituer une provision pour risque en cours, qui produira des intérêts destinés à compenser l’érosion monétaire et l’évolution de la sinistralité. Il s’agit d’une gestion en semi-capitalisation, adaptée à la nature différée du risque.

De même, la frontière entre répartition et capitalisation n’est pas toujours étanche. Ainsi, la maladie, bien qu’en principe gérée en répartition, connaît dans certains pays (notamment en Allemagne) un traitement partiellement capitalisé, avec constitution de provisions pour vieillissement.

D. La sélection des risques : souscription et lutte contre l’antiselection

La technique de l’assurance ne peut prospérer que dans la mesure où l’équilibre actuariel entre les primes perçues et les prestations versées est préservé. Or, cet équilibre est menacé dès lors que l’assureur serait contraint de garantir indistinctement tout demandeur, sans considération pour la qualité ou l’intensité du risque présenté. C’est pourquoi la sélection des risques constitue une étape déterminante du processus assurantiel, tant du point de vue technique qu’économique. Elle vise à limiter l’asymétrie d’information entre l’assureur et le futur assuré, et à prévenir les effets délétères de l’antisélection, notion largement documentée par la littérature économique.

L’antisélection – parfois désignée en anglais par le terme adverse selection – désigne la tendance des personnes les plus exposées à souscrire prioritairement à l’assurance, tandis que celles dont le risque est faible y renoncent. Ce phénomène, théorisé notamment par George Akerlof dans son célèbre article sur le marché des « lemons » trouve une traduction directe en matière assurantielle : si les assureurs n’opèrent pas de tri entre les bons et les mauvais risques, ils verront leur portefeuille progressivement appauvri, leur sinistralité s’aggraver, et leurs tarifs s’envoler, au point de devenir dissuasifs pour les assurés prudents. Le marché devient alors instable, voire insoutenable.

Pour éviter cette dérive, l’assureur met en œuvre, au moment de la souscription, un ensemble de techniques d’évaluation et de sélection, qui visent à qualifier le risque et à le tarifer de manière adéquate. Ces techniques relèvent à la fois de la collecte d’information (questionnaires, examens médicaux en assurance de personnes, visites des locaux, antécédents de sinistralité), de la tarification différenciée (application de surprimes pour les risques aggravés), et de la modulation des garanties (clauses d’exclusion, franchises, plafonds, délais de carence, etc.).

Cette phase d’analyse permet à l’assureur de construire une segmentation de son portefeuille, d’affiner ses modèles de tarification, et d’ajuster le niveau de ses engagements à la réalité du risque couvert. Elle constitue un levier essentiel de maîtrise de la sinistralité. Comme l’a souligné Jean-Luc Pierre, « l’acte de souscription est, pour l’assureur, l’instant critique où s’exerce la vigilance technique ; il y engage l’équilibre futur de son portefeuille ».

La rigueur de cette sélection est d’autant plus nécessaire que la souscription d’un contrat d’assurance est, dans la majorité des cas, un acte volontaire, dont l’initiative revient à l’assuré. Ce dernier détient en général une supériorité informationnelle sur sa propre situation – état de santé, comportement de conduite, qualité du bien assuré – que l’assureur doit chercher à neutraliser. À défaut, les hypothèses statistiques sur lesquelles sont fondés les calculs de prime deviennent inopérantes.

Certaines branches, notamment l’assurance-vie ou l’assurance emprunteur, illustrent avec acuité cette problématique. Le recours à un examen médical préalable ou à un questionnaire de santé est alors indispensable. Dans le même esprit, en assurance automobile, la consultation du fichier des résiliations pour non-paiement ou sinistres répétés (AGIRA) constitue un outil de vigilance utile. Plus généralement, la gestion du portefeuille dans le temps (analyse de la fréquence des sinistres, résiliation des contrats déficitaires, ajustement des primes) complète l’action de sélection initiale.

Toutefois, cette sélection, si elle est techniquement légitime, ne saurait dégénérer en discrimination illicite. Le principe d’égalité devant l’assurance, qui découle des articles L. 113-2 et L. 111-7 du Code des assurances, impose à l’assureur de fonder ses refus ou restrictions sur des critères objectivement liés au risque, et non sur des motifs arbitraires ou prohibés par la loi (notamment en matière de santé, de handicap ou d’origine ethnique). À cet égard, l’autorité de régulation (ACPR) exerce une vigilance constante sur les pratiques de souscription, afin d’en garantir la transparence et la légalité.

Enfin, les techniques de lutte contre l’antisélection connaissent aujourd’hui de nouveaux prolongements avec l’usage croissant du big data et de l’intelligence artificielle. L’exploitation d’un volume considérable de données comportementales permet de raffiner la segmentation du risque, au prix, toutefois, de nouveaux défis éthiques et juridiques liés à la protection de la vie privée et au respect du RGPD.

E. L’émergence de nouvelles techniques : big data et assurance prédictive

La technique de l’assurance, historiquement fondée sur la loi des grands nombres et l’analyse statistique des événements passés, connaît depuis une décennie une transformation profonde, sous l’effet conjugué de la révolution numérique, de la multiplication des données disponibles et de l’essor de l’intelligence artificielle. Le paradigme traditionnel de l’assurance, fondé sur une approche déductive et agrégée du risque, tend à s’effacer progressivement au profit d’une logique inductive, personnalisée et prédictive, que résume l’expression d’assurance algorithmique.

Le développement du big data – c’est-à-dire la capacité à collecter, traiter et analyser en temps réel d’immenses volumes de données hétérogènes – a permis une refonte complète des méthodes de tarification, de souscription, de prévention et de gestion des sinistres. Alors que, selon la méthode actuarielle classique, le risque était appréhendé par catégorie homogène d’assurés (âge, sexe, profession, usage du bien, etc.), les techniques modernes permettent désormais une micro-segmentation extrêmement fine, fondée sur des données comportementales, contextuelles et en partie en temps réel.

Ainsi, en assurance automobile, l’usage de boîtiers connectés (télématique embarquée) permet de collecter des données précises sur la vitesse, la fréquence des freinages brusques, les horaires de conduite ou encore les zones géographiques parcourues. Ces données sont ensuite agrégées dans des modèles d’apprentissage automatique (machine learning), qui permettent de prédire le niveau de risque individuel avec une précision bien supérieure à celle des grilles tarifaires classiques. En assurance santé, les objets connectés (bracelets de suivi d’activité, balances intelligentes, etc.) permettent une approche similaire, en identifiant des comportements vertueux ou à risque.

Cette évolution technologique s’accompagne d’un bouleversement profond des fondements mêmes de l’analyse assurantielle. Le modèle traditionnel, fondé sur la probabilisation de l’aléa au sein de catégories homogènes, tend à s’effacer au profit d’une logique prédictive fondée sur l’individualisation du risque. Là où l’assurance reposait historiquement sur la confrontation du hasard à la loi des grands nombres, elle tend aujourd’hui à s’organiser autour de modèles anticipatoires, construits à partir de données singulières, en temps réel, et sans nécessaire référence à des séries statistiques collectives.

L’aléa, entendu comme incertitude objectivable à l’échelle d’un groupe, cède ainsi partiellement la place à une évaluation probabiliste ciblée, propre à chaque assuré. Le contrat d’assurance devient alors un outil de projection comportementale plus qu’un instrument de mutualisation pure : l’assureur ne garantit plus seulement contre un risque abstrait, mais ajuste son engagement en fonction de la propension calculée du souscripteur à provoquer ou subir le sinistre.

Les conséquences de cette transformation sont multiples. Sur le plan technique, elle permet une tarification plus juste (au sens actuariel), un contrôle renforcé de l’exposition au risque, une détection plus précoce des comportements frauduleux, et une amélioration de la gestion des sinistres. Sur le plan commercial, elle ouvre la voie à une personnalisation de l’offre, voire à une co-construction des contrats avec l’assuré. L’assurance devient un service dynamique, évolutif, interactif, qui intègre des outils de prévention, de coaching et de pilotage du risque.

Cependant, cette évolution n’est pas sans susciter de réserves éthiques et juridiques. En premier lieu, la logique de personnalisation peut entrer en tension avec le principe fondamental de mutualisation : à force de distinguer les individus, on risque de réduire l’assurabilité des profils considérés comme atypiques ou à haut risque, au détriment de la solidarité technique. En second lieu, l’usage massif de données personnelles soulève des enjeux majeurs de protection de la vie privée, de transparence des algorithmes, et de non-discrimination algorithmique. Le RGPD, en imposant des obligations de loyauté et de proportionnalité, encadre strictement ces pratiques, sans pour autant les interdire.

Par ailleurs, le recours à l’intelligence artificielle dans la gestion des sinistres – par exemple via des assistants automatisés ou des systèmes d’aide à la décision – interroge sur la place de l’humain dans la relation contractuelle, et sur les garanties offertes à l’assuré en matière de recours, de contestation et d’accès aux motifs de refus d’indemnisation.

En définitive, si l’émergence de l’assurance prédictive marque une avancée technologique indéniable, elle oblige à repenser les équilibres traditionnels entre personnalisation et mutualisation, entre efficacité et équité. Elle impose également une vigilance accrue du juriste sur les nouveaux fondements techniques du contrat d’assurance, et sur la manière dont ils redessinent, en profondeur, la figure de l’aléa.

L’autonomie mobilière des époux: régime juridique (art. 222 C. civ.)

==> Vue générale

Assez paradoxalement alors que la femme mariée était, jadis, frappée d’une incapacité d’exercice générale, très tôt on a cherché à lui reconnaître une sphère d’autonomie et plus précisément à lui octroyer un pouvoir de représentation de son mari.

La raison en est que l’entretien du ménage et l’éducation des enfants requièrent l’accomplissement d’un certain nombre de démarches. Or tel a été la tâche qui, pendant longtemps, a été exclusivement dévolue à la femme mariée.

Elle était, en effet, chargée de réaliser les tâches domestiques, tandis que le mari avait pour mission de procurer au foyer des revenus de subsistance.

Au nombre des missions confiées à la femme mariée figurait notamment l’accomplissement d’un certain nombre de d’actes nécessaires à la satisfaction des besoins de la vie courante. Cette tâche supposait notamment, outre la réalisation de dépenses, l’accomplissement d’actes d’administration et de disposition sur les biens mobiliers du ménage.

Reste que, en l’absence de capacité juridique, elle n’était autorisée à s’adresser aux tiers que par l’entremise de son mari.

C’est la raison pour laquelle, afin de permettre à la femme mariée de tenir son rôle, il fallait imaginer un système qui l’autorise à accomplir des actes juridiques et plus précisément à gérer les biens du ménage.

Dans un premier temps, il a été recouru à la figure juridique du mandat domestique, ce qui consistait à considérer que le mari avait donné tacitement mandat à son épouse à l’effet de le représenter quant à l’accomplissement de tous les actes nécessaires à la satisfaction des besoins de la vie courante.

De cette manière, ce dernier se retrouvait personnellement engagé par les engagements souscrits par sa conjointe auprès des tiers, alors même que, à titre individuel, elle était frappée d’une incapacité juridique.

Le recours à cette technique juridique n’était toutefois pas sans limite. Le mari n’était obligé envers les tiers qu’autant qu’il était démontré qu’il avait, au moins tacitement, donné mandat à son épouse à l’effet de le représenter.

À l’inverse, s’il parvenait à établir qu’il n’avait pas consenti à l’acte dénoncé, les tiers ne disposaient d’aucun recours direct contre lui, ce qui les contraignait à exercer au gré des circonstances, tantôt à emprunter la voie de l’action de in rem verso, tantôt à l’action oblique.

En réaction à cette situation fâcheuse qui menaçait les intérêts des tiers, ce qui les avait conduits à exiger systématiquement l’accord exprès du mari pour les actes accomplis par son épouse, au préjudice du fonctionnement du ménage, le législateur a décidé d’intervenir au milieu du XXe siècle.

Dans un second temps, la loi n°65-570 du 13 juillet 1965 a reconnu à la femme mariée, non plus un pouvoir de représentation de son mari en matière mobilière, mais un pouvoir d’accomplir seule des actes d’administration et de dispositions sur les biens meubles du ménage.

La règle est énoncée à l’article 222 du Code civil qui prévoit que « si l’un des époux se présente seul pour faire un acte d’administration, de jouissance ou de disposition sur un bien meuble qu’il détient individuellement, il est réputé, à l’égard des tiers de bonne foi, avoir le pouvoir de faire seul cet acte. »

Est ainsi instituée une présomption de pouvoir en matière mobilière, laquelle n’est autre que le corollaire de la présomption qui joue en matière bancaire et qui plus précisément autorise, en application de l’article 221, les époux à se faire ouvrir seul un compte bancaire et à disposer librement des fonds qui y sont déposés.

Ces présomptions sont complémentaires : elles visent toutes deux à garantir l’autonomie des époux quant à assurer le fonctionnement du ménage pour les actes de la vie quotidienne.

À l’instar de la présomption de pouvoir en matière bancaire, la présomption de pouvoir instituée par l’article 222 du Code civil relève du régime primaire impératif, de sorte qu’elle a vocation à jouer quel que soit le régime matrimonial applicable aux époux.

Surtout, elle a pour effet, et c’est là tout son intérêt, d’autoriser les époux à accomplir, sans le consentement du conjoint, des actes d’administration et de disposition sur les biens meubles du ménage, de sorte que les tiers – de bonne foi – n’ont pas à se soucier du pouvoir celui avec lequel ils traitent.

Par ce mécanisme de présomption de pouvoir, l’autonomie conférée aux époux en matière mobilière est pleine et entière.

En effet, non seulement, ils sont dispensés de fournir aux tiers des justifications quant à l’étendue de leur pouvoir, mais encore les actes accomplis par un époux seul sur un bien mobilier ne risquent pas d’être remis en cause par le conjoint au préjudice du tiers.

Au bilan, la volonté du législateur d’instaurer une véritable égalité dans les rapports conjugaux, mouvement qui s’est amorcé dès le début du XXe siècle, l’a conduit à conférer à la femme mariée une sphère de liberté l’autorisant à agir seule.

Cette autonomie dont jouissent les époux, qui sont désormais placés sur un pied d’égalité, se traduit en matière mobilière par l’institution d’une présomption dont il convient d’étudier le domaine et les effets.

I) Le domaine de la présomption mobilière

A) Le domaine quant aux biens

  1. La nature du bien

a) Les biens relevant du domaine de la présomption

Il ressort de l’article 222 du Code civil que la présomption instituée au profit des époux ne joue que pour les biens meubles.

La question qui alors se pose est de savoir ce que recouvre la notion de biens meubles. D’ordinaire, il y aurait lieu, pour répondre à cette question, de se reporter à l’article 527 du Code civil qui prévoit que « les biens sont meubles par leur nature ou par la détermination de la loi. »

Cette disposition n’est toutefois pas pertinente s’agissant de déterminer le domaine matériel de la présomption de l’article 222, dans la mesure où seuls les biens meubles susceptibles de faire l’objet d’une détention individuelle sont visés par le texte.

C’est la raison pour laquelle, la doctrine appréhende classiquement la notion de biens meubles par le biais de la classification secondaire qui oppose les biens corporels aux biens incorporels.

==> S’agissant des biens meubles corporels

Conformément à l’article 528 du Code civil, les biens meubles sont ceux « qui peuvent se transporter d’un lieu à un autre. »

Il s’agit, autrement dit, de toutes des choses qui sont mobiles et qui, donc ne sont ni fixées, ni incorporées au sol, pourvu qu’elles puissent faire l’objet d’une appréhension physique.

À cet égard, parce qu’elle ne relève pas du domaine de la présomption de pouvoir instituée par l’article 221 du Code civil qui joue en matière bancaire, il a été admis que la détention d’une somme argent donnait lieu à l’application de la présomption de pouvoir de l’article 222 (Cass. 1ère civ. 5 avr. 1993, n°90-20.491).

Lorsque le bien administré par un époux consiste en des deniers, il s’opère ainsi une communication entre les deux présomptions :

  • Lorsque des fonds sont déposés sur un compte bancaire, c’est la présomption de l’article 221 du Code civil qui a vocation à jouer
  • Lorsque, en revanche, une somme d’argent est détenue physiquement par un époux, c’est la présomption de l’article 222 qui s’applique

Tandis que la première présomption exige, pour être applicable, une inscription en compte, la seconde ne produit ses effets qu’à la condition que le bien puisse faire l’objet d’une détention matérielle.

Le même raisonnement est susceptible d’être tenu pour les titres au porteur qui sont susceptibles d’être inscrits en compte et peuvent également être détenus physiquement par un époux, encore que cette seconde hypothèse tende à se raréfier.

La loi n°81-1160 du 30 décembre 1981 complétée par le décret n°83-359 du 2 mai 1983 a, en effet, rendu obligatoire l’inscription en compte des titres au porteur, de sorte qu’il est désormais fait interdiction aux sociétés d’émettre sous format papier des valeurs mobilières.

==> S’agissant des biens meubles incorporels

Les choses incorporelles se distinguent des choses corporelles en ce qu’elles n’ont pas de réalité physique. Elles sont tout ce qui ne peut pas être saisi par les sens et qui est extérieur à la personne.

Parce qu’elles sont dépourvues de toute substance matérielle et qu’elles n’existent qu’à travers l’esprit humain, les choses incorporelles ne peuvent pas être touchées. Elles ne peuvent donc pas faire l’objet d’une détention, à tout le moins physiquement.

Or la « détention individuelle » est exigée par l’article 222 du Code civil pour que la présomption de pouvoir qu’elle institue puisse jouer. Fort de ce constat, les auteurs se sont demandé si les biens incorporels relevaient du domaine de cette présomption.

  • Les arguments contre
    • Les auteurs qui considèrent que les choses incorporelles sont exclues du domaine de la présomption de l’article 222 arguent que la détention d’une chose suppose l’exercice d’une emprise matérielle sur elle.
    • Or par hypothèse, une chose incorporelle, en ce qu’elle n’est pas tangible, ne peut pas faire l’objet d’une telle détention.
    • Les notions de chose incorporelle et de détention ne seraient donc pas compatibles.
    • Dans ces conditions, la présomption instituée à l’article 222 du Code civil ne viserait que les seuls biens corporels
  • Les arguments pour
    • Les auteurs favorables à une inclusion des choses incorporelles dans le champ d’application de l’article 222 justifient leur thèse en se référant aux travaux préparatoires qui ont donné lieu à l’adoption de la loi du 13 juillet 1965.
    • Initialement, le texte visait les « meubles détenus corporellement». Les parlementaires ont finalement retenu la formule « meubles détenus individuellement ».
    • En substituant le terme « corporellement» par « individuellement » le législateur aurait marqué son souhait ne pas limiter le domaine de la présomption de l’article 222 aux seules choses corporelles.
    • Aussi, dans sa rédaction finale, le texte ne distingue plus selon la nature de la chose détenue par un époux.
    • En application de l’adage ubi lex non distinguit, il n’y aurait donc pas lieu d’exclure du domaine de l’article 222 les choses incorporelles.

À l’analyse, la doctrine contemporaine est majoritairement favorable à une interprétation extensive du texte, soit à une application de la présomption, tant aux choses corporelles, qu’aux choses incorporelles.

Nous partageons cette position au motif que l’exercice d’une emprise physique sur une chose n’est pas son seul mode de détention. Une chose incorporelle, tel qu’un fichier informatique, par exemple, peut parfaitement être détenu par le biais d’un disque dur ou d’un accès à un ordinateur distant.

b) Les biens exclus du domaine d la présomption

L’article 222 du Code civil exclut expressément de son champ d’application un certain nombre de biens pour lesquels la présomption de pouvoir instituée par le texte ne pourra donc pas jouer.

L’alinéa 2 prévoit en ce sens que « cette disposition n’est pas applicable aux meubles meublants visés à l’article 215, alinéa 3, non plus qu’aux meubles corporels dont la nature fait présumer la propriété de l’autre conjoint conformément à l’article 1404 ».

Au nombre des biens meubles qui ne relèvent pas du domaine de l’article 222 figurent ainsi :

  • Les meubles meublants
    • Si l’on se reporte à l’article 534 du Code civil qui définit la notion de meubles meublants, ils correspondent à ceux « destinés à l’usage et à l’ornement des appartements, comme tapisseries, lits, sièges, glaces, pendules, tables, porcelaines et autres objets de cette nature ».
    • L’alinéa 2 de l’article 534 précise que, « les tableaux et les statues qui font partie du meuble d’un appartement y sont aussi compris, mais non les collections de tableaux qui peuvent être dans les galeries ou pièces particulières». Sont ainsi exclus de la qualification de meubles meublants, les biens mobiliers qui constituent une universalité de fait.
    • L’alinéa 3 du texte ajoute qu’« il en est de même des porcelaines : celles seulement qui font partie de la décoration d’un appartement sont comprises sous la dénomination de “meubles meublants».
    • Pour qu’un bien mobilier puisse être qualifié de meuble meublant, encore faut-il qu’il soit toujours présent dans le logement au moment où l’acte litigieux est accompli par un époux seul et que logement qu’ils garnissent soit la résidence familiale au sens de l’article 215, al. 3e du Code civil. Or tel ne sera pas le cas d’une résidence secondaire et plus généralement de toute habitation dans laquelle la famille n’a pas élu domicile à titre stable et permanent.
    • L’exclusion des meubles meublants du domaine de la présomption de pouvoir instituée par l’article 222 du Code civil s’explique par la volonté du législateur de faire montre de cohérence avec l’article 215, al. 3e du Code civil qui prévoit que « les époux ne peuvent l’un sans l’autre disposer des droits par lesquels est assuré le logement de la famille, ni des meubles meublants dont il est garni».
    • Dire que l’accomplissement d’actes d’administration et de disposition portant sur des meubles meublants est soumis à codécision des époux, et les autoriser, en même temps, à assurer seuls la gestion de ces mêmes meubles meublants serait revenu pour le législateur à se contredire.
    • C’est la raison pour laquelle, afin d’articuler les deux dispositions, il a été décidé de faire primer l’article 215, al. 3e du Code civil sur l’article 222.
    • Pratiquement, cela se traduit donc par une exclusion des meubles meublants du domaine de la présomption de pouvoir instituée par le second texte.
    • Aussi, en cas de violation par un époux de l’interdiction posée à l’article 215, al. 3e du Code civil, l’acte accompli sur les meubles meublants au mépris de cette interdiction pourrait faire l’objet d’une annulation, nonobstant la bonne foi du tiers.
  • Les biens propres par nature
    • L’article 222 du Code civil exclut expressément de son champ d’application les « meubles corporels dont la nature fait présumer la propriété de l’autre conjoint conformément à l’article 1404. »
    • Afin de déterminer ce que recouvre cette catégorie de biens meubles, il y a donc lieu de se reporter à l’article 1404 du Code civil.
    • Cette disposition prévoit que « forment des propres par leur nature, quand même ils auraient été acquis pendant le mariage, les vêtements et linges à l’usage personnel de l’un des époux, les actions en réparation d’un dommage corporel ou moral, les créances et pensions incessibles, et, plus généralement, tous les biens qui ont un caractère personnel et tous les droits exclusivement attachés à la personne. »
    • L’alinéa 2 ajoute que « forment aussi des propres par leur nature […] les instruments de travail nécessaires à la profession de l’un des époux, à moins qu’ils ne soient l’accessoire d’un fonds de commerce ou d’une exploitation faisant partie de la communauté. »
    • Il ressort de l’article 1404 que les biens propres par nature correspondent à tous les biens qui présentent un caractère personnel, soit qui sont très étroitement attachés à la personne de l’époux.

c) Cas particulier des biens immatriculés

À l’instar des choses incorporelles les biens immatriculés ont donné lieu à controverse quant à leur inclusion dans le domaine de l’article 222 du Code civil, alors même que le texte ne prévoit, pour cette catégorie de biens, aucune exclusion formelle.

Cette controverse est née d’une lecture de l’article 1424 qui prévoit que « les époux ne peuvent, l’un sans l’autre, aliéner ou grever de droits réels […] les meubles corporels dont l’aliénation est soumise à publicité ».

D’aucuns ont estimé qu’il fallait voir dans ce texte la volonté du législateur d’exiger, pour l’accomplissement d’actes d’administration et de disposition sur des biens immatriculés, le consentement des deux époux.

Or cette modalité de gestion des biens serait incompatible avec la présomption de pouvoir instituée à l’article 222 du Code civil.

Aussi, conviendrait-il de résoudre ce conflit en appliquant la même règle que celle assurant l’articulation de l’article 222 avec l’article 215, al. 3e du Code civil.

Il s’agirait de faire primer, cette fois-ci, l’article 1424 qui instaure une cogestion entre époux pour les biens immatriculés sur la présomption de pouvoir instituée à l’article 222.

En faveur de cette solution, des auteurs soutiennent que les biens soumis à publicité présentent, la plupart du temps, une grande valeur (navire, aéronef, véhicule etc.) ce qui justifierait que les époux ne puissent pas en disposer seuls. La présomption de pouvoir ne viserait, en effet, que les opérations courantes et non celles susceptibles d’affecter le patrimoine du ménage.

Il est encore avancé que cette présomption ne peut jouer qu’à la condition que le tiers avec lequel traitent les époux soit de bonne foi. Or en cas d’aliénation d’un bien immatriculé, ce dernier pourra difficilement arguer qu’il ignorait cette spécificité et que, par voie de conséquence, il était de bonne foi.

À ces arguments, il est opposé, tout d’abord, que les exceptions sont d’interprétation stricte, de sorte que seules celles expressément énoncées par l’article 222 doivent être exclues du domaine de la présomption de pouvoir.

Ensuite, il est soutenu que l’exigence de cogestion pour les biens immatriculés est énoncée par l’article 1424 applicable aux seuls époux mariés sous le régime légal. On ne saurait, dans ces conditions, tirer de cette disposition spéciale une règle générale qui s’appliquerait à tous les couples mariés quel que soit leur régime matrimonial.

À l’analyse, il y a lieu, selon nous, de se rallier à cette seconde thèse dans la mesure où l’article 222 du Code civil relève du régime primaire. Il a donc vocation à s’appliquer sous tous les régimes, sauf disposition contraire comme c’est le cas pour le régime légal.

Aussi, les biens soumis à immatriculation doivent, par principe, être inclus dans le champ d’application de la présomption de pouvoir instituée à l’article 222 du Code civil.

Enfin, contrairement à ce que suggèrent certains auteurs, rien ne justifie d’opérer une distinction selon qu’il s’agit d’une simple immatriculation ou d’une immatriculation doublée de formalités de publicité. Cette distinction n’est prévue par aucun texte. Elle ne serait donc assise sur aucune base légale.

2. La détention du bien

Pour que la présomption de pouvoir instituée par l’article 222 du Code civil puisse jouer, encore faut-il que le bien meuble sur lequel porte l’acte d’administration ou de disposition fasse l’objet d’une détention individuelle.

Cette précision vise à exclure du domaine de la présomption le cas où le bien serait détenu conjointement par les époux, raison pour laquelle le texte pose une exception pour les meubles meublants.

Par détention individuelle, il faut entendre une maîtrise personnelle et effective du bien, soit l’exercice d’une emprise exclusive sur la chose.

Contrairement à la notion de détention qui a cours en droit des biens, il n’est pas nécessaire que l’époux détenteur tienne son pouvoir d’un titre. La détention doit ici être comprise de façon plus large.

Ainsi que le relève des auteurs l’exigence de détention individuelle « revient à exiger qu’existe une apparence de pouvoir propres au profit de l’époux détenteur du bien »[1]. Il suffit donc que le pouvoir exercé par ce dernier sur la chose soit dénué de toute équivoque pour que la condition de l’article 222 soit remplie.

À cet égard, il est indifférent que cette détention s’exerce par l’entremise d’un tiers pourvu que celui-ci agisse pour le compte exclusif de l’époux détenteur du bien.

B) Le domaine quant aux actes

La présomption de pouvoir instituée par l’article 222 du Code civil s’applique dès lors que « l’un des époux se présente seul pour faire un acte d’administration, de jouissance ou de disposition sur un bien meuble ».

À l’analyse, tous les actes sont ici visés par le texte, sans qu’il y ait lieu de distinguer. Il peut tout autant s’agir d’un acte d’administration que d’un acte d’administration.

Aussi, l’époux détenteur du bien est-il autorisé à donner en location le bien, à en percevoir les fruits ou encore à l’aliéner sans qu’il lui soit nécessaire d’obtenir le consentement de son conjoint.

S’agissant de l’aliénation, certains auteurs ont soutenu que n’entraient dans le champ d’application de la présomption de pouvoir de l’article 222 que les actes de disposition à titre onéreux.

La raison en est que cette présomption ne couvrirait que les opérations de gestion courante. Or les actes de disposition à titre gratuit seraient des actes graves dont l’accomplissement exigerait le consentement des époux.

De l’avis de la doctrine majoritaire, il s’agit là d’une distinction qui ne repose sur aucun texte. Or là où la loi ne distingue pas, il n’y a pas lieu de distinguer (ubi lex non distinguit).

Dans ces conditions, rien ne justifie que les actes à titre gratuit qui seraient accomplis par un époux seul ne relève pas du domaine de l’article 222.

II) Les effets de la présomption mobilière

A) Les effets de la présomption dans les rapports des époux avec les tiers

L’article 222 du Code civil prévoit expressément que la présomption de pouvoir instituée en matière mobilière à la faveur des époux joue à l’égard des tiers. C’est sa raison d’être.

Concrètement, cela signifie que la responsabilité du tiers ne saurait être recherchée au motif qu’il n’aurait pas exigé de l’époux avec lequel il a traité des justifications sur ses pouvoirs.

Les époux sont réputés, à l’égard des tiers, avoir tous pouvoirs pour accomplir les actes d’administration, de jouissance et de disposition sur les biens meubles qu’ils détiennent individuellement.

==> L’exigence de bonne foi

La présomption de pouvoir de l’article 222 est irréfragable de sorte qu’elle ne souffre pas de la preuve contraire, à tout le moins lorsque le tiers est de bonne foi.

S’il ne l’est pas la présomption de l’article 222 est inopérante, ce qui la distingue de la présomption de pouvoir instituée par l’article 221 en matière bancaire qui joue nonobstant la mauvaise foi du banquier.

En matière mobilière, la présomption de pouvoir ne produit donc ses effets qu’à la condition que le tiers soit de bonne foi.

Par bonne foi il faut entendre la croyance légitime du tiers de la réalité des pouvoirs dont se prévaut l’époux avec lequel il traite. Autrement dit, le tiers ne doit pas avoir eu connaissance de l’absence de pouvoir de son cocontractant.

Tel sera notamment le cas lorsque le conjoint l’aura averti de la situation. Il en ira de même lorsque sera établie l’existence d’une collusion entre le tiers et l’époux avec lequel l’acte a été conclu.

En dehors de ces deux situations, la mauvaise foi du tiers sera difficile à démontrer, dans la mesure où elle ne saurait résulter de sa seule attitude passive, soit de l’absence de recherches d’informations sur les pouvoirs de son cocontractant. L’exiger reviendrait à priver de tout son intérêt la présomption posée par l’article 222.

Surtout, l’article 2274 du Code civil dispose que « la bonne foi est toujours présumée, et c’est à celui qui allègue la mauvaise foi à la prouver. »

La charge de la preuve pèse ainsi sur l’époux qui conteste l’acte conclu avec le tiers au préjudice de ses droits.

==> Incidence de la mauvaise foi du tiers

Dans l’hypothèse où la mauvaise foi du tiers est établie, l’acte accompli par l’époux seul en dépassement de ses pouvoirs peut faire l’objet d’une annulation.

L’action appartient au seul conjoint au motif que la nullité encourue est relative. La raison en est que la règle énoncée à l’article 222 intéresse l’ordre public de protection.

Quant au délai d’exercice de cette action, il diffère selon que la chose aliénée est un bien propre ou un bien commun :

  • S’il s’agit d’un bien commun, le délai pour agir est, en application de l’article 1427, al. 2e du Code civil de deux années à compter du jour où le conjoint a eu connaissance de l’acte, sans pouvoir jamais être intentée plus de deux ans après la dissolution de la communauté.
  • S’il s’agit d’un bien propre, le délai pour agir est :
    • Soit de 5 ans si le conjoint exerce une action en nullité pour défaut de pouvoir ( 2224 C. civ.)
    • Soit sans limite de durée si le conjoint exerce une action en revendication ( 2227 C. civ.)

B) Les effets de la présomption dans les rapports entre époux

Consécutivement à l’adoption de la loi du 13 juillet 1965, une controverse a agité la doctrine qui s’est interrogée sur l’application de la présomption posée à l’article 222 du Code civil dans les rapports entre époux.

Tout l’enjeu est ici de déterminer sur quel époux pèse la charge de la preuve dans l’hypothèse où l’un d’eux engagerait la responsabilité de son conjoint pour avoir accompli un acte sur un bien en dépassement de ses pouvoirs.

La controverse est née de ce que, sous l’empire du droit antérieur, en régime de communauté, le pouvoir d’administration des biens communs demeurait confié au mari, sauf les cas d’actes de disposition les plus graves.

Aussi, était-il fait interdiction à la femme mariée d’accomplir des actes de disposition sur les biens du ménage sans avoir obtenu, au préalable, l’autorisation de son époux.

En cas de violation de cette règle le mari était fondé à solliciter l’annulation de l’acte accompli par son épouse en dépassement de ses pouvoirs.

Toute la question était alors de savoir qui, du mari et de la femme mariée, devait rapporter la preuve du caractère propre ou commun du bien aliéné.

Afin de résoudre cette problématique, deux solutions ont été envisagées par la doctrine :

  • Soit on faisait jouer la présomption d’acquêts qui avait pour effet de réputer communs tout bien détenu par un époux, de sorte qu’il revenait à la femme mariée de prouver que le bien aliéné lui appartenait en propre.
  • Soit on faisait jouer la présomption de l’article 222 du Code civil, auquel cas c’était au mari de démontrer que le bien aliéné par son épouse était soit un bien commun, soit un bien lui appartenant en propre

À l’analyse, retenir la première solution eût été sévère. Cela serait revenu à octroyer au mari le pouvoir de remettre en cause, selon son bon vouloir et à tout moment, les actes accomplis par son épouse sur ses biens personnels. Ce résultat aurait été manifestement contraire à l’esprit de la loi du 13 juillet 1965 qui a été adoptée aux fins de tendre vers une égalité entre la femme mariée et son mari.

À l’inverse, opter pour la seconde solution impliquait de se livrer à une interprétation extensive de l’article 222 du Code civil. Cette disposition prévoit, en effet, que la présomption de pouvoir instituée en matière mobilière au profit des époux n’opère qu’à l’égard des seuls tiers. Aussi, admettre que cette présomption puisse jouer dans les rapports entre époux serait pour le moins audacieux, sinon contraire à la lettre du texte.

Finalement, la doctrine majoritaire s’est prononcée en faveur de la seconde solution, au motif qu’elle permettait d’assurer l’égalité dans les rapports conjugaux conformément à l’esprit de la loi du 13 juillet 1965.

Si, depuis l’adoption de la loi du 23 décembre 1985, la question de l’application de la présomption de l’article 222 du Code civil dans les rapports entre époux a perdu de son intérêt, en raison de l’abolition du monopole du mari sur la gestion des biens commun, elle demeure toujours d’actualité pour les cas où un époux contesterait l’accomplissement d’un acte par son conjoint sur un bien lui appartenant en propre ou s’il s’agit, sous un régime de communauté, de gains et salaires.

Pour qu’il soit fait droit à son action en responsabilité, c’est à l’époux qui revendique qu’il reviendra de prouver que son conjoint n’avait pas le pouvoir de disposer, sans son consentement, le bien disputé.

[1] J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand Colin, 2001, n°109, p. 97.

L’autonomie mobilière des époux: effets de la présomption (art. 222 C. civ.)

==> Vue générale

Assez paradoxalement alors que la femme mariée était, jadis, frappée d’une incapacité d’exercice générale, très tôt on a cherché à lui reconnaître une sphère d’autonomie et plus précisément à lui octroyer un pouvoir de représentation de son mari.

La raison en est que l’entretien du ménage et l’éducation des enfants requièrent l’accomplissement d’un certain nombre de démarches. Or tel a été la tâche qui, pendant longtemps, a été exclusivement dévolue à la femme mariée.

Elle était, en effet, chargée de réaliser les tâches domestiques, tandis que le mari avait pour mission de procurer au foyer des revenus de subsistance.

Au nombre des missions confiées à la femme mariée figurait notamment l’accomplissement d’un certain nombre de d’actes nécessaires à la satisfaction des besoins de la vie courante. Cette tâche supposait notamment, outre la réalisation de dépenses, l’accomplissement d’actes d’administration et de disposition sur les biens mobiliers du ménage.

Reste que, en l’absence de capacité juridique, elle n’était autorisée à s’adresser aux tiers que par l’entremise de son mari.

C’est la raison pour laquelle, afin de permettre à la femme mariée de tenir son rôle, il fallait imaginer un système qui l’autorise à accomplir des actes juridiques et plus précisément à gérer les biens du ménage.

Dans un premier temps, il a été recouru à la figure juridique du mandat domestique, ce qui consistait à considérer que le mari avait donné tacitement mandat à son épouse à l’effet de le représenter quant à l’accomplissement de tous les actes nécessaires à la satisfaction des besoins de la vie courante.

De cette manière, ce dernier se retrouvait personnellement engagé par les engagements souscrits par sa conjointe auprès des tiers, alors même que, à titre individuel, elle était frappée d’une incapacité juridique.

Le recours à cette technique juridique n’était toutefois pas sans limite. Le mari n’était obligé envers les tiers qu’autant qu’il était démontré qu’il avait, au moins tacitement, donné mandat à son épouse à l’effet de le représenter.

À l’inverse, s’il parvenait à établir qu’il n’avait pas consenti à l’acte dénoncé, les tiers ne disposaient d’aucun recours direct contre lui, ce qui les contraignait à exercer au gré des circonstances, tantôt à emprunter la voie de l’action de in rem verso, tantôt à l’action oblique.

En réaction à cette situation fâcheuse qui menaçait les intérêts des tiers, ce qui les avait conduits à exiger systématiquement l’accord exprès du mari pour les actes accomplis par son épouse, au préjudice du fonctionnement du ménage, le législateur a décidé d’intervenir au milieu du XXe siècle.

Dans un second temps, la loi n°65-570 du 13 juillet 1965 a reconnu à la femme mariée, non plus un pouvoir de représentation de son mari en matière mobilière, mais un pouvoir d’accomplir seule des actes d’administration et de dispositions sur les biens meubles du ménage.

La règle est énoncée à l’article 222 du Code civil qui prévoit que « si l’un des époux se présente seul pour faire un acte d’administration, de jouissance ou de disposition sur un bien meuble qu’il détient individuellement, il est réputé, à l’égard des tiers de bonne foi, avoir le pouvoir de faire seul cet acte. »

Est ainsi instituée une présomption de pouvoir en matière mobilière, laquelle n’est autre que le corollaire de la présomption qui joue en matière bancaire et qui plus précisément autorise, en application de l’article 221, les époux à se faire ouvrir seul un compte bancaire et à disposer librement des fonds qui y sont déposés.

Ces présomptions sont complémentaires : elles visent toutes deux à garantir l’autonomie des époux quant à assurer le fonctionnement du ménage pour les actes de la vie quotidienne.

À l’instar de la présomption de pouvoir en matière bancaire, la présomption de pouvoir instituée par l’article 222 du Code civil relève du régime primaire impératif, de sorte qu’elle a vocation à jouer quel que soit le régime matrimonial applicable aux époux.

Surtout, elle a pour effet, et c’est là tout son intérêt, d’autoriser les époux à accomplir, sans le consentement du conjoint, des actes d’administration et de disposition sur les biens meubles du ménage, de sorte que les tiers – de bonne foi – n’ont pas à se soucier du pouvoir celui avec lequel ils traitent.

Par ce mécanisme de présomption de pouvoir, l’autonomie conférée aux époux en matière mobilière est pleine et entière.

En effet, non seulement, ils sont dispensés de fournir aux tiers des justifications quant à l’étendue de leur pouvoir, mais encore les actes accomplis par un époux seul sur un bien mobilier ne risquent pas d’être remis en cause par le conjoint au préjudice du tiers.

Au bilan, la volonté du législateur d’instaurer une véritable égalité dans les rapports conjugaux, mouvement qui s’est amorcé dès le début du XXe siècle, l’a conduit à conférer à la femme mariée une sphère de liberté l’autorisant à agir seule.

Cette autonomie dont jouissent les époux, qui sont désormais placés sur un pied d’égalité, se traduit en matière mobilière par l’institution d’une présomption dont il convient d’étudier les effets.

I) Les effets de la présomption dans les rapports des époux avec les tiers

L’article 222 du Code civil prévoit expressément que la présomption de pouvoir instituée en matière mobilière à la faveur des époux joue à l’égard des tiers. C’est sa raison d’être.

Concrètement, cela signifie que la responsabilité du tiers ne saurait être recherchée au motif qu’il n’aurait pas exigé de l’époux avec lequel il a traité des justifications sur ses pouvoirs.

Les époux sont réputés, à l’égard des tiers, avoir tous pouvoirs pour accomplir les actes d’administration, de jouissance et de disposition sur les biens meubles qu’ils détiennent individuellement.

==> L’exigence de bonne foi

La présomption de pouvoir de l’article 222 est irréfragable de sorte qu’elle ne souffre pas de la preuve contraire, à tout le moins lorsque le tiers est de bonne foi.

S’il ne l’est pas la présomption de l’article 222 est inopérante, ce qui la distingue de la présomption de pouvoir instituée par l’article 221 en matière bancaire qui joue nonobstant la mauvaise foi du banquier.

En matière mobilière, la présomption de pouvoir ne produit donc ses effets qu’à la condition que le tiers soit de bonne foi.

Par bonne foi il faut entendre la croyance légitime du tiers de la réalité des pouvoirs dont se prévaut l’époux avec lequel il traite. Autrement dit, le tiers ne doit pas avoir eu connaissance de l’absence de pouvoir de son cocontractant.

Tel sera notamment le cas lorsque le conjoint l’aura averti de la situation. Il en ira de même lorsque sera établie l’existence d’une collusion entre le tiers et l’époux avec lequel l’acte a été conclu.

En dehors de ces deux situations, la mauvaise foi du tiers sera difficile à démontrer, dans la mesure où elle ne saurait résulter de sa seule attitude passive, soit de l’absence de recherches d’informations sur les pouvoirs de son cocontractant. L’exiger reviendrait à priver de tout son intérêt la présomption posée par l’article 222.

Surtout, l’article 2274 du Code civil dispose que « la bonne foi est toujours présumée, et c’est à celui qui allègue la mauvaise foi à la prouver. »

La charge de la preuve pèse ainsi sur l’époux qui conteste l’acte conclu avec le tiers au préjudice de ses droits.

==> Incidence de la mauvaise foi du tiers

Dans l’hypothèse où la mauvaise foi du tiers est établie, l’acte accompli par l’époux seul en dépassement de ses pouvoirs peut faire l’objet d’une annulation.

L’action appartient au seul conjoint au motif que la nullité encourue est relative. La raison en est que la règle énoncée à l’article 222 intéresse l’ordre public de protection.

Quant au délai d’exercice de cette action, il diffère selon que la chose aliénée est un bien propre ou un bien commun :

  • S’il s’agit d’un bien commun, le délai pour agir est, en application de l’article 1427, al. 2e du Code civil de deux années à compter du jour où le conjoint a eu connaissance de l’acte, sans pouvoir jamais être intentée plus de deux ans après la dissolution de la communauté.
  • S’il s’agit d’un bien propre, le délai pour agir est :
    • Soit de 5 ans si le conjoint exerce une action en nullité pour défaut de pouvoir ( 2224 C. civ.)
    • Soit sans limite de durée si le conjoint exerce une action en revendication ( 2227 C. civ.)

II) Les effets de la présomption dans les rapports entre époux

Consécutivement à l’adoption de la loi du 13 juillet 1965, une controverse a agité la doctrine qui s’est interrogée sur l’application de la présomption posée à l’article 222 du Code civil dans les rapports entre époux.

Tout l’enjeu est ici de déterminer sur quel époux pèse la charge de la preuve dans l’hypothèse où l’un d’eux engagerait la responsabilité de son conjoint pour avoir accompli un acte sur un bien en dépassement de ses pouvoirs.

La controverse est née de ce que, sous l’empire du droit antérieur, en régime de communauté, le pouvoir d’administration des biens communs demeurait confié au mari, sauf les cas d’actes de disposition les plus graves.

Aussi, était-il fait interdiction à la femme mariée d’accomplir des actes de disposition sur les biens du ménage sans avoir obtenu, au préalable, l’autorisation de son époux.

En cas de violation de cette règle le mari était fondé à solliciter l’annulation de l’acte accompli par son épouse en dépassement de ses pouvoirs.

Toute la question était alors de savoir qui, du mari et de la femme mariée, devait rapporter la preuve du caractère propre ou commun du bien aliéné.

Afin de résoudre cette problématique, deux solutions ont été envisagées par la doctrine :

  • Soit on faisait jouer la présomption d’acquêts qui avait pour effet de réputer communs tout bien détenu par un époux, de sorte qu’il revenait à la femme mariée de prouver que le bien aliéné lui appartenait en propre.
  • Soit on faisait jouer la présomption de l’article 222 du Code civil, auquel cas c’était au mari de démontrer que le bien aliéné par son épouse était soit un bien commun, soit un bien lui appartenant en propre

À l’analyse, retenir la première solution eût été sévère. Cela serait revenu à octroyer au mari le pouvoir de remettre en cause, selon son bon vouloir et à tout moment, les actes accomplis par son épouse sur ses biens personnels. Ce résultat aurait été manifestement contraire à l’esprit de la loi du 13 juillet 1965 qui a été adoptée aux fins de tendre vers une égalité entre la femme mariée et son mari.

À l’inverse, opter pour la seconde solution impliquait de se livrer à une interprétation extensive de l’article 222 du Code civil. Cette disposition prévoit, en effet, que la présomption de pouvoir instituée en matière mobilière au profit des époux n’opère qu’à l’égard des seuls tiers. Aussi, admettre que cette présomption puisse jouer dans les rapports entre époux serait pour le moins audacieux, sinon contraire à la lettre du texte.

Finalement, la doctrine majoritaire s’est prononcée en faveur de la seconde solution, au motif qu’elle permettait d’assurer l’égalité dans les rapports conjugaux conformément à l’esprit de la loi du 13 juillet 1965.

Si, depuis l’adoption de la loi du 23 décembre 1985, la question de l’application de la présomption de l’article 222 du Code civil dans les rapports entre époux a perdu de son intérêt, en raison de l’abolition du monopole du mari sur la gestion des biens commun, elle demeure toujours d’actualité pour les cas où un époux contesterait l’accomplissement d’un acte par son conjoint sur un bien lui appartenant en propre ou s’il s’agit, sous un régime de communauté, de gains et salaires.

Pour qu’il soit fait droit à son action en responsabilité, c’est à l’époux qui revendique qu’il reviendra de prouver que son conjoint n’avait pas le pouvoir de disposer, sans son consentement, le bien disputé.

L’autonomie mobilière des époux: domaine de la présomption (art. 222 C. civ.)

==> Vue générale

Assez paradoxalement alors que la femme mariée était, jadis, frappée d’une incapacité d’exercice générale, très tôt on a cherché à lui reconnaître une sphère d’autonomie et plus précisément à lui octroyer un pouvoir de représentation de son mari.

La raison en est que l’entretien du ménage et l’éducation des enfants requièrent l’accomplissement d’un certain nombre de démarches. Or tel a été la tâche qui, pendant longtemps, a été exclusivement dévolue à la femme mariée.

Elle était, en effet, chargée de réaliser les tâches domestiques, tandis que le mari avait pour mission de procurer au foyer des revenus de subsistance.

Au nombre des missions confiées à la femme mariée figurait notamment l’accomplissement d’un certain nombre de d’actes nécessaires à la satisfaction des besoins de la vie courante. Cette tâche supposait notamment, outre la réalisation de dépenses, l’accomplissement d’actes d’administration et de disposition sur les biens mobiliers du ménage.

Reste que, en l’absence de capacité juridique, elle n’était autorisée à s’adresser aux tiers que par l’entremise de son mari.

C’est la raison pour laquelle, afin de permettre à la femme mariée de tenir son rôle, il fallait imaginer un système qui l’autorise à accomplir des actes juridiques et plus précisément à gérer les biens du ménage.

Dans un premier temps, il a été recouru à la figure juridique du mandat domestique, ce qui consistait à considérer que le mari avait donné tacitement mandat à son épouse à l’effet de le représenter quant à l’accomplissement de tous les actes nécessaires à la satisfaction des besoins de la vie courante.

De cette manière, ce dernier se retrouvait personnellement engagé par les engagements souscrits par sa conjointe auprès des tiers, alors même que, à titre individuel, elle était frappée d’une incapacité juridique.

Le recours à cette technique juridique n’était toutefois pas sans limite. Le mari n’était obligé envers les tiers qu’autant qu’il était démontré qu’il avait, au moins tacitement, donné mandat à son épouse à l’effet de le représenter.

À l’inverse, s’il parvenait à établir qu’il n’avait pas consenti à l’acte dénoncé, les tiers ne disposaient d’aucun recours direct contre lui, ce qui les contraignait à exercer au gré des circonstances, tantôt à emprunter la voie de l’action de in rem verso, tantôt à l’action oblique.

En réaction à cette situation fâcheuse qui menaçait les intérêts des tiers, ce qui les avait conduits à exiger systématiquement l’accord exprès du mari pour les actes accomplis par son épouse, au préjudice du fonctionnement du ménage, le législateur a décidé d’intervenir au milieu du XXe siècle.

Dans un second temps, la loi n°65-570 du 13 juillet 1965 a reconnu à la femme mariée, non plus un pouvoir de représentation de son mari en matière mobilière, mais un pouvoir d’accomplir seule des actes d’administration et de dispositions sur les biens meubles du ménage.

La règle est énoncée à l’article 222 du Code civil qui prévoit que « si l’un des époux se présente seul pour faire un acte d’administration, de jouissance ou de disposition sur un bien meuble qu’il détient individuellement, il est réputé, à l’égard des tiers de bonne foi, avoir le pouvoir de faire seul cet acte. »

Est ainsi instituée une présomption de pouvoir en matière mobilière, laquelle n’est autre que le corollaire de la présomption qui joue en matière bancaire et qui plus précisément autorise, en application de l’article 221, les époux à se faire ouvrir seul un compte bancaire et à disposer librement des fonds qui y sont déposés.

Ces présomptions sont complémentaires : elles visent toutes deux à garantir l’autonomie des époux quant à assurer le fonctionnement du ménage pour les actes de la vie quotidienne.

À l’instar de la présomption de pouvoir en matière bancaire, la présomption de pouvoir instituée par l’article 222 du Code civil relève du régime primaire impératif, de sorte qu’elle a vocation à jouer quel que soit le régime matrimonial applicable aux époux.

Surtout, elle a pour effet, et c’est là tout son intérêt, d’autoriser les époux à accomplir, sans le consentement du conjoint, des actes d’administration et de disposition sur les biens meubles du ménage, de sorte que les tiers – de bonne foi – n’ont pas à se soucier du pouvoir celui avec lequel ils traitent.

Par ce mécanisme de présomption de pouvoir, l’autonomie conférée aux époux en matière mobilière est pleine et entière.

En effet, non seulement, ils sont dispensés de fournir aux tiers des justifications quant à l’étendue de leur pouvoir, mais encore les actes accomplis par un époux seul sur un bien mobilier ne risquent pas d’être remis en cause par le conjoint au préjudice du tiers.

Au bilan, la volonté du législateur d’instaurer une véritable égalité dans les rapports conjugaux, mouvement qui s’est amorcé dès le début du XXe siècle, l’a conduit à conférer à la femme mariée une sphère de liberté l’autorisant à agir seule.

Cette autonomie dont jouissent les époux, qui sont désormais placés sur un pied d’égalité, se traduit en matière mobilière par l’institution d’une présomption dont il convient d’étudier le domaine.

I) Le domaine quant aux biens

A) La nature du bien

  1. Les biens relevant du domaine de la présomption

Il ressort de l’article 222 du Code civil que la présomption instituée au profit des époux ne joue que pour les biens meubles.

La question qui alors se pose est de savoir ce que recouvre la notion de biens meubles. D’ordinaire, il y aurait lieu, pour répondre à cette question, de se reporter à l’article 527 du Code civil qui prévoit que « les biens sont meubles par leur nature ou par la détermination de la loi. »

Cette disposition n’est toutefois pas pertinente s’agissant de déterminer le domaine matériel de la présomption de l’article 222, dans la mesure où seuls les biens meubles susceptibles de faire l’objet d’une détention individuelle sont visés par le texte.

C’est la raison pour laquelle, la doctrine appréhende classiquement la notion de biens meubles par le biais de la classification secondaire qui oppose les biens corporels aux biens incorporels.

==> S’agissant des biens meubles corporels

Conformément à l’article 528 du Code civil, les biens meubles sont ceux « qui peuvent se transporter d’un lieu à un autre. »

Il s’agit, autrement dit, de toutes des choses qui sont mobiles et qui, donc ne sont ni fixées, ni incorporées au sol, pourvu qu’elles puissent faire l’objet d’une appréhension physique.

À cet égard, parce qu’elle ne relève pas du domaine de la présomption de pouvoir instituée par l’article 221 du Code civil qui joue en matière bancaire, il a été admis que la détention d’une somme argent donnait lieu à l’application de la présomption de pouvoir de l’article 222 (Cass. 1ère civ. 5 avr. 1993, n°90-20.491).

Lorsque le bien administré par un époux consiste en des deniers, il s’opère ainsi une communication entre les deux présomptions :

  • Lorsque des fonds sont déposés sur un compte bancaire, c’est la présomption de l’article 221 du Code civil qui a vocation à jouer
  • Lorsque, en revanche, une somme d’argent est détenue physiquement par un époux, c’est la présomption de l’article 222 qui s’applique

Tandis que la première présomption exige, pour être applicable, une inscription en compte, la seconde ne produit ses effets qu’à la condition que le bien puisse faire l’objet d’une détention matérielle.

Le même raisonnement est susceptible d’être tenu pour les titres au porteur qui sont susceptibles d’être inscrits en compte et peuvent également être détenus physiquement par un époux, encore que cette seconde hypothèse tende à se raréfier.

La loi n°81-1160 du 30 décembre 1981 complétée par le décret n°83-359 du 2 mai 1983 a, en effet, rendu obligatoire l’inscription en compte des titres au porteur, de sorte qu’il est désormais fait interdiction aux sociétés d’émettre sous format papier des valeurs mobilières.

==> S’agissant des biens meubles incorporels

Les choses incorporelles se distinguent des choses corporelles en ce qu’elles n’ont pas de réalité physique. Elles sont tout ce qui ne peut pas être saisi par les sens et qui est extérieur à la personne.

Parce qu’elles sont dépourvues de toute substance matérielle et qu’elles n’existent qu’à travers l’esprit humain, les choses incorporelles ne peuvent pas être touchées. Elles ne peuvent donc pas faire l’objet d’une détention, à tout le moins physiquement.

Or la « détention individuelle » est exigée par l’article 222 du Code civil pour que la présomption de pouvoir qu’elle institue puisse jouer. Fort de ce constat, les auteurs se sont demandé si les biens incorporels relevaient du domaine de cette présomption.

  • Les arguments contre
    • Les auteurs qui considèrent que les choses incorporelles sont exclues du domaine de la présomption de l’article 222 arguent que la détention d’une chose suppose l’exercice d’une emprise matérielle sur elle.
    • Or par hypothèse, une chose incorporelle, en ce qu’elle n’est pas tangible, ne peut pas faire l’objet d’une telle détention.
    • Les notions de chose incorporelle et de détention ne seraient donc pas compatibles.
    • Dans ces conditions, la présomption instituée à l’article 222 du Code civil ne viserait que les seuls biens corporels
  • Les arguments pour
    • Les auteurs favorables à une inclusion des choses incorporelles dans le champ d’application de l’article 222 justifient leur thèse en se référant aux travaux préparatoires qui ont donné lieu à l’adoption de la loi du 13 juillet 1965.
    • Initialement, le texte visait les « meubles détenus corporellement». Les parlementaires ont finalement retenu la formule « meubles détenus individuellement ».
    • En substituant le terme « corporellement» par « individuellement » le législateur aurait marqué son souhait ne pas limiter le domaine de la présomption de l’article 222 aux seules choses corporelles.
    • Aussi, dans sa rédaction finale, le texte ne distingue plus selon la nature de la chose détenue par un époux.
    • En application de l’adage ubi lex non distinguit, il n’y aurait donc pas lieu d’exclure du domaine de l’article 222 les choses incorporelles.

À l’analyse, la doctrine contemporaine est majoritairement favorable à une interprétation extensive du texte, soit à une application de la présomption, tant aux choses corporelles, qu’aux choses incorporelles.

Nous partageons cette position au motif que l’exercice d’une emprise physique sur une chose n’est pas son seul mode de détention. Une chose incorporelle, tel qu’un fichier informatique, par exemple, peut parfaitement être détenu par le biais d’un disque dur ou d’un accès à un ordinateur distant.

2. Les biens exclus du domaine d la présomption

L’article 222 du Code civil exclut expressément de son champ d’application un certain nombre de biens pour lesquels la présomption de pouvoir instituée par le texte ne pourra donc pas jouer.

L’alinéa 2 prévoit en ce sens que « cette disposition n’est pas applicable aux meubles meublants visés à l’article 215, alinéa 3, non plus qu’aux meubles corporels dont la nature fait présumer la propriété de l’autre conjoint conformément à l’article 1404 ».

Au nombre des biens meubles qui ne relèvent pas du domaine de l’article 222 figurent ainsi :

  • Les meubles meublants
    • Si l’on se reporte à l’article 534 du Code civil qui définit la notion de meubles meublants, ils correspondent à ceux « destinés à l’usage et à l’ornement des appartements, comme tapisseries, lits, sièges, glaces, pendules, tables, porcelaines et autres objets de cette nature ».
    • L’alinéa 2 de l’article 534 précise que, « les tableaux et les statues qui font partie du meuble d’un appartement y sont aussi compris, mais non les collections de tableaux qui peuvent être dans les galeries ou pièces particulières». Sont ainsi exclus de la qualification de meubles meublants, les biens mobiliers qui constituent une universalité de fait.
    • L’alinéa 3 du texte ajoute qu’« il en est de même des porcelaines : celles seulement qui font partie de la décoration d’un appartement sont comprises sous la dénomination de “meubles meublants».
    • Pour qu’un bien mobilier puisse être qualifié de meuble meublant, encore faut-il qu’il soit toujours présent dans le logement au moment où l’acte litigieux est accompli par un époux seul et que logement qu’ils garnissent soit la résidence familiale au sens de l’article 215, al. 3e du Code civil. Or tel ne sera pas le cas d’une résidence secondaire et plus généralement de toute habitation dans laquelle la famille n’a pas élu domicile à titre stable et permanent.
    • L’exclusion des meubles meublants du domaine de la présomption de pouvoir instituée par l’article 222 du Code civil s’explique par la volonté du législateur de faire montre de cohérence avec l’article 215, al. 3e du Code civil qui prévoit que « les époux ne peuvent l’un sans l’autre disposer des droits par lesquels est assuré le logement de la famille, ni des meubles meublants dont il est garni».
    • Dire que l’accomplissement d’actes d’administration et de disposition portant sur des meubles meublants est soumis à codécision des époux, et les autoriser, en même temps, à assurer seuls la gestion de ces mêmes meubles meublants serait revenu pour le législateur à se contredire.
    • C’est la raison pour laquelle, afin d’articuler les deux dispositions, il a été décidé de faire primer l’article 215, al. 3e du Code civil sur l’article 222.
    • Pratiquement, cela se traduit donc par une exclusion des meubles meublants du domaine de la présomption de pouvoir instituée par le second texte.
    • Aussi, en cas de violation par un époux de l’interdiction posée à l’article 215, al. 3e du Code civil, l’acte accompli sur les meubles meublants au mépris de cette interdiction pourrait faire l’objet d’une annulation, nonobstant la bonne foi du tiers.
  • Les biens propres par nature
    • L’article 222 du Code civil exclut expressément de son champ d’application les « meubles corporels dont la nature fait présumer la propriété de l’autre conjoint conformément à l’article 1404. »
    • Afin de déterminer ce que recouvre cette catégorie de biens meubles, il y a donc lieu de se reporter à l’article 1404 du Code civil.
    • Cette disposition prévoit que « forment des propres par leur nature, quand même ils auraient été acquis pendant le mariage, les vêtements et linges à l’usage personnel de l’un des époux, les actions en réparation d’un dommage corporel ou moral, les créances et pensions incessibles, et, plus généralement, tous les biens qui ont un caractère personnel et tous les droits exclusivement attachés à la personne. »
    • L’alinéa 2 ajoute que « forment aussi des propres par leur nature […] les instruments de travail nécessaires à la profession de l’un des époux, à moins qu’ils ne soient l’accessoire d’un fonds de commerce ou d’une exploitation faisant partie de la communauté. »
    • Il ressort de l’article 1404 que les biens propres par nature correspondent à tous les biens qui présentent un caractère personnel, soit qui sont très étroitement attachés à la personne de l’époux.

3. Cas particulier des biens immatriculés

À l’instar des choses incorporelles les biens immatriculés ont donné lieu à controverse quant à leur inclusion dans le domaine de l’article 222 du Code civil, alors même que le texte ne prévoit, pour cette catégorie de biens, aucune exclusion formelle.

Cette controverse est née d’une lecture de l’article 1424 qui prévoit que « les époux ne peuvent, l’un sans l’autre, aliéner ou grever de droits réels […] les meubles corporels dont l’aliénation est soumise à publicité ».

D’aucuns ont estimé qu’il fallait voir dans ce texte la volonté du législateur d’exiger, pour l’accomplissement d’actes d’administration et de disposition sur des biens immatriculés, le consentement des deux époux.

Or cette modalité de gestion des biens serait incompatible avec la présomption de pouvoir instituée à l’article 222 du Code civil.

Aussi, conviendrait-il de résoudre ce conflit en appliquant la même règle que celle assurant l’articulation de l’article 222 avec l’article 215, al. 3e du Code civil.

Il s’agirait de faire primer, cette fois-ci, l’article 1424 qui instaure une cogestion entre époux pour les biens immatriculés sur la présomption de pouvoir instituée à l’article 222.

En faveur de cette solution, des auteurs soutiennent que les biens soumis à publicité présentent, la plupart du temps, une grande valeur (navire, aéronef, véhicule etc.) ce qui justifierait que les époux ne puissent pas en disposer seuls. La présomption de pouvoir ne viserait, en effet, que les opérations courantes et non celles susceptibles d’affecter le patrimoine du ménage.

Il est encore avancé que cette présomption ne peut jouer qu’à la condition que le tiers avec lequel traitent les époux soit de bonne foi. Or en cas d’aliénation d’un bien immatriculé, ce dernier pourra difficilement arguer qu’il ignorait cette spécificité et que, par voie de conséquence, il était de bonne foi.

À ces arguments, il est opposé, tout d’abord, que les exceptions sont d’interprétation stricte, de sorte que seules celles expressément énoncées par l’article 222 doivent être exclues du domaine de la présomption de pouvoir.

Ensuite, il est soutenu que l’exigence de cogestion pour les biens immatriculés est énoncée par l’article 1424 applicable aux seuls époux mariés sous le régime légal. On ne saurait, dans ces conditions, tirer de cette disposition spéciale une règle générale qui s’appliquerait à tous les couples mariés quel que soit leur régime matrimonial.

À l’analyse, il y a lieu, selon nous, de se rallier à cette seconde thèse dans la mesure où l’article 222 du Code civil relève du régime primaire. Il a donc vocation à s’appliquer sous tous les régimes, sauf disposition contraire comme c’est le cas pour le régime légal.

Aussi, les biens soumis à immatriculation doivent, par principe, être inclus dans le champ d’application de la présomption de pouvoir instituée à l’article 222 du Code civil.

Enfin, contrairement à ce que suggèrent certains auteurs, rien ne justifie d’opérer une distinction selon qu’il s’agit d’une simple immatriculation ou d’une immatriculation doublée de formalités de publicité. Cette distinction n’est prévue par aucun texte. Elle ne serait donc assise sur aucune base légale.

B) La détention du bien

Pour que la présomption de pouvoir instituée par l’article 222 du Code civil puisse jouer, encore faut-il que le bien meuble sur lequel porte l’acte d’administration ou de disposition fasse l’objet d’une détention individuelle.

Cette précision vise à exclure du domaine de la présomption le cas où le bien serait détenu conjointement par les époux, raison pour laquelle le texte pose une exception pour les meubles meublants.

Par détention individuelle, il faut entendre une maîtrise personnelle et effective du bien, soit l’exercice d’une emprise exclusive sur la chose.

Contrairement à la notion de détention qui a cours en droit des biens, il n’est pas nécessaire que l’époux détenteur tienne son pouvoir d’un titre. La détention doit ici être comprise de façon plus large.

Ainsi que le relève des auteurs l’exigence de détention individuelle « revient à exiger qu’existe une apparence de pouvoir propres au profit de l’époux détenteur du bien »[1]. Il suffit donc que le pouvoir exercé par ce dernier sur la chose soit dénué de toute équivoque pour que la condition de l’article 222 soit remplie.

À cet égard, il est indifférent que cette détention s’exerce par l’entremise d’un tiers pourvu que celui-ci agisse pour le compte exclusif de l’époux détenteur du bien.

II) Le domaine quant aux actes

La présomption de pouvoir instituée par l’article 222 du Code civil s’applique dès lors que « l’un des époux se présente seul pour faire un acte d’administration, de jouissance ou de disposition sur un bien meuble ».

À l’analyse, tous les actes sont ici visés par le texte, sans qu’il y ait lieu de distinguer. Il peut tout autant s’agir d’un acte d’administration que d’un acte d’administration.

Aussi, l’époux détenteur du bien est-il autorisé à donner en location le bien, à en percevoir les fruits ou encore à l’aliéner sans qu’il lui soit nécessaire d’obtenir le consentement de son conjoint.

S’agissant de l’aliénation, certains auteurs ont soutenu que n’entraient dans le champ d’application de la présomption de pouvoir de l’article 222 que les actes de disposition à titre onéreux.

La raison en est que cette présomption ne couvrirait que les opérations de gestion courante. Or les actes de disposition à titre gratuit seraient des actes graves dont l’accomplissement exigerait le consentement des époux.

De l’avis de la doctrine majoritaire, il s’agit là d’une distinction qui ne repose sur aucun texte. Or là où la loi ne distingue pas, il n’y a pas lieu de distinguer (ubi lex non distinguit).

Dans ces conditions, rien ne justifie que les actes à titre gratuit qui seraient accomplis par un époux seul ne relève pas du domaine de l’article 222.

L’autonomie mobilière des époux: vue générale (art. 222 C. civ.)

==> Vue générale

Assez paradoxalement alors que la femme mariée était, jadis, frappée d’une incapacité d’exercice générale, très tôt on a cherché à lui reconnaître une sphère d’autonomie et plus précisément à lui octroyer un pouvoir de représentation de son mari.

La raison en est que l’entretien du ménage et l’éducation des enfants requièrent l’accomplissement d’un certain nombre de démarches. Or tel a été la tâche qui, pendant longtemps, a été exclusivement dévolue à la femme mariée.

Elle était, en effet, chargée de réaliser les tâches domestiques, tandis que le mari avait pour mission de procurer au foyer des revenus de subsistance.

Au nombre des missions confiées à la femme mariée figurait notamment l’accomplissement d’un certain nombre de d’actes nécessaires à la satisfaction des besoins de la vie courante. Cette tâche supposait notamment, outre la réalisation de dépenses, l’accomplissement d’actes d’administration et de disposition sur les biens mobiliers du ménage.

Reste que, en l’absence de capacité juridique, elle n’était autorisée à s’adresser aux tiers que par l’entremise de son mari.

C’est la raison pour laquelle, afin de permettre à la femme mariée de tenir son rôle, il fallait imaginer un système qui l’autorise à accomplir des actes juridiques et plus précisément à gérer les biens du ménage.

Dans un premier temps, il a été recouru à la figure juridique du mandat domestique, ce qui consistait à considérer que le mari avait donné tacitement mandat à son épouse à l’effet de le représenter quant à l’accomplissement de tous les actes nécessaires à la satisfaction des besoins de la vie courante.

De cette manière, ce dernier se retrouvait personnellement engagé par les engagements souscrits par sa conjointe auprès des tiers, alors même que, à titre individuel, elle était frappée d’une incapacité juridique.

Le recours à cette technique juridique n’était toutefois pas sans limite. Le mari n’était obligé envers les tiers qu’autant qu’il était démontré qu’il avait, au moins tacitement, donné mandat à son épouse à l’effet de le représenter.

À l’inverse, s’il parvenait à établir qu’il n’avait pas consenti à l’acte dénoncé, les tiers ne disposaient d’aucun recours direct contre lui, ce qui les contraignait à exercer au gré des circonstances, tantôt à emprunter la voie de l’action de in rem verso, tantôt à l’action oblique.

En réaction à cette situation fâcheuse qui menaçait les intérêts des tiers, ce qui les avait conduits à exiger systématiquement l’accord exprès du mari pour les actes accomplis par son épouse, au préjudice du fonctionnement du ménage, le législateur a décidé d’intervenir au milieu du XXe siècle.

Dans un second temps, la loi n°65-570 du 13 juillet 1965 a reconnu à la femme mariée, non plus un pouvoir de représentation de son mari en matière mobilière, mais un pouvoir d’accomplir seule des actes d’administration et de dispositions sur les biens meubles du ménage.

La règle est énoncée à l’article 222 du Code civil qui prévoit que « si l’un des époux se présente seul pour faire un acte d’administration, de jouissance ou de disposition sur un bien meuble qu’il détient individuellement, il est réputé, à l’égard des tiers de bonne foi, avoir le pouvoir de faire seul cet acte. »

Est ainsi instituée une présomption de pouvoir en matière mobilière, laquelle n’est autre que le corollaire de la présomption qui joue en matière bancaire et qui plus précisément autorise, en application de l’article 221, les époux à se faire ouvrir seul un compte bancaire et à disposer librement des fonds qui y sont déposés.

Ces présomptions sont complémentaires : elles visent toutes deux à garantir l’autonomie des époux quant à assurer le fonctionnement du ménage pour les actes de la vie quotidienne.

À l’instar de la présomption de pouvoir en matière bancaire, la présomption de pouvoir instituée par l’article 222 du Code civil relève du régime primaire impératif, de sorte qu’elle a vocation à jouer quel que soit le régime matrimonial applicable aux époux.

Surtout, elle a pour effet, et c’est là tout son intérêt, d’autoriser les époux à accomplir, sans le consentement du conjoint, des actes d’administration et de disposition sur les biens meubles du ménage, de sorte que les tiers – de bonne foi – n’ont pas à se soucier du pouvoir celui avec lequel ils traitent.

Par ce mécanisme de présomption de pouvoir, l’autonomie conférée aux époux en matière mobilière est pleine et entière.

En effet, non seulement, ils sont dispensés de fournir aux tiers des justifications quant à l’étendue de leur pouvoir, mais encore les actes accomplis par un époux seul sur un bien mobilier ne risquent pas d’être remis en cause par le conjoint au préjudice du tiers.

Au bilan, la volonté du législateur d’instaurer une véritable égalité dans les rapports conjugaux, mouvement qui s’est amorcé dès le début du XXe siècle, l’a conduit à conférer à la femme mariée une sphère de liberté l’autorisant à agir seule.

Cette autonomie dont jouissent les époux, qui sont désormais placés sur un pied d’égalité, se traduit en matière mobilière par l’institution d’une présomption dont les effets demeurent subordonnés à la bonne foi du tiers.

L’autonomie bancaire des époux: régime juridique (art. 221 C. civ.)

==> Vue générale

Assez paradoxalement alors que la femme mariée était, jadis, frappée d’une incapacité d’exercice générale, très tôt on a cherché à lui reconnaître une sphère d’autonomie et plus précisément à lui octroyer un pouvoir de représentation de son mari.

La raison en est que l’entretien du ménage et l’éducation des enfants requièrent l’accomplissement d’un certain nombre de démarches. Or tel a été la tâche qui, pendant longtemps, a été exclusivement dévolue à la femme mariée.

Elle était, en effet, chargée d’accomplir les tâches domestiques, tandis que le mari avait pour mission de procurer au foyer des revenus de subsistance.

Au nombre des missions confiées à la femme mariée figurait notamment la réalisation d’un certain nombre de dépenses nécessaires à la satisfaction des besoins de la vie courante. Cette tâche supposait donc, pratiquement, qu’elle soit en possession d’argent et qu’elle manipule de la monnaie.

Au cours du XXe siècle, le système monétaire a considérablement évolué sous l’effet de l’apparition de la monnaie scripturale, soit de la monnaie dont la création et la circulation impliquent une inscription en compte.

Le développement de cette monnaie scripturale a, mécaniquement, considérablement accru le rôle du banquier qui est devenu un fournisseur de moyens incontournable des ménages.

Reste que, en l’absence de capacité juridique, elle n’était autorisée à s’adresser au banquier que par l’entremise de son mari.

C’est la raison pour laquelle, afin de permettre à la femme mariée de tenir son rôle, il fallait imaginer un système qui l’autorise à accomplir des actes juridiques et plus précisément à faire fonctionner le compte du ménage.

Dans un premier temps, il a été recouru à la figure juridique du mandat domestique, ce qui consistait à considérer que le mari avait donné tacitement mandat à son épouse à l’effet de le représenter quant à l’accomplissement de tous les actes nécessaires à la satisfaction des besoins de la vie courante.

De cette manière, ce dernier se retrouvait personnellement engagé par les engagements souscrits par sa conjointe auprès des tiers, alors même que, à titre individuel, elle était frappée d’une incapacité juridique.

Le recours à cette technique juridique n’était toutefois pas sans limite. Le mari n’était obligé envers les tiers qu’autant qu’il était démontré qu’il avait, au moins tacitement, donné mandat à son épouse à l’effet de le représenter.

À l’inverse, s’il parvenait à établir qu’il n’avait pas consenti à l’acte dénoncé, les tiers ne disposaient d’aucun recours direct contre lui, ce qui les contraignait à exercer au gré des circonstances, tantôt à emprunter la voie de l’action de in rem verso, tantôt à l’action oblique.

En réaction à cette situation fâcheuse qui menaçait les intérêts des tiers, ce qui les avait conduits à exiger systématiquement l’accord exprès du mari pour les actes accomplis par son épouse, au préjudice du fonctionnement du ménage, le législateur a décidé d’intervenir au milieu du XXe siècle.

Dans un deuxième temps, la loi du 22 septembre 1942 a ainsi consacré la règle du mandat domestique en instituant plusieurs présomptions de pouvoir au profit de la femme mariée, dont une présomption en matière bancaire.

Cette présomption, énoncée à l’article 221 du Code civil, prévoyait que « la femme peut, sur sa seule signature, faire ouvrir, par représentation de son mari, un compte courant spécial pour y déposer ou retirer les fonds qu’il laisse entre ses mains ».

Ainsi, la femme mariée était-elle désormais investie du pouvoir de se faire ouvrir, sans l’autorisation de son mari, un compte ménager pour la réalisation des opérations bancaires de la vie courante.

Le législateur avait néanmoins pris le soin de préciser lors de l’adoption de la loi du 1er février 1943 que le mari disposait de la faculté de faire opposition aux opérations accomplies par son épouse, de révoquer le pouvoir de cette dernière sur le compte et de disposer du solde créditeur.

Curieusement, alors que sensiblement à la même période, la loi du 18 février 1938 venait d’abolir l’incapacité civile de la femme mariée, l’article 221 du Code civil nouvellement adopté ne lui reconnaissait une autonomie bancaire que par l’entremise du pouvoir de représentation de son mari dont elle était désormais légalement investie, à tout le moins s’agissant de la gestion des deniers communs.

En effet, la loi du 22 septembre 1942 lui avait reconnu, et c’est là l’une des premières marques d’émancipation de la femme mariée, le droit de se faire ouvrir, sans qu’il soit nécessaire qu’elle obtienne l’autorisation de son mari, un compte personnel pour y déposer les fonds qu’elle détenait en propre.

L’article 222 du Code civil prévoyait en ce sens que « lorsque la femme a l’administration et la jouissance de ses biens personnels ou des biens réservés qu’elle acquiert par l’exercice d’une activité professionnelle séparée, elle peut se faire ouvrir un compte courant en son nom propre ».

Si, en droit, ces mesures adoptées par le législateur, ont étendu de façon substantielle l’autonomie bancaire de la femme mariée, en pratique cette autonomie est demeurée limitée.

Elle s’est, en effet heurtée à la résistance des banquiers qui exigeaient toujours :

  • Soit la justification du régime matrimonial, de la provenance des fonds ou encore de l’exercice d’une profession séparée
  • Soit l’intervention directe du mari aux fins de participation à l’acte

Ces demandes excessives de justification étaient motivées par la crainte des banquiers de traiter avec une femme mariée qui ne disposait pas du pouvoir d’accomplir l’acte sollicité.

Si cette dernière était investie du pouvoir de disposer de ses biens propres et réservés, encore fallait-il que le banquier s’assure de leur provenance. Or cela supposait que la femme mariée apporte une justification pour chaque dépôt de fonds.

Relevant que le système qu’il avait institué par les lois des 22 septembre 1942 et 1er février 1943 ne conférait pas à la femme mariée l’autonomie bancaire qu’il avait envisagée initialement, le législateur a cherché à le réformer à l’occasion de la grande réforme des régimes matrimoniaux qui est intervenue en 1965 et qui visait à instituer une véritable égalité entre la femme mariée et son époux.

Dans un troisième temps, la loi n°65-570 du 13 juillet 1965 a reformulé les termes de l’article 221 du Code civil en reconnaissant à la femme mariée, non plus un pouvoir de représentation de son mari pour l’ouverture d’un compte ménager, mais du pouvoir d’ouvrir un tel compte en son nom propre.

Par compte ménager, il faut entendre un compte sur lesquels sont susceptibles d’être déposés, tout autant des fonds propres que des fonds communs.

Jusqu’alors, la femme mariée était autorisée à ouvrir un compte en son nom propre que pour y déposer les fonds dont elle avait l’administration et la jouissance exclusive.

Désormais, la provenance des fonds qu’elle est susceptible de déposer sur ses comptes est indifférente : la femme mariée est investie du droit de se faire ouvrir un compte bancaire en son nom propre quel que soit le motif et de le faire fonctionner librement.

Le nouvel article 221 du Code civil prévoit en ce sens que :

  • D’une part, « chacun des époux peut se faire ouvrir, sans le consentement de l’autre, tout compte de dépôt et tout compte de titres en son nom personnel. »
  • D’autre part, « à l’égard du dépositaire, le déposant est toujours réputé, même après la dissolution du mariage, avoir la libre disposition des fonds et des titres en dépôt. »

En autorisant les époux à se faire librement ouvrir un compte personnel et en faisant présumer qu’ils sont investis du pouvoir de faire fonctionner ce compte, sans qu’il soit besoin pour eux de recueillir l’accord de leur conjoint, il n’est dès lors plus nécessaire pour le banquier d’exiger la fourniture de justifications.

Par le jeu de cette présomption, les opérations accomplies par un époux seul sur un compte ouvert en son nom propre ne risquaient plus d’être remises en cause par son conjoint au préjudice du banquier.

L’autonomie bancaire qui avait été envisagée par le législateur en 1942 pouvait alors véritablement opérer.

Parce que l’article 221 du Code civil conférait aux époux une complète autonomie en matière bancaire, la loi n° 85-1372 du 23 décembre 1985 relative à l’égalité des époux dans les régimes matrimoniaux et des parents dans la gestion des biens des enfants mineurs ne l’a quasiment pas retouché.

L’intervention du législateur s’est limitée à préciser que la présomption de pouvoir instituée au profit du dépositaire à l’égard du déposant s’agissant du fonctionnement du compte continuait à produire ses effets « même après la dissolution du mariage ».

Cette précision visait à mettre un terme à une controverse jurisprudentielle et doctrinale née consécutivement à l’adoption de la loi du 13 juillet 1965.

La question s’était, en effet, posée de savoir quels étaient les droits et obligations de l’époux sur les comptes que son conjoint avait ouvert en son nom propre lors de la dissolution du mariage.

Fallait-il considérer que la dissolution emportait extinction de la présomption de pouvoir ou, à l’inverse, qu’elle survivait à la disparition de l’union matrimoniale.

Le législateur a opté, en 1985, pour la seconde solution, l’objectif recherché étant d’éviter, au moment de la dissolution du mariage, un blocage des comptes personnels des époux.

Au bilan, la volonté du législateur d’instaurer une véritable égalité dans les rapports conjugaux, mouvement qui s’est amorcé dès le début du XXe siècle, l’a conduit à conférer à la femme mariée une sphère de liberté l’autorisant à agir seule.

Cette autonomie dont jouissent les époux, qui sont désormais placés sur un pied d’égalité, se traduit en matière bancaire par l’adoption de deux deux dispositifs qui intéressent :

  • D’une part, l’ouverture du compte
  • D’autre part, le fonctionnement du compte

§1: L’ouverture du compte bancaire

I) Le principe de liberté d’ouverture des comptes

L’article 221 du Code civil prévoit que « chacun des époux peut se faire ouvrir, sans le consentement de l’autre, tout compte de dépôt et tout compte de titres en son nom personnel. »

Il ressort de cette disposition que les époux sont libres de se faire ouvrir, en leur nom propre, un compte bancaire, sans qu’il leur soit besoin d’obtenir le consentement du conjoint.

La consécration de cette liberté dans le Code civil et plus précisément dans la partie dédiée au régime primaire impératif, procède de la volonté du législateur d’instaurer une véritable égalité dans les rapports conjugaux.

Il a, en effet, fallu attendre la loi n°65-570 du 13 juillet 1965 pour que soit aboli le statut de la femme mariée qui la plaçait sous la tutelle de son mari.

À partir de 1942 elle était certes autorisée à se faire ouvrir un compte personnel pour les biens personnels ou réservés dont elle avait l’administration et la jouissance exclusive.

Toutefois, elle devait obtenir l’autorisation de son mari s’agissant de l’ouverture d’un compte ménager, soit d’un compte sur lequel seraient déposés des deniers communs.

Elle ne pouvait donc agir qu’en représentation de son mari, ce qui avait conduit les banquiers à systématiquement exiger de la femme mariée qu’elle se justifie quant à sa situation matrimoniale et à la provenance des fonds qu’elle entendait déposer.

Désormais, la liberté dont jouit la femme mariée quant à l’ouverture d’un compte bancaire est des plus complète.

Ainsi que le relève un auteur, l’originalité de l’alinéa 1er de l’article 221 du Code civil « réside, non pas dans l’octroi à la femme du droit de se faire ouvrir un compte à son nom personnel sans le consentement de son mari […], mais bien dans le fait de la placer à égalité avec lui ; pour elle, la faculté est devenue générale comme elle l’a toujours été pour le mari, et qui plus est le législateur fait en sorte que disparaissent les entravent qu’en pratique l’exercice de ce droit subissait »[1].

Au fond, il faut comprendre cette disposition comme visant moins à consacrer la liberté d’ouverture des comptes dont jouissent les époux, qu’à signaler l’abolition de l’assujettissement de femme mariée à son époux en matière bancaire.

II) L’étendue de la liberté d’ouverture des comptes

L’article 221, al. 1er du Code civil prévoit que les comptes concernés par la liberté conférée aux époux en matière bancaire sont :

  • D’une part, les comptes de dépôt et les comptes titres
  • D’autre part, les comptes ouverts sous le « nom personnel » des époux

A) Les comptes de dépôt et les comptes titres

==> S’agissant des comptes de dépôt

Le compte de dépôt, qualifié encore de compte à vue, de compte chèque ou encore de compte courant est un instrument permettant de déposer des fonds et d’effectuer des opérations financières.

La formule retenue est volontairement large, l’objectif recherché par le législateur étant de viser, tout autant les comptes de dépôt sur livret, que les comptes de dépôt à terme. La particularité de ces comptes spéciaux est qu’ils ne peuvent pas donner lieu à l’émission de chèques.

Ainsi que le révèlent les travaux parlementaires, initialement, il était prévu de circonscrire la liberté des époux d’ouverture d’un compte aux seuls comptes chèques, à l’exclusion de tout autre compte.

Cette limitation n’a finalement pas été retenue par le législateur qui a préféré viser tous les comptes de dépôt, pourvu qu’ils soient ouverts dans les livres d’un établissement bancaire ou financier au sens de l’article L. 511-1 du Code monétaire et financier.

Il en résulte que l’article 221 du Code civil serait inapplicable, s’agissant de l’ouverture d’un compte de dépôt auprès d’une personne qui n’endosserait pas cette qualité, soit qui ne serait pas titulaire de l’agrément délivré par l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR).

Tel serait le cas d’un particulier, d’un notaire, d’un avocat ou encore d’un commerçant, qui, par hypothèse, ne sont pas des professionnels des opérations de banque, ni ne sont, d’ailleurs, pas autorisés à en réaliser, ce domaine d’activité relevant du monopole des établissements agréés.

==> S’agissant des comptes titres

A la différence du compte de dépôt, le compte titre est un instrument permettant de déposer, non pas de la monnaie, mais des valeurs mobilières.

La question s’est alors posée, faute d’indication dans les travaux parlementaires, si le texte visait les seuls titres au porteur, soit ceux détenus de façon anonyme par l’investisseur ou s’il fallait inclure les titres nominatifs, c’est-à-dire ceux dont le nom du porteur est attaché au titre.

D’aucuns soutenaient, en effet, qu’il y avait lieu d’exclure ces derniers du domaine de l’article 221 du Code civil dans la mesure où la détention de titres nominatifs pouvait se faire en dehors de toute inscription en compte.

La controverse née en doctrine a finalement été tranchée à l’aune de l’adoption de la loi n°81-1160 du 30 décembre 1981 complétée par le décret n°83-359 du 2 mai 1983 qui, sous l’effet de la dématérialisation des valeurs mobilières, a rendu obligatoire l’inscription en compte, tant des titres aux porteurs que des titres nominatifs[2].

L’article 221 du Code civil a, dans ces conditions et de l’avis unanime des auteurs, vocation à s’appliquer pour les deux sortes de titres.

B) Les comptes ouverts sous le nom personnel des époux

L’article 221 du Code civil prévoit qu’un époux est autorisé à se faire ouvrir sans le consentement de son conjoint un compte bancaire « en son nom personnel ».

Des auteurs se sont interrogés sur le sens à donner à cette précision. Faut-il comprendre que l’ouverture d’un compte par un époux avec des tiers, tel qu’un compte joint ou un compte indivis, ne serait pas visée par l’article 221 ?

La doctrine majoritaire répond par l’affirmative à cette question, considérant qu’il s’agit là d’« une survivance malheureuse de l’époque où il fallait distinguer le compte personnel de la femme mariée de celui qu’elle ouvrait en représentation de son mari »[3].

Autrement dit, par la formule « en son nom personnel », il faut entendre que l’époux, et plus précisément l’épouse, est libre, en toutes circonstances, de se faire ouvrir un compte, y compris ménager, sans qu’il lui soit besoin d’obtenir le consentement de son conjoint.

À l’analyse l’esprit qui anime la règle énoncée à l’article 221 consiste à interdire au banquier d’exiger d’un époux qui sollicite l’ouverture d’un compte qu’il justifie de sa situation matrimoniale ou de la provenance des fonds ou des titres qu’il entend déposer.

III) L’exercice de la liberté d’ouverture des comptes

La liberté dont jouit chaque époux de se faire ouvrir un compte bancaire en son nom personnel emporte deux conséquences :

  • D’une part, chaque époux peut se faire ouvrir un compte en son nom personnel sans qu’il lui soit besoin d’obtenir l’autorisation de son conjoint
  • D’une part, il est fait interdiction au banquier de subordonner l’ouverture du compte à la fourniture d’informations relatives à la situation matrimoniale de son client

==> Sur l’absence d’exigence d’obtention de l’autorisation du conjoint

L’article 221 du Code civil précise expressément que l’ouverture par un époux d’un compte bancaire en son nom personnel n’est pas subordonnée à l’obtention de l’autorisation de son conjoint.

Cette précision vise à garantir une autonomie des plus larges aux époux, et plus encore à rappeler que, en matière bancaire, la femme mariée est désormais libérée de la tutelle de son mari.

Parce qu’elle relève du régime primaire, il s’agit là d’une règle d’ordre public à laquelle il ne peut pas être dérogé par convention contraire.

Pratiquement, elle implique que le banquier ne saurait se voir reprocher d’avoir ouvert un compte bancaire à un époux sans avoir sollicité le consentement du conjoint, quand bien même les fonds déposés sur ce compte appartiendraient en propre à ce dernier.

En pareille hypothèse, ainsi qu’il l’a été rappelé par la Cour de cassation dans un arrêt du 9 juillet 2008, il appartient à celui qui revendique la propriété des fonds de rapporter la preuve de leur caractère propre (Cass. 1ère civ. 9 juill. 2008, n°07-16.545).

À cet égard, la première chambre civile a pris le soin de préciser, dans cette décision, s’agissant d’époux sont mariés sous un régime de communauté, que « les deniers déposés sur le compte bancaire d’un époux sont présumés, dans les rapports entre conjoints, être des acquêts ».

Il en résulte que la nature de propre des fonds versés sur le compte d’un époux ne peut se déduire du seul fait qu’ils proviennent de son compte personnel.

En application de l’article 1402 du Code civil, ils sont présumés être des biens communs, charge à l’époux titulaire du compte de rapporter la preuve contraire.

==> Sur l’interdiction faite au banquier d’exiger la fourniture de justifications

Si le législateur est intervenu en 1965 pour réformer le dispositif qu’il avait institué vingt ans plus tôt à l’article 221 c’était, outre sa volonté d’instaurer une véritable égalité entre les époux en matière bancaire, pour mettre un terme à une pratique contraire à l’esprit de la loi de 1942 qui s’était installée chez les banquiers.

En effet, alors même que cette loi conférait à la femme mariée le pouvoir, soit d’agir en représentation de son mari pour les opérations accomplies sur le compte ménager, soit d’agir en son nom propre pour les fonds dont elle avait l’administration et la jouissance exclusive, les établissements bancaires exigeaient systématiquement que ces dernières justifient de leur situation matrimoniale et de la provenance des fonds déposés sur leur compte personnel.

Tel qu’il est désormais rédigé, l’article 221 du Code civil interdit au banquier de solliciter la fourniture de telles justifications aux époux.

Tout au plus, il peut – et c’est même une obligation légale – vérifier l’identité de l’époux sollicitant l’ouverture d’un compte bancaire préalablement à toute entrée en relation (V. en ce sens l’article 561-5 du Code monétaire et financier).

Pour ce qui est, en revanche, de la situation matrimoniale de son client, il lui est fait interdiction de demander tout renseignement en lien avec cette situation. Il engagerait sa responsabilité s’il subordonnait l’ouverture d’un compte à la fourniture de tels renseignements.

Cette interdiction ne vaut, toutefois, que pour l’ouverture d’un compte bancaire et les opérations de dépôt et de retrait associées.

Lorsqu’un époux sollicite, par exemple, l’octroi d’un crédit, le banquier est pleinement autorisé à l’interroger sur son régime matrimonial, dans la mesure où cette information lui permettra de déterminer l’étendue de son gage et d’en tirer toutes les conséquences quant aux garanties à prendre.

S’agissant de la provenance des fonds déposés sur le compte ouvert par un époux en son nom propre, les seules justifications qui peuvent être demandées par le banquier sont celles motivées par un soupçon de blanchiment de capitaux ou de financement d’activités terroristes.

En dehors de cette motivation, il est fait interdiction aux établissements bancaires d’interroger les époux sur la provenance des fonds déposés sur les comptes personnels.

§2: Le fonctionnement du compte bancaire

Dans le prolongement de l’alinéa 1er de l’article 221 du Code civil qui énonce la liberté pour les époux de se faire ouvrir un compte bancaire en leur nom personnel, l’alinéa 2 régit donc le fonctionnement de ce compte.

Le texte prévoit en ce sens que « à l’égard du dépositaire, le déposant est toujours réputé, même après la dissolution du mariage, avoir la libre disposition des fonds et des titres en dépôt. »

Est ainsi instituée une présomption de pouvoir au profit de l’époux titulaire d’un compte ouvert en son nom personnel qui l’autorise à accomplir toutes opérations sur ce compte, sans qu’il lui soit besoin de solliciter l’autorisation de son conjoint.

À l’analyse, cette présomption qui est issue de la loi n°65-570 du 13 juillet 1965 vise à régir le fonctionnement quotidien du compte.

Pratiquement, elle dispense le banquier d’exiger la fourniture de justifications s’agissant des dépôts et des retraits qu’un époux est susceptible de réaliser sur son compte personnel.

Afin d’appréhender la présomption ainsi posée dans tous ses aspects, il convient d’envisager son domaine, ses effets et sa durée.

I) Le domaine de la présomption

A) Le domaine de la présomption quant aux opérations

Les termes de l’article 221 du Code civil suggèrent que toutes les opérations réalisées sur le compte dont est titulaire un époux à titre personnel sont visées par la présomption.

Aussi est-il libre d’accomplir toutes les opérations qui intéressent le fonctionnement du compte, au nombre desquelles figurent notamment :

  • Les dépôts et les retraits de fonds,
  • L’acquisition et la vente de titres
  • L’émission d’ordres de virements
  • L’émission et l’encaissement de chèques
  • La réalisation d’un apport en société ou d’une augmentation capital social
  • Le détachement de coupons ou la vente de rompus

A contrario, cela signifie que ne relèvent pas du domaine de la présomption de l’article 221 du Code cil les opérations réalisées hors compte.

Lors de l’élaboration de la loi du 13 juillet 1965, il avait été question d’ajouter un troisième alinéa au texte qui aurait prévu que « chacun des époux peut effectuer sans le consentement de l’autre toutes opérations de banque et de bourse en son nom personnel ».

Cet amendement a finalement été rejeté par le parlement au motif qu’il aurait eu pour effet d’étendre la présomption de l’article 221 du Code civil aux opérations réalisées en dehors du compte bancaire.

Or ces opérations pouvaient pleinement être appréhendées par le jeu de la présomption de pouvoir instituée à l’article 222 du Code civil qui concerne les biens mobiliers détenus individuellement par un époux.

Aussi a-t-il été décidé d’exclure du domaine de la présomption de l’article 221 les opérations dont la réalisation ne procède pas d’une inscription en compte, et plus généralement toutes celles réalisées hors compte de l’époux.

B) Le domaine de la présomption quant aux personnes

==> La présomption dans les rapports entre les époux et le dépositaire

L’article 221 du Code civil prévoit expressément que la présomption de pouvoir instituée au profit des époux joue « à l’égard du dépositaire ».

Concrètement cela signifie que la responsabilité du banquier ne saurait être recherchée au motif qu’il n’aurait pas exigé de l’époux déposant des justifications quant à la réalisation d’opérations sur son compte.

Les époux sont réputés à l’égard du dépositaire avoir tous pouvoirs pour réaliser des opérations sur les comptes ouverts en leur nom personnel.

Dès lors, le banquier n’a pas à se préoccuper des pouvoirs du déposant, ni de la régularité, au regard de son régime matrimonial, des opérations qu’il lui est demandé d’exécuter.

Non seulement il est fait interdiction au dépositaire de faire obstacle au fonctionnement du compte, mais encore il engagerait sa responsabilité s’il méconnaissait cette interdiction, en refusant, par exemple, d’exécuter une opération, sauf les cas de fraudes ou d’anomalies apparentes.

Il en va tout autrement, en revanche, dans les rapports des époux avec les tiers autres que le dépositaire.

La question s’est, en effet, posée de savoir si la présomption de l’article 221 du Code civil pouvait jouer à la faveur, par exemple, du bénéficiaire d’un chèque ou d’un ordre de virement émis par le déposant.

Ce tiers peut-il, autrement dit, se prévaloir de cette présomption afin de faire échec à la demande d’annulation d’une opération formulée par le conjoint au motif qu’elle aurait été accomplie par le titulaire du compte en dépassement de son pouvoir ?

À cette question, la doctrine répond unanimement par la négative, considérant que la protection des tiers autres que le dépositaire est assurée par l’article 222 du Code civil[4].

Au bilan, la présomption instituée à l’article 221 du Code civil ne peut donc jouer au profit que du seul dépositaire à l’exclusion de toute autre personne.

==> La présomption dans les rapports entre époux

Consécutivement à l’adoption de la loi du 13 juillet 1965, une controverse a agité la doctrine qui s’est interrogée sur l’application de la présomption posée à l’article 221 du Code civil dans les rapports entre époux.

Tout l’enjeu est ici de déterminer sur quel époux pèse la charge de la preuve dans l’hypothèse où l’un d’eux réclame à son conjoint la restitution de fonds qui aurait été déposés sur son compte personnel en dépassement de ses pouvoirs.

La controverse est née de ce que sous l’empire du droit antérieur, en régime de communauté, le pouvoir d’administration des biens communs demeurait confié au mari, sauf les cas d’actes de disposition les plus graves.

Aussi, était-il fait interdiction à la femme mariée de déposer sur son compte personnel des deniers communs sans avoir obtenu, au préalable, l’autorisation de son époux.

En cas de violation de cette règle le mari était fondé à exiger la restitution des fonds déposés par son épouse en dépassement de ses pouvoirs.

Toute la question était alors de savoir qui, du mari et de la femme mariée, devait rapporter la preuve du caractère propre ou commun des fonds disputés.

Afin de résoudre cette problématique, deux solutions ont été envisagées par la doctrine :

  • Soit on faisait jouer la présomption d’acquêts qui avait pour effet de réputer communs tout bien détenu par un époux, de sorte qu’il revenait à la femme mariée de prouver que les fonds déposés sur son compte lui appartenaient en propre.
  • Soit on faisait jouer la présomption de l’article 221 du Code civil, auquel cas c’était au mari de démontrer que les fonds déposés par son épouse étaient soit des biens communs, soit lui appartenaient en propre

À l’analyse, retenir la première solution eût été sévère. Cela serait revenu à octroyer au mari le pouvoir de remettre en cause, selon son bon vouloir et à tout moment, les opérations accomplies par son épouse sur son compte personnel. Ce résultat aurait été manifestement contraire à l’esprit de la loi du 13 juillet 1965 qui a été adoptée aux fins de tendre vers une égalité entre la femme mariée et son mari.

À l’inverse, opter pour la seconde solution impliquait de se livrer à une interprétation extensive de l’article 221 du Code civil. Cette disposition prévoit, en effet, que la présomption de pouvoir instituée en matière bancaire au profit des époux n’opère qu’à l’égard du seul dépositaire. Aussi, admettre que cette présomption puisse jouer dans les rapports entre époux serait pour le moins audacieux, sinon contraire à la lettre du texte.

Finalement, la doctrine majoritaire s’est prononcée en faveur de la seconde solution, au motif qu’elle permettait d’assurer l’égalité dans les rapports conjugaux conformément à l’esprit de la loi du 13 juillet 1965.

Si, depuis l’adoption de la loi du 23 décembre 1985, la question de l’application de la présomption de l’article 221 du Code civil dans les rapports entre époux a perdu de son intérêt, en raison de l’abolition du monopole du mari sur la gestion des biens commun, elle demeure toujours d’actualité pour les cas où un époux revendiquerait la propriété de fonds lui appartenant en propre ou s’il s’agit, sous un régime de communauté, de gains et salaires.

Pour qu’il soit fait droit à son action en revendication, c’est à l’époux qui revendique qu’il reviendra de prouver que son conjoint n’avait pas le pouvoir de déposer, sans son consentement, sur son compte personnel les fonds disputés.

II) Les effets de la présomption

La présomption instituée à l’article 221 du Code civil a pour effet de réputer l’époux titulaire du compte « avoir la libre disposition des fonds et des titres en dépôt. »

Il en résulte qu’il est fait interdiction au banquier de solliciter des justifications sur la situation matrimoniale de son client ou sur la provenance des fonds, sauf les cas de vérification qui lui incombent au titre des obligations prescrites par le Code monétaire et financier relatives à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement des activités terroristes.

En dehors de ces obligations légales, le banquier doit exécuter toutes les opérations pour lesquelles il a reçu un ordre du titulaire du compte.

Il est indifférent que ce dernier soit marié sous un régime de communauté : le dépositaire ne saurait refuser d’exécuter une opération au motif, par exemple, que la présomption de communauté y ferait obstacle ou encore que, en application de la règle de gestion exclusive, elle implique le consentement du conjoint.

Aussi, le banquier engagera sa responsabilité s’il perturbe le fonctionnement du compte en considération de règles qui intéressent la situation matrimoniale de son client.

Dans un arrêt du 3 juillet 2001, la Cour de cassation a jugé en ce sens que si l’article 1421 du Code civil « reconnaît à chacun des époux [mariés sous un régime de communauté] le pouvoir d’administrer seul les biens communs, l’article 221 du Code civil leur réserve la faculté de se faire ouvrir un compte personnel sans le consentement de l’autre, et que le banquier dépositaire ne doit, aux termes de l’article 1937 du même Code, restituer les fonds déposés qu’à celui au nom duquel le dépôt a été fait ou à celui qui a été indiqué pour les recevoir » (Cass. 1ère civ. 3 juill. 2001, n°99-19.868).

Commet ainsi une faute le banquier qui remet des fonds au conjoint du titulaire du compte, alors même que, en application du régime matrimonial applicable, il serait établi que ces fonds auraient été déposés en violation des règles de pouvoirs.

En réaction à cette jurisprudence, la question s’est alors posée de savoir s’il était permis au banquier, pour s’exonérer de sa responsabilité, de se réfugier derrière sa croyance légitime de l’existence d’un mandat tacite domestique conclu entre les époux.

Par un arrêt du 11 mars 2003, la Cour de cassation a écarté cette argumentation. Elle a jugé en ce sens que « l’article 221 du Code civil consacrant au profit de chacun des époux la faculté de se faire ouvrir un compte personnel sans le consentement de l’autre et de le faire fonctionner de manière autonome, les règles relatives à la représentation mutuelle des époux dans leurs rapports avec les tiers sont sans application à l’égard du banquier dépositaire, lequel ne doit, aux termes de l’article 1937 du même Code, restituer les fonds déposés qu’à celui au nom duquel le dépôt a été fait ou à celui qui a été indiqué pour les recevoir » (Cass. com. 11 mars 2003, n°00-20.866).

Il ressort de cet arrêt que, au fond, le banquier ne pourra s’exonérer de sa responsabilité qu’en rapportant la preuve qu’il a agi en vertu d’une procuration expresse ou tacite dont était muni le conjoint (Cass. 1ère civ. 6 mai 2003, n°00-18.891).

S’il ne parvient pas à rapporter cette preuve, la Cour de cassation a admis, dans un arrêt du 8 juillet 2009, que le banquier puisse « se prévaloir du bénéfice de la subrogation dès lors que l’épouse n’avait pas le pouvoir de disposer des fonds déposés sur le compte ouvert au seul nom du mari » (Cass. 1ère civ. 8 juill. 2009, n°08-17.300).

L’exercice du recours subrogatoire lui permettra ainsi de recouvrer auprès du conjoint les fonds indûment versés à ce dernier et qu’il a été contraint de restituer à l’époux déposant.

III) La force de la présomption

La présomption énoncée à l’article 221 du Code civil commande au dépositaire de ne pas s’interroger sur la situation matrimoniale du déposant et plus précisément de vérifier ses pouvoirs quant aux opérations réalisées sur son compte personnel.

Ainsi que le relève la doctrine, il s’agit là d’une présomption de bonne foi instituée au profit du banquier dont l’existence garantit l’autonomie de l’époux titulaire du compte.

En l’absence de cette présomption, le banquier serait contraint, en effet, d’exiger systématiquement que son client justifie de sa situation matrimoniale, par crainte d’exécuter une opération accomplie en dépassement de ses pouvoirs et, d’engager, à ce titre, sa responsabilité.

Telle était la situation sous l’empire de la loi du 22 septembre 1942, raison pour laquelle le législateur est intervenu en 1965.

Pour restaurer la confiance des dépositaires, il a donc été institué une présomption de bonne foi qui vise à les dispenser de vérifier les pouvoirs de l’époux titulaire du compte.

La question qui alors se pose est de savoir quelle est la force de cette présomption : est-ce une présomption irréfragable qui ne souffre pas de la preuve contraire ou est-ce une présomption simple qui peut être renversée ?

A l’examen, il ressort de la jurisprudence que le curseur se situe entre les deux hypothèses, celle-ci n’admettant que la présomption puisse être renversée qu’en cas de fraude.

Les auteurs s’accordent à dire que la seule connaissance par le banquier de la situation matrimonial du déposant et donc de l’étendue de ses pouvoirs ne suffit pas à faire échec au jeu de la présomption posée à l’article 221 du Code civil[5].

Pour y parvenir, il conviendra d’établir la fraude, soit de démontrer la collusion caractérisée du banquier avec l’époux titulaire du compte sur lequel ont été réalisées des opérations frauduleuses au préjudice du conjoint (V. en ce sens Cass. com. 21 nov. 2000, n°97-18.187).

IV) La durée de la présomption

==> Problématique

Lors de l’adoption de la loi du 13 juillet 1965, l’article 221 du Code civil était silencieux sur la durée de la présomption posée par le texte.

Rapidement, la question s’est alors posée de savoir si cette présomption devait survivre à la dissolution du mariage, en particulier lorsque la dissolution résultait du décès de l’époux titulaire du compte.

À l’analyse, l’enjeu est similaire à celui qui avait conduit le législateur à réformer l’article 221, ce, en raison de la situation d’indivision qui se crée entre les époux mariés sous le régime de la communauté consécutivement à la dissolution du mariage.

En régime de communauté, la dissolution du mariage donne lieu, en effet, à ce que l’on appelle une indivision post-communautaire, laquelle est régie par le droit commun de l’indivision et, en cas de décès du conjoint, par les règles qui gouvernent l’indivision successorale.

Reste que, dans les deux cas, les époux sont susceptibles de devenir coindivisaires, ce qui implique, conformément aux règles de l’indivision, qu’ils sont investis des mêmes pouvoirs sur les biens communs devenus indivis.

Or pour rappel, l’article 221 du Code civil énonce une règle, non pas de propriété, mais de pouvoir. Autrement dit, cette règle ne postule en rien la nature des fonds déposés sur le compte personnel d’un époux.

Elle vise seulement à faire présumer le titulaire du compte comme ayant la libre disposition des fonds qui y sont déposés « à l’égard du dépositaire ».

D’ailleurs, en application de la présomption de communauté posée à l’article 1402 du Code civil, ces fonds sont, tout au contraire, présumés être des acquêts, soit relever de la masse commune.

Compte tenu de cette situation, selon que l’on maintient ou non les effets de la présomption instituée à l’article 221 du Code civil postérieurement à la dissolution du mariage, l’autonomie du conjoint s’en trouvera plus ou moins affectée. Deux hypothèses doivent être envisagées :

  • Première hypothèse : l’absence de maintien de la présomption postérieurement à la dissolution du mariage
    • Dans cette hypothèse, parce que les époux sont devenus des coindivisaires, ils sont investis des mêmes pouvoirs sur les biens indivis.
    • Or tous les biens sont présumés indivis tant que la liquidation du régime matrimonial et/ou de la succession n’est pas intervenue.
    • Les époux seraient donc fondés, en application des règles de l’indivision, à solliciter le blocage des comptes personnels de leur conjoint, tant que la preuve n’aura pas été rapportée que les fonds qui y sont déposés leur appartiennent en propre ou qu’il n’aura pas été procédé aux opérations de partage.
  • Seconde hypothèse : le maintien de la présomption postérieurement à la dissolution du mariage
    • Dans cette hypothèse, bien que les époux soient devenus coindivisaires, la présomption instituée à l’article 221 du Code civil autorise l’époux titulaire du compte à le faire fonctionner sans que son conjoint ne puisse s’y opposer.
    • L’application de cette présomption conduit, en effet, à dispenser le banquier de vérifier les pouvoirs de son client.
    • Il est donc indifférent pour lui que les fonds déposés sur le compte soient devenus des biens indivis.
    • Dans la mesure où l’époux titulaire du compte est présumé avoir la libre disposition de ces fonds, il est fait interdiction au dépositaire d’obéir à une quelconque demande de blocage qui serait formulée par le conjoint, quand bien même il justifierait de sa qualité de coindivisaire.

À l’analyse, ces deux thèses présentent tout autant des avantages que des inconvénients. Il a néanmoins fallu en choisir une, ce qui a donné lieu à un vif débat doctrinal et jurisprudentiel, finalement tranché par le législateur en 1985.

  • En faveur de la disparition des effets de la présomption postérieurement à la dissolution
    • Il a notamment été soutenu qu’il s’agissait là d’une règle qui relève du régime primaire.
    • Or celui-ci ne produit ses effets qu’autant que le mariage perdure.
    • Dans ces conditions, la dissolution de l’union matrimoniale devrait emporter l’extinction des effets de la présomption posée à l’article 221 du Code civil.
    • Elle ne devrait donc pas survivre au-delà de la dissolution.
  • En faveur du maintien des effets de la présomption postérieurement à la dissolution du mariage
    • Le principal argument porté par les auteurs a été de dire que les conséquences d’une disparition des effets de la présomption instituée à l’article 221 du Code civil seraient hautement préjudiciables à l’époux titulaire du compte, en particulier s’il s’agit du conjoint survivant, en ce que cela porterait atteinte à l’autonomie bancaire que la présomption est censée lui procurer.
    • Admettre qu’il puisse être procédé à un blocage du compte personnel d’un époux postérieurement à la dissolution du mariage aurait, pratiquement, pour incidence de l’empêcher de pourvoir à ses besoins de la vie courante, puisque dépossédé de ses moyens de paiement et de subsistance dans l’attente – souvent longue – de la liquidation du régime matrimonial et du partage de l’indivision post-communautaire.

C’est finalement la seconde thèse qui a été retenue par le législateur, alors que la jurisprudence avait plutôt opté pour la première.

==> Évolution de la jurisprudence

  • Première étape
    • La première juridiction à s’être prononcée sur la question n’est autre que la Cour d’appel de Paris qui, dans un arrêt du 6 juillet 1977, a eu à statuer, dans une affaire Edberg, sur la responsabilité d’une banque à laquelle il était reproché par le conjoint de son client de n’avoir pas procédé à un blocage de son compte titre d’où il s’en était suivi l’accomplissement d’opérations financières sans son consentement.
    • La Cour d’appel décide de débouter le conjoint de sa demande au motif que « la présomption édictée a l’article 221 du code civil avait survécu, a l’égard de la banque, au décès du conjoint de dame x» (CA Paris, 6 juill. 1977)
    • C’est donc en faveur d’un maintien des effets de la présomption que les juges parisiens se prononcent, ce qui n’a pas manqué de donner lieu à un pourvoi formé devant de la Cour de cassation.
  • Deuxième étape
    • Saisi de l’affaire qu’avait eu à connaître la Cour d’appel de Paris, la Cour de cassation casse et annule la décision entreprise par cette dernière dans un arrêt du 5 février 1980 ( com. 5 févr. 1980, n°77-15.469).
    • Au soutien de sa décision, la Chambre commerciale affirme, que la présomption instituée à l’article 221 du Code civil « cesse de produire ses effets lors de la dissolution du mariage, la présomption de communauté prévue à l’article 1402, alinéa 1er, du code civil redevenant alors applicable».
    • La haute juridiction prend ainsi le contre-pied de la juridiction du fond en optant pour la thèse de la disparition des effets de la présomption de l’article 221 du Code civil postérieurement à la dissolution du mariage.
  • Troisième étape
    • Statuant sur renvoi dans le cadre de la précédente affaire, dans un arrêt du 11 octobre 1983 Cour d’appel de Reims oppose une résistance – mesurée – à la décision prise par la chambre commerciale.
    • Elle juge, en effet, que si la présomption instituée à l’article 221 du Code civil ne saurait neutraliser les effets de la présomption d’acquêt dont sont susceptibles de se prévaloir les héritiers de l’époux décédé, la dissolution du mariage ne saurait, en revanche, contraindre le banquier, dès qu’il aura eu connaissance du décès, à vérifier les pouvoirs du conjoint survivant et à procéder au blocage automatique de son compte personnel, sauf, précisent les juges du fond, demande expresse formulée par les héritiers.
    • La Cour d’appel ne ferme ainsi nullement la porte à un blocage du compte du conjoint survivant – mais seulement sur demande des héritiers – au motif que la présomption de l’article 221 cesserait de produire ses effets postérieurement à la dissolution du mariage.
  • Quatrième étape
    • Un nouveau pourvoi est formé devant la Cour de cassation qui se réunira, cette fois-ci, en assemblée plénière.
    • Dans un arrêt du 4 juillet 1985, elle décidera finalement que « l’article 221, alinéa 2, du Code civil, aux termes duquel l’époux déposant est réputé, à l’égard du dépositaire, avoir la libre disposition des fonds et des titres en dépôt, dispense le dépositaire de procéder à toute vérification de propriété ou de pouvoir au moment où ces fonds ou titres sont déposés et tient en échec à son égard la présomption de communauté ; que cette dispense ne peut être remise en cause rétroactivement par le décès de l’un des époux ; qu’en effet, si la règle de l’article 221 précité cesse d’être applicable après la dissolution du mariage, les effets qu’elle a produits antérieurement doivent être respectés ; que. s’il n’a pas reçu opposition des héritiers, le dépositaire ne peut donc prendre aucune initiative en ce qui concerne le fonctionnement du compte» ( ass. plén. 4 juill. 1985, n°8-17.155).
    • À l’instar de la Cour d’appel de Reims, l’assemblée plénière tranche donc dans le sens d’une disparition des effets de la présomption instituée à l’article 221 postérieurement à la dissolution du mariage, avec cette réserve que tant que le banquier n’a reçu aucune demande de blocage du compte personnel du conjoint survivant formulée par les héritiers, il ne saurait « prendre aucune initiative en ce qui concerne le fonctionnement du compte».
    • Bien que cherchant à concilier les intérêts du conjoint survivant avec ceux des héritiers, la Cour de cassation n’a pas été suivie par le législateur qui est intervenu en 1985 pour briser sa jurisprudence.

==> Intervention du législateur

En réaction au débat doctrinal et jurisprudentiel qui était né consécutivement à l’adoption de la loi du 13 juillet 1965, le législateur est intervenu pour y mettre en terme à l’occasion de l’adoption de la loi du 23 décembre 1985.

Pour ce faire, il a apporté une précision à l’article 221 du Code civil qui dispose désormais, que le déposant est toujours réputé avoir la libre disposition des fonds et des titres en dépôt « même après la dissolution du mariage ».

Il a donc été décidé de faire survivre les effets de la présomption posée par ce texte à la dissolution du mariage, alors que la Cour de cassation avait adopté la position inverse, tout en admettant néanmoins que le compte personnel de l’époux puisse continuer à fonctionner tant qu’aucune opposition ne serait formée auprès du dépositaire par le conjoint ou ses ayants droit.

À l’analyse, la solution retenue par le législateur vise à maintenir l’autonomie bancaire de l’époux à la faveur duquel joue la présomption instituée à l’article 221, de manière à lui permettre de satisfaire à ses besoins de la vie quotidienne.

En effet, la simple opposition du conjoint ou de ses héritiers sera insuffisante quant à bloquer le fonctionnement du compte et donc à le priver, concrètement, de la possibilité d’accomplir des opérations bancaires. Seul l’emprunt de la voie judiciaire pourra conduire à ce résultat.

À cet égard, il a été précisé par la doctrine qu’il n’a y avait pas lieu de distinguer selon que les fonds ou titres aient été déposés avant ou après la dissolution du mariage.

On aurait pourtant pu considérer que lorsque le banquier a connaissance du caractère indivis de fonds ou de titres déposés sur le compte personnel d’un époux postérieurement au décès de son conjoint, le bénéfice de la présomption posée à l’article 221 devrait être écarté par souci de protection des ayants droit qui, dans le cadre d’une indivision post-communautaire, demeurent fondés à se prévaloir de la présomption d’acquêts.

Reste que l’article 221 n’opère aucune distinction selon la date du dépôt, de sorte qu’il y a lieu de faire application de l’adage specialia generalibus derogant.

Aussi, que les fonds ou titres aient été déposés avant ou après la dissolution, dans les deux cas la présomption a vocation à jouer. Pratiquement, ainsi que le remarquent des auteurs, il serait, en tout état de cause, difficile d’adopter la solution inverse en raison de la difficulté qu’il y aurait pour le banquier, à procéder à un blocage partiel du compte[6].

[1] A. Colomer, Droit civil – Régimes matrimoniaux, éd. Litec, 2004, n°225, p. 113.

[2] Sur cette question, V. A. Colomer, ibid, n°232, p. 115.

[3] R. Cabrillac, Droit des régimes matrimoniaux, éd. Montchrestien, 2011, n°68, p. 66.

[4] V. en ce sens J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand colin, 2001, n°120, p. 109 ; A. Colomer, Droit civil – Les régimes matrimoniaux, éd. Litec, 2004, n°239, p. 118.

[5] V. en ce sens A. Colomer, Droit civil – Régimes matrimoniaux, éd. Litec, 2004, n°253, p.124.

[6] V. e n ce sens J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand Colin, 2001, n°121, p.112.

L’autonomie bancaire des époux: la durée des effets de la présomption de pouvoir instituée à l’article 221 du Code civil

==> Problématique

Lors de l’adoption de la loi du 13 juillet 1965, l’article 221 du Code civil était silencieux sur la durée de la présomption posée par le texte.

Rapidement, la question s’est alors posée de savoir si cette présomption devait survivre à la dissolution du mariage, en particulier lorsque la dissolution résultait du décès de l’époux titulaire du compte.

À l’analyse, l’enjeu est similaire à celui qui avait conduit le législateur à réformer l’article 221, ce, en raison de la situation d’indivision qui se crée entre les époux mariés sous le régime de la communauté consécutivement à la dissolution du mariage.

En régime de communauté, la dissolution du mariage donne lieu, en effet, à ce que l’on appelle une indivision post-communautaire, laquelle est régie par le droit commun de l’indivision et, en cas de décès du conjoint, par les règles qui gouvernent l’indivision successorale.

Reste que, dans les deux cas, les époux sont susceptibles de devenir coindivisaires, ce qui implique, conformément aux règles de l’indivision, qu’ils sont investis des mêmes pouvoirs sur les biens communs devenus indivis.

Or pour rappel, l’article 221 du Code civil énonce une règle, non pas de propriété, mais de pouvoir. Autrement dit, cette règle ne postule en rien la nature des fonds déposés sur le compte personnel d’un époux.

Elle vise seulement à faire présumer le titulaire du compte comme ayant la libre disposition des fonds qui y sont déposés « à l’égard du dépositaire ».

D’ailleurs, en application de la présomption de communauté posée à l’article 1402 du Code civil, ces fonds sont, tout au contraire, présumés être des acquêts, soit relever de la masse commune.

Compte tenu de cette situation, selon que l’on maintient ou non les effets de la présomption instituée à l’article 221 du Code civil postérieurement à la dissolution du mariage, l’autonomie du conjoint s’en trouvera plus ou moins affectée. Deux hypothèses doivent être envisagées :

  • Première hypothèse : l’absence de maintien de la présomption postérieurement à la dissolution du mariage
    • Dans cette hypothèse, parce que les époux sont devenus des coindivisaires, ils sont investis des mêmes pouvoirs sur les biens indivis.
    • Or tous les biens sont présumés indivis tant que la liquidation du régime matrimonial et/ou de la succession n’est pas intervenue.
    • Les époux seraient donc fondés, en application des règles de l’indivision, à solliciter le blocage des comptes personnels de leur conjoint, tant que la preuve n’aura pas été rapportée que les fonds qui y sont déposés leur appartiennent en propre ou qu’il n’aura pas été procédé aux opérations de partage.
  • Seconde hypothèse : le maintien de la présomption postérieurement à la dissolution du mariage
    • Dans cette hypothèse, bien que les époux soient devenus coindivisaires, la présomption instituée à l’article 221 du Code civil autorise l’époux titulaire du compte à le faire fonctionner sans que son conjoint ne puisse s’y opposer.
    • L’application de cette présomption conduit, en effet, à dispenser le banquier de vérifier les pouvoirs de son client.
    • Il est donc indifférent pour lui que les fonds déposés sur le compte soient devenus des biens indivis.
    • Dans la mesure où l’époux titulaire du compte est présumé avoir la libre disposition de ces fonds, il est fait interdiction au dépositaire d’obéir à une quelconque demande de blocage qui serait formulée par le conjoint, quand bien même il justifierait de sa qualité de coindivisaire.

À l’analyse, ces deux thèses présentent tout autant des avantages que des inconvénients. Il a néanmoins fallu en choisir une, ce qui a donné lieu à un vif débat doctrinal et jurisprudentiel, finalement tranché par le législateur en 1985.

  • En faveur de la disparition des effets de la présomption postérieurement à la dissolution
    • Il a notamment été soutenu qu’il s’agissait là d’une règle qui relève du régime primaire.
    • Or celui-ci ne produit ses effets qu’autant que le mariage perdure.
    • Dans ces conditions, la dissolution de l’union matrimoniale devrait emporter l’extinction des effets de la présomption posée à l’article 221 du Code civil.
    • Elle ne devrait donc pas survivre au-delà de la dissolution.
  • En faveur du maintien des effets de la présomption postérieurement à la dissolution du mariage
    • Le principal argument porté par les auteurs a été de dire que les conséquences d’une disparition des effets de la présomption instituée à l’article 221 du Code civil seraient hautement préjudiciables à l’époux titulaire du compte, en particulier s’il s’agit du conjoint survivant, en ce que cela porterait atteinte à l’autonomie bancaire que la présomption est censée lui procurer.
    • Admettre qu’il puisse être procédé à un blocage du compte personnel d’un époux postérieurement à la dissolution du mariage aurait, pratiquement, pour incidence de l’empêcher de pourvoir à ses besoins de la vie courante, puisque dépossédé de ses moyens de paiement et de subsistance dans l’attente – souvent longue – de la liquidation du régime matrimonial et du partage de l’indivision post-communautaire.

C’est finalement la seconde thèse qui a été retenue par le législateur, alors que la jurisprudence avait plutôt opté pour la première.

==> Évolution de la jurisprudence

  • Première étape
    • La première juridiction à s’être prononcée sur la question n’est autre que la Cour d’appel de Paris qui, dans un arrêt du 6 juillet 1977, a eu à statuer, dans une affaire Edberg, sur la responsabilité d’une banque à laquelle il était reproché par le conjoint de son client de n’avoir pas procédé à un blocage de son compte titre d’où il s’en était suivi l’accomplissement d’opérations financières sans son consentement.
    • La Cour d’appel décide de débouter le conjoint de sa demande au motif que « la présomption édictée a l’article 221 du code civil avait survécu, a l’égard de la banque, au décès du conjoint de dame x» (CA Paris, 6 juill. 1977)
    • C’est donc en faveur d’un maintien des effets de la présomption que les juges parisiens se prononcent, ce qui n’a pas manqué de donner lieu à un pourvoi formé devant de la Cour de cassation.
  • Deuxième étape
    • Saisi de l’affaire qu’avait eu à connaître la Cour d’appel de Paris, la Cour de cassation casse et annule la décision entreprise par cette dernière dans un arrêt du 5 février 1980 ( com. 5 févr. 1980, n°77-15.469).
    • Au soutien de sa décision, la Chambre commerciale affirme, que la présomption instituée à l’article 221 du Code civil « cesse de produire ses effets lors de la dissolution du mariage, la présomption de communauté prévue à l’article 1402, alinéa 1er, du code civil redevenant alors applicable».
    • La haute juridiction prend ainsi le contre-pied de la juridiction du fond en optant pour la thèse de la disparition des effets de la présomption de l’article 221 du Code civil postérieurement à la dissolution du mariage.
  • Troisième étape
    • Statuant sur renvoi dans le cadre de la précédente affaire, dans un arrêt du 11 octobre 1983 Cour d’appel de Reims oppose une résistance – mesurée – à la décision prise par la chambre commerciale.
    • Elle juge, en effet, que si la présomption instituée à l’article 221 du Code civil ne saurait neutraliser les effets de la présomption d’acquêt dont sont susceptibles de se prévaloir les héritiers de l’époux décédé, la dissolution du mariage ne saurait, en revanche, contraindre le banquier, dès qu’il aura eu connaissance du décès, à vérifier les pouvoirs du conjoint survivant et à procéder au blocage automatique de son compte personnel, sauf, précisent les juges du fond, demande expresse formulée par les héritiers.
    • La Cour d’appel ne ferme ainsi nullement la porte à un blocage du compte du conjoint survivant – mais seulement sur demande des héritiers – au motif que la présomption de l’article 221 cesserait de produire ses effets postérieurement à la dissolution du mariage.
  • Quatrième étape
    • Un nouveau pourvoi est formé devant la Cour de cassation qui se réunira, cette fois-ci, en assemblée plénière.
    • Dans un arrêt du 4 juillet 1985, elle décidera finalement que « l’article 221, alinéa 2, du Code civil, aux termes duquel l’époux déposant est réputé, à l’égard du dépositaire, avoir la libre disposition des fonds et des titres en dépôt, dispense le dépositaire de procéder à toute vérification de propriété ou de pouvoir au moment où ces fonds ou titres sont déposés et tient en échec à son égard la présomption de communauté ; que cette dispense ne peut être remise en cause rétroactivement par le décès de l’un des époux ; qu’en effet, si la règle de l’article 221 précité cesse d’être applicable après la dissolution du mariage, les effets qu’elle a produits antérieurement doivent être respectés ; que. s’il n’a pas reçu opposition des héritiers, le dépositaire ne peut donc prendre aucune initiative en ce qui concerne le fonctionnement du compte» ( ass. plén. 4 juill. 1985, n°8-17.155).
    • À l’instar de la Cour d’appel de Reims, l’assemblée plénière tranche donc dans le sens d’une disparition des effets de la présomption instituée à l’article 221 postérieurement à la dissolution du mariage, avec cette réserve que tant que le banquier n’a reçu aucune demande de blocage du compte personnel du conjoint survivant formulée par les héritiers, il ne saurait « prendre aucune initiative en ce qui concerne le fonctionnement du compte».
    • Bien que cherchant à concilier les intérêts du conjoint survivant avec ceux des héritiers, la Cour de cassation n’a pas été suivie par le législateur qui est intervenu en 1985 pour briser sa jurisprudence.

==> Intervention du législateur

En réaction au débat doctrinal et jurisprudentiel qui était né consécutivement à l’adoption de la loi du 13 juillet 1965, le législateur est intervenu pour y mettre en terme à l’occasion de l’adoption de la loi du 23 décembre 1985.

Pour ce faire, il a apporté une précision à l’article 221 du Code civil qui dispose désormais, que le déposant est toujours réputé avoir la libre disposition des fonds et des titres en dépôt « même après la dissolution du mariage ».

Il a donc été décidé de faire survivre les effets de la présomption posée par ce texte à la dissolution du mariage, alors que la Cour de cassation avait adopté la position inverse, tout en admettant néanmoins que le compte personnel de l’époux puisse continuer à fonctionner tant qu’aucune opposition ne serait formée auprès du dépositaire par le conjoint ou ses ayants droit.

À l’analyse, la solution retenue par le législateur vise à maintenir l’autonomie bancaire de l’époux à la faveur duquel joue la présomption instituée à l’article 221, de manière à lui permettre de satisfaire à ses besoins de la vie quotidienne.

En effet, la simple opposition du conjoint ou de ses héritiers sera insuffisante quant à bloquer le fonctionnement du compte et donc à le priver, concrètement, de la possibilité d’accomplir des opérations bancaires. Seul l’emprunt de la voie judiciaire pourra conduire à ce résultat.

À cet égard, il a été précisé par la doctrine qu’il n’a y avait pas lieu de distinguer selon que les fonds ou titres aient été déposés avant ou après la dissolution du mariage.

On aurait pourtant pu considérer que lorsque le banquier a connaissance du caractère indivis de fonds ou de titres déposés sur le compte personnel d’un époux postérieurement au décès de son conjoint, le bénéfice de la présomption posée à l’article 221 devrait être écarté par souci de protection des ayants droit qui, dans le cadre d’une indivision post-communautaire, demeurent fondés à se prévaloir de la présomption d’acquêts.

Reste que l’article 221 n’opère aucune distinction selon la date du dépôt, de sorte qu’il y a lieu de faire application de l’adage specialia generalibus derogant.

Aussi, que les fonds ou titres aient été déposés avant ou après la dissolution, dans les deux cas la présomption a vocation à jouer. Pratiquement, ainsi que le remarquent des auteurs, il serait, en tout état de cause, difficile d’adopter la solution inverse en raison de la difficulté qu’il y aurait pour le banquier, à procéder à un blocage partiel du compte[1].

[1] V. e n ce sens J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand Colin, 2001, n°121, p.112.

L’autonomie bancaire des époux: le fonctionnement du compte personnel (art. 221, al. 2e C. civ.)

Assez paradoxalement alors que la femme mariée était, jadis, frappée d’une incapacité d’exercice générale, très tôt on a cherché à lui reconnaître une sphère d’autonomie et plus précisément à lui octroyer un pouvoir de représentation de son mari.

La raison en est que l’entretien du ménage et l’éducation des enfants requièrent l’accomplissement d’un certain nombre de démarches. Or tel a été la tâche qui, pendant longtemps, a été exclusivement dévolue à la femme mariée.

Elle était, en effet, chargée d’accomplir les tâches domestiques, tandis que le mari avait pour mission de procurer au foyer des revenus de subsistance.

Au nombre des missions confiées à la femme mariée figurait notamment la réalisation d’un certain nombre de dépenses nécessaires à la satisfaction des besoins de la vie courante. Cette tâche supposait donc, pratiquement, qu’elle soit en possession d’argent et qu’elle manipule de la monnaie.

Au cours du XXe siècle, le système monétaire a considérablement évolué sous l’effet de l’apparition de la monnaie scripturale, soit de la monnaie dont la création et la circulation impliquent une inscription en compte.

Le développement de cette monnaie scripturale a, mécaniquement, considérablement accru le rôle du banquier qui est devenu un fournisseur de moyens incontournable des ménages.

Reste que, en l’absence de capacité juridique, elle n’était autorisée à s’adresser au banquier que par l’entremise de son mari.

C’est la raison pour laquelle, afin de permettre à la femme mariée de tenir son rôle, il fallait imaginer un système qui l’autorise à accomplir des actes juridiques et plus précisément à faire fonctionner le compte du ménage.

Dans un premier temps, il a été recouru à la figure juridique du mandat domestique, ce qui consistait à considérer que le mari avait donné tacitement mandat à son épouse à l’effet de le représenter quant à l’accomplissement de tous les actes nécessaires à la satisfaction des besoins de la vie courante.

De cette manière, ce dernier se retrouvait personnellement engagé par les engagements souscrits par sa conjointe auprès des tiers, alors même que, à titre individuel, elle était frappée d’une incapacité juridique.

Le recours à cette technique juridique n’était toutefois pas sans limite. Le mari n’était obligé envers les tiers qu’autant qu’il était démontré qu’il avait, au moins tacitement, donné mandat à son épouse à l’effet de le représenter.

À l’inverse, s’il parvenait à établir qu’il n’avait pas consenti à l’acte dénoncé, les tiers ne disposaient d’aucun recours direct contre lui, ce qui les contraignait à exercer au gré des circonstances, tantôt à emprunter la voie de l’action de in rem verso, tantôt à l’action oblique.

En réaction à cette situation fâcheuse qui menaçait les intérêts des tiers, ce qui les avait conduits à exiger systématiquement l’accord exprès du mari pour les actes accomplis par son épouse, au préjudice du fonctionnement du ménage, le législateur a décidé d’intervenir au milieu du XXe siècle.

Dans un deuxième temps, la loi du 22 septembre 1942 a ainsi consacré la règle du mandat domestique en instituant plusieurs présomptions de pouvoir au profit de la femme mariée, dont une présomption en matière bancaire.

Cette présomption, énoncée à l’article 221 du Code civil, prévoyait que « la femme peut, sur sa seule signature, faire ouvrir, par représentation de son mari, un compte courant spécial pour y déposer ou retirer les fonds qu’il laisse entre ses mains ».

Ainsi, la femme mariée était-elle désormais investie du pouvoir de se faire ouvrir, sans l’autorisation de son mari, un compte ménager pour la réalisation des opérations bancaires de la vie courante.

Le législateur avait néanmoins pris le soin de préciser lors de l’adoption de la loi du 1er février 1943 que le mari disposait de la faculté de faire opposition aux opérations accomplies par son épouse, de révoquer le pouvoir de cette dernière sur le compte et de disposer du solde créditeur.

Curieusement, alors que sensiblement à la même période, la loi du 18 février 1938 venait d’abolir l’incapacité civile de la femme mariée, l’article 221 du Code civil nouvellement adopté ne lui reconnaissait une autonomie bancaire que par l’entremise du pouvoir de représentation de son mari dont elle était désormais légalement investie, à tout le moins s’agissant de la gestion des deniers communs.

En effet, la loi du 22 septembre 1942 lui avait reconnu, et c’est là l’une des premières marques d’émancipation de la femme mariée, le droit de se faire ouvrir, sans qu’il soit nécessaire qu’elle obtienne l’autorisation de son mari, un compte personnel pour y déposer les fonds qu’elle détenait en propre.

L’article 222 du Code civil prévoyait en ce sens que « lorsque la femme a l’administration et la jouissance de ses biens personnels ou des biens réservés qu’elle acquiert par l’exercice d’une activité professionnelle séparée, elle peut se faire ouvrir un compte courant en son nom propre ».

Si, en droit, ces mesures adoptées par le législateur, ont étendu de façon substantielle l’autonomie bancaire de la femme mariée, en pratique cette autonomie est demeurée limitée.

Elle s’est, en effet heurtée à la résistance des banquiers qui exigeaient toujours :

  • Soit la justification du régime matrimonial, de la provenance des fonds ou encore de l’exercice d’une profession séparée
  • Soit l’intervention directe du mari aux fins de participation à l’acte

Ces demandes excessives de justification étaient motivées par la crainte des banquiers de traiter avec une femme mariée qui ne disposait pas du pouvoir d’accomplir l’acte sollicité.

Si cette dernière était investie du pouvoir de disposer de ses biens propres et réservés, encore fallait-il que le banquier s’assure de leur provenance. Or cela supposait que la femme mariée apporte une justification pour chaque dépôt de fonds.

Relevant que le système qu’il avait institué par les lois des 22 septembre 1942 et 1er février 1943 ne conférait pas à la femme mariée l’autonomie bancaire qu’il avait envisagée initialement, le législateur a cherché à le réformer à l’occasion de la grande réforme des régimes matrimoniaux qui est intervenue en 1965 et qui visait à instituer une véritable égalité entre la femme mariée et son époux.

Dans un troisième temps, la loi n°65-570 du 13 juillet 1965 a reformulé les termes de l’article 221 du Code civil en reconnaissant à la femme mariée, non plus un pouvoir de représentation de son mari pour l’ouverture d’un compte ménager, mais du pouvoir d’ouvrir un tel compte en son nom propre.

Par compte ménager, il faut entendre un compte sur lesquels sont susceptibles d’être déposés, tout autant des fonds propres que des fonds communs.

Jusqu’alors, la femme mariée était autorisée à ouvrir un compte en son nom propre que pour y déposer les fonds dont elle avait l’administration et la jouissance exclusive.

Désormais, la provenance des fonds qu’elle est susceptible de déposer sur ses comptes est indifférente : la femme mariée est investie du droit de se faire ouvrir un compte bancaire en son nom propre quel que soit le motif et de le faire fonctionner librement.

Le nouvel article 221 du Code civil prévoit en ce sens que :

  • D’une part, « chacun des époux peut se faire ouvrir, sans le consentement de l’autre, tout compte de dépôt et tout compte de titres en son nom personnel. »
  • D’autre part, « à l’égard du dépositaire, le déposant est toujours réputé, même après la dissolution du mariage, avoir la libre disposition des fonds et des titres en dépôt. »

En autorisant les époux à se faire librement ouvrir un compte personnel et en faisant présumer qu’ils sont investis du pouvoir de faire fonctionner ce compte, sans qu’il soit besoin pour eux de recueillir l’accord de leur conjoint, il n’est dès lors plus nécessaire pour le banquier d’exiger la fourniture de justifications.

Par le jeu de cette présomption, les opérations accomplies par un époux seul sur un compte ouvert en son nom propre ne risquaient plus d’être remises en cause par son conjoint au préjudice du banquier.

L’autonomie bancaire qui avait été envisagée par le législateur en 1942 pouvait alors véritablement opérer.

Parce que l’article 221 du Code civil conférait aux époux une complète autonomie en matière bancaire, la loi n° 85-1372 du 23 décembre 1985 relative à l’égalité des époux dans les régimes matrimoniaux et des parents dans la gestion des biens des enfants mineurs ne l’a quasiment pas retouché.

L’intervention du législateur s’est limitée à préciser que la présomption de pouvoir instituée au profit du dépositaire à l’égard du déposant s’agissant du fonctionnement du compte continuait à produire ses effets « même après la dissolution du mariage ».

Cette précision visait à mettre un terme à une controverse jurisprudentielle et doctrinale née consécutivement à l’adoption de la loi du 13 juillet 1965.

La question s’était, en effet, posée de savoir quels étaient les droits et obligations de l’époux sur les comptes que son conjoint avait ouvert en son nom propre lors de la dissolution du mariage.

Fallait-il considérer que la dissolution emportait extinction de la présomption de pouvoir ou, à l’inverse, qu’elle survivait à la disparition de l’union matrimoniale.

Le législateur a opté, en 1985, pour la seconde solution, l’objectif recherché étant d’éviter, au moment de la dissolution du mariage, un blocage des comptes personnels des époux.

Au bilan, la volonté du législateur d’instaurer une véritable égalité dans les rapports conjugaux, mouvement qui s’est amorcé dès le début du XXe siècle, l’a conduit à conférer à la femme mariée une sphère de liberté l’autorisant à agir seule.

Cette autonomie dont jouissent les époux, qui sont désormais placés sur un pied d’égalité, se traduit en matière bancaire par l’adoption de deux dispositifs qui intéressent :

  • D’une part, l’ouverture du compte
  • D’autre part, le fonctionnement du compte

Nous nous focaliserons ici sur le second dispositif.

Dans le prolongement de l’alinéa 1er de l’article 221 du Code civil qui énonce la liberté pour les époux de se faire ouvrir un compte bancaire en leur nom personnel, l’alinéa 2 régit donc le fonctionnement de ce compte.

Le texte prévoit en ce sens que « à l’égard du dépositaire, le déposant est toujours réputé, même après la dissolution du mariage, avoir la libre disposition des fonds et des titres en dépôt. »

Est ainsi instituée une présomption de pouvoir au profit de l’époux titulaire d’un compte ouvert en son nom personnel qui l’autorise à accomplir toutes opérations sur ce compte, sans qu’il lui soit besoin de solliciter l’autorisation de son conjoint.

À l’analyse, cette présomption qui est issue de la loi n°65-570 du 13 juillet 1965 vise à régir le fonctionnement quotidien du compte.

Pratiquement, elle dispense le banquier d’exiger la fourniture de justifications s’agissant des dépôts et des retraits qu’un époux est susceptible de réaliser sur son compte personnel.

Afin d’appréhender la présomption ainsi posée dans tous ses aspects, il convient d’envisager son domaine, ses effets et sa durée.

I) Le domaine de la présomption

A) Le domaine de la présomption quant aux opérations

Les termes de l’article 221 du Code civil suggèrent que toutes les opérations réalisées sur le compte dont est titulaire un époux à titre personnel sont visées par la présomption.

Aussi est-il libre d’accomplir toutes les opérations qui intéressent le fonctionnement du compte, au nombre desquelles figurent notamment :

  • Les dépôts et les retraits de fonds,
  • L’acquisition et la vente de titres
  • L’émission d’ordres de virements
  • L’émission et l’encaissement de chèques
  • La réalisation d’un apport en société ou d’une augmentation capital social
  • Le détachement de coupons ou la vente de rompus

A contrario, cela signifie que ne relèvent pas du domaine de la présomption de l’article 221 du Code cil les opérations réalisées hors compte.

Lors de l’élaboration de la loi du 13 juillet 1965, il avait été question d’ajouter un troisième alinéa au texte qui aurait prévu que « chacun des époux peut effectuer sans le consentement de l’autre toutes opérations de banque et de bourse en son nom personnel ».

Cet amendement a finalement été rejeté par le parlement au motif qu’il aurait eu pour effet d’étendre la présomption de l’article 221 du Code civil aux opérations réalisées en dehors du compte bancaire.

Or ces opérations pouvaient pleinement être appréhendées par le jeu de la présomption de pouvoir instituée à l’article 222 du Code civil qui concerne les biens mobiliers détenus individuellement par un époux.

Aussi a-t-il été décidé d’exclure du domaine de la présomption de l’article 221 les opérations dont la réalisation ne procède pas d’une inscription en compte, et plus généralement toutes celles réalisées hors compte de l’époux.

B) Le domaine de la présomption quant aux personnes

==> La présomption dans les rapports entre les époux et le dépositaire

L’article 221 du Code civil prévoit expressément que la présomption de pouvoir instituée au profit des époux joue « à l’égard du dépositaire ».

Concrètement cela signifie que la responsabilité du banquier ne saurait être recherchée au motif qu’il n’aurait pas exigé de l’époux déposant des justifications quant à la réalisation d’opérations sur son compte.

Les époux sont réputés à l’égard du dépositaire avoir tous pouvoirs pour réaliser des opérations sur les comptes ouverts en leur nom personnel.

Dès lors, le banquier n’a pas à se préoccuper des pouvoirs du déposant, ni de la régularité, au regard de son régime matrimonial, des opérations qu’il lui est demandé d’exécuter.

Non seulement il est fait interdiction au dépositaire de faire obstacle au fonctionnement du compte, mais encore il engagerait sa responsabilité s’il méconnaissait cette interdiction, en refusant, par exemple, d’exécuter une opération, sauf les cas de fraudes ou d’anomalies apparentes.

Il en va tout autrement, en revanche, dans les rapports des époux avec les tiers autres que le dépositaire.

La question s’est, en effet, posée de savoir si la présomption de l’article 221 du Code civil pouvait jouer à la faveur, par exemple, du bénéficiaire d’un chèque ou d’un ordre de virement émis par le déposant.

Ce tiers peut-il, autrement dit, se prévaloir de cette présomption afin de faire échec à la demande d’annulation d’une opération formulée par le conjoint au motif qu’elle aurait été accomplie par le titulaire du compte en dépassement de son pouvoir ?

À cette question, la doctrine répond unanimement par la négative, considérant que la protection des tiers autres que le dépositaire est assurée par l’article 222 du Code civil[1].

Au bilan, la présomption instituée à l’article 221 du Code civil ne peut donc jouer au profit que du seul dépositaire à l’exclusion de toute autre personne.

==> La présomption dans les rapports entre époux

Consécutivement à l’adoption de la loi du 13 juillet 1965, une controverse a agité la doctrine qui s’est interrogée sur l’application de la présomption posée à l’article 221 du Code civil dans les rapports entre époux.

Tout l’enjeu est ici de déterminer sur quel époux pèse la charge de la preuve dans l’hypothèse où l’un d’eux réclame à son conjoint la restitution de fonds qui aurait été déposés sur son compte personnel en dépassement de ses pouvoirs.

La controverse est née de ce que sous l’empire du droit antérieur, en régime de communauté, le pouvoir d’administration des biens communs demeurait confié au mari, sauf les cas d’actes de disposition les plus graves.

Aussi, était-il fait interdiction à la femme mariée de déposer sur son compte personnel des deniers communs sans avoir obtenu, au préalable, l’autorisation de son époux.

En cas de violation de cette règle le mari était fondé à exiger la restitution des fonds déposés par son épouse en dépassement de ses pouvoirs.

Toute la question était alors de savoir qui, du mari et de la femme mariée, devait rapporter la preuve du caractère propre ou commun des fonds disputés.

Afin de résoudre cette problématique, deux solutions ont été envisagées par la doctrine :

  • Soit on faisait jouer la présomption d’acquêts qui avait pour effet de réputer communs tout bien détenu par un époux, de sorte qu’il revenait à la femme mariée de prouver que les fonds déposés sur son compte lui appartenaient en propre.
  • Soit on faisait jouer la présomption de l’article 221 du Code civil, auquel cas c’était au mari de démontrer que les fonds déposés par son épouse étaient soit des biens communs, soit lui appartenaient en propre

À l’analyse, retenir la première solution eût été sévère. Cela serait revenu à octroyer au mari le pouvoir de remettre en cause, selon son bon vouloir et à tout moment, les opérations accomplies par son épouse sur son compte personnel. Ce résultat aurait été manifestement contraire à l’esprit de la loi du 13 juillet 1965 qui a été adoptée aux fins de tendre vers une égalité entre la femme mariée et son mari.

À l’inverse, opter pour la seconde solution impliquait de se livrer à une interprétation extensive de l’article 221 du Code civil. Cette disposition prévoit, en effet, que la présomption de pouvoir instituée en matière bancaire au profit des époux n’opère qu’à l’égard du seul dépositaire. Aussi, admettre que cette présomption puisse jouer dans les rapports entre époux serait pour le moins audacieux, sinon contraire à la lettre du texte.

Finalement, la doctrine majoritaire s’est prononcée en faveur de la seconde solution, au motif qu’elle permettait d’assurer l’égalité dans les rapports conjugaux conformément à l’esprit de la loi du 13 juillet 1965.

Si, depuis l’adoption de la loi du 23 décembre 1985, la question de l’application de la présomption de l’article 221 du Code civil dans les rapports entre époux a perdu de son intérêt, en raison de l’abolition du monopole du mari sur la gestion des biens commun, elle demeure toujours d’actualité pour les cas où un époux revendiquerait la propriété de fonds lui appartenant en propre ou s’il s’agit, sous un régime de communauté, de gains et salaires.

Pour qu’il soit fait droit à son action en revendication, c’est à l’époux qui revendique qu’il reviendra de prouver que son conjoint n’avait pas le pouvoir de déposer, sans son consentement, sur son compte personnel les fonds disputés.

II) Les effets de la présomption

La présomption instituée à l’article 221 du Code civil a pour effet de réputer l’époux titulaire du compte « avoir la libre disposition des fonds et des titres en dépôt. »

Il en résulte qu’il est fait interdiction au banquier de solliciter des justifications sur la situation matrimoniale de son client ou sur la provenance des fonds, sauf les cas de vérification qui lui incombent au titre des obligations prescrites par le Code monétaire et financier relatives à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement des activités terroristes.

En dehors de ces obligations légales, le banquier doit exécuter toutes les opérations pour lesquelles il a reçu un ordre du titulaire du compte.

Il est indifférent que ce dernier soit marié sous un régime de communauté : le dépositaire ne saurait refuser d’exécuter une opération au motif, par exemple, que la présomption de communauté y ferait obstacle ou encore que, en application de la règle de gestion exclusive, elle implique le consentement du conjoint.

Aussi, le banquier engagera sa responsabilité s’il perturbe le fonctionnement du compte en considération de règles qui intéressent la situation matrimoniale de son client.

Dans un arrêt du 3 juillet 2001, la Cour de cassation a jugé en ce sens que si l’article 1421 du Code civil « reconnaît à chacun des époux [mariés sous un régime de communauté] le pouvoir d’administrer seul les biens communs, l’article 221 du Code civil leur réserve la faculté de se faire ouvrir un compte personnel sans le consentement de l’autre, et que le banquier dépositaire ne doit, aux termes de l’article 1937 du même Code, restituer les fonds déposés qu’à celui au nom duquel le dépôt a été fait ou à celui qui a été indiqué pour les recevoir » (Cass. 1ère civ. 3 juill. 2001, n°99-19.868).

Commet ainsi une faute le banquier qui remet des fonds au conjoint du titulaire du compte, alors même que, en application du régime matrimonial applicable, il serait établi que ces fonds auraient été déposés en violation des règles de pouvoirs.

En réaction à cette jurisprudence, la question s’est alors posée de savoir s’il était permis au banquier, pour s’exonérer de sa responsabilité, de se réfugier derrière sa croyance légitime de l’existence d’un mandat tacite domestique conclu entre les époux.

Par un arrêt du 11 mars 2003, la Cour de cassation a écarté cette argumentation. Elle a jugé en ce sens que « l’article 221 du Code civil consacrant au profit de chacun des époux la faculté de se faire ouvrir un compte personnel sans le consentement de l’autre et de le faire fonctionner de manière autonome, les règles relatives à la représentation mutuelle des époux dans leurs rapports avec les tiers sont sans application à l’égard du banquier dépositaire, lequel ne doit, aux termes de l’article 1937 du même Code, restituer les fonds déposés qu’à celui au nom duquel le dépôt a été fait ou à celui qui a été indiqué pour les recevoir » (Cass. com. 11 mars 2003, n°00-20.866).

Il ressort de cet arrêt que, au fond, le banquier ne pourra s’exonérer de sa responsabilité qu’en rapportant la preuve qu’il a agi en vertu d’une procuration expresse ou tacite dont était muni le conjoint (Cass. 1ère civ. 6 mai 2003, n°00-18.891).

S’il ne parvient pas à rapporter cette preuve, la Cour de cassation a admis, dans un arrêt du 8 juillet 2009, que le banquier puisse « se prévaloir du bénéfice de la subrogation dès lors que l’épouse n’avait pas le pouvoir de disposer des fonds déposés sur le compte ouvert au seul nom du mari » (Cass. 1ère civ. 8 juill. 2009, n°08-17.300).

L’exercice du recours subrogatoire lui permettra ainsi de recouvrer auprès du conjoint les fonds indûment versés à ce dernier et qu’il a été contraint de restituer à l’époux déposant.

III) La force de la présomption

La présomption énoncée à l’article 221 du Code civil commande au dépositaire de ne pas s’interroger sur la situation matrimoniale du déposant et plus précisément de vérifier ses pouvoirs quant aux opérations réalisées sur son compte personnel.

Ainsi que le relève la doctrine, il s’agit là d’une présomption de bonne foi instituée au profit du banquier dont l’existence garantit l’autonomie de l’époux titulaire du compte.

En l’absence de cette présomption, le banquier serait contraint, en effet, d’exiger systématiquement que son client justifie de sa situation matrimoniale, par crainte d’exécuter une opération accomplie en dépassement de ses pouvoirs et, d’engager, à ce titre, sa responsabilité.

Telle était la situation sous l’empire de la loi du 22 septembre 1942, raison pour laquelle le législateur est intervenu en 1965.

Pour restaurer la confiance des dépositaires, il a donc été institué une présomption de bonne foi qui vise à les dispenser de vérifier les pouvoirs de l’époux titulaire du compte.

La question qui alors se pose est de savoir quelle est la force de cette présomption : est-ce une présomption irréfragable qui ne souffre pas de la preuve contraire ou est-ce une présomption simple qui peut être renversée ?

A l’examen, il ressort de la jurisprudence que le curseur se situe entre les deux hypothèses, celle-ci n’admettant que la présomption puisse être renversée qu’en cas de fraude.

Les auteurs s’accordent à dire que la seule connaissance par le banquier de la situation matrimonial du déposant et donc de l’étendue de ses pouvoirs ne suffit pas à faire échec au jeu de la présomption posée à l’article 221 du Code civil[2].

Pour y parvenir, il conviendra d’établir la fraude, soit de démontrer la collusion caractérisée du banquier avec l’époux titulaire du compte sur lequel ont été réalisées des opérations frauduleuses au préjudice du conjoint (V. en ce sens Cass. com. 21 nov. 2000, n°97-18.187).

IV) La durée de la présomption

==> Problématique

Lors de l’adoption de la loi du 13 juillet 1965, l’article 221 du Code civil était silencieux sur la durée de la présomption posée par le texte.

Rapidement, la question s’est alors posée de savoir si cette présomption devait survivre à la dissolution du mariage, en particulier lorsque la dissolution résultait du décès de l’époux titulaire du compte.

À l’analyse, l’enjeu est similaire à celui qui avait conduit le législateur à réformer l’article 221, ce, en raison de la situation d’indivision qui se crée entre les époux mariés sous le régime de la communauté consécutivement à la dissolution du mariage.

En régime de communauté, la dissolution du mariage donne lieu, en effet, à ce que l’on appelle une indivision post-communautaire, laquelle est régie par le droit commun de l’indivision et, en cas de décès du conjoint, par les règles qui gouvernent l’indivision successorale.

Reste que, dans les deux cas, les époux sont susceptibles de devenir coindivisaires, ce qui implique, conformément aux règles de l’indivision, qu’ils sont investis des mêmes pouvoirs sur les biens communs devenus indivis.

Or pour rappel, l’article 221 du Code civil énonce une règle, non pas de propriété, mais de pouvoir. Autrement dit, cette règle ne postule en rien la nature des fonds déposés sur le compte personnel d’un époux.

Elle vise seulement à faire présumer le titulaire du compte comme ayant la libre disposition des fonds qui y sont déposés « à l’égard du dépositaire ».

D’ailleurs, en application de la présomption de communauté posée à l’article 1402 du Code civil, ces fonds sont, tout au contraire, présumés être des acquêts, soit relever de la masse commune.

Compte tenu de cette situation, selon que l’on maintient ou non les effets de la présomption instituée à l’article 221 du Code civil postérieurement à la dissolution du mariage, l’autonomie du conjoint s’en trouvera plus ou moins affectée. Deux hypothèses doivent être envisagées :

  • Première hypothèse : l’absence de maintien de la présomption postérieurement à la dissolution du mariage
    • Dans cette hypothèse, parce que les époux sont devenus des coindivisaires, ils sont investis des mêmes pouvoirs sur les biens indivis.
    • Or tous les biens sont présumés indivis tant que la liquidation du régime matrimonial et/ou de la succession n’est pas intervenue.
    • Les époux seraient donc fondés, en application des règles de l’indivision, à solliciter le blocage des comptes personnels de leur conjoint, tant que la preuve n’aura pas été rapportée que les fonds qui y sont déposés leur appartiennent en propre ou qu’il n’aura pas été procédé aux opérations de partage.
  • Seconde hypothèse : le maintien de la présomption postérieurement à la dissolution du mariage
    • Dans cette hypothèse, bien que les époux soient devenus coindivisaires, la présomption instituée à l’article 221 du Code civil autorise l’époux titulaire du compte à le faire fonctionner sans que son conjoint ne puisse s’y opposer.
    • L’application de cette présomption conduit, en effet, à dispenser le banquier de vérifier les pouvoirs de son client.
    • Il est donc indifférent pour lui que les fonds déposés sur le compte soient devenus des biens indivis.
    • Dans la mesure où l’époux titulaire du compte est présumé avoir la libre disposition de ces fonds, il est fait interdiction au dépositaire d’obéir à une quelconque demande de blocage qui serait formulée par le conjoint, quand bien même il justifierait de sa qualité de coindivisaire.

À l’analyse, ces deux thèses présentent tout autant des avantages que des inconvénients. Il a néanmoins fallu en choisir une, ce qui a donné lieu à un vif débat doctrinal et jurisprudentiel, finalement tranché par le législateur en 1985.

  • En faveur de la disparition des effets de la présomption postérieurement à la dissolution
    • Il a notamment été soutenu qu’il s’agissait là d’une règle qui relève du régime primaire.
    • Or celui-ci ne produit ses effets qu’autant que le mariage perdure.
    • Dans ces conditions, la dissolution de l’union matrimoniale devrait emporter l’extinction des effets de la présomption posée à l’article 221 du Code civil.
    • Elle ne devrait donc pas survivre au-delà de la dissolution.
  • En faveur du maintien des effets de la présomption postérieurement à la dissolution du mariage
    • Le principal argument porté par les auteurs a été de dire que les conséquences d’une disparition des effets de la présomption instituée à l’article 221 du Code civil seraient hautement préjudiciables à l’époux titulaire du compte, en particulier s’il s’agit du conjoint survivant, en ce que cela porterait atteinte à l’autonomie bancaire que la présomption est censée lui procurer.
    • Admettre qu’il puisse être procédé à un blocage du compte personnel d’un époux postérieurement à la dissolution du mariage aurait, pratiquement, pour incidence de l’empêcher de pourvoir à ses besoins de la vie courante, puisque dépossédé de ses moyens de paiement et de subsistance dans l’attente – souvent longue – de la liquidation du régime matrimonial et du partage de l’indivision post-communautaire.

C’est finalement la seconde thèse qui a été retenue par le législateur, alors que la jurisprudence avait plutôt opté pour la première.

==> Évolution de la jurisprudence

  • Première étape
    • La première juridiction à s’être prononcée sur la question n’est autre que la Cour d’appel de Paris qui, dans un arrêt du 6 juillet 1977, a eu à statuer, dans une affaire Edberg, sur la responsabilité d’une banque à laquelle il était reproché par le conjoint de son client de n’avoir pas procédé à un blocage de son compte titre d’où il s’en était suivi l’accomplissement d’opérations financières sans son consentement.
    • La Cour d’appel décide de débouter le conjoint de sa demande au motif que « la présomption édictée a l’article 221 du code civil avait survécu, a l’égard de la banque, au décès du conjoint de dame x» (CA Paris, 6 juill. 1977)
    • C’est donc en faveur d’un maintien des effets de la présomption que les juges parisiens se prononcent, ce qui n’a pas manqué de donner lieu à un pourvoi formé devant de la Cour de cassation.
  • Deuxième étape
    • Saisi de l’affaire qu’avait eu à connaître la Cour d’appel de Paris, la Cour de cassation casse et annule la décision entreprise par cette dernière dans un arrêt du 5 février 1980 ( com. 5 févr. 1980, n°77-15.469).
    • Au soutien de sa décision, la Chambre commerciale affirme, que la présomption instituée à l’article 221 du Code civil « cesse de produire ses effets lors de la dissolution du mariage, la présomption de communauté prévue à l’article 1402, alinéa 1er, du code civil redevenant alors applicable».
    • La haute juridiction prend ainsi le contre-pied de la juridiction du fond en optant pour la thèse de la disparition des effets de la présomption de l’article 221 du Code civil postérieurement à la dissolution du mariage.
  • Troisième étape
    • Statuant sur renvoi dans le cadre de la précédente affaire, dans un arrêt du 11 octobre 1983 Cour d’appel de Reims oppose une résistance – mesurée – à la décision prise par la chambre commerciale.
    • Elle juge, en effet, que si la présomption instituée à l’article 221 du Code civil ne saurait neutraliser les effets de la présomption d’acquêt dont sont susceptibles de se prévaloir les héritiers de l’époux décédé, la dissolution du mariage ne saurait, en revanche, contraindre le banquier, dès qu’il aura eu connaissance du décès, à vérifier les pouvoirs du conjoint survivant et à procéder au blocage automatique de son compte personnel, sauf, précisent les juges du fond, demande expresse formulée par les héritiers.
    • La Cour d’appel ne ferme ainsi nullement la porte à un blocage du compte du conjoint survivant – mais seulement sur demande des héritiers – au motif que la présomption de l’article 221 cesserait de produire ses effets postérieurement à la dissolution du mariage.
  • Quatrième étape
    • Un nouveau pourvoi est formé devant la Cour de cassation qui se réunira, cette fois-ci, en assemblée plénière.
    • Dans un arrêt du 4 juillet 1985, elle décidera finalement que « l’article 221, alinéa 2, du Code civil, aux termes duquel l’époux déposant est réputé, à l’égard du dépositaire, avoir la libre disposition des fonds et des titres en dépôt, dispense le dépositaire de procéder à toute vérification de propriété ou de pouvoir au moment où ces fonds ou titres sont déposés et tient en échec à son égard la présomption de communauté ; que cette dispense ne peut être remise en cause rétroactivement par le décès de l’un des époux ; qu’en effet, si la règle de l’article 221 précité cesse d’être applicable après la dissolution du mariage, les effets qu’elle a produits antérieurement doivent être respectés ; que. s’il n’a pas reçu opposition des héritiers, le dépositaire ne peut donc prendre aucune initiative en ce qui concerne le fonctionnement du compte» ( ass. plén. 4 juill. 1985, n°8-17.155).
    • À l’instar de la Cour d’appel de Reims, l’assemblée plénière tranche donc dans le sens d’une disparition des effets de la présomption instituée à l’article 221 postérieurement à la dissolution du mariage, avec cette réserve que tant que le banquier n’a reçu aucune demande de blocage du compte personnel du conjoint survivant formulée par les héritiers, il ne saurait « prendre aucune initiative en ce qui concerne le fonctionnement du compte».
    • Bien que cherchant à concilier les intérêts du conjoint survivant avec ceux des héritiers, la Cour de cassation n’a pas été suivie par le législateur qui est intervenu en 1985 pour briser sa jurisprudence.

==> Intervention du législateur

En réaction au débat doctrinal et jurisprudentiel qui était né consécutivement à l’adoption de la loi du 13 juillet 1965, le législateur est intervenu pour y mettre en terme à l’occasion de l’adoption de la loi du 23 décembre 1985.

Pour ce faire, il a apporté une précision à l’article 221 du Code civil qui dispose désormais, que le déposant est toujours réputé avoir la libre disposition des fonds et des titres en dépôt « même après la dissolution du mariage ».

Il a donc été décidé de faire survivre les effets de la présomption posée par ce texte à la dissolution du mariage, alors que la Cour de cassation avait adopté la position inverse, tout en admettant néanmoins que le compte personnel de l’époux puisse continuer à fonctionner tant qu’aucune opposition ne serait formée auprès du dépositaire par le conjoint ou ses ayants droit.

À l’analyse, la solution retenue par le législateur vise à maintenir l’autonomie bancaire de l’époux à la faveur duquel joue la présomption instituée à l’article 221, de manière à lui permettre de satisfaire à ses besoins de la vie quotidienne.

En effet, la simple opposition du conjoint ou de ses héritiers sera insuffisante quant à bloquer le fonctionnement du compte et donc à le priver, concrètement, de la possibilité d’accomplir des opérations bancaires. Seul l’emprunt de la voie judiciaire pourra conduire à ce résultat.

À cet égard, il a été précisé par la doctrine qu’il n’a y avait pas lieu de distinguer selon que les fonds ou titres aient été déposés avant ou après la dissolution du mariage.

On aurait pourtant pu considérer que lorsque le banquier a connaissance du caractère indivis de fonds ou de titres déposés sur le compte personnel d’un époux postérieurement au décès de son conjoint, le bénéfice de la présomption posée à l’article 221 devrait être écarté par souci de protection des ayants droit qui, dans le cadre d’une indivision post-communautaire, demeurent fondés à se prévaloir de la présomption d’acquêts.

Reste que l’article 221 n’opère aucune distinction selon la date du dépôt, de sorte qu’il y a lieu de faire application de l’adage specialia generalibus derogant.

Aussi, que les fonds ou titres aient été déposés avant ou après la dissolution, dans les deux cas la présomption a vocation à jouer. Pratiquement, ainsi que le remarquent des auteurs, il serait, en tout état de cause, difficile d’adopter la solution inverse en raison de la difficulté qu’il y aurait pour le banquier, à procéder à un blocage partiel du compte[3].

[1] V. en ce sens J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand colin, 2001, n°120, p. 109 ; A. Colomer, Droit civil – Les régimes matrimoniaux, éd. Litec, 2004, n°239, p. 118.

[2] V. en ce sens A. Colomer, Droit civil – Régimes matrimoniaux, éd. Litec, 2004, n°253, p.124.

[3] V. e n ce sens J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand Colin, 2001, n°121, p.112.

L’autonomie bancaire des époux: l’ouverture d’un compte personnel (art. 221, al. 1er C. civ.)

==> Vue générale

Assez paradoxalement alors que la femme mariée était, jadis, frappée d’une incapacité d’exercice générale, très tôt on a cherché à lui reconnaître une sphère d’autonomie et plus précisément à lui octroyer un pouvoir de représentation de son mari.

La raison en est que l’entretien du ménage et l’éducation des enfants requièrent l’accomplissement d’un certain nombre de démarches. Or tel a été la tâche qui, pendant longtemps, a été exclusivement dévolue à la femme mariée.

Elle était, en effet, chargée d’accomplir les tâches domestiques, tandis que le mari avait pour mission de procurer au foyer des revenus de subsistance.

Au nombre des missions confiées à la femme mariée figurait notamment la réalisation d’un certain nombre de dépenses nécessaires à la satisfaction des besoins de la vie courante. Cette tâche supposait donc, pratiquement, qu’elle soit en possession d’argent et qu’elle manipule de la monnaie.

Au cours du XXe siècle, le système monétaire a considérablement évolué sous l’effet de l’apparition de la monnaie scripturale, soit de la monnaie dont la création et la circulation impliquent une inscription en compte.

Le développement de cette monnaie scripturale a, mécaniquement, considérablement accru le rôle du banquier qui est devenu un fournisseur de moyens incontournable des ménages.

Reste que, en l’absence de capacité juridique, elle n’était autorisée à s’adresser au banquier que par l’entremise de son mari.

C’est la raison pour laquelle, afin de permettre à la femme mariée de tenir son rôle, il fallait imaginer un système qui l’autorise à accomplir des actes juridiques et plus précisément à faire fonctionner le compte du ménage.

Dans un premier temps, il a été recouru à la figure juridique du mandat domestique, ce qui consistait à considérer que le mari avait donné tacitement mandat à son épouse à l’effet de le représenter quant à l’accomplissement de tous les actes nécessaires à la satisfaction des besoins de la vie courante.

De cette manière, ce dernier se retrouvait personnellement engagé par les engagements souscrits par sa conjointe auprès des tiers, alors même que, à titre individuel, elle était frappée d’une incapacité juridique.

Le recours à cette technique juridique n’était toutefois pas sans limite. Le mari n’était obligé envers les tiers qu’autant qu’il était démontré qu’il avait, au moins tacitement, donné mandat à son épouse à l’effet de le représenter.

À l’inverse, s’il parvenait à établir qu’il n’avait pas consenti à l’acte dénoncé, les tiers ne disposaient d’aucun recours direct contre lui, ce qui les contraignait à exercer au gré des circonstances, tantôt à emprunter la voie de l’action de in rem verso, tantôt à l’action oblique.

En réaction à cette situation fâcheuse qui menaçait les intérêts des tiers, ce qui les avait conduits à exiger systématiquement l’accord exprès du mari pour les actes accomplis par son épouse, au préjudice du fonctionnement du ménage, le législateur a décidé d’intervenir au milieu du XXe siècle.

Dans un deuxième temps, la loi du 22 septembre 1942 a ainsi consacré la règle du mandat domestique en instituant plusieurs présomptions de pouvoir au profit de la femme mariée, dont une présomption en matière bancaire.

Cette présomption, énoncée à l’article 221 du Code civil, prévoyait que « la femme peut, sur sa seule signature, faire ouvrir, par représentation de son mari, un compte courant spécial pour y déposer ou retirer les fonds qu’il laisse entre ses mains ».

Ainsi, la femme mariée était-elle désormais investie du pouvoir de se faire ouvrir, sans l’autorisation de son mari, un compte ménager pour la réalisation des opérations bancaires de la vie courante.

Le législateur avait néanmoins pris le soin de préciser lors de l’adoption de la loi du 1er février 1943 que le mari disposait de la faculté de faire opposition aux opérations accomplies par son épouse, de révoquer le pouvoir de cette dernière sur le compte et de disposer du solde créditeur.

Curieusement, alors que sensiblement à la même période, la loi du 18 février 1938 venait d’abolir l’incapacité civile de la femme mariée, l’article 221 du Code civil nouvellement adopté ne lui reconnaissait une autonomie bancaire que par l’entremise du pouvoir de représentation de son mari dont elle était désormais légalement investie, à tout le moins s’agissant de la gestion des deniers communs.

En effet, la loi du 22 septembre 1942 lui avait reconnu, et c’est là l’une des premières marques d’émancipation de la femme mariée, le droit de se faire ouvrir, sans qu’il soit nécessaire qu’elle obtienne l’autorisation de son mari, un compte personnel pour y déposer les fonds qu’elle détenait en propre.

L’article 222 du Code civil prévoyait en ce sens que « lorsque la femme a l’administration et la jouissance de ses biens personnels ou des biens réservés qu’elle acquiert par l’exercice d’une activité professionnelle séparée, elle peut se faire ouvrir un compte courant en son nom propre ».

Si, en droit, ces mesures adoptées par le législateur, ont étendu de façon substantielle l’autonomie bancaire de la femme mariée, en pratique cette autonomie est demeurée limitée.

Elle s’est, en effet heurtée à la résistance des banquiers qui exigeaient toujours :

  • Soit la justification du régime matrimonial, de la provenance des fonds ou encore de l’exercice d’une profession séparée
  • Soit l’intervention directe du mari aux fins de participation à l’acte

Ces demandes excessives de justification étaient motivées par la crainte des banquiers de traiter avec une femme mariée qui ne disposait pas du pouvoir d’accomplir l’acte sollicité.

Si cette dernière était investie du pouvoir de disposer de ses biens propres et réservés, encore fallait-il que le banquier s’assure de leur provenance. Or cela supposait que la femme mariée apporte une justification pour chaque dépôt de fonds.

Relevant que le système qu’il avait institué par les lois des 22 septembre 1942 et 1er février 1943 ne conférait pas à la femme mariée l’autonomie bancaire qu’il avait envisagée initialement, le législateur a cherché à le réformer à l’occasion de la grande réforme des régimes matrimoniaux qui est intervenue en 1965 et qui visait à instituer une véritable égalité entre la femme mariée et son époux.

Dans un troisième temps, la loi n°65-570 du 13 juillet 1965 a reformulé les termes de l’article 221 du Code civil en reconnaissant à la femme mariée, non plus un pouvoir de représentation de son mari pour l’ouverture d’un compte ménager, mais du pouvoir d’ouvrir un tel compte en son nom propre.

Par compte ménager, il faut entendre un compte sur lesquels sont susceptibles d’être déposés, tout autant des fonds propres que des fonds communs.

Jusqu’alors, la femme mariée était autorisée à ouvrir un compte en son nom propre que pour y déposer les fonds dont elle avait l’administration et la jouissance exclusive.

Désormais, la provenance des fonds qu’elle est susceptible de déposer sur ses comptes est indifférente : la femme mariée est investie du droit de se faire ouvrir un compte bancaire en son nom propre quel que soit le motif et de le faire fonctionner librement.

Le nouvel article 221 du Code civil prévoit en ce sens que :

  • D’une part, « chacun des époux peut se faire ouvrir, sans le consentement de l’autre, tout compte de dépôt et tout compte de titres en son nom personnel. »
  • D’autre part, « à l’égard du dépositaire, le déposant est toujours réputé, même après la dissolution du mariage, avoir la libre disposition des fonds et des titres en dépôt. »

En autorisant les époux à se faire librement ouvrir un compte personnel et en faisant présumer qu’ils sont investis du pouvoir de faire fonctionner ce compte, sans qu’il soit besoin pour eux de recueillir l’accord de leur conjoint, il n’est dès lors plus nécessaire pour le banquier d’exiger la fourniture de justifications.

Par le jeu de cette présomption, les opérations accomplies par un époux seul sur un compte ouvert en son nom propre ne risquaient plus d’être remises en cause par son conjoint au préjudice du banquier.

L’autonomie bancaire qui avait été envisagée par le législateur en 1942 pouvait alors véritablement opérer.

Parce que l’article 221 du Code civil conférait aux époux une complète autonomie en matière bancaire, la loi n° 85-1372 du 23 décembre 1985 relative à l’égalité des époux dans les régimes matrimoniaux et des parents dans la gestion des biens des enfants mineurs ne l’a quasiment pas retouché.

L’intervention du législateur s’est limitée à préciser que la présomption de pouvoir instituée au profit du dépositaire à l’égard du déposant s’agissant du fonctionnement du compte continuait à produire ses effets « même après la dissolution du mariage ».

Cette précision visait à mettre un terme à une controverse jurisprudentielle et doctrinale née consécutivement à l’adoption de la loi du 13 juillet 1965.

La question s’était, en effet, posée de savoir quels étaient les droits et obligations de l’époux sur les comptes que son conjoint avait ouvert en son nom propre lors de la dissolution du mariage.

Fallait-il considérer que la dissolution emportait extinction de la présomption de pouvoir ou, à l’inverse, qu’elle survivait à la disparition de l’union matrimoniale.

Le législateur a opté, en 1985, pour la seconde solution, l’objectif recherché étant d’éviter, au moment de la dissolution du mariage, un blocage des comptes personnels des époux.

Au bilan, la volonté du législateur d’instaurer une véritable égalité dans les rapports conjugaux, mouvement qui s’est amorcé dès le début du XXe siècle, l’a conduit à conférer à la femme mariée une sphère de liberté l’autorisant à agir seule.

Cette autonomie dont jouissent les époux, qui sont désormais placés sur un pied d’égalité, se traduit en matière bancaire par l’adoption de deux deux dispositifs qui intéressent :

  • D’une part, l’ouverture du compte
  • D’autre part, le fonctionnement du compte

Nous nous focaliserons ici sur le premier dispositif mis en place par l’article 221 du Code civil.

I) Le principe de liberté d’ouverture des comptes

L’article 221 du Code civil prévoit que « chacun des époux peut se faire ouvrir, sans le consentement de l’autre, tout compte de dépôt et tout compte de titres en son nom personnel. »

Il ressort de cette disposition que les époux sont libres de se faire ouvrir, en leur nom propre, un compte bancaire, sans qu’il leur soit besoin d’obtenir le consentement du conjoint.

La consécration de cette liberté dans le Code civil et plus précisément dans la partie dédiée au régime primaire impératif, procède de la volonté du législateur d’instaurer une véritable égalité dans les rapports conjugaux.

Il a, en effet, fallu attendre la loi n°65-570 du 13 juillet 1965 pour que soit aboli le statut de la femme mariée qui la plaçait sous la tutelle de son mari.

À partir de 1942 elle était certes autorisée à se faire ouvrir un compte personnel pour les biens personnels ou réservés dont elle avait l’administration et la jouissance exclusive.

Toutefois, elle devait obtenir l’autorisation de son mari s’agissant de l’ouverture d’un compte ménager, soit d’un compte sur lequel seraient déposés des deniers communs.

Elle ne pouvait donc agir qu’en représentation de son mari, ce qui avait conduit les banquiers à systématiquement exiger de la femme mariée qu’elle se justifie quant à sa situation matrimoniale et à la provenance des fonds qu’elle entendait déposer.

Désormais, la liberté dont jouit la femme mariée quant à l’ouverture d’un compte bancaire est des plus complète.

Ainsi que le relève un auteur, l’originalité de l’alinéa 1er de l’article 221 du Code civil « réside, non pas dans l’octroi à la femme du droit de se faire ouvrir un compte à son nom personnel sans le consentement de son mari […], mais bien dans le fait de la placer à égalité avec lui ; pour elle, la faculté est devenue générale comme elle l’a toujours été pour le mari, et qui plus est le législateur fait en sorte que disparaissent les entravent qu’en pratique l’exercice de ce droit subissait »[1].

Au fond, il faut comprendre cette disposition comme visant moins à consacrer la liberté d’ouverture des comptes dont jouissent les époux, qu’à signaler l’abolition de l’assujettissement de femme mariée à son époux en matière bancaire.

II) L’étendue de la liberté d’ouverture des comptes

L’article 221, al. 1er du Code civil prévoit que les comptes concernés par la liberté conférée aux époux en matière bancaire sont :

  • D’une part, les comptes de dépôt et les comptes titres
  • D’autre part, les comptes ouverts sous le « nom personnel » des époux

A) Les comptes de dépôt et les comptes titres

==> S’agissant des comptes de dépôt

Le compte de dépôt, qualifié encore de compte à vue, de compte chèque ou encore de compte courant est un instrument permettant de déposer des fonds et d’effectuer des opérations financières.

La formule retenue est volontairement large, l’objectif recherché par le législateur étant de viser, tout autant les comptes de dépôt sur livret, que les comptes de dépôt à terme. La particularité de ces comptes spéciaux est qu’ils ne peuvent pas donner lieu à l’émission de chèques.

Ainsi que le révèlent les travaux parlementaires, initialement, il était prévu de circonscrire la liberté des époux d’ouverture d’un compte aux seuls comptes chèques, à l’exclusion de tout autre compte.

Cette limitation n’a finalement pas été retenue par le législateur qui a préféré viser tous les comptes de dépôt, pourvu qu’ils soient ouverts dans les livres d’un établissement bancaire ou financier au sens de l’article L. 511-1 du Code monétaire et financier.

Il en résulte que l’article 221 du Code civil serait inapplicable, s’agissant de l’ouverture d’un compte de dépôt auprès d’une personne qui n’endosserait pas cette qualité, soit qui ne serait pas titulaire de l’agrément délivré par l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR).

Tel serait le cas d’un particulier, d’un notaire, d’un avocat ou encore d’un commerçant, qui, par hypothèse, ne sont pas des professionnels des opérations de banque, ni ne sont, d’ailleurs, pas autorisés à en réaliser, ce domaine d’activité relevant du monopole des établissements agréés.

==> S’agissant des comptes titres

A la différence du compte de dépôt, le compte titre est un instrument permettant de déposer, non pas de la monnaie, mais des valeurs mobilières.

La question s’est alors posée, faute d’indication dans les travaux parlementaires, si le texte visait les seuls titres au porteur, soit ceux détenus de façon anonyme par l’investisseur ou s’il fallait inclure les titres nominatifs, c’est-à-dire ceux dont le nom du porteur est attaché au titre.

D’aucuns soutenaient, en effet, qu’il y avait lieu d’exclure ces derniers du domaine de l’article 221 du Code civil dans la mesure où la détention de titres nominatifs pouvait se faire en dehors de toute inscription en compte.

La controverse née en doctrine a finalement été tranchée à l’aune de l’adoption de la loi n°81-1160 du 30 décembre 1981 complétée par le décret n°83-359 du 2 mai 1983 qui, sous l’effet de la dématérialisation des valeurs mobilières, a rendu obligatoire l’inscription en compte, tant des titres aux porteurs que des titres nominatifs[2].

L’article 221 du Code civil a, dans ces conditions et de l’avis unanime des auteurs, vocation à s’appliquer pour les deux sortes de titres.

B) Les comptes ouverts sous le nom personnel des époux

L’article 221 du Code civil prévoit qu’un époux est autorisé à se faire ouvrir sans le consentement de son conjoint un compte bancaire « en son nom personnel ».

Des auteurs se sont interrogés sur le sens à donner à cette précision. Faut-il comprendre que l’ouverture d’un compte par un époux avec des tiers, tel qu’un compte joint ou un compte indivis, ne serait pas visée par l’article 221 ?

La doctrine majoritaire répond par l’affirmative à cette question, considérant qu’il s’agit là d’« une survivance malheureuse de l’époque où il fallait distinguer le compte personnel de la femme mariée de celui qu’elle ouvrait en représentation de son mari »[3].

Autrement dit, par la formule « en son nom personnel », il faut entendre que l’époux, et plus précisément l’épouse, est libre, en toutes circonstances, de se faire ouvrir un compte, y compris ménager, sans qu’il lui soit besoin d’obtenir le consentement de son conjoint.

À l’analyse l’esprit qui anime la règle énoncée à l’article 221 consiste à interdire au banquier d’exiger d’un époux qui sollicite l’ouverture d’un compte qu’il justifie de sa situation matrimoniale ou de la provenance des fonds ou des titres qu’il entend déposer.

III) L’exercice de la liberté d’ouverture des comptes

La liberté dont jouit chaque époux de se faire ouvrir un compte bancaire en son nom personnel emporte deux conséquences :

  • D’une part, chaque époux peut se faire ouvrir un compte en son nom personnel sans qu’il lui soit besoin d’obtenir l’autorisation de son conjoint
  • D’une part, il est fait interdiction au banquier de subordonner l’ouverture du compte à la fourniture d’informations relatives à la situation matrimoniale de son client

==> Sur l’absence d’exigence d’obtention de l’autorisation du conjoint

L’article 221 du Code civil précise expressément que l’ouverture par un époux d’un compte bancaire en son nom personnel n’est pas subordonnée à l’obtention de l’autorisation de son conjoint.

Cette précision vise à garantir une autonomie des plus larges aux époux, et plus encore à rappeler que, en matière bancaire, la femme mariée est désormais libérée de la tutelle de son mari.

Parce qu’elle relève du régime primaire, il s’agit là d’une règle d’ordre public à laquelle il ne peut pas être dérogé par convention contraire.

Pratiquement, elle implique que le banquier ne saurait se voir reprocher d’avoir ouvert un compte bancaire à un époux sans avoir sollicité le consentement du conjoint, quand bien même les fonds déposés sur ce compte appartiendraient en propre à ce dernier.

En pareille hypothèse, ainsi qu’il l’a été rappelé par la Cour de cassation dans un arrêt du 9 juillet 2008, il appartient à celui qui revendique la propriété des fonds de rapporter la preuve de leur caractère propre (Cass. 1ère civ. 9 juill. 2008, n°07-16.545).

À cet égard, la première chambre civile a pris le soin de préciser, dans cette décision, s’agissant d’époux sont mariés sous un régime de communauté, que « les deniers déposés sur le compte bancaire d’un époux sont présumés, dans les rapports entre conjoints, être des acquêts ».

Il en résulte que la nature de propre des fonds versés sur le compte d’un époux ne peut se déduire du seul fait qu’ils proviennent de son compte personnel.

En application de l’article 1402 du Code civil, ils sont présumés être des biens communs, charge à l’époux titulaire du compte de rapporter la preuve contraire.

==> Sur l’interdiction faite au banquier d’exiger la fourniture de justifications

Si le législateur est intervenu en 1965 pour réformer le dispositif qu’il avait institué vingt ans plus tôt à l’article 221 c’était, outre sa volonté d’instaurer une véritable égalité entre les époux en matière bancaire, pour mettre un terme à une pratique contraire à l’esprit de la loi de 1942 qui s’était installée chez les banquiers.

En effet, alors même que cette loi conférait à la femme mariée le pouvoir, soit d’agir en représentation de son mari pour les opérations accomplies sur le compte ménager, soit d’agir en son nom propre pour les fonds dont elle avait l’administration et la jouissance exclusive, les établissements bancaires exigeaient systématiquement que ces dernières justifient de leur situation matrimoniale et de la provenance des fonds déposés sur leur compte personnel.

Tel qu’il est désormais rédigé, l’article 221 du Code civil interdit au banquier de solliciter la fourniture de telles justifications aux époux.

Tout au plus, il peut – et c’est même une obligation légale – vérifier l’identité de l’époux sollicitant l’ouverture d’un compte bancaire préalablement à toute entrée en relation (V. en ce sens l’article 561-5 du Code monétaire et financier).

Pour ce qui est, en revanche, de la situation matrimoniale de son client, il lui est fait interdiction de demander tout renseignement en lien avec cette situation. Il engagerait sa responsabilité s’il subordonnait l’ouverture d’un compte à la fourniture de tels renseignements.

Cette interdiction ne vaut, toutefois, que pour l’ouverture d’un compte bancaire et les opérations de dépôt et de retrait associées.

Lorsqu’un époux sollicite, par exemple, l’octroi d’un crédit, le banquier est pleinement autorisé à l’interroger sur son régime matrimonial, dans la mesure où cette information lui permettra de déterminer l’étendue de son gage et d’en tirer toutes les conséquences quant aux garanties à prendre.

S’agissant de la provenance des fonds déposés sur le compte ouvert par un époux en son nom propre, les seules justifications qui peuvent être demandées par le banquier sont celles motivées par un soupçon de blanchiment de capitaux ou de financement d’activités terroristes.

En dehors de cette motivation, il est fait interdiction aux établissements bancaires d’interroger les époux sur la provenance des fonds déposés sur les comptes personnels.

[1] A. Colomer, Droit civil – Régimes matrimoniaux, éd. Litec, 2004, n°225, p. 113.

[2] Sur cette question, V. A. Colomer, ibid, n°232, p. 115.

[3] R. Cabrillac, Droit des régimes matrimoniaux, éd. Montchrestien, 2011, n°68, p. 66.

L’autonomie bancaire des époux: vue générale (art. 221 C. civ.)

Assez paradoxalement alors que la femme mariée était, jadis, frappée d’une incapacité d’exercice générale, très tôt on a cherché à lui reconnaître une sphère d’autonomie et plus précisément à lui octroyer un pouvoir de représentation de son mari.

La raison en est que l’entretien du ménage et l’éducation des enfants requièrent l’accomplissement d’un certain nombre de démarches. Or tel a été la tâche qui, pendant longtemps, a été exclusivement dévolue à la femme mariée.

Elle était, en effet, chargée d’accomplir les tâches domestiques, tandis que le mari avait pour mission de procurer au foyer des revenus de subsistance.

Au nombre des missions confiées à la femme mariée figurait notamment la réalisation d’un certain nombre de dépenses nécessaires à la satisfaction des besoins de la vie courante. Cette tâche supposait donc, pratiquement, qu’elle soit en possession d’argent et qu’elle manipule de la monnaie.

Au cours du XXe siècle, le système monétaire a considérablement évolué sous l’effet de l’apparition de la monnaie scripturale, soit de la monnaie dont la création et la circulation impliquent une inscription en compte.

Le développement de cette monnaie scripturale a, mécaniquement, considérablement accru le rôle du banquier qui est devenu un fournisseur de moyens incontournable des ménages.

Reste que, en l’absence de capacité juridique, elle n’était autorisée à s’adresser au banquier que par l’entremise de son mari.

C’est la raison pour laquelle, afin de permettre à la femme mariée de tenir son rôle, il fallait imaginer un système qui l’autorise à accomplir des actes juridiques et plus précisément à faire fonctionner le compte du ménage.

Dans un premier temps, il a été recouru à la figure juridique du mandat domestique, ce qui consistait à considérer que le mari avait donné tacitement mandat à son épouse à l’effet de le représenter quant à l’accomplissement de tous les actes nécessaires à la satisfaction des besoins de la vie courante.

De cette manière, ce dernier se retrouvait personnellement engagé par les engagements souscrits par sa conjointe auprès des tiers, alors même que, à titre individuel, elle était frappée d’une incapacité juridique.

Le recours à cette technique juridique n’était toutefois pas sans limite. Le mari n’était obligé envers les tiers qu’autant qu’il était démontré qu’il avait, au moins tacitement, donné mandat à son épouse à l’effet de le représenter.

À l’inverse, s’il parvenait à établir qu’il n’avait pas consenti à l’acte dénoncé, les tiers ne disposaient d’aucun recours direct contre lui, ce qui les contraignait à exercer au gré des circonstances, tantôt à emprunter la voie de l’action de in rem verso, tantôt à l’action oblique.

En réaction à cette situation fâcheuse qui menaçait les intérêts des tiers, ce qui les avait conduits à exiger systématiquement l’accord exprès du mari pour les actes accomplis par son épouse, au préjudice du fonctionnement du ménage, le législateur a décidé d’intervenir au milieu du XXe siècle.

Dans un deuxième temps, la loi du 22 septembre 1942 a ainsi consacré la règle du mandat domestique en instituant plusieurs présomptions de pouvoir au profit de la femme mariée, dont une présomption en matière bancaire.

Cette présomption, énoncée à l’article 221 du Code civil, prévoyait que « la femme peut, sur sa seule signature, faire ouvrir, par représentation de son mari, un compte courant spécial pour y déposer ou retirer les fonds qu’il laisse entre ses mains ».

Ainsi, la femme mariée était-elle désormais investie du pouvoir de se faire ouvrir, sans l’autorisation de son mari, un compte ménager pour la réalisation des opérations bancaires de la vie courante.

Le législateur avait néanmoins pris le soin de préciser lors de l’adoption de la loi du 1er février 1943 que le mari disposait de la faculté de faire opposition aux opérations accomplies par son épouse, de révoquer le pouvoir de cette dernière sur le compte et de disposer du solde créditeur.

Curieusement, alors que sensiblement à la même période, la loi du 18 février 1938 venait d’abolir l’incapacité civile de la femme mariée, l’article 221 du Code civil nouvellement adopté ne lui reconnaissait une autonomie bancaire que par l’entremise du pouvoir de représentation de son mari dont elle était désormais légalement investie, à tout le moins s’agissant de la gestion des deniers communs.

En effet, la loi du 22 septembre 1942 lui avait reconnu, et c’est là l’une des premières marques d’émancipation de la femme mariée, le droit de se faire ouvrir, sans qu’il soit nécessaire qu’elle obtienne l’autorisation de son mari, un compte personnel pour y déposer les fonds qu’elle détenait en propre.

L’article 222 du Code civil prévoyait en ce sens que « lorsque la femme a l’administration et la jouissance de ses biens personnels ou des biens réservés qu’elle acquiert par l’exercice d’une activité professionnelle séparée, elle peut se faire ouvrir un compte courant en son nom propre ».

Si, en droit, ces mesures adoptées par le législateur, ont étendu de façon substantielle l’autonomie bancaire de la femme mariée, en pratique cette autonomie est demeurée limitée.

Elle s’est, en effet heurtée à la résistance des banquiers qui exigeaient toujours :

  • Soit la justification du régime matrimonial, de la provenance des fonds ou encore de l’exercice d’une profession séparée
  • Soit l’intervention directe du mari aux fins de participation à l’acte

Ces demandes excessives de justification étaient motivées par la crainte des banquiers de traiter avec une femme mariée qui ne disposait pas du pouvoir d’accomplir l’acte sollicité.

Si cette dernière était investie du pouvoir de disposer de ses biens propres et réservés, encore fallait-il que le banquier s’assure de leur provenance. Or cela supposait que la femme mariée apporte une justification pour chaque dépôt de fonds.

Relevant que le système qu’il avait institué par les lois des 22 septembre 1942 et 1er février 1943 ne conférait pas à la femme mariée l’autonomie bancaire qu’il avait envisagée initialement, le législateur a cherché à le réformer à l’occasion de la grande réforme des régimes matrimoniaux qui est intervenue en 1965 et qui visait à instituer une véritable égalité entre la femme mariée et son époux.

Dans un troisième temps, la loi n°65-570 du 13 juillet 1965 a reformulé les termes de l’article 221 du Code civil en reconnaissant à la femme mariée, non plus un pouvoir de représentation de son mari pour l’ouverture d’un compte ménager, mais du pouvoir d’ouvrir un tel compte en son nom propre.

Par compte ménager, il faut entendre un compte sur lesquels sont susceptibles d’être déposés, tout autant des fonds propres que des fonds communs.

Jusqu’alors, la femme mariée était autorisée à ouvrir un compte en son nom propre que pour y déposer les fonds dont elle avait l’administration et la jouissance exclusive.

Désormais, la provenance des fonds qu’elle est susceptible de déposer sur ses comptes est indifférente : la femme mariée est investie du droit de se faire ouvrir un compte bancaire en son nom propre quel que soit le motif et de le faire fonctionner librement.

Le nouvel article 221 du Code civil prévoit en ce sens que :

  • D’une part, « chacun des époux peut se faire ouvrir, sans le consentement de l’autre, tout compte de dépôt et tout compte de titres en son nom personnel. »
  • D’autre part, « à l’égard du dépositaire, le déposant est toujours réputé, même après la dissolution du mariage, avoir la libre disposition des fonds et des titres en dépôt. »

En autorisant les époux à se faire librement ouvrir un compte personnel et en faisant présumer qu’ils sont investis du pouvoir de faire fonctionner ce compte, sans qu’il soit besoin pour eux de recueillir l’accord de leur conjoint, il n’est dès lors plus nécessaire pour le banquier d’exiger la fourniture de justifications.

Par le jeu de cette présomption, les opérations accomplies par un époux seul sur un compte ouvert en son nom propre ne risquaient plus d’être remises en cause par son conjoint au préjudice du banquier.

L’autonomie bancaire qui avait été envisagée par le législateur en 1942 pouvait alors véritablement opérer.

Parce que l’article 221 du Code civil conférait aux époux une complète autonomie en matière bancaire, la loi n° 85-1372 du 23 décembre 1985 relative à l’égalité des époux dans les régimes matrimoniaux et des parents dans la gestion des biens des enfants mineurs ne l’a quasiment pas retouché.

L’intervention du législateur s’est limitée à préciser que la présomption de pouvoir instituée au profit du dépositaire à l’égard du déposant s’agissant du fonctionnement du compte continuait à produire ses effets « même après la dissolution du mariage ».

Cette précision visait à mettre un terme à une controverse jurisprudentielle et doctrinale née consécutivement à l’adoption de la loi du 13 juillet 1965.

La question s’était, en effet, posée de savoir quels étaient les droits et obligations de l’époux sur les comptes que son conjoint avait ouvert en son nom propre lors de la dissolution du mariage.

Fallait-il considérer que la dissolution emportait extinction de la présomption de pouvoir ou, à l’inverse, qu’elle survivait à la disparition de l’union matrimoniale.

Le législateur a opté, en 1985, pour la seconde solution, l’objectif recherché étant d’éviter, au moment de la dissolution du mariage, un blocage des comptes personnels des époux.

Au bilan, la volonté du législateur d’instaurer une véritable égalité dans les rapports conjugaux, mouvement qui s’est amorcé dès le début du XXe siècle, l’a conduit à conférer à la femme mariée une sphère de liberté l’autorisant à agir seule.

Cette autonomie dont jouissent les époux, qui sont désormais placés sur un pied d’égalité, se traduit en matière bancaire par l’adoption de deux dispositifs qui intéressent :

  • D’une part, l’ouverture du compte
  • D’autre part, le fonctionnement du compte