L’attribution préférentielle: domaine

L’attribution préférentielle constitue une modalité essentielle du partage, permettant à certains coïndivisaires d’obtenir, sous conditions, l’allocation en pleine propriété d’un bien indivis moyennant indemnisation, le cas échéant, des autres indivisaires. Toutefois, si elle apparaît à première vue comme un simple aménagement du partage, son application n’est nullement automatique. La nature du bien, la qualité du demandeur et surtout l’origine de l’indivision déterminent le champ d’application de cette institution, qui se voit tantôt consacrée, tantôt restreinte par la jurisprudence. L’objet de la présente analyse est donc d’en cerner les contours, en examinant les conditions de sa mise en œuvre ainsi que les évolutions récentes en la matière.

A) Principe

1. Préexistence d’une indivision

L’attribution préférentielle ne saurait être sollicitée en dehors d’un état d’indivision. Elle suppose, en effet, que le bien en cause soit indivis et susceptible d’être partagé. En ce sens, elle ne peut être exercée lorsque la pleine propriété d’un bien se reconstitue naturellement sur la tête d’un indivisaire, notamment par l’extinction d’un usufruit (Cass. 1ère civ., 4 janv. 1973, n°71-13.859).

De même, elle se distingue de la faculté de prélèvement prévue à l’article 1077-1 du Code civil, qui écarte toute indivision en permettant à un héritier de prélever certains biens avant leur mise en partage. Il s’agit là d’un mécanisme autonome visant à favoriser la conservation de certains biens au profit d’un héritier sans passer par les contraintes de l’indivision et du partage.

Toutefois, la question se pose de savoir si l’attribution préférentielle peut être invoquée dans toute indivision ou si elle se limite aux seuls cas expressément prévus par la loi.

Traditionnellement, la jurisprudence a limité le bénéfice de l’attribution préférentielle aux cas où elle est expressément prévue par la loi, à savoir :

  • Les indivisions successorales (articles 831 et suivants du Code civil),
  • Les indivisions post-communautaires, nées de la dissolution d’un régime matrimonial,
  • Les indivisions résultant d’une séparation de biens entre époux ou partenaires pacsés.

Cette approche s’explique par le fait que l’attribution préférentielle constitue une dérogation au principe du partage égalitaire. Elle ne saurait donc être élargie au-delà des cadres définis par le législateur sans risquer de porter atteinte aux droits des autres indivisaires. La Cour de cassation, soucieuse de préserver la sécurité juridique, a ainsi longtemps enfermé son champ d’application dans ces hypothèses précises.

Néanmoins, ces dernières années, la jurisprudence semble avoir amorcé un mouvement d’assouplissement. Si le cadre législatif demeure inchangé, certaines décisions tendent à admettre que l’attribution préférentielle puisse être envisagée au-delà des seules hypothèses expressément prévues par le Code civil, dès lors que les circonstances particulières de l’indivision le justifient.

Ainsi, sans remettre en cause son fondement légal, les juges du fond ont parfois reconnu l’opportunité d’accorder une attribution préférentielle dans des situations où celle-ci permettrait de préserver une cohérence patrimoniale ou de maintenir l’affectation d’un bien à un usage spécifique. L’idée sous-jacente à cette évolution est de ne pas sacrifier des impératifs d’équilibre économique ou familial sur l’autel d’une lecture trop rigide du droit positif.

Cette ouverture progressive pose la question de l’avenir de l’attribution préférentielle. Si la tendance jurisprudentielle actuelle suggère une prise en compte plus pragmatique des situations d’indivision, il reste à savoir si cette évolution sera sanctionnée ou pérennisée par la Cour de cassation.

L’extension de l’attribution préférentielle à des indivisions hors du cadre légal strict pourrait trouver un fondement dans une volonté d’adaptation aux réalités patrimoniales modernes. Toutefois, cette souplesse nouvelle ne saurait se faire au détriment des autres indivisaires, ce qui incite la jurisprudence à maintenir un contrôle rigoureux sur les conditions de son octroi.

2. Les indivisions admises

L’application de l’attribution préférentielle ne dépend pas uniquement de l’existence d’un état d’indivision ; encore faut-il que cette indivision entre dans le champ des hypothèses admises par la loi et la jurisprudence. L’origine même de l’indivision constitue ainsi un critère déterminant, certaines d’entre elles ouvrant droit à cette faculté tandis que d’autres en sont exclues.

a. L’indivision successorale

L’indivision successorale constitue le cadre naturel de l’attribution préférentielle, institution dont la genèse remonte à la loi du 17 mars 1938, qui visait à préserver l’intégrité des exploitations agricoles en les soustrayant aux effets souvent destructeurs du partage successoral, qu’il prenne la forme du tirage au sort, du partage en nature ou de la licitation. Ce mécanisme, bien qu’ayant évolué au fil du temps, demeure profondément ancré dans le droit des successions et trouve aujourd’hui application dans toute indivision successorale, sous réserve que le demandeur remplisse les conditions posées par les articles 831 à 834 du Code civil.

Si l’attribution préférentielle permet d’assurer la transmission cohérente et fonctionnelle des biens indivis, elle n’en demeure pas moins un droit subsidiaire : elle ne s’impose jamais à la volonté du défunt, qui peut en restreindre l’exercice ou l’écarter totalement par disposition expresse.

Ainsi, le de cujus est-il libre, de son vivant, de régler la destination posthume de ses biens et prévoir un partage spécifique qui ne laisse place à aucune attribution préférentielle. L’exclusion peut résulter notamment :

  • D’un testament prescrivant un partage en nature, privant ainsi les héritiers de la faculté de revendiquer une attribution préférentielle (Cass. 1ère civ., 3 févr. 1959) ;
  • D’un legs particulier ou universel, qui soustrait le bien concerné au champ du partage successoral (Cass. req., 28 juill. 1947) ;
  • D’une donation-partage, par laquelle le défunt attribue ses biens de son vivant, ce qui leur fait perdre leur qualité de biens indivis (Cass. 1ère civ., 8 juill. 1958) ;
  • D’une stipulation contenue dans un contrat de mariage, permettant au conjoint survivant d’acquérir ou de conserver certains biens en cas de décès (Cass. 1ère civ., 14 févr. 1967).

Dans ces différentes hypothèses, le bien sort du périmètre de l’indivision successorale, et le jeu des articles 831 et suivants du Code civil est mécaniquement écarté.

Toutefois, l’exclusion de l’attribution préférentielle ne se produit pas dans tous les cas où le défunt a disposé de son bien. Une distinction s’impose entre la transmission privative et la transmission indivise.

Lorsque le défunt a conféré un droit privatif sur un bien à l’un de ses héritiers (ex. : legs particulier sur un immeuble), le bien est exclu de l’indivision et l’attribution préférentielle devient impossible (Cass. 1ère civ., 10 juill. 1968)

À l’inverse, lorsque le défunt a attribué des droits indivis par le biais d’un legs universel ou à titre universel, l’indivision est maintenue, ce qui laisse subsister le droit à l’attribution préférentielle pour l’un des co-indivisaires (Cass. 1ère civ., 30 oct. 1962).

La jurisprudence a ainsi précisé que les dispositions universelles ne privent pas les héritiers de leur faculté de demander l’attribution préférentielle, sauf si elles aboutissent à un démembrement intégral du patrimoine.

L’articulation entre les droits successoraux et la liberté du de cujus a connu d’importantes mutations, notamment sous l’effet de la loi du 23 juin 2006 qui a réformé le droit des successions.

Désormais, toutes les dispositions à titre gratuit, qu’elles soient entre vifs ou à cause de mort, sont réductibles en valeur (art. 924 C. civ.), ce qui signifie qu’un bien transmis ne revient pas dans la masse à partager, mais fait simplement l’objet d’une compensation financière. Cette règle confère au de cujus une importante liberté quant à organiser une répartition successorale excluant de facto l’attribution préférentielle.

Toutefois, la jurisprudence a admis qu’une exclusion directe de l’attribution préférentielle par une clause testamentaire ne serait pas systématiquement valide si elle se heurte à des principes fondamentaux du droit successoral, tels que les droits des héritiers réservataires (Cass. 1ère civ., 5 nov. 1996, n°94-15.886).

Les développements jurisprudentiels récents tendent vers un équilibre entre deux logiques :

  • D’un côté, le respect de la volonté du défunt, qui peut organiser la transmission de son patrimoine et limiter l’application de l’attribution préférentielle ;
  • De l’autre, la nécessité de préserver certains équilibres successoraux, notamment lorsque l’indivision concerne des biens à forte valeur d’usage familial ou professionnel.

En définitive, la faculté d’exclure l’attribution préférentielle s’inscrit dans une approche pragmatique du partage successoral : elle est admise tant qu’elle repose sur une disposition claire et non équivoque, mais ne saurait être opposée aux héritiers réservataires lorsque ceux-ci en demandent le bénéfice pour assurer la pérennité d’un bien familial.

b. L’indivision post-communautaire

L’attribution préférentielle trouve également à s’exercer dans le cadre de l’indivision post-communautaire, c’est-à-dire celle qui survient après la dissolution du régime matrimonial. Toutefois, son application varie selon la cause de dissolution de la communauté conjugale.

  • En cas de dissolution par décès, l’attribution préférentielle est un droit pleinement reconnu, permettant au conjoint survivant de se voir attribuer certains biens communs. Cette faculté favorise la stabilité du cadre de vie du survivant et facilite la transition successorale.
  • En cas de dissolution par divorce ou séparation de corps, l’attribution préférentielle n’est plus un droit automatique, mais une simple faculté laissée à l’appréciation souveraine du juge. En pratique, les tribunaux ont tendance à privilégier le conjoint ayant la garde des enfants, notamment lorsqu’il sollicite l’attribution du logement familial.

==>L’application de l’attribution préférentielle en cas de décès

Lorsque la communauté conjugale est dissoute par le décès de l’un des époux, la question du partage des biens communs se pose inévitablement. Dans ce contexte, l’attribution préférentielle constitue un mécanisme de protection essentiel pour le conjoint survivant, lui permettant de conserver certains biens ayant une importance patrimoniale et affective particulière.

L’article 1476 du Code civil prévoit expressément que les règles gouvernant le partage des successions s’appliquent au partage de la communauté conjugale, consacrant ainsi une assimilation entre l’indivision successorale et l’indivision post-communautaire. Cette disposition permet au conjoint survivant de prétendre à l’attribution préférentielle de certains biens communs, au même titre qu’un héritier indivisaire peut solliciter l’attribution préférentielle d’un bien relevant de la masse successorale.

Parmi les biens susceptibles d’être attribués préférentiellement, le logement familial occupe une place centrale. Il ne s’agit pas seulement d’un actif patrimonial, mais bien d’un élément structurant du cadre de vie du conjoint survivant, souvent empreint d’une forte dimension symbolique et affective.

Dès le milieu du XXe siècle, la jurisprudence a admis de manière constante que le conjoint survivant pouvait se voir attribuer la résidence principale du couple, facilitant ainsi son maintien dans un environnement familier et préservant son équilibre matériel et psychologique (Cass. 1ère civ.., 2 janv. 1952).

Cette solution se justifie à plusieurs titres :

  • Elle protège le conjoint survivant d’une mise en indivision prolongée avec d’autres héritiers, évitant ainsi d’éventuels conflits successoraux.
  • Elle préserve son droit au logement, particulièrement crucial lorsque le conjoint survivant est âgé ou dispose de revenus limités, ne lui permettant pas de se reloger aisément.
  • Elle favorise la stabilité familiale, notamment lorsque des enfants sont encore à charge, en évitant un bouleversement brutal des conditions de vie.

En pratique, les juridictions accordent une attention particulière à la situation du conjoint survivant et font généralement droit à la demande d’attribution préférentielle lorsque celui-ci résidait dans le logement familial avant le décès et que la conservation du bien présente un intérêt manifeste.

Si le logement familial constitue le bien le plus fréquemment concerné par l’attribution préférentielle, d’autres biens communs peuvent également en faire l’objet, sous réserve qu’ils remplissent des critères de nécessité et d’usage personnel pour le conjoint survivant.

Ainsi, la jurisprudence a progressivement admis que l’attribution préférentielle pouvait également porter sur :

  • Le mobilier meublant le logement familial, garantissant au conjoint survivant la jouissance effective du bien attribué sans avoir à racheter séparément les éléments qui le composent.
  • Les exploitations agricoles ou les fonds artisanaux lorsqu’ils constituaient l’activité principale du conjoint survivant, évitant ainsi une désorganisation brutale de son outil de travail.
  • Certains véhicules, notamment lorsque ceux-ci sont nécessaires à l’exercice d’une activité professionnelle ou au maintien de l’autonomie du conjoint survivant.

Dans chaque cas, les juges apprécient souverainement l’opportunité de l’attribution, en tenant compte de l’intérêt du conjoint survivant, mais également des droits des autres héritiers, notamment en matière de répartition de l’actif successoral.

Si l’attribution préférentielle offre au conjoint survivant un levier de protection efficace, elle n’a toutefois rien d’automatique. Le de cujus conserve la faculté d’écarter cette possibilité, en disposant de ses biens par donation, legs ou stipulation testamentaire.

Ainsi, plusieurs hypothèses peuvent priver le conjoint survivant du bénéfice de l’attribution préférentielle :

  • Le défunt peut avoir expressément prévu une répartition différente de son patrimoine, notamment en léguant le logement familial à un autre héritier.
  • Une clause testamentaire peut imposer un partage en nature, excluant de facto toute possibilité d’attribution préférentielle.
  • La donation-partage consentie du vivant du défunt peut avoir sorti le bien convoité de la masse partageable, rendant impossible son attribution au conjoint survivant.

Toutefois, même dans ces situations, la réduction des libéralités excessives prévue par l’article 924 du Code civil peut permettre de réintégrer certains biens dans la masse successorale et de préserver, dans une certaine mesure, les droits du conjoint survivant.

==>L’application de l’attribution préférentielle en cas de divorce ou de séparation de corps

Lorsque la communauté conjugale est dissoute du vivant des époux, que ce soit par divorce ou par séparation de corps, la question du sort des biens communs se pose avec acuité. Si l’attribution préférentielle s’est imposée sans difficulté dans le cadre du partage successoral, son application aux partages consécutifs à la dissolution du mariage a suscité, en revanche, de vives hésitations doctrinales et jurisprudentielles avant d’être pleinement consacrée par la loi.

À l’origine, la doctrine et la jurisprudence se montraient réticentes à admettre que l’attribution préférentielle puisse trouver à s’exercer dans les partages de communauté dissoute du vivant des époux. Cette hésitation procédait d’une double interrogation :

  • L’attribution préférentielle n’a-t-elle pas été conçue comme un mécanisme propre au droit des successions, justifiant sa limitation au seul cadre des indivisions successorales ?
  • Peut-on raisonnablement transposer ce mécanisme à la dissolution du mariage, alors même que le principe du partage égalitaire des biens communs prévaut dans cette hypothèse ?

Un premier revirement jurisprudentiel est intervenu avec un arrêt du 2 novembre 1954, où la Cour de cassation a affirmé que les règles de l’attribution préférentielle s’appliquaient à tout partage de communauté, quelle que soit la cause de sa dissolution (Cass. 1ère civ. 2 nov. 1954). Cette solution a été accueillie favorablement et a trouvé une consécration législative quelques années plus tard.

Ainsi, la loi du 19 décembre 1961 a esquissé une reconnaissance légale de l’attribution préférentielle dans le cadre des partages post-communautaires. Puis, la loi du 13 juillet 1965, réformant les régimes matrimoniaux, a levé toute ambiguïté en insérant dans l’article 1476 du Code civil une référence générale aux règles successorales en matière d’attribution préférentielle. Dès lors, le principe était acquis : l’attribution préférentielle pouvait être sollicitée dans le cadre d’un divorce ou d’une séparation de corps, sous réserve du respect des conditions légales.

Si l’attribution préférentielle est désormais admise en principe dans le cadre des partages post-communautaires, elle ne revêt cependant aucun caractère automatique. L’alinéa 2 de l’article 1476 du Code civil précise expressément que « l’attribution préférentielle n’est jamais de droit » en cas de divorce, séparation de corps ou séparation de biens, et que le juge peut toujours décider que la totalité de la soulte sera payable comptant.

Cette rédaction confère aux juridictions un pouvoir souverain d’appréciation, leur permettant d’examiner au cas par cas l’opportunité d’une attribution préférentielle. Ainsi, contrairement à l’hypothèse du décès où l’attribution préférentielle du logement familial au conjoint survivant est souvent favorisée, le juge du divorce ou de la séparation de corps dispose d’une latitude bien plus large pour accorder ou refuser cette mesure.

En pratique, les décisions des tribunaux ont progressivement dessiné les contours d’une politique judiciaire plus favorable à certaines catégories de justiciables, notamment lorsque l’attribution préférentielle concernait le logement familial.

L’un des critères essentiels retenus par les juges dans l’octroi de l’attribution préférentielle réside dans la présence d’enfants au foyer.

Dès les premières décisions de jurisprudence, une tendance s’est dégagée en faveur du conjoint ayant la garde des enfants, particulièrement lorsqu’il sollicite l’attribution du domicile conjugal.

Ainsi, un arrêt du 5 juin 1991 a rappelé avec force que l’attribution préférentielle dans le cadre d’un divorce relevait exclusivement de l’appréciation des juges du fond (Cass. 2e civ., 5 juin 1991, n°90-14.109). Cette solution a été confirmée par de nombreuses juridictions, qui ont systématiquement privilégié le conjoint divorcé non fautif, et plus encore celui qui avait la charge des enfants, en lui accordant l’attribution du logement familial (CA Paris, 4 févr. 1965).

Cette orientation protectrice repose sur une double considération :

  • Le maintien d’un cadre de vie stable pour les enfants, afin de limiter les effets déstabilisants de la séparation parentale.
  • L’impératif social de préservation du logement familial, qui constitue bien souvent le seul bien de valeur pour le conjoint économiquement le plus vulnérable.

Ainsi, bien que l’attribution préférentielle ne soit jamais de droit, les juges l’accordent fréquemment en présence d’enfants mineurs et que la conservation du logement familial apparaît comme un facteur de stabilité essentiel.

==>Cas particulier du droit au bail du logement conjugal

L’attribution préférentielle, telle que consacrée par l’article 831 et suivants du Code civil, vise principalement la transmission en pleine propriété d’un bien indivis. Toutefois, une hypothèse singulière se présente lorsque la demande d’attribution ne porte pas sur la propriété du logement conjugal, mais sur le droit au bail y afférent.

Dans ce cas, un régime spécifique s’applique, régi non plus par les règles de l’indivision successorale ou post-communautaire, mais par l’article 1751 du Code civil. Ce texte consacre un principe de portée générale : le droit au bail portant sur le logement conjugal est réputé appartenir aux deux époux, quel que soit leur régime matrimonial.

Contrairement à la propriété d’un bien immobilier, dont l’attribution repose sur l’origine du financement et les modalités d’acquisition, le droit au bail du logement conjugal obéit à un régime spécifique qui fait abstraction de ces considérations. Peu importe lequel des époux a signé le contrat de location ou assumé le paiement des loyers : dès lors qu’il s’agit du logement familial, la loi présume que le bail appartient conjointement aux deux conjoints.

Ce mécanisme vise à garantir l’égalité des époux dans la jouissance du domicile conjugal, en empêchant que l’un d’eux puisse évincer l’autre en invoquant une titularité exclusive du bail. Il confère donc une protection essentielle, notamment pour le conjoint économiquement dépendant ou pour celui qui n’aurait pas de titre de location à son nom.

Lorsque le couple se sépare, la question du sort du droit au bail se pose avec acuité. Le maintien dans les lieux de l’un des conjoints suppose une réattribution du bail, laquelle doit prendre en considération des critères sociaux et familiaux.

L’article 1751, alinéa 2 du Code civil prévoit ainsi une procédure spécifique permettant au juge de statuer sur l’attribution du droit au bail à l’un des époux. Cette décision repose sur une appréciation souveraine des intérêts en présence, en tenant compte des circonstances particulières du divorce ou de la séparation de corps.

Le juge devra notamment considérer :

  • La situation familiale, notamment la présence d’enfants, qui constitue un critère déterminant pour privilégier le maintien du conjoint ayant leur garde dans le logement.
  • Les considérations sociales et économiques, en favorisant l’époux dont la situation financière ne permettrait pas de retrouver aisément un autre logement.
  • Les circonstances de la séparation, en veillant à éviter une attribution abusive qui désavantagerait injustement l’un des conjoints.

Cette approche pragmatique permet d’assurer une transition équitable entre la vie conjugale et la séparation, en préservant autant que possible la stabilité du cadre de vie familial.

Si le droit au bail du logement conjugal peut faire l’objet d’une attribution judiciaire, il ne relève pas du régime général de l’attribution préférentielle prévu par l’article 831-2, 1° du Code civil.

Les principales différences entre les deux dispositifs sont les suivantes :

Critères Attribution préférentielle classique (art. 831-2, 1° C. civ.) Attribution judiciaire du droit au bail (art. 1751, al. 2 C. civ.)
Objet de l’attribution Transmission en pleine propriété d’un bien immobilier indivis Transfert de la titularité du bail sans acquisition de la propriété
Cadre juridique Partage successoral ou post-communautaire Divorce ou séparation de corps
Droit applicable Articles 831 et suivants du Code civil Article 1751 du Code civil
Critères d’attribution Priorité aux héritiers ou époux remplissant les conditions légales Appréciation souveraine du juge en fonction des intérêts familiaux et sociaux
Effet juridique Le bénéficiaire devient propriétaire du bien Le bénéficiaire devient seul titulaire du bail mais n’acquiert pas la propriété

Bien que l’attribution du droit au bail présente des similarités avec l’attribution préférentielle, ses effets sont plus limités, dans la mesure où :

  • Elle ne confère aucun droit de propriété sur le logement, mais seulement le droit d’en être le locataire exclusif.
  • Elle est soumise aux termes du contrat de bail, ce qui implique que le bénéficiaire doit respecter les obligations locatives et ne bénéficie d’aucune garantie de renouvellement automatique.
  • Elle ne peut être invoquée à titre absolu, le juge pouvant refuser l’attribution s’il estime qu’elle ne se justifie pas au regard des circonstances du divorce.

==>La prise d’effet de l’attribution préférentielle dans le cadre de l’indivision post-communautaire

La question du moment auquel doivent être réunies les conditions d’octroi de l’attribution préférentielle dans le cadre d’une indivision post-communautaire a longtemps suscité des incertitudes, notamment en cas de divorce ou de séparation de corps. Si la jurisprudence avait, dans un premier temps, posé le principe d’une prise d’effet rétroactive à la date de la demande en divorce, la réforme de 2019 est venue clarifier et aménager ce régime.

Jusqu’à la réforme du 23 juin 2006, le principe de rétroactivité de la dissolution du régime matrimonial était consacré par l’ancien article 262 du Code civil, qui disposait que les effets du divorce sur le régime matrimonial remontaient au jour de la demande en divorce (ou de la demande en séparation de corps).

Cette disposition avait une conséquence directe sur l’attribution préférentielle :

  • Le moment déterminant pour apprécier si les conditions de l’attribution préférentielle étaient réunies était fixé à la date de la demande en divorce.
  • Ainsi, un époux souhaitant obtenir l’attribution d’un bien commun devait démontrer qu’il remplissait les critères dès le dépôt de la requête en divorce, et non au moment du prononcé du divorce définitif.
  • La jurisprudence en a déduit que l’indivision post-communautaire naissait rétroactivement à cette date, figeant ainsi la composition du patrimoine commun et les droits des parties (Cass. 1ère civ., 21 mai 1969).

Toutefois, ce système présentait des inconvénients majeurs. Il figeait artificiellement la situation patrimoniale des époux à une date parfois très antérieure au jugement de divorce, ce qui pouvait être source d’injustices, notamment en cas de longue procédure ou d’évolution significative de la situation des époux entre-temps.

La loi du 23 juin 2006 a profondément modifié la prise d’effet du divorce sur le régime matrimonial en introduisant une nouvelle règle dans l’article 262-1 du Code civil. Désormais, le divorce prenait effet à la date de l’ordonnance de non-conciliation (ONC), et non plus à la date de la demande en divorce.

Cette réforme a marqué une rupture importante avec le régime antérieur :

  • L’indivision post-communautaire ne prenait naissance qu’à compter de l’ordonnance de non-conciliation, soit un stade avancé de la procédure où le juge statuait sur des mesures provisoires.
  • Dès lors, les conditions d’attribution préférentielle devaient être réunies à la date de l’ONC, et non plus à la date de la demande en divorce.
  • Cette solution se justifiait par le fait que l’ONC marquait le premier contrôle judiciaire de la séparation des époux, rendant plus cohérent le choix de cette date pour fonder les droits des parties sur les biens communs.

Néanmoins, cette réforme n’a pas totalement figé la prise d’effet du divorce sur le régime matrimonial. L’article 262-1 du Code civil instaurait une exception permettant aux époux de solliciter du juge la fixation d’une date distincte, en considération des circonstances propres à leur situation. Cette faculté, largement mobilisée dans les divorces contentieux, offrait une souplesse bienvenue, notamment lorsque l’un des conjoints parvenait à démontrer qu’un décalage de la date de dissolution du régime matrimonial garantirait une répartition plus équitable du patrimoine commun.

La réforme du divorce du 23 mars 2019, entrée en vigueur le 1er janvier 2021, a de nouveau modifié le régime applicable à la prise d’effet du divorce sur les biens des époux. Elle a supprimé l’ordonnance de non-conciliation et a rétabli le principe selon lequel la dissolution du régime matrimonial intervient à la date de la demande en divorce (assignation ou requête conjointe).

L’article 262-1 du Code civil, dans sa version actuelle, prévoit que la dissolution du régime matrimonial prend effet à la date de l’assignation en divorce, sauf disposition contraire adoptée par les époux ou décision du juge.

L’indivision post-communautaire est donc figée à cette date, et les conditions de l’attribution préférentielle doivent être remplies à ce moment-là.

Toutefois, les époux conservent la possibilité de convenir d’une date différente, en vertu de l’article 265-2 du Code civil.

Le juge peut également fixer une autre date si des circonstances exceptionnelles le justifient, notamment en cas de rupture de la vie commune bien avant l’introduction de la procédure.

Cette réforme vise à simplifier et sécuriser la prise d’effet du divorce sur les biens des époux. En supprimant l’ONC et en rétablissant un critère fixe pour l’indivision post-communautaire, elle permet d’éviter les incertitudes qui existaient auparavant et de donner une plus grande prévisibilité aux époux souhaitant organiser le partage de leurs biens.

L’évolution du régime encadrant la prise d’effet du divorce a profondément influencé les conditions d’exercice de l’attribution préférentielle, témoignant d’une oscillation entre rigidité et souplesse au fil des réformes :

  • Avant 2006, les conditions d’attribution préférentielle devaient être réunies dès la date de la demande en divorce. Cette approche, bien que simple dans son application, s’avérait souvent inadaptée aux fluctuations de la situation patrimoniale des époux au cours de la procédure.
  • Entre 2006 et 2019, l’instauration d’un critère fondé sur l’ordonnance de non-conciliation a permis de reporter l’appréciation des conditions d’attribution préférentielle à un stade plus avancé de la procédure. Ce mécanisme offrait ainsi une certaine souplesse, en tenant compte de l’évolution de la situation patrimoniale des époux après l’introduction de la demande en divorce. Toutefois, cette approche s’accompagnait d’un inconvénient majeur : l’incertitude résultant des délais parfois longs séparant la requête initiale de cette ordonnance, rendant la prévisibilité des droits patrimoniaux plus complexe.
  • Depuis 2019, la réforme a marqué un retour à une date unique, celle de la demande en divorce. Cette solution, plus lisible, garantit une meilleure prévisibilité aux parties. Toutefois, elle n’exclut pas toute modulation, les époux conservant la faculté de convenir d’une date différente par convention, ou de solliciter du juge une adaptation en fonction des circonstances particulières du litige.

Dans ce contexte, la question de l’attribution préférentielle doit être envisagée dès l’engagement de la procédure de divorce. L’époux demandeur doit s’assurer qu’il satisfait aux conditions légales dès l’assignation, faute de quoi sa demande risque d’être rejetée, en raison de l’absence de fondement juridique à la date de référence retenue pour l’ouverture de l’indivision post-communautaire.

c. L’indivision post-sociétaire

L’attribution préférentielle, bien ancrée dans le droit des successions et des régimes matrimoniaux, trouve également à jouer dans le cadre du partage des sociétés dissoutes. Toutefois, son application soulève des interrogations en raison de la nature particulière de l’indivision post-sociétaire. Dès lors que l’actif social subsiste après extinction du passif, les associés deviennent indivisaires sur ces biens et peuvent prétendre à leur attribution sous certaines conditions.

i. Reconnaissance

Avant son encadrement législatif, l’attribution préférentielle appliquée aux sociétés en liquidation suscitait de vives incertitudes. En effet, si l’ancien article 1872 du Code civil prévoyait que les règles du partage successoral s’appliquaient aux sociétés en liquidation, il demeurait silencieux quant à la possibilité d’étendre l’attribution préférentielle aux parts sociales ou aux actions. Or, ce mécanisme, conçu à l’origine pour préserver l’unité économique des exploitations agricoles et des entreprises individuelles, se heurtait à la spécificité des sociétés, entités juridiquement distinctes de leurs associés.

Dans cette incertitude, la Cour de cassation a progressivement admis la possibilité de transposer l’attribution préférentielle aux sociétés en liquidation. Un arrêt du 4 novembre 1983 en fournit une illustration: elle y reconnaît qu’un associé peut prétendre à l’attribution préférentielle des droits sociaux dans le cadre du partage d’une société constituée entre concubins. La Haute juridiction considère alors que l’expression « conjoint survivant ou tout héritier », utilisée dans l’ancien article 832 du Code civil, pouvait être interprétée de manière extensive afin d’inclure les associés partageant un intérêt patrimonial commun (Cass. 1ère civ., 4 nov. 1983, n°82-12.450). Cette lecture audacieuse visait à éviter le morcellement des parts sociales et à préserver la continuité de l’exploitation économique, mais elle restait fragile, faute de fondement textuel explicite.

L’intervention du législateur a finalement permis de dissiper ces incertitudes. La loi du 4 janvier 1978 a consacré à l’article 1844-9 du Code civil un principe général de transposition des règles successorales aux partages entre associés, en affirmant que « les règles concernant le partage des successions, y compris l’attribution préférentielle, s’appliquent aux partages entre associés ». Cette reconnaissance législative a mis un terme aux hésitations doctrinales et jurisprudentielles en érigeant l’attribution préférentielle en droit commun du partage de l’indivision post-sociétaire.

Ce dispositif a été consolidé par la loi du 20 juillet 1982, qui a expressément étendu l’attribution préférentielle aux droits sociaux des exploitations agricoles et des entreprises à caractère familial. Cette évolution traduit la volonté du législateur d’assurer la continuité des structures économiques, en permettant à un associé d’hériter des droits sociaux nécessaires à la poursuite de l’activité.

Désormais, un associé peut solliciter l’attribution préférentielle lors du partage de l’actif subsistant d’une société, sous réserve des aménagements éventuellement prévus dans les statuts ou dans un pacte d’associés. Toutefois, si cette faculté constitue une avancée majeure en matière de transmission d’entreprise, elle demeure encadrée par le droit des sociétés, notamment par les clauses d’agrément ou de continuation qui peuvent restreindre sa mise en œuvre.

ii. Domaine d’application

L’attribution préférentielle peut s’exercer dans deux hypothèses bien distinctes : avant la dissolution de la société, lorsqu’il s’agit d’obtenir les droits sociaux d’un associé décédé ou sortant, et après sa dissolution, lorsque le partage de l’actif social subsistant est engagé.

==>L’attribution préférentielle avant la dissolution de la société

Tant que la société est en activité, le mécanisme d’attribution préférentielle peut s’appliquer aux parts ou actions détenues par un associé défunt ou sortant. Depuis la loi du 23 juin 2006, l’article 832 du Code civil utilise le terme « droits sociaux » au lieu de « parts sociales », afin d’inclure toutes les formes de sociétés, qu’elles soient commerciales, artisanales, agricoles ou libérales.

Ce mécanisme permet d’éviter l’entrée d’un tiers dans la société ou la vente de participations à des personnes extérieures. Il constitue une modalité privilégiée de maintien de l’unité économique de l’entreprise en assurant sa transmission entre associés légitimes.

==>L’attribution préférentielle après la dissolution de la société

Une fois la société dissoute, l’attribution préférentielle peut porter sur les biens en nature figurant dans l’actif subsistant. En application de l’article 1844-9 du Code civil, cette possibilité est néanmoins subordonnée à trois conditions:

  • L’extinction du passif social : le partage ne peut intervenir qu’après désintéressement des créanciers sociaux.
  • Le maintien en nature du bien convoité : l’attribution préférentielle ne peut jouer que sur des biens qui se retrouvent dans la masse à partager.
  • L’absence de clause contraire : les statuts ou une décision des associés peuvent aménager la répartition de l’actif et restreindre l’application du droit commun.

À noter que l’article 1844-9 du Code civil prévoit un ordre de priorité : l’associé qui retrouve son apport en nature bénéficie d’un droit d’attribution avant toute autre demande d’attribution préférentielle. Cette faculté, qui s’exerce moyennant le paiement d’une éventuelle soulte, prime sur les autres demandes émanant des coassociés.

iii. Conditions

Si la loi reconnaît désormais le principe de l’attribution préférentielle post-sociétaire, la jurisprudence demeure prudente quant aux conditions exigées du demandeur. 

Deux courants s’opposent:

  • Une interprétation restrictive voudrait que seules les personnes remplissant les conditions posées par l’article 831 du Code civil puissent se prévaloir de ce droit, c’est-à-dire les héritiers ou le conjoint survivant d’un associé défunt. Cette lecture limiterait considérablement la portée de l’article 1844-9 et exclurait toute application en dehors des hypothèses successorales.
  • Une interprétation extensive, plus conforme à l’esprit du texte, considère que l’attribution préférentielle est un simple mécanisme de partage et non un droit exclusivement successoral. Elle repose sur la seule qualité de copropriétaire de l’actif social, et non sur la vocation successorale du demandeur. En ce sens, un associé souhaitant obtenir l’attribution préférentielle d’un bien figurant dans l’actif social indivis pourrait le solliciter, qu’il soit héritier ou non.

La jurisprudence récente semble s’orienter vers cette seconde approche. Dans un arrêt du 30 mai 2006, la Cour de cassation a appliqué l’article 1844-9 à une indivision issue de la liquidation d’une société entre concubins, admettant ainsi que la seule qualité d’associé permettait de revendiquer l’attribution préférentielle d’un bien appartenant à l’actif social indivis (Cass. 1ère civ., 30 mai 2006, n°04-14.749).

Cette évolution s’inscrit dans une logique pragmatique : dès lors qu’un bien demeure en indivision après la dissolution d’une société, il doit pouvoir être attribué à l’un des indivisaires qui justifie d’un intérêt légitime à le conserver. L’article 1844-9 du Code civil prend ainsi toute sa mesure en garantissant la pérennité des entreprises dissoutes et en favorisant la transmission des biens professionnels ou agricoles.

d. L’indivision conventionnelle

L’indivision conventionnelle occupe une place singulière dans le régime de l’attribution préférentielle. À la différence des indivisions successorales ou post-communautaires, qui résultent d’un fait juridique échappant à la volonté des parties, elle procède d’un accord entre les indivisaires, rendant ainsi plus incertaine l’application de ce mécanisme dérogatoire au principe du partage égalitaire.

Traditionnellement, la jurisprudence a adopté une lecture restrictive, refusant de reconnaître l’attribution préférentielle dans les indivisions résultant d’un acte de volonté des parties. Cette position trouve son fondement dans l’idée que les indivisaires, en choisissant de se placer sous un régime d’indivision conventionnelle, disposent d’une pleine liberté pour organiser la sortie d’indivision. Il leur appartient, dès la conclusion de l’acte, de prévoir les conditions de répartition des biens en cas de partage. Ainsi, lorsqu’un bien est acquis conjointement par des indivisaires qui n’ont pas de lien successoral ou matrimonial, la faculté d’attribution préférentielle ne saurait être imposée à l’un d’eux au détriment des autres (Cass. 1ère civ., 13 janv. 1969).

Cette rigueur jurisprudentielle se justifiait par la nécessité de préserver le principe d’égalité entre les coïndivisaires et d’éviter qu’un indivisaire ne puisse s’imposer unilatéralement aux autres. L’argument tiré de l’origine volontaire de l’indivision justifiait alors l’exclusion de l’attribution préférentielle, qu’il s’agisse d’un achat en indivision, d’une donation conjointe ou encore d’un partage amiable laissant subsister une indivision.

Toutefois, cette position a progressivement évolué, notamment lorsqu’il s’agit d’indivisions présentant une dimension familiale. La Cour de cassation a amorcé une inflexion en admettant que certaines indivisions conventionnelles puissent relever du champ de l’attribution préférentielle dès lors qu’elles conservent un lien étroit avec une indivision successorale ou matrimoniale.

Dans un arrêt du 7 juin 1988, elle a ainsi reconnu qu’un bien acquis indivisément par des concubins avant leur mariage pouvait faire l’objet d’une attribution préférentielle au profit de l’un des ex-époux lors du divorce, à la condition que ce bien ait constitué le domicile conjugal et que le mariage ait été conclu sous le régime de la communauté légale (Cass. 1ère civ., 7 juin 1988, n°86-15.090). 

En l’espèce, les anciens époux avaient acquis en indivision un appartement avant leur union, chacun pour moitié. Après leur mariage sous le régime de la communauté légale, ce bien avait été affecté à leur domicile conjugal. Lors de la liquidation de la communauté, à la suite du divorce, l’ex-épouse, qui y résidait toujours, sollicitait l’attribution préférentielle du bien indivis. La cour d’appel rejeta cette demande, au motif que l’acquisition était intervenue avant le mariage et que les parties ne s’étaient pas mariées sous le régime de la séparation de biens.

Censurant cette décision, la Cour de cassation rappela que l’attribution préférentielle pouvait être demandée dans le cadre du partage des indivisions de nature familiale, y compris lorsque l’indivision avait une origine conventionnelle antérieure au mariage. Elle consacra ainsi une approche fonctionnelle, tenant compte de la vocation familiale du bien au moment du partage et non de sa seule origine juridique.

Cette décision marque une évolution jurisprudentielle en faveur d’une conception élargie de l’attribution préférentielle, qui ne se limite plus aux seules indivisions successorales ou post-communautaires, mais peut également s’étendre à certaines indivisions conventionnelles, dès lors que leur finalité s’apparente à celle des autres catégories d’indivision bénéficiant de ce mécanisme.

Un autre arrêt, rendu par le Première chambre civile le 21 septembre 2016, est venu confirmer cette évolution (Cass. 1ère civ., 21 sept. 2016, n°15-24.683). En l’espèce, à la suite du décès de leurs parents, plusieurs héritiers avaient procédé à un partage amiable de la succession, dans le cadre duquel certains biens immobiliers avaient été attribués en indivision à deux d’entre eux. Quelques années plus tard, l’un des coïndivisaires sollicita le partage de ces parcelles agricoles et demanda, à cette occasion, leur attribution préférentielle. Son coïndivisaire s’y opposa, soutenant que l’indivision ne relevait pas des règles successorales stricto sensu, mais d’un accord contractuel issu de leur partage amiable.

La Cour de cassation rejeta cet argument et confirma la décision des juges du fond ayant fait droit à la demande d’attribution préférentielle. Elle affirma que l’attribution préférentielle pouvait être demandée dans le partage des indivisions de nature familiale, même lorsqu’elles trouvaient leur origine dans un pacte conventionnel. Ce faisant, elle consacra une analyse pragmatique de la notion d’indivision successorale, en retenant que la qualification d’indivision familiale ne dépendait pas uniquement de son mode de constitution, mais aussi de sa finalité et de son rattachement à une transmission patrimoniale entre héritiers.

Cet arrêt s’inscrit dans le prolongement d’une tendance jurisprudentielle visant à ne plus exclure systématiquement du champ de l’attribution préférentielle les indivisions conventionnelles, dès lors qu’elles conservent une vocation successorale. Il illustre ainsi la volonté des juges d’adapter le droit du partage aux réalités patrimoniales contemporaines, en prenant en compte la continuité des liens familiaux dans la gestion des biens indivis.

Malgré ces évolutions, la jurisprudence continue d’opérer une distinction nette entre les indivisions présentant une dimension familiale et les indivisions purement contractuelles.

D’un côté, les indivisions successorales et celles qui trouvent leur origine dans un cadre familial bénéficient d’un assouplissement progressif, qui traduit une volonté de préserver la stabilité patrimoniale et la continuité des biens au sein du cercle familial. Cet élargissement jurisprudentiel permet d’éviter une licitation systématique des biens et favorise le maintien de certaines unités économiques ou familiales essentielles.

D’un autre côté, les indivisions strictement contractuelles demeurent exclues du champ de l’attribution préférentielle, la jurisprudence considérant que l’autonomie des parties doit être préservée. Ainsi, un bien acquis en indivision par deux associés commerciaux ou par des concubins sans lien successoral ou matrimonial demeure soumis au principe de partage égalitaire, sans possibilité pour l’un des indivisaires d’imposer une attribution préférentielle à l’autre.

L’orientation actuelle du droit semble donc marquée par un équilibre entre, d’une part, la reconnaissance d’une protection accrue pour les indivisions à vocation familiale et, d’autre part, la préservation de l’autonomie contractuelle dans les indivisions purement volontaires.

Si la tendance jurisprudentielle actuelle tend à élargir le champ d’application de l’attribution préférentielle, elle demeure soumise à des limites strictes. Toute évolution future supposerait une intervention législative pour clarifier les conditions d’application de ce mécanisme aux indivisions conventionnelles.

En l’état, la Cour de cassation a exclu toute application automatique de l’attribution préférentielle aux indivisions nées d’une convention, sauf si elles présentent un lien avéré avec une indivision successorale ou matrimoniale. Cette position permet d’éviter que l’attribution préférentielle ne devienne un instrument d’ingérence unilatérale dans des relations purement contractuelles, tout en assurant une protection adaptée aux situations où le maintien en indivision répond à des impératifs familiaux ou patrimoniaux.

Il n’est pas exclu que, dans les années à venir, une nouvelle inflexion soit opérée, notamment pour les indivisions conventionnelles conclues entre membres d’une même famille. Une reconnaissance plus large de l’attribution préférentielle pourrait alors s’inscrire dans une logique d’adaptation du droit des biens aux mutations contemporaines des structures familiales et patrimoniales. Toutefois, toute évolution en ce sens devra veiller à préserver l’équilibre entre protection des indivisaires et respect du principe de liberté contractuelle.

B) Limites

Bien que la jurisprudence ait progressivement assoupli les conditions d’octroi de l’attribution préférentielle, son application demeure encadrée par certaines restrictions. 

Deux obstacles majeurs subsistent en la matière : d’une part, la complexité résultant des indivisions mixtes, où la superposition de plusieurs masses patrimoniales rend l’attribution préférentielle plus incertaine ; d’autre part, le statut des partenaires pacsés et des concubins, ces derniers étant exclus du dispositif en l’absence d’un cadre légal spécifique.

1. Les indivisions mixtes

Lorsqu’un bien relève simultanément de plusieurs indivisions distinctes – par exemple, à la fois d’une indivision successorale et d’une indivision post-communautaire – la situation se complexifie. En principe, le demandeur à l’attribution préférentielle doit détenir des droits indivis dans l’ensemble des masses concernées. À défaut, sa demande peut être rejetée.

Dans un arrêt rendu le 15 janvier 2014, la Cour de cassation a rappelé que l’attribution préférentielle d’un bien indivis suppose que le demandeur détienne des droits indivis sur l’intégralité des masses concernées (Cass. 1ère civ., 15 janv. 2014, n° 12-25.322). En l’espèce, un immeuble dépendait à la fois d’une indivision successorale et d’une indivision comprenant un tiers, en l’occurrence une société. L’un des indivisaires, occupant le bien et souhaitant en obtenir l’attribution préférentielle, ne justifiait cependant de droits indivis que dans l’indivision successorale et non dans l’indivision incluant la société.

La Haute juridiction a rejeté sa demande en affirmant que l’attribution préférentielle ne peut être accordée lorsque le bien appartient indivisément aux héritiers et à un tiers. Cette décision repose sur une exigence fondamentale : le partage ne saurait affecter les droits d’un indivisaire extérieur à la masse successorale. Autrement dit, il est impossible d’imposer à un coïndivisaire une cession de ses droits lorsque le demandeur n’est pas engagé dans la même indivision.

Ce principe illustre la volonté du juge de préserver la cohérence des partages en évitant toute interférence entre différentes masses patrimoniales. Ainsi, l’attribution préférentielle, qui constitue une modalité dérogatoire du partage, ne peut jouer qu’au sein d’une indivision homogène, à l’exclusion des situations où la coexistence de plusieurs indivisions rendrait son application incohérente.

2. Le traitement différencié des partenaires et des concubins

Une autre limite à l’attribution préférentielle tient au statut du demandeur, notamment lorsqu’il s’agit d’un partenaire pacsé ou d’un concubin.

La loi du 15 novembre 1999, instaurant le pacte civil de solidarité, a initialement laissé les partenaires en dehors du dispositif de l’attribution préférentielle. Ce n’est qu’avec la loi du 23 juin 2006 que l’article 515-6 du Code civil leur a conféré un droit d’attribution préférentielle, calqué sur celui reconnu aux époux et aux héritiers. Désormais, un partenaire survivant peut, dans le cadre d’un partage successoral, demander l’attribution préférentielle du logement qu’il occupait avec le défunt. Toutefois, ce droit reste subordonné aux mêmes conditions que celles imposées aux héritiers et ne s’applique qu’en présence d’une indivision successorale.

À l’inverse, les concubins demeurent exclus de ce dispositif. En l’état du droit positif, un concubin survivant ne peut pas solliciter l’attribution préférentielle d’un bien indivis, même s’il constituait son domicile principal. Cette exclusion repose sur l’absence de cadre juridique spécifique au concubinage, qui reste une union de fait, laquelle n’emporte aucun effet juridique spécifique.

Toutefois, une exception existe : lorsqu’il est démontré que les concubins ont constitué une société créée de fait, l’attribution préférentielle peut, dans certains cas, être envisagée. La Cour de cassation a notamment admis, dans un arrêt du 26 septembre 2012, que la reconnaissance d’une société créée de fait entre concubins pouvait permettre à l’un d’eux de revendiquer certains droits patrimoniaux sur un bien indivis (Cass. 1ère civ., 26 sept. 2012, n°11-12.838). Cette solution reste toutefois exceptionnelle et suppose d’apporter la preuve de l’existence d’une véritable volonté de partager les pertes et les bénéfices et d’un affectio societatis.

L’exclusion des concubins du bénéfice de l’attribution préférentielle pourrait néanmoins faire l’objet d’évolutions futures, à mesure que le concubinage tend à se rapprocher juridiquement du PACS. L’harmonisation des régimes patrimoniaux de ces différentes unions, déjà amorcée en matière de droits successoraux, pourrait conduire à une extension progressive du champ d’application de l’attribution préférentielle aux concubins, notamment lorsqu’un bien indivis constituait leur résidence principale.

L’attribution préférentielle: vue générale

L’attribution préférentielle, aujourd’hui régie par les articles 831 à 834 du Code civil, constitue une exception au principe d’égalité dans le partage en permettant à un copartageant d’obtenir la propriété exclusive de certains biens indivis, moyennant le versement d’une soulte aux copartageants.

Longtemps ignorée du droit français, cette institution a émergé en réaction aux effets négatifs du morcellement successoral, notamment dans le secteur agricole. D’abord consacrée par le décret-loi du 17 juin 1938, elle a progressivement vu son champ d’application s’élargir à d’autres types de biens et à de nouveaux bénéficiaires, sous l’influence conjointe du législateur et de la jurisprudence. L’histoire de cette institution est ainsi celle d’un mouvement continu d’adaptation du droit des successions aux réalités économiques et sociales, en conciliant le respect des droits des cohéritiers avec la nécessité de préserver l’intégrité de certains patrimoines.

==>Code civil de 1804

Dès le XIXe siècle, la doctrine et les praticiens du droit, à commencer par les notaires, s’inquiétèrent des effets négatifs causés par l’application rigide du principe d’égalité en nature dans le partage successoral. Contrairement à d’autres traditions juridiques qui, à l’image du droit suisse ou du droit allemand, avaient organisé la transmission intégrale des exploitations familiales afin de préserver leur viabilité économique, le Code civil français, dans sa volonté d’assurer une stricte égalité entre héritiers, favorisait un éclatement progressif des patrimoines. Ce morcellement excessif, souvent aggravé par des tirages au sort hasardeux, conduisait à une instabilité foncière nuisible tant aux familles qu’à l’économie agricole, soumettant des générations entières d’héritiers à une division irrationnelle des biens reçus en succession.

Loin de rester une simple querelle doctrinale, cette question prit une acuité particulière dans le monde rural, où l’indivision successorale devenait une impasse, faute de règles permettant le maintien d’une exploitation cohérente. Le phénomène, amplifié par les successions nombreuses et la fragmentation des terres, fit apparaître une situation paradoxale : des exploitants se retrouvaient contraints de racheter à prix d’or les parcelles qui leur revenaient déjà en héritage, tandis que d’autres, faute d’accord entre cohéritiers, étaient contraints de vendre leurs biens à des tiers, dilapidant ainsi des héritages patiemment constitués.

Malgré ces constats alarmants, le législateur français demeura longtemps figé dans une orthodoxie égalitariste, se refusant à toucher aux principes fondamentaux du partage successoral édictés par le Code civil de 1804. Les premières réformes engagées en la matière se révélèrent ainsi timorées, limitées à des ajustements techniques sans véritable ambition structurelle.

Il fallut attendre la fin du XIXe siècle pour voir apparaître les premiers correctifs législatifs destinés à aménager l’égalité successorale. Deux lois, adoptées respectivement le 12 avril 1894 et le 30 novembre 1894, introduisirent des mécanismes visant à garantir une certaine continuité dans la transmission de certains biens patrimoniaux.

  • La loi du 12 avril 1894, inspirée par une volonté de protéger les patrimoines familiaux, instaurait un mécanisme d’attribution préférentielle en faveur des héritiers désireux de conserver un bien à forte valeur sentimentale ou économique.
  • La loi du 30 novembre 1894, quant à elle, visait plus spécifiquement les habitations à bon marché, en permettant à un héritier de revendiquer la propriété exclusive d’un logement familial sous réserve d’une compensation équitable au profit des autres cohéritiers.

Toutefois, ces dispositifs demeuraient extrêmement limités, tant dans leur champ d’application que dans leur portée concrète. Destinées à répondre à des situations particulières, ces réformes ne s’attaquaient pas à la cause première du morcellement : l’absence d’un véritable droit d’attribution préférentielle applicable aux exploitations agricoles ou aux entreprises.

==>Le décret-loi du 17 juin 1938 : la première grande réforme

Il fallut attendre le décret-loi du 17 juin 1938 pour que l’attribution préférentielle s’érige en véritable institution, marquant ainsi une rupture avec la rigueur égalitaire du partage successoral. Face au morcellement croissant des exploitations agricoles et à l’affaiblissement du tissu économique rural, le législateur, jusque-là réticent à altérer les principes fondateurs du Code civil, prit la mesure d’une nécessité impérieuse : préserver l’unité des patrimoines productifs en permettant leur transmission intégrale à l’héritier en mesure de les exploiter.

L’esprit de cette réforme s’articulait autour d’une double ambition :

  • Un impératif économique et social : l’éclatement des exploitations compromettait leur rentabilité, menaçant de précipiter la ruine de familles entières. En instaurant un mécanisme permettant d’éviter la dispersion des terres agricoles, le législateur entendait garantir la pérennité des structures rurales et préserver la transmission des biens patrimoniaux dans le cadre familial.
  • Une adaptation du droit des successions aux réalités du monde agricole : en modifiant l’article 832 du Code civil, la réforme autorisa, pour la première fois, un héritier exploitant à revendiquer l’intégralité de l’exploitation, à charge d’indemniser ses cohéritiers par le versement d’une soulte. Ce mécanisme, en rupture avec le principe d’égalité en nature, traduisait la volonté de privilégier l’efficacité économique sans léser les droits successoraux des autres ayants droit.

Toutefois, loin d’être accueillie avec unanimité, cette innovation suscita un contentieux nourri, témoignant des résistances que pouvait rencontrer une entorse au sacro-saint principe d’égalité successorale.

La jurisprudence, dans un premier temps, s’attacha à en rappeler la finalité doublement économique et familiale, considérant que l’attribution préférentielle devait permettre à son bénéficiaire d’assurer la continuité de l’exploitation sans subir les aléas d’un partage fragmentaire (Cass. 1re civ., 30 avril 1965, n°62-13716).

Mais, soucieuse de ne pas faire de cette exception un principe général, elle en souligna le caractère dérogatoire, appelant à une interprétation restrictive de ses conditions d’application. Ainsi, la Cour d’appel d’Angers estima dans un arrêt du 10 mai 1965, que l’attribution préférentielle ne pouvait s’affranchir des règles ordinaires du partage et ne devait être accordée que dans des circonstances strictement définies (CA Angers, 10 mai 1965). Cette approche prudente fut consacrée par la Cour de cassation, qui rappela à plusieurs reprises que cette faculté ne pouvait être étendue au-delà des limites imposées par le législateur (V. par ex. Cass. 1re civ., 5 juin 1962).

Toutefois, malgré ces réticences initiales, la réforme de 1938 marqua un tournant décisif. Elle jeta les fondements d’un nouveau modèle successoral, où la préservation de certains biens d’importance économique l’emporta, dans certaines hypothèses, sur le partage en nature. Cette première brèche ouverte dans le dogme de l’égalité successorale allait progressivement s’élargir sous l’effet de nouvelles réformes, qui, au fil des décennies, élargirent le champ de l’attribution préférentielle et en assouplirent les conditions.

==>L’extension progressive du domaine de l’attribution préférentielle

Le succès immédiat du mécanisme instauré en 1938 ouvrit la voie à une série d’adaptations législatives visant à assouplir ses conditions d’application et à élargir le champ des biens éligibles. Dès les années 1940, plusieurs textes vinrent préciser et renforcer ce dispositif naissant, témoignant de la volonté du législateur d’en faire un instrument de stabilité patrimoniale. Ainsi, les lois des 20 juillet 1940, 9 novembre 1940 et 15 janvier 1943 introduisirent des aménagements notables, facilitant l’octroi de l’attribution préférentielle et en assurant une meilleure adéquation entre le droit successoral et la réalité des structures économiques.

Toutefois, la réforme la plus marquante intervint avec la loi du 19 décembre 1961, qui constitua une véritable rupture avec le dispositif antérieur. Cette réforme d’envergure modifia en profondeur les règles applicables en opérant trois avancées majeures :

  • La suppression des limites de superficie et de valeur imposées aux exploitations agricoles : alors que le dispositif de 1938 ne concernait que les petites et moyennes exploitations, la réforme de 1961 permit d’étendre le bénéfice de l’attribution préférentielle aux exploitations de toute taille, consacrant ainsi la primauté du critère fonctionnel sur le critère dimensionnel.
  • L’élargissement du champ des biens éligibles : initialement réservé aux exploitations agricoles, le mécanisme fut progressivement ouvert aux entreprises commerciales, industrielles et artisanales, ainsi qu’aux locaux d’habitation et à usage professionnel. Cette extension traduisait une volonté manifeste d’adapter le droit successoral aux réalités économiques contemporaines et de garantir la transmission des outils de travail au sein des familles, en évitant leur dispersion entre plusieurs cohéritiers.
  • La distinction entre attribution préférentielle de droit et attribution préférentielle judiciaire :
    • L’attribution de droit fut instituée pour les petites exploitations agricoles, dès lors que le demandeur remplissait les conditions légales, le juge étant tenu de l’accorder.
    • L’attribution judiciaire, en revanche, fut soumise à l’appréciation des tribunaux, qui devaient statuer au regard des intérêts en présence et des capacités de l’attributaire à assurer la viabilité du bien concerné.

Par ces avancées, le législateur poursuivait une ambition double : assurer la transmission des unités économiques vitales et préserver l’équilibre du patrimoine indivis. Il ne s’agissait plus seulement de conjurer les effets délétères du morcellement des exploitations agricoles, mais bien d’ancrer l’attribution préférentielle dans une logique de structuration patrimoniale, en conjuguant pérennisation des actifs et équité entre les copartageants. Désormais, l’institution dépassait le strict cadre successoral pour s’imposer comme un véritable instrument de régulation des indivisions, qu’elles trouvent leur source dans une dévolution successorale, la liquidation d’une communauté conjugale ou encore la dissolution d’une société de personnes.

Ainsi, cette réforme marqua une mutation profonde du droit du partage : ce qui n’était jusque-là qu’une entorse ponctuelle au principe d’égalité en nature se mua en véritable mécanisme d’organisation des masses partageables, permettant d’affecter à certains copartageants des biens d’une importance stratégique, tout en maintenant un équilibre indemnitaire entre les indivisaires. Loin de se limiter aux enjeux agricoles, l’attribution préférentielle s’imposa alors comme une clé de voûte des partages contemporains, garantissant la préservation des ensembles patrimoniaux cohérents face aux exigences de la division.

Au fil des décennies, le législateur continua d’élargir le champ d’application de l’attribution préférentielle, en assouplissant les conditions tenant aux bénéficiaires. Initialement pensée pour préserver l’unité des exploitations agricoles, cette institution fut progressivement adaptée aux nouvelles réalités patrimoniales et aux diverses formes d’indivision, dépassant ainsi le strict cadre successoral pour s’imposer comme un véritable mécanisme de régulation des masses partageables.

La loi du 23 décembre 1970 marqua une première rupture en ouvrant l’attribution préférentielle aux héritiers en nue-propriété ainsi qu’aux légataires universels. Cette extension traduisait une évolution significative du droit successoral, prenant acte du fait que l’organisation patrimoniale ne reposait plus exclusivement sur les seuls héritiers en pleine propriété.

Désormais, un indivisaire nu-propriétaire pouvait solliciter l’attribution préférentielle, bien qu’il ne dispose pas encore de la plénitude des droits sur le bien concerné. Par ailleurs, un légataire universel, bien que désigné par disposition testamentaire et non en vertu d’une vocation légale, se voyait reconnaître un droit similaire. Cette réforme traduisait une volonté claire : faire primer l’intérêt patrimonial sur la rigueur des règles successorales, en permettant aux détenteurs de droits indivis d’assurer la transmission ou la conservation d’un bien sans être écartés par des considérations purement formelles.

Avec la loi du 3 janvier 1972, adoptée dans le cadre de la réforme de la filiation, l’attribution préférentielle fut encore élargie. Cette fois, il ne s’agissait plus d’une question de qualité successorale, mais bien d’une protection des intérêts familiaux dans le cadre des partages.

D’une part, le conjoint survivant se vit reconnaître un droit d’attribution préférentielle sur les résidences secondaires du couple, lui permettant ainsi de conserver un cadre de vie familier après le décès de son époux. Cette avancée marquait une rupture avec une conception purement successorale du mécanisme : l’attribution préférentielle n’était plus seulement un instrument de consolidation des exploitations économiques, mais devenait également un outil de préservation des conditions de vie du survivant.

D’autre part, les enfants légitimes purent également bénéficier de ce droit face aux autres copartageants de la masse partageable, garantissant ainsi une certaine stabilité dans la transmission des biens familiaux. Ce dispositif traduisait une prise en compte des intérêts affectifs et patrimoniaux, où l’équité successorale se combinait avec des considérations de préservation du cadre de vie.

En 1975, le législateur franchit un nouveau cap en transposant l’attribution préférentielle aux indivisions conjugales. Avec la loi du 11 juillet 1975, réformant le divorce, il fut expressément prévu que le mécanisme s’appliquerait désormais au partage des biens indivis entre époux séparés de biens.

Jusqu’alors, l’attribution préférentielle était principalement attachée aux partages successoraux. Désormais, elle s’étendait aux indivisions conjugales nées de la séparation des époux, permettant à l’un d’eux de revendiquer l’attribution exclusive d’un bien indivis, notamment lorsqu’il s’agissait du logement conjugal ou d’un bien à usage professionnel.

Cette évolution marquait une prise en compte des nouvelles réalités patrimoniales et des enjeux propres à la dissolution des communautés conjugales. Elle consacrait le principe selon lequel l’attribution préférentielle n’était plus un mécanisme exclusivement successoral, mais un véritable instrument d’organisation des partages, quelle qu’en soit l’origine.

Enfin, à l’aube du XXIe siècle, le législateur poursuivit cette dynamique d’adaptation en ouvrant l’attribution préférentielle aux partenaires liés par un PACS. La loi du 15 novembre 1999, qui institua le pacte civil de solidarité, permit aux partenaires pacsés de revendiquer l’attribution préférentielle en cas de dissolution du pacte.

Toutefois, le législateur posa une limite en excluant du champ d’application du dispositif les exploitations agricoles, signe d’une certaine prudence à l’égard d’un mécanisme historiquement conçu pour la transmission des structures économiques. Cette restriction traduisait la volonté de préserver le caractère successoral de l’attribution préférentielle dans certains secteurs stratégiques, tout en reconnaissant que les indivisions issues d’un PACS devaient pouvoir être réglées selon des mécanismes similaires à ceux applicables aux conjoints mariés.

==>La refonte du régime de l’attribution préférentielle par la loi du 23 juin 2006

L’évolution de l’attribution préférentielle ne s’est pas arrêtée à son extension aux différentes formes d’indivision. À partir du début du XXI siècle, le législateur s’attacha à refondre en profondeur le régime de l’attribution préférentielle, non seulement pour en assurer une meilleure cohérence, mais également pour l’adapter aux mutations économiques et sociétales.

La loi du 23 juin 2006, qui entreprit une réforme d’ampleur du droit des successions et des libéralités, marqua une nouvelle étape dans l’évolution de l’attribution préférentielle. Elle poursuivait un double objectif : clarifier et unifier les règles applicables, tout en étendant son champ d’application pour mieux répondre aux réalités patrimoniales contemporaines.

Trois avancées majeures méritent d’être mises en exergue :

  • Une réorganisation structurelle du dispositif : la réforme opéra une clarification méthodique en instituant dans le Code civil un paragraphe autonome consacré aux attributions préférentielles, désormais rassemblées aux articles 831 à 834. Par cette refonte, le législateur entendit ordonner la matière en rationalisant son architecture, offrant ainsi aux praticiens et aux justiciables une meilleure lisibilité et une cohérence renouvelée du régime applicable.
  • Une extension aux entreprises libérales et une harmonisation des terminologies : jusque-là, le texte se limitait à la notion d’exploitation agricole, révélant ainsi son ancrage dans une tradition juridique essentiellement tournée vers la préservation du patrimoine rural. La réforme de 2006 marqua un élargissement conceptuel, en substituant à cette appellation celle d’entreprise agricole, tout en intégrant expressément les entreprises libérales dans le domaine des attributions préférentielles. Cette évolution traduisait une volonté d’adapter l’institution aux réalités économiques contemporaines, où les activités libérales, commerciales et artisanales constituent des vecteurs essentiels du dynamisme économique.
  • L’abandon du critère de lien familial pour certaines entreprises : la réforme mit un terme à une restriction, en supprimant l’exigence d’un rattachement familial pour bénéficier de l’attribution préférentielle de certaines entreprises. Jusqu’alors, ce mécanisme était réservé aux héritiers en ligne directe ou aux proches parents du défunt. Désormais, l’attribution préférentielle peut être sollicitée par tout indivisaire remplissant les conditions d’exploitation ou de gestion de l’entreprise, indépendamment de tout lien de parenté. Ce changement traduit un renversement de perspective : alors que l’institution obéissait historiquement à une logique patrimoniale et successorale, elle repose désormais sur une approche éminemment économique, privilégiant la pérennité des structures d’exploitation à la simple transmission familiale.

Par cette réforme, l’attribution préférentielle acheva sa mue, s’émancipant de sa finalité originelle de remède au morcellement des exploitations agricoles, pour s’affirmer comme un mécanisme structurant du droit des partages. Elle s’inscrit ainsi désormais dans une dynamique plus large de conservation et de rationalisation des masses partageables, visant à préserver les actifs stratégiques qu’ils soient successoraux, professionnels ou simplement détenus en indivision, tout en conciliant stabilité économique et équité entre les copartageants.

==>Consolidation de la réforme de 2006

Dans les années qui suivirent la réforme de 2006, le législateur poursuivit son œuvre d’affinement du dispositif d’attribution préférentielle, soucieux de l’adapter aux exigences contemporaines et d’en parfaire le fonctionnement. 

La loi du 16 février 2015 introduisit une nouvelle catégorie de biens éligibles à l’attribution préférentielle : le véhicule du défunt, lorsqu’il est nécessaire aux besoins de la vie courante ou à l’exercice d’une activité professionnelle.

Jusqu’alors, l’attribution préférentielle s’attachait principalement aux immeubles et aux entreprises, considérés comme les piliers de la transmission patrimoniale. L’adjonction des véhicules au mécanisme traduit ainsi un infléchissement notable de la conception traditionnelle de l’institution, qui, sans renier sa vocation première de stabilisation du patrimoine indivis, s’adapte aux réalités modernes du quotidien.

Dans un monde où la mobilité est un instrument de l’autonomie, où l’accès à un véhicule conditionne l’exercice d’une activité professionnelle, la conservation d’un emploi, ou plus simplement l’organisation du quotidien, la transmission patrimoniale ne pouvait demeurer figée dans une approche exclusivement immobilière. Le législateur a donc pris acte de cette évolution en permettant qu’un véhicule puisse être attribué à titre préférentiel, dès lors qu’il répond à une nécessité impérieuse pour le demandeur.

Dès lors, cette nouvelle forme d’attribution préférentielle profite à deux catégories de bénéficiaires :

  • L’indivisaire dont l’activité professionnelle repose sur l’usage du véhicule : un médecin libéral devant assurer ses visites à domicile, un artisan se déplaçant pour ses chantiers, un agriculteur utilisant un engin spécifique pour l’exploitation de son domaine, ou encore un commerçant itinérant pouvaient désormais se voir reconnaître un droit de priorité sur le véhicule du défunt, à l’instar de ce qui était déjà prévu pour les locaux professionnels. Cette disposition vise à assurer la continuité économique et éviter une rupture brutale dans l’exercice de l’activité, laquelle aurait pu résulter d’une mise en partage du bien.
  • Le conjoint survivant ou tout autre copartageant ayant éminemment besoin du véhicule : l’attribution préférentielle pouvait également être sollicitée par une personne démontrant que le véhicule constituait un élément indispensable de son mode de vie, que ce soit pour assurer ses déplacements quotidiens, répondre à des obligations familiales, ou encore maintenir son indépendance face à un éloignement géographique des services essentiels.

Loin d’être anecdotique, cette réforme consacre une vision renouvelée de l’attribution préférentielle, ancrée dans une approche fonctionnelle du patrimoine, où la transmission ne se conçoit plus uniquement en termes de préservation des biens, mais bien dans une dynamique de continuité de l’usage et des besoins concrets des indivisaires. L’attribution préférentielle, en intégrant le véhicule, s’adapte ainsi aux mutations d’un monde dans lequel la mobilité constitue une ressource aussi précieuse qu’un toit ou qu’un outil de travail.

Un autre ajustement du dispositif intervint avec la loi du 24 mars 2014, qui mit un terme à une disparité persistante entre les époux et les partenaires pacsés en matière d’attribution préférentielle.

Depuis la reconnaissance du pacte civil de solidarité (PACS) en 1999, le droit patrimonial des couples s’était progressivement enrichi d’une protection accrue des partenaires survivants, sans toutefois atteindre le niveau de garanties conféré aux époux. S’ils pouvaient déjà bénéficier d’une certaine sécurité successorale, les partenaires pacsés ne jouissaient pas des mêmes droits que les conjoints mariés en matière d’attribution préférentielle, notamment lorsqu’il s’agissait du logement du couple ou d’un local professionnel.

Cette asymétrie fut levée en 2014, consacrant ainsi une harmonisation du droit patrimonial des couples, indépendamment de leur statut. Désormais, les partenaires pacsés accédaient aux mêmes droits que les époux en matière d’attribution préférentielle, selon des règles identiques. Cette avancée marqua une reconnaissance du PACS comme un mode d’union à part entière, venant concurrencer le mariage quant à l’organisation du patrimoine dans la cellule familiale.

Aussi, désormais, les partenaires pacsés sont admis à revendiquer :

  • L’attribution préférentielle du logement d’habitation et de son mobilier : cette évolution permit au partenaire survivant de demeurer dans le logement du couple, de la même manière qu’un conjoint marié, garantissant ainsi une protection renforcée de son cadre de vie. En étendant ce droit aux pacsés, le législateur entendait éviter toute insécurité successorale pour le survivant, en lui offrant une possibilité de conservation du bien au-delà du simple droit temporaire d’usage qui lui était jusqu’alors reconnu.
  • L’attribution préférentielle des biens professionnels indivis : un partenaire pacsé exploitant une activité dans un local dont le défunt était copropriétaire pouvait désormais en solliciter l’attribution dans les mêmes conditions qu’un époux survivant. Cette évolution était particulièrement importante pour les couples exerçant une activité libérale, artisanale ou commerciale, où l’enjeu de la transmission des outils de travail est souvent crucial pour la survie de l’exploitation.

Cette réforme traduisait une volonté de rationalisation et d’uniformisation du droit patrimonial des couples, en adéquation avec l’évolution des structures familiales. Elle consacrait ainsi une progression de l’attribution préférentielle vers un statut universel, applicable à toutes les formes d’indivision conjugale ou patrimoniale, sans distinction entre mariage et PACS.

Ces ajustements successifs révèlent la plasticité croissante de l’attribution préférentielle, qui, bien loin d’être une simple mesure technique de répartition successorale, s’est progressivement muée en un véritable instrument de protection patrimoniale, garantissant la pérennité des situations de vie et de travail des indivisaires.

D’abord pensée comme une exception au principe d’égalité dans les partages, elle tend désormais à se généraliser, répondant non plus seulement à une logique successorale, mais aussi à des impératifs de continuité patrimoniale et économique.

Le droit des partages ne se conçoit plus uniquement comme une opération de liquidation mécanique des biens indivis, mais bien comme un outil de préservation et d’organisation du patrimoine. En ce sens, l’attribution préférentielle dépasse aujourd’hui le cadre des successions pour s’imposer comme une clé de voûte de la gestion des indivisions, qu’elles soient familiales, conjugales ou professionnelles.

Opérations de partage: l’attribution préférentielle

L’attribution préférentielle, aujourd’hui régie par les articles 831 à 834 du Code civil, constitue une exception au principe d’égalité dans le partage en permettant à un copartageant d’obtenir la propriété exclusive de certains biens indivis, moyennant le versement d’une soulte aux copartageants.

Longtemps ignorée du droit français, cette institution a émergé en réaction aux effets négatifs du morcellement successoral, notamment dans le secteur agricole. D’abord consacrée par le décret-loi du 17 juin 1938, elle a progressivement vu son champ d’application s’élargir à d’autres types de biens et à de nouveaux bénéficiaires, sous l’influence conjointe du législateur et de la jurisprudence. L’histoire de cette institution est ainsi celle d’un mouvement continu d’adaptation du droit des successions aux réalités économiques et sociales, en conciliant le respect des droits des cohéritiers avec la nécessité de préserver l’intégrité de certains patrimoines.

==>Code civil de 1804

Dès le XIXe siècle, la doctrine et les praticiens du droit, à commencer par les notaires, s’inquiétèrent des effets négatifs causés par l’application rigide du principe d’égalité en nature dans le partage successoral. Contrairement à d’autres traditions juridiques qui, à l’image du droit suisse ou du droit allemand, avaient organisé la transmission intégrale des exploitations familiales afin de préserver leur viabilité économique, le Code civil français, dans sa volonté d’assurer une stricte égalité entre héritiers, favorisait un éclatement progressif des patrimoines. Ce morcellement excessif, souvent aggravé par des tirages au sort hasardeux, conduisait à une instabilité foncière nuisible tant aux familles qu’à l’économie agricole, soumettant des générations entières d’héritiers à une division irrationnelle des biens reçus en succession.

Loin de rester une simple querelle doctrinale, cette question prit une acuité particulière dans le monde rural, où l’indivision successorale devenait une impasse, faute de règles permettant le maintien d’une exploitation cohérente. Le phénomène, amplifié par les successions nombreuses et la fragmentation des terres, fit apparaître une situation paradoxale : des exploitants se retrouvaient contraints de racheter à prix d’or les parcelles qui leur revenaient déjà en héritage, tandis que d’autres, faute d’accord entre cohéritiers, étaient contraints de vendre leurs biens à des tiers, dilapidant ainsi des héritages patiemment constitués.

Malgré ces constats alarmants, le législateur français demeura longtemps figé dans une orthodoxie égalitariste, se refusant à toucher aux principes fondamentaux du partage successoral édictés par le Code civil de 1804. Les premières réformes engagées en la matière se révélèrent ainsi timorées, limitées à des ajustements techniques sans véritable ambition structurelle.

Il fallut attendre la fin du XIXe siècle pour voir apparaître les premiers correctifs législatifs destinés à aménager l’égalité successorale. Deux lois, adoptées respectivement le 12 avril 1894 et le 30 novembre 1894, introduisirent des mécanismes visant à garantir une certaine continuité dans la transmission de certains biens patrimoniaux.

  • La loi du 12 avril 1894, inspirée par une volonté de protéger les patrimoines familiaux, instaurait un mécanisme d’attribution préférentielle en faveur des héritiers désireux de conserver un bien à forte valeur sentimentale ou économique.
  • La loi du 30 novembre 1894, quant à elle, visait plus spécifiquement les habitations à bon marché, en permettant à un héritier de revendiquer la propriété exclusive d’un logement familial sous réserve d’une compensation équitable au profit des autres cohéritiers.

Toutefois, ces dispositifs demeuraient extrêmement limités, tant dans leur champ d’application que dans leur portée concrète. Destinées à répondre à des situations particulières, ces réformes ne s’attaquaient pas à la cause première du morcellement : l’absence d’un véritable droit d’attribution préférentielle applicable aux exploitations agricoles ou aux entreprises.

==>Le décret-loi du 17 juin 1938 : la première grande réforme

Il fallut attendre le décret-loi du 17 juin 1938 pour que l’attribution préférentielle s’érige en véritable institution, marquant ainsi une rupture avec la rigueur égalitaire du partage successoral. Face au morcellement croissant des exploitations agricoles et à l’affaiblissement du tissu économique rural, le législateur, jusque-là réticent à altérer les principes fondateurs du Code civil, prit la mesure d’une nécessité impérieuse : préserver l’unité des patrimoines productifs en permettant leur transmission intégrale à l’héritier en mesure de les exploiter.

L’esprit de cette réforme s’articulait autour d’une double ambition :

  • Un impératif économique et social : l’éclatement des exploitations compromettait leur rentabilité, menaçant de précipiter la ruine de familles entières. En instaurant un mécanisme permettant d’éviter la dispersion des terres agricoles, le législateur entendait garantir la pérennité des structures rurales et préserver la transmission des biens patrimoniaux dans le cadre familial.
  • Une adaptation du droit des successions aux réalités du monde agricole : en modifiant l’article 832 du Code civil, la réforme autorisa, pour la première fois, un héritier exploitant à revendiquer l’intégralité de l’exploitation, à charge d’indemniser ses cohéritiers par le versement d’une soulte. Ce mécanisme, en rupture avec le principe d’égalité en nature, traduisait la volonté de privilégier l’efficacité économique sans léser les droits successoraux des autres ayants droit.

Toutefois, loin d’être accueillie avec unanimité, cette innovation suscita un contentieux nourri, témoignant des résistances que pouvait rencontrer une entorse au sacro-saint principe d’égalité successorale.

La jurisprudence, dans un premier temps, s’attacha à en rappeler la finalité doublement économique et familiale, considérant que l’attribution préférentielle devait permettre à son bénéficiaire d’assurer la continuité de l’exploitation sans subir les aléas d’un partage fragmentaire (Cass. 1re civ., 30 avril 1965, n°62-13716).

Mais, soucieuse de ne pas faire de cette exception un principe général, elle en souligna le caractère dérogatoire, appelant à une interprétation restrictive de ses conditions d’application. Ainsi, la Cour d’appel d’Angers estima dans un arrêt du 10 mai 1965, que l’attribution préférentielle ne pouvait s’affranchir des règles ordinaires du partage et ne devait être accordée que dans des circonstances strictement définies (CA Angers, 10 mai 1965). Cette approche prudente fut consacrée par la Cour de cassation, qui rappela à plusieurs reprises que cette faculté ne pouvait être étendue au-delà des limites imposées par le législateur (V. par ex. Cass. 1re civ., 5 juin 1962).

Toutefois, malgré ces réticences initiales, la réforme de 1938 marqua un tournant décisif. Elle jeta les fondements d’un nouveau modèle successoral, où la préservation de certains biens d’importance économique l’emporta, dans certaines hypothèses, sur le partage en nature. Cette première brèche ouverte dans le dogme de l’égalité successorale allait progressivement s’élargir sous l’effet de nouvelles réformes, qui, au fil des décennies, élargirent le champ de l’attribution préférentielle et en assouplirent les conditions.

==>L’extension progressive du domaine de l’attribution préférentielle

Le succès immédiat du mécanisme instauré en 1938 ouvrit la voie à une série d’adaptations législatives visant à assouplir ses conditions d’application et à élargir le champ des biens éligibles. Dès les années 1940, plusieurs textes vinrent préciser et renforcer ce dispositif naissant, témoignant de la volonté du législateur d’en faire un instrument de stabilité patrimoniale. Ainsi, les lois des 20 juillet 1940, 9 novembre 1940 et 15 janvier 1943 introduisirent des aménagements notables, facilitant l’octroi de l’attribution préférentielle et en assurant une meilleure adéquation entre le droit successoral et la réalité des structures économiques.

Toutefois, la réforme la plus marquante intervint avec la loi du 19 décembre 1961, qui constitua une véritable rupture avec le dispositif antérieur. Cette réforme d’envergure modifia en profondeur les règles applicables en opérant trois avancées majeures :

  • La suppression des limites de superficie et de valeur imposées aux exploitations agricoles : alors que le dispositif de 1938 ne concernait que les petites et moyennes exploitations, la réforme de 1961 permit d’étendre le bénéfice de l’attribution préférentielle aux exploitations de toute taille, consacrant ainsi la primauté du critère fonctionnel sur le critère dimensionnel.
  • L’élargissement du champ des biens éligibles : initialement réservé aux exploitations agricoles, le mécanisme fut progressivement ouvert aux entreprises commerciales, industrielles et artisanales, ainsi qu’aux locaux d’habitation et à usage professionnel. Cette extension traduisait une volonté manifeste d’adapter le droit successoral aux réalités économiques contemporaines et de garantir la transmission des outils de travail au sein des familles, en évitant leur dispersion entre plusieurs cohéritiers.
  • La distinction entre attribution préférentielle de droit et attribution préférentielle judiciaire :
    • L’attribution de droit fut instituée pour les petites exploitations agricoles, dès lors que le demandeur remplissait les conditions légales, le juge étant tenu de l’accorder.
    • L’attribution judiciaire, en revanche, fut soumise à l’appréciation des tribunaux, qui devaient statuer au regard des intérêts en présence et des capacités de l’attributaire à assurer la viabilité du bien concerné.

Par ces avancées, le législateur poursuivait une ambition double : assurer la transmission des unités économiques vitales et préserver l’équilibre du patrimoine indivis. Il ne s’agissait plus seulement de conjurer les effets délétères du morcellement des exploitations agricoles, mais bien d’ancrer l’attribution préférentielle dans une logique de structuration patrimoniale, en conjuguant pérennisation des actifs et équité entre les copartageants. Désormais, l’institution dépassait le strict cadre successoral pour s’imposer comme un véritable instrument de régulation des indivisions, qu’elles trouvent leur source dans une dévolution successorale, la liquidation d’une communauté conjugale ou encore la dissolution d’une société de personnes.

Ainsi, cette réforme marqua une mutation profonde du droit du partage : ce qui n’était jusque-là qu’une entorse ponctuelle au principe d’égalité en nature se mua en véritable mécanisme d’organisation des masses partageables, permettant d’affecter à certains copartageants des biens d’une importance stratégique, tout en maintenant un équilibre indemnitaire entre les indivisaires. Loin de se limiter aux enjeux agricoles, l’attribution préférentielle s’imposa alors comme une clé de voûte des partages contemporains, garantissant la préservation des ensembles patrimoniaux cohérents face aux exigences de la division.

Au fil des décennies, le législateur continua d’élargir le champ d’application de l’attribution préférentielle, en assouplissant les conditions tenant aux bénéficiaires. Initialement pensée pour préserver l’unité des exploitations agricoles, cette institution fut progressivement adaptée aux nouvelles réalités patrimoniales et aux diverses formes d’indivision, dépassant ainsi le strict cadre successoral pour s’imposer comme un véritable mécanisme de régulation des masses partageables.

La loi du 23 décembre 1970 marqua une première rupture en ouvrant l’attribution préférentielle aux héritiers en nue-propriété ainsi qu’aux légataires universels. Cette extension traduisait une évolution significative du droit successoral, prenant acte du fait que l’organisation patrimoniale ne reposait plus exclusivement sur les seuls héritiers en pleine propriété.

Désormais, un indivisaire nu-propriétaire pouvait solliciter l’attribution préférentielle, bien qu’il ne dispose pas encore de la plénitude des droits sur le bien concerné. Par ailleurs, un légataire universel, bien que désigné par disposition testamentaire et non en vertu d’une vocation légale, se voyait reconnaître un droit similaire. Cette réforme traduisait une volonté claire : faire primer l’intérêt patrimonial sur la rigueur des règles successorales, en permettant aux détenteurs de droits indivis d’assurer la transmission ou la conservation d’un bien sans être écartés par des considérations purement formelles.

Avec la loi du 3 janvier 1972, adoptée dans le cadre de la réforme de la filiation, l’attribution préférentielle fut encore élargie. Cette fois, il ne s’agissait plus d’une question de qualité successorale, mais bien d’une protection des intérêts familiaux dans le cadre des partages.

D’une part, le conjoint survivant se vit reconnaître un droit d’attribution préférentielle sur les résidences secondaires du couple, lui permettant ainsi de conserver un cadre de vie familier après le décès de son époux. Cette avancée marquait une rupture avec une conception purement successorale du mécanisme : l’attribution préférentielle n’était plus seulement un instrument de consolidation des exploitations économiques, mais devenait également un outil de préservation des conditions de vie du survivant.

D’autre part, les enfants légitimes purent également bénéficier de ce droit face aux autres copartageants de la masse partageable, garantissant ainsi une certaine stabilité dans la transmission des biens familiaux. Ce dispositif traduisait une prise en compte des intérêts affectifs et patrimoniaux, où l’équité successorale se combinait avec des considérations de préservation du cadre de vie.

En 1975, le législateur franchit un nouveau cap en transposant l’attribution préférentielle aux indivisions conjugales. Avec la loi du 11 juillet 1975, réformant le divorce, il fut expressément prévu que le mécanisme s’appliquerait désormais au partage des biens indivis entre époux séparés de biens.

Jusqu’alors, l’attribution préférentielle était principalement attachée aux partages successoraux. Désormais, elle s’étendait aux indivisions conjugales nées de la séparation des époux, permettant à l’un d’eux de revendiquer l’attribution exclusive d’un bien indivis, notamment lorsqu’il s’agissait du logement conjugal ou d’un bien à usage professionnel.

Cette évolution marquait une prise en compte des nouvelles réalités patrimoniales et des enjeux propres à la dissolution des communautés conjugales. Elle consacrait le principe selon lequel l’attribution préférentielle n’était plus un mécanisme exclusivement successoral, mais un véritable instrument d’organisation des partages, quelle qu’en soit l’origine.

Enfin, à l’aube du XXIe siècle, le législateur poursuivit cette dynamique d’adaptation en ouvrant l’attribution préférentielle aux partenaires liés par un PACS. La loi du 15 novembre 1999, qui institua le pacte civil de solidarité, permit aux partenaires pacsés de revendiquer l’attribution préférentielle en cas de dissolution du pacte.

Toutefois, le législateur posa une limite en excluant du champ d’application du dispositif les exploitations agricoles, signe d’une certaine prudence à l’égard d’un mécanisme historiquement conçu pour la transmission des structures économiques. Cette restriction traduisait la volonté de préserver le caractère successoral de l’attribution préférentielle dans certains secteurs stratégiques, tout en reconnaissant que les indivisions issues d’un PACS devaient pouvoir être réglées selon des mécanismes similaires à ceux applicables aux conjoints mariés.

==>La refonte du régime de l’attribution préférentielle par la loi du 23 juin 2006

L’évolution de l’attribution préférentielle ne s’est pas arrêtée à son extension aux différentes formes d’indivision. À partir du début du XXI siècle, le législateur s’attacha à refondre en profondeur le régime de l’attribution préférentielle, non seulement pour en assurer une meilleure cohérence, mais également pour l’adapter aux mutations économiques et sociétales.

La loi du 23 juin 2006, qui entreprit une réforme d’ampleur du droit des successions et des libéralités, marqua une nouvelle étape dans l’évolution de l’attribution préférentielle. Elle poursuivait un double objectif : clarifier et unifier les règles applicables, tout en étendant son champ d’application pour mieux répondre aux réalités patrimoniales contemporaines.

Trois avancées majeures méritent d’être mises en exergue :

  • Une réorganisation structurelle du dispositif : la réforme opéra une clarification méthodique en instituant dans le Code civil un paragraphe autonome consacré aux attributions préférentielles, désormais rassemblées aux articles 831 à 834. Par cette refonte, le législateur entendit ordonner la matière en rationalisant son architecture, offrant ainsi aux praticiens et aux justiciables une meilleure lisibilité et une cohérence renouvelée du régime applicable.
  • Une extension aux entreprises libérales et une harmonisation des terminologies : jusque-là, le texte se limitait à la notion d’exploitation agricole, révélant ainsi son ancrage dans une tradition juridique essentiellement tournée vers la préservation du patrimoine rural. La réforme de 2006 marqua un élargissement conceptuel, en substituant à cette appellation celle d’entreprise agricole, tout en intégrant expressément les entreprises libérales dans le domaine des attributions préférentielles. Cette évolution traduisait une volonté d’adapter l’institution aux réalités économiques contemporaines, où les activités libérales, commerciales et artisanales constituent des vecteurs essentiels du dynamisme économique.
  • L’abandon du critère de lien familial pour certaines entreprises : la réforme mit un terme à une restriction, en supprimant l’exigence d’un rattachement familial pour bénéficier de l’attribution préférentielle de certaines entreprises. Jusqu’alors, ce mécanisme était réservé aux héritiers en ligne directe ou aux proches parents du défunt. Désormais, l’attribution préférentielle peut être sollicitée par tout indivisaire remplissant les conditions d’exploitation ou de gestion de l’entreprise, indépendamment de tout lien de parenté. Ce changement traduit un renversement de perspective : alors que l’institution obéissait historiquement à une logique patrimoniale et successorale, elle repose désormais sur une approche éminemment économique, privilégiant la pérennité des structures d’exploitation à la simple transmission familiale.

Par cette réforme, l’attribution préférentielle acheva sa mue, s’émancipant de sa finalité originelle de remède au morcellement des exploitations agricoles, pour s’affirmer comme un mécanisme structurant du droit des partages. Elle s’inscrit ainsi désormais dans une dynamique plus large de conservation et de rationalisation des masses partageables, visant à préserver les actifs stratégiques qu’ils soient successoraux, professionnels ou simplement détenus en indivision, tout en conciliant stabilité économique et équité entre les copartageants.

==>Consolidation de la réforme de 2006

Dans les années qui suivirent la réforme de 2006, le législateur poursuivit son œuvre d’affinement du dispositif d’attribution préférentielle, soucieux de l’adapter aux exigences contemporaines et d’en parfaire le fonctionnement. 

La loi du 16 février 2015 introduisit une nouvelle catégorie de biens éligibles à l’attribution préférentielle : le véhicule du défunt, lorsqu’il est nécessaire aux besoins de la vie courante ou à l’exercice d’une activité professionnelle.

Jusqu’alors, l’attribution préférentielle s’attachait principalement aux immeubles et aux entreprises, considérés comme les piliers de la transmission patrimoniale. L’adjonction des véhicules au mécanisme traduit ainsi un infléchissement notable de la conception traditionnelle de l’institution, qui, sans renier sa vocation première de stabilisation du patrimoine indivis, s’adapte aux réalités modernes du quotidien.

Dans un monde où la mobilité est un instrument de l’autonomie, où l’accès à un véhicule conditionne l’exercice d’une activité professionnelle, la conservation d’un emploi, ou plus simplement l’organisation du quotidien, la transmission patrimoniale ne pouvait demeurer figée dans une approche exclusivement immobilière. Le législateur a donc pris acte de cette évolution en permettant qu’un véhicule puisse être attribué à titre préférentiel, dès lors qu’il répond à une nécessité impérieuse pour le demandeur.

Dès lors, cette nouvelle forme d’attribution préférentielle profite à deux catégories de bénéficiaires :

  • L’indivisaire dont l’activité professionnelle repose sur l’usage du véhicule : un médecin libéral devant assurer ses visites à domicile, un artisan se déplaçant pour ses chantiers, un agriculteur utilisant un engin spécifique pour l’exploitation de son domaine, ou encore un commerçant itinérant pouvaient désormais se voir reconnaître un droit de priorité sur le véhicule du défunt, à l’instar de ce qui était déjà prévu pour les locaux professionnels. Cette disposition vise à assurer la continuité économique et éviter une rupture brutale dans l’exercice de l’activité, laquelle aurait pu résulter d’une mise en partage du bien.
  • Le conjoint survivant ou tout autre copartageant ayant éminemment besoin du véhicule : l’attribution préférentielle pouvait également être sollicitée par une personne démontrant que le véhicule constituait un élément indispensable de son mode de vie, que ce soit pour assurer ses déplacements quotidiens, répondre à des obligations familiales, ou encore maintenir son indépendance face à un éloignement géographique des services essentiels.

Loin d’être anecdotique, cette réforme consacre une vision renouvelée de l’attribution préférentielle, ancrée dans une approche fonctionnelle du patrimoine, où la transmission ne se conçoit plus uniquement en termes de préservation des biens, mais bien dans une dynamique de continuité de l’usage et des besoins concrets des indivisaires. L’attribution préférentielle, en intégrant le véhicule, s’adapte ainsi aux mutations d’un monde dans lequel la mobilité constitue une ressource aussi précieuse qu’un toit ou qu’un outil de travail.

Un autre ajustement du dispositif intervint avec la loi du 24 mars 2014, qui mit un terme à une disparité persistante entre les époux et les partenaires pacsés en matière d’attribution préférentielle.

Depuis la reconnaissance du pacte civil de solidarité (PACS) en 1999, le droit patrimonial des couples s’était progressivement enrichi d’une protection accrue des partenaires survivants, sans toutefois atteindre le niveau de garanties conféré aux époux. S’ils pouvaient déjà bénéficier d’une certaine sécurité successorale, les partenaires pacsés ne jouissaient pas des mêmes droits que les conjoints mariés en matière d’attribution préférentielle, notamment lorsqu’il s’agissait du logement du couple ou d’un local professionnel.

Cette asymétrie fut levée en 2014, consacrant ainsi une harmonisation du droit patrimonial des couples, indépendamment de leur statut. Désormais, les partenaires pacsés accédaient aux mêmes droits que les époux en matière d’attribution préférentielle, selon des règles identiques. Cette avancée marqua une reconnaissance du PACS comme un mode d’union à part entière, venant concurrencer le mariage quant à l’organisation du patrimoine dans la cellule familiale.

Aussi, désormais, les partenaires pacsés sont admis à revendiquer :

  • L’attribution préférentielle du logement d’habitation et de son mobilier : cette évolution permit au partenaire survivant de demeurer dans le logement du couple, de la même manière qu’un conjoint marié, garantissant ainsi une protection renforcée de son cadre de vie. En étendant ce droit aux pacsés, le législateur entendait éviter toute insécurité successorale pour le survivant, en lui offrant une possibilité de conservation du bien au-delà du simple droit temporaire d’usage qui lui était jusqu’alors reconnu.
  • L’attribution préférentielle des biens professionnels indivis : un partenaire pacsé exploitant une activité dans un local dont le défunt était copropriétaire pouvait désormais en solliciter l’attribution dans les mêmes conditions qu’un époux survivant. Cette évolution était particulièrement importante pour les couples exerçant une activité libérale, artisanale ou commerciale, où l’enjeu de la transmission des outils de travail est souvent crucial pour la survie de l’exploitation.

Cette réforme traduisait une volonté de rationalisation et d’uniformisation du droit patrimonial des couples, en adéquation avec l’évolution des structures familiales. Elle consacrait ainsi une progression de l’attribution préférentielle vers un statut universel, applicable à toutes les formes d’indivision conjugale ou patrimoniale, sans distinction entre mariage et PACS.

Ces ajustements successifs révèlent la plasticité croissante de l’attribution préférentielle, qui, bien loin d’être une simple mesure technique de répartition successorale, s’est progressivement muée en un véritable instrument de protection patrimoniale, garantissant la pérennité des situations de vie et de travail des indivisaires.

D’abord pensée comme une exception au principe d’égalité dans les partages, elle tend désormais à se généraliser, répondant non plus seulement à une logique successorale, mais aussi à des impératifs de continuité patrimoniale et économique.

Le droit des partages ne se conçoit plus uniquement comme une opération de liquidation mécanique des biens indivis, mais bien comme un outil de préservation et d’organisation du patrimoine. En ce sens, l’attribution préférentielle dépasse aujourd’hui le cadre des successions pour s’imposer comme une clé de voûte de la gestion des indivisions, qu’elles soient familiales, conjugales ou professionnelles.

I) Domaine de l’attribution préférentielle

L’attribution préférentielle constitue une modalité essentielle du partage, permettant à certains coïndivisaires d’obtenir, sous conditions, l’allocation en pleine propriété d’un bien indivis moyennant indemnisation, le cas échéant, des autres indivisaires. Toutefois, si elle apparaît à première vue comme un simple aménagement du partage, son application n’est nullement automatique. La nature du bien, la qualité du demandeur et surtout l’origine de l’indivision déterminent le champ d’application de cette institution, qui se voit tantôt consacrée, tantôt restreinte par la jurisprudence. L’objet de la présente analyse est donc d’en cerner les contours, en examinant les conditions de sa mise en œuvre ainsi que les évolutions récentes en la matière.

A) Principe

1. Préexistence d’une indivision

L’attribution préférentielle ne saurait être sollicitée en dehors d’un état d’indivision. Elle suppose, en effet, que le bien en cause soit indivis et susceptible d’être partagé. En ce sens, elle ne peut être exercée lorsque la pleine propriété d’un bien se reconstitue naturellement sur la tête d’un indivisaire, notamment par l’extinction d’un usufruit (Cass. 1ère civ., 4 janv. 1973, n°71-13.859).

De même, elle se distingue de la faculté de prélèvement prévue à l’article 1077-1 du Code civil, qui écarte toute indivision en permettant à un héritier de prélever certains biens avant leur mise en partage. Il s’agit là d’un mécanisme autonome visant à favoriser la conservation de certains biens au profit d’un héritier sans passer par les contraintes de l’indivision et du partage.

Toutefois, la question se pose de savoir si l’attribution préférentielle peut être invoquée dans toute indivision ou si elle se limite aux seuls cas expressément prévus par la loi.

Traditionnellement, la jurisprudence a limité le bénéfice de l’attribution préférentielle aux cas où elle est expressément prévue par la loi, à savoir :

  • Les indivisions successorales (articles 831 et suivants du Code civil),
  • Les indivisions post-communautaires, nées de la dissolution d’un régime matrimonial,
  • Les indivisions résultant d’une séparation de biens entre époux ou partenaires pacsés.

Cette approche s’explique par le fait que l’attribution préférentielle constitue une dérogation au principe du partage égalitaire. Elle ne saurait donc être élargie au-delà des cadres définis par le législateur sans risquer de porter atteinte aux droits des autres indivisaires. La Cour de cassation, soucieuse de préserver la sécurité juridique, a ainsi longtemps enfermé son champ d’application dans ces hypothèses précises.

Néanmoins, ces dernières années, la jurisprudence semble avoir amorcé un mouvement d’assouplissement. Si le cadre législatif demeure inchangé, certaines décisions tendent à admettre que l’attribution préférentielle puisse être envisagée au-delà des seules hypothèses expressément prévues par le Code civil, dès lors que les circonstances particulières de l’indivision le justifient.

Ainsi, sans remettre en cause son fondement légal, les juges du fond ont parfois reconnu l’opportunité d’accorder une attribution préférentielle dans des situations où celle-ci permettrait de préserver une cohérence patrimoniale ou de maintenir l’affectation d’un bien à un usage spécifique. L’idée sous-jacente à cette évolution est de ne pas sacrifier des impératifs d’équilibre économique ou familial sur l’autel d’une lecture trop rigide du droit positif.

Cette ouverture progressive pose la question de l’avenir de l’attribution préférentielle. Si la tendance jurisprudentielle actuelle suggère une prise en compte plus pragmatique des situations d’indivision, il reste à savoir si cette évolution sera sanctionnée ou pérennisée par la Cour de cassation.

L’extension de l’attribution préférentielle à des indivisions hors du cadre légal strict pourrait trouver un fondement dans une volonté d’adaptation aux réalités patrimoniales modernes. Toutefois, cette souplesse nouvelle ne saurait se faire au détriment des autres indivisaires, ce qui incite la jurisprudence à maintenir un contrôle rigoureux sur les conditions de son octroi.

2. Les indivisions admises

L’application de l’attribution préférentielle ne dépend pas uniquement de l’existence d’un état d’indivision ; encore faut-il que cette indivision entre dans le champ des hypothèses admises par la loi et la jurisprudence. L’origine même de l’indivision constitue ainsi un critère déterminant, certaines d’entre elles ouvrant droit à cette faculté tandis que d’autres en sont exclues.

a. L’indivision successorale

L’indivision successorale constitue le cadre naturel de l’attribution préférentielle, institution dont la genèse remonte à la loi du 17 mars 1938, qui visait à préserver l’intégrité des exploitations agricoles en les soustrayant aux effets souvent destructeurs du partage successoral, qu’il prenne la forme du tirage au sort, du partage en nature ou de la licitation. Ce mécanisme, bien qu’ayant évolué au fil du temps, demeure profondément ancré dans le droit des successions et trouve aujourd’hui application dans toute indivision successorale, sous réserve que le demandeur remplisse les conditions posées par les articles 831 à 834 du Code civil.

Si l’attribution préférentielle permet d’assurer la transmission cohérente et fonctionnelle des biens indivis, elle n’en demeure pas moins un droit subsidiaire : elle ne s’impose jamais à la volonté du défunt, qui peut en restreindre l’exercice ou l’écarter totalement par disposition expresse.

Ainsi, le de cujus est-il libre, de son vivant, de régler la destination posthume de ses biens et prévoir un partage spécifique qui ne laisse place à aucune attribution préférentielle. L’exclusion peut résulter notamment :

  • D’un testament prescrivant un partage en nature, privant ainsi les héritiers de la faculté de revendiquer une attribution préférentielle (Cass. 1ère civ., 3 févr. 1959) ;
  • D’un legs particulier ou universel, qui soustrait le bien concerné au champ du partage successoral (Cass. req., 28 juill. 1947) ;
  • D’une donation-partage, par laquelle le défunt attribue ses biens de son vivant, ce qui leur fait perdre leur qualité de biens indivis (Cass. 1ère civ., 8 juill. 1958) ;
  • D’une stipulation contenue dans un contrat de mariage, permettant au conjoint survivant d’acquérir ou de conserver certains biens en cas de décès (Cass. 1ère civ., 14 févr. 1967).

Dans ces différentes hypothèses, le bien sort du périmètre de l’indivision successorale, et le jeu des articles 831 et suivants du Code civil est mécaniquement écarté.

Toutefois, l’exclusion de l’attribution préférentielle ne se produit pas dans tous les cas où le défunt a disposé de son bien. Une distinction s’impose entre la transmission privative et la transmission indivise.

Lorsque le défunt a conféré un droit privatif sur un bien à l’un de ses héritiers (ex. : legs particulier sur un immeuble), le bien est exclu de l’indivision et l’attribution préférentielle devient impossible (Cass. 1ère civ., 10 juill. 1968)

À l’inverse, lorsque le défunt a attribué des droits indivis par le biais d’un legs universel ou à titre universel, l’indivision est maintenue, ce qui laisse subsister le droit à l’attribution préférentielle pour l’un des co-indivisaires (Cass. 1ère civ., 30 oct. 1962).

La jurisprudence a ainsi précisé que les dispositions universelles ne privent pas les héritiers de leur faculté de demander l’attribution préférentielle, sauf si elles aboutissent à un démembrement intégral du patrimoine.

L’articulation entre les droits successoraux et la liberté du de cujus a connu d’importantes mutations, notamment sous l’effet de la loi du 23 juin 2006 qui a réformé le droit des successions.

Désormais, toutes les dispositions à titre gratuit, qu’elles soient entre vifs ou à cause de mort, sont réductibles en valeur (art. 924 C. civ.), ce qui signifie qu’un bien transmis ne revient pas dans la masse à partager, mais fait simplement l’objet d’une compensation financière. Cette règle confère au de cujus une importante liberté quant à organiser une répartition successorale excluant de facto l’attribution préférentielle.

Toutefois, la jurisprudence a admis qu’une exclusion directe de l’attribution préférentielle par une clause testamentaire ne serait pas systématiquement valide si elle se heurte à des principes fondamentaux du droit successoral, tels que les droits des héritiers réservataires (Cass. 1ère civ., 5 nov. 1996, n°94-15.886).

Les développements jurisprudentiels récents tendent vers un équilibre entre deux logiques :

  • D’un côté, le respect de la volonté du défunt, qui peut organiser la transmission de son patrimoine et limiter l’application de l’attribution préférentielle ;
  • De l’autre, la nécessité de préserver certains équilibres successoraux, notamment lorsque l’indivision concerne des biens à forte valeur d’usage familial ou professionnel.

En définitive, la faculté d’exclure l’attribution préférentielle s’inscrit dans une approche pragmatique du partage successoral : elle est admise tant qu’elle repose sur une disposition claire et non équivoque, mais ne saurait être opposée aux héritiers réservataires lorsque ceux-ci en demandent le bénéfice pour assurer la pérennité d’un bien familial.

b. L’indivision post-communautaire

L’attribution préférentielle trouve également à s’exercer dans le cadre de l’indivision post-communautaire, c’est-à-dire celle qui survient après la dissolution du régime matrimonial. Toutefois, son application varie selon la cause de dissolution de la communauté conjugale.

  • En cas de dissolution par décès, l’attribution préférentielle est un droit pleinement reconnu, permettant au conjoint survivant de se voir attribuer certains biens communs. Cette faculté favorise la stabilité du cadre de vie du survivant et facilite la transition successorale.
  • En cas de dissolution par divorce ou séparation de corps, l’attribution préférentielle n’est plus un droit automatique, mais une simple faculté laissée à l’appréciation souveraine du juge. En pratique, les tribunaux ont tendance à privilégier le conjoint ayant la garde des enfants, notamment lorsqu’il sollicite l’attribution du logement familial.

==>L’application de l’attribution préférentielle en cas de décès

Lorsque la communauté conjugale est dissoute par le décès de l’un des époux, la question du partage des biens communs se pose inévitablement. Dans ce contexte, l’attribution préférentielle constitue un mécanisme de protection essentiel pour le conjoint survivant, lui permettant de conserver certains biens ayant une importance patrimoniale et affective particulière.

L’article 1476 du Code civil prévoit expressément que les règles gouvernant le partage des successions s’appliquent au partage de la communauté conjugale, consacrant ainsi une assimilation entre l’indivision successorale et l’indivision post-communautaire. Cette disposition permet au conjoint survivant de prétendre à l’attribution préférentielle de certains biens communs, au même titre qu’un héritier indivisaire peut solliciter l’attribution préférentielle d’un bien relevant de la masse successorale.

Parmi les biens susceptibles d’être attribués préférentiellement, le logement familial occupe une place centrale. Il ne s’agit pas seulement d’un actif patrimonial, mais bien d’un élément structurant du cadre de vie du conjoint survivant, souvent empreint d’une forte dimension symbolique et affective.

Dès le milieu du XXe siècle, la jurisprudence a admis de manière constante que le conjoint survivant pouvait se voir attribuer la résidence principale du couple, facilitant ainsi son maintien dans un environnement familier et préservant son équilibre matériel et psychologique (Cass. 1ère civ.., 2 janv. 1952).

Cette solution se justifie à plusieurs titres :

  • Elle protège le conjoint survivant d’une mise en indivision prolongée avec d’autres héritiers, évitant ainsi d’éventuels conflits successoraux.
  • Elle préserve son droit au logement, particulièrement crucial lorsque le conjoint survivant est âgé ou dispose de revenus limités, ne lui permettant pas de se reloger aisément.
  • Elle favorise la stabilité familiale, notamment lorsque des enfants sont encore à charge, en évitant un bouleversement brutal des conditions de vie.

En pratique, les juridictions accordent une attention particulière à la situation du conjoint survivant et font généralement droit à la demande d’attribution préférentielle lorsque celui-ci résidait dans le logement familial avant le décès et que la conservation du bien présente un intérêt manifeste.

Si le logement familial constitue le bien le plus fréquemment concerné par l’attribution préférentielle, d’autres biens communs peuvent également en faire l’objet, sous réserve qu’ils remplissent des critères de nécessité et d’usage personnel pour le conjoint survivant.

Ainsi, la jurisprudence a progressivement admis que l’attribution préférentielle pouvait également porter sur :

  • Le mobilier meublant le logement familial, garantissant au conjoint survivant la jouissance effective du bien attribué sans avoir à racheter séparément les éléments qui le composent.
  • Les exploitations agricoles ou les fonds artisanaux lorsqu’ils constituaient l’activité principale du conjoint survivant, évitant ainsi une désorganisation brutale de son outil de travail.
  • Certains véhicules, notamment lorsque ceux-ci sont nécessaires à l’exercice d’une activité professionnelle ou au maintien de l’autonomie du conjoint survivant.

Dans chaque cas, les juges apprécient souverainement l’opportunité de l’attribution, en tenant compte de l’intérêt du conjoint survivant, mais également des droits des autres héritiers, notamment en matière de répartition de l’actif successoral.

Si l’attribution préférentielle offre au conjoint survivant un levier de protection efficace, elle n’a toutefois rien d’automatique. Le de cujus conserve la faculté d’écarter cette possibilité, en disposant de ses biens par donation, legs ou stipulation testamentaire.

Ainsi, plusieurs hypothèses peuvent priver le conjoint survivant du bénéfice de l’attribution préférentielle :

  • Le défunt peut avoir expressément prévu une répartition différente de son patrimoine, notamment en léguant le logement familial à un autre héritier.
  • Une clause testamentaire peut imposer un partage en nature, excluant de facto toute possibilité d’attribution préférentielle.
  • La donation-partage consentie du vivant du défunt peut avoir sorti le bien convoité de la masse partageable, rendant impossible son attribution au conjoint survivant.

Toutefois, même dans ces situations, la réduction des libéralités excessives prévue par l’article 924 du Code civil peut permettre de réintégrer certains biens dans la masse successorale et de préserver, dans une certaine mesure, les droits du conjoint survivant.

==>L’application de l’attribution préférentielle en cas de divorce ou de séparation de corps

Lorsque la communauté conjugale est dissoute du vivant des époux, que ce soit par divorce ou par séparation de corps, la question du sort des biens communs se pose avec acuité. Si l’attribution préférentielle s’est imposée sans difficulté dans le cadre du partage successoral, son application aux partages consécutifs à la dissolution du mariage a suscité, en revanche, de vives hésitations doctrinales et jurisprudentielles avant d’être pleinement consacrée par la loi.

À l’origine, la doctrine et la jurisprudence se montraient réticentes à admettre que l’attribution préférentielle puisse trouver à s’exercer dans les partages de communauté dissoute du vivant des époux. Cette hésitation procédait d’une double interrogation :

  • L’attribution préférentielle n’a-t-elle pas été conçue comme un mécanisme propre au droit des successions, justifiant sa limitation au seul cadre des indivisions successorales ?
  • Peut-on raisonnablement transposer ce mécanisme à la dissolution du mariage, alors même que le principe du partage égalitaire des biens communs prévaut dans cette hypothèse ?

Un premier revirement jurisprudentiel est intervenu avec un arrêt du 2 novembre 1954, où la Cour de cassation a affirmé que les règles de l’attribution préférentielle s’appliquaient à tout partage de communauté, quelle que soit la cause de sa dissolution (Cass. 1ère civ. 2 nov. 1954). Cette solution a été accueillie favorablement et a trouvé une consécration législative quelques années plus tard.

Ainsi, la loi du 19 décembre 1961 a esquissé une reconnaissance légale de l’attribution préférentielle dans le cadre des partages post-communautaires. Puis, la loi du 13 juillet 1965, réformant les régimes matrimoniaux, a levé toute ambiguïté en insérant dans l’article 1476 du Code civil une référence générale aux règles successorales en matière d’attribution préférentielle. Dès lors, le principe était acquis : l’attribution préférentielle pouvait être sollicitée dans le cadre d’un divorce ou d’une séparation de corps, sous réserve du respect des conditions légales.

Si l’attribution préférentielle est désormais admise en principe dans le cadre des partages post-communautaires, elle ne revêt cependant aucun caractère automatique. L’alinéa 2 de l’article 1476 du Code civil précise expressément que « l’attribution préférentielle n’est jamais de droit » en cas de divorce, séparation de corps ou séparation de biens, et que le juge peut toujours décider que la totalité de la soulte sera payable comptant.

Cette rédaction confère aux juridictions un pouvoir souverain d’appréciation, leur permettant d’examiner au cas par cas l’opportunité d’une attribution préférentielle. Ainsi, contrairement à l’hypothèse du décès où l’attribution préférentielle du logement familial au conjoint survivant est souvent favorisée, le juge du divorce ou de la séparation de corps dispose d’une latitude bien plus large pour accorder ou refuser cette mesure.

En pratique, les décisions des tribunaux ont progressivement dessiné les contours d’une politique judiciaire plus favorable à certaines catégories de justiciables, notamment lorsque l’attribution préférentielle concernait le logement familial.

L’un des critères essentiels retenus par les juges dans l’octroi de l’attribution préférentielle réside dans la présence d’enfants au foyer.

Dès les premières décisions de jurisprudence, une tendance s’est dégagée en faveur du conjoint ayant la garde des enfants, particulièrement lorsqu’il sollicite l’attribution du domicile conjugal.

Ainsi, un arrêt du 5 juin 1991 a rappelé avec force que l’attribution préférentielle dans le cadre d’un divorce relevait exclusivement de l’appréciation des juges du fond (Cass. 2e civ., 5 juin 1991, n°90-14.109). Cette solution a été confirmée par de nombreuses juridictions, qui ont systématiquement privilégié le conjoint divorcé non fautif, et plus encore celui qui avait la charge des enfants, en lui accordant l’attribution du logement familial (CA Paris, 4 févr. 1965).

Cette orientation protectrice repose sur une double considération :

  • Le maintien d’un cadre de vie stable pour les enfants, afin de limiter les effets déstabilisants de la séparation parentale.
  • L’impératif social de préservation du logement familial, qui constitue bien souvent le seul bien de valeur pour le conjoint économiquement le plus vulnérable.

Ainsi, bien que l’attribution préférentielle ne soit jamais de droit, les juges l’accordent fréquemment en présence d’enfants mineurs et que la conservation du logement familial apparaît comme un facteur de stabilité essentiel.

==>Cas particulier du droit au bail du logement conjugal

L’attribution préférentielle, telle que consacrée par l’article 831 et suivants du Code civil, vise principalement la transmission en pleine propriété d’un bien indivis. Toutefois, une hypothèse singulière se présente lorsque la demande d’attribution ne porte pas sur la propriété du logement conjugal, mais sur le droit au bail y afférent.

Dans ce cas, un régime spécifique s’applique, régi non plus par les règles de l’indivision successorale ou post-communautaire, mais par l’article 1751 du Code civil. Ce texte consacre un principe de portée générale : le droit au bail portant sur le logement conjugal est réputé appartenir aux deux époux, quel que soit leur régime matrimonial.

Contrairement à la propriété d’un bien immobilier, dont l’attribution repose sur l’origine du financement et les modalités d’acquisition, le droit au bail du logement conjugal obéit à un régime spécifique qui fait abstraction de ces considérations. Peu importe lequel des époux a signé le contrat de location ou assumé le paiement des loyers : dès lors qu’il s’agit du logement familial, la loi présume que le bail appartient conjointement aux deux conjoints.

Ce mécanisme vise à garantir l’égalité des époux dans la jouissance du domicile conjugal, en empêchant que l’un d’eux puisse évincer l’autre en invoquant une titularité exclusive du bail. Il confère donc une protection essentielle, notamment pour le conjoint économiquement dépendant ou pour celui qui n’aurait pas de titre de location à son nom.

Lorsque le couple se sépare, la question du sort du droit au bail se pose avec acuité. Le maintien dans les lieux de l’un des conjoints suppose une réattribution du bail, laquelle doit prendre en considération des critères sociaux et familiaux.

L’article 1751, alinéa 2 du Code civil prévoit ainsi une procédure spécifique permettant au juge de statuer sur l’attribution du droit au bail à l’un des époux. Cette décision repose sur une appréciation souveraine des intérêts en présence, en tenant compte des circonstances particulières du divorce ou de la séparation de corps.

Le juge devra notamment considérer :

  • La situation familiale, notamment la présence d’enfants, qui constitue un critère déterminant pour privilégier le maintien du conjoint ayant leur garde dans le logement.
  • Les considérations sociales et économiques, en favorisant l’époux dont la situation financière ne permettrait pas de retrouver aisément un autre logement.
  • Les circonstances de la séparation, en veillant à éviter une attribution abusive qui désavantagerait injustement l’un des conjoints.

Cette approche pragmatique permet d’assurer une transition équitable entre la vie conjugale et la séparation, en préservant autant que possible la stabilité du cadre de vie familial.

Si le droit au bail du logement conjugal peut faire l’objet d’une attribution judiciaire, il ne relève pas du régime général de l’attribution préférentielle prévu par l’article 831-2, 1° du Code civil.

Les principales différences entre les deux dispositifs sont les suivantes :

CritèresAttribution préférentielle classique (art. 831-2, 1° C. civ.)Attribution judiciaire du droit au bail (art. 1751, al. 2 C. civ.)
Objet de l’attributionTransmission en pleine propriété d’un bien immobilier indivisTransfert de la titularité du bail sans acquisition de la propriété
Cadre juridiquePartage successoral ou post-communautaireDivorce ou séparation de corps
Droit applicableArticles 831 et suivants du Code civilArticle 1751 du Code civil
Critères d’attributionPriorité aux héritiers ou époux remplissant les conditions légalesAppréciation souveraine du juge en fonction des intérêts familiaux et sociaux
Effet juridiqueLe bénéficiaire devient propriétaire du bienLe bénéficiaire devient seul titulaire du bail mais n’acquiert pas la propriété

Bien que l’attribution du droit au bail présente des similarités avec l’attribution préférentielle, ses effets sont plus limités, dans la mesure où :

  • Elle ne confère aucun droit de propriété sur le logement, mais seulement le droit d’en être le locataire exclusif.
  • Elle est soumise aux termes du contrat de bail, ce qui implique que le bénéficiaire doit respecter les obligations locatives et ne bénéficie d’aucune garantie de renouvellement automatique.
  • Elle ne peut être invoquée à titre absolu, le juge pouvant refuser l’attribution s’il estime qu’elle ne se justifie pas au regard des circonstances du divorce.

==>La prise d’effet de l’attribution préférentielle dans le cadre de l’indivision post-communautaire

La question du moment auquel doivent être réunies les conditions d’octroi de l’attribution préférentielle dans le cadre d’une indivision post-communautaire a longtemps suscité des incertitudes, notamment en cas de divorce ou de séparation de corps. Si la jurisprudence avait, dans un premier temps, posé le principe d’une prise d’effet rétroactive à la date de la demande en divorce, la réforme de 2019 est venue clarifier et aménager ce régime.

Jusqu’à la réforme du 23 juin 2006, le principe de rétroactivité de la dissolution du régime matrimonial était consacré par l’ancien article 262 du Code civil, qui disposait que les effets du divorce sur le régime matrimonial remontaient au jour de la demande en divorce (ou de la demande en séparation de corps).

Cette disposition avait une conséquence directe sur l’attribution préférentielle :

  • Le moment déterminant pour apprécier si les conditions de l’attribution préférentielle étaient réunies était fixé à la date de la demande en divorce.
  • Ainsi, un époux souhaitant obtenir l’attribution d’un bien commun devait démontrer qu’il remplissait les critères dès le dépôt de la requête en divorce, et non au moment du prononcé du divorce définitif.
  • La jurisprudence en a déduit que l’indivision post-communautaire naissait rétroactivement à cette date, figeant ainsi la composition du patrimoine commun et les droits des parties (Cass. 1ère civ., 21 mai 1969).

Toutefois, ce système présentait des inconvénients majeurs. Il figeait artificiellement la situation patrimoniale des époux à une date parfois très antérieure au jugement de divorce, ce qui pouvait être source d’injustices, notamment en cas de longue procédure ou d’évolution significative de la situation des époux entre-temps.

La loi du 23 juin 2006 a profondément modifié la prise d’effet du divorce sur le régime matrimonial en introduisant une nouvelle règle dans l’article 262-1 du Code civil. Désormais, le divorce prenait effet à la date de l’ordonnance de non-conciliation (ONC), et non plus à la date de la demande en divorce.

Cette réforme a marqué une rupture importante avec le régime antérieur :

  • L’indivision post-communautaire ne prenait naissance qu’à compter de l’ordonnance de non-conciliation, soit un stade avancé de la procédure où le juge statuait sur des mesures provisoires.
  • Dès lors, les conditions d’attribution préférentielle devaient être réunies à la date de l’ONC, et non plus à la date de la demande en divorce.
  • Cette solution se justifiait par le fait que l’ONC marquait le premier contrôle judiciaire de la séparation des époux, rendant plus cohérent le choix de cette date pour fonder les droits des parties sur les biens communs.

Néanmoins, cette réforme n’a pas totalement figé la prise d’effet du divorce sur le régime matrimonial. L’article 262-1 du Code civil instaurait une exception permettant aux époux de solliciter du juge la fixation d’une date distincte, en considération des circonstances propres à leur situation. Cette faculté, largement mobilisée dans les divorces contentieux, offrait une souplesse bienvenue, notamment lorsque l’un des conjoints parvenait à démontrer qu’un décalage de la date de dissolution du régime matrimonial garantirait une répartition plus équitable du patrimoine commun.

La réforme du divorce du 23 mars 2019, entrée en vigueur le 1er janvier 2021, a de nouveau modifié le régime applicable à la prise d’effet du divorce sur les biens des époux. Elle a supprimé l’ordonnance de non-conciliation et a rétabli le principe selon lequel la dissolution du régime matrimonial intervient à la date de la demande en divorce (assignation ou requête conjointe).

L’article 262-1 du Code civil, dans sa version actuelle, prévoit que la dissolution du régime matrimonial prend effet à la date de l’assignation en divorce, sauf disposition contraire adoptée par les époux ou décision du juge.

L’indivision post-communautaire est donc figée à cette date, et les conditions de l’attribution préférentielle doivent être remplies à ce moment-là.

Toutefois, les époux conservent la possibilité de convenir d’une date différente, en vertu de l’article 265-2 du Code civil.

Le juge peut également fixer une autre date si des circonstances exceptionnelles le justifient, notamment en cas de rupture de la vie commune bien avant l’introduction de la procédure.

Cette réforme vise à simplifier et sécuriser la prise d’effet du divorce sur les biens des époux. En supprimant l’ONC et en rétablissant un critère fixe pour l’indivision post-communautaire, elle permet d’éviter les incertitudes qui existaient auparavant et de donner une plus grande prévisibilité aux époux souhaitant organiser le partage de leurs biens.

L’évolution du régime encadrant la prise d’effet du divorce a profondément influencé les conditions d’exercice de l’attribution préférentielle, témoignant d’une oscillation entre rigidité et souplesse au fil des réformes :

  • Avant 2006, les conditions d’attribution préférentielle devaient être réunies dès la date de la demande en divorce. Cette approche, bien que simple dans son application, s’avérait souvent inadaptée aux fluctuations de la situation patrimoniale des époux au cours de la procédure.
  • Entre 2006 et 2019, l’instauration d’un critère fondé sur l’ordonnance de non-conciliation a permis de reporter l’appréciation des conditions d’attribution préférentielle à un stade plus avancé de la procédure. Ce mécanisme offrait ainsi une certaine souplesse, en tenant compte de l’évolution de la situation patrimoniale des époux après l’introduction de la demande en divorce. Toutefois, cette approche s’accompagnait d’un inconvénient majeur : l’incertitude résultant des délais parfois longs séparant la requête initiale de cette ordonnance, rendant la prévisibilité des droits patrimoniaux plus complexe.
  • Depuis 2019, la réforme a marqué un retour à une date unique, celle de la demande en divorce. Cette solution, plus lisible, garantit une meilleure prévisibilité aux parties. Toutefois, elle n’exclut pas toute modulation, les époux conservant la faculté de convenir d’une date différente par convention, ou de solliciter du juge une adaptation en fonction des circonstances particulières du litige.

Dans ce contexte, la question de l’attribution préférentielle doit être envisagée dès l’engagement de la procédure de divorce. L’époux demandeur doit s’assurer qu’il satisfait aux conditions légales dès l’assignation, faute de quoi sa demande risque d’être rejetée, en raison de l’absence de fondement juridique à la date de référence retenue pour l’ouverture de l’indivision post-communautaire.

c. L’indivision post-sociétaire

L’attribution préférentielle, bien ancrée dans le droit des successions et des régimes matrimoniaux, trouve également à jouer dans le cadre du partage des sociétés dissoutes. Toutefois, son application soulève des interrogations en raison de la nature particulière de l’indivision post-sociétaire. Dès lors que l’actif social subsiste après extinction du passif, les associés deviennent indivisaires sur ces biens et peuvent prétendre à leur attribution sous certaines conditions.

i. Reconnaissance

Avant son encadrement législatif, l’attribution préférentielle appliquée aux sociétés en liquidation suscitait de vives incertitudes. En effet, si l’ancien article 1872 du Code civil prévoyait que les règles du partage successoral s’appliquaient aux sociétés en liquidation, il demeurait silencieux quant à la possibilité d’étendre l’attribution préférentielle aux parts sociales ou aux actions. Or, ce mécanisme, conçu à l’origine pour préserver l’unité économique des exploitations agricoles et des entreprises individuelles, se heurtait à la spécificité des sociétés, entités juridiquement distinctes de leurs associés.

Dans cette incertitude, la Cour de cassation a progressivement admis la possibilité de transposer l’attribution préférentielle aux sociétés en liquidation. Un arrêt du 4 novembre 1983 en fournit une illustration: elle y reconnaît qu’un associé peut prétendre à l’attribution préférentielle des droits sociaux dans le cadre du partage d’une société constituée entre concubins. La Haute juridiction considère alors que l’expression « conjoint survivant ou tout héritier », utilisée dans l’ancien article 832 du Code civil, pouvait être interprétée de manière extensive afin d’inclure les associés partageant un intérêt patrimonial commun (Cass. 1ère civ., 4 nov. 1983, n°82-12.450). Cette lecture audacieuse visait à éviter le morcellement des parts sociales et à préserver la continuité de l’exploitation économique, mais elle restait fragile, faute de fondement textuel explicite.

L’intervention du législateur a finalement permis de dissiper ces incertitudes. La loi du 4 janvier 1978 a consacré à l’article 1844-9 du Code civil un principe général de transposition des règles successorales aux partages entre associés, en affirmant que « les règles concernant le partage des successions, y compris l’attribution préférentielle, s’appliquent aux partages entre associés ». Cette reconnaissance législative a mis un terme aux hésitations doctrinales et jurisprudentielles en érigeant l’attribution préférentielle en droit commun du partage de l’indivision post-sociétaire.

Ce dispositif a été consolidé par la loi du 20 juillet 1982, qui a expressément étendu l’attribution préférentielle aux droits sociaux des exploitations agricoles et des entreprises à caractère familial. Cette évolution traduit la volonté du législateur d’assurer la continuité des structures économiques, en permettant à un associé d’hériter des droits sociaux nécessaires à la poursuite de l’activité.

Désormais, un associé peut solliciter l’attribution préférentielle lors du partage de l’actif subsistant d’une société, sous réserve des aménagements éventuellement prévus dans les statuts ou dans un pacte d’associés. Toutefois, si cette faculté constitue une avancée majeure en matière de transmission d’entreprise, elle demeure encadrée par le droit des sociétés, notamment par les clauses d’agrément ou de continuation qui peuvent restreindre sa mise en œuvre.

ii. Domaine d’application

L’attribution préférentielle peut s’exercer dans deux hypothèses bien distinctes : avant la dissolution de la société, lorsqu’il s’agit d’obtenir les droits sociaux d’un associé décédé ou sortant, et après sa dissolution, lorsque le partage de l’actif social subsistant est engagé.

==>L’attribution préférentielle avant la dissolution de la société

Tant que la société est en activité, le mécanisme d’attribution préférentielle peut s’appliquer aux parts ou actions détenues par un associé défunt ou sortant. Depuis la loi du 23 juin 2006, l’article 832 du Code civil utilise le terme « droits sociaux » au lieu de « parts sociales », afin d’inclure toutes les formes de sociétés, qu’elles soient commerciales, artisanales, agricoles ou libérales.

Ce mécanisme permet d’éviter l’entrée d’un tiers dans la société ou la vente de participations à des personnes extérieures. Il constitue une modalité privilégiée de maintien de l’unité économique de l’entreprise en assurant sa transmission entre associés légitimes.

==>L’attribution préférentielle après la dissolution de la société

Une fois la société dissoute, l’attribution préférentielle peut porter sur les biens en nature figurant dans l’actif subsistant. En application de l’article 1844-9 du Code civil, cette possibilité est néanmoins subordonnée à trois conditions:

  • L’extinction du passif social : le partage ne peut intervenir qu’après désintéressement des créanciers sociaux.
  • Le maintien en nature du bien convoité : l’attribution préférentielle ne peut jouer que sur des biens qui se retrouvent dans la masse à partager.
  • L’absence de clause contraire : les statuts ou une décision des associés peuvent aménager la répartition de l’actif et restreindre l’application du droit commun.

À noter que l’article 1844-9 du Code civil prévoit un ordre de priorité : l’associé qui retrouve son apport en nature bénéficie d’un droit d’attribution avant toute autre demande d’attribution préférentielle. Cette faculté, qui s’exerce moyennant le paiement d’une éventuelle soulte, prime sur les autres demandes émanant des coassociés.

iii. Conditions

Si la loi reconnaît désormais le principe de l’attribution préférentielle post-sociétaire, la jurisprudence demeure prudente quant aux conditions exigées du demandeur. 

Deux courants s’opposent:

  • Une interprétation restrictive voudrait que seules les personnes remplissant les conditions posées par l’article 831 du Code civil puissent se prévaloir de ce droit, c’est-à-dire les héritiers ou le conjoint survivant d’un associé défunt. Cette lecture limiterait considérablement la portée de l’article 1844-9 et exclurait toute application en dehors des hypothèses successorales.
  • Une interprétation extensive, plus conforme à l’esprit du texte, considère que l’attribution préférentielle est un simple mécanisme de partage et non un droit exclusivement successoral. Elle repose sur la seule qualité de copropriétaire de l’actif social, et non sur la vocation successorale du demandeur. En ce sens, un associé souhaitant obtenir l’attribution préférentielle d’un bien figurant dans l’actif social indivis pourrait le solliciter, qu’il soit héritier ou non.

La jurisprudence récente semble s’orienter vers cette seconde approche. Dans un arrêt du 30 mai 2006, la Cour de cassation a appliqué l’article 1844-9 à une indivision issue de la liquidation d’une société entre concubins, admettant ainsi que la seule qualité d’associé permettait de revendiquer l’attribution préférentielle d’un bien appartenant à l’actif social indivis (Cass. 1ère civ., 30 mai 2006, n°04-14.749).

Cette évolution s’inscrit dans une logique pragmatique : dès lors qu’un bien demeure en indivision après la dissolution d’une société, il doit pouvoir être attribué à l’un des indivisaires qui justifie d’un intérêt légitime à le conserver. L’article 1844-9 du Code civil prend ainsi toute sa mesure en garantissant la pérennité des entreprises dissoutes et en favorisant la transmission des biens professionnels ou agricoles.

d. L’indivision conventionnelle

L’indivision conventionnelle occupe une place singulière dans le régime de l’attribution préférentielle. À la différence des indivisions successorales ou post-communautaires, qui résultent d’un fait juridique échappant à la volonté des parties, elle procède d’un accord entre les indivisaires, rendant ainsi plus incertaine l’application de ce mécanisme dérogatoire au principe du partage égalitaire.

Traditionnellement, la jurisprudence a adopté une lecture restrictive, refusant de reconnaître l’attribution préférentielle dans les indivisions résultant d’un acte de volonté des parties. Cette position trouve son fondement dans l’idée que les indivisaires, en choisissant de se placer sous un régime d’indivision conventionnelle, disposent d’une pleine liberté pour organiser la sortie d’indivision. Il leur appartient, dès la conclusion de l’acte, de prévoir les conditions de répartition des biens en cas de partage. Ainsi, lorsqu’un bien est acquis conjointement par des indivisaires qui n’ont pas de lien successoral ou matrimonial, la faculté d’attribution préférentielle ne saurait être imposée à l’un d’eux au détriment des autres (Cass. 1ère civ., 13 janv. 1969).

Cette rigueur jurisprudentielle se justifiait par la nécessité de préserver le principe d’égalité entre les coïndivisaires et d’éviter qu’un indivisaire ne puisse s’imposer unilatéralement aux autres. L’argument tiré de l’origine volontaire de l’indivision justifiait alors l’exclusion de l’attribution préférentielle, qu’il s’agisse d’un achat en indivision, d’une donation conjointe ou encore d’un partage amiable laissant subsister une indivision.

Toutefois, cette position a progressivement évolué, notamment lorsqu’il s’agit d’indivisions présentant une dimension familiale. La Cour de cassation a amorcé une inflexion en admettant que certaines indivisions conventionnelles puissent relever du champ de l’attribution préférentielle dès lors qu’elles conservent un lien étroit avec une indivision successorale ou matrimoniale.

Dans un arrêt du 7 juin 1988, elle a ainsi reconnu qu’un bien acquis indivisément par des concubins avant leur mariage pouvait faire l’objet d’une attribution préférentielle au profit de l’un des ex-époux lors du divorce, à la condition que ce bien ait constitué le domicile conjugal et que le mariage ait été conclu sous le régime de la communauté légale (Cass. 1ère civ., 7 juin 1988, n°86-15.090). 

En l’espèce, les anciens époux avaient acquis en indivision un appartement avant leur union, chacun pour moitié. Après leur mariage sous le régime de la communauté légale, ce bien avait été affecté à leur domicile conjugal. Lors de la liquidation de la communauté, à la suite du divorce, l’ex-épouse, qui y résidait toujours, sollicitait l’attribution préférentielle du bien indivis. La cour d’appel rejeta cette demande, au motif que l’acquisition était intervenue avant le mariage et que les parties ne s’étaient pas mariées sous le régime de la séparation de biens.

Censurant cette décision, la Cour de cassation rappela que l’attribution préférentielle pouvait être demandée dans le cadre du partage des indivisions de nature familiale, y compris lorsque l’indivision avait une origine conventionnelle antérieure au mariage. Elle consacra ainsi une approche fonctionnelle, tenant compte de la vocation familiale du bien au moment du partage et non de sa seule origine juridique.

Cette décision marque une évolution jurisprudentielle en faveur d’une conception élargie de l’attribution préférentielle, qui ne se limite plus aux seules indivisions successorales ou post-communautaires, mais peut également s’étendre à certaines indivisions conventionnelles, dès lors que leur finalité s’apparente à celle des autres catégories d’indivision bénéficiant de ce mécanisme.

Un autre arrêt, rendu par le Première chambre civile le 21 septembre 2016, est venu confirmer cette évolution (Cass. 1ère civ., 21 sept. 2016, n°15-24.683). En l’espèce, à la suite du décès de leurs parents, plusieurs héritiers avaient procédé à un partage amiable de la succession, dans le cadre duquel certains biens immobiliers avaient été attribués en indivision à deux d’entre eux. Quelques années plus tard, l’un des coïndivisaires sollicita le partage de ces parcelles agricoles et demanda, à cette occasion, leur attribution préférentielle. Son coïndivisaire s’y opposa, soutenant que l’indivision ne relevait pas des règles successorales stricto sensu, mais d’un accord contractuel issu de leur partage amiable.

La Cour de cassation rejeta cet argument et confirma la décision des juges du fond ayant fait droit à la demande d’attribution préférentielle. Elle affirma que l’attribution préférentielle pouvait être demandée dans le partage des indivisions de nature familiale, même lorsqu’elles trouvaient leur origine dans un pacte conventionnel. Ce faisant, elle consacra une analyse pragmatique de la notion d’indivision successorale, en retenant que la qualification d’indivision familiale ne dépendait pas uniquement de son mode de constitution, mais aussi de sa finalité et de son rattachement à une transmission patrimoniale entre héritiers.

Cet arrêt s’inscrit dans le prolongement d’une tendance jurisprudentielle visant à ne plus exclure systématiquement du champ de l’attribution préférentielle les indivisions conventionnelles, dès lors qu’elles conservent une vocation successorale. Il illustre ainsi la volonté des juges d’adapter le droit du partage aux réalités patrimoniales contemporaines, en prenant en compte la continuité des liens familiaux dans la gestion des biens indivis.

Malgré ces évolutions, la jurisprudence continue d’opérer une distinction nette entre les indivisions présentant une dimension familiale et les indivisions purement contractuelles.

D’un côté, les indivisions successorales et celles qui trouvent leur origine dans un cadre familial bénéficient d’un assouplissement progressif, qui traduit une volonté de préserver la stabilité patrimoniale et la continuité des biens au sein du cercle familial. Cet élargissement jurisprudentiel permet d’éviter une licitation systématique des biens et favorise le maintien de certaines unités économiques ou familiales essentielles.

D’un autre côté, les indivisions strictement contractuelles demeurent exclues du champ de l’attribution préférentielle, la jurisprudence considérant que l’autonomie des parties doit être préservée. Ainsi, un bien acquis en indivision par deux associés commerciaux ou par des concubins sans lien successoral ou matrimonial demeure soumis au principe de partage égalitaire, sans possibilité pour l’un des indivisaires d’imposer une attribution préférentielle à l’autre.

L’orientation actuelle du droit semble donc marquée par un équilibre entre, d’une part, la reconnaissance d’une protection accrue pour les indivisions à vocation familiale et, d’autre part, la préservation de l’autonomie contractuelle dans les indivisions purement volontaires.

Si la tendance jurisprudentielle actuelle tend à élargir le champ d’application de l’attribution préférentielle, elle demeure soumise à des limites strictes. Toute évolution future supposerait une intervention législative pour clarifier les conditions d’application de ce mécanisme aux indivisions conventionnelles.

En l’état, la Cour de cassation a exclu toute application automatique de l’attribution préférentielle aux indivisions nées d’une convention, sauf si elles présentent un lien avéré avec une indivision successorale ou matrimoniale. Cette position permet d’éviter que l’attribution préférentielle ne devienne un instrument d’ingérence unilatérale dans des relations purement contractuelles, tout en assurant une protection adaptée aux situations où le maintien en indivision répond à des impératifs familiaux ou patrimoniaux.

Il n’est pas exclu que, dans les années à venir, une nouvelle inflexion soit opérée, notamment pour les indivisions conventionnelles conclues entre membres d’une même famille. Une reconnaissance plus large de l’attribution préférentielle pourrait alors s’inscrire dans une logique d’adaptation du droit des biens aux mutations contemporaines des structures familiales et patrimoniales. Toutefois, toute évolution en ce sens devra veiller à préserver l’équilibre entre protection des indivisaires et respect du principe de liberté contractuelle.

B) Limites

Bien que la jurisprudence ait progressivement assoupli les conditions d’octroi de l’attribution préférentielle, son application demeure encadrée par certaines restrictions. 

Deux obstacles majeurs subsistent en la matière : d’une part, la complexité résultant des indivisions mixtes, où la superposition de plusieurs masses patrimoniales rend l’attribution préférentielle plus incertaine ; d’autre part, le statut des partenaires pacsés et des concubins, ces derniers étant exclus du dispositif en l’absence d’un cadre légal spécifique.

1. Les indivisions mixtes

Lorsqu’un bien relève simultanément de plusieurs indivisions distinctes – par exemple, à la fois d’une indivision successorale et d’une indivision post-communautaire – la situation se complexifie. En principe, le demandeur à l’attribution préférentielle doit détenir des droits indivis dans l’ensemble des masses concernées. À défaut, sa demande peut être rejetée.

Dans un arrêt rendu le 15 janvier 2014, la Cour de cassation a rappelé que l’attribution préférentielle d’un bien indivis suppose que le demandeur détienne des droits indivis sur l’intégralité des masses concernées (Cass. 1ère civ., 15 janv. 2014, n° 12-25.322). En l’espèce, un immeuble dépendait à la fois d’une indivision successorale et d’une indivision comprenant un tiers, en l’occurrence une société. L’un des indivisaires, occupant le bien et souhaitant en obtenir l’attribution préférentielle, ne justifiait cependant de droits indivis que dans l’indivision successorale et non dans l’indivision incluant la société.

La Haute juridiction a rejeté sa demande en affirmant que l’attribution préférentielle ne peut être accordée lorsque le bien appartient indivisément aux héritiers et à un tiers. Cette décision repose sur une exigence fondamentale : le partage ne saurait affecter les droits d’un indivisaire extérieur à la masse successorale. Autrement dit, il est impossible d’imposer à un coïndivisaire une cession de ses droits lorsque le demandeur n’est pas engagé dans la même indivision.

Ce principe illustre la volonté du juge de préserver la cohérence des partages en évitant toute interférence entre différentes masses patrimoniales. Ainsi, l’attribution préférentielle, qui constitue une modalité dérogatoire du partage, ne peut jouer qu’au sein d’une indivision homogène, à l’exclusion des situations où la coexistence de plusieurs indivisions rendrait son application incohérente.

2. Le traitement différencié des partenaires et des concubins

Une autre limite à l’attribution préférentielle tient au statut du demandeur, notamment lorsqu’il s’agit d’un partenaire pacsé ou d’un concubin.

La loi du 15 novembre 1999, instaurant le pacte civil de solidarité, a initialement laissé les partenaires en dehors du dispositif de l’attribution préférentielle. Ce n’est qu’avec la loi du 23 juin 2006 que l’article 515-6 du Code civil leur a conféré un droit d’attribution préférentielle, calqué sur celui reconnu aux époux et aux héritiers. Désormais, un partenaire survivant peut, dans le cadre d’un partage successoral, demander l’attribution préférentielle du logement qu’il occupait avec le défunt. Toutefois, ce droit reste subordonné aux mêmes conditions que celles imposées aux héritiers et ne s’applique qu’en présence d’une indivision successorale.

À l’inverse, les concubins demeurent exclus de ce dispositif. En l’état du droit positif, un concubin survivant ne peut pas solliciter l’attribution préférentielle d’un bien indivis, même s’il constituait son domicile principal. Cette exclusion repose sur l’absence de cadre juridique spécifique au concubinage, qui reste une union de fait, laquelle n’emporte aucun effet juridique spécifique.

Toutefois, une exception existe : lorsqu’il est démontré que les concubins ont constitué une société créée de fait, l’attribution préférentielle peut, dans certains cas, être envisagée. La Cour de cassation a notamment admis, dans un arrêt du 26 septembre 2012, que la reconnaissance d’une société créée de fait entre concubins pouvait permettre à l’un d’eux de revendiquer certains droits patrimoniaux sur un bien indivis (Cass. 1ère civ., 26 sept. 2012, n°11-12.838). Cette solution reste toutefois exceptionnelle et suppose d’apporter la preuve de l’existence d’une véritable volonté de partager les pertes et les bénéfices et d’un affectio societatis.

L’exclusion des concubins du bénéfice de l’attribution préférentielle pourrait néanmoins faire l’objet d’évolutions futures, à mesure que le concubinage tend à se rapprocher juridiquement du PACS. L’harmonisation des régimes patrimoniaux de ces différentes unions, déjà amorcée en matière de droits successoraux, pourrait conduire à une extension progressive du champ d’application de l’attribution préférentielle aux concubins, notamment lorsqu’un bien indivis constituait leur résidence principale.

II) Conditions de l’attribution préférentielle

A) Conditions relatives aux biens

L’attribution préférentielle, telle qu’organisée par les articles 831 et suivants du Code civil, vise à assurer la stabilité économique et patrimoniale en permettant à certains indivisaires d’obtenir la propriété exclusive de biens répondant à des besoins professionnels, familiaux ou agricoles. D’abord instaurée dans une perspective essentiellement agricole, afin de favoriser la transmission des petites et moyennes exploitations familiales, elle a progressivement été étendue à d’autres catégories de biens considérées comme essentielles à la pérennité économique et sociale du copartageant demandeur.

Aujourd’hui, le législateur a dressé une liste limitative des biens pouvant faire l’objet d’une attribution préférentielle. Ce dispositif permet ainsi d’assurer, au profit du demandeur, la propriété exclusive de certains biens répondant à des impératifs économiques, professionnels ou résidentiels, dès lors qu’ils sont jugés indispensables à l’exercice d’une activité ou au maintien d’un cadre de vie stable. Tous les biens qui ne figurent pas dans cette liste relèvent du droit commun du partage et ne peuvent être attribués par préférence à l’un des indivisaires, quelles que soient les circonstances de la cause.

L’analyse des textes applicables et de la jurisprudence permet de regrouper ces biens en fonction de deux critères : la nature du bien (immeubles, mobiliers, droits sociaux) et sa destination (résidentielle, professionnelle ou agricole). Ce classement met en lumière la logique sous-jacente à ce mécanisme : assurer la conservation des biens présentant une affectation particulière et éviter leur dispersion en cas de partage successoral ou d’indivision post-communautaire.

1. Les biens liés à l’habitat familial

Les règles encadrant l’attribution préférentielle confèrent une protection particulière au logement occupé par le conjoint survivant ou un héritier copropriétaire, garantissant ainsi la préservation du cadre de vie du demandeur et la continuité de ses conditions d’existence. Cette prérogative, prévue à l’article 831-2, 1° du Code civil, vise à éviter qu’un indivisaire ayant résidé durablement dans un bien indivis ne se retrouve contraint d’en quitter les lieux à la suite du partage.

Il ressort de la jurisprudence que cette protection ne s’étend qu’à la résidence principale du demandeur, à l’exclusion des résidences secondaires ou des locaux occupés de manière occasionnelle. Elle peut s’accompagner de l’attribution des meubles meublants garnissant le bien, ainsi que du véhicule du défunt, à condition que celui-ci soit nécessaire aux besoins de la vie courante.

a. La propriété ou le droit au bail du logement familial

L’attribution préférentielle du logement familial permet au conjoint survivant ou à l’héritier copropriétaire de se voir attribuer, par voie de partage, soit la pleine propriété du bien, soit le droit au bail y afférent, afin de garantir la continuité de ses conditions d’existence. Cette prérogative, consacrée par l’article 831-2, 1° du Code civil, repose sur l’idée que le maintien du bénéficiaire dans son cadre de vie habituel est un impératif supérieur, justifiant qu’il soit préféré aux autres indivisaires lors du partage.

La distinction entre propriété et droit au bail revêt une importance déterminante, l’attribution préférentielle ne pouvant porter que sur le titre juridique détenu par le défunt au jour du décès. Selon que l’immeuble était détenu en indivision ou loué par le défunt, les conséquences de l’attribution préférentielle seront radicalement différentes.

i. L’attribution préférentielle de la propriété du logement familial

==>Principe

L’attribution préférentielle permet à un indivisaire de devenir propriétaire exclusif du logement familial, sous réserve du paiement d’une éventuelle soulte si la valeur du bien excède ses droits dans l’indivision (art. 831-2, 1 C. civ.).

Lorsque le bien convoité appartient en pleine propriété à l’indivision successorale, l’attribution préférentielle permet au bénéficiaire d’échapper aux aléas du partage en obtenant un droit exclusif sur le logement familial. Il se substitue aux autres indivisaires et devient pleinement propriétaire du bien, ce qui lui confère :

  • Un droit d’usage et de disposition exclusif, lui permettant d’occuper, de louer ou de vendre le bien sans l’accord des autres indivisaires ;
  • L’obligation d’assumer toutes les charges afférentes à l’entretien et à la conservation du bien ;
  • Une obligation éventuelle de verser une soulte aux autres indivisaires si la valeur du bien attribué dépasse ses droits dans la succession.

L’attribution préférentielle poursuit un objectif de stabilité familiale et patrimoniale. Il s’agit d’éviter que le conjoint survivant ou un héritier copropriétaire ne soit contraint de quitter brutalement un logement qu’il occupait déjà de manière effective.

Si l’attribution préférentielle garantit une protection renforcée, elle n’est cependant pas automatique. Le législateur a posé une exigence stricte d’occupation effective du logement par le demandeur, condition sine qua non du bénéfice de ce mécanisme.

Ainsi, la loi ne vise pas un simple bien à usage d’habitation, mais exige que le demandeur y ait eu sa résidence à l’époque du décès et que le logement « lui serve effectivement d’habitation » (art. 831-2, 1° C. civ.).

La Cour de cassation a rappelé cette exigence dans un arrêt du 1er juillet 1997, écartant toute possibilité d’attribution préférentielle pour une résidence secondaire ou un bien dans lequel le demandeur ne faisait que des séjours occasionnels (Cass. 1ère civ., 1er juill. 1997, n°95-12.263). Cette solution est conforme à la finalité de l’institution : assurer la continuité du cadre de vie, et non conférer un avantage patrimonial qui serait déconnecté de toute nécessité d’usage.

Dès lors, seul le logement occupé à titre principal par le demandeur peut faire l’objet d’une attribution préférentielle, à l’exclusion des résidences secondaires, des biens vacants ou des locaux utilisés de manière intermittente. Cette exigence est d’autant plus stricte que l’attribution préférentielle constitue une modalité particulière de partage, impliquant un dessaisissement forcé des autres indivisaires. Il appartient dès lors au juge d’exercer une appréciation rigoureuse des conditions d’habitation du demandeur afin de ne pas dénaturer le mécanisme.

Toutefois, l’impératif de préservation du logement familial trouve son expression la plus aboutie lorsque le conjoint survivant est concerné. La protection qui lui est conférée s’exerce avec une particulière intensité, puisque l’article 831-3 du Code civil lui accorde un droit d’attribution préférentielle de plein droit : « l’attribution préférentielle visée au 1° de l’article 831-2 est de droit pour le conjoint survivant. »

Il en résulte que le juge ne peut refuser l’attribution préférentielle au conjoint survivant, sauf si celui-ci y renonce expressément. Ce droit automatique traduit la volonté du législateur de préserver l’équilibre familial et la sécurité du conjoint après le décès du de cujus.

À l’inverse, pour les héritiers autres que le conjoint survivant, l’attribution préférentielle demeure facultative. Elle ne peut être accordée que s’ils justifient d’un besoin légitime d’occupation et d’une continuité d’usage avérée du bien. Cette distinction reflète l’approche différenciée retenue par le législateur, qui réserve aux époux un régime protecteur renforcé, tout en maintenant une certaine souplesse pour les autres cohéritiers.

==>Limites

Si l’attribution préférentielle constitue une modalité protectrice du partage successoral, elle ne saurait pour autant être détournée à des fins d’éviction des autres indivisaires ou de captation abusive du patrimoine. Dès lors, la jurisprudence a institué trois principales limites à son exercice :

  • Première limite
    • L’attribution préférentielle ne peut porter que sur le logement familial et ne s’étend pas aux autres locaux situés dans le même immeuble, sauf s’ils sont indissociables du logement.
    • Ainsi, un immeuble comprenant plusieurs parties distinctes, notamment des locaux commerciaux, professionnels ou indépendants, ne peut être attribué en totalité, sauf si ces locaux forment un tout indivisible (Cass. 1ère civ. 1er mars 1988, n°86-13.110).
    • Pour exemple, un héritier occupant un appartement dans un immeuble comprenant également des bureaux et des commerces ne pourra obtenir l’attribution de l’ensemble du bien que s’il prouve l’impossibilité de dissocier les espaces sans compromettre l’intégrité de l’immeuble. À défaut, seul le logement occupé sera attribué, les autres locaux étant soumis aux règles classiques du partage successoral.
    • Cette limitation s’applique également aux annexes et dépendances (garage, cave, jardin), qui ne peuvent être comprises dans l’attribution que si elles sont strictement nécessaires à l’usage normal du bien principal. Une analyse au cas par cas est requise pour apprécier si ces éléments sont accessoires ou détachables du logement.
  • Deuxième limite
    • L’attribution préférentielle ne peut être sollicitée que sur un bien relevant intégralement de l’indivision successorale.
    • Dès lors, si le bien est détenu en indivision avec un tiers extérieur à la succession, l’attribution préférentielle devient impossible.
    • Dans une affaire où un immeuble appartenait pour partie aux héritiers et pour partie à une société tierce, la Cour de cassation a refusé l’attribution préférentielle, considérant que le bien ne faisait pas intégralement partie du patrimoine successoral (Cass. 1ère civ. 15 janv. 2014, n°12-25.322 et 12-26.460).
    • Cette restriction découle du principe selon lequel l’attribution préférentielle est une modalité du partage successoral, lequel suppose une répartition des biens entre cohéritiers. Il n’est pas possible d’imposer à un tiers une cession forcée de ses droits dans l’indivision.
    • Ainsi, lorsqu’un bien est détenu en indivision avec une personne étrangère à la succession, l’attribution préférentielle ne peut être exercée que si le demandeur parvient à acquérir la quote-part du tiers par voie amiable. À défaut, le bien demeure soumis au régime de l’indivision classique et doit être partagé conformément aux règles ordinaires.
  • Troisième limite
    • L’attribution préférentielle ne doit pas être confondue avec un simple droit d’occupation. 
    • Un indivisaire ne peut pas demander l’attribution préférentielle sous la forme d’un bail sur le bien indivis, en tentant d’en éviter les charges afférentes.
    • Ainsi, un héritier ne saurait réclamer une simple jouissance du logement en demandant à se voir attribuer un bail au lieu d’en devenir propriétaire.
    • La raison en est que l’attribution préférentielle constitue une modalité de partage successoral. Elle implique que l’attributaire devienne pleinement propriétaire du bien concerné et en assume les charges patrimoniales.
    • Or, si le logement familial fait partie de l’indivision successorale en pleine propriété, un indivisaire ne peut pas contourner ce mécanisme en sollicitant un simple bail sur le bien indivis au lieu d’en devenir propriétaire.

ii. L’attribution préférentielle du droit au bail du logement familial

Lorsqu’un logement familial ne relève pas de l’actif successoral en pleine propriété mais repose sur un contrat de bail, l’attribution préférentielle ne porte pas sur la propriété du bien, mais sur le droit locatif qui y est attaché.

Ce mécanisme a pour finalité d’assurer la continuité de l’occupation du logement familial, en évitant que le décès du preneur ne conduise à l’éviction du conjoint survivant ou de l’héritier occupant. Il s’inscrit ainsi dans la même logique de protection que l’attribution préférentielle de la propriété du logement, tout en répondant aux spécificités du régime locatif.

Toutefois, l’attribution préférentielle du droit au bail obéit à des règles distinctes et demeure encadrée par des principes stricts afin de garantir l’équilibre du partage successoral et d’éviter tout détournement du mécanisme à des fins de captation du patrimoine.

==>Principe

L’article 1742 du Code civil prévoit que « le contrat de louage n’est point résolu par la mort du bailleur ni par celle du preneur. »

Il ressort de cette disposition que le décès du preneur n’entraîne pas l’extinction automatique du bail, qui se poursuit de plein droit au bénéfice de ses héritiers. Toutefois, cette transmission successorale du bail ne signifie pas que l’ensemble des héritiers deviennent cotitulaires du bail de manière indifférenciée. Il appartient en effet à ceux qui souhaitent conserver le logement d’en solliciter l’attribution préférentielle, afin de bénéficier d’un droit exclusif sur le bien locatif.

Toutefois, les modalités de cette transmission varient selon la situation juridique du logement et la qualité des personnes concernées.

En effet, l’attribution préférentielle du droit au bail n’est pas automatique : elle doit être demandée par l’un des héritiers ou par le conjoint survivant, et son octroi est conditionné à la démonstration d’un intérêt légitime à se maintenir dans les lieux.

Deux hypothèses doivent être distinguées :

  • Le défunt était le seul preneur du bail
    • Dans cette configuration, le droit au bail entre dans l’actif successoral et peut faire l’objet d’une demande d’attribution préférentielle au profit d’un héritier ou du conjoint survivant.
    • Celui qui sollicite l’attribution doit démontrer :
      • Qu’il résidait effectivement dans le logement au moment du décès,
      • Que cette occupation présente un caractère stable et permanent,
      • Qu’il dispose d’un intérêt légitime à s’y maintenir, notamment en raison de l’absence d’autre solution d’hébergement ou de son attachement particulier au bien.
    • L’octroi de l’attribution préférentielle dans ce cadre ne constitue pas un droit absolu et reste soumis à l’appréciation souveraine des juges du fond, qui examinent les circonstances de chaque espèce.
  • Le défunt et son conjoint étaient cotitulaires du bail
    • Lorsque le bail était consenti au nom des deux époux, la situation est radicalement différente : dans ce cas, le conjoint survivant bénéficie de plein droit du bail, sans qu’il ait besoin d’invoquer l’attribution préférentielle.
    • Ce principe découle de l’article 1751 du Code civil, qui dispose que « le droit au bail du local, sans caractère professionnel ou commercial, qui sert effectivement à l’habitation de deux époux est réputé appartenir à l’un et à l’autre des époux. En cas de décès de l’un des époux, le conjoint survivant cotitulaire du bail dispose d’un droit exclusif sur celui-ci, sauf s’il y renonce expressément. »
    • Ainsi, dans cette hypothèse, le droit au bail n’entre pas dans l’actif successoral, mais est automatiquement transféré au conjoint survivant, qui en devient l’unique titulaire sans qu’aucune démarche supplémentaire ne soit requise.

==>Limites

Si l’attribution préférentielle du droit au bail constitue un mécanisme essentiel de protection du cadre de vie du conjoint survivant ou de l’héritier copropriétaire, elle ne saurait être exercée sans restriction. Plusieurs limites viennent encadrer son application, afin de préserver l’équilibre du partage successoral et d’éviter toute captation abusive du bien concerné.

  • Première limite
    • Contrairement au conjoint marié ou au partenaire pacsé, qui bénéficient d’un droit exclusif sur le bail en vertu de l’article 1751 du Code civil, le concubin survivant ne dispose d’aucun droit automatique à la poursuite du bail du défunt.
    • Ainsi, à défaut de cotitularité expresse du contrat de bail ou d’une clause spécifique de transmission au profit du survivant, le concubin doit impérativement formuler une demande d’attribution préférentielle, laquelle demeure soumise à l’appréciation souveraine des juges du fond.
    • Toutefois, en pratique, la jurisprudence se montre particulièrement rigoureuse et rechigne à conférer au concubin un statut équivalent à celui du conjoint survivant. 
    • L’attribution préférentielle ne peut être accordée qu’en présence de circonstances exceptionnelles, et ne saurait pallier l’absence de protection légale spécifique des concubins en matière successorale.
  • Deuxième limite
    • L’attribution préférentielle repose sur l’idée que les biens successoraux doivent être répartis entre les seuls cohéritiers.
    • Dès lors, lorsque la propriété du logement familial est détenue en indivision avec un tiers extérieur à la succession, l’attribution préférentielle devient inopérante.
    • Dans une telle hypothèse, l’attribution du droit au bail reviendrait à imposer au tiers propriétaire une cession forcée de ses droits, ce qui est contraire aux principes fondamentaux du droit des biens et de l’indivision.
    • La Cour de cassation, dans un arrêt du 15 janvier 2014 a expressément écarté l’attribution préférentielle du droit au bail dans une affaire où un bien indivis était détenu à la fois par les héritiers et une société tierce (Cass. 1ère civ. 15 janv. 2014, n°12-25.322 et 12-26.460).
    • La Haute juridiction a rappelé que l’attribution préférentielle suppose que le bien convoité appartienne exclusivement aux cohéritiers, et qu’elle ne saurait être utilisée pour contourner les droits d’un tiers copropriétaire.

En définitive, l’attribution préférentielle ne peut être invoquée que pour répondre à un besoin légitime d’occupation, et non dans le but de conférer à un héritier un avantage patrimonial excessif au détriment des autres indivisaires.

Ainsi, un demandeur ne saurait détourner ce mécanisme pour se ménager une jouissance gratuite du bien, ou pour évincer ses cohéritiers en bénéficiant d’un droit exclusif d’occupation sans en assumer les charges correspondantes.

L’attribution préférentielle ne doit pas altérer l’équilibre du partage successoral, ni aboutir à une captation abusive du patrimoine successoral sous couvert de protection du logement familial. Elle constitue une prérogative d’exception, dont l’octroi est soumis à une appréciation rigoureuse des juges, soucieux de garantir une répartition équitable des droits successoraux.

b. L’extension aux meubles meublants et au véhicule du défunt

L’attribution préférentielle ne se limite pas au logement familial lui-même. Elle s’étend, sous certaines conditions, aux éléments matériels qui le composent, en particulier aux meubles meublants qui le garnissent et au véhicule du défunt. Ces extensions, désormais consacrées par la loi, visent à garantir la continuité des conditions d’existence du conjoint survivant ou de l’héritier attributaire. Toutefois, ce droit demeure encadré et ne saurait s’appliquer de manière indifférenciée à l’ensemble des biens mobiliers de la succession.

==>L’attribution préférentielle des meubles meublants

L’attribution préférentielle des meubles meublants repose sur une idée fondamentale : assurer au bénéficiaire du logement familial un cadre de vie cohérent et fonctionnel. En ce sens, l’article 831-2, 1° du Code civil prévoit que l’attribution préférentielle du logement emporte également celle des meubles qui le garnissent.

Cette extension vise à prévenir le risque de démantèlement du cadre de vie de l’attributaire. Sans cette disposition, l’attribution préférentielle du logement pourrait se révéler inopérante si l’attributaire devait se voir privé des meubles nécessaires à son usage. La loi garantit ainsi une occupation du bien dans des conditions normales, en préservant l’harmonie matérielle du lieu de vie.

Toutefois, l’attribution préférentielle des meubles meublants demeure strictement encadrée. Ne peuvent en bénéficier que les biens qui sont effectivement destinés à garnir le logement familial. À ce titre, la jurisprudence a exclu certains objets qui, bien que présents dans le logement, ne sauraient être assimilés à des meubles meublants au sens de la loi.

Sont ainsi exclus du champ de l’attribution préférentielle :

  • Les instruments professionnels, qui ne relèvent pas d’un usage strictement domestique et ne participent pas au confort quotidien du logement ;
  • Les souvenirs de famille, souvent dotés d’une valeur sentimentale ou patrimoniale particulière, qui sont, en principe, destinés à être partagés entre les héritiers du sang.

Avant l’adoption de la loi du 3 décembre 2001, la jurisprudence refusait d’admettre l’attribution préférentielle des meubles meublants, faute de base légale expresse (CA Paris, 4 nov. 1969). Cette incertitude a été levée par l’intervention du législateur, qui a conféré une assise juridique incontestable à cette possibilité.

Désormais, l’attribution préférentielle des meubles meublants constitue une prérogative pleinement reconnue, permettant à l’attributaire du logement familial d’en conserver l’ameublement nécessaire à une occupation effective et immédiate.

==>L’attribution préférentielle du véhicule du défunt

Si l’attribution préférentielle des meubles meublants était devenue une évidence, celle du véhicule du défunt a longtemps été sujette à controverse. Pendant de nombreuses années, la jurisprudence adoptait une position stricte et refusait l’attribution préférentielle des véhicules, au motif qu’ils ne pouvaient être assimilés aux meubles meublants. Il en résultait des situations parfois inéquitables, privant un conjoint survivant ou un héritier d’un bien pourtant essentiel à sa vie quotidienne (CA Paris, 21 mai 2008, n° 07/11591).

Cette difficulté a été résolue par la loi n° 2015-177 du 16 février 2015, qui a explicitement étendu l’attribution préférentielle aux véhicules du défunt, à condition qu’ils soient nécessaires aux besoins de la vie courante.

Cette exigence de nécessité a pour objet d’éviter que l’attribution préférentielle du véhicule ne devienne un simple avantage patrimonial. Il ne s’agit pas de permettre au conjoint ou à l’héritier d’obtenir un bien de valeur sans justification particulière, mais bien de garantir son autonomie et son maintien dans des conditions de vie habituelles.

Dès lors, plusieurs restrictions s’imposent :

  • L’attribution préférentielle ne pourra être demandée pour un véhicule de collection ou un bien de luxe, dont l’usage ne correspond pas à un besoin quotidien ;
  • La nécessité de l’usage devra être démontrée par le demandeur, notamment en l’absence de solutions alternatives (modes de transport accessibles, proximité des services essentiels, situation de handicap, etc.).

Cette évolution législative consacre une approche pragmatique de l’attribution préférentielle. En reconnaissant que la protection du cadre de vie ne saurait se limiter aux seuls biens immobiliers, le législateur a voulu intégrer à ce dispositif les éléments matériels indispensables à la vie quotidienne.

L’attribution préférentielle du véhicule illustre ainsi l’évolution du droit successoral vers une prise en compte plus fine des besoins des copartageants. Elle garantit au conjoint survivant ou à l’héritier demandeur la possibilité de conserver un bien qui, dans de nombreuses situations, conditionne l’exercice d’une activité professionnelle ou la simple continuité des déplacements nécessaires à la vie courante.

2. Les biens liés à une activité professionnelle

2.1 L’attribution préférentielle des entreprises commerciales, industrielles, artisanales ou libérales

a. Énoncé du principe

L’attribution préférentielle, initialement conçue comme un instrument de préservation des exploitations agricoles face aux aléas du partage successoral, a connu une transformation majeure au fil du temps. Ce mécanisme, autrefois circonscrit à la transmission des patrimoines ruraux, a progressivement étendu son champ d’application aux entreprises de toute nature, répondant ainsi aux impératifs contemporains de pérennité économique et de stabilité entrepreneuriale.

Ce mouvement d’expansion a culminé avec la réforme opérée par la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, qui a consacré un régime simplifié et plus accessible à l’attribution préférentielle des entreprises, désormais régie par l’article 831 du Code civil.

L’attribution préférentielle trouve son origine dans la nécessité d’éviter le morcellement des exploitations agricoles au moment du partage successoral. Cette préoccupation, profondément ancrée dans la tradition juridique française, s’est traduite dans l’ancien article 832 du Code civil, qui encadrait strictement l’octroi de cette faveur successorale.

Lorsqu’en 1961, la faculté d’attribution préférentielle fut étendue aux entreprises commerciales, industrielles et artisanales, celles-ci furent assimilées aux exploitations agricoles et soumises aux mêmes critères restrictifs. Elles devaient ainsi répondre simultanément à trois conditions:

  • Une existence réelle, impliquant une activité économique tangible et identifiable ;
  • L’unité économique, c’est-à-dire une cohérence structurelle et une interdépendance entre les éléments composant l’entreprise ;
  • Le caractère familial, condition introduite en 1982 pour réserver l’attribution préférentielle aux héritiers ayant un lien direct avec l’activité, excluant ainsi les entreprises de grande envergure ou purement patrimoniales.

Cependant, ces critères restrictifs se sont révélés inadaptés aux réalités économiques contemporaines, marquées par:

  • L’éclatement des activités économiques, avec des entreprises fonctionnant en réseau ou réparties entre plusieurs entités juridiques ;
  • La diversité des structures entrepreneuriales, souvent constituées sous forme de sociétés à capital dispersé, parfois avec des actionnaires non familiaux.

En conséquence, ces conditions ont engendré un contentieux abondant, notamment sur la notion d’unité économique, que la Cour de cassation a longtemps considéré comme une question de fait laissée à l’appréciation souveraine des juges du fond (Cass. 1ère civ., 10 mai 2007, n°05-20.177). Toutefois, face aux divergences jurisprudentielles, elle a progressivement renforcé son contrôle de légalité, censurant certaines décisions pour violation de la loi ou manque de base légale (Cass. 1re civ., 18 mai 2005, n°02-13.502).

Conscient des difficultés d’application de l’ancien régime, le législateur a procédé, par la loi du 23 juin 2006, à une simplification et une généralisation du dispositif d’attribution préférentielle. L’article 831 du Code civil, dans sa rédaction actuelle, dispose que « toute entreprise, agricole, commerciale, industrielle, artisanale ou libérale, peut faire l’objet d’une attribution préférentielle au profit d’un héritier. S’il y a lieu, la demande d’attribution préférentielle peut porter sur des droits sociaux, sans préjudice de l’application des dispositions légales ou des clauses statutaires sur la continuation d’une société avec le conjoint survivant ou un ou plusieurs héritiers. »

Ce texte marque une rupture avec les anciennes contraintes en supprimant deux critères qui avaient complexifié la mise en œuvre du dispositif :

  • L’exigence d’unité économique, qui était source de contentieux et dont l’interprétation variait selon les juges du fond ;
  • L’exigence du caractère familial, qui limitait l’accès à l’attribution préférentielle aux seules entreprises à dimension familiale, excluant de facto certaines structures plus complexes.

Désormais, seules deux conditions sont requises pour qu’une entreprise puisse faire l’objet d’une attribution préférentielle :

  • Une consistance matérielle et juridique suffisante, ce qui signifie que l’entreprise doit être constituée d’éléments permettant une exploitation effective et identifiable ;
  • Son inclusion dans l’indivision successorale, ce qui exclut les biens ou droits sociaux qui ne feraient pas partie du patrimoine du défunt.

Ainsi, peu importe la taille de l’entreprise, sa structure juridique ou son mode d’exploitation :

  • Un cabinet libéral (avocat, médecin, expert-comptable) est éligible à l’attribution préférentielle, au même titre qu’un fonds de commerce ou un atelier artisanal ;
  • Les parts sociales d’une société peuvent être attribuées préférentiellement, sous réserve du respect des statuts et des clauses du pacte social (article 831, alinéa 2 du Code civil).

En revanche, certaines limites demeurent :

  • Un bail commercial ou un bail professionnel pris par le défunt ne peut être attribué préférentiellement, sauf s’il constitue un élément accessoire d’un fonds de commerce transmis dans son ensemble ;
  • Les droits sociaux sont soumis aux clauses statutaires et aux règles légales sur la transmission des parts (agrément des associés, préemption…).

b. Conditions d’application

L’attribution préférentielle d’une entreprise dans le cadre d’une succession repose sur une conciliation délicate entre la nécessité d’assurer la pérennité de l’activité économique et le respect des droits successoraux des cohéritiers. Ce mécanisme, qui permet à un héritier de se voir attribuer une entreprise issue de l’indivision, moyennant le cas échéant le versement d’une soulte, demeure étroitement encadré par la loi.

Sa mise en œuvre répond ainsi à deux exigences principales:

  • Des conditions matérielles, tenant à l’existence même de l’entreprise et à sa consistance économique ;
  • Des conditions juridiques, qui encadrent la transmission du bien et garantissent l’équilibre des droits entre les héritiers.

Loin d’être un simple privilège, l’attribution préférentielle s’inscrit donc dans une logique de préservation du tissu économique, tout en veillant à éviter toute atteinte aux principes fondamentaux du partage successoral.

i. Les conditions matérielles

L’attribution préférentielle d’une entreprise dans le cadre d’un partage ne se réduit pas à la simple transmission d’un bien. Elle obéit à des exigences matérielles précises, destinées à garantir que l’activité concernée constitue une entité économique viable et exploitable. Loin d’être un droit automatique, cette faculté, consacrée par l’article 831 du Code civil, ne peut être mise en œuvre qu’à certaines conditions strictes, dont l’appréciation relève du pouvoir souverain des juges du fond.

Ainsi, l’entreprise concernée ne saurait se résumer à un actif patrimonial isolé. Elle doit s’inscrire dans un cadre structuré, combinant des moyens matériels et humains autour d’une activité économique réelle. L’attribution préférentielle n’a pas pour objet de permettre l’appropriation d’éléments épars, mais bien d’assurer la continuité d’une exploitation cohérente, apte à être poursuivie sans discontinuité par l’héritier attributaire.

==>Une entreprise devant exister et être immédiatement exploitable

L’attribution préférentielle d’une entreprise suppose son existence effective au moment du partage. Il ne suffit pas qu’un bien présente une simple vocation professionnelle : encore faut-il qu’il soit actuellement exploité ou immédiatement exploitable.

Cette exigence découle directement de l’article 831 du Code civil, qui encadre l’attribution préférentielle dans une logique de pérennisation des outils de production et non de simple transfert patrimonial. L’objectif est ainsi de favoriser la continuité des entreprises existantes, en évitant leur démantèlement dans le cadre du partage successoral. La jurisprudence veille rigoureusement à cette exigence et rappelle que l’attribution préférentielle ne saurait être accordée si l’entreprise ne présente pas une réalité économique tangible (Cass. 1re civ., 10 mai 2007, n° 05-20.177).

Dès lors, plusieurs situations sont exclues du champ de l’attribution préférentielle :

  • Un stock de marchandises isolé, qui ne saurait à lui seul constituer une entreprise en l’absence d’une structure organisationnelle cohérente et d’une clientèle attachée. La jurisprudence rappelle que l’attribution ne peut porter sur des actifs économiques dissociés d’une activité en cours (Cass. 1re civ., 13 déc. 1994, n° 93-10.875).
  • Un local commercial vacant ou un atelier artisanal désaffecté, sauf à démontrer l’existence de démarches concrètes et sérieuses attestant d’une reprise d’activité imminente (Cass. 1re civ., 16 juin 1993, n° 91-19.812). L’héritier doit ainsi prouver que l’entreprise dispose des éléments nécessaires à son exploitation effective et que son activité peut être immédiatement relancée.
  • Un cabinet libéral dont l’activité aurait cessé, si aucune preuve ne vient établir que la patientèle ou la clientèle demeure rattachée à la structure et que la reprise est effective. La raison en est que l’exercice d’une profession libérale repose sur une relation de confiance qui ne saurait être maintenue en l’absence d’activité continue.

Ainsi, le juge apprécie souverainement si l’entreprise dispose encore d’une activité viable et exploitable. Il s’assure que l’attribution préférentielle ne devienne pas un simple levier patrimonial, permettant à un héritier de capter un actif professionnel sur la seule foi d’un projet incertain.

Cette rigueur se justifie par la finalité même de l’attribution préférentielle : elle ne doit pas être détournée de son objet pour devenir un instrument d’appropriation patrimoniale, mais bien un levier de continuité économique.

La doctrine souligne ainsi que « l’attribution préférentielle repose sur la nécessité d’assurer la transmission d’une activité et non d’un simple patrimoine ». Dans cette logique, l’article 831 du Code civil ne permet l’attribution que si l’exploitation de l’entreprise est assurée, excluant ainsi toute opération de spéculation sur un bien professionnel inactif.

En conséquence, si le demandeur ne peut justifier d’une exploitation en cours ou d’une capacité immédiate de reprise, l’attribution préférentielle ne saurait lui être accordée. La jurisprudence veille à ce que ce mécanisme demeure un outil de transmission d’une activité effective et non une simple opportunité patrimoniale.

Ainsi, l’entreprise doit non seulement exister, mais être immédiatement exploitable pour permettre une transmission effective et pérenne. Toute demande ne respectant pas cette exigence est rejetée par les tribunaux, qui veillent à préserver l’esprit du dispositif successoral, garant de la transmission des entreprises familiales et de la continuité des activités économiques.

==>Une entreprise formant un ensemble structuré et cohérent

L’attribution préférentielle d’une entreprise suppose qu’elle constitue une entité économique fonctionnelle, articulée autour de moyens matériels, humains et économiques interdépendants. Loin de se réduire à une simple juxtaposition d’actifs, l’entreprise doit former un ensemble homogène et viable, propre à assurer la continuité de l’activité.

Si la réforme de 2006 a supprimé l’exigence formelle d’unité économique, cette notion demeure un critère sous-jacent pour apprécier la consistance réelle de l’exploitation. La Cour de cassation l’a rappelé en affirmant que l’entreprise doit être dotée de la cohérence suffisante pour constituer une entité économique identifiable et exploitable, condition sine qua non de l’attribution préférentielle (Cass. 1re civ., 10 mai 2007, n° 05-20.177).

Aussi, pour faire l’objet d’une attribution préférentielle, l’entreprise doit-elle comprendre:

  • Un local d’exploitation, servant de siège à l’activité (boutique, atelier, cabinet, bureau professionnel…) ;
  • Des moyens matériels indispensables (équipements, stocks, outillage, mobilier, logiciels professionnels…) ;
  • Une clientèle ou une patientèle, élément essentiel pour les professions libérales, où la pérennité de l’activité repose sur une relation de confiance avec la clientèle.

L’attribution préférentielle peut donc s’étendre à l’ensemble des éléments constituant l’exploitation, dès lors qu’ils participent directement à son activité. Autrement dit, elle doit inclure tous les biens nécessaires au maintien de l’entreprise dans son intégrité et son exploitation normale.

À l’inverse, l’attribution préférentielle ne saurait être utilisée comme un simple levier patrimonial pour obtenir certains biens indépendamment de l’exploitation effective d’une entreprise. Ainsi, ne peuvent être qualifiés d’entreprises et exclus du champ de l’attribution :

  • Un immeuble commercial sans fonds de commerce attaché, dans la mesure où il ne participe pas directement à une activité économique (Cass. 1re civ., 28 mai 1991, n° 89-17.292) ;
  • Des éléments d’actif isolés, comme un stock de marchandises dépourvu d’une organisation commerciale effective ou un local d’exploitation sans clientèle, qui ne sauraient constituer à eux seuls une entité économique viable.

La doctrine s’accorde à reconnaître que l’attribution préférentielle suppose l’existence d’une entreprise véritablement en activité, regroupant l’ensemble des éléments nécessaires à son exploitation effective. Elle ne peut porter sur un simple ensemble d’actifs épars, dépourvu de toute cohérence économique et organisationnelle. L’entreprise doit ainsi constituer une entité fonctionnelle, capable d’assurer la poursuite immédiate de son activité sans nécessiter de reconstitution artificielle.

Ainsi, Jean Prieur souligne que « la finalité de l’attribution préférentielle est d’assurer la transmission des outils de production en évitant leur dispersion, mais sans conférer à un héritier un avantage économique indépendant d’une logique d’exploitation ».

Dans le même sens, Michel Grimaldi relève que « l’exclusion des actifs patrimoniaux isolés vise à préserver l’esprit du mécanisme successoral, en évitant que l’attribution préférentielle ne soit détournée de sa vocation économique au profit d’un simple effet de concentration patrimoniale ».

Ainsi, si l’unité économique n’est plus une condition formelle, son absence peut néanmoins constituer un motif de rejet de la demande d’attribution préférentielle par le juge, dès lors que l’ensemble revendiqué ne présente pas les caractéristiques d’une exploitation autonome et pérenne.

==>L’absence d’exigence de rentabilité ou de productivité

Si l’entreprise doit être immédiatement exploitable, sa rentabilité ou sa productivité ne constitue pas une condition de l’attribution préférentielle. Il serait en effet contraire à l’esprit de l’article 831 du Code civil d’exiger qu’une entreprise soit florissante au moment du partage, dès lors qu’elle demeure viable et que ses moyens d’exploitation sont préservés.

La Cour de cassation a consacré cette approche en affirmant que les difficultés économiques d’une entreprise ne sauraient, à elles seules, faire obstacle à son attribution préférentielle (Cass. 1re civ., 28 janv. 1997, n° 95-15.003). Cette jurisprudence protège ainsi la continuité des outils de production, en permettant à un héritier de reprendre une exploitation même en période de transition ou de fragilité financière.

Dès lors, il est admis qu’une attribution préférentielle puisse être sollicitée pour une entreprise:

  • Confrontée à des difficultés passagères, dès lors que l’activité demeure réelle et que l’exploitation n’est pas abandonnée ;
  • Engagée dans une phase de restructuration, lorsque l’héritier attributaire projette une modernisation ou une adaptation du modèle économique ;
  • Temporairement déficitaire, à condition que les moyens matériels et humains nécessaires à son exploitation soient préservés et que la clientèle ne soit pas irrémédiablement éteinte.

La doctrine abonde en ce sens, soulignant que l’objectif du mécanisme n’est pas d’attribuer une entreprise en raison de sa performance immédiate, mais bien de garantir sa transmission et d’assurer la pérennité de son activité.

En définitive, ce qui importe n’est pas tant l’état financier de l’entreprise à l’instant du partage, mais sa capacité à être maintenue et développée par l’héritier attributaire. Cette vision dynamique du mécanisme d’attribution préférentielle renforce son rôle de levier économique, en permettant aux héritiers investis dans la gestion d’une activité de la préserver, même lorsqu’elle traverse une phase d’instabilité.

==>Une appréciation au jour du partage

L’existence de l’entreprise et son éligibilité à l’attribution préférentielle s’apprécient à la date du partage, et non à l’ouverture de la succession. Ce principe, désormais bien établi, résulte d’une évolution jurisprudentielle qui a progressivement privilégié une approche pragmatique. La Cour de cassation a ainsi affirmé que l’entreprise doit exister et être exploitable au moment où l’attribution est demandée, et non au seul jour du décès (Cass. 1re civ., 14 mai 1992, n° 90-20.498).

Ce choix répond à un impératif de pérennité de l’exploitation. Il ne s’agit pas de figer la situation successorale à l’instant du décès, mais bien d’évaluer si, au moment du partage, l’entreprise demeure viable et susceptible d’être reprise. Cette approche garantit que l’attribution préférentielle joue son rôle économique en évitant la dispersion des outils de production et en facilitant la transmission des entreprises familiales.

Toutefois, cette souplesse ne saurait être détournée pour permettre des manœuvres artificielles destinées à créer ex nihilo une exploitation dans le seul but d’obtenir l’attribution préférentielle. La jurisprudence a ainsi sanctionné les tentatives de certains héritiers qui, après le décès, avaient cherché à reconstituer artificiellement une entreprise pour satisfaire aux conditions d’éligibilité. La Cour de cassation a censuré ces pratiques dans plusieurs arrêts, considérant notamment que :

  • L’acquisition postérieure de nouveaux éléments d’exploitation ne pouvait être prise en compte pour justifier l’existence de l’entreprise au jour du partage (Cass. 1re civ., 16 juin 1993, n° 91-19.812) ;
  • Une reprise fictive de l’activité, sans éléments tangibles attestant d’une exploitation réelle et effective, ne pouvait suffire à établir le caractère exploitable de l’entreprise.

Ainsi, si la souplesse de l’appréciation au jour du partage permet d’éviter une rigidité excessive, elle ne doit pas ouvrir la porte à des stratégies patrimoniales opportunistes. L’attribution préférentielle demeure avant tout un mécanisme de transmission d’une exploitation existante, et non un outil permettant de capter un bien successoral en invoquant une vocation économique postérieure au décès.

La doctrine s’accorde sur cette exigence de rigueur, rappelant que la finalité du mécanisme est de maintenir l’activité d’une entreprise viable, et non d’en permettre la reconstitution artificielle par l’un des cohéritiers.

En définitive, l’héritier demandant l’attribution préférentielle doit démontrer que l’entreprise existait et pouvait être exploitée sans interruption au moment du partage, garantissant ainsi le respect du principe d’égalité entre cohéritiers et la continuité économique du bien attribué.

ii. Les conditions juridiques

L’attribution préférentielle ne peut s’exercer que sur une entreprise relevant de l’indivision au jour du partage, conformément à l’article 831 du Code civil. Cette exigence vise à garantir que le bien dont l’attribution est sollicitée fait partie de la masse partageable, qu’il s’agisse d’une indivision successorale, d’une indivision conventionnelle ou d’une indivision légale née d’un autre mécanisme.

==>L’exclusion des biens ne relevant pas de l’indivision

L’attribution préférentielle, en ce qu’elle constitue un mécanisme dérogatoire au principe de l’égalité entre co-indivisaires, ne saurait porter que sur des biens relevant effectivement de l’indivision au jour du partage. Cette exigence découle directement de l’article 831 du Code civil, qui cantonne ce droit aux éléments constitutifs du patrimoine indivis, à l’exclusion de ceux qui en sont matériellement ou juridiquement détachés.

Dès lors, ne peut être revendiquée une entreprise dont les actifs relèvent exclusivement d’une propriété individuelle ou d’une entité tierce.

Tel est le cas lorsque:

  • L’exploitation appartient en propre à un tiers (une personne extérieure à l’indivision, qu’il s’agisse d’un associé, d’un co-gérant ou d’un autre exploitant),
  • Les éléments constitutifs de l’activité sont logés au sein d’une entité juridique distincte, notamment lorsqu’ils sont détenus par une société dont les parts ne sont pas indivises.

Ainsi, lorsque l’entreprise est exploitée sous forme de société et que les parts sociales ne figurent pas dans la masse indivise, l’attribution préférentielle ne peut porter que sur la valeur des parts, et non sur les actifs sous-jacents à l’exploitation (Cass. 1re civ., 5 avr. 2005, n° 01-12.810).

A cet égard, l’attribution préférentielle suppose que l’entreprise ait, à un moment donné, fait l’objet d’une détention indivise. Dès lors, un bien qui n’a jamais appartenu à l’indivision ne saurait être attribué préférentiellement à un co-indivisaire.

Cette hypothèse se rencontre notamment lorsque:

  • L’entreprise était la propriété exclusive de l’un des indivisaires avant l’ouverture de la succession ou avant la formation d’une indivision conventionnelle,
  • L’activité a été constituée après le décès ou après la mise en indivision des biens, sur la base d’actifs qui n’étaient pas eux-mêmes indivis.

Dans de tels cas, l’indivisaire qui revendique l’attribution préférentielle ne pourra prétendre qu’à la valeur monétaire de ses droits sur la masse partageable, sans pouvoir revendiquer le bien en nature.

Certains dispositifs confèrent un droit temporaire d’exploitation, mais sans transférer la propriété de l’entreprise elle-même. Or, l’attribution préférentielle ne peut jouer qu’à l’égard des droits réels sur l’entreprise, et non sur de simples prérogatives d’usage ou de gestion.

C’est notamment le cas des contrats de location-gérance, qui permettent à un exploitant d’exercer une activité sous une enseigne préexistante, mais sans lui conférer la propriété du fonds de commerce ou du fonds artisanal. Un héritier ou un co-indivisaire qui exploite une entreprise sous ce régime ne saurait prétendre à son attribution préférentielle, sauf si les éléments matériels (fonds, locaux, équipements) figurent dans la masse indivise.

Ainsi, la seule qualité d’exploitant ne suffit pas à justifier une attribution préférentielle, dès lors que le demandeur ne peut revendiquer aucun droit réel sur les actifs économiques en cause.

S’agissant du droit au bail, il est un élément essentiel de l’exploitation d’une entreprise, en ce qu’il garantit la jouissance des locaux où s’exerce l’activité économique. Toutefois, il ne constitue pas en soi un élément d’entreprise indivise, dès lors qu’il relève d’un régime spécifique de transmission.

Le bail commercial ou le bail professionnel souscrit par le défunt ou par un indivisaire ne confère pas un droit de propriété sur les locaux, mais seulement un droit d’usage et d’exploitation temporaire, encadré par les dispositions protectrices du statut des baux commerciaux.

Par conséquent, l’attribution préférentielle ne saurait porter sur un simple droit au bail, sauf si celui-ci est indissociablement lié à un fonds de commerce ou à une entreprise elle-même indivise. Ainsi, un indivisaire ne pourra pas demander l’attribution d’un local loué, à moins qu’il ne soit partie au bail et que l’exploitation en dépende directement.

==>L’attribution préférentielle d’une entreprise exploitée sous forme sociale

Lorsque l’entreprise est exploitée sous la forme d’une société, l’application du mécanisme d’attribution préférentielle se heurte à la distinction entre la personnalité juridique de la société et celle de ses associés. Consciente de cette particularité, la loi a aménagé un cadre spécifique permettant à un indivisaire de solliciter l’attribution des parts sociales ou actions détenues en indivision, en vertu de l’article 831, alinéa 2 du Code civil.

Toutefois, l’exercice de ce droit demeure soumis à plusieurs restrictions, découlant à la fois de la nature du bien sollicité et des impératifs propres à la gouvernance des sociétés. Ces limites tiennent notamment aux règles statutaires, aux droits des autres associés et aux mécanismes de régulation interne de l’entité concernée.

  • Première restriction
    • Si l’entreprise est exploitée sous forme sociétaire, seuls les droits sociaux relevant de l’indivision peuvent faire l’objet d’une attribution préférentielle. L’attribution ne saurait porter sur l’entreprise elle-même, dès lors que celle-ci constitue une entité juridique autonome, distincte des associés qui la composent.
    • Ainsi, lorsque les parts sociales ou actions sont en pleine propriété d’un associé unique, et qu’elles ne figurent pas dans la masse indivise, aucun indivisaire ne saurait revendiquer leur attribution. De même, la simple qualité de dirigeant ou d’exploitant ne suffit pas à justifier une demande d’attribution préférentielle sur des titres dont l’indivision ne résulte pas du partage successoral ou d’une indivision conventionnelle.
    • En revanche, si les titres sont détenus en indivision entre plusieurs héritiers ou co-indivisaires, alors l’attribution préférentielle peut être sollicitée, sous réserve du respect des conditions statutaires et du pacte social.
  • Deuxième restriction
    • L’attribution préférentielle des parts sociales se heurte fréquemment aux limitations statutaires propres aux sociétés de personnes, dont le fonctionnement repose sur l’intuitu personae.
      • Cas de la clause d’agrément
        • Dans de nombreuses sociétés, notamment les sociétés en nom collectif (SNC) et les sociétés civiles, il est d’usage que les statuts prévoient une clause d’agrément, soumettant la transmission des parts à l’accord des associés.
        • Une telle clause peut faire obstacle à l’exercice du droit d’attribution préférentielle, dans la mesure où les associés disposent du pouvoir de refuser l’entrée d’un nouvel associé, fût-il héritier ou indivisaire.
        • Il est ainsi admis qu’une clause d’agrément interdisant la transmission de parts sans l’accord préalable des associés peut valablement empêcher l’attribution préférentielle au profit d’un co-indivisaire, dès lors que cette restriction résultait des statuts (V. par ex. CA Amiens, 8 mars 1999, n° 9702146 ).
        • Dès lors, l’héritier ou co-indivisaire demandant l’attribution préférentielle ne pourra obtenir les parts qu’après agrément des associés, à défaut de quoi il ne pourra prétendre qu’à la valeur monétaire des droits indivis.
      • Cas de la clause de continuation
        • Les statuts peuvent également comporter une clause de continuation prévoyant que, en cas de décès d’un associé, la société se poursuivra avec certains héritiers désignés, à l’exclusion des autres indivisaires.
        • Lorsque de telles clauses existent, elles priment sur le mécanisme d’attribution préférentielle, l’attributaire devant alors se conformer aux dispositions statutaires, sauf à proposer le rachat des parts des autres indivisaires.
        • Cette règle est énoncée à l’article 831, alinéa 2 du Code civil, qui précise que l’attribution préférentielle doit respecter les clauses statutaires relatives à la transmission des parts ou actions.
  •  
  • Troisième restriction
    • Dans les sociétés de capitaux, où l’intuitu personae est moins marqué, l’attribution préférentielle des actions demeure théoriquement plus aisée. 
    • Toutefois, elle soulève des difficultés pratiques tenant à l’exercice des droits sociaux.
    • En premier lieu, lorsque les actions sont indivises, un indivisaire peut demander leur attribution préférentielle, mais cela ne lui confère pas nécessairement un pouvoir de contrôle sur l’entreprise.
    • L’exercice d’une influence sur la société dépendra du pourcentage de participation acquis à l’issue du partage, et des droits qui y sont attachés.
    • Ainsi, si l’attributaire obtient une participation minoritaire, il devra composer avec les autres actionnaires et ne pourra, sauf détention de titres majoritaires, prétendre à la direction effective de la société.
    • En second lieu, dans certaines SAS ou SA, des pactes d’actionnaires peuvent restreindre la transmission des titres, en prévoyant notamment des clauses de préemption, obligeant l’attributaire préférentiel à offrir ses actions aux autres actionnaires avant de pouvoir en revendiquer la pleine propriété.
    • Dans ce cas, l’attributaire ne pourra entrer en possession des titres qu’après l’expiration des délais et procédures prévus par le pacte, ou à défaut, il pourra être contraint de céder ses actions à un tiers conformément aux stipulations en vigueur.

==>L’incidence d’une indivision préexistence sur l’attribution préférentielle d’une entreprise

Lorsque l’entreprise était déjà soumise à un régime d’indivision avant l’ouverture de la succession ou la survenance du partage, l’exercice du droit d’attribution préférentielle ne met pas nécessairement un terme à cette indivision. L’attributaire peut se voir attribuer la quote-part indivise appartenant à la masse partageable, mais il ne deviendra pas automatiquement seul propriétaire de l’entreprise si d’autres indivisaires conservent des droits sur celle-ci.

  • L’entreprise relevant d’une indivision conventionnelle
    • Lorsque l’entreprise faisait l’objet d’une indivision préexistante entre plusieurs coindivisaires, avant même le décès ou le partage, l’attribution préférentielle ne portera que sur la quote-part indivise entrant dans la masse partageable.
    • L’indivision ne disparaîtra donc pas nécessairement, et l’attributaire devra coexister avec les autres indivisaires.
    • Dans ce cas, deux hypothèses peuvent être envisagées:
      • L’indivision maintenue : l’attributaire ne pourra revendiquer que la part appartenant au défunt, ce qui signifie que l’entreprise restera soumise à l’indivision entre lui et les autres coindivisaires. Cette situation peut poser des difficultés en termes de gestion et de prise de décision, notamment lorsque les indivisaires ne partagent pas une vision commune quant à l’exploitation de l’entreprise.
      • Le rachat des parts indivises : pour éviter de demeurer dans une indivision contrainte, l’attributaire peut négocier l’acquisition des parts détenues par les autres indivisaires. Ce rachat peut intervenir dans le cadre d’un accord amiable ou d’un partage judiciaire, sous réserve d’un prix conforme à la valeur vénale de l’entreprise.
    • La doctrine souligne ainsi que l’attribution préférentielle ne saurait conférer un monopole sur l’entreprise lorsque celle-ci relevait déjà d’une indivision conventionnelle entre plusieurs titulaires.
  • L’entreprise relevant d’une communauté conjugale
    • Lorsque l’exploitation constituait un bien commun d’un couple marié sous le régime de la communauté légale, seule la moitié des droits appartient à la masse partageable en cas de décès de l’un des époux.
    • L’autre moitié demeure la propriété exclusive de l’époux survivant.
    • Dans ce cas, plusieurs configurations peuvent se présenter :
      • L’époux survivant sollicite l’attribution préférentielle : si le conjoint survivant souhaite poursuivre l’exploitation, il peut lui-même exercer son droit d’attribution préférentielle sur la part entrant dans la succession, devenant ainsi seul propriétaire de l’entreprise.
      • Un héritier revendique l’attribution préférentielle : si un héritier demande l’attribution de la part indivise entrant dans la succession, il ne pourra devenir propriétaire exclusif de l’entreprise que si l’époux survivant accepte de céder sa propre part. À défaut, l’attributaire ne pourra prétendre qu’à la portion indivise dépendant du partage, et restera dans une indivision avec le conjoint survivant.
    • En tout état de cause, il est admis que dans une telle hypothèse, l’attributaire se substitue simplement au défunt dans l’indivision existante, sans pour autant acquérir immédiatement la pleine propriété de l’entreprise.

Lorsque l’indivision subsiste après l’attribution préférentielle, la gestion de l’entreprise est soumise aux règles générales de l’indivision :

  • Toute décision concernant les actes d’administration courante peut être prise à la majorité des indivisaires représentant au moins deux tiers des droits indivis (article 815-3 du Code civil).
  • En revanche, les actes de disposition (vente du fonds, mise en société, changement d’objet) nécessitent l’unanimité des indivisaires, sauf à obtenir une autorisation judiciaire.
  • L’attributaire ne peut prétendre à une gestion exclusive de l’entreprise sans l’accord des autres indivisaires, sauf s’il obtient un mandat de gestion ou rachète leurs parts.

Ainsi, bien que l’attribution préférentielle constitue un mécanisme destiné à garantir la continuité de l’entreprise, elle ne saurait conduire à évincer les autres indivisaires lorsque ceux-ci conservent des droits sur l’exploitation. En cas de désaccord persistant, il appartiendra au juge de trancher les éventuelles contestations, en appréciant l’opportunité d’un partage en nature ou en valeur.

2.2 L’attribution préférentielle du local professionnel

L’article 831-2, 2° du Code civil ouvre la possibilité pour un héritier indivisaire, un conjoint survivant ou un partenaire pacsé de solliciter l’attribution préférentielle du local à usage professionnel et des biens mobiliers nécessaires à l’exercice de sa profession. Ce dispositif vise à garantir la continuité d’une activité économique en permettant à l’attributaire de conserver son outil de travail, qu’il s’agisse d’un cabinet libéral, d’un atelier artisanal ou d’un bureau professionnel.

Cependant, l’attribution préférentielle du local professionnel ne constitue pas un droit automatique et demeure soumise à un encadrement strict.

==>Les conditions d’éligibilité du local et des biens mobiliers professionnels

L’attribution préférentielle du local professionnel repose sur une double exigence : le local doit être effectivement affecté à l’activité professionnelle du demandeur et il doit être indispensable à l’exercice de cette activité.

  • L’exigence d’une affectation d’un locale à l’activité professionnelle
    • L’article 831-2, 2° du Code civil n’impose aucune restriction quant à la nature de la profession exercée par le demandeur. 
    • Dès lors, un cabinet d’avocat ou de médecin, un atelier d’artiste, une étude notariale ou même un bureau d’écrivain peuvent faire l’objet d’une attribution préférentielle dès lors qu’ils servent effectivement à l’exercice d’une activité.
    • Toutefois, les locaux commerciaux et industriels sont exclus du champ d’application de cette disposition. Leur transmission relève du régime spécifique de l’attribution préférentielle des entreprises prévu à l’article 831 du Code civil.
    • En cas d’usage mixte (habitation et profession), l’attribution du local peut être accordée à condition que l’activité professionnelle y soit prépondérante et que le bien puisse être détaché du reste de l’immeuble.
  • Un local et des biens mobiliers indispensables à la poursuite de l’activité
    • L’attribution préférentielle vise à garantir la continuité de l’exploitation professionnelle.
    • Par conséquent, elle ne peut être accordée que si le local constitue un élément essentiel et indispensable pour l’exercice de l’activité.
    • Le juge apprécie souverainement le caractère indispensable du local et des biens mobiliers professionnels.
    • Ainsi, si le demandeur dispose d’un autre local exploitable, il ne pourra prétendre à l’attribution préférentielle (Cass. 1re civ., 13 févr. 1967).
    • Le même raisonnement s’applique aux biens mobiliers à usage professionnel.
    • Avant la réforme de 2015, seuls les meubles présents dans le local pouvaient être inclus dans l’attribution préférentielle
    • Désormais, tout bien mobilier nécessaire à l’exercice de la profession peut être intégré, même s’il est situé ailleurs, à condition qu’il remplisse un rôle indispensable.
    • Cette évolution législative permet notamment d’inclure des équipements techniques ou un véhicule professionnel.

==>Les restrictions à l’exercice du droit d’attribution préférentielle

Tout en visant à garantir la préservation de l’activité professionnelle du demandeur, l’attribution préférentielle du local professionnel reste assujettie à des restrictions destinées à prévenir les dérives et à assurer un juste équilibre entre les intérêts en présence.

En premier lieu, l’attribution préférentielle ne peut porter que sur un bien relevant exclusivement de l’indivision. Ainsi, si le local professionnel appartient à la fois aux héritiers et à un tiers, la demande devient inapplicable, car elle ne peut contraindre ce dernier à céder ses droits (Cass. 1re civ., 15 janv. 2014, n° 12-25.322 et n° 12-26.460).

Cependant, si seule une quote-part du local appartient à l’indivision, l’attribution peut porter sur cette quote-part indivise, l’attributaire restant alors en indivision avec le tiers.

En deuxième lieu, lorsque le local professionnel est détenu par une société, l’attribution préférentielle peut porter non pas sur le local lui-même, mais sur les parts sociales conférant la jouissance ou la propriété du local (L. n° 61-1378 du 19 décembre 1961, art. 14). Cependant, la jurisprudence a précisé que cette attribution ne peut être accordée que si ces droits sociaux confèrent exclusivement la propriété ou la jouissance du local (Cass. 1re civ., 24 oct. 2012, n° 11-20.075).

Dès lors, si les statuts de la société prévoient une clause d’agrément, l’attribution préférentielle sera soumise à l’accord préalable des associés.

En dernier lieu, comme pour toute attribution préférentielle, l’attributaire doit veiller à compenser les autres indivisaires lorsque la valeur du bien excède ses droits successoraux. L’indemnisation prend généralement la forme d’une soulte, dont le montant est déterminé en fonction de la valeur du local et des biens mobiliers concernés.

Toutefois, afin de faciliter la transmission des outils professionnels, l’article 832-4 du Code civil prévoit une possibilité d’échelonnement du versement de la soulte sur dix ans, avec un taux d’intérêt fixé au taux légal.

3. Les biens liés aux activités agricoles et rurales

L’attribution préférentielle des biens à destination agricole se distingue par la diversité des hypothèses qu’elle recouvre. Elle peut concerner aussi bien des biens immobiliers agricoles que des droits sociaux liés à l’exploitation. Le Code civil a prévu plusieurs régimes d’attribution préférentielle applicables aux exploitations agricoles, distinguant entre :

  • L’attribution en pleine propriété, qui peut être de droit ou soumise à l’appréciation du juge ;
  • L’attribution sous condition de mise en bail, destinée à garantir la continuité de l’exploitation ;
  • L’attribution en jouissance temporaire, notamment par la concession d’un bail rural.

Ces dispositifs ont été conçus afin d’assurer la transmission des exploitations dans des conditions économiquement viables et d’éviter leur morcellement, ce qui compromettrait leur rentabilité.

3.1. L’attribution préférentielle des biens nécessaires à l’exploitation agricole

La transmission des exploitations agricoles constitue une question éminemment stratégique pour la pérennité du tissu économique rural. Conscient des risques qu’un éclatement successoral pourrait faire peser sur ces structures, le législateur a prévu plusieurs dispositifs d’attribution préférentielle visant à garantir la continuité de l’activité agricole. Parmi eux, l’attribution des biens meubles nécessaires à l’exploitation (article 831-2, 3° du Code civil) et l’attribution des biens immobiliers agricoles (article 832-1 du Code civil) occupent une place prépondérante.

a. L’attribution préférentielle des biens meubles nécessaires à l’exploitation

==>Principe

L’article 831-2, 3° du Code civil prévoit que l’attribution préférentielle peut porter sur les biens meubles nécessaires à l’exploitation agricole, notamment le matériel agricole, le cheptel vif et mort, ainsi que les autres éléments mobiliers affectés à l’activité.

Il ressort de cette disposition que le législateur a entendu favoriser la continuité des exploitations agricoles en garantissant au repreneur la pleine possession de l’outil de production. Plutôt que d’aborder l’exploitation sous un angle purement patrimonial, où chaque héritier recevrait une part proportionnelle des biens, ce mécanisme vise à assurer son maintien dans des conditions économiquement viables.

L’attribution préférentielle poursuit ainsi plusieurs objectifs:

  • Préserver la viabilité économique de l’exploitation
    • Sans attribution préférentielle, l’héritier repreneur pourrait se heurter à deux obstacles majeurs :
      • La nécessité de racheter les équipements aux cohéritiers, ce qui pourrait le contraindre à s’endetter lourdement dès la reprise de l’exploitation.
      • Le risque d’un morcellement des équipements, chaque héritier pouvant revendiquer une part des biens mobiliers, rendant impossible la poursuite de l’activité agricole dans des conditions optimales. Grâce à ce dispositif, l’intégrité des moyens de production est préservée, garantissant ainsi une exploitation efficiente.
  • Limiter les conflits successoraux
    • Les successions sont souvent sources de tensions entre héritiers, notamment lorsque certains souhaitent conserver l’exploitation agricole tandis que d’autres privilégient la liquidation des actifs.
    • L’attribution préférentielle permet de clarifier la répartition des biens, en garantissant à l’exploitant la pleine jouissance des équipements indispensables à son activité, tout en permettant aux autres héritiers de recevoir une compensation financière.
  • Faciliter la modernisation des exploitations
    • En garantissant une transmission cohérente des équipements agricoles, l’attribution préférentielle permet au repreneur de concentrer ses efforts sur le développement et l’amélioration de l’exploitation, plutôt que sur la reconstitution de son outil de travail.

==>Conditions

Si l’article 831-2, 3° du Code civil prévoit la possibilité d’une attribution préférentielle des biens mobiliers, celle-ci n’est ni automatique ni inconditionnelle. Le législateur a posé deux exigences cumulatives, garantissant que l’attribution repose sur un besoin économique réel et non sur une simple faveur successorale :

  • Le défunt devait exploiter le fonds en qualité de fermier ou de métayer
    • Cette condition restreint l’attribution préférentielle aux situations où le défunt était lui-même exploitant et utilisait activement les biens en cause.
    • L’objectif est d’éviter qu’un héritier sans lien direct avec l’exploitation ne revendique ces biens à des fins purement patrimoniales.
  • L’attributaire doit poursuivre le bail agricole
    • Il ne suffit pas que l’héritier exprime son intention de reprendre l’exploitation ; encore faut-il qu’il dispose des garanties nécessaires pour obtenir le maintien du bail existant ou la conclusion d’un nouveau bail.
    • Cette exigence vise à empêcher qu’un héritier se prévale de l’attribution préférentielle sans disposer des compétences et des moyens requis pour exploiter l’exploitation de manière effective.

==>L’étendue des biens susceptibles d’attribution préférentielle

L’attribution préférentielle des biens meubles couvre une diversité d’éléments indispensables à l’exploitation agricole. Ces biens peuvent être classés en trois catégories principales :

  • Le matériel agricole : l’outil de travail indispensable
    • L’attributaire peut revendiquer l’ensemble des équipements nécessaires à l’exploitation des terres. Cela comprend notamment :
      • Les engins mécaniques : tracteurs, moissonneuses-batteuses, pulvérisateurs, faucheuses et autres machines agricoles.
      • Les outils de travail du sol : charrues, herses, semoirs, épandeurs à fumier, etc.
      • Les équipements de stockage et de transformation : silos à grains, citernes, pressoirs, broyeurs, équipements de tri et de conditionnement
    • L’objectif est d’assurer la continuité de l’activité agricole sans que le repreneur ne soit contraint d’investir immédiatement dans du matériel coûteux, ce qui pourrait fragiliser sa situation financière et compromettre la viabilité de l’exploitation.
  • Le cheptel vif et mort : garantir la pérennité de l’élevage
    • Pour les exploitations agricoles comprenant une activité d’élevage, l’attribution préférentielle peut porter sur :
      • Le cheptel vif, c’est-à-dire les animaux destinés à la production ou à la reproduction (bovins, ovins, caprins, volailles, porcins, etc.).
      • Le cheptel mort, qui comprend les stocks d’aliments pour bétail, les engrais, les semences et autres ressources nécessaires à l’élevage.
    • La transmission du cheptel est cruciale pour éviter une rupture d’exploitation. Sans ce mécanisme, le repreneur devrait racheter les animaux à ses cohéritiers ou sur le marché, ce qui pourrait s’avérer coûteux et ralentir la reprise de l’activité.
  • Les éléments mobiliers affectés à l’exploitation
    • L’attribution préférentielle peut également concerner des biens meubles nécessaires à la gestion et au bon fonctionnement de l’exploitation agricole, tels que :
      • Les infrastructures mobiles : serres démontables, abris pour animaux, clôtures électriques, etc.
      • Les réservoirs et systèmes de stockage : cuves à carburant, réservoirs d’eau, systèmes d’irrigation.
      • Les outils et petits équipements : tronçonneuses, scies, instruments de mesure et de contrôle.
    • Bien que ces éléments puissent sembler secondaires, ils constituent en réalité des ressources indispensables à la gestion quotidienne de l’exploitation, leur absence pouvant entraver le bon déroulement des activités agricoles.

b. L’attribution préférentielle des biens immobiliers agricoles

==>Principe

L’article 832-1 du Code civil instaure un dispositif d’attribution préférentielle spécifiquement destiné aux biens immobiliers agricoles. Il prévoit que, « si le maintien dans l’indivision n’a pas été ordonné et à défaut d’attribution préférentielle en propriété dans les conditions prévues à l’article 831 ou à l’article 832 », le conjoint survivant ou tout héritier copropriétaire peut demander l’attribution préférentielle de tout ou partie des biens et droits immobiliers à destination agricole dépendant de la succession en vue de constituer un groupement foncier agricole (GFA).

Ce dispositif, introduit par la loi du 4 juillet 1980, s’inscrit dans une logique économique visant à prévenir la fragmentation des exploitations et à structurer la transmission du foncier agricole. Contrairement aux autres formes d’attribution préférentielle qui reposent sur la nécessité de maintenir une exploitation agricole existante, celle-ci ouvre la possibilité de constituer un GFA, qu’il s’agisse de créer ou de conserver une exploitation.

L’attribution préférentielle ainsi définie ne suppose donc pas l’existence préalable d’une exploitation agricole autonome. L’objectif n’est pas seulement d’assurer la continuité d’une activité agricole, mais de permettre une gestion collective et stable du foncier dans le cadre du GFA.

==>Bénéficiaires et portée de l’attribution préférentielle

L’article 832-1 accorde le bénéfice de cette attribution à deux catégories de personnes :

  • Le conjoint survivant : ce dernier peut solliciter l’attribution préférentielle des biens agricoles afin de garantir la continuité de l’exploitation et de préserver ses intérêts patrimoniaux.
  • Les héritiers copropriétaires : la disposition permet aux cohéritiers de demander l’attribution, soit individuellement, soit collectivement dans la perspective de constituer un GFA.

À noter que le partenaire pacsé est exclu du bénéfice de cette disposition, en vertu de l’article 815-6 du Code civil. L’objet de cette attribution est également plus large que celui prévu par les articles 831 et 832 du Code civil. Elle ne se limite pas à la transmission d’une exploitation agricole existante, mais vise plus largement à structurer la gestion du foncier à long terme. 

==>Conditions de l’attribution préférentielle

L’attribution préférentielle des biens immobiliers agricoles, en vue de la constitution d’un groupement foncier agricole (GFA), obéit à des conditions strictement définies par le Code civil.

  • Première condition
    • L’article 832-1 du Code civil prévoit que l’attribution préférentielle des biens agricoles ne peut être sollicitée que par le conjoint survivant ou par tout héritier copropriétaire.
    • L’attribution ne saurait bénéficier à un tiers étranger à la dévolution successorale, ni même à un légataire universel.
    • Il est à noter que le partenaire lié par un pacte civil de solidarité  est expressément exclu du dispositif (C. civ., art. 815-6, a contrario). 
  • Deuxième condition
    • Seuls les biens et droits réels immobiliers à destination agricole peuvent faire l’objet d’une attribution préférentielle en vue de la constitution d’un GFA.
    • Cette exigence s’apprécie au regard de la vocation économique des biens au moment du décès du défunt.
    • Il n’est toutefois pas nécessaire que les biens concernés constituent une unité économique autonome, ni même qu’ils soient exploités en l’état au jour de la succession.
    • L’attribution peut ainsi porter sur :
      • Des terres agricoles, qu’elles soient exploitées ou non ;
      • Des bâtiments agricoles affectés à l’exploitation ;
      • Des droits réels immobiliers tels que l’usufruit, la nue-propriété ou même un bail emphytéotique.
    • Dès lors que les biens possèdent une destination agricole et qu’ils sont compris dans la masse successorale, ils peuvent être attribués préférentiellement, sous réserve du respect des autres conditions.
  • Troisième condition
    • L’attribution préférentielle ne saurait être accordée à un héritier sans lien effectif avec l’exploitation agricole. 
    • Aussi, le demandeur doit justifier de sa capacité à poursuivre l’exploitation des terres et garantir que l’attribution contribue à la pérennité de l’activité.
    • Toutefois, contrairement à d’autres hypothèses d’attribution préférentielle, il n’est pas exigé que le demandeur exploite personnellement les terres.
    • Il peut ainsi remplir cette condition en s’engageant à donner les biens en location agricole au sein d’un GFA, ce qui permet d’assurer leur mise en valeur sans obliger l’attributaire à devenir lui-même exploitant. 

Il peut être observé que si l’attribution préférentielle en vue de la constitution d’un GFA est possible, elle n’est pas toujours de droit. Le régime applicable varie selon le statut du demandeur:

  • Attribution de droit : lorsque la demande émane du conjoint survivant ou d’un héritier remplissant les conditions de l’article 831 du Code civil, ou lorsque ses descendants participent activement à l’exploitation, l’attribution ne peut être refusée par le juge. Il s’agit alors d’un véritable droit, opposable aux autres héritiers.
  • Attribution facultative : à défaut de remplir ces conditions, l’attribution préférentielle demeure soumise à l’appréciation du juge, qui évaluera tant l’opportunité économique du maintien des biens sous une gestion collective que l’aptitude du demandeur à administrer le groupement foncier agricole avec rigueur et efficience.

==>Subsidiarité

L’attribution préférentielle des biens immobiliers à vocation agricole, telle que consacrée par l’article 832-1 du Code civil, ne s’impose qu’à défaut d’une attribution en pleine propriété en application des articles 831 et 832. Autrement dit, elle ne peut être sollicitée que si aucun héritier ne revendique une attribution préférentielle ordinaire permettant un transfert direct de propriété.

Toutefois, cette attribution bénéficie d’une primauté sur les autres attributions subsidiaires. Cette prééminence témoigne de la volonté du législateur de favoriser la conservation du foncier agricole dans un cadre structuré, évitant ainsi la dispersion des terres et les conséquences économiques désastreuses d’un démembrement successoral. L’idée directrice est claire : privilégier la transmission des exploitations sous une forme garantissant à la fois leur pérennité et la stabilité patrimoniale des héritiers.

En effet, en l’absence de ce mécanisme, la répartition successorale pourrait conduire à un éclatement du foncier entre plusieurs cohéritiers, rendant l’exploitation difficilement viable et entravant la cohérence des projets agricoles à long terme. L’attribution préférentielle au sein d’un GFA apparaît dès lors comme une solution équilibrée, conciliant les impératifs économiques liés à l’exploitation des terres avec les exigences du partage successoral.

3.2. L’attribution préférentielle de l’entreprise agricole

Le Code civil a prévu plusieurs modalités d’attribution préférentielle applicables aux exploitations agricoles, reflétant ainsi la diversité des situations:

  • L’attribution préférentielle facultative en pleine propriété (article 831 du Code civil): elle suppose une demande du conjoint survivant ou d’un héritier copropriétaire et est soumise à l’appréciation du juge, qui en évalue l’opportunité au regard des intérêts en présence.
  • L’attribution préférentielle de droit en pleine propriété (article 832 du Code civil): lorsqu’un héritier satisfait aux conditions légales, cette attribution s’impose sans qu’il soit besoin d’une autorisation judiciaire, garantissant ainsi une transmission sans entrave de l’exploitation.
  • L’attribution préférentielle avec obligation de mise en bail (article 831-1 du Code civil): Cette forme particulière d’attribution confère la propriété du fonds agricole tout en imposant au bénéficiaire de consentir un bail rural, assurant ainsi la continuité de l’exploitation sans en modifier la structure.
  • L’attribution préférentielle en jouissance par concession d’un bail rural (article 832-2 du Code civil) : Dans cette hypothèse, l’héritier attributaire ne devient pas propriétaire du bien mais bénéficie d’un droit d’usage exclusif lui permettant d’assurer l’exploitation des terres selon les règles du statut du fermage.

Si les deux premières formes d’attribution permettent au bénéficiaire d’accéder à la pleine propriété des biens concernés, les deux dernières instaurent un schéma où la propriété et la jouissance sont dissociées, afin de préserver l’exploitation tout en ménageant les droits des cohéritiers.

==>Conditions

L’attribution préférentielle d’une exploitation agricole repose sur plusieurs conditions:

  • L’existence d’une exploitation agricole en tant qu’unité économique
    • L’attribution préférentielle ne saurait porter sur une simple parcelle de terre isolée ou sur un ensemble de biens agricoles dépourvus d’une vocation économique effective. 
    • L’exploitation doit former une unité économique autonome et viable, permettant de justifier qu’elle constitue un outil de production à part entière.
    • La jurisprudence a d’ailleurs précisé que la simple détention de terres agricoles ne suffit pas à caractériser une exploitation : il faut démontrer l’existence d’une activité régulière et productive.
    • Il s’agit de vérifier que les biens concernés permettent une mise en valeur effective, générant des revenus et assurant un équilibre économique suffisant pour l’héritier repreneur.
    • En outre, l’appréciation de cette condition ne saurait être figée au jour de l’ouverture de la succession.
    • La viabilité économique de l’exploitation doit être analysée au moment de la demande d’attribution, et non uniquement au décès du défunt (Cass. 1ère civ., 14 mai 1992, n° 90-20.498). 
    • Cette exigence permet d’éviter qu’une exploitation tombée en déshérence ne fasse l’objet d’une transmission qui ne répondrait plus aux exigences de productivité et de rentabilité.
  • La superficie de l’exploitation agricole
    • La loi distingue selon que l’exploitation concernée se situe en deçà ou au-delà d’un seuil fixé par décret en Conseil d’État.
    • Ce seuil, défini par le décret n° 70-783 du 27 août 1970 et précisé par l’arrêté du 22 août 1975, varie selon les départements et les spécificités agricoles locales.
    • À titre d’exemple, dans le département de l’Ain, une exploitation en polyculture ne peut bénéficier d’une attribution préférentielle de droit que si sa superficie n’excède pas 32 hectares. 
    • Ces seuils, fixés en fonction des conditions agro-économiques de chaque région, visent à garantir une transmission cohérente et équitable du patrimoine agricole.
      • Lorsque la superficie de l’exploitation est inférieure au seuil réglementaire, l’attribution préférentielle s’impose de plein droit si les autres conditions légales sont remplies. Le législateur a ainsi entendu protéger les exploitations de taille modeste ou moyenne, souvent plus vulnérables aux aléas économiques, en favorisant leur transmission sans entraves. Ce mécanisme vise à éviter que ces unités agricoles, essentielles à l’équilibre du secteur rural, ne disparaissent sous l’effet d’un morcellement excessif ou d’une mise en indivision prolongée.
      • En revanche, lorsque la superficie excède ce seuil, l’attribution devient facultative et son octroi relève de l’appréciation souveraine du juge. Ce dernier doit alors concilier deux impératifs : d’une part, l’intérêt économique attaché au maintien de l’exploitation dans son ensemble ; d’autre part, le respect des droits patrimoniaux des autres cohéritiers. L’objectif poursuivi est d’éviter qu’un héritier ne revendique un domaine d’une ampleur telle que son attribution nuirait à l’équilibre du partage successoral ou priverait les autres ayants droit de leur juste part.
    • En pratique, cette distinction vise à éviter des situations où l’attribution d’exploitations de grande envergure pourrait aboutir à des déséquilibres économiques au détriment des cohéritiers non attributaires, tout en garantissant une protection adaptée aux exploitations de moindre superficie.
  • La qualité de l’attributaire
    • L’attribution préférentielle ne peut être demandée que par certaines catégories d’héritiers, définies par le Code civil, afin de s’assurer que le dispositif profite à ceux qui ont un véritable intérêt dans la poursuite de l’exploitation.
  • Le conjoint survivant
    • Le conjoint survivant bénéficie d’un droit prioritaire à l’attribution préférentielle, reconnu dans un souci de préservation du cadre de vie familial et de maintien des ressources du conjoint du défunt. 
    • Son statut lui permet d’assurer la continuité de l’exploitation sans rupture, garantissant ainsi la pérennité de l’activité et des revenus agricoles.
  •  
  • Les héritiers copropriétaires
    • Tout héritier copropriétaire peut solliciter l’attribution préférentielle, sous réserve de démontrer un intérêt légitime à conserver l’exploitation. 
    • Cette faculté permet d’éviter une dispersion du patrimoine agricole entre des héritiers aux intérêts divergents, tout en maintenant l’unité de l’exploitation entre des mains familiales.
  •  
  • L’héritier ayant participé à l’exploitation
    • Un héritier ayant contribué à l’exploitation agricole dispose d’un droit renforcé à l’attribution préférentielle.
    • Cette disposition vise à récompenser l’investissement personnel de celui qui, par son travail et son engagement, a contribué à la gestion et au développement de l’exploitation.
    • Toutefois, il ne suffit pas d’invoquer une présence ponctuelle au sein de l’exploitation pour prétendre à l’attribution. L’héritier candidat doit justifier d’une participation réelle et significative, impliquant :
    • Une contribution active aux travaux agricoles (gestion des cultures, élevage, logistique, commercialisation, etc.) ;
    • Une participation régulière et durable, excluant les interventions occasionnelles ou purement symboliques ;
    • Une implication avérée dans la gestion de l’exploitation, attestant d’un engagement dans l’organisation et le développement de l’activité agricole.
      • En cas de litige, il appartient au demandeur d’apporter la preuve de sa participation effective à l’exploitation, par tout moyen (témoignages, justificatifs comptables, documents fiscaux, etc.). 
      • Cette exigence garantit que l’attribution préférentielle bénéficie aux véritables acteurs de l’exploitation, et non à des héritiers qui en revendiqueraient l’héritage sans en avoir jamais assumé la charge.

==>L’attribution d’une partie de l’exploitation agricole

L’attribution préférentielle ne se limite pas à l’ensemble d’une exploitation agricole dans son intégralité. Le législateur, soucieux d’adapter ce mécanisme aux réalités économiques et successorales, a prévu la possibilité d’une attribution partielle, dès lors que celle-ci permet le maintien d’une activité agricole viable. Cette possibilité, consacrée par l’article 831 du Code civil, s’exprime sous deux formes distinctes :

  • L’attribution d’une fraction de l’exploitation agricole
    • Il n’est pas exigé que l’exploitation dans son entier fasse l’objet d’une attribution préférentielle.
    • L’héritier demandeur peut prétendre à une fraction de celle-ci, à condition que cette partie conserve son autonomie économique et permette la poursuite d’une activité agricole efficiente.
    • Il ne s’agit donc pas de morceler l’exploitation au détriment de sa viabilité, mais bien de garantir la transmission d’une entité fonctionnelle, capable de subsister indépendamment du reste du domaine.
    • Le juge, saisi d’une telle demande, devra apprécier si la fraction sollicitée constitue une unité de production cohérente, dotée des ressources nécessaires à son exploitation (terres, bâtiments, matériel, cheptel, etc.). 
    • En d’autres termes, il s’assurera que l’attribution préférentielle ne crée pas une exploitation artificielle, mais bien une entité économiquement viable, capable d’être mise en valeur sans dépendre d’autres biens agricoles indivis.
  • L’attribution d’une quote-part indivise
    • Le législateur a également envisagé l’hypothèse dans laquelle un héritier déjà exploitant souhaiterait renforcer son exploitation par l’adjonction de biens appartenant à l’indivision successorale.
    • Dans cette optique, l’article 831 du Code civil autorise l’attribution préférentielle d’une quote-part indivise, permettant ainsi à l’héritier attributaire de consolider ou d’étendre son exploitation agricole existante.
    • Ce dispositif revêt une importance particulière dans les situations où un agriculteur déjà installé exploite des terres appartenant en partie à la succession. 
    • Sans ce mécanisme, il pourrait se retrouver contraint de racheter ces biens à ses cohéritiers ou, à défaut, d’abandonner une partie de son outil de travail. 
    • L’attribution préférentielle lui offre donc la possibilité de sécuriser son exploitation en intégrant définitivement à son patrimoine les éléments dont il avait jusqu’alors l’usage précaire.

3.3. L’attribution préférentielle des parts sociales des sociétés agricoles

==>Reconnaissance

Si l’attribution préférentielle s’est historiquement attachée aux biens immobiliers et mobiliers nécessaires à l’exploitation agricole, le législateur a progressivement reconnu que la structure juridique de certaines exploitations ne repose plus uniquement sur la détention en pleine propriété de terres et de matériels, mais bien sur une organisation sociétaire. 

Ainsi, afin d’adapter le droit successoral aux réalités économiques et aux nouveaux modes de gestion des exploitations agricoles, l’article 831 du Code civil prévoit que l’attribution préférentielle peut également porter sur des parts sociales de sociétés ayant pour objet l’exploitation agricole, sous réserve que cette attribution ne contrevienne pas aux stipulations statutaires de la société concernée.

L’attribution préférentielle peut ainsi concerner plusieurs types de sociétés agricoles, notamment :

  • Les parts d’un groupement foncier agricole (GFA) : le GFA étant une société civile ayant pour objet la détention et la gestion de terres agricoles, l’attribution préférentielle de ses parts permet à un héritier exploitant de conserver la maîtrise du foncier sans qu’il soit nécessaire de procéder à une répartition physique des terres. Cette solution favorise ainsi la pérennité du foncier agricole au sein du cercle familial et évite la fragmentation des propriétés.
  • Les parts d’une exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) : cette structure juridique étant particulièrement prisée par les exploitants agricoles pour organiser leur activité, l’attribution préférentielle de parts d’EARL permet d’assurer la continuité de l’exploitation en confiant le contrôle de la société à un héritier exploitant.
  • Les parts d’un groupement agricole d’exploitation en commun (GAEC) : dans le cadre d’un GAEC, où plusieurs associés exploitent une entreprise agricole en commun, l’attribution préférentielle des parts sociales à un héritier peut éviter l’entrée d’un tiers au sein de la société, préservant ainsi la cohésion de l’exploitation et la stabilité de son fonctionnement.
  • Les actions d’une société ayant pour objet l’exploitation agricole : certaines exploitations sont aujourd’hui organisées sous la forme de sociétés par actions (SAS ou SA), et l’attribution préférentielle peut également s’y appliquer dès lors que la société a pour finalité l’exploitation agricole et que ses statuts ne s’y opposent pas.

==>Conditions

Si l’attribution préférentielle des parts sociales constitue un mécanisme efficace pour assurer la continuité des exploitations agricoles sous forme sociétaire, elle est toutefois encadrée par certaines limites, visant à protéger à la fois les cohéritiers et les autres associés de la société.

  • Première condition
    • L’article 831 du Code civil précise expressément que l’attribution préférentielle des droits sociaux ne peut avoir lieu que si les statuts de la société ne s’y opposent pas.
    • En effet, certaines sociétés agricoles prévoient dans leurs statuts des clauses limitant la cession des parts sociales ou soumettant leur transmission à l’agrément des autres associés. 
    • En présence d’une telle clause, l’attributaire préférentiel devra obtenir l’accord des autres associés pour que l’attribution puisse être réalisée.
  • Deuxième condition
    • L’attribution préférentielle ne peut être accordée que si elle garantit la continuité de l’exploitation agricole.
    • Dès lors, il appartient à l’héritier demandeur de démontrer que la détention des parts sociales lui permettra d’assurer la pérennité de l’entreprise agricole et qu’il dispose des compétences et des moyens nécessaires pour en assurer la gestion.
  • Troisième condition
    • Comme pour toute attribution préférentielle, l’héritier qui en bénéficie doit indemniser ses cohéritiers pour compenser l’attribution exclusive des parts sociales.
    • Cette compensation peut s’opérer sous forme de soulte, sauf si les autres héritiers consentent à un partage inégal, ce qui reste une possibilité en cas d’accord familial.

B) Conditions relatives à l’attributaire

L’attribution préférentielle, en tant que modalité spécifique de partage, est soumise à des conditions rigoureuses quant à la qualité du demandeur. Trois exigences  se dégagent des textes et de la jurisprudence : l’attributaire doit avoir la qualité de copartageant, être titulaire de droits en propriété ou en nue-propriété, et justifier d’un intérêt légitime à l’attribution.

1. La qualité de copartageant

L’attribution préférentielle s’érige en une modalité singulière du partage, qu’il trouve sa source dans une dévolution successorale ou qu’il résulte de la dissolution d’une société. Dérogeant aux principes classiques du partage en nature ou par licitation, elle s’inscrit dans une perspective de pérennité patrimoniale et économique, veillant à préserver l’unité des biens et à en assurer la conservation ou l’exploitation dans des conditions optimales.

Toutefois, son octroi demeure subordonné à la réunion de deux exigences cumulatives :

  • L’exigence de qualité de copartageant, laquelle suppose d’être appelé à la répartition d’un patrimoine indivis, qu’il s’agisse d’une succession ou d’une masse sociale à liquider.
  • L’éligibilité à l’attribution préférentielle, réservée à certaines catégories de bénéficiaires déterminés en considération de leur lien avec le bien et de l’intérêt légitime qu’ils justifient à en obtenir l’attribution exclusive.

a. La nécessité d’endosser la qualité de copartageant

L’attribution préférentielle, en tant que modalité particulière du partage, ne peut être sollicitée que par un copartageant, c’est-à-dire un indivisaire appelé à bénéficier du partage d’un patrimoine, qu’il soit successoral, post-communautaire ou post-sociétaire. Cette exigence découle de la nature même de ce mécanisme, qui ne confère pas un droit propre à un individu, mais une faculté destinée à préserver l’unité et la continuité d’un bien en indivision, en fonction de son affectation économique, professionnelle ou familiale.

À l’origine, le bénéfice de l’attribution préférentielle était strictement limité aux héritiers ab intestat, excluant ainsi les autres indivisaires, notamment les légataires et les institués contractuels. Cette restriction répondait à une volonté de préserver le patrimoine au sein d’un cercle restreint, évitant qu’un tiers, choisi par voie de libéralité, ne puisse prétendre à l’appropriation d’un bien à titre préférentiel.

Toutefois, la réforme entreprise par la loi du 23 décembre 1970 a marqué une rupture en ouvrant cette faculté aux légataires universels et aux institués contractuels universels ou à titre universel (art. 833 C. civ.), consacrant ainsi une approche fondée non plus sur le lien familial, mais sur la vocation universelle du demandeur. Désormais, l’attribution préférentielle est accessible à toute personne ayant une indivision de principe sur le patrimoine à partager, sans que l’origine de ses droits (légale ou conventionnelle) constitue un critère d’exclusion.

En revanche, le titulaire de droits particuliers, tel que le légataire à titre particulier ou le bénéficiaire d’une indivision limitée à un bien spécifique, reste exclu du mécanisme. L’attribution préférentielle, qui suppose une indivision générale sur un ensemble de biens, ne peut être invoquée par celui qui ne détient qu’un droit déterminé sur un actif spécifique. Toutefois, si une réduction en nature d’une libéralité venait à placer un légataire en indivision avec d’autres indivisaires, ce dernier pourrait alors prétendre à l’attribution préférentielle pour sortir de l’indivision. La Cour de cassation a confirmé cette exclusion dans un arrêt du 21 juillet 1969, rappelant que seul un indivisaire ayant vocation à partager l’ensemble du patrimoine peut prétendre à cette faculté (Cass. 1re civ., 21 juill. 1969).

Enfin, la qualité de copartageant peut se transmettre: un successeur d’un indivisaire initial peut revendiquer l’attribution préférentielle, sous réserve d’en remplir personnellement les conditions, indépendamment de la situation de son auteur (Cass. 1re civ., 10 juin 1987, n°85-17.000). Cette solution consacre l’idée que l’attribution préférentielle ne repose pas sur la qualité personnelle du premier indivisaire, mais sur celle du demandeur final, garantissant ainsi une transmission patrimoniale fluide et une allocation optimale des biens indivis.

b. Les bénéficiaires éligibles à l’attribution préférentielle

Parmi les copartageants, seuls certains peuvent bénéficier de l’attribution préférentielle.

i. Le conjoint survivant

L’attribution préférentielle constitue un droit conféré au conjoint survivant, lui permettant de se voir attribuer certains biens du patrimoine successoral ou indivis afin d’assurer la continuité de ses conditions de vie. Ce mécanisme, qui vise à préserver le cadre de vie et les intérêts économiques du survivant, repose sur plusieurs dispositions du Code civil.

L’article 831-2 du Code civil prévoit ainsi que le conjoint survivant peut demander :

  • L’attribution en propriété ou en usufruit du logement conjugal, ainsi que du mobilier qui le garnit (C. civ., art. 831-2, 1°) ;
  • L’attribution des biens nécessaires à l’exercice de son activité professionnelle, à savoir la propriété ou le droit au bail du local à usage professionnel, ainsi que les objets mobiliers nécessaires à l’exercice de cette profession (C. civ., art. 831-2, 2°).

Par ailleurs, l’article 831-3 du Code civil accorde au conjoint survivant un droit automatique à l’attribution préférentielle du logement conjugal et de son mobilier, dès lors qu’il en fait la demande.

Ce droit, qui peut s’exercer dans le cadre d’un partage successoral ou d’un partage de communauté, se conjugue également avec le droit viager d’habitation et d’usage prévu à l’article 764 du Code civil, lequel permet au conjoint survivant de demeurer dans le logement principal du couple. Ces dispositifs combinés visent à éviter que le survivant ne se retrouve privé de son cadre de vie ou de ses moyens d’existence à la suite du décès de son époux.

==>L’attribution préférentielle dans le cadre d’un partage successoral

Le droit à l’attribution préférentielle du conjoint survivant s’exerce en priorité dans le cadre du partage successoral.

L’article 831-3 du Code civil prévoit que l’attribution en propriété ou en usufruit du logement conjugal et de son mobilier est de droit pour le conjoint survivant, dès lors qu’il en fait la demande.

Ainsi, sauf renonciation expresse du conjoint survivant ou circonstances particulières de la succession, le bénéfice de ce droit ne peut être écarté. En conséquence, dès lors que le survivant sollicite cette attribution, elle s’impose aux autres héritiers.

Toutefois, ce droit ne peut être invoqué en dehors d’un partage successoral. Dans un arrêt du 26 septembre 2012, la Cour de cassation a rejeté la demande d’attribution préférentielle d’une épouse séparée de biens, qui invoquait ce droit alors qu’aucune indivision successorale n’était en cause.

En l’espèce, les époux, mariés sous le régime de la séparation de biens, avaient acquis en indivision un immeuble à usage d’habitation. À la suite de la liquidation judiciaire du mari, le mandataire judiciaire, agissant dans l’intérêt des créanciers, a sollicité la cessation de l’indivision et la vente sur licitation du bien indivis. La conjointe, qui occupait ce logement, a alors demandé l’attribution préférentielle en se fondant sur les articles 831-3 et 832-4 du Code civil, offrant de verser une soulte dans les délais prévus par ce dernier texte.

La cour d’appel a rejeté sa demande, considérant que l’attribution préférentielle ne s’applique que dans le cadre d’un partage successoral ou d’un partage de communauté, et que la situation litigieuse relevait d’une indivision ordinaire née d’un acquisition conjointe, et non d’une succession ou d’un régime matrimonial dissous.

La Cour de cassation a confirmé cette analyse en relevant que la demanderesse n’avait pas la qualité de conjointe survivante, ce qui suffisait à exclure le bénéfice de l’attribution préférentielle de droit prévue à l’article 831-3 du Code civil. Elle a également précisé que cette faculté ne peut être exercée que dans le cadre d’un véritable partage successoral ou communautaire, à l’exclusion des situations où la fin de l’indivision résulte d’une procédure initiée par un créancier personnel d’un indivisaire (Cass. 1re civ., 26 sept. 2012, n° 11-16.246).

Cet arrêt illustre ainsi les limites du mécanisme de l’attribution préférentielle, qui ne saurait être invoqué pour contrer la licitation d’un bien indivis lorsque l’indivision ne relève ni du droit des successions, ni de la liquidation d’un régime matrimonial. 

==>L’attribution préférentielle dans le partage de communauté

Lorsque l’attribution préférentielle est demandée dans le cadre du partage d’une communauté, elle obéit à des règles spécifiques qui, bien que proches de celles du partage successoral, présentent des spécificités.

L’article 1476 du Code civil instaure un parallélisme des règles entre le partage de communauté et le partage successoral, en soumettant l’un aux principes gouvernant l’autre. Cette disposition prévoit, en effet, que « le partage de la communauté, pour tout ce qui concerne ses formes, le maintien de l’indivision et l’attribution préférentielle, la licitation des biens, les effets du partage, la garantie et les soultes, est soumis à toutes les règles qui sont établies au titre “Des successions” pour les partages entre cohéritiers. »

Ainsi, quelle que soit la cause de la dissolution du régime matrimonial — décès, divorce, séparation de corps ou changement de régime — l’un des époux peut prétendre à l’attribution préférentielle de certains biens indivis, en particulier lorsqu’il s’agit du logement conjugal ou des outils nécessaires à l’exercice d’une activité professionnelle.

La jurisprudence, bien avant l’adoption des textes actuels, avait déjà reconnu la possibilité d’une attribution préférentielle dans les partages consécutifs à un divorce ou à une séparation de corps, alors même que les dispositions anciennes ne visaient explicitement que le conjoint survivant (Cass. civ., 9 nov. 1954). 

Toutefois, le second alinéa de l’article 1476 du Code civil opère une distinction en modulant le régime de l’attribution préférentielle selon la cause de dissolution de la communauté. Il énonce que « toutefois, pour les communautés dissoutes par divorce, séparation de corps ou séparation de biens, l’attribution préférentielle n’est jamais de droit, et il peut toujours être décidé que la totalité de la soulte éventuellement due sera payable comptant. »

Il s’infère de cette disposition la nécessité de distinguer deux situations:

  • Lorsque la communauté est dissoute par décès, l’attribution préférentielle du logement conjugal et de son mobilier est de droit pour le conjoint survivant (C. civ., art. 831-3). Il suffit qu’il en fasse la demande pour qu’elle s’impose aux autres copartageants, sauf circonstances particulières.
  • Lorsque la communauté est dissoute par divorce, séparation de corps ou séparation de biens, l’attribution préférentielle n’est jamais de droit, mais reste soumise à l’appréciation du juge, qui appréciera l’opportunité de l’accorder en fonction des intérêts en présence.

Cette distinction repose sur une approche distincte du partage selon qu’il résulte d’un décès ou de la dissolution du mariage. En matière successorale, l’attribution préférentielle vise à protéger le conjoint survivant en lui permettant de conserver certains biens essentiels à son cadre de vie ou à son activité. En revanche, en cas de divorce ou de séparation, le principe est celui d’une liquidation définitive des intérêts patrimoniaux des époux, ce qui exclut toute automaticité de l’attribution préférentielle et justifie l’exigence d’un paiement immédiat de la soulte.

==>Cas particulier du conjoint séparé de biens

Un époux soumis au régime de la séparation de biens peut également prétendre à l’attribution préférentielle, sous réserve qu’il soit copropriétaire du bien concerné. L’article 1542 du Code civil étend expressément aux époux séparés de biens les règles de l’attribution préférentielle, sous réserve du respect des principes de l’indivision.

Ainsi, dans l’hypothèse où un bien a été acquis en indivision entre époux séparés de biens, et que cette indivision persiste après dissolution du mariage, l’un des époux peut solliciter l’attribution préférentielle lors du partage. 

Toutefois, la jurisprudence précise que cette demande peut également être formulée lorsque le partage intervient au cours du mariage, dès lors que l’indivision présente un caractère familial. En effet, la Cour de cassation a jugé qu’un époux séparé de biens pouvait prétendre à l’attribution préférentielle du logement conjugal dont il est copropriétaire, même si le partage était provoqué par un créancier, dès lors que l’indivision concernait un bien à usage familial (Cass. 1re civ., 9 oct. 1990, n° 89-10.429). Cette solution, fondée sur l’idée que la nature de l’indivision prime sur la cause du partage, assure une protection accrue du conjoint, en lui permettant de revendiquer l’attribution préférentielle du logement conjugal, y compris en dehors d’un partage successoral ou d’un partage de communauté postérieur à la dissolution du mariage.

ii. Les héritiers

L’article 831 du Code civil reconnaît à « tout héritier copropriétaire » le droit de solliciter l’attribution préférentielle, sans distinction de degré ou de ligne successorale. Peuvent ainsi y prétendre les héritiers en ligne directe comme en ligne collatérale, qu’ils soient issus du lien biologique ou adoptifs, dès lors qu’ils sont appelés à la succession et qu’ils l’ont acceptée. Cette qualité de successible est essentielle, car elle conditionne l’existence même du droit à l’attribution préférentielle.

Il en résulte qu’un cessionnaire de droits successoraux ne saurait revendiquer cette faculté, faute d’avoir lui-même la qualité d’héritier. La Cour de cassation a rappelé ce principe en jugeant qu’un ayant droit ne peut revendiquer l’attribution préférentielle, dans la mesure où il ne bénéficie pas personnellement de la vocation successorale initiale et n’est pas indivisaire de la succession (Cass. 1re civ., 9 janv. 1980, n° 78-14.550).

L’attribution préférentielle peut être demandée à tout moment jusqu’à la clôture définitive du partage. Peu importe que la demande de partage émane du postulant lui-même ou d’un autre cohéritier, voire d’un créancier de la succession : la seule exigence est d’être copropriétaire indivis du bien revendiqué (Cass. 1re civ., 24 mars 1998, n° 96-11.005).

Il en résulte que l’attribution préférentielle reste possible même si le partage a été sollicité par un tiers agissant dans l’intérêt d’un indivisaire. Ainsi, la demande de partage formulée par un créancier n’empêche pas l’héritier débiteur de revendiquer l’attribution préférentielle d’un bien successoral (Cass. 1re civ., 9 oct. 1990, n° 89-10.429).

Un héritier peut-il revendiquer l’attribution préférentielle lorsqu’il succède lui-même à un autre héritier qui aurait pu en bénéficier mais qui est décédé avant d’avoir exercé cette faculté ? La question n’est pas expressément tranchée par les textes, mais la jurisprudence y répond favorablement sous conditions.

La Cour de cassation a admis que l’héritier du premier successible pouvait exercer le droit à l’attribution préférentielle si celui-ci remplissait personnellement les conditions requises par la loi (Cass. 1re civ., 7 juill. 1971, n°70-13.561). Ce raisonnement repose sur la distinction entre :

  • Les facultés : un droit que le défunt n’a pas exercé de son vivant ne se transmet pas automatiquement à ses héritiers, sauf si ces derniers remplissent eux-mêmes les conditions nécessaires à son exercice ;
  • Les droits acquis : si un héritier a obtenu l’attribution préférentielle par un jugement définitif avant son décès, ce droit entre dans son patrimoine et se transmet à ses propres successibles, indépendamment de leur situation personnelle.

Ainsi, lorsque l’héritier décédé n’a pas formulé de demande d’attribution préférentielle, ses propres héritiers peuvent en solliciter le bénéfice, mais uniquement s’ils justifient personnellement des conditions exigées (Cass. 1re civ., 27 juin 2000, n° 98-17.177).

En revanche, lorsque l’attribution préférentielle a été définitivement accordée au premier héritier avant son décès, ses propres héritiers n’ont plus à justifier qu’ils remplissent personnellement les conditions légales : ils recueillent ce droit dans le cadre de la transmission successorale (Cass. 1re civ., 10 mars 1969).

La Cour de cassation a progressivement élargi la portée du droit à l’attribution préférentielle en dissociant la condition de participation à la mise en valeur du bien de celle de la copropriété.

Dans un arrêt du 10 juin 1987, elle a jugé qu’un héritier en second pouvait obtenir l’attribution préférentielle alors même que son auteur n’avait pas exercé cette faculté, à condition qu’il ait lui-même participé à la gestion ou à l’exploitation du bien en question (Cass. 1re civ., 10 juin 1987, n° 85-17.000). Cette solution marque une évolution notable : l’attribution préférentielle devient un droit propre à l’héritier en second, dès lors qu’il satisfait aux critères légaux, sans que l’on exige que son auteur ait lui-même rempli ces conditions.

Cette dissociation, consacrée à l’article 831 du Code civil, permet ainsi à un héritier de revendiquer l’attribution préférentielle d’un bien, même si son auteur ne pouvait lui-même y prétendre, dès lors qu’il remplit les conditions légales exigées, notamment en matière de participation effective à la mise en valeur du bien.

iii. Les légataires et institués contractuels

Avant l’adoption de la loi du 23 décembre 1970, la question de l’accès des légataires au bénéfice de l’attribution préférentielle avait donné lieu à des hésitations jurisprudentielles. Certains juges du fond avaient admis cette possibilité, considérant que la vocation successorale du légataire universel justifiait son assimilation à un héritier (CA Angers, 31 mai 1950). D’autres juridictions, en revanche, avaient rejeté cette prétention, estimant que l’attribution préférentielle devait être réservée aux parents du de cujus et ne pouvait être étendue à un tiers gratifié par testament (CA Rennes, 21 mars 1956).

Ces divergences n’avaient pas été tranchées par la loi de 1961, ce qui avait conduit la Cour de cassation à se prononcer en défaveur des légataires. Dans un arrêt du 15 novembre 1966, elle affirmait que « le légataire universel, qui peut n’être pas membre de la famille, ne saurait prétendre à l’attribution préférentielle » (Cass. 1re civ., 15 nov. 1966). Cette position restrictive, fondée sur l’idée que ce mécanisme devait avant tout servir la conservation familiale du patrimoine, allait à contre-courant de l’évolution doctrinale qui tendait à rapprocher le légataire universel de l’héritier.

Face à cette rigidité, le législateur a finalement réformé le dispositif en adoptant la loi du 23 décembre 1970, laquelle a modifié l’article 832-3 du Code civil (désormais repris à l’article 833), afin d’étendre expressément l’attribution préférentielle aux gratifiés ayant vocation universelle ou à titre universel. Depuis cette réforme, les légataires universels et les institués contractuels peuvent ainsi solliciter l’attribution préférentielle sous réserve de satisfaire aux conditions de droit et de fait imposées à tout attributaire.

La loi ne distingue pas selon la forme du testament qui institue le légataire (authentique, olographe, mystique ou international) ni selon la manière dont le legs est consenti. La seule distinction pertinente repose sur l’étendue de la vocation successorale conférée par le testament :

  • Le légataire universel peut prétendre, sans restriction, au bénéfice de l’attribution préférentielle, dans la mesure où il est appelé à recueillir l’intégralité de la succession et qu’il revêt ainsi une qualité assimilable à celle d’un héritier.
  • Le légataire à titre universel, c’est-à-dire celui qui reçoit une quote-part de la succession, bénéficie du même droit, à condition que la part qui lui est dévolue comprenne le bien objet de la demande d’attribution préférentielle.
  • Le légataire particulier, en revanche, demeure exclu du dispositif. Son legs portant sur un bien déterminé, il est censé en recevoir la pleine propriété par l’effet du testament, sans qu’il ait besoin de l’intervention des règles du partage successoral.

Toutefois, une exception existe lorsque la libéralité consentie au légataire est réduite en nature. En pareille hypothèse, le légataire particulier se retrouve en indivision avec les héritiers réservataires et peut ainsi se prévaloir du mécanisme de l’attribution préférentielle pour obtenir la propriété du bien indivis (Cass. 1re civ., 21 juill. 1969).

La généralisation de la réduction en valeur opérée par la loi du 23 juin 2006 a considérablement restreint l’intérêt du légataire universel à recourir à l’attribution préférentielle. En effet, si une libéralité excède la quotité disponible, elle est désormais réduite en valeur et non en nature, sauf exception. Cette réduction en valeur a pour effet de maintenir l’intégrité du legs dans le patrimoine du légataire, en contrepartie du paiement d’une indemnité aux héritiers réservataires. Dans un tel contexte, l’indivision successorale devient rare et, avec elle, le besoin de recourir à l’attribution préférentielle.

Toutefois, dans l’hypothèse exceptionnelle où la réduction s’opère en nature, le légataire universel peut se retrouver en indivision avec les héritiers réservataires et être amené à revendiquer l’attribution préférentielle du bien litigieux (art. 924 et 924-1 C. civ.).

Les règles régissant l’attribution préférentielle des légataires trouvent à s’appliquer, mutatis mutandis, aux institués contractuels, en vertu de l’assimilation opérée par l’article 833 du Code civil. Cette disposition leur confère ainsi la possibilité de solliciter l’attribution préférentielle, sous réserve qu’ils disposent d’une vocation universelle ou à titre universel à la succession.

Si, dans son acception traditionnelle, l’institution contractuelle désigne principalement les donations de biens à venir consenties par contrat de mariage, il est désormais admis que cette notion couvre également les donations entre époux réalisées en cours d’union, pour autant qu’elles attribuent au survivant des droits successoraux de nature universelle. Cette extension doctrinale et jurisprudentielle renforce la protection patrimoniale du conjoint bénéficiaire, en lui ouvrant l’accès aux mécanismes de l’attribution préférentielle dans le cadre du partage successoral.

De même, l’assimilation entre héritiers, légataires et institués contractuels opérée par le législateur s’étend également à la transmissibilité du bénéfice de l’attribution préférentielle. Ainsi, lorsqu’un légataire universel ou un institué contractuel décède avant d’avoir exercé son droit à l’attribution préférentielle, ses héritiers peuvent en revendiquer le bénéfice, à condition qu’ils remplissent eux-mêmes les conditions personnelles requises pour en bénéficier.

Cette transmission se justifie par la volonté du législateur d’uniformiser le sort des gratifiés universels en leur conférant, sauf disposition contraire, un statut similaire à celui des héritiers ab intestat en matière de partage. Dès lors, un légataire de l’héritier ou un légataire du légataire peut également exercer cette faculté, dans la mesure où il hérite d’une vocation successorale universelle ou à titre universel et satisfait aux exigences légales.

Enfin, cette logique s’applique aux libéralités graduelles ou résiduelles, lorsque plusieurs gratifiés en second sont appelés à recueillir collectivement les biens grevés de la charge de conservation et de restitution. Dès lors qu’ils sont investis d’une vocation universelle et qu’ils remplissent les conditions d’attribution préférentielle, ils peuvent prétendre à ce mécanisme, consolidant ainsi la cohérence et l’unité du régime successoral des gratifiés universels.

iv. Les partenaires de PACS

Avant 1999, le partenaire survivant ne bénéficiait d’aucune protection en matière de partage successoral. La loi du 15 novembre 1999 a corrigé cette lacune en insérant l’article 515-6 dans le Code civil, lequel ouvrait aux partenaires la possibilité de demander l’attribution préférentielle. Toutefois, cette faculté était initialement limitée aux dispositions de l’article 832 du Code civil, ce qui excluait d’emblée :

  • Les exploitations agricoles ;
  • Les parts indivises de ces exploitations ;
  • Les parts sociales des sociétés exploitant un domaine agricole.

Cette exclusion traduisait la volonté du législateur de maintenir une distinction entre les biens patrimoniaux à vocation résidentielle ou professionnelle, accessibles aux partenaires de PACS, et les biens à caractère économique, tels que les exploitations agricoles, dont la transmission devait rester prioritairement réservée aux héritiers du défunt. Ce choix instaurait ainsi une différence de traitement entre les unions contractuelles principalement urbaines, où l’attribution préférentielle pouvait jouer un rôle protecteur, et celles ancrées dans un cadre rural, où cette faculté était délibérément écartée.

En outre, la seule référence à l’article 832 du Code civil dans l’ancienne version de l’article 515-6 soulevait une incertitude quant aux autres formes d’attribution préférentielle. Il n’était pas précisé si les partenaires pouvaient bénéficier des dispositions spécifiques permettant aux nus-propriétaires, légataires et institués contractuels de revendiquer une attribution préférentielle (art. 832-4 C. civ.).

La loi du 23 juin 2006 a profondément modifié le régime applicable aux partenaires. Elle a clarifié et élargi leur droit à l’attribution préférentielle en modifiant l’article 515-6 du Code civil, qui dispose désormais que les articles 831, 831-2, 832-3 et 832-4 sont applicables aux partenaires de PACS en cas de dissolution de celui-ci.

Cette réécriture a deux conséquences majeures :

  • Elle consacre l’accès du partenaire survivant à l’attribution préférentielle facultative pour certains biens, notamment :
    • La résidence principale et le mobilier qui la garnit (C. civ., art. 831-2, 1°);
    • Le local à usage professionnel et son mobilier (C. civ., art. 831-2, 2°) ;
    • Le véhicule nécessaire aux besoins de la vie courante (C. civ., art. 831-2, 1° in fine).
  • Elle écarte explicitement les règles concernant:
    • L’attribution préférentielle de plein droit du logement et du mobilier (C. civ., art. 831-3) ;
    • Les exploitations agricoles (C. civ., art. 832) ;
    • La constitution d’un groupement foncier agricole (C. civ., art. 832-1 et 832-2).

Cette réforme met fin à l’ambiguïté qui existait sous l’empire de la loi de 1999 et conforte l’alignement progressif des effets du PACS sur ceux du mariage.

Si les partenaires de PACS ne bénéficient pas du droit viager d’habitation et d’usage accordé aux conjoints survivants (art. 764 C. civ.), la loi leur offre néanmoins une protection renforcée en matière de logement.

En effet, l’article 515-6 du Code civil prévoit qu’un partenaire survivant peut bénéficier de l’attribution préférentielle de la résidence principale, mais seulement si le défunt l’a expressément prévu par testament. Cette disposition introduit ainsi une différence notable avec le conjoint survivant, qui dispose d’un droit à l’attribution préférentielle de plein droit (art. 831-3 C. civ.).

En parallèle, la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 a instauré un droit spécifique pour le partenaire survivant en matière de droit au bail, en introduisant l’article 1751-1 du Code civil. Ce texte prévoit que le partenaire survivant peut demander au juge l’attribution du droit au bail du logement commun, sous réserve des intérêts sociaux et familiaux en présence. Cette faculté permet ainsi au survivant de ne pas être contraint de quitter brutalement le domicile en cas de décès de son partenaire.

L’attribution préférentielle peut également être sollicitée en cas de rupture du PACS entre vifs, c’est-à-dire :

  • Par la volonté commune des partenaires ;
  • Par la volonté unilatérale de l’un d’eux (art. 515-7 C. civ.).

Dans ce cas, l’attribution préférentielle fonctionne comme dans une indivision classique : le partenaire qui souhaite conserver le bien peut demander son attribution moyennant le versement d’une soulte à l’autre. Si un litige survient entre les partenaires ou avec les héritiers du défunt, le tribunal appréciera la demande en considération des intérêts en présence.

L’article 515-6 renvoyant expressément à l’article 832-3 du Code civil, qui régit les conflits en matière d’attribution préférentielle, les principes généraux du droit des successions trouvent ici à s’appliquer.

Malgré cette avancée législative, certaines différences subsistent entre les partenaires de PACS et les conjoints mariés :

  • L’attribution préférentielle est de droit pour le conjoint survivant en matière de logement principal (art. 831-3 C. civ.), alors qu’elle nécessite un testament exprès pour le partenaire de PACS (art. 515-6 C. civ.).
  • Le droit viager d’usage et d’habitation dont bénéficie le conjoint survivant (art. 764 C. civ.) ne s’applique pas aux partenaires de PACS.
  • Les partenaires de PACS sont exclus des dispositifs relatifs aux exploitations agricoles et aux entreprises familiales, ce qui peut être préjudiciable lorsque le couple partageait une activité économique.

Toutefois, cette assimilation partielle témoigne d’une tendance du législateur à rapprocher, dans une certaine mesure, les effets du PACS de ceux du mariage, notamment en matière successorale et patrimoniale.

v. L’exclusion des concubins

==>Principe

Contrairement aux partenaires liés par un pacte civil de solidarité, les concubins ne bénéficient d’aucun droit à l’attribution préférentielle, cette faculté étant strictement réservée au conjoint survivant, aux héritiers et aux partenaires de PACS. La Cour de cassation a réaffirmé avec constance cette exclusion, fondée sur l’absence de cadre juridique régissant le concubinage, qui ne crée aucun droit successoral automatique entre les concubins.

Cette position jurisprudentielle s’impose avec fermeté, y compris dans les cas où l’un des concubins occupait exclusivement le bien indivis après la rupture. Ainsi, la haute juridiction a censuré une décision qui avait accordé à un concubin l’attribution préférentielle d’un bien indivis au motif qu’il en était l’occupant depuis la séparation du couple. 

Elle a rappelé que l’attribution préférentielle, prévue par l’article 832 du Code civil, ne peut être demandée que par le conjoint ou par un héritier, et ne s’applique donc pas aux concubins, quelles que soient les circonstances de la rupture et l’occupation du bien indivis. 

En l’espèce, les juges du fond avaient retenu que l’attribution préférentielle devait être accordée au concubin au motif qu’il résidait dans le bien et qu’il n’était pas démontré qu’il serait dans l’impossibilité de s’acquitter d’une éventuelle soulte. La Cour de cassation a censuré cette décision en considérant que, les parties n’étant pas mariées, l’intéressé ne pouvait en aucun cas prétendre au bénéfice de ce mécanisme successoral (Cass. 1re civ., 9 déc. 2003, n° 02-12.884).

==>Exceptions

  • L’indivision conventionnelle
    • Si le concubinage en lui-même n’ouvre aucun droit à l’attribution préférentielle, une exception peut toutefois être admise lorsque les concubins ont acquis un bien en indivision et ont encadré leur relation patrimoniale par une convention spécifique. 
    • En effet, si un pacte stipule expressément un droit de préférence au profit de l’un des concubins, celui-ci pourra l’invoquer lors du partage de l’indivision.
    • La Cour de cassation a rappelé, dans un arrêt du 26 septembre 2012, que l’attribution préférentielle ne pouvait être sollicitée que par un conjoint, un partenaire de PACS ou un héritier, excluant ainsi les concubins du bénéfice des articles 831 et suivants du Code civil.
    • Toutefois, dans cette même décision, elle a précisé que l’indivision conventionnelle liant les concubins ne comportait aucune stipulation prévoyant un tel mécanisme, laissant ainsi entendre qu’une clause contractuelle explicite aurait pu être prise en compte (Cass. 1re civ., 26 sept. 2012, n° 11-12.838).
    • Ainsi, bien que le concubin ne puisse pas revendiquer l’attribution préférentielle en vertu du droit successoral ou matrimonial, il peut néanmoins organiser contractuellement un droit similaire dans le cadre des règles de l’indivision ordinaire, sous réserve d’un accord préalable entre les parties.
  • La théorie de l’accession
    • Dans un cas où une concubine était propriétaire d’un terrain sur lequel elle et son concubin avaient édifié ensemble une maison à frais communs, la Cour de cassation a jugé que la construction était devenue la propriété de la concubine par accession et que celle-ci pouvait en obtenir l’attribution dans le cadre de la liquidation du concubinage (Cass. 1re civ., 2 oct. 2002, n° 01-00.002).
    • Cette solution repose sur la théorie de l’accession et non sur l’attribution préférentielle au sens strict.
  • Le mariage des concubins suivi d’un divorce
    • Un concubin ayant acquis avec sa concubine un bien en indivision avant leur mariage peut, s’ils divorcent ultérieurement, solliciter l’attribution préférentielle du bien en tant que conjoint divorcé.
    • En effet, le changement de statut du couple entraîne un basculement dans le régime de l’attribution préférentielle des époux, le demandeur pouvant alors fonder sa prétention sur sa qualité de conjoint et de copropriétaire (Cass. 1re civ., 7 juin 1988, n°86-15.090).
  • L’existence d’une société de fait
    • Dans certaines circonstances, la reconnaissance d’une société de fait entre concubins peut leur permettre d’accéder à un mécanisme proche de l’attribution préférentielle. 
    • La Cour de cassation a ainsi censuré une décision qui avait refusé d’examiner l’existence d’une telle société entre concubins ayant acquis ensemble un immeuble et ayant organisé entre eux les modalités de remboursement.
    • Elle a estimé que les juges du fond auraient dû vérifier si la situation ne relevait pas du régime des sociétés de fait, auquel cas le partage aurait obéi aux règles des sociétés, notamment celles relatives à la répartition des actifs en cas de dissolution (Cass. 1re civ., 20 mars 1989, n° 87-15.818).
    • Toutefois, la jurisprudence se montre extrêmement rigoureuse dans l’admission de telles sociétés, exigeant que soit démontrée l’existence d’un réel affectio societatis, c’est-à-dire une volonté commune de collaborer dans une entreprise à but lucratif. 
    • À défaut, la société de fait ne sera pas reconnue et le concubin restera soumis au régime de l’indivision ordinaire, sans possibilité de revendiquer une attribution préférentielle (Cass. 1re civ., 20 janv. 2010, n° 08-13.200).

vi. Les associés dans le cadre du partage d’une société

L’attribution préférentielle ne se limite pas aux partages successoraux ou matrimoniaux ; elle trouve également à s’appliquer dans le cadre du partage de l’actif social d’une société en liquidation. L’article 1844-9 du Code civil consacre cette possibilité en prévoyant que « les règles concernant le partage des successions, y compris l’attribution préférentielle, s’appliquent aux partages entre associés. »

Toutefois, ce droit demeure encadré par des principes spécifiques au droit des sociétés. En premier lieu, le partage ne peut intervenir qu’après le paiement des dettes et le remboursement du capital social. Ce n’est qu’une fois ces obligations satisfaites que les associés peuvent prétendre au partage du solde de l’actif, en principe proportionnellement à leur participation aux bénéfices, sauf disposition contraire des statuts ou accord spécifique des associés.

En second lieu, l’attribution préférentielle est subordonnée à l’exercice des prérogatives prioritaires expressément prévues par l’alinéa 3 de l’article 1844-9 du Code civil. Ce texte confère en effet une priorité absolue à l’associé ayant effectué un apport en nature : si le bien apporté figure toujours dans l’actif social au moment du partage, il peut, sur simple demande, en obtenir l’attribution à charge de soulte si nécessaire. Ce droit prime toute autre demande d’attribution préférentielle et s’exerce avant toute autre répartition de l’actif.

En l’absence d’apport en nature identifiable, l’attribution préférentielle peut néanmoins être sollicitée par un associé sur tout bien répondant aux conditions définies aux articles 831 et 831-2 du Code civil. Autrement dit, un associé peut prétendre à l’attribution d’un actif social qui lui est nécessaire pour poursuivre une activité professionnelle, ou encore d’un bien immobilier servant d’habitation, à condition qu’il remplisse les exigences requises par le droit commun de l’attribution préférentielle.

La Cour de cassation a eu l’occasion d’appliquer ces principes dans une affaire impliquant le partage de l’actif social d’une société créée de fait entre concubins. Ceux-ci exploitaient ensemble un centre d’hébergement touristique et de loisirs, au sein duquel l’un des associés avait réalisé plusieurs tapisseries dans le cadre des activités artisanales développées par la société. La Cour d’appel avait jugé que ces œuvres, représentant l’apport en industrie de leur créateur, faisaient partie de l’actif social et devaient être intégrées à la masse à partager après liquidation du passif.

Confirmant cette analyse, la Cour de cassation a retenu que ces biens, relevant de l’activité de la société et se retrouvant en nature dans l’actif social, ouvraient droit à une attribution préférentielle au profit de leur auteur, sous réserve du versement d’une soulte aux autres associés, en application de l’article 1844-9 du Code civil (Cass. 1re civ., 30 mai 2006, n° 04-14.749). Ainsi, la haute juridiction a rappelé que lorsqu’un bien, résultant d’un apport en industrie, demeure en nature au sein du patrimoine social au moment de la liquidation, l’associé à l’origine de cet apport peut en solliciter l’attribution préférentielle dans le cadre du partage de l’actif.

2. La titularité d’un droit en propriété ou en nue-propriété

L’attribution préférentielle, en tant que modalité du partage successoral, suppose la détention d’un droit réel sur le bien indivis. Toutefois, si les héritiers titulaires d’un droit en pleine propriété ou en nue-propriété peuvent prétendre à cette faculté, les usufruitiers en sont expressément exclus. Cette distinction, qui repose sur la nature même des droits en cause, mérite d’être examinée à travers deux axes complémentaires : d’une part, l’exigence de titularité d’un droit en propriété ou en nue-propriété, et, d’autre part, l’exclusion des titulaires d’un droit d’usufruit.

a. L’exigence de titularité d’un droit en propriété ou en nue-propriété

L’attribution préférentielle, en tant que modalité du partage successoral, suppose que le demandeur détienne un droit en indivision sur le bien concerné. À ce titre, seuls les titulaires de droits en pleine propriété ou en nue-propriété peuvent valablement en solliciter le bénéfice. Cette exigence, consacrée par l’article 831 du Code civil, trouve sa justification dans le principe selon lequel le partage ne peut porter que sur les biens relevant de l’indivision, à l’exclusion de ceux qui appartiennent à des tiers.

Originellement, la jurisprudence interprétait de manière rigoureuse cette exigence de copropriété, réservant l’attribution préférentielle aux seuls titulaires d’un droit en pleine propriété. Dans un arrêt du 8 novembre 1965, la Cour de cassation avait ainsi retenu l’exclusion des nus-propriétaires, considérant que la nue-propriété, en ce qu’elle constitue un droit de propriété démembré, ne conférait pas une maîtrise suffisante du bien pour justifier une attribution préférentielle (Cass. 1re civ., 8 nov. 1965).

Cette position s’est révélée particulièrement sévère dans les hypothèses où le conjoint survivant recueillait l’usufruit universel des biens successoraux, reléguant les héritiers à la seule nue-propriété, sans possibilité d’obtenir l’attribution préférentielle des biens nécessaires à la poursuite d’une activité professionnelle ou à la conservation du patrimoine familial. Une telle rigueur a suscité d’importantes critiques doctrinales, dénonçant une application excessivement formaliste du droit successoral, au détriment de l’objectif poursuivi par le mécanisme de l’attribution préférentielle.

Face aux incohérences pratiques générées par cette exclusion, le législateur a entendu remédier à cette situation en adoptant la loi du 23 décembre 1970, introduisant l’article 832-4 du Code civil, devenu l’article 833 depuis la réforme du 23 juin 2006. Cette réforme a marqué une avancée décisive en reconnaissant aux nus-propriétaires la faculté de solliciter l’attribution préférentielle d’un bien indivis, y compris lorsque celui-ci restait grevé d’un usufruit.

Désormais, le nu-propriétaire, au même titre que le titulaire d’un droit en pleine propriété, peut revendiquer l’attribution préférentielle, ce qui revêt une portée pratique considérable dans le cadre de la transmission d’entreprises ou de biens immobiliers à usage professionnel. Un enfant nu-propriétaire exploitant un fonds de commerce ou une exploitation agricole peut ainsi prétendre à l’attribution préférentielle du bien, sous réserve de justifier d’une participation effective à son exploitation (Cass. 1ere civ., 2 déc. 2015, n°14-25.622). Cette évolution contribue à assurer la pérennité des entreprises familiales et à éviter que l’usufruit détenu par un conjoint survivant ne constitue un frein à la continuité de l’exploitation.

Toutefois, cette ouverture ne s’étend pas aux légataires à titre particulier. En effet, ces derniers ne disposent pas de la qualité d’héritier et, partant, ne peuvent se prévaloir du mécanisme de l’attribution préférentielle, sauf dans l’hypothèse où la libéralité consentie a été réduite en nature, les plaçant alors en indivision avec les autres cohéritiers. Cette exclusion s’explique par la volonté du législateur de réserver ce dispositif aux successions ab intestat ou aux situations où un bien demeure en indivision entre les successibles.

b. L’exclusion des titulaires d’un droit d’usufruit

Si la reconnaissance du droit des nus-propriétaires à solliciter une attribution préférentielle constitue une avancée significative du droit successoral, il n’en demeure pas moins que les usufruitiers en sont, quant à eux, formellement exclus. Cette exclusion procède de la nature même de l’usufruit, qui ne confère qu’un droit de jouissance temporaire, tandis que l’attribution préférentielle implique un transfert de propriété, incompatible avec les prérogatives limitées de l’usufruitier.

Ainsi, la Cour de cassation a rappelé à plusieurs reprises que l’usufruitier ne peut, en aucun cas, prétendre à une attribution préférentielle (Cass. 1re civ., 27 juin 2000, n° 98-17.177). Une telle demande reviendrait, en effet, à transformer un droit temporaire de jouissance en un droit de propriété définitif, ce que la loi prohibe expressément. L’attribution préférentielle étant une simple modalité du partage, elle ne peut en aucun cas constituer un moyen détourné d’accroître les droits de l’usufruitier au détriment des autres héritiers.

Cette exclusion trouve une justification dans la distinction fondamentale entre l’usufruit et la pleine propriété. L’usufruitier n’a, par définition, ni la maîtrise intégrale du bien, ni la faculté de le disposer librement. Or, le mécanisme de l’attribution préférentielle suppose, au contraire, une appropriation totale et définitive du bien, assortie, le cas échéant, du versement d’une soulte aux coindivisaires. Dans ces conditions, l’usufruitier ne saurait revendiquer une attribution préférentielle, pas même sous la forme d’un usufruit viager sur le bien litigieux.

Avant la réforme du 3 décembre 2001, cette exclusion de l’usufruitier s’est révélée particulièrement préjudiciable au conjoint survivant. En présence de descendants, ce dernier ne recueillait bien souvent que l’usufruit légal du quart de la succession et ne pouvait, en conséquence, obtenir l’attribution préférentielle du logement conjugal indivis (Cass. 1re civ., 10 mai 1966). En raison de l’absence de copropriété en pleine propriété, condition alors strictement exigée, le conjoint survivant usufruitier était privé de toute possibilité de sécuriser son maintien dans le logement.

Face aux difficultés pratiques engendrées par cette rigueur juridique, le législateur est intervenu par la loi du 3 décembre 2001, instaurant un droit viager au logement au profit du conjoint survivant (art. 764 C. civ.). Ce dispositif vise à assurer la protection du logement conjugal en permettant au conjoint survivant d’y demeurer jusqu’à son décès, à condition que ce bien ait constitué sa résidence principale au jour du décès du défunt.

Toutefois, ce droit viager ne saurait être assimilé à une attribution préférentielle. Contrairement à cette dernière, qui conduit à l’acquisition définitive du bien en propriété, le droit viager au logement se borne à conférer au conjoint survivant un droit d’usage et d’habitation, insusceptible de mutation ou de cession. Il s’agit d’une mesure de protection d’ordre public, s’imposant aux héritiers sans qu’aucune contrepartie financière ne leur soit due. De ce fait, si le conjoint survivant peut bénéficier d’une jouissance prolongée du logement conjugal, il demeure exclu du champ de l’attribution préférentielle, dont la vocation est résolument patrimoniale.

Cette distinction est d’autant plus importante que le droit viager au logement s’exerce indépendamment des règles successorales classiques. Il ne suppose pas l’indivision du bien et peut s’appliquer même si les héritiers entendent procéder à un partage immédiat de la succession. En revanche, l’attribution préférentielle reste subordonnée à l’existence d’une indivision successorale, ce qui en limite la portée au cadre du partage.

c. La situation particulière du titulaire d’un droit au bail

Si l’usufruitier demeure exclu du bénéfice de l’attribution préférentielle, le législateur a néanmoins aménagé une protection spécifique en matière de droit au bail, reconnaissant au conjoint survivant un droit préférentiel lui permettant de solliciter l’attribution du droit au bail du logement commun.

Cette avancée a été introduite par la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014, laquelle a inséré l’article 1751-1 du Code civil. Ce texte autorise désormais le conjoint survivant à demander l’attribution du droit au bail du logement conjugal, sous réserve de l’appréciation des intérêts en présence par le juge. Ce dernier devra notamment tenir compte des besoins du conjoint survivant et de ceux des autres héritiers pour statuer sur la demande.

Cette protection constitue une réponse aux difficultés que rencontrait le conjoint survivant en cas de logement pris à bail. Avant cette réforme, la question du devenir du contrat de location en cas de décès du locataire était source d’incertitudes. Si la jurisprudence avait admis que le conjoint survivant pouvait se voir reconnaître un droit exclusif sur le bail en cas de nécessité manifeste, cette solution demeurait incertaine et soumise aux appréciations des juges du fond. L’introduction de l’article 1751-1 du Code civil a donc eu pour effet de sécuriser la situation du conjoint survivant, en lui conférant un véritable droit préférentiel, opposable aux autres héritiers.

Toutefois, il est essentiel de souligner que ce droit préférentiel en matière de bail ne remet pas en cause l’exclusion du conjoint survivant du bénéfice de l’attribution préférentielle en pleine propriété. En effet, ce dispositif ne lui permet pas d’acquérir la propriété du logement, mais simplement d’en préserver la jouissance en cas de décès de son conjoint. Il constitue ainsi une mesure de protection renforcée du logement, sans pour autant emporter les effets patrimoniaux attachés à l’attribution préférentielle.

3. L’existence d’un intérêt légitime à l’attribution préférentielle

L’attribution préférentielle ne saurait être accordée sans la démonstration d’un intérêt légitime du postulant. Cette exigence, qui découle de l’article 831 du Code civil, se justifie par le fait que l’attribution constitue une modalité particulière du partage successoral, dérogeant au principe d’égalité entre coindivisaires. L’intérêt légitime s’apprécie au regard de la nature du bien sollicité et des circonstances propres à chaque demande.

a. L’attribution d’une entreprise agricole, commerciale, artisanale, industrielle ou libérale

L’attribution préférentielle d’une entreprise implique que le demandeur justifie d’une participation effective à son exploitation, conformément aux dispositions de l’article 831, alinéa 1 du Code civil. Cette participation peut être directe (gestion, exploitation active) ou indirecte (collaboration étroite, implication dans la valorisation de l’activité).

Ainsi, la jurisprudence reconnaît qu’un héritier peut prétendre à l’attribution préférentielle s’il a exercé une activité en lien avec l’exploitation concernée, même si cette activité n’était pas continue. Il n’est pas exigé que la participation ait perduré jusqu’à l’ouverture de la succession, il suffit qu’elle ait existé à un moment pertinent et qu’elle soit démontrée de manière tangible.

Par exemple, la Cour de cassation a jugé qu’un enfant ayant participé à l’exploitation d’un fonds de commerce familial, fût-ce de manière ponctuelle, pouvait se voir attribuer préférentiellement le bien, dès lors qu’il démontrait une intention de poursuivre l’activité (Cass. 1ere civ., 2 déc. 2015, n° 14-25.622). Cette souplesse vise à éviter une déstabilisation excessive des entreprises familiales lors du règlement successoral.

En matière agricole, l’attribution préférentielle peut être facilitée lorsque l’héritier exploite déjà le bien en qualité de fermier ou de métayer. Cette situation permet au juge de constater une continuité de l’exploitation et d’accorder l’attribution au regard de l’intérêt économique généralre.

Cependant, une stricte appréciation des critères demeure de mise : une simple intention déclarative de reprendre l’exploitation ne suffit pas, la preuve d’un engagement antérieur ou d’une compétence spécifique est requise.

b. L’attribution du local d’habitation ou professionnel

Lorsqu’elle porte sur un bien immobilier, l’attribution préférentielle repose sur des critères d’occupation effective et de nécessité.

S’agissant des locaux à usage d’habitation, l’article 831-2 du Code civil impose que le demandeur y ait résidé de manière stable avant l’ouverture de la succession et qu’il justifie d’un besoin réel de s’y maintenir. La Cour de cassation a ainsi rappelé que l’attribution ne saurait être accordée à un indivisaire qui ne justifie pas d’une occupation antérieure ou d’un projet de maintien dans le logement familial (Cass. 1re civ., 15 janv. 2014, n° 12-25.322).

Concernant les locaux professionnels, l’exigence porte non sur une occupation antérieure, mais sur l’exercice effectif d’une activité à la date de la demande (art. 831-2, 2° C. civ.). Cette condition vise à éviter qu’un indivisaire ne sollicite l’attribution à des fins spéculatives sans réel projet d’exploitation. Dès lors, un héritier qui exerce déjà une profession libérale dans un immeuble appartenant à l’indivision aura un intérêt légitime à en solliciter l’attribution.

c. L’attribution des éléments mobiliers affectés à l’exploitation

L’attribution préférentielle peut également s’étendre aux biens mobiliers nécessaires à l’exploitation d’un fonds professionnel ou agricole (art. 831-2, 3° C. civ.). Cette extension permet au bénéficiaire de poursuivre l’activité économique dans des conditions optimales.

Là encore, la notion d’intérêt légitime suppose la démonstration d’un usage effectif du matériel concerné. Ainsi, un médecin succédant à une clinique familiale pourra solliciter l’attribution préférentielle du matériel médical s’il entend poursuivre l’exercice de la profession dans les lieux. De même, un exploitant agricole héritant du cheptel de son prédécesseur pourra prétendre à son attribution dès lors qu’il démontre son utilité pour la continuité de l’exploitation.

La jurisprudence a admis que la continuité d’exploitation pouvait être assurée par l’attributaire lui-même ou par un membre de sa famille exerçant l’activité sous sa responsabilité (Cass. 1ere civ., 10 juin 1987, n°85-17.000). En revanche, une attribution préférentielle visant un matériel d’exploitation sans lien avéré avec l’activité du demandeur serait rejetée.

C) Conditions tenant aux volontés exprimées par le défunt et aux choix des copartageants

L’attribution préférentielle, en tant que simple modalité du partage successoral, se trouve naturellement soumise à la volonté du défunt et des copartageants. Loin d’être un droit absolu, elle demeure tributaire des dispositions prises de son vivant par le de cujus et des choix exprimés par les indivisaires lors du partage. Son application obéit ainsi à un double contrôle : d’une part, celui du testateur, dont les dispositions peuvent entraver ou exclure l’attribution préférentielle ; d’autre part, celui des copartageants, qui peuvent en contester la mise en œuvre sous certaines conditions.

1. L’influence de la volonté du défunt

==>La faculté d’exclure l’attribution préférentielle

Le défunt conserve une large latitude pour organiser la transmission de ses biens et, partant, restreindre ou empêcher l’attribution préférentielle. Ce pouvoir découle du principe selon lequel les dispositions testamentaires priment sur les règles supplétives du Code civil. Ainsi, plusieurs mécanismes peuvent être mis en œuvre pour priver les héritiers de la possibilité d’obtenir une attribution préférentielle :

  • L’exclusion par legs ou donation : un bien légué à titre particulier sort du patrimoine successoral et échappe de ce fait à l’attribution préférentielle. La jurisprudence l’a affirmé de manière constante, admettant que l’institution d’un légataire emporte de plein droit l’exclusion de la répartition successorale classique et donc de l’attribution préférentielle (Cass. 1re civ., 8 juill. 1958).
  • Le recours aux libéralités-partages : de même, lorsqu’un bien est attribué dans le cadre d’une donation-partage, il échappe définitivement aux opérations de partage et à toute revendication au titre de l’attribution préférentielle.
  • Les clauses testamentaires excluant le partage en nature : un testateur peut stipuler une disposition imposant un partage en nature ou interdisant une attribution préférentielle sur certains biens spécifiques (Cass. 1re civ., 3 févr. 1959). Une telle clause prime sur la demande d’attribution, sauf fraude manifeste ou contradiction avec des dispositions impératives.

==>Les limites de la volonté du défunt

Si le de cujus dispose d’un pouvoir d’organisation de sa succession, encore faut-il que sa volonté soit formelle et non équivoque. En effet, une simple disposition ambiguë ne saurait suffire à écarter le droit d’attribution préférentielle. La jurisprudence a ainsi précisé que l’exclusion de ce mécanisme ne peut résulter que d’une stipulation expresse, par exemple une clause testamentaire affirmant clairement la volonté d’un partage en nature ou d’une répartition spécifique du patrimoine (Cass. 1re civ., 30 oct. 1962).

Par ailleurs, la réduction des libéralités pour atteinte à la réserve ne réintroduit pas l’attribution préférentielle. En effet, lorsque le legs est réductible en valeur mais non en nature, le bien concerné ne revient pas dans la masse successorale et ne peut donc faire l’objet d’une attribution préférentielle.

2. L’influence de la volonté des copartageants

==>La nécessité d’une demande expresse

L’attribution préférentielle ne joue qu’à la condition d’être demandée. Elle ne peut être présumée ni imposée d’office par le juge. Cette demande peut être introduite dès l’ouverture de la succession et jusqu’à la clôture des opérations de partage, sauf prescription ou chose jugée (Cass. 1re civ., 19 déc. 1977).

L’absence de demande ou une renonciation, même tacite mais certaine, empêche son octroi (Cass. civ., 14 janv. 1947).

Un héritier peut donc renoncer volontairement à l’attribution préférentielle, que ce soit dans le cadre d’un accord amiable ou par un comportement implicite mais sans équivoque.

==>Les demandes concurrentes et leur règlement

Lorsque plusieurs copartageants remplissent les conditions pour obtenir l’attribution préférentielle d’un même bien, deux issues sont envisageables :

  • Une demande conjointe : les héritiers peuvent solliciter une attribution indivise, ce qui permet de répartir entre eux la charge éventuelle d’une soulte et d’assurer la conservation du bien dans le cadre familial?
  • Des demandes exclusives concurrentes : en cas de conflit entre plusieurs prétendants, il appartient au juge d’arbitrer en tenant compte des intérêts en présence et de l’aptitude de chaque postulant à assumer la charge de l’attribution. La jurisprudence impose notamment au juge d’apprécier la durée et l’intensité de l’implication du demandeur dans l’exploitation du bien convoité?

==>L’opposition des autres copartageants

Les autres copartageants peuvent-ils s’opposer à une demande d’attribution préférentielle qu’ils jugeraient préjudiciable à leurs intérêts ? La réponse dépend du caractère facultatif ou impératif de l’attribution :

  • Attribution préférentielle facultative : les autres copartageants peuvent faire valoir leurs propres intérêts pour s’y opposer. Toutefois, leur opposition ne constitue pas un veto absolu : le juge statue en fonction des circonstances et des éléments de fond, comme l’utilité du bien pour le demandeur et sa capacité à honorer une éventuelle soulte.
  • Attribution préférentielle de droit : lorsque la loi confère un droit automatique à l’attribution (comme dans le cas d’une petite exploitation agricole ou d’un local d’habitation principal), les coindivisaires ne peuvent s’y opposer que dans des circonstances très exceptionnelles, notamment en cas d’insolvabilité manifeste du demandeur (Cass. 1re civ., 17 mars 1987).

III) Modalités de mise en oeuvre de l’attribution préférentielle

A) L’exercice de la demande d’attribution préférentielle

1. Modalités de présentation de la demande

a. Compétence

L’attribution préférentielle, en tant que modalité d’allotissement d’un bien indivis, relève en principe du juge du partage. Toutefois, cette règle générale connaît une exception en matière de liquidation du régime matrimonial. En effet, lorsque l’attribution préférentielle porte sur un bien commun ou indivis entre époux après dissolution du mariage, la compétence juridictionnelle est spécifique et a donné lieu à un contentieux récurrent, notamment sur la question de savoir si elle relève du juge du divorce ou du juge chargé du partage définitif.

La Cour de cassation a clairement établi que, dans le cadre de la dissolution du régime matrimonial, la demande d’attribution préférentielle relève de la compétence exclusive du juge aux affaires familiales (JAF). Cette orientation jurisprudentielle repose sur la logique selon laquelle la liquidation et le partage des intérêts patrimoniaux des époux ou ex-époux sont indissociables du contentieux du divorce. Plusieurs arrêts ont consacré cette approche (V. par ex. Cass. 2e, 22 mars 2005, n° 03-20.728).

Avant la réforme de 2004, l’article 264-1 du Code civil imposait déjà au juge du divorce de se prononcer sur les conséquences patrimoniales du divorce, y compris l’attribution préférentielle. La loi du 26 mai 2004 a clarifié ce point en intégrant ces prérogatives dans l’article 267 du Code civil, qui dispose que le juge du divorce est compétent pour trancher toute contestation relative à la liquidation et au partage des intérêts patrimoniaux des époux.

Depuis l’entrée en vigueur de la réforme, le 1er janvier 2005, c’est donc toujours le juge du divorce qui statue sur l’attribution préférentielle lorsqu’elle concerne un bien dépendant du patrimoine des époux. Cette compétence a d’ailleurs été confirmée par des décisions ultérieures, notamment en matière de liquidation de régimes matrimoniaux complexes ou en présence d’une indivision postérieure au divorce (Cass. 1ère civ., 30 janv. 2019, n°18-14.150).

L’enjeu principal réside dans le fait que la demande d’attribution préférentielle peut être formulée dès la phase du divorce. Dans un arrêt du 28 juin 2005, la Cour de cassation a ainsi jugé que le juge du divorce, saisi d’une demande d’attribution préférentielle, ne saurait en différer l’examen au motif que des éléments relatifs à la valeur des biens ou à un projet de partage feraient défaut (Cass. 1ère civ., 28 juin 2005, n°04-13.663). En l’espèce, la cour d’appel de Lyon avait rejeté la demande d’attribution préférentielle du domicile conjugal présentée par le mari, considérant qu’il était prématuré de statuer en l’absence de telles données et que la question pourrait être abordée plus tard, lors de la liquidation de la communauté.

La Cour de cassation a censuré ce raisonnement, en rappelant que, conformément à l’article 264-1 du Code civil alors applicable, le juge qui prononce le divorce doit, à cette occasion, ordonner la liquidation et le partage des intérêts patrimoniaux des époux et, le cas échéant, statuer sur les demandes d’attribution préférentielle. Dès lors, en subordonnant l’examen de cette demande à une étape ultérieure du processus liquidatif, la cour d’appel a méconnu cette obligation légale et violé le texte susvisé.

Par cette décision, la Haute juridiction réaffirme que le juge aux affaires familiales, lorsqu’il est saisi dans le cadre du divorce, doit trancher sans attendre les questions relatives à l’attribution préférentielle, sans pouvoir se retrancher derrière l’absence d’évaluation du bien ou l’inexistence d’un projet de partage. 

La compétence du JAF en matière de liquidation ne se limite pas au cadre du mariage dissous. Il peut également statuer sur les opérations de partage des partenaires de PACS ou des concubins, en vertu de l’article L. 213-3 du Code de l’organisation judiciaire. Ainsi, le partage des intérêts patrimoniaux des couples, qu’ils soient mariés ou non, relève de cette juridiction lorsqu’une indivision est en cause.

b. Forme de la demande

Aucune disposition ne vient encadrer de manière impérative la forme de la demande d’attribution préférentielle. Celle-ci peut être formulée dans un écrit soigneusement rédigé ou simplement résulter d’une manifestation de volonté au cours d’une instance. Cette liberté procédurale s’explique par la finalité même de l’attribution préférentielle, laquelle constitue un mécanisme d’allotissement permettant d’assurer une répartition harmonieuse des biens indivis.

Toutefois, bien que non soumise à des règles de forme, la demande d’attribution préférentielle gagnera à être exprimée par acte écrit afin de garantir la clarté de son objet et de ses implications. A cet égard, elle peut être sollicitée aussi bien dans un partage amiable que dans un partage judiciaire, chacun de ces contextes impliquant des modalités spécifiques.

Dans le cadre d’un partage amiable, la demande est le plus souvent formalisée dans la convention conclue entre les copartageants. L’article 838 du Code civil prévoit d’ailleurs la possibilité d’un partage partiel, autorisant ainsi un accord limité à un bien ou à plusieurs biens faisant l’objet d’une attribution préférentielle, sans pour autant affecter l’intégralité de la masse successorale. Cette souplesse permet aux indivisaires d’organiser librement la répartition des biens et d’éviter ainsi les aléas d’un partage contentieux.

Dans le cadre d’un partage judiciaire, la demande peut être introduite dès l’assignation en partage ou être formulée postérieurement, au fil de l’instance. Elle peut également être portée devant le notaire commis pour conduire les opérations de liquidation, dès lors que le jugement ayant ordonné le partage ne s’y oppose pas expressément. La jurisprudence est venue consacrer cette latitude, admettant que la demande d’attribution préférentielle demeure recevable tant que le partage n’a pas été définitivement arrêté et homologué.

c. Moment de la demande

L’attribution préférentielle constitue un mode d’allotissement qui permet à un indivisaire d’obtenir l’attribution d’un bien indivis en contrepartie d’une indemnité compensatrice versée aux autres coindivisaires. En raison de sa nature, elle bénéficie d’une grande souplesse quant au moment où elle peut être sollicitée. Toutefois, cette liberté trouve des limites, notamment lorsque l’autorité de la chose jugée vient faire obstacle à une demande tardive.

==>Principe

Aucun délai légal n’est fixé pour introduire une demande d’attribution préférentielle. Dès l’ouverture de l’indivision, l’indivisaire qui souhaite bénéficier de cette prérogative peut en faire la demande sans être contraint par une forclusion. Cette souplesse découle de la nature même de l’attribution préférentielle, qui constitue un mode d’allotissement et non une remise en cause du partage lui-même.

Dans un arrêt du 8 mars 1983, la Cour de cassation a ainsi affirmé que l’attribution préférentielle, en tant que « procédé d’allotissement qui met fin à l’indivision, peut être demandée tant que le partage n’a pas été ordonné, selon une autre modalité incompatible, par une décision judiciaire devenue irrévocable » (Cass. 1ère civ., 8 mars 1983, n°82-10.721).

La jurisprudence admet ainsi, de manière constante, que la demande d’attribution préférentielle peut être introduite à divers stades de la procédure, tant que le partage n’a pas conféré à un bien une attribution définitive et exclusive (Cass. 1re civ., 5 nov. 1952).

  • Dès l’ouverture de l’indivision
    • L’attribution préférentielle, en tant que procédé d’allotissement permettant à un indivisaire d’obtenir la propriété exclusive d’un bien moyennant indemnisation de ses co-indivisaires, peut être sollicitée dès l’instant où l’indivision prend naissance. 
    • Aucun délai impératif ne vient restreindre son exercice, et l’indivisaire peut en formuler la demande sans attendre l’ouverture d’une procédure de partage. 
    • L’indivision se constitue dès l’instant où plusieurs personnes deviennent propriétaires d’un même bien sans que leurs quotes-parts respectives ne soient matériellement individualisées. 
    • Cette situation peut découler d’une succession, d’une dissolution de communauté conjugale, d’un achat en indivision ou encore d’un démembrement de propriété. 
    • Dès que l’indivision existe, l’indivisaire remplissant les conditions légales peut exprimer son intention d’obtenir l’attribution préférentielle d’un bien déterminé. 
    • Ce droit ne nécessite aucun formalisme particulier et peut être exercé avant même que ne soit engagée une instance en partage. 
    • Cette absence de contrainte a été confirmée par la jurisprudence, qui reconnaît que la demande peut être présentée tant qu’un partage consommé n’a pas opéré des attributions définitives de propriété (Cass. 1re civ., 5 nov. 1952).
    • L’indivisaire peut faire connaître son souhait d’obtenir l’attribution préférentielle sans attendre l’engagement d’une procédure de partage.
    • Dans le cadre d’un partage amiable, cette demande peut être exprimée lors des discussions entre indivisaires et intégrée à la convention de partage. 
    • Il est également possible de l’inclure dès l’assignation en partage lorsqu’une procédure judiciaire est engagée. 
    • En tout état de cause, tant qu’aucun partage définitif n’a été arrêté, l’indivisaire conserve la faculté de demander l’attribution préférentielle du bien convoité.
  • Avant le jugement ordonnant le partage
    • L’attribution préférentielle peut être sollicitée indépendamment de toute instance en partage. 
    • L’indivisaire désireux d’obtenir la propriété exclusive d’un bien indivis n’a pas l’obligation d’attendre qu’une demande en partage soit introduite pour faire valoir son droit. Il peut ainsi agir de manière autonome en sollicitant directement l’attribution préférentielle devant le juge compétent. 
    • Cette possibilité s’explique par la nature même de l’attribution préférentielle, qui ne s’oppose pas au principe du partage mais en constitue une modalité particulière de réalisation. 
    • Dès lors, elle peut être demandée avant que ne soit engagée une procédure de partage, sans que son exercice ne dépende de la volonté des autres indivisaires.
    • Lorsque l’indivisaire souhaite initier une procédure de partage, il peut également formuler sa demande d’attribution préférentielle dans l’assignation. 
    • Cette voie permet d’éviter toute contestation ultérieure et de garantir une prise en compte immédiate de sa demande lors des opérations de liquidation. 
    • La jurisprudence a admis cette possibilité en affirmant que l’attribution préférentielle pouvait être sollicitée dès la saisine du juge compétent (Cass. 1ère , 19 déc. 1977, n°74-14.297). 
    • Peu importe, à cet égard, que d’autres indivisaires formulent également des demandes concurrentes : l’attribution préférentielle, en tant que procédé d’allotissement, doit être examinée en fonction des conditions légales et des intérêts en présence, sans être conditionnée par l’absence d’opposition des co-indivisaires.
  • Après le jugement ordonnant le partage
    • Le jugement ordonnant le partage n’a pas pour effet d’éteindre la possibilité pour un indivisaire de solliciter l’attribution préférentielle. 
    • En effet, l’attribution préférentielle n’est pas une contestation du partage lui-même, mais une modalité d’allotissement qui vise à permettre la sortie de l’indivision dans des conditions favorisant la conservation de certains biens par des indivisaires ayant un intérêt particulier à les obtenir.
    • Dès lors, une fois le partage ordonné judiciairement, l’indivisaire conserve la faculté de présenter une demande d’attribution préférentielle au cours des opérations de liquidation-partage, tant que le partage n’a pas atteint un caractère définitif. Cette demande peut être introduite devant le notaire commis pour procéder aux opérations de répartition des biens.
    • La jurisprudence reconnaît d’ailleurs expressément cette possibilité, considérant que l’attribution préférentielle n’est qu’un mode particulier d’allotissement qui ne saurait être écarté tant que l’état liquidatif n’a pas été homologué (Cass. 1ère civ., 8 mars 1983, n°82-10.721).
    • Ainsi, tant que les opérations de partage ne sont pas clôturées par une décision définitive ou un accord irrévocable entre les parties, la demande demeure recevable.
    • Par ailleurs, la Cour de cassation a eu l’occasion de censurer des décisions ayant rejeté une demande d’attribution préférentielle au seul motif que le partage avait été ordonné. Elle a rappelé que la demande d’attribution ne saurait être écartée dès lors qu’aucune décision irrévocable n’a fixé de manière définitive la répartition des biens entre les copartageants (V. par ex. Cass. civ. 1ère, 9 janv. 2008, n°06-20.167). 
    • Dès lors, un indivisaire peut encore solliciter une telle attribution devant le notaire ou devant le juge du partage tant que la liquidation n’est pas homologuée, sauf disposition expresse contraire contenue dans la décision ordonnant le partage.
    • Enfin, il convient de souligner que la seule passivité d’un héritier ou d’un indivisaire ne saurait être assimilée à une renonciation tacite au bénéfice de l’attribution préférentielle, sauf s’il ressort de manière claire et non équivoque de son comportement une intention manifeste de ne pas exercer ce droit.
    • Cette souplesse procédurale, qui trouve son fondement dans la volonté du législateur de préserver les intérêts des copartageants, explique pourquoi l’attribution préférentielle demeure ouverte tant que le partage n’a pas été définitivement arrêté.
  • En cause d’appel
    • L’attribution préférentielle peut être sollicitée pour la première fois en cause d’appel, dès lors qu’elle se rattache aux bases mêmes de la liquidation et qu’elle constitue une modalité de répartition des biens indivis. 
    • La Cour de cassation admet ainsi que cette demande revêt le caractère d’une défense au fond, ce qui la rend recevable même en seconde instance, tant que le partage n’a pas été ordonné selon une modalité incompatible par une décision judiciaire devenue irrévocable (Cass. 1ère civ. 1re, 10 mars 1971, n°69-12.132).
    • Ce principe repose sur la nature même de l’attribution préférentielle, qui constitue un procédé d’allotissement permettant d’assurer une répartition cohérente et équitable des biens indivis.
    • La Cour de cassation a ainsi affirmé que l’attribution préférentielle peut être demandée tant que le partage n’a pas été définitivement consommé et que l’affectation des biens reste juridiquement réversible (Cass. 1ère civ., 30 avr. 2014, n° 13-12.346).
    • Cette faculté s’étend notamment aux hypothèses de divorce, dans lesquelles l’un des époux peut former une demande d’attribution préférentielle en appel tant que le jugement de divorce n’a pas acquis force de chose jugée. 
    • Cette solution repose sur une analyse pragmatique de la situation des parties et vise à éviter que la dissolution du lien matrimonial ne fasse obstacle à un partage équitable des biens indivis. 
    • La deuxième chambre civile de la Cour de cassation a ainsi jugé qu’une telle demande pouvait être présentée pour la première fois en appel, l’attribution préférentielle étant un accessoire de la demande en divorce (Cass. 2e civ., 5 juin 2003, n° 01-13.510).
    • De manière générale, la jurisprudence se montre indulgente à l’égard des demandes tardives d’attribution préférentielle, dès lors qu’elles tendent à éviter une licitation et qu’elles permettent une meilleure adéquation entre les intérêts des indivisaires et la structure du partage.
    • Ainsi, une cour d’appel a admis qu’une demande d’attribution préférentielle puisse être présentée en seconde instance, même si elle retardait le règlement du partage, considérant que celui-ci restait préférable à une vente judiciaire des biens indivis (CA Reims, 7 sept. 2006, n° 04/02427).

==>Limites

Si l’attribution préférentielle peut être sollicitée tant que le partage n’a pas acquis un caractère définitif, elle ne saurait, en revanche, remettre en cause une décision juridictionnelle passée en force de chose jugée ni modifier un partage amiable dûment conclu entre les indivisaires. 

  • Les décisions ayant acquis l’autorité de la chose jugée
    • L’attribution préférentielle, en tant que modalité du partage, ne peut être exercée si une décision juridictionnelle irrévocable a définitivement fixé la répartition des biens indivis. 
    • La Cour de cassation a, en ce sens, jugé qu’une licitation ordonnée par une décision ayant acquis force de chose jugée exclut toute possibilité ultérieure pour un indivisaire de revendiquer le bien à titre d’attribution préférentielle (Cass. 1ère civ., 19 nov. 1968). 
    • La logique sous-jacente repose sur le principe selon lequel une décision de justice définitive ne peut être remise en question que dans les cas strictement encadrés par la loi, notamment par l’exercice des voies de recours extraordinaires.
    • De la même manière, lorsque l’attribution préférentielle a été définitivement accordée à un indivisaire, elle devient intangible. 
    • La contestation ultérieure de l’état liquidatif établi sur cette base est irrecevable, sauf erreur manifeste ou fraude, qui demeurent des hypothèses exceptionnelles. 
    • Cette solution repose sur l’exigence d’irrévocabilité des décisions de justice : une fois que le droit de propriété d’un bien a été attribué à un indivisaire par une décision définitive, il ne peut être remis en cause, sauf accord de toutes les parties concernées ou révocation du jugement dans le cadre des voies de rétractation prévues par le Code de procédure civile.
    • Plus largement, dans un arrêt du 9 mars 1971 la Cour de cassation a affirmé avec force le principe selon lequel une demande d’attribution préférentielle ne peut être accueillie lorsqu’une décision irrévocable a ordonné une licitation du bien indivis (Cass. 1ère civ., 9 mars 1971, n°70-10.072).
    • En l’espèce, une héritière sollicitait l’attribution préférentielle d’un appartement après le décès du de cujus, alors même qu’un jugement antérieur, rendu le 6 avril 1967, avait ordonné la licitation de ce bien dans le cadre des opérations de liquidation et de partage de la succession.
    • Soutenant que cette décision n’avait qu’un caractère interlocutoire et ne constituait pas un jugement définitif, la demanderesse estimait qu’elle demeurait recevable à solliciter l’attribution préférentielle du bien.
    • Toutefois, la Cour d’appel de Paris avait rejeté cette demande en considérant que la licitation d’un bien, une fois ordonnée par une décision juridictionnelle devenue irrévocable, constituait une modalité de partage incompatible avec une attribution préférentielle ultérieure.
    • Saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation valide cette analyse et confirme la solution retenue par les juges du fond. 
    • Elle affirme que « la licitation constitue une modalité de partage incompatible avec l’attribution préférentielle ; que dès lors que la licitation d’un immeuble a été ordonnée par une précédente décision devenue irrévocable, un tribunal ne peut, sans méconnaître l’autorité de la chose jugée, prononcer l’attribution préférentielle du même bien indivis. »
    • Par cette décision, la Haute juridiction consacre une règle cardinale en matière de partage: une fois que le juge a statué de manière définitive sur la répartition d’un bien selon une modalité spécifique — en l’occurrence la licitation —, toute demande ultérieure d’attribution préférentielle est nécessairement irrecevable, sous peine de porter atteinte à l’autorité de la chose jugée.
  • Les conventions de partage amiable
    • Le partage amiable constitue une alternative à l’intervention du juge dans la répartition des biens indivis.
    • Lorsqu’il est adopté par les copartageants, il s’impose à eux et devient irrévocable dès sa formalisation, sous réserve des règles propres aux contrats.
    • En conséquence, une convention de partage amiable qui règle expressément le sort d’un bien susceptible d’attribution préférentielle ne peut être remise en cause de manière unilatérale par l’un des indivisaires.
    • Cette limitation trouve son fondement dans le respect du principe de force obligatoire des conventions, consacré par l’article 1103 du Code civil, selon lequel les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.
    • Par conséquent, un indivisaire ayant accepté un partage amiable ne peut ultérieurement solliciter une attribution préférentielle sur un bien qui aurait été attribué à un autre copartageant, sauf à obtenir l’accord unanime des parties pour modifier la répartition initialement convenue.
    • En ce sens, la Cour de cassation a confirmé que la destination d’un bien convenue dans un partage amiable ne pouvait être unilatéralement modifiée par l’un des copartageants, que ce soit pour revendiquer une attribution préférentielle ou pour renoncer à celle précédemment accordée (Cass. 1ère civ., 10 mars 1969).
    • Il en résulte que, sauf vices affectant la convention (erreur, dol, violence), le partage amiable demeure intangible et bloque toute demande ultérieure d’attribution préférentielle qui viendrait perturber la répartition des biens opérée par l’accord des parties.

2. La faculté de renoncer à l’attribution préférentielle

Si l’attribution préférentielle constitue un droit offert à certains indivisaires pour préserver la cohésion patrimoniale et éviter la dispersion des biens dans le cadre d’un partage, elle ne revêt aucun caractère impératif. Son bénéficiaire peut ainsi y renoncer, sous réserve que ni une décision judiciaire irrévocable, ni une convention ne l’en empêchent. Toutefois, cette faculté n’est pas sans limites et demeure soumise à des conditions strictes.

==>Les conditions d’exercice de la faculté de renonciation

Le principe est clair: la renonciation à l’attribution préférentielle est admise, sauf obstacle tenant à une décision de justice passée en force de chose jugée ou à une stipulation contractuelle. Toutefois, fidèle à la règle selon laquelle les renonciations ne se présument pas, la jurisprudence a adopté une approche particulièrement restrictive quant aux circonstances pouvant révéler une volonté non équivoque d’y renoncer.

La Cour de cassation exige que la renonciation soit manifeste et sans équivoque, et ne saurait admettre qu’elle résulte d’un simple comportement passif ou d’une omission dans la procédure. Ainsi, la participation à un partage provisionnel, la demande d’une licitation ou encore la sollicitation d’une expertise pour déterminer la possibilité d’un partage en nature ne suffisent pas à caractériser une renonciation tacite (Cass. civ., 5 avr. 1952).

Dans une affaire où un héritier, après avoir sollicité une expertise sur la possibilité d’un partage en nature, avait ultérieurement demandé l’attribution préférentielle d’un bien, la Cour de cassation a censuré l’arrêt d’appel qui avait conclu à une renonciation implicite, estimant qu’une telle démarche ne traduisait pas nécessairement une volonté de renoncer à son droit (Cass. 1re civ., 6 mars 1961).

De manière plus générale, la jurisprudence admet que l’indivisaire conserve la faculté de solliciter l’attribution préférentielle tant qu’aucun partage définitif n’a été réalisé. Ainsi, même si un accord prévoyant une attribution avait été conclu entre héritiers, la Cour de cassation considère que cette entente ne saurait suffire à démontrer une renonciation définitive, dès lors que l’accord n’a pas été exécuté et que l’indivisaire continue d’agir en vue d’obtenir l’attribution (Cass. 1re civ., 5 juill. 1977, n° 75-13.762).

Toutefois, en application de l’article 753, alinéa 3 du Code de procédure civile, la renonciation peut être déduite du fait qu’une partie ne réitère pas sa demande d’attribution préférentielle dans ses conclusions récapitulatives. Ainsi, une cour d’appel a pu juger qu’une demande non reprise dans ces écritures ne pouvait être reformulée en appel (CA Reims, 28 avr. 2005, n° 04/00334).

==>Le moment d’exercice de la faculté de renonciation

Initialement, la jurisprudence considérait que la renonciation était recevable tant que l’attribution préférentielle n’avait pas été reconnue par une décision passée en force de chose jugée. Ainsi, un indivisaire ayant obtenu l’attribution en première instance pouvait encore y renoncer en cause d’appel (Cass. 1re civ., 17 juin 1970,n°68-13.762). À l’inverse, une renonciation postérieure à un jugement irrévocable n’était pas admise (Cass. 1re civ., 10 mars 1969).

Toutefois, la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence en admettant que l’indivisaire pouvait renoncer à l’attribution préférentielle tant que le partage définitif n’était pas intervenu. L’argument avancé repose sur le fait que le jugement accordant l’attribution ne transfère pas immédiatement la propriété du bien, sauf s’il est intégré dans un état liquidatif homologué (Cass. 1re civ., 11 juin 1996, n°94-16.608). Ce raisonnement, dicté par des considérations pratiques, permet aux indivisaires de se délier lorsque des circonstances nouvelles (problèmes financiers, évolution du marché immobilier, changement de situation personnelle) rendent l’attribution inopportune. Cette solution a été confirmée par plusieurs décisions ultérieures (Cass. 1re civ., 23 oct. 2013, n° 12-18.170).

Cependant, la doctrine a exprimé des critiques à l’encontre de cette flexibilité, estimant qu’elle favorisait des stratégies opportunistes et contribuait à retarder la finalisation des partages. Pour pallier cet inconvénient, la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 a introduit une restriction au droit de renonciation. Désormais, l’article 834 du Code civil dispose que le bénéficiaire d’une attribution préférentielle ne peut y renoncer qu’à la condition que la valeur du bien ait augmenté de plus du quart entre la date de l’attribution et celle du partage définitif, indépendamment de son fait personnel. Cette règle vise à éviter que les indivisaires ne fassent usage de l’attribution préférentielle comme d’un simple droit d’option, qu’ils pourraient exercer ou abandonner en fonction de l’évolution du marché immobilier.

Néanmoins, un tempérament subsiste. La Cour de cassation a jugé que si la décision octroyant l’attribution n’avait pas encore acquis force de chose jugée, la renonciation demeurait possible en dehors des conditions strictes posées par l’article 834 (Cass. 1re civ., 29 mai 2019, n°18-18.823). En d’autres termes, un appel suspend l’irrévocabilité de l’attribution, permettant ainsi au bénéficiaire de se délier librement tant que l’arrêt définitif n’est pas intervenu.

==>Exclusion conventionnelle de la faculté de renonciation

Il convient de rappeler que l’attribution préférentielle n’étant pas d’ordre public, elle peut être écartée par convention. Ainsi, un indivisaire peut être contractuellement privé de ce droit par une stipulation testamentaire du de cujus, une clause du contrat de mariage ou une disposition statutaire régissant une société dans laquelle le bien est détenu en indivision. Par ailleurs, une convention de partage amiable entre les indivisaires peut également faire obstacle à toute revendication ultérieure d’attribution préférentielle, à moins que l’ensemble des parties ne consente à une modification de l’accord initial.

Cependant, les clauses insérées dans une convention d’indivision doivent respecter les limites posées par le Code civil. L’article 1873-13 énonce notamment que les stipulations prévoyant qu’un indivisaire survivant pourra se voir attribuer la quote-part du défunt ne peuvent préjudicier aux règles d’attribution préférentielle fixées par les articles 831 et suivants du Code civil.

B) Le traitement par le juge des demandes d’attribution préférentielle

1. La décision du juge en présence d’une demande unique d’attribution préférentielle

L’attribution préférentielle constitue une modalité particulière du partage, permettant à un indivisaire de se voir attribuer certains biens sous réserve du respect des conditions légales. Selon qu’elle est de droit ou facultative, l’étendue du pouvoir du juge varie considérablement : tandis que dans le premier cas, il se borne à vérifier l’application stricte des textes, dans le second, il dispose d’un pouvoir souverain d’appréciation, guidé par l’équilibre du partage et la prise en compte des intérêts en présence.

a. L’attribution préférentielle de droit

Dans certaines hypothèses limitativement énumérées par la loi, l’attribution préférentielle s’impose au juge dès lors que les conditions légales sont réunies. Dans ces cas, il ne dispose d’aucune latitude d’appréciation et ne peut refuser l’attribution au motif qu’elle ne serait pas opportune ou qu’elle porterait atteinte à un équilibre patrimonial souhaitable. Son rôle se borne alors à vérifier que le demandeur satisfait aux critères légaux, à défaut de quoi sa décision pourrait être censurée par la Cour de cassation (Cass. 1re civ., 7 nov. 2012, n° 11-16.164).

Trois grandes catégories d’attribution préférentielle de droit sont aujourd’hui reconnues par le Code civil :

  • L’attribution préférentielle des exploitations agricoles de petite et moyenne taille
    • L’article 832 du Code civil prévoit l’attribution préférentielle de droit au profit de l’indivisaire participant activement à l’exploitation. 
    • Ce dispositif vise à garantir la pérennité de ces exploitations en empêchant leur morcellement lors du partage.
    • La participation effective à l’exploitation constitue un critère déterminant, dont l’appréciation peut donner lieu à contestation.
    • La Cour de cassation a ainsi censuré une décision qui avait refusé l’attribution à un indivisaire remplissant pourtant les conditions légales (Cass. 1re civ., 20 oct. 2010, n° 09-67.029).
  • L’attribution préférentielle en vue de la constitution d’un groupement foncier agricole
    • L’article 832-1 du Code civil prévoit l’attribution préférentielle en faveur d’un ou plusieurs indivisaires souhaitant conserver les biens indivis sous la forme d’un groupement foncier agricole. 
    • Cette disposition, introduite pour encourager la transmission du patrimoine agricole et favoriser la continuité des exploitations familiales, permet une gestion collective du bien tout en évitant la dispersion des actifs.
    • Le juge doit alors s’assurer que le projet de groupement foncier répond bien aux critères légaux, notamment en ce qui concerne les intentions déclarées des indivisaires et leur engagement effectif dans cette démarche.
  • L’attribution préférentielle du local d’habitation du défunt, des meubles le garnissant et du véhicule
    • L’article 831-2, alinéa 1er, du Code civil accorde de plein droit au conjoint survivant l’attribution du logement du défunt, des meubles qui le garnissent et du véhicule de celui-ci. 
    • Ce dispositif vise à protéger le cadre de vie du conjoint survivant, en lui permettant de conserver un bien dont il avait l’usage avant le décès.
    • Depuis la loi du 23 juin 2006, cette attribution est également ouverte au partenaire pacsé survivant, à condition que le défunt l’ait expressément prévu dans son testament (C. civ., art. 515-6, al. 2).
    • Le juge doit ainsi vérifier l’existence de cette disposition testamentaire avant de prononcer l’attribution.

Si le juge ne peut refuser l’attribution préférentielle pour des raisons tenant à l’opportunité, son rôle reste essentiel dans la vérification des conditions légales. Il doit notamment s’assurer :

  • Que le demandeur remplit les conditions de qualité requises (statut d’indivisaire, lien avec le défunt ou avec l’exploitation agricole) ;
  • Que les conditions matérielles de l’attribution sont satisfaites, notamment la participation effective à l’exploitation en cas d’attribution d’une entreprise agricole ou la résidence principale dans un logement (Cass. 1re civ., 26 sept. 2012, n° 11-16.246).

L’attribution préférentielle ne peut être accordée que si ces conditions sont réunies. À défaut, le juge doit motiver son refus de manière précise, faute de quoi sa décision encourt la cassation. Ainsi, une cour d’appel qui rejette une demande sans examiner si le demandeur a effectivement exploité le bien agricole excède ses pouvoirs et commet une erreur de droit (Cass. 1re civ., 26 sept. 2012, n° 11-16.246).

Si l’attribution préférentielle de droit s’impose lorsque les conditions légales sont remplies, elle peut néanmoins donner lieu à des contestations de la part des autres indivisaires, qui peuvent remettre en cause :

  • La qualité du demandeur : certains coïndivisaires peuvent soutenir que celui-ci ne remplit pas les conditions requises pour bénéficier de l’attribution ;
  • La satisfaction des critères matériels : notamment, la contestation peut porter sur l’absence de résidence effective dans le logement concerné, ou encore sur le fait que l’exploitation agricole ne serait pas réellement gérée par l’indivisaire demandeur.

Dans ces hypothèses, le juge doit apprécier les éléments de preuve fournis par les parties, tout en respectant le principe du contradictoire. Toute décision accordant ou refusant l’attribution doit être motivée par des éléments objectifs et vérifiables.

L’exigence de rigueur procédurale s’applique également en cas de pluralité de demandes concurrentes. Lorsqu’il existe plusieurs demandeurs répondant aux conditions légales, le juge ne peut pas refuser l’attribution au motif que les biens devraient être partagés autrement, mais doit déterminer lequel des demandeurs est le plus apte à en bénéficier (Cass. 1re civ., 20 oct. 2010, n° 09-67.029).

En tout état de cause, toute décision doit être clairement motivée. Une motivation insuffisante expose la décision à la cassation, notamment lorsque :

b. L’attribution préférentielle facultative

À l’inverse de l’attribution préférentielle de droit, qui s’impose au juge dès lors que les conditions légales sont réunies, l’attribution facultative repose sur une évaluation discrétionnaire du magistrat. Celui-ci doit se prononcer en tenant compte des intérêts en présence, de l’équilibre du partage et des conséquences patrimoniales de sa décision.

Dans ce cadre, le simple fait que le demandeur remplisse les conditions légales ne suffit pas à emporter nécessairement la décision en sa faveur. Le juge peut refuser l’attribution si celle-ci compromet un équilibre patrimonial essentiel, si elle est de nature à léser les autres indivisaires, ou si elle ne sert pas l’objectif fondamental du partage (Cass. 1re civ., 13 févr. 2019, n° 18-14.580).

Parmi les biens pouvant faire l’objet d’une attribution préférentielle facultative figurent notamment les entreprises, les locaux d’habitation ou professionnels, le mobilier qui les garnit ainsi que certains droits au bail. Dans chacun de ces cas, le juge dispose d’un pouvoir souverain d’appréciation, bien que celui-ci soit encadré par des principes directeurs, garantis par la jurisprudence.

==>Les critères essentiels d’appréciation du juge

Lorsque le juge est saisi d’une demande d’attribution préférentielle facultative, son appréciation est essentiellement guidée par trois critères:

  • L’aptitude du demandeur à gérer le bien attribué
    • L’attribution préférentielle suppose que l’indivisaire demandeur soit en mesure d’assurer la gestion, l’entretien ou l’exploitation du bien concerné. 
    • À défaut, l’attribution peut être refusée pour éviter qu’un bien ne se retrouve entre les mains d’un indivisaire incapable d’en assurer la conservation ou la valorisation.
    • Ainsi, la Cour de cassation a validé le rejet d’une attribution portant sur un fonds de commerce, au motif que le demandeur, en raison de son âge avancé et de son état de santé, n’était plus en mesure d’assurer une gestion efficace du fonds (Cass. 1re civ., 27 oct. 1971, n°70-10.125).
    • De même, l’attribution d’un château a pu être refusée lorsqu’il a été démontré que le demandeur n’avait aucun projet d’entretien ou d’exploitation viable et qu’il poursuivait l’unique objectif de revendre le bien en réalisant une plus-value (TGI Paris, 13 nov. 1970).
    • Ce critère est particulièrement déterminant lorsque le bien objet de l’attribution revêt une valeur patrimoniale ou économique significative.
    • Il appartient alors au juge de s’assurer que le demandeur est en mesure d’assumer la charge effective du bien avant d’accorder l’attribution.
  • La solvabilité du demandeur et la capacité à régler la soulte
    • L’un des motifs les plus fréquents de rejet d’une attribution préférentielle repose sur l’incapacité du demandeur à s’acquitter de la soulte due aux autres indivisaires.
    • L’attribution préférentielle ne saurait avoir pour effet de léser les autres indivisaires en leur imposant un déséquilibre financier excessif ou un retard dans l’exécution du partage.
    • La jurisprudence a ainsi validé de nombreux refus fondés sur la situation financière du demandeur, notamment lorsque son impécuniosité était susceptible de porter atteinte aux droits des coïndivisaires (Cass. 1re civ., 21 sept. 2005, n° 02-20.287).
    • Toutefois, un rejet sur ce fondement suppose un examen minutieux des ressources du demandeur. 
    • En effet, la Cour de cassation a sanctionné plusieurs décisions ayant refusé une attribution sans rechercher si le demandeur pouvait compenser l’impossibilité de régler immédiatement la soulte par d’autres moyens financiers (Cass. 1re civ., 10 mai 2007, n° 06-10.034).
    • L’appréciation du juge doit ainsi être équilibrée et ne pas se limiter à un simple constat d’insolvabilité : il lui appartient d’examiner si des solutions de financement existent et si elles sont de nature à garantir le respect des droits des coïndivisaires.
  • L’incidence de l’attribution sur les autres indivisaires
    • L’attribution préférentielle ne doit pas aboutir à un déséquilibre excessif du partage.
    • En particulier, lorsque le bien concerné représente la majeure partie de l’actif indivis, la licitation peut apparaître plus appropriée afin d’assurer une répartition plus équitable entre les indivisaires (Cass. 1re civ., 2 juin 1970).
    • Dans le cadre des partages successoraux ou consécutifs à un divorce, les intérêts familiaux entrent également en ligne de compte.
    • Par exemple, l’attribution préférentielle d’un logement est fréquemment accordée au conjoint ayant la garde des enfants, afin d’assurer leur stabilité résidentielle. 
    • Toutefois, cette attribution ne saurait être automatique et ne doit pas léser les droits de l’autre époux (Cass. 1re civ., 26 juin 2013, n° 12-11.818).
    • De même, lorsqu’un bien indivis présente une importance stratégique pour plusieurs indivisaires, le juge doit trancher en prenant en compte les conséquences économiques et patrimoniales de son attribution.
    • Il doit donc rechercher la solution la plus équilibrée pour éviter toute atteinte disproportionnée aux intérêts des autres parties.

==>Le contrôle exercé par la Cour de cassation

Bien que le juge dispose d’un pouvoir souverain d’appréciation en matière d’attribution préférentielle facultative, il demeure astreint à une obligation de motivation rigoureuse.

En effet, toute décision prononçant ou refusant une attribution doit être expressément motivée, faute de quoi elle encourt le risque d’une censure par la Cour de cassation.

Ainsi, un refus fondé sur l’absence d’une estimation récente du bien a été censuré, la Haute juridiction ayant considéré que ce critère était sans incidence sur le principe même de l’attribution (Cass. 1re civ., 16 mars 2016, n° 15-14.822).

De même, un refus motivé par le montant supposé excessif de la soulte doit faire l’objet d’une analyse détaillée des capacités financières du demandeur. À défaut, la décision sera cassée pour défaut de base légale (Cass. 1re civ., 11 avr. 1995, n° 93-14.461).

Enfin, le respect du principe du contradictoire est impératif. Toute décision rejetant une demande d’attribution pour absence de justification financière sans avoir permis au demandeur de s’expliquer est annulée pour violation de l’article 16 du Code de procédure civile (Cass. 1re civ., 28 janv. 2009, n° 07-22.006).

2. La décision du juge en présence de demandes concurrentes d’attribution préférentielle

Lorsqu’un bien indivis fait l’objet de plusieurs demandes d’attribution préférentielle, le juge ne peut se contenter d’une appréciation binaire consistant à accorder ou refuser la demande. Contrairement à l’hypothèse d’une demande unique, où il lui appartient de vérifier la réunion des conditions légales et d’évaluer l’opportunité de l’attribution, la présence de demandes concurrentes l’oblige à procéder à un choix parmi les postulants.

Ce choix ne saurait être laissé à une libre appréciation du magistrat sans cadre défini: l’article 832-3 du Code civil impose un raisonnement en trois temps.

  • En premier lieu, le juge doit se laisser guider par les critères légaux, qui constituent le fondement même du droit à l’attribution préférentielle et limitent son pouvoir discrétionnaire.
  • En deuxième lieu, lorsque plusieurs postulants remplissent les conditions légales, il doit examiner les intérêts en présence, afin de privilégier la solution la plus conforme aux impératifs du partage et de la préservation du bien.
  • En dernier lieu, en cas d’impossibilité de départager les prétendants, il peut opter pour des solutions intermédiaires, telles que l’attribution conjointe ou la licitation du bien.

a. L’examen des critères légaux

L’article 832-3 du Code civil impose au juge, en présence de demandes concurrentes d’attribution préférentielle, de tenir compte de l’aptitude des postulants à gérer le bien en cause et à s’y maintenir. Ce critère général s’applique à l’ensemble des attributions préférentielles, qu’elles portent sur des exploitations agricoles, des fonds de commerce, des locaux professionnels ou d’habitation.

Toutefois, lorsque l’attribution préférentielle porte sur une entreprise, qu’elle soit agricole, commerciale, artisanale ou libérale, le texte précise que le tribunal doit accorder une attention particulière à la durée de la participation personnelle du postulant à l’activité concernée. Cette exigence vise à garantir que l’attributaire désigné soit en mesure d’assurer la continuité et la viabilité de l’entreprise, évitant ainsi des décisions qui compromettraient son exploitation future.

==>L’aptitude générale à gérer les biens en cause et à s’y maintenir

L’attribution préférentielle d’un bien indivis repose sur une exigence essentielle : le postulant doit être en mesure d’assurer une gestion pérenne et efficace du bien concerné. Cette aptitude, qui conditionne le succès de la demande, s’évalue au regard de plusieurs éléments, notamment l’expérience antérieure du demandeur et sa capacité effective à maintenir l’exploitation du bien attribué.

  • L’expérience passée comme présomption d’aptitude à la gestion
    • L’un des principes directeurs en matière d’attribution préférentielle repose sur l’idée qu’un indivisaire ayant fait preuve d’une implication active et constante dans l’exploitation du bien indivis présente les meilleures garanties pour en assurer la pérennité. 
    • Il s’agit d’un critère objectif, destiné à favoriser la continuité de l’exploitation et à éviter toute rupture brutale susceptible de nuire à la valorisation du bien.
    • Dans son appréciation, le juge accorde une importance décisive à l’historique de gestion du postulant, recherchant ainsi celui dont l’engagement passé atteste d’une capacité éprouvée à poursuivre l’exploitation avec sérieux et compétence. 
    • La jurisprudence a d’ailleurs consacré ce critère en relevant que la participation prolongée et constante à la gestion d’un bien indivis constitue un élément discriminant lorsqu’il existe plusieurs demandes concurrentes.
    • Ainsi, en matière agricole, lorsqu’une exploitation était revendiquée par plusieurs indivisaires, la préférence a été donnée à celui dont l’implication était la plus ancienne et continue, la cour ayant estimé qu’il présentait les meilleures garanties de gestion et de préservation de l’intégrité de l’exploitation (CA Pau, 28 févr. 2005, n° 03/02292). 
    • Ce raisonnement repose sur une logique de stabilité et de préservation de l’unité économique du bien, qui justifie l’exclusion des postulants dont l’investissement a été plus intermittent ou secondaire.
    • Un raisonnement similaire prévaut en matière commerciale : lorsqu’un fonds de commerce exploité en indivision fait l’objet de demandes concurrentes, la jurisprudence privilégie le postulant ayant démontré une gestion rigoureuse et continue de l’activité. 
    • En effet, la constance dans l’exploitation d’un commerce constitue un indicateur fort de la capacité du demandeur à assurer la viabilité de l’entreprise.
    • Toutefois, cette présomption d’aptitude à la gestion n’est pas irréfragable. 
    • Elle peut être écartée si des éléments objectifs viennent infirmer la capacité du demandeur à assurer une gestion efficace et pérenne.
    • L’expérience passée doit donc être mise en balance avec l’aptitude actuelle du postulant à poursuivre l’exploitation du bien.
    • C’est précisément ce qu’a rappelé la Cour de cassation dans un arrêt récent portant sur l’attribution préférentielle d’une exploitation agricole.
    • Dans cette affaire, plusieurs indivisaires revendiquaient des parcelles agricoles.
    • La Cour d’appel avait attribué ces parcelles à l’un des demandeurs en raison de la continuité de son activité d’agriculteur, tandis que l’autre postulant ne justifiait plus de l’exercice effectif de cette activité. 
    • En validant cette décision, la Cour de cassation a consacré le principe selon lequel la simple implication passée ne suffit pas à justifier une attribution préférentielle si le demandeur n’est plus en mesure d’assurer l’exploitation du bien (Cass.. 1re civ., 28 janv. 2015, n° 13-20.701).
    • Ce raisonnement s’applique à d’autres types de biens indivis, notamment en matière commerciale : lorsqu’un commerce est revendiqué par plusieurs indivisaires, le juge ne se limite pas à constater l’ancienneté de l’investissement du demandeur, mais vérifie également sa capacité à poursuivre l’exploitation de manière efficace.
    • Ainsi, une absence d’activité récente, un état de santé dégradé ou une situation financière instable peuvent conduire à écarter un postulant, même s’il a longtemps participé à l’exploitation du bien.
  • La proximité avec le bien comme facteur déterminant
    • Au-delà de l’engagement passé, la localisation du postulant par rapport au bien objet de l’attribution constitue un critère d’appréciation particulièrement pertinent.
    • Une gestion efficace suppose en effet une présence physique et une implication constante, de sorte qu’un indivisaire résidant sur place et assurant un suivi régulier du bien indivis offrira de meilleures garanties qu’un coïndivisaire vivant à distance et dans l’incapacité d’assurer un contrôle direct et immédiat.
    • Cette exigence de proximité géographique revêt une importance particulière en matière agricole, où la continuité de l’exploitation repose sur une présence effective du gestionnaire.
    • La jurisprudence illustre cette approche en reconnaissant l’avantage de l’indivisaire qui, par son maintien sur le domaine, garantit la gestion stable et la valorisation durable du bien.
    • Ainsi, dans un arrêt du 25 février 1997, la Cour de cassation a validé l’attribution préférentielle d’une exploitation agricole au bénéfice du demandeur demeuré sur place, qui avait poursuivi l’exploitation d’une partie du domaine familial après le décès de sa mère (Cass. 1re civ, 25 févr. 1997, n° 94-19.068).
    • À l’inverse, sa sœur, qui avait quitté la propriété plusieurs années auparavant pour s’installer à Paris, a vu sa demande rejetée.
    • Si cette dernière avait bien participé à l’exploitation avant son départ, son éloignement prolongé et la cessation de toute activité sur le domaine ont conduit les juges du fond à considérer qu’elle ne remplissait plus les conditions d’une gestion effective et continue du bien.
    • La Cour de cassation a validé cette appréciation souveraine des juges du fond, qui avaient estimé que le maintien sur place du frère et son exploitation continue d’une partie des terres indivises constituaient des éléments déterminants en faveur de son attribution préférentielle.
    • Ce principe trouve également à s’appliquer aux locaux commerciaux et aux biens à usage d’habitation.
    • Lorsqu’un indivisaire occupe déjà le bien ou y exerce une activité professionnelle, il bénéficie d’un avantage manifeste sur un coïndivisaire ne résidant pas sur place, son maintien dans les lieux garantissant une transition plus fluide et une gestion optimisée du bien.
    • Dans cette logique, la jurisprudence a précisé que l’occupation passée d’un bien ne suffit pas à justifier son attribution préférentielle si l’intéressé ne présente plus les garanties d’un maintien effectif et utile du bien dans l’avenir.
    • Ainsi, dans un arrêt du 13 février 1967, la Cour de cassation a validé la décision des juges du fond refusant l’attribution préférentielle d’un immeuble à un médecin qui y avait exercé son activité, mais qui ne l’occupait plus au moment du litige (Cass. 1re civ, 13 févr. 1967).
    • Les juges avaient estimé que la demande du médecin ne pouvait prospérer dès lors qu’elle ne s’inscrivait pas dans une logique d’exploitation durable, mais relevait davantage d’une volonté de conserver un bien à titre patrimonial.
    • La Haute juridiction a confirmé cette approche en rappelant que l’attribution préférentielle doit être appréciée en fonction des intérêts en présence et de l’usage effectif du bien.
    • Ces décisions s’inscrivent dans une tendance jurisprudentielle constante : l’attribution préférentielle ne repose pas sur un simple droit à la conservation du bien, mais sur une exigence d’exploitation effective et pérenne.

==>L’importance de la durée de la participation personnelle à l’activité en cas d’attribution préférentielle d’une entreprise

L’attribution préférentielle d’une entreprise obéit à des impératifs spécifiques, distincts de ceux applicables aux biens immobiliers à usage d’habitation ou aux exploitations purement foncières. L’article 832-3 du Code civil impose au juge de tenir compte, en particulier, de la durée de la participation personnelle du postulant à l’activité. Ce critère, introduit par la loi du 10 juillet 1982, vise à garantir que l’attribution bénéficie à celui qui a fait preuve d’un engagement constant et significatif dans la gestion du bien, offrant ainsi les meilleures garanties de viabilité et de continuité économique.

En effet, l’une des finalités de l’attribution préférentielle d’une entreprise est d’assurer la pérennité de l’activité en privilégiant celui dont l’investissement dans la gestion de l’exploitation a été le plus ancien et le plus constant. L’ancienneté de la participation constitue, en ce sens, un indice objectif de compétence et de capacité à poursuivre l’exploitation sans discontinuité. Cette exigence se vérifie tout particulièrement dans le domaine agricole, où la stabilité de l’exploitation constitue un impératif économique et social.

À cet égard, la jurisprudence souligne que le juge doit privilégier le demandeur dont l’implication dans la gestion de l’exploitation a été continue et significative, et qui apparaît le plus à même d’en assurer le maintien et le développement. Ainsi, dans une affaire où plusieurs indivisaires revendiquaient l’attribution d’une exploitation agricole, la cour d’appel a privilégié celui dont l’engagement était le plus long et le plus constant, estimant qu’il présentait les meilleures garanties de gestion à long terme (CA Pau, 28 févr. 2005, n° 03/02292).

De la même manière, ce raisonnement s’applique en matière commerciale, où la longévité et la régularité de l’implication dans l’activité d’un fonds de commerce ou d’une entreprise artisanale constituent un critère déterminant. L’article 832-3 du Code civil prévoit expressément que, lorsqu’une entreprise fait l’objet d’une demande d’attribution préférentielle, le juge doit tenir compte en particulier de la durée de la participation personnelle du postulant à l’exploitation.

Faute de jurisprudence récente et explicite en matière de fonds de commerce, les principes dégagés en matière agricole ou artisanale restent transposables : le postulant justifiant d’un engagement durable et effectif dans l’exploitation bénéficiera d’un avantage décisif sur un coïndivisaire dont l’implication a été plus intermittente ou récente. Ce critère permet ainsi d’éviter toute rupture brutale de l’exploitation, qui pourrait compromettre sa viabilité.

Toutefois, l’appréciation du juge ne saurait se limiter à une lecture mécanique des critères légaux. L’ancienneté et la continuité dans la participation ne suffisent pas, à elles seules, à justifier une attribution préférentielle. 

Le juge doit également procéder à une évaluation plus large, prenant en compte la capacité réelle du postulant à assurer la pérennité de l’exploitation. Ainsi, même si un indivisaire justifie d’un engagement prolongé dans l’entreprise, des éléments tels que sa situation financière, son état de santé ou l’absence d’un projet crédible de poursuite de l’activité peuvent légitimement justifier un refus d’attribution (Cass. 1re civ., 21 mai 1997, n° 95-15.132).

L’ancienneté de la participation à l’exploitation d’une entreprise prend tout son relief dans les conflits successoraux, où plusieurs héritiers peuvent se disputer l’attribution d’une même activité.  Dans ce contexte, le juge privilégiera naturellement le candidat dont l’engagement s’inscrit dans la durée et qui a démontré, par une implication constante et effective, sa capacité à assurer la pérennité de l’exploitation. Ainsi, lorsqu’une entreprise familiale fait l’objet de revendications concurrentes, la priorité est généralement accordée à celui qui a le plus contribué à son développement, offrant ainsi les meilleures garanties d’exploitation future.

À l’inverse, un coïndivisaire dont l’implication s’est révélée plus récente, sporadique ou limitée peut voir sa demande écartée, même s’il satisfait en apparence aux critères légaux. 

b. L’appréciation des intérêts en présence

Lorsqu’une pluralité de postulants satisfait aux critères légaux définis par l’article 832-3 du Code civil, le juge ne peut se limiter à une application purement formelle du texte. Il lui appartient d’adopter une approche plus large en mettant en balance les intérêts patrimoniaux, économiques et familiaux liés à l’attribution préférentielle. Cette analyse suppose de concilier les droits de chaque indivisaire avec l’objectif de préservation du bien indivis et de stabilité successorale.

==>La préservation de l’équilibre patrimonial

Dans le cadre d’un partage, le juge doit veiller à ce que l’attribution préférentielle ne provoque pas un déséquilibre excessif au détriment des autres indivisaires. À ce titre, la capacité financière du demandeur à indemniser ses coïndivisaires par le versement d’une soulte est un facteur déterminant.

Ainsi, l’attribution peut être refusée à un postulant dont la situation financière ne permettrait pas de compenser équitablement les autres copartageants. Ce principe a été rappelé dans un arrêt où la Cour de cassation a validé la décision des juges du fond ayant refusé une attribution préférentielle en raison de l’incapacité du demandeur à payer la soulte nécessaire (Cass. 1ère civ. 1re, 10 mai 2007, n° 06-10.034).

Dès lors, le postulant à l’attribution préférentielle ne doit pas seulement établir son aptitude à gérer le bien, mais également démontrer qu’il est en mesure d’indemniser équitablement les autres indivisaires, afin que l’attribution ne crée pas un déséquilibre au sein du partage successoral.

==>La continuité de l’exploitation et la protection du bien

Lorsque l’attribution préférentielle porte sur une exploitation agricole ou une entreprise, le juge privilégiera le demandeur offrant les meilleures garanties de pérennité de l’activité. Ce critère répond à un impératif économique : éviter que l’exploitation ne soit interrompue ou dégradée par une gestion hasardeuse ou par l’absence d’exploitation effective.

Ainsi, la Cour de cassation a été amenée à censurer une décision d’attribution préférentielle d’une exploitation agricole au bénéfice de deux frères, au détriment de leurs coïndivisaires, en raison d’une insuffisante prise en compte des intérêts en présence (Cass. 1ère civ., 20 janv. 2004, n° 00-14.252). 

En l’espèce, après le décès de leur mère, plusieurs indivisaires revendiquaient l’attribution d’un domaine agricole familial. La cour d’appel avait accordé l’attribution préférentielle à deux frères, en se fondant sur leur implication dans l’exploitation, notamment celle de l’un d’eux qui en exerçait la direction depuis plusieurs années.

Toutefois, la Cour de cassation a censuré cette décision au motif que la cour d’appel avait omis de procéder à une comparaison approfondie des intérêts en présence. En effet, les autres coïndivisaires soutenaient que la gestion des bénéficiaires de l’attribution préférentielle était contestable et qu’elle avait porté atteinte aux intérêts patrimoniaux de l’indivision. Or, l’article 832, alinéa 11, du Code civil impose au juge de statuer sur la demande d’attribution préférentielle en tenant compte de l’ensemble des intérêts en présence. En se bornant à constater l’implication des bénéficiaires dans l’exploitation, sans examiner les griefs des autres coïndivisaires, la cour d’appel a privé sa décision de base légale.

Cet arrêt illustre ainsi une exigence fondamentale : l’implication passée d’un demandeur ne suffit pas, à elle seule, à justifier l’attribution préférentielle. Le juge doit impérativement mettre en balance les intérêts économiques et patrimoniaux de l’ensemble des parties concernées. L’attribution préférentielle ne peut être accordée qu’à la condition qu’elle ne lèse pas de manière disproportionnée les droits des autres indivisaires, notamment lorsque des contestations sur la gestion du bien sont soulevées.

c. Les solutions intermédiaires : pallier l’impossibilité de départager les postulants

Dans certaines hypothèses, aucun des postulants ne se distingue de manière évidente au regard des critères légaux et jurisprudentiels. Le juge dispose alors d’une latitude pour aménager une solution équilibrée, conciliant les intérêts de l’ensemble des indivisaires et préservant la stabilité patrimoniale. Deux solutions alternatives peuvent être envisagées : l’attribution conjointe, qui permet un partage de la gestion entre plusieurs bénéficiaires, et la licitation, qui impose la vente du bien afin d’éviter des conflits irréconciliables.

==>L’attribution conjointe

Lorsque plusieurs demandeurs satisfont aux critères de l’attribution préférentielle et qu’aucun ne se distingue nettement par son aptitude à gérer le bien et à s’y maintenir, le juge peut envisager une répartition partielle du bien litigieux entre plusieurs postulants. Cette solution, bien que moins fréquente, permet d’éviter un déséquilibre trop marqué dans le partage successoral tout en préservant la continuité économique de l’exploitation concernée.

La Cour de cassation a validé cette approche dans une affaire où plusieurs héritiers revendiquaient l’attribution préférentielle de parcelles viticoles issues de la succession de leur père (Cass. 1re civ., 22 févr. 2000, n° 98-10.153). En l’espèce, deux des enfants avaient participé à la mise en valeur des terres litigieuses et chacun exploitait déjà des parcelles en propre. La cour d’appel avait estimé qu’ils étaient également aptes à poursuivre l’exploitation et que l’attribution d’une part significative du domaine à l’un des postulants, sans prise en compte des intérêts de l’autre, aurait entraîné un déséquilibre injustifié.

Dans son arrêt, la Cour de cassation a confirmé la décision des juges du fond, qui avaient attribué à chacun une portion des terres, en considérant que cette solution permettait d’assurer un partage équitable tout en préservant l’intégrité économique de l’exploitation. Elle a relevé que cette décision n’était pas motivée par une simple considération d’équité, mais reposait bien sur les critères posés par l’article 832-1 du Code civil, qui impose au juge de désigner l’attributaire en fonction des intérêts en présence et de l’aptitude des différents postulants à gérer l’exploitation et à s’y maintenir.

Toutefois, l’attribution conjointe suppose plusieurs conditions :

  • Une compatibilité de gestion entre les co-attributaires, afin d’éviter des conflits susceptibles de nuire à l’exploitation du bien ;
  • Une division matériellement possible du bien sans compromettre son intégrité économique ;
  • Un équilibre entre les intérêts successoraux, garantissant que la solution retenue ne lèse aucun héritier de manière disproportionnée.

Ainsi, cette solution ne peut être retenue que lorsque la nature du bien indivis permet une gestion distincte entre plusieurs indivisaires et que ces derniers disposent des compétences nécessaires pour en assurer l’exploitation de manière autonome.

Toutefois, le juge doit rester vigilant quant aux risques de conflits futurs entre co-attributaires. En effet, une exploitation en indivision peut rapidement devenir source de tensions, notamment en cas de désaccord sur la gestion des biens attribués conjointement. Dès lors, l’attribution conjointe ne constitue pas une solution systématique, mais une alternative à envisager lorsque les circonstances le permettent et que les indivisaires sont en mesure d’assurer une gestion sereine et efficace du bien partagé.

==>La licitation

L’attribution préférentielle d’un bien indivis repose sur l’idée qu’un indivisaire peut en assurer la gestion de manière autonome et efficace tout en indemnisant équitablement les autres coïndivisaires. Toutefois, lorsque cette répartition s’avère impossible ou qu’aucun des postulants ne présente de garanties suffisantes pour assurer la continuité de l’exploitation, le juge peut être amené à ordonner la licitation du bien.

La licitation consiste en la vente du bien indivis, soit de manière amiable, soit aux enchères publiques, afin de répartir le produit entre les indivisaires selon leurs droits respectifs. Cette solution est généralement considérée comme un dernier recours, intervenant lorsque :

  • L’attribution préférentielle à un indivisaire ne permet pas d’indemniser équitablement les autres héritiers par le paiement d’une soulte, notamment en raison d’un déséquilibre patrimonial trop important ;
  • Le maintien en indivision risque d’engendrer des conflits de gestion insolubles, notamment lorsque les coïndivisaires sont en désaccord sur la gestion du bien ;
  • Le bien concerné ne peut être matériellement partagé et son exploitation conjointe est impraticable, comme c’est le cas d’un fonds de commerce détenu par d’anciens époux après leur divorce.

La Cour de cassation a validé cette approche dans une affaire où des époux divorcés revendiquaient chacun l’attribution préférentielle d’un fonds de commerce commun (Cass. 1re civ., 22 avr. 1981, n° 79-16.342). Dans cette affaire, les tensions entre les ex-époux rendaient toute gestion commune impossible et l’attribution à l’un d’eux aurait nécessité le versement d’une soulte d’un montant trop élevé. La cour d’appel avait donc décidé d’ordonner la licitation du fonds de commerce, estimant que cette solution permettrait de garantir une répartition équitable des valeurs patrimoniales et d’éviter un conflit prolongé entre les parties.

La Cour de cassation a validé cette analyse en considérant que la licitation faisait apparaître “dans l’intérêt des deux parties, la valeur réelle et non théorique du fonds de commerce“, permettant ainsi à chacun des ex-époux de faire valoir ses droits dans des conditions financières objectives. Elle a également précisé que cette décision relevait de l’appréciation souveraine des juges du fond, qui avaient examiné les intérêts en présence avant de statuer.

Dans une perspective plus large, la licitation peut apparaître comme un instrument essentiel de préservation de l’équilibre patrimonial. Elle permet d’éviter qu’un indivisaire ne s’arroge une position dominante au détriment des autres, en assurant une répartition équitable de la valeur patrimoniale du bien.

Toutefois, cette solution ne saurait être ordonnée qu’en dernier ressort. Le juge doit, avant d’y recourir, explorer toutes les alternatives susceptibles de concilier les intérêts en présence, telles que l’attribution conjointe ou la mise en place de mécanismes compensatoires, à l’instar d’un échelonnement du paiement de la soulte. Ce n’est que lorsque toute tentative d’attribution préférentielle risquerait de rompre l’équilibre financier entre les indivisaires ou de conduire à une impasse dans la gestion du bien que la licitation s’impose avec nécessité.

IV) Effets de l’attribution préférentielle

L’attribution préférentielle constitue une modalité d’allotissement. Elle ne confère pas immédiatement la propriété du bien à l’attributaire, mais lui assure qu’il lui sera dévolu lors de la division définitive des actifs indivis. Cette intégration dans son lot s’effectue sous réserve du respect de l’équilibre du partage, ce qui peut impliquer le versement d’une soulte destinée à compenser les droits des autres indivisaires.

A) L’intégration du bien dans le lot de l’attributaire

L’attribution préférentielle constitue une modalité particulière d’allotissement permettant à un indivisaire de se voir attribuer un bien spécifique en priorité, sous réserve du respect de certaines conditions. Elle ne confère cependant pas immédiatement à son bénéficiaire la pleine propriété du bien en cause. Tant que le partage n’a pas été définitivement consommé, l’attributaire demeure soumis au régime de l’indivision, avec toutes les conséquences qui en découlent.

Ce régime transitoire implique notamment que l’attributaire ne puisse exercer sur le bien l’ensemble des prérogatives du propriétaire exclusif, qu’il s’agisse de l’administration, de la disposition ou encore de l’exploitation du bien. Toutefois, une fois le partage clôturé, l’attribution préférentielle produit un effet déclaratif qui consolide rétroactivement les droits de l’attributaire, lui reconnaissant une pleine propriété réputée acquise dès l’ouverture de l’indivision.

1. L’acquisition des droits attachés au bien

L’attribution préférentielle constitue un mode particulier d’allotissement dans le cadre du partage successoral ou de l’indivision. Son bénéficiaire ne devient pas immédiatement propriétaire du bien qui lui est attribué, mais acquiert un droit à en recevoir la pleine propriété lors de la division définitive des actifs. Tant que le partage n’est pas consommé, le bien demeure juridiquement soumis au régime de l’indivision, avec toutes les conséquences que cela implique.

Ainsi, jusqu’à la clôture des opérations de partage:

  • L’attributaire ne détient qu’un droit provisoire sur le bien, sans pour autant pouvoir se comporter comme un propriétaire exclusif ;
  • Il ne peut en disposer seul, notamment par voie de cession ou d’hypothèque, sauf à recueillir le consentement des autres indivisaires ou à obtenir une homologation judiciaire ;
  • Le bien attribué reste régi par les règles de l’indivision, impliquant notamment que les actes de disposition nécessitent l’accord unanime des indivisaires ou une majorité qualifiée (art. 815-3 C. civ.).

Cependant, une fois le partage définitivement consommé, l’attribution préférentielle produit un effet déclaratif et rétroactif. En vertu du principe de l’effet déclaratif du partage, le bien est réputé avoir toujours appartenu à l’attributaire depuis l’ouverture de l’indivision, sans qu’il y ait eu transmission de propriété à proprement parler (art. 883 C. civ.). 

Il s’ensuit que l’attributaire peut exercer sur le bien tous les droits attachés à la pleine propriété, sans avoir à justifier d’un titre de transfert. 

2. L’estimation des biens

L’intégration du bien dans le lot de l’attributaire suppose nécessairement une évaluation rigoureuse, visant à préserver l’égalité entre les indivisaires. L’article 832-4 du Code civil fixe à cet égard une règle fondamentale : la valeur du bien doit être déterminée à la date de la jouissance divise, qui doit être la plus proche possible du jour du partage effectif.

L’évaluation du bien repose sur plusieurs critères:

  • La valeur vénale du bien au jour du partage
    • Il convient de tenir compte des prix du marché et de l’état du bien au moment où l’attributaire en prend possession exclusive.
    • Cette évaluation exclut toute spéculation sur des hausses futures du marché ou sur des facteurs incertains.
  • L’état du bien et les éventuelles modifications survenues durant l’indivision
    • Si le bien s’est détérioré ou a été amélioré au cours de l’indivision, il faut distinguer l’origine de ces changements :
      • Les plus-values résultant d’événements fortuits (ex. : revalorisation du quartier, travaux publics alentour) profitent à l’indivision.
      • Celles issues d’initiatives personnelles de l’attributaire lui reviennent, sous réserve d’une indemnisation éventuelle due aux coindivisaires.
      • À l’inverse, les moins-values imputables à la négligence de l’attributaire devront être prises en compte à son détriment.
  • La prise en compte des charges et impenses engagées par l’attributaire
    • L’attributaire préférentiel, bien que destiné à devenir propriétaire du bien qui lui est attribué, ne peut prétendre à la pleine jouissance privative de celui-ci avant la clôture définitive des opérations de partage. 
    • Durant cette période transitoire, le bien demeure indivis et soumis aux règles gouvernant l’indivision (art. 832 et 1476 C. civ.).
    • Cette situation a des conséquences directes sur la prise en charge des dépenses relatives au bien. 
    • Conformément à l’article 815-13 du Code civil, lorsqu’un indivisaire a assumé des frais de conservation et de gestion sur un bien indivis, il peut en obtenir remboursement, sous réserve d’une appréciation en équité. 
    • Ce remboursement est évalué au regard :
      • Des dépenses effectivement engagées par l’indivisaire ;
      • De la plus-value conférée au bien, appréciée à la date du partage.
    • Ainsi, si l’attributaire a financé des travaux d’amélioration (rénovation, agrandissement, modernisation du bien), il peut prétendre à une indemnisation équitable dès lors que ces investissements ont contribué à valoriser le bien indivis. 
    • À l’inverse, si le bien a fait l’objet d’une dégradation imputable à l’attributaire, celui-ci devra indemniser la masse indivise pour le préjudice causé.
    • Un arrêt rendu par la Cour de cassation le 20 mars 1990 illustre précisément ces principes. 
    • Dans cette affaire, la Première chambre civile a censuré une cour d’appel qui avait considéré que les travaux financés par l’attributaire préférentiel après un jugement d’attribution de 1979 devaient rester à sa charge, au motif qu’il était devenu propriétaire du bien par le seul effet de ce jugement. 
    • La Haute juridiction rappelle au contraire que le bien demeure indivis jusqu’au partage, et que l’attributaire, à ce titre, doit pouvoir obtenir la prise en compte des dépenses qu’il a engagées pour sa conservation et son amélioration (Cass. 1re civ., 20 mars 1990, n°88-16.847).
    • Ce principe s’articule avec l’exigence d’une évaluation correcte du bien au jour du partage. 
    • Dans le même arrêt, la Cour a cassé une décision qui avait prescrit une simple réactualisation de la valeur du bien sur la base d’un indice du coût de la construction, rappelant que l’estimation du bien doit être réalisée à la date effective du partage, et non sur la base d’une indexation mécanique.
    • Dès lors, toute dépense engagée par l’attributaire sur le bien indivis doit être analysée au regard de ses effets sur la valeur du bien. 
    • Cette appréciation suppose une distinction entre :
      • Les dépenses nécessaires à la conservation du bien, qui doivent être remboursées ;
      • Les dépenses d’amélioration, qui peuvent donner lieu à une indemnisation si elles ont généré une plus-value ;
      • Les détériorations fautives, qui doivent être compensées par l’attributaire au bénéfice de la masse indivise.

Enfin, l’évaluation du bien attribué constitue un enjeu fondamental pour l’équilibre du partage. Si la valeur du bien correspond ou est inférieure aux droits de l’attributaire dans la masse partageable, elle s’impute simplement sur sa part, sans qu’aucune compensation supplémentaire ne soit requise. En revanche, lorsque la valeur du bien excède ses droits, l’attributaire doit verser une soulte aux autres indivisaires afin de rétablir l’équité. Cette compensation s’effectue généralement en numéraire, mais elle peut également prendre la forme d’une dation en paiement, sous réserve de l’accord des parties et des conditions légales applicables.

La rigueur de cette estimation revêt une importance d’autant plus grande que des contestations peuvent surgir ultérieurement. La jurisprudence admet ainsi qu’une réévaluation du bien puisse être sollicitée, notamment lorsque la valeur retenue lors de l’attribution initiale apparaît obsolète au moment du partage effectif (Civ. 1re, 4 janv. 1980, Bull. civ. I, no 9 ; Civ. 1re, 28 avr. 1986, Bull. civ. I, no 105). Toutefois, une telle révision ne saurait être fondée sur des considérations purement spéculatives : elle suppose la démonstration de circonstances objectives ayant substantiellement modifié la valeur du bien depuis son évaluation initiale.

Dans un arrêt du 4 janvier 1980, la Cour de cassation a jugé avec rigueur que l’évaluation d’un bien attribué préférentiellement devait être stabilisée et ne pouvait faire l’objet d’une révision qu’en présence de circonstances économiques objectives ayant substantiellement modifié sa valeur depuis la première estimation (Cass. 1re civ., 4 janv. 1980, n°78-13.596). En l’espèce, une héritière sollicitait la réactualisation de la valeur d’immeubles successoraux, estimant que la fixation opérée en 1975, lors de leur attribution préférentielle, ne correspondait plus à leur valeur réelle au moment du partage. La Cour de cassation rejeta cette demande, rappelant que la valeur des biens attribués doit être déterminée à une date aussi proche que possible du partage et qu’en l’absence de disposition contraire, l’évaluation arrêtée par la décision initiale s’imposait avec l’autorité de la chose jugée.

Cette solution met en évidence une distinction essentielle :

  • Lorsque le partage n’est pas encore définitivement arrêté, une réévaluation peut être envisagée si des circonstances nouvelles et objectives ont modifié substantiellement la valeur du bien ;
  • À l’inverse, si une décision judiciaire a fixé irrévocablement cette valeur, aucune révision ne saurait intervenir, même en cas de fluctuations du marché immobilier.

Ainsi, une revalorisation ne peut être admise sur la seule base d’une évolution économique. Elle doit reposer sur des éléments concrets, tels qu’une évolution réglementaire modifiant la constructibilité du bien ou une altération significative de son état.

Dès lors, il appartient aux parties d’anticiper les risques liés à une fixation inadaptée de la valeur du bien, en veillant, avant la finalisation du partage, à solliciter une expertise actualisée, seule à même d’éviter les litiges ultérieurs.

3. Le paiement de la soulte

L’attribution préférentielle, en ce qu’elle permet à un indivisaire de se voir attribuer un bien spécifique en priorité, ne saurait rompre l’égalité du partage. Dès lors, lorsque la valeur du bien attribué excède les droits de l’attributaire dans la masse à partager, celui-ci se trouve redevable d’une soulte destinée à rétablir cet équilibre. Cette compensation, qui s’effectue généralement en numéraire, peut sous certaines conditions prendre la forme d’une dation en paiement.

Toutefois, les modalités de règlement de cette soulte diffèrent selon que l’attribution préférentielle revêt un caractère facultatif ou résulte d’un droit reconnu par la loi.

a. L’attribution préférentielle facultative

Lorsqu’elle revêt un caractère facultatif, l’attribution préférentielle demeure soumise à l’appréciation du juge, lequel peut, en opportunité, décider de l’accorder ou de la refuser. Conscient du risque d’atteinte à l’égalité entre copartageants, le législateur a posé une règle de principe : le paiement comptant de la soulte (art. 832-4, al. 1er C. civ.).

Cette exigence repose sur l’idée que l’attribution préférentielle ne saurait s’opérer aux dépens des autres indivisaires, lesquels doivent être indemnisés immédiatement de la perte d’un bien qui aurait pu leur revenir. Cette règle emporte plusieurs conséquences qu’il y a lieu d’examiner.

==>L’insolvabilité de l’attributaire comme obstacle à l’attribution préférentielle

L’octroi d’une attribution préférentielle ne peut être accordé sans garantie quant à la solvabilité de l’attributaire. Ainsi, le juge peut légitimement rejeter une demande lorsque le requérant ne dispose pas des ressources nécessaires pour s’acquitter de la soulte due (Cass. 1re civ., 25 mars 1997, n° 95-15.770).

Ce principe répond à une logique de protection des copartageants, lesquels ne doivent pas se voir imposer un risque d’insolvabilité. En effet, une fois l’attribution préférentielle réalisée, les copartageants ne disposent plus du bien initialement indivis et doivent compter sur la capacité financière de l’attributaire pour percevoir la compensation qui leur est due. Le juge appréciera donc l’opportunité de l’attribution en fonction des moyens du requérant, et pourra l’écarter si le paiement de la soulte apparaît incertain.

==>L’impossibilité d’octroyer des délais judiciaires de paiement

Le caractère immédiat du paiement distingue les attributions préférentielles facultatives des attributions préférentielles de droit. Le juge est dépourvu de tout pouvoir d’accorder des délais de paiement au débiteur de la soulte, ce qui signifie que l’attributaire doit être en mesure de régler immédiatement l’intégralité de la somme due.

Cette règle s’applique avec une rigueur particulière dans le cadre du partage d’une communauté dissoute par divorce ou séparation de biens, où il a été jugé que l’attribution préférentielle, bien qu’admise, ne saurait être accompagnée d’un paiement différé (Cass. 1re civ., 11 juin 2008, n° 07-16.184).

Toutefois, bien que le juge ne puisse accorder de délai, les copartageants ont la possibilité de convenir amiablement d’un paiement différé, sous réserve d’un accord express (art. 832-4, al. 2 C. civ.). En pareil cas, les parties peuvent organiser librement les modalités du paiement et fixer, le cas échéant, un échéancier, un taux d’intérêt conventionnel ou encore des garanties spécifiques destinées à assurer le règlement des sommes dues.

==>Les modalités du paiement de la soulte

  • Principe du paiement en numéraire
    • Le paiement en numéraire constitue le mode normal d’acquittement de la soulte dans le cadre d’une attribution préférentielle facultative.
    • Conformément à l’article 832-4, alinéa 1er du Code civil, la soulte doit être réglée immédiatement, sauf accord amiable entre les copartageants. 
    • Cette règle vise à préserver l’égalité du partage en garantissant aux copartageants évincés une compensation financière immédiate, leur permettant ainsi de recouvrer leur part dans l’indivision sous une forme directement mobilisable.
    • L’exigence de paiement comptant s’explique par la nature même de l’attribution préférentielle facultative : ne constituant pas un droit en faveur du demandeur, elle est accordée sous réserve qu’il puisse assurer l’équilibre du partage sans léser les autres indivisaires. 
    • Dès lors, le défaut de paiement de la soulte peut justifier un refus de l’attribution préférentielle, le juge pouvant considérer que l’insolvabilité du requérant met en péril les intérêts des copartageants créanciers (Cass. 1re civ., 25 mars 1997, n° 95-15.770).
    • Toutefois, les parties conservent la liberté d’aménager contractuellement les modalités de paiement. 
    • Un accord amiable peut notamment prévoir un échelonnement du règlement, dans des conditions fixées par les copartageants eux-mêmes. En l’absence de convention contraire, les sommes restant dues produisent intérêts au taux légal à compter de la date du partage définitif (art. 834, al. 2 C. civ.).
  • Tempéraments
    • Le paiement par compensation
        • Bien que la règle de principe impose un règlement en numéraire, la soulte peut, dans certains cas, être acquittée par compensation. 
        • Ce mécanisme permet d’éteindre réciproquement des obligations de paiement lorsqu’un indivisaire est à la fois débiteur d’une soulte et créancier d’une somme équivalente due par l’indivision ou par ses copartageants.
        • La compensation est envisageable notamment dans les situations suivantes :
          • Créance de salaire différé : lorsqu’un héritier a travaillé au sein d’une exploitation familiale sans percevoir de rémunération, il peut être titulaire d’une créance de salaire différé à l’encontre de la succession. Cette créance peut être compensée avec la soulte qu’il doit verser à ses cohéritiers (Cass. 1re civ., 22 janv. 1958).
          • Indemnités diverses : lorsqu’un indivisaire a avancé des frais de conservation ou de gestion d’un bien indivis, ou s’il bénéficie d’une indemnité compensatoire allouée dans le cadre d’un divorce, ces sommes peuvent être prises en compte pour neutraliser partiellement ou totalement la soulte due.
          • Dommages et intérêts : dans certaines situations, des sommes allouées à l’un des copartageants à titre de réparation (par exemple, dans le cadre d’un divorce) peuvent être compensées avec la soulte résultant de l’attribution préférentielle (CA Paris, 4 nov. 1969).
        • Si la compensation est possible, elle reste subordonnée à la réunion des conditions prévues par le droit commun (art. 1347 C. civ.). 
        • En particulier, la créance opposée en compensation doit être certaine, liquide et exigible. 
        • À défaut, la compensation ne peut être imposée aux autres copartageants et nécessite leur consentement.
    • La dation en paiement
      • Si le paiement de la soulte est normalement exigible en numéraire, il peut également s’opérer par le biais d’une dation en paiement, c’est-à-dire par la remise d’un bien en contrepartie de la créance de soulte.
      • La dation en paiement repose avant tout sur un accord des copartageants : l’attributaire ne peut l’imposer unilatéralement aux autres indivisaires. 
      • Ceux-ci doivent accepter de recevoir un bien en contrepartie de leur créance, et ce, en considération de sa valeur vénale et de son adéquation avec le montant de la soulte due.
      • Cette solution peut être particulièrement pertinente lorsque :
        • L’attributaire ne dispose pas de liquidités suffisantes pour régler la soulte en numéraire.
        • L’actif indivis comprend des biens dont le partage en nature est difficile ou dont la cession est économiquement inopportune.
        • Les copartageants sont enclins à recevoir un bien plutôt qu’un versement monétaire, notamment pour préserver la continuité d’une exploitation agricole ou d’un ensemble immobilier indivis.
      • Lorsque la dation en paiement est consentie, elle doit être formalisée dans l’acte de partage. En cas de litige sur la valeur du bien remis en dation, une expertise peut être ordonnée afin de garantir l’équivalence avec le montant de la soulte due.
      • La dation en paiement entraîne un transfert immédiat de propriété au profit des copartageants créanciers. 
      • Ces derniers deviennent titulaires du bien remis en contrepartie de la soulte, ce qui éteint corrélativement la dette de l’attributaire.
      • Cette modalité de paiement présente plusieurs avantages :
        • Elle évite la nécessité d’un financement bancaire pour l’attributaire, ce qui peut être un critère déterminant lorsque les montants en jeu sont élevés.
        • Elle permet aux copartageants de se voir attribuer un bien d’une valeur équivalente à leur part successorale, sans attendre le versement d’une soulte en numéraire.
      • Cependant, la dation en paiement doit être encadrée avec précaution. 
      • Son exécution suppose que le bien remis en paiement ne soit grevé d’aucune charge de nature à en diminuer la valeur. 
      • De même, en cas de contestation sur l’équivalence de la dation avec la soulte due, il pourrait être nécessaire d’engager une action judiciaire pour statuer sur la validité de l’opération.
      • Le Code civil prévoit expressément la possibilité d’une dation en paiement dans le cadre de l’attribution préférentielle de biens agricoles destinés à constituer un groupement foncier agricole (art. 832-1, al. 4 C. civ.). 
      • Dans ce cas, les copartageants peuvent être réglés par l’attribution de parts du groupement foncier en contrepartie de leur créance de soulte, sous réserve qu’ils n’aient pas manifesté leur opposition à ce mode de règlement dans un délai d’un mois.
      • D’une manière plus générale, la jurisprudence a admis que le paiement d’une soulte puisse être réalisé par la remise d’un bien immobilier ou de parts sociales lorsque les parties en conviennent librement et que cette solution permet de préserver l’équilibre du partage.

==>La production d’intérêts

Le paiement de la soulte dans le cadre d’une attribution préférentielle soulève la question de la production d’intérêts, notamment en cas de report du règlement. En l’absence de convention contraire entre les copartageants, le régime applicable repose sur une distinction entre la période antérieure et la période postérieure au partage définitif.

  • L’absence d’intérêts avant la date du partage définitif
    • Le principe posé par l’article 834, alinéa 2, du Code civil est que la soulte ne produit pas d’intérêts avant la clôture définitive des opérations de partage. 
    • Autrement dit, tant que le partage n’a pas été formellement établi, les créanciers de la soulte ne peuvent exiger aucun intérêt, sauf stipulation expresse des parties.
    • Ce principe repose sur une logique d’équilibre entre les copartageants: tant que l’indivision subsiste juridiquement, l’attributaire du bien reste soumis aux règles de l’indivision et ne bénéficie pas encore pleinement des prérogatives exclusives de propriété. 
    • Dès lors, l’obligation de verser des intérêts sur la soulte ne prend effet qu’à compter du moment où l’attributaire devient juridiquement propriétaire exclusif du bien attribué.
    • Toutefois, les copartageants ont la possibilité de déroger à cette règle en stipulant contractuellement que la soulte portera intérêts avant la date du partage. 
    • Une telle convention peut être pertinente notamment lorsque le paiement de la soulte est différé et que les créanciers souhaitent être indemnisés du préjudice financier résultant de l’attente prolongée.
  • La production d’intérêts après le partage définitif
    • À compter de la date du partage définitif, la soulte devient de plein droit productive d’intérêts au taux légal, sauf si les copartageants ont convenu d’un taux différent. 
    • Cette règle vise à assurer une indemnisation des créanciers de la soulte pour le retard dans le paiement effectif de leur créance, en évitant qu’ils ne subissent une dépréciation monétaire.
    • Le régime applicable s’articule autour de deux principes:
      • Le point de départ des intérêts : les intérêts commencent à courir dès la date du partage définitif, sans qu’une mise en demeure préalable soit nécessaire.
      • Le taux applicable : en l’absence de stipulation contractuelle, les intérêts sont calculés au taux légal. Toutefois, les parties peuvent convenir d’un taux conventionnel, sous réserve qu’il ne soit pas usuraire et qu’il soit fixé de manière expresse dans l’acte de partage.

==>Aménagements conventionnels

Lorsque les copartageants concluent un accord amiable sur les modalités de paiement de la soulte, ils disposent d’une large liberté pour organiser l’exigibilité des intérêts. Ils peuvent notamment :

  • Définir un taux d’intérêt conventionnel, inférieur ou supérieur au taux légal, sous réserve qu’il respecte les limites imposées par la législation sur l’usure.
  • Reporter le point de départ des intérêts à une date postérieure à celle du partage définitif, par exemple en cas d’échelonnement du paiement de la soulte.
  • Fixer des échéances de paiement adaptées aux ressources financières de l’attributaire, tout en préservant les intérêts économiques des copartageants créanciers.

En cas de différend sur l’application des intérêts, le juge peut être amené à trancher, mais il ne peut en principe déroger aux règles posées par la loi, sauf si les parties ont expressément prévu des aménagements dans leur convention de partage.

b. L’attribution préférentielle de droit

Dans certaines hypothèses, le législateur a institué un régime favorable à l’attributaire, considérant que la pérennité de certains biens, tels qu’une exploitation agricole, une entreprise familiale ou le logement du conjoint survivant, justifie un assouplissement des contraintes financières pesant sur le partage. L’objectif est d’éviter que l’obligation de paiement immédiat de la soulte ne compromette la conservation du bien et, partant, ne conduise à sa cession forcée.

L’article 832-4, alinéa 2, du Code civil instaure ainsi un mécanisme spécifique qui permet au bénéficiaire de l’attribution préférentielle d’exiger de ses copartageants des délais de paiement pour une fraction de la soulte, dans une double limite :

  • Durée : le report ne peut excéder dix ans, un délai qui résulte d’un aménagement progressif du dispositif, renforcé notamment par la loi d’orientation agricole du 9 juillet 1980.
  • Montant : la fraction de la soulte dont le paiement est différé ne peut excéder la moitié de la somme due.

Ce mécanisme repose sur plusieurs principes, qui encadrent à la fois la mise en œuvre du paiement différé et les garanties dont bénéficient les créanciers de la soulte.

==>L’aménagement légal du paiement au profit de l’attributaire

L’attribution préférentielle de droit constitue une exception au principe du paiement comptant de la soulte, en permettant à l’attributaire de différer une partie de son règlement. Cette mesure vise à préserver la transmission et la conservation de certains biens essentiels, tels que les exploitations agricoles, les entreprises ou le logement familial, en évitant qu’un endettement immédiat ne compromette leur viabilité.

Ce mécanisme, consacré par l’article 832-4, alinéa 2, du Code civil, impose aux copartageants créanciers une forme de crédit forcé. Dès lors que les conditions légales sont réunies, ils ne peuvent s’opposer à l’octroi d’un délai de paiement. Ce dernier est cependant encadré :

  • Durée maximale : l’échelonnement du paiement ne peut excéder dix ans.
  • Montant différé : seule une fraction de la soulte, limitée à 50 % du total dû, peut faire l’objet d’un report.
  • Intérêts légaux : à défaut d’accord entre les parties, les sommes différées portent intérêts au taux légal à compter du partage définitif (Cass. 1re civ., 20 nov. 1979). Toutefois, les copartageants peuvent convenir d’un taux différent, sous réserve qu’il ne soit ni usuraire ni abusif.

Cet aménagement légal vise ainsi à concilier deux exigences contradictoires : assurer la continuité de certains patrimoines tout en préservant les droits des copartageants créanciers.

==>L’exigibilité immédiate de la soulte en cas de cession du bien

Si le législateur a aménagé un cadre favorable à l’attributaire en lui accordant des facilités de paiement, il a également prévu un garde-fou essentiel : la cessation du bénéfice du paiement différé en cas de cession des biens attribués. Ce mécanisme vise à éviter que l’attributaire ne détourne l’avantage qui lui est consenti en réalisant une opération purement spéculative au détriment des autres copartageants.

L’article 832-4, alinéa 3, du Code civil distingue deux hypothèses :

  • Vente de la totalité des biens attribués : la soulte devient immédiatement exigible dans son intégralité. Cette règle repose sur une logique simple : dès lors que l’attributaire perçoit une contrepartie financière immédiate, il n’a plus de raison de bénéficier d’un délai de paiement.
  • Vente partielle des biens : le produit de la cession est affecté au règlement de la fraction de soulte encore due, selon une imputation proportionnelle. Ce dispositif garantit que les créanciers ne soient pas lésés par la liquidation progressive du patrimoine de l’attributaire.

L’objectif de cette règle est d’assurer l’équilibre du partage et de prévenir tout abus du paiement différé. Elle protège ainsi les copartageants créanciers contre le risque d’un retard prolongé dans la perception des sommes qui leur reviennent, tout en maintenant une certaine souplesse pour l’attributaire dans la gestion de son lot.

==>La revalorisation de la soulte en cas d’évolution de la valeur du bien

Le législateur a également introduit un mécanisme de réévaluation du montant de la soulte en fonction des fluctuations de la valeur du bien attribué. L’article 828 du Code civil prévoit ainsi que si la valeur du bien a varié de plus de 25 % depuis le partage en raison de circonstances économiques objectives, la soulte est ajustée en conséquence.

Ce dispositif répond à une logique d’équité :

  • Si la valeur du bien a augmenté, l’attributaire doit verser un complément de soulte, afin de rétablir l’équilibre initial du partage.
  • Si la valeur du bien a diminué, la soulte est révisée à la baisse, de manière à éviter que l’attributaire ne soit tenu de verser une somme disproportionnée au regard de la valeur actuelle du bien.

Cette revalorisation repose sur une appréciation objective des conditions économiques et exclut les plus-values résultant d’améliorations apportées par l’attributaire ou les moins-values liées à une dégradation fautive de sa part. En revanche, elle peut résulter de facteurs exogènes tels que l’évolution du marché immobilier, des modifications du plan local d’urbanisme ou encore des évolutions réglementaires impactant la valorisation du bien.

==>Aménagements conventionnels

Si la loi fixe les principes directeurs du paiement de la soulte dans le cadre d’une attribution préférentielle de droit, les copartageants disposent d’une marge de manœuvre pour en aménager les modalités. Ils peuvent ainsi :

  • Fixer un taux d’intérêt différent du taux légal, sous réserve du respect des dispositions sur l’usure.
  • Réviser à la baisse ou supprimer la règle de revalorisation prévue par l’article 828 du Code civil, afin de sécuriser le montant de la soulte.
  • Prévoir des échéances de paiement spécifiques, adaptées aux capacités financières de l’attributaire et aux attentes des créanciers.

Ces ajustements conventionnels doivent faire l’objet d’une clause expresse dans l’acte de partage, afin d’éviter toute contestation ultérieure.

B) Le partage des autres biens

L’attribution préférentielle, en concentrant la propriété d’un bien déterminé entre les mains d’un seul indivisaire, modifie nécessairement l’équilibre du partage. Afin de rétablir l’égalité entre les copartageants, la compensation de cette attribution s’effectue selon un ordre de priorité, qui repose d’abord sur l’allotissement en nature, avant de recourir, si nécessaire, au paiement d’une soulte. À défaut de solution satisfaisante, la licitation du bien peut être envisagée en dernier recours.

1. L’allotissement prioritaire des copartageants

L’attribution préférentielle constitue un mode particulier d’allotissement et non un prélèvement effectué avant le partage. Dès lors, sa mise en œuvre modifie nécessairement la répartition des biens indivis et impose un rééquilibrage au bénéfice des autres copartageants. Cette opération repose sur trois principes:

  • L’imputation prioritaire de l’attributaire
    • L’attribution préférentielle n’est pas un droit conférant un avantage supplémentaire à son bénéficiaire, mais une modalité particulière d’allotissement qui doit respecter l’égalité du partage.
    • Ainsi, l’attributaire doit imputer la valeur du bien qu’il reçoit sur ses droits dans l’indivision, ce qui exclut toute possibilité d’un tirage au sort des lots, comme le confirme une jurisprudence constante (Cass. 1re civ., 30 juin 1993, n°91-17.804).
    • L’application de ce principe intervient notamment en matière de divorce: lorsqu’un époux obtient l’attribution préférentielle d’un bien immobilier, les autres biens communs doivent être alloués en priorité à l’autre conjoint, à due concurrence de ses droits (Cass. 1re civ., 5 mai 1981, n°79-16.444). 
    • Il en va de même dans le cadre du partage d’une succession: un héritier qui a bénéficié de l’attribution préférentielle d’un bien immobilier ne peut prétendre à un supplément de lot sur d’autres biens indivis (Cass. 1re civ., 18 mars 1975).
    • En pratique, le notaire chargé du partage procède donc à l’allotissement des autres biens indivis au profit des copartageants non attributaires, dans la limite de leurs droits respectifs. 
    • Ce n’est qu’en l’absence de biens suffisants que la compensation s’effectuera sous forme de soulte.
  • L’attribution prioritaire des autres biens indivis aux copartageants non attributaires
    • Lorsque l’attributaire reçoit un bien par préférence, les autres biens indivis doivent être attribués, en priorité, aux copartageants non attributaires. 
    • Cette règle permet de limiter le recours au paiement d’une soulte et de préserver l’équilibre du partage en nature.
    • Ainsi, lorsqu’il existe plusieurs biens de valeur équivalente, l’attribution préférentielle de l’un d’eux à un indivisaire commande que le second bien soit attribué à un autre copartageant. 
    • De même, lorsque l’indivision comprend des biens mobiliers et immobiliers, les copartageants non attributaires peuvent se voir attribuer prioritairement des biens mobiliers pour compenser l’attribution d’un immeuble au profit d’un autre héritier.
    • Ce principe s’applique également en cas d’attribution préférentielle en vue de la constitution d’un groupement foncier agricole.
    • L’article 832-1, alinéa 5, du Code civil prévoit que les biens et droits immobiliers qui ne sont pas destinés à être intégrés dans le groupement doivent être attribués en priorité aux indivisaires qui n’ont pas consenti à sa création, dans la limite de leurs droits successoraux respectifs. 
    • Cette disposition illustre la volonté du législateur de garantir un équilibre entre l’intérêt particulier de l’attributaire et les droits des autres indivisaires.
  • Le versement d’une soulte en compensation
    • Lorsque les biens restants dans l’indivision ne suffisent pas à compenser l’attribution préférentielle, la compensation s’opère par le versement d’une soulte. 
    • Celle-ci représente la valeur excédentaire du bien attribué et garantit l’égalité entre les copartageants.
    • La soulte devient ainsi une nécessité dans plusieurs cas :
      • Lorsque l’attributaire reçoit un bien de valeur supérieure à ses droits dans l’indivision: le versement d’une soulte est alors exigé pour rétablir l’équilibre patrimonial.
      • Lorsque les autres biens indivis ne permettent pas un allotissement équivalent: si les biens restants sont insuffisants ou indivisibles, le recours à la soulte devient incontournable pour éviter une rupture d’égalité entre les héritiers.
      • Lorsque l’attributaire souhaite éviter un partage en nature complexe : dans certaines situations, l’attributaire peut préférer s’acquitter d’une soulte plutôt que de procéder à une répartition matérielle des biens restants.
    • L’évaluation de la soulte repose sur la valeur des biens à la date du partage, en tenant compte des éventuelles plus-values ou moins-values survenues durant l’indivision (art. 832-4 C. civ.).

2. La licitation en dernier recours

L’attribution préférentielle constitue un mode de partage privilégié permettant à un indivisaire d’obtenir un bien en compensation de ses droits indivis. Toutefois, lorsque cette attribution bouleverse trop fortement l’équilibre du partage ou que les modalités de compensation ne permettent pas de garantir une répartition équitable, la licitation apparaît comme une solution nécessaire.

La licitation consiste en la mise en vente du bien indivis, dont le produit est ensuite réparti entre les copartageants au prorata de leurs droits. Ce mécanisme, bien que subsidiaire, répond à plusieurs objectifs : assurer l’égalité entre les indivisaires, mettre fin aux situations de blocage et éviter que l’attribution préférentielle ne soit source d’injustice pour les copartageants évincés.

Le recours à la licitation peut revêtir plusieurs formes, en fonction des circonstances et du degré d’accord entre les indivisaires :

  • La vente de gré à gré
    • Lorsque les copartageants s’accordent sur la nécessité de vendre le bien, une vente de gré à gré peut être organisée.
    • Dans ce cas, les indivisaires recherchent eux-mêmes un acquéreur et définissent ensemble les modalités de la cession (prix, conditions de paiement, délais de signature de l’acte).
    • Ce mode de licitation présente plusieurs avantages :
      • Une meilleure valorisation du bien : en évitant la précipitation d’une mise aux enchères, la vente de gré à gré permet de négocier des conditions plus favorables.
      • Une flexibilité accrue : les parties peuvent convenir d’un paiement échelonné ou d’autres aménagements qui optimisent la transmission du bien.
      • Une maîtrise du processus : les indivisaires conservent un certain contrôle sur la transaction, contrairement à une vente judiciaire qui leur échappe totalement.
    • Toutefois, cette solution suppose un accord unanime entre les indivisaires, ce qui, en pratique, n’est pas toujours réalisable.
  • La vente aux enchères judiciaires
    • Lorsque les indivisaires ne parviennent pas à s’entendre sur la cession, ou si la situation l’exige, la vente peut être ordonnée par le juge dans le cadre d’une licitation judiciaire. 
    • Cette procédure assure une impartialité totale et garantit que le bien sera cédé dans des conditions transparentes.
    • Elle repose sur plusieurs étapes :
      • Saisine du tribunal : un ou plusieurs indivisaires demandent au juge d’ordonner la mise en vente du bien.
      • Désignation d’un notaire : le juge peut confier l’organisation de la vente à un notaire ou à un commissaire de justice.
      • Fixation des conditions de vente : le bien est mis aux enchères publiques, avec publication d’un cahier des charges détaillant les modalités de la cession.
      • Adjudication du bien : le bien est vendu au plus offrant et le produit de la vente est réparti entre les copartageants en fonction de leurs droits.
    • Si la licitation judiciaire assure une égalité de traitement entre les indivisaires, elle présente néanmoins certains inconvénients :
      • Un risque de sous-évaluation : la vente aux enchères peut aboutir à une cession à un prix inférieur à la valeur vénale du bien, notamment en cas de faible concurrence entre acquéreurs.
      • Des coûts supplémentaires : frais d’expertise, frais de publicité et émoluments du notaire ou du commissaire de justice viennent grever le produit de la vente.
      • Une absence de maîtrise pour les indivisaires : contrairement à la vente de gré à gré, les copartageants ne contrôlent ni l’acheteur ni le prix final.

La licitation n’est pas une option systématique, mais elle peut s’imposer dans plusieurs situations où l’attribution préférentielle perturbe l’équilibre du partage ou se heurte à des difficultés pratiques.

  • Lorsque la valeur du bien attribué est trop importante
    • Si la valeur du bien attribué excède de manière significative les droits de l’attributaire dans l’indivision et que la compensation par soulte s’avère disproportionnée ou irréalisable, la licitation peut devenir inévitable.
    • À titre d’exemple, si un bien immobilier constitue l’essentiel du patrimoine à partager et qu’aucun autre bien en nature ne peut être attribué aux copartageants évincés, il sera difficile d’assurer un partage équilibré.
    • Dans un tel cas, la vente du bien et la répartition du produit entre les indivisaires s’imposent comme la seule solution garantissant l’équité du partage.
  • Lorsque le maintien en indivision entraîne des blocages
    • L’indivision est souvent source de conflits et d’entraves à la bonne gestion des biens communs.
    • Les divergences d’intérêts entre les indivisaires peuvent empêcher toute prise de décision, rendant le bien improductif ou entraînant une dégradation de sa valeur.
    • Le juge peut alors être saisi pour mettre fin à l’indivision en ordonnant la licitation.
    • Cette solution permet d’éviter les tensions prolongées et d’assurer une répartition définitive du patrimoine.
  • Lorsque l’attributaire est dans l’incapacité de régler la soulte
    • L’attribution préférentielle repose sur un équilibre financier qui suppose que l’attributaire puisse indemniser les autres indivisaires à hauteur de l’excédent de valeur du bien reçu.
    • Or, si l’attributaire ne dispose pas des ressources suffisantes pour régler la soulte et que les copartageants refusent de lui accorder des délais de paiement, la licitation s’impose comme une alternative.
    • Dans ce cas, la vente du bien permettra d’assurer une répartition immédiate des fonds entre les copartageants, sans dépendre des capacités financières de l’attributaire.

Au total, si l’attribution préférentielle constitue une modalité de partage favorisée par le législateur, elle ne peut se faire au détriment des droits des autres indivisaires.

Ainsi, lorsque l’attribution d’un bien en nature est incompatible avec le principe d’égalité entre copartageants, le recours à la licitation apparaît comme la seule issue permettant de garantir un partage juste et équilibré. Cette solution, bien que perçue comme une contrainte, reste une garantie pour l’ensemble des indivisaires et évite que l’un d’eux ne soit lésé par une répartition inéquitable des biens.

Opérations de partage: le rapport des dettes

==>Définition

Le rapport des dettes s’analyse en un mécanisme d’attribution propre aux opérations de partage, offrant un mode simplifié de règlement des dettes d’un indivisaire envers l’indivision. Son fonctionnement repose sur un principe simple : lorsqu’un copartageant est débiteur d’une créance à l’égard de la masse partageable, cette créance lui est allouée au moment du partage. L’extinction de la dette s’opère alors par confusion, sans qu’aucun paiement effectif ne soit requis.

Derrière cette mécanique se dessine une quête d’efficacité et d’équilibre. Le rapport des dettes permet d’assurer l’équilibre du partage en intégrant les créances des copartageants dans la répartition des lots. Ce faisant, il évite que la dette demeure impayée en raison d’une insolvabilité ultérieure du débiteur et protège ainsi les intérêts des autres indivisaires. Son champ d’application excède de loin les seules indivisions successorales : il s’étend à toute opération de partage, qu’elle soit d’origine successorale, post-communautaire ou conventionnelle, affirmant ainsi sa vocation à garantir l’harmonie des répartitions patrimoniales.

==>Terminologie

Le Code civil ne fait plus expressément mention du « rapport des dettes », bien qu’il en organise le régime. L’article 825 du Code civil distingue désormais « les valeurs soumises à rapport ou réduction » et « les dettes des copartageants envers le défunt ou envers l’indivision », attestant ainsi du maintien du mécanisme sans en reprendre la qualification d’origine.

Historiquement, la notion de « rapport des dettes » trouve son origine dans celle du rapport des libéralités. Sous l’Ancien droit, ces deux mécanismes étaient confondus : l’héritier gratifié en avancement de part devait être comptable des biens reçus, tout comme l’héritier débiteur d’une somme prêtée par le défunt devait en répondre à l’égard de ses copartageants. Cette parenté conceptuelle explique pourquoi l’ancien article 829 du Code civil réunissait, dans un même énoncé, le rapport des libéralités et le rapport des dettes.

Toutefois, cette assimilation était juridiquement discutable. Alors que le rapport des libéralités vise à réintégrer des avantages consentis à un successible pour rétablir l’égalité des vocations successorales, le rapport des dettes repose sur une autre logique : il permet d’assurer l’égalité effective du partage en prévenant les risques d’impayés. Les fonds empruntés ne sont pas « rapportés » à proprement parler à la masse partageable, mais leur non-remboursement est compensé par une allocation spécifique dans la répartition des biens. Le rapport des dettes, contrairement au rapport des libéralités, n’a donc jamais vocation à reconstituer la masse partageable.

==>Evolution

Le rapport des dettes puise ses racines dans l’Ancien droit coutumier, qui, par une association fondée davantage sur une intuition que sur une distinction rigoureuse des concepts, l’avait rapproché du rapport des libéralités. La doctrine classique illustre cette confusion, Pothier affirmant avec emphase que « le rapport est dû des sommes prêtées également comme des sommes données ».

Cette assimilation s’explique par la nature des prêts familiaux, souvent consentis sans formalisation rigoureuse, rendant délicate la distinction entre une véritable intention libérale et une créance exigible. La jurisprudence des Parlements, dès 1564, attestait déjà de l’existence de ce mécanisme destiné à intégrer les dettes des héritiers dans l’égalisation du partage.

Dès cette époque, l’idée selon laquelle l’acquittement de la dette pouvait être différé jusqu’au partage s’imposa. Le créancier successoral n’était plus contraint de réclamer immédiatement le remboursement du prêt, mais bénéficiait d’un mécanisme d’imputation permettant d’intégrer la créance dans l’opération de partage, assurant ainsi la continuité du patrimoine et évitant les aléas du recouvrement.

La codification napoléonienne hérita de cette conception et traduisit cette approche dans son article 829, aujourd’hui abrogé, qui énonçait que « chaque cohéritier fait rapport à la masse […] des dons qui lui sont faits, et des sommes dont il est débiteur ».

En consacrant ainsi une même terminologie pour des obligations pourtant distinctes, le Code civil de 1804 perpétua une confusion déjà manifeste sous l’Ancien droit. Cette assimilation fut rapidement source d’incertitudes quant à la qualification juridique du rapport des dettes. Assimiler un prêt impayé à une libéralité revenait à occulter la différence essentielle entre une transmission patrimoniale consentie à titre gratuit et une dette issue d’un engagement contractuel.

La doctrine releva rapidement la faiblesse de cette approche, certains auteurs s’interrogeant sur l’opportunité d’un tel rapprochement, tandis que la jurisprudence s’attacha à rétablir une distinction plus rigoureuse. Il ne s’agissait pas d’assurer une restitution à la masse successorale, comme c’est le cas pour le rapport des libéralités, mais bien d’intégrer la dette dans la répartition des lots. L’objectif n’était donc pas tant de reconstituer la masse partageable que de garantir l’égalité concrète du partage en neutralisant les effets de la dette sur les attributions respectives des copartageants.

Il fallut attendre la réforme des successions opérée par la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, entrée en vigueur le 1?? janvier 2007, pour que le rapport des dettes fût enfin doté d’un régime juridique propre, dissocié du rapport des libéralités.

Désormais intégré aux articles 864 à 867 du Code civil, il relève de la section III du chapitre VIII consacré au partage, au sein des dispositions relatives au paiement des dettes. Cette réforme ne se contente pas de formaliser des pratiques antérieures ; elle consacre le rapport des dettes comme un mécanisme autonome, clairement distingué des autres formes de rapport, en particulier du rapport des libéralités.

Si la réforme n’a pas expressément nommé cette institution, elle en a néanmoins consacré l’essence en le dotant d’un régime spécifique, fondé sur l’allotissement du copartageant débiteur et l’extinction de sa dette par confusion (C. civ., art. 864, al. 2). Loin d’être une modalité du rapport des libéralités, il constitue désormais un mode simplifié de règlement des dettes d’un indivisaire envers l’indivision, évitant tout versement monétaire et garantissant aux copartageants la préservation de leurs droits sans craindre l’insolvabilité de l’un d’entre eux.

Dès lors, la distinction entre le rapport des dettes et le rapport des libéralités est pleinement consacrée. Tandis que le rapport des libéralités vise à rétablir l’égalité des vocations successorales en réintégrant fictivement à la masse les avantages consentis par le défunt, le rapport des dettes relève d’une logique d’imputation et d’extinction par allotissement. La confusion originelle entre ces deux mécanismes a cédé la place à une approche plus rigoureuse, permettant d’appréhender le rapport des dettes comme une véritable technique de partage, indépendante de toute notion de donation ou de restitution patrimoniale.

==>Nature juridique

Le rapport des dettes s’analyse avant tout en une opération de partage, qualification affirmée de longue date par la jurisprudence et désormais consacrée par l’article 864, alinéa 1?? du Code civil (Cass. 1?? civ., 30 juin 1998, n° 96-13.313). Il ne s’agit ni d’un paiement au sens strict, ni d’une compensation, mais d’un mécanisme spécifique d’attribution destiné à neutraliser les créances détenues par la masse partageable sur l’un des copartageants.

Loin de se réduire à un simple règlement de créance, le rapport des dettes repose sur une logique d’imputation patrimoniale. Lorsqu’un copartageant est débiteur d’une somme envers l’indivision, la créance est intégrée dans son lot lors du partage. Ainsi, à due concurrence de ses droits dans la masse, le débiteur est alloti de la créance dont il est redevable. Ce mécanisme présente une double fonction : il évite à l’indivision d’être exposée au risque d’une insolvabilité future et assure une répartition des biens plus équitable entre les copartageants. En effet, plutôt que de contraindre le débiteur à procéder à un paiement effectif, la dette est absorbée dans l’attribution des lots, préservant ainsi l’équilibre du partage.

Loin d’un paiement stricto sensu, qui supposerait une extinction de la dette par l’exécution d’une obligation monétaire (art. 1342 C. civ.), le rapport des dettes se réalise en moins prenant, c’est-à-dire par imputation sur la part revenant au copartageant débiteur (Cass. 1?? civ., 29 juin 1994, n° 92-15.253). La dette ne disparaît donc pas par règlement, mais par confusion, le copartageant étant simultanément débiteur et créancier. Ce phénomène évite tout flux financier et simplifie les opérations de liquidation. Il ne peut d’ailleurs y avoir confusion qu’à hauteur des droits du débiteur dans la masse : si le montant de la dette excède la part successorale du copartageant, celui-ci demeure tenu au paiement du solde (art. 864, al. C. civ.).

Le rapport des dettes présente une vertu cardinale : la garantie de l’égalité des copartageants. En attribuant au débiteur la créance existant contre lui, ce mécanisme préserve les autres copartageants d’un éventuel défaut de paiement. Sans lui, ces derniers pourraient se retrouver créanciers d’une dette non honorée, exposés aux aléas d’une éventuelle insolvabilité et à la concurrence des créanciers personnels du débiteur. Le rapport des dettes pallie ce risque en procédant à une affectation immédiate de la créance, la convertissant en une simple réduction des droits du débiteur dans la masse partageable.

En ce sens, il constitue une alternative bien plus protectrice qu’un règlement classique, qui exigerait une action en recouvrement potentiellement infructueuse. Il permet ainsi d’assurer une égalité concrète des lots, chaque copartageant recevant une valeur équivalente, sans qu’aucun d’entre eux n’ait à supporter la charge d’une créance douteuse.

L’analyse juridique du rapport des dettes montre qu’il s’agit bien d’un mode d’allotissement propre aux opérations de partage, et non d’une modalité de paiement des obligations du copartageant. Contrairement à la compensation, qui suppose l’extinction réciproque de créances entre deux parties (art. 1347 C. civ.), le rapport des dettes intervient dans le cadre de l’indivision, où les droits des copartageants ne s’analysent pas en créances, mais en quotes-parts indivises d’un patrimoine commun (Cass. civ., 11 janv. 1937). Dès lors, il n’y a pas extinction de la dette par voie de compensation, mais absorption de celle-ci par l’affectation du bien au sein du partage.

Cette spécificité explique son autonomie par rapport aux autres mécanismes de règlement. Il ne s’agit ni d’un paiement au sens du droit des obligations, ni d’une compensation entre droits personnels, mais d’une technique d’équilibrage des lots, visant à assurer l’égalité des attributions en tenant compte des dettes existant au sein de la masse.

==>Distinctions

Le rapport des dettes constitue une opération de partage autonome, qui se distingue à la fois du paiement et de la compensation. Il ne repose pas sur une remise de fonds, mais sur une extinction par confusion, laquelle résulte de l’allotissement du débiteur lors du partage. Il protège ainsi les copartageants en évitant qu’ils ne deviennent créanciers personnels du débiteur et en les mettant à l’abri du risque d’insolvabilité. Ce mécanisme garantit également un partage équilibré, sans nécessiter de mobilisation de liquidités ou d’exécution forcée d’une créance.

  • Rapport des dettes et paiement
    • L’une des particularités du rapport des dettes réside dans son effet extinctif.
    • Contrairement au paiement, qui suppose l’exécution d’une obligation par le transfert d’une somme d’argent ou d’un bien, le rapport des dettes entraîne l’extinction de l’obligation par l’effet de la confusion.
    • Cette extinction intervient lorsque le copartageant débiteur est alloti de la créance existant contre lui. Dès lors, il cumule les qualités de créancier et de débiteur sur une même tête, ce qui provoque automatiquement l’extinction de la dette, sans qu’aucun règlement effectif ne soit nécessaire.
    • Il ne s’agit donc pas d’un paiement au sens des articles 1342 et suivants du Code civil, mais d’une technique de liquidation propre au partage.
    • L’intérêt pratique de cette distinction est essentiel. 
    • Le copartageant débiteur n’a pas à mobiliser de liquidités pour s’acquitter de sa dette, ce qui lui évite de fragiliser son patrimoine ou de vendre des actifs prématurément. 
    • Cette neutralisation de la dette par le jeu des attributions permet également de préserver l’égalité entre copartageants. 
    • Chacun reçoit un lot d’une valeur nette équivalente, sans qu’aucun d’eux ne se retrouve créancier personnel d’un autre, situation qui pourrait engendrer des difficultés en cas d’insolvabilité. 
    • Le rapport des dettes évite ainsi aux copartageants de se soumettre à la loi du concours, qui leur serait défavorable face aux autres créanciers du débiteur.
    • Toutefois, la confusion n’opère qu’à due concurrence des droits du débiteur dans l’indivision. 
    • Lorsque la dette excède la valeur des biens qui lui sont attribués, le surplus demeure exigible et doit être réglé selon les règles classiques du paiement.
    • L’article 864, alinéa 2 du Code civil précise en ce sens que l’extinction de l’obligation ne joue qu’à hauteur des droits du copartageant dans la masse partageable.
    • Un exemple permet d’illustrer l’efficacité du mécanisme :
    • Imaginons une indivision dans laquelle trois héritiers, A, B et C, se partagent un patrimoine composé d’un immeuble d’une valeur de 300 000 euros et d’une créance de 90 000 euros contre A, résultant d’un prêt consenti par le défunt.
    • Si le partage se faisait sans rapport des dettes, la masse partageable serait de 390 000 euros, chaque héritier ayant vocation à recevoir 130 000 euros. 
    • A recevrait 100 000 euros en biens et resterait redevable d’une somme de 30 000 euros envers ses cohéritiers.
    • B et C recevraient 100 000 euros en biens et deviendraient chacun créanciers de A à hauteur de 15 000 euros.
    • Or, si A est insolvable, B et C pourraient ne jamais récupérer leur créance, ce qui compromettrait l’égalité du partage.
    • Avec le rapport des dettes, la créance de 90 000 euros est réintégrée dans la masse partageable, portant l’actif successoral à 390 000 euros. A est alloti de l’immeuble pour 210 000 euros ainsi que de la créance de 90 000 euros contre lui-même. B et C reçoivent chacun 90 000 euros en biens et 15 000 euros en numéraire. 
    • La créance est ainsi éteinte par confusion, sans qu’aucun mouvement financier ne soit nécessaire.
    • L’égalité des copartageants est préservée, et B et C ne courent aucun risque lié à l’insolvabilité de A.
  • Rapport des dettes et compensation
    • Il serait tentant de rapprocher le rapport des dettes d’une compensation, en considérant que la dette du copartageant pourrait s’éteindre par l’effet d’une compensation avec ses droits dans la succession.
    • Cette analyse a cependant été rejetée par la jurisprudence (Cass. 1?? civ., 14 déc. 1983, n°82-14.725).
    • La compensation suppose l’existence de créances réciproques, chacune des parties devant être simultanément créancière et débitrice de l’autre.
    • Or, cette condition fait défaut dans le rapport des dettes.
    • Le droit du copartageant sur l’indivision est un droit réel, tandis que la dette qu’il doit à l’indivision est une obligation personnelle.
    • La différence de nature entre ces droits interdit toute extinction par compensation.
    • Contrairement à la compensation, qui opère de plein droit dès que les créances deviennent exigibles, le rapport des dettes n’intervient qu’au stade du partage et par le biais de l’allotissement.
    • L’extinction de la dette ne découle donc pas d’un simple jeu d’écritures, mais d’une réorganisation patrimoniale propre aux opérations liquidatives.
    • Si le rapport des dettes était assimilé à une compensation, l’extinction de l’obligation interviendrait automatiquement au jour de l’ouverture de la succession.
    • Une telle analyse viendrait perturber l’équilibre du partage, en faisant disparaître la dette avant même la composition des lots.
    • Or, l’article 864 du Code civil prévoit expressément que l’extinction ne se produit que lors du partage, et seulement dans la limite des droits du copartageant dans la masse.
    • Cette approche garantit que la dette est bien prise en compte dans les attributions finales et qu’elle ne fausse pas la répartition entre héritiers.
    • Toutefois, si le rapport des dettes ne peut être assimilé à une compensation, il n’exclut pas pour autant qu’une compensation puisse intervenir en amont, dans le cadre du compte d’indivision (art. 867 C. civ.).
    • Lorsqu’un indivisaire est à la fois débiteur et créancier de l’indivision, il peut obtenir une compensation partielle entre ses créances et dettes avant la liquidation finale.
    • Cette opération demeure cependant distincte du rapport des dettes proprement dit, qui relève d’un mécanisme de liquidation et non d’une extinction par jeu de créances réciproques.
    • La réforme du 23 juin 2006, entrée en vigueur le 1er janvier 2007, a consacré cette autonomie en intégrant le rapport des dettes dans les règles propres au partage.
    • Il s’agit désormais du mode de règlement de droit commun des dettes entre copartageants, garantissant un équilibre liquidatif sans interférence avec les règles du droit des obligations.

I) Conditions

Le rapport des dettes, en tant qu’opération de partage, repose sur un ensemble de conditions précises qui en définissent le domaine d’application. Deux éléments fondamentaux doivent être réunis : l’existence d’un copartageant débiteur et la présence d’une créance inscrite à l’actif de la masse partageable. 

A) Conditions relatives au débiteur

==>Qualités de copartageant et débiteur

En premier lieu, seuls les indivisaires appelés à concourir au partage peuvent être assujettis au rapport des dettes. Cette exigence, qui puise sa source dans l’article 864 du Code civil, implique que l’intéressé soit doté d’une vocation à se voir attribuer une fraction d’une masse indivise. Aussi, dès lors qu’un indivisaire prend part au partage, ses droits sur la masse doivent être ajustés à due concurrence des obligations qu’il a contractées envers celle-ci.

L’application du rapport des dettes ne se limite pas aux seules successions. Elle s’étend aux partages de communauté, notamment lorsque la dissolution du régime matrimonial impose un règlement des créances entre les époux (Cass. 1?? civ., 2 oct. 2001, n°99-11.375). Elle concerne également les indivisions conventionnelles, lorsque plusieurs indivisaires mettent fin à leur indivision et procèdent au partage des biens. De même, elle intervient dans le cadre du partage consécutif à la dissolution d’une société, lorsque les associés doivent se répartir les actifs indivis subsistants (Cass. civ., 8 févr. 1882). Dans chacune de ces hypothèses, la qualité de copartageant implique l’intégration au mécanisme d’allotissement des dettes, indépendamment de l’origine de la masse à partager.

En matière successorale, cette règle signifie que le titre en vertu duquel un successeur vient au partage est indifférent. Qu’il soit héritier ab intestat, légataire universel ou institué contractuel, il est soumis au rapport des dettes, dès lors qu’il participe à la répartition de la succession. En revanche, le légataire à titre particulier échappe à cette obligation, puisqu’il n’a pas vocation à prendre part à l’indivision successorale (Cass. 1?? civ., 6 déc. 2005, n°01-12.038). Cette règle illustre la distinction fondamentale entre le rapport des dettes et le rapport des libéralités. Contrairement à ce dernier, qui ne concerne que les héritiers présomptifs gratifiés, le rapport des dettes vise l’ensemble des copartageants dès lors qu’ils remplissent les conditions requises.

En second lieu, au-delà de la condition de copartageant, le rapport des dettes suppose également que l’indivisaire concerné soit débiteur d’une créance comprise dans la masse partageable. Cette dette peut avoir une origine diverse. Elle peut résulter d’une obligation contractée à l’égard du de cujus de son vivant, auquel cas elle est transmise à la succession et doit être réglée lors du partage. Elle peut également être née postérieurement à l’ouverture de la succession, lorsque l’indivisaire est tenu envers l’indivision en raison d’une obligation née durant la gestion des biens indivis.

L’indivisaire peut ainsi être débiteur de la masse successorale lorsqu’il a bénéficié d’un prêt consenti par le de cujus et demeuré impayé au jour du décès. Il peut aussi avoir perçu des fonds en vertu d’une procuration sur les comptes du défunt, dont il reste comptable envers la succession. De même, il peut être tenu au paiement d’une indemnité d’occupation lorsqu’il a joui privativement d’un bien indivis sans indemniser ses cohéritiers. Enfin, il peut être redevable envers la masse indivise s’il a perçu des revenus générés par un bien indivis sans les reverser à l’indivision ou si, en sa qualité d’administrateur des biens indivis, il a commis des fautes de gestion ayant causé un préjudice au patrimoine partagé.

Le rapport des dettes impose donc une stricte corrélation entre la qualité d’indivisaire appelé au partage et l’existence d’une dette à l’égard de la masse. Il vise à garantir que les créances détenues par la masse sur un copartageant ne puissent être éludées au moment de la répartition des biens. Dès lors que l’indivisaire concerné remplit ces deux conditions, il ne peut se soustraire à cette obligation et voit ses dettes imputées sur sa part.

==>L’exclusion des héritiers renonçants et indignes

L’héritier qui renonce à la succession est réputé n’avoir jamais été héritier (art. 805 C. civ.). Cette fiction juridique le soustrait de plein droit aux opérations de partage et, par voie de conséquence, au mécanisme du rapport des dettes. Néanmoins, cette exclusion ne saurait anéantir l’obligation qui lui incombe : sa dette demeure et doit être exécutée selon les principes du droit commun (Cass. civ., 8 août 1895).

Il en va de même pour l’héritier déclaré indigne, dont la déchéance des droits successoraux entraîne l’éviction pure et simple du partage. Dès lors qu’il ne revêt pas la qualité de copartageant, il échappe au rapport des dettes. Toutefois, l’indignité ne purge en rien l’obligation préexistante : la créance qui pèse sur lui conserve son plein effet et demeure exigible selon les voies de droit ordinaires.

Ces exclusions s’inscrivent dans la logique inhérente au rapport des dettes, lequel est intrinsèquement lié à la participation au partage. Le renonçant et l’indigne, étrangers à l’indivision successorale, ne sauraient être astreints aux ajustements opérés lors de la répartition. Ils demeurent tenus de s’acquitter de leurs obligations, mais hors du cadre liquidatif, selon les règles de droit commun.

==>La représentation successorale

La représentation successorale soulève une interrogation quant à l’application du rapport des dettes. Ce mécanisme, en vertu des articles 752 et 753 du Code civil, permet à un héritier de venir au partage en représentation d’un prédécédé, d’un indigne ou d’un renonçant. Dès lors, une question se pose : le représentant doit-il être tenu d’alloter, dans le partage, les dettes contractées par celui qu’il remplace ?

Deux positions doctrinales s’affrontent :

D’un côté, une lecture rigoureuse du principe du partage par souche pourrait conduire à imposer au représentant les obligations du représenté, en ce compris celles relevant du rapport des dettes. Cette approche repose sur l’idée que la représentation est une fiction juridique assurant la continuité des souches successorales. En venant au partage à la place de son auteur, le représentant se substituerait à lui non seulement dans ses droits, mais également dans ses charges, de sorte qu’il devrait se voir alloti des créances existant contre le représenté.

D’un autre côté, une analyse plus nuancée conduit à rejeter cette automaticité. Le représentant n’est pas personnellement débiteur des créances contractées par le représenté ; il ne s’est jamais directement engagé à leur paiement et ne saurait en répondre à titre propre. Or, le rapport des dettes trouve son fondement dans le principe de la confusion des qualités de créancier et de débiteur, laquelle suppose que ces deux qualités soient réunies en une seule et même personne. Cette condition fait défaut dans l’hypothèse du représentant, qui n’a jamais contracté la dette initiale. Dès lors, celle-ci ne saurait s’éteindre par l’effet du rapport et devrait être traitée selon les mécanismes de droit commun.

L’adoption de cette seconde solution a pour corollaire de concentrer le risque d’insolvabilité sur la souche successorale du représenté. Le représentant, bien que juridiquement étranger à la dette initiale, pourrait se voir grevé d’une obligation dont il n’est pas l’auteur, ce qui poserait un problème d’équité entre les copartageants. Une telle situation pourrait s’avérer particulièrement délicate dans l’hypothèse où la dette du représenté serait significative et excéderait les droits successoraux du représentant.

En l’état du droit positif, aucune disposition ne tranche expressément cette question. Contrairement au rapport des libéralités, où l’article 843 du Code civil impose au représentant d’alloter, dans le partage, les donations reçues par le représenté, aucune règle équivalente n’a été consacrée pour le rapport des dettes.

Dès lors, par prudence, il semble opportun de considérer que le successeur venant par représentation ne saurait, en principe, être tenu au rapport des dettes contractées par le représenté, sauf à ce qu’il en devienne lui-même débiteur par transmission du passif. Une clarification législative s’avérerait bienvenue afin de garantir une application homogène de ce mécanisme et d’écarter toute divergence d’interprétation susceptible d’engendrer des iniquités successorales.

B) Conditions relatives aux dettes

Le mécanisme du rapport des dettes, consacré par l’article 864 du Code civil, vise à assurer l’équité entre les copartageants en imposant à celui d’entre eux qui est débiteur d’une créance comprise dans la masse partageable d’en être alloti à due concurrence de ses droits. Cette règle, qui relève de la technique liquidative des successions et des indivisions, repose sur l’idée que les dettes d’un indivisaire à l’égard de la masse successorale doivent être régularisées au moment du partage, afin d’éviter que certains copartageants ne soient avantagés ou que l’actif partageable ne se trouve minoré au détriment des autres.

Toutefois, pour que le rapport des dettes puisse être mis en œuvre, certaines conditions doivent être réunies, tant en ce qui concerne l’origine de la dette que ses caractéristiques intrinsèques. Si le Code civil ne dresse pas une liste exhaustive des dettes concernées, la jurisprudence et la doctrine ont progressivement dégagé les principes directeurs qui en gouvernent l’application.

1. L’origine des dettes rapportables

L’article 864 du Code civil ne distingue pas selon l’origine ou la nature de la dette. Ainsi, le rapport des dettes peut indifféremment concerner des obligations d’origine contractuelle, légale, quasi-contractuelle, délictuelle ou quasi-délictuelle (Cass. 1ère civ., 11 juin 1981, n°80-11.177). La jurisprudence a admis que cette règle s’applique aux dettes résultant de l’annulation d’un acte juridique consacrant ainsi l’idée que le rapport des dettes constitue un mécanisme de régularisation des obligations entre copartageants, indépendamment du fait générateur de la créance.

L’essentiel est que la dette trouve sa source dans les relations entre le débiteur et la masse partageable. Ainsi, toute obligation née entre le de cujus et un héritier peut être rapportée, de même que celles contractées entre un indivisaire et l’indivision successorale.

Les dettes les plus fréquemment concernées par le rapport sont celles que l’héritier a contractées envers le défunt de son vivant. Il en va ainsi des prêts consentis par le de cujus et non remboursés à son décès, des avances sur héritage, ou encore des créances résultant d’une convention conclue avec le défunt. Ces créances figurent à l’actif de la succession et, en raison de l’absence d’effet extinctif du décès du créancier, elles doivent être réglées par le débiteur avant la répartition du patrimoine.

Un exemple marquant est celui des retraits effectués par un héritier grâce à une procuration sur les comptes du défunt. Si ces fonds ont été utilisés à titre personnel, l’héritier devra les rapporter à la succession (Cass. 1ère civ., 2 févr. 1999, n°96-21.460). Toutefois, si les sommes prélevées l’ont été dans l’intérêt du de cujus, la dette ne sera pas soumise au rapport, la charge de la preuve incombant alors au mandataire (Cass. 1ère civ., 21 nov. 1995, n°93-21.162).

Le rapport des dettes s’applique également aux obligations nées après l’ouverture de la succession, dès lors qu’elles résultent des relations entre l’indivisaire et la masse successorale. Ainsi, les sommes ou fruits encaissés par un indivisaire pour le compte de l’indivision doivent être restitués lors du partage (Cass. req. 23 avr. 1898). Il en va de même des indemnités d’occupation dues par l’indivisaire jouissant privativement d’un bien indivis (CA Angers, 2 sept. 1991) ou des sommes correspondant à des détériorations du bien indivis causées par un cohéritier (Cass. req. 17 nov. 1885).

Dans le même sens, il a été jugé par la Cour de cassation dans un arrêt du 19 octobre 1983 que l’indivisaire qui administre un bien dépendant de la succession sans en rendre compte peut être contraint de rétablir dans la masse partageable la valeur du bien ainsi appréhendé (Cass. 1?? civ., 19 oct. 1983, n°82-13.329).

En l’espèce, un héritier avait été désigné pour assurer l’administration provisoire d’un cabinet de conseil juridique et d’administrateur de biens dépendant de la succession. Or, il est apparu que cet indivisaire, exerçant lui-même une activité similaire, avait confondu ses propres opérations avec celles du cabinet hérité, sans tenir de comptabilité distincte ni produire de comptes de gestion. Cette confusion a conduit les juges du fond à constater l’impossibilité d’établir la consistance exacte des éléments du cabinet subsistant au jour du partage.

Se fondant sur les conclusions d’un expert, la cour d’appel a estimé que la seule manière de préserver l’égalité du partage était de retenir la valeur du cabinet au jour du décès, soit 120 000 francs, et de mettre cette somme à la charge de l’indivisaire en cause, avec intérêts au taux légal courant depuis l’ouverture de la succession.

La Cour de cassation a validé cette décision en considérant que l’héritier avait appréhendé cet élément d’actif dans sa consistance au jour du décès et que, faute de justification sur son usage et son état au moment du partage, il devait en restituer la valeur à l’indivision. Elle a ainsi confirmé la condamnation de l’intéressé à rétablir dans la masse successorale l’équivalent de la valeur du cabinet litigieux.

Cet arrêt illustre de manière particulièrement rigoureuse l’exigence de transparence et de reddition de comptes incombant à tout indivisaire ayant assumé la gestion d’un bien commun. Il consacre la règle selon laquelle l’indivisaire qui fait sien, sans autorisation ni justification, un élément du patrimoine successoral doit en restituer la valeur à la masse, afin de garantir le principe d’égalité entre copartageants.

Enfin, le rapport des dettes trouve également à s’appliquer lorsque la succession a payé à un tiers une dette incombant normalement à un cohéritier. Tel est l’enseignement qui peut être retiré d’un arrêt rendu par la Cour de cassation le 26 mars 1974 (Cass. 1ère civ. 26 mars 1974, n°72-13.132).

En l’espèce, un professionnel libéral était décédé en laissant pour héritiers sa veuve et ses trois enfants. L’un d’eux, ultérieurement placé en règlement judiciaire, était débiteur envers un tiers d’une somme correspondant à des détournements de fonds. Afin d’éviter des poursuites, le défunt s’était porté caution de cette dette. Après le décès, le créancier avait exercé un recours contre les héritiers, ce qui avait conduit la succession à s’acquitter de la dette et à se subroger dans les droits du créancier initial.

Les juges du fond avaient estimé que cette créance devait être rapportée à la masse successorale, dans la mesure où la succession s’était substituée au créancier initial. Confirmant cette solution, la Cour de cassation a jugé que, dès lors qu’une dette contractée par un héritier envers un tiers avait été acquittée par l’indivision, elle constituait une créance de cette dernière contre le débiteur initial et devait être réglée selon le mécanisme du rapport des dettes. L’arrêt relevait également que l’héritier débiteur avait bénéficié des éléments essentiels de la succession, ce qui justifiait encore davantage l’imputation de cette dette sur ses droits dans le partage.

Toutefois, la Cour de cassation a opéré une distinction essentielle en censurant partiellement la décision d’appel. Elle a rappelé que, conformément aux articles 829 et 830 du Code civil, seules les dettes ayant un lien direct avec l’indivision successorale peuvent être rapportées à la masse. Dès lors, elle a annulé l’arrêt en ce qu’il avait également inclus dans le rapport des dettes une somme avancée à l’héritier débiteur par son frère, ainsi que d’autres paiements effectués en sa faveur. Selon la Haute juridiction, ces créances résultaient de relations purement personnelles entre copartageants et ne pouvaient dès lors être soumises au mécanisme du rapport des dettes.

Cet arrêt illustre ainsi une double exigence : d’une part, le rapport des dettes s’applique lorsque l’indivision s’est substituée au créancier initial en s’acquittant d’une dette due par un cohéritier ; d’autre part, seules les dettes directement liées à l’indivision successorale peuvent être prises en compte, à l’exclusion de celles nées de rapports strictement personnels entre copartageants et dépourvues de tout lien avec l’indivision successorale.

2. Les caractères des dettes rapportables

Le rapport des dettes répond à une logique de justice distributive qui impose que les obligations pesant sur un copartageant soient traitées dans le cadre du partage, indépendamment de leur échéance. C’est en ce sens que l’article 864 du Code civil prévoit expressément que la dette n’a pas besoin d’être exigible au jour de l’ouverture de la succession pour être soumise au rapport. Ce principe, consacré de longue date par la jurisprudence (V. par ex. Cass. civ. 28 févr. 1866), vise à neutraliser l’effet des délais de paiement et à empêcher qu’un indivisaire ne bénéficie d’un avantage indu du seul fait d’un report d’exigibilité. Dès lors qu’une dette est juridiquement constituée, sa prise en compte dans le partage s’impose afin d’éviter que la répartition du patrimoine successoral ne soit faussée par des échéances différées.

Cette règle repose sur l’idée que le rapport des dettes ne saurait être conditionné par des facteurs contingents tenant à la structure de l’obligation. Une créance à terme, dès lors qu’elle est certaine et que son montant est déterminé, peut ainsi être allotie au copartageant débiteur sans qu’il soit nécessaire d’attendre son exigibilité. À défaut, on introduirait une iniquité entre les indivisaires, certains étant artificiellement exonérés de leur obligation simplement en raison d’un décalage temporel. Cette approche trouve une confirmation dans la jurisprudence, qui s’attache davantage à la certitude et à la liquidité de la dette qu’à son exigibilité immédiate.

Toutefois, pour être rapportable, la dette doit nécessairement présenter un caractère certain et liquide. À défaut, son allotissement au copartageant débiteur compromettrait l’égalité du partage et introduirait une source d’insécurité juridique. La Cour de cassation l’a rappelé dès 1885 (Cass. req. 17 nov. 1885), en posant comme condition que l’obligation soit clairement établie, tant dans son principe que dans son montant. Une dette dont l’existence serait litigieuse, ou dont l’évaluation resterait à faire, ne saurait faire l’objet d’un rapport, sous peine de grever un indivisaire d’une charge indéterminée, ce qui heurterait frontalement l’exigence de prévisibilité inhérente au partage successoral.

Néanmoins, cette exigence n’est pas absolue et connaît certains tempéraments. Ainsi, les dettes affectées d’une condition suspensive peuvent être rapportées dès lors que la créance existe en germe et que l’éventualité de son exigibilité future est suffisamment caractérisée. La cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 18 mars 2003, a admis cette possibilité, reconnaissant que la prise en compte anticipée d’une dette conditionnelle pouvait se justifier lorsque les circonstances permettaient d’en prévoir raisonnablement l’issue. Une telle solution s’inscrit dans la logique du rapport des dettes, qui tend à assurer une répartition équilibrée des charges entre les copartageants et à éviter qu’un indivisaire ne soit favorisé en raison d’une contingence juridique.

3. Compensation des dettes rapportables avec les créances contre la masse partageable

Le mécanisme du rapport des dettes, consacré par l’article 864 du Code civil, s’inscrit dans une logique d’équité en imposant à tout copartageant débiteur d’une obligation envers la masse partageable d’en supporter l’imputation lors du partage. Toutefois, ce principe ne saurait aboutir à ce qu’un copartageant débiteur soit contraint d’allotir l’intégralité de sa dette sans prise en compte des créances qu’il détient sur l’indivision. L’article 867 du Code civil prévoit ainsi que, dans une telle hypothèse, la dette ne sera rapportée qu’à concurrence du solde restant dû après compensation. Dès lors, seules les dettes excédant les créances réciproques du copartageant sur la masse partageable donnent lieu à un allotissement, évitant ainsi qu’un indivisaire se voie artificiellement grevé d’une obligation sans prise en compte des flux financiers inverses.

Ce mécanisme repose sur le principe de la compensation légale, défini aux articles 1347 et suivants du Code civil, qui permet l’extinction réciproque de dettes connexes entre deux parties lorsque plusieurs conditions sont réunies. L’application de ce dispositif dans le cadre du rapport des dettes implique ainsi de s’assurer de l’existence de créances réciproques entre le copartageant et la masse indivise.

D’abord, les obligations en présence doivent être certaines, liquides et exigibles. La compensation ne saurait se concevoir sur la base d’une créance incertaine, contestée ou encore en cours de liquidation, sous peine de rompre l’équilibre du partage et d’introduire un facteur d’instabilité dans la détermination des droits des copartageants. Seules les créances dont la consistance est juridiquement établie et dont l’échéance est acquise peuvent ainsi donner lieu à une imputation compensatoire.

Ensuite, l’identité des parties doit être caractérisée. La dette dont le copartageant est tenu envers l’indivision doit trouver son pendant dans une créance qu’il détient à l’encontre de cette même masse. Il ne saurait être question d’opérer une compensation entre des obligations relevant de rapports strictement personnels entre indivisaires, sans lien direct avec la masse partageable.

Enfin, la compensation doit s’exercer exclusivement sur des créances et dettes attachées à l’indivision, et non sur des obligations étrangères au partage. La jurisprudence veille à préserver cette stricte imputation, excluant notamment les créances personnelles des indivisaires de l’assiette du mécanisme compensatoire (Cass. 1?? civ., 28 mars 2018, n° 17-14.104).

Lorsque ces conditions sont réunies, la compensation s’opère automatiquement et préalablement à l’allotissement du copartageant. Dès lors, seul le solde restant dû après imputation réciproque est pris en compte dans le partage, assurant ainsi une répartition plus juste des charges successorales.

L’article 867 du Code civil trouve à s’appliquer dans diverses situations où un copartageant, tout en étant débiteur envers l’indivision, dispose également d’une créance sur cette dernière.

  • Le règlement des charges indivises : lorsqu’un indivisaire a avancé des fonds pour acquitter des dépenses grevant l’indivision, telles que la taxe foncière, les charges de copropriété ou encore les frais d’entretien du bien indivis, il bénéficie d’une créance en retour. Si, parallèlement, il est tenu de rapporter une dette à l’indivision, la compensation s’opérera entre ces flux financiers, et seul l’éventuel solde restant dû après imputation donnera lieu à allotissement.
  • Les améliorations apportées au bien indivis : l’indivisaire qui a financé des travaux d’amélioration d’un bien indivis peut prétendre à une créance compensatoire en raison de la plus-value générée. Si, en parallèle, il est redevable d’une indemnité d’occupation en raison d’un usage privatif du bien, la compensation interviendra avant toute répartition, prévenant ainsi un double prélèvement qui altérerait l’équilibre du partage.
  • Les avances consenties entre copartageants : lorsque l’un des indivisaires a avancé des sommes aux autres copartageants afin de faciliter la gestion de l’indivision, ces créances croisées peuvent également faire l’objet d’une compensation, dès lors qu’elles relèvent directement du compte d’indivision.

En pratique, les notaires procèdent souvent à l’établissement de comptes d’indivision permettant d’enregistrer ces créances et dettes et d’aboutir à un solde net avant le partage. Toutefois, contrairement au compte de récompenses en matière de régimes matrimoniaux (art. 1468 et 1470 C. civ.), ce compte demeure une simple faculté et ne constitue pas une exigence impérative.

Si le mécanisme de la compensation permet un partage de la masse indivise plus équitable, elle ne saurait s’appliquer sans restriction.

D’une part, les règles de prescription propres à chaque créance ou dette demeurent indépendantes du processus compensatoire. Contrairement à ce qu’avait jugé à tort une cour d’appel, la prescription d’une créance du copartageant ne peut être suspendue jusqu’au partage, ainsi que l’a rappelé la Cour de cassation dans son arrêt du 28 mars 2018 (Cass. 1?? civ., 28 mars 2018, n° 17-14.104). L’application de l’article 2224 du Code civil impose ainsi de veiller à ce que les droits des indivisaires ne se trouvent pas indûment prorogés par l’effet de la compensation.

D’autre part, la compensation ne s’impose que si ses conditions sont réunies, et ne peut être invoquée sur des créances incertaines ou encore soumises à des conditions suspensives non réalisées. Ainsi, la seule perspective d’une créance future ne saurait justifier une imputation immédiate, la jurisprudence ayant exclu une telle anticipation en matière de partage successoral.

Enfin, la compensation ne modifie pas l’ordre des allotissements et ne confère aucun droit préférentiel à l’indivisaire qui l’invoque. Elle permet seulement de garantir que son obligation nette, après imputation réciproque, soit équitablement répartie dans l’opération de partage.

4. Preuve des dettes rapportables

Le rapport des dettes, en ce qu’il constitue une modalité d’allotissement spécifique lors du partage, suppose que la dette invoquée contre un copartageant soit préalablement établie dans son principe et dans son montant. Cette exigence découle de la nécessité d’assurer une parfaite égalité entre les indivisaires et de prévenir toute imputation arbitraire d’une obligation sur l’un d’entre eux. Dès lors, la charge de la preuve repose naturellement sur celui qui sollicite le rapport de la dette.

La jurisprudence a admis que cette preuve peut être apportée par tous moyens (Cass. civ. 24 juill. 1918). Ce principe se justifie par la diversité des origines des dettes rapportables, qui peuvent découler d’actes contractuels, de quasi-contrats, d’obligations légales ou encore d’engagements informels entre le défunt et l’héritier concerné. Ainsi, la preuve d’une dette susceptible d’être alloti dans le partage peut résulter de documents écrits, d’attestations, d’éléments comptables ou encore d’un faisceau d’indices suffisamment précis et concordants permettant d’établir l’existence de l’obligation.

Toutefois, lorsque la dette provient de mouvements financiers opérés sur les comptes du défunt, la charge de la preuve connaît un aménagement. En présence de retraits effectués par un héritier mandataire disposant d’une procuration bancaire, il incombe à ce dernier de justifier l’usage des fonds prélevés. La Cour de cassation a fermement consacré cette règle dans un arrêt du 2 février 1999, précisant que le mandataire, tenu de rendre compte de sa gestion, doit démontrer que les sommes perçues ont été employées conformément aux intérêts du défunt et qu’elles ne constituent pas une dette susceptible d’être rapportée (Cass. 1ère civ., 2 févr. 1999, n°96-21.460). Ce renversement de la charge de la preuve s’explique par le devoir de transparence qui pèse sur le mandataire, lequel ne peut se contenter d’un simple silence ou d’un défaut de justification de la part des autres héritiers pour éluder ses responsabilités.

En outre, les juges du fond exercent un contrôle strict sur ces prélèvements, notamment lorsque leur montant excède les besoins habituels du défunt ou qu’ils ont été effectués dans des circonstances suspectes, en particulier à l’approche du décès. À défaut d’explication convaincante du mandataire, ces retraits peuvent être assimilés à des dettes rapportables, et leur imputation s’effectue alors sur sa part successorale.

5. Prescription des dettes rapportables

Le jeu du rapport des dettes trouve une limite dans l’effet de la prescription extinctive. Une dette qui s’est éteinte par l’effet de la prescription au jour du décès du défunt ne peut plus être imputée sur la part successorale de l’héritier débiteur, faute d’existence juridique. La Cour de cassation a réaffirmé ce principe dans un arrêt du 12 février 2020, précisant que le rapport ne peut porter que sur des obligations encore valides au moment du partage (Cass. 1?? civ. 12 févr. 2020, n°18-23.573).

L’extinction de la dette par prescription obéit aux règles de droit commun et s’apprécie selon la nature de l’obligation concernée. Depuis la réforme opérée par la loi du 17 juin 2008, le délai de prescription de droit commun est fixé à cinq ans (art. 2224 C. civ.), ce qui peut conduire à une extinction rapide des créances lorsque celles-ci n’ont pas fait l’objet de réclamations régulières. Dans la pratique successorale, cette brièveté du délai peut entraîner la perte du recours contre un copartageant débiteur si aucune reconnaissance de dette ou interruption de la prescription n’est intervenue avant le décès du créancier.

Toutefois, la prescription n’opère pas toujours une extinction pure et simple de la dette. Lorsque le créancier successoral – en l’occurrence, le défunt – s’est abstenu de réclamer le paiement, cette inaction peut être interprétée comme une volonté implicite de renoncer à son droit. En pareille hypothèse, la remise de dette constitue une libéralité indirecte, soumise aux règles du rapport des libéralités. L’article 843 du Code civil impose en effet aux héritiers gratifiés de rapporter à la succession les avantages qu’ils ont reçus du défunt pour assurer l’égalité entre les copartageants. Ainsi, si la remise de dette est jugée intentionnelle et gratuite, elle ne relève plus du rapport des dettes, mais de celui des libéralités, modifiant en conséquence le mode de règlement de l’indivision.

Enfin, la charge de la preuve de la prescription repose sur le copartageant débiteur. Celui qui entend se prévaloir de l’extinction de sa dette doit démontrer que le délai applicable était écoulé à la date du décès du défunt. En cas de contestation, la prescription ne sera opposable que si l’héritier débiteur parvient à établir qu’aucun acte interruptif ou suspensif n’a été accompli dans l’intervalle. À défaut, la dette reste due et peut faire l’objet d’un allotissement dans le partage.

II) Mise en œuvre

A) Le moment d’exécution du rapport des dettes

Le rapport des dettes, qui constitue un mécanisme essentiel à l’équilibre des opérations de partage, se distingue par une exécution qui varie selon le moment où intervient son règlement. Tant que l’indivision subsiste, le rapport demeure une simple faculté, laissée à la discrétion du copartageant débiteur. Mais dès lors que le partage devient effectif, il se transforme en une obligation impérative, s’imposant à lui de plein droit.

1. Avant le partage : un règlement facultatif

Durant l’indivision, le copartageant débiteur n’est nullement contraint de procéder immédiatement au rapport de sa dette. Il jouit de la faculté d’en différer l’exécution, repoussant ainsi son règlement au moment du partage. Cette prérogative, désormais érigée en principe par l’article 865, alinéa 1??, du Code civil, trouve son fondement dans une jurisprudence bien établie, qui avait déjà consacré l’impossibilité, pour les créanciers de l’indivision, d’exiger un paiement anticipé des dettes rapportables (Cass. 1?? civ., 31 janv. 1989, n° 87-11.829).

Toutefois, ce principe ne saurait revêtir un caractère absolu, certaines dettes échappant au report d’exigibilité. Tel est le cas des créances relatives aux biens indivis, qui doivent être acquittées sans délai. Ainsi, lorsqu’un indivisaire est redevable d’une indemnité d’occupation en raison d’une jouissance privative (art. 815-9, al. 2 C. civ.), du produit net de la gestion d’un bien indivis (art. 815-12 C. civ.) ou encore des fruits et revenus indivis qu’il aurait perçus sans y être fondé (art. 815-10 C. civ.), ces dettes ne sauraient faire l’objet d’un sursis. L’article 865 du Code civil opère ainsi un cantonnement du principe général, en soumettant ces créances au régime de l’exigibilité immédiate (Cass. 1?? civ., 14 avr. 2021, n°19-21.313).

D’un point de vue pratique, cette dualité de régime influe directement sur la gestion patrimoniale des indivisaires. Tant que l’indivision perdure, le copartageant débiteur dispose d’une marge de manœuvre : il peut soit s’acquitter immédiatement de sa dette, soit en différer le règlement jusqu’au partage. Cette latitude lui permet d’adapter son choix en fonction de sa situation financière, des contraintes économiques et des perspectives patrimoniales qui s’offrent à lui.

2. Au moment du partage : un règlement obligatoire

Si le copartageant débiteur a pu repousser l’exécution de sa dette tant que durait l’indivision, ce choix n’est plus envisageable une fois venu le temps du partage. L’article 864 du Code civil prévoit en effet que, lorsque le partage intervient, la dette doit impérativement être rapportée et intégrée aux opérations de liquidation. Dès lors, l’imputation devient automatique et aucun refus n’est possible.

Cette exécution forcée du rapport peut s’opérer sous trois formes distinctes :

  • Le rapport en moins prenant, qui constitue la règle de principe : la dette est imputée directement sur la part du copartageant débiteur, réduisant ainsi l’actif qui lui revient.
  • Le prélèvement sur la masse partageable, notamment lorsque l’imputation directe est impossible ou insuffisante.
  • L’allotissement spécifique, qui consiste à attribuer au copartageant débiteur un lot correspondant à sa dette, lorsque l’équilibre du partage l’exige.

La jurisprudence a rappelé que cette obligation s’impose même lorsque la dette excède la part successorale du copartageant débiteur (Cass. 1?? civ., 14 déc. 1983, n°82-14.725). Dans ce cas, le solde restant dû demeure à la charge du débiteur, qui devra s’en acquitter selon les modalités prévues initialement par l’obligation.

B) Les modalités d’exécution du rapport des dettes

Le rapport des dettes répond à un régime spécifique visant à assurer l’équilibre entre les héritiers lors du partage successoral. Consacré par l’article 864 du Code civil, il repose sur le mécanisme du rapport en moins prenant, permettant à l’héritier débiteur d’être alloti de la créance dont il est redevable à due concurrence de ses droits dans la succession. Cette technique favorise un règlement simplifié des dettes successorales tout en évitant la nécessité d’un remboursement immédiat. Toutefois, plusieurs ajustements peuvent être nécessaires en fonction de la situation des copartageants et de la composition de la masse successorale.

1. Le principe du rapport en moins prenant

Lorsqu’un copartageant est débiteur envers l’indivision, la créance existant contre lui est intégrée dans la masse partageable et lui est allouée lors du partage. Ce mécanisme, qualifié de rapport en moins prenant, obéit à une logique comptable permettant au copartageant débiteur d’être rempli de ses droits à hauteur de sa dette tout en évitant un paiement immédiat (art. 864, al. 1er C. civ.).

a. Imputation de la dette dans la masse successorale

L’article 864, alinéa 1??, du Code civil prévoit que lorsque la masse partageable comprend une créance à l’encontre d’un copartageant, celui-ci en est alloti dans le partage à concurrence de ses droits dans la masse. Ce mécanisme repose sur une opération purement comptable, dans laquelle la dette du copartageant vient diminuer sa part successorale, sans nécessiter de transfert de fonds.

Ce mode de règlement présente plusieurs avantages :

  • Il évite d’exiger un paiement immédiat du copartageant débiteur, ce qui pourrait parfois s’avérer difficile.
  • Il simplifie le partage en intégrant la créance à la masse successorale, assurant une répartition équilibrée entre les héritiers.
  • Il permet l’extinction automatique de la dette par confusion, évitant ainsi toute contestation ultérieure.

L’application de ce mécanisme peut être aisément comprise à travers un exemple chiffré.

Supposons une succession dans laquelle :

  • L’actif successoral net s’élève à 400 000 €.
  • Deux héritiers, A et B, héritent à parts égales, soit 200 000 € chacun.
  • A est débiteur de la succession à hauteur de 50 000 € (par exemple, en raison d’un prêt que lui avait consenti le défunt).

Afin d’intégrer la dette dans la succession, on ajoute la créance de 50 000 € à l’actif successoral pour obtenir la masse partageable :

Masse partageable = 400 000 € + 50 000 € = 450 000 €

Ainsi, la masse à partager entre les deux héritiers est portée à 450 000 €, soit 225 000 € chacun.

Allotissement de l’héritier débiteur A

  • A reçoit en priorité la créance dont il est débiteur : 50 000 € sont ainsi imputés sur ses droits successoraux.
  • Ce montant s’éteint par confusion, conformément à l’article 864, alinéa 1??, du Code civil.
  • Son droit successoral s’élevant à 225 000 €, il lui reste encore 175 000 € à recevoir en biens ou en liquidités.

Attribution de l’héritier B

  • L’héritier B, non débiteur, se voit attribuer 225 000 € en biens ou en liquidités, correspondant intégralement à sa part successorale.

A l’analyse, l’imputation de la dette dans la masse partageable repose sur une opération équilibrée qui ne crée aucun enrichissement injustifié au profit des héritiers.

En effet, l’effet immédiat de cette technique est l’extinction de la dette de l’héritier débiteur. L’article 864, alinéa 1??, du Code civil précise expressément que la dette s’éteint par confusion dès lors qu’elle est allouée à l’héritier débiteur. Il s’agit d’un mécanisme proche de la confusion des qualités de créancier et de débiteur (Cass. 1ère civ., 26 déc. 1960).

Ainsi, A ne devra plus rien à la succession, et aucun paiement effectif n’est exigé. La dette est purement et simplement absorbée par l’imputation.

L’un des principaux intérêts de l’imputation de la dette est qu’elle évite toute liquidation forcée des biens successoraux.

  • Si l’héritier débiteur était tenu de rembourser immédiatement sa dette en numéraire, il pourrait être contraint de vendre des actifs (notamment un bien immobilier familial).
  • En procédant par imputation, on maintient la stabilité de l’actif successoral et on préserve l’unité des biens indivis.

Dans notre exemple, A ne subit aucun appauvrissement immédiat, et B n’a pas à attendre un remboursement qui pourrait s’avérer incertain.

En imputant la dette sur la part successorale de A, la répartition demeure strictement équitable :

  • A perçoit bien 225 000 € en valeur, mais cette somme inclut les 50 000 € de dette dont il était redevable.
  • B ne subit aucune perte et reçoit sa part intégrale de 225 000 €.

b. Limite de l’imputation : l’obligation de paiement du solde

==>L’insuffisance de la créance détenue contre l’indivision pour éteindre la dette du copartageant

Si la dette du copartageant excède ses droits dans l’indivision, l’imputation ne suffit plus à assurer son extinction intégrale. L’article 864, alinéa 2, du Code civil prévoit ainsi que le copartageant reste tenu du paiement du solde, selon les conditions initiales de l’obligation.

Prenons une hypothèse où l’héritier A est redevable d’une somme plus importante :

  • L’actif successoral est toujours de 400 000 €.
  • A est débiteur de 250 000 € envers la succession.
  • La masse partageable, incluant cette créance, est de 650 000 €, soit 325 000 € de droits pour chaque héritier.

Conséquence du dépassement de la part successorale :

  • A reçoit en priorité la créance existant contre lui à hauteur de 325 000 €.
  • Cependant, sa dette s’élève à 250 000 €, ce qui dépasse ses droits successoraux (225 000 €).
  • L’imputation opère à hauteur de 225 000 €, mais il reste un solde de 25 000 € à payer.

L’héritier débiteur devra donc s’acquitter du reliquat auprès des cohéritiers, dans les conditions et délais initialement attachés à l’obligation.

==>L’incidence de l’insuffisance de la créance détenue contre l’indivision sur le droit au partage

Pour mémoire, l’article 815 du Code civil énonce le principe selon lequel « nul ne peut être contraint à demeurer dans l’indivision », consacrant ainsi le droit pour tout indivisaire de provoquer le partage à tout moment. Toutefois, lorsque l’un des héritiers se trouve débiteur à l’égard de la succession et que l’allotissement de sa dette épuise intégralement ses droits dans la masse successorale, se pose la question de savoir s’il demeure en mesure d’exercer ce droit.

Dans un arrêt du 14 décembre 1983, la Cour de cassation a semblé exclure cette faculté pour un héritier dont la dette excédait sa part successorale (Cass. 1ère civ. 14 déc. 1983, n°82-14.725). En l’espèce, un défunt laissait à sa succession plusieurs enfants et une veuve usufruitière. L’un des héritiers, ayant été placé en règlement judiciaire, voyait son syndic solliciter le partage de la succession ainsi que la licitation des immeubles indivis. Or, il apparaissait que d’importantes sommes avaient été versées par le défunt et son épouse pour acquitter certaines dettes de cet héritier, créant ainsi une dette rapportable excédant largement ses droits successoraux.

La cour d’appel, statuant sur cette demande de partage, avait relevé que la dette rapportable dépassait très largement la part successorale de l’héritier débiteur. Dès lors, elle avait rejeté la demande en partage et en licitation, en estimant que cet héritier, n’ayant plus de droits résiduels dans la succession après imputation de sa dette, ne pouvait plus prétendre à une quelconque attribution et, partant, ne disposait plus du droit d’agir en partage.

La Cour de cassation valide cette solution et affirme que, lorsqu’un héritier est débiteur envers la succession d’une somme supérieure à sa part successorale, il ne peut lui être fait dans le partage aucune attribution. Dans ces conditions, ses créanciers personnels, agissant par voie oblique, ne sauraient avoir plus de droits que lui. En d’autres termes, non seulement l’héritier ne peut plus prétendre au partage, mais ses créanciers, qui n’ont vocation qu’à exercer par subrogation les droits de leur débiteur, ne peuvent davantage provoquer ce partage pour tenter d’en tirer profit.

La portée de cet arrêt ne saurait cependant être interprétée de manière absolue. Il convient en effet de distinguer l’existence du droit au partage et l’intérêt à agir dans un tel cadre.

D’un point de vue strictement juridique, l’héritier demeure indivisaire tant que le partage n’a pas été réalisé. Il conserve donc, en principe, son droit de provoquer le partage, indépendamment de sa situation patrimoniale. De surcroît, le rapport des dettes est lui-même une opération de partage, et lui refuser ce droit reviendrait à priver l’héritier débiteur d’un mode de règlement favorable de son obligation.

Cependant, l’arrêt du 14 décembre 1983 met en lumière une limite tenant à l’absence d’intérêt à agir en partage. Dès lors que l’héritier débiteur ne dispose plus d’aucun droit réel dans la masse successorale, le partage devient, pour lui, une opération dénuée d’effet : il ne saurait obtenir une attribution en biens ou en valeur, et ses créanciers ne pourraient espérer recouvrer une quelconque somme via cette voie. En ce sens, l’arrêt ne nie pas tant un droit abstrait au partage qu’il ne sanctionne une situation où l’héritier n’a rien à revendiquer dans l’indivision.

Ainsi, l’héritier débiteur peut en principe provoquer le partage, mais lorsque sa dette excède intégralement ses droits successoraux, cette faculté devient théorique et privée d’objet. Son intérêt à agir disparaît dès lors que son allotissement par imputation épuise la totalité de ses droits dans la succession.

L’autre enseignement majeur de cette décision réside dans l’impossibilité, pour les créanciers personnels de l’héritier débiteur, d’exercer l’action en partage par voie oblique (art. 1341-1 C. civ.).

L’action oblique, qui permet aux créanciers d’un débiteur inactif d’exercer ses droits afin de préserver leur gage, suppose que ce dernier dispose encore d’un droit effectif à faire valoir. Or, en l’absence de tout droit résiduel dans la succession après imputation de sa dette, le partage ne saurait produire pour l’héritier débiteur aucun effet utile. Dès lors, ses créanciers personnels ne sauraient obtenir, par l’exercice d’une action oblique, plus de droits que leur débiteur.

Dans l’arrêt du 14 décembre 1983, la Cour de cassation a expressément refusé aux créanciers d’un héritier débiteur la possibilité de provoquer le partage, au motif que ce dernier ne disposait plus d’aucun droit patrimonial dans la succession.

Il ne s’agit donc pas d’une interdiction de principe d’agir en partage pour un créancier oblique, mais d’une conséquence logique de l’absorption totale des droits successoraux par l’imputation de la dette. Le partage, dans une telle configuration, est dépourvu de substance, puisqu’aucune attribution ne peut être réalisée au profit du débiteur, et, par voie de conséquence, au bénéfice de ses créanciers.

L’équilibre successoral repose ainsi sur un double constat :

  • Le partage suppose une répartition effective de l’actif indivis entre les héritiers, ce qui implique que chacun conserve des droits dans la masse successorale.
  • Lorsqu’un héritier voit ses droits totalement absorbés par l’imputation de sa dette, il ne peut prétendre à aucune attribution et ne peut, en conséquence, procurer à ses créanciers aucune valeur issue de la succession.

Dans ce contexte, la Cour de cassation veille à éviter toute instrumentalisation de l’action en partage à des fins purement opportunistes. Le partage ne saurait être imposé aux cohéritiers dans un but purement artificiel, dès lors qu’il ne produirait aucun effet utile pour l’héritier débiteur et, par ricochet, pour ses créanciers.

Imaginons une succession comprenant :

  • Un actif net de 500 000 €.
  • Une dette rapportable de 300 000 €, dont l’héritier A est redevable.
  • Une masse partageable portée à 800 000 € après intégration de cette créance (500 000 € + 300 000 €).
  • Deux héritiers, A et B, disposant chacun, en théorie, de 400 000 € de droits successoraux.

Dans cette configuration :

  • L’imputation en moins prenant absorbe les 400 000 € de droits de A, qui se trouve donc totalement privé de toute attribution effective dans la succession.
  • Ses créanciers personnels tentent alors d’exercer son droit au partage par voie oblique, espérant recouvrer des fonds sur la masse successorale.
  • Toutefois, comme A n’a plus aucun droit résiduel dans l’indivision, le partage ne leur apporterait rien.

Dès lors, en application de l’arrêt du 14 décembre 1983, ces créanciers ne peuvent obtenir le partage, car ils ne sauraient revendiquer plus de droits que leur débiteur. L’action oblique, qui vise normalement à pallier l’inertie du débiteur, se heurte ici à l’absence même de droit à faire valoir.

En refusant aux créanciers personnels de l’héritier débiteur la possibilité d’agir en partage, la Cour de cassation préserve la stabilité des opérations successorales. Une solution inverse aurait conduit à une immixtion excessive des créanciers dans le règlement des successions, au mépris des droits des autres cohéritiers.

Ce mécanisme permet ainsi d’éviter deux écueils majeurs :

  • L’exploitation opportuniste du droit au partage par des créanciers extérieurs à la succession, qui chercheraient à imposer un partage sans que leur débiteur puisse en tirer le moindre bénéfice.
  • L’instabilité successorale, qui pourrait résulter d’actions répétées des créanciers tentant de forcer un partage alors même qu’aucune valeur n’est recouvrable pour eux.

La portée de cet arrêt est donc claire : le droit au partage est un droit successoral attaché à la qualité d’héritier, et non un outil à la disposition des créanciers pour forcer un partage dénué d’objet. Dès lors que l’imputation de la dette épuise totalement les droits successoraux de l’héritier concerné, le partage perd toute finalité économique et ne peut être sollicité ni par lui, ni par ses créanciers.

c. Cas particulier des créances croisées entre copartageants

L’article 867 du Code civil prévoit que le mécanisme de la compensation joue lorsque le copartageant débiteur dispose lui-même d’une créance à faire valoir contre la succession. Avant toute imputation, un solde est établi, permettant d’opérer une neutralisation partielle des dettes et créances respectives.

Imaginons que A soit à la fois débiteur et créancier de la succession :

  • A doit 50 000 € à la succession.
  • A détient aussi une créance de 20 000 € contre la succession (par exemple, une somme qu’il avait avancée pour payer les frais funéraires).

Mise en œuvre de la compensation :

  • La créance de 20 000 € est déduite de la dette de 50 000 €.
  • Après compensation, A ne doit plus que 30 000 € à la succession.
  • Cette somme sera alors intégrée dans la masse partageable et imputée sur ses droits successoraux.

Grâce à cette compensation préalable, A évite une double imputation, ce qui garantit une neutralité économique et une répartition fidèle à la réalité des obligations respectives.

2. L’alternative au rapport en moins prenant : les prélèvements

Si le rapport en moins prenant demeure la méthode privilégiée pour assurer l’exécution du rapport des dettes, il n’est pas toujours réalisable. En particulier, dans le cadre d’un partage judiciaire impliquant un tirage au sort des lots, l’attribution de la créance au copartageant débiteur devient impossible (art. 826 C. civ.). Dans une telle configuration, il est alors nécessaire d’avoir recours à une méthode alternative, celle des prélèvements, qui permet de rétablir l’égalité entre les copartageants tout en assurant la répartition des biens successoraux.

Contrairement au rapport en moins prenant, qui repose sur une imputation directe de la dette au sein du lot du débiteur, la technique des prélèvements repose sur une logique inverse : ce sont les autres héritiers qui prélèvent, sur la masse successorale, une valeur équivalente au montant de la dette rapportable avant toute répartition.

En d’autres termes, au lieu d’attribuer la créance au copartageant débiteur et de réduire son lot en conséquence, les cohéritiers non débiteurs effectuent un prélèvement compensatoire, ce qui diminue d’autant l’actif successoral disponible pour être partagé. Ce mécanisme permet ainsi d’intégrer la dette au processus de partage sans avoir à l’allouer directement au débiteur.

Imaginons une succession comprenant les éléments suivants :

  • Un immeuble évalué à 300 000 € ;
  • Des liquidités s’élevant à 60 000 € ;
  • Une dette rapportable de 40 000 €, dont l’héritier A est débiteur.

En raison d’un désaccord entre les cohéritiers, le partage ne peut être réalisé à l’amiable et doit être effectué judiciairement par tirage au sort des lots. Or, dans ce cadre, l’imputation directe de la dette au sein du lot de A devient impossible, car un tel mécanisme supposerait que A puisse être alloti précisément du lot contenant la créance, ce qui n’est pas garanti lors d’un tirage au sort.

Solution retenue : le prélèvement compensatoire

  • Masse successorale initiale : 360 000 € (300 000 € + 60 000 €).
  • Prélèvement compensatoire réalisé par B : 40 000 €.
  • Masse résiduelle à partager : 320 000 € (360 000 € – 40 000 €).
  • Droits de chaque héritier après prélèvement : 160 000 € chacun.
  • Constitution de deux lots équivalents à 160 000 € chacun, permettant ainsi le tirage au sort, conformément aux règles du partage judiciaire.

Ainsi, la dette de A a bien été neutralisée au sein de la succession, sans qu’il soit nécessaire de lui en allouer directement la charge. L’équilibre successoral est maintenu, chaque cohéritier recevant sa juste part, tandis que l’incertitude liée au tirage au sort est évitée.

Si le prélèvement constitue une solution technique efficace, il demeure rarement mis en œuvre en raison des nombreux inconvénients qu’il présente.

Le premier écueil de cette méthode tient à son effet réducteur sur l’actif successoral. En effet, en permettant aux cohéritiers non débiteurs d’opérer un prélèvement compensatoire, la technique diminue la masse des biens à partager, ce qui peut engendrer des difficultés de répartition.

Exemple :

Si la succession comprend un bien immobilier d’une valeur de 300 000 € et des liquidités de 60 000 €, un prélèvement de 40 000 € sur la masse successorale réduit la part disponible, risquant ainsi d’entraîner la vente forcée du bien pour assurer une égalité entre les héritiers.

En comparaison, le rapport en moins prenant évite cette difficulté en maintenant l’intégralité de la masse successorale intacte, puisque la dette est imputée directement sur le lot du débiteur.

Le prélèvement suppose nécessairement :

  • Une évaluation précise des biens successoraux afin de déterminer la valeur exacte du prélèvement compensatoire.
  • Un accord entre les héritiers sur la méthode de compensation.

Or, en pratique, la valorisation des biens peut être contestée, notamment lorsque la succession comporte des actifs immobiliers, dont la valeur fluctue selon les conditions du marché. L’absence de consensus sur le bien sur lequel doit porter le prélèvement risque alors de prolonger inutilement le règlement successoral.

Illustration :

Si la succession comprend deux immeubles d’une valeur estimée à 150 000 € chacun, un héritier pourrait contester l’attribution d’un immeuble entier en compensation du prélèvement, au motif que sa valeur réelle excède le montant de la dette rapportable.

Le prélèvement modifie l’équilibre initialement prévu par les règles successorales, en créant un déséquilibre dans la répartition des biens.

Ainsi, un héritier bénéficiant du prélèvement pourrait recevoir des biens de moindre valeur ou se voir contraint d’accepter un bien qu’il ne souhaitait pas initialement.

De plus, cette méthode introduit un risque de contentieux, les héritiers pouvant contester le bien-fondé du prélèvement ou la modalité de répartition des biens résiduels.

C) L’effet de l’exécution du rapport des dettes

1. L’impact sur la masse partageable

L’exécution du rapport des dettes entraîne une modification immédiate de la composition de la masse partageable. Conformément à l’article 864, alinéa 1??, du Code civil, lorsque la succession comprend une créance à l’encontre de l’un des héritiers, cette créance est réintégrée dans la masse successorale et attribuée au débiteur à concurrence de ses droits. Cette réintégration a une incidence purement comptable : elle majore artificiellement l’actif successoral sans pour autant entraîner un apport effectif de fonds.

L’objectif du mécanisme est double :

  • Préserver l’égalité entre les cohéritiers en évitant qu’un héritier débiteur bénéficie d’un avantage indu en ne rapportant pas les sommes dont il a profité.
  • Empêcher un appauvrissement de la succession qui résulterait d’un remboursement immédiat, lequel pourrait imposer une cession forcée de biens successoraux.

Cependant, il convient de noter que cette intégration comptable ne modifie pas la consistance des biens à partager. Elle se traduit par une augmentation arithmétique de la masse successorale, sans affecter la composition physique du patrimoine, sauf lorsque le solde de la dette excède les droits de l’héritier débiteur, auquel cas celui-ci demeure redevable du reliquat envers la succession.

2. L’application du principe du nominalisme monétaire

Le rapport des dettes est soumis au principe du nominalisme monétaire, consacré à l’article 1895 du Code civil, selon lequel « l’obligation qui résulte d’un prêt en argent n’est toujours que de la somme énoncée au contrat ». 

Ainsi, lorsqu’un copartageant est débiteur envers l’indivision, il ne doit rapporter que le montant nominal de sa dette, sans réévaluation en fonction de l’évolution monétaire ou de la valeur du bien acquis grâce aux fonds empruntés. Ce principe, consacré par la jurisprudence, a été renforcé par la loi du 23 juin 2006, qui a clairement distingué le rapport des dettes du rapport des libéralités.

==>L’application du nominalisme monétaire dans le rapport des dettes entre copartageants

Bien que le nominalisme monétaire soit une règle de droit commun en matière d’obligations pécuniaires, il revêt une importance particulière dans le cadre de l’indivision. Lorsqu’un copartageant a une dette envers l’indivision, celle-ci doit être intégrée dans la masse partageable pour son montant nominal, sans que sa valeur puisse être réajustée en fonction d’événements postérieurs.

La réforme du 23 juin 2006 a permis de clarifier cette règle. Sous l’ancien régime, l’article 869 du Code civil prévoyait que le rapport d’une somme d’argent devait s’effectuer pour son montant nominal, sauf si cette somme avait servi à l’acquisition d’un bien. Dans ce cas, le rapport devait être effectué pour la valeur du bien acquis au jour du partage. Ce mécanisme, qui s’appliquait au rapport des libéralités, avait un temps été étendu au rapport des dettes, générant une confusion entre ces deux notions (Cass. 1?? civ. 18 janv. 1989).

Désormais, avec la suppression de l’ancien article 869 et son remplacement par l’article 860-1 du Code civil, seul le rapport des libéralités est susceptible de faire l’objet d’une revalorisation en fonction de la valeur du bien acquis grâce à la somme rapportable. Le rapport des dettes, quant à lui, demeure exclusivement régi par le nominalisme monétaire. Ainsi, même si les fonds empruntés ont permis d’acquérir un bien dont la valeur a fortement évolué, le copartageant débiteur n’est tenu de rapporter que la somme nominale de la dette initiale.

La jurisprudence a confirmé l’application stricte du nominalisme monétaire au rapport des dettes à l’occasion d’un arrêt de principe rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 29 juin 1994 (Cass. 1ère civ., 29 juin 1994, n°92-15.253). Cet arrêt a définitivement écarté l’application de l’ancien article 869 du Code civil, qui régissait le rapport des libéralités, au rapport des dettes entre copartageants. Désormais, aucune revalorisation des dettes rapportables n’est admise, quelle que soit la destination des fonds empruntés.

L’affaire soumise à la Haute juridiction illustre parfaitement cette nouvelle règle. Il s’agissait d’un prêt d’un million de francs consenti par un père à son fils pour l’acquisition d’un immeuble. Après le décès du prêteur, l’indivision successorale se retrouvait créancière de cette somme. Un litige s’éleva entre les cohéritiers quant aux modalités de rapport de cette dette : fallait-il l’imputer pour son montant nominal, ou devait-on, par analogie avec le rapport des libéralités d’argent, tenir compte de la valeur actuelle du bien acquis grâce aux fonds prêtés ?

La cour d’appel avait retenu que l’indivision était créancière de la somme nominale d’un million de francs, correspondant au montant initial du prêt, sans revalorisation. La Cour de cassation a censuré cette décision en affirmant que « si le rapport des dettes prévu par l’article 829 du Code civil n’est qu’une technique de règlement qui n’obéit pas aux règles de l’article 869 du même Code, lequel concerne exclusivement le rapport des libéralités, le cohéritier débiteur n’en doit pas moins réaliser le rapport de sa dette en moins prenant, par imputation sur sa part, et non en effectuer le paiement ».

Deux enseignements peuvent être tirés de cette décision :

  • Premier enseignement
    • Contrairement aux libéralités, dont le rapport peut être effectué en valeur, le rapport des dettes se fait uniquement pour son montant nominal.
    • L’ancien article 869 du Code civil, qui prévoyait une exception pour les libéralités ayant servi à financer l’acquisition d’un bien, ne saurait s’appliquer aux dettes.
  • Second enseignement
    • L’héritier ou le copartageant débiteur ne doit pas effectuer un paiement, mais uniquement une imputation sur sa part dans l’indivision, à hauteur de la dette existante.

En d’autres termes, quelle que soit la finalité du prêt, celui-ci demeure soumis au principe du nominalisme monétaire. Ainsi, quand bien même l’immeuble acquis grâce aux fonds empruntés aurait vu sa valeur évoluer entre le moment du prêt et celui du partage, cette fluctuation ne saurait être prise en compte. La dette demeure rapportable pour son montant nominal, et non pour la valeur du bien acquis.

Par cette décision, la Cour de cassation a ainsi confirmé une jurisprudence constante, refusant toute assimilation entre prêt et libéralité, et affirmant que le rapport des dettes constitue une opération purement comptable, déconnectée de la variation de valeur des biens acquis grâce aux sommes prêtées.

==>L’exclusion de l’application du valorisme monétaire dans le rapport des dettes entre copartageants

L’indépendance du rapport des dettes à l’égard du rapport des libéralités s’explique par leur nature fondamentalement distincte. Tandis que le rapport des libéralités tend à rétablir l’égalité entre les copartageants en tenant compte de la valeur réelle des biens transmis, le rapport des dettes repose exclusivement sur une logique comptable. Il ne poursuit d’autre finalité que l’intégration des créances existantes contre l’un des copartageants dans la masse partageable, sans altérer la consistance des biens à répartir.

L’application du nominalisme monétaire à cette opération se justifie par plusieurs considérations. Tout d’abord, une dette ne saurait être assimilée à un avantage consenti à titre gratuit. Alors qu’une libéralité modifie de manière définitive la structure patrimoniale du gratifié, en augmentant son patrimoine sans contrepartie, une dette crée une obligation de remboursement, qui empêche de la considérer comme une libéralité. Il serait donc incohérent de soumettre ces deux mécanismes à une même règle d’évaluation, d’autant que le rapport des libéralités répond à une finalité d’équité entre les copartageants, tandis que le rapport des dettes vise simplement à organiser la répartition des droits successoraux ou indivis.

Le principe du nominalisme monétaire trouve également sa justification dans le fait que le copartageant débiteur conserve toujours la possibilité de s’exécuter par un paiement volontaire avant le partage. Tant que l’indivision subsiste, il peut solder sa dette en numéraire, ce qui lui permet de ne pas être alloti de sa créance dans le partage. Dès lors, il serait illogique que le montant de la dette rapportable varie selon qu’elle est réglée par paiement ou par imputation. Cette analyse a d’ailleurs été confirmée par la jurisprudence, qui a rappelé que la dette rapportable ne peut être réévaluée et qu’elle doit être imputée à son montant nominal, conformément au principe du nominalisme monétaire (Cass. 1?? civ. 13 janv. 1998, n°96-11.688).

Enfin, l’application stricte de ce principe implique que, même si les fonds empruntés ont été utilisés pour acquérir un bien dont la valeur a fortement évolué depuis l’octroi du prêt, le copartageant débiteur ne saurait être tenu de rapporter une somme supérieure à celle qu’il a initialement reçue. Peu importe l’appréciation ou la dépréciation éventuelle de l’actif financé, la dette demeure évaluée à sa valeur nominale, sans prise en compte de la destination des fonds. C’est ainsi que le rapport des dettes s’affirme comme une opération purement comptable, déconnectée de toute logique de réajustement patrimonial entre les copartageants.

==>L’exception des dettes de valeur

Si le principe du nominalisme monétaire constitue la règle générale en matière de rapport des dettes, certaines créances échappent par nature à cette logique et doivent être évaluées selon d’autres critères. Il s’agit de dettes dont l’objet présente une variabilité intrinsèque, qu’il s’agisse de leur libellé en monnaie étrangère, de leur indexation sur un indice ou encore de leur exécution en nature. Ces situations dérogatoires illustrent les limites du nominalisme monétaire et la nécessité d’adopter une approche plus souple pour garantir une évaluation conforme à la réalité économique du partage.

  • Les dettes libellées en devises étrangères
    • Lorsqu’une dette rapportable est contractée en monnaie étrangère, son évaluation ne saurait s’opérer en appliquant rigoureusement le nominalisme monétaire, sous peine d’introduire un décalage significatif entre la valeur initiale de l’obligation et son montant actualisé au moment du partage. 
    • Il est en effet admis que le règlement d’une telle dette doit tenir compte du taux de change en vigueur au jour du partage, et non de celui applicable au jour de la naissance de l’obligation.
    • Cette solution a été consacrée par la jurisprudence, notamment par un arrêt du 10 juin 1976 aux termes duquel la Cour de cassation a jugé qu’une dette libellée en dollars devait être évaluée à la date de son règlement et non à sa valeur en francs français au moment de son octroi (Cass. 1ère civ. 10 juin 1976, n°75-10.798).
    • Ainsi, un copartageant débiteur d’une somme en monnaie étrangère ne rapportera pas nécessairement l’équivalent en euros de ce qu’il devait lors de la naissance de l’obligation, mais la somme convertie sur la base du taux de change applicable au jour du partage.
    • Cette exception se justifie par la nature fluctuante des devises, dont la valeur est susceptible d’évoluer de manière significative entre la date de contraction de la dette et celle de son règlement. 
    • En fixant l’évaluation au jour du partage, la jurisprudence entend assurer une équivalence économique entre les parties, en prenant en compte la réalité monétaire du moment où la dette est effectivement apurée.
  • Les dettes indexées
    • Certaines dettes rapportables sont assorties d’une clause d’indexation, prévoyant une revalorisation automatique en fonction d’un indice de référence, tel que l’inflation, le coût de la construction ou un indice sectoriel spécifique.
    • Dans ces cas, l’application stricte du nominalisme monétaire serait contraire à la volonté des parties et à la nature même de l’obligation, qui a vocation à évoluer dans le temps afin de refléter une valeur actualisée.
    • Ainsi, lorsqu’un copartageant est tenu de rapporter une dette indexée, son montant sera nécessairement ajusté en fonction de l’indice applicable au jour du partage. 
    • Loin d’être une remise en cause du principe du nominalisme monétaire, cette exception trouve son fondement dans la nature même de l’engagement souscrit, qui implique une réévaluation systématique et contractuellement prévue.
    • L’application de cette règle se rencontre fréquemment dans les dettes résultant de contrats de prêt assortis d’une clause de révision du taux d’intérêt ou d’obligations financières indexées sur des indices économiques.
    • Dans ces hypothèses, le copartageant débiteur ne pourra rapporter sa dette qu’à hauteur de son montant réévalué, conformément aux conditions initiales de l’obligation.
  • Les obligations de restitution en nature
    • Enfin, certaines dettes rapportables ne peuvent être réduites à une simple somme d’argent et impliquent une restitution en nature.
    • Il en va ainsi lorsque l’obligation porte sur un bien déterminé, tel qu’un objet d’art, des titres financiers ou un actif dont la valeur intrinsèque est fluctuante.
    • Dans ces cas, le principe du nominalisme monétaire cède nécessairement le pas au valorisme, l’évaluation devant tenir compte de la valeur réelle du bien au jour du partage.
    • Prenons l’exemple d’un copartageant ayant reçu en prêt une collection de tableaux, dont il est tenu de restituer l’équivalent patrimonial lors du partage.
    • Si ces œuvres ont vu leur valeur s’accroître de manière significative au fil des années, la dette ne pourra être évaluée à hauteur de la somme nominale initialement convenue.
    • L’évaluation devra s’opérer en fonction de la valeur vénale des œuvres au jour du partage, afin d’assurer un règlement conforme à la consistance réelle de la masse successorale.
    • De même, lorsqu’un copartageant est tenu de restituer des titres financiers ou des actifs soumis à une fluctuation de valeur, l’évaluation doit nécessairement tenir compte de la cotation en vigueur au moment du partage.
    • L’application stricte du nominalisme monétaire conduirait à des distorsions manifestes, en obligeant le débiteur à rapporter une somme sans lien avec la valeur actuelle du bien concerné.

Ces exceptions, bien que résultant de cas très spécifiques, révèlent que le nominalisme monétaire n’est pas une règle absolue et qu’il peut céder dans certaines situations où l’évaluation monétaire stricte ne reflète pas la réalité patrimoniale du partage. Toutefois, ces tempéraments concernent uniquement des dettes dont l’objet présente une variabilité intrinsèque, et ne remettent aucunement en cause l’application du principe du nominalisme monétaire aux dettes de sommes d’argent.

En définitive, si les dettes libellées en devises étrangères, les obligations indexées et les restitutions en nature échappent au nominalisme monétaire, ce principe joue pour toutes les dettes strictement pécuniaires, qui restent soumises aux dispositions de l’article 1895 du Code civil. C’est ainsi que le droit positif maintient une distinction nette entre les dettes de sommes d’argent, qui restent évaluées à leur valeur nominale, et les dettes de valeur, dont l’évaluation doit tenir compte des fluctuations affectant leur objet.

3. La production d’intérêts sur les dettes rapportables

L’article 866 du Code civil instaure un régime autonome régissant la production d’intérêts sur les dettes rapportables. Il s’agit d’une évolution notable, car, sous l’empire du droit antérieur, la jurisprudence appliquait de manière indifférenciée aux dettes et aux libéralités rapportables les règles de l’article 856 du Code civil, lequel prévoit que les fruits des choses sujettes à rapport sont dus à compter de l’ouverture de la succession. Désormais, les dettes rapportables obéissent à des règles propres, qui tiennent compte de leur origine et de leur nature.

==>Une production d’intérêts de plein droit, au taux légal ou conventionnel

L’alinéa premier de l’article 866 du Code civil dispose que les dettes rapportables produisent intérêt au taux légal, sauf stipulation contraire. Il en résulte que, même si l’obligation initiale n’était pas productrice d’intérêts avant l’ouverture de la succession, elle le devient de plein droit dès lors qu’elle est soumise au mécanisme du rapport.

Cette solution, appliquée de façon constante par la jurisprudence (Cass. 1ère civ., 15 mai 2001, n°99-10.286), a été expressément consacrée par le législateur. Les intérêts sont dus sans qu’une mise en demeure soit nécessaire, ce qui distingue ces obligations des dettes civiles ordinaires.

Toutefois, les coïndivisaires conservent la faculté de convenir d’un taux distinct du taux légal, sous réserve du respect des limites fixées par les règles relatives au taux d’usure. Ainsi, si le de cujus avait prévu contractuellement un taux d’intérêt supérieur ou inférieur au taux légal pour la dette concernée, cette stipulation demeure applicable, conformément au principe de la force obligatoire du contrat.

==>Le point de départ des intérêts

L’article 866 du Code civil distingue selon que la dette rapportable est née avant la constitution de l’indivision ou qu’elle est survenue en cours d’indivision.

  • Les dettes préexistantes à l’indivision
    • Lorsque la dette existait avant l’ouverture de l’indivision – que celle-ci résulte d’un décès, d’un divorce, d’une dissolution de PACS ou de la cessation d’une indivision conventionnelle – les intérêts commencent à courir dès la constitution de l’indivision.
    • Cette règle assure la continuité du régime juridique des créances détenues contre un copartageant et s’inscrit dans la lignée des solutions jurisprudentielles antérieures, qui admettaient déjà que les créances préexistantes à l’indivision produisent intérêts dès le jour de la naissance de celle-ci (Cass. 1ère civ, 8 juin 2004, n°01-15.044).
    • Ainsi, un indivisaire débiteur d’une somme envers l’indivision au jour de sa constitution ne peut différer le cours des intérêts : la dette est réputée immédiatement exigible à l’égard des autres copartageants, ce qui justifie l’application du taux légal dès la naissance de l’indivision.
  • Les dettes nées en cours d’indivision
    • Lorsque la dette naît après la constitution de l’indivision, les intérêts ne courent qu’à compter du jour où elle devient exigible. 
    • Cette solution, désormais consacrée par l’article 866 du Code civil, rompt avec la jurisprudence antérieure, qui, dans certains cas, admettait que les intérêts puissent courir dès la constitution de l’indivision, même lorsque la dette lui était postérieure (Cass. 1ère civ., 5 avr. 2005, n°01-12.810 et 01-15.367).
    • Désormais, le texte met fin à cette incertitude en retenant une règle claire et sécurisante : tant qu’une dette contractée par un indivisaire dans le cadre de l’indivision n’est pas exigible, elle ne produit pas d’intérêts.
    • Ce principe permet d’éviter qu’un copartageant se voie imposer des intérêts moratoires alors même qu’il n’a pas encore été mis en demeure d’exécuter son obligation.

Il peut être observé que lorsque le montant de la dette n’est pas déterminé au jour de la constitution de l’indivision, les intérêts ne peuvent courir qu’à compter de la fixation de son montant. Ce principe, dégagé par la jurisprudence (Cass. 1ère civ., 27 janv. 1987, n°85-15.336), repose sur une considération de bon sens : il serait manifestement inéquitable d’exiger des intérêts sur une obligation dont l’assiette demeure indéterminée.

Cette règle trouve notamment à s’appliquer dans les situations où le montant de la dette fait l’objet d’une contestation entre copartageants ou lorsque son évaluation nécessite un processus préalable (par exemple, lorsqu’il s’agit d’une dette de valeur liée à un actif dont la valorisation est fluctuante). Dans ces hypothèses, les intérêts ne commencent à courir qu’à compter du moment où la dette est définitivement liquidée, en cohérence avec la nature indemnitaire des intérêts moratoires.

==>L’anatocisme

Le mécanisme de l’anatocisme – c’est-à-dire la capitalisation des intérêts pour produire eux-mêmes des intérêts – est admis dans le cadre du rapport des dettes. Cette solution trouve son fondement dans l’ancien article 1154 du Code civil (devenu l’article 1343-2), ainsi que dans une jurisprudence bien établie (Cass. 1ère civ., 19 oct. 1983, n° 82-11.982).

Toutefois, l’anatocisme ne saurait s’appliquer automatiquement. Il suppose :

  • Que les intérêts soient dus pendant au moins une année entière avant de pouvoir être capitalisés.
  • Qu’une demande expresse soit formulée par l’un des copartageants pour obtenir la capitalisation des intérêts (Civ. 1??, 23 mars 1994, n° 92-13.345).

Ainsi, bien que le rapport des dettes puisse donner lieu à une production d’intérêts capitalisables, leur accumulation reste strictement encadrée et soumise à des conditions précises.

==>L’assiette des intérêts

Enfin, l’assiette des intérêts doit être précisément définie. Toutes les dettes rapportables ne produisent pas nécessairement intérêts sur l’intégralité de leur montant. Seules les sommes excédant les droits du copartageant débiteur dans la masse indivise génèrent des intérêts.

La jurisprudence a confirmé cette solution en jugeant que seules les dettes restant exigibles après imputation sur les droits dans l’indivision sont productives d’intérêts (CA Paris, 23 oct. 1986).

Autrement dit, lorsqu’un copartageant est débiteur envers l’indivision, la compensation entre sa dette et ses droits indivis s’opère en priorité. Ce n’est qu’à hauteur du solde demeurant exigible après compensation que des intérêts seront dus. Cette règle vise à éviter qu’un copartageant, bien que débiteur, ne soit excessivement pénalisé par une accumulation d’intérêts sur une dette qui, pour partie, s’impute naturellement sur ses droits dans l’indivision.

Opérations de partage: l’attribution des lots par tirage au sort

Dans le cadre du partage judiciaire, l’allotissement des copartageants repose, en principe, sur le tirage au sort. Ce mécanisme, consacré par l’article 1363 du Code de procédure civile, incarne l’idéal d’impartialité et d’équité dans la répartition des biens indivis. Lorsque les indivisaires ne parviennent pas à s’accorder sur l’attribution des lots, le recours au sort s’impose comme la solution la plus juste, car il écarte toute possibilité de favoritisme ou d’influence subjective. En laissant le hasard déterminer l’attribution, la procédure garantit une neutralité absolue, préservant ainsi l’égalité des droits entre les parties. 

§1: Le tirage au sort comme modalité d’attribution des lots

I) Principe

Le tirage au sort constitue le mode d’attribution des lots de principe dans le cadre d’un partage judiciaire. Consacré par l’article 1363 du Code de procédure civile, il vise à garantir l’impartialité et l’égalité entre les copartageants, en évitant que les attributions ne fassent l’objet de contestations liées à des considérations subjectives.

L’opération de tirage au sort intervient après que les biens indivis ont été évalués et regroupés en lots de valeurs égales ou compensées par des soultes (art. 826 C. civ.). Il convient de rappeler que cette procédure ne porte que sur l’attribution des lots, et non sur leur composition, laquelle relève d’une étape distincte préalable. 

Dans un arrêt du 11 mars 1986, la Cour de cassation a jugé en ce sens que le tirage au sort ne peut être utilisé pour résoudre des désaccords relatifs à la composition des lots, mais uniquement pour leur attribution, conformément aux dispositions des articles 834 du Code civil et 12, alinéa 1er, du Code de procédure civile (Cass. 1ère civ., 11 mars 1986, n°84-16.596).

En l’espèce, deux indivisaires possédaient en indivision un jardin d’une superficie de 220 mètres carrés. Afin de mettre fin à cette indivision, un expert judiciaire avait proposé deux solutions de partage, consistant en deux tracés différents d’une ligne séparative entre les parcelles. Les parties ne s’étant pas accordées sur l’un des tracés, la Cour d’appel avait ordonné un tirage au sort pour déterminer laquelle des deux propositions serait retenue.

La Haute juridiction a censuré cette décision, estimant qu’il incombait aux juges du fond, dès lors que le différend portait sur la composition des lots, de se prononcer en usant de leur pouvoir souverain d’appréciation. En optant pour un tirage au sort, ces derniers ont abdiqué la mission essentielle qui leur revient : apprécier, au regard des intérêts en présence, les avantages et inconvénients des tracés proposés par l’expert. La Cour de cassation a rappelé avec fermeté que le tirage au sort ne saurait être employé pour décider de la composition des lots, la loi réservant cette procédure à leur seule attribution. 

Aussi, ressort-il de cette décision une distinction essentielle entre la composition des lots, qui relève exclusivement du pouvoir souverain du juge ou de l’accord des parties, et leur attribution, laquelle peut, en vertu des dispositions légales, être effectuée par tirage au sort. Ce dernier, conçu comme une modalité impartiale, est strictement réservé à la répartition des lots déjà constitués, excluant tout recours à celui-ci au stade de la composition des lots. 

II) Tempéraments

Bien que le tirage au sort constitue le principe, cette modalité d’attribution des lots n’est pas sans limites. Le recours à ce procédé peut être écarté dans certaines hypothèses spécifiques, justifiées par la nature des biens, les circonstances particulières de l’affaire ou la volonté des parties.

==>La nature des biens partagés

Le tirage au sort est particulièrement pertinent lorsqu’il s’agit de répartir des biens corporels indivis en plusieurs lots de valeurs équivalentes. Cependant, lorsque la masse à partager se compose de biens aisément divisibles, tels que des sommes d’argent ou des créances, le recours à ce mécanisme devient inutile, voire superflu.

En effet, les sommes d’argent, en raison de leur nature fongible, peuvent être réparties en parts égales ou proportionnelles sans qu’il soit nécessaire d’en constituer des lots préalablement. Dans un arrêt rendu le 9 janvier 1996, la Cour de cassation a ainsi validé un partage portant uniquement sur des fonds indivis, effectué par simple répartition sans recours au tirage au sort (Cass. 1ère civ., 9 janv. 1996, n° 93-20.720). Il en est de même pour des créances, dont la valeur peut être attribuée proportionnellement aux droits des copartageants, dans le respect des règles de la liquidation.

==>L’inadéquation du tirage au sort

Le tirage au sort, bien que visant à garantir l’impartialité, peut être écarté dans certaines situations où son application stricte produirait des résultats inappropriés ou contraires à l’intérêt des parties. Dans un tel cas, il appartient au juge d’intervenir et de procéder lui-même à l’attribution des lots aux fins de préserver une répartition équitable et conforme aux droits des indivisaires. 

C’est ce qui a été décidé par la Cour de cassation dans un arrêt de la première chambre civile rendu le 28 novembre 2007 (Cass. 1ère civ., 28 nov. 2007, n° 06-18.490).

Dans cette affaire, une parcelle indivise cadastrée était située devant les propriétés respectives de deux branches familiales. Le tribunal avait ordonné le partage de la parcelle en deux lots de valeur égale, mais avait attribué chaque lot de façon à ce qu’il soit contigu à la propriété appartenant à la branche familiale concernée. Cette décision visait à éviter une attribution aléatoire qui aurait pu attribuer à chaque branche une parcelle située devant la propriété de l’autre, créant ainsi une situation potentiellement conflictuelle.

La Cour d’appel avait justifié cette dérogation au principe du tirage au sort en estimant que son application stricte risquait de produire des conséquences incohérentes et contraires à l’intérêt des indivisaires.

Saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation a validé cette solution en affirmant que « la règle du tirage au sort prescrite par l’article 834 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, doit être écartée lorsque l’application qui en est demandée est constitutive d’un abus de droit ». La Haute juridiction a ainsi considéré qu’un tirage au sort, dans les circonstances de l’espèce, aurait conduit à « la dévolution, à chacune des deux branches, du lot situé devant la propriété de l’autre », donnant lieu à une situation inadéquate et, surtout source de conflits. 

En validant la décision de la Cour d’appel, la Cour de cassation a ainsi rappelé que le recours au tirage au sort, bien que consacré par la loi, n’est pas absolu. Lorsqu’il est susceptible de produire des effets manifestement inéquitables ou contraires à l’intérêt des parties, les juges du fond doivent faire usage de leur pouvoir d’appréciation pour garantir une répartition équitable et adaptée aux circonstances de l’espèce.

Ce tempérament au principe du tirage est susceptible de s’appliquer à d’autres situations où cette modalité d’attribution peut conduire à un résultat inapproprié. 

Supposons qu’un terrain agricole indivis doive être partagé entre deux indivisaires, chacun exploitant une partie distincte du terrain depuis plusieurs années. Si le tirage au sort attribuait à l’un des indivisaires la parcelle habituellement cultivée par l’autre, cela pourrait compromettre les investissements réalisés sur le terrain ou la viabilité de l’exploitation. Dans ce cas, le juge pourrait décider d’écarter le tirage au sort pour attribuer les parcelles en fonction de leur usage préexistant.

De la même manière, imaginons que deux maisons, situées sur des lots adjacents, soient liées par une servitude de passage. Si le tirage au sort attribue à l’un des indivisaires le lot comportant la maison principale, tandis que l’autre reçoit un lot ne permettant pas un accès aisé à la voie publique, cette répartition pourrait créer une situation déséquilibrée ou source de litiges. Le juge pourrait ici intervenir pour répartir les lots de manière à préserver l’accès et l’usage équilibré des biens.

Enfin, dans une indivision successorale, si un bien indivis, tel qu’une résidence familiale ou un objet à forte valeur sentimentale, est l’objet de préférences marquées de la part d’un héritier, un tirage au sort risquerait de susciter des tensions inutiles. Un juge pourrait privilégier une attribution spécifique, compensée par une soulte, pour éviter des conflits familiaux prolongés.

==>Les accords amiables entre les parties

Même dans le cadre d’un partage judiciaire, les copartageants conservent la faculté de s’accorder sur une répartition amiable des lots, conformément aux articles 835 et 842 du Code civil, ainsi qu’à l’article 1372 du Code de procédure civile. Cette faculté, qui reflète le primat de l’autonomie des volontés, permet d’éviter le recours au tirage au sort dès lors que les parties parviennent à un consensus respectant leurs droits respectifs.

Pour être valable, l’accord amiable doit toutefois respecter plusieurs conditions :

  • D’une part, tous les copartageants doivent tous consentir à la répartition des lots telle qu’elle est proposée. 
  • D’autre part, l’accord doit respecter les droits de chaque indivisaire, en garantissant notamment une égalité de valeur entre les lots attribué.
  • Enfin, l’accord doit être formalisé par écrit. Lorsqu’il concerne des biens soumis à publicité foncière, l’article 835 du Code civil impose qu’un acte authentique soit établi par un notaire. 

L’accord amiable présente plusieurs avantages, notamment sa souplesse. Il permet aux parties de tenir compte de leurs préférences personnelles et de la nature spécifique des biens indivis. Ce mécanisme est particulièrement utile lorsque les biens en indivision possèdent une valeur d’usage particulière pour l’un des copartageants, comme une résidence principale ou un bien familial d’importance symbolique. De plus, il permet de prévenir des conflits et d’éviter une procédure contentieuse, souvent coûteuse et émotionnellement éprouvante.

Dans un arrêt rendu le 15 mai 2008, la Cour de cassation a jugé en ce sens qu’un indivisaire n’ayant pas contesté les attributions proposées dans le cadre d’un projet de partage, mais uniquement les évaluations des biens, ne pouvait exiger le recours au tirage au sort (Cass. 1ère civ., 15 mai 2008, n° 07-16.226).

En l’espèce, les biens issus de la succession comprenaient des liquidités et deux immeubles situés à Lyon. Ces biens avaient été répartis par le notaire chargé du partage : les liquidités avaient été attribuées intégralement entre les copartageants, tandis que les immeubles avaient fait l’objet d’une répartition distincte, l’un étant attribué en totalité à une indivisaire, et l’autre étant partagé entre plusieurs indivisaires en nue-propriété et en usufruit. L’une des indivisaires avait alors contesté le projet de partage, non pas sur le principe des attributions, mais sur les évaluations des biens immobiliers, estimant que leur valeur, non réévaluée depuis le rapport d’expertise, n’était plus représentative au jour du partage. Elle soutenait en conséquence que les lots auraient dû être tirés au sort.

La Cour de cassation a rejeté cette argumentation, considérant que « l’attribution des lots proposée, dès lors qu’elle n’a pas été contestée dans son principe, dispense de procéder à un tirage au sort ». Selon la Haute juridiction, le litige portant uniquement sur les évaluations, et non sur le principe même des attributions, le tirage au sort des lots n’était pas requis. 

Cet arrêt illustre que le recours au tirage au sort, bien qu’il soit la règle de principe en matière de partage judiciaire, devient superflu dès lors que les copartageants ne contestent pas les attributions proposées. 

Cependant, l’accord amiable reste rare dans la pratique, en raison des fréquentes dissensions entre indivisaires. Lorsque l’unanimité fait défaut, le partage amiable devient impossible, et le recours au tirage au sort s’impose. De plus, dans certaines situations, notamment lorsque l’un des copartageants est, soit frappé d’une incapacité, soit présumé absent, le tirage au sort redevient obligatoire aux fins de préservation des intérêts de tous. Il est toutefois possible, dans ces hypothèses, de soumettre uniquement le lot de l’incapable au tirage au sort, les autres copartageants s’accordant sur la répartition du reste des biens.

Enfin, il convient de noter qu’en présence de désaccords sérieux, les parties peuvent également recourir à une transaction pour résoudre leurs différends. Encadrée par les articles 2044 et suivants du Code civil, la transaction permet de trouver un compromis tout en respectant les droits des parties protégées. Par exemple, une transaction homologuée par le conseil de famille ou le juge des tutelles peut permettre d’éviter le recours au tirage au sort dans les situations complexes impliquant des incapables.

Ainsi, bien qu’elle repose sur une unanimité souvent difficile à obtenir, la conclusion d’un accord amiable constitue une solution efficace et adaptée pour organiser un partage équitable, tout en évitant les aléas et les rigueurs d’un tirage au sort.

§2: La procédure d’attribution des lots par tirage au sort

I) La procédure simplifiée

La procédure simplifiée, régie par les articles 1359 à 1363 du Code de procédure civile, s’applique dans les situations où le partage des biens ne présente aucune complexité particulière. Elle est réservée aux hypothèses où la masse successorale est clairement définie, exempte de biens complexes, et où les indivisaires ne sont pas en désaccord sur les modalités de répartition.

Dans ce cadre, le tribunal judiciaire joue un rôle central. Il se charge de la constitution des lots et de leur évaluation, sans qu’il soit nécessaire de recourir à l’intervention d’un notaire. Lorsque le tirage au sort est requis, il est supervisé par le président du tribunal judiciaire ou son délégué, garantissant ainsi la transparence et l’équité des opérations. 

Tous les indivisaires sont convoqués afin d’assister aux opérations, leur présence étant essentielle pour la régularité de la procédure. Toutefois, si l’un d’eux fait défaut, le président du tribunal peut désigner un représentant chargé de préserver ses droits, en vertu des dispositions de l’article 1363 du Code de procédure civile.

Une fois le tirage au sort réalisé, le tribunal dresse un procès-verbal constatant les résultats des opérations. Ce document revêt une importance capitale, car il officialise l’attribution des lots et sert de fondement à l’acte de partage. Le jugement qui en résulte tient lieu d’acte de partage, scellant ainsi la répartition des biens de manière rapide et sécurisée.

Bien que cette procédure offre une simplicité procédurale et une certaine célérité, elle demeure peu utilisée en pratique. Cela s’explique par la préférence des parties pour des solutions amiables ou pour des partages supervisés par un notaire, jugés plus adaptés à la gestion de situations patrimoniales souvent complexes. En outre, la procédure simplifiée se limite aux cas où les biens à partager ne requièrent ni expertise particulière ni négociations, ce qui restreint son champ d’application.

II) La procédure sous supervision d’un notaire

Dans les hypothèses où les indivisaires s’accordent sur la composition des lots mais ne parviennent pas à s’entendre sur leur attribution, l’article 1363 du Code de procédure civile institue le recours à un tirage au sort, placé sous la supervision d’un notaire.

Le tribunal judiciaire intervient en amont pour désigner le notaire commis, chargé de superviser les opérations. Si la situation le requiert, le tribunal peut également ordonner une expertise préalable afin de procéder à l’évaluation des biens indivis, garantissant ainsi une répartition conforme aux droits de chaque copartageant. Une fois cette étape achevée, les lots constitués sont transmis au notaire, qui prend en charge l’organisation et la réalisation du tirage au sort.

Le tirage au sort est effectué lors d’une séance formelle convoquée par le notaire, en présence de tous les copartageants ou de leurs représentants. Le notaire veille au strict respect des principes de transparence et d’équité tout au long de l’opération. Le procédé peut revêtir différentes formes, qu’il s’agisse d’un tirage manuel, par exemple via des bulletins, ou d’un recours à des moyens électroniques modernes, pourvu que ces derniers garantissent une impartialité absolue et la sécurité juridique requise.

Une fois les lots attribués, le notaire dresse un procès-verbal constatant les résultats du tirage au sort. Celui-ci est alors intégré à l’acte authentique de partage que le notaire établit ensuite. Cet acte, qui met fin à l’indivision, est soumis aux formalités de publicité foncière si les biens attribués le requièrent, conformément aux exigences de l’article 835 du Code civil.

Bien que le notaire joue un rôle déterminant dans la phase finale de cette procédure, son intervention se limite à la supervision du tirage au sort et à la formalisation du partage. Il ne participe pas, sauf mission spécifique confiée par le tribunal ou les parties, à l’évaluation des biens ni à la constitution des lots.

III) La procédure longue sous supervision d’un juge commis

La procédure longue, régie par les articles 1364 à 1376 du Code de procédure civile, constitue le cadre procédural applicable lorsque les opérations de partage sont marquées par une certaine complexité ou par des désaccords persistants entre les indivisaires. Cette procédure donne lieu à la désignation d’un juge commis chargé de superviser les opérations de partage dont la réalisation est confiée à un notaire. 

En effet, le notaire liquidateur, désigné par le tribunal, est chargé des principales opérations techniques et préparatoires. Sa mission inclut l’évaluation des biens indivis, la liquidation des comptes entre les indivisaires et la constitution des lots en tenant compte des droits de chacun. Il établit ensuite un projet d’état liquidatif, qui détaille la composition et la valeur des lots. 

Une fois le projet finalisé, le notaire le transmet au juge commis, accompagné d’un éventuel procès-verbal de difficultés si des désaccords subsistent. Le juge commis, en tant que garant du bon déroulement de la procédure, a la faculté de tenter une conciliation entre les parties. En cas d’échec, il peut soumettre les points litigieux au tribunal judiciaire, qui tranchera définitivement.

En application de l’article 1375 du CPC, le tirage au sort, lorsqu’une attribution aléatoire des lots s’impose, est ordonné par le tribunal dans le jugement d’homologation. Cette opération, essentielle pour garantir l’impartialité de la répartition des lots peut être réalisée selon deux modalités :

  • Par le notaire liquidateur : si les différends entre les indivisaires ont été résolus ou s’ils n’entravent pas la régularité des opérations, le notaire procède au tirage au sort en présence des indivisaires ou de leurs représentants.
  • Par le juge commis ou son délégué : lorsque les désaccords persistent ou que la situation nécessite une intervention judiciaire, le tirage au sort est réalisé sous l’autorité directe du juge commis. Ce dernier supervise l’attribution des lots pour garantir la transparence et le respect des droits de chaque indivisaire.

Dans tous les cas, la présence des indivisaires ou de leurs représentants est requise pour garantir la régularité et la validité des opérations de tirage au sort, conformément aux dispositions des articles 1376 et 1363 du Code de procédure civile.

Lorsque le tirage au sort des lots est ordonné, l’article 1376 prévoit que, si un copartageant fait défaut, le juge commis dispose des pouvoirs conférés au président du tribunal judiciaire par l’article 1363, alinéa 2. En application de ce dernier texte, le président du tribunal judiciaire, ou son délégué, peut désigner un représentant pour l’indivisaire défaillant. Cette désignation peut intervenir d’office, si le tirage au sort a lieu devant le président lui-même, ou sur la base du procès-verbal transmis par le notaire en cas de carence.

Cette mesure vise à éviter que l’absence injustifiée d’un indivisaire ne paralyse le déroulement des opérations de partage. Le représentant désigné agit alors au nom et pour le compte du copartageant défaillant, garantissant ainsi que les droits de ce dernier soient respectés tout au long de la procédure. Par ailleurs, le représentant s’assure que les opérations se déroulent conformément aux principes d’impartialité et de transparence qui gouvernent le tirage au sort des lots.

En tout état de cause, à l’issue du tirage au sort, un procès-verbal est établi, consignant les résultats et les modalités de l’attribution. Ce document, validé par le tribunal, sert de fondement à l’acte authentique de partage que le notaire formalise. Si des biens immobiliers sont concernés, cet acte est soumis aux formalités de publicité foncière, en vertu de l’article 835 du Code civil. Ces formalités marquent l’extinction de l’indivision et assurent l’opposabilité du partage aux tiers.

La licitation: procédure

Le régime de la licitation s’inscrit dans une double exigence d’équilibre et de nécessité. D’une part, il est conçu comme un mécanisme subsidiaire permettant de surmonter les impasses inhérentes à l’indivision, notamment lorsque le partage en nature s’avère impraticable. D’autre part, son encadrement juridique strict vise à préserver les droits des indivisaires tout en garantissant la valorisation optimale des biens concernés.

Fondamentalement, la licitation se distingue du partage en nature en ce qu’elle entraîne une aliénation du bien indivis, substituant à la répartition matérielle des actifs une répartition en valeur. Cette spécificité explique la rigueur avec laquelle elle est encadrée par le Code civil et le Code de procédure civile, qui en conditionnent l’ouverture et en régissent minutieusement le déroulement.

D’abord, la licitation ne peut être envisagée qu’à l’occasion d’une instance en partage, ce qui illustre son caractère nécessairement incident. Cette dépendance procédurale s’explique par la volonté du législateur de préserver l’option d’un partage amiable ou d’un partage en nature chaque fois que cela est possible. Toutefois, lorsque ces voies s’avèrent irréalisables, la licitation devient un recours inévitable pour désintéresser les indivisaires et mettre fin à l’indivision.

Ensuite, la licitation est soumise à des règles précises de compétence juridictionnelle. Le tribunal judiciaire est seul habilité à en connaître, garantissant ainsi une procédure unique et centralisée, adaptée aux enjeux patrimoniaux qu’elle soulève. Cette compétence est assortie de règles de territorialité, visant à assurer une proximité entre la juridiction et le bien concerné.

Enfin, le régime de la licitation repose sur une organisation rigoureuse de la vente. Qu’il s’agisse de la fixation des conditions de l’adjudication, des modalités de publicité ou des garanties entourant la protection des intérêts des parties, chaque étape est minutieusement encadrée afin d’assurer à la fois la transparence et l’efficacité de l’opération. L’adjudication elle-même, qu’elle se déroule devant le tribunal ou sous l’égide d’un notaire, doit répondre à des exigences de formalisme et de sécurité juridique.

Si la licitation s’impose comme un ultime recours lorsque l’indivision devient ingérable, elle n’en demeure pas moins une solution qui doit être maniée avec prudence. En effet, en substituant une somme d’argent à la détention d’un bien, elle transforme en profondeur la nature des droits des indivisaires, ce qui peut parfois conduire à des conflits d’intérêts ou à des revendications complémentaires. Il convient dès lors d’en appréhender les contours avec précision, afin d’en maîtriser les implications et d’en optimiser les effets.

1. Principes directeurs

==>Saisine

En vertu de l’article 840 du Code civil, la licitation judiciaire ne peut être envisagée qu’à l’occasion d’une instance en partage. À cet égard, dans le cadre de cette instance, la demande en partage est formulée à titre principal, tandis que la demande de licitation est nécessairement formulée à titre incident. 

En effet, la licitation, par sa nature subsidiaire, ne saurait être sollicitée qu’à titre incident, lorsqu’un partage en nature s’avère matériellement impraticable ou compromet l’équité entre les indivisaires. Ce dispositif met en lumière la primauté du partage en nature, qui demeure le fondement même du régime de l’indivision, tandis que la licitation, exception par essence, est rigoureusement encadrée pour éviter tout détournement de sa finalité.

Le Code de procédure civile organise ainsi une interdépendance entre les demandes en partage et en licitation, la seconde ne pouvant être introduite indépendamment de la première. Dans un arrêt du 15 juin 2017, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « la demande en licitation d’un bien indivis […] ne peut être formée qu’à l’occasion d’une instance en partage judiciaire » (Cass. 1ère civ., 15 juin 2017, n°16-16.031). Fondant sa décision sur les articles 840 et 1686 du Code civil, la Haute juridiction a rappelé que la licitation, en raison de son caractère subsidiaire, ne peut exister indépendamment d’une demande principale en partage.

En l’espèce, des héritiers avaient sollicité la licitation d’un immeuble dépendant d’une succession en raison de désaccords portant sur l’attribution et l’estimation des lots. Sans qu’aucune instance en partage judiciaire n’ait été introduite, la cour d’appel avait fait droit à cette demande. La Cour de cassation a censuré cette décision, estimant que la procédure de licitation ne peut être envisagée qu’à titre incident, dans le cadre plus large d’un partage judiciaire. Elle a ainsi annulé l’arrêt de la cour d’appel au motif que celle-ci avait ordonné la licitation en violation des exigences procédurales établies par les textes. Cet arrêt illustre avec clarté que la licitation ne constitue pas une voie autonome mais bien une exception procédurale, subordonnée à la démonstration préalable de l’impossibilité ou de l’inopportunité d’un partage en nature. 

À l’analyse, ce cadre procédural poursuit une double ambition. D’une part, il consacre la primauté du partage en nature, expression de l’idéal d’égalité patrimoniale entre les indivisaires, en veillant à ce que chaque solution retenue préserve, autant que faire se peut, l’intégrité des droits de chacun. D’autre part, il encadre strictement le recours à la licitation, n’autorisant cette mesure, par essence exceptionnelle, qu’en dernier ressort, lorsqu’un partage amiable se heurte à des obstacles matériels ou juridiques insurmontables.

Toutefois, cette subordination stricte n’est pas exempte de critiques. Certains auteurs ont estimé que l’impossibilité manifeste d’un partage en nature dès l’introduction de l’instance pourrait justifier une demande en licitation à titre principal, sans compromettre pour autant l’équilibre procédural. Cette position, bien que séduisante, entre en contradiction avec la volonté du législateur de privilégier une approche prudente et graduée, afin de prévenir tout usage abusif de la licitation.

==>Compétence juridictionnelle

En premier lieu, la licitation relève de la compétence exclusive du tribunal judiciaire. Cette règle s’applique de manière uniforme, quelles que soient les circonstances spécifiques entourant l’indivision. Ainsi, même lorsque l’un des indivisaires est soumis à une procédure collective, le tribunal judiciaire demeure compétent pour connaître des demandes de licitation et de partage (Cass. com., 28 nov. 2000, n° 98-10.145). Dans ce contexte particulier, le liquidateur, agissant non dans l’intérêt personnel du débiteur mais en qualité de représentant des créanciers, peut solliciter la licitation des biens indivis. Dans un arrêt du 28 novembre 2000, la Cour de cassation a confirmé que le liquidateur, habilité à défendre les droits des créanciers, est en mesure de provoquer une licitation dans le cadre des opérations de partage (Cass. com., 28 nov. 2000, n° 98-10.145).

En second lieu, la compétence territoriale de la juridiction qui a vocation à connaitre d’une procédure de licitation judiciaire obéit à des règles qui visent garantir à la fois proximité et efficacité dans le traitement des litiges. L’article 841 du Code civil confère ainsi compétence au tribunal judiciaire du lieu d’ouverture de la succession pour connaître des actions en partage, ainsi que des contestations qui peuvent en découler, notamment celles relatives à la licitation ou à la garantie des lots. Lorsque la licitation ne procédure pas du partage d’une indivision successorale, l’article 45 du Code de procédure civile désigne le tribunal du lieu de situation des biens indivis comme juridiction compétente.

Ce cadre territorial vise à concentrer les litiges devant une juridiction proche des biens concernés. En opérant ce choix, le législateur entend non seulement simplifier les démarches pour les parties, mais également tenir compte des spécificités matérielles et économiques propres aux biens indivis, contribuant ainsi à une gestion plus fluide et plus rapide des procédures.

Enfin, il convient de souligner que cette compétence juridictionnelle, tant d’attribution que territoriale, est d’ordre public. Dès lors, elle ne saurait être modifiée par la volonté des parties.

==>La fixation des conditions de la vente

En application de l’article 1377 du Code de procédure civile, le juge se voit confier la responsabilité de fixer les conditions particulières de la vente par adjudication dans le cadre d’une licitation, qu’il s’agisse de biens meubles ou immeubles. Ce pouvoir embrasse notamment la détermination de la mise à prix, paramètre essentiel pour garantir le bon déroulement de la procédure et prévenir toute sous-évaluation susceptible de léser les intérêts des indivisaires. Cette intervention du juge, gage d’une équité procédurale, est toutefois tempérée par la possibilité, offerte aux indivisaires capables et présents, de convenir unanimement des modalités de la licitation. Cet accord, lorsqu’il est atteint, lie le tribunal, reflétant ainsi l’importance accordée au consentement des parties dans le processus de partage.

Cette souplesse procédurale est néanmoins contrebalancée par la rigueur imposée au déroulement de la licitation. Ainsi, bien que la possibilité d’un sursis temporaire à la vente pour tenter une cession de gré à gré ait été évoquée lors des travaux préparatoires des réformes législatives, cette faculté n’a pas été retenue. Le législateur a manifestement craint qu’une telle mesure ne ralentisse inutilement les procédures, préférant privilégier une approche plus directe pour éviter des délais incompatibles avec les impératifs de gestion des indivisions.

Le cahier des charges, document structurant de la licitation, peut par ailleurs comporter des dispositions spécifiques destinées à encadrer l’attribution des biens adjugés. Parmi celles-ci figure la clause d’attribution, qui stipule que si la dernière enchère est portée par un indivisaire, celui-ci ne sera pas déclaré adjudicataire, mais se verra attribuer le bien au prix fixé par l’adjudication dans le cadre du partage à intervenir. Ce mécanisme, validé par la jurisprudence (Cass. 1ère, 7 oct. 1997, n°95-17.071), favorise une organisation rationnelle et équitable des opérations, tout en préservant les intérêts patrimoniaux des copartageants. En complément, des clauses de substitution peuvent permettre à un adjudicataire de céder son droit à un tiers désigné, offrant ainsi une flexibilité supplémentaire sans compromettre la transparence de la procédure.

==>La recherche de l’intérêt collectif

Il est de principe que toutes les décisions prises par le juge dans le cadre de la procédure de licitation doivent être guidées par la recherche de l’intérêt collectif des copartageants. Cette exigence se traduit par une double obligation pour la juridiction saisie : d’une part, le juge doit s’attacher à optimiser la valeur d’adjudication des biens indivis, gage d’une protection économique des droits des parties. D’autre part, il lui incombe de garantir une répartition équitable des fruits de la vente, en tenant compte des spécificités des biens et des situations individuelles des indivisaires.

L’optimisation de la valeur d’adjudication implique que le tribunal organise la procédure de manière à maximiser la concurrence entre les enchérisseurs. À cet égard, la rédaction du cahier des charges revêt une importance cruciale. Ce document doit non seulement préciser les caractéristiques du bien mis en vente, mais également faire état de toute information susceptible d’influencer les enchères, comme l’existence de droits locatifs ou de servitudes. Ainsi, a été consacré par la jurisprudence l’obligation de mentionner dans le cahier des charges les droits locatifs grevant un bien indivis. Dans un arrêt du 18 juin 1973, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que l’adjudicataire devait être informé des droits d’occupation existants, ces derniers influant directement sur la valeur vénale du bien et, par conséquent, sur les intérêts des indivisaires. 

Par ailleurs, la répartition équitable des fruits de la vente doit également guider les décisions prises par le juge. Celui-ci doit veiller à ce que les modalités de la licitation ne créent pas de déséquilibre injustifié entre les indivisaires. Par exemple, si un indivisaire est lui-même locataire d’un bien indivis, comme ce fut le cas dans l’affaire précitée, il ne saurait être tenu de payer la différence entre la valeur libre et la valeur occupée du bien dont il est adjudicataire. Une telle solution, validée par la Cour de cassation, reflète un souci d’équité : elle empêche qu’un indivisaire se retrouve pénalisé dans l’attribution d’un bien au détriment des autres parties.

Le rôle du tribunal ne se limite donc pas à la définition des conditions formelles de la vente. Il s’étend à une analyse fine et précise des circonstances particulières de chaque indivision, afin d’adopter les mesures les mieux adaptées à l’intérêt collectif des indivisaires. Ainsi, lorsque les biens indivis présentent des caractéristiques spécifiques – qu’il s’agisse d’un immeuble à usage mixte ou d’un terrain à forte valeur économique – le juge peut prévoir des dispositions particulières pour préserver leur rentabilité ou leur attractivité. Par exemple, en cas de licitation d’un fonds de commerce dépendant d’un immeuble indivis, il est d’usage que le cahier des charges impose à l’adjudicataire de l’immeuble de consentir un bail à l’adjudicataire du fonds, si ces deux lots ne sont pas attribués à une même personne. 

==>Les personnes admises à participer à la licitation

L’article 1378 du Code de procédure civile prévoit que « si tous les indivisaires sont capables et présents ou représentés, ils peuvent décider à l’unanimité que l’adjudication se déroulera entre eux. À défaut, les tiers à l’indivision y sont toujours admis. » Il ressort de cette disposition que les enchères, dans le cadre d’une licitation, peuvent être restreintes aux seuls indivisaires.

Plus précisément, la limitation des enchères aux copartageants est envisageable lorsque tous les indivisaires remplissent simultanément plusieurs conditions : ils doivent être juridiquement capables, présents ou représentés par des mandataires disposant d’un pouvoir exprès. De surcroît, cette restriction requiert leur consentement unanime, traduisant une volonté commune d’éviter l’intervention de tiers dans la procédure. Cette faculté permet de maintenir la licitation dans une sphère strictement interne à l’indivision, tout en favorisant une résolution rapide et consensuelle du partage.

Toutefois, dès lors que l’une de ces conditions fait défaut, la procédure impose l’ouverture des enchères à des tiers. Ce mécanisme vise à prévenir tout risque de collusion ou de manœuvres entre indivisaires pouvant entraîner une adjudication à un prix injustement bas. En admettant des tiers, le législateur entend préserver l’intégrité des enchères, s’assurant que celles-ci reflètent la valeur réelle du bien mis en vente.

Cette ouverture des enchères devient obligatoire lorsque l’un des indivisaires est mineur ou incapable. Conformément à l’article 1687 du Code civil, dans une telle hypothèse, les tiers doivent impérativement être admis à participer à la licitation. Ce principe a trouvé une application dans une affaire où un indivisaire incapable s’opposait à une adjudication exclusive entre indivisaires. Le tribunal, rappelant les termes de l’article 1687, avait exigé l’ouverture des enchères aux tiers pour garantir une adjudication équitable, reflétant la valeur véritable des biens mis en vente (TGI Nantes, 27 juin 1967).

A cet égard, il peut être souligné que l’admission des tiers contribue également à maximiser la valeur d’adjudication, au bénéfice de l’ensemble des indivisaires. En augmentant le nombre de participants potentiels, cette ouverture crée une véritable dynamique compétitive lors des enchères, limitant ainsi le risque d’un prix d’adjudication trop bas. 

2. Règles particulières

a. La licitation des meubles

Conformément à l’article 1377 du Code de procédure civile, la licitation des meubles s’effectue dans les formes définies par les articles R. 221-33 à R. 221-39 du Code des procédures civiles d’exécution. Ces dispositions empruntent, en matière mobilière, au régime de la vente forcée sur saisie-vente, lequel assure une publicité, une organisation et une transparence optimales des opérations. Toutefois, il convient de distinguer entre les meubles corporels, directement visés par ces textes, et les meubles incorporels, soumis à un régime spécifique.

i. La licitation des meubles corporels

==>Le lieu de la vente

En vertu de l’article R. 221-33 du Code des procédures civiles d’exécution, la détermination du lieu de la vente des meubles dans le cadre d’une licitation obéit à des critères mêlant pragmatisme et efficacité économique. La vente peut être organisée soit au lieu où se trouvent les biens, soit dans une salle des ventes ou tout autre espace public, en fonction de la situation géographique la plus adaptée à solliciter la concurrence tout en minimisant les coûts. 

La localisation des meubles constitue le premier critère à considérer. Organiser la vente sur place permet de limiter les frais de déplacement et de transport des biens, ce qui est particulièrement pertinent lorsque ceux-ci se situent dans une région densément peuplée ou facilement accessible aux enchérisseurs. Toutefois, lorsque le lieu de situation des meubles ne favorise pas une concurrence suffisante, le tribunal peut opter pour un lieu plus stratégique, tel qu’une salle des ventes située dans une zone urbaine ou à proximité d’un marché plus dynamique. Cette approche vise à maximiser le produit de la vente en attirant un nombre accru d’enchérisseurs potentiels.

Le tribunal, dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation, doit également tenir compte des règles encadrant la compétence territoriale des officiers ministériels chargés de la vente, conformément à l’article 3 de l’ordonnance du 26 juin 1816. Dans les communes où les commissaires-priseurs judiciaires exercent un monopole, leur intervention doit être respectée, sous peine d’irrégularité de la procédure. Ce cadre juridictionnel, bien que contraignant, garantit une cohérence dans l’organisation des ventes tout en respectant les prérogatives des professionnels habilités.

L’organisation de la vente, qu’elle soit réalisée sur place ou dans un lieu public, doit également répondre à une exigence de transparence. En choisissant des espaces accessibles et ouverts à tous les enchérisseurs, la procédure prévient tout risque de collusion ou de manipulation des enchères. Cette publicité garantit ainsi une valorisation optimale des biens tout en renforçant la confiance des parties dans le déroulement de la licitation. Le choix du lieu devient alors un élément central de la procédure, combinant efficacité économique et respect des intérêts des indivisaires.

==>L’information de la vente

  • L’information des copartageants
    • L’article R. 221-35 du CPC prévoit que les indivisaires soient informés par l’officier ministériel des lieu, jour et heure de la vente, au moins huit jours avant celle-ci. 
    • Cette notification, effectuée par lettre simple ou tout autre moyen approprié, garantit que les parties intéressées puissent assister à la vente et défendre leurs droits.
    • Il doit en être fait mention dans le certificat prévu à l’article R. 221-34 du CPCR
  • La publicité de la vente
    • L’article R. 221-34 exige que la vente soit précédée d’une publicité appropriée, réalisée au moins huit jours avant la date fixée pour l’adjudication. 
    • Cette publicité est effectuée par affiches indiquant les lieu, jour et heure de celle-ci et la nature des biens saisis.
    • Les affiches sont apposées à la mairie de la commune où demeure le débiteur saisi et au lieu de la vente. 
    • La publicité obligatoire est faite à l’expiration du délai prévu au dernier alinéa de l’article R. 221-31 et huit jours au moins avant la date fixée pour la vente.
    • La vente peut également être annoncée par voie de presse.
    • L’huissier de justice doit certifier l’accomplissement des formalités de publicité.

==>Les modalités d’adjudication

  • La vérification des biens avant adjudication
    • Avant l’adjudication, l’officier ministériel chargé de la vente procède à une vérification scrupuleuse de la consistance et de la nature des biens à réaliser, conformément aux exigences de l’article R. 221-36 du Code des procédures civiles d’exécution. 
    • Cette formalité consiste à examiner les biens afin de relever tout objet manquant ou dégradé, garantissant ainsi une transparence totale sur les biens soumis aux enchères. 
    • Ce contrôle donne lieu à l’établissement d’un acte, qui constitue une pièce essentielle de la procédure et permet d’assurer la régularité de la vente.
    • Par ailleurs, l’article R. 221-12 du même code confère à l’huissier de justice la faculté de photographier les objets, si cela s’avère nécessaire. 
    • Ces photographies, conservées par l’huissier, servent de preuve objective et fiable dans l’hypothèse où une contestation surviendrait ultérieurement. 
    • Bien que leur communication soit strictement encadrée et ne puisse avoir lieu qu’en cas de litige porté devant le juge, elles renforcent la crédibilité de l’inventaire des biens, en fournissant une documentation visuelle précise.
    • Cette procédure de vérification, bien qu’historiquement liée aux risques spécifiques des saisies, trouve également sa place dans le cadre de la licitation. 
    • Elle vise à prémunir les indivisaires contre tout doute ou litige relatif à l’état des biens mis en vente. 
    • En outre, elle participe de la protection des droits des copartageants en offrant une garantie supplémentaire sur la consistance des biens à liciter.
  • Les conditions de la vente
    • En application de l’article R. 221-37, la vente est faite par un officier ministériel habilité par son statut à procéder à des ventes aux enchères publiques de meubles corporels et, dans les cas prévus par la loi, par des courtiers de marchandises assermentés.
    • L’article R. 221-38 précise que l’adjudication est réalisée au plus offrant, après trois criées.
    • Le prix est payable comptant, et en cas de défaut de paiement par l’adjudicataire, l’objet est revendu sur réitération des enchères, dite “à la folle enchère”.
    • Cette règle vise à garantir la rapidité et l’efficacité des opérations tout en limitant les risques d’impayés.
  • L’établissement de l’acte de vente
    • L’article R. 221-39 prévoit qu’il doit être dressé acte de la vente. 
    • Cet acte contient la désignation des biens vendus, le montant de l’adjudication et l’énonciation déclarée des nom et prénoms des adjudicataires. 
    • Il y est annexé un extrait des inscriptions au registre mentionné à l’article R. 521-1 du code de commerce levé en application de l’article R.221-14-1.
    • Il est procédé, sur justification du paiement du prix, à la radiation des inscriptions de sûretés prises sur les biens vendus du chef du débiteur saisi.

ii. La licitation des meubles incorporels

Les biens incorporels, tels que les droits d’associé ou les valeurs mobilières, échappent au régime classique applicable aux meubles corporels, régi par les articles R. 221-33 à R. 221-39 du Code des procédures civiles d’exécution. En raison de leur nature immatérielle, la licitation de ces biens requiert un encadrement procédural spécifique, énoncé aux articles R. 233-3 à R. 233-9 du même code. Contrairement aux meubles corporels, dont la valeur repose sur leur consistance matérielle, les biens incorporels tirent leur valorisation de droits abstraits, impliquant des règles distinctes adaptées à leurs spécificités juridiques et économiques.

Cette différence de traitement se justifie par la complexité inhérente à ces actifs, qui nécessitent une évaluation préalable approfondie, des formalités de publicité appropriées et la prise en compte de mécanismes contractuels ou statutaires, tels que les droits d’agrément ou de préemption. Ces exigences garantissent la transparence des opérations, la protection des intérêts des parties et la préservation de la sécurité juridique.

Toutefois, le cadre procédural applicable à ces biens incorporels diffère selon que les valeurs mobilières concernées sont ou non admises à la négociation sur un marché réglementé ou sur un système multilatéral de négociation.

==>Les valeurs mobilières admises aux négociations sur un marché réglementé ou sur un système multilatéral de négociation

La licitation des valeurs mobilières admises à la négociation sur des marchés réglementés ou des systèmes multilatéraux de négociation est régie par les articles R. 233-3 et R. 233-4 du Code des procédures civiles d’exécution. Ces dispositions établissent un cadre procédural visant à assurer à la fois la simplicité, la rapidité et la transparence des opérations, tout en respectant les droits des débiteurs et des créanciers.

En premier lieu, l’article R. 233-3 confère au débiteur la faculté, dans un délai d’un mois à compter de la signification de la saisie, de donner l’ordre de vendre les valeurs mobilières saisies. Ce délai offre une marge de manœuvre permettant au débiteur de conserver une certaine maîtrise sur la gestion de ses actifs, tout en répondant aux impératifs de la procédure. Il est précisé que « le produit de la vente est indisponible entre les mains de l’intermédiaire habilité pour être affecté spécialement au paiement du créancier ». Cette indisponibilité garantit que les créanciers bénéficient en priorité du produit de la vente, protégeant ainsi leurs droits. En cas de vente excédant les sommes nécessaires pour désintéresser les créanciers, « l’indisponibilité cesse pour le surplus des valeurs mobilières saisies », restituant ainsi le solde au débiteur.

En second lieu, l’article R. 233-4 précise que, jusqu’à la réalisation de la vente forcée, le débiteur conserve la possibilité d’indiquer au tiers saisi l’ordre dans lequel les valeurs mobilières doivent être vendues. Ce pouvoir de priorisation permet d’optimiser la cession des actifs en fonction des préférences ou des contraintes économiques du débiteur. À défaut d’instruction expresse, « aucune contestation n’est recevable sur leur choix », ce qui confère à l’intermédiaire habilité une liberté d’exécution nécessaire à l’efficacité de la procédure.

Le déroulement de la procédure s’articule autour des étapes suivantes :

  • Signification de la saisie au débiteur : cette étape marque le point de départ du délai d’un mois imparti au débiteur pour donner l’ordre de vente des valeurs mobilières saisies, conformément à l’article R. 233-3.
  • Instruction de la vente par le débiteur : le débiteur peut ordonner la vente des valeurs mobilières, en précisant si nécessaire l’ordre dans lequel elles doivent être cédées, en application des articles R. 233-3 et R. 233-4.
  • Vente des valeurs mobilières : l’intermédiaire habilité procède à la vente selon les instructions du débiteur ou, à défaut, selon sa propre appréciation. Les produits de la vente sont indisponibles jusqu’à ce que les créanciers soient désintéressés.
  • Affectation des fonds : le produit de la vente est affecté prioritairement au paiement des créanciers. En cas d’excédent, le surplus est restitué au débiteur, mettant fin à l’indisponibilité.

==>Les valeurs mobilières non admises aux négociations sur un marché réglementé ou sur un système multilatéral de négociation

La licitation des valeurs mobilières non admises aux négociations sur des marchés réglementés ou des systèmes multilatéraux de négociation est régie par les articles R. 233-5 à R. 233-9 du Code des procédures civiles d’exécution. 

  • Tentative de vente amiable préalable
    • Conformément à l’article R. 233-5, la procédure débute par une tentative de vente amiable des valeurs mobilières. 
    • Si cette vente ne peut être réalisée dans les conditions prévues aux articles R. 221-30 à R. 221-32, une adjudication judiciaire est alors ordonnée. 
    • Cette étape préalable reflète une volonté de privilégier les solutions consensuelles et de réduire les coûts et les délais associés à une vente judiciaire.
  • Élaboration d’un cahier des charges
    • Avant la mise en vente, un cahier des charges doit être établi en application de l’article R. 233-6. Ce document joue un rôle central dans la procédure, car il contient :
      • Les statuts de la société concernée, afin de permettre une évaluation précise des droits mis en vente.
      • Tout document nécessaire à l’appréciation de la consistance et de la valeur des droits, garantissant ainsi la transparence des informations fournies aux enchérisseurs potentiels. 
    • Il peut être observé que les conventions instituant un agrément ou créant un droit de préférence au profit des associés ne s’imposent à l’adjudicataire que si elles figurent expressément dans le cahier des charges. 
  • Notification du cahier des charges
    • L’article R. 233-7 impose la notification du cahier des charges à la société concernée, qui doit à son tour en informer les associés.
    • Simultanément, une sommation est notifiée aux créanciers opposants, leur permettant de consulter le cahier des charges et, le cas échéant, de formuler des observations sur son contenu. 
    • Ces observations doivent être faites dans un délai de deux mois suivant la notification initiale, après quoi elles ne sont plus recevables. 
    • Ce mécanisme garantit que tous les intéressés disposent d’une opportunité équitable de participer au processus.
  • Publicité de la vente
    • Une fois le cahier des charges validé, une publicité de la vente est organisée conformément à l’article R. 233-8. 
    • Cette publicité doit indiquer les jour, heure et lieu de l’adjudication et est réalisée par voie de presse, voire par affichage si nécessaire. 
    • Elle doit être effectuée dans un délai compris entre quinze jours et un mois avant la date fixée pour la vente. 
    • Par ailleurs, le débiteur, la société et les créanciers opposants doivent être informés de cette date par notification individuelle.
  • Mise en œuvre des mécanismes conventionnels spécifiques
    • Avant l’adjudication, les mécanismes légaux ou conventionnels d’agrément, de préemption ou de substitution sont mis en œuvre conformément à l’article R. 233-9. 
    • Ces mécanismes permettent aux associés ou aux créanciers d’exercer leurs droits conformément aux statuts de la société ou aux conventions en vigueur.
  • Adjudication
    • L’adjudication elle-même suit les principes généraux des ventes judiciaires. 
    • L’adjudicataire, une fois déclaré, devient titulaire des droits incorporels cédés, sous réserve des restrictions éventuelles mentionnées dans le cahier des charges. 
    • Cette étape clôt la procédure et permet d’affecter le produit de la vente au paiement des créanciers, dans le respect des priorités établies.

b. La licitation des immeubles

L’article 1377, alinéa 2 du Code de procédure civile prévoit que « la vente est faite, pour les immeubles, selon les règles prévues aux articles 1271 à 1281 ». Ainsi, la licitation des immeubles dans le cadre d’un partage judiciaire est encadrée par des règles qui établissent un régime spécifique hérité de la tradition juridique antérieure, notamment de l’article 972 de l’ancien Code de procédure civile. Ce dernier renvoyait aux articles 953 et suivants lesquels régissaient la vente des biens immobiliers appartenant à des mineurs, reflétant déjà une volonté de protéger les intérêts des parties les plus vulnérables.

Ces dispositions, désormais modernisées, s’appliquent à la vente judiciaire des immeubles indivis, qu’ils appartiennent à des mineurs, à des majeurs en tutelle ou à plusieurs indivisaires dans le cadre d’un partage. Elles traduisent une continuité dans la recherche d’un équilibre entre la nécessité de mettre fin à l’indivision et la garantie d’une procédure équitable et sécurisée pour toutes les parties. 

i. Détermination des modalités de la vente

Conformément à l’article 1272 du Code de procédure civile, la licitation des biens immobiliers peut être réalisée soit à l’audience des criées, sous la supervision d’un juge désigné, soit devant un notaire commis à cet effet par le tribunal. Ce choix de modalité incombe au tribunal, qui dispose d’un pouvoir discrétionnaire, lui permettant d’opter pour l’une ou l’autre de ces solutions en fonction des circonstances et des intérêts en présence. Ce pouvoir, largement reconnu par la jurisprudence (Cass. civ., 20 janv. 1880, DP 1880, 1, p. 161), dispense le juge de motiver sa décision quant à la désignation d’un notaire ou à la tenue des enchères au tribunal.

Toutefois, une limite s’impose à ce pouvoir discrétionnaire. Lorsque tous les indivisaires, capables et présents, s’accordent unanimement pour demander une vente devant notaire, le tribunal est tenu de respecter cette demande, y compris en ce qui concerne le choix du notaire. Cette prérogative des indivisaires s’inscrit dans une logique de respect de la volonté collective des parties et s’applique indépendamment de la complexité de la situation ou de la nature des biens concernés.

En l’absence d’accord entre les indivisaires, le tribunal conserve l’entière maîtrise des modalités de la vente. Il peut notamment désigner un ou plusieurs notaires pour superviser la licitation. Lorsqu’il commet deux notaires, sans leur attribuer de mission particulière, ces derniers doivent agir de manière concertée. Ils ne peuvent agir indépendamment l’un de l’autre, notamment pour des actes aussi fondamentaux que l’établissement du cahier des charges. Cette exigence vise à garantir une parfaite régularité des opérations.

L’absence d’un notaire dans un tel cadre ne saurait être régularisée par la seule présence de témoins. Toutefois, il a été jugé que le cahier des charges établi par un notaire unique, bien que deux notaires aient été initialement désignés, reste valable dès lors que l’autre partie et son notaire s’étaient volontairement abstenus de comparaître (CA Rennes, 10 juill. 1957).

Le tribunal conserve par ailleurs un pouvoir discrétionnaire concernant le remplacement des notaires désignés. Ainsi, en cas de décès ou d’empêchement d’un notaire, il peut nommer un autre notaire ou, s’il en a désigné plusieurs avec une hiérarchie entre eux, intervertir les rôles initialement définis (Cass. 1ère civ., 9 janv. 1979, n°76-10.880).

Le choix entre la licitation à la barre du tribunal et celle devant notaire repose souvent sur des considérations pratiques. La licitation judiciaire, en raison des garanties procédurales qu’elle offre, est généralement privilégiée lorsqu’il existe des indivisaires mineurs ou incapables. À l’inverse, la licitation devant notaire tend à être plus attractive pour les tiers enchérisseurs, notamment lorsque l’étude notariale est située à proximité du bien immobilier concerné. Ce cadre flexible permet ainsi d’adapter les modalités de la procédure à l’intérêt des indivisaires et aux spécificités de chaque dossier.

ii. Fixation des conditions de vente

Une fois la licitation des biens immobiliers ordonnée, le tribunal est chargé de fixer les conditions essentielles de la vente. Conformément à l’article 1273 du Code de procédure civile, cette prérogative intéresse principalement la détermination de la mise à prix de chaque bien concerné. Le tribunal peut également prévoir que, si aucune enchère n’atteint cette mise à prix initiale, la vente puisse s’effectuer sur une mise à prix inférieure, qu’il fixe lui-même. Ce mécanisme, souvent étagé, vise à garantir la réalisation effective de la vente tout en préservant au mieux les intérêts des indivisaires.

La mise à prix constitue un élément central de la procédure de licitation. Elle correspond au montant minimum à partir duquel les enchères peuvent débuter. Si les indivisaires, tous capables et présents, s’accordent à l’unanimité sur les conditions de la vente, ils peuvent convenir eux-mêmes de cette mise à prix et des modalités y afférentes. Cependant, en l’absence d’un tel accord, il revient au tribunal de trancher et de fixer les conditions de manière souveraine (art. 1377, al. 1er CPC).

Dans l’exercice de cette prérogative, le tribunal dispose d’un large pouvoir d’appréciation. Il peut, par exemple, décider que la mise à prix initiale pourra être abaissée en cas d’absence d’enchères atteignant ce montant. Ce mécanisme progressif, par paliers successifs (par exemple, un quart ou une moitié en moins), est conçu pour assurer l’attractivité de la vente tout en veillant à ne pas sacrifier la valeur des biens (Cass. 1re civ., 23 juill. 1979, n°78-10.067).

Pour fixer une mise à prix réaliste et adaptée, le tribunal peut ordonner une estimation totale ou partielle des biens si leur consistance ou leur valeur le justifie (art. 1273, al. 2 CPC). Cette mesure est néanmoins facultative et relève de la seule appréciation du juge. Ainsi, le tribunal n’est pas tenu d’ordonner une expertise, même si elle est sollicitée, ni de se conformer aux conclusions du rapport d’un expert lorsqu’il en a désigné un (Cass. 1ère civ., 2 mars 1966). 

En tout état de cause, la fixation des conditions de vente par le tribunal doit reposer sur une analyse, au cas par cas, des circonstances. L’objectif est d’assurer une juste valorisation des biens indivis tout en facilitant leur réalisation lors de la vente. Cette démarche équilibrée tient compte des intérêts des indivisaires et de l’attractivité nécessaire pour susciter l’intérêt des enchérisseurs.

iii. L’établissement du cahier des charges

Le cahier des charges, pièce essentielle de la procédure de licitation, constitue le cadre juridique définissant les modalités de la vente et les engagements des parties. Prévu par l’article 1275 du Code de procédure civile, il doit être établi avec rigueur, car il devient la « loi des parties » une fois déposé. Ce document, obligatoire selon la jurisprudence (Cass. 3e civ., 27 févr. 2002, n°00-15.317), joue un rôle central en structurant les étapes de la vente, garantissant ainsi la transparence et l’équité de la procédure.

==>La rédaction du cahier des charges

Le rédacteur du cahier des charges est désigné en fonction de la modalité choisie pour la licitation :

  • Licitation à l’audience des criées : dans ce cas, l’avocat représentant le copartageant à l’origine de la procédure est chargé de la rédaction. Il lui revient de déposer le cahier des charges au greffe du tribunal, conformément aux règles procédurales applicables. Ce dépôt garantit l’accessibilité du document à toutes les parties intéressées, notamment les autres indivisaires.
  • Licitation devant notaire : lorsque la vente est confiée à un notaire commis par le tribunal, c’est à ce dernier que revient la responsabilité de rédiger le cahier des charges. Cette attribution est cohérente avec les missions du notaire en tant qu’officier public, garantissant la régularité et la sécurité juridique des opérations.

S’agissant du contenu du cahier des charges, il est déterminé par les parties lorsqu’elles parviennent à un accord unanime. À défaut d’un tel accord, il appartient au tribunal de fixer les conditions essentielles de la vente dans son jugement. Ce document doit obligatoirement comporter les éléments suivants :

  • Le jugement ayant ordonné la vente : cette mention permet d’identifier précisément la base légale et la décision judiciaire ayant autorisé la licitation.
  • La description détaillée des biens à vendre : le cahier des charges doit fournir une description précise et exhaustive des biens concernés, y compris leur nature, leur situation géographique et, le cas échéant, leur état locatif. Cette exigence vise à garantir que les enchérisseurs potentiels disposent de toutes les informations nécessaires pour évaluer les biens et formuler des offres éclairées.
  • La mise à prix et les conditions essentielles de la vente : le document doit préciser le montant de la mise à prix fixé par le tribunal ou convenu par les parties, ainsi que les modalités de l’adjudication. Ces conditions incluent notamment les délais de paiement et les éventuelles garanties exigées des enchérisseurs.
  • Vente d’un fonds de commerce : lorsque la vente porte sur un fonds de commerce, le cahier des charges spécifie la nature et la situation tant du fonds que des divers éléments qui le composent, ainsi que les obligations qui seront imposées à l’acquéreur, notamment quant aux marchandises qui garnissent le fonds.

==>La mie à disposition du cahier des charges

Une fois rédigé, le cahier des charges devient un élément essentiel de la procédure de licitation, car il formalise les conditions de vente et sert de référence pour toutes les parties impliquées. Sa mise à disposition est encadrée de manière à garantir une transparence totale et à permettre aux indivisaires, ainsi qu’à tout tiers intéressé, de participer efficacement à la procédure.

Le mode de dépôt ou de mise à disposition du cahier des charges dépend de la modalité de licitation choisie :

  • Dans le cadre d’une licitation à la barre : lorsque la vente a lieu à l’audience des criées, le cahier des charges est déposé au greffe du tribunal. Ce dépôt revêt une importance particulière, car il permet à toutes les parties concernées de prendre connaissance des termes de la vente avant que les enchères ne soient réalisées. Il garantit ainsi l’équité procédurale en offrant à chaque indivisaire une possibilité d’examen des conditions fixées.
  • Dans le cadre d’une licitation devant notaire : lorsque la vente est organisée par un notaire, le cahier des charges est tenu à disposition dans l’étude notariale. Cette modalité, plus flexible, permet une consultation directe par les indivisaires ou par les tiers intéressés, qui peuvent se rendre chez le notaire pour en prendre connaissance. Cela est particulièrement avantageux lorsque le notaire est situé à proximité des biens à vendre, facilitant ainsi l’accès à l’information pour les personnes concernées.

Dans les deux cas, l’objectif de cette mise à disposition est de garantir une information complète et accessible, tout en permettant aux parties de préparer leur éventuelle participation aux enchères ou d’émettre des observations sur le contenu du cahier des charges.

Historiquement, l’ancien article 973 du Code de procédure civile imposait une sommation formelle aux copartageants de prendre connaissance du cahier des charges dans un délai de huit jours suivant son dépôt. Cette disposition visait à instituer une procédure rigoureuse, offrant un cadre temporel précis pour s’assurer que chaque partie avait été informée des conditions de la vente et pouvait, en cas de désaccord, soulever des observations ou contestations.

En cas de difficulté ou de litige concernant le cahier des charges, les contestations étaient réglées à l’audience, permettant au tribunal d’intervenir pour trancher les désaccords. Cette procédure renforçait la sécurité juridique et offrait une voie directe de résolution des différends avant la tenue des enchères.

Cependant, cette exigence de sommation formelle n’a pas été reprise dans les textes actuels. Son absence a été critiquée, car elle laisse une zone d’incertitude quant à la manière dont les parties doivent être informées. En pratique, cette lacune impose désormais aux tribunaux une responsabilité accrue pour s’assurer que les indivisaires et les autres parties intéressées soient dûment informés et disposent d’une possibilité effective de consultation.

Bien que les textes actuels ne prévoient plus de sommation formelle, la nécessité d’informer les parties reste une exigence implicite. Les juridictions, en particulier dans le cadre des licitations à la barre, veillent à ce que les copartageants soient informés de la mise à disposition du cahier des charges et disposent d’un délai raisonnable pour en prendre connaissance.

Il est souvent palier à ce silence textuel par les pratiques notariales ou judiciaires. Les notaires, par exemple, adoptent des mesures pratiques pour garantir l’accessibilité du cahier des charges, notamment en informant directement les indivisaires ou en utilisant des moyens de communication modernes comme les courriers électroniques. De même, les greffes des tribunaux facilitent la consultation des documents déposés.

Le cahier des charges, en plus de constituer un cadre pour la vente, permet aux indivisaires et aux tiers intéressés d’exercer pleinement leurs droits. Sa consultation préalable est cruciale pour que les parties puissent :

  • Vérifier les conditions de la vente et la mise à prix fixée ;
  • Identifier les éventuelles erreurs ou omissions dans la description des biens ;
  • Proposer des rectifications ou formuler des observations avant l’enchère.

Les éventuels désaccords ou observations des parties peuvent être soumis au tribunal ou au notaire, selon la modalité de licitation choisie, avant la finalisation de la vente. Ainsi, le cahier des charges joue un rôle non seulement informatif, mais également participatif, en permettant aux parties de contribuer au bon déroulement de la procédure.

==>La force obligatoire du cahier des charges

Il est admis que le cahier des charges s’analyse comme une véritable offre de vente formulée aux conditions qu’il définit, son acceptation par l’adjudicataire entraînant la formation du contrat (art. 1103 C. civ.). Ce document, qui fixe les règles et conditions essentielles de la vente, tient ainsi lieu de « loi aux parties » et ne peut être modifié unilatéralement après son dépôt.

En effet, une fois déposé au greffe ou tenu à disposition dans l’étude notariale, le cahier des charges acquiert une force obligatoire. En conséquence, aucun copartageant ne peut le modifier de manière unilatérale. Cette règle a été consacrée par la jurisprudence, qui a affirmé que toute tentative de modification sans l’accord des autres parties est nulle et non avenue (Cass. 1re civ., 27 janv. 1998, n°95-15.296). 

Toutefois, avant qu’il ne devienne définitif, le cahier des charges n’est qu’un projet, soumis à l’approbation des indivisaires. Cette étape préliminaire permet aux parties de proposer des rectifications légitimes, lesquelles doivent être intégrées, sous réserve d’un consensus. En cas de désaccord persistant entre les indivisaires, ces rectifications peuvent être soumises à l’appréciation du tribunal, qui tranchera la question.

Le notaire ou l’avocat chargé de la rédaction du cahier des charges agit comme mandataire des parties. À ce titre, il doit prendre en considération la volonté collective des indivisaires et veiller à exprimer fidèlement leurs intérêts communs. Bien qu’il dispose d’une certaine autonomie dans la rédaction du document, il a l’obligation d’accueillir favorablement toute demande de modification justifiée par l’un des indivisaires et de consulter les autres parties sur ces propositions.

Ce rôle de mandataire implique également une responsabilité en cas d’omission ou d’erreur dans le cahier des charges. Si le rédacteur néglige de prendre en compte des observations légitimes ou ne respecte pas les exigences légales, les parties concernées peuvent solliciter une révision du document ou engager sa responsabilité.

La jurisprudence, notamment par un arrêt de la Cour de cassation du 25 octobre 1972, a rappelé qu’il est possible, même après qu’une décision irrévocable a ordonné une licitation, de demander la stipulation d’une clause dans le cahier des charges, sous réserve que cette demande ne porte pas sur un point ayant acquis l’autorité de la chose jugée (Cass. 1ère civ., 25 oct. 1972, n°71-11.018).

Dans cette affaire, la Cour d’appel avait rejeté une demande d’ajout d’une clause d’attribution préférentielle d’une villa au motif qu’un arrêt antérieur, devenu irrévocable, avait ordonné une licitation « pure et simple ». Toutefois, la Cour de cassation a censuré cette position en considérant que l’arrêt antérieur n’avait pas statué sur la question de l’attribution préférentielle et ne pouvait donc avoir autorité de chose jugée sur ce point. Elle a précisé que l’autorité de la chose jugée ne s’applique qu’aux éléments expressément tranchés par la décision initiale, laissant ainsi la possibilité d’adapter le cahier des charges à des éléments non réglés dans le jugement de licitation.

Cette souplesse dans l’élaboration ou la modification du cahier des charges est toutefois encadrée par des limites strictes. Une fois la licitation réalisée, les possibilités de modification deviennent considérablement réduites. Par exemple, une clause stipulée au profit d’un indivisaire mais non approuvée par les autres copartageants ne peut leur être imposée. Cette position a été clairement établie par la jurisprudence (Cass. Com., 4 févr. 1970, n° 68-11.811).

En outre, une « déclaration d’adjudicataire » déposée après l’adjudication, sans être reprise dans le cahier des charges, est considérée comme nulle. La Cour de cassation, dans un arrêt du 27 janvier 1998 a fermement rappelé que le cahier des charges fait la loi des parties (Cass. 1ère civ. 1re, 27 janv. 1998, n°95-15.296). En l’espèce, une déclaration déposée postérieurement à l’adjudication, par laquelle certains indivisaires tentaient de modifier les modalités de la vente pour prévoir une attribution à titre de partage et non de licitation, n’a pas été reconnue comme valable.

La Haute juridiction a souligné que le cahier des charges, qui fixe les conditions essentielles de la vente, est un document juridiquement contraignant. Une fois adopté, il constitue un cadre immuable qui ne peut être modifié que dans les formes prévues par la procédure. La « déclaration d’adjudicataire » en question, déposée après l’adjudication, n’ayant pas été reprise dans le cahier des charges avant cette dernière, n’avait donc aucune valeur juridique et ne pouvait être opposée ni aux autres indivisaires ni au nouvel adjudicataire.

En refusant de donner effet à cette déclaration tardive, la Cour de cassation a réaffirmé non seulement la force obligatoire du cahier des charges, mais également l’exigence de rigueur et de sécurité juridique qui préside à la procédure de licitation. En effet, permettre de telles modifications après coup compromettrait l’équité entre les parties et ouvrirait la voie à des contestations pouvant déstabiliser le processus de vente.

Ainsi, cette solution, protectrice des droits des parties, garantit que les termes de la vente restent inchangés après leur adoption, conformément au principe de force obligatoire des conventions (art. 1103 C. civ.). En l’absence de toute stipulation préalable dans le cahier des charges, une déclaration postérieure ne saurait avoir d’effet juridique, quel que soit son contenu ou les intentions des parties concernées.

==>Les clauses spécifiques du cahier des charges

Le cahier des charges peut comporter des clauses spécifiques destinées à encadrer la procédure et à clarifier les droits des parties. Parmi celles-ci, deux clauses méritent une attention particulière : la clause de substitution et la mention relative à l’état locatif des biens.

  • La clause de substitution
    • La clause de substitution permet à un indivisaire de se substituer à l’adjudicataire tiers dans un délai déterminé, sous réserve des conditions précisées dans le cahier des charges. 
    • Cette clause, parfaitement licite au regard de l’article 1102 du Code civil, s’analyse en un prolongement des droits de substitution déjà prévus par l’article 815-15 du Code civil. 
    • Tandis que ce dernier s’applique uniquement lorsque l’adjudication porte sur les droits indivis d’un indivisaire, la clause stipulée dans le cahier des charges peut élargir ce droit à l’ensemble des biens indivis.
    • La jurisprudence a confirmé la validité de cette clause, en précisant qu’elle doit figurer dans le cahier des charges pour produire ses effets. 
    • Ainsi, dans un arrêt du 17 mars 2010, il a été jugé par la Cour de cassation que « le cahier des charges faisant la loi des parties à l’adjudication », une clause de substitution figurant dans celui-ci est parfaitement valable (Cass. 1ère civ., 17 mars 2010, n°08-21.554). 
    • A cet égard, lorsque plusieurs indivisaires invoquent la clause, la substitution est accordée à celui qui en fait la demande en premier, conformément au principe prior tempore potior jure (Cass. 1ère civ., 7 oct. 1997, n°95-17.071).
    • Enfin, le cahier des charges peut exiger le dépôt préalable du prix d’adjudication par l’indivisaire souhaitant exercer la substitution (Cass. 2e civ., 6 oct. 1993, n°90-18.590). 
    • Cette condition vise à prévenir toute contestation ultérieure et à garantir la sécurité de la transaction.
  • La mention relative à l’état locatif des biens
    • Le cahier des charges doit également comporter une mention sur l’état locatif des biens, en application de l’article 1112-1 du Code civil. 
    • Cette obligation d’information permet à l’adjudicataire de connaître l’existence éventuelle de baux en cours, ceux-ci étant opposables, même s’ils ont été conclus par un seul des indivisaires (Cass. 1ère civ., 19 mars 1991, n°89-20.352).
    • La jurisprudence a fermement établi qu’un bail régulièrement consenti par un indivisaire engage l’adjudicataire, lequel devra le respecter (Cass. 1ère civ., 18 juin 1973, n° 72-11.239).
    • En revanche, si un doute persiste quant aux droits du locataire, notamment en cas de contentieux en cours, une mention explicative doit figurer dans le cahier des charges (Cass. 2e civ., 13 nov. 1959).
    • Par ailleurs, l’absence d’une telle mention dans le cahier des charges pourrait engager la responsabilité du rédacteur si elle entraîne un préjudice pour l’adjudicataire. 
    • Toutefois, cette responsabilité ne saurait être retenue si l’adjudicataire avait connaissance de l’existence du bail (Cass. 1ère civ., 26 nov. 1996, n°94-20.334).

iv. La publicité de la vente

La publicité de la vente est une étape importante de la procédure de licitation, car elle vise à garantir à la fois la transparence et une concurrence loyale entre les enchérisseurs potentiels. Elle est encadrée par l’article 1274 du Code de procédure civile, qui confère au tribunal la mission de déterminer les modalités de cette publicité en tenant compte de trois critères : la valeur, la nature et la situation des biens concernés.

==>Les critères d’appréciation du juge

Le tribunal exerce un pouvoir discrétionnaire pour adapter les modalités de publicité aux spécificités du bien à vendre. Ainsi, il doit tenir compte : 

  • De la valeur du bien : un bien immobilier de grande valeur peut nécessiter une publicité plus large, par exemple au niveau national, afin d’attirer des acquéreurs disposant des ressources nécessaires. À l’inverse, pour un bien de moindre valeur, une publicité locale peut suffire.
  • De la nature du bien : un immeuble résidentiel, un local commercial ou un terrain nu n’attireront pas le même type d’enchérisseurs. Le choix des supports publicitaires doit donc être adapté au public cible.
  • De la situation géographique des biens : les biens situés dans des zones rurales, moins fréquentées, peuvent nécessiter une publicité étendue pour compenser leur faible visibilité locale, tandis que les biens situés en centre-ville peuvent bénéficier d’une couverture plus ciblée.

==>Les formes de publicité

En pratique, la publicité prend des formes variées, définies en fonction des critères précités et des usages locaux. 

Elle inclut généralement :

  • Des annonces dans des journaux : les annonces légales publiées dans des journaux spécialisés ou locaux constituent une méthode classique de publicité. Ces annonces doivent préciser les informations essentielles, telles que la description du bien, la mise à prix, la date et le lieu de l’adjudication.
  • Des affiches : l’apposition d’affiches sur les lieux du bien est également une méthode fréquente, permettant d’informer les riverains et les passants.
  • D’autres moyens adaptés : le tribunal peut également prescrire l’utilisation de supports numériques, comme des annonces sur des sites spécialisés dans les ventes immobilières, ou encore des campagnes de diffusion via des agences immobilières.

==>Finalité de la publicité

La principale finalité de la publicité est de garantir une information large et accessible, afin d’attirer un maximum d’enchérisseurs potentiels. Cette mise en concurrence permet de maximiser le prix obtenu lors de la vente, ce qui est dans l’intérêt des indivisaires. En outre, la publicité renforce la transparence de la procédure, en minimisant les risques de contestation liés à un manque d’information.

==>Contrôle des mesures de publicité

Le tribunal joue un rôle central dans le contrôle de la publicité. Il peut, si nécessaire, exiger des preuves de la réalisation des mesures publicitaires prescrites, comme des attestations de publication ou des photographies des affiches apposées. 

En cas de manquement aux modalités fixées, la procédure de vente pourrait être annulée, mettant en jeu la responsabilité du rédacteur du cahier des charges ou des officiers publics impliqués.

v. L’information des indivisaires

L’article 1276 du Code de procédure civile institue une obligation d’informer les indivisaires de la vente d’un bien indivis au moins un mois avant la réalisation de cette dernière. 

Cette notification de la vente aux indivisaires conditionne la régularité de la procédure. Elle vise à garantir que chaque indivisaire, qu’il soit présent ou absent, puisse prendre connaissance de l’opération envisagée et exercer ses droits, notamment celui de contester ou d’intervenir dans la procédure. En effet, la vente d’un bien indivis affecte directement les droits patrimoniaux des indivisaires, qui détiennent chacun une quote-part dans l’indivision.

Le délai d’un mois prévu par l’article 1276 constitue un minimum légal, permettant à chaque indivisaire de disposer du temps nécessaire pour évaluer l’opération, solliciter des conseils juridiques ou formuler d’éventuelles observations. Ce délai doit être strictement respecté, sous peine de nullité de la procédure.

Le soin de notifier la vente aux indivisaires incombe au rédacteur du cahier des charges, généralement un notaire ou un avocat désigné dans le cadre de la procédure. Ce professionnel a une mission essentielle : veiller à ce que tous les indivisaires, sans exception, soient informés de manière claire et précise. Cette notification doit mentionner les éléments suivants :

  • La date et le lieu de la vente ;
  • Les modalités de cette dernière (vente amiable ou vente judiciaire) ;
  • Les informations relatives au bien vendu (descriptif, mise à prix, etc.) ;
  • Les droits dont disposent les indivisaires, notamment la possibilité d’en contester les conditions.

Le rédacteur du cahier des charges doit s’assurer que la notification soit effectuée par un moyen permettant d’en garantir la réception, par exemple par lettre recommandée avec accusé de réception ou par acte d’huissier. En cas de difficulté, notamment en cas d’indivisaires introuvables ou absents, le professionnel peut solliciter l’autorisation du juge afin de procéder à une notification par voie de publication ou par tout autre moyen adapté.

L’absence ou l’insuffisance de la notification peut entraîner de lourdes conséquences juridiques. En cas de non-respect de cette obligation, l’indivisaire lésé dispose d’un recours en annulation de la vente. La jurisprudence est constante sur ce point, estimant que toute atteinte aux droits procéduraux des indivisaires constitue une irrégularité substantielle.

En outre, l’absence de notification peut également engager la responsabilité civile du rédacteur du cahier des charges, si ce manquement cause un préjudice aux indivisaires. Par exemple, si la vente est annulée en raison de cette irrégularité, les frais supplémentaires engagés pourront être réclamés au professionnel défaillant.

Dans les situations où les indivisaires sont en conflit ou en cas de difficulté particulière dans la gestion de l’indivision, cette obligation d’information revêt une importance particulière. Elle permet d’éviter que certains indivisaires ne soient écartés des décisions importantes et garantit que la vente s’effectue dans des conditions transparentes et conformes aux règles légales.

vi. La procédure d’adjudication

L’adjudication d’un bien indivis, qu’elle soit réalisée à la barre du tribunal ou devant un notaire, constitue une étape cruciale du processus de vente. Régie par les articles 1277 et 1278 du Code de procédure civile ainsi que par les dispositions spécifiques du Code des procédures civiles d’exécution, cette phase requiert un respect rigoureux des règles de publicité et des formalités prescrites. Ces règles, empruntées à la saisie immobilière, visent à garantir la transparence et l’équité de la procédure tout en protégeant les intérêts des parties concernées.

==>Les règles générales d’adjudication

  • Les modalités d’adjudication
    • L’adjudication se tient selon les modalités fixées par le tribunal dans le cadre de la vente en indivision. Elle peut se dérouler dans deux contextes distincts :
      • À l’audience des criées : les enchères doivent être portées par le ministère d’un avocat, conformément à l’article R. 322-40 du Code des procédures civiles d’exécution. L’avocat, en sa qualité de mandataire de l’acheteur, ne peut être porteur que d’un seul mandat, ce qui garantit l’intégrité et l’indépendance de la procédure.
      • Devant un notaire : dans ce cas, les enchères peuvent être reçues directement par ce dernier, sans que le recours au ministère d’un avocat soit requis (CPC, art. 1278, al. 2). Ce mécanisme vise à simplifier la procédure tout en assurant la sécurité juridique grâce à l’intervention d’un officier public.
  • La capacité des enchérisseurs
    • L’article R. 322-39 du Code des procédures civiles d’exécution (CPCE) établit des restrictions quant aux personnes pouvant participer aux enchères publiques lors d’une procédure d’adjudication. 
    • Ces restrictions visent à prévenir les conflits d’intérêts, à protéger l’intégrité de la procédure et à maintenir la confiance des parties impliquées et du public dans la transparence des opérations.
    • Au nombre des personnes frappées d’une encapacité de participer aux enchères figurent :
      • Le débiteur saisi
        • Le débiteur saisi est interdit de participer aux enchères, que ce soit directement ou par personne interposée. 
        • Cette interdiction s’applique essentiellement dans le cadre des ventes sur saisie immobilière mais peut être étendue par analogie aux ventes en licitation judiciaire lorsqu’un indivisaire demande la vente.
        • Cette incapacité vise à éviter que le débiteur, tenu de vendre ses biens pour apurer ses dettes ou régler une situation d’indivision, ne puisse racheter son propre bien pour échapper à l’obligation de paiement.
        • Une telle participation compromettrait la finalité de la procédure, qui est d’organiser une redistribution équitable du produit de la vente entre créanciers ou indivisaires.
      • Les auxiliaires de justice ayant participé à la procédure
        • Les auxiliaires de justice étant intervenu dans la procédure à un quelconque titre (avocats, notaires, huissiers, ou même mandataires judiciaires) sont également frappés d’une incapacité de participer aux enchères.
        • Cette interdiction s’explique par leur rôle central dans le bon déroulement de la procédure : ces professionnels doivent garantir l’impartialité et l’équilibre entre les parties.
        • Une participation de leur part serait perçue comme contraire à leur obligation de neutralité et pourrait engendrer des soupçons de conflit d’intérêts ou de favoritisme.
        • Exemple : un avocat qui a rédigé le cahier des charges ou représenté une des parties dans la procédure pourrait être accusé d’avoir utilisé ses connaissances privilégiées pour influencer ou manipuler le processus.
      • Les magistrats de la juridiction ayant ordonné la vente
        • Les magistrats ayant pris part à la juridiction où la vente a été ordonnée ou supervisée sont également exclus des enchères.
        • Cette incapacité découle directement des principes de séparation des pouvoirs et d’impartialité de la justice.
        • Permettre à un magistrat de participer aux enchères soulèverait des doutes sur la légitimité des décisions rendues, notamment en cas de fixation d’une mise à prix jugée favorable ou d’autres conditions de vente.
    • La participation d’une personne frappée d’incapacité peut entraîner des conséquences importantes :
        • Nullité de l’enchère et de l’adjudication : toute enchère portée par une personne incapable est frappée de nullité (articles R. 322-48 et R. 322-49 du CPCE).
        • Responsabilité disciplinaire ou pénale : Pour les auxiliaires de justice ou magistrats, une telle participation pourrait donner lieu à des poursuites disciplinaires pour manquement à leurs obligations professionnelles, voire à des sanctions pénales en cas de collusion ou d’abus de fonction.
  • La représentation des enchérisseurs
    • La représentation des enchérisseurs lors d’une adjudication diffère selon que la procédure se déroule devant le tribunal ou devant un notaire. 
      • Ministère obligatoire d’un avocat devant le tribunal
        • Lorsqu’une adjudication se déroule à la barre du tribunal, les enchères doivent obligatoirement être portées par le ministère d’un avocat inscrit au barreau du tribunal judiciaire compétent. Cette obligation poursuit plusieurs objectifs essentiels :
          • Garantir la sécurité juridique : l’avocat, en tant que professionnel du droit, maîtrise les règles de la procédure et peut éviter à son mandant des erreurs susceptibles d’entraîner la nullité des enchères ou des contestations.
          • Assurer la transparence et l’équité de la procédure : en n’autorisant qu’un avocat par enchérisseur, le législateur prévient tout conflit d’intérêts ou stratégie dilatoire. En effet, l’article R. 322-40 du CPCE stipule que l’avocat ne peut représenter qu’un seul client, ce qui garantit l’impartialité des enchères.
          • Encadrer les garanties financières : avant de porter une enchère, l’avocat doit se faire remettre par son client une caution bancaire ou un chèque de banque couvrant au moins 10 % de la mise à prix, conformément à l’article R. 322-41 du CPCE.
        • Cette garantie vise à éviter que des enchères soient portées par des personnes insolvables.
        • L’avocat agit en qualité de mandataire exclusif de l’enchérisseur.
        • A cet égard, il est responsable de vérifier que son mandant respecte les exigences de capacité (articles R. 322-39 et R. 322-41-1 du CPCE) et qu’il dispose des moyens financiers nécessaires.
        • À l’issue de l’audience, il déclare au greffier l’identité de son mandant et fournit les documents requis, notamment les attestations de capacité ou de garanties financières (article R. 322-46 du CPCE).
      • Dispense de représentation par avocat devant le notaire
        • En application de l’article 1278, alinéa 2, du Code de procédure civile, les enchères portées devant un notaire ne nécessitent pas le ministère d’un avocat. 
        • La raison en est que les enchères devant un notaire sont souvent moins formelles que celles organisées par un tribunal.
        • Par ailleurs, en tant qu’officier public, le notaire est lui-même garant de la sécurité juridique et peut remplir certaines fonctions qu’un avocat aurait assumées devant le tribunal.
        • En outre, lorsqu’une licitation judiciaire est organisée devant un notaire, les participants sont souvent limités aux indivisaires ou à des tiers connus, ce qui réduit le risque de contentieux.
        • Bien que le ministère d’avocat ne soit pas obligatoire, le notaire doit veiller à l’application des règles essentielles, notamment :
          • Le respect des dispositions prévues dans le cahier des charges.
          • Le respect des garanties financières prévues à l’article R. 322-41 du CPCE ;
          • L’application des règles d’incapacité posées par l’article R. 322-39 du CPCE, excluant notamment les magistrats et auxiliaires de justice impliqués dans la procédure.
        • Enfin, c’est au notaire, qu’il incombe de rédiger le procès-verbal d’adjudication, qui constitue la base du titre de propriété.

==>Déroulement de l’audience d’adjudication

L’audience d’adjudication est le moment décisif de la procédure, où les enchères sont portées publiquement afin de déterminer l’adjudicataire final du bien indivis. Elle est encadrée par des règles strictes prévues par le Code des procédures civiles d’exécution (CPCE), afin de garantir la transparence, l’équité et la sécurité juridique des opérations. L’audience se déroule en plusieurs phases :

  • Ouverture des enchères
    • Annonce des frais
      • conformément à l’article R. 322-42 du CPCE, le juge ouvre les enchères en commençant par annoncer publiquement les frais liés à la procédure, notamment :
        • Les frais de poursuite, engagés par le créancier poursuivant pour mener à bien la procédure.
        • Les frais de surenchère, si applicable, justifiés par le surenchérisseur éventuel.
      • Cette étape garantit que l’ensemble des participants soit informé des coûts qui s’ajouteront au prix d’adjudication.
      • Toute somme exigée au-delà des frais annoncés est réputée non écrite.
    • Rappel du montant de la mise à prix
      • Ensuite, le juge rappelle que les enchères partiront du montant de la mise à prix, tel que fixé dans le cahier des charges ou par une décision judiciaire (article R. 322-43 du CPCE).
      • La mise à prix est le montant minimal en dessous duquel aucune enchère ne peut être validée, sauf en cas de remise en vente à prix réduit (prévue par l’article R. 322-47 du CPCE).
      • Ce rappel par le juge vise à garantir que les enchères débutent sur une base claire et connue de tous les participants.
      • Cette étape marque l’ouverture officielle des enchères et donne le cadre dans lequel elles se dérouleront.
  • Port des enchères
    • Le port des enchères suit des règles strictes, destinées à garantir l’équité entre les participants et à permettre une progression ordonnée des offres.
      • Des enchères pures et simples (article R. 322-44 du CPCE)
        • Les enchères doivent être pures et simples, c’est-à-dire :
          • Sans condition ni réserve : Chaque enchère est définitive et engage immédiatement celui qui la porte.
          • Progression obligatoire : Chaque enchère doit couvrir l’enchère précédente, ce qui exclut les offres inférieures ou égales à la dernière enchère.
        • Ce principe assure une montée progressive des offres et empêche tout blocage ou stratégie dilatoire de la part des participants.
      • Temps limite pour les enchères (article R. 322-45 du CPCE)
        • Les enchères sont arrêtées dès lors qu’un délai de 90 secondes s’écoule sans qu’aucune nouvelle enchère ne soit portée.
        • Ce délai est mesuré par un système visuel ou sonore, qui signale au public chaque seconde écoulée.
        • Ce mécanisme évite les hésitations prolongées et favorise un déroulement fluide de l’audience.
        • Ce temps limite est particulièrement utile pour clôturer les enchères dans un cadre clair, en laissant une opportunité raisonnable aux participants de se manifester sans prolonger inutilement la procédure.
  • Constatation de l’adjudication
    • Une fois les enchères arrêtées, le juge constate immédiatement le montant de la dernière enchère et en tire les conséquences juridiques :
      • Si la dernière enchère atteint ou dépasse la mise à prix, l’adjudication est définitive. 
      • Dans le cas contraire, une adjudication provisoire peut être prononcée en attendant une éventuelle nouvelle audience, conformément à l’article 1277 du Code de procédure civile.
      • Le juge établit un procès-verbal d’adjudication, qui formalise le transfert du bien à l’enchérisseur déclaré adjudicataire.
      • Ce procès-verbal servira de base pour la délivrance du titre de propriété (article R. 322-59 du CPCE).

==>Conséquences de l’adjudication

L’adjudication, point culminant de la vente aux enchères, peut être qualifiée de définitive ou provisoire selon que l’enchère atteint ou non le montant de la mise à prix fixée. Chaque qualification, encadrée par les dispositions du Code des procédures civiles d’exécution (CPCE) et du Code de procédure civile, emporte des conséquences juridiques et pratiques distinctes.

  • L’enchère atteint le montant de la mise à prix : l’adjudication définitive
    • L’adjudication est qualifiée de définitive dès lors que l’enchère couvre ou dépasse le montant fixé comme mise à prix dans le cahier des charges ou par décision judiciaire. 
    • Conformément à l’article R. 322-45 du CPCE, le juge constate immédiatement cette adjudication, ce qui engage irrévocablement l’enchérisseur déclaré adjudicataire.
    • L’adjudication définitive emporte des effets juridiques majeurs. 
    • Elle entraîne d’abord le transfert de propriété au bénéfice de l’adjudicataire, sous réserve du paiement intégral du prix d’adjudication et des frais taxés. 
    • Ce transfert de propriété est juridiquement certain et opposable aux tiers dès la prononciation du jugement d’adjudication. 
    • Ainsi, l’adjudication garantit aux créanciers ou indivisaires que le bien a été vendu à un prix conforme aux attentes, qu’il s’agisse de la mise à prix initiale ou des conditions du marché.
    • L’adjudicataire a également l’obligation de s’acquitter du prix et des frais dans les délais prescrits par la loi. 
    • En cas de défaillance, il s’expose à une réitération des enchères, assortie de sanctions financières, conformément à l’article R. 322-66 du CPCE. 
    • Ce mécanisme vise à protéger les intérêts des créanciers ou indivisaires en assurant que l’adjudication atteigne son objectif final.
  • L’enchère n’atteint pas le montant de la mise à prix : l’adjudication provisoire ou la remise en vente
    • Lorsque les enchères ne permettent pas de couvrir la mise à prix fixée dans le cahier des charges ou par décision judiciaire, la procédure prévoit deux issues distinctes : la remise en vente immédiate ou l’adjudication provisoire.
      • La remise en vente immédiate bien (article R. 322-47 du CPCE)
        • Si aucune enchère ne parvient à couvrir le montant de la mise à prix initiale, le juge peut prévoir, dès l’établissement du cahier des charges, une remise en vente immédiate du bien.
        • La remise en vente immédiate repose sur un mécanisme de réduction successive de la mise à prix. 
        • Le montant de la mise à prix peut être progressivement diminué par paliers, afin d’accroître les chances de susciter l’intérêt des enchérisseurs. 
        • Ce processus se poursuit jusqu’à ce qu’une enchère soit portée ou, à défaut, jusqu’au montant minimal prévu dans le cahier des charges.
        • Cette nouvelle mise en vente est organisée dans les mêmes conditions de publicité et de transparence que l’adjudication initiale. 
        • Les formalités légales de publicité doivent être respectées pour garantir que les nouvelles conditions de la vente soient portées à la connaissance de tous les participants potentiels, assurant ainsi l’équité de la procédure.
        • L’objectif principal de la remise en vente est d’éviter une situation de blocage qui pourrait compromettre la vente.
        • En procédant ainsi, le juge maximise les opportunités de trouver un acquéreur tout en préservant les intérêts économiques des indivisaires ou des créanciers concernés.
      • Adjudication provisoire (article 1277 du Code de procédure civile)
        • Si le cahier des charges ou la décision du juge n’autorise pas une remise en vente immédiate, une adjudication provisoire peut être prononcée au profit de l’enchérisseur ayant formulé l’offre la plus élevée, même si cette dernière reste inférieure au montant de la mise à prix.
        • Contrairement à l’adjudication définitive, l’adjudication provisoire n’emporte pas de transfert immédiat de propriété. 
        • Elle confère à l’adjudicataire un droit conditionnel, subordonné à une validation ultérieure par le tribunal. Cette situation permet de temporiser, tout en maintenant la procédure ouverte.
        • Le rôle du tribunal, tel que prévu à l’article 1277, alinéa 2, du Code de procédure civile, est central dans cette configuration.
        • Une fois saisi à la requête d’une partie intéressée, qu’il s’agisse d’un indivisaire ou d’un créancier, le tribunal dispose de deux options :
          • Valider l’adjudication provisoire : si les conditions sont jugées acceptables, l’adjudication provisoire devient définitive. La propriété est alors transférée à l’adjudicataire sous réserve du paiement du prix et des frais.
          • Ordonner une nouvelle vente : si le tribunal estime que l’adjudication provisoire ne permet pas de satisfaire les intérêts des parties, notamment en raison d’un prix insuffisant, il peut décider de procéder à une nouvelle adjudication. Cette nouvelle vente doit être organisée dans un délai minimum de 15 jours. Elle implique une nouvelle mise à prix, adaptée à la situation, ainsi que des formalités de publicité conformes aux exigences légales pour assurer une transparence optimale.

==>Jugement d’adjudication et titre de vente

  • La fonction du jugement d’adjudication
    • Le jugement d’adjudication constitue l’acte juridique par excellence constatant le transfert de propriété du bien vendu aux enchères. 
    • Cet acte, établi par le juge ayant supervisé la procédure, remplit une double fonction : il constate l’attribution du bien à l’adjudicataire et rend ce transfert de propriété opposable aux tiers.
    • En premier lieu, le jugement d’adjudication matérialise juridiquement l’attribution du bien à l’enchérisseur ayant remporté l’adjudication. Il ne s’agit pas seulement d’un constat formel, mais bien d’un acte fondateur conférant à l’adjudicataire la possibilité d’exercer pleinement ses droits sur le bien, sous réserve du paiement intégral du prix et des frais.
    • En second lieu, et conformément à l’article R. 322-59 du Code des procédures civiles d’exécution, le jugement d’adjudication ne se limite pas à constater l’achèvement de la procédure d’adjudication. Son établissement est également une condition préalable à l’inscription des droits de propriété de l’adjudicataire au registre foncier. En effet, l’inscription au registre foncier, qui garantit la publicité et l’opposabilité des droits de propriété, ne peut être réalisée sans ce jugement, lequel sert de fondement à l’ensemble des démarches postérieures.
  • Les mentions obligatoires du jugement
    • Le jugement d’adjudication doit comporter plusieurs mentions obligatoires, prévues à l’article R. 322-59 du Code des procédures civiles d’exécution.
      • Référence au cahier des charges
        • Le jugement doit mentionner le cahier des charges qui régit les conditions de la vente. 
        • Pour mémoire, ce document encadre les modalités de l’adjudication et les obligations de l’adjudicataire. 
        • En faisant référence à ce cahier, le jugement garantit que l’adjudication a respecté les conditions fixées.
      • Formalités de publicité accomplies
        • Le jugement doit préciser les actes de publicité réalisés ainsi que leurs dates. 
        • Ces formalités assurent que la procédure a été menée de manière transparente, permettant à tous les participants potentiels d’être informés de la vente. 
        • Une omission ou une irrégularité dans l’accomplissement de ces formalités pourrait affecter la validité de l’adjudication.
        • La mention des publicités dans le jugement offre ainsi une preuve que tous les participants potentiels ont pu être informés de manière adéquate, évitant ainsi toute contestation ultérieure sur ce fondement
  • Désignation du bien vendu
    • Une description précise de l’immeuble objet de l’adjudication est nécessaire. 
    • Cette désignation doit comporter les informations essentielles permettant d’identifier sans ambiguïté le bien concerné, telles que l’adresse, les références cadastrales, et, le cas échéant, ses caractéristiques spécifiques (surface, nature du bien, etc.). 
    • Cette exigence vise à écarter tout risque de confusion ou de litige concernant le bien transféré, garantissant ainsi que les droits de l’adjudicataire portent sur un objet clairement défini.
  • Identité de l’adjudicataire et montant de l’adjudication
    • Le jugement doit mentionner avec précision l’identité de l’adjudicataire, en indiquant ses nom et prénom, ou, dans le cas d’une personne morale, sa dénomination sociale et son numéro SIREN. 
    • Par ailleurs, le montant exact de l’enchère retenue ainsi que les frais taxés liés à la procédure doivent être expressément indiqués. 
    • Ces informations permettent non seulement d’identifier l’acquéreur de manière claire, mais aussi de calculer les montants à répartir entre les créanciers ou les indivisaires, garantissant ainsi la transparence financière de l’opération.
  • La délivrance du titre de vente
    • Une fois le jugement d’adjudication établi, celui-ci est revêtu de la formule exécutoire et remis à l’adjudicataire. 
    • Cette formalité, prévue à l’article R. 322-62 du Code des procédures civiles d’exécution, constitue l’aboutissement de la procédure d’adjudication. 
    • Elle confère à l’adjudicataire un titre de propriété officiel, permettant de faire valoir ses droits auprès des tiers.
    • En ce qui concerne la procédure de délivrance, le greffier ou le notaire ayant supervisé la vente remet à l’adjudicataire une expédition du jugement d’adjudication. 
    • Ce document constitue le titre de propriété du bien. 
    • Si la vente porte sur plusieurs lots adjugés à des acquéreurs différents, chaque adjudicataire reçoit une expédition distincte, accompagnée des quittances attestant du paiement des frais taxés. 
    • Le titre de vente ainsi délivré permet à l’adjudicataire de procéder à l’inscription de ses droits au registre foncier, officialisant ainsi son statut de propriétaire. 
    • Cette inscription est une étape essentielle, car elle assure la publicité et l’opposabilité des droits de propriété à l’égard des tiers. 
    • Elle confère également à l’adjudicataire une protection juridique renforcée en cas de litige ou de revendications ultérieures concernant le bien. 
  • Les effets du jugement
    • Le jugement d’adjudication emporte des effets juridiques immédiats tant pour l’adjudicataire que pour les tiers.
      • Le transfert de propriété
        • Le jugement d’adjudication formalise le transfert de propriété du bien adjugé au profit de l’adjudicataire dès sa prononciation. 
        • Toutefois, ce transfert reste conditionné au paiement intégral du prix d’adjudication ainsi que des frais taxés.
        • Tant que cette obligation n’a pas été exécutée, l’adjudicataire ne peut jouir pleinement de ses droits.
        • Une fois le paiement effectué, l’adjudicataire devient propriétaire du bien adjugé.
        • Il acquiert ainsi tous les droits attachés à la propriété, notamment ceux d’usage, de jouissance et d’aliénation. 
        • Il peut utiliser le bien comme bon lui semble, percevoir les fruits qu’il génère, ou encore le vendre, le donner ou le grever de droits réels.
        • Par ailleurs, ce transfert de propriété est opposable aux tiers. 
        • Cela signifie que les droits de l’adjudicataire ne peuvent être contestés par des tiers, sauf en cas de vices graves affectant la régularité de la procédure elle-même. 
      • L’effet déclaratif
        • Le jugement d’adjudication, dans le cadre d’une licitation, ne se limite pas à transférer la propriété du bien.
        • Il produit également un effet déclaratif, conférant à l’adjudicataire un titre qui purge les éventuels vices affectant les transmissions antérieures et stabilise la situation juridique du bien.
        • La raison en est que, en vertu de l’article 883 du Code civil, l’effet déclaratif attribue à l’adjudicataire une position rétroactive, le plaçant comme s’il avait toujours été seul propriétaire du bien depuis l’origine de l’indivision. 
        • Cet effet s’applique tant à l’égard des co-indivisaires qu’à l’égard du défunt dans les indivisions successorales.
        • L’effet déclaratif du jugement d’adjudication a une portée corrective et purgative. Il purge la chaîne de propriété en éteignant rétroactivement les droits ou actes des co-indivisaires sur le bien adjugé. 
        • Par exemple, un acte de disposition (vente, hypothèque ou bail) établi par un indivisaire non adjudicataire est anéanti rétroactivement, tandis que ceux établis par l’adjudicataire sont validés, consolidant ainsi ses droits.
        • Dans cette logique, la licitation-partage n’est pas considérée comme une mutation à titre onéreux mais comme un acte de partage. 
        • Elle échappe donc aux règles applicables aux ventes ordinaires, y compris aux actions en rescision pour lésion, sauf en cas de dispositions contraires inscrites dans le cahier des charges.
        • Cet effet déclaratif est particulièrement précieux lorsque le bien adjugé a été l’objet de litiges ou d’irrégularités dans les transmissions antérieures. 
        • Le jugement d’adjudication stabilise la situation juridique en consolidant les droits de l’adjudicataire, garantissant ainsi une propriété purgée de tous vices. 

==>La défaillance de l’adjudicataire et la réitération des enchères

Lorsqu’un adjudicataire ne s’acquitte pas du prix d’adjudication et des frais dans les délais impartis, le bien peut être remis en vente dans les conditions prévues par l’article R. 322-66 du CPCE.

  • Certificat de défaillance et organisation d’une nouvelle audience
    • La première étape en cas de défaillance de l’adjudicataire consiste en l’établissement d’un certificat de défaillance.
    • Ce document, dressé par le notaire ou le greffier, constate officiellement que l’adjudicataire n’a pas satisfait à ses obligations de paiement.
    • Conformément à l’article R. 322-67 du CPCE, le certificat est signifié à l’adjudicataire défaillant. Cette signification marque le point de départ d’un délai pendant lequel ce dernier peut, le cas échéant, régulariser sa situation.
    • Si aucune régularisation n’intervient, une nouvelle audience est fixée par le tribunal. 
    • Cette audience doit se tenir dans un délai compris entre deux et quatre mois suivant la signification du certificat de défaillance (article R. 322-69 du CPCE). 
    • Ce délai permet d’organiser les formalités de publicité nécessaires et de garantir une reprise transparente de la procédure.
  • Formalités de publicité et déroulement des nouvelles enchères
    • Pour garantir la transparence et l’égalité entre les participants, les formalités de publicité initiales doivent être intégralement renouvelées. Ces formalités sont effectuées selon les prescriptions de l’article R. 322-70 du CPCE.
    • La publicité doit inclure l’ensemble des informations prévues pour la vente initiale, auxquelles s’ajoute le montant de l’adjudication défaillante. Cette précision permet aux nouveaux enchérisseurs d’avoir une connaissance complète des conditions entourant la vente.
    • Le jour de l’audience, les enchères sont reprises dans les mêmes conditions que celles de la première vente, conformément à l’article R. 322-71 du CPCE.
    • Les règles relatives au déroulement des enchères, notamment la durée limite de 90 secondes entre deux enchères (article R. 322-45 du CPCE), s’appliquent également à cette nouvelle vente.
  • Conséquences pour l’adjudicataire défaillant
    • La défaillance de l’adjudicataire n’est pas sans conséquences pour ce dernier.
    • L’adjudicataire défaillant demeure redevable des frais liés à la première vente, même si le bien est remis en vente. 
    • En outre, il doit payer des intérêts au taux légal sur le montant de son enchère, calculés jusqu’à la date de la nouvelle vente (article R. 322-72 du CPCE). 
    • Si la nouvelle vente se conclut à un prix inférieur à celui de l’enchère initiale, l’adjudicataire défaillant peut être tenu de compenser la différence, afin de préserver les droits des créanciers ou des indivisaires.

==>La faculté de surenchère

La licitation, par essence, vise à obtenir le meilleur prix pour le bien mis en vente, afin de garantir une juste valorisation au bénéfice des parties concernées. Toutefois, il peut arriver que l’adjudication initiale ne reflète pas pleinement la valeur réelle du bien, soit en raison d’une concurrence insuffisante, soit du fait de circonstances particulières ayant limité les enchères. C’est pour répondre à de telles situations que la faculté de surenchère a été instituée.

Prévue par l’article 1279, alinéa 1er, du Code de procédure civile, ainsi que par les articles R. 322-50 et suivants du Code des procédures civiles d’exécution (CPCE), la surenchère offre la possibilité, dans un délai strictement encadré de 10 jours, de rouvrir la procédure en proposant une offre supérieure d’au moins 10 % au prix principal de l’adjudication initiale. Ce mécanisme garantit à la fois la transparence et l’équité, tout en assurant que le bien puisse être vendu à sa juste valeur.

  • Initiation de la procédure de surenchère
    • Délai de 10 jours
      • La surenchère ne peut être exercée que dans un délai de 10 jours suivant l’adjudication définitive, conformément à l’article 1279 du Code de procédure civile. 
      • Ce délai impératif commence à courir à compter du jour où l’adjudication a été prononcée.
    • Déclaration de la surenchère
      • La première étape de la procédure consiste en la déclaration de surenchère. 
      • Cette déclaration, réservée à toute personne souhaitant contester l’adjudication initiale, doit respecter des exigences formelles rigoureuses.
      • Conformément à l’article R. 322-51 du Code des procédures civiles d’exécution (CPCE), la surenchère doit être formée par acte d’avocat, déposé au greffe du tribunal compétent. 
      • Cette formalité, essentielle pour garantir la solennité et la validité de la procédure, témoigne de l’engagement sérieux de la personne souhaitant exercer ce droit.
      • L’avocat, dans le cadre de la déclaration de surenchère, doit attester avoir reçu de son client une garantie financière. 
      • Celle-ci prend la forme d’une caution bancaire irrévocable ou d’un chèque de banque équivalant à 10 % du montant principal de l’adjudication initiale. 
      • L’obligation de fourniture d’une garantie financière vise à prévenir les surenchères abusives en exigeant du surenchérisseur la preuve de sa capacité à honorer son engagement.
  • Dénonciation de la surenchère
    • Une fois déposée, la surenchère doit être dénoncée aux parties intéressées dans un délai de trois jours ouvrables. 
    • Cette dénonciation s’effectue par acte d’huissier, conformément à l’article R. 322-52 du CPCE. 
    • Elle garantit que les parties concernées (notamment l’adjudicataire initial, le créancier poursuivant et, le cas échéant, les indivisaires) sont informées de la reprise des enchères.
    • Cette notification comprend une copie de l’attestation bancaire mentionnée ci-dessus, ce qui conforte la crédibilité de la démarche du surenchérisseur.
    • Le non-respect des délais et formalités entraîne l’irrecevabilité de la surenchère.
  • Organisation de la nouvelle audience
    • Une fois la surenchère valablement formée et dénoncée, le tribunal organise une nouvelle audience d’enchères. 
    • Cette étape, strictement réglementée par les articles R. 322-53 à R. 322-55 du CPCE, marque la reprise de la procédure d’adjudication dans un cadre renouvelé.
      • Fixation de la date
        • Le tribunal fixe une nouvelle audience dans un délai compris entre deux et quatre mois à compter de la déclaration de surenchère. 
        • Ce délai, prévu par l’article R. 322-53 du CPCE, permet de renouveler les formalités de publicité et de garantir une préparation adéquate des enchérisseurs potentiels.
      • Renouvellement des formalités de publicité
        • Les formalités de publicité initiales doivent être réitérées avant la nouvelle audience.
        • Selon l’article R. 322-54 du CPCE, ces formalités sont réalisées à la diligence du surenchérisseur ou, à défaut, du créancier poursuivant. 
        • Elles incluent la mention de la nouvelle mise à prix, correspondant au montant de l’adjudication initiale majoré d’au moins 10 %. 
        • Ce renouvellement vise à informer le public des nouvelles conditions et à attirer de potentiels enchérisseurs.
  • Déroulement de la nouvelle audience
    • La nouvelle audience d’enchères suit les mêmes règles que l’audience initiale, en respectant toutefois les spécificités liées à la surenchère.
      • Reprise des enchères
        • Conformément à l’article R. 322-55 du CPCE, les enchères reprennent sur la base de la nouvelle mise à prix fixée par la surenchère.
        • Les règles habituelles des enchères publiques, notamment celles relatives au temps imparti pour porter les enchères (article R. 322-45 du CPCE), s’appliquent.
      • Résultat de l’audience
        • Si aucune enchère ne dépasse la mise à prix actualisé, le surenchérisseur est déclaré adjudicataire. 
        • Ce mécanisme récompense son initiative tout en garantissant que le bien ne soit pas vendu à un prix inférieur à la surenchère initiale.
  • Limites de la surenchère
    • Afin de préserver la sécurité juridique et d’éviter des prolongations abusives, une seconde surenchère est expressément exclue.
    • L’article R. 322-55 du CPCE prévoit que l’adjudication issue de la nouvelle audience est définitive et ne peut plus être remise en cause par une nouvelle surenchère.
    • Cette limitation garantit la stabilité des droits acquis et marque la fin de la procédure, assurant ainsi que la vente atteigne son objectif ultime : obtenir une juste valorisation du bien dans des conditions de transparence et d’équité.

La licitation: conditions

Le principe du partage en nature constitue l’épine dorsale du droit des successions et de l’indivision, traduisant la volonté du législateur de préserver l’intégrité des patrimoines familiaux et d’assurer une répartition équitable des biens entre les coindivisaires. Toutefois, cette préférence ne saurait se transformer en impératif absolu dès lors que des contraintes matérielles, économiques ou juridiques font obstacle à une division équilibrée. C’est précisément dans ces circonstances que la licitation intervient comme solution subsidiaire, permettant de contourner les impossibilités inhérentes au partage en nature en procédant à la vente du bien indivis et à la répartition du produit de cette vente entre les indivisaires.

Ainsi, la licitation ne se justifie que lorsque le partage en nature se révèle incommode ou générateur d’une dépréciation substantielle du bien, compromettant l’équité entre les indivisaires. Cette exigence s’inscrit dans une logique de préservation du patrimoine et d’optimisation de sa gestion, tout en évitant les situations de blocage susceptibles d’entraver le règlement d’une indivision. Dès lors, il convient d’examiner les conditions dans lesquelles la licitation peut être ordonnée, en s’attachant tout d’abord à l’impossibilité d’un partage en nature (1), avant d’envisager les modalités pratiques de sa mise en œuvre (2).

1. L’impossibilité d’un partage en nature

a. Le contenu de l’exigence

Dans le cadre d’un partage, la licitation n’intervient qu’à titre subsidiaire, lorsqu’un partage en nature des biens indivis s’avère impossible. À cet égard, l’article 1377 du Code de procédure civile précise que : « le tribunal ordonne, dans les conditions qu’il détermine, la vente par adjudication des biens qui ne peuvent être facilement partagés ou attribués ». 

Cette règle fait directement écho au principe posé à l’article 1686 du Code civil, relevant du droit commun de la vente, qui dispose que la licitation peut être ordonnée « si une chose commune à plusieurs ne peut être partagée commodément et sans perte ».

Il s’infère de ces deux dispositions que l’impossibilité de partage en nature peut résulter, soit de l’incommodité de la division du biens indivis, soit du risque de perte en cas de division. 

==>L’incommodité de la division du bien indivis

L’incommodité matérielle de la division d’un bien indivis s’entend de l’impossibilité pratique de le fractionner tout en préservant son intégrité physique, son utilité et les conditions normales de jouissance. Ce critère repose sur les attributs essentiels du bien, qu’il s’agisse de sa configuration, de son usage envisagé ou de sa destination économique. L’analyse de cette incommodité exige une attention particulière aux caractéristiques propres au bien, telles que son état, sa structure ou sa finalité, afin de déterminer si une division pourrait être réalisée sans altérer sa nature ni compromettre sa vocation première.

En premier lieu, certains biens, en raison de leur structure physique ou de leur fonction, ne peuvent être aisément divisés sans altérer leur valeur ou leur utilité. Par exemple, la division d’un terrain peut exiger des aménagements onéreux, tels que l’installation de clôtures ou la modification des réseaux hydrauliques pour garantir une autonomie d’usage des parcelles nouvellement constituées. Une jurisprudence ancienne mais éclairante illustre ce point : la fragmentation d’un bien foncier a été jugée inappropriée en raison des frais disproportionnés qu’elle impliquait et de son impact négatif sur l’exploitation rationnelle des parcelles (CA Dijon, 15 avril 1907). Cet exemple met en lumière l’importance d’une analyse circonstanciée de la faisabilité matérielle du partage.

De même, la division d’une exploitation agricole ou d’un immeuble à vocation spécifique peut entraîner une désorganisation structurelle qui compromettrait sa finalité première. Ainsi, le morcellement d’une ferme en plusieurs unités indépendantes peut nécessiter des investissements supplémentaires pour réorganiser les infrastructures communes, telles que les systèmes d’irrigation ou les espaces de stockage, réduisant ainsi l’efficacité globale de l’exploitation. Cette incommodité matérielle s’observe également dans le cas d’immeubles complexes ou de bâtiments historiques, dont le fractionnement risquerait de porter atteinte à leur vocation patrimoniale ou culturelle, voire de rendre leur entretien structurellement irréalisable.

En second lieu, l’incommodité matérielle ne se limite pas à l’existence d’obstacles purement physiques, mais couvre également les effets sur les conditions normales de jouissance. Un partage matériellement possible peut néanmoins être jugé incommode si la division altère de manière significative les modalités d’exploitation ou d’utilisation des lots. Par exemple, la création de nouvelles parcelles ou d’espaces indépendants peut, dans certains cas, générer une répartition déséquilibrée des ressources essentielles à leur exploitation, ou nécessiter des servitudes complexes, telles que des droits de passage ou des aménagements communs. Ces contraintes, susceptibles de compliquer la jouissance individuelle des lots, justifient le recours à une licitation plutôt qu’à un partage en nature.

Enfin, l’incommodité matérielle doit également être évaluée en tenant compte de la préservation de l’intégrité des unités économiques ou des ensembles de biens indivis. L’article 830 du Code civil, qui énonce l’objectif de limiter le fractionnement des exploitations agricoles ou des ensembles économiques, reflète cette préoccupation. Lorsqu’une division compromet l’exploitation optimale d’un bien indivis ou engendre une dépréciation du bien, la licitation peut s’imposer comme la solution la plus rationnelle. La jurisprudence a ainsi affirmé que la division en plusieurs lots, même matériellement envisageable, peut être écartée si elle entraîne des effets excessivement complexes ou onéreux pour les indivisaires (CA Montpellier, 8 juin 1954).

==>Le risque de perte en cas de division du bien indivis

Au-delà des obstacles matériels, l’incommodité d’un partage peut également résider dans ses répercussions économiques, lesquelles peuvent compromettre de manière significative les intérêts des indivisaires. L’article 1686 du Code civil institue ainsi le principe selon lequel le partage en nature doit être écarté lorsque la division entraîne une perte de valeur du bien, préjudiciable à l’ensemble des indivisaires.

Dans un arrêt rendu le 13 octobre 1998, la Cour de cassation a, par exemple, estimé que l’incommodité d’un partage pouvait justifier une licitation lorsqu’un morcellement, bien que matériellement possible, engendrait une dépréciation économique significative et préjudiciable pour les indivisaires Dans cette affaire, le litige portait sur une demeure historique dépendant d’une succession. L’un des indivisaires demandait un partage en nature accompagné d’une attribution préférentielle d’une partie de l’immeuble, tandis que les autres plaidaient en faveur de la licitation. La Cour d’appel, dont l’analyse a été validée par la Cour de cassation, a constaté que la valeur totale de l’immeuble pris dans son ensemble, estimée à 7 950 000 francs, dépassait significativement la somme des valeurs des lots envisagés dans le cadre d’un partage en nature, laquelle n’atteignait que 6 200 000 francs. Une telle dépréciation économique, jugée inacceptable pour l’ensemble des indivisaires, rendait économiquement inopportune une division pourtant réalisable matériellement.

Cet arrêt met en lumière l’une des caractéristiques de l’incommodité économique : la préservation de la valeur globale du bien indivis. Une division matérielle, bien que techniquement envisageable, peut entraîner une perte de valeur si les lots ainsi constitués s’avèrent individuellement moins valorisables que le bien pris dans sa globalité. Cette approche vise à protéger les intérêts collectifs des indivisaires, en évitant qu’un partage en nature ne devienne source d’injustice économique.

Par ailleurs, l’incommodité économique ne se limite pas à la perte de valeur globale. Elle inclut également les effets sur l’équité entre les indivisaires, notamment lorsque la fragmentation d’un bien rend nécessaire la constitution de soultes disproportionnées ou difficilement applicables. Ces situations, susceptibles de générer des déséquilibres majeurs, justifient souvent le recours à la licitation pour assurer une répartition équitable des bénéfices issus de la vente.

Conscient de ces enjeux, le législateur a introduit des mécanismes visant à atténuer les effets économiques défavorables d’un partage, notamment à travers le principe de l’égalité en valeur consacré par l’article 826 du Code civil. Ce principe permet d’ajuster les écarts entre les lots au moyen de soultes, favorisant ainsi une répartition équilibrée. Toutefois, lorsque la division d’un bien indivis conduit à une dépréciation significative ou compromet les intérêts économiques des indivisaires, ces outils ne suffisent pas toujours à garantir une solution satisfaisante. Dans ces circonstances, la licitation s’impose comme une alternative incontournable, préservant à la fois la valeur intrinsèque du bien et l’équité entre les indivisaires.

b. Appréciation de l’exigence

==>Une appréciation d’ensemble

L’impossibilité de procéder à un partage en nature d’un bien indivis repose sur des considérations tant matérielles qu’économiques, lesquelles doivent être appréciées au regard de critères précis. Cette impossibilité n’est cependant pas absolue et s’évalue à l’aune de la nature, de la configuration et de la finalité du bien, mais également en tenant compte de l’ensemble des biens composant l’indivision. Une analyse globale de la situation patrimoniale s’impose, permettant de déterminer si un partage en nature peut être envisagé sans compromettre l’équité entre les indivisaires ou l’intégrité économique des lots.

A cet égard, l’un des principes devant guider l’appréciation du juge réside dans l’exigence de considérer l’ensemble des biens indivis comme un tout cohérent, plutôt que de les examiner isolément. Une telle approche, déjà consacrée par la jurisprudence avant la réforme de 2006, reflète l’exigence de maintenir le partage en nature comme principe directeur, même face à des difficultés apparentes. Ainsi, l’indivisibilité d’un bien spécifique, tel qu’un immeuble unique, ne saurait en elle-même constituer un obstacle insurmontable au partage si d’autres éléments de la masse permettent de constituer des lots équivalents en valeur (Cass. 1ère civ.12 janv. 1972, n°71-11.435). 

À titre d’exemple, un immeuble matériellement indivisible peut être attribué en totalité à un indivisaire, à condition que des biens meubles ou des compensations monétaires viennent rétablir l’équilibre des droits entre les copartageants (Cass. 1ère civ., 21 janv. 1958). Cette flexibilité, inhérente au principe d’équité, permet de concilier l’impossibilité matérielle d’un découpage physique avec les exigences d’une répartition équitable.

En outre, lorsque l’ensemble des biens ne peut être aisément réparti, la licitation ne doit intervenir que dans les limites strictement nécessaires. Les juges sont alors appelés à circonscrire la licitation aux seuls biens dont le partage en nature est impraticable ou manifestement préjudiciable. Cette approche reflète le souci de préserver autant que possible le principe du partage en nature, tout en évitant des solutions qui porteraient atteinte à l’équilibre des intérêts en présence (Cass. 1ère civ., 11 juill. 1983, n°82-11.815). Ainsi, si un immeuble indivis ne peut être partagé matériellement, mais que la masse comprend des biens meubles ou d’autres actifs, ces derniers doivent être mobilisés pour constituer des lots équilibrés, réduisant ainsi la nécessité de recourir à la licitation.

Pour éclairer leur décision, les juges peuvent recourir à une expertise destinée à examiner les conditions matérielles et économiques propres au partage. Bien que les conclusions de l’expert ne s’imposent pas aux juges, elles constituent un élément déterminant dans leur appréciation de la faisabilité d’un partage en nature (Cass. 1ère civ., 9 oct. 1967). Ce recours à l’expertise vise à identifier les contraintes objectives qui pourraient rendre une division matériellement irréalisable ou économiquement désavantageuse.

Ainsi, l’expert est-il souvent chargé d’évaluer les implications concrètes d’un partage en nature, en tenant compte de la configuration des biens indivis, de leur usage actuel et des adaptations nécessaires pour les rendre autonomes après la division. Par exemple, dans le cas d’un terrain agricole, il pourrait être démontré que sa division entraînerait des aménagements disproportionnés, tels que la construction de nouvelles clôtures, la mise en place de systèmes d’irrigation distincts ou la création de voies d’accès séparées. De tels travaux, s’ils engendrent des coûts excessifs ou compromettent l’utilisation optimale des biens, constituent des éléments justifiant l’incommodité matérielle et, par conséquent, l’impossibilité d’un partage équitable en nature.

Les juges, sur la base du rapport d’expertise, peuvent ainsi conclure que la licitation est nécessaire pour préserver les intérêts des parties, en évitant des solutions qui seraient coûteuses, complexes et potentiellement sources de litiges ultérieurs. L’expertise, en ce sens, dépasse une simple évaluation technique et s’inscrit dans une démarche visant à garantir une répartition équilibrée et réaliste des biens indivis.

==>Contrôle de la motivation

L’appréciation de l’impossibilité de procéder à un partage en nature relève du pouvoir souverain des juges du fond, lesquels doivent s’attacher à motiver leur décision avec précision. Cette exigence trouve sa justification dans la nature exceptionnelle de la licitation, qui ne peut être ordonnée qu’en dernier recours, dès lors que l’impossibilité de la répartition physique des biens est établie de manière circonstanciée et irréfutable. À ce titre, la seule affirmation d’une incertitude quant à la faisabilité du partage en nature, ou encore la mention de dissensions entre indivisaires, ne saurait suffire à légitimer une telle mesure. De même, un simple constat de la multiplicité des biens et de la diversité des droits des parties, sans qu’il ne soit démontré en quoi ces éléments empêchent concrètement un partage en nature, expose la décision à la censure (Cass. 1re civ., 31 janv. 1989, n°87-16.718). À l’inverse, une motivation s’appuyant sur des éléments factuels et techniques solides, tels qu’un rapport d’expertise concluant à la faisabilité du partage en nature et à sa conformité aux intérêts des parties, satisfait pleinement aux exigences jurisprudentielles (Cass. req. 31 oct. 1893).

Le rôle de la Cour de cassation se limite traditionnellement à un contrôle de la motivation, sans remise en cause de l’appréciation des faits réalisée par les juges du fond. Il incombe à ces derniers de démontrer précisément en quoi les biens indivis ne peuvent être commodément répartis. Dès lors, une décision ordonnant la licitation, qui se contenterait de relever l’incertitude d’un partage ou de mentionner sa faisabilité technique sans expliciter les obstacles concrets qui s’y opposent, ne saurait prospérer (Cass. 1ère civ., 12 mai 1987, n°85-18.160).

Si, par le passé, une certaine souplesse pouvait être observée, permettant aux juges du fond de motiver leurs décisions de manière parfois implicite, cette pratique tend à être remise en question dans le cadre d’une jurisprudence contemporaine plus exigeante. La réforme de 2006, consacrant le principe d’égalité en valeur des lots (art. 826 du Code civil), renforce cette exigence de motivation, dans un souci de transparence et de respect du caractère subsidiaire de la licitation. Ainsi, il ne suffit plus, comme autrefois, de faire allusion à l’indivisibilité supposée d’un bien pour justifier une vente forcée (Cass. 3e civ., 4 mai 2016, n°14-28.243).

La Cour de cassation, sans excéder son rôle, veille désormais à ce que les juges du fond ne cèdent pas à la facilité, en exigeant une démonstration complète et convaincante de l’impossibilité matérielle ou juridique du partage en nature. Cette évolution, bien qu’elle ne rompe pas totalement avec certaines tolérances antérieures, reflète une volonté affirmée de garantir la primauté du partage en nature tout en respectant l’équilibre des intérêts des indivisaires.

2. Mise en œuvre

L’impossibilité de partager un bien indivis peut avoir pour cause des contraintes juridiques, matérielles, économiques ou pratiques, chacune reflétant la complexité inhérente à la diversité des biens concernés et des situations d’indivision.

==>Les difficultés matérielles de partage

L’une des causes de l’impossibilité de procéder à un partage en nature réside dans les contraintes matérielles, intrinsèquement liées aux caractéristiques des biens indivis. La difficulté réside, le plus souvent, dans l’impossibilité technique ou pratique de diviser un bien sans compromettre son intégrité ou son utilité économique.

Certains biens, par leur nature même, se prêtent mal au fractionnement. Ainsi, un domaine agricole, comprenant des bâtiments, des dépendances et des terres formant un tout économique cohérent, ne saurait être morcelé sans que son exploitation n’en pâtisse gravement (Cass. 1ère civ., 29 mars 1960). De même, Une clinique médicale, dont le fonctionnement repose sur une organisation spatiale spécifique, constitue un exemple caractéristique de bien dont la division matérielle compromettrait irrémédiablement l’usage et l’exploitation (Cass. 1ère civ., 2 oct. 1979, n°78-11.385). 

Par ailleurs, même lorsque les biens paraissent à première vue partageables, certaines configurations rendent le partage matériellement inéquitable. Un exemple peut être trouvé dans la difficulté de répartir équitablement des parcelles de terrain de dimensions ou de valeurs très disparates. 

Outre la nature spécifique des biens, l’hétérogénéité de l’ensemble composant l’indivision peut elle-même constituer un frein au partage en nature. Lorsque les biens diffèrent significativement par leur localisation, leur état ou leur destination, il devient difficile, sinon impossible de constituer des lots de valeur équivalente. Cette disparité, combinée à l’impossibilité de parvenir à une évaluation consensuelle, peut légitimer une licitation comme ultime recours pour garantir l’équité entre les parties (Cass. 1ère civ., 14 févr. 1962).

Enfin, le nombre d’indivisaires et l’inégalité de leurs droits accentuent les difficultés matérielles du partage. Lorsque la division des biens suppose de composer un grand nombre de lots pour satisfaire des droits successoraux complexes et souvent très inégaux, le partage en nature devient un exercice presque insurmontable, tant sur le plan pratique que logistique (Cass. 1ère civ., 28 juin 1977, n°75-12.487). 

==>Les difficultés juridiques de partage

La loi peut imposer des restrictions au partage en nature lorsque la division physique d’un bien compromet son utilité, son exploitation, ou son intégrité économique. Ces barrières légales, parfois explicites, trouvent leur justification dans des impératifs d’intérêt général ou de préservation de l’efficacité économique des biens concernés.

A cet égard, certaines catégories de biens, en raison de leur nature intrinsèque, sont insusceptible de faire l’objet d’un partage en nature. Les mines, par exemple, furent historiquement considérées comme indivisibles, car leur exploitation exige une unité structurelle pour être rentable et conforme aux normes techniques en vigueur (Cass. req., 21 avr. 1857). Cette indivisibilité découle moins d’une contrainte matérielle que de l’exigence de préserver la finalité économique du bien, en évitant une division qui rendrait son exploitation inefficace ou impossible.

De manière similaire, un terrain constructible peut devenir juridiquement insusceptible de partage lorsque son morcellement compromet l’obtention d’un permis de construire ou sa viabilité. Cette impossibilité résulte de normes d’urbanisme qui conditionnent l’utilisation d’un terrain à une superficie minimale ou à des exigences d’aménagement spécifiques (CA Nancy, 18 janv. 1989).

Les biens soumis au régime de la copropriété illustrent également cette tension entre indivisibilité et partage. Dans un immeuble d’habitation indivis, les parties communes, par définition, ne peuvent être fractionnées sans remettre en cause la structure juridique et pratique de la copropriété. La jurisprudence a affirmé que l’unité des parties communes prime sur toute tentative de division en étages ou appartements, rendant le partage en nature juridiquement incompatible avec ce régime (Cass. 1ère civ., 19 janv. 1960). Ces principes visent à garantir l’usage collectif des parties communes et à préserver la cohérence fonctionnelle du bien immobilier.

Au-delà des dispositions légales, les indivisaires peuvent eux-mêmes convenir de règles encadrant les modalités de partage. En vertu de l’article 1103 du Code civil, un accord unanime entre les indivisaires, qu’il prévoie une licitation ou un partage en nature, s’impose avec la même force qu’un contrat. Une fois signé, cet engagement lie non seulement les parties, mais aussi le juge chargé de superviser l’exécution du partage.

Ainsi, un accord visant à exclure le partage en nature doit être respecté, sauf en cas de dispositions contraires à l’ordre public ou manifestement inéquitables (Cass. 1ère civ., 20 janv. 1982, n°80-16.909). Cette contractualisation des modalités de partage permet aux indivisaires de surmonter des situations conflictuelles ou de prévenir des litiges futurs en définissant des règles précises.

La volonté exprimée par le de cujus dans un testament peut également influer sur les modalités de partage. Par exemple, lorsqu’un legs particulier attribue un bien spécifique à un héritier, ce bien échappe au partage dès lors que la disposition respecte la limite de la quotité disponible. Ce type de disposition testamentaire peut être perçu comme une restriction à la divisibilité du bien, car il confère à un héritier un droit exclusif sur celui-ci.

Cependant, une clause testamentaire ne peut, à elle seule, empêcher une licitation si celle-ci est indispensable pour respecter les droits des autres héritiers. En cas d’impossibilité de partager équitablement un bien en nature, le juge peut être conduit à écarter une disposition testamentaire pour ordonner une vente et préserver l’équilibre patrimonial entre les cohéritiers (Cass. 1ère civ., 5 janv. 1977, n°75-15.199). 

==>Les difficultés économiques de partage

Au-delà des obstacles matériels et juridiques, des considérations économiques peuvent justifier l’impossibilité d’un partage en nature. Ainsi, certaines divisions matérielles peuvent entraîner une dépréciation substantielle des biens indivis. Un exemple classique est celui d’une exploitation agricole : son morcellement compromettrait la viabilité économique du domaine, rendant l’ensemble des parcelles moins attractif sur le marché (Cass. 1re civ., 16 oct. 1967). De manière similaire, la division d’un terrain de faible superficie peut aboutir à des lots inadaptés à une utilisation efficace, diminuant ainsi leur valeur intrinsèque (Cass. 1ère civ., 11 juin 1985, n°84-12.325). 

Une autre contrainte économique peut découler de l’incapacité à constituer des lots de valeur équivalente. Lorsque les biens indivis diffèrent considérablement par leur nature, leur localisation ou leur état, il devient impossible de composer des lots respectant l’équité entre les indivisaires sans recourir à des soultes disproportionnées. Par exemple, dans une affaire relative à un ensemble de biens immobiliers, la nécessité de prévoir des soultes trop élevées pour équilibrer les lots a conduit le juge à privilégier la licitation, considérée comme une solution plus adaptée pour garantir l’équité patrimoniale (Cass. 1re civ., 15 mai 1962).

La question des actions et parts sociales illustre parfaitement les enjeux économiques liés à la division en nature. Bien que ces biens soient techniquement divisibles, leur répartition peut entraîner une perte de contrôle ou de minorité de blocage au sein d’une société. Cela compromet non seulement la gestion de l’entreprise, mais réduit également la valeur des parts en raison de l’incertitude juridique et économique générée par une telle division. Dans une affaire emblématique, la répartition d’actions aurait menacé la stabilité de l’entreprise en remettant en cause les droits de contrôle. Le juge a alors ordonné une licitation pour préserver l’intégrité économique et les intérêts des parties (CA Paris, 2 juill. 2002).

Outre la dépréciation des biens, les coûts associés à la division peuvent également justifier une licitation. Par exemple, la division d’un immeuble en plusieurs appartements ou l’aménagement nécessaire pour rendre un bien partageable peut impliquer des dépenses considérables, rendant économiquement irrationnelle toute tentative de partage en nature (TGI Nice, 6 juill. 1962). Ces coûts peuvent inclure la création de nouvelles infrastructures, la gestion des servitudes ou encore les frais de mise aux normes, autant de facteurs susceptibles de miner la rentabilité des biens divisés.

==>Les difficultés personnelles

Enfin, les relations entre indivisaires peuvent elles-mêmes constituer un frein au partage en nature, en particulier lorsque des tensions ou des dissensions profondes altèrent toute perspective de gestion harmonieuse des biens communs. Ces conflits, qu’ils trouvent leur origine dans des différends familiaux, des ruptures conjugales ou des désaccords patrimoniaux, rendent souvent impraticable une répartition équitable des biens, tant sur le plan matériel qu’émotionnel.

Lorsqu’une indivision découle d’une séparation conjugale, par exemple, les relations tendues entre anciens partenaires peuvent transformer la cohabitation dans un bien indivis en un exercice insupportable. La gestion commune d’espaces partagés, comme une maison ou un appartement, devient rapidement source de conflits incessants, compromettant toute possibilité de coexistence pacifique. Ces situations, souvent aggravées par l’absence de dialogue ou par des griefs passés, justifient fréquemment une licitation, seule mesure apte à mettre un terme aux conflits prolongés (CA Metz, 11 mars 2010).

Les tensions ne se limitent pas aux relations conjugales. Au sein d’une famille élargie ou entre héritiers, les divergences d’intérêts ou de vision sur l’avenir des biens indivis peuvent provoquer un blocage total. L’un des indivisaires peut, par exemple, contester systématiquement les décisions relatives à l’exploitation ou à la répartition des biens, refusant de collaborer à leur entretien ou à leur valorisation. De tels comportements conflictuels paralysent l’indivision, rendant tout accord amiable illusoire et nécessitant une intervention judiciaire pour sortir de l’impasse.

Dans ces contextes, le juge joue un rôle déterminant. Chargé de garantir l’équité et de préserver la paix sociale, il est amené à ordonner une licitation lorsque les tensions rendent impossible le maintien de l’indivision ou la mise en œuvre d’un partage en nature. Une telle décision, bien que pragmatique, n’est pas dénuée de conséquences psychologiques pour les indivisaires. La vente forcée d’un bien, souvent chargé d’une forte valeur symbolique ou sentimentale, peut engendrer des sentiments de perte ou d’injustice. Il appartient donc au juge d’accompagner sa décision d’une motivation claire, exposant en quoi la licitation constitue la solution la plus adaptée pour protéger les intérêts de chacun.

La licitation: domaine

La licitation est une modalité spécifique du partage permettant de vendre aux enchères un bien indivis lorsque celui-ci ne peut être commodément partagé ou attribué à l’un des indivisaires. Si cette procédure permet de surmonter les difficultés liées à l’indivision, elle ne peut être systématiquement envisagée. Elle répond à un cadre juridique précis, alternant situations dans lesquelles elle peut être ordonnée et cas où elle est expressément exclue. Nous développerons cette analyse selon deux axes : les situations d’intervention de la licitation, puis les hypothèses dans lesquelles elle est prohibée.

1. Les situations dans lesquelles la licitation est admise

La licitation trouve principalement à s’appliquer dans les cas d’indivision, qu’il s’agisse d’une indivision en pleine propriété, d’une indivision en usufruit ou d’une indivision en nue-propriété. Cette modalité de partage peut être sollicitée tant dans le cadre d’une indivision successorale que d’une indivision résultant d’un régime matrimonial ou d’un démembrement de propriété.

a. L’indivision en pleine propriété

La situation la plus classique donnant lieu à une licitation est celle d’une indivision en pleine propriété. Ce mécanisme s’applique aux biens indivis, indépendamment de leur origine, qu’elle soit légale, conventionnelle ou successorale. Il s’agit d’une démarche subsidiaire destinée à pallier l’impossibilité de procéder à un partage en nature, tout en préservant l’égalité entre les indivisaires.

L’ancien article 827 du Code civil prévoyait que la licitation pouvait être ordonnée pour des immeubles qui ne pouvaient être commodément partagés ou attribués. Bien que ce texte ait été abrogé par la loi du 23 juin 2006, la licitation de la pleine propriété indivise est unanimement admise. A cet égard, le champ d’application de la licitation ne se limite pas aux immeubles. L’article 1686 du Code civil, en évoquant les “choses communes à plusieurs”, englobe également les biens meubles. Cette interprétation est confirmée par la jurisprudence, qui admet que certains contrats indivis (par exemple les baux) puissent également être licités. Ainsi, la licitation répond à une logique d’unité en ce qu’elle permet de mettre fin à une situation d’indivision, même lorsqu’elle porte sur des objets divers.

L’article 815-5-1 du Code civil, issu de la réforme de 2006, envisage la licitation comme ne pouvant porter, en première intention, que sur les biens indivis pris isolément ; d’où l’emploi du singulier dans la formulation, le texte visant explicitement « le bien indivis » et non « les biens indivis ». Cette précision commande de limiter chaque demande de licitation à un seul bien, en respectant ainsi l’esprit du partage en nature, principe cardinal du régime de l’indivision. Toutefois, cette limitation n’exclut pas la possibilité d’engager plusieurs procédures, pourvu que chaque requête s’appuie sur des motifs légitimes et dûment justifiés, tels que la dégradation progressive du bien ou le risque avéré d’une diminution substantielle de sa valeur. Une telle exigence illustre l’équilibre recherché entre la préservation des droits des indivisaires et la nécessité de sauvegarder la valeur patrimoniale des biens en indivision.

Enfin, la licitation dans le cadre de l’indivision en pleine propriété ne saurait être confondue avec d’autres situations juridiques. Lorsqu’un bien est grevé d’usufruit, il n’y a pas lieu de liciter la pleine propriété, faute d’indivision entre l’usufruitier et le nu-propriétaire. En effet, comme le rappellent l’indivision suppose la coexistence de droits de même nature sur un bien commun. Cette analyse est corroborée par une jurisprudence ancienne mais constante, qui insiste sur l’impossibilité d’un partage entre deux titulaires de droits de nature différentes (Cass. 1re civ., 29 mars 1989, n°87-12.187).

b. L’indivision en usufruit

Il est admis que l’usufruit d’un bien puisse faire l’objet d’une indivision. Est-ce à dire que ce droit particulier, par nature temporaire et portant sur l’usage et les fruits d’un bien, se prête aisément au partage ? En réalité, le droit civil impose des solutions adaptées pour répondre aux spécificités de cette indivision.

En principe, le partage porte directement sur l’usufruit, qui peut être cantonné sur un ou plusieurs biens déterminés. Cette modalité permet à chaque usufruitier de disposer d’un droit exclusif sur des biens spécifiques, évitant ainsi la complexité d’une gestion collective. Toutefois, lorsque le cantonnement s’avère impossible, soit en raison de la nature du bien soit en raison de l’impossibilité de parvenir à un accord entre les usufruitiers, le recours à la licitation devient une alternative envisageable.

La Cour de cassation a expressément consacré cette possibilité dans un arrêt du 25 juin 1974, où elle a reconnu que la licitation de l’usufruit pouvait être ordonnée lorsque ce dernier ne pouvait faire l’objet d’un partage en nature (Cass. 1ère civ. 25 juin 1974, n°72-12.451). 

Dans cette affaire, les héritiers des époux décédés avaient procédé au partage de leurs successions, attribuant à trois copartageants un quart en usufruit sur une propriété, tandis qu’un quatrième bénéficiait des trois quarts en nue-propriété et d’un quart en pleine propriété. La propriété en question, exploitée en carrière, faisait l’objet d’un différend persistant entre les usufruitiers et les héritiers du nu-propriétaire, empêchant toute mise en valeur effective de l’usufruit.

Les juges du fond avaient relevé que cette mésentente prolongée avait conduit à la cessation de l’exploitation de la carrière pendant plusieurs années. La Cour d’appel, constatant que la jouissance ne pouvait être répartie de manière équitable entre les copartageants et qu’aucun accord amiable ne semblait envisageable, avait ordonné la licitation de l’usufruit. Cette mesure, selon l’arrêt attaqué, constituait « le seul moyen d’obtenir, sans nuire à la valeur foncière du bien, la reprise de l’exploitation ou le désintéressement des cohéritiers ».

La Haute juridiction a confirmé cette décision en jugeant qu’il existe une indivision entre l’usufruitier et le nu-propriétaire quant à la jouissance d’un bien lorsque le droit d’usufruit porte sur une quote-part indivise. Elle a rappelé qu’en cas d’impossibilité de partage en nature de cette jouissance, il peut être procédé à une vente par licitation, non pas du bien lui-même, mais de la jouissance de l’usufruit. Ce mécanisme permet de préserver les intérêts patrimoniaux des parties tout en évitant l’inaction susceptible de dégrader la valeur économique du bien.

Cependant, il convient de rappeler que la licitation de l’usufruit demeure une solution d’exception. Elle ne saurait être ordonnée qu’en dernier recours, lorsque toutes les autres voies de partage ont échoué. Cette exception s’inscrit dans une logique de préservation des droits de chaque usufruitier, tout en assurant une équité dans la répartition patrimoniale. Ainsi, l’approche adoptée par le législateur et par la jurisprudence garantit un équilibre subtil entre les impératifs de gestion collective et les intérêts individuels des parties.

c. L’indivision en nue-propriété

De manière similaire à l’usufruit, l’indivision peut porter sur la nue-propriété d’un bien. Le principe consacré par l’article 818 du Code civil, qui renvoie à l’article 817, privilégie le partage de la nue-propriété par cantonnement. Cette solution consiste à attribuer la nue-propriété sur un ou plusieurs biens spécifiques, et elle est historiquement reconnue comme la méthode de référence pour éviter une liquidation globale de l’indivision.

La licitation de la nue-propriété ne peut être envisagée que dans l’hypothèse où le cantonnement s’avère impossible. Ce principe est expressément consacré par la jurisprudence, qui insiste sur la subsidiarité de cette mesure (Cass. 1re civ., 14 mai 1996, n° 94-15.028). En l’espèce, la Cour de cassation a précisé qu’en cas de désaccord persistant entre les nus-propriétaires sur le partage en nature, et lorsque ce dernier est impossible, le juge peut ordonner la licitation limitée à la nue-propriété, tout en veillant à ne pas porter atteinte aux droits des autres indivisaires, notamment les usufruitiers.

A cet égard, lorsque la licitation de la nue-propriété seule est impossible pour mettre fin à une indivision, l’article 818 du Code civil prévoit que la licitation de la pleine propriété peut être ordonnée, mais cette mesure exceptionnelle est soumise à des conditions strictes, notamment le consentement de l’usufruitier, comme l’exige l’article 815-5, alinéa 2, du Code civil.

Historiquement, la jurisprudence faisait une distinction selon que l’usufruit portait sur un bien déterminé ou sur une quote-part successorale. Dans le premier cas, la licitation demandée par un nu-propriétaire ne pouvait porter que sur la nue-propriété du bien. Dans le second, la licitation pouvait s’étendre à la pleine propriété des biens successoraux pour fixer l’assiette de l’usufruit (Cass. req., 9 avr. 1877). Cette distinction, bien que logique à l’époque, soulevait des incertitudes pratiques, notamment en matière d’opposabilité des droits de l’usufruitier.

La loi n° 76-1286 du 31 décembre 1976 a constitué une avancée majeure dans la préservation des droits de l’usufruitier. Elle a inséré, à l’article 815-5 du Code civil, une disposition qui énonçait que « le juge ne peut toutefois, sinon aux fins de partage, autoriser la vente de la pleine propriété d’un bien grevé d’usufruit, contre la volonté de l’usufruitier ». Par cette règle, le législateur a entendu limiter de manière explicite les atteintes potentielles aux droits d’usage et de jouissance de l’usufruitier, en faisant de son consentement une condition impérative pour toute licitation de la pleine propriété.

L’apport de cette loi réside dans l’équilibre qu’elle établit entre les prérogatives des indivisaires et la nécessaire protection des intérêts de l’usufruitier. Désormais, l’usufruitier bénéficie d’un droit d’opposition effectif, sauf dans le cadre spécifique d’un partage, rendant ainsi impossible toute décision judiciaire imposant la vente globale du bien sans son accord.

Ce principe a été strictement appliqué par la jurisprudence. Dans un arrêt remarqué du 11 mai 1982, la Cour de cassation a annulé une décision ayant ordonné la licitation de la pleine propriété en méconnaissance de cette exigence légale (Cass. 1re civ., 11 mai 1982, n°81-13.055). La Haute juridiction a alors rappelé que, même face à des difficultés d’indivision, le juge ne peut passer outre le consentement de l’usufruitier, envisagé comme un véritable garde-fou juridique.

Par suite la loi n° 87-498 du 6 juillet 1987 a opéré une réforme décisive en supprimant, dans l’article 815-5 du Code civil, la précision textuelle « sinon aux fins de partage ». Par cette modification, le législateur a étendu la protection accordée à l’usufruitier en rendant son consentement impératif dans tous les cas de licitation de la pleine propriété, sans exception. Cette réforme a marqué une avancée significative en consolidant la protection de l’usufruitier. Elle a ainsi fermé la porte à toute tentative des nus-propriétaires ou des indivisaires de contourner l’exigence de consentement sous le prétexte d’un partage judiciaire. Désormais, le droit d’usage et de jouissance de l’usufruitier ne peut être compromis sans son accord,

Dans le sillon de la loi di 6 juillet 1987, la Cour de cassation a, dans son arrêt du 13 octobre 1993, confirmé que la licitation de la pleine propriété ne peut être imposée sans le consentement de l’usufruitier (Cass. 1re civ., 13 oct. 1993, n° 91-20.707). En l’espèce, la Haute juridiction a censuré une décision ayant ordonné une licitation de la pleine propriété d’un bien indivis, au motif que l’ex-épouse usufruitière n’avait pas donné son accord. Un autre arrêt marquant, rendu le 14 mai 1996 a précisé qu’en cas d’impossibilité de partage en nature, le juge doit privilégier la licitation de la nue-propriété avant d’envisager la pleine propriété (Cass. 1ère civ., 14 mai 1996, n°94-15.028). 

2. Les situations dans lesquelles la licitation n’est pas admise

La licitation, bien qu’elle constitue l’un des moyens pour sortir de l’indivision, ne saurait être admise dans toutes les situations. Le législateur, soucieux de préserver certains équilibres juridiques et économiques, a posé des limites à son recours. Ces restrictions trouvent leur fondement dans des considérations variées, telles que la nécessité de maintenir l’affectation collective de certains biens, de protéger des intérêts spécifiques ou encore de respecter les conventions liant les indivisaires.

Qu’il s’agisse des copropriétés forcées, des hypothèses de maintien imposé dans l’indivision, des conventions d’indivision ou encore des cas d’attribution préférentielle, chacune de ces situations traduit une volonté d’encadrer le droit au partage afin de concilier les droits des indivisaires avec des impératifs supérieurs. 

a. Les copropriétés forcées

Les copropriétés forcées se distinguent par leur caractère inaliénable et insusceptible de partage ou de licitation, une interdiction clairement posée par l’article 6 de la loi n°65-557 du 10 juillet 1965 régissant le statut de la copropriété des immeubles bâtis. Ce texte interdit toute demande de partage concernant les parties communes indispensables à l’usage collectif, telles que les chemins nécessaires à la desserte de plusieurs propriétés. Cette disposition vise à préserver la fonctionnalité et l’utilité commune de ces biens.

La règle exprimée par cette disposition dépasse cependant le cadre strict des immeubles bâtis pour s’étendre à toutes les copropriétés forcées et perpétuelles. La Cour d’appel de Paris a ainsi affirmé, dans un arrêt du 5 octobre 1964, que le partage ou la licitation d’un chemin nécessaire à la desserte de plusieurs propriétés était exclu, en raison de son caractère indispensable à l’usage collectif (CA Paris, 5 oct. 1964).

b. Les cas de maintien forcé dans l’indivision

Par ailleurs, la licitation est exclue dans plusieurs cas où la loi impose le maintien forcé dans l’indivision. Ces hypothèses, prévues aux articles 820 à 824 du Code civil, concernent notamment les biens dont l’indivision est ordonnée pour protéger les intérêts de certaines personnes, comme les mineurs ou les incapables. De manière similaire, l’article 1377 du Code de procédure civile dispose que la vente par adjudication ne peut être prononcée que si le bien ne peut être commodément partagé ou attribué. Avant de prononcer une telle vente, le juge est tenu de vérifier que le bien ne répond pas aux conditions d’un partage en nature et que ni l’attribution préférentielle ni d’autres solutions ne sont envisageables.

c. Les conventions d’indivision

L’article 815-1 du Code civil permet aux indivisaires de conclure une convention d’indivision. Lorsqu’une telle convention est à durée déterminée, la licitation ne peut être demandée pendant la durée de la convention, sauf en cas de justes motifs.

En revanche, si la convention est à durée indéterminée, le partage, y compris par licitation, peut être provoqué à tout moment, mais il ne doit pas l’être de mauvaise foi ou à contretemps (art. 1873-3 C. civ.).

d. L’attribution préférentielle

L’attribution préférentielle constitue un obstacle majeur à la licitation. Ce mécanisme, consacré par les articles 832 et suivants du Code civil, offre à un indivisaire la possibilité de se voir attribuer un bien indivis en priorité, moyennant le versement d’une compensation équitable à ses coindivisaires. Par essence, lorsque cette demande est valablement formulée, la licitation devient inenvisageable, sauf à ce que l’attribution soit rejetée ou manifestement injustifiée.

Historiquement, la place centrale occupée par l’attribution préférentielle dans le cadre des opérations de partage a été explicitée dès l’adoption du décret-loi du 17 juin 1938, introduisant dans le Code civil une disposition spécifique à cet effet. L’ancien article 827 du Code civil, aujourd’hui remplacé par l’article 1377, réservait la licitation aux biens « qui ne peuvent être facilement partagés ou attribués ». En vertu de ce principe, le juge, avant de prononcer une licitation, doit s’assurer que le bien concerné ne peut être intégré dans un partage en nature et qu’aucun indivisaire ne sollicite ou ne pourrait valablement solliciter son attribution préférentielle. Cette double vérification, autrefois essentielle pour garantir une stricte égalité dans la composition des lots, conserve son importance à l’heure où prévaut le principe de l’égalité en valeur des lots.

La jurisprudence a, à maintes reprises, rappelé la prééminence de l’attribution préférentielle sur la licitation. Dès 1947, la Cour de cassation a précisé que l’attribution préférentielle pouvait être sollicitée jusqu’à l’achèvement du partage (Cass. civ., 14 janv. 1947). Toutefois, lorsque la licitation a été ordonnée par une décision ayant acquis l’autorité de la chose jugée, l’attribution préférentielle ne saurait plus prospérer, la licitation devenant alors irrévocable. Dans un arrêt du 9 mars 1971, la Première chambre civile a jugé en ce sens que « la licitation constitue une modalité de partage incompatible avec l’attribution préférentielle. des lors que la licitation d’un immeuble a été ordonnée par une précédente décision devenue irrévocable, un tribunal ne peut sans méconnaitre l’autorité de la chose jugée, prononcer l’attribution préférentielle du même bien indivis » (Cass. 1ère civ. 9 mars 1971, 70-10.072)

Dans sa mise en œuvre, l’attribution préférentielle impose au juge une analyse minutieuse des prétentions en concurrence. Lorsqu’un indivisaire sollicite l’attribution préférentielle d’un bien pendant que d’autres réclament sa licitation, la juridiction saisie doit prioritairement examiner la demande d’attribution, sauf à constater qu’elle contredit les intérêts légitimes des coindivisaires ou qu’elle est matériellement irréalisable. À cet égard, la jurisprudence a notamment rejeté des demandes d’attribution lorsque l’indivisaire demandeur était dans l’incapacité de s’acquitter des soultes nécessaires (Cass. 1re civ., 17 mars 1987, n°85-17.241). 

En outre, l’attribution préférentielle revêt une importance particulière lorsque le maintien de l’usage d’un bien indivis répond à des besoins essentiels. Ainsi, la jurisprudence a privilégié l’attribution du logement familial à l’époux ayant la garde des enfants, au détriment d’une demande concurrente de licitation émanant de l’autre conjoint (TGI Chaumont, 10 juin 1963). Toutefois, cette priorité n’est pas absolue. Des juridictions ont pu refuser une attribution préférentielle lorsque les motifs invoqués ne justifiaient pas un tel choix, comme dans le cas d’un château réclamé pour des raisons purement sentimentales, conduisant à la licitation du bien (TGI Paris, 13 nov. 1970).

Cependant, l’attribution préférentielle n’est pas une prérogative absolue. Elle peut être écartée si l’équilibre des intérêts commande une licitation, notamment lorsque le maintien de l’indivision est matériellement ou économiquement insoutenable. Cette approche pragmatique permet de concilier les droits individuels des indivisaires avec les impératifs collectifs, assurant ainsi le respect des principes d’équité et de justice. 

La licitation: vue générale

Lorsque les opérations de partage achoppent sur des difficultés insurmontables — qu’il s’agisse de l’impossibilité de constituer des lots équilibrés en nature ou de l’incapacité d’un indivisaire à verser une soulte suffisante —, le législateur ouvre la voie au mécanisme de la licitation. Ce procédé, prévu à l’article 827 du Code civil, permet de mettre un terme à l’indivision par la vente d’un bien indivis et la répartition du produit de cette vente entre les copartageants, selon leurs droits respectifs.

La licitation, qui se définit comme l’opération mettant fin à la coexistence de plusieurs droits sur un même bien, peut être amiable ou judiciaire, suivant généralement la nature du partage. Elle constitue un mécanisme visant à désamorcer les situations de blocage en permettant de convertir les droits indivis en numéraire. Toutefois, elle n’est pas nécessairement synonyme de vente publique aux enchères. Le processus peut varier selon qu’un accord entre les indivisaires est trouvé ou qu’une intervention judiciaire s’avère nécessaire.

La licitation amiable s’opère lorsque les indivisaires parviennent à un accord sur les modalités de la vente. Elle peut se faire soit de gré à gré, c’est-à-dire par une cession directe à un tiers acquéreur sans appel au public ni adjudication, soit par adjudication amiable, si les indivisaires décident de soumettre le bien aux enchères dans un cadre qu’ils définissent eux-mêmes. Cette voie, moins contraignante, offre une plus grande souplesse en permettant aux indivisaires de maîtriser les conditions de la cession.

La licitation judiciaire, quant à elle, intervient lorsqu’aucun consensus n’est possible entre les indivisaires. Elle est alors ordonnée par le juge, et la vente s’effectue par adjudication publique, suivant les formes prévues pour la saisie immobilière lorsqu’il s’agit de biens immobiliers, ou pour la saisie-vente lorsqu’il s’agit de biens mobiliers (CPC, art. 1377, al. 2). Ce cadre rigoureux garantit la transparence et la protection des droits de tous les indivisaires.

Le recours à la licitation répond à une double finalité : mettre fin aux situations de blocage en dissolvant une indivision conflictuelle, tout en assurant une répartition équitable du produit de la vente entre les indivisaires. Toutefois, ce mécanisme présente des risques économiques non négligeables, notamment celui d’une adjudication à un prix inférieur à la valeur réelle du bien, ce qui pourrait entraîner une perte patrimoniale pour les copartageants. Par ailleurs, la licitation conduit souvent à la dissolution d’unités économiques (par exemple, un domaine agricole ou un fonds de commerce), compromettant ainsi la pérennité d’un patrimoine indivis.

C’est pourquoi la jurisprudence insiste sur le caractère subsidiaire de la licitation. Elle doit être envisagée en dernier recours, uniquement lorsque toutes les autres alternatives ont échoué — qu’il s’agisse du partage en nature, du recours à une soulte ou d’une division matérielle des biens. Le juge, dans le cadre de son pouvoir souverain d’appréciation, doit s’assurer que la licitation n’entraîne pas une dévalorisation excessive du patrimoine ni une atteinte disproportionnée aux intérêts des indivisaires.

==>Notion

La licitation, issue du verbe latin liceri signifiant « mettre à prix », désigne une procédure par laquelle un bien indivis est vendu aux enchères afin de répartir équitablement le produit de cette vente entre les indivisaires. Bien qu’elle apparaisse comme une solution exceptionnelle, elle constitue un outil précieux pour remédier aux situations de blocage, lorsque le partage en nature s’avère impossible ou inopportun.

La doctrine a progressivement affiné les contours de la notion de licitation, en identifiant plusieurs acceptions qui correspondent à des situations spécifiques dans lesquelles ce mécanisme peut être mobilisé. Gérard Cornu, dans son dictionnaire juridique, distingue trois formes principales de licitation. Bien que répondant à des hypothèses distinctes — qu’il s’agisse de démêler une situation de propriété complexe ou d’organiser le partage entre cohéritiers —, elles partagent une même finalité : prévenir la pérennisation d’une indivision conflictuelle ou économiquement stérile, tout en assurant la meilleure valorisation du bien cédé et une répartition équitable du produit entre les indivisaires.

Quoi qu’il en soit, la notion de licitation revêt ainsi une double dimension :

  • D’une part, elle permet aux indivisaires d’échapper au maintien forcé dans une indivision susceptible de compromettre leurs intérêts. 
  • D’autre part, elle organise l’aliénation du bien indivis de manière à garantir une valorisation optimale, tout en assurant le respect des droits de chaque indivisaire.

Comme le soulignait Pothier en son temps « la licitation n’est pas une simple vente ; elle est un acte de partage, destiné à mettre fin aux contestations entre indivisaires par une adjudication qui, en faisant émerger un acquéreur, offre à chacun sa part en valeur ».

Ainsi, la licitation ne se réduit pas à une opération de cession forcée, mais s’inscrit dans une logique d’apaisement des conflits successoraux et de préservation des intérêts patrimoniaux, en conjuguant efficacité économique et sécurité juridique.

==>La licitation comme alternative au partage en nature

Le principe du partage en nature irrigue l’ensemble du droit des successions et de l’indivision. Il repose sur l’idée que chaque indivisaire a vocation à recevoir un lot composé de biens physiques, pour une valeur correspondant à ses droits dans l’indivision. Ce postulat, issu d’une tradition civiliste séculaire, trouve son ancrage dans l’article 815 du Code civil, qui consacre la liberté de demander le partage comme un droit imprescriptible. Ce principe est toutefois tempéré par une réalité économique et pratique : certains biens, en raison de leur nature ou de leur consistance, ne peuvent être commodément divisés. C’est dans ces circonstances que le mécanisme de la licitation intervient, en tant qu’alternative au partage en nature.

Ce mécanisme, qui consiste en la mise aux enchères d’un bien indivis afin d’en répartir le produit entre les indivisaires, répond à une logique pratique visant à éviter la pérennisation d’une indivision stérile ou conflictuelle. Il ne saurait toutefois être admis que de manière restrictive. Le partage en nature demeure la règle. Cette prééminence a été réaffirmée par la réforme des successions opérée par la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, qui a modifié les articles 825 à 832 du Code civil. L’article 826, alinéa 2, dispose désormais que « chaque copartageant reçoit des biens pour une valeur égale à celle de ses droits dans l’indivision ». Cette disposition vise à éviter le recours systématique à la licitation, en privilégiant une répartition des biens existants selon leur valeur, plutôt qu’une mise en vente systématique des biens indivis.

A cet égard, la doctrine reconnaît que cette réforme a renforcé la primauté du partage en nature en instaurant une égalité en valeur, plutôt qu’en nature. Comme l’a souligné Claude Brenner « en substituant une exigence d’équité en valeur à l’égalité parfaite en nature, le législateur a voulu limiter le recours à la licitation, souvent source de conflits et de dévalorisation des biens ». Cette nouvelle approche permet d’éviter que des biens indivis, pourtant partageables en théorie, ne soient vendus aux enchères faute de pouvoir être répartis de manière parfaitement égale.

Cette volonté de limiter le recours à la licitation témoigne d’une approche pragmatique du législateur, soucieux de concilier les impératifs économiques et patrimoniaux inhérents aux opérations de partage. La priorité donnée au partage en nature traduit une exigence de préservation du droit de propriété individuel, tout en évitant que la pérennisation d’une indivision ne devienne un obstacle à la gestion efficace des biens communs. Cependant, malgré les efforts déployés pour favoriser une répartition des biens selon leur valeur, certaines situations rendent inévitable la mise en œuvre d’une licitation.

En effet, lorsque le partage en nature se heurte à des impossibilités matérielles ou juridiques, ou lorsqu’il compromet l’équité due à chaque copartageant, la licitation s’impose comme une solution nécessaire, bien que strictement encadré. Ce mécanisme, envisagé à titre subsidiaire, permet de convertir la valeur des biens en numéraire, garantissant ainsi une répartition juste et équilibrée du produit de leur cession. Toutefois, son caractère exceptionnel appelle une application prudente et raisonnée, afin d’éviter toute atteinte disproportionnée au droit de propriété des indivisaires.

La licitation trouve son fondement dans l’article 1377 du Code de procédure civile, qui prévoit que le tribunal peut ordonner la vente par adjudication des biens qui ne peuvent être aisément partagés ou attribués. Cette disposition traduit l’exigence d’un contrôle juridictionnel rigoureux : le juge ne saurait autoriser une telle mesure qu’après avoir constaté que toutes les alternatives de partage en nature ont été envisagées et se sont révélées impraticables. Il lui incombe de vérifier que l’attribution en pleine propriété à l’un des indivisaires n’est pas envisageable ou que le partage matériel du bien compromettrait l’équité patrimoniale. Ce n’est qu’à défaut de solutions raisonnables que la mise aux enchères peut être ordonnée.

Cependant, le caractère dérogatoire de cette mesure ne saurait être éludé. En effet, la licitation implique une conversion forcée de droits réels en une valeur monétaire, altérant ainsi la nature même du droit de propriété. Cette transformation, qui peut être perçue comme une dénaturation du patrimoine indivis, soulève des interrogations quant au respect des prérogatives fondamentales des indivisaires. La doctrine souligne, à cet égard, que la licitation « doit demeurer une exception à la règle du partage en nature, interprétée de manière restrictive ».

Cette approche restrictive s’explique également par les effets particulièrement lourds de la licitation, laquelle emporte, de facto, une forme d’expropriation privée. Les indivisaires opposés à la vente se trouvent contraints de céder leurs droits sur le bien commun, en contrepartie du produit de la vente. Une telle aliénation, imposée par voie judiciaire, nécessite donc un encadrement strict pour éviter toute atteinte arbitraire aux droits des copartageants. Comme le rappelle Gérard Cornu, « le partage en nature est le mode naturel de répartition des biens indivis ; la vente par licitation, bien qu’utilitaire dans certaines circonstances, doit être envisagée avec la plus grande prudence ».

En définitive, la licitation apparaît comme une réponse pragmatique aux situations de blocage, permettant de sortir d’une indivision stérile tout en assurant une répartition équitable du produit de la vente. Toutefois, elle ne saurait être admise comme une solution de facilité. Son caractère exceptionnel impose que le juge veille à ce que toutes les tentatives de partage en nature aient été épuisées avant d’envisager une telle mesure. Il lui incombe ainsi de préserver un équilibre délicat entre, d’une part, le respect du droit de propriété individuel et, d’autre part, l’impératif d’une gestion économique optimale des biens indivis. 

==>Nature juridique de la licitation

La licitation se distingue des autres formes de vente en ce qu’elle est intrinsèquement liée au régime de l’indivision et aux opérations de partage. Si elle emprunte certaines caractéristiques formelles à la vente judiciaire aux enchères, elle ne saurait être confondue avec une cession ordinaire, car son objet principal reste la dissolution d’une indivision devenue inextricable. Sa nature juridique oscille donc entre vente et partage, une qualification qui dépend principalement de l’identité de l’adjudicataire.

Lorsque le bien indivis est adjugé à un tiers, la licitation produit les effets d’une vente classique. Le bien sort définitivement du patrimoine indivis pour rejoindre celui du nouvel acquéreur, mettant ainsi fin aux relations juridiques des indivisaires avec le bien cédé. Dans ce cas, les indivisaires perçoivent le produit de la vente en proportion de leurs droits respectifs, mais perdent toute prétention sur le bien lui-même. Cette situation, bien que juridiquement fondée, s’apparente parfois à une forme d’expropriation privée. En effet, les indivisaires opposés à la vente se voient contraints de céder leurs droits en contrepartie du prix obtenu lors de l’adjudication, une mesure qui ne peut être justifiée que par l’impossibilité matérielle ou juridique de procéder à un partage en nature.

À l’inverse, lorsque l’adjudicataire est un indivisaire, la licitation est assimilée à une opération de partage, produisant un effet déclaratif. Conformément à l’article 883 du Code civil, chaque indivisaire est réputé avoir été propriétaire exclusif du bien qui lui est attribué depuis l’ouverture de l’indivision. Cette fiction juridique vise à garantir une continuité dans la titularité du bien, tout en évitant les effets d’une vente purement translative de propriété. En d’autres termes, la licitation-partage ne modifie pas substantiellement les droits des indivisaires, mais les réorganise autour d’une attribution individuelle.

Cette dualité entre vente et partage illustre le caractère hybride de la licitation, qui oscille entre ces deux régimes en fonction des circonstances de l’adjudication. Cette ambivalence a d’ailleurs suscité des interrogations en jurisprudence quant à sa nature exacte. Toutefois, la Cour de cassation est venue apporter des éclaircissements précieux dans un arrêt du 25 novembre 1971. La Haute juridiction a jugé que le droit de demander la licitation découle directement du droit de provoquer le partage, consacré par l’article 815 du Code civil. En censurant une cour d’appel qui avait refusé de prononcer la licitation d’un bien indivis sous prétexte qu’une indivision existait déjà entre les parties, la Première chambre civile a rappelé que nul ne peut être contraint de demeurer dans une indivision, affirmant ainsi que la licitation constitue une modalité particulière de sortie de cette situation (Cass. 1ère civ., 25 nov. 1971, n° 70-13.278).

Cette position a été confortée par un second arrêt rendu le 5 janvier 1977, aux termes duquel la Cour de cassation a précisé que la licitation, lorsqu’elle bénéficie à un indivisaire, doit être assimilée à un partage avec effet déclaratif. En revanche, si l’adjudication profite à un tiers, elle conserve les caractéristiques d’une vente, entraînant un transfert définitif de propriété. En l’espèce, la Haute juridiction avait été saisie d’une demande de licitation portant sur un domaine agricole, que la cour d’appel avait refusé d’ordonner en se fondant sur des dispositions testamentaires supposées contraires. La Cour de cassation a censuré cette décision, rappelant que l’article 815 du Code civil consacre le droit absolu de provoquer le partage, nonobstant toute clause prohibitive. Elle a ainsi réaffirmé que la licitation constitue un outil juridique permettant de surmonter les blocages patrimoniaux, à condition de respecter les exigences légales encadrant son recours (Cass. 1re civ., 5 janv. 1977, n° 75-15.199).

Cette approche jurisprudentielle témoigne de la reconnaissance d’un équilibre délicat entre le droit de propriété individuel et la nécessité de mettre fin à une indivision économiquement stérile. La doctrine abonde dans ce sens : Gérard Cornu a souligné que « la licitation, bien qu’utilitaire dans certaines circonstances, demeure une mesure d’exception, assimilée au partage lorsqu’elle intervient entre indivisaires ». De même, Baudry-Lacantinerie et Saignat insistent sur le fait que « la licitation doit être interprétée comme une modalité de sortie de l’indivision, et non comme une simple vente judiciaire ».

En définitive, la licitation se présente comme un mécanisme pragmatique visant à dénouer les situations d’indivision conflictuelle ou inextricable. Toutefois, son recours doit être strictement encadré pour éviter qu’elle ne se transforme en un outil de dépossession injustifiée. Le juge, dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation, doit veiller à ce que la licitation ne devienne pas une solution de facilité, mais reste fidèle à sa finalité première : faciliter le partage des biens indivis lorsque le partage en nature se révèle impossible ou inéquitable.

==>Textes applicables

Le recours à la licitation obéit à un cadre juridique rigoureux, à la croisée des règles de fond posées par le Code civil et des exigences procédurales prévues par le Code de procédure civile. Cette double source normative traduit la volonté du législateur de circonscrire ce mécanisme à des hypothèses strictement encadrées, afin de préserver les droits des indivisaires tout en favorisant une gestion économique efficace des biens indivis.

Dans le Code civil, les dispositions relatives à la licitation se trouvent au sein du chapitre VII intitulé « De la licitation », intégré au titre VI relatif à la vente. Les articles 1686 à 1688 définissent les principales hypothèses dans lesquelles ce mécanisme peut être mobilisé.

L’article 1686 consacre ainsi le principe selon lequel la licitation ne peut être envisagée que lorsqu’un bien indivis « ne peut être commodément partagé en nature ». Ce texte reflète une philosophie jurisprudentielle constante : la vente par licitation doit demeurer une solution d’exception, réservée aux cas où le partage matériel des biens se heurte à des obstacles insurmontables. Cette impossibilité peut être d’ordre matériel — lorsque la division physique du bien porterait atteinte à sa valeur ou à son utilité — ou juridique, en raison de la configuration des droits concurrents des indivisaires.

L’article 1687 ajoute que, « sauf accord entre les indivisaires », la vente doit être effectuée aux enchères publiques. Cette exigence vise à garantir la transparence et l’objectivité du processus, en assurant que le bien sera cédé au plus offrant. La publicité des enchères permet d’éviter toute suspicion de dévalorisation artificielle du patrimoine indivis, tout en protégeant les intérêts de chacun des copartageants.

Quant à l’article 1688, il renvoie aux dispositions du Code de procédure civile, qui précise les formalités applicables à la licitation. Ce renvoi témoigne de la volonté du législateur d’assurer une articulation cohérente entre les règles de fond régissant la licitation et les exigences procédurales encadrant son exécution devant les juridictions.

Au titre des opérations de partage, la licitation est régie par le chapitre VIII « Du partage » du titre Ier relatif aux successions, dans le livre III du Code civil, consacré aux différentes manières d’acquérir la propriété. Cette réglementation s’inscrit dans la logique d’une alternative au partage en nature, lorsqu’une répartition matérielle des biens hérités s’avère impossible ou inopportune.

L’article 817 dispose ainsi que la licitation peut porter sur l’usufruit, la nue-propriété, ou la pleine propriété d’un bien indivis. Cette précision témoigne de la volonté du législateur de permettre une adaptation des modalités de partage à la nature particulière des droits en jeu. L’article 818 vient compléter cette disposition en précisant que, dans le cadre des successions, les héritiers peuvent demander la licitation lorsque les biens indivis ne peuvent être commodément répartis en nature.

Par ailleurs, l’article 883 prévoit que la licitation opérée au bénéfice d’un indivisaire produit un effet déclaratif, propre aux opérations de partage. Cette fiction juridique permet de considérer que chaque indivisaire est réputé propriétaire exclusif du bien qui lui est attribué depuis l’ouverture de l’indivision, assurant ainsi une continuité dans la titularité des droits, tout en évitant les effets d’une simple vente translatrice de propriété.

Sur le plan procédural, les articles 1377 et 1378 du Code de procédure civile viennent renforcer cette approche restrictive. L’article 1377 dispose que « le tribunal ordonne, dans les conditions qu’il détermine, la vente par adjudication des biens qui ne peuvent être facilement partagés ou attribués ». Cette disposition confère au juge un rôle central dans l’appréciation des conditions de la licitation. Il lui incombe de vérifier que toutes les solutions alternatives ont été explorées avant d’autoriser une telle vente. En particulier, le juge doit s’assurer que le bien indivis ne peut être attribué préférentiellement à l’un des indivisaires ou partagé sous une autre forme, notamment par voie de compensation financière.

L’article 1378 précise les modalités pratiques de la vente par adjudication, en imposant le respect des règles applicables aux ventes judiciaires. Ces exigences procédurales visent à garantir que la licitation s’opère dans un cadre rigoureux et impartial, en évitant tout risque d’arbitraire ou de favoritisme.

Ces textes traduisent une préoccupation constante du législateur : faire de la licitation un mécanisme strictement subsidiaire, destiné à surmonter les blocages patrimoniaux Car en effet, la licitation ne saurait être perçue comme une solution de facilité ; elle doit demeurer une exception au principe fondamental du partage en nature.

Les alternatives au partage en nature: la licitation des biens

Lorsque les opérations de partage achoppent sur des difficultés insurmontables — qu’il s’agisse de l’impossibilité de constituer des lots équilibrés en nature ou de l’incapacité d’un indivisaire à verser une soulte suffisante —, le législateur ouvre la voie au mécanisme de la licitation. Ce procédé, prévu à l’article 827 du Code civil, permet de mettre un terme à l’indivision par la vente d’un bien indivis et la répartition du produit de cette vente entre les copartageants, selon leurs droits respectifs.

La licitation, qui se définit comme l’opération mettant fin à la coexistence de plusieurs droits sur un même bien, peut être amiable ou judiciaire, suivant généralement la nature du partage. Elle constitue un mécanisme visant à désamorcer les situations de blocage en permettant de convertir les droits indivis en numéraire. Toutefois, elle n’est pas nécessairement synonyme de vente publique aux enchères. Le processus peut varier selon qu’un accord entre les indivisaires est trouvé ou qu’une intervention judiciaire s’avère nécessaire.

La licitation amiable s’opère lorsque les indivisaires parviennent à un accord sur les modalités de la vente. Elle peut se faire soit de gré à gré, c’est-à-dire par une cession directe à un tiers acquéreur sans appel au public ni adjudication, soit par adjudication amiable, si les indivisaires décident de soumettre le bien aux enchères dans un cadre qu’ils définissent eux-mêmes. Cette voie, moins contraignante, offre une plus grande souplesse en permettant aux indivisaires de maîtriser les conditions de la cession.

La licitation judiciaire, quant à elle, intervient lorsqu’aucun consensus n’est possible entre les indivisaires. Elle est alors ordonnée par le juge, et la vente s’effectue par adjudication publique, suivant les formes prévues pour la saisie immobilière lorsqu’il s’agit de biens immobiliers, ou pour la saisie-vente lorsqu’il s’agit de biens mobiliers (CPC, art. 1377, al. 2). Ce cadre rigoureux garantit la transparence et la protection des droits de tous les indivisaires.

Le recours à la licitation répond à une double finalité : mettre fin aux situations de blocage en dissolvant une indivision conflictuelle, tout en assurant une répartition équitable du produit de la vente entre les indivisaires. Toutefois, ce mécanisme présente des risques économiques non négligeables, notamment celui d’une adjudication à un prix inférieur à la valeur réelle du bien, ce qui pourrait entraîner une perte patrimoniale pour les copartageants. Par ailleurs, la licitation conduit souvent à la dissolution d’unités économiques (par exemple, un domaine agricole ou un fonds de commerce), compromettant ainsi la pérennité d’un patrimoine indivis.

C’est pourquoi la jurisprudence insiste sur le caractère subsidiaire de la licitation. Elle doit être envisagée en dernier recours, uniquement lorsque toutes les autres alternatives ont échoué — qu’il s’agisse du partage en nature, du recours à une soulte ou d’une division matérielle des biens. Le juge, dans le cadre de son pouvoir souverain d’appréciation, doit s’assurer que la licitation n’entraîne pas une dévalorisation excessive du patrimoine ni une atteinte disproportionnée aux intérêts des indivisaires.

==>Notion

La licitation, issue du verbe latin liceri signifiant « mettre à prix », désigne une procédure par laquelle un bien indivis est vendu aux enchères afin de répartir équitablement le produit de cette vente entre les indivisaires. Bien qu’elle apparaisse comme une solution exceptionnelle, elle constitue un outil précieux pour remédier aux situations de blocage, lorsque le partage en nature s’avère impossible ou inopportun.

La doctrine a progressivement affiné les contours de la notion de licitation, en identifiant plusieurs acceptions qui correspondent à des situations spécifiques dans lesquelles ce mécanisme peut être mobilisé. Gérard Cornu, dans son dictionnaire juridique, distingue trois formes principales de licitation. Bien que répondant à des hypothèses distinctes — qu’il s’agisse de démêler une situation de propriété complexe ou d’organiser le partage entre cohéritiers —, elles partagent une même finalité : prévenir la pérennisation d’une indivision conflictuelle ou économiquement stérile, tout en assurant la meilleure valorisation du bien cédé et une répartition équitable du produit entre les indivisaires.

Quoi qu’il en soit, la notion de licitation revêt ainsi une double dimension :

  • D’une part, elle permet aux indivisaires d’échapper au maintien forcé dans une indivision susceptible de compromettre leurs intérêts. 
  • D’autre part, elle organise l’aliénation du bien indivis de manière à garantir une valorisation optimale, tout en assurant le respect des droits de chaque indivisaire.

Comme le soulignait Pothier en son temps « la licitation n’est pas une simple vente ; elle est un acte de partage, destiné à mettre fin aux contestations entre indivisaires par une adjudication qui, en faisant émerger un acquéreur, offre à chacun sa part en valeur ».

Ainsi, la licitation ne se réduit pas à une opération de cession forcée, mais s’inscrit dans une logique d’apaisement des conflits successoraux et de préservation des intérêts patrimoniaux, en conjuguant efficacité économique et sécurité juridique.

==>La licitation comme alternative au partage en nature

Le principe du partage en nature irrigue l’ensemble du droit des successions et de l’indivision. Il repose sur l’idée que chaque indivisaire a vocation à recevoir un lot composé de biens physiques, pour une valeur correspondant à ses droits dans l’indivision. Ce postulat, issu d’une tradition civiliste séculaire, trouve son ancrage dans l’article 815 du Code civil, qui consacre la liberté de demander le partage comme un droit imprescriptible. Ce principe est toutefois tempéré par une réalité économique et pratique : certains biens, en raison de leur nature ou de leur consistance, ne peuvent être commodément divisés. C’est dans ces circonstances que le mécanisme de la licitation intervient, en tant qu’alternative au partage en nature.

Ce mécanisme, qui consiste en la mise aux enchères d’un bien indivis afin d’en répartir le produit entre les indivisaires, répond à une logique pratique visant à éviter la pérennisation d’une indivision stérile ou conflictuelle. Il ne saurait toutefois être admis que de manière restrictive. Le partage en nature demeure la règle. Cette prééminence a été réaffirmée par la réforme des successions opérée par la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, qui a modifié les articles 825 à 832 du Code civil. L’article 826, alinéa 2, dispose désormais que « chaque copartageant reçoit des biens pour une valeur égale à celle de ses droits dans l’indivision ». Cette disposition vise à éviter le recours systématique à la licitation, en privilégiant une répartition des biens existants selon leur valeur, plutôt qu’une mise en vente systématique des biens indivis.

A cet égard, la doctrine reconnaît que cette réforme a renforcé la primauté du partage en nature en instaurant une égalité en valeur, plutôt qu’en nature. Comme l’a souligné Claude Brenner « en substituant une exigence d’équité en valeur à l’égalité parfaite en nature, le législateur a voulu limiter le recours à la licitation, souvent source de conflits et de dévalorisation des biens ». Cette nouvelle approche permet d’éviter que des biens indivis, pourtant partageables en théorie, ne soient vendus aux enchères faute de pouvoir être répartis de manière parfaitement égale.

Cette volonté de limiter le recours à la licitation témoigne d’une approche pragmatique du législateur, soucieux de concilier les impératifs économiques et patrimoniaux inhérents aux opérations de partage. La priorité donnée au partage en nature traduit une exigence de préservation du droit de propriété individuel, tout en évitant que la pérennisation d’une indivision ne devienne un obstacle à la gestion efficace des biens communs. Cependant, malgré les efforts déployés pour favoriser une répartition des biens selon leur valeur, certaines situations rendent inévitable la mise en œuvre d’une licitation.

En effet, lorsque le partage en nature se heurte à des impossibilités matérielles ou juridiques, ou lorsqu’il compromet l’équité due à chaque copartageant, la licitation s’impose comme une solution nécessaire, bien que strictement encadré. Ce mécanisme, envisagé à titre subsidiaire, permet de convertir la valeur des biens en numéraire, garantissant ainsi une répartition juste et équilibrée du produit de leur cession. Toutefois, son caractère exceptionnel appelle une application prudente et raisonnée, afin d’éviter toute atteinte disproportionnée au droit de propriété des indivisaires.

La licitation trouve son fondement dans l’article 1377 du Code de procédure civile, qui prévoit que le tribunal peut ordonner la vente par adjudication des biens qui ne peuvent être aisément partagés ou attribués. Cette disposition traduit l’exigence d’un contrôle juridictionnel rigoureux : le juge ne saurait autoriser une telle mesure qu’après avoir constaté que toutes les alternatives de partage en nature ont été envisagées et se sont révélées impraticables. Il lui incombe de vérifier que l’attribution en pleine propriété à l’un des indivisaires n’est pas envisageable ou que le partage matériel du bien compromettrait l’équité patrimoniale. Ce n’est qu’à défaut de solutions raisonnables que la mise aux enchères peut être ordonnée.

Cependant, le caractère dérogatoire de cette mesure ne saurait être éludé. En effet, la licitation implique une conversion forcée de droits réels en une valeur monétaire, altérant ainsi la nature même du droit de propriété. Cette transformation, qui peut être perçue comme une dénaturation du patrimoine indivis, soulève des interrogations quant au respect des prérogatives fondamentales des indivisaires. La doctrine souligne, à cet égard, que la licitation « doit demeurer une exception à la règle du partage en nature, interprétée de manière restrictive ».

Cette approche restrictive s’explique également par les effets particulièrement lourds de la licitation, laquelle emporte, de facto, une forme d’expropriation privée. Les indivisaires opposés à la vente se trouvent contraints de céder leurs droits sur le bien commun, en contrepartie du produit de la vente. Une telle aliénation, imposée par voie judiciaire, nécessite donc un encadrement strict pour éviter toute atteinte arbitraire aux droits des copartageants. Comme le rappelle Gérard Cornu, « le partage en nature est le mode naturel de répartition des biens indivis ; la vente par licitation, bien qu’utilitaire dans certaines circonstances, doit être envisagée avec la plus grande prudence ».

En définitive, la licitation apparaît comme une réponse pragmatique aux situations de blocage, permettant de sortir d’une indivision stérile tout en assurant une répartition équitable du produit de la vente. Toutefois, elle ne saurait être admise comme une solution de facilité. Son caractère exceptionnel impose que le juge veille à ce que toutes les tentatives de partage en nature aient été épuisées avant d’envisager une telle mesure. Il lui incombe ainsi de préserver un équilibre délicat entre, d’une part, le respect du droit de propriété individuel et, d’autre part, l’impératif d’une gestion économique optimale des biens indivis. 

==>Nature juridique de la licitation

La licitation se distingue des autres formes de vente en ce qu’elle est intrinsèquement liée au régime de l’indivision et aux opérations de partage. Si elle emprunte certaines caractéristiques formelles à la vente judiciaire aux enchères, elle ne saurait être confondue avec une cession ordinaire, car son objet principal reste la dissolution d’une indivision devenue inextricable. Sa nature juridique oscille donc entre vente et partage, une qualification qui dépend principalement de l’identité de l’adjudicataire.

Lorsque le bien indivis est adjugé à un tiers, la licitation produit les effets d’une vente classique. Le bien sort définitivement du patrimoine indivis pour rejoindre celui du nouvel acquéreur, mettant ainsi fin aux relations juridiques des indivisaires avec le bien cédé. Dans ce cas, les indivisaires perçoivent le produit de la vente en proportion de leurs droits respectifs, mais perdent toute prétention sur le bien lui-même. Cette situation, bien que juridiquement fondée, s’apparente parfois à une forme d’expropriation privée. En effet, les indivisaires opposés à la vente se voient contraints de céder leurs droits en contrepartie du prix obtenu lors de l’adjudication, une mesure qui ne peut être justifiée que par l’impossibilité matérielle ou juridique de procéder à un partage en nature.

À l’inverse, lorsque l’adjudicataire est un indivisaire, la licitation est assimilée à une opération de partage, produisant un effet déclaratif. Conformément à l’article 883 du Code civil, chaque indivisaire est réputé avoir été propriétaire exclusif du bien qui lui est attribué depuis l’ouverture de l’indivision. Cette fiction juridique vise à garantir une continuité dans la titularité du bien, tout en évitant les effets d’une vente purement translative de propriété. En d’autres termes, la licitation-partage ne modifie pas substantiellement les droits des indivisaires, mais les réorganise autour d’une attribution individuelle.

Cette dualité entre vente et partage illustre le caractère hybride de la licitation, qui oscille entre ces deux régimes en fonction des circonstances de l’adjudication. Cette ambivalence a d’ailleurs suscité des interrogations en jurisprudence quant à sa nature exacte. Toutefois, la Cour de cassation est venue apporter des éclaircissements précieux dans un arrêt du 25 novembre 1971. La Haute juridiction a jugé que le droit de demander la licitation découle directement du droit de provoquer le partage, consacré par l’article 815 du Code civil. En censurant une cour d’appel qui avait refusé de prononcer la licitation d’un bien indivis sous prétexte qu’une indivision existait déjà entre les parties, la Première chambre civile a rappelé que nul ne peut être contraint de demeurer dans une indivision, affirmant ainsi que la licitation constitue une modalité particulière de sortie de cette situation (Cass. 1ère civ., 25 nov. 1971, n° 70-13.278).

Cette position a été confortée par un second arrêt rendu le 5 janvier 1977, aux termes duquel la Cour de cassation a précisé que la licitation, lorsqu’elle bénéficie à un indivisaire, doit être assimilée à un partage avec effet déclaratif. En revanche, si l’adjudication profite à un tiers, elle conserve les caractéristiques d’une vente, entraînant un transfert définitif de propriété. En l’espèce, la Haute juridiction avait été saisie d’une demande de licitation portant sur un domaine agricole, que la cour d’appel avait refusé d’ordonner en se fondant sur des dispositions testamentaires supposées contraires. La Cour de cassation a censuré cette décision, rappelant que l’article 815 du Code civil consacre le droit absolu de provoquer le partage, nonobstant toute clause prohibitive. Elle a ainsi réaffirmé que la licitation constitue un outil juridique permettant de surmonter les blocages patrimoniaux, à condition de respecter les exigences légales encadrant son recours (Cass. 1re civ., 5 janv. 1977, n° 75-15.199).

Cette approche jurisprudentielle témoigne de la reconnaissance d’un équilibre délicat entre le droit de propriété individuel et la nécessité de mettre fin à une indivision économiquement stérile. La doctrine abonde dans ce sens : Gérard Cornu a souligné que « la licitation, bien qu’utilitaire dans certaines circonstances, demeure une mesure d’exception, assimilée au partage lorsqu’elle intervient entre indivisaires ». De même, Baudry-Lacantinerie et Saignat insistent sur le fait que « la licitation doit être interprétée comme une modalité de sortie de l’indivision, et non comme une simple vente judiciaire ».

En définitive, la licitation se présente comme un mécanisme pragmatique visant à dénouer les situations d’indivision conflictuelle ou inextricable. Toutefois, son recours doit être strictement encadré pour éviter qu’elle ne se transforme en un outil de dépossession injustifiée. Le juge, dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation, doit veiller à ce que la licitation ne devienne pas une solution de facilité, mais reste fidèle à sa finalité première : faciliter le partage des biens indivis lorsque le partage en nature se révèle impossible ou inéquitable.

==>Textes applicables

Le recours à la licitation obéit à un cadre juridique rigoureux, à la croisée des règles de fond posées par le Code civil et des exigences procédurales prévues par le Code de procédure civile. Cette double source normative traduit la volonté du législateur de circonscrire ce mécanisme à des hypothèses strictement encadrées, afin de préserver les droits des indivisaires tout en favorisant une gestion économique efficace des biens indivis.

Dans le Code civil, les dispositions relatives à la licitation se trouvent au sein du chapitre VII intitulé « De la licitation », intégré au titre VI relatif à la vente. Les articles 1686 à 1688 définissent les principales hypothèses dans lesquelles ce mécanisme peut être mobilisé.

L’article 1686 consacre ainsi le principe selon lequel la licitation ne peut être envisagée que lorsqu’un bien indivis « ne peut être commodément partagé en nature ». Ce texte reflète une philosophie jurisprudentielle constante : la vente par licitation doit demeurer une solution d’exception, réservée aux cas où le partage matériel des biens se heurte à des obstacles insurmontables. Cette impossibilité peut être d’ordre matériel — lorsque la division physique du bien porterait atteinte à sa valeur ou à son utilité — ou juridique, en raison de la configuration des droits concurrents des indivisaires.

L’article 1687 ajoute que, « sauf accord entre les indivisaires », la vente doit être effectuée aux enchères publiques. Cette exigence vise à garantir la transparence et l’objectivité du processus, en assurant que le bien sera cédé au plus offrant. La publicité des enchères permet d’éviter toute suspicion de dévalorisation artificielle du patrimoine indivis, tout en protégeant les intérêts de chacun des copartageants.

Quant à l’article 1688, il renvoie aux dispositions du Code de procédure civile, qui précise les formalités applicables à la licitation. Ce renvoi témoigne de la volonté du législateur d’assurer une articulation cohérente entre les règles de fond régissant la licitation et les exigences procédurales encadrant son exécution devant les juridictions.

Au titre des opérations de partage, la licitation est régie par le chapitre VIII « Du partage » du titre Ier relatif aux successions, dans le livre III du Code civil, consacré aux différentes manières d’acquérir la propriété. Cette réglementation s’inscrit dans la logique d’une alternative au partage en nature, lorsqu’une répartition matérielle des biens hérités s’avère impossible ou inopportune.

L’article 817 dispose ainsi que la licitation peut porter sur l’usufruit, la nue-propriété, ou la pleine propriété d’un bien indivis. Cette précision témoigne de la volonté du législateur de permettre une adaptation des modalités de partage à la nature particulière des droits en jeu. L’article 818 vient compléter cette disposition en précisant que, dans le cadre des successions, les héritiers peuvent demander la licitation lorsque les biens indivis ne peuvent être commodément répartis en nature.

Par ailleurs, l’article 883 prévoit que la licitation opérée au bénéfice d’un indivisaire produit un effet déclaratif, propre aux opérations de partage. Cette fiction juridique permet de considérer que chaque indivisaire est réputé propriétaire exclusif du bien qui lui est attribué depuis l’ouverture de l’indivision, assurant ainsi une continuité dans la titularité des droits, tout en évitant les effets d’une simple vente translatrice de propriété.

Sur le plan procédural, les articles 1377 et 1378 du Code de procédure civile viennent renforcer cette approche restrictive. L’article 1377 dispose que « le tribunal ordonne, dans les conditions qu’il détermine, la vente par adjudication des biens qui ne peuvent être facilement partagés ou attribués ». Cette disposition confère au juge un rôle central dans l’appréciation des conditions de la licitation. Il lui incombe de vérifier que toutes les solutions alternatives ont été explorées avant d’autoriser une telle vente. En particulier, le juge doit s’assurer que le bien indivis ne peut être attribué préférentiellement à l’un des indivisaires ou partagé sous une autre forme, notamment par voie de compensation financière.

L’article 1378 précise les modalités pratiques de la vente par adjudication, en imposant le respect des règles applicables aux ventes judiciaires. Ces exigences procédurales visent à garantir que la licitation s’opère dans un cadre rigoureux et impartial, en évitant tout risque d’arbitraire ou de favoritisme.

Ces textes traduisent une préoccupation constante du législateur : faire de la licitation un mécanisme strictement subsidiaire, destiné à surmonter les blocages patrimoniaux Car en effet, la licitation ne saurait être perçue comme une solution de facilité ; elle doit demeurer une exception au principe fondamental du partage en nature.

1. Domaine de la licitation

La licitation est une modalité spécifique du partage permettant de vendre aux enchères un bien indivis lorsque celui-ci ne peut être commodément partagé ou attribué à l’un des indivisaires. Si cette procédure permet de surmonter les difficultés liées à l’indivision, elle ne peut être systématiquement envisagée. Elle répond à un cadre juridique précis, alternant situations dans lesquelles elle peut être ordonnée et cas où elle est expressément exclue. Nous développerons cette analyse selon deux axes : les situations d’intervention de la licitation, puis les hypothèses dans lesquelles elle est prohibée.

1.1 Les situations dans lesquelles la licitation est admise

La licitation trouve principalement à s’appliquer dans les cas d’indivision, qu’il s’agisse d’une indivision en pleine propriété, d’une indivision en usufruit ou d’une indivision en nue-propriété. Cette modalité de partage peut être sollicitée tant dans le cadre d’une indivision successorale que d’une indivision résultant d’un régime matrimonial ou d’un démembrement de propriété.

a. L’indivision en pleine propriété

La situation la plus classique donnant lieu à une licitation est celle d’une indivision en pleine propriété. Ce mécanisme s’applique aux biens indivis, indépendamment de leur origine, qu’elle soit légale, conventionnelle ou successorale. Il s’agit d’une démarche subsidiaire destinée à pallier l’impossibilité de procéder à un partage en nature, tout en préservant l’égalité entre les indivisaires.

L’ancien article 827 du Code civil prévoyait que la licitation pouvait être ordonnée pour des immeubles qui ne pouvaient être commodément partagés ou attribués. Bien que ce texte ait été abrogé par la loi du 23 juin 2006, la licitation de la pleine propriété indivise est unanimement admise. A cet égard, le champ d’application de la licitation ne se limite pas aux immeubles. L’article 1686 du Code civil, en évoquant les “choses communes à plusieurs”, englobe également les biens meubles. Cette interprétation est confirmée par la jurisprudence, qui admet que certains contrats indivis (par exemple les baux) puissent également être licités. Ainsi, la licitation répond à une logique d’unité en ce qu’elle permet de mettre fin à une situation d’indivision, même lorsqu’elle porte sur des objets divers.

L’article 815-5-1 du Code civil, issu de la réforme de 2006, envisage la licitation comme ne pouvant porter, en première intention, que sur les biens indivis pris isolément ; d’où l’emploi du singulier dans la formulation, le texte visant explicitement « le bien indivis » et non « les biens indivis ». Cette précision commande de limiter chaque demande de licitation à un seul bien, en respectant ainsi l’esprit du partage en nature, principe cardinal du régime de l’indivision. Toutefois, cette limitation n’exclut pas la possibilité d’engager plusieurs procédures, pourvu que chaque requête s’appuie sur des motifs légitimes et dûment justifiés, tels que la dégradation progressive du bien ou le risque avéré d’une diminution substantielle de sa valeur. Une telle exigence illustre l’équilibre recherché entre la préservation des droits des indivisaires et la nécessité de sauvegarder la valeur patrimoniale des biens en indivision.

Enfin, la licitation dans le cadre de l’indivision en pleine propriété ne saurait être confondue avec d’autres situations juridiques. Lorsqu’un bien est grevé d’usufruit, il n’y a pas lieu de liciter la pleine propriété, faute d’indivision entre l’usufruitier et le nu-propriétaire. En effet, comme le rappellent l’indivision suppose la coexistence de droits de même nature sur un bien commun. Cette analyse est corroborée par une jurisprudence ancienne mais constante, qui insiste sur l’impossibilité d’un partage entre deux titulaires de droits de nature différentes (Cass. 1re civ., 29 mars 1989, n°87-12.187).

b. L’indivision en usufruit

Il est admis que l’usufruit d’un bien puisse faire l’objet d’une indivision. Est-ce à dire que ce droit particulier, par nature temporaire et portant sur l’usage et les fruits d’un bien, se prête aisément au partage ? En réalité, le droit civil impose des solutions adaptées pour répondre aux spécificités de cette indivision.

En principe, le partage porte directement sur l’usufruit, qui peut être cantonné sur un ou plusieurs biens déterminés. Cette modalité permet à chaque usufruitier de disposer d’un droit exclusif sur des biens spécifiques, évitant ainsi la complexité d’une gestion collective. Toutefois, lorsque le cantonnement s’avère impossible, soit en raison de la nature du bien soit en raison de l’impossibilité de parvenir à un accord entre les usufruitiers, le recours à la licitation devient une alternative envisageable.

La Cour de cassation a expressément consacré cette possibilité dans un arrêt du 25 juin 1974, où elle a reconnu que la licitation de l’usufruit pouvait être ordonnée lorsque ce dernier ne pouvait faire l’objet d’un partage en nature (Cass. 1ère civ. 25 juin 1974, n°72-12.451). 

Dans cette affaire, les héritiers des époux décédés avaient procédé au partage de leurs successions, attribuant à trois copartageants un quart en usufruit sur une propriété, tandis qu’un quatrième bénéficiait des trois quarts en nue-propriété et d’un quart en pleine propriété. La propriété en question, exploitée en carrière, faisait l’objet d’un différend persistant entre les usufruitiers et les héritiers du nu-propriétaire, empêchant toute mise en valeur effective de l’usufruit.

Les juges du fond avaient relevé que cette mésentente prolongée avait conduit à la cessation de l’exploitation de la carrière pendant plusieurs années. La Cour d’appel, constatant que la jouissance ne pouvait être répartie de manière équitable entre les copartageants et qu’aucun accord amiable ne semblait envisageable, avait ordonné la licitation de l’usufruit. Cette mesure, selon l’arrêt attaqué, constituait « le seul moyen d’obtenir, sans nuire à la valeur foncière du bien, la reprise de l’exploitation ou le désintéressement des cohéritiers ».

La Haute juridiction a confirmé cette décision en jugeant qu’il existe une indivision entre l’usufruitier et le nu-propriétaire quant à la jouissance d’un bien lorsque le droit d’usufruit porte sur une quote-part indivise. Elle a rappelé qu’en cas d’impossibilité de partage en nature de cette jouissance, il peut être procédé à une vente par licitation, non pas du bien lui-même, mais de la jouissance de l’usufruit. Ce mécanisme permet de préserver les intérêts patrimoniaux des parties tout en évitant l’inaction susceptible de dégrader la valeur économique du bien.

Cependant, il convient de rappeler que la licitation de l’usufruit demeure une solution d’exception. Elle ne saurait être ordonnée qu’en dernier recours, lorsque toutes les autres voies de partage ont échoué. Cette exception s’inscrit dans une logique de préservation des droits de chaque usufruitier, tout en assurant une équité dans la répartition patrimoniale. Ainsi, l’approche adoptée par le législateur et par la jurisprudence garantit un équilibre subtil entre les impératifs de gestion collective et les intérêts individuels des parties.

c. L’indivision en nue-propriété

De manière similaire à l’usufruit, l’indivision peut porter sur la nue-propriété d’un bien. Le principe consacré par l’article 818 du Code civil, qui renvoie à l’article 817, privilégie le partage de la nue-propriété par cantonnement. Cette solution consiste à attribuer la nue-propriété sur un ou plusieurs biens spécifiques, et elle est historiquement reconnue comme la méthode de référence pour éviter une liquidation globale de l’indivision.

La licitation de la nue-propriété ne peut être envisagée que dans l’hypothèse où le cantonnement s’avère impossible. Ce principe est expressément consacré par la jurisprudence, qui insiste sur la subsidiarité de cette mesure (Cass. 1re civ., 14 mai 1996, n° 94-15.028). En l’espèce, la Cour de cassation a précisé qu’en cas de désaccord persistant entre les nus-propriétaires sur le partage en nature, et lorsque ce dernier est impossible, le juge peut ordonner la licitation limitée à la nue-propriété, tout en veillant à ne pas porter atteinte aux droits des autres indivisaires, notamment les usufruitiers.

A cet égard, lorsque la licitation de la nue-propriété seule est impossible pour mettre fin à une indivision, l’article 818 du Code civil prévoit que la licitation de la pleine propriété peut être ordonnée, mais cette mesure exceptionnelle est soumise à des conditions strictes, notamment le consentement de l’usufruitier, comme l’exige l’article 815-5, alinéa 2, du Code civil.

Historiquement, la jurisprudence faisait une distinction selon que l’usufruit portait sur un bien déterminé ou sur une quote-part successorale. Dans le premier cas, la licitation demandée par un nu-propriétaire ne pouvait porter que sur la nue-propriété du bien. Dans le second, la licitation pouvait s’étendre à la pleine propriété des biens successoraux pour fixer l’assiette de l’usufruit (Cass. req., 9 avr. 1877). Cette distinction, bien que logique à l’époque, soulevait des incertitudes pratiques, notamment en matière d’opposabilité des droits de l’usufruitier.

La loi n° 76-1286 du 31 décembre 1976 a constitué une avancée majeure dans la préservation des droits de l’usufruitier. Elle a inséré, à l’article 815-5 du Code civil, une disposition qui énonçait que « le juge ne peut toutefois, sinon aux fins de partage, autoriser la vente de la pleine propriété d’un bien grevé d’usufruit, contre la volonté de l’usufruitier ». Par cette règle, le législateur a entendu limiter de manière explicite les atteintes potentielles aux droits d’usage et de jouissance de l’usufruitier, en faisant de son consentement une condition impérative pour toute licitation de la pleine propriété.

L’apport de cette loi réside dans l’équilibre qu’elle établit entre les prérogatives des indivisaires et la nécessaire protection des intérêts de l’usufruitier. Désormais, l’usufruitier bénéficie d’un droit d’opposition effectif, sauf dans le cadre spécifique d’un partage, rendant ainsi impossible toute décision judiciaire imposant la vente globale du bien sans son accord.

Ce principe a été strictement appliqué par la jurisprudence. Dans un arrêt remarqué du 11 mai 1982, la Cour de cassation a annulé une décision ayant ordonné la licitation de la pleine propriété en méconnaissance de cette exigence légale (Cass. 1re civ., 11 mai 1982, n°81-13.055). La Haute juridiction a alors rappelé que, même face à des difficultés d’indivision, le juge ne peut passer outre le consentement de l’usufruitier, envisagé comme un véritable garde-fou juridique.

Par suite la loi n° 87-498 du 6 juillet 1987 a opéré une réforme décisive en supprimant, dans l’article 815-5 du Code civil, la précision textuelle « sinon aux fins de partage ». Par cette modification, le législateur a étendu la protection accordée à l’usufruitier en rendant son consentement impératif dans tous les cas de licitation de la pleine propriété, sans exception. Cette réforme a marqué une avancée significative en consolidant la protection de l’usufruitier. Elle a ainsi fermé la porte à toute tentative des nus-propriétaires ou des indivisaires de contourner l’exigence de consentement sous le prétexte d’un partage judiciaire. Désormais, le droit d’usage et de jouissance de l’usufruitier ne peut être compromis sans son accord,

Dans le sillon de la loi di 6 juillet 1987, la Cour de cassation a, dans son arrêt du 13 octobre 1993, confirmé que la licitation de la pleine propriété ne peut être imposée sans le consentement de l’usufruitier (Cass. 1re civ., 13 oct. 1993, n° 91-20.707). En l’espèce, la Haute juridiction a censuré une décision ayant ordonné une licitation de la pleine propriété d’un bien indivis, au motif que l’ex-épouse usufruitière n’avait pas donné son accord. Un autre arrêt marquant, rendu le 14 mai 1996 a précisé qu’en cas d’impossibilité de partage en nature, le juge doit privilégier la licitation de la nue-propriété avant d’envisager la pleine propriété (Cass. 1ère civ., 14 mai 1996, n°94-15.028). 

1.2. Les situations dans lesquelles la licitation n’est pas admise

La licitation, bien qu’elle constitue l’un des moyens pour sortir de l’indivision, ne saurait être admise dans toutes les situations. Le législateur, soucieux de préserver certains équilibres juridiques et économiques, a posé des limites à son recours. Ces restrictions trouvent leur fondement dans des considérations variées, telles que la nécessité de maintenir l’affectation collective de certains biens, de protéger des intérêts spécifiques ou encore de respecter les conventions liant les indivisaires.

Qu’il s’agisse des copropriétés forcées, des hypothèses de maintien imposé dans l’indivision, des conventions d’indivision ou encore des cas d’attribution préférentielle, chacune de ces situations traduit une volonté d’encadrer le droit au partage afin de concilier les droits des indivisaires avec des impératifs supérieurs. 

a. Les copropriétés forcées

Les copropriétés forcées se distinguent par leur caractère inaliénable et insusceptible de partage ou de licitation, une interdiction clairement posée par l’article 6 de la loi n°65-557 du 10 juillet 1965 régissant le statut de la copropriété des immeubles bâtis. Ce texte interdit toute demande de partage concernant les parties communes indispensables à l’usage collectif, telles que les chemins nécessaires à la desserte de plusieurs propriétés. Cette disposition vise à préserver la fonctionnalité et l’utilité commune de ces biens.

La règle exprimée par cette disposition dépasse cependant le cadre strict des immeubles bâtis pour s’étendre à toutes les copropriétés forcées et perpétuelles. La Cour d’appel de Paris a ainsi affirmé, dans un arrêt du 5 octobre 1964, que le partage ou la licitation d’un chemin nécessaire à la desserte de plusieurs propriétés était exclu, en raison de son caractère indispensable à l’usage collectif (CA Paris, 5 oct. 1964).

b. Les cas de maintien forcé dans l’indivision

Par ailleurs, la licitation est exclue dans plusieurs cas où la loi impose le maintien forcé dans l’indivision. Ces hypothèses, prévues aux articles 820 à 824 du Code civil, concernent notamment les biens dont l’indivision est ordonnée pour protéger les intérêts de certaines personnes, comme les mineurs ou les incapables. De manière similaire, l’article 1377 du Code de procédure civile dispose que la vente par adjudication ne peut être prononcée que si le bien ne peut être commodément partagé ou attribué. Avant de prononcer une telle vente, le juge est tenu de vérifier que le bien ne répond pas aux conditions d’un partage en nature et que ni l’attribution préférentielle ni d’autres solutions ne sont envisageables.

c. Les conventions d’indivision

L’article 815-1 du Code civil permet aux indivisaires de conclure une convention d’indivision. Lorsqu’une telle convention est à durée déterminée, la licitation ne peut être demandée pendant la durée de la convention, sauf en cas de justes motifs.

En revanche, si la convention est à durée indéterminée, le partage, y compris par licitation, peut être provoqué à tout moment, mais il ne doit pas l’être de mauvaise foi ou à contretemps (art. 1873-3 C. civ.).

d. L’attribution préférentielle

L’attribution préférentielle constitue un obstacle majeur à la licitation. Ce mécanisme, consacré par les articles 832 et suivants du Code civil, offre à un indivisaire la possibilité de se voir attribuer un bien indivis en priorité, moyennant le versement d’une compensation équitable à ses coindivisaires. Par essence, lorsque cette demande est valablement formulée, la licitation devient inenvisageable, sauf à ce que l’attribution soit rejetée ou manifestement injustifiée.

Historiquement, la place centrale occupée par l’attribution préférentielle dans le cadre des opérations de partage a été explicitée dès l’adoption du décret-loi du 17 juin 1938, introduisant dans le Code civil une disposition spécifique à cet effet. L’ancien article 827 du Code civil, aujourd’hui remplacé par l’article 1377, réservait la licitation aux biens « qui ne peuvent être facilement partagés ou attribués ». En vertu de ce principe, le juge, avant de prononcer une licitation, doit s’assurer que le bien concerné ne peut être intégré dans un partage en nature et qu’aucun indivisaire ne sollicite ou ne pourrait valablement solliciter son attribution préférentielle. Cette double vérification, autrefois essentielle pour garantir une stricte égalité dans la composition des lots, conserve son importance à l’heure où prévaut le principe de l’égalité en valeur des lots.

La jurisprudence a, à maintes reprises, rappelé la prééminence de l’attribution préférentielle sur la licitation. Dès 1947, la Cour de cassation a précisé que l’attribution préférentielle pouvait être sollicitée jusqu’à l’achèvement du partage (Cass. civ., 14 janv. 1947). Toutefois, lorsque la licitation a été ordonnée par une décision ayant acquis l’autorité de la chose jugée, l’attribution préférentielle ne saurait plus prospérer, la licitation devenant alors irrévocable. Dans un arrêt du 9 mars 1971, la Première chambre civile a jugé en ce sens que « la licitation constitue une modalité de partage incompatible avec l’attribution préférentielle. des lors que la licitation d’un immeuble a été ordonnée par une précédente décision devenue irrévocable, un tribunal ne peut sans méconnaitre l’autorité de la chose jugée, prononcer l’attribution préférentielle du même bien indivis » (Cass. 1ère civ. 9 mars 1971, 70-10.072)

Dans sa mise en œuvre, l’attribution préférentielle impose au juge une analyse minutieuse des prétentions en concurrence. Lorsqu’un indivisaire sollicite l’attribution préférentielle d’un bien pendant que d’autres réclament sa licitation, la juridiction saisie doit prioritairement examiner la demande d’attribution, sauf à constater qu’elle contredit les intérêts légitimes des coindivisaires ou qu’elle est matériellement irréalisable. À cet égard, la jurisprudence a notamment rejeté des demandes d’attribution lorsque l’indivisaire demandeur était dans l’incapacité de s’acquitter des soultes nécessaires (Cass. 1re civ., 17 mars 1987, n°85-17.241). 

En outre, l’attribution préférentielle revêt une importance particulière lorsque le maintien de l’usage d’un bien indivis répond à des besoins essentiels. Ainsi, la jurisprudence a privilégié l’attribution du logement familial à l’époux ayant la garde des enfants, au détriment d’une demande concurrente de licitation émanant de l’autre conjoint (TGI Chaumont, 10 juin 1963). Toutefois, cette priorité n’est pas absolue. Des juridictions ont pu refuser une attribution préférentielle lorsque les motifs invoqués ne justifiaient pas un tel choix, comme dans le cas d’un château réclamé pour des raisons purement sentimentales, conduisant à la licitation du bien (TGI Paris, 13 nov. 1970).

Cependant, l’attribution préférentielle n’est pas une prérogative absolue. Elle peut être écartée si l’équilibre des intérêts commande une licitation, notamment lorsque le maintien de l’indivision est matériellement ou économiquement insoutenable. Cette approche pragmatique permet de concilier les droits individuels des indivisaires avec les impératifs collectifs, assurant ainsi le respect des principes d’équité et de justice. 

2. Les conditions de la licitation

2.1. L’impossibilité d’un partage en nature

a. Le contenu de l’exigence

Dans le cadre d’un partage, la licitation n’intervient qu’à titre subsidiaire, lorsqu’un partage en nature des biens indivis s’avère impossible. À cet égard, l’article 1377 du Code de procédure civile précise que : « le tribunal ordonne, dans les conditions qu’il détermine, la vente par adjudication des biens qui ne peuvent être facilement partagés ou attribués ». 

Cette règle fait directement écho au principe posé à l’article 1686 du Code civil, relevant du droit commun de la vente, qui dispose que la licitation peut être ordonnée « si une chose commune à plusieurs ne peut être partagée commodément et sans perte ».

Il s’infère de ces deux dispositions que l’impossibilité de partage en nature peut résulter, soit de l’incommodité de la division du biens indivis, soit du risque de perte en cas de division. 

==>L’incommodité de la division du bien indivis

L’incommodité matérielle de la division d’un bien indivis s’entend de l’impossibilité pratique de le fractionner tout en préservant son intégrité physique, son utilité et les conditions normales de jouissance. Ce critère repose sur les attributs essentiels du bien, qu’il s’agisse de sa configuration, de son usage envisagé ou de sa destination économique. L’analyse de cette incommodité exige une attention particulière aux caractéristiques propres au bien, telles que son état, sa structure ou sa finalité, afin de déterminer si une division pourrait être réalisée sans altérer sa nature ni compromettre sa vocation première.

En premier lieu, certains biens, en raison de leur structure physique ou de leur fonction, ne peuvent être aisément divisés sans altérer leur valeur ou leur utilité. Par exemple, la division d’un terrain peut exiger des aménagements onéreux, tels que l’installation de clôtures ou la modification des réseaux hydrauliques pour garantir une autonomie d’usage des parcelles nouvellement constituées. Une jurisprudence ancienne mais éclairante illustre ce point : la fragmentation d’un bien foncier a été jugée inappropriée en raison des frais disproportionnés qu’elle impliquait et de son impact négatif sur l’exploitation rationnelle des parcelles (CA Dijon, 15 avril 1907). Cet exemple met en lumière l’importance d’une analyse circonstanciée de la faisabilité matérielle du partage.

De même, la division d’une exploitation agricole ou d’un immeuble à vocation spécifique peut entraîner une désorganisation structurelle qui compromettrait sa finalité première. Ainsi, le morcellement d’une ferme en plusieurs unités indépendantes peut nécessiter des investissements supplémentaires pour réorganiser les infrastructures communes, telles que les systèmes d’irrigation ou les espaces de stockage, réduisant ainsi l’efficacité globale de l’exploitation. Cette incommodité matérielle s’observe également dans le cas d’immeubles complexes ou de bâtiments historiques, dont le fractionnement risquerait de porter atteinte à leur vocation patrimoniale ou culturelle, voire de rendre leur entretien structurellement irréalisable.

En second lieu, l’incommodité matérielle ne se limite pas à l’existence d’obstacles purement physiques, mais couvre également les effets sur les conditions normales de jouissance. Un partage matériellement possible peut néanmoins être jugé incommode si la division altère de manière significative les modalités d’exploitation ou d’utilisation des lots. Par exemple, la création de nouvelles parcelles ou d’espaces indépendants peut, dans certains cas, générer une répartition déséquilibrée des ressources essentielles à leur exploitation, ou nécessiter des servitudes complexes, telles que des droits de passage ou des aménagements communs. Ces contraintes, susceptibles de compliquer la jouissance individuelle des lots, justifient le recours à une licitation plutôt qu’à un partage en nature.

Enfin, l’incommodité matérielle doit également être évaluée en tenant compte de la préservation de l’intégrité des unités économiques ou des ensembles de biens indivis. L’article 830 du Code civil, qui énonce l’objectif de limiter le fractionnement des exploitations agricoles ou des ensembles économiques, reflète cette préoccupation. Lorsqu’une division compromet l’exploitation optimale d’un bien indivis ou engendre une dépréciation du bien, la licitation peut s’imposer comme la solution la plus rationnelle. La jurisprudence a ainsi affirmé que la division en plusieurs lots, même matériellement envisageable, peut être écartée si elle entraîne des effets excessivement complexes ou onéreux pour les indivisaires (CA Montpellier, 8 juin 1954).

==>Le risque de perte en cas de division du bien indivis

Au-delà des obstacles matériels, l’incommodité d’un partage peut également résider dans ses répercussions économiques, lesquelles peuvent compromettre de manière significative les intérêts des indivisaires. L’article 1686 du Code civil institue ainsi le principe selon lequel le partage en nature doit être écarté lorsque la division entraîne une perte de valeur du bien, préjudiciable à l’ensemble des indivisaires.

Dans un arrêt rendu le 13 octobre 1998, la Cour de cassation a, par exemple, estimé que l’incommodité d’un partage pouvait justifier une licitation lorsqu’un morcellement, bien que matériellement possible, engendrait une dépréciation économique significative et préjudiciable pour les indivisaires Dans cette affaire, le litige portait sur une demeure historique dépendant d’une succession. L’un des indivisaires demandait un partage en nature accompagné d’une attribution préférentielle d’une partie de l’immeuble, tandis que les autres plaidaient en faveur de la licitation. La Cour d’appel, dont l’analyse a été validée par la Cour de cassation, a constaté que la valeur totale de l’immeuble pris dans son ensemble, estimée à 7 950 000 francs, dépassait significativement la somme des valeurs des lots envisagés dans le cadre d’un partage en nature, laquelle n’atteignait que 6 200 000 francs. Une telle dépréciation économique, jugée inacceptable pour l’ensemble des indivisaires, rendait économiquement inopportune une division pourtant réalisable matériellement.

Cet arrêt met en lumière l’une des caractéristiques de l’incommodité économique : la préservation de la valeur globale du bien indivis. Une division matérielle, bien que techniquement envisageable, peut entraîner une perte de valeur si les lots ainsi constitués s’avèrent individuellement moins valorisables que le bien pris dans sa globalité. Cette approche vise à protéger les intérêts collectifs des indivisaires, en évitant qu’un partage en nature ne devienne source d’injustice économique.

Par ailleurs, l’incommodité économique ne se limite pas à la perte de valeur globale. Elle inclut également les effets sur l’équité entre les indivisaires, notamment lorsque la fragmentation d’un bien rend nécessaire la constitution de soultes disproportionnées ou difficilement applicables. Ces situations, susceptibles de générer des déséquilibres majeurs, justifient souvent le recours à la licitation pour assurer une répartition équitable des bénéfices issus de la vente.

Conscient de ces enjeux, le législateur a introduit des mécanismes visant à atténuer les effets économiques défavorables d’un partage, notamment à travers le principe de l’égalité en valeur consacré par l’article 826 du Code civil. Ce principe permet d’ajuster les écarts entre les lots au moyen de soultes, favorisant ainsi une répartition équilibrée. Toutefois, lorsque la division d’un bien indivis conduit à une dépréciation significative ou compromet les intérêts économiques des indivisaires, ces outils ne suffisent pas toujours à garantir une solution satisfaisante. Dans ces circonstances, la licitation s’impose comme une alternative incontournable, préservant à la fois la valeur intrinsèque du bien et l’équité entre les indivisaires.

b. Appréciation de l’exigence

==>Une appréciation d’ensemble

L’impossibilité de procéder à un partage en nature d’un bien indivis repose sur des considérations tant matérielles qu’économiques, lesquelles doivent être appréciées au regard de critères précis. Cette impossibilité n’est cependant pas absolue et s’évalue à l’aune de la nature, de la configuration et de la finalité du bien, mais également en tenant compte de l’ensemble des biens composant l’indivision. Une analyse globale de la situation patrimoniale s’impose, permettant de déterminer si un partage en nature peut être envisagé sans compromettre l’équité entre les indivisaires ou l’intégrité économique des lots.

A cet égard, l’un des principes devant guider l’appréciation du juge réside dans l’exigence de considérer l’ensemble des biens indivis comme un tout cohérent, plutôt que de les examiner isolément. Une telle approche, déjà consacrée par la jurisprudence avant la réforme de 2006, reflète l’exigence de maintenir le partage en nature comme principe directeur, même face à des difficultés apparentes. Ainsi, l’indivisibilité d’un bien spécifique, tel qu’un immeuble unique, ne saurait en elle-même constituer un obstacle insurmontable au partage si d’autres éléments de la masse permettent de constituer des lots équivalents en valeur (Cass. 1ère civ.12 janv. 1972, n°71-11.435). 

À titre d’exemple, un immeuble matériellement indivisible peut être attribué en totalité à un indivisaire, à condition que des biens meubles ou des compensations monétaires viennent rétablir l’équilibre des droits entre les copartageants (Cass. 1ère civ., 21 janv. 1958). Cette flexibilité, inhérente au principe d’équité, permet de concilier l’impossibilité matérielle d’un découpage physique avec les exigences d’une répartition équitable.

En outre, lorsque l’ensemble des biens ne peut être aisément réparti, la licitation ne doit intervenir que dans les limites strictement nécessaires. Les juges sont alors appelés à circonscrire la licitation aux seuls biens dont le partage en nature est impraticable ou manifestement préjudiciable. Cette approche reflète le souci de préserver autant que possible le principe du partage en nature, tout en évitant des solutions qui porteraient atteinte à l’équilibre des intérêts en présence (Cass. 1ère civ., 11 juill. 1983, n°82-11.815). Ainsi, si un immeuble indivis ne peut être partagé matériellement, mais que la masse comprend des biens meubles ou d’autres actifs, ces derniers doivent être mobilisés pour constituer des lots équilibrés, réduisant ainsi la nécessité de recourir à la licitation.

Pour éclairer leur décision, les juges peuvent recourir à une expertise destinée à examiner les conditions matérielles et économiques propres au partage. Bien que les conclusions de l’expert ne s’imposent pas aux juges, elles constituent un élément déterminant dans leur appréciation de la faisabilité d’un partage en nature (Cass. 1ère civ., 9 oct. 1967). Ce recours à l’expertise vise à identifier les contraintes objectives qui pourraient rendre une division matériellement irréalisable ou économiquement désavantageuse.

Ainsi, l’expert est-il souvent chargé d’évaluer les implications concrètes d’un partage en nature, en tenant compte de la configuration des biens indivis, de leur usage actuel et des adaptations nécessaires pour les rendre autonomes après la division. Par exemple, dans le cas d’un terrain agricole, il pourrait être démontré que sa division entraînerait des aménagements disproportionnés, tels que la construction de nouvelles clôtures, la mise en place de systèmes d’irrigation distincts ou la création de voies d’accès séparées. De tels travaux, s’ils engendrent des coûts excessifs ou compromettent l’utilisation optimale des biens, constituent des éléments justifiant l’incommodité matérielle et, par conséquent, l’impossibilité d’un partage équitable en nature.

Les juges, sur la base du rapport d’expertise, peuvent ainsi conclure que la licitation est nécessaire pour préserver les intérêts des parties, en évitant des solutions qui seraient coûteuses, complexes et potentiellement sources de litiges ultérieurs. L’expertise, en ce sens, dépasse une simple évaluation technique et s’inscrit dans une démarche visant à garantir une répartition équilibrée et réaliste des biens indivis.

==>Contrôle de la motivation

L’appréciation de l’impossibilité de procéder à un partage en nature relève du pouvoir souverain des juges du fond, lesquels doivent s’attacher à motiver leur décision avec précision. Cette exigence trouve sa justification dans la nature exceptionnelle de la licitation, qui ne peut être ordonnée qu’en dernier recours, dès lors que l’impossibilité de la répartition physique des biens est établie de manière circonstanciée et irréfutable. À ce titre, la seule affirmation d’une incertitude quant à la faisabilité du partage en nature, ou encore la mention de dissensions entre indivisaires, ne saurait suffire à légitimer une telle mesure. De même, un simple constat de la multiplicité des biens et de la diversité des droits des parties, sans qu’il ne soit démontré en quoi ces éléments empêchent concrètement un partage en nature, expose la décision à la censure (Cass. 1re civ., 31 janv. 1989, n°87-16.718). À l’inverse, une motivation s’appuyant sur des éléments factuels et techniques solides, tels qu’un rapport d’expertise concluant à la faisabilité du partage en nature et à sa conformité aux intérêts des parties, satisfait pleinement aux exigences jurisprudentielles (Cass. req. 31 oct. 1893).

Le rôle de la Cour de cassation se limite traditionnellement à un contrôle de la motivation, sans remise en cause de l’appréciation des faits réalisée par les juges du fond. Il incombe à ces derniers de démontrer précisément en quoi les biens indivis ne peuvent être commodément répartis. Dès lors, une décision ordonnant la licitation, qui se contenterait de relever l’incertitude d’un partage ou de mentionner sa faisabilité technique sans expliciter les obstacles concrets qui s’y opposent, ne saurait prospérer (Cass. 1ère civ., 12 mai 1987, n°85-18.160).

Si, par le passé, une certaine souplesse pouvait être observée, permettant aux juges du fond de motiver leurs décisions de manière parfois implicite, cette pratique tend à être remise en question dans le cadre d’une jurisprudence contemporaine plus exigeante. La réforme de 2006, consacrant le principe d’égalité en valeur des lots (art. 826 du Code civil), renforce cette exigence de motivation, dans un souci de transparence et de respect du caractère subsidiaire de la licitation. Ainsi, il ne suffit plus, comme autrefois, de faire allusion à l’indivisibilité supposée d’un bien pour justifier une vente forcée (Cass. 3e civ., 4 mai 2016, n°14-28.243).

La Cour de cassation, sans excéder son rôle, veille désormais à ce que les juges du fond ne cèdent pas à la facilité, en exigeant une démonstration complète et convaincante de l’impossibilité matérielle ou juridique du partage en nature. Cette évolution, bien qu’elle ne rompe pas totalement avec certaines tolérances antérieures, reflète une volonté affirmée de garantir la primauté du partage en nature tout en respectant l’équilibre des intérêts des indivisaires.

2.2. Mise en œuvre

L’impossibilité de partager un bien indivis peut avoir pour cause des contraintes juridiques, matérielles, économiques ou pratiques, chacune reflétant la complexité inhérente à la diversité des biens concernés et des situations d’indivision.

==>Les difficultés matérielles de partage

L’une des causes de l’impossibilité de procéder à un partage en nature réside dans les contraintes matérielles, intrinsèquement liées aux caractéristiques des biens indivis. La difficulté réside, le plus souvent, dans l’impossibilité technique ou pratique de diviser un bien sans compromettre son intégrité ou son utilité économique.

Certains biens, par leur nature même, se prêtent mal au fractionnement. Ainsi, un domaine agricole, comprenant des bâtiments, des dépendances et des terres formant un tout économique cohérent, ne saurait être morcelé sans que son exploitation n’en pâtisse gravement (Cass. 1ère civ., 29 mars 1960). De même, Une clinique médicale, dont le fonctionnement repose sur une organisation spatiale spécifique, constitue un exemple caractéristique de bien dont la division matérielle compromettrait irrémédiablement l’usage et l’exploitation (Cass. 1ère civ., 2 oct. 1979, n°78-11.385). 

Par ailleurs, même lorsque les biens paraissent à première vue partageables, certaines configurations rendent le partage matériellement inéquitable. Un exemple peut être trouvé dans la difficulté de répartir équitablement des parcelles de terrain de dimensions ou de valeurs très disparates. 

Outre la nature spécifique des biens, l’hétérogénéité de l’ensemble composant l’indivision peut elle-même constituer un frein au partage en nature. Lorsque les biens diffèrent significativement par leur localisation, leur état ou leur destination, il devient difficile, sinon impossible de constituer des lots de valeur équivalente. Cette disparité, combinée à l’impossibilité de parvenir à une évaluation consensuelle, peut légitimer une licitation comme ultime recours pour garantir l’équité entre les parties (Cass. 1ère civ., 14 févr. 1962).

Enfin, le nombre d’indivisaires et l’inégalité de leurs droits accentuent les difficultés matérielles du partage. Lorsque la division des biens suppose de composer un grand nombre de lots pour satisfaire des droits successoraux complexes et souvent très inégaux, le partage en nature devient un exercice presque insurmontable, tant sur le plan pratique que logistique (Cass. 1ère civ., 28 juin 1977, n°75-12.487). 

==>Les difficultés juridiques de partage

La loi peut imposer des restrictions au partage en nature lorsque la division physique d’un bien compromet son utilité, son exploitation, ou son intégrité économique. Ces barrières légales, parfois explicites, trouvent leur justification dans des impératifs d’intérêt général ou de préservation de l’efficacité économique des biens concernés.

A cet égard, certaines catégories de biens, en raison de leur nature intrinsèque, sont insusceptible de faire l’objet d’un partage en nature. Les mines, par exemple, furent historiquement considérées comme indivisibles, car leur exploitation exige une unité structurelle pour être rentable et conforme aux normes techniques en vigueur (Cass. req., 21 avr. 1857). Cette indivisibilité découle moins d’une contrainte matérielle que de l’exigence de préserver la finalité économique du bien, en évitant une division qui rendrait son exploitation inefficace ou impossible.

De manière similaire, un terrain constructible peut devenir juridiquement insusceptible de partage lorsque son morcellement compromet l’obtention d’un permis de construire ou sa viabilité. Cette impossibilité résulte de normes d’urbanisme qui conditionnent l’utilisation d’un terrain à une superficie minimale ou à des exigences d’aménagement spécifiques (CA Nancy, 18 janv. 1989).

Les biens soumis au régime de la copropriété illustrent également cette tension entre indivisibilité et partage. Dans un immeuble d’habitation indivis, les parties communes, par définition, ne peuvent être fractionnées sans remettre en cause la structure juridique et pratique de la copropriété. La jurisprudence a affirmé que l’unité des parties communes prime sur toute tentative de division en étages ou appartements, rendant le partage en nature juridiquement incompatible avec ce régime (Cass. 1ère civ., 19 janv. 1960). Ces principes visent à garantir l’usage collectif des parties communes et à préserver la cohérence fonctionnelle du bien immobilier.

Au-delà des dispositions légales, les indivisaires peuvent eux-mêmes convenir de règles encadrant les modalités de partage. En vertu de l’article 1103 du Code civil, un accord unanime entre les indivisaires, qu’il prévoie une licitation ou un partage en nature, s’impose avec la même force qu’un contrat. Une fois signé, cet engagement lie non seulement les parties, mais aussi le juge chargé de superviser l’exécution du partage.

Ainsi, un accord visant à exclure le partage en nature doit être respecté, sauf en cas de dispositions contraires à l’ordre public ou manifestement inéquitables (Cass. 1ère civ., 20 janv. 1982, n°80-16.909). Cette contractualisation des modalités de partage permet aux indivisaires de surmonter des situations conflictuelles ou de prévenir des litiges futurs en définissant des règles précises.

La volonté exprimée par le de cujus dans un testament peut également influer sur les modalités de partage. Par exemple, lorsqu’un legs particulier attribue un bien spécifique à un héritier, ce bien échappe au partage dès lors que la disposition respecte la limite de la quotité disponible. Ce type de disposition testamentaire peut être perçu comme une restriction à la divisibilité du bien, car il confère à un héritier un droit exclusif sur celui-ci.

Cependant, une clause testamentaire ne peut, à elle seule, empêcher une licitation si celle-ci est indispensable pour respecter les droits des autres héritiers. En cas d’impossibilité de partager équitablement un bien en nature, le juge peut être conduit à écarter une disposition testamentaire pour ordonner une vente et préserver l’équilibre patrimonial entre les cohéritiers (Cass. 1ère civ., 5 janv. 1977, n°75-15.199). 

==>Les difficultés économiques de partage

Au-delà des obstacles matériels et juridiques, des considérations économiques peuvent justifier l’impossibilité d’un partage en nature. Ainsi, certaines divisions matérielles peuvent entraîner une dépréciation substantielle des biens indivis. Un exemple classique est celui d’une exploitation agricole : son morcellement compromettrait la viabilité économique du domaine, rendant l’ensemble des parcelles moins attractif sur le marché (Cass. 1re civ., 16 oct. 1967). De manière similaire, la division d’un terrain de faible superficie peut aboutir à des lots inadaptés à une utilisation efficace, diminuant ainsi leur valeur intrinsèque (Cass. 1ère civ., 11 juin 1985, n°84-12.325). 

Une autre contrainte économique peut découler de l’incapacité à constituer des lots de valeur équivalente. Lorsque les biens indivis diffèrent considérablement par leur nature, leur localisation ou leur état, il devient impossible de composer des lots respectant l’équité entre les indivisaires sans recourir à des soultes disproportionnées. Par exemple, dans une affaire relative à un ensemble de biens immobiliers, la nécessité de prévoir des soultes trop élevées pour équilibrer les lots a conduit le juge à privilégier la licitation, considérée comme une solution plus adaptée pour garantir l’équité patrimoniale (Cass. 1re civ., 15 mai 1962).

La question des actions et parts sociales illustre parfaitement les enjeux économiques liés à la division en nature. Bien que ces biens soient techniquement divisibles, leur répartition peut entraîner une perte de contrôle ou de minorité de blocage au sein d’une société. Cela compromet non seulement la gestion de l’entreprise, mais réduit également la valeur des parts en raison de l’incertitude juridique et économique générée par une telle division. Dans une affaire emblématique, la répartition d’actions aurait menacé la stabilité de l’entreprise en remettant en cause les droits de contrôle. Le juge a alors ordonné une licitation pour préserver l’intégrité économique et les intérêts des parties (CA Paris, 2 juill. 2002).

Outre la dépréciation des biens, les coûts associés à la division peuvent également justifier une licitation. Par exemple, la division d’un immeuble en plusieurs appartements ou l’aménagement nécessaire pour rendre un bien partageable peut impliquer des dépenses considérables, rendant économiquement irrationnelle toute tentative de partage en nature (TGI Nice, 6 juill. 1962). Ces coûts peuvent inclure la création de nouvelles infrastructures, la gestion des servitudes ou encore les frais de mise aux normes, autant de facteurs susceptibles de miner la rentabilité des biens divisés.

==>Les difficultés personnelles

Enfin, les relations entre indivisaires peuvent elles-mêmes constituer un frein au partage en nature, en particulier lorsque des tensions ou des dissensions profondes altèrent toute perspective de gestion harmonieuse des biens communs. Ces conflits, qu’ils trouvent leur origine dans des différends familiaux, des ruptures conjugales ou des désaccords patrimoniaux, rendent souvent impraticable une répartition équitable des biens, tant sur le plan matériel qu’émotionnel.

Lorsqu’une indivision découle d’une séparation conjugale, par exemple, les relations tendues entre anciens partenaires peuvent transformer la cohabitation dans un bien indivis en un exercice insupportable. La gestion commune d’espaces partagés, comme une maison ou un appartement, devient rapidement source de conflits incessants, compromettant toute possibilité de coexistence pacifique. Ces situations, souvent aggravées par l’absence de dialogue ou par des griefs passés, justifient fréquemment une licitation, seule mesure apte à mettre un terme aux conflits prolongés (CA Metz, 11 mars 2010).

Les tensions ne se limitent pas aux relations conjugales. Au sein d’une famille élargie ou entre héritiers, les divergences d’intérêts ou de vision sur l’avenir des biens indivis peuvent provoquer un blocage total. L’un des indivisaires peut, par exemple, contester systématiquement les décisions relatives à l’exploitation ou à la répartition des biens, refusant de collaborer à leur entretien ou à leur valorisation. De tels comportements conflictuels paralysent l’indivision, rendant tout accord amiable illusoire et nécessitant une intervention judiciaire pour sortir de l’impasse.

Dans ces contextes, le juge joue un rôle déterminant. Chargé de garantir l’équité et de préserver la paix sociale, il est amené à ordonner une licitation lorsque les tensions rendent impossible le maintien de l’indivision ou la mise en œuvre d’un partage en nature. Une telle décision, bien que pragmatique, n’est pas dénuée de conséquences psychologiques pour les indivisaires. La vente forcée d’un bien, souvent chargé d’une forte valeur symbolique ou sentimentale, peut engendrer des sentiments de perte ou d’injustice. Il appartient donc au juge d’accompagner sa décision d’une motivation claire, exposant en quoi la licitation constitue la solution la plus adaptée pour protéger les intérêts de chacun.

3. Le régime de la licitation

3.1 Principes directeurs

==>Saisine

En vertu de l’article 840 du Code civil, la licitation judiciaire ne peut être envisagée qu’à l’occasion d’une instance en partage. À cet égard, dans le cadre de cette instance, la demande en partage est formulée à titre principal, tandis que la demande de licitation est nécessairement formulée à titre incident. 

En effet, la licitation, par sa nature subsidiaire, ne saurait être sollicitée qu’à titre incident, lorsqu’un partage en nature s’avère matériellement impraticable ou compromet l’équité entre les indivisaires. Ce dispositif met en lumière la primauté du partage en nature, qui demeure le fondement même du régime de l’indivision, tandis que la licitation, exception par essence, est rigoureusement encadrée pour éviter tout détournement de sa finalité.

Le Code de procédure civile organise ainsi une interdépendance entre les demandes en partage et en licitation, la seconde ne pouvant être introduite indépendamment de la première. Dans un arrêt du 15 juin 2017, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « la demande en licitation d’un bien indivis […] ne peut être formée qu’à l’occasion d’une instance en partage judiciaire » (Cass. 1ère civ., 15 juin 2017, n°16-16.031). Fondant sa décision sur les articles 840 et 1686 du Code civil, la Haute juridiction a rappelé que la licitation, en raison de son caractère subsidiaire, ne peut exister indépendamment d’une demande principale en partage.

En l’espèce, des héritiers avaient sollicité la licitation d’un immeuble dépendant d’une succession en raison de désaccords portant sur l’attribution et l’estimation des lots. Sans qu’aucune instance en partage judiciaire n’ait été introduite, la cour d’appel avait fait droit à cette demande. La Cour de cassation a censuré cette décision, estimant que la procédure de licitation ne peut être envisagée qu’à titre incident, dans le cadre plus large d’un partage judiciaire. Elle a ainsi annulé l’arrêt de la cour d’appel au motif que celle-ci avait ordonné la licitation en violation des exigences procédurales établies par les textes. Cet arrêt illustre avec clarté que la licitation ne constitue pas une voie autonome mais bien une exception procédurale, subordonnée à la démonstration préalable de l’impossibilité ou de l’inopportunité d’un partage en nature. 

À l’analyse, ce cadre procédural poursuit une double ambition. D’une part, il consacre la primauté du partage en nature, expression de l’idéal d’égalité patrimoniale entre les indivisaires, en veillant à ce que chaque solution retenue préserve, autant que faire se peut, l’intégrité des droits de chacun. D’autre part, il encadre strictement le recours à la licitation, n’autorisant cette mesure, par essence exceptionnelle, qu’en dernier ressort, lorsqu’un partage amiable se heurte à des obstacles matériels ou juridiques insurmontables.

Toutefois, cette subordination stricte n’est pas exempte de critiques. Certains auteurs ont estimé que l’impossibilité manifeste d’un partage en nature dès l’introduction de l’instance pourrait justifier une demande en licitation à titre principal, sans compromettre pour autant l’équilibre procédural. Cette position, bien que séduisante, entre en contradiction avec la volonté du législateur de privilégier une approche prudente et graduée, afin de prévenir tout usage abusif de la licitation.

==>Compétence juridictionnelle

En premier lieu, la licitation relève de la compétence exclusive du tribunal judiciaire. Cette règle s’applique de manière uniforme, quelles que soient les circonstances spécifiques entourant l’indivision. Ainsi, même lorsque l’un des indivisaires est soumis à une procédure collective, le tribunal judiciaire demeure compétent pour connaître des demandes de licitation et de partage (Cass. com., 28 nov. 2000, n° 98-10.145). Dans ce contexte particulier, le liquidateur, agissant non dans l’intérêt personnel du débiteur mais en qualité de représentant des créanciers, peut solliciter la licitation des biens indivis. Dans un arrêt du 28 novembre 2000, la Cour de cassation a confirmé que le liquidateur, habilité à défendre les droits des créanciers, est en mesure de provoquer une licitation dans le cadre des opérations de partage (Cass. com., 28 nov. 2000, n° 98-10.145).

En second lieu, la compétence territoriale de la juridiction qui a vocation à connaitre d’une procédure de licitation judiciaire obéit à des règles qui visent garantir à la fois proximité et efficacité dans le traitement des litiges. L’article 841 du Code civil confère ainsi compétence au tribunal judiciaire du lieu d’ouverture de la succession pour connaître des actions en partage, ainsi que des contestations qui peuvent en découler, notamment celles relatives à la licitation ou à la garantie des lots. Lorsque la licitation ne procédure pas du partage d’une indivision successorale, l’article 45 du Code de procédure civile désigne le tribunal du lieu de situation des biens indivis comme juridiction compétente.

Ce cadre territorial vise à concentrer les litiges devant une juridiction proche des biens concernés. En opérant ce choix, le législateur entend non seulement simplifier les démarches pour les parties, mais également tenir compte des spécificités matérielles et économiques propres aux biens indivis, contribuant ainsi à une gestion plus fluide et plus rapide des procédures.

Enfin, il convient de souligner que cette compétence juridictionnelle, tant d’attribution que territoriale, est d’ordre public. Dès lors, elle ne saurait être modifiée par la volonté des parties.

==>La fixation des conditions de la vente

En application de l’article 1377 du Code de procédure civile, le juge se voit confier la responsabilité de fixer les conditions particulières de la vente par adjudication dans le cadre d’une licitation, qu’il s’agisse de biens meubles ou immeubles. Ce pouvoir embrasse notamment la détermination de la mise à prix, paramètre essentiel pour garantir le bon déroulement de la procédure et prévenir toute sous-évaluation susceptible de léser les intérêts des indivisaires. Cette intervention du juge, gage d’une équité procédurale, est toutefois tempérée par la possibilité, offerte aux indivisaires capables et présents, de convenir unanimement des modalités de la licitation. Cet accord, lorsqu’il est atteint, lie le tribunal, reflétant ainsi l’importance accordée au consentement des parties dans le processus de partage.

Cette souplesse procédurale est néanmoins contrebalancée par la rigueur imposée au déroulement de la licitation. Ainsi, bien que la possibilité d’un sursis temporaire à la vente pour tenter une cession de gré à gré ait été évoquée lors des travaux préparatoires des réformes législatives, cette faculté n’a pas été retenue. Le législateur a manifestement craint qu’une telle mesure ne ralentisse inutilement les procédures, préférant privilégier une approche plus directe pour éviter des délais incompatibles avec les impératifs de gestion des indivisions.

Le cahier des charges, document structurant de la licitation, peut par ailleurs comporter des dispositions spécifiques destinées à encadrer l’attribution des biens adjugés. Parmi celles-ci figure la clause d’attribution, qui stipule que si la dernière enchère est portée par un indivisaire, celui-ci ne sera pas déclaré adjudicataire, mais se verra attribuer le bien au prix fixé par l’adjudication dans le cadre du partage à intervenir. Ce mécanisme, validé par la jurisprudence (Cass. 1ère, 7 oct. 1997, n°95-17.071), favorise une organisation rationnelle et équitable des opérations, tout en préservant les intérêts patrimoniaux des copartageants. En complément, des clauses de substitution peuvent permettre à un adjudicataire de céder son droit à un tiers désigné, offrant ainsi une flexibilité supplémentaire sans compromettre la transparence de la procédure.

==>La recherche de l’intérêt collectif

Il est de principe que toutes les décisions prises par le juge dans le cadre de la procédure de licitation doivent être guidées par la recherche de l’intérêt collectif des copartageants. Cette exigence se traduit par une double obligation pour la juridiction saisie : d’une part, le juge doit s’attacher à optimiser la valeur d’adjudication des biens indivis, gage d’une protection économique des droits des parties. D’autre part, il lui incombe de garantir une répartition équitable des fruits de la vente, en tenant compte des spécificités des biens et des situations individuelles des indivisaires.

L’optimisation de la valeur d’adjudication implique que le tribunal organise la procédure de manière à maximiser la concurrence entre les enchérisseurs. À cet égard, la rédaction du cahier des charges revêt une importance cruciale. Ce document doit non seulement préciser les caractéristiques du bien mis en vente, mais également faire état de toute information susceptible d’influencer les enchères, comme l’existence de droits locatifs ou de servitudes. Ainsi, a été consacré par la jurisprudence l’obligation de mentionner dans le cahier des charges les droits locatifs grevant un bien indivis. Dans un arrêt du 18 juin 1973, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que l’adjudicataire devait être informé des droits d’occupation existants, ces derniers influant directement sur la valeur vénale du bien et, par conséquent, sur les intérêts des indivisaires. 

Par ailleurs, la répartition équitable des fruits de la vente doit également guider les décisions prises par le juge. Celui-ci doit veiller à ce que les modalités de la licitation ne créent pas de déséquilibre injustifié entre les indivisaires. Par exemple, si un indivisaire est lui-même locataire d’un bien indivis, comme ce fut le cas dans l’affaire précitée, il ne saurait être tenu de payer la différence entre la valeur libre et la valeur occupée du bien dont il est adjudicataire. Une telle solution, validée par la Cour de cassation, reflète un souci d’équité : elle empêche qu’un indivisaire se retrouve pénalisé dans l’attribution d’un bien au détriment des autres parties.

Le rôle du tribunal ne se limite donc pas à la définition des conditions formelles de la vente. Il s’étend à une analyse fine et précise des circonstances particulières de chaque indivision, afin d’adopter les mesures les mieux adaptées à l’intérêt collectif des indivisaires. Ainsi, lorsque les biens indivis présentent des caractéristiques spécifiques – qu’il s’agisse d’un immeuble à usage mixte ou d’un terrain à forte valeur économique – le juge peut prévoir des dispositions particulières pour préserver leur rentabilité ou leur attractivité. Par exemple, en cas de licitation d’un fonds de commerce dépendant d’un immeuble indivis, il est d’usage que le cahier des charges impose à l’adjudicataire de l’immeuble de consentir un bail à l’adjudicataire du fonds, si ces deux lots ne sont pas attribués à une même personne. 

==>Les personnes admises à participer à la licitation

L’article 1378 du Code de procédure civile prévoit que « si tous les indivisaires sont capables et présents ou représentés, ils peuvent décider à l’unanimité que l’adjudication se déroulera entre eux. À défaut, les tiers à l’indivision y sont toujours admis. » Il ressort de cette disposition que les enchères, dans le cadre d’une licitation, peuvent être restreintes aux seuls indivisaires.

Plus précisément, la limitation des enchères aux copartageants est envisageable lorsque tous les indivisaires remplissent simultanément plusieurs conditions : ils doivent être juridiquement capables, présents ou représentés par des mandataires disposant d’un pouvoir exprès. De surcroît, cette restriction requiert leur consentement unanime, traduisant une volonté commune d’éviter l’intervention de tiers dans la procédure. Cette faculté permet de maintenir la licitation dans une sphère strictement interne à l’indivision, tout en favorisant une résolution rapide et consensuelle du partage.

Toutefois, dès lors que l’une de ces conditions fait défaut, la procédure impose l’ouverture des enchères à des tiers. Ce mécanisme vise à prévenir tout risque de collusion ou de manœuvres entre indivisaires pouvant entraîner une adjudication à un prix injustement bas. En admettant des tiers, le législateur entend préserver l’intégrité des enchères, s’assurant que celles-ci reflètent la valeur réelle du bien mis en vente.

Cette ouverture des enchères devient obligatoire lorsque l’un des indivisaires est mineur ou incapable. Conformément à l’article 1687 du Code civil, dans une telle hypothèse, les tiers doivent impérativement être admis à participer à la licitation. Ce principe a trouvé une application dans une affaire où un indivisaire incapable s’opposait à une adjudication exclusive entre indivisaires. Le tribunal, rappelant les termes de l’article 1687, avait exigé l’ouverture des enchères aux tiers pour garantir une adjudication équitable, reflétant la valeur véritable des biens mis en vente (TGI Nantes, 27 juin 1967).

A cet égard, il peut être souligné que l’admission des tiers contribue également à maximiser la valeur d’adjudication, au bénéfice de l’ensemble des indivisaires. En augmentant le nombre de participants potentiels, cette ouverture crée une véritable dynamique compétitive lors des enchères, limitant ainsi le risque d’un prix d’adjudication trop bas. 

3.2. Règles particulières

a. La licitation des meubles

Conformément à l’article 1377 du Code de procédure civile, la licitation des meubles s’effectue dans les formes définies par les articles R. 221-33 à R. 221-39 du Code des procédures civiles d’exécution. Ces dispositions empruntent, en matière mobilière, au régime de la vente forcée sur saisie-vente, lequel assure une publicité, une organisation et une transparence optimales des opérations. Toutefois, il convient de distinguer entre les meubles corporels, directement visés par ces textes, et les meubles incorporels, soumis à un régime spécifique.

i. La licitation des meubles corporels

==>Le lieu de la vente

En vertu de l’article R. 221-33 du Code des procédures civiles d’exécution, la détermination du lieu de la vente des meubles dans le cadre d’une licitation obéit à des critères mêlant pragmatisme et efficacité économique. La vente peut être organisée soit au lieu où se trouvent les biens, soit dans une salle des ventes ou tout autre espace public, en fonction de la situation géographique la plus adaptée à solliciter la concurrence tout en minimisant les coûts. 

La localisation des meubles constitue le premier critère à considérer. Organiser la vente sur place permet de limiter les frais de déplacement et de transport des biens, ce qui est particulièrement pertinent lorsque ceux-ci se situent dans une région densément peuplée ou facilement accessible aux enchérisseurs. Toutefois, lorsque le lieu de situation des meubles ne favorise pas une concurrence suffisante, le tribunal peut opter pour un lieu plus stratégique, tel qu’une salle des ventes située dans une zone urbaine ou à proximité d’un marché plus dynamique. Cette approche vise à maximiser le produit de la vente en attirant un nombre accru d’enchérisseurs potentiels.

Le tribunal, dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation, doit également tenir compte des règles encadrant la compétence territoriale des officiers ministériels chargés de la vente, conformément à l’article 3 de l’ordonnance du 26 juin 1816. Dans les communes où les commissaires-priseurs judiciaires exercent un monopole, leur intervention doit être respectée, sous peine d’irrégularité de la procédure. Ce cadre juridictionnel, bien que contraignant, garantit une cohérence dans l’organisation des ventes tout en respectant les prérogatives des professionnels habilités.

L’organisation de la vente, qu’elle soit réalisée sur place ou dans un lieu public, doit également répondre à une exigence de transparence. En choisissant des espaces accessibles et ouverts à tous les enchérisseurs, la procédure prévient tout risque de collusion ou de manipulation des enchères. Cette publicité garantit ainsi une valorisation optimale des biens tout en renforçant la confiance des parties dans le déroulement de la licitation. Le choix du lieu devient alors un élément central de la procédure, combinant efficacité économique et respect des intérêts des indivisaires.

==>L’information de la vente

  • L’information des copartageants
    • L’article R. 221-35 du CPC prévoit que les indivisaires soient informés par l’officier ministériel des lieu, jour et heure de la vente, au moins huit jours avant celle-ci. 
    • Cette notification, effectuée par lettre simple ou tout autre moyen approprié, garantit que les parties intéressées puissent assister à la vente et défendre leurs droits.
    • Il doit en être fait mention dans le certificat prévu à l’article R. 221-34 du CPCR
  • La publicité de la vente
    • L’article R. 221-34 exige que la vente soit précédée d’une publicité appropriée, réalisée au moins huit jours avant la date fixée pour l’adjudication. 
    • Cette publicité est effectuée par affiches indiquant les lieu, jour et heure de celle-ci et la nature des biens saisis.
    • Les affiches sont apposées à la mairie de la commune où demeure le débiteur saisi et au lieu de la vente. 
    • La publicité obligatoire est faite à l’expiration du délai prévu au dernier alinéa de l’article R. 221-31 et huit jours au moins avant la date fixée pour la vente.
    • La vente peut également être annoncée par voie de presse.
    • L’huissier de justice doit certifier l’accomplissement des formalités de publicité.

==>Les modalités d’adjudication

  • La vérification des biens avant adjudication
    • Avant l’adjudication, l’officier ministériel chargé de la vente procède à une vérification scrupuleuse de la consistance et de la nature des biens à réaliser, conformément aux exigences de l’article R. 221-36 du Code des procédures civiles d’exécution. 
    • Cette formalité consiste à examiner les biens afin de relever tout objet manquant ou dégradé, garantissant ainsi une transparence totale sur les biens soumis aux enchères. 
    • Ce contrôle donne lieu à l’établissement d’un acte, qui constitue une pièce essentielle de la procédure et permet d’assurer la régularité de la vente.
    • Par ailleurs, l’article R. 221-12 du même code confère à l’huissier de justice la faculté de photographier les objets, si cela s’avère nécessaire. 
    • Ces photographies, conservées par l’huissier, servent de preuve objective et fiable dans l’hypothèse où une contestation surviendrait ultérieurement. 
    • Bien que leur communication soit strictement encadrée et ne puisse avoir lieu qu’en cas de litige porté devant le juge, elles renforcent la crédibilité de l’inventaire des biens, en fournissant une documentation visuelle précise.
    • Cette procédure de vérification, bien qu’historiquement liée aux risques spécifiques des saisies, trouve également sa place dans le cadre de la licitation. 
    • Elle vise à prémunir les indivisaires contre tout doute ou litige relatif à l’état des biens mis en vente. 
    • En outre, elle participe de la protection des droits des copartageants en offrant une garantie supplémentaire sur la consistance des biens à liciter.
  • Les conditions de la vente
    • En application de l’article R. 221-37, la vente est faite par un officier ministériel habilité par son statut à procéder à des ventes aux enchères publiques de meubles corporels et, dans les cas prévus par la loi, par des courtiers de marchandises assermentés.
    • L’article R. 221-38 précise que l’adjudication est réalisée au plus offrant, après trois criées.
    • Le prix est payable comptant, et en cas de défaut de paiement par l’adjudicataire, l’objet est revendu sur réitération des enchères, dite “à la folle enchère”.
    • Cette règle vise à garantir la rapidité et l’efficacité des opérations tout en limitant les risques d’impayés.
  • L’établissement de l’acte de vente
    • L’article R. 221-39 prévoit qu’il doit être dressé acte de la vente. 
    • Cet acte contient la désignation des biens vendus, le montant de l’adjudication et l’énonciation déclarée des nom et prénoms des adjudicataires. 
    • Il y est annexé un extrait des inscriptions au registre mentionné à l’article R. 521-1 du code de commerce levé en application de l’article R.221-14-1.
    • Il est procédé, sur justification du paiement du prix, à la radiation des inscriptions de sûretés prises sur les biens vendus du chef du débiteur saisi.

ii. La licitation des meubles incorporels

Les biens incorporels, tels que les droits d’associé ou les valeurs mobilières, échappent au régime classique applicable aux meubles corporels, régi par les articles R. 221-33 à R. 221-39 du Code des procédures civiles d’exécution. En raison de leur nature immatérielle, la licitation de ces biens requiert un encadrement procédural spécifique, énoncé aux articles R. 233-3 à R. 233-9 du même code. Contrairement aux meubles corporels, dont la valeur repose sur leur consistance matérielle, les biens incorporels tirent leur valorisation de droits abstraits, impliquant des règles distinctes adaptées à leurs spécificités juridiques et économiques.

Cette différence de traitement se justifie par la complexité inhérente à ces actifs, qui nécessitent une évaluation préalable approfondie, des formalités de publicité appropriées et la prise en compte de mécanismes contractuels ou statutaires, tels que les droits d’agrément ou de préemption. Ces exigences garantissent la transparence des opérations, la protection des intérêts des parties et la préservation de la sécurité juridique.

Toutefois, le cadre procédural applicable à ces biens incorporels diffère selon que les valeurs mobilières concernées sont ou non admises à la négociation sur un marché réglementé ou sur un système multilatéral de négociation.

==>Les valeurs mobilières admises aux négociations sur un marché réglementé ou sur un système multilatéral de négociation

La licitation des valeurs mobilières admises à la négociation sur des marchés réglementés ou des systèmes multilatéraux de négociation est régie par les articles R. 233-3 et R. 233-4 du Code des procédures civiles d’exécution. Ces dispositions établissent un cadre procédural visant à assurer à la fois la simplicité, la rapidité et la transparence des opérations, tout en respectant les droits des débiteurs et des créanciers.

En premier lieu, l’article R. 233-3 confère au débiteur la faculté, dans un délai d’un mois à compter de la signification de la saisie, de donner l’ordre de vendre les valeurs mobilières saisies. Ce délai offre une marge de manœuvre permettant au débiteur de conserver une certaine maîtrise sur la gestion de ses actifs, tout en répondant aux impératifs de la procédure. Il est précisé que « le produit de la vente est indisponible entre les mains de l’intermédiaire habilité pour être affecté spécialement au paiement du créancier ». Cette indisponibilité garantit que les créanciers bénéficient en priorité du produit de la vente, protégeant ainsi leurs droits. En cas de vente excédant les sommes nécessaires pour désintéresser les créanciers, « l’indisponibilité cesse pour le surplus des valeurs mobilières saisies », restituant ainsi le solde au débiteur.

En second lieu, l’article R. 233-4 précise que, jusqu’à la réalisation de la vente forcée, le débiteur conserve la possibilité d’indiquer au tiers saisi l’ordre dans lequel les valeurs mobilières doivent être vendues. Ce pouvoir de priorisation permet d’optimiser la cession des actifs en fonction des préférences ou des contraintes économiques du débiteur. À défaut d’instruction expresse, « aucune contestation n’est recevable sur leur choix », ce qui confère à l’intermédiaire habilité une liberté d’exécution nécessaire à l’efficacité de la procédure.

Le déroulement de la procédure s’articule autour des étapes suivantes :

  • Signification de la saisie au débiteur : cette étape marque le point de départ du délai d’un mois imparti au débiteur pour donner l’ordre de vente des valeurs mobilières saisies, conformément à l’article R. 233-3.
  • Instruction de la vente par le débiteur : le débiteur peut ordonner la vente des valeurs mobilières, en précisant si nécessaire l’ordre dans lequel elles doivent être cédées, en application des articles R. 233-3 et R. 233-4.
  • Vente des valeurs mobilières : l’intermédiaire habilité procède à la vente selon les instructions du débiteur ou, à défaut, selon sa propre appréciation. Les produits de la vente sont indisponibles jusqu’à ce que les créanciers soient désintéressés.
  • Affectation des fonds : le produit de la vente est affecté prioritairement au paiement des créanciers. En cas d’excédent, le surplus est restitué au débiteur, mettant fin à l’indisponibilité.

==>Les valeurs mobilières non admises aux négociations sur un marché réglementé ou sur un système multilatéral de négociation

La licitation des valeurs mobilières non admises aux négociations sur des marchés réglementés ou des systèmes multilatéraux de négociation est régie par les articles R. 233-5 à R. 233-9 du Code des procédures civiles d’exécution. 

  • Tentative de vente amiable préalable
    • Conformément à l’article R. 233-5, la procédure débute par une tentative de vente amiable des valeurs mobilières. 
    • Si cette vente ne peut être réalisée dans les conditions prévues aux articles R. 221-30 à R. 221-32, une adjudication judiciaire est alors ordonnée. 
    • Cette étape préalable reflète une volonté de privilégier les solutions consensuelles et de réduire les coûts et les délais associés à une vente judiciaire.
  • Élaboration d’un cahier des charges
    • Avant la mise en vente, un cahier des charges doit être établi en application de l’article R. 233-6. Ce document joue un rôle central dans la procédure, car il contient :
      • Les statuts de la société concernée, afin de permettre une évaluation précise des droits mis en vente.
      • Tout document nécessaire à l’appréciation de la consistance et de la valeur des droits, garantissant ainsi la transparence des informations fournies aux enchérisseurs potentiels. 
    • Il peut être observé que les conventions instituant un agrément ou créant un droit de préférence au profit des associés ne s’imposent à l’adjudicataire que si elles figurent expressément dans le cahier des charges. 
  • Notification du cahier des charges
    • L’article R. 233-7 impose la notification du cahier des charges à la société concernée, qui doit à son tour en informer les associés.
    • Simultanément, une sommation est notifiée aux créanciers opposants, leur permettant de consulter le cahier des charges et, le cas échéant, de formuler des observations sur son contenu. 
    • Ces observations doivent être faites dans un délai de deux mois suivant la notification initiale, après quoi elles ne sont plus recevables. 
    • Ce mécanisme garantit que tous les intéressés disposent d’une opportunité équitable de participer au processus.
  • Publicité de la vente
    • Une fois le cahier des charges validé, une publicité de la vente est organisée conformément à l’article R. 233-8. 
    • Cette publicité doit indiquer les jour, heure et lieu de l’adjudication et est réalisée par voie de presse, voire par affichage si nécessaire. 
    • Elle doit être effectuée dans un délai compris entre quinze jours et un mois avant la date fixée pour la vente. 
    • Par ailleurs, le débiteur, la société et les créanciers opposants doivent être informés de cette date par notification individuelle.
  • Mise en œuvre des mécanismes conventionnels spécifiques
    • Avant l’adjudication, les mécanismes légaux ou conventionnels d’agrément, de préemption ou de substitution sont mis en œuvre conformément à l’article R. 233-9. 
    • Ces mécanismes permettent aux associés ou aux créanciers d’exercer leurs droits conformément aux statuts de la société ou aux conventions en vigueur.
  • Adjudication
    • L’adjudication elle-même suit les principes généraux des ventes judiciaires. 
    • L’adjudicataire, une fois déclaré, devient titulaire des droits incorporels cédés, sous réserve des restrictions éventuelles mentionnées dans le cahier des charges. 
    • Cette étape clôt la procédure et permet d’affecter le produit de la vente au paiement des créanciers, dans le respect des priorités établies.

b. La licitation des immeubles

L’article 1377, alinéa 2 du Code de procédure civile prévoit que « la vente est faite, pour les immeubles, selon les règles prévues aux articles 1271 à 1281 ». Ainsi, la licitation des immeubles dans le cadre d’un partage judiciaire est encadrée par des règles qui établissent un régime spécifique hérité de la tradition juridique antérieure, notamment de l’article 972 de l’ancien Code de procédure civile. Ce dernier renvoyait aux articles 953 et suivants lesquels régissaient la vente des biens immobiliers appartenant à des mineurs, reflétant déjà une volonté de protéger les intérêts des parties les plus vulnérables.

Ces dispositions, désormais modernisées, s’appliquent à la vente judiciaire des immeubles indivis, qu’ils appartiennent à des mineurs, à des majeurs en tutelle ou à plusieurs indivisaires dans le cadre d’un partage. Elles traduisent une continuité dans la recherche d’un équilibre entre la nécessité de mettre fin à l’indivision et la garantie d’une procédure équitable et sécurisée pour toutes les parties. 

i. Détermination des modalités de la vente

Conformément à l’article 1272 du Code de procédure civile, la licitation des biens immobiliers peut être réalisée soit à l’audience des criées, sous la supervision d’un juge désigné, soit devant un notaire commis à cet effet par le tribunal. Ce choix de modalité incombe au tribunal, qui dispose d’un pouvoir discrétionnaire, lui permettant d’opter pour l’une ou l’autre de ces solutions en fonction des circonstances et des intérêts en présence. Ce pouvoir, largement reconnu par la jurisprudence (Cass. civ., 20 janv. 1880, DP 1880, 1, p. 161), dispense le juge de motiver sa décision quant à la désignation d’un notaire ou à la tenue des enchères au tribunal.

Toutefois, une limite s’impose à ce pouvoir discrétionnaire. Lorsque tous les indivisaires, capables et présents, s’accordent unanimement pour demander une vente devant notaire, le tribunal est tenu de respecter cette demande, y compris en ce qui concerne le choix du notaire. Cette prérogative des indivisaires s’inscrit dans une logique de respect de la volonté collective des parties et s’applique indépendamment de la complexité de la situation ou de la nature des biens concernés.

En l’absence d’accord entre les indivisaires, le tribunal conserve l’entière maîtrise des modalités de la vente. Il peut notamment désigner un ou plusieurs notaires pour superviser la licitation. Lorsqu’il commet deux notaires, sans leur attribuer de mission particulière, ces derniers doivent agir de manière concertée. Ils ne peuvent agir indépendamment l’un de l’autre, notamment pour des actes aussi fondamentaux que l’établissement du cahier des charges. Cette exigence vise à garantir une parfaite régularité des opérations.

L’absence d’un notaire dans un tel cadre ne saurait être régularisée par la seule présence de témoins. Toutefois, il a été jugé que le cahier des charges établi par un notaire unique, bien que deux notaires aient été initialement désignés, reste valable dès lors que l’autre partie et son notaire s’étaient volontairement abstenus de comparaître (CA Rennes, 10 juill. 1957).

Le tribunal conserve par ailleurs un pouvoir discrétionnaire concernant le remplacement des notaires désignés. Ainsi, en cas de décès ou d’empêchement d’un notaire, il peut nommer un autre notaire ou, s’il en a désigné plusieurs avec une hiérarchie entre eux, intervertir les rôles initialement définis (Cass. 1ère civ., 9 janv. 1979, n°76-10.880).

Le choix entre la licitation à la barre du tribunal et celle devant notaire repose souvent sur des considérations pratiques. La licitation judiciaire, en raison des garanties procédurales qu’elle offre, est généralement privilégiée lorsqu’il existe des indivisaires mineurs ou incapables. À l’inverse, la licitation devant notaire tend à être plus attractive pour les tiers enchérisseurs, notamment lorsque l’étude notariale est située à proximité du bien immobilier concerné. Ce cadre flexible permet ainsi d’adapter les modalités de la procédure à l’intérêt des indivisaires et aux spécificités de chaque dossier.

ii. Fixation des conditions de vente

Une fois la licitation des biens immobiliers ordonnée, le tribunal est chargé de fixer les conditions essentielles de la vente. Conformément à l’article 1273 du Code de procédure civile, cette prérogative intéresse principalement la détermination de la mise à prix de chaque bien concerné. Le tribunal peut également prévoir que, si aucune enchère n’atteint cette mise à prix initiale, la vente puisse s’effectuer sur une mise à prix inférieure, qu’il fixe lui-même. Ce mécanisme, souvent étagé, vise à garantir la réalisation effective de la vente tout en préservant au mieux les intérêts des indivisaires.

La mise à prix constitue un élément central de la procédure de licitation. Elle correspond au montant minimum à partir duquel les enchères peuvent débuter. Si les indivisaires, tous capables et présents, s’accordent à l’unanimité sur les conditions de la vente, ils peuvent convenir eux-mêmes de cette mise à prix et des modalités y afférentes. Cependant, en l’absence d’un tel accord, il revient au tribunal de trancher et de fixer les conditions de manière souveraine (art. 1377, al. 1er CPC).

Dans l’exercice de cette prérogative, le tribunal dispose d’un large pouvoir d’appréciation. Il peut, par exemple, décider que la mise à prix initiale pourra être abaissée en cas d’absence d’enchères atteignant ce montant. Ce mécanisme progressif, par paliers successifs (par exemple, un quart ou une moitié en moins), est conçu pour assurer l’attractivité de la vente tout en veillant à ne pas sacrifier la valeur des biens (Cass. 1re civ., 23 juill. 1979, n°78-10.067).

Pour fixer une mise à prix réaliste et adaptée, le tribunal peut ordonner une estimation totale ou partielle des biens si leur consistance ou leur valeur le justifie (art. 1273, al. 2 CPC). Cette mesure est néanmoins facultative et relève de la seule appréciation du juge. Ainsi, le tribunal n’est pas tenu d’ordonner une expertise, même si elle est sollicitée, ni de se conformer aux conclusions du rapport d’un expert lorsqu’il en a désigné un (Cass. 1ère civ., 2 mars 1966). 

En tout état de cause, la fixation des conditions de vente par le tribunal doit reposer sur une analyse, au cas par cas, des circonstances. L’objectif est d’assurer une juste valorisation des biens indivis tout en facilitant leur réalisation lors de la vente. Cette démarche équilibrée tient compte des intérêts des indivisaires et de l’attractivité nécessaire pour susciter l’intérêt des enchérisseurs.

iii. L’établissement du cahier des charges

Le cahier des charges, pièce essentielle de la procédure de licitation, constitue le cadre juridique définissant les modalités de la vente et les engagements des parties. Prévu par l’article 1275 du Code de procédure civile, il doit être établi avec rigueur, car il devient la « loi des parties » une fois déposé. Ce document, obligatoire selon la jurisprudence (Cass. 3e civ., 27 févr. 2002, n°00-15.317), joue un rôle central en structurant les étapes de la vente, garantissant ainsi la transparence et l’équité de la procédure.

==>La rédaction du cahier des charges

Le rédacteur du cahier des charges est désigné en fonction de la modalité choisie pour la licitation :

  • Licitation à l’audience des criées : dans ce cas, l’avocat représentant le copartageant à l’origine de la procédure est chargé de la rédaction. Il lui revient de déposer le cahier des charges au greffe du tribunal, conformément aux règles procédurales applicables. Ce dépôt garantit l’accessibilité du document à toutes les parties intéressées, notamment les autres indivisaires.
  • Licitation devant notaire : lorsque la vente est confiée à un notaire commis par le tribunal, c’est à ce dernier que revient la responsabilité de rédiger le cahier des charges. Cette attribution est cohérente avec les missions du notaire en tant qu’officier public, garantissant la régularité et la sécurité juridique des opérations.

S’agissant du contenu du cahier des charges, il est déterminé par les parties lorsqu’elles parviennent à un accord unanime. À défaut d’un tel accord, il appartient au tribunal de fixer les conditions essentielles de la vente dans son jugement. Ce document doit obligatoirement comporter les éléments suivants :

  • Le jugement ayant ordonné la vente : cette mention permet d’identifier précisément la base légale et la décision judiciaire ayant autorisé la licitation.
  • La description détaillée des biens à vendre : le cahier des charges doit fournir une description précise et exhaustive des biens concernés, y compris leur nature, leur situation géographique et, le cas échéant, leur état locatif. Cette exigence vise à garantir que les enchérisseurs potentiels disposent de toutes les informations nécessaires pour évaluer les biens et formuler des offres éclairées.
  • La mise à prix et les conditions essentielles de la vente : le document doit préciser le montant de la mise à prix fixé par le tribunal ou convenu par les parties, ainsi que les modalités de l’adjudication. Ces conditions incluent notamment les délais de paiement et les éventuelles garanties exigées des enchérisseurs.
  • Vente d’un fonds de commerce : lorsque la vente porte sur un fonds de commerce, le cahier des charges spécifie la nature et la situation tant du fonds que des divers éléments qui le composent, ainsi que les obligations qui seront imposées à l’acquéreur, notamment quant aux marchandises qui garnissent le fonds.

==>La mie à disposition du cahier des charges

Une fois rédigé, le cahier des charges devient un élément essentiel de la procédure de licitation, car il formalise les conditions de vente et sert de référence pour toutes les parties impliquées. Sa mise à disposition est encadrée de manière à garantir une transparence totale et à permettre aux indivisaires, ainsi qu’à tout tiers intéressé, de participer efficacement à la procédure.

Le mode de dépôt ou de mise à disposition du cahier des charges dépend de la modalité de licitation choisie :

  • Dans le cadre d’une licitation à la barre : lorsque la vente a lieu à l’audience des criées, le cahier des charges est déposé au greffe du tribunal. Ce dépôt revêt une importance particulière, car il permet à toutes les parties concernées de prendre connaissance des termes de la vente avant que les enchères ne soient réalisées. Il garantit ainsi l’équité procédurale en offrant à chaque indivisaire une possibilité d’examen des conditions fixées.
  • Dans le cadre d’une licitation devant notaire : lorsque la vente est organisée par un notaire, le cahier des charges est tenu à disposition dans l’étude notariale. Cette modalité, plus flexible, permet une consultation directe par les indivisaires ou par les tiers intéressés, qui peuvent se rendre chez le notaire pour en prendre connaissance. Cela est particulièrement avantageux lorsque le notaire est situé à proximité des biens à vendre, facilitant ainsi l’accès à l’information pour les personnes concernées.

Dans les deux cas, l’objectif de cette mise à disposition est de garantir une information complète et accessible, tout en permettant aux parties de préparer leur éventuelle participation aux enchères ou d’émettre des observations sur le contenu du cahier des charges.

Historiquement, l’ancien article 973 du Code de procédure civile imposait une sommation formelle aux copartageants de prendre connaissance du cahier des charges dans un délai de huit jours suivant son dépôt. Cette disposition visait à instituer une procédure rigoureuse, offrant un cadre temporel précis pour s’assurer que chaque partie avait été informée des conditions de la vente et pouvait, en cas de désaccord, soulever des observations ou contestations.

En cas de difficulté ou de litige concernant le cahier des charges, les contestations étaient réglées à l’audience, permettant au tribunal d’intervenir pour trancher les désaccords. Cette procédure renforçait la sécurité juridique et offrait une voie directe de résolution des différends avant la tenue des enchères.

Cependant, cette exigence de sommation formelle n’a pas été reprise dans les textes actuels. Son absence a été critiquée, car elle laisse une zone d’incertitude quant à la manière dont les parties doivent être informées. En pratique, cette lacune impose désormais aux tribunaux une responsabilité accrue pour s’assurer que les indivisaires et les autres parties intéressées soient dûment informés et disposent d’une possibilité effective de consultation.

Bien que les textes actuels ne prévoient plus de sommation formelle, la nécessité d’informer les parties reste une exigence implicite. Les juridictions, en particulier dans le cadre des licitations à la barre, veillent à ce que les copartageants soient informés de la mise à disposition du cahier des charges et disposent d’un délai raisonnable pour en prendre connaissance.

Il est souvent palier à ce silence textuel par les pratiques notariales ou judiciaires. Les notaires, par exemple, adoptent des mesures pratiques pour garantir l’accessibilité du cahier des charges, notamment en informant directement les indivisaires ou en utilisant des moyens de communication modernes comme les courriers électroniques. De même, les greffes des tribunaux facilitent la consultation des documents déposés.

Le cahier des charges, en plus de constituer un cadre pour la vente, permet aux indivisaires et aux tiers intéressés d’exercer pleinement leurs droits. Sa consultation préalable est cruciale pour que les parties puissent :

  • Vérifier les conditions de la vente et la mise à prix fixée ;
  • Identifier les éventuelles erreurs ou omissions dans la description des biens ;
  • Proposer des rectifications ou formuler des observations avant l’enchère.

Les éventuels désaccords ou observations des parties peuvent être soumis au tribunal ou au notaire, selon la modalité de licitation choisie, avant la finalisation de la vente. Ainsi, le cahier des charges joue un rôle non seulement informatif, mais également participatif, en permettant aux parties de contribuer au bon déroulement de la procédure.

==>La force obligatoire du cahier des charges

Il est admis que le cahier des charges s’analyse comme une véritable offre de vente formulée aux conditions qu’il définit, son acceptation par l’adjudicataire entraînant la formation du contrat (art. 1103 C. civ.). Ce document, qui fixe les règles et conditions essentielles de la vente, tient ainsi lieu de « loi aux parties » et ne peut être modifié unilatéralement après son dépôt.

En effet, une fois déposé au greffe ou tenu à disposition dans l’étude notariale, le cahier des charges acquiert une force obligatoire. En conséquence, aucun copartageant ne peut le modifier de manière unilatérale. Cette règle a été consacrée par la jurisprudence, qui a affirmé que toute tentative de modification sans l’accord des autres parties est nulle et non avenue (Cass. 1re civ., 27 janv. 1998, n°95-15.296). 

Toutefois, avant qu’il ne devienne définitif, le cahier des charges n’est qu’un projet, soumis à l’approbation des indivisaires. Cette étape préliminaire permet aux parties de proposer des rectifications légitimes, lesquelles doivent être intégrées, sous réserve d’un consensus. En cas de désaccord persistant entre les indivisaires, ces rectifications peuvent être soumises à l’appréciation du tribunal, qui tranchera la question.

Le notaire ou l’avocat chargé de la rédaction du cahier des charges agit comme mandataire des parties. À ce titre, il doit prendre en considération la volonté collective des indivisaires et veiller à exprimer fidèlement leurs intérêts communs. Bien qu’il dispose d’une certaine autonomie dans la rédaction du document, il a l’obligation d’accueillir favorablement toute demande de modification justifiée par l’un des indivisaires et de consulter les autres parties sur ces propositions.

Ce rôle de mandataire implique également une responsabilité en cas d’omission ou d’erreur dans le cahier des charges. Si le rédacteur néglige de prendre en compte des observations légitimes ou ne respecte pas les exigences légales, les parties concernées peuvent solliciter une révision du document ou engager sa responsabilité.

La jurisprudence, notamment par un arrêt de la Cour de cassation du 25 octobre 1972, a rappelé qu’il est possible, même après qu’une décision irrévocable a ordonné une licitation, de demander la stipulation d’une clause dans le cahier des charges, sous réserve que cette demande ne porte pas sur un point ayant acquis l’autorité de la chose jugée (Cass. 1ère civ., 25 oct. 1972, n°71-11.018).

Dans cette affaire, la Cour d’appel avait rejeté une demande d’ajout d’une clause d’attribution préférentielle d’une villa au motif qu’un arrêt antérieur, devenu irrévocable, avait ordonné une licitation « pure et simple ». Toutefois, la Cour de cassation a censuré cette position en considérant que l’arrêt antérieur n’avait pas statué sur la question de l’attribution préférentielle et ne pouvait donc avoir autorité de chose jugée sur ce point. Elle a précisé que l’autorité de la chose jugée ne s’applique qu’aux éléments expressément tranchés par la décision initiale, laissant ainsi la possibilité d’adapter le cahier des charges à des éléments non réglés dans le jugement de licitation.

Cette souplesse dans l’élaboration ou la modification du cahier des charges est toutefois encadrée par des limites strictes. Une fois la licitation réalisée, les possibilités de modification deviennent considérablement réduites. Par exemple, une clause stipulée au profit d’un indivisaire mais non approuvée par les autres copartageants ne peut leur être imposée. Cette position a été clairement établie par la jurisprudence (Cass. Com., 4 févr. 1970, n° 68-11.811).

En outre, une « déclaration d’adjudicataire » déposée après l’adjudication, sans être reprise dans le cahier des charges, est considérée comme nulle. La Cour de cassation, dans un arrêt du 27 janvier 1998 a fermement rappelé que le cahier des charges fait la loi des parties (Cass. 1ère civ. 1re, 27 janv. 1998, n°95-15.296). En l’espèce, une déclaration déposée postérieurement à l’adjudication, par laquelle certains indivisaires tentaient de modifier les modalités de la vente pour prévoir une attribution à titre de partage et non de licitation, n’a pas été reconnue comme valable.

La Haute juridiction a souligné que le cahier des charges, qui fixe les conditions essentielles de la vente, est un document juridiquement contraignant. Une fois adopté, il constitue un cadre immuable qui ne peut être modifié que dans les formes prévues par la procédure. La « déclaration d’adjudicataire » en question, déposée après l’adjudication, n’ayant pas été reprise dans le cahier des charges avant cette dernière, n’avait donc aucune valeur juridique et ne pouvait être opposée ni aux autres indivisaires ni au nouvel adjudicataire.

En refusant de donner effet à cette déclaration tardive, la Cour de cassation a réaffirmé non seulement la force obligatoire du cahier des charges, mais également l’exigence de rigueur et de sécurité juridique qui préside à la procédure de licitation. En effet, permettre de telles modifications après coup compromettrait l’équité entre les parties et ouvrirait la voie à des contestations pouvant déstabiliser le processus de vente.

Ainsi, cette solution, protectrice des droits des parties, garantit que les termes de la vente restent inchangés après leur adoption, conformément au principe de force obligatoire des conventions (art. 1103 C. civ.). En l’absence de toute stipulation préalable dans le cahier des charges, une déclaration postérieure ne saurait avoir d’effet juridique, quel que soit son contenu ou les intentions des parties concernées.

==>Les clauses spécifiques du cahier des charges

Le cahier des charges peut comporter des clauses spécifiques destinées à encadrer la procédure et à clarifier les droits des parties. Parmi celles-ci, deux clauses méritent une attention particulière : la clause de substitution et la mention relative à l’état locatif des biens.

  • La clause de substitution
    • La clause de substitution permet à un indivisaire de se substituer à l’adjudicataire tiers dans un délai déterminé, sous réserve des conditions précisées dans le cahier des charges. 
    • Cette clause, parfaitement licite au regard de l’article 1102 du Code civil, s’analyse en un prolongement des droits de substitution déjà prévus par l’article 815-15 du Code civil. 
    • Tandis que ce dernier s’applique uniquement lorsque l’adjudication porte sur les droits indivis d’un indivisaire, la clause stipulée dans le cahier des charges peut élargir ce droit à l’ensemble des biens indivis.
    • La jurisprudence a confirmé la validité de cette clause, en précisant qu’elle doit figurer dans le cahier des charges pour produire ses effets. 
    • Ainsi, dans un arrêt du 17 mars 2010, il a été jugé par la Cour de cassation que « le cahier des charges faisant la loi des parties à l’adjudication », une clause de substitution figurant dans celui-ci est parfaitement valable (Cass. 1ère civ., 17 mars 2010, n°08-21.554). 
    • A cet égard, lorsque plusieurs indivisaires invoquent la clause, la substitution est accordée à celui qui en fait la demande en premier, conformément au principe prior tempore potior jure (Cass. 1ère civ., 7 oct. 1997, n°95-17.071).
    • Enfin, le cahier des charges peut exiger le dépôt préalable du prix d’adjudication par l’indivisaire souhaitant exercer la substitution (Cass. 2e civ., 6 oct. 1993, n°90-18.590). 
    • Cette condition vise à prévenir toute contestation ultérieure et à garantir la sécurité de la transaction.
  • La mention relative à l’état locatif des biens
    • Le cahier des charges doit également comporter une mention sur l’état locatif des biens, en application de l’article 1112-1 du Code civil. 
    • Cette obligation d’information permet à l’adjudicataire de connaître l’existence éventuelle de baux en cours, ceux-ci étant opposables, même s’ils ont été conclus par un seul des indivisaires (Cass. 1ère civ., 19 mars 1991, n°89-20.352).
    • La jurisprudence a fermement établi qu’un bail régulièrement consenti par un indivisaire engage l’adjudicataire, lequel devra le respecter (Cass. 1ère civ., 18 juin 1973, n° 72-11.239).
    • En revanche, si un doute persiste quant aux droits du locataire, notamment en cas de contentieux en cours, une mention explicative doit figurer dans le cahier des charges (Cass. 2e civ., 13 nov. 1959).
    • Par ailleurs, l’absence d’une telle mention dans le cahier des charges pourrait engager la responsabilité du rédacteur si elle entraîne un préjudice pour l’adjudicataire. 
    • Toutefois, cette responsabilité ne saurait être retenue si l’adjudicataire avait connaissance de l’existence du bail (Cass. 1ère civ., 26 nov. 1996, n°94-20.334).

iv. La publicité de la vente

La publicité de la vente est une étape importante de la procédure de licitation, car elle vise à garantir à la fois la transparence et une concurrence loyale entre les enchérisseurs potentiels. Elle est encadrée par l’article 1274 du Code de procédure civile, qui confère au tribunal la mission de déterminer les modalités de cette publicité en tenant compte de trois critères : la valeur, la nature et la situation des biens concernés.

==>Les critères d’appréciation du juge

Le tribunal exerce un pouvoir discrétionnaire pour adapter les modalités de publicité aux spécificités du bien à vendre. Ainsi, il doit tenir compte : 

  • De la valeur du bien : un bien immobilier de grande valeur peut nécessiter une publicité plus large, par exemple au niveau national, afin d’attirer des acquéreurs disposant des ressources nécessaires. À l’inverse, pour un bien de moindre valeur, une publicité locale peut suffire.
  • De la nature du bien : un immeuble résidentiel, un local commercial ou un terrain nu n’attireront pas le même type d’enchérisseurs. Le choix des supports publicitaires doit donc être adapté au public cible.
  • De la situation géographique des biens : les biens situés dans des zones rurales, moins fréquentées, peuvent nécessiter une publicité étendue pour compenser leur faible visibilité locale, tandis que les biens situés en centre-ville peuvent bénéficier d’une couverture plus ciblée.

==>Les formes de publicité

En pratique, la publicité prend des formes variées, définies en fonction des critères précités et des usages locaux. 

Elle inclut généralement :

  • Des annonces dans des journaux : les annonces légales publiées dans des journaux spécialisés ou locaux constituent une méthode classique de publicité. Ces annonces doivent préciser les informations essentielles, telles que la description du bien, la mise à prix, la date et le lieu de l’adjudication.
  • Des affiches : l’apposition d’affiches sur les lieux du bien est également une méthode fréquente, permettant d’informer les riverains et les passants.
  • D’autres moyens adaptés : le tribunal peut également prescrire l’utilisation de supports numériques, comme des annonces sur des sites spécialisés dans les ventes immobilières, ou encore des campagnes de diffusion via des agences immobilières.

==>Finalité de la publicité

La principale finalité de la publicité est de garantir une information large et accessible, afin d’attirer un maximum d’enchérisseurs potentiels. Cette mise en concurrence permet de maximiser le prix obtenu lors de la vente, ce qui est dans l’intérêt des indivisaires. En outre, la publicité renforce la transparence de la procédure, en minimisant les risques de contestation liés à un manque d’information.

==>Contrôle des mesures de publicité

Le tribunal joue un rôle central dans le contrôle de la publicité. Il peut, si nécessaire, exiger des preuves de la réalisation des mesures publicitaires prescrites, comme des attestations de publication ou des photographies des affiches apposées. 

En cas de manquement aux modalités fixées, la procédure de vente pourrait être annulée, mettant en jeu la responsabilité du rédacteur du cahier des charges ou des officiers publics impliqués.

v. L’information des indivisaires

L’article 1276 du Code de procédure civile institue une obligation d’informer les indivisaires de la vente d’un bien indivis au moins un mois avant la réalisation de cette dernière. 

Cette notification de la vente aux indivisaires conditionne la régularité de la procédure. Elle vise à garantir que chaque indivisaire, qu’il soit présent ou absent, puisse prendre connaissance de l’opération envisagée et exercer ses droits, notamment celui de contester ou d’intervenir dans la procédure. En effet, la vente d’un bien indivis affecte directement les droits patrimoniaux des indivisaires, qui détiennent chacun une quote-part dans l’indivision.

Le délai d’un mois prévu par l’article 1276 constitue un minimum légal, permettant à chaque indivisaire de disposer du temps nécessaire pour évaluer l’opération, solliciter des conseils juridiques ou formuler d’éventuelles observations. Ce délai doit être strictement respecté, sous peine de nullité de la procédure.

Le soin de notifier la vente aux indivisaires incombe au rédacteur du cahier des charges, généralement un notaire ou un avocat désigné dans le cadre de la procédure. Ce professionnel a une mission essentielle : veiller à ce que tous les indivisaires, sans exception, soient informés de manière claire et précise. Cette notification doit mentionner les éléments suivants :

  • La date et le lieu de la vente ;
  • Les modalités de cette dernière (vente amiable ou vente judiciaire) ;
  • Les informations relatives au bien vendu (descriptif, mise à prix, etc.) ;
  • Les droits dont disposent les indivisaires, notamment la possibilité d’en contester les conditions.

Le rédacteur du cahier des charges doit s’assurer que la notification soit effectuée par un moyen permettant d’en garantir la réception, par exemple par lettre recommandée avec accusé de réception ou par acte d’huissier. En cas de difficulté, notamment en cas d’indivisaires introuvables ou absents, le professionnel peut solliciter l’autorisation du juge afin de procéder à une notification par voie de publication ou par tout autre moyen adapté.

L’absence ou l’insuffisance de la notification peut entraîner de lourdes conséquences juridiques. En cas de non-respect de cette obligation, l’indivisaire lésé dispose d’un recours en annulation de la vente. La jurisprudence est constante sur ce point, estimant que toute atteinte aux droits procéduraux des indivisaires constitue une irrégularité substantielle.

En outre, l’absence de notification peut également engager la responsabilité civile du rédacteur du cahier des charges, si ce manquement cause un préjudice aux indivisaires. Par exemple, si la vente est annulée en raison de cette irrégularité, les frais supplémentaires engagés pourront être réclamés au professionnel défaillant.

Dans les situations où les indivisaires sont en conflit ou en cas de difficulté particulière dans la gestion de l’indivision, cette obligation d’information revêt une importance particulière. Elle permet d’éviter que certains indivisaires ne soient écartés des décisions importantes et garantit que la vente s’effectue dans des conditions transparentes et conformes aux règles légales.

vi. La procédure d’adjudication

L’adjudication d’un bien indivis, qu’elle soit réalisée à la barre du tribunal ou devant un notaire, constitue une étape cruciale du processus de vente. Régie par les articles 1277 et 1278 du Code de procédure civile ainsi que par les dispositions spécifiques du Code des procédures civiles d’exécution, cette phase requiert un respect rigoureux des règles de publicité et des formalités prescrites. Ces règles, empruntées à la saisie immobilière, visent à garantir la transparence et l’équité de la procédure tout en protégeant les intérêts des parties concernées.

==>Les règles générales d’adjudication

  • Les modalités d’adjudication
    • L’adjudication se tient selon les modalités fixées par le tribunal dans le cadre de la vente en indivision. Elle peut se dérouler dans deux contextes distincts :
      • À l’audience des criées : les enchères doivent être portées par le ministère d’un avocat, conformément à l’article R. 322-40 du Code des procédures civiles d’exécution. L’avocat, en sa qualité de mandataire de l’acheteur, ne peut être porteur que d’un seul mandat, ce qui garantit l’intégrité et l’indépendance de la procédure.
      • Devant un notaire : dans ce cas, les enchères peuvent être reçues directement par ce dernier, sans que le recours au ministère d’un avocat soit requis (CPC, art. 1278, al. 2). Ce mécanisme vise à simplifier la procédure tout en assurant la sécurité juridique grâce à l’intervention d’un officier public.
  • La capacité des enchérisseurs
    • L’article R. 322-39 du Code des procédures civiles d’exécution (CPCE) établit des restrictions quant aux personnes pouvant participer aux enchères publiques lors d’une procédure d’adjudication. 
    • Ces restrictions visent à prévenir les conflits d’intérêts, à protéger l’intégrité de la procédure et à maintenir la confiance des parties impliquées et du public dans la transparence des opérations.
    • Au nombre des personnes frappées d’une encapacité de participer aux enchères figurent :
      • Le débiteur saisi
        • Le débiteur saisi est interdit de participer aux enchères, que ce soit directement ou par personne interposée. 
        • Cette interdiction s’applique essentiellement dans le cadre des ventes sur saisie immobilière mais peut être étendue par analogie aux ventes en licitation judiciaire lorsqu’un indivisaire demande la vente.
        • Cette incapacité vise à éviter que le débiteur, tenu de vendre ses biens pour apurer ses dettes ou régler une situation d’indivision, ne puisse racheter son propre bien pour échapper à l’obligation de paiement.
        • Une telle participation compromettrait la finalité de la procédure, qui est d’organiser une redistribution équitable du produit de la vente entre créanciers ou indivisaires.
      • Les auxiliaires de justice ayant participé à la procédure
        • Les auxiliaires de justice étant intervenu dans la procédure à un quelconque titre (avocats, notaires, huissiers, ou même mandataires judiciaires) sont également frappés d’une incapacité de participer aux enchères.
        • Cette interdiction s’explique par leur rôle central dans le bon déroulement de la procédure : ces professionnels doivent garantir l’impartialité et l’équilibre entre les parties.
        • Une participation de leur part serait perçue comme contraire à leur obligation de neutralité et pourrait engendrer des soupçons de conflit d’intérêts ou de favoritisme.
        • Exemple : un avocat qui a rédigé le cahier des charges ou représenté une des parties dans la procédure pourrait être accusé d’avoir utilisé ses connaissances privilégiées pour influencer ou manipuler le processus.
      • Les magistrats de la juridiction ayant ordonné la vente
        • Les magistrats ayant pris part à la juridiction où la vente a été ordonnée ou supervisée sont également exclus des enchères.
        • Cette incapacité découle directement des principes de séparation des pouvoirs et d’impartialité de la justice.
        • Permettre à un magistrat de participer aux enchères soulèverait des doutes sur la légitimité des décisions rendues, notamment en cas de fixation d’une mise à prix jugée favorable ou d’autres conditions de vente.
    • La participation d’une personne frappée d’incapacité peut entraîner des conséquences importantes :
        • Nullité de l’enchère et de l’adjudication : toute enchère portée par une personne incapable est frappée de nullité (articles R. 322-48 et R. 322-49 du CPCE).
        • Responsabilité disciplinaire ou pénale : Pour les auxiliaires de justice ou magistrats, une telle participation pourrait donner lieu à des poursuites disciplinaires pour manquement à leurs obligations professionnelles, voire à des sanctions pénales en cas de collusion ou d’abus de fonction.
  • La représentation des enchérisseurs
    • La représentation des enchérisseurs lors d’une adjudication diffère selon que la procédure se déroule devant le tribunal ou devant un notaire. 
      • Ministère obligatoire d’un avocat devant le tribunal
        • Lorsqu’une adjudication se déroule à la barre du tribunal, les enchères doivent obligatoirement être portées par le ministère d’un avocat inscrit au barreau du tribunal judiciaire compétent. Cette obligation poursuit plusieurs objectifs essentiels :
          • Garantir la sécurité juridique : l’avocat, en tant que professionnel du droit, maîtrise les règles de la procédure et peut éviter à son mandant des erreurs susceptibles d’entraîner la nullité des enchères ou des contestations.
          • Assurer la transparence et l’équité de la procédure : en n’autorisant qu’un avocat par enchérisseur, le législateur prévient tout conflit d’intérêts ou stratégie dilatoire. En effet, l’article R. 322-40 du CPCE stipule que l’avocat ne peut représenter qu’un seul client, ce qui garantit l’impartialité des enchères.
          • Encadrer les garanties financières : avant de porter une enchère, l’avocat doit se faire remettre par son client une caution bancaire ou un chèque de banque couvrant au moins 10 % de la mise à prix, conformément à l’article R. 322-41 du CPCE.
        • Cette garantie vise à éviter que des enchères soient portées par des personnes insolvables.
        • L’avocat agit en qualité de mandataire exclusif de l’enchérisseur.
        • A cet égard, il est responsable de vérifier que son mandant respecte les exigences de capacité (articles R. 322-39 et R. 322-41-1 du CPCE) et qu’il dispose des moyens financiers nécessaires.
        • À l’issue de l’audience, il déclare au greffier l’identité de son mandant et fournit les documents requis, notamment les attestations de capacité ou de garanties financières (article R. 322-46 du CPCE).
      • Dispense de représentation par avocat devant le notaire
        • En application de l’article 1278, alinéa 2, du Code de procédure civile, les enchères portées devant un notaire ne nécessitent pas le ministère d’un avocat. 
        • La raison en est que les enchères devant un notaire sont souvent moins formelles que celles organisées par un tribunal.
        • Par ailleurs, en tant qu’officier public, le notaire est lui-même garant de la sécurité juridique et peut remplir certaines fonctions qu’un avocat aurait assumées devant le tribunal.
        • En outre, lorsqu’une licitation judiciaire est organisée devant un notaire, les participants sont souvent limités aux indivisaires ou à des tiers connus, ce qui réduit le risque de contentieux.
        • Bien que le ministère d’avocat ne soit pas obligatoire, le notaire doit veiller à l’application des règles essentielles, notamment :
          • Le respect des dispositions prévues dans le cahier des charges.
          • Le respect des garanties financières prévues à l’article R. 322-41 du CPCE ;
          • L’application des règles d’incapacité posées par l’article R. 322-39 du CPCE, excluant notamment les magistrats et auxiliaires de justice impliqués dans la procédure.
        • Enfin, c’est au notaire, qu’il incombe de rédiger le procès-verbal d’adjudication, qui constitue la base du titre de propriété.

==>Déroulement de l’audience d’adjudication

L’audience d’adjudication est le moment décisif de la procédure, où les enchères sont portées publiquement afin de déterminer l’adjudicataire final du bien indivis. Elle est encadrée par des règles strictes prévues par le Code des procédures civiles d’exécution (CPCE), afin de garantir la transparence, l’équité et la sécurité juridique des opérations. L’audience se déroule en plusieurs phases :

  • Ouverture des enchères
    • Annonce des frais
      • conformément à l’article R. 322-42 du CPCE, le juge ouvre les enchères en commençant par annoncer publiquement les frais liés à la procédure, notamment :
        • Les frais de poursuite, engagés par le créancier poursuivant pour mener à bien la procédure.
        • Les frais de surenchère, si applicable, justifiés par le surenchérisseur éventuel.
      • Cette étape garantit que l’ensemble des participants soit informé des coûts qui s’ajouteront au prix d’adjudication.
      • Toute somme exigée au-delà des frais annoncés est réputée non écrite.
    • Rappel du montant de la mise à prix
      • Ensuite, le juge rappelle que les enchères partiront du montant de la mise à prix, tel que fixé dans le cahier des charges ou par une décision judiciaire (article R. 322-43 du CPCE).
      • La mise à prix est le montant minimal en dessous duquel aucune enchère ne peut être validée, sauf en cas de remise en vente à prix réduit (prévue par l’article R. 322-47 du CPCE).
      • Ce rappel par le juge vise à garantir que les enchères débutent sur une base claire et connue de tous les participants.
      • Cette étape marque l’ouverture officielle des enchères et donne le cadre dans lequel elles se dérouleront.
  • Port des enchères
    • Le port des enchères suit des règles strictes, destinées à garantir l’équité entre les participants et à permettre une progression ordonnée des offres.
      • Des enchères pures et simples (article R. 322-44 du CPCE)
        • Les enchères doivent être pures et simples, c’est-à-dire :
          • Sans condition ni réserve : Chaque enchère est définitive et engage immédiatement celui qui la porte.
          • Progression obligatoire : Chaque enchère doit couvrir l’enchère précédente, ce qui exclut les offres inférieures ou égales à la dernière enchère.
        • Ce principe assure une montée progressive des offres et empêche tout blocage ou stratégie dilatoire de la part des participants.
      • Temps limite pour les enchères (article R. 322-45 du CPCE)
        • Les enchères sont arrêtées dès lors qu’un délai de 90 secondes s’écoule sans qu’aucune nouvelle enchère ne soit portée.
        • Ce délai est mesuré par un système visuel ou sonore, qui signale au public chaque seconde écoulée.
        • Ce mécanisme évite les hésitations prolongées et favorise un déroulement fluide de l’audience.
        • Ce temps limite est particulièrement utile pour clôturer les enchères dans un cadre clair, en laissant une opportunité raisonnable aux participants de se manifester sans prolonger inutilement la procédure.
  • Constatation de l’adjudication
    • Une fois les enchères arrêtées, le juge constate immédiatement le montant de la dernière enchère et en tire les conséquences juridiques :
      • Si la dernière enchère atteint ou dépasse la mise à prix, l’adjudication est définitive. 
      • Dans le cas contraire, une adjudication provisoire peut être prononcée en attendant une éventuelle nouvelle audience, conformément à l’article 1277 du Code de procédure civile.
      • Le juge établit un procès-verbal d’adjudication, qui formalise le transfert du bien à l’enchérisseur déclaré adjudicataire.
      • Ce procès-verbal servira de base pour la délivrance du titre de propriété (article R. 322-59 du CPCE).

==>Conséquences de l’adjudication

L’adjudication, point culminant de la vente aux enchères, peut être qualifiée de définitive ou provisoire selon que l’enchère atteint ou non le montant de la mise à prix fixée. Chaque qualification, encadrée par les dispositions du Code des procédures civiles d’exécution (CPCE) et du Code de procédure civile, emporte des conséquences juridiques et pratiques distinctes.

  • L’enchère atteint le montant de la mise à prix : l’adjudication définitive
    • L’adjudication est qualifiée de définitive dès lors que l’enchère couvre ou dépasse le montant fixé comme mise à prix dans le cahier des charges ou par décision judiciaire. 
    • Conformément à l’article R. 322-45 du CPCE, le juge constate immédiatement cette adjudication, ce qui engage irrévocablement l’enchérisseur déclaré adjudicataire.
    • L’adjudication définitive emporte des effets juridiques majeurs. 
    • Elle entraîne d’abord le transfert de propriété au bénéfice de l’adjudicataire, sous réserve du paiement intégral du prix d’adjudication et des frais taxés. 
    • Ce transfert de propriété est juridiquement certain et opposable aux tiers dès la prononciation du jugement d’adjudication. 
    • Ainsi, l’adjudication garantit aux créanciers ou indivisaires que le bien a été vendu à un prix conforme aux attentes, qu’il s’agisse de la mise à prix initiale ou des conditions du marché.
    • L’adjudicataire a également l’obligation de s’acquitter du prix et des frais dans les délais prescrits par la loi. 
    • En cas de défaillance, il s’expose à une réitération des enchères, assortie de sanctions financières, conformément à l’article R. 322-66 du CPCE. 
    • Ce mécanisme vise à protéger les intérêts des créanciers ou indivisaires en assurant que l’adjudication atteigne son objectif final.
  • L’enchère n’atteint pas le montant de la mise à prix : l’adjudication provisoire ou la remise en vente
    • Lorsque les enchères ne permettent pas de couvrir la mise à prix fixée dans le cahier des charges ou par décision judiciaire, la procédure prévoit deux issues distinctes : la remise en vente immédiate ou l’adjudication provisoire.
      • La remise en vente immédiate bien (article R. 322-47 du CPCE)
        • Si aucune enchère ne parvient à couvrir le montant de la mise à prix initiale, le juge peut prévoir, dès l’établissement du cahier des charges, une remise en vente immédiate du bien.
        • La remise en vente immédiate repose sur un mécanisme de réduction successive de la mise à prix. 
        • Le montant de la mise à prix peut être progressivement diminué par paliers, afin d’accroître les chances de susciter l’intérêt des enchérisseurs. 
        • Ce processus se poursuit jusqu’à ce qu’une enchère soit portée ou, à défaut, jusqu’au montant minimal prévu dans le cahier des charges.
        • Cette nouvelle mise en vente est organisée dans les mêmes conditions de publicité et de transparence que l’adjudication initiale. 
        • Les formalités légales de publicité doivent être respectées pour garantir que les nouvelles conditions de la vente soient portées à la connaissance de tous les participants potentiels, assurant ainsi l’équité de la procédure.
        • L’objectif principal de la remise en vente est d’éviter une situation de blocage qui pourrait compromettre la vente.
        • En procédant ainsi, le juge maximise les opportunités de trouver un acquéreur tout en préservant les intérêts économiques des indivisaires ou des créanciers concernés.
      • Adjudication provisoire (article 1277 du Code de procédure civile)
        • Si le cahier des charges ou la décision du juge n’autorise pas une remise en vente immédiate, une adjudication provisoire peut être prononcée au profit de l’enchérisseur ayant formulé l’offre la plus élevée, même si cette dernière reste inférieure au montant de la mise à prix.
        • Contrairement à l’adjudication définitive, l’adjudication provisoire n’emporte pas de transfert immédiat de propriété. 
        • Elle confère à l’adjudicataire un droit conditionnel, subordonné à une validation ultérieure par le tribunal. Cette situation permet de temporiser, tout en maintenant la procédure ouverte.
        • Le rôle du tribunal, tel que prévu à l’article 1277, alinéa 2, du Code de procédure civile, est central dans cette configuration.
        • Une fois saisi à la requête d’une partie intéressée, qu’il s’agisse d’un indivisaire ou d’un créancier, le tribunal dispose de deux options :
          • Valider l’adjudication provisoire : si les conditions sont jugées acceptables, l’adjudication provisoire devient définitive. La propriété est alors transférée à l’adjudicataire sous réserve du paiement du prix et des frais.
          • Ordonner une nouvelle vente : si le tribunal estime que l’adjudication provisoire ne permet pas de satisfaire les intérêts des parties, notamment en raison d’un prix insuffisant, il peut décider de procéder à une nouvelle adjudication. Cette nouvelle vente doit être organisée dans un délai minimum de 15 jours. Elle implique une nouvelle mise à prix, adaptée à la situation, ainsi que des formalités de publicité conformes aux exigences légales pour assurer une transparence optimale.

==>Jugement d’adjudication et titre de vente

  • La fonction du jugement d’adjudication
    • Le jugement d’adjudication constitue l’acte juridique par excellence constatant le transfert de propriété du bien vendu aux enchères. 
    • Cet acte, établi par le juge ayant supervisé la procédure, remplit une double fonction : il constate l’attribution du bien à l’adjudicataire et rend ce transfert de propriété opposable aux tiers.
    • En premier lieu, le jugement d’adjudication matérialise juridiquement l’attribution du bien à l’enchérisseur ayant remporté l’adjudication. Il ne s’agit pas seulement d’un constat formel, mais bien d’un acte fondateur conférant à l’adjudicataire la possibilité d’exercer pleinement ses droits sur le bien, sous réserve du paiement intégral du prix et des frais.
    • En second lieu, et conformément à l’article R. 322-59 du Code des procédures civiles d’exécution, le jugement d’adjudication ne se limite pas à constater l’achèvement de la procédure d’adjudication. Son établissement est également une condition préalable à l’inscription des droits de propriété de l’adjudicataire au registre foncier. En effet, l’inscription au registre foncier, qui garantit la publicité et l’opposabilité des droits de propriété, ne peut être réalisée sans ce jugement, lequel sert de fondement à l’ensemble des démarches postérieures.
  • Les mentions obligatoires du jugement
    • Le jugement d’adjudication doit comporter plusieurs mentions obligatoires, prévues à l’article R. 322-59 du Code des procédures civiles d’exécution.
      • Référence au cahier des charges
        • Le jugement doit mentionner le cahier des charges qui régit les conditions de la vente. 
        • Pour mémoire, ce document encadre les modalités de l’adjudication et les obligations de l’adjudicataire. 
        • En faisant référence à ce cahier, le jugement garantit que l’adjudication a respecté les conditions fixées.
      • Formalités de publicité accomplies
        • Le jugement doit préciser les actes de publicité réalisés ainsi que leurs dates. 
        • Ces formalités assurent que la procédure a été menée de manière transparente, permettant à tous les participants potentiels d’être informés de la vente. 
        • Une omission ou une irrégularité dans l’accomplissement de ces formalités pourrait affecter la validité de l’adjudication.
        • La mention des publicités dans le jugement offre ainsi une preuve que tous les participants potentiels ont pu être informés de manière adéquate, évitant ainsi toute contestation ultérieure sur ce fondement
  • Désignation du bien vendu
    • Une description précise de l’immeuble objet de l’adjudication est nécessaire. 
    • Cette désignation doit comporter les informations essentielles permettant d’identifier sans ambiguïté le bien concerné, telles que l’adresse, les références cadastrales, et, le cas échéant, ses caractéristiques spécifiques (surface, nature du bien, etc.). 
    • Cette exigence vise à écarter tout risque de confusion ou de litige concernant le bien transféré, garantissant ainsi que les droits de l’adjudicataire portent sur un objet clairement défini.
  • Identité de l’adjudicataire et montant de l’adjudication
    • Le jugement doit mentionner avec précision l’identité de l’adjudicataire, en indiquant ses nom et prénom, ou, dans le cas d’une personne morale, sa dénomination sociale et son numéro SIREN. 
    • Par ailleurs, le montant exact de l’enchère retenue ainsi que les frais taxés liés à la procédure doivent être expressément indiqués. 
    • Ces informations permettent non seulement d’identifier l’acquéreur de manière claire, mais aussi de calculer les montants à répartir entre les créanciers ou les indivisaires, garantissant ainsi la transparence financière de l’opération.
  • La délivrance du titre de vente
    • Une fois le jugement d’adjudication établi, celui-ci est revêtu de la formule exécutoire et remis à l’adjudicataire. 
    • Cette formalité, prévue à l’article R. 322-62 du Code des procédures civiles d’exécution, constitue l’aboutissement de la procédure d’adjudication. 
    • Elle confère à l’adjudicataire un titre de propriété officiel, permettant de faire valoir ses droits auprès des tiers.
    • En ce qui concerne la procédure de délivrance, le greffier ou le notaire ayant supervisé la vente remet à l’adjudicataire une expédition du jugement d’adjudication. 
    • Ce document constitue le titre de propriété du bien. 
    • Si la vente porte sur plusieurs lots adjugés à des acquéreurs différents, chaque adjudicataire reçoit une expédition distincte, accompagnée des quittances attestant du paiement des frais taxés. 
    • Le titre de vente ainsi délivré permet à l’adjudicataire de procéder à l’inscription de ses droits au registre foncier, officialisant ainsi son statut de propriétaire. 
    • Cette inscription est une étape essentielle, car elle assure la publicité et l’opposabilité des droits de propriété à l’égard des tiers. 
    • Elle confère également à l’adjudicataire une protection juridique renforcée en cas de litige ou de revendications ultérieures concernant le bien. 
  • Les effets du jugement
    • Le jugement d’adjudication emporte des effets juridiques immédiats tant pour l’adjudicataire que pour les tiers.
      • Le transfert de propriété
        • Le jugement d’adjudication formalise le transfert de propriété du bien adjugé au profit de l’adjudicataire dès sa prononciation. 
        • Toutefois, ce transfert reste conditionné au paiement intégral du prix d’adjudication ainsi que des frais taxés.
        • Tant que cette obligation n’a pas été exécutée, l’adjudicataire ne peut jouir pleinement de ses droits.
        • Une fois le paiement effectué, l’adjudicataire devient propriétaire du bien adjugé.
        • Il acquiert ainsi tous les droits attachés à la propriété, notamment ceux d’usage, de jouissance et d’aliénation. 
        • Il peut utiliser le bien comme bon lui semble, percevoir les fruits qu’il génère, ou encore le vendre, le donner ou le grever de droits réels.
        • Par ailleurs, ce transfert de propriété est opposable aux tiers. 
        • Cela signifie que les droits de l’adjudicataire ne peuvent être contestés par des tiers, sauf en cas de vices graves affectant la régularité de la procédure elle-même. 
      • L’effet déclaratif
        • Le jugement d’adjudication, dans le cadre d’une licitation, ne se limite pas à transférer la propriété du bien.
        • Il produit également un effet déclaratif, conférant à l’adjudicataire un titre qui purge les éventuels vices affectant les transmissions antérieures et stabilise la situation juridique du bien.
        • La raison en est que, en vertu de l’article 883 du Code civil, l’effet déclaratif attribue à l’adjudicataire une position rétroactive, le plaçant comme s’il avait toujours été seul propriétaire du bien depuis l’origine de l’indivision. 
        • Cet effet s’applique tant à l’égard des co-indivisaires qu’à l’égard du défunt dans les indivisions successorales.
        • L’effet déclaratif du jugement d’adjudication a une portée corrective et purgative. Il purge la chaîne de propriété en éteignant rétroactivement les droits ou actes des co-indivisaires sur le bien adjugé. 
        • Par exemple, un acte de disposition (vente, hypothèque ou bail) établi par un indivisaire non adjudicataire est anéanti rétroactivement, tandis que ceux établis par l’adjudicataire sont validés, consolidant ainsi ses droits.
        • Dans cette logique, la licitation-partage n’est pas considérée comme une mutation à titre onéreux mais comme un acte de partage. 
        • Elle échappe donc aux règles applicables aux ventes ordinaires, y compris aux actions en rescision pour lésion, sauf en cas de dispositions contraires inscrites dans le cahier des charges.
        • Cet effet déclaratif est particulièrement précieux lorsque le bien adjugé a été l’objet de litiges ou d’irrégularités dans les transmissions antérieures. 
        • Le jugement d’adjudication stabilise la situation juridique en consolidant les droits de l’adjudicataire, garantissant ainsi une propriété purgée de tous vices. 

==>La défaillance de l’adjudicataire et la réitération des enchères

Lorsqu’un adjudicataire ne s’acquitte pas du prix d’adjudication et des frais dans les délais impartis, le bien peut être remis en vente dans les conditions prévues par l’article R. 322-66 du CPCE.

  • Certificat de défaillance et organisation d’une nouvelle audience
    • La première étape en cas de défaillance de l’adjudicataire consiste en l’établissement d’un certificat de défaillance.
    • Ce document, dressé par le notaire ou le greffier, constate officiellement que l’adjudicataire n’a pas satisfait à ses obligations de paiement.
    • Conformément à l’article R. 322-67 du CPCE, le certificat est signifié à l’adjudicataire défaillant. Cette signification marque le point de départ d’un délai pendant lequel ce dernier peut, le cas échéant, régulariser sa situation.
    • Si aucune régularisation n’intervient, une nouvelle audience est fixée par le tribunal. 
    • Cette audience doit se tenir dans un délai compris entre deux et quatre mois suivant la signification du certificat de défaillance (article R. 322-69 du CPCE). 
    • Ce délai permet d’organiser les formalités de publicité nécessaires et de garantir une reprise transparente de la procédure.
  • Formalités de publicité et déroulement des nouvelles enchères
    • Pour garantir la transparence et l’égalité entre les participants, les formalités de publicité initiales doivent être intégralement renouvelées. Ces formalités sont effectuées selon les prescriptions de l’article R. 322-70 du CPCE.
    • La publicité doit inclure l’ensemble des informations prévues pour la vente initiale, auxquelles s’ajoute le montant de l’adjudication défaillante. Cette précision permet aux nouveaux enchérisseurs d’avoir une connaissance complète des conditions entourant la vente.
    • Le jour de l’audience, les enchères sont reprises dans les mêmes conditions que celles de la première vente, conformément à l’article R. 322-71 du CPCE.
    • Les règles relatives au déroulement des enchères, notamment la durée limite de 90 secondes entre deux enchères (article R. 322-45 du CPCE), s’appliquent également à cette nouvelle vente.
  • Conséquences pour l’adjudicataire défaillant
    • La défaillance de l’adjudicataire n’est pas sans conséquences pour ce dernier.
    • L’adjudicataire défaillant demeure redevable des frais liés à la première vente, même si le bien est remis en vente. 
    • En outre, il doit payer des intérêts au taux légal sur le montant de son enchère, calculés jusqu’à la date de la nouvelle vente (article R. 322-72 du CPCE). 
    • Si la nouvelle vente se conclut à un prix inférieur à celui de l’enchère initiale, l’adjudicataire défaillant peut être tenu de compenser la différence, afin de préserver les droits des créanciers ou des indivisaires.

==>La faculté de surenchère

La licitation, par essence, vise à obtenir le meilleur prix pour le bien mis en vente, afin de garantir une juste valorisation au bénéfice des parties concernées. Toutefois, il peut arriver que l’adjudication initiale ne reflète pas pleinement la valeur réelle du bien, soit en raison d’une concurrence insuffisante, soit du fait de circonstances particulières ayant limité les enchères. C’est pour répondre à de telles situations que la faculté de surenchère a été instituée.

Prévue par l’article 1279, alinéa 1er, du Code de procédure civile, ainsi que par les articles R. 322-50 et suivants du Code des procédures civiles d’exécution (CPCE), la surenchère offre la possibilité, dans un délai strictement encadré de 10 jours, de rouvrir la procédure en proposant une offre supérieure d’au moins 10 % au prix principal de l’adjudication initiale. Ce mécanisme garantit à la fois la transparence et l’équité, tout en assurant que le bien puisse être vendu à sa juste valeur.

  • Initiation de la procédure de surenchère
    • Délai de 10 jours
      • La surenchère ne peut être exercée que dans un délai de 10 jours suivant l’adjudication définitive, conformément à l’article 1279 du Code de procédure civile. 
      • Ce délai impératif commence à courir à compter du jour où l’adjudication a été prononcée.
    • Déclaration de la surenchère
      • La première étape de la procédure consiste en la déclaration de surenchère. 
      • Cette déclaration, réservée à toute personne souhaitant contester l’adjudication initiale, doit respecter des exigences formelles rigoureuses.
      • Conformément à l’article R. 322-51 du Code des procédures civiles d’exécution (CPCE), la surenchère doit être formée par acte d’avocat, déposé au greffe du tribunal compétent. 
      • Cette formalité, essentielle pour garantir la solennité et la validité de la procédure, témoigne de l’engagement sérieux de la personne souhaitant exercer ce droit.
      • L’avocat, dans le cadre de la déclaration de surenchère, doit attester avoir reçu de son client une garantie financière. 
      • Celle-ci prend la forme d’une caution bancaire irrévocable ou d’un chèque de banque équivalant à 10 % du montant principal de l’adjudication initiale. 
      • L’obligation de fourniture d’une garantie financière vise à prévenir les surenchères abusives en exigeant du surenchérisseur la preuve de sa capacité à honorer son engagement.
  • Dénonciation de la surenchère
    • Une fois déposée, la surenchère doit être dénoncée aux parties intéressées dans un délai de trois jours ouvrables. 
    • Cette dénonciation s’effectue par acte d’huissier, conformément à l’article R. 322-52 du CPCE. 
    • Elle garantit que les parties concernées (notamment l’adjudicataire initial, le créancier poursuivant et, le cas échéant, les indivisaires) sont informées de la reprise des enchères.
    • Cette notification comprend une copie de l’attestation bancaire mentionnée ci-dessus, ce qui conforte la crédibilité de la démarche du surenchérisseur.
    • Le non-respect des délais et formalités entraîne l’irrecevabilité de la surenchère.
  • Organisation de la nouvelle audience
    • Une fois la surenchère valablement formée et dénoncée, le tribunal organise une nouvelle audience d’enchères. 
    • Cette étape, strictement réglementée par les articles R. 322-53 à R. 322-55 du CPCE, marque la reprise de la procédure d’adjudication dans un cadre renouvelé.
      • Fixation de la date
        • Le tribunal fixe une nouvelle audience dans un délai compris entre deux et quatre mois à compter de la déclaration de surenchère. 
        • Ce délai, prévu par l’article R. 322-53 du CPCE, permet de renouveler les formalités de publicité et de garantir une préparation adéquate des enchérisseurs potentiels.
      • Renouvellement des formalités de publicité
        • Les formalités de publicité initiales doivent être réitérées avant la nouvelle audience.
        • Selon l’article R. 322-54 du CPCE, ces formalités sont réalisées à la diligence du surenchérisseur ou, à défaut, du créancier poursuivant. 
        • Elles incluent la mention de la nouvelle mise à prix, correspondant au montant de l’adjudication initiale majoré d’au moins 10 %. 
        • Ce renouvellement vise à informer le public des nouvelles conditions et à attirer de potentiels enchérisseurs.
  • Déroulement de la nouvelle audience
    • La nouvelle audience d’enchères suit les mêmes règles que l’audience initiale, en respectant toutefois les spécificités liées à la surenchère.
      • Reprise des enchères
        • Conformément à l’article R. 322-55 du CPCE, les enchères reprennent sur la base de la nouvelle mise à prix fixée par la surenchère.
        • Les règles habituelles des enchères publiques, notamment celles relatives au temps imparti pour porter les enchères (article R. 322-45 du CPCE), s’appliquent.
      • Résultat de l’audience
        • Si aucune enchère ne dépasse la mise à prix actualisé, le surenchérisseur est déclaré adjudicataire. 
        • Ce mécanisme récompense son initiative tout en garantissant que le bien ne soit pas vendu à un prix inférieur à la surenchère initiale.
  • Limites de la surenchère
    • Afin de préserver la sécurité juridique et d’éviter des prolongations abusives, une seconde surenchère est expressément exclue.
    • L’article R. 322-55 du CPCE prévoit que l’adjudication issue de la nouvelle audience est définitive et ne peut plus être remise en cause par une nouvelle surenchère.
    • Cette limitation garantit la stabilité des droits acquis et marque la fin de la procédure, assurant ainsi que la vente atteigne son objectif ultime : obtenir une juste valorisation du bien dans des conditions de transparence et d’équité.