Effets du partage: la garantie des lots entre copartageants

Le partage met fin à l’indivision en répartissant les biens entre les copartageants. Cependant, pour que cette répartition soit équitable, il est essentiel que chaque copartageant conserve sans difficulté les biens qui lui ont été attribués. Or, il peut arriver qu’un copartageant soit évincé du bien qu’il a reçu, par exemple si ce bien appartient en réalité à un tiers ou si une charge inconnue au moment du partage vient en limiter l’usage. Dans ce cas, une garantie spécifique s’applique afin de protéger l’équilibre du partage et d’éviter que l’un des copartageants ne subisse seul cette perte.

Les articles 884 et suivants du Code civil prévoient ainsi que les copartageants doivent se garantir mutuellement contre les évictions et les troubles qui trouvent leur origine dans une cause antérieure au partage. Ce principe repose sur un impératif fondamental : l’égalité entre les copartageants. Si un bien attribué lors du partage venait à disparaître ou à être grevé d’une charge inconnue, la perte ne peut être supportée uniquement par l’attributaire du bien, mais doit être partagée entre tous, proportionnellement à leurs droits. Cette garantie rappelle celle due par un vendeur à son acheteur, prévue aux articles 1625 et suivants du Code civil. Toutefois, la différence essentielle tient au fait que, dans une vente, il y a un transfert de propriété, alors que dans un partage, les copartageants sont censés recevoir des droits qu’ils détenaient déjà sur l’indivision.

Cette garantie joue aussi bien dans les partages amiables que dans les partages judiciaires. Elle s’applique quels que soient les biens attribués et protège les copartageants contre les conséquences d’une éviction ou d’un trouble affectant leur lot. En revanche, elle ne concerne en principe que les troubles causés par des tiers. Cela soulève une question : un copartageant pourrait-il être tenu responsable des troubles qu’il causerait lui-même après le partage ? Autrement dit, si un indivisaire porte atteinte aux droits d’un autre après la répartition des biens, peut-il être contraint de réparer le préjudice subi sur le fondement de la garantie des lots ?

Ainsi, la garantie entre copartageants vise à préserver la stabilité du partage en assurant que chacun conserve ce qui lui a été attribué sans subir de préjudice. Elle repose sur le principe d’égalité et empêche qu’un copartageant ne soit lésé par l’issue du partage. Toutefois, son application soulève plusieurs interrogations, notamment sur son champ exact et sur la possibilité d’inclure dans cette garantie les troubles causés par les copartageants eux-mêmes.

I) Conditions d’application

L’article 884 du Code civil érige la garantie des lots en une obligation pesant sur l’ensemble des copartageants. Toutefois, cette garantie ne joue que si certaines conditions, tenant à l’acte de partage, au trouble subi et à l’absence de faute du copartageant évincé, sont réunies.

A. Une garantie attachée au partage

La garantie des lots s’applique à toute opération de partage, quelle que soit la nature de l’indivision concernée. Il s’agit d’une garantie qui joue entre copartageants afin d’assurer l’équité du partage en cas d’éviction ou de trouble postérieur à l’attribution des biens. Cependant, l’existence même d’une telle garantie suppose un partage juridiquement valable. Dès lors, un partage affecté d’une cause de nullité ne saurait faire naître une quelconque obligation de garantie entre copartagés.

1. L’application de la garantie des lots à toutes les formes de partage

L’obligation de garantie s’applique aux partages successoraux, conjugaux ou encore sociétaires, ces derniers intervenant notamment lors de la dissolution d’une société civile ou d’une société créée de fait. Ce principe a été rappelé par la Cour de cassation dans un arrêt du 22 mars 1983 affirmant que la garantie des lots joue indépendamment de la nature de l’indivision à laquelle le partage met fin (Cass. 1re civ., 22 mars 1983, n°82-12.135).

De même, la donation-partage est assimilée à un véritable partage et ouvre donc droit à la garantie entre les copartagés. Ce caractère distributif de la donation-partage justifie que chacun des donataires bénéficiaires puisse se prévaloir des règles relatives à la garantie des lots (Cass. 1re civ., 18 janv. 1983, n°81-12.638).

L’objectif de cette garantie est d’assurer une égalité entre les copartageants en leur conférant une protection contre d’éventuels troubles ou évictions affectant les biens qui leur ont été attribués. Cette garantie est d’autant plus essentielle que le partage, en tant qu’acte déclaratif, emporte l’extinction de l’indivision et l’attribution exclusive des biens aux copartageants concernés.

2. L’absence de garantie en cas de partage nul

Toutefois, la garantie des lots suppose nécessairement un partage juridiquement valide. À cet égard, un partage affecté d’une cause de nullité ne saurait produire d’effets juridiques et ne peut donc fonder une obligation de garantie entre copartageants. Cette solution a été affirmée de longue date par la jurisprudence.

Ainsi, l’omission volontaire d’un ayant droit constitue une cause de nullité du partage et empêche l’application de la garantie des lots. En effet, un partage opéré sans tenir compte de tous les indivisaires est entaché d’un vice fondamental affectant sa validité. Dans un arrêt du 21 mars 1922, la Cour de cassation a rappelé qu’un partage nul, notamment en raison de l’exclusion d’un héritier ou d’un indivisaire, ne saurait donner lieu à une obligation de garantie (Req. 21 mars 1922, DP 1923, 1. 60).

Cette position s’explique par la nature même du partage, qui doit être réalisé entre tous les titulaires de droits indivis. Si un partage est frappé de nullité, il est censé n’avoir jamais existé, ce qui empêche l’application des obligations qui en découlent, y compris la garantie des lots.

B. L’existence d’un trouble ou d’une éviction

La garantie des lots, attachée au partage, assure aux copartageants une protection contre les troubles et évictions affectant les biens qui leur ont été attribués. Toutefois, cette garantie ne joue que sous certaines conditions, notamment lorsque le trouble ou l’éviction trouve son origine dans une cause antérieure au partage. Il convient dès lors d’examiner les situations dans lesquelles cette garantie peut être mobilisée, en précisant la nature des troubles pris en compte.

1. L’éviction et les troubles de droit

L’éviction se définit comme une dépossession totale ou partielle du bien attribué à un copartageant. Elle peut résulter de la revendication d’un tiers se prévalant d’un droit réel préexistant au partage, ou d’une impossibilité pour le copartageant d’exercer pleinement ses droits sur le bien attribué. Dès lors qu’un tel trouble provient d’une cause antérieure au partage, la garantie joue de plein droit en faveur du copartageant lésé (Cass. 1re civ., 9 juin 1970, n°69-11.048).

La doctrine, notamment Aubry et Rau, souligne que seuls les troubles de droit sont couverts par la garantie. Ainsi, une revendication judiciaire d’un tiers, fondée sur un droit réel antérieur au partage, constitue un cas typique d’éviction ouvrant droit à la garantie des lots. En revanche, si l’attribution du bien à un copartageant est ultérieurement remise en cause pour un motif n’ayant aucun lien avec la situation antérieure au partage, la garantie ne saurait être invoquée.

2. L’exclusion des troubles de fait

Si la garantie couvre les troubles de droit, elle ne s’étend pas aux troubles de fait, c’est-à-dire aux atteintes qui ne reposent sur aucun fondement juridique. Par exemple, une occupation illicite du bien par un tiers ou une simple nuisance causée par le voisinage ne suffisent pas à justifier l’application de la garantie. Cette distinction, consacrée par la jurisprudence, exclut ainsi de la garantie tout trouble qui ne trouve pas son origine dans une atteinte à un droit préexistant.

Toutefois, une nuance mérite d’être apportée : lorsque le trouble émane directement d’un copartageant lui-même, il peut être pris en compte dans le cadre de la garantie du fait personnel. Tel est le cas lorsque l’un des copartageants revendique abusivement des droits sur un bien attribué à un autre, ou lorsqu’il entrave la jouissance paisible du lot de son cohéritier. La Cour de cassation a consacré cette exception en admettant que le trouble de fait causé par un copartageant puisse engager sa responsabilité et donner lieu à garantie (Cass. com., 8 déc. 1966).

3. L’insolvabilité du débiteur d’une créance attribuée lors du partage

Outre les troubles affectant la jouissance d’un bien immobilier ou mobilier, la garantie s’applique également lorsqu’un copartageant se voit attribuer, en partage, une créance irrécouvrable. En effet, si l’un des lots comprend une créance et que le débiteur de cette dernière est insolvable à la date du partage, le copartageant lésé peut se prévaloir de la garantie. Cette solution a été rappelée par la Cour de cassation, qui a jugé que lorsque l’insolvabilité du débiteur est révélée avant le partage, elle constitue un trouble ouvrant droit à la garantie des lots (Cass. 1re civ., 22 mars 1983).

L’objectif de cette règle est de garantir l’équilibre du partage et d’éviter qu’un copartageant ne se retrouve lésé par l’attribution d’un élément de patrimoine dépourvu de toute valeur effective. Dès lors, en présence d’une créance douteuse, il appartient aux copartageants d’exercer un contrôle préalable afin d’éviter toute contestation ultérieure.

C. L’exigence d’une cause antérieure au partage et l’absence de faute

La garantie des lots n’a pas un caractère absolu. Sa mise en œuvre est soumise à deux conditions : d’une part, le trouble ou l’éviction doit trouver sa cause dans une situation antérieure au partage, et d’autre part, le copartageant évincé ne doit pas être lui-même fautif. Ces exigences visent à préserver l’équilibre du partage tout en évitant des garanties abusives ou des contestations résultant de la négligence des copartageants eux-mêmes.

1. Une cause antérieure au partage : condition sine qua non de la garantie

L’article 884 du Code civil fonde le principe selon lequel la garantie ne s’étend qu’aux troubles dont l’origine est antérieure au partage. Cela signifie que le copartageant évincé ne peut prétendre à la garantie que si le trouble ou l’éviction découle d’un droit réel préexistant au partage, dont l’existence était ignorée ou sous-estimée au moment de la répartition des lots.

Ce principe a notamment été illustré par l’hypothèse d’une prescription acquisitive ayant débuté avant le partage mais s’achevant après celui-ci. Dans un tel cas, la garantie pourrait, en théorie, être invoquée par le copartageant évincé, car l’éviction résulterait d’une situation juridique initiée avant la répartition des lots. Cette analyse a été avancée par certains auteurs qui considèrent qu’une telle prescription doit être prise en compte dès lors qu’elle constitue une menace latente au moment du partage.

Toutefois, cette position doctrinale n’est pas exempte de nuances. En effet, certains auteurs soulignent que la garantie ne saurait jouer si l’omission d’un acte interruptif de prescription est imputable à la négligence du copartageant évincé. Dans cette hypothèse, l’éviction ne résulte plus d’un trouble préexistant au partage, mais bien d’une absence de diligence postérieure à celui-ci, excluant ainsi le jeu de la garantie.

2. L’exclusion de la garantie en cas de faute du copartageant évincé

Le second principe limitatif de la garantie réside dans l’exclusion de toute prise en charge des évictions causées par la faute du copartageant évincé. L’article 884 du Code civil précise en effet que la garantie cesse dès lors que l’éviction résulte d’une faute du copartageant concerné. Ce principe repose sur une logique de responsabilité individuelle : un copartageant qui, par sa propre imprudence ou inaction, favorise ou ne prévient pas son éviction, ne peut exiger une indemnisation de ses cohéritiers.

La faute du copartageant évincé peut prendre plusieurs formes :

  • La négligence à faire valoir un moyen de défense : un copartageant qui se laisse condamner sans opposer les moyens de droit dont il dispose ne saurait invoquer la garantie.
  • L’omission d’appeler les autres copartageants en garantie : si le copartageant, confronté à une revendication d’un tiers, s’abstient de solliciter l’intervention des autres copartageants dans le cadre du litige, il commet une faute qui exclut son droit à garantie (Cass. req., 24 déc. 1866).

Ainsi, l’application de la garantie suppose non seulement que le trouble soit antérieur au partage, mais également que le copartageant ait agi avec diligence pour préserver ses droits. La jurisprudence veille à ce que la garantie ne devienne pas un instrument de correction de la négligence ou de l’inertie des copartageants.

II) Mise en oeuvre

La garantie des lots ne constitue pas une simple protection théorique des copartageants : elle ouvre la voie à un recours spécifique, permettant au copartageant évincé d’obtenir réparation.

A) Le recours en garantie : modalités d’exercice

Lorsqu’un copartageant est évincé d’un bien qui lui a été attribué lors du partage, il dispose d’un recours en garantie contre les autres copartageants. Ce recours s’articule autour de deux voies procédurales, selon que l’éviction est encore hypothétique ou déjà consommée. Il bénéficie en outre à certaines catégories de tiers, en particulier les ayants cause et les créanciers du copartageant évincé.

1. L’appel en garantie avant l’éviction effective

Si le copartageant concerné fait l’objet d’une revendication judiciaire d’un tiers sur le bien qui lui a été attribué, il a la possibilité d’appeler ses copartageants en garantie dans la procédure principale. Cette démarche vise à prévenir un éventuel préjudice en intégrant d’emblée la question de la garantie dans le cadre du litige existant.

a. Un mécanisme préventif évitant la multiplication des contentieux

L’appel en garantie permet de traiter la question de l’éviction dans le cadre de la procédure engagée par le tiers, ce qui évite au copartageant menacé de devoir ultérieurement introduire une action autonome en réparation. Cette solution présente un double avantage:

  • Elle limite le morcellement des contentieux, en évitant que le copartageant évincé ne doive engager une seconde procédure contre ses co-partageants une fois l’éviction constatée ;
  • Elle assure une meilleure coordination des défenses, en permettant aux copartageants de faire front commun pour contester la revendication du tiers.

b. Un recours limité aux troubles de droit

Cet appel en garantie est toutefois conditionné à l’existence d’un trouble de droit, c’est-à-dire d’une revendication fondée sur un droit réel préexistant au partage.

Ainsi, si l’éviction résulte d’un trouble de fait, sans fondement juridique avéré, la garantie ne pourra être invoquée contre les copartageants.

2. L’action autonome après l’éviction

Lorsque l’éviction est déjà consommée, et que le copartageant a perdu la jouissance du bien litigieux, il lui reste la possibilité d’agir en garantie contre ses co-indivisaires par le biais d’une action autonome.

a. Une action visant à rétablir l’équilibre du partage

L’objectif de cette action en garantie est de rétablir l’égalité entre les copartageants, en compensant la perte subie par l’évincé. Cette compensation peut prendre plusieurs formes :

  • Une indemnisation pécuniaire, à hauteur de la valeur du bien perdu ;
  • L’attribution d’un autre bien, lorsque cela est possible, en compensation du lot évincé.

L’action en garantie trouve ainsi son fondement dans la nature compensatoire du partage, lequel doit préserver l’équilibre entre les copartageants.

b. Une action qui repose sur la garantie des lots

L’action en garantie après éviction repose sur l’obligation de garantie attachée au partage, laquelle s’inspire des mécanismes de garantie des vices cachés en matière contractuelle. Toutefois, elle se distingue du régime de la garantie des vices cachés, dans la mesure où elle ne suppose pas une faute des copartageants : leur responsabilité est objective et découle du simple fait de l’éviction.

3. L’extension du recours aux ayants cause et aux créanciers du copartageant évincé

L’action en garantie n’est pas un droit exclusivement réservé au copartageant directement évincé : elle peut être exercée par d’autres parties ayant un intérêt légitime à la protection du patrimoine partagé.

a. Les ayants cause du copartageant évincé

Les ayants cause du copartageant évincé disposent d’un droit propre à agir en garantie, qu’il s’agisse :

  • D’héritiers, qui poursuivent la revendication initiée par le copartageant défunt ;
  • De cessionnaires, ayant acquis les droits du copartageant évincé et subissant directement le préjudice lié à l’éviction.

Cette transmission du droit à garantie assure la continuité de la protection attachée au partage, en permettant aux ayants cause de faire valoir les droits qui leur reviennent par transmission successorale ou contractuelle.

b. L’action oblique des créanciers du copartageant évincé

Les créanciers du copartageant évincé disposent également d’un mécanisme spécifique leur permettant d’exercer la garantie en lieu et place du copartageant.

Cette faculté repose sur l’action oblique, qui leur permet d’agir en justice pour préserver leurs droits, lorsque le débiteur n’exerce pas lui-même ses droits contre ses co-partageants.

Ce recours présente un intérêt particulier lorsque le copartageant évincé :

  • Est inactif ou refuse d’agir en justice ;
  • Est insolvable, et que ses créanciers souhaitent garantir le recouvrement de leur créance en obtenant une compensation pour le bien perdu.

Grâce à cette action oblique, les créanciers peuvent éviter qu’une inaction du copartageant évincé ne les prive d’un recours utile, garantissant ainsi une meilleure protection de leurs droits.

B) Prescription de l’action en garantie

L’action en garantie des lots, permettant au copartageant évincé d’obtenir une compensation, est soumise à un régime de prescription encadré par le droit civil. Ce régime a connu une évolution majeure avec la réforme du 23 juin 2006, qui a considérablement réduit le délai pour agir en justice.

1. L’ancien régime : une prescription trentenaire

Avant la réforme de 2006, l’action en garantie obéissait au régime général de prescription applicable aux actions réelles et immobilières.

a. Un délai de 30 ans protecteur mais excessif

Conformément aux règles de prescription de droit commun, l’action en garantie pouvait être exercée dans un délai de 30 ans à compter de l’éviction.

Ce délai prolongé avait pour objectif de protéger les copartageants évincés, leur offrant une période étendue pour découvrir un éventuel trouble et agir en conséquence.

b. Une instabilité prolongée des partages

Toutefois, cette prescription trentenaire présentait d’importants inconvénients :

  • Elle permettait de rouvrir des partages anciens, perturbant des situations patrimoniales stabilisées depuis des décennies.
  • Elle entretenait une incertitude juridique persistante, en maintenant le risque de contestation sur une durée excessive.
  • Elle compliquait la preuve des faits, puisque les événements à l’origine de l’éviction pouvaient être très anciens, rendant leur démonstration difficile.

Face à ces inconvénients, le législateur a choisi d’intervenir pour rationaliser le régime de prescription, en réduisant substantiellement le délai accordé aux copartageants évincés.

2. Le nouveau régime : une prescription abrégée à deux ans

La réforme du 23 juin 2006 a introduit une limitation plus stricte du droit d’agir en garantie, en instaurant un délai de prescription de deux ans, fixé par l’article 886 du Code civil.

a. Un délai plus court pour sécuriser les partages

Désormais, le copartageant évincé dispose de deux ans pour exercer son recours en garantie, ce délai courant à compter de l’éviction effective ou de la découverte du trouble.

Ce changement répond à un double objectif :

  • Garantir la stabilité des partages, en évitant qu’ils ne soient remis en cause des décennies après leur réalisation.
  • Limiter les contestations tardives, qui reposaient souvent sur des faits difficilement vérifiables, générant des incertitudes pour les héritiers ou copartageants.

Ce nouveau délai s’aligne ainsi sur la tendance générale du droit des successions et des indivisions, visant à raccourcir les périodes de contestation pour renforcer la prévisibilité des transmissions patrimoniales.

b. Une prise en compte du moment où l’éviction est révélée

Toutefois, la jurisprudence veille à ce que l’application de ce délai ne soit pas trop rigide et qu’elle tienne compte des circonstances propres à chaque situation.

Ainsi, lorsque le trouble ou l’éviction n’était pas immédiatement perceptible au moment du partage, le point de départ du délai est reporté à la date où le copartageant en a eu une connaissance effective.

Cette approche protège les copartageants évincés contre des situations où le trouble ne se manifeste qu’après plusieurs années, notamment dans les cas suivants :

  • Une revendication tardive d’un tiers, révélant un droit réel antérieur au partage mais inconnu lors de l’attribution des lots.
  • Une hypothèque non révélée lors du partage, qui n’est découverte qu’au moment de la saisie du bien.
  • Une prescription acquisitive ayant produit ses effets après le partage, rendant impossible la jouissance du bien attribué.

III) Effets

La garantie des lots repose sur un principe d’égalité entre copartageants, garantissant que nul ne soit lésé par une éviction ou un trouble affectant son lot.

Toutefois, cette garantie ne conduit pas à une remise en cause du partage lui-même, mais ouvre droit à une indemnisation, dont les modalités de répartition et de mise en œuvre obéissent à des règles précises.

A) Une indemnisation et non une remise en cause du partage

2. Un principe de compensation financière

Contrairement à d’autres mécanismes juridiques permettant d’anéantir rétroactivement un acte (comme l’action en nullité), la garantie des lots n’a pas pour effet d’invalider le partage.

L’éviction d’un copartageant ne remet pas en cause l’opération de partage en elle-même, mais génère un droit à réparation. Cette solution s’explique par la nature même du partage, qui n’est pas une cession mais une attribution à titre déclaratif.

Dès lors, la réparation prend exclusivement la forme d’une indemnisation dont le montant est calculé en fonction de la valeur du bien évincé au jour de l’éviction (Cass. 1re civ., 9 juin 1970, n°69-11.048).

2. Une évaluation fondée sur la valeur réelle du bien

Le calcul de l’indemnité ne repose pas sur la valeur du bien au jour du partage, mais bien sur sa valeur au moment où l’éviction survient. Cette approche permet d’éviter une indemnisation inéquitable en raison de la dépréciation ou de l’appréciation du bien au fil du temps.

Ainsi, si un immeuble attribué lors du partage subit une éviction plusieurs années plus tard, l’indemnité due au copartageant évincé sera évaluée en fonction du prix du marché immobilier à cette date, et non de sa valeur au moment du partage.

B) Une répartition de l’indemnisation entre les copartageants

1. Une charge collective et proportionnelle

L’indemnisation due au copartageant évincé est répartie entre tous les copartageants, proportionnellement à l’émolument reçu lors du partage (art. 885 C. civ.).

Cette règle repose sur un principe d’équité : tous les copartageants ont bénéficié du partage, il est donc légitime qu’ils contribuent à la réparation.

2. La prise en compte de l’insolvabilité d’un copartageant

Toutefois, lorsque l’un des copartageants est insolvable, sa part d’indemnisation est répartie entre les autres, y compris le copartageant évincé lui-même.

Ce mécanisme, bien que critiquable en ce qu’il impose une charge supplémentaire au copartageant lésé, vise à préserver la solidarité entre copartageants et à éviter une rupture de l’équilibre du partage.

C) Une garantie étendue au fait personnel des copartageants

Outre la garantie traditionnelle, qui couvre les troubles de droit affectant les biens attribués, la jurisprudence a consacré une garantie du fait personnel des copartageants (Cass. com., 8 déc. 1966).

Cette garantie repose sur un principe fondamental : aucun copartageant ne peut, après le partage, adopter un comportement portant atteinte aux droits d’un autre.

Plusieurs situations ont donné lieu à l’application de cette garantie :

  • L’exploitation d’un fonds de commerce concurrent à proximité immédiate de celui attribué à un autre copartageant a été jugée constitutive d’une violation de la garantie du fait personnel (Cass. com., 17 oct. 1984).
  • La remise en cause d’un droit concédé lors du partage, par exemple en contestant la validité d’une servitude attribuée à un autre copartageant, peut également donner lieu à garantie.

Contrairement à la garantie classique, qui repose sur l’article 884 du Code civil, la garantie du fait personnel trouve son fondement dans l’obligation de bonne foi et le respect des engagements (art. 1104 C.civ.).

Ce fondement a des implications importantes :

  • Elle pourrait être considérée d’ordre public, ce qui interdirait aux copartageants de l’exclure contractuellement.
  • Elle repose sur une logique de loyauté entre copartageants, interdisant toute manœuvre destinée à priver un autre copartageant du bénéfice du partage.

Effets du partage: l’effet déclaratif

Le partage constitue l’acte par lequel se dissout l’indivision, opérant la transformation des droits indivis en droits pleinement privatifs. Qu’il intervienne dans le cadre d’une succession, d’une communauté conjugale dissoute, d’une société civile ou d’une simple indivision conventionnelle, le partage poursuit invariablement le même objectif: substituer à la propriété collective et indéterminée des indivisaires une répartition claire et définitive des biens ou des droits entre les co-indivisaires.

À première vue, ses effets paraissent simples : le droit indivis de chaque co-indivisaire se cristallise sur les biens ou droits qui lui sont attribués, lesquels deviennent alors sa propriété exclusive. Cette apparente simplicité dissimule toutefois des subtilités juridiques considérables lorsque l’on s’interroge sur la nature véritable de cette attribution. De qui le copartageant tient-il sa propriété exclusive ? De l’ensemble des co-indivisaires, par l’effet d’un transfert de droits, ou bien détenait-il déjà, de manière latente, la propriété des biens qui lui sont attribués, le partage ne faisant que révéler cet état de fait ?

C’est à cette question que répond le principe de l’effet déclaratif du partage, énoncé par l’article 883 du Code civil. Ce texte dispose que chaque copartageant est censé avoir été, dès l’origine de l’indivision, seul propriétaire des biens ou droits compris dans son lot. Ainsi, le partage n’est pas conçu comme un acte translatif créant des droits nouveaux, mais comme un acte déclaratif qui révèle la part individuelle de chaque co-indivisaire. Cette règle, qui confère au partage une portée rétroactive jusqu’au jour de la naissance de l’indivision, a pour vocation de consolider la sécurité juridique des transactions et de simplifier les régimes fiscaux applicables, en excluant notamment l’application des droits de mutation.

Toutefois, cette conception déclarative du partage n’est pas universellement admise. Si le droit français a opté pour cette voie depuis l’abandon de la conception translative issue du droit romain, certains systèmes juridiques étrangers, tels que le Code civil allemand (§ 2032 BGB) ou le Code civil suisse (art. 648 et 653), continuent d’y voir un acte translatif, tout en aménageant des règles spécifiques pour préserver l’équité entre les copartageants.

Cette exigence d’équité constitue le second effet du partage : la garantie des lots. Afin d’assurer une répartition équilibrée des biens et de protéger chaque copartageant contre les risques d’éviction ou les vices cachés affectant son lot, le droit impose aux co-indivisaires une obligation de garantie. Ce mécanisme, qui s’inspire du régime de la garantie dans les contrats synallagmatiques, s’applique indépendamment de la nature des biens partagés ou de la forme de l’indivision. Ainsi, si un co-indivisaire venait à être évincé d’un bien attribué lors du partage, les autres copartageants seraient tenus de réparer le préjudice subi, préservant ainsi l’équité inhérente à l’opération.

Nous nous focaliserons ici sur le seul effet déclaratif du partage.

I) Le principe de l’effet déclaratif

Le partage constitue l’acte par lequel s’opère la liquidation de l’indivision et l’attribution définitive des biens aux copartageants. Au-delà de cette simple répartition, il produit un effet juridique majeur: l’effet déclaratif, prévu par l’article 883 du Code civil. Ce principe implique que chaque copartageant est réputé avoir été, depuis l’ouverture de l’indivision, le seul propriétaire des biens qui lui sont attribués, effaçant rétroactivement la période d’indivision. Toutefois, pour éviter que cette rétroactivité n’entraîne des conséquences excessives, notamment au détriment des tiers de bonne foi ou de la stabilité des transactions, le législateur et la jurisprudence ont assorti ce principe de limites.

A) Les différentes conception du partage

1. La théorie de la fiction légale

La première interprétation, longtemps dominante, postule que l’effet déclaratif est une fiction légale, instaurée pour aplanir les inégalités qu’un partage strictement translatif pourrait engendrer. Le partage, dans cette perspective, est considéré comme un acte translatif de droits entre coindivisaires, où l’effet déclaratif ne serait qu’un habillage légal destiné à neutraliser certaines conséquences indésirables.

Cette approche puise ses racines dans le droit romain, où le partage était vu comme un acte translatif de propriété. Chaque indivisaire y était considéré comme titulaire d’une quote-part indivise sur chacun des biens composant l’actif indivis. Le partage s’analysait alors comme un véritable échange entre coindivisaires : chacun cédait ses droits indivis sur les biens qu’il n’obtenait pas en contrepartie de la pleine propriété des biens qui lui étaient attribués. Autrement dit, pour devenir propriétaire exclusif de certains biens, chaque indivisaire devait céder à ses coindivisaires ses droits sur les autres biens.

Cette conception du partage implique que chaque coindivisaire devient l’ayant-cause non seulement du de cujus (dans le cadre d’une succession) mais également de ses coindivisaires. Ce double lien engendre des conséquences juridiques et fiscales importantes.

Cette approche, toujours retenue par certains droits étrangers comme le droit allemand (BGB, § 2032 s.) et le droit suisse (Code civil suisse, art. 634), a toutefois été progressivement abandonnée en droit français en raison de ses nombreuses implications négatives.

La conception translative du partage engendre plusieurs difficultés majeures, tant sur le plan fiscal que sur le plan civil :

  • La soumission aux droits de mutation
    • En considérant que le partage réalise un transfert de propriété entre coindivisaires, cette analyse implique, en principe, l’application des droits de mutation à titre onéreux.
    • Or, ces droits fiscaux, souvent conséquents, viennent alourdir le coût du partage et peuvent dissuader les indivisaires de procéder à la liquidation de l’indivision.
  • Le maintien des charges grevant les biens attribués
    • Dans la logique translative, les actes accomplis par un coindivisaire pendant la période d’indivision – tels que les hypothèques ou les cessions de parts – continuent de produire effet après le partage, même si le bien en question est finalement attribué à un autre coindivisaire.
    • Ainsi, un copartageant peut se voir attribuer un bien grevé par une hypothèque consentie par un autre indivisaire, sans avoir été l’auteur de cet acte.
    • Certes, le copartageant lésé dispose d’un recours contre le coindivisaire ayant constitué l’hypothèque, mais ce recours est souvent illusoire, notamment en cas d’insolvabilité du débiteur.
    • Cela compromet l’équilibre et l’équité du partage.
  • Le risque d’inégalité entre copartageants
    • La conséquence directe de ces charges maintenues est l’introduction d’inégalités entre copartageants.
    • Un indivisaire peut hériter d’un bien lourdement grevé tandis qu’un autre reçoit un bien libre de toute charge, sans qu’aucun correctif ne soit automatiquement appliqué pour rétablir l’équité du partage.
  • L’absence de rétroactivité
    • Enfin, la conception translative ne reconnaît pas d’effet rétroactif au partage : la fin de l’indivision n’efface pas les actes accomplis pendant cette période.
    • Les charges et engagements contractés par les indivisaires restent donc pleinement opposables, ce qui aggrave encore les déséquilibres et expose les copartageants à des risques juridiques et financiers.

Certains systèmes juridiques étrangers, tout en conservant la nature translative du partage, ont introduit des mécanismes destinés à en atténuer les effets les plus préjudiciables :

En Allemagne, le Code civil (BGB, § 2040) exige l’accord unanime de tous les indivisaires pour la constitution de droits réels sur les biens indivis. Cette règle vise à éviter que des actes unilatéraux réalisés par un seul indivisaire affectent les biens communs.

En Suisse, les articles 648 et 653 du Code civil imposent des restrictions similaires, interdisant notamment les aliénations et les hypothèques sans le consentement de tous les indivisaires. Ces garanties renforcent la sécurité juridique des copartageants et limitent les risques liés aux actes translatifs.

Face aux inconvénients majeurs de la conception translative, il a progressivement été opéré un revirement jurisprudentiel et doctrinal en droit français. Dès le XVI? siècle, la jurisprudence des parlements français a amorcé ce changement en posant le principe selon lequel les biens attribués lors du partage devaient revenir aux copartageants « francs et quittes de toutes charges consenties par les autres héritiers ». Cette solution visait à préserver l’équité du partage et à éviter que les indivisaires n’héritent de dettes qu’ils n’avaient pas contractées.

Le Code civil de 1804 a consolidé cette évolution en consacrant, à l’article 883, alinéa 1??, le principe de l’effet déclaratif :

« Chaque cohéritier est censé avoir succédé seul et immédiatement à tous les effets compris dans son lot, ou à lui échus sur licitation, et n’avoir jamais eu la propriété des autres effets de la succession. »

Par cette disposition, le législateur français a pris le contrepied de la conception translative. Le partage n’est plus conçu comme un échange de droits entre coindivisaires, mais comme une opération révélant rétroactivement la propriété exclusive des biens attribués à chaque copartageant.

Cependant, certains auteurs ont vu dans cette consécration du principe de l’effet déclaratif une simple fiction légale, destinée à masquer la nature fondamentalement translative du partage. Selon cette lecture, l’article 883 du Code civil ne ferait qu’instaurer une présomption irréfragable : en affirmant que chaque cohéritier est «censé avoir succédé seul et immédiatement», le texte instituerait une pure fiction, visant à simplifier les opérations de partage et à contourner les conséquences indésirables du transfert de propriété.

Pour ces auteurs, le législateur aurait ainsi choisi de recourir à un artifice technique pour écarter les droits de mutation, neutraliser les charges grevant les biens et garantir l’équité entre copartageants, sans pour autant remettre en cause la nature translatrice du partage. Ce choix, bien que pragmatique, entretiendrait une forme d’ambiguïté juridique.

La théorie de la fiction légale n’a pas échappé aux critiques. De nombreux auteurs ont souligné les incohérences qu’elle engendre et les incertitudes juridiques qui en résultent :

  • Incohérences fiscales : la fiction légale rend difficile la détermination des règles fiscales applicables, notamment en matière de droits de mutation ou de plus-values.
  • Insécurité patrimoniale : les praticiens se trouvent confrontés à des difficultés dans l’interprétation des actes accomplis pendant l’indivision, notamment concernant les hypothèques et autres sûretés.
  • Complexité procédurale : la coexistence de la fiction légale et des réalités patrimoniales alourdit les procédures et multiplie les situations litigieuses.

Ces critiques ont conduit la doctrine et la jurisprudence à favoriser progressivement une conception réaliste de l’effet déclaratif, selon laquelle le partage ne constitue pas une fiction, mais l’expression naturelle de la structure du droit indivis. Cette approche, aujourd’hui largement majoritaire, considère que le partage ne transfère pas de droits entre coindivisaires, mais se contente de révéler ceux qui existaient depuis l’origine.

2. La conception réaliste

En réaction aux limites et aux incohérences révélées par la théorie de la fiction légale, la doctrine contemporaine a progressivement fait émerger une conception plus cohérente et fidèle à la nature du partage : la conception réaliste de l’effet déclaratif. Cette approche, aujourd’hui largement consacrée par la jurisprudence française, rejette l’idée que l’effet déclaratif soit un simple artifice juridique destiné à corriger les défauts d’un partage translatif. Elle y voit, au contraire, l’expression directe et naturelle de la structure juridique du partage. Dans cette optique, le partage ne réalise aucun transfert de propriété entre les indivisaires, mais se borne à révéler et à individualiser les droits préexistants de chacun.

La conception réaliste repose sur l’idée fondamentale que les indivisaires ne détiennent pas des droits concrets et distincts sur chaque bien de la masse indivise, mais un droit global et abstrait sur l’ensemble de l’indivision. Tant que le partage n’a pas été réalisé, ce droit indivis est flottant : il s’exerce sur la masse indivise dans sa globalité, sans se fixer sur des biens particuliers.

Le partage intervient alors comme un acte déclaratif et non translatif : il n’opère aucun transfert de propriété entre les coindivisaires, mais délimite l’assiette matérielle des droits de chacun. Dès lors, chaque copartageant est réputé avoir été, depuis l’origine de l’indivision, le seul propriétaire des biens qui composent son lot. Il s’agit d’une révélation des droits existants et non d’une création ou d’une mutation juridique.

Cette lecture trouve son fondement doctrinal dans les écrits de Planiol et Ripert qui qualifient le partage d’« acte déclaratif par nature ». De même, F. Terré et Y. Lequette soulignent que « le partage cristallise les droits des coindivisaires sans en modifier la substance ». Ces auteurs insistent sur le fait que le partage n’est ni un contrat d’échange ni un acte translatif, mais bien un mécanisme révélateur des droits originels.

L’adoption de cette analyse réaliste de l’effet déclaratif emporte des conséquences notamment en matière patrimoniale, fiscale et procédurale.

  • Première conséquence
    • L’une des premières conséquences de cette conception est l’exclusion des droits de mutation à titre onéreux.
    • Puisque le partage ne procède pas à un transfert de propriété mais se borne à révéler les droits préexistants des indivisaires, il échappe aux règles fiscales applicables aux cessions de biens.
    • Le législateur a consacré ce principe à l’article 883 du Code civil, limitant les charges fiscales à des frais de partage, généralement moins lourds que les droits de mutation.
  • Deuxième conséquence
    • L’autre implication majeure réside dans la protection des copartageants contre les actes réalisés par leurs coindivisaires pendant l’indivision.
    • Dans la conception réaliste, si un indivisaire constitue une hypothèque sur un bien indivis et que ce bien est finalement attribué à un autre copartageant lors du partage, l’hypothèque est automatiquement anéantie.
    • Le coindivisaire qui a grevé le bien n’était pas, en réalité, propriétaire du bien attribué à autrui, et l’acte est donc considéré comme accompli a non domino.
    • À l’inverse, si le bien est attribué à celui qui avait constitué l’hypothèque, celle-ci est consolidée rétroactivement.
    • Ce mécanisme permet de garantir l’équité du partage et protège chaque copartageant contre les conséquences des actes unilatéraux réalisés par d’autres indivisaires pendant la période d’indivision.
  • Troisième conséquence
    • La conception réaliste est intimement liée au principe de rétroactivité du partage.
    • En révélant les droits préexistants de chaque copartageant, le partage opère rétroactivement ses effets à la date d’ouverture de l’indivision.
    • Cela signifie que chaque indivisaire est réputé avoir toujours été propriétaire exclusif des biens qui composent son lot.
    • Toutefois, cette rétroactivité connaît certaines limites, destinées à préserver la sécurité juridique et les droits des tiers.
    • L’article 883, alinéa 3, du Code civil précise ainsi que « les actes valablement accomplis, soit en vertu d’un mandat des coindivisaires, soit en vertu d’une autorisation judiciaire, conservent leurs effets quelle que soit, lors du partage, l’attribution des biens qui en ont fait l’objet ».
    • Ce tempérament permet d’éviter que des tiers contractants de bonne foi soient lésés par les conséquences du partage.

B) La conception retenue en droit français

Après avoir oscillé entre les différentes théories, le droit français a finalement consacré la conception réaliste du partage. Loin de n’être qu’un simple compromis théorique, cette approche repose sur une articulation subtile entre deux notions connexes mais juridiquement distinctes : d’une part, le caractère déclaratif du partage, qui révèle les droits préexistants des indivisaires sans opérer de transfert de propriété ; d’autre part, sa rétroactivité, qui fait remonter les effets du partage à la date d’ouverture de l’indivision.

Si le partage est reconnu comme un acte purement déclaratif, révélant les droits préexistants de chaque indivisaire, la rétroactivité, quant à elle, constitue une modalité d’application qui, bien que prévue par la loi, est sujette à des tempéraments destinés à protéger les tiers et assurer la sécurité juridique.

1. Distinction entre le caractère déclaratif et la rétroactivité

Pour mémoire; l’article 883 du Code civil prévoit que « chaque cohéritier est censé avoir succédé seul et immédiatement à tous les effets compris dans son lot, ou à lui échus sur licitation, et n’avoir jamais eu la propriété des autres effets de la succession. »

Ce texte consacre la logique selon laquelle le partage ne transfère pas de droits entre coindivisaires, mais révèle les droits qui existaient depuis l’origine. Le copartageant est donc réputé avoir été, dès le jour de l’ouverture de l’indivision, propriétaire exclusif des biens qui composent son lot.

Toutefois, cet effet déclaratif s’accompagne d’une rétroactivité : les effets du partage sont réputés remonter au jour de l’ouverture de l’indivision, effaçant juridiquement la période intermédiaire durant laquelle les biens étaient indivis. Cette rétroactivité permet de neutraliser les actes accomplis pendant l’indivision qui seraient contraires aux droits définitifs des copartageants.

Cependant, il est essentiel de bien distinguer deux notions fondamentales qui structurent le régime du partage :

  • Le caractère déclaratif du partage : il s’agit d’un acte qui se borne à révéler et préciser les droits préexistants des coindivisaires sans opérer de transfert de propriété. Le partage n’a donc pas de vocation translative : il détermine simplement l’assiette concrète des droits de chacun.
  • La rétroactivité du partage : il s’agit d’une modalité d’application du caractère déclaratif. La rétroactivité permet de faire remonter les effets du partage à la date d’ouverture de l’indivision, effaçant juridiquement la période intermédiaire et considérant que chaque copartageant a toujours été titulaire exclusif des biens finalement attribués dans son lot.

Cette distinction est loin d’être purement théorique. La doctrine a souligné que la rétroactivité, si elle était appliquée de manière absolue, pourrait engendrer des risques d’insécurité juridique, notamment en remettant en cause des droits acquis ou en affectant les intérêts des tiers de bonne foi.

Certains auteurs, à l’instar de P. Hébraud ont plaidé pour une limitation de cette rétroactivité dans les situations où elle pourrait compromettre la stabilité juridique, notamment lorsqu’elle remet en cause des actes accomplis en toute légalité pendant la période d’indivision.

2. Tempéraments à la rétroactivité

Conscient des conséquences potentiellement excessives d’une rétroactivité absolue, le législateur français a introduit des mécanismes destinés à équilibrer la protection des coindivisaires et celle des tiers.

==>Les aménagements prévus par la loi

L’article 883, alinéa 3, du Code civil apporte un premier tempérament important :

« Les actes valablement accomplis soit en vertu d’un mandat des coindivisaires, soit en vertu d’une autorisation judiciaire, conservent leurs effets quelle que soit, lors du partage, l’attribution des biens qui en ont fait l’objet. »

Cette disposition permet de sécuriser les actes nécessaires à la gestion de l’indivision.

Par exemple :

  • Si un bien indivis est vendu par un mandataire commun, l’acte de vente conserve sa pleine validité, quel que soit le lot attribué lors du partage.
  • De même, si un juge autorise la constitution d’une hypothèque sur un bien indivis pour financer des travaux urgents, cette hypothèque subsistera même si le bien est finalement attribué à un indivisaire différent de celui qui a sollicité l’autorisation.

Ce mécanisme garantit ainsi la continuité des droits des tiers qui auraient contracté avec l’indivision, tout en évitant qu’un partage ultérieur ne vienne remettre en cause des actes accomplis en toute légalité.

==>La protection des tiers de bonne foi

La jurisprudence a, elle aussi, contribué à affiner l’application de l’effet déclaratif et de sa rétroactivité. Les juges ont systématiquement cherché à préserver la sécurité juridique, en protégeant les tiers de bonne foi contre les effets destructeurs d’une rétroactivité pure et dure.

Ainsi, il a été reconnu que certains actes accomplis par des coindivisaires pendant l’indivision — même en l’absence de mandat ou d’autorisation judiciaire — pouvaient produire leurs effets si :

  • Le tiers contractant était de bonne foi, et
  • L’acte était conforme aux règles d’administration des biens indivis.

Par exemple, si un indivisaire cède temporairement l’usage d’un bien indivis à un tiers et que ce bien est ensuite attribué à un autre copartageant lors du partage, le contrat pourra subsister jusqu’à son terme si le tiers ignorait la situation d’indivision et agissait de bonne foi.

==>Les aménagements conventionnels

Enfin, le droit français permet aux coindivisaires, dans le cadre d’un partage amiable, d’introduire des clauses dérogatoires au principe de la rétroactivité. Les indivisaires peuvent ainsi convenir que certains actes passés continueront à produire leurs effets ou que la rétroactivité sera limitée pour des raisons de commodité ou de stratégie patrimoniale.

Cette faculté permet de renforcer la sécurité juridique des opérations patrimoniales et d’adapter le régime du partage aux besoins spécifiques des indivisaires.

II) Le domaine de l’effet déclaratif

L’effet déclaratif du partage, posé par l’article 883 du Code civil, repose sur une fiction juridique selon laquelle chaque copartageant est réputé avoir toujours été propriétaire exclusif des biens qui lui sont attribués, tout en n’ayant jamais eu de droits sur ceux échus à ses coindivisaires. Ce principe, qui exclut toute idée de transmission de droits entre indivisaires, vise à garantir l’égalité entre les copartageants et à préserver la sécurité juridique des actes accomplis sur les biens indivis avant leur attribution définitive.

Si l’effet déclaratif s’applique traditionnellement au partage successoral, il ne se limite pas à cette hypothèse. Il régit également les partages de communauté conjugale, les partages d’indivision conventionnelle ou encore la liquidation des sociétés dans les cas où les associés se partagent les biens sociaux. Toutefois, son domaine d’application est encadré : il convient d’en préciser les limites, tant au regard des actes concernés que des biens susceptibles d’être soumis à ce régime, ainsi que les tempéraments qu’il connaît, notamment pour la protection des tiers.

A) Domaine quant aux actes

1. Le partage proprement dit

a. L’indifférence de la nature du partage

L’effet déclaratif du partage concerne tout partage successoral, qu’il soit amiable ou judiciaire, global ou partiel. Cette application découle directement de l’insertion de l’article 883 au sein du titre des successions du Code civil, affirmant ainsi son champ d’application privilégié aux partages successoraux.

Cependant, ce principe ne se limite pas aux successions et s’étend aux partages de communauté en vertu du renvoi opéré par l’article 1476 du Code civil. Cette disposition aligne expressément les règles du partage de communauté sur celles du partage successoral, permettant ainsi d’appliquer sans difficulté l’effet déclaratif (V. Cass. 1re civ., 2 mai 2001, n° 99-10.515).

Le partage des biens indivis entre époux séparés de biens bénéficie également de cette extension législative. Bien que la jurisprudence ait initialement refusé d’appliquer les règles du partage successoral aux partages opérés après séparation de biens (Cass. civ., 9 mars 1965), la loi du 11 juillet 1975 a unifié le régime du partage des biens indivis entre époux séparés de biens avec celui des successions (art. 1542 C. civ.). Il en résulte que ces partages bénéficient pleinement de l’effet déclaratif, ce que la jurisprudence a confirmé par la suite (Cass. 1re civ., 5 avr. 2005, n° 02-11.011).

L’effet déclaratif s’applique également au partage de l’actif social, dès lors que la liquidation de la société est engagée. En effet, l’article 1844-9, alinéa 2, du Code civil prévoit l’application des règles du partage successoral aux partages de sociétés. Toutefois, cette assimilation n’est possible qu’à condition qu’il s’agisse bien d’un véritable partage et non d’une réduction de capital par répartition de biens sociaux (Cass. com., 23 sept. 2008, n°07-12.493).

Enfin, l’application de l’article 883 du Code civil ne se limite pas aux partages successoraux ou conjugaux et concerne toute indivision, qu’il s’agisse d’un partage d’un bien indivis acquis par plusieurs personnes (Cass. req., 28 avr. 1840) ou d’un partage d’un ensemble patrimonial constituant une universalité (Cass. 1re civ., 24 mars 1981).

b. L’indifférence des modalités du partage

Le principe de l’effet déclaratif du partage s’attache à tout partage définitif, qu’il soit total ou partiel (Cass. 1re civ., 26 févr. 1975, n°73-10.146). En d’autres termes, ce qui importe n’est pas l’étendue du partage mais le fait qu’il mette un terme à l’indivision, en fixant définitivement les droits privatifs des copartageants sur les biens répartis. Dès lors, les modalités d’attribution des lots sont indifférentes : l’effet déclaratif ne varie ni en fonction du mécanisme d’allotissement, ni selon la nature de la répartition opérée.

Aussi, le partage peut s’effectuer selon plusieurs procédés, sans que cela n’altère son effet déclaratif :

  • Le tirage au sort, qui constitue une méthode ordinaire d’attribution des lots lorsque les copartageants n’ont pas convenu d’une répartition amiable. Il a été jugé que le fait d’attribuer les biens selon un tirage au sort n’ôtait en rien au partage son caractère déclaratif (Cass. soc., 3 oct. 1958).
  • L’attribution préférentielle, qui permet à un indivisaire d’obtenir un bien particulier en raison d’un intérêt spécifique (par exemple, l’attribution du logement familial au conjoint survivant). La jurisprudence a confirmé que l’effet déclaratif s’applique également à ces attributions spécifiques, lesquelles sont réputées exister depuis l’origine de l’indivision (CA Paris, 10 févr. 1977).
  • Le droit de retour légal, qui permet à certains héritiers de récupérer des biens précédemment donnés par le défunt. L’effet déclaratif du partage s’étend également à ce mécanisme, de sorte que l’héritier bénéficiaire du droit de retour est censé n’avoir jamais perdu la propriété du bien en cause (Cass. 1re civ., 28 févr. 2018, n°17-12.040).

La question se pose avec acuité lorsqu’un partage est accompagné du versement d’une soulte, c’est-à-dire lorsqu’un copartageant reçoit un lot d’une valeur supérieure à sa part théorique et doit indemniser les autres en conséquence. L’on aurait pu estimer que la soulte confère au partage un caractère translatif, en ce que le copartageant bénéficiant d’un lot excédentaire en nature l’acquerrait en contrepartie d’une compensation financière versée aux autres. Toutefois, la jurisprudence a adopté une approche radicalement opposée.

En effet, les lots et les soultes sont considérés comme issus de la masse indivise et non des copartageants entre eux. Ainsi, même lorsqu’un indivisaire perçoit une soulte, il n’est pas juridiquement en situation d’acquérir une part supplémentaire à ses coindivisaires ; il se voit simplement allouer un lot dont il est réputé propriétaire depuis l’origine, la soulte n’étant qu’un ajustement financier (Cass. 1re civ., 28 févr. 2018, n°17-12.040).

Ce raisonnement est fondamental en pratique, car il empêche toute remise en cause rétroactive des droits sur les biens attribués. Par exemple, un bien immobilier inclus dans un lot assorti d’une soulte est censé avoir toujours appartenu à l’indivisaire attributaire, et ce, depuis l’ouverture de la succession ou de l’indivision initiale. Il en résulte notamment :

  • L’absence de taxation comme une mutation : en droit fiscal, les partages avec soulte échappent au régime des mutations à titre onéreux lorsqu’ils s’inscrivent dans une indivision successorale ou conjugale (CGI, art. 748).
  • L’inopposabilité des créanciers des coindivisaires : puisqu’il n’y a pas eu transmission entre les indivisaires, un créancier hypothécaire ne saurait revendiquer un droit de gage sur le bien attribué à un copartageant, même si celui-ci avait des dettes avant le partage.
  • L’imputation des garanties et des servitudes : en raison de l’effet rétroactif du partage, les droits réels grevant un bien suivent l’attributaire de manière continue, comme si celui-ci en avait toujours été propriétaire.

c. L’exclusion du partage provisionnel

Le partage provisionnel se distingue du partage définitif en ce qu’il ne met pas fin à l’indivision, mais organise temporairement la jouissance des biens indivis. Par conséquent, il ne peut bénéficier de l’effet déclaratif qui s’attache aux partages définitifs. Cette exclusion découle de la nature même du partage provisionnel, lequel se borne à répartir l’usage des biens sans en modifier la répartition patrimoniale.

A cet égard, l’effet déclaratif du partage repose sur l’idée que chaque indivisaire est censé avoir toujours été propriétaire des biens qui lui sont attribués. Or, cette logique est incompatible avec le partage provisionnel, qui ne détermine pas définitivement l’attribution des biens, mais se limite à aménager leur utilisation pendant la durée de l’indivision.

Ainsi :

  • Le partage provisionnel ne transfère aucun droit privatif définitif : il ne fait que répartir l’occupation ou l’exploitation des biens entre les indivisaires, sans leur attribuer une propriété exclusive.
  • Les attributions restent réversibles : contrairement au partage définitif, où chaque indivisaire devient rétroactivement propriétaire de son lot, le partage provisionnel n’a pas vocation à cristalliser des droits patrimoniaux définitifs.
  • L’indivision persiste intégralement : aucun des biens ne cesse d’être indivis, ce qui empêche la fixation des droits privatifs exigée pour l’effet déclaratif (Cass. civ., 28 juill. 1947).

Dès lors, appliquer l’effet déclaratif à un partage provisionnel reviendrait à définitivement établir des droits sur un bien alors que le partage lui-même reste réversible, ce qui serait contraire à l’économie du régime de l’indivision.

Aussi, la jurisprudence a toujours refusé d’appliquer l’effet déclaratif au partage provisionnel. La Cour de cassation l’a notamment affirmé en jugeant que le partage provisionnel ne constitue qu’une organisation temporaire de l’indivision, sans incidence sur la propriété des biens (Cass. 1re civ., 26 févr. 1975). La doctrine est également unanime : un partage n’a d’effet déclaratif que s’il met fin à l’indivision et opère une répartition irrévocable des biens.

A titre d’illustration, les conventions d’indivision temporaire conclues entre les indivisaires, qui visent à organiser l’exploitation des biens pour une durée déterminée, n’entraînent aucune modification des droits de propriété des parties. Ces conventions permettent uniquement de fixer les modalités d’usage des biens, sans véritablement réaliser l’attribution de droits réels.

À cet égard, l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 13 octobre 2004 (Cass. 3e civ., 13 oct. 2004, n° 03-12.968) illustre parfaitement la distinction entre un véritable partage et un simple aménagement conventionnel. En l’espèce, il s’agissait d’une cession de droits indivis sur un fonds de commerce, incluant un droit au bail, opérée entre deux coïndivisaires preneurs. Les bailleurs prétendaient que cette cession constituait une mutation soumise aux formalités prévues par le contrat de bail, à savoir l’exigence d’un accord exprès du bailleur.

Or, la Cour de cassation a rejeté cet argument, en affirmant que tout acte mettant fin à une indivision est un partage. En l’espèce, la cession de droits indivis réalisée entre coïndivisaires ne constituait pas une mutation ordinaire mais bien un partage, bénéficiant de l’effet déclaratif prévu par l’article 883 du Code civil. Par conséquent, le copartageant attributaire des droits cédés était censé en être propriétaire depuis l’origine de l’indivision, et les formalités de cession exigées par le contrat de bail n’étaient pas applicables.

Cet arrêt vient ainsi rappeler que l’effet déclaratif ne peut être reconnu qu’aux actes mettant un terme définitif à l’indivision. En revanche, les conventions d’indivision temporaire, qui organisent simplement l’usage des biens indivis, restent en dehors de ce régime. Elles ne modifient en rien les droits des indivisaires et ne peuvent être assimilées à un partage, qu’il soit amiable ou judiciaire.

L’exclusion de l’effet déclaratif a également des conséquences en matière fiscale. Contrairement à un partage définitif, qui entraîne une individualisation des droits et peut générer des conséquences fiscales spécifiques (droits de partage, taxation des soultes, etc.), le partage provisionnel est neutre fiscalement. Puisqu’il ne modifie pas les droits de propriété, il n’est pas assimilé à une mutation et ne déclenche donc pas d’imposition comme le ferait un partage définitif (V. CGI, art. 747 et 748, sur la taxation des partages définitifs).

Un autre corollaire de l’exclusion de l’effet déclaratif concerne les sûretés. Lorsqu’un indivisaire obtient un bien dans le cadre d’un partage définitif, les droits réels attachés au bien sont maintenus et les hypothèques, par exemple, suivent l’attributaire du bien. En revanche, dans un partage provisionnel, les créanciers ne peuvent se prévaloir d’une fixation définitive des droits de chaque indivisaire, ce qui leur interdit de revendiquer une hypothèque sur un bien qui aurait été temporairement attribué à un indivisaire.

De même, un indivisaire ne peut constituer une sûreté sur un bien qu’il détient à titre provisoire dans le cadre d’un partage provisionnel, puisque son droit d’usage n’implique pas un droit patrimonial définitif.

2. La licitation

L’opération de licitation, consistant à mettre aux enchères un bien indivis, constitue un mode de sortie de l’indivision dont les effets varient selon la qualité de l’adjudicataire. Lorsque l’adjudicataire est un indivisaire, la licitation produit un effet déclaratif, assimilable à une attribution classique dans un partage. En revanche, lorsque l’adjudication intervient au profit d’un tiers étranger à l’indivision, l’effet est translatisif, et l’opération est juridiquement assimilée à une vente.

a. La licitation au profit d’un indivisaire

L’article 883, alinéa 1er, du Code civil énoncé expressément le principe selon lequel un bien indivis adjugé à un coïndivisaire est réputé lui avoir toujours appartenu. La licitation au profit d’un indivisaire n’est donc pas une vente ordinaire : elle s’apparente à un partage et produit, à ce titre, un effet déclaratif.

Autrement dit, l’indivisaire adjudicataire est censé avoir toujours détenu le bien à titre exclusif, tandis que les autres indivisaires sont réputés n’avoir jamais eu de droits sur celui-ci, mais seulement sur la somme qui leur revient en contrepartie (Cass. 1re civ., 26 févr. 1975, n°73-10.146).

L’effet déclaratif attaché à la licitation s’impose indépendamment des circonstances entourant son déroulement.

Ainsi :

  • Peu importe que l’adjudication soit amiable ou judiciaire : la licitation peut résulter d’un accord entre indivisaires ou être imposée par justice à la demande d’un créancier ou d’un indivisaire souhaitant sortir de l’indivision (Cass. req., 22 févr. 1881).
  • Peu importe que les enchères soient libres ou encadrées : l’effet déclaratif demeure inchangé, la licitation n’étant qu’un moyen d’évaluer la valeur du bien attribué au copartageant adjudicataire.
  • Peu importe la situation de l’adjudicataire : qu’il soit héritier pur et simple ou acceptant à concurrence de l’actif net, la licitation produit le même effet déclaratif (Cass. civ., 12 août 1839).

L’effet déclaratif trouve sa justification dans la nature même de la licitation au profit d’un indivisaire. En attribuant le bien licité à l’adjudicataire, l’opération produit un résultat identique à celui d’un partage ordinaire : elle met fin à l’indivision sur le bien concerné et attribue à chaque indivisaire une contrepartie équivalente à ses droits. Dès lors, la licitation, quelle qu’en soit la modalité, est traitée comme un partage avec soulte (Cass. 1re civ., 14 mai 2014, n° 13-10.830).

Dans ce schéma, l’indivisaire adjudicataire conserve les droits réels qu’il a pu constituer sur le bien licité avant l’opération. En revanche, les droits réels constitués par les autres indivisaires, désormais privés de tout droit sur le bien, sont réputés n’avoir jamais existé. C

L’assimilation à un partage de la licitation opérée au profit d’un copartageant n’est pas sans incidences en matière de sûretés :

  • Les droits réels constitués sur l’immeuble par l’adjudicataire demeurent valables, puisqu’il est censé en avoir toujours été propriétaire (Cass. 1re civ., 26 avr. 1955).
  • En revanche, ceux établis par les indivisaires ayant reçu le prix de licitation tombent rétroactivement, car ils sont réputés n’avoir jamais eu de droits sur le bien.

Un cas particulier mérite d’être envisagé : celui de la licitation assortie d’une clause d’attribution. Cette clause, fréquemment insérée dans les cahiers des charges des ventes judiciaires, prévoit que si l’adjudicataire est un coïndivisaire, il ne sera pas immédiatement déclaré propriétaire du bien, mais celui-ci lui sera attribué lors du partage définitif.

À la différence d’une licitation ordinaire, cette stipulation empêche l’effet déclaratif de se produire immédiatement. Le bien demeure indivis jusqu’au partage, et l’adjudicataire ne peut ni en disposer librement, ni s’opposer à l’exercice des droits des autres indivisaires sur celui-ci (Cass. 1re civ., 4 mai 1983, n° 82-11.928). En conséquence, toute cession réalisée par l’adjudicataire avant le partage est inopposable aux autres indivisaires, qui conservent leur droit de regard sur le bien.

Ce mécanisme a également des implications en matière de lésion. Contrairement à un partage ordinaire, qui ouvre droit à une action en complément de part, une licitation avec clause d’attribution ne peut être contestée pour cause de lésion qu’au moment du partage définitif (Cass. 1re civ., 3 juin 1997, n°94-21.387).

Toutefois, l’effet déclaratif redevient pleinement opérant dès lors que la clause est exécutée, c’est-à-dire lorsque l’attributaire du bien règle le prix aux autres indivisaires et entre en possession du bien. Dans ce cas, l’opération est assimilée à un partage partiel, et l’adjudicataire est réputé avoir toujours été propriétaire exclusif du bien (Cass. 1re civ., 21 févr. 1989, n° 87-16.287).

Enfin, le prix versé par l’adjudicataire aux autres indivisaires n’est pas une simple contrepartie financière : il prend la nature d’une soulte. Dès lors, il est soumis aux règles applicables aux créances issues d’un partage, notamment en matière de revalorisation (Cass. 1re civ., 14 mai 2014, n° 13-10.830). Si le paiement du prix est différé, la somme due aux coïndivisaires subit les ajustements prévus par l’article 828 du Code civil.

En outre, cette créance ne peut être assimilée à un bien indivis, de sorte que les sûretés prises sur l’immeuble par les coïndivisaires non adjudicataires tombent, tandis que celles constituées par l’adjudicataire sont maintenues. Cette solution découle de la nature même de l’effet déclaratif, qui opère une reconstitution rétroactive des droits de propriété (Cass. civ., 26 avr. 1955).

b. La licitation au profit d’un tiers

Lorsqu’un bien indivis est adjugé à un tiers étranger à l’indivision, la licitation perd son effet déclaratif et revêt la nature d’une vente classique. Contrairement à la licitation au profit d’un indivisaire, qui s’analyse comme un partage partiel avec rétroactivité, la licitation à un tiers opère un transfert de propriété entre les indivisaires et l’adjudicataire, conformément aux règles ordinaires de la vente (Cass. civ., 14 mars 1950).

Ce changement de qualification emporte des conséquences majeures sur les droits et obligations des parties, notamment en matière de garanties, d’enregistrement et d’opposabilité aux tiers.

En premier lieu, l’adjudication réalisée au profit d’un tiers entraîne un transfert immédiat de propriété. Dès l’adjudication, le bien quitte le patrimoine indivis pour entrer dans celui de l’acquéreur. Ce transfert doit être publié au service de la publicité foncière afin d’être opposable aux tiers, conformément aux règles applicables aux mutations immobilières (Décret n° 55-22 du 4 janvier 1955, art. 28 et 30).

En conséquence :

  • L’adjudicataire acquiert le bien directement des coïndivisaires, et non par transmission successorale (Cass. civ., 7 juin 1899).
  • L’acte doit être publié pour être opposable aux tiers et garantir l’efficacité du transfert (Cass. civ., 14 mars 1950).
  • Les droits des créanciers inscrits sur le bien sont maintenus, mais peuvent faire l’objet d’une purge par l’adjudicataire (Cass. civ., 2 juill. 1925).

Dès lors que la licitation a un effet translatif, elle échappe à la rétroactivité attachée au partage. L’adjudicataire est un acquéreur ordinaire, qui achète un bien aux indivisaires sans bénéficier des prérogatives d’un héritier (Cass. civ., 14 mars 1950). À ce titre, il peut purger les hypothèques inscrites sur le bien, sans avoir à se soucier de leur éventuelle disparition par effet déclaratif (Cass. civ., 2 juill. 1925).

En deuxième lieu, dans le cadre d’une licitation à un tiers, les indivisaires sont tenus aux obligations ordinaires des vendeurs. À ce titre, ils doivent garantir à l’adjudicataire :

  • La garantie d’éviction et des vices cachés (Cass. soc., 19 févr. 1959). L’acquéreur doit être protégé contre toute revendication ultérieure portant atteinte à sa propriété, ainsi que contre les défauts cachés du bien.
  • L’obligation de délivrance conforme, qui impose aux indivisaires de remettre le bien dans l’état convenu lors de l’adjudication.
  • L’obligation de paiement du prix, l’adjudicataire pouvant être poursuivi en cas de non-paiement par une action en résolution de la vente (art. 1654 C. civ.).

La licitation au profit d’un tiers étant une vente et non un partage, elle est soumise à la rescision pour lésion de plus de sept douzièmes (art. 1674 C. civ.), qui permet à un vendeur de demander l’annulation de la vente si le prix est manifestement insuffisant. En revanche, l’adjudication ne peut être contestée sur le fondement de l’action en complément de part prévue en matière de partage (art. 889 C. civ.).

En troisième lieu, bien que la licitation emporte un effet translatif vis-à-vis de l’adjudicataire, elle conserve dans les rapports entre coïndivisaires la nature d’une opération préliminaire au partage. Ce n’est pas la licitation elle-même qui opère le partage, mais la répartition ultérieure du prix d’adjudication entre les indivisaires (Cass., ch. réun., 5 déc. 1907).

En d’autres termes :

  • Le bien indivis est vendu, mais la créance du prix de vente remplace l’immeuble dans la masse successorale.
  • Ce n’est qu’au moment du partage du prix que s’applique l’effet déclaratif : l’indivisaire auquel est attribué tout ou partie du prix est réputé avoir toujours détenu cette somme à titre exclusif.
  • Les sûretés constituées sur le bien avant la licitation continuent d’exister sur la créance du prix, sauf purge exercée par l’acquéreur (Cass. civ., 2 juill. 1925).

Cette situation emportent des conséquences en matière d’hypothèques:

  • Si un indivisaire a hypothéqué sa part dans le bien indivis avant la licitation, son créancier pourra exercer son droit de préférence sur sa quote-part dans la créance d’adjudication.
  • Si l’effet déclaratif était appliqué directement à la licitation, le prix aurait été attribué à un seul coïndivisaire, faisant disparaître rétroactivement les droits des autres indivisaires, ce qui aurait lésé les créanciers (Cass. civ., 14 déc. 1887).

La jurisprudence a donc précisé que l’effet déclaratif ne peut s’appliquer qu’au moment du partage du prix et non au moment de la vente du bien (Cass., ch. réun., 5 déc. 1907). Cela signifie que, jusqu’au partage, chaque indivisaire conserve un droit indivis sur la créance du prix de vente, et peut demander sa quote-part avant que l’attribution finale ne soit fixée.

En dernier lieu, lorsque la licitation est réalisée au profit d’un indivisaire et d’un tiers, les effets de l’adjudication sont partagés entre ces deux logiques :

  • Pour la part attribuée à l’indivisaire, l’effet déclaratif s’applique : il est réputé avoir toujours détenu sa part du bien.
  • Pour la part attribuée au tiers, l’effet translatif s’impose : il acquiert la propriété du bien par l’effet d’un transfert ordinaire de droits réels (Cass. civ., 23 juill. 1912).

Ce système peut soulever des difficultés pratiques, notamment en matière de garanties. La Cour de cassation a ainsi précisé que l’hypothèque légale du vendeur, prise par les coïndivisaires pour garantir le paiement du prix de licitation, n’est pas opposable aux créanciers personnels de l’héritier adjudicataire (Cass. civ., 23 juill. 1912).

3. Les autres actes mettant fin à l’indivision

L’effet déclaratif du partage ne s’attache pas exclusivement aux opérations qualifiées de partage stricto sensu. Il s’étend à tout acte ayant pour conséquence de mettre un terme à l’indivision, dès lors que celui-ci aboutit à l’allotissement d’un indivisaire. Issu de la loi du 31 juillet 1976 l’article 883, alinéa 2, du Code civil confère explicitement un effet déclaratif à “tout autre acte ayant pour effet de faire cesser l’indivision”. Ainsi, au-delà du partage et de la licitation, plusieurs opérations peuvent revêtir ce caractère.

a. Les cessions de droits indivis entre indivisaires

i. Principe

La cession de droits indivis entre coïndivisaires a toujours été assimilée à une opération de partage, dès lors qu’elle met fin à l’indivision en ce qui concerne le cédant. Dès le XIXe siècle, la jurisprudence a reconnu que de telles cessions devaient bénéficier de l’effet déclaratif (Req. 3 mars 1807). Cette assimilation repose sur la logique même du partage : l’indivisaire cessionnaire est réputé avoir toujours été seul propriétaire des droits cédés, tandis que le cédant est censé avoir toujours détenu, en contrepartie, la somme perçue en paiement.

L’analogie avec le partage est encore plus évidente lorsque la cession est effectuée à titre onéreux. Dans ce cas, elle aboutit à un allotissement semblable à celui réalisé par une licitation ou un partage avec soulte. Le cessionnaire reçoit la part indivise du cédant en échange d’une somme d’argent, ce qui s’analyse à une opération de liquidation de l’indivision. Pour cette raison, la jurisprudence considère que l’effet déclaratif a pleinement vocation à jouer pour ces opérations (Cass. 1re civ., 4 nov. 2020, n° 19-13.267).

Cependant, l’application de l’effet déclaratif suppose que la cession porte bien sur des droits indivis. Si les droits cédés ne sont pas indivis, l’effet déclaratif ne peut être invoqué. Ainsi, lorsqu’un usufruitier cède ses droits aux nus-propriétaires, alors même qu’aucune indivision n’existe entre eux, la cession est une simple mutation patrimoniale et ne saurait être assimilée à un partage (Cass. 1re civ., 1er juill. 1986, n°85-10.780).

ii. Exceptions

Bien que la cession de droits indivis entre coïndivisaires bénéficie en principe de l’effet déclaratif, certaines situations échappent à cette règle.

==>L’exclusion des cessions à titre gratuit

La jurisprudence refuse de reconnaître un effet déclaratif aux cessions de droits indivis réalisées à titre gratuit. La raison en est simple : l’absence de contrepartie prive l’opération de la logique d’allotissement inhérente au partage.

Contrairement à une licitation ou à un partage avec soulte, où les indivisaires bénéficient d’une compensation en valeur, une donation entraîne une transmission patrimoniale unilatérale, sans redistribution équitable des droits successoraux. Dès lors, elle est considérée comme une mutation translative et non comme un partage.

==>La cession à un tiers

Autre exception notable, la cession de droits indivis à un tiers ne produit pas d’effet déclaratif dans les rapports entre les indivisaires et l’acquéreur. Une telle opération revêt la nature d’une véritable vente et non d’un partage.

L’acquéreur, étant étranger à l’indivision, n’est pas réputé avoir toujours été propriétaire des droits cédés. Toutefois, l’effet déclaratif peut s’appliquer entre les indivisaires eux-mêmes, sous réserve que le prix de la cession soit réparti entre eux selon leurs droits respectifs.

Dans cette hypothèse, la cession amiable d’un bien indivis à un tiers est assimilée à une licitation dans ses effets entre les coïndivisaires, mais elle conserve un effet translatif vis-à-vis de l’acquéreur (Cass. civ. 7 févr. 1949).

b. La vente amiable d’un bien indivis à un coïndivisaire

La vente d’un bien indivis à l’un des coïndivisaires, réalisée avec l’accord de l’ensemble des indivisaires, constitue une illustration notable de l’extension de l’effet déclaratif. Bien qu’elle prenne la forme d’une vente, cette opération est assimilée à un partage en raison de son résultat : l’indivisaire acquéreur devient pleinement propriétaire du bien, tandis que les autres indivisaires perçoivent une somme d’argent en contrepartie de leur renonciation à leurs droits indivis.

Ainsi, dans sa finalité, cette vente équivaut à une attribution dans le cadre d’un partage avec soulte. Par conséquent, elle doit être traitée comme un partage et bénéficie de l’effet déclaratif. Cela signifie que l’indivisaire acquéreur est réputé avoir toujours été propriétaire du bien, tandis que le prix payé aux autres indivisaires est assimilé à une soulte destinée à compenser la perte de leurs droits sur le bien vendu.

Cette analyse est d’autant plus justifiée lorsque l’acquéreur rachète l’intégralité des droits indivis portant sur un bien déterminé. Dans ce cas, l’indivision prend fin pour ce bien, ce qui justifie pleinement l’application de l’effet déclaratif. L’indivisaire acquéreur est alors censé en avoir toujours été le seul propriétaire, comme si ce bien lui avait été attribué lors d’un partage formel.

Cette approche, consacrée par la jurisprudence, a été renforcée par l’article 883 du Code civil dans sa rédaction issue de la réforme de 1976. Le texte n’exige plus que l’opération mette fin à l’ensemble de l’indivision, mais uniquement à celle portant sur le bien concerné. Ainsi, l’effet déclaratif s’applique même si d’autres biens indivis subsistent dans la masse successorale.

c. L’application de l’effet déclaratif aux actes partiels et aux conversions de droits

Avant la réforme de 1976, l’effet déclaratif du partage était strictement encadré. Il ne s’appliquait qu’aux actes mettant définitivement fin à l’indivision dans son ensemble et exigeait la participation de tous les indivisaires. Cette approche rigide a été vivement critiquée par la doctrine, qui estimait injustifié de refuser l’effet déclaratif à des actes ayant précisément pour objet de substituer des droits privatifs à une appropriation collective.

La réforme entreprise par la loi du 31 décembre 1976 a profondément modifié cette approche en supprimant l’exigence d’une extinction totale de l’indivision. Désormais, un acte peut bénéficier de l’effet déclaratif dès lors qu’il met fin à l’indivision sur certains biens ou entre certains indivisaires. Il en résulte que même un partage partiel, c’est-à-dire un partage ne portant que sur une partie des biens indivis, est aujourd’hui doté de l’effet déclaratif. Il en va de même lorsqu’un indivisaire rachète les parts de ses coïndivisaires sur un bien spécifique : dans ce cas, l’indivision prend fin uniquement sur ce bien, mais l’effet déclaratif s’applique tout de même.

La reconnaissance de l’effet déclaratif s’étend également aux actes mettant fin à l’indivision entre un usufruitier et un nu-propriétaire. Tel est le cas lorsque l’usufruit est converti en rente viagère, opération qui transforme la jouissance temporaire du bien en un droit patrimonial d’une autre nature. La jurisprudence considère désormais qu’une telle conversion est assimilable à un partage et doit donc bénéficier de l’effet déclaratif.

De la même manière, la conversion d’un usufruit en pleine propriété est traitée comme une opération de partage. Elle ne se limite pas à une simple modification du mode de détention du bien, mais entraîne une véritable mutation juridique, justifiant l’application de l’effet déclaratif. L’usufruitier converti en propriétaire est ainsi réputé l’avoir toujours été, et les droits éventuels qu’il avait pu consentir en tant qu’usufruitier s’éteignent rétroactivement.

B) Domaine quant aux biens

L’effet déclaratif du partage et des actes qui lui sont assimilés embrasse une large catégorie de biens, qu’ils soient corporels ou incorporels. Il s’applique aux biens qui étaient inclus dans l’indivision et à ceux qui, par subrogation, leur sont substitués. Cependant, certaines difficultés d’application se sont posées, notamment en ce qui concerne les créances héréditaires, les créances issues de la licitation d’un bien indivis et les créances relevant d’indivisions autres que successorales.

1. L’application générale de l’effet déclaratif aux biens de l’indivision

L’effet déclaratif du partage, tel que consacré par l’article 883 du Code civil, ne distingue ni la nature ni la qualification juridique des biens concernés. Il s’étend indistinctement aux meubles et immeubles, ainsi qu’aux biens incorporels, pourvu qu’ils aient fait partie de l’indivision et qu’ils aient fait l’objet d’un partage, d’une licitation ou de tout acte ayant mis fin à l’indivision. Cette règle, qui découle directement du principe selon lequel chaque copartageant est réputé avoir toujours été propriétaire exclusif des biens qui lui sont échus, a été largement consacrée tant par la doctrine que par la jurisprudence (Cass. 3e civ., 24 mars 1981, n°79-14.083). Toutefois, certaines limitations, tenant soit à la nature spécifique des biens, soit à des dispositions légales particulières, méritent d’être relevées.

a. L’application indifférenciée aux biens corporels et incorporels

Le domaine de l’effet déclaratif couvre l’ensemble des biens indivis, qu’ils soient corporels ou incorporels, dès lors qu’ils font l’objet d’un partage ou d’une licitation. La loi ne distingue pas entre les catégories de biens et consacre ainsi une application uniforme de cette règle, quelle que soit leur nature.

==>Les biens corporels

L’article 883 du Code civil trouve à s’appliquer aux biens corporels, qu’ils soient meubles ou immeubles. Ainsi, les immeubles faisant partie de l’indivision et attribués à un copartageant lors du partage sont réputés lui avoir toujours appartenu. Ce principe s’applique également aux meubles indivis, qui sont également soumis à l’effet déclaratif. La jurisprudence a eu l’occasion de rappeler ce caractère indifférencié de l’effet déclaratif en précisant que tout bien corporel intégré à un partage doit être considéré comme ayant toujours appartenu à son attributaire dès l’origine (Cass. 1re civ., 6 nov. 1967).

==>Les biens incorporels

L’effet déclaratif du partage ne se limite pas aux seuls biens matériels. Il s’étend également aux biens incorporels, pourvu qu’ils aient été inclus dans l’indivision et attribués à un copartageant. Cette extension a notamment été consacrée par la jurisprudence en matière de fonds de commerce où il a été jugé que l’attribution d’un fonds indivis à un coindivisaire lors du partage entraîne l’effet déclaratif, le rendant rétroactivement propriétaire exclusif du fonds.

Dans le même esprit, la doctrine considère que l’effet déclaratif couvre également les créances dépendant d’une indivision, dans la mesure où celles-ci constituent un élément du patrimoine indivis (Cass. req., 7 août 1860). Cependant, cette application aux créances n’a pas toujours été admise sans réserve, et certaines décisions ont pu restreindre son champ en fonction de la nature des créances concernées (V. ci-après).

b. Les limites de l’effet déclaratif : exceptions et restrictions

Si l’effet déclaratif du partage présente un caractère général, certaines restrictions s’imposent en raison soit de la nature des biens concernés, soit de dispositions légales spécifiques qui viennent limiter son application.

==>L’exclusion des fruits et revenus des biens indivis

Un premier tempérament réside dans l’exclusion des fruits et revenus produits par les biens indivis avant le partage. Contrairement aux biens eux-mêmes, ces produits ne sont pas soumis à l’effet déclaratif et restent la propriété des indivisaires en proportion de leurs droits sur l’indivision. La Cour de cassation a affirmé en ce sens que l’effet déclaratif du partage ne s’applique pas aux fruits et revenus perçus avant la cessation de l’indivision et a censuré une décision qui avait attribué à certains copartageants la totalité des fermages échus avant le partage, au motif qu’ils étaient devenus propriétaires des biens loués (Cass. 1re civ., 10 mai 2007, n° 05-12.031)).

Dans cette affaire, un bien indivis donné à bail rural avant le partage avait généré des fermages dont les attributaires du bien avaient revendiqué la perception exclusive, en se prévalant de l’effet déclaratif du partage. La cour d’appel avait accueilli cette demande, considérant que l’attribution du bien leur conférait rétroactivement la qualité de propriétaires exclusifs et les habilitait à percevoir seuls les loyers dus pour les périodes antérieures au partage. La Cour de cassation a censuré cette analyse en rappelant que l’effet déclaratif ne saurait conférer rétroactivement à un indivisaire l’exclusivité des fruits et revenus produits avant la fin de l’indivision. Ces revenus conservent leur caractère indivis jusqu’au partage et doivent être répartis entre tous les indivisaires en fonction de leurs droits respectifs.

Ainsi, lorsqu’un bien indivis a généré des revenus avant son attribution à un copartageant, ces produits ne peuvent être réputés lui avoir toujours appartenu. Ils doivent être partagés entre tous les indivisaires, proportionnellement à leurs quotes-parts, sans que le partage ne puisse produire un effet rétroactif sur leur répartition.

==>L’exclusion légale de certains biens spécifiques

Certaines catégories de biens échappent à l’application de l’article 883 du Code civil en raison de dispositions législatives particulières. Tel est le cas, par exemple, en matière de brevets d’invention. L’article L. 613-30 du Code de la propriété intellectuelle exclut expressément l’application de l’effet déclaratif aux situations de copropriété d’un brevet ou d’une demande de brevet, en instaurant un régime spécifique à la matière. Cette disposition traduit la volonté du législateur de soumettre la gestion des brevets à un régime plus strict, distinct de celui du droit commun de l’indivision.

D’autres domaines spécifiques peuvent également donner lieu à des exceptions, en fonction des règles particulières qui leur sont applicables. Il conviendra donc, avant d’invoquer l’effet déclaratif, de s’assurer que la législation propre à chaque type de bien ne prévoit pas de disposition dérogatoire.

==>La prise en compte des soultes et compensations

Si l’effet déclaratif du partage ne s’étend pas aux fruits et revenus, il s’applique en revanche aux soultes versées entre copartageants. Une soulte, qui constitue une somme versée en compensation d’un lot excédentaire, est réputée avoir toujours appartenu à son bénéficiaire. Cette règle a été posée dès le XIX? siècle par la Cour de cassation, qui a admis que même une soulte versée sur les deniers propres de l’un des copartageants bénéficie de l’effet déclaratif (Cass. req., 7 août 1860).

Ainsi, si un indivisaire reçoit un bien d’une valeur supérieure à sa quote-part et qu’il compense cette inégalité par le versement d’une soulte à un autre copartageant, cette soulte est réputée avoir toujours fait partie du patrimoine de son bénéficiaire. Ce principe vise à garantir la cohérence de l’effet déclaratif et à éviter que le partage ne soit requalifié en opération translative.

2. Cas particuliers

a. Les créances héréditaires

La question de l’application de l’effet déclaratif du partage aux créances héréditaires a longtemps divisé doctrine et jurisprudence, en raison de l’apparente contradiction entre deux règles fondamentales du droit successoral. D’un côté, l’article 1309 du Code civil (ancien article 1220) prévoit que les créances successorales se divisent de plein droit entre les cohéritiers en proportion de leur part dans la succession. De l’autre, l’article 883 du même code instaure un effet déclaratif du partage, selon lequel chaque copartageant est réputé avoir toujours été propriétaire exclusif des biens qui lui sont attribués.

À l’origine, la jurisprudence appliquait strictement l’article 1309 et considérait que les créances successorales étaient divisées entre les héritiers dès l’ouverture de la succession, les excluant ainsi de l’indivision et du champ d’application de l’effet déclaratif (Cass. req., 23 févr. 1864). Cette approche signifiait que chaque cohéritier pouvait revendiquer immédiatement sa part individuelle sur la créance et l’exercer indépendamment des autres. Le débiteur de la succession pouvait également opposer la compensation à hauteur de la part de chaque héritier (Cass. req., 9 nov. 1847).

Toutefois, cette position s’est révélée insatisfaisante, car elle privait l’effet déclaratif du partage d’une grande partie de sa portée en ce qui concerne les créances. Un héritier pouvait, avant le partage, céder ou faire saisir sa quote-part de créance, ce qui compromettait l’égalité entre les copartageants. La jurisprudence a donc progressivement évolué vers une application distributive des deux articles, aboutissant à la célèbre décision des chambres réunies de la Cour de cassation dans l’arrêt Chollet contre Dumoulin du 5 décembre 1907 (Cass. ch. réunies, 5 déc. 1907).

Cet arrêt opère une distinction selon le moment où l’on se place. Avant le partage, l’article 1309 s’applique dans les rapports entre les héritiers et les débiteurs successoraux. Chaque héritier peut alors exercer sa part de la créance, et le débiteur peut se libérer en réglant chaque cohéritier individuellement. Il peut également opposer une compensation pour toute dette qu’il détient à l’égard d’un héritier, sans que cette compensation puisse être remise en cause par le partage ultérieur (Cass. req., 25 févr. 1864). Cette solution repose sur la double nature du droit de créance : il est à la fois un lien de droit (vinculum juris) entre le créancier et le débiteur, et un bien faisant partie du patrimoine du créancier.

Une fois le partage consommé, l’article 883 prend le pas et s’applique exclusivement dans les rapports entre cohéritiers. La créance indivise est alors attribuée en totalité à un copartageant, qui est réputé l’avoir toujours possédée en exclusivité. Dès lors, les actes accomplis par d’autres indivisaires sur cette créance deviennent inopposables à son attributaire, sauf s’ils ont été régulièrement exécutés avant le partage (Cass. req., 13 janv. 1909). Ainsi, un cohéritier ne peut plus, après le partage, revendiquer une part sur une créance qui a été attribuée à un autre. Il en va de même pour une cession de créance consentie par un indivisaire seul avant le partage : elle est inopposable à l’attributaire final de la créance (Cass. req., 2 juin 1908).

Cette articulation entre les deux articles permet d’assurer un équilibre entre les droits des cohéritiers et les exigences de sécurité juridique. L’article 1309 garantit que chaque héritier puisse faire valoir ses droits sur les créances successorales tant que l’indivision subsiste, sans être tributaire de l’inaction des autres indivisaires. En revanche, une fois le partage réalisé, l’effet déclaratif de l’article 883 permet d’éviter que des actes de disposition antérieurs ne viennent compromettre l’égalité entre copartageants. Cette solution est aujourd’hui largement admise par la doctrine.

b. L’effet déclaratif sur la créance du prix d’adjudication d’un bien indivis

L’effet déclaratif du partage ne se limite pas aux biens matériels présents dans l’indivision. Il s’étend également aux créances qui en sont issues, notamment la créance résultant du prix d’adjudication d’un immeuble indivis vendu par licitation à un tiers. Dans ce cas, l’adjudication équivaut à une vente, et l’immeuble licité cesse de faire partie de l’indivision, tandis que la créance de prix qu’il génère vient s’y substituer et entre dans l’actif successoral à partager. Une fois le partage réalisé, cette créance peut être répartie entre tous les copartageants, ou bien être attribuée en totalité à l’un d’eux.

Une question essentielle a été soulevée quant à la portée de l’effet déclaratif dans ce contexte : l’attributaire de la créance doit-il être considéré comme ayant été le seul propriétaire du bien depuis son entrée dans l’indivision, et donc comme étant le seul vendeur au regard des tiers, ou bien tous les indivisaires doivent-ils être regardés comme ayant participé à la vente ? L’enjeu de la réponse à cette question est fondamental, car il touche au sort des droits réels que certains indivisaires auraient pu consentir sur l’immeuble avant la licitation. En effet, si seul l’attributaire final de la créance est réputé rétroactivement propriétaire, les droits réels accordés par d’autres indivisaires avant la licitation pourraient être anéantis. À l’inverse, si tous les indivisaires sont considérés comme ayant participé à la vente, ces droits réels devraient être reportés sur leur part du prix d’adjudication.

Initialement, la Cour de cassation avait retenu une interprétation stricte de l’effet déclaratif, en considérant que seul l’attributaire de la créance devait être regardé comme ayant été propriétaire du bien et donc comme ayant procédé à la vente (Cass. civ., 18 juin 1834). Cette solution conduisait à l’anéantissement des droits réels constitués par d’autres indivisaires sur l’immeuble licité. Toutefois, cette position a été abandonnée au profit d’une approche fondée sur la subrogation réelle. Désormais, la créance du prix d’adjudication est assimilée au bien vendu, et l’effet déclaratif du partage ne remet pas en cause les sûretés qui ont pu être constituées sur l’immeuble pendant l’indivision (Cass. civ., 21 juin 1904). Il en résulte que si un indivisaire a hypothéqué l’immeuble avant la licitation, cette hypothèque ne disparaît pas avec la vente, mais est reportée sur la part du prix d’adjudication qui lui revient dans le partage.

L’arrêt Chollet contre Dumoulin, rendu par les chambres réunies de la Cour de cassation le 5 décembre 1907, a consacré cette évolution en affirmant que, si la licitation doit être considérée comme une vente à l’égard de l’adjudicataire lorsqu’il est un tiers, elle constitue dans les rapports entre cohéritiers une simple opération préparatoire au partage. Dès lors, la créance du prix d’adjudication est soumise aux mêmes règles que l’immeuble qu’elle remplace. Ainsi, si un héritier est tenu à un rapport en moins prenant et que la créance du prix est attribuée à ses cohéritiers en compensation du rapport dû, cet héritier est réputé n’avoir jamais eu de droit sur cette créance. Il en découle que ses créanciers personnels ne peuvent exercer de droit de préférence sur le prix d’adjudication, puisqu’ils ne disposent pas de plus de droits que leur débiteur dans la masse successorale (Cass., ch. réunies, 5 déc. 1907).

Cette solution se justifie par la combinaison de l’effet déclaratif du partage et du principe de la subrogation réelle. En effet, dès lors que l’immeuble est remplacé par une créance de prix, il est logique que toute sûreté constituée sur ce bien soit reportée sur la somme d’argent qui lui succède. Cette position a été confirmée par la jurisprudence moderne, qui admet que l’hypothèque consentie sur un bien indivis par un indivisaire seul est reportée, en cas de vente, sur la fraction du prix qui lui est attribuée dans le partage (Cass. com., 20 juin 1995, n° 93-10.331).

L’admission de la subrogation réelle atténue ainsi la portée absolue de la rétroactivité du partage. En effet, bien que l’article 883 du Code civil établisse une présomption selon laquelle chaque copartageant est réputé avoir toujours été propriétaire des biens de son lot, la prise en compte de la situation de la masse indivise au jour du partage permet de préserver les droits des tiers ayant acquis des garanties sur ces biens avant leur attribution définitive.

c. L’extension de l’effet déclaratif aux créances issues d’indivisions non successorales

L’effet déclaratif du partage ne se limite pas aux successions. Il s’étend aux créances issues d’autres formes d’indivision, notamment l’indivision post-communautaire. Dans ce cadre, la jurisprudence a longtemps refusé d’appliquer l’article 1309 du Code civil, considérant que tant que la communauté n’était pas liquidée, les créances communes ne pouvaient être divisées entre les époux (Cass. req., 18 oct. 1893). Toutefois, cette position a évolué, et il est désormais admis que chaque époux peut réclamer sa part de créance sans attendre le partage. Dans un arrêt du 10 février 1981, la Cour de cassation a, en effet, jugé que, dès la dissolution de la communauté, chacun des époux est investi d’un droit personnel sur les valeurs qui en dépendent et peut, à ce titre, demander individuellement le règlement de sa quote-part dans les créances communes (Cass. 1re civ., 10 févr. 1981, n° 79-12.765).

Dans cette affaire, à l’occasion de la liquidation d’une communauté dissoute par divorce, l’une des parties revendiquait le droit d’agir seule en recouvrement de créances qui avaient appartenu à la communauté. Son ancien conjoint contestait cette possibilité, soutenant que tant que la liquidation n’avait pas été achevée, les droits de chacun des époux restaient incertains, excluant ainsi toute division automatique des créances. La Cour d’appel avait néanmoins condamné le débiteur des créances litigieuses à verser directement à l’épouse sa part correspondant à la moitié du montant dû, au motif qu’elle détenait des droits sur les valeurs de la communauté.

Saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation a validé cette approche, énonçant que la dissolution de la communauté confère immédiatement à chacun des époux un titre leur permettant de réclamer leur part des créances communes, sans attendre le partage. Ce faisant, la Haute juridiction a admis que la créance, bien qu’encore incluse dans la masse indivise au stade de la liquidation, pouvait être partiellement mobilisée par chacun des ex-époux, consacrant ainsi une autonomie certaine dans l’exercice des droits patrimoniaux post-communautaires.

Par cette décision, la Cour de cassation a confirmé que la dissolution de la communauté entraîne la division des créances entre les époux et leur permet d’en revendiquer le paiement, indépendamment de l’achèvement de la liquidation et du partage.

Cette reconnaissance d’un droit propre à chaque indivisaire sur une créance dès la dissolution ne remet toutefois pas en cause l’application du principe de l’effet déclaratif du partage. Si, dans leurs rapports avec les tiers, les indivisaires peuvent faire valoir leur part de créance indépendamment du partage, il en va différemment dans les relations internes à l’indivision. En effet, une fois le partage intervenu, l’attribution d’une créance à un indivisaire emporte l’effet rétroactif prévu par l’article 883 du Code civil, impliquant qu’il est réputé l’avoir toujours détenue. Cette conséquence, qui marque une rupture avec la logique de division immédiate des créances, permet de garantir la stabilité des attributions patrimoniales et d’uniformiser le régime des créances successorales et post-communautaires.

Dans les rapports entre indivisaires, ces créances sont ainsi soumises à l’article 883 du Code civil et bénéficient de l’effet déclaratif. Un indivisaire qui se voit attribuer une créance dans le partage est réputé en avoir été le titulaire exclusif depuis l’origine, ce qui a pour effet de priver ses coïndivisaires de tout droit rétroactif sur celle-ci. En conséquence, les actes de disposition accomplis avant le partage par un autre indivisaire sur la créance, tels qu’une cession ou une saisie, peuvent lui être inopposables (Cass. req., 2 juin 1908).

III) Les conséquences de l’effet déclaratif

Le partage judiciaire, loin d’être une simple opération de répartition des biens indivis, constitue un acte aux conséquences juridiques majeures. Parmi celles-ci, l’effet rétroactif du partage occupe une place centrale, traduisant la fiction selon laquelle chaque copartageant est réputé n’avoir jamais eu de droits sur les biens attribués aux autres et avoir toujours été seul propriétaire de ceux qui lui sont échus. Cette rétroactivité, bien que fondamentale, ne s’exerce toutefois pas de manière absolue : elle se heurte à des limites destinées à garantir la sécurité juridique et la stabilité des relations contractuelles.

Ainsi, si l’effet rétroactif du partage peut anéantir certains actes passés par les indivisaires avant la répartition définitive des biens, il peut aussi, à l’inverse, en confirmer la validité, selon que ces actes sont ou non conformes aux attributions résultant du partage. Cette dualité se reflète tant dans les rapports entre les copartageants eux-mêmes que dans leurs relations avec les tiers. Dès lors, il convient d’analyser les implications de cet effet rétroactif, en mettant en lumière ses principes fondamentaux, ses limites et les solutions dégagées par la jurisprudence afin d’assurer un équilibre entre la logique déclarative du partage et les impératifs de préservation des droits acquis.

A) Conséquences générales

1. Effet rétroactif du partage

L’effet rétroactif du partage constitue l’une des principales manifestations de son effet déclaratif. Il repose sur la fiction selon laquelle chaque copartageant est réputé n’avoir jamais eu de droits sur les biens attribués aux autres et avoir toujours été seul propriétaire de ceux qui lui sont échus.

Ce principe, destiné à garantir l’égalité du partage, entraîne des conséquences majeures tant dans les rapports entre copartageants que dans leurs relations avec les tiers. Toutefois, cette rétroactivité n’est pas absolue et connaît plusieurs limites visant à préserver la sécurité juridique et la stabilité des relations contractuelles.

a. Le principe de la rétroactivité

L’effet rétroactif du partage trouve sa justification dans l’objectif d’assurer une répartition égalitaire des biens indivis en effaçant toute trace de l’indivision initiale. Il permet ainsi d’établir une continuité fictive entre l’attributaire d’un bien et la période antérieure au partage, en lui conférant la qualité de propriétaire unique dès l’origine de l’indivision.

i. Dans les rapports entre indivisaires

L’un des principaux effets de la rétroactivité du partage réside dans son incidence sur les actes accomplis par les indivisaires avant l’attribution définitive des biens. Ce mécanisme opère un double effet : il valide certains actes et en anéantit d’autres, selon qu’ils sont ou non conformes à la répartition opérée par le partage.

Ainsi, lorsqu’un indivisaire a conclu un bail sur un bien indivis, cet acte est confirmé si le bien lui est attribué lors du partage. La fiction de la rétroactivité lui confère en effet la qualité de propriétaire exclusif depuis l’ouverture de l’indivision, rendant ainsi son engagement pleinement opposable aux tiers. En revanche, si ce bien échoit à un autre copartageant, ce dernier pourra invoquer la rétroactivité du partage pour considérer que le bail a été consenti par une personne dépourvue de titre et en demander l’annulation (Cass. req., 2 juin 1908).

Ce principe s’étend également aux sûretés constituées sur les biens indivis. Ainsi, une hypothèque consentie par un indivisaire seul, sans l’accord des autres, est frappée de caducité dès lors que le bien est attribué à un autre copartageant. Ce dernier, en sa qualité de propriétaire réputé de toujours, peut s’opposer aux droits des tiers ayant contracté avec un indivisaire n’ayant pas qualité pour agir seul (Cass. civ., 18 juin 1834).

Toutefois, l’effet rétroactif du partage connaît des limites. Les actes accomplis avec le consentement unanime des indivisaires ou en vertu d’une autorisation judiciaire conservent leur validité, quel que soit le résultat du partage. Par exemple, une hypothèque constituée par l’ensemble des indivisaires demeure pleinement opposable après le partage, même si le bien grevé est attribué à un seul copartageant (Cass. 1re civ., 20 nov. 1990, n° 89-13.876).

ii. Dans les rapports avec les tiers

L’effet rétroactif du partage ne se limite pas aux relations entre indivisaires ; il s’étend également aux rapports avec les tiers, notamment en ce qui concerne la computation des délais nécessaires à l’exercice de certains droits.

==>Le droit de reprise du bailleur

L’effet rétroactif du partage peut avoir des conséquences importantes en matière locative, notamment en permettant à l’attributaire d’un bien indivis d’exercer immédiatement certains droits attachés à la propriété.

Un exemple peut être trouvé dans l’exercice du droit de reprise du bailleur, qui lui permet de récupérer un bien loué pour l’occuper lui-même. En principe, la loi impose qu’un propriétaire justifie d’une durée minimale de détention avant de pouvoir exercer ce droit. Toutefois, lorsque le bien concerné était indivis et est attribué à un copartageant lors du partage, celui-ci est réputé l’avoir possédé dès l’origine de l’indivision. Dès lors, la durée d’indivision s’ajoute à sa période de détention, lui permettant d’exercer immédiatement son droit de reprise, sans avoir à attendre l’écoulement d’un délai supplémentaire (Cass. soc., 3 oct. 1958).

Cette solution a été étendue aux sociétés immobilières. Lorsque des indivisaires héritent d’un bien appartenant à une société dissoute, ils peuvent se prévaloir de l’effet rétroactif du partage pour justifier du délai de détention requis et ainsi exercer leur droit de reprise. Toutefois, cette rétroactivité ne peut être poussée à l’extrême: elle ne saurait faire remonter artificiellement la propriété du bien à une période antérieure à celle où la société elle-même en était propriétaire (Cass. soc., 30 juin 1955).

Ainsi, l’effet rétroactif du partage, bien qu’utile pour faciliter l’exercice de certains droits, connaît des limites qui empêchent toute manipulation artificielle de la chronologie des droits de propriété.

==>L’exercice du droit de préférence

L’effet rétroactif du partage revêt une importance particulière lorsqu’un bien indivis est assorti d’un droit de préférence. Ce mécanisme, qui permet aux anciens propriétaires de se voir accorder un droit prioritaire en cas de revente, voit son titulaire désigné par l’attribution des lots lors du partage.

Ainsi, lorsqu’un bien indivis a été cédé avec une clause de préférence stipulée au profit des coïndivisaires, seul celui auquel ce bien est attribué lors du partage pourra exercer ce droit. Il devient l’unique bénéficiaire de cette prérogative, même si elle avait initialement été consentie à l’ensemble des indivisaires. La Cour de cassation a confirmé cette solution en jugeant que l’indivisaire devenu seul propriétaire d’un bien à l’issue du partage est le seul habilité à revendiquer un droit de préférence stipulé antérieurement par l’ensemble des indivisaires (Cass. 1re civ., 14 janv. 1981).

Ce raisonnement découle directement de la fiction selon laquelle l’attributaire du bien est censé l’avoir toujours possédé. Par conséquent, tous les droits attachés à ce bien, y compris ceux qui avaient été négociés collectivement par les indivisaires avant le partage, se trouvent concentrés entre ses seules mains. Cette solution garantit la cohérence du régime de l’effet déclaratif en assurant une pleine continuité entre la propriété du bien et les droits qui lui sont afférents.

b. Les limites de la rétroactivité

Si l’effet rétroactif du partage constitue une règle de principe, il ne revêt pas un caractère absolu. Afin de préserver la sécurité juridique et d’éviter des conséquences excessives, certaines restrictions viennent tempérer son application. Ces limitations concernent notamment les fruits et revenus produits avant le partage, la préservation des actes régulièrement accomplis en période d’indivision et l’inopposabilité des causes de suspension de la prescription.

i. L’exclusion des fruits et revenus perçus avant le partage

L’effet rétroactif du partage ne s’étend pas aux fruits et revenus générés par les biens indivis avant leur attribution définitive à un copartageant. Contrairement aux biens eux-mêmes, ces produits demeurent la propriété collective des indivisaires et doivent être répartis entre eux en fonction de leurs droits respectifs sur l’indivision.

Ainsi, un indivisaire qui reçoit, lors du partage, un bien générateur de revenus ne saurait prétendre, au nom de la rétroactivité, à l’appropriation exclusive des loyers, fermages ou autres produits perçus avant l’attribution. Ceux-ci doivent être répartis entre tous les indivisaires jusqu’au jour du partage effectif. La Cour de cassation a consacré cette solution en jugeant qu’un indivisaire attributaire d’un bien rural donné à bail ne pouvait, seul, réclamer les fermages échus avant le partage, ceux-ci relevant encore de l’indivision jusqu’à la répartition définitive des biens (Cass. 1re civ., 10 mai 2007, n° 05-12.031).

ii. Le maintien des actes accomplis sous certaines conditions

Si l’effet rétroactif du partage peut conduire à l’anéantissement de certains actes passés sur un bien indivis, il ne saurait remettre en cause ceux qui ont été valablement accomplis dans des conditions garantissant la stabilité juridique. Deux situations se dégagent :

  • Les actes conclus avec l’accord unanime des indivisaires
    • Lorsqu’un acte de disposition ou de gestion a été consenti par l’ensemble des indivisaires, il conserve son plein effet après le partage, quel que soit l’attributaire final du bien.
    • Ainsi, si une hypothèque a été régulièrement consentie par tous les indivisaires sur un bien indivis, elle reste opposable à celui qui en devient propriétaire après le partage, sans que ce dernier puisse en contester la validité (Cass. 1re civ., 20 nov. 1990, n°89-13.876).
    • Cette règle vise à garantir la continuité des engagements pris collectivement pendant l’indivision et à éviter que le partage ne serve à éluder des obligations librement consenties.
  • Les actes autorisés par une décision judiciaire
    • De même, les actes accomplis sur autorisation judiciaire échappent à l’effet rétroactif du partage et demeurent opposables à l’attributaire du bien concerné.
    • Tel est le cas d’une aliénation ou d’une constitution de droits réels sur un bien indivis autorisée par le juge.
    • Une fois le partage réalisé, l’indivisaire qui reçoit ce bien ne peut prétendre remettre en cause ces actes, qui ont été légalement validés dans l’intérêt de l’indivision.
    • Ainsi, la sécurité juridique prime sur l’effet rétroactif lorsque l’acte a été consenti par tous les indivisaires ou imposé par une décision de justice.
    • Ce maintien des engagements pris sous certaines conditions permet d’éviter que le partage ne devienne un instrument de remise en cause systématique des droits des tiers ou des décisions prises dans l’intérêt de l’indivision.

iii. L’inopposabilité des causes de suspension de la prescription

L’effet rétroactif du partage ne peut conférer à un indivisaire, une fois le bien indivis définitivement attribué, le bénéfice des causes de suspension de la prescription propres à un autre coïndivisaire. Autrement dit, la rétroactivité du partage ne permet pas à l’attributaire d’un bien de se prévaloir d’une suspension de prescription qui aurait résulté de l’incapacité d’un autre indivisaire.

==>L’indivisaire ne peut invoquer une suspension de prescription qui ne lui est pas propre

Lorsqu’un tiers revendique un bien indivis qui, à l’issue du partage, est attribué à l’un des coïndivisaires, ce dernier ne peut contester la prescription acquise par le tiers en se fondant sur la minorité ou l’incapacité d’un autre indivisaire (Cass. civ., 2 déc. 1845, S. 1846). La prescription s’apprécie exclusivement à l’égard de l’attributaire du bien et ne saurait être suspendue du seul fait de l’incapacité d’un autre copartageant.

Ainsi, si un bien indivis fait l’objet d’une prescription acquisitive par un tiers, la suspension de cette prescription ne joue qu’en faveur de l’indivisaire frappé d’incapacité, et non au profit des autres coïndivisaires. Une fois le bien attribué dans le partage, l’attributaire ne peut donc invoquer la suspension dont bénéficiait un autre copartageant pour s’opposer à la revendication du tiers. Cette solution préserve la sécurité juridique en évitant qu’une incapacité personnelle n’affecte la situation juridique des autres indivisaires.

==>L’interruption de prescription par un indivisaire profite à tous

Toutefois, si un indivisaire a, avant le partage, accompli un acte interruptif de prescription, cette interruption s’étend à l’ensemble des coïndivisaires, y compris celui qui se verra ultérieurement attribuer le bien concerné. Ainsi, lorsqu’un indivisaire agit en justice pour interrompre la prescription d’un droit appartenant à l’indivision, cette action bénéficie à tous les indivisaires et demeure opposable au tiers, indépendamment de la répartition des biens opérée dans le partage.

Dès lors, si un indivisaire engage une action pour empêcher l’acquisition d’un bien indivis par prescription au profit d’un tiers, cette initiative préserve les droits de l’indivision et empêche la consolidation de la prescription, quel que soit l’attributaire final du bien. L’effet déclaratif du partage ne saurait priver les coïndivisaires des avantages résultant des démarches entreprises collectivement ou par l’un d’eux dans l’intérêt commun de l’indivision.

Cette distinction entre suspension et interruption de prescription illustre une limite essentielle à la rétroactivité du partage: celle-ci ne peut être invoquée pour bénéficier de droits qui n’étaient pas attachés à l’indivisaire concerné, mais elle ne fait pas obstacle aux actions entreprises pour la conservation du patrimoine indivis.

2. Exclusion des règles applicables aux actes translatifs

Le partage se distingue fondamentalement des actes translatifs de propriété en ce qu’il ne réalise pas un transfert de droits entre copartageants, mais se limite à constater l’attribution des biens à chacun d’eux, en fonction de leurs droits préexistants. Il ne s’apparente donc ni à une vente ni à un échange, puisqu’il ne repose pas sur un mécanisme de transmission de propriété d’un copartageant à un autre. C’est précisément cette nature déclarative qui justifie l’inapplicabilité de nombreuses règles propres aux actes translatifs, notamment :

  • L’action résolutoire, qui permet d’anéantir une vente en cas d’inexécution, mais qui ne peut s’appliquer au partage, faute de véritable transmission de droits ;
  • La prescription abrégée, qui repose sur la nécessité d’un juste titre translatif, ce que le partage ne constitue pas ;
  • Le privilège du vendeur, inapplicable au partage où seule une garantie spécifique entre copartageants peut être invoquée ;
  • Le droit de préemption, qui ne peut être exercé lors d’une attribution en partage, faute d’aliénation à titre onéreux.

Ainsi, l’effet déclaratif du partage le soustrait à ces règles, confirmant qu’il ne s’agit pas d’un acte de translatif, mais d’une simple répartition des droits préexistants entre les copartageants.

a. L’exclusion des sanctions attachées à l’inexécution des obligations nées du partage

L’effet déclaratif du partage a pour conséquence majeure d’exclure l’application des mécanismes de sanction propres aux actes translatifs, en particulier l’action résolutoire. Contrairement à une vente, où l’inexécution d’une obligation essentielle – telle que le paiement du prix – peut entraîner la résolution du contrat, le partage, en raison de son caractère non translatis, ne saurait être anéanti pour cause de non-paiement d’une soulte ou d’un prix d’adjudication.

i. L’impossibilité d’une résolution du partage pour inexécution

Dès le XIX? siècle, la Cour de cassation a consacré cette impossibilité en affirmant que le non-paiement d’une soulte ne saurait justifier l’anéantissement du partage (Cass. Req. 29 déc. 1829). Cette solution repose sur l’idée que la soulte ne constitue pas un élément essentiel du partage, mais une simple dette personnelle du copartageant concerné. Dès lors, l’indivisaire créancier d’une soulte dispose uniquement des moyens de droit commun pour en obtenir le recouvrement (saisie immobilière, inscription d’hypothèque, etc.), sans pouvoir prétendre à une remise en cause du partage lui-même.

Cette règle trouve une application particulière lorsque le partage prend la forme d’une licitation. L’adjudication d’un bien indivis à un copartageant vaut partage, si bien que l’inexécution des obligations mises à la charge de l’adjudicataire ne peut justifier l’anéantissement de la licitation (Cass. 1ère, 26 févr. 1975, n°73-10.146). Il en résulte que la licitation ne peut être résolue pour défaut de paiement du prix ou inexécution des conditions de l’adjudication.

L’effet déclaratif interdit ainsi d’assimiler les copartageants à des contractants ayant réciproquement opéré un transfert de droits. Chacun devient propriétaire des biens qui lui sont attribués comme s’il l’avait toujours été, et non par un effet de transmission intervenu au moment du partage. Dès lors, le non-paiement d’une soulte ne peut en aucun cas être assimilé au non-paiement d’un prix dans une vente.

ii. L’inapplicabilité de la revente sur folle enchère en l’absence de stipulation expresse

L’exclusion de l’action résolutoire s’étend également à la procédure de revente sur folle enchère – désormais appelée réitération des enchères depuis l’ordonnance n° 2006-461 du 21 avril 2006 sur la saisie immobilière. Cette procédure, qui permet de remettre en vente un bien en cas de défaut de paiement du prix par l’adjudicataire, est normalement inapplicable aux licitations effectuées dans le cadre d’un partage. La jurisprudence a en effet confirmé que, faute d’effet translatif, la licitation ne peut être assimilée à une vente, et que les règles applicables aux adjudications classiques ne trouvent donc pas à s’appliquer.

Toutefois, si le principe demeure, la pratique notariale a cherché à pallier cette rigidité en introduisant des clauses spécifiques dans le cahier des charges des licitations. La Cour de cassation a ainsi admis que les copartageants peuvent convenir contractuellement de soumettre la licitation à une procédure de folle enchère en cas de non-paiement du prix (Cass. 1ère civ., 7 oct. 1981, n°80-12.799).

iii. L’admission de clauses résolutoires par convention expresse

Dans le même esprit, la jurisprudence a validé la stipulation de clauses résolutoires dans l’acte de partage, afin de pallier l’absence de sanctions légales en cas d’inexécution. Si l’effet déclaratif empêche toute résolution de plein droit, les copartageants peuvent néanmoins stipuler contractuellement qu’un défaut de paiement de la soulte entraînera la remise en cause de l’attribution du bien concerné (Cass. civ. 6 janv. 1846).

Toutefois, la jurisprudence distingue nettement entre les stipulations expressément formulées et celles qui pourraient être déduites implicitement. Si une clause spécifique prévoyant la résolution est insérée dans l’acte de partage ou le cahier des charges d’une licitation, elle sera jugée valide. En revanche, il n’est pas possible de déduire une telle clause du seul fait que les parties ont prévu le paiement d’une soulte. La volonté des copartageants doit être clairement exprimée, sans quoi la résolution demeure impossible.

iv. Une protection limitée du créancier de la soulte

En l’absence de clause spécifique, le copartageant créancier dispose uniquement de garanties limitées pour assurer le recouvrement de sa créance. Il bénéficie certes du privilège du copartageant (ancien article 2374, 3° du Code civil, devenu article 2402, 4°), qui lui permet d’inscrire une hypothèque légale sur les immeubles attribués au débiteur. Toutefois, cette sûreté, exclusivement immobilière, ne couvre pas nécessairement l’ensemble des biens du copartageant débiteur, et elle ne constitue pas une garantie aussi solide que le privilège du vendeur. En cas de défaillance du débiteur, le créancier devra ainsi engager une procédure de saisie immobilière ou d’exécution forcée, ce qui peut s’avérer long et complexe.

b. L’impossibilité d’invoquer le partage comme juste titre pour la prescription abrégée

L’effet déclaratif du partage exclut également l’application des règles propres aux actes translatifs en matière de prescription acquisitive abrégée. En effet, l’article 2272, alinéa 2, du Code civil prévoit que la prescription abrégée, permettant l’acquisition d’un bien par un possesseur de bonne foi après un délai réduit de dix ans (ou vingt ans selon les cas), suppose l’existence d’un juste titre. Ce dernier se définit comme un acte translatif de propriété émanant d’une personne qui n’était pas véritablement propriétaire. Or, le partage, qui ne réalise aucun transfert de propriété entre copartageants, ne peut jamais constituer un tel juste titre.

i. L’inaptitude du partage à fonder une usucapion abrégée

Le partage a pour seul effet de déterminer la consistance des droits des copartageants en attribuant à chacun des biens qu’il est censé avoir possédés depuis l’origine. En ce sens, il ne crée aucun droit nouveau, ne procède à aucun transfert, mais se borne à reconnaître des droits préexistants. Dès lors, il ne peut servir de fondement à une prescription acquisitive abrégée, laquelle exige un acte juridiquement apte à transmettre la propriété.

La Cour de cassation a consacré ce principe qu’elle appliqué de manière constante. Elle a ainsi jugé que lorsqu’un bien appartenant à un tiers est inclus par erreur dans une masse successorale et attribué à un copartageant, ce dernier ne pourra se prévaloir de la prescription abrégée contre le véritable propriétaire, faute de disposer d’un juste titre (Cass. 3e civ., 30 oct. 1972, n° 71-11.541).

Dans cette affaire, une action en partage avait été engagée entre plusieurs indivisaires, donnant lieu à une décision judiciaire déterminant les droits respectifs de chacun. En exécution de cette décision, des lots avaient été constitués et attribués aux copartageants, cette attribution ayant été entérinée par une autorité administrative. Cependant, un tiers a formé tierce opposition, faisant valoir qu’une portion des biens attribués dans le cadre du partage lui appartenait en indivision.

Face à cette contestation, les copartageants ont tenté d’opposer la prescription abrégée, soutenant que la décision de partage et l’acte administratif entérinant la répartition des lots constituaient un juste titre au sens de l’article 2265 du Code civil. La Cour de cassation a rejeté cette argumentation, rappelant que la prescription acquisitive abrégée repose sur l’existence d’un juste titre, lequel suppose un transfert de propriété consenti par celui qui n’est pas le véritable propriétaire. Or, en l’espèce, l’acte de partage ne réalisait qu’une répartition des biens indivis sans opérer un transfert de propriété. La Haute juridiction a expressément souligné que les décisions de justice et actes administratifs ayant mis fin à l’indivision étaient exclusivement déclaratifs de droits et ne pouvaient donc servir de juste titre permettant l’usucapion abrégée.

Par ailleurs, la Cour de cassation a également écarté la possibilité pour les copartageants d’invoquer la prescription acquisitive de droit commun, en constatant que plusieurs personnes avaient exercé des actes de possession concurrents sur les biens litigieux. Dès lors, aucun des indivisaires ne pouvait prétendre à une possession exclusive et non équivoque de nature à fonder une prescription acquisitive.

Cette décision illustre ainsi, avec une particulière clarté, l’impossibilité pour un copartageant d’invoquer la prescription abrégée sur un bien inclus à tort dans le partage, faute de disposer d’un acte translatif de propriété. Elle rappelle également que la prescription acquisitive de droit commun ne saurait prospérer lorsque la possession est exercée concurremment par plusieurs indivisaires, ce qui empêche toute appropriation unilatérale du bien concerné.

ii. L’absence de transmission de droits nouveaux

L’inaptitude du partage à constituer un juste titre s’explique par le fait que, contrairement à une vente ou une donation, il ne comporte aucune manifestation de volonté de transmettre un droit. Le copartageant attributaire n’est pas l’ayant cause de ses cohéritiers : il est réputé avoir toujours été propriétaire des biens qui lui sont attribués. Dès lors, il ne saurait bénéficier de la prescription abrégée, laquelle repose sur l’idée que l’acquéreur a reçu son droit d’un tiers qui n’était pas le véritable propriétaire.

Cette distinction a une conséquence pratique essentielle : si un bien indivis a été occupé pendant plusieurs années par l’un des copartageants avant le partage, celui-ci ne pourra pas invoquer la prescription abrégée pour revendiquer la pleine propriété du bien, faute d’un juste titre distinct du partage. Ce dernier ne fait que constater la situation existante, sans créer un nouvel état de droit.

iii. La possibilité de joindre les possessions pour compléter une prescription

Toutefois, si le partage est inapte à servir de juste titre pour la prescription abrégée, il ne fait pas obstacle à la jonction des possessions successives. En vertu de l’article 2265 du Code civil, l’attributaire d’un bien indivis peut joindre à sa propre possession celle exercée antérieurement par la masse indivise. Ainsi, s’il démontre une possession paisible, publique et continue antérieure au partage, il pourra faire valoir son droit à la prescription en ajoutant la durée de possession de ses coindivisaires à la sienne.

Cette règle trouve notamment à s’appliquer dans l’hypothèse où un bien litigieux était déjà possédé par la famille du copartageant bien avant le partage. Dans ce cas, la prescription de trente ans pourrait être acquise, non en raison du partage lui-même, mais par l’addition des périodes de possession successives.

c. L’inapplicabilité du privilège du vendeur et des garanties propres aux ventes

L’effet déclaratif du partage a pour corollaire l’inapplicabilité des règles protectrices propres aux actes translatifs de propriété, parmi lesquelles figurent notamment le privilège du vendeur ainsi que les garanties relatives aux vices cachés et à l’éviction. En matière de paiement des soultes ou du prix d’une licitation, c’est un régime spécifique, distinct de celui applicable aux ventes, qui trouve à s’appliquer.

i. Le privilège du copartageant

Lorsque l’un des copartageants se voit attribuer un bien indivis moyennant le paiement d’une soulte à ses cohéritiers ou qu’un bien indivis est vendu par voie de licitation à l’un d’eux, la créance née de cette opération n’est pas assortie du privilège du vendeur (prévu à l’article 2402, 1° du Code civil), mais du privilège du copartageant. Ce dernier, bien que présentant des similitudes fonctionnelles avec le privilège du vendeur, s’en distingue par son assiette et son régime de priorité.

L’article 2402, 4° du Code civil (anciennement article 2374, 3°) confère au copartageant une sûreté qui ne grève que les immeubles attribués au débiteur de la soulte, contrairement au privilège du vendeur, qui porte plus largement sur l’ensemble des biens du débiteur. Cette limitation peut donc s’avérer préjudiciable lorsque l’immeuble en question se révèle insuffisant pour garantir le paiement. Toutefois, une compensation existe : l’inscription du privilège du copartageant dans le délai légal lui confère un effet rétroactif à la date de l’ouverture de la succession, ce qui lui permet de primer sur certaines hypothèques constituées postérieurement à cette date (Cass. 1ère civ., 13 juill. 2004, n° 02-10.073). Cette antériorité protège les créanciers issus du partage contre les sûretés prises par des tiers au cours de l’indivision ou après le partage.

Néanmoins, cette protection demeure imparfaite : à défaut d’inscription dans le délai prévu, le privilège est inopposable aux tiers inscrits, ce qui peut affaiblir la position du copartageant créancier.

ii. L’exclusion des garanties propres à la vente : absence de garantie des vices cachés et d’éviction

En matière de vente, le droit commun confère à l’acquéreur deux protections : la garantie des vices cachés et la garantie d’éviction. Ces garanties sont expressément prévues aux articles 1625 et suivants du Code civil et permettent à l’acheteur de se retourner contre le vendeur si le bien acquis est atteint d’un vice affectant son usage ou si son droit de propriété est contesté par un tiers.

Or, ces mécanismes sont inapplicables au partage, précisément parce que les copartageants ne sont pas les ayants cause les uns des autres. En d’autres termes, le partage n’opère pas un transfert de propriété d’un copartageant à l’autre, mais une simple individualisation des droits préexistants sur les biens issus de l’indivision.

En conséquence, un copartageant qui découvre après coup que le bien qui lui a été attribué est affecté d’un vice grave ou qu’un tiers en revendique la propriété ne pourra pas se prévaloir des garanties protectrices de l’acheteur. Il ne pourra ni demander la restitution d’une partie de la soulte versée, ni exiger la résolution du partage, sauf à démontrer une lésion de plus du quart, hypothèse très encadrée par l’article 889 du Code civil.

iii. La seule garantie applicable : la garantie des vices de lotissement

Si les garanties protectrices du droit de la vente sont inapplicables au partage, une garantie spécifique demeure néanmoins prévue : la garantie des vices de lotissement. Elle découle de l’obligation d’assurer une répartition équitable des biens entre copartageants. L’article 889 du Code civil prévoit en effet que chaque copartageant est tenu de garantir ses coïndivisaires contre tout trouble ou éviction qui aurait pour effet de rompre l’équilibre du partage.

Toutefois, cette garantie ne joue pas dans les mêmes conditions que la garantie d’éviction propre à la vente. Elle ne protège pas contre toute éviction, mais uniquement contre celle qui remettrait en cause l’égalité entre les lots. Ainsi, si un copartageant perd un bien qui lui a été attribué du fait d’un tiers revendiquant un droit antérieur, la garantie ne pourra être invoquée que s’il en résulte une rupture manifeste de l’équilibre du partage.

En revanche, si la perte du bien ou la revendication du tiers ne modifie pas significativement la proportion des droits de chaque copartageant, aucune garantie ne pourra être mise en œuvre. Cette limitation renforce l’importance pour chaque copartageant de procéder à des vérifications approfondies avant d’accepter un lot.

d. L’exclusion des règles de publicité foncière attachées aux actes translatifs

i. La publication foncière sans incidence sur l’opposabilité du partage

La publicité foncière vise, en principe, à assurer l’opposabilité des mutations immobilières aux tiers. Ainsi, dans le cadre d’une vente, le défaut de publication entraîne l’inopposabilité de l’acte aux tiers (Décret n° 55-22 du 4 janvier 1955, art. 28). Cette règle protège notamment les acquéreurs successifs en garantissant la traçabilité des droits de propriété.

Toutefois, le partage n’étant pas un acte translatif, la sanction de l’inopposabilité ne saurait lui être appliquée. La Cour de cassation a clairement affirmé ce principe, jugeant qu’un partage non publié reste pleinement opposable aux tiers, en raison de son effet déclaratif (Cass. 1?? civ., 14 janv. 1981, n°79-14.687). Cette solution s’explique par le fait que le partage ne crée pas un droit nouveau, mais se borne à constater la répartition de droits déjà existants dans la masse indivise.

Dès lors, un héritier attributaire d’un bien immobilier par voie de partage n’a pas besoin d’avoir publié son acte pour opposer son droit aux tiers. L’absence de publication n’entraîne pas de difficulté tant que l’attributaire conserve le bien en question.

ii. Publication des opérations de partage aux fins d’assurer la continuité des mutations immobilières

Si l’effet déclaratif du partage protège l’héritier attributaire contre l’inopposabilité, la logique de la publicité foncière impose néanmoins une certaine rigueur dans la transmission ultérieure du bien. En effet, l’article 3 du décret du 4 janvier 1955 pose le principe de l’effet relatif de la publicité foncière :

Un ayant cause ne peut publier son droit que si celui de son auteur a été publié au préalable.

En conséquence, un copartageant qui souhaite revendre un bien issu du partage doit nécessairement procéder à la publication de celui-ci. À défaut, son acquéreur ne pourra lui-même publier son titre et, par conséquent, ne pourra opposer son droit aux tiers.

Ainsi, la publication du partage ne vise pas tant à protéger l’héritier que son futur acquéreur. L’absence de publication empêche en effet toute chaîne de mutations ultérieures et entrave ainsi la circulation du bien sur le marché immobilier.

iii. Responsabilité civile en cas de défaut de publication

Bien que le partage non publié demeure opposable aux tiers, l’inobservation des formalités de publicité foncière peut néanmoins engager la responsabilité civile de celui qui était tenu de les accomplir. L’article 30 du décret du 4 janvier 1955 prévoit en effet que l’omission ou l’irrégularité d’une publication foncière peut donner lieu à des dommages-intérêts au profit de ceux qui subissent un préjudice du fait de ce défaut.

Ainsi, si un héritier attributaire revend un bien issu d’un partage non publié et que son acquéreur se trouve dans l’impossibilité d’opposer son droit, ce dernier pourra se retourner contre le vendeur pour obtenir réparation. Cette responsabilité constitue un incitatif fort à la publication du partage, même si celle-ci n’est pas requise pour l’opposabilité du droit de l’attributaire initial.

e. L’inapplicabilité des droits de préemption et des formalités propres aux cessions de créance

L’effet déclaratif du partage a pour conséquence d’exclure l’application de diverses règles attachées aux actes translatifs, notamment en matière de droit de préemption et de cession de créance. Puisque le partage ne constitue pas une aliénation à titre onéreux, il ne peut donner prise aux prérogatives reconnues à certains titulaires de droits de préemption, ni être assimilé à une cession impliquant des formalités spécifiques.

i. L’exclusion du droit de préemption en raison de l’absence d’aliénation à titre onéreux

Le droit de préemption permet à certaines personnes – preneurs à bail rural, locataires d’habitation, l’État en matière d’œuvres d’art, etc. – de se substituer à un acquéreur dans le cadre d’une vente ou d’une cession à titre onéreux. Or, le partage ne réalise pas une transmission de propriété entre copartageants, mais se borne à constater l’attribution de biens préexistants. Dès lors, il échappe aux mécanismes de préemption qui reposent sur l’existence d’un transfert à titre onéreux.

C’est ainsi que le fermier ne peut exercer son droit de préemption lorsque le bien loué lui est attribué dans le cadre d’un partage successoral. La Cour de cassation l’a affirmé avec constance, rappelant que l’attribution d’un bien dans le cadre d’un partage ne constitue pas une aliénation ouvrant droit à préemption (Cass. 3e civ., 16 avr. 1970, n°67-13.666).

De la même manière, le locataire d’un logement soumis au droit de préemption prévu par l’article 10 de la loi du 31 décembre 1975 ne peut se prévaloir de sa prérogative à l’occasion d’un partage, même si l’attribution porte sur l’appartement qu’il occupe. Son droit ne pourra s’exercer que si le bien est ultérieurement revendu. Il en va de même pour le droit de préemption de l’État sur les œuvres d’art mises en vente publique (C. patr., art. L. 123-1), qui ne s’applique pas si une œuvre est attribuée à un copartageant lors d’un partage.

Cette exclusion repose sur un principe clair : seuls les actes translatifs à titre onéreux peuvent donner lieu à l’exercice d’un droit de préemption. Or, le partage, par son effet déclaratif, n’implique aucun transfert de propriété d’un copartageant à l’autre, ce qui justifie l’inapplicabilité des règles de préemption.

ii. L’absence d’assimilation du partage à une cession de créance

L’attribution d’une créance dans le cadre d’un partage successoral soulève une question essentielle : celle de son assimilation, ou non, à une cession de créance régie par les dispositions du Code civil. L’effet déclaratif du partage conduit à exclure cette assimilation, avec des conséquences notables en matière d’opposabilité et de formalités.

L’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, réformant le droit des obligations, a modifié le régime de la cession de créance, notamment en assouplissant les formalités d’opposabilité. Désormais, l’article 1324 du Code civil dispose que « la cession n’est opposable au débiteur, s’il n’y a déjà consenti, que si elle lui a été notifiée ou s’il en a pris acte. »

Ainsi, sous le régime actuel du droit des obligations, la cession de créance devient opposable au débiteur dès lors qu’il a été informé de la cession, sauf s’il y avait déjà consenti lors de l’acte initial. Tant que la cession ne lui a pas été notifiée ou acceptée, il peut se libérer valablement entre les mains du cédant, sans être inquiété par le cessionnaire.

Toutefois, ce régime ne trouve pas à s’appliquer aux attributions de créances par voie de partage, précisément en raison de l’effet déclaratif de cette opération. Contrairement à une cession, le partage ne réalise pas un transfert de propriété :

  • Dans une cession de créance, le cédant transmet son droit de créance à un cessionnaire, ce qui justifie la nécessité d’une notification au débiteur afin de clarifier son nouvel interlocuteur.
  • Dans un partage, l’attributaire d’une créance est réputé en être titulaire depuis l’origine, ce qui exclut toute nécessité de notification : il n’y a pas de changement de titulaire, mais une simple individualisation des droits déjà existants.

C’est pourquoi l’attribution d’une créance dans un partage successoral échappe aux exigences de notification imposées par l’article 1324 du Code civil.

La Cour de cassation a consacré cette solution en jugeant que l’attribution d’une créance dans un partage n’implique ni signification, ni acceptation par le débiteur. Dans un arrêt du 13 octobre 2004, elle a affirmé que les formalités de signification prévues pour la cession de créance ne s’appliquent pas au partage (Cass. 3e civ., 13 oct. 2004, n°03-12.968).

En conséquence :

  • Le débiteur n’a pas besoin d’être informé de l’attribution de la créance dans le partage : il est censé avoir toujours eu le même créancier.
  • L’attributaire de la créance peut agir directement en paiement, sans formalité préalable.
  • Le débiteur ne peut se prévaloir de la non-notification de l’attribution pour refuser de payer, contrairement à ce qui est prévu en matière de cession.

Ainsi, à la différence d’un cessionnaire, l’attributaire d’une créance dans un partage successoral ne risque pas de voir sa créance lui échapper en raison d’une absence de notification.

Le régime de la cession de créance prévoit également des règles spécifiques en matière d’exceptions opposables par le débiteur au cessionnaire.

L’article 1324, alinéa 2, du Code civil prévoit ainsi que « le débiteur peut opposer au cessionnaire les exceptions inhérentes à la dette », notamment la nullité, l’exception d’inexécution ou encore la compensation de dettes connexes.

Toutefois, en matière de partage, ce mécanisme ne trouve pas à s’appliquer. L’attributaire d’une créance est censé en être titulaire depuis l’origine, ce qui signifie que :

  • Le débiteur ne peut lui opposer que les exceptions nées avant l’ouverture de la succession ou de l’indivision.
  • Les exceptions personnelles nées du rapport entre le débiteur et le copartageant initial ne sont pas transmissibles, sauf si elles existaient avant l’indivision.

Cette distinction est fondamentale car elle garantit à l’attributaire une meilleure protection que celle accordée à un cessionnaire de droit commun, qui, lui, reste soumis aux exceptions personnelles opposables au cédant avant la notification de la cession.

Enfin, la réforme de 2016 a introduit des règles en cas de concurrence entre plusieurs cessionnaires successifs d’une même créance.

L’article 1325 du Code civil prévoit que « le concours entre cessionnaires successifs d’une créance se résout en faveur du premier en date ».

Toutefois, cette problématique est totalement étrangère au partage successoral, dès lors que :

  • Il ne peut y avoir de pluralité d’attributaires successifs d’une même créance dans un partage, chaque créance étant attribuée définitivement à un copartageant.
  • L’attribution opérée par le partage s’impose à tous sans qu’il soit possible de revendiquer une créance attribuée à un autre copartageant.

Ainsi, le partage successoral échappe aux règles de conflits entre cessionnaires successifs, qui ne concernent que les véritables cessions de créance.

f. L’exclusion du partage en tant que mutation de référence en matière d’expropriation et de fiscalité

L’effet déclaratif du partage le distingue des actes translatifs de propriété, ce qui a des implications directes en matière d’expropriation pour cause d’utilité publique et de fiscalité.

En droit de l’expropriation, la fixation de l’indemnité d’expropriation repose notamment sur une référence aux mutations intervenues dans le secteur concerné. Or, le partage, n’étant pas un acte translatif, ne peut être pris en compte comme mutation de référence aux fins de détermination de l’indemnisation du bien exproprié.

La Cour de cassation a consacré ce principe dans un arrêt du 17 janvier 1973, affirmant que le partage, ayant un effet purement déclaratif, ne peut être assimilé à une mutation et ne saurait servir de référence dans le cadre d’une procédure d’expropriation (Cass. 3e civ., 17 janv. 1973).

Cette solution repose sur la distinction entre :

  • Une mutation à titre onéreux, qui suppose un transfert de propriété entre deux parties et qui peut donc être prise en compte pour évaluer le prix du bien exproprié.
  • Le partage, qui ne transfère pas de propriété mais attribue à chaque copartageant la fraction du bien dont il était déjà propriétaire en indivision.

Dès lors, une autorité expropriante ne peut se prévaloir du prix d’un bien attribué dans un partage pour fixer l’indemnité due aux expropriés, puisqu’il ne s’agit pas d’une véritable transaction reflétant la valeur vénale du bien.

L’effet déclaratif du partage a également des conséquences fiscales notables. En principe, les actes translatifs de propriété sont soumis aux droits de mutation à titre onéreux. Toutefois, le partage, n’opérant pas de transmission de propriété entre les copartageants, échappe à cette taxation.

L’article 746 du Code général des impôts (CGI) consacre cette exonération en disposant que les partages ne sont assujettis qu’à une taxe spécifique de 2,5 % et non aux droits de mutation applicables aux ventes.

Cependant, le régime fiscal du partage a connu des aménagements, notamment concernant :

  • Les licitations entre copartageants : Lorsqu’un bien indivis est attribué à un seul héritier moyennant le paiement d’une soulte à ses cohéritiers, l’administration fiscale peut considérer cette opération comme une vente partielle, soumise aux droits de mutation (CGI, art. 750).
  • Les partages impliquant des tiers : Lorsque le partage ne se limite pas aux seuls membres de l’indivision d’origine (par exemple, lorsqu’un tiers entre dans le partage), l’administration fiscale peut également requalifier l’opération en cession taxable.

La jurisprudence a cependant rappelé que ces exceptions ne doivent pas conduire à dénaturer l’effet déclaratif du partage, qui demeure un principe fondamental du droit civil.

Quid des conséquences pratiques?

  • En matière d’expropriation, l’exproprié ne peut se voir imposer une indemnité fixée sur la base d’une attribution en partage, car il ne s’agit pas d’une vente permettant d’évaluer la valeur vénale du bien.
  • En matière fiscale, le partage reste en principe soumis à une taxation réduite, sauf exceptions concernant certaines licitations ou opérations impliquant des tiers.

B) Sort des actes accomplis pendant l’indivision

L’effet déclaratif du partage entraîne une rétroactivité qui confère à chaque copartageant la propriété exclusive des biens qui lui sont attribués, comme s’il en avait toujours été propriétaire. En conséquence, les actes accomplis sur ces biens au cours de l’indivision peuvent soit être consolidés, soit être anéantis, selon qu’ils ont été passés dans le respect des règles de gestion de l’indivision ou non.

Il convient ainsi de distinguer, d’une part, les actes accomplis unilatéralement par un indivisaire, dont le sort dépend des résultats du partage, et, d’autre part, les actes régulièrement conclus au nom de l’indivision, qui conservent leur pleine efficacité après la répartition des biens entre les copartageants.

1. La consolidation ou l’anéantissement des actes accomplis unilatéralement par un indivisaire

L’effet déclaratif du partage signifie que chaque indivisaire est réputé n’avoir jamais été propriétaire des biens qui, lors du partage, sont attribués à ses cohéritiers. Cette fiction juridique a des conséquences majeures sur les actes qu’un indivisaire a pu accomplir seul avant le partage. En effet, ces actes n’ont pas tous la même portée et leur validité dépend du lot qui sera finalement attribué à l’indivisaire concerné.

Si, à l’issue du partage, le bien qui fait l’objet de l’acte revient à l’indivisaire qui l’a conclu, cet acte est validé rétroactivement. Il est alors considéré comme ayant toujours été valable. En revanche, si le bien est attribué à un autre copartageant, l’acte est anéanti de manière rétroactive : il est juridiquement réputé n’avoir jamais existé, car son auteur n’était pas censé en être propriétaire.

Ce mécanisme s’applique à tous les actes passés par un indivisaire seul, qu’il s’agisse de la vente d’un bien indivis, de la conclusion d’un bail, de la constitution d’une hypothèque ou encore de l’octroi d’un droit réel tel qu’une servitude. Tant que le partage n’est pas intervenu, ces actes sont juridiquement incertains : ils peuvent soit être confirmés si l’indivisaire concerné reçoit le bien dans son lot, soit être anéantis si ce bien revient à un autre. Cette insécurité juridique constitue un risque majeur pour les tiers qui contractent avec un indivisaire sans s’assurer que tous les coïndivisaires donnent leur accord.

a. La vente d’un bien indivis par un seul indivisaire

Lorsqu’un indivisaire vend un bien indivis sans le consentement de ses coïndivisaires, cette vente est juridiquement incertaine et suspendue aux résultats du partage. En effet, l’effet déclaratif du partage implique que chaque indivisaire est censé n’avoir jamais eu de droits sur les biens attribués à ses cohéritiers. Ainsi, la validité d’une vente réalisée par un seul indivisaire dépend du lot qui lui sera attribué lors du partage.

Si le bien vendu est finalement placé dans son lot, la vente est consolidée avec un effet rétroactif: elle est alors considérée comme ayant toujours été valable, et l’acquéreur devient pleinement propriétaire. En revanche, si le bien est attribué à un autre copartageant, la vente est anéantie rétroactivement. Il en résulte que l’acheteur ne peut faire valoir aucun droit sur le bien et se retrouve privé de l’acquisition qu’il croyait avoir réalisée. La Cour de cassation a confirmé cette règle de manière constante, jugeant que la vente d’un bien indivis par un seul indivisaire est inopposable aux autres copartageants tant que le partage n’a pas attribué définitivement le bien au vendeur (Cass. 1re civ., 7 juill. 1987, n° 85-16.968).

L’acquéreur d’un bien indivis dans une telle situation se trouve donc dans une position précaire. Il ne peut exiger l’attribution du bien au vendeur initial et doit se contenter, dans le meilleur des cas, d’intervenir dans la procédure de partage pour tenter d’orienter la répartition des lots en sa faveur (Cass. 1re civ., 9 févr. 2022, n°20-22.159). Toutefois, cette démarche demeure aléatoire et ne garantit en rien la préservation de ses droits. Le risque pour l’acquéreur est donc considérable, car il dépend entièrement de la manière dont les biens indivis seront répartis entre les copartageants.

b. L’hypothèque consentie sur un bien indivis

L’effet déclaratif du partage influence également la validité des sûretés constituées sur un bien indivis, notamment les hypothèques consenties par un indivisaire seul. En raison du principe de rétroactivité du partage, ces garanties ne sont véritablement consolidées que si le bien grevé est attribué à l’indivisaire qui a constitué l’hypothèque. Dans ce cas, la sûreté conserve toute son efficacité, et l’attributaire du bien hypothéqué reste tenu par cette charge, qui grève son lot à titre définitif (Cass. 3e civ., 7 mai 1986, n°87-13.947). Le créancier hypothécaire peut alors exercer son droit de suite sur l’immeuble et bénéficier de la garantie qui lui avait été consentie.

En revanche, si le bien grevé est attribué à un autre copartageant, l’hypothèque est anéantie rétroactivement. L’immeuble se retrouve ainsi libéré de toute sûreté constituée par un indivisaire qui, en définitive, n’a jamais été censé en être propriétaire. Ce mécanisme protège l’attributaire du bien, qui ne saurait voir sa propriété entachée par un acte accompli par un autre indivisaire sans son consentement. La règle a été expressément consacrée par l’article 2412 du Code civil, qui prévoit que l’hypothèque consentie par un indivisaire ne subsiste que si l’immeuble hypothéqué lui est finalement attribué. Cette disposition a remplacé l’ancien article 2414 du Code civil, issu de l’ordonnance du 23 mars 2006, qui énonçait déjà ce principe.

Ainsi, les créanciers hypothécaires qui acceptent une sûreté sur un bien indivis prennent un risque important, leur droit de suite étant conditionné aux résultats du partage. S’ils souhaitent garantir efficacement leur créance, ils doivent s’assurer que l’indivisaire constituant l’hypothèque dispose d’une probabilité élevée d’obtenir l’attribution du bien lors du partage. À défaut, ils s’exposent à la disparition pure et simple de leur garantie, sans aucun recours contre l’attributaire du bien.

c. Le bail consenti par un seul indivisaire

Lorsqu’un indivisaire conclut seul un bail sur un bien indivis sans l’accord des autres coïndivisaires, la validité du contrat reste suspendue aux résultats du partage. Si le bien loué est finalement attribué à l’indivisaire bailleur, le bail est consolidé rétroactivement, produisant ses effets comme s’il avait été valablement conclu dès l’origine. Le preneur peut alors poursuivre l’exécution du contrat sans que sa situation ne soit remise en cause (Cass. 1re civ., 27 oct. 1992, n°90-21.173).

En revanche, si le bien est placé dans le lot d’un autre copartageant, le bail se trouve anéanti de manière rétroactive. Le nouvel attributaire du bien n’est pas tenu par le contrat, et le preneur perd tout droit sur les lieux loués (Cass. 1re civ., 9 nov. 2004, n°03-13.481). Cette solution découle du principe selon lequel seul le véritable propriétaire d’un bien peut valablement en consentir la jouissance. Ainsi, le locataire qui contracte avec un seul indivisaire agit à ses risques et périls : il ne peut exiger ni la poursuite du bail ni une indemnisation en cas de disparition de son droit par l’effet du partage.

d. La constitution de droits réels sur un bien indivis

L’effet déclaratif du partage s’applique également aux droits réels que peut tenter de constituer un indivisaire seul sur un bien indivis. Lorsqu’un indivisaire établit une servitude sans le consentement de ses coïndivisaires, la validité de cette charge est conditionnée aux résultats du partage. Si le bien grevé est attribué à l’indivisaire qui a constitué la servitude, celle-ci est consolidée rétroactivement et produit pleinement ses effets. En revanche, si le bien est placé dans le lot d’un autre copartageant, la servitude est anéantie de plein droit, car elle est réputée n’avoir jamais existé.

Cette règle s’étend à l’ensemble des droits réels susceptibles d’être créés par un indivisaire seul, qu’il s’agisse d’un usufruit, d’un droit d’usage ou encore d’une charge affectant le bien indivis. Tant que le partage n’est pas intervenu, ces actes demeurent précaires et soumis à l’incertitude quant à l’attribution définitive du bien concerné. Si le bien revient au constituant du droit réel, l’acte est validé rétroactivement, conférant aux tiers le bénéfice de la situation créée. En revanche, si le bien est attribué à un autre copartageant, ces droits s’éteignent automatiquement, privant les bénéficiaires de toute prétention sur le bien.

Ainsi, toute constitution de droit réel sur un bien indivis réalisée sans l’accord des coïndivisaires demeure incertaine jusqu’au partage. Cette situation expose les tiers à un risque non négligeable, notamment lorsqu’ils acquièrent un droit grevant le bien sans s’assurer de l’identité du futur attributaire. Il en résulte une nécessité pour les parties prenantes de prendre en compte cette instabilité juridique avant de contracter.

2. Le maintien des actes régulièrement accomplis au nom de l’indivision

Contrairement aux actes passés unilatéralement par un indivisaire, ceux qui ont été régulièrement accomplis conformément aux règles de gestion de l’indivision conservent toute leur efficacité après le partage. L’effet déclaratif du partage, qui emporte rétroactivité quant aux droits des copartageants, n’a pas vocation à remettre en cause les actes qui ont été passés avec l’accord de l’ensemble des indivisaires ou qui ont été autorisés selon les règles légales en vigueur.

a. Le maintien des actes passés avec l’accord unanime des indivisaires

Lorsqu’un acte a été conclu avec le consentement de tous les indivisaires, il demeure pleinement valable après le partage, indépendamment du lot dans lequel le bien concerné est finalement attribué. Cela signifie que l’attributaire du bien ne peut remettre en cause l’acte ou s’y soustraire.

Un exemple typique est celui du bail. Si tous les indivisaires ont donné leur accord pour louer un bien indivis, le locataire bénéficie d’un contrat stable, qui continue de produire ses effets après le partage. L’indivisaire qui reçoit le bien dans son lot est tenu de respecter ce bail et ne peut en contester la validité. La Cour de cassation a confirmé cette règle en jugeant qu’un bail signé avec l’accord de tous les indivisaires obligeait l’attributaire du bien à le respecter, même après la fin de l’indivision (Cass. 1re civ., 3 juin 1986).

Ce principe vise à sécuriser les engagements contractuels pris dans le cadre de l’indivision. Sans lui, les tiers contractants – comme les locataires – risqueraient de voir leurs droits remis en question en raison d’un simple changement d’attributaire après le partage. Grâce à cette règle, un locataire qui a contracté en toute bonne foi avec l’ensemble des indivisaires conserve ses droits, et le partage ne vient pas perturber les obligations nées d’un engagement collectif.

Ainsi, lorsqu’un acte est approuvé par tous les indivisaires, il est protégé contre les effets du partage et continue de s’imposer à celui qui reçoit le bien. Cette stabilité garantit la sécurité des transactions et protège les intérêts des tiers ayant contracté avec l’indivision.

b. Le maintien des garanties consenties collectivement

Lorsqu’une hypothèque est constituée avec l’accord unanime de tous les indivisaires, elle conserve sa pleine efficacité après le partage et continue de grever le bien attribué, sans que l’attributaire puisse en contester la validité. Cette solution, qui vise à garantir la sécurité des créanciers, est expressément consacrée par l’article 2414 du Code civil.

Ainsi, à la différence des hypothèques constituées par un seul indivisaire – qui peuvent être anéanties si le bien concerné est attribué à un autre copartageant –, celles qui ont été consenties collectivement restent en vigueur quelle que soit l’issue du partage. La Cour de cassation a d’ailleurs affirmé à plusieurs reprises que l’effet déclaratif du partage ne pouvait remettre en cause une hypothèque valablement consentie par l’ensemble des coïndivisaires (Cass. 3e civ., 7 mai 1986, n°87-13.947).

Ce principe garantit la stabilité des garanties constituées sur les biens indivis et préserve les intérêts des créanciers hypothécaires. Ces derniers ne peuvent voir leurs sûretés disparaître en raison de la répartition des biens entre copartageants. Une fois l’hypothèque consentie par tous les indivisaires, elle s’impose à celui qui reçoit le bien dans son lot et continue de le grever, évitant ainsi tout risque d’insécurité juridique pour les prêteurs.

Ainsi, le partage ne modifie en rien l’opposabilité des garanties collectivement consenties, assurant ainsi la continuité des engagements financiers liés aux biens indivis et protégeant les créanciers contre une remise en cause postérieure de leurs droits.

c. La préservation des actes passés en vertu d’un mandat ou d’une autorisation judiciaire

Au-delà des actes passés avec l’accord unanime des indivisaires, ceux réalisés en vertu d’un mandat ou d’une autorisation judiciaire conservent également toute leur efficacité après le partage. Lorsqu’un indivisaire a été mandaté par ses coïndivisaires pour accomplir un acte déterminé – qu’il s’agisse, par exemple, de vendre un bien, d’administrer un immeuble ou de contracter un bail – cet acte s’impose à l’ensemble des indivisaires et demeure pleinement valide après la répartition des biens. L’attributaire du bien concerné ne peut en remettre en cause la validité ni contester ses effets.

Il en va de même pour les actes réalisés sous autorisation judiciaire. Lorsqu’un juge a expressément autorisé un indivisaire à accomplir un acte sur un bien indivis – par exemple, céder un bien, consentir une hypothèque ou conclure un bail – cette autorisation s’impose à tous les coïndivisaires et ne saurait être remise en question après le partage. La Cour de cassation a ainsi jugé que l’attributaire d’un bien indivis ne pouvait contester un acte qui avait été valablement accompli en vertu d’une décision judiciaire (Cass. 1re civ., 15 mai 2002, n°00-18.798).

Ce régime vise à assurer la sécurité juridique des actes accomplis dans l’intérêt de l’indivision. Il empêche qu’un indivisaire, une fois devenu seul propriétaire d’un bien, remette en cause des décisions prises antérieurement dans le respect des règles légales. Cette règle protège non seulement les indivisaires eux-mêmes, mais aussi les tiers qui ont contracté avec l’indivision, en leur garantissant que les engagements pris en vertu d’un mandat ou d’une autorisation judiciaire ne seront pas remis en question par l’effet du partage.

d. Le maintien des actes d’administration pris à la majorité qualifiée

Depuis la réforme du 23 juin 2006, les règles de gestion de l’indivision ont été assouplies afin de permettre aux indivisaires de prendre certaines décisions sans nécessiter l’unanimité. Désormais, les actes d’administration et de gestion courante peuvent être décidés à la majorité des deux tiers des droits indivis. Cette faculté concerne notamment la conclusion de baux d’habitation de courte durée, l’entretien courant des biens indivis ou encore la réalisation de travaux nécessaires à leur conservation.

Lorsqu’un tel acte a été régulièrement adopté selon ces règles de majorité, il conserve toute son efficacité après le partage. L’attributaire du bien concerné est tenu de respecter les engagements qui ont été pris à la majorité qualifiée et ne peut s’y soustraire. Ainsi, si un bail d’habitation a été conclu par une décision prise aux deux tiers des droits indivis, le partage n’a pas pour effet d’en remettre en cause la validité, et le preneur peut continuer à occuper le bien aux conditions initialement convenues.

Ce principe vise à garantir la stabilité des décisions de gestion prises dans l’intérêt commun des indivisaires. Il empêche qu’un indivisaire, devenu seul propriétaire du bien après le partage, puisse remettre en question des engagements pris collectivement et validés par la majorité requise. Cette règle assure également une meilleure sécurité pour les tiers ayant contracté avec l’indivision, en leur garantissant que les décisions prises conformément aux dispositions légales continueront de produire leurs effets indépendamment du changement d’attributaire du bien concerné.

e. La protection des actes régulièrement conclus en indivision

L’article 883 du Code civil établit de manière explicite que les actes accomplis en vertu d’un mandat des coïndivisaires ou d’une autorisation judiciaire conservent leur pleine efficacité après le partage, indépendamment de l’attribution des biens concernés. Cette disposition vise à sécuriser les engagements pris dans le cadre de l’indivision et à éviter que la répartition des biens ne vienne remettre en cause des décisions prises dans un cadre collectif ou judiciaire.

En effet, l’objectif fondamental de cette règle est de garantir la stabilité des transactions et d’assurer la continuité des actes passés régulièrement au nom de l’indivision. Ainsi, un contrat conclu sous mandat exprès des coïndivisaires ou une vente autorisée par le juge ne peuvent être contestés par l’attributaire du bien après le partage. Cette règle permet de prévenir toute remise en cause des décisions prises dans l’intérêt commun des indivisaires et d’éviter des situations d’incertitude juridique pour les tiers ayant contracté avec l’indivision.

Ainsi, l’effet déclaratif du partage ne s’applique qu’aux actes unilatéraux, qui demeurent soumis à l’aléa de l’attribution des biens. En revanche, les actes accomplis conformément aux règles de gestion de l’indivision sont préservés, assurant ainsi une continuité juridique et protégeant les intérêts des indivisaires comme ceux des tiers contractants. Cette distinction, qui repose sur un équilibre entre la liberté des indivisaires et la nécessité de sécuriser les engagements pris collectivement, participe à la cohérence du régime de l’indivision et à la stabilité des relations juridiques qui en découlent.

Le partage: effets

Le partage constitue l’acte par lequel se dissout l’indivision, opérant la transformation des droits indivis en droits pleinement privatifs. Qu’il intervienne dans le cadre d’une succession, d’une communauté conjugale dissoute, d’une société civile ou d’une simple indivision conventionnelle, le partage poursuit invariablement le même objectif: substituer à la propriété collective et indéterminée des indivisaires une répartition claire et définitive des biens ou des droits entre les co-indivisaires.

À première vue, ses effets paraissent simples : le droit indivis de chaque co-indivisaire se cristallise sur les biens ou droits qui lui sont attribués, lesquels deviennent alors sa propriété exclusive. Cette apparente simplicité dissimule toutefois des subtilités juridiques considérables lorsque l’on s’interroge sur la nature véritable de cette attribution. De qui le copartageant tient-il sa propriété exclusive ? De l’ensemble des co-indivisaires, par l’effet d’un transfert de droits, ou bien détenait-il déjà, de manière latente, la propriété des biens qui lui sont attribués, le partage ne faisant que révéler cet état de fait ?

C’est à cette question que répond le principe de l’effet déclaratif du partage, énoncé par l’article 883 du Code civil. Ce texte dispose que chaque copartageant est censé avoir été, dès l’origine de l’indivision, seul propriétaire des biens ou droits compris dans son lot. Ainsi, le partage n’est pas conçu comme un acte translatif créant des droits nouveaux, mais comme un acte déclaratif qui révèle la part individuelle de chaque co-indivisaire. Cette règle, qui confère au partage une portée rétroactive jusqu’au jour de la naissance de l’indivision, a pour vocation de consolider la sécurité juridique des transactions et de simplifier les régimes fiscaux applicables, en excluant notamment l’application des droits de mutation.

Toutefois, cette conception déclarative du partage n’est pas universellement admise. Si le droit français a opté pour cette voie depuis l’abandon de la conception translative issue du droit romain, certains systèmes juridiques étrangers, tels que le Code civil allemand (§ 2032 BGB) ou le Code civil suisse (art. 648 et 653), continuent d’y voir un acte translatif, tout en aménageant des règles spécifiques pour préserver l’équité entre les copartageants.

Cette exigence d’équité constitue le second effet du partage : la garantie des lots. Afin d’assurer une répartition équilibrée des biens et de protéger chaque copartageant contre les risques d’éviction ou les vices cachés affectant son lot, le droit impose aux co-indivisaires une obligation de garantie. Ce mécanisme, qui s’inspire du régime de la garantie dans les contrats synallagmatiques, s’applique indépendamment de la nature des biens partagés ou de la forme de l’indivision. Ainsi, si un co-indivisaire venait à être évincé d’un bien attribué lors du partage, les autres copartageants seraient tenus de réparer le préjudice subi, préservant ainsi l’équité inhérente à l’opération.

L’étude des effets du partage suppose donc d’analyser successivement le principe de l’effet déclaratif, qui structure la nature juridique du partage et organise la répartition rétroactive des biens, et le régime de la garantie des lots, qui incarne l’exigence d’équilibre et de protection des droits des copartageants. Cette double approche permet d’appréhender la complexité des mécanismes juridiques qui gouvernent le partage, quelle que soit la nature de l’indivision concernée.

§1: L’attribution de droits privatifs ou l’effet déclaratif du partage

I) Le principe de l’effet déclaratif

Le partage constitue l’acte par lequel s’opère la liquidation de l’indivision et l’attribution définitive des biens aux copartageants. Au-delà de cette simple répartition, il produit un effet juridique majeur: l’effet déclaratif, prévu par l’article 883 du Code civil. Ce principe implique que chaque copartageant est réputé avoir été, depuis l’ouverture de l’indivision, le seul propriétaire des biens qui lui sont attribués, effaçant rétroactivement la période d’indivision. Toutefois, pour éviter que cette rétroactivité n’entraîne des conséquences excessives, notamment au détriment des tiers de bonne foi ou de la stabilité des transactions, le législateur et la jurisprudence ont assorti ce principe de limites.

A) Les différentes conception du partage

1. La théorie de la fiction légale

La première interprétation, longtemps dominante, postule que l’effet déclaratif est une fiction légale, instaurée pour aplanir les inégalités qu’un partage strictement translatif pourrait engendrer. Le partage, dans cette perspective, est considéré comme un acte translatif de droits entre coindivisaires, où l’effet déclaratif ne serait qu’un habillage légal destiné à neutraliser certaines conséquences indésirables.

Cette approche puise ses racines dans le droit romain, où le partage était vu comme un acte translatif de propriété. Chaque indivisaire y était considéré comme titulaire d’une quote-part indivise sur chacun des biens composant l’actif indivis. Le partage s’analysait alors comme un véritable échange entre coindivisaires : chacun cédait ses droits indivis sur les biens qu’il n’obtenait pas en contrepartie de la pleine propriété des biens qui lui étaient attribués. Autrement dit, pour devenir propriétaire exclusif de certains biens, chaque indivisaire devait céder à ses coindivisaires ses droits sur les autres biens.

Cette conception du partage implique que chaque coindivisaire devient l’ayant-cause non seulement du de cujus (dans le cadre d’une succession) mais également de ses coindivisaires. Ce double lien engendre des conséquences juridiques et fiscales importantes.

Cette approche, toujours retenue par certains droits étrangers comme le droit allemand (BGB, § 2032 s.) et le droit suisse (Code civil suisse, art. 634), a toutefois été progressivement abandonnée en droit français en raison de ses nombreuses implications négatives.

La conception translative du partage engendre plusieurs difficultés majeures, tant sur le plan fiscal que sur le plan civil :

  • La soumission aux droits de mutation
    • En considérant que le partage réalise un transfert de propriété entre coindivisaires, cette analyse implique, en principe, l’application des droits de mutation à titre onéreux.
    • Or, ces droits fiscaux, souvent conséquents, viennent alourdir le coût du partage et peuvent dissuader les indivisaires de procéder à la liquidation de l’indivision.
  • Le maintien des charges grevant les biens attribués
    • Dans la logique translative, les actes accomplis par un coindivisaire pendant la période d’indivision – tels que les hypothèques ou les cessions de parts – continuent de produire effet après le partage, même si le bien en question est finalement attribué à un autre coindivisaire.
    • Ainsi, un copartageant peut se voir attribuer un bien grevé par une hypothèque consentie par un autre indivisaire, sans avoir été l’auteur de cet acte.
    • Certes, le copartageant lésé dispose d’un recours contre le coindivisaire ayant constitué l’hypothèque, mais ce recours est souvent illusoire, notamment en cas d’insolvabilité du débiteur.
    • Cela compromet l’équilibre et l’équité du partage.
  • Le risque d’inégalité entre copartageants
    • La conséquence directe de ces charges maintenues est l’introduction d’inégalités entre copartageants.
    • Un indivisaire peut hériter d’un bien lourdement grevé tandis qu’un autre reçoit un bien libre de toute charge, sans qu’aucun correctif ne soit automatiquement appliqué pour rétablir l’équité du partage.
  • L’absence de rétroactivité
    • Enfin, la conception translative ne reconnaît pas d’effet rétroactif au partage : la fin de l’indivision n’efface pas les actes accomplis pendant cette période.
    • Les charges et engagements contractés par les indivisaires restent donc pleinement opposables, ce qui aggrave encore les déséquilibres et expose les copartageants à des risques juridiques et financiers.

Certains systèmes juridiques étrangers, tout en conservant la nature translative du partage, ont introduit des mécanismes destinés à en atténuer les effets les plus préjudiciables :

En Allemagne, le Code civil (BGB, § 2040) exige l’accord unanime de tous les indivisaires pour la constitution de droits réels sur les biens indivis. Cette règle vise à éviter que des actes unilatéraux réalisés par un seul indivisaire affectent les biens communs.

En Suisse, les articles 648 et 653 du Code civil imposent des restrictions similaires, interdisant notamment les aliénations et les hypothèques sans le consentement de tous les indivisaires. Ces garanties renforcent la sécurité juridique des copartageants et limitent les risques liés aux actes translatifs.

Face aux inconvénients majeurs de la conception translative, il a progressivement été opéré un revirement jurisprudentiel et doctrinal en droit français. Dès le XVI? siècle, la jurisprudence des parlements français a amorcé ce changement en posant le principe selon lequel les biens attribués lors du partage devaient revenir aux copartageants « francs et quittes de toutes charges consenties par les autres héritiers ». Cette solution visait à préserver l’équité du partage et à éviter que les indivisaires n’héritent de dettes qu’ils n’avaient pas contractées.

Le Code civil de 1804 a consolidé cette évolution en consacrant, à l’article 883, alinéa 1??, le principe de l’effet déclaratif :

« Chaque cohéritier est censé avoir succédé seul et immédiatement à tous les effets compris dans son lot, ou à lui échus sur licitation, et n’avoir jamais eu la propriété des autres effets de la succession. »

Par cette disposition, le législateur français a pris le contrepied de la conception translative. Le partage n’est plus conçu comme un échange de droits entre coindivisaires, mais comme une opération révélant rétroactivement la propriété exclusive des biens attribués à chaque copartageant.

Cependant, certains auteurs ont vu dans cette consécration du principe de l’effet déclaratif une simple fiction légale, destinée à masquer la nature fondamentalement translative du partage. Selon cette lecture, l’article 883 du Code civil ne ferait qu’instaurer une présomption irréfragable : en affirmant que chaque cohéritier est «censé avoir succédé seul et immédiatement», le texte instituerait une pure fiction, visant à simplifier les opérations de partage et à contourner les conséquences indésirables du transfert de propriété.

Pour ces auteurs, le législateur aurait ainsi choisi de recourir à un artifice technique pour écarter les droits de mutation, neutraliser les charges grevant les biens et garantir l’équité entre copartageants, sans pour autant remettre en cause la nature translatrice du partage. Ce choix, bien que pragmatique, entretiendrait une forme d’ambiguïté juridique.

La théorie de la fiction légale n’a pas échappé aux critiques. De nombreux auteurs ont souligné les incohérences qu’elle engendre et les incertitudes juridiques qui en résultent :

  • Incohérences fiscales : la fiction légale rend difficile la détermination des règles fiscales applicables, notamment en matière de droits de mutation ou de plus-values.
  • Insécurité patrimoniale : les praticiens se trouvent confrontés à des difficultés dans l’interprétation des actes accomplis pendant l’indivision, notamment concernant les hypothèques et autres sûretés.
  • Complexité procédurale : la coexistence de la fiction légale et des réalités patrimoniales alourdit les procédures et multiplie les situations litigieuses.

Ces critiques ont conduit la doctrine et la jurisprudence à favoriser progressivement une conception réaliste de l’effet déclaratif, selon laquelle le partage ne constitue pas une fiction, mais l’expression naturelle de la structure du droit indivis. Cette approche, aujourd’hui largement majoritaire, considère que le partage ne transfère pas de droits entre coindivisaires, mais se contente de révéler ceux qui existaient depuis l’origine.

2. La conception réaliste

En réaction aux limites et aux incohérences révélées par la théorie de la fiction légale, la doctrine contemporaine a progressivement fait émerger une conception plus cohérente et fidèle à la nature du partage : la conception réaliste de l’effet déclaratif. Cette approche, aujourd’hui largement consacrée par la jurisprudence française, rejette l’idée que l’effet déclaratif soit un simple artifice juridique destiné à corriger les défauts d’un partage translatif. Elle y voit, au contraire, l’expression directe et naturelle de la structure juridique du partage. Dans cette optique, le partage ne réalise aucun transfert de propriété entre les indivisaires, mais se borne à révéler et à individualiser les droits préexistants de chacun.

La conception réaliste repose sur l’idée fondamentale que les indivisaires ne détiennent pas des droits concrets et distincts sur chaque bien de la masse indivise, mais un droit global et abstrait sur l’ensemble de l’indivision. Tant que le partage n’a pas été réalisé, ce droit indivis est flottant : il s’exerce sur la masse indivise dans sa globalité, sans se fixer sur des biens particuliers.

Le partage intervient alors comme un acte déclaratif et non translatif : il n’opère aucun transfert de propriété entre les coindivisaires, mais délimite l’assiette matérielle des droits de chacun. Dès lors, chaque copartageant est réputé avoir été, depuis l’origine de l’indivision, le seul propriétaire des biens qui composent son lot. Il s’agit d’une révélation des droits existants et non d’une création ou d’une mutation juridique.

Cette lecture trouve son fondement doctrinal dans les écrits de Planiol et Ripert qui qualifient le partage d’« acte déclaratif par nature ». De même, F. Terré et Y. Lequette soulignent que « le partage cristallise les droits des coindivisaires sans en modifier la substance ». Ces auteurs insistent sur le fait que le partage n’est ni un contrat d’échange ni un acte translatif, mais bien un mécanisme révélateur des droits originels.

L’adoption de cette analyse réaliste de l’effet déclaratif emporte des conséquences notamment en matière patrimoniale, fiscale et procédurale.

  • Première conséquence
    • L’une des premières conséquences de cette conception est l’exclusion des droits de mutation à titre onéreux.
    • Puisque le partage ne procède pas à un transfert de propriété mais se borne à révéler les droits préexistants des indivisaires, il échappe aux règles fiscales applicables aux cessions de biens.
    • Le législateur a consacré ce principe à l’article 883 du Code civil, limitant les charges fiscales à des frais de partage, généralement moins lourds que les droits de mutation.
  • Deuxième conséquence
    • L’autre implication majeure réside dans la protection des copartageants contre les actes réalisés par leurs coindivisaires pendant l’indivision.
    • Dans la conception réaliste, si un indivisaire constitue une hypothèque sur un bien indivis et que ce bien est finalement attribué à un autre copartageant lors du partage, l’hypothèque est automatiquement anéantie.
    • Le coindivisaire qui a grevé le bien n’était pas, en réalité, propriétaire du bien attribué à autrui, et l’acte est donc considéré comme accompli a non domino.
    • À l’inverse, si le bien est attribué à celui qui avait constitué l’hypothèque, celle-ci est consolidée rétroactivement.
    • Ce mécanisme permet de garantir l’équité du partage et protège chaque copartageant contre les conséquences des actes unilatéraux réalisés par d’autres indivisaires pendant la période d’indivision.
  • Troisième conséquence
    • La conception réaliste est intimement liée au principe de rétroactivité du partage.
    • En révélant les droits préexistants de chaque copartageant, le partage opère rétroactivement ses effets à la date d’ouverture de l’indivision.
    • Cela signifie que chaque indivisaire est réputé avoir toujours été propriétaire exclusif des biens qui composent son lot.
    • Toutefois, cette rétroactivité connaît certaines limites, destinées à préserver la sécurité juridique et les droits des tiers.
    • L’article 883, alinéa 3, du Code civil précise ainsi que « les actes valablement accomplis, soit en vertu d’un mandat des coindivisaires, soit en vertu d’une autorisation judiciaire, conservent leurs effets quelle que soit, lors du partage, l’attribution des biens qui en ont fait l’objet ».
    • Ce tempérament permet d’éviter que des tiers contractants de bonne foi soient lésés par les conséquences du partage.

B) La conception retenue en droit français

Après avoir oscillé entre les différentes théories, le droit français a finalement consacré la conception réaliste du partage. Loin de n’être qu’un simple compromis théorique, cette approche repose sur une articulation subtile entre deux notions connexes mais juridiquement distinctes : d’une part, le caractère déclaratif du partage, qui révèle les droits préexistants des indivisaires sans opérer de transfert de propriété ; d’autre part, sa rétroactivité, qui fait remonter les effets du partage à la date d’ouverture de l’indivision.

Si le partage est reconnu comme un acte purement déclaratif, révélant les droits préexistants de chaque indivisaire, la rétroactivité, quant à elle, constitue une modalité d’application qui, bien que prévue par la loi, est sujette à des tempéraments destinés à protéger les tiers et assurer la sécurité juridique.

1. Distinction entre le caractère déclaratif et la rétroactivité

Pour mémoire; l’article 883 du Code civil prévoit que « chaque cohéritier est censé avoir succédé seul et immédiatement à tous les effets compris dans son lot, ou à lui échus sur licitation, et n’avoir jamais eu la propriété des autres effets de la succession. »

Ce texte consacre la logique selon laquelle le partage ne transfère pas de droits entre coindivisaires, mais révèle les droits qui existaient depuis l’origine. Le copartageant est donc réputé avoir été, dès le jour de l’ouverture de l’indivision, propriétaire exclusif des biens qui composent son lot.

Toutefois, cet effet déclaratif s’accompagne d’une rétroactivité : les effets du partage sont réputés remonter au jour de l’ouverture de l’indivision, effaçant juridiquement la période intermédiaire durant laquelle les biens étaient indivis. Cette rétroactivité permet de neutraliser les actes accomplis pendant l’indivision qui seraient contraires aux droits définitifs des copartageants.

Cependant, il est essentiel de bien distinguer deux notions fondamentales qui structurent le régime du partage :

  • Le caractère déclaratif du partage : il s’agit d’un acte qui se borne à révéler et préciser les droits préexistants des coindivisaires sans opérer de transfert de propriété. Le partage n’a donc pas de vocation translative : il détermine simplement l’assiette concrète des droits de chacun.
  • La rétroactivité du partage : il s’agit d’une modalité d’application du caractère déclaratif. La rétroactivité permet de faire remonter les effets du partage à la date d’ouverture de l’indivision, effaçant juridiquement la période intermédiaire et considérant que chaque copartageant a toujours été titulaire exclusif des biens finalement attribués dans son lot.

Cette distinction est loin d’être purement théorique. La doctrine a souligné que la rétroactivité, si elle était appliquée de manière absolue, pourrait engendrer des risques d’insécurité juridique, notamment en remettant en cause des droits acquis ou en affectant les intérêts des tiers de bonne foi.

Certains auteurs, à l’instar de P. Hébraud ont plaidé pour une limitation de cette rétroactivité dans les situations où elle pourrait compromettre la stabilité juridique, notamment lorsqu’elle remet en cause des actes accomplis en toute légalité pendant la période d’indivision.

2. Tempéraments à la rétroactivité

Conscient des conséquences potentiellement excessives d’une rétroactivité absolue, le législateur français a introduit des mécanismes destinés à équilibrer la protection des coindivisaires et celle des tiers.

==>Les aménagements prévus par la loi

L’article 883, alinéa 3, du Code civil apporte un premier tempérament important :

« Les actes valablement accomplis soit en vertu d’un mandat des coindivisaires, soit en vertu d’une autorisation judiciaire, conservent leurs effets quelle que soit, lors du partage, l’attribution des biens qui en ont fait l’objet. »

Cette disposition permet de sécuriser les actes nécessaires à la gestion de l’indivision.

Par exemple :

  • Si un bien indivis est vendu par un mandataire commun, l’acte de vente conserve sa pleine validité, quel que soit le lot attribué lors du partage.
  • De même, si un juge autorise la constitution d’une hypothèque sur un bien indivis pour financer des travaux urgents, cette hypothèque subsistera même si le bien est finalement attribué à un indivisaire différent de celui qui a sollicité l’autorisation.

Ce mécanisme garantit ainsi la continuité des droits des tiers qui auraient contracté avec l’indivision, tout en évitant qu’un partage ultérieur ne vienne remettre en cause des actes accomplis en toute légalité.

==>La protection des tiers de bonne foi

La jurisprudence a, elle aussi, contribué à affiner l’application de l’effet déclaratif et de sa rétroactivité. Les juges ont systématiquement cherché à préserver la sécurité juridique, en protégeant les tiers de bonne foi contre les effets destructeurs d’une rétroactivité pure et dure.

Ainsi, il a été reconnu que certains actes accomplis par des coindivisaires pendant l’indivision — même en l’absence de mandat ou d’autorisation judiciaire — pouvaient produire leurs effets si :

  • Le tiers contractant était de bonne foi, et
  • L’acte était conforme aux règles d’administration des biens indivis.

Par exemple, si un indivisaire cède temporairement l’usage d’un bien indivis à un tiers et que ce bien est ensuite attribué à un autre copartageant lors du partage, le contrat pourra subsister jusqu’à son terme si le tiers ignorait la situation d’indivision et agissait de bonne foi.

==>Les aménagements conventionnels

Enfin, le droit français permet aux coindivisaires, dans le cadre d’un partage amiable, d’introduire des clauses dérogatoires au principe de la rétroactivité. Les indivisaires peuvent ainsi convenir que certains actes passés continueront à produire leurs effets ou que la rétroactivité sera limitée pour des raisons de commodité ou de stratégie patrimoniale.

Cette faculté permet de renforcer la sécurité juridique des opérations patrimoniales et d’adapter le régime du partage aux besoins spécifiques des indivisaires.

II) Le domaine de l’effet déclaratif

L’effet déclaratif du partage, posé par l’article 883 du Code civil, repose sur une fiction juridique selon laquelle chaque copartageant est réputé avoir toujours été propriétaire exclusif des biens qui lui sont attribués, tout en n’ayant jamais eu de droits sur ceux échus à ses coindivisaires. Ce principe, qui exclut toute idée de transmission de droits entre indivisaires, vise à garantir l’égalité entre les copartageants et à préserver la sécurité juridique des actes accomplis sur les biens indivis avant leur attribution définitive.

Si l’effet déclaratif s’applique traditionnellement au partage successoral, il ne se limite pas à cette hypothèse. Il régit également les partages de communauté conjugale, les partages d’indivision conventionnelle ou encore la liquidation des sociétés dans les cas où les associés se partagent les biens sociaux. Toutefois, son domaine d’application est encadré : il convient d’en préciser les limites, tant au regard des actes concernés que des biens susceptibles d’être soumis à ce régime, ainsi que les tempéraments qu’il connaît, notamment pour la protection des tiers.

A) Domaine quant aux actes

1. Le partage proprement dit

a. L’indifférence de la nature du partage

L’effet déclaratif du partage concerne tout partage successoral, qu’il soit amiable ou judiciaire, global ou partiel. Cette application découle directement de l’insertion de l’article 883 au sein du titre des successions du Code civil, affirmant ainsi son champ d’application privilégié aux partages successoraux.

Cependant, ce principe ne se limite pas aux successions et s’étend aux partages de communauté en vertu du renvoi opéré par l’article 1476 du Code civil. Cette disposition aligne expressément les règles du partage de communauté sur celles du partage successoral, permettant ainsi d’appliquer sans difficulté l’effet déclaratif (V. Cass. 1re civ., 2 mai 2001, n° 99-10.515).

Le partage des biens indivis entre époux séparés de biens bénéficie également de cette extension législative. Bien que la jurisprudence ait initialement refusé d’appliquer les règles du partage successoral aux partages opérés après séparation de biens (Cass. civ., 9 mars 1965), la loi du 11 juillet 1975 a unifié le régime du partage des biens indivis entre époux séparés de biens avec celui des successions (art. 1542 C. civ.). Il en résulte que ces partages bénéficient pleinement de l’effet déclaratif, ce que la jurisprudence a confirmé par la suite (Cass. 1re civ., 5 avr. 2005, n° 02-11.011).

L’effet déclaratif s’applique également au partage de l’actif social, dès lors que la liquidation de la société est engagée. En effet, l’article 1844-9, alinéa 2, du Code civil prévoit l’application des règles du partage successoral aux partages de sociétés. Toutefois, cette assimilation n’est possible qu’à condition qu’il s’agisse bien d’un véritable partage et non d’une réduction de capital par répartition de biens sociaux (Cass. com., 23 sept. 2008, n°07-12.493).

Enfin, l’application de l’article 883 du Code civil ne se limite pas aux partages successoraux ou conjugaux et concerne toute indivision, qu’il s’agisse d’un partage d’un bien indivis acquis par plusieurs personnes (Cass. req., 28 avr. 1840) ou d’un partage d’un ensemble patrimonial constituant une universalité (Cass. 1re civ., 24 mars 1981).

b. L’indifférence des modalités du partage

Le principe de l’effet déclaratif du partage s’attache à tout partage définitif, qu’il soit total ou partiel (Cass. 1re civ., 26 févr. 1975, n°73-10.146). En d’autres termes, ce qui importe n’est pas l’étendue du partage mais le fait qu’il mette un terme à l’indivision, en fixant définitivement les droits privatifs des copartageants sur les biens répartis. Dès lors, les modalités d’attribution des lots sont indifférentes : l’effet déclaratif ne varie ni en fonction du mécanisme d’allotissement, ni selon la nature de la répartition opérée.

Aussi, le partage peut s’effectuer selon plusieurs procédés, sans que cela n’altère son effet déclaratif :

  • Le tirage au sort, qui constitue une méthode ordinaire d’attribution des lots lorsque les copartageants n’ont pas convenu d’une répartition amiable. Il a été jugé que le fait d’attribuer les biens selon un tirage au sort n’ôtait en rien au partage son caractère déclaratif (Cass. soc., 3 oct. 1958).
  • L’attribution préférentielle, qui permet à un indivisaire d’obtenir un bien particulier en raison d’un intérêt spécifique (par exemple, l’attribution du logement familial au conjoint survivant). La jurisprudence a confirmé que l’effet déclaratif s’applique également à ces attributions spécifiques, lesquelles sont réputées exister depuis l’origine de l’indivision (CA Paris, 10 févr. 1977).
  • Le droit de retour légal, qui permet à certains héritiers de récupérer des biens précédemment donnés par le défunt. L’effet déclaratif du partage s’étend également à ce mécanisme, de sorte que l’héritier bénéficiaire du droit de retour est censé n’avoir jamais perdu la propriété du bien en cause (Cass. 1re civ., 28 févr. 2018, n°17-12.040).

La question se pose avec acuité lorsqu’un partage est accompagné du versement d’une soulte, c’est-à-dire lorsqu’un copartageant reçoit un lot d’une valeur supérieure à sa part théorique et doit indemniser les autres en conséquence. L’on aurait pu estimer que la soulte confère au partage un caractère translatif, en ce que le copartageant bénéficiant d’un lot excédentaire en nature l’acquerrait en contrepartie d’une compensation financière versée aux autres. Toutefois, la jurisprudence a adopté une approche radicalement opposée.

En effet, les lots et les soultes sont considérés comme issus de la masse indivise et non des copartageants entre eux. Ainsi, même lorsqu’un indivisaire perçoit une soulte, il n’est pas juridiquement en situation d’acquérir une part supplémentaire à ses coindivisaires ; il se voit simplement allouer un lot dont il est réputé propriétaire depuis l’origine, la soulte n’étant qu’un ajustement financier (Cass. 1re civ., 28 févr. 2018, n°17-12.040).

Ce raisonnement est fondamental en pratique, car il empêche toute remise en cause rétroactive des droits sur les biens attribués. Par exemple, un bien immobilier inclus dans un lot assorti d’une soulte est censé avoir toujours appartenu à l’indivisaire attributaire, et ce, depuis l’ouverture de la succession ou de l’indivision initiale. Il en résulte notamment :

  • L’absence de taxation comme une mutation : en droit fiscal, les partages avec soulte échappent au régime des mutations à titre onéreux lorsqu’ils s’inscrivent dans une indivision successorale ou conjugale (CGI, art. 748).
  • L’inopposabilité des créanciers des coindivisaires : puisqu’il n’y a pas eu transmission entre les indivisaires, un créancier hypothécaire ne saurait revendiquer un droit de gage sur le bien attribué à un copartageant, même si celui-ci avait des dettes avant le partage.
  • L’imputation des garanties et des servitudes : en raison de l’effet rétroactif du partage, les droits réels grevant un bien suivent l’attributaire de manière continue, comme si celui-ci en avait toujours été propriétaire.

c. L’exclusion du partage provisionnel

Le partage provisionnel se distingue du partage définitif en ce qu’il ne met pas fin à l’indivision, mais organise temporairement la jouissance des biens indivis. Par conséquent, il ne peut bénéficier de l’effet déclaratif qui s’attache aux partages définitifs. Cette exclusion découle de la nature même du partage provisionnel, lequel se borne à répartir l’usage des biens sans en modifier la répartition patrimoniale.

A cet égard, l’effet déclaratif du partage repose sur l’idée que chaque indivisaire est censé avoir toujours été propriétaire des biens qui lui sont attribués. Or, cette logique est incompatible avec le partage provisionnel, qui ne détermine pas définitivement l’attribution des biens, mais se limite à aménager leur utilisation pendant la durée de l’indivision.

Ainsi :

  • Le partage provisionnel ne transfère aucun droit privatif définitif : il ne fait que répartir l’occupation ou l’exploitation des biens entre les indivisaires, sans leur attribuer une propriété exclusive.
  • Les attributions restent réversibles : contrairement au partage définitif, où chaque indivisaire devient rétroactivement propriétaire de son lot, le partage provisionnel n’a pas vocation à cristalliser des droits patrimoniaux définitifs.
  • L’indivision persiste intégralement : aucun des biens ne cesse d’être indivis, ce qui empêche la fixation des droits privatifs exigée pour l’effet déclaratif (Cass. civ., 28 juill. 1947).

Dès lors, appliquer l’effet déclaratif à un partage provisionnel reviendrait à définitivement établir des droits sur un bien alors que le partage lui-même reste réversible, ce qui serait contraire à l’économie du régime de l’indivision.

Aussi, la jurisprudence a toujours refusé d’appliquer l’effet déclaratif au partage provisionnel. La Cour de cassation l’a notamment affirmé en jugeant que le partage provisionnel ne constitue qu’une organisation temporaire de l’indivision, sans incidence sur la propriété des biens (Cass. 1re civ., 26 févr. 1975). La doctrine est également unanime : un partage n’a d’effet déclaratif que s’il met fin à l’indivision et opère une répartition irrévocable des biens.

A titre d’illustration, les conventions d’indivision temporaire conclues entre les indivisaires, qui visent à organiser l’exploitation des biens pour une durée déterminée, n’entraînent aucune modification des droits de propriété des parties. Ces conventions permettent uniquement de fixer les modalités d’usage des biens, sans véritablement réaliser l’attribution de droits réels.

À cet égard, l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 13 octobre 2004 (Cass. 3e civ., 13 oct. 2004, n° 03-12.968) illustre parfaitement la distinction entre un véritable partage et un simple aménagement conventionnel. En l’espèce, il s’agissait d’une cession de droits indivis sur un fonds de commerce, incluant un droit au bail, opérée entre deux coïndivisaires preneurs. Les bailleurs prétendaient que cette cession constituait une mutation soumise aux formalités prévues par le contrat de bail, à savoir l’exigence d’un accord exprès du bailleur.

Or, la Cour de cassation a rejeté cet argument, en affirmant que tout acte mettant fin à une indivision est un partage. En l’espèce, la cession de droits indivis réalisée entre coïndivisaires ne constituait pas une mutation ordinaire mais bien un partage, bénéficiant de l’effet déclaratif prévu par l’article 883 du Code civil. Par conséquent, le copartageant attributaire des droits cédés était censé en être propriétaire depuis l’origine de l’indivision, et les formalités de cession exigées par le contrat de bail n’étaient pas applicables.

Cet arrêt vient ainsi rappeler que l’effet déclaratif ne peut être reconnu qu’aux actes mettant un terme définitif à l’indivision. En revanche, les conventions d’indivision temporaire, qui organisent simplement l’usage des biens indivis, restent en dehors de ce régime. Elles ne modifient en rien les droits des indivisaires et ne peuvent être assimilées à un partage, qu’il soit amiable ou judiciaire.

L’exclusion de l’effet déclaratif a également des conséquences en matière fiscale. Contrairement à un partage définitif, qui entraîne une individualisation des droits et peut générer des conséquences fiscales spécifiques (droits de partage, taxation des soultes, etc.), le partage provisionnel est neutre fiscalement. Puisqu’il ne modifie pas les droits de propriété, il n’est pas assimilé à une mutation et ne déclenche donc pas d’imposition comme le ferait un partage définitif (V. CGI, art. 747 et 748, sur la taxation des partages définitifs).

Un autre corollaire de l’exclusion de l’effet déclaratif concerne les sûretés. Lorsqu’un indivisaire obtient un bien dans le cadre d’un partage définitif, les droits réels attachés au bien sont maintenus et les hypothèques, par exemple, suivent l’attributaire du bien. En revanche, dans un partage provisionnel, les créanciers ne peuvent se prévaloir d’une fixation définitive des droits de chaque indivisaire, ce qui leur interdit de revendiquer une hypothèque sur un bien qui aurait été temporairement attribué à un indivisaire.

De même, un indivisaire ne peut constituer une sûreté sur un bien qu’il détient à titre provisoire dans le cadre d’un partage provisionnel, puisque son droit d’usage n’implique pas un droit patrimonial définitif.

2. La licitation

L’opération de licitation, consistant à mettre aux enchères un bien indivis, constitue un mode de sortie de l’indivision dont les effets varient selon la qualité de l’adjudicataire. Lorsque l’adjudicataire est un indivisaire, la licitation produit un effet déclaratif, assimilable à une attribution classique dans un partage. En revanche, lorsque l’adjudication intervient au profit d’un tiers étranger à l’indivision, l’effet est translatisif, et l’opération est juridiquement assimilée à une vente.

a. La licitation au profit d’un indivisaire

L’article 883, alinéa 1er, du Code civil énoncé expressément le principe selon lequel un bien indivis adjugé à un coïndivisaire est réputé lui avoir toujours appartenu. La licitation au profit d’un indivisaire n’est donc pas une vente ordinaire : elle s’apparente à un partage et produit, à ce titre, un effet déclaratif.

Autrement dit, l’indivisaire adjudicataire est censé avoir toujours détenu le bien à titre exclusif, tandis que les autres indivisaires sont réputés n’avoir jamais eu de droits sur celui-ci, mais seulement sur la somme qui leur revient en contrepartie (Cass. 1re civ., 26 févr. 1975, n°73-10.146).

L’effet déclaratif attaché à la licitation s’impose indépendamment des circonstances entourant son déroulement.

Ainsi :

  • Peu importe que l’adjudication soit amiable ou judiciaire : la licitation peut résulter d’un accord entre indivisaires ou être imposée par justice à la demande d’un créancier ou d’un indivisaire souhaitant sortir de l’indivision (Cass. req., 22 févr. 1881).
  • Peu importe que les enchères soient libres ou encadrées : l’effet déclaratif demeure inchangé, la licitation n’étant qu’un moyen d’évaluer la valeur du bien attribué au copartageant adjudicataire.
  • Peu importe la situation de l’adjudicataire : qu’il soit héritier pur et simple ou acceptant à concurrence de l’actif net, la licitation produit le même effet déclaratif (Cass. civ., 12 août 1839).

L’effet déclaratif trouve sa justification dans la nature même de la licitation au profit d’un indivisaire. En attribuant le bien licité à l’adjudicataire, l’opération produit un résultat identique à celui d’un partage ordinaire : elle met fin à l’indivision sur le bien concerné et attribue à chaque indivisaire une contrepartie équivalente à ses droits. Dès lors, la licitation, quelle qu’en soit la modalité, est traitée comme un partage avec soulte (Cass. 1re civ., 14 mai 2014, n° 13-10.830).

Dans ce schéma, l’indivisaire adjudicataire conserve les droits réels qu’il a pu constituer sur le bien licité avant l’opération. En revanche, les droits réels constitués par les autres indivisaires, désormais privés de tout droit sur le bien, sont réputés n’avoir jamais existé. C

L’assimilation à un partage de la licitation opérée au profit d’un copartageant n’est pas sans incidences en matière de sûretés :

  • Les droits réels constitués sur l’immeuble par l’adjudicataire demeurent valables, puisqu’il est censé en avoir toujours été propriétaire (Cass. 1re civ., 26 avr. 1955).
  • En revanche, ceux établis par les indivisaires ayant reçu le prix de licitation tombent rétroactivement, car ils sont réputés n’avoir jamais eu de droits sur le bien.

Un cas particulier mérite d’être envisagé : celui de la licitation assortie d’une clause d’attribution. Cette clause, fréquemment insérée dans les cahiers des charges des ventes judiciaires, prévoit que si l’adjudicataire est un coïndivisaire, il ne sera pas immédiatement déclaré propriétaire du bien, mais celui-ci lui sera attribué lors du partage définitif.

À la différence d’une licitation ordinaire, cette stipulation empêche l’effet déclaratif de se produire immédiatement. Le bien demeure indivis jusqu’au partage, et l’adjudicataire ne peut ni en disposer librement, ni s’opposer à l’exercice des droits des autres indivisaires sur celui-ci (Cass. 1re civ., 4 mai 1983, n° 82-11.928). En conséquence, toute cession réalisée par l’adjudicataire avant le partage est inopposable aux autres indivisaires, qui conservent leur droit de regard sur le bien.

Ce mécanisme a également des implications en matière de lésion. Contrairement à un partage ordinaire, qui ouvre droit à une action en complément de part, une licitation avec clause d’attribution ne peut être contestée pour cause de lésion qu’au moment du partage définitif (Cass. 1re civ., 3 juin 1997, n°94-21.387).

Toutefois, l’effet déclaratif redevient pleinement opérant dès lors que la clause est exécutée, c’est-à-dire lorsque l’attributaire du bien règle le prix aux autres indivisaires et entre en possession du bien. Dans ce cas, l’opération est assimilée à un partage partiel, et l’adjudicataire est réputé avoir toujours été propriétaire exclusif du bien (Cass. 1re civ., 21 févr. 1989, n° 87-16.287).

Enfin, le prix versé par l’adjudicataire aux autres indivisaires n’est pas une simple contrepartie financière : il prend la nature d’une soulte. Dès lors, il est soumis aux règles applicables aux créances issues d’un partage, notamment en matière de revalorisation (Cass. 1re civ., 14 mai 2014, n° 13-10.830). Si le paiement du prix est différé, la somme due aux coïndivisaires subit les ajustements prévus par l’article 828 du Code civil.

En outre, cette créance ne peut être assimilée à un bien indivis, de sorte que les sûretés prises sur l’immeuble par les coïndivisaires non adjudicataires tombent, tandis que celles constituées par l’adjudicataire sont maintenues. Cette solution découle de la nature même de l’effet déclaratif, qui opère une reconstitution rétroactive des droits de propriété (Cass. civ., 26 avr. 1955).

b. La licitation au profit d’un tiers

Lorsqu’un bien indivis est adjugé à un tiers étranger à l’indivision, la licitation perd son effet déclaratif et revêt la nature d’une vente classique. Contrairement à la licitation au profit d’un indivisaire, qui s’analyse comme un partage partiel avec rétroactivité, la licitation à un tiers opère un transfert de propriété entre les indivisaires et l’adjudicataire, conformément aux règles ordinaires de la vente (Cass. civ., 14 mars 1950).

Ce changement de qualification emporte des conséquences majeures sur les droits et obligations des parties, notamment en matière de garanties, d’enregistrement et d’opposabilité aux tiers.

En premier lieu, l’adjudication réalisée au profit d’un tiers entraîne un transfert immédiat de propriété. Dès l’adjudication, le bien quitte le patrimoine indivis pour entrer dans celui de l’acquéreur. Ce transfert doit être publié au service de la publicité foncière afin d’être opposable aux tiers, conformément aux règles applicables aux mutations immobilières (Décret n° 55-22 du 4 janvier 1955, art. 28 et 30).

En conséquence :

  • L’adjudicataire acquiert le bien directement des coïndivisaires, et non par transmission successorale (Cass. civ., 7 juin 1899).
  • L’acte doit être publié pour être opposable aux tiers et garantir l’efficacité du transfert (Cass. civ., 14 mars 1950).
  • Les droits des créanciers inscrits sur le bien sont maintenus, mais peuvent faire l’objet d’une purge par l’adjudicataire (Cass. civ., 2 juill. 1925).

Dès lors que la licitation a un effet translatif, elle échappe à la rétroactivité attachée au partage. L’adjudicataire est un acquéreur ordinaire, qui achète un bien aux indivisaires sans bénéficier des prérogatives d’un héritier (Cass. civ., 14 mars 1950). À ce titre, il peut purger les hypothèques inscrites sur le bien, sans avoir à se soucier de leur éventuelle disparition par effet déclaratif (Cass. civ., 2 juill. 1925).

En deuxième lieu, dans le cadre d’une licitation à un tiers, les indivisaires sont tenus aux obligations ordinaires des vendeurs. À ce titre, ils doivent garantir à l’adjudicataire :

  • La garantie d’éviction et des vices cachés (Cass. soc., 19 févr. 1959). L’acquéreur doit être protégé contre toute revendication ultérieure portant atteinte à sa propriété, ainsi que contre les défauts cachés du bien.
  • L’obligation de délivrance conforme, qui impose aux indivisaires de remettre le bien dans l’état convenu lors de l’adjudication.
  • L’obligation de paiement du prix, l’adjudicataire pouvant être poursuivi en cas de non-paiement par une action en résolution de la vente (art. 1654 C. civ.).

La licitation au profit d’un tiers étant une vente et non un partage, elle est soumise à la rescision pour lésion de plus de sept douzièmes (art. 1674 C. civ.), qui permet à un vendeur de demander l’annulation de la vente si le prix est manifestement insuffisant. En revanche, l’adjudication ne peut être contestée sur le fondement de l’action en complément de part prévue en matière de partage (art. 889 C. civ.).

En troisième lieu, bien que la licitation emporte un effet translatif vis-à-vis de l’adjudicataire, elle conserve dans les rapports entre coïndivisaires la nature d’une opération préliminaire au partage. Ce n’est pas la licitation elle-même qui opère le partage, mais la répartition ultérieure du prix d’adjudication entre les indivisaires (Cass., ch. réun., 5 déc. 1907).

En d’autres termes :

  • Le bien indivis est vendu, mais la créance du prix de vente remplace l’immeuble dans la masse successorale.
  • Ce n’est qu’au moment du partage du prix que s’applique l’effet déclaratif : l’indivisaire auquel est attribué tout ou partie du prix est réputé avoir toujours détenu cette somme à titre exclusif.
  • Les sûretés constituées sur le bien avant la licitation continuent d’exister sur la créance du prix, sauf purge exercée par l’acquéreur (Cass. civ., 2 juill. 1925).

Cette situation emportent des conséquences en matière d’hypothèques:

  • Si un indivisaire a hypothéqué sa part dans le bien indivis avant la licitation, son créancier pourra exercer son droit de préférence sur sa quote-part dans la créance d’adjudication.
  • Si l’effet déclaratif était appliqué directement à la licitation, le prix aurait été attribué à un seul coïndivisaire, faisant disparaître rétroactivement les droits des autres indivisaires, ce qui aurait lésé les créanciers (Cass. civ., 14 déc. 1887).

La jurisprudence a donc précisé que l’effet déclaratif ne peut s’appliquer qu’au moment du partage du prix et non au moment de la vente du bien (Cass., ch. réun., 5 déc. 1907). Cela signifie que, jusqu’au partage, chaque indivisaire conserve un droit indivis sur la créance du prix de vente, et peut demander sa quote-part avant que l’attribution finale ne soit fixée.

En dernier lieu, lorsque la licitation est réalisée au profit d’un indivisaire et d’un tiers, les effets de l’adjudication sont partagés entre ces deux logiques :

  • Pour la part attribuée à l’indivisaire, l’effet déclaratif s’applique : il est réputé avoir toujours détenu sa part du bien.
  • Pour la part attribuée au tiers, l’effet translatif s’impose : il acquiert la propriété du bien par l’effet d’un transfert ordinaire de droits réels (Cass. civ., 23 juill. 1912).

Ce système peut soulever des difficultés pratiques, notamment en matière de garanties. La Cour de cassation a ainsi précisé que l’hypothèque légale du vendeur, prise par les coïndivisaires pour garantir le paiement du prix de licitation, n’est pas opposable aux créanciers personnels de l’héritier adjudicataire (Cass. civ., 23 juill. 1912).

3. Les autres actes mettant fin à l’indivision

L’effet déclaratif du partage ne s’attache pas exclusivement aux opérations qualifiées de partage stricto sensu. Il s’étend à tout acte ayant pour conséquence de mettre un terme à l’indivision, dès lors que celui-ci aboutit à l’allotissement d’un indivisaire. Issu de la loi du 31 juillet 1976 l’article 883, alinéa 2, du Code civil confère explicitement un effet déclaratif à “tout autre acte ayant pour effet de faire cesser l’indivision”. Ainsi, au-delà du partage et de la licitation, plusieurs opérations peuvent revêtir ce caractère.

a. Les cessions de droits indivis entre indivisaires

i. Principe

La cession de droits indivis entre coïndivisaires a toujours été assimilée à une opération de partage, dès lors qu’elle met fin à l’indivision en ce qui concerne le cédant. Dès le XIXe siècle, la jurisprudence a reconnu que de telles cessions devaient bénéficier de l’effet déclaratif (Req. 3 mars 1807). Cette assimilation repose sur la logique même du partage : l’indivisaire cessionnaire est réputé avoir toujours été seul propriétaire des droits cédés, tandis que le cédant est censé avoir toujours détenu, en contrepartie, la somme perçue en paiement.

L’analogie avec le partage est encore plus évidente lorsque la cession est effectuée à titre onéreux. Dans ce cas, elle aboutit à un allotissement semblable à celui réalisé par une licitation ou un partage avec soulte. Le cessionnaire reçoit la part indivise du cédant en échange d’une somme d’argent, ce qui s’analyse à une opération de liquidation de l’indivision. Pour cette raison, la jurisprudence considère que l’effet déclaratif a pleinement vocation à jouer pour ces opérations (Cass. 1re civ., 4 nov. 2020, n° 19-13.267).

Cependant, l’application de l’effet déclaratif suppose que la cession porte bien sur des droits indivis. Si les droits cédés ne sont pas indivis, l’effet déclaratif ne peut être invoqué. Ainsi, lorsqu’un usufruitier cède ses droits aux nus-propriétaires, alors même qu’aucune indivision n’existe entre eux, la cession est une simple mutation patrimoniale et ne saurait être assimilée à un partage (Cass. 1re civ., 1er juill. 1986, n°85-10.780).

ii. Exceptions

Bien que la cession de droits indivis entre coïndivisaires bénéficie en principe de l’effet déclaratif, certaines situations échappent à cette règle.

==>L’exclusion des cessions à titre gratuit

La jurisprudence refuse de reconnaître un effet déclaratif aux cessions de droits indivis réalisées à titre gratuit. La raison en est simple : l’absence de contrepartie prive l’opération de la logique d’allotissement inhérente au partage.

Contrairement à une licitation ou à un partage avec soulte, où les indivisaires bénéficient d’une compensation en valeur, une donation entraîne une transmission patrimoniale unilatérale, sans redistribution équitable des droits successoraux. Dès lors, elle est considérée comme une mutation translative et non comme un partage.

==>La cession à un tiers

Autre exception notable, la cession de droits indivis à un tiers ne produit pas d’effet déclaratif dans les rapports entre les indivisaires et l’acquéreur. Une telle opération revêt la nature d’une véritable vente et non d’un partage.

L’acquéreur, étant étranger à l’indivision, n’est pas réputé avoir toujours été propriétaire des droits cédés. Toutefois, l’effet déclaratif peut s’appliquer entre les indivisaires eux-mêmes, sous réserve que le prix de la cession soit réparti entre eux selon leurs droits respectifs.

Dans cette hypothèse, la cession amiable d’un bien indivis à un tiers est assimilée à une licitation dans ses effets entre les coïndivisaires, mais elle conserve un effet translatif vis-à-vis de l’acquéreur (Cass. civ. 7 févr. 1949).

b. La vente amiable d’un bien indivis à un coïndivisaire

La vente d’un bien indivis à l’un des coïndivisaires, réalisée avec l’accord de l’ensemble des indivisaires, constitue une illustration notable de l’extension de l’effet déclaratif. Bien qu’elle prenne la forme d’une vente, cette opération est assimilée à un partage en raison de son résultat : l’indivisaire acquéreur devient pleinement propriétaire du bien, tandis que les autres indivisaires perçoivent une somme d’argent en contrepartie de leur renonciation à leurs droits indivis.

Ainsi, dans sa finalité, cette vente équivaut à une attribution dans le cadre d’un partage avec soulte. Par conséquent, elle doit être traitée comme un partage et bénéficie de l’effet déclaratif. Cela signifie que l’indivisaire acquéreur est réputé avoir toujours été propriétaire du bien, tandis que le prix payé aux autres indivisaires est assimilé à une soulte destinée à compenser la perte de leurs droits sur le bien vendu.

Cette analyse est d’autant plus justifiée lorsque l’acquéreur rachète l’intégralité des droits indivis portant sur un bien déterminé. Dans ce cas, l’indivision prend fin pour ce bien, ce qui justifie pleinement l’application de l’effet déclaratif. L’indivisaire acquéreur est alors censé en avoir toujours été le seul propriétaire, comme si ce bien lui avait été attribué lors d’un partage formel.

Cette approche, consacrée par la jurisprudence, a été renforcée par l’article 883 du Code civil dans sa rédaction issue de la réforme de 1976. Le texte n’exige plus que l’opération mette fin à l’ensemble de l’indivision, mais uniquement à celle portant sur le bien concerné. Ainsi, l’effet déclaratif s’applique même si d’autres biens indivis subsistent dans la masse successorale.

c. L’application de l’effet déclaratif aux actes partiels et aux conversions de droits

Avant la réforme de 1976, l’effet déclaratif du partage était strictement encadré. Il ne s’appliquait qu’aux actes mettant définitivement fin à l’indivision dans son ensemble et exigeait la participation de tous les indivisaires. Cette approche rigide a été vivement critiquée par la doctrine, qui estimait injustifié de refuser l’effet déclaratif à des actes ayant précisément pour objet de substituer des droits privatifs à une appropriation collective.

La réforme entreprise par la loi du 31 décembre 1976 a profondément modifié cette approche en supprimant l’exigence d’une extinction totale de l’indivision. Désormais, un acte peut bénéficier de l’effet déclaratif dès lors qu’il met fin à l’indivision sur certains biens ou entre certains indivisaires. Il en résulte que même un partage partiel, c’est-à-dire un partage ne portant que sur une partie des biens indivis, est aujourd’hui doté de l’effet déclaratif. Il en va de même lorsqu’un indivisaire rachète les parts de ses coïndivisaires sur un bien spécifique : dans ce cas, l’indivision prend fin uniquement sur ce bien, mais l’effet déclaratif s’applique tout de même.

La reconnaissance de l’effet déclaratif s’étend également aux actes mettant fin à l’indivision entre un usufruitier et un nu-propriétaire. Tel est le cas lorsque l’usufruit est converti en rente viagère, opération qui transforme la jouissance temporaire du bien en un droit patrimonial d’une autre nature. La jurisprudence considère désormais qu’une telle conversion est assimilable à un partage et doit donc bénéficier de l’effet déclaratif.

De la même manière, la conversion d’un usufruit en pleine propriété est traitée comme une opération de partage. Elle ne se limite pas à une simple modification du mode de détention du bien, mais entraîne une véritable mutation juridique, justifiant l’application de l’effet déclaratif. L’usufruitier converti en propriétaire est ainsi réputé l’avoir toujours été, et les droits éventuels qu’il avait pu consentir en tant qu’usufruitier s’éteignent rétroactivement.

B) Domaine quant aux biens

L’effet déclaratif du partage et des actes qui lui sont assimilés embrasse une large catégorie de biens, qu’ils soient corporels ou incorporels. Il s’applique aux biens qui étaient inclus dans l’indivision et à ceux qui, par subrogation, leur sont substitués. Cependant, certaines difficultés d’application se sont posées, notamment en ce qui concerne les créances héréditaires, les créances issues de la licitation d’un bien indivis et les créances relevant d’indivisions autres que successorales.

1. L’application générale de l’effet déclaratif aux biens de l’indivision

L’effet déclaratif du partage, tel que consacré par l’article 883 du Code civil, ne distingue ni la nature ni la qualification juridique des biens concernés. Il s’étend indistinctement aux meubles et immeubles, ainsi qu’aux biens incorporels, pourvu qu’ils aient fait partie de l’indivision et qu’ils aient fait l’objet d’un partage, d’une licitation ou de tout acte ayant mis fin à l’indivision. Cette règle, qui découle directement du principe selon lequel chaque copartageant est réputé avoir toujours été propriétaire exclusif des biens qui lui sont échus, a été largement consacrée tant par la doctrine que par la jurisprudence (Cass. 3e civ., 24 mars 1981, n°79-14.083). Toutefois, certaines limitations, tenant soit à la nature spécifique des biens, soit à des dispositions légales particulières, méritent d’être relevées.

a. L’application indifférenciée aux biens corporels et incorporels

Le domaine de l’effet déclaratif couvre l’ensemble des biens indivis, qu’ils soient corporels ou incorporels, dès lors qu’ils font l’objet d’un partage ou d’une licitation. La loi ne distingue pas entre les catégories de biens et consacre ainsi une application uniforme de cette règle, quelle que soit leur nature.

==>Les biens corporels

L’article 883 du Code civil trouve à s’appliquer aux biens corporels, qu’ils soient meubles ou immeubles. Ainsi, les immeubles faisant partie de l’indivision et attribués à un copartageant lors du partage sont réputés lui avoir toujours appartenu. Ce principe s’applique également aux meubles indivis, qui sont également soumis à l’effet déclaratif. La jurisprudence a eu l’occasion de rappeler ce caractère indifférencié de l’effet déclaratif en précisant que tout bien corporel intégré à un partage doit être considéré comme ayant toujours appartenu à son attributaire dès l’origine (Cass. 1re civ., 6 nov. 1967).

==>Les biens incorporels

L’effet déclaratif du partage ne se limite pas aux seuls biens matériels. Il s’étend également aux biens incorporels, pourvu qu’ils aient été inclus dans l’indivision et attribués à un copartageant. Cette extension a notamment été consacrée par la jurisprudence en matière de fonds de commerce où il a été jugé que l’attribution d’un fonds indivis à un coindivisaire lors du partage entraîne l’effet déclaratif, le rendant rétroactivement propriétaire exclusif du fonds.

Dans le même esprit, la doctrine considère que l’effet déclaratif couvre également les créances dépendant d’une indivision, dans la mesure où celles-ci constituent un élément du patrimoine indivis (Cass. req., 7 août 1860). Cependant, cette application aux créances n’a pas toujours été admise sans réserve, et certaines décisions ont pu restreindre son champ en fonction de la nature des créances concernées (V. ci-après).

b. Les limites de l’effet déclaratif : exceptions et restrictions

Si l’effet déclaratif du partage présente un caractère général, certaines restrictions s’imposent en raison soit de la nature des biens concernés, soit de dispositions légales spécifiques qui viennent limiter son application.

==>L’exclusion des fruits et revenus des biens indivis

Un premier tempérament réside dans l’exclusion des fruits et revenus produits par les biens indivis avant le partage. Contrairement aux biens eux-mêmes, ces produits ne sont pas soumis à l’effet déclaratif et restent la propriété des indivisaires en proportion de leurs droits sur l’indivision. La Cour de cassation a affirmé en ce sens que l’effet déclaratif du partage ne s’applique pas aux fruits et revenus perçus avant la cessation de l’indivision et a censuré une décision qui avait attribué à certains copartageants la totalité des fermages échus avant le partage, au motif qu’ils étaient devenus propriétaires des biens loués (Cass. 1re civ., 10 mai 2007, n° 05-12.031)).

Dans cette affaire, un bien indivis donné à bail rural avant le partage avait généré des fermages dont les attributaires du bien avaient revendiqué la perception exclusive, en se prévalant de l’effet déclaratif du partage. La cour d’appel avait accueilli cette demande, considérant que l’attribution du bien leur conférait rétroactivement la qualité de propriétaires exclusifs et les habilitait à percevoir seuls les loyers dus pour les périodes antérieures au partage. La Cour de cassation a censuré cette analyse en rappelant que l’effet déclaratif ne saurait conférer rétroactivement à un indivisaire l’exclusivité des fruits et revenus produits avant la fin de l’indivision. Ces revenus conservent leur caractère indivis jusqu’au partage et doivent être répartis entre tous les indivisaires en fonction de leurs droits respectifs.

Ainsi, lorsqu’un bien indivis a généré des revenus avant son attribution à un copartageant, ces produits ne peuvent être réputés lui avoir toujours appartenu. Ils doivent être partagés entre tous les indivisaires, proportionnellement à leurs quotes-parts, sans que le partage ne puisse produire un effet rétroactif sur leur répartition.

==>L’exclusion légale de certains biens spécifiques

Certaines catégories de biens échappent à l’application de l’article 883 du Code civil en raison de dispositions législatives particulières. Tel est le cas, par exemple, en matière de brevets d’invention. L’article L. 613-30 du Code de la propriété intellectuelle exclut expressément l’application de l’effet déclaratif aux situations de copropriété d’un brevet ou d’une demande de brevet, en instaurant un régime spécifique à la matière. Cette disposition traduit la volonté du législateur de soumettre la gestion des brevets à un régime plus strict, distinct de celui du droit commun de l’indivision.

D’autres domaines spécifiques peuvent également donner lieu à des exceptions, en fonction des règles particulières qui leur sont applicables. Il conviendra donc, avant d’invoquer l’effet déclaratif, de s’assurer que la législation propre à chaque type de bien ne prévoit pas de disposition dérogatoire.

==>La prise en compte des soultes et compensations

Si l’effet déclaratif du partage ne s’étend pas aux fruits et revenus, il s’applique en revanche aux soultes versées entre copartageants. Une soulte, qui constitue une somme versée en compensation d’un lot excédentaire, est réputée avoir toujours appartenu à son bénéficiaire. Cette règle a été posée dès le XIX? siècle par la Cour de cassation, qui a admis que même une soulte versée sur les deniers propres de l’un des copartageants bénéficie de l’effet déclaratif (Cass. req., 7 août 1860).

Ainsi, si un indivisaire reçoit un bien d’une valeur supérieure à sa quote-part et qu’il compense cette inégalité par le versement d’une soulte à un autre copartageant, cette soulte est réputée avoir toujours fait partie du patrimoine de son bénéficiaire. Ce principe vise à garantir la cohérence de l’effet déclaratif et à éviter que le partage ne soit requalifié en opération translative.

2. Cas particuliers

a. Les créances héréditaires

La question de l’application de l’effet déclaratif du partage aux créances héréditaires a longtemps divisé doctrine et jurisprudence, en raison de l’apparente contradiction entre deux règles fondamentales du droit successoral. D’un côté, l’article 1309 du Code civil (ancien article 1220) prévoit que les créances successorales se divisent de plein droit entre les cohéritiers en proportion de leur part dans la succession. De l’autre, l’article 883 du même code instaure un effet déclaratif du partage, selon lequel chaque copartageant est réputé avoir toujours été propriétaire exclusif des biens qui lui sont attribués.

À l’origine, la jurisprudence appliquait strictement l’article 1309 et considérait que les créances successorales étaient divisées entre les héritiers dès l’ouverture de la succession, les excluant ainsi de l’indivision et du champ d’application de l’effet déclaratif (Cass. req., 23 févr. 1864). Cette approche signifiait que chaque cohéritier pouvait revendiquer immédiatement sa part individuelle sur la créance et l’exercer indépendamment des autres. Le débiteur de la succession pouvait également opposer la compensation à hauteur de la part de chaque héritier (Cass. req., 9 nov. 1847).

Toutefois, cette position s’est révélée insatisfaisante, car elle privait l’effet déclaratif du partage d’une grande partie de sa portée en ce qui concerne les créances. Un héritier pouvait, avant le partage, céder ou faire saisir sa quote-part de créance, ce qui compromettait l’égalité entre les copartageants. La jurisprudence a donc progressivement évolué vers une application distributive des deux articles, aboutissant à la célèbre décision des chambres réunies de la Cour de cassation dans l’arrêt Chollet contre Dumoulin du 5 décembre 1907 (Cass. ch. réunies, 5 déc. 1907).

Cet arrêt opère une distinction selon le moment où l’on se place. Avant le partage, l’article 1309 s’applique dans les rapports entre les héritiers et les débiteurs successoraux. Chaque héritier peut alors exercer sa part de la créance, et le débiteur peut se libérer en réglant chaque cohéritier individuellement. Il peut également opposer une compensation pour toute dette qu’il détient à l’égard d’un héritier, sans que cette compensation puisse être remise en cause par le partage ultérieur (Cass. req., 25 févr. 1864). Cette solution repose sur la double nature du droit de créance : il est à la fois un lien de droit (vinculum juris) entre le créancier et le débiteur, et un bien faisant partie du patrimoine du créancier.

Une fois le partage consommé, l’article 883 prend le pas et s’applique exclusivement dans les rapports entre cohéritiers. La créance indivise est alors attribuée en totalité à un copartageant, qui est réputé l’avoir toujours possédée en exclusivité. Dès lors, les actes accomplis par d’autres indivisaires sur cette créance deviennent inopposables à son attributaire, sauf s’ils ont été régulièrement exécutés avant le partage (Cass. req., 13 janv. 1909). Ainsi, un cohéritier ne peut plus, après le partage, revendiquer une part sur une créance qui a été attribuée à un autre. Il en va de même pour une cession de créance consentie par un indivisaire seul avant le partage : elle est inopposable à l’attributaire final de la créance (Cass. req., 2 juin 1908).

Cette articulation entre les deux articles permet d’assurer un équilibre entre les droits des cohéritiers et les exigences de sécurité juridique. L’article 1309 garantit que chaque héritier puisse faire valoir ses droits sur les créances successorales tant que l’indivision subsiste, sans être tributaire de l’inaction des autres indivisaires. En revanche, une fois le partage réalisé, l’effet déclaratif de l’article 883 permet d’éviter que des actes de disposition antérieurs ne viennent compromettre l’égalité entre copartageants. Cette solution est aujourd’hui largement admise par la doctrine.

b. L’effet déclaratif sur la créance du prix d’adjudication d’un bien indivis

L’effet déclaratif du partage ne se limite pas aux biens matériels présents dans l’indivision. Il s’étend également aux créances qui en sont issues, notamment la créance résultant du prix d’adjudication d’un immeuble indivis vendu par licitation à un tiers. Dans ce cas, l’adjudication équivaut à une vente, et l’immeuble licité cesse de faire partie de l’indivision, tandis que la créance de prix qu’il génère vient s’y substituer et entre dans l’actif successoral à partager. Une fois le partage réalisé, cette créance peut être répartie entre tous les copartageants, ou bien être attribuée en totalité à l’un d’eux.

Une question essentielle a été soulevée quant à la portée de l’effet déclaratif dans ce contexte : l’attributaire de la créance doit-il être considéré comme ayant été le seul propriétaire du bien depuis son entrée dans l’indivision, et donc comme étant le seul vendeur au regard des tiers, ou bien tous les indivisaires doivent-ils être regardés comme ayant participé à la vente ? L’enjeu de la réponse à cette question est fondamental, car il touche au sort des droits réels que certains indivisaires auraient pu consentir sur l’immeuble avant la licitation. En effet, si seul l’attributaire final de la créance est réputé rétroactivement propriétaire, les droits réels accordés par d’autres indivisaires avant la licitation pourraient être anéantis. À l’inverse, si tous les indivisaires sont considérés comme ayant participé à la vente, ces droits réels devraient être reportés sur leur part du prix d’adjudication.

Initialement, la Cour de cassation avait retenu une interprétation stricte de l’effet déclaratif, en considérant que seul l’attributaire de la créance devait être regardé comme ayant été propriétaire du bien et donc comme ayant procédé à la vente (Cass. civ., 18 juin 1834). Cette solution conduisait à l’anéantissement des droits réels constitués par d’autres indivisaires sur l’immeuble licité. Toutefois, cette position a été abandonnée au profit d’une approche fondée sur la subrogation réelle. Désormais, la créance du prix d’adjudication est assimilée au bien vendu, et l’effet déclaratif du partage ne remet pas en cause les sûretés qui ont pu être constituées sur l’immeuble pendant l’indivision (Cass. civ., 21 juin 1904). Il en résulte que si un indivisaire a hypothéqué l’immeuble avant la licitation, cette hypothèque ne disparaît pas avec la vente, mais est reportée sur la part du prix d’adjudication qui lui revient dans le partage.

L’arrêt Chollet contre Dumoulin, rendu par les chambres réunies de la Cour de cassation le 5 décembre 1907, a consacré cette évolution en affirmant que, si la licitation doit être considérée comme une vente à l’égard de l’adjudicataire lorsqu’il est un tiers, elle constitue dans les rapports entre cohéritiers une simple opération préparatoire au partage. Dès lors, la créance du prix d’adjudication est soumise aux mêmes règles que l’immeuble qu’elle remplace. Ainsi, si un héritier est tenu à un rapport en moins prenant et que la créance du prix est attribuée à ses cohéritiers en compensation du rapport dû, cet héritier est réputé n’avoir jamais eu de droit sur cette créance. Il en découle que ses créanciers personnels ne peuvent exercer de droit de préférence sur le prix d’adjudication, puisqu’ils ne disposent pas de plus de droits que leur débiteur dans la masse successorale (Cass., ch. réunies, 5 déc. 1907).

Cette solution se justifie par la combinaison de l’effet déclaratif du partage et du principe de la subrogation réelle. En effet, dès lors que l’immeuble est remplacé par une créance de prix, il est logique que toute sûreté constituée sur ce bien soit reportée sur la somme d’argent qui lui succède. Cette position a été confirmée par la jurisprudence moderne, qui admet que l’hypothèque consentie sur un bien indivis par un indivisaire seul est reportée, en cas de vente, sur la fraction du prix qui lui est attribuée dans le partage (Cass. com., 20 juin 1995, n° 93-10.331).

L’admission de la subrogation réelle atténue ainsi la portée absolue de la rétroactivité du partage. En effet, bien que l’article 883 du Code civil établisse une présomption selon laquelle chaque copartageant est réputé avoir toujours été propriétaire des biens de son lot, la prise en compte de la situation de la masse indivise au jour du partage permet de préserver les droits des tiers ayant acquis des garanties sur ces biens avant leur attribution définitive.

c. L’extension de l’effet déclaratif aux créances issues d’indivisions non successorales

L’effet déclaratif du partage ne se limite pas aux successions. Il s’étend aux créances issues d’autres formes d’indivision, notamment l’indivision post-communautaire. Dans ce cadre, la jurisprudence a longtemps refusé d’appliquer l’article 1309 du Code civil, considérant que tant que la communauté n’était pas liquidée, les créances communes ne pouvaient être divisées entre les époux (Cass. req., 18 oct. 1893). Toutefois, cette position a évolué, et il est désormais admis que chaque époux peut réclamer sa part de créance sans attendre le partage. Dans un arrêt du 10 février 1981, la Cour de cassation a, en effet, jugé que, dès la dissolution de la communauté, chacun des époux est investi d’un droit personnel sur les valeurs qui en dépendent et peut, à ce titre, demander individuellement le règlement de sa quote-part dans les créances communes (Cass. 1re civ., 10 févr. 1981, n° 79-12.765).

Dans cette affaire, à l’occasion de la liquidation d’une communauté dissoute par divorce, l’une des parties revendiquait le droit d’agir seule en recouvrement de créances qui avaient appartenu à la communauté. Son ancien conjoint contestait cette possibilité, soutenant que tant que la liquidation n’avait pas été achevée, les droits de chacun des époux restaient incertains, excluant ainsi toute division automatique des créances. La Cour d’appel avait néanmoins condamné le débiteur des créances litigieuses à verser directement à l’épouse sa part correspondant à la moitié du montant dû, au motif qu’elle détenait des droits sur les valeurs de la communauté.

Saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation a validé cette approche, énonçant que la dissolution de la communauté confère immédiatement à chacun des époux un titre leur permettant de réclamer leur part des créances communes, sans attendre le partage. Ce faisant, la Haute juridiction a admis que la créance, bien qu’encore incluse dans la masse indivise au stade de la liquidation, pouvait être partiellement mobilisée par chacun des ex-époux, consacrant ainsi une autonomie certaine dans l’exercice des droits patrimoniaux post-communautaires.

Par cette décision, la Cour de cassation a confirmé que la dissolution de la communauté entraîne la division des créances entre les époux et leur permet d’en revendiquer le paiement, indépendamment de l’achèvement de la liquidation et du partage.

Cette reconnaissance d’un droit propre à chaque indivisaire sur une créance dès la dissolution ne remet toutefois pas en cause l’application du principe de l’effet déclaratif du partage. Si, dans leurs rapports avec les tiers, les indivisaires peuvent faire valoir leur part de créance indépendamment du partage, il en va différemment dans les relations internes à l’indivision. En effet, une fois le partage intervenu, l’attribution d’une créance à un indivisaire emporte l’effet rétroactif prévu par l’article 883 du Code civil, impliquant qu’il est réputé l’avoir toujours détenue. Cette conséquence, qui marque une rupture avec la logique de division immédiate des créances, permet de garantir la stabilité des attributions patrimoniales et d’uniformiser le régime des créances successorales et post-communautaires.

Dans les rapports entre indivisaires, ces créances sont ainsi soumises à l’article 883 du Code civil et bénéficient de l’effet déclaratif. Un indivisaire qui se voit attribuer une créance dans le partage est réputé en avoir été le titulaire exclusif depuis l’origine, ce qui a pour effet de priver ses coïndivisaires de tout droit rétroactif sur celle-ci. En conséquence, les actes de disposition accomplis avant le partage par un autre indivisaire sur la créance, tels qu’une cession ou une saisie, peuvent lui être inopposables (Cass. req., 2 juin 1908).

III) Les conséquences de l’effet déclaratif

Le partage judiciaire, loin d’être une simple opération de répartition des biens indivis, constitue un acte aux conséquences juridiques majeures. Parmi celles-ci, l’effet rétroactif du partage occupe une place centrale, traduisant la fiction selon laquelle chaque copartageant est réputé n’avoir jamais eu de droits sur les biens attribués aux autres et avoir toujours été seul propriétaire de ceux qui lui sont échus. Cette rétroactivité, bien que fondamentale, ne s’exerce toutefois pas de manière absolue : elle se heurte à des limites destinées à garantir la sécurité juridique et la stabilité des relations contractuelles.

Ainsi, si l’effet rétroactif du partage peut anéantir certains actes passés par les indivisaires avant la répartition définitive des biens, il peut aussi, à l’inverse, en confirmer la validité, selon que ces actes sont ou non conformes aux attributions résultant du partage. Cette dualité se reflète tant dans les rapports entre les copartageants eux-mêmes que dans leurs relations avec les tiers. Dès lors, il convient d’analyser les implications de cet effet rétroactif, en mettant en lumière ses principes fondamentaux, ses limites et les solutions dégagées par la jurisprudence afin d’assurer un équilibre entre la logique déclarative du partage et les impératifs de préservation des droits acquis.

A) Conséquences générales

1. Effet rétroactif du partage

L’effet rétroactif du partage constitue l’une des principales manifestations de son effet déclaratif. Il repose sur la fiction selon laquelle chaque copartageant est réputé n’avoir jamais eu de droits sur les biens attribués aux autres et avoir toujours été seul propriétaire de ceux qui lui sont échus.

Ce principe, destiné à garantir l’égalité du partage, entraîne des conséquences majeures tant dans les rapports entre copartageants que dans leurs relations avec les tiers. Toutefois, cette rétroactivité n’est pas absolue et connaît plusieurs limites visant à préserver la sécurité juridique et la stabilité des relations contractuelles.

a. Le principe de la rétroactivité

L’effet rétroactif du partage trouve sa justification dans l’objectif d’assurer une répartition égalitaire des biens indivis en effaçant toute trace de l’indivision initiale. Il permet ainsi d’établir une continuité fictive entre l’attributaire d’un bien et la période antérieure au partage, en lui conférant la qualité de propriétaire unique dès l’origine de l’indivision.

i. Dans les rapports entre indivisaires

L’un des principaux effets de la rétroactivité du partage réside dans son incidence sur les actes accomplis par les indivisaires avant l’attribution définitive des biens. Ce mécanisme opère un double effet : il valide certains actes et en anéantit d’autres, selon qu’ils sont ou non conformes à la répartition opérée par le partage.

Ainsi, lorsqu’un indivisaire a conclu un bail sur un bien indivis, cet acte est confirmé si le bien lui est attribué lors du partage. La fiction de la rétroactivité lui confère en effet la qualité de propriétaire exclusif depuis l’ouverture de l’indivision, rendant ainsi son engagement pleinement opposable aux tiers. En revanche, si ce bien échoit à un autre copartageant, ce dernier pourra invoquer la rétroactivité du partage pour considérer que le bail a été consenti par une personne dépourvue de titre et en demander l’annulation (Cass. req., 2 juin 1908).

Ce principe s’étend également aux sûretés constituées sur les biens indivis. Ainsi, une hypothèque consentie par un indivisaire seul, sans l’accord des autres, est frappée de caducité dès lors que le bien est attribué à un autre copartageant. Ce dernier, en sa qualité de propriétaire réputé de toujours, peut s’opposer aux droits des tiers ayant contracté avec un indivisaire n’ayant pas qualité pour agir seul (Cass. civ., 18 juin 1834).

Toutefois, l’effet rétroactif du partage connaît des limites. Les actes accomplis avec le consentement unanime des indivisaires ou en vertu d’une autorisation judiciaire conservent leur validité, quel que soit le résultat du partage. Par exemple, une hypothèque constituée par l’ensemble des indivisaires demeure pleinement opposable après le partage, même si le bien grevé est attribué à un seul copartageant (Cass. 1re civ., 20 nov. 1990, n° 89-13.876).

ii. Dans les rapports avec les tiers

L’effet rétroactif du partage ne se limite pas aux relations entre indivisaires ; il s’étend également aux rapports avec les tiers, notamment en ce qui concerne la computation des délais nécessaires à l’exercice de certains droits.

==>Le droit de reprise du bailleur

L’effet rétroactif du partage peut avoir des conséquences importantes en matière locative, notamment en permettant à l’attributaire d’un bien indivis d’exercer immédiatement certains droits attachés à la propriété.

Un exemple peut être trouvé dans l’exercice du droit de reprise du bailleur, qui lui permet de récupérer un bien loué pour l’occuper lui-même. En principe, la loi impose qu’un propriétaire justifie d’une durée minimale de détention avant de pouvoir exercer ce droit. Toutefois, lorsque le bien concerné était indivis et est attribué à un copartageant lors du partage, celui-ci est réputé l’avoir possédé dès l’origine de l’indivision. Dès lors, la durée d’indivision s’ajoute à sa période de détention, lui permettant d’exercer immédiatement son droit de reprise, sans avoir à attendre l’écoulement d’un délai supplémentaire (Cass. soc., 3 oct. 1958).

Cette solution a été étendue aux sociétés immobilières. Lorsque des indivisaires héritent d’un bien appartenant à une société dissoute, ils peuvent se prévaloir de l’effet rétroactif du partage pour justifier du délai de détention requis et ainsi exercer leur droit de reprise. Toutefois, cette rétroactivité ne peut être poussée à l’extrême: elle ne saurait faire remonter artificiellement la propriété du bien à une période antérieure à celle où la société elle-même en était propriétaire (Cass. soc., 30 juin 1955).

Ainsi, l’effet rétroactif du partage, bien qu’utile pour faciliter l’exercice de certains droits, connaît des limites qui empêchent toute manipulation artificielle de la chronologie des droits de propriété.

==>L’exercice du droit de préférence

L’effet rétroactif du partage revêt une importance particulière lorsqu’un bien indivis est assorti d’un droit de préférence. Ce mécanisme, qui permet aux anciens propriétaires de se voir accorder un droit prioritaire en cas de revente, voit son titulaire désigné par l’attribution des lots lors du partage.

Ainsi, lorsqu’un bien indivis a été cédé avec une clause de préférence stipulée au profit des coïndivisaires, seul celui auquel ce bien est attribué lors du partage pourra exercer ce droit. Il devient l’unique bénéficiaire de cette prérogative, même si elle avait initialement été consentie à l’ensemble des indivisaires. La Cour de cassation a confirmé cette solution en jugeant que l’indivisaire devenu seul propriétaire d’un bien à l’issue du partage est le seul habilité à revendiquer un droit de préférence stipulé antérieurement par l’ensemble des indivisaires (Cass. 1re civ., 14 janv. 1981).

Ce raisonnement découle directement de la fiction selon laquelle l’attributaire du bien est censé l’avoir toujours possédé. Par conséquent, tous les droits attachés à ce bien, y compris ceux qui avaient été négociés collectivement par les indivisaires avant le partage, se trouvent concentrés entre ses seules mains. Cette solution garantit la cohérence du régime de l’effet déclaratif en assurant une pleine continuité entre la propriété du bien et les droits qui lui sont afférents.

b. Les limites de la rétroactivité

Si l’effet rétroactif du partage constitue une règle de principe, il ne revêt pas un caractère absolu. Afin de préserver la sécurité juridique et d’éviter des conséquences excessives, certaines restrictions viennent tempérer son application. Ces limitations concernent notamment les fruits et revenus produits avant le partage, la préservation des actes régulièrement accomplis en période d’indivision et l’inopposabilité des causes de suspension de la prescription.

i. L’exclusion des fruits et revenus perçus avant le partage

L’effet rétroactif du partage ne s’étend pas aux fruits et revenus générés par les biens indivis avant leur attribution définitive à un copartageant. Contrairement aux biens eux-mêmes, ces produits demeurent la propriété collective des indivisaires et doivent être répartis entre eux en fonction de leurs droits respectifs sur l’indivision.

Ainsi, un indivisaire qui reçoit, lors du partage, un bien générateur de revenus ne saurait prétendre, au nom de la rétroactivité, à l’appropriation exclusive des loyers, fermages ou autres produits perçus avant l’attribution. Ceux-ci doivent être répartis entre tous les indivisaires jusqu’au jour du partage effectif. La Cour de cassation a consacré cette solution en jugeant qu’un indivisaire attributaire d’un bien rural donné à bail ne pouvait, seul, réclamer les fermages échus avant le partage, ceux-ci relevant encore de l’indivision jusqu’à la répartition définitive des biens (Cass. 1re civ., 10 mai 2007, n° 05-12.031).

ii. Le maintien des actes accomplis sous certaines conditions

Si l’effet rétroactif du partage peut conduire à l’anéantissement de certains actes passés sur un bien indivis, il ne saurait remettre en cause ceux qui ont été valablement accomplis dans des conditions garantissant la stabilité juridique. Deux situations se dégagent :

  • Les actes conclus avec l’accord unanime des indivisaires
    • Lorsqu’un acte de disposition ou de gestion a été consenti par l’ensemble des indivisaires, il conserve son plein effet après le partage, quel que soit l’attributaire final du bien.
    • Ainsi, si une hypothèque a été régulièrement consentie par tous les indivisaires sur un bien indivis, elle reste opposable à celui qui en devient propriétaire après le partage, sans que ce dernier puisse en contester la validité (Cass. 1re civ., 20 nov. 1990, n°89-13.876).
    • Cette règle vise à garantir la continuité des engagements pris collectivement pendant l’indivision et à éviter que le partage ne serve à éluder des obligations librement consenties.
  • Les actes autorisés par une décision judiciaire
    • De même, les actes accomplis sur autorisation judiciaire échappent à l’effet rétroactif du partage et demeurent opposables à l’attributaire du bien concerné.
    • Tel est le cas d’une aliénation ou d’une constitution de droits réels sur un bien indivis autorisée par le juge.
    • Une fois le partage réalisé, l’indivisaire qui reçoit ce bien ne peut prétendre remettre en cause ces actes, qui ont été légalement validés dans l’intérêt de l’indivision.
    • Ainsi, la sécurité juridique prime sur l’effet rétroactif lorsque l’acte a été consenti par tous les indivisaires ou imposé par une décision de justice.
    • Ce maintien des engagements pris sous certaines conditions permet d’éviter que le partage ne devienne un instrument de remise en cause systématique des droits des tiers ou des décisions prises dans l’intérêt de l’indivision.

iii. L’inopposabilité des causes de suspension de la prescription

L’effet rétroactif du partage ne peut conférer à un indivisaire, une fois le bien indivis définitivement attribué, le bénéfice des causes de suspension de la prescription propres à un autre coïndivisaire. Autrement dit, la rétroactivité du partage ne permet pas à l’attributaire d’un bien de se prévaloir d’une suspension de prescription qui aurait résulté de l’incapacité d’un autre indivisaire.

==>L’indivisaire ne peut invoquer une suspension de prescription qui ne lui est pas propre

Lorsqu’un tiers revendique un bien indivis qui, à l’issue du partage, est attribué à l’un des coïndivisaires, ce dernier ne peut contester la prescription acquise par le tiers en se fondant sur la minorité ou l’incapacité d’un autre indivisaire (Cass. civ., 2 déc. 1845, S. 1846). La prescription s’apprécie exclusivement à l’égard de l’attributaire du bien et ne saurait être suspendue du seul fait de l’incapacité d’un autre copartageant.

Ainsi, si un bien indivis fait l’objet d’une prescription acquisitive par un tiers, la suspension de cette prescription ne joue qu’en faveur de l’indivisaire frappé d’incapacité, et non au profit des autres coïndivisaires. Une fois le bien attribué dans le partage, l’attributaire ne peut donc invoquer la suspension dont bénéficiait un autre copartageant pour s’opposer à la revendication du tiers. Cette solution préserve la sécurité juridique en évitant qu’une incapacité personnelle n’affecte la situation juridique des autres indivisaires.

==>L’interruption de prescription par un indivisaire profite à tous

Toutefois, si un indivisaire a, avant le partage, accompli un acte interruptif de prescription, cette interruption s’étend à l’ensemble des coïndivisaires, y compris celui qui se verra ultérieurement attribuer le bien concerné. Ainsi, lorsqu’un indivisaire agit en justice pour interrompre la prescription d’un droit appartenant à l’indivision, cette action bénéficie à tous les indivisaires et demeure opposable au tiers, indépendamment de la répartition des biens opérée dans le partage.

Dès lors, si un indivisaire engage une action pour empêcher l’acquisition d’un bien indivis par prescription au profit d’un tiers, cette initiative préserve les droits de l’indivision et empêche la consolidation de la prescription, quel que soit l’attributaire final du bien. L’effet déclaratif du partage ne saurait priver les coïndivisaires des avantages résultant des démarches entreprises collectivement ou par l’un d’eux dans l’intérêt commun de l’indivision.

Cette distinction entre suspension et interruption de prescription illustre une limite essentielle à la rétroactivité du partage: celle-ci ne peut être invoquée pour bénéficier de droits qui n’étaient pas attachés à l’indivisaire concerné, mais elle ne fait pas obstacle aux actions entreprises pour la conservation du patrimoine indivis.

2. Exclusion des règles applicables aux actes translatifs

Le partage se distingue fondamentalement des actes translatifs de propriété en ce qu’il ne réalise pas un transfert de droits entre copartageants, mais se limite à constater l’attribution des biens à chacun d’eux, en fonction de leurs droits préexistants. Il ne s’apparente donc ni à une vente ni à un échange, puisqu’il ne repose pas sur un mécanisme de transmission de propriété d’un copartageant à un autre. C’est précisément cette nature déclarative qui justifie l’inapplicabilité de nombreuses règles propres aux actes translatifs, notamment :

  • L’action résolutoire, qui permet d’anéantir une vente en cas d’inexécution, mais qui ne peut s’appliquer au partage, faute de véritable transmission de droits ;
  • La prescription abrégée, qui repose sur la nécessité d’un juste titre translatif, ce que le partage ne constitue pas ;
  • Le privilège du vendeur, inapplicable au partage où seule une garantie spécifique entre copartageants peut être invoquée ;
  • Le droit de préemption, qui ne peut être exercé lors d’une attribution en partage, faute d’aliénation à titre onéreux.

Ainsi, l’effet déclaratif du partage le soustrait à ces règles, confirmant qu’il ne s’agit pas d’un acte de translatif, mais d’une simple répartition des droits préexistants entre les copartageants.

a. L’exclusion des sanctions attachées à l’inexécution des obligations nées du partage

L’effet déclaratif du partage a pour conséquence majeure d’exclure l’application des mécanismes de sanction propres aux actes translatifs, en particulier l’action résolutoire. Contrairement à une vente, où l’inexécution d’une obligation essentielle – telle que le paiement du prix – peut entraîner la résolution du contrat, le partage, en raison de son caractère non translatis, ne saurait être anéanti pour cause de non-paiement d’une soulte ou d’un prix d’adjudication.

i. L’impossibilité d’une résolution du partage pour inexécution

Dès le XIX? siècle, la Cour de cassation a consacré cette impossibilité en affirmant que le non-paiement d’une soulte ne saurait justifier l’anéantissement du partage (Cass. Req. 29 déc. 1829). Cette solution repose sur l’idée que la soulte ne constitue pas un élément essentiel du partage, mais une simple dette personnelle du copartageant concerné. Dès lors, l’indivisaire créancier d’une soulte dispose uniquement des moyens de droit commun pour en obtenir le recouvrement (saisie immobilière, inscription d’hypothèque, etc.), sans pouvoir prétendre à une remise en cause du partage lui-même.

Cette règle trouve une application particulière lorsque le partage prend la forme d’une licitation. L’adjudication d’un bien indivis à un copartageant vaut partage, si bien que l’inexécution des obligations mises à la charge de l’adjudicataire ne peut justifier l’anéantissement de la licitation (Cass. 1ère, 26 févr. 1975, n°73-10.146). Il en résulte que la licitation ne peut être résolue pour défaut de paiement du prix ou inexécution des conditions de l’adjudication.

L’effet déclaratif interdit ainsi d’assimiler les copartageants à des contractants ayant réciproquement opéré un transfert de droits. Chacun devient propriétaire des biens qui lui sont attribués comme s’il l’avait toujours été, et non par un effet de transmission intervenu au moment du partage. Dès lors, le non-paiement d’une soulte ne peut en aucun cas être assimilé au non-paiement d’un prix dans une vente.

ii. L’inapplicabilité de la revente sur folle enchère en l’absence de stipulation expresse

L’exclusion de l’action résolutoire s’étend également à la procédure de revente sur folle enchère – désormais appelée réitération des enchères depuis l’ordonnance n° 2006-461 du 21 avril 2006 sur la saisie immobilière. Cette procédure, qui permet de remettre en vente un bien en cas de défaut de paiement du prix par l’adjudicataire, est normalement inapplicable aux licitations effectuées dans le cadre d’un partage. La jurisprudence a en effet confirmé que, faute d’effet translatif, la licitation ne peut être assimilée à une vente, et que les règles applicables aux adjudications classiques ne trouvent donc pas à s’appliquer.

Toutefois, si le principe demeure, la pratique notariale a cherché à pallier cette rigidité en introduisant des clauses spécifiques dans le cahier des charges des licitations. La Cour de cassation a ainsi admis que les copartageants peuvent convenir contractuellement de soumettre la licitation à une procédure de folle enchère en cas de non-paiement du prix (Cass. 1ère civ., 7 oct. 1981, n°80-12.799).

iii. L’admission de clauses résolutoires par convention expresse

Dans le même esprit, la jurisprudence a validé la stipulation de clauses résolutoires dans l’acte de partage, afin de pallier l’absence de sanctions légales en cas d’inexécution. Si l’effet déclaratif empêche toute résolution de plein droit, les copartageants peuvent néanmoins stipuler contractuellement qu’un défaut de paiement de la soulte entraînera la remise en cause de l’attribution du bien concerné (Cass. civ. 6 janv. 1846).

Toutefois, la jurisprudence distingue nettement entre les stipulations expressément formulées et celles qui pourraient être déduites implicitement. Si une clause spécifique prévoyant la résolution est insérée dans l’acte de partage ou le cahier des charges d’une licitation, elle sera jugée valide. En revanche, il n’est pas possible de déduire une telle clause du seul fait que les parties ont prévu le paiement d’une soulte. La volonté des copartageants doit être clairement exprimée, sans quoi la résolution demeure impossible.

iv. Une protection limitée du créancier de la soulte

En l’absence de clause spécifique, le copartageant créancier dispose uniquement de garanties limitées pour assurer le recouvrement de sa créance. Il bénéficie certes du privilège du copartageant (ancien article 2374, 3° du Code civil, devenu article 2402, 4°), qui lui permet d’inscrire une hypothèque légale sur les immeubles attribués au débiteur. Toutefois, cette sûreté, exclusivement immobilière, ne couvre pas nécessairement l’ensemble des biens du copartageant débiteur, et elle ne constitue pas une garantie aussi solide que le privilège du vendeur. En cas de défaillance du débiteur, le créancier devra ainsi engager une procédure de saisie immobilière ou d’exécution forcée, ce qui peut s’avérer long et complexe.

b. L’impossibilité d’invoquer le partage comme juste titre pour la prescription abrégée

L’effet déclaratif du partage exclut également l’application des règles propres aux actes translatifs en matière de prescription acquisitive abrégée. En effet, l’article 2272, alinéa 2, du Code civil prévoit que la prescription abrégée, permettant l’acquisition d’un bien par un possesseur de bonne foi après un délai réduit de dix ans (ou vingt ans selon les cas), suppose l’existence d’un juste titre. Ce dernier se définit comme un acte translatif de propriété émanant d’une personne qui n’était pas véritablement propriétaire. Or, le partage, qui ne réalise aucun transfert de propriété entre copartageants, ne peut jamais constituer un tel juste titre.

i. L’inaptitude du partage à fonder une usucapion abrégée

Le partage a pour seul effet de déterminer la consistance des droits des copartageants en attribuant à chacun des biens qu’il est censé avoir possédés depuis l’origine. En ce sens, il ne crée aucun droit nouveau, ne procède à aucun transfert, mais se borne à reconnaître des droits préexistants. Dès lors, il ne peut servir de fondement à une prescription acquisitive abrégée, laquelle exige un acte juridiquement apte à transmettre la propriété.

La Cour de cassation a consacré ce principe qu’elle appliqué de manière constante. Elle a ainsi jugé que lorsqu’un bien appartenant à un tiers est inclus par erreur dans une masse successorale et attribué à un copartageant, ce dernier ne pourra se prévaloir de la prescription abrégée contre le véritable propriétaire, faute de disposer d’un juste titre (Cass. 3e civ., 30 oct. 1972, n° 71-11.541).

Dans cette affaire, une action en partage avait été engagée entre plusieurs indivisaires, donnant lieu à une décision judiciaire déterminant les droits respectifs de chacun. En exécution de cette décision, des lots avaient été constitués et attribués aux copartageants, cette attribution ayant été entérinée par une autorité administrative. Cependant, un tiers a formé tierce opposition, faisant valoir qu’une portion des biens attribués dans le cadre du partage lui appartenait en indivision.

Face à cette contestation, les copartageants ont tenté d’opposer la prescription abrégée, soutenant que la décision de partage et l’acte administratif entérinant la répartition des lots constituaient un juste titre au sens de l’article 2265 du Code civil. La Cour de cassation a rejeté cette argumentation, rappelant que la prescription acquisitive abrégée repose sur l’existence d’un juste titre, lequel suppose un transfert de propriété consenti par celui qui n’est pas le véritable propriétaire. Or, en l’espèce, l’acte de partage ne réalisait qu’une répartition des biens indivis sans opérer un transfert de propriété. La Haute juridiction a expressément souligné que les décisions de justice et actes administratifs ayant mis fin à l’indivision étaient exclusivement déclaratifs de droits et ne pouvaient donc servir de juste titre permettant l’usucapion abrégée.

Par ailleurs, la Cour de cassation a également écarté la possibilité pour les copartageants d’invoquer la prescription acquisitive de droit commun, en constatant que plusieurs personnes avaient exercé des actes de possession concurrents sur les biens litigieux. Dès lors, aucun des indivisaires ne pouvait prétendre à une possession exclusive et non équivoque de nature à fonder une prescription acquisitive.

Cette décision illustre ainsi, avec une particulière clarté, l’impossibilité pour un copartageant d’invoquer la prescription abrégée sur un bien inclus à tort dans le partage, faute de disposer d’un acte translatif de propriété. Elle rappelle également que la prescription acquisitive de droit commun ne saurait prospérer lorsque la possession est exercée concurremment par plusieurs indivisaires, ce qui empêche toute appropriation unilatérale du bien concerné.

ii. L’absence de transmission de droits nouveaux

L’inaptitude du partage à constituer un juste titre s’explique par le fait que, contrairement à une vente ou une donation, il ne comporte aucune manifestation de volonté de transmettre un droit. Le copartageant attributaire n’est pas l’ayant cause de ses cohéritiers : il est réputé avoir toujours été propriétaire des biens qui lui sont attribués. Dès lors, il ne saurait bénéficier de la prescription abrégée, laquelle repose sur l’idée que l’acquéreur a reçu son droit d’un tiers qui n’était pas le véritable propriétaire.

Cette distinction a une conséquence pratique essentielle : si un bien indivis a été occupé pendant plusieurs années par l’un des copartageants avant le partage, celui-ci ne pourra pas invoquer la prescription abrégée pour revendiquer la pleine propriété du bien, faute d’un juste titre distinct du partage. Ce dernier ne fait que constater la situation existante, sans créer un nouvel état de droit.

iii. La possibilité de joindre les possessions pour compléter une prescription

Toutefois, si le partage est inapte à servir de juste titre pour la prescription abrégée, il ne fait pas obstacle à la jonction des possessions successives. En vertu de l’article 2265 du Code civil, l’attributaire d’un bien indivis peut joindre à sa propre possession celle exercée antérieurement par la masse indivise. Ainsi, s’il démontre une possession paisible, publique et continue antérieure au partage, il pourra faire valoir son droit à la prescription en ajoutant la durée de possession de ses coindivisaires à la sienne.

Cette règle trouve notamment à s’appliquer dans l’hypothèse où un bien litigieux était déjà possédé par la famille du copartageant bien avant le partage. Dans ce cas, la prescription de trente ans pourrait être acquise, non en raison du partage lui-même, mais par l’addition des périodes de possession successives.

c. L’inapplicabilité du privilège du vendeur et des garanties propres aux ventes

L’effet déclaratif du partage a pour corollaire l’inapplicabilité des règles protectrices propres aux actes translatifs de propriété, parmi lesquelles figurent notamment le privilège du vendeur ainsi que les garanties relatives aux vices cachés et à l’éviction. En matière de paiement des soultes ou du prix d’une licitation, c’est un régime spécifique, distinct de celui applicable aux ventes, qui trouve à s’appliquer.

i. Le privilège du copartageant

Lorsque l’un des copartageants se voit attribuer un bien indivis moyennant le paiement d’une soulte à ses cohéritiers ou qu’un bien indivis est vendu par voie de licitation à l’un d’eux, la créance née de cette opération n’est pas assortie du privilège du vendeur (prévu à l’article 2402, 1° du Code civil), mais du privilège du copartageant. Ce dernier, bien que présentant des similitudes fonctionnelles avec le privilège du vendeur, s’en distingue par son assiette et son régime de priorité.

L’article 2402, 4° du Code civil (anciennement article 2374, 3°) confère au copartageant une sûreté qui ne grève que les immeubles attribués au débiteur de la soulte, contrairement au privilège du vendeur, qui porte plus largement sur l’ensemble des biens du débiteur. Cette limitation peut donc s’avérer préjudiciable lorsque l’immeuble en question se révèle insuffisant pour garantir le paiement. Toutefois, une compensation existe : l’inscription du privilège du copartageant dans le délai légal lui confère un effet rétroactif à la date de l’ouverture de la succession, ce qui lui permet de primer sur certaines hypothèques constituées postérieurement à cette date (Cass. 1ère civ., 13 juill. 2004, n° 02-10.073). Cette antériorité protège les créanciers issus du partage contre les sûretés prises par des tiers au cours de l’indivision ou après le partage.

Néanmoins, cette protection demeure imparfaite : à défaut d’inscription dans le délai prévu, le privilège est inopposable aux tiers inscrits, ce qui peut affaiblir la position du copartageant créancier.

ii. L’exclusion des garanties propres à la vente : absence de garantie des vices cachés et d’éviction

En matière de vente, le droit commun confère à l’acquéreur deux protections : la garantie des vices cachés et la garantie d’éviction. Ces garanties sont expressément prévues aux articles 1625 et suivants du Code civil et permettent à l’acheteur de se retourner contre le vendeur si le bien acquis est atteint d’un vice affectant son usage ou si son droit de propriété est contesté par un tiers.

Or, ces mécanismes sont inapplicables au partage, précisément parce que les copartageants ne sont pas les ayants cause les uns des autres. En d’autres termes, le partage n’opère pas un transfert de propriété d’un copartageant à l’autre, mais une simple individualisation des droits préexistants sur les biens issus de l’indivision.

En conséquence, un copartageant qui découvre après coup que le bien qui lui a été attribué est affecté d’un vice grave ou qu’un tiers en revendique la propriété ne pourra pas se prévaloir des garanties protectrices de l’acheteur. Il ne pourra ni demander la restitution d’une partie de la soulte versée, ni exiger la résolution du partage, sauf à démontrer une lésion de plus du quart, hypothèse très encadrée par l’article 889 du Code civil.

iii. La seule garantie applicable : la garantie des vices de lotissement

Si les garanties protectrices du droit de la vente sont inapplicables au partage, une garantie spécifique demeure néanmoins prévue : la garantie des vices de lotissement. Elle découle de l’obligation d’assurer une répartition équitable des biens entre copartageants. L’article 889 du Code civil prévoit en effet que chaque copartageant est tenu de garantir ses coïndivisaires contre tout trouble ou éviction qui aurait pour effet de rompre l’équilibre du partage.

Toutefois, cette garantie ne joue pas dans les mêmes conditions que la garantie d’éviction propre à la vente. Elle ne protège pas contre toute éviction, mais uniquement contre celle qui remettrait en cause l’égalité entre les lots. Ainsi, si un copartageant perd un bien qui lui a été attribué du fait d’un tiers revendiquant un droit antérieur, la garantie ne pourra être invoquée que s’il en résulte une rupture manifeste de l’équilibre du partage.

En revanche, si la perte du bien ou la revendication du tiers ne modifie pas significativement la proportion des droits de chaque copartageant, aucune garantie ne pourra être mise en œuvre. Cette limitation renforce l’importance pour chaque copartageant de procéder à des vérifications approfondies avant d’accepter un lot.

d. L’exclusion des règles de publicité foncière attachées aux actes translatifs

i. La publication foncière sans incidence sur l’opposabilité du partage

La publicité foncière vise, en principe, à assurer l’opposabilité des mutations immobilières aux tiers. Ainsi, dans le cadre d’une vente, le défaut de publication entraîne l’inopposabilité de l’acte aux tiers (Décret n° 55-22 du 4 janvier 1955, art. 28). Cette règle protège notamment les acquéreurs successifs en garantissant la traçabilité des droits de propriété.

Toutefois, le partage n’étant pas un acte translatif, la sanction de l’inopposabilité ne saurait lui être appliquée. La Cour de cassation a clairement affirmé ce principe, jugeant qu’un partage non publié reste pleinement opposable aux tiers, en raison de son effet déclaratif (Cass. 1?? civ., 14 janv. 1981, n°79-14.687). Cette solution s’explique par le fait que le partage ne crée pas un droit nouveau, mais se borne à constater la répartition de droits déjà existants dans la masse indivise.

Dès lors, un héritier attributaire d’un bien immobilier par voie de partage n’a pas besoin d’avoir publié son acte pour opposer son droit aux tiers. L’absence de publication n’entraîne pas de difficulté tant que l’attributaire conserve le bien en question.

ii. Publication des opérations de partage aux fins d’assurer la continuité des mutations immobilières

Si l’effet déclaratif du partage protège l’héritier attributaire contre l’inopposabilité, la logique de la publicité foncière impose néanmoins une certaine rigueur dans la transmission ultérieure du bien. En effet, l’article 3 du décret du 4 janvier 1955 pose le principe de l’effet relatif de la publicité foncière :

Un ayant cause ne peut publier son droit que si celui de son auteur a été publié au préalable.

En conséquence, un copartageant qui souhaite revendre un bien issu du partage doit nécessairement procéder à la publication de celui-ci. À défaut, son acquéreur ne pourra lui-même publier son titre et, par conséquent, ne pourra opposer son droit aux tiers.

Ainsi, la publication du partage ne vise pas tant à protéger l’héritier que son futur acquéreur. L’absence de publication empêche en effet toute chaîne de mutations ultérieures et entrave ainsi la circulation du bien sur le marché immobilier.

iii. Responsabilité civile en cas de défaut de publication

Bien que le partage non publié demeure opposable aux tiers, l’inobservation des formalités de publicité foncière peut néanmoins engager la responsabilité civile de celui qui était tenu de les accomplir. L’article 30 du décret du 4 janvier 1955 prévoit en effet que l’omission ou l’irrégularité d’une publication foncière peut donner lieu à des dommages-intérêts au profit de ceux qui subissent un préjudice du fait de ce défaut.

Ainsi, si un héritier attributaire revend un bien issu d’un partage non publié et que son acquéreur se trouve dans l’impossibilité d’opposer son droit, ce dernier pourra se retourner contre le vendeur pour obtenir réparation. Cette responsabilité constitue un incitatif fort à la publication du partage, même si celle-ci n’est pas requise pour l’opposabilité du droit de l’attributaire initial.

e. L’inapplicabilité des droits de préemption et des formalités propres aux cessions de créance

L’effet déclaratif du partage a pour conséquence d’exclure l’application de diverses règles attachées aux actes translatifs, notamment en matière de droit de préemption et de cession de créance. Puisque le partage ne constitue pas une aliénation à titre onéreux, il ne peut donner prise aux prérogatives reconnues à certains titulaires de droits de préemption, ni être assimilé à une cession impliquant des formalités spécifiques.

i. L’exclusion du droit de préemption en raison de l’absence d’aliénation à titre onéreux

Le droit de préemption permet à certaines personnes – preneurs à bail rural, locataires d’habitation, l’État en matière d’œuvres d’art, etc. – de se substituer à un acquéreur dans le cadre d’une vente ou d’une cession à titre onéreux. Or, le partage ne réalise pas une transmission de propriété entre copartageants, mais se borne à constater l’attribution de biens préexistants. Dès lors, il échappe aux mécanismes de préemption qui reposent sur l’existence d’un transfert à titre onéreux.

C’est ainsi que le fermier ne peut exercer son droit de préemption lorsque le bien loué lui est attribué dans le cadre d’un partage successoral. La Cour de cassation l’a affirmé avec constance, rappelant que l’attribution d’un bien dans le cadre d’un partage ne constitue pas une aliénation ouvrant droit à préemption (Cass. 3e civ., 16 avr. 1970, n°67-13.666).

De la même manière, le locataire d’un logement soumis au droit de préemption prévu par l’article 10 de la loi du 31 décembre 1975 ne peut se prévaloir de sa prérogative à l’occasion d’un partage, même si l’attribution porte sur l’appartement qu’il occupe. Son droit ne pourra s’exercer que si le bien est ultérieurement revendu. Il en va de même pour le droit de préemption de l’État sur les œuvres d’art mises en vente publique (C. patr., art. L. 123-1), qui ne s’applique pas si une œuvre est attribuée à un copartageant lors d’un partage.

Cette exclusion repose sur un principe clair : seuls les actes translatifs à titre onéreux peuvent donner lieu à l’exercice d’un droit de préemption. Or, le partage, par son effet déclaratif, n’implique aucun transfert de propriété d’un copartageant à l’autre, ce qui justifie l’inapplicabilité des règles de préemption.

ii. L’absence d’assimilation du partage à une cession de créance

L’attribution d’une créance dans le cadre d’un partage successoral soulève une question essentielle : celle de son assimilation, ou non, à une cession de créance régie par les dispositions du Code civil. L’effet déclaratif du partage conduit à exclure cette assimilation, avec des conséquences notables en matière d’opposabilité et de formalités.

L’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, réformant le droit des obligations, a modifié le régime de la cession de créance, notamment en assouplissant les formalités d’opposabilité. Désormais, l’article 1324 du Code civil dispose que « la cession n’est opposable au débiteur, s’il n’y a déjà consenti, que si elle lui a été notifiée ou s’il en a pris acte. »

Ainsi, sous le régime actuel du droit des obligations, la cession de créance devient opposable au débiteur dès lors qu’il a été informé de la cession, sauf s’il y avait déjà consenti lors de l’acte initial. Tant que la cession ne lui a pas été notifiée ou acceptée, il peut se libérer valablement entre les mains du cédant, sans être inquiété par le cessionnaire.

Toutefois, ce régime ne trouve pas à s’appliquer aux attributions de créances par voie de partage, précisément en raison de l’effet déclaratif de cette opération. Contrairement à une cession, le partage ne réalise pas un transfert de propriété :

  • Dans une cession de créance, le cédant transmet son droit de créance à un cessionnaire, ce qui justifie la nécessité d’une notification au débiteur afin de clarifier son nouvel interlocuteur.
  • Dans un partage, l’attributaire d’une créance est réputé en être titulaire depuis l’origine, ce qui exclut toute nécessité de notification : il n’y a pas de changement de titulaire, mais une simple individualisation des droits déjà existants.

C’est pourquoi l’attribution d’une créance dans un partage successoral échappe aux exigences de notification imposées par l’article 1324 du Code civil.

La Cour de cassation a consacré cette solution en jugeant que l’attribution d’une créance dans un partage n’implique ni signification, ni acceptation par le débiteur. Dans un arrêt du 13 octobre 2004, elle a affirmé que les formalités de signification prévues pour la cession de créance ne s’appliquent pas au partage (Cass. 3e civ., 13 oct. 2004, n°03-12.968).

En conséquence :

  • Le débiteur n’a pas besoin d’être informé de l’attribution de la créance dans le partage : il est censé avoir toujours eu le même créancier.
  • L’attributaire de la créance peut agir directement en paiement, sans formalité préalable.
  • Le débiteur ne peut se prévaloir de la non-notification de l’attribution pour refuser de payer, contrairement à ce qui est prévu en matière de cession.

Ainsi, à la différence d’un cessionnaire, l’attributaire d’une créance dans un partage successoral ne risque pas de voir sa créance lui échapper en raison d’une absence de notification.

Le régime de la cession de créance prévoit également des règles spécifiques en matière d’exceptions opposables par le débiteur au cessionnaire.

L’article 1324, alinéa 2, du Code civil prévoit ainsi que « le débiteur peut opposer au cessionnaire les exceptions inhérentes à la dette », notamment la nullité, l’exception d’inexécution ou encore la compensation de dettes connexes.

Toutefois, en matière de partage, ce mécanisme ne trouve pas à s’appliquer. L’attributaire d’une créance est censé en être titulaire depuis l’origine, ce qui signifie que :

  • Le débiteur ne peut lui opposer que les exceptions nées avant l’ouverture de la succession ou de l’indivision.
  • Les exceptions personnelles nées du rapport entre le débiteur et le copartageant initial ne sont pas transmissibles, sauf si elles existaient avant l’indivision.

Cette distinction est fondamentale car elle garantit à l’attributaire une meilleure protection que celle accordée à un cessionnaire de droit commun, qui, lui, reste soumis aux exceptions personnelles opposables au cédant avant la notification de la cession.

Enfin, la réforme de 2016 a introduit des règles en cas de concurrence entre plusieurs cessionnaires successifs d’une même créance.

L’article 1325 du Code civil prévoit que « le concours entre cessionnaires successifs d’une créance se résout en faveur du premier en date ».

Toutefois, cette problématique est totalement étrangère au partage successoral, dès lors que :

  • Il ne peut y avoir de pluralité d’attributaires successifs d’une même créance dans un partage, chaque créance étant attribuée définitivement à un copartageant.
  • L’attribution opérée par le partage s’impose à tous sans qu’il soit possible de revendiquer une créance attribuée à un autre copartageant.

Ainsi, le partage successoral échappe aux règles de conflits entre cessionnaires successifs, qui ne concernent que les véritables cessions de créance.

f. L’exclusion du partage en tant que mutation de référence en matière d’expropriation et de fiscalité

L’effet déclaratif du partage le distingue des actes translatifs de propriété, ce qui a des implications directes en matière d’expropriation pour cause d’utilité publique et de fiscalité.

En droit de l’expropriation, la fixation de l’indemnité d’expropriation repose notamment sur une référence aux mutations intervenues dans le secteur concerné. Or, le partage, n’étant pas un acte translatif, ne peut être pris en compte comme mutation de référence aux fins de détermination de l’indemnisation du bien exproprié.

La Cour de cassation a consacré ce principe dans un arrêt du 17 janvier 1973, affirmant que le partage, ayant un effet purement déclaratif, ne peut être assimilé à une mutation et ne saurait servir de référence dans le cadre d’une procédure d’expropriation (Cass. 3e civ., 17 janv. 1973).

Cette solution repose sur la distinction entre :

  • Une mutation à titre onéreux, qui suppose un transfert de propriété entre deux parties et qui peut donc être prise en compte pour évaluer le prix du bien exproprié.
  • Le partage, qui ne transfère pas de propriété mais attribue à chaque copartageant la fraction du bien dont il était déjà propriétaire en indivision.

Dès lors, une autorité expropriante ne peut se prévaloir du prix d’un bien attribué dans un partage pour fixer l’indemnité due aux expropriés, puisqu’il ne s’agit pas d’une véritable transaction reflétant la valeur vénale du bien.

L’effet déclaratif du partage a également des conséquences fiscales notables. En principe, les actes translatifs de propriété sont soumis aux droits de mutation à titre onéreux. Toutefois, le partage, n’opérant pas de transmission de propriété entre les copartageants, échappe à cette taxation.

L’article 746 du Code général des impôts (CGI) consacre cette exonération en disposant que les partages ne sont assujettis qu’à une taxe spécifique de 2,5 % et non aux droits de mutation applicables aux ventes.

Cependant, le régime fiscal du partage a connu des aménagements, notamment concernant :

  • Les licitations entre copartageants : Lorsqu’un bien indivis est attribué à un seul héritier moyennant le paiement d’une soulte à ses cohéritiers, l’administration fiscale peut considérer cette opération comme une vente partielle, soumise aux droits de mutation (CGI, art. 750).
  • Les partages impliquant des tiers : Lorsque le partage ne se limite pas aux seuls membres de l’indivision d’origine (par exemple, lorsqu’un tiers entre dans le partage), l’administration fiscale peut également requalifier l’opération en cession taxable.

La jurisprudence a cependant rappelé que ces exceptions ne doivent pas conduire à dénaturer l’effet déclaratif du partage, qui demeure un principe fondamental du droit civil.

Quid des conséquences pratiques?

  • En matière d’expropriation, l’exproprié ne peut se voir imposer une indemnité fixée sur la base d’une attribution en partage, car il ne s’agit pas d’une vente permettant d’évaluer la valeur vénale du bien.
  • En matière fiscale, le partage reste en principe soumis à une taxation réduite, sauf exceptions concernant certaines licitations ou opérations impliquant des tiers.

B) Sort des actes accomplis pendant l’indivision

L’effet déclaratif du partage entraîne une rétroactivité qui confère à chaque copartageant la propriété exclusive des biens qui lui sont attribués, comme s’il en avait toujours été propriétaire. En conséquence, les actes accomplis sur ces biens au cours de l’indivision peuvent soit être consolidés, soit être anéantis, selon qu’ils ont été passés dans le respect des règles de gestion de l’indivision ou non.

Il convient ainsi de distinguer, d’une part, les actes accomplis unilatéralement par un indivisaire, dont le sort dépend des résultats du partage, et, d’autre part, les actes régulièrement conclus au nom de l’indivision, qui conservent leur pleine efficacité après la répartition des biens entre les copartageants.

1. La consolidation ou l’anéantissement des actes accomplis unilatéralement par un indivisaire

L’effet déclaratif du partage signifie que chaque indivisaire est réputé n’avoir jamais été propriétaire des biens qui, lors du partage, sont attribués à ses cohéritiers. Cette fiction juridique a des conséquences majeures sur les actes qu’un indivisaire a pu accomplir seul avant le partage. En effet, ces actes n’ont pas tous la même portée et leur validité dépend du lot qui sera finalement attribué à l’indivisaire concerné.

Si, à l’issue du partage, le bien qui fait l’objet de l’acte revient à l’indivisaire qui l’a conclu, cet acte est validé rétroactivement. Il est alors considéré comme ayant toujours été valable. En revanche, si le bien est attribué à un autre copartageant, l’acte est anéanti de manière rétroactive : il est juridiquement réputé n’avoir jamais existé, car son auteur n’était pas censé en être propriétaire.

Ce mécanisme s’applique à tous les actes passés par un indivisaire seul, qu’il s’agisse de la vente d’un bien indivis, de la conclusion d’un bail, de la constitution d’une hypothèque ou encore de l’octroi d’un droit réel tel qu’une servitude. Tant que le partage n’est pas intervenu, ces actes sont juridiquement incertains : ils peuvent soit être confirmés si l’indivisaire concerné reçoit le bien dans son lot, soit être anéantis si ce bien revient à un autre. Cette insécurité juridique constitue un risque majeur pour les tiers qui contractent avec un indivisaire sans s’assurer que tous les coïndivisaires donnent leur accord.

a. La vente d’un bien indivis par un seul indivisaire

Lorsqu’un indivisaire vend un bien indivis sans le consentement de ses coïndivisaires, cette vente est juridiquement incertaine et suspendue aux résultats du partage. En effet, l’effet déclaratif du partage implique que chaque indivisaire est censé n’avoir jamais eu de droits sur les biens attribués à ses cohéritiers. Ainsi, la validité d’une vente réalisée par un seul indivisaire dépend du lot qui lui sera attribué lors du partage.

Si le bien vendu est finalement placé dans son lot, la vente est consolidée avec un effet rétroactif: elle est alors considérée comme ayant toujours été valable, et l’acquéreur devient pleinement propriétaire. En revanche, si le bien est attribué à un autre copartageant, la vente est anéantie rétroactivement. Il en résulte que l’acheteur ne peut faire valoir aucun droit sur le bien et se retrouve privé de l’acquisition qu’il croyait avoir réalisée. La Cour de cassation a confirmé cette règle de manière constante, jugeant que la vente d’un bien indivis par un seul indivisaire est inopposable aux autres copartageants tant que le partage n’a pas attribué définitivement le bien au vendeur (Cass. 1re civ., 7 juill. 1987, n° 85-16.968).

L’acquéreur d’un bien indivis dans une telle situation se trouve donc dans une position précaire. Il ne peut exiger l’attribution du bien au vendeur initial et doit se contenter, dans le meilleur des cas, d’intervenir dans la procédure de partage pour tenter d’orienter la répartition des lots en sa faveur (Cass. 1re civ., 9 févr. 2022, n°20-22.159). Toutefois, cette démarche demeure aléatoire et ne garantit en rien la préservation de ses droits. Le risque pour l’acquéreur est donc considérable, car il dépend entièrement de la manière dont les biens indivis seront répartis entre les copartageants.

b. L’hypothèque consentie sur un bien indivis

L’effet déclaratif du partage influence également la validité des sûretés constituées sur un bien indivis, notamment les hypothèques consenties par un indivisaire seul. En raison du principe de rétroactivité du partage, ces garanties ne sont véritablement consolidées que si le bien grevé est attribué à l’indivisaire qui a constitué l’hypothèque. Dans ce cas, la sûreté conserve toute son efficacité, et l’attributaire du bien hypothéqué reste tenu par cette charge, qui grève son lot à titre définitif (Cass. 3e civ., 7 mai 1986, n°87-13.947). Le créancier hypothécaire peut alors exercer son droit de suite sur l’immeuble et bénéficier de la garantie qui lui avait été consentie.

En revanche, si le bien grevé est attribué à un autre copartageant, l’hypothèque est anéantie rétroactivement. L’immeuble se retrouve ainsi libéré de toute sûreté constituée par un indivisaire qui, en définitive, n’a jamais été censé en être propriétaire. Ce mécanisme protège l’attributaire du bien, qui ne saurait voir sa propriété entachée par un acte accompli par un autre indivisaire sans son consentement. La règle a été expressément consacrée par l’article 2412 du Code civil, qui prévoit que l’hypothèque consentie par un indivisaire ne subsiste que si l’immeuble hypothéqué lui est finalement attribué. Cette disposition a remplacé l’ancien article 2414 du Code civil, issu de l’ordonnance du 23 mars 2006, qui énonçait déjà ce principe.

Ainsi, les créanciers hypothécaires qui acceptent une sûreté sur un bien indivis prennent un risque important, leur droit de suite étant conditionné aux résultats du partage. S’ils souhaitent garantir efficacement leur créance, ils doivent s’assurer que l’indivisaire constituant l’hypothèque dispose d’une probabilité élevée d’obtenir l’attribution du bien lors du partage. À défaut, ils s’exposent à la disparition pure et simple de leur garantie, sans aucun recours contre l’attributaire du bien.

c. Le bail consenti par un seul indivisaire

Lorsqu’un indivisaire conclut seul un bail sur un bien indivis sans l’accord des autres coïndivisaires, la validité du contrat reste suspendue aux résultats du partage. Si le bien loué est finalement attribué à l’indivisaire bailleur, le bail est consolidé rétroactivement, produisant ses effets comme s’il avait été valablement conclu dès l’origine. Le preneur peut alors poursuivre l’exécution du contrat sans que sa situation ne soit remise en cause (Cass. 1re civ., 27 oct. 1992, n°90-21.173).

En revanche, si le bien est placé dans le lot d’un autre copartageant, le bail se trouve anéanti de manière rétroactive. Le nouvel attributaire du bien n’est pas tenu par le contrat, et le preneur perd tout droit sur les lieux loués (Cass. 1re civ., 9 nov. 2004, n°03-13.481). Cette solution découle du principe selon lequel seul le véritable propriétaire d’un bien peut valablement en consentir la jouissance. Ainsi, le locataire qui contracte avec un seul indivisaire agit à ses risques et périls : il ne peut exiger ni la poursuite du bail ni une indemnisation en cas de disparition de son droit par l’effet du partage.

d. La constitution de droits réels sur un bien indivis

L’effet déclaratif du partage s’applique également aux droits réels que peut tenter de constituer un indivisaire seul sur un bien indivis. Lorsqu’un indivisaire établit une servitude sans le consentement de ses coïndivisaires, la validité de cette charge est conditionnée aux résultats du partage. Si le bien grevé est attribué à l’indivisaire qui a constitué la servitude, celle-ci est consolidée rétroactivement et produit pleinement ses effets. En revanche, si le bien est placé dans le lot d’un autre copartageant, la servitude est anéantie de plein droit, car elle est réputée n’avoir jamais existé.

Cette règle s’étend à l’ensemble des droits réels susceptibles d’être créés par un indivisaire seul, qu’il s’agisse d’un usufruit, d’un droit d’usage ou encore d’une charge affectant le bien indivis. Tant que le partage n’est pas intervenu, ces actes demeurent précaires et soumis à l’incertitude quant à l’attribution définitive du bien concerné. Si le bien revient au constituant du droit réel, l’acte est validé rétroactivement, conférant aux tiers le bénéfice de la situation créée. En revanche, si le bien est attribué à un autre copartageant, ces droits s’éteignent automatiquement, privant les bénéficiaires de toute prétention sur le bien.

Ainsi, toute constitution de droit réel sur un bien indivis réalisée sans l’accord des coïndivisaires demeure incertaine jusqu’au partage. Cette situation expose les tiers à un risque non négligeable, notamment lorsqu’ils acquièrent un droit grevant le bien sans s’assurer de l’identité du futur attributaire. Il en résulte une nécessité pour les parties prenantes de prendre en compte cette instabilité juridique avant de contracter.

2. Le maintien des actes régulièrement accomplis au nom de l’indivision

Contrairement aux actes passés unilatéralement par un indivisaire, ceux qui ont été régulièrement accomplis conformément aux règles de gestion de l’indivision conservent toute leur efficacité après le partage. L’effet déclaratif du partage, qui emporte rétroactivité quant aux droits des copartageants, n’a pas vocation à remettre en cause les actes qui ont été passés avec l’accord de l’ensemble des indivisaires ou qui ont été autorisés selon les règles légales en vigueur.

a. Le maintien des actes passés avec l’accord unanime des indivisaires

Lorsqu’un acte a été conclu avec le consentement de tous les indivisaires, il demeure pleinement valable après le partage, indépendamment du lot dans lequel le bien concerné est finalement attribué. Cela signifie que l’attributaire du bien ne peut remettre en cause l’acte ou s’y soustraire.

Un exemple typique est celui du bail. Si tous les indivisaires ont donné leur accord pour louer un bien indivis, le locataire bénéficie d’un contrat stable, qui continue de produire ses effets après le partage. L’indivisaire qui reçoit le bien dans son lot est tenu de respecter ce bail et ne peut en contester la validité. La Cour de cassation a confirmé cette règle en jugeant qu’un bail signé avec l’accord de tous les indivisaires obligeait l’attributaire du bien à le respecter, même après la fin de l’indivision (Cass. 1re civ., 3 juin 1986).

Ce principe vise à sécuriser les engagements contractuels pris dans le cadre de l’indivision. Sans lui, les tiers contractants – comme les locataires – risqueraient de voir leurs droits remis en question en raison d’un simple changement d’attributaire après le partage. Grâce à cette règle, un locataire qui a contracté en toute bonne foi avec l’ensemble des indivisaires conserve ses droits, et le partage ne vient pas perturber les obligations nées d’un engagement collectif.

Ainsi, lorsqu’un acte est approuvé par tous les indivisaires, il est protégé contre les effets du partage et continue de s’imposer à celui qui reçoit le bien. Cette stabilité garantit la sécurité des transactions et protège les intérêts des tiers ayant contracté avec l’indivision.

b. Le maintien des garanties consenties collectivement

Lorsqu’une hypothèque est constituée avec l’accord unanime de tous les indivisaires, elle conserve sa pleine efficacité après le partage et continue de grever le bien attribué, sans que l’attributaire puisse en contester la validité. Cette solution, qui vise à garantir la sécurité des créanciers, est expressément consacrée par l’article 2414 du Code civil.

Ainsi, à la différence des hypothèques constituées par un seul indivisaire – qui peuvent être anéanties si le bien concerné est attribué à un autre copartageant –, celles qui ont été consenties collectivement restent en vigueur quelle que soit l’issue du partage. La Cour de cassation a d’ailleurs affirmé à plusieurs reprises que l’effet déclaratif du partage ne pouvait remettre en cause une hypothèque valablement consentie par l’ensemble des coïndivisaires (Cass. 3e civ., 7 mai 1986, n°87-13.947).

Ce principe garantit la stabilité des garanties constituées sur les biens indivis et préserve les intérêts des créanciers hypothécaires. Ces derniers ne peuvent voir leurs sûretés disparaître en raison de la répartition des biens entre copartageants. Une fois l’hypothèque consentie par tous les indivisaires, elle s’impose à celui qui reçoit le bien dans son lot et continue de le grever, évitant ainsi tout risque d’insécurité juridique pour les prêteurs.

Ainsi, le partage ne modifie en rien l’opposabilité des garanties collectivement consenties, assurant ainsi la continuité des engagements financiers liés aux biens indivis et protégeant les créanciers contre une remise en cause postérieure de leurs droits.

c. La préservation des actes passés en vertu d’un mandat ou d’une autorisation judiciaire

Au-delà des actes passés avec l’accord unanime des indivisaires, ceux réalisés en vertu d’un mandat ou d’une autorisation judiciaire conservent également toute leur efficacité après le partage. Lorsqu’un indivisaire a été mandaté par ses coïndivisaires pour accomplir un acte déterminé – qu’il s’agisse, par exemple, de vendre un bien, d’administrer un immeuble ou de contracter un bail – cet acte s’impose à l’ensemble des indivisaires et demeure pleinement valide après la répartition des biens. L’attributaire du bien concerné ne peut en remettre en cause la validité ni contester ses effets.

Il en va de même pour les actes réalisés sous autorisation judiciaire. Lorsqu’un juge a expressément autorisé un indivisaire à accomplir un acte sur un bien indivis – par exemple, céder un bien, consentir une hypothèque ou conclure un bail – cette autorisation s’impose à tous les coïndivisaires et ne saurait être remise en question après le partage. La Cour de cassation a ainsi jugé que l’attributaire d’un bien indivis ne pouvait contester un acte qui avait été valablement accompli en vertu d’une décision judiciaire (Cass. 1re civ., 15 mai 2002, n°00-18.798).

Ce régime vise à assurer la sécurité juridique des actes accomplis dans l’intérêt de l’indivision. Il empêche qu’un indivisaire, une fois devenu seul propriétaire d’un bien, remette en cause des décisions prises antérieurement dans le respect des règles légales. Cette règle protège non seulement les indivisaires eux-mêmes, mais aussi les tiers qui ont contracté avec l’indivision, en leur garantissant que les engagements pris en vertu d’un mandat ou d’une autorisation judiciaire ne seront pas remis en question par l’effet du partage.

d. Le maintien des actes d’administration pris à la majorité qualifiée

Depuis la réforme du 23 juin 2006, les règles de gestion de l’indivision ont été assouplies afin de permettre aux indivisaires de prendre certaines décisions sans nécessiter l’unanimité. Désormais, les actes d’administration et de gestion courante peuvent être décidés à la majorité des deux tiers des droits indivis. Cette faculté concerne notamment la conclusion de baux d’habitation de courte durée, l’entretien courant des biens indivis ou encore la réalisation de travaux nécessaires à leur conservation.

Lorsqu’un tel acte a été régulièrement adopté selon ces règles de majorité, il conserve toute son efficacité après le partage. L’attributaire du bien concerné est tenu de respecter les engagements qui ont été pris à la majorité qualifiée et ne peut s’y soustraire. Ainsi, si un bail d’habitation a été conclu par une décision prise aux deux tiers des droits indivis, le partage n’a pas pour effet d’en remettre en cause la validité, et le preneur peut continuer à occuper le bien aux conditions initialement convenues.

Ce principe vise à garantir la stabilité des décisions de gestion prises dans l’intérêt commun des indivisaires. Il empêche qu’un indivisaire, devenu seul propriétaire du bien après le partage, puisse remettre en question des engagements pris collectivement et validés par la majorité requise. Cette règle assure également une meilleure sécurité pour les tiers ayant contracté avec l’indivision, en leur garantissant que les décisions prises conformément aux dispositions légales continueront de produire leurs effets indépendamment du changement d’attributaire du bien concerné.

e. La protection des actes régulièrement conclus en indivision

L’article 883 du Code civil établit de manière explicite que les actes accomplis en vertu d’un mandat des coïndivisaires ou d’une autorisation judiciaire conservent leur pleine efficacité après le partage, indépendamment de l’attribution des biens concernés. Cette disposition vise à sécuriser les engagements pris dans le cadre de l’indivision et à éviter que la répartition des biens ne vienne remettre en cause des décisions prises dans un cadre collectif ou judiciaire.

En effet, l’objectif fondamental de cette règle est de garantir la stabilité des transactions et d’assurer la continuité des actes passés régulièrement au nom de l’indivision. Ainsi, un contrat conclu sous mandat exprès des coïndivisaires ou une vente autorisée par le juge ne peuvent être contestés par l’attributaire du bien après le partage. Cette règle permet de prévenir toute remise en cause des décisions prises dans l’intérêt commun des indivisaires et d’éviter des situations d’incertitude juridique pour les tiers ayant contracté avec l’indivision.

Ainsi, l’effet déclaratif du partage ne s’applique qu’aux actes unilatéraux, qui demeurent soumis à l’aléa de l’attribution des biens. En revanche, les actes accomplis conformément aux règles de gestion de l’indivision sont préservés, assurant ainsi une continuité juridique et protégeant les intérêts des indivisaires comme ceux des tiers contractants. Cette distinction, qui repose sur un équilibre entre la liberté des indivisaires et la nécessité de sécuriser les engagements pris collectivement, participe à la cohérence du régime de l’indivision et à la stabilité des relations juridiques qui en découlent.

§2: La garantie des lots

Le partage met fin à l’indivision en répartissant les biens entre les copartageants. Cependant, pour que cette répartition soit équitable, il est essentiel que chaque copartageant conserve sans difficulté les biens qui lui ont été attribués. Or, il peut arriver qu’un copartageant soit évincé du bien qu’il a reçu, par exemple si ce bien appartient en réalité à un tiers ou si une charge inconnue au moment du partage vient en limiter l’usage. Dans ce cas, une garantie spécifique s’applique afin de protéger l’équilibre du partage et d’éviter que l’un des copartageants ne subisse seul cette perte.

Les articles 884 et suivants du Code civil prévoient ainsi que les copartageants doivent se garantir mutuellement contre les évictions et les troubles qui trouvent leur origine dans une cause antérieure au partage. Ce principe repose sur un impératif fondamental : l’égalité entre les copartageants. Si un bien attribué lors du partage venait à disparaître ou à être grevé d’une charge inconnue, la perte ne peut être supportée uniquement par l’attributaire du bien, mais doit être partagée entre tous, proportionnellement à leurs droits. Cette garantie rappelle celle due par un vendeur à son acheteur, prévue aux articles 1625 et suivants du Code civil. Toutefois, la différence essentielle tient au fait que, dans une vente, il y a un transfert de propriété, alors que dans un partage, les copartageants sont censés recevoir des droits qu’ils détenaient déjà sur l’indivision.

Cette garantie joue aussi bien dans les partages amiables que dans les partages judiciaires. Elle s’applique quels que soient les biens attribués et protège les copartageants contre les conséquences d’une éviction ou d’un trouble affectant leur lot. En revanche, elle ne concerne en principe que les troubles causés par des tiers. Cela soulève une question : un copartageant pourrait-il être tenu responsable des troubles qu’il causerait lui-même après le partage ? Autrement dit, si un indivisaire porte atteinte aux droits d’un autre après la répartition des biens, peut-il être contraint de réparer le préjudice subi sur le fondement de la garantie des lots ?

Ainsi, la garantie entre copartageants vise à préserver la stabilité du partage en assurant que chacun conserve ce qui lui a été attribué sans subir de préjudice. Elle repose sur le principe d’égalité et empêche qu’un copartageant ne soit lésé par l’issue du partage. Toutefois, son application soulève plusieurs interrogations, notamment sur son champ exact et sur la possibilité d’inclure dans cette garantie les troubles causés par les copartageants eux-mêmes.

I) Conditions d’application

L’article 884 du Code civil érige la garantie des lots en une obligation pesant sur l’ensemble des copartageants. Toutefois, cette garantie ne joue que si certaines conditions, tenant à l’acte de partage, au trouble subi et à l’absence de faute du copartageant évincé, sont réunies.

A. Une garantie attachée au partage

La garantie des lots s’applique à toute opération de partage, quelle que soit la nature de l’indivision concernée. Il s’agit d’une garantie qui joue entre copartageants afin d’assurer l’équité du partage en cas d’éviction ou de trouble postérieur à l’attribution des biens. Cependant, l’existence même d’une telle garantie suppose un partage juridiquement valable. Dès lors, un partage affecté d’une cause de nullité ne saurait faire naître une quelconque obligation de garantie entre copartagés.

1. L’application de la garantie des lots à toutes les formes de partage

L’obligation de garantie s’applique aux partages successoraux, conjugaux ou encore sociétaires, ces derniers intervenant notamment lors de la dissolution d’une société civile ou d’une société créée de fait. Ce principe a été rappelé par la Cour de cassation dans un arrêt du 22 mars 1983 affirmant que la garantie des lots joue indépendamment de la nature de l’indivision à laquelle le partage met fin (Cass. 1re civ., 22 mars 1983, n°82-12.135).

De même, la donation-partage est assimilée à un véritable partage et ouvre donc droit à la garantie entre les copartagés. Ce caractère distributif de la donation-partage justifie que chacun des donataires bénéficiaires puisse se prévaloir des règles relatives à la garantie des lots (Cass. 1re civ., 18 janv. 1983, n°81-12.638).

L’objectif de cette garantie est d’assurer une égalité entre les copartageants en leur conférant une protection contre d’éventuels troubles ou évictions affectant les biens qui leur ont été attribués. Cette garantie est d’autant plus essentielle que le partage, en tant qu’acte déclaratif, emporte l’extinction de l’indivision et l’attribution exclusive des biens aux copartageants concernés.

2. L’absence de garantie en cas de partage nul

Toutefois, la garantie des lots suppose nécessairement un partage juridiquement valide. À cet égard, un partage affecté d’une cause de nullité ne saurait produire d’effets juridiques et ne peut donc fonder une obligation de garantie entre copartageants. Cette solution a été affirmée de longue date par la jurisprudence.

Ainsi, l’omission volontaire d’un ayant droit constitue une cause de nullité du partage et empêche l’application de la garantie des lots. En effet, un partage opéré sans tenir compte de tous les indivisaires est entaché d’un vice fondamental affectant sa validité. Dans un arrêt du 21 mars 1922, la Cour de cassation a rappelé qu’un partage nul, notamment en raison de l’exclusion d’un héritier ou d’un indivisaire, ne saurait donner lieu à une obligation de garantie (Req. 21 mars 1922, DP 1923, 1. 60).

Cette position s’explique par la nature même du partage, qui doit être réalisé entre tous les titulaires de droits indivis. Si un partage est frappé de nullité, il est censé n’avoir jamais existé, ce qui empêche l’application des obligations qui en découlent, y compris la garantie des lots.

B. L’existence d’un trouble ou d’une éviction

La garantie des lots, attachée au partage, assure aux copartageants une protection contre les troubles et évictions affectant les biens qui leur ont été attribués. Toutefois, cette garantie ne joue que sous certaines conditions, notamment lorsque le trouble ou l’éviction trouve son origine dans une cause antérieure au partage. Il convient dès lors d’examiner les situations dans lesquelles cette garantie peut être mobilisée, en précisant la nature des troubles pris en compte.

1. L’éviction et les troubles de droit

L’éviction se définit comme une dépossession totale ou partielle du bien attribué à un copartageant. Elle peut résulter de la revendication d’un tiers se prévalant d’un droit réel préexistant au partage, ou d’une impossibilité pour le copartageant d’exercer pleinement ses droits sur le bien attribué. Dès lors qu’un tel trouble provient d’une cause antérieure au partage, la garantie joue de plein droit en faveur du copartageant lésé (Cass. 1re civ., 9 juin 1970, n°69-11.048).

La doctrine, notamment Aubry et Rau, souligne que seuls les troubles de droit sont couverts par la garantie. Ainsi, une revendication judiciaire d’un tiers, fondée sur un droit réel antérieur au partage, constitue un cas typique d’éviction ouvrant droit à la garantie des lots. En revanche, si l’attribution du bien à un copartageant est ultérieurement remise en cause pour un motif n’ayant aucun lien avec la situation antérieure au partage, la garantie ne saurait être invoquée.

2. L’exclusion des troubles de fait

Si la garantie couvre les troubles de droit, elle ne s’étend pas aux troubles de fait, c’est-à-dire aux atteintes qui ne reposent sur aucun fondement juridique. Par exemple, une occupation illicite du bien par un tiers ou une simple nuisance causée par le voisinage ne suffisent pas à justifier l’application de la garantie. Cette distinction, consacrée par la jurisprudence, exclut ainsi de la garantie tout trouble qui ne trouve pas son origine dans une atteinte à un droit préexistant.

Toutefois, une nuance mérite d’être apportée : lorsque le trouble émane directement d’un copartageant lui-même, il peut être pris en compte dans le cadre de la garantie du fait personnel. Tel est le cas lorsque l’un des copartageants revendique abusivement des droits sur un bien attribué à un autre, ou lorsqu’il entrave la jouissance paisible du lot de son cohéritier. La Cour de cassation a consacré cette exception en admettant que le trouble de fait causé par un copartageant puisse engager sa responsabilité et donner lieu à garantie (Cass. com., 8 déc. 1966).

3. L’insolvabilité du débiteur d’une créance attribuée lors du partage

Outre les troubles affectant la jouissance d’un bien immobilier ou mobilier, la garantie s’applique également lorsqu’un copartageant se voit attribuer, en partage, une créance irrécouvrable. En effet, si l’un des lots comprend une créance et que le débiteur de cette dernière est insolvable à la date du partage, le copartageant lésé peut se prévaloir de la garantie. Cette solution a été rappelée par la Cour de cassation, qui a jugé que lorsque l’insolvabilité du débiteur est révélée avant le partage, elle constitue un trouble ouvrant droit à la garantie des lots (Cass. 1re civ., 22 mars 1983).

L’objectif de cette règle est de garantir l’équilibre du partage et d’éviter qu’un copartageant ne se retrouve lésé par l’attribution d’un élément de patrimoine dépourvu de toute valeur effective. Dès lors, en présence d’une créance douteuse, il appartient aux copartageants d’exercer un contrôle préalable afin d’éviter toute contestation ultérieure.

C. L’exigence d’une cause antérieure au partage et l’absence de faute

La garantie des lots n’a pas un caractère absolu. Sa mise en œuvre est soumise à deux conditions : d’une part, le trouble ou l’éviction doit trouver sa cause dans une situation antérieure au partage, et d’autre part, le copartageant évincé ne doit pas être lui-même fautif. Ces exigences visent à préserver l’équilibre du partage tout en évitant des garanties abusives ou des contestations résultant de la négligence des copartageants eux-mêmes.

1. Une cause antérieure au partage : condition sine qua non de la garantie

L’article 884 du Code civil fonde le principe selon lequel la garantie ne s’étend qu’aux troubles dont l’origine est antérieure au partage. Cela signifie que le copartageant évincé ne peut prétendre à la garantie que si le trouble ou l’éviction découle d’un droit réel préexistant au partage, dont l’existence était ignorée ou sous-estimée au moment de la répartition des lots.

Ce principe a notamment été illustré par l’hypothèse d’une prescription acquisitive ayant débuté avant le partage mais s’achevant après celui-ci. Dans un tel cas, la garantie pourrait, en théorie, être invoquée par le copartageant évincé, car l’éviction résulterait d’une situation juridique initiée avant la répartition des lots. Cette analyse a été avancée par certains auteurs qui considèrent qu’une telle prescription doit être prise en compte dès lors qu’elle constitue une menace latente au moment du partage.

Toutefois, cette position doctrinale n’est pas exempte de nuances. En effet, certains auteurs soulignent que la garantie ne saurait jouer si l’omission d’un acte interruptif de prescription est imputable à la négligence du copartageant évincé. Dans cette hypothèse, l’éviction ne résulte plus d’un trouble préexistant au partage, mais bien d’une absence de diligence postérieure à celui-ci, excluant ainsi le jeu de la garantie.

2. L’exclusion de la garantie en cas de faute du copartageant évincé

Le second principe limitatif de la garantie réside dans l’exclusion de toute prise en charge des évictions causées par la faute du copartageant évincé. L’article 884 du Code civil précise en effet que la garantie cesse dès lors que l’éviction résulte d’une faute du copartageant concerné. Ce principe repose sur une logique de responsabilité individuelle : un copartageant qui, par sa propre imprudence ou inaction, favorise ou ne prévient pas son éviction, ne peut exiger une indemnisation de ses cohéritiers.

La faute du copartageant évincé peut prendre plusieurs formes :

  • La négligence à faire valoir un moyen de défense : un copartageant qui se laisse condamner sans opposer les moyens de droit dont il dispose ne saurait invoquer la garantie.
  • L’omission d’appeler les autres copartageants en garantie : si le copartageant, confronté à une revendication d’un tiers, s’abstient de solliciter l’intervention des autres copartageants dans le cadre du litige, il commet une faute qui exclut son droit à garantie (Cass. req., 24 déc. 1866).

Ainsi, l’application de la garantie suppose non seulement que le trouble soit antérieur au partage, mais également que le copartageant ait agi avec diligence pour préserver ses droits. La jurisprudence veille à ce que la garantie ne devienne pas un instrument de correction de la négligence ou de l’inertie des copartageants.

II) Mise en oeuvre

La garantie des lots ne constitue pas une simple protection théorique des copartageants : elle ouvre la voie à un recours spécifique, permettant au copartageant évincé d’obtenir réparation.

A) Le recours en garantie : modalités d’exercice

Lorsqu’un copartageant est évincé d’un bien qui lui a été attribué lors du partage, il dispose d’un recours en garantie contre les autres copartageants. Ce recours s’articule autour de deux voies procédurales, selon que l’éviction est encore hypothétique ou déjà consommée. Il bénéficie en outre à certaines catégories de tiers, en particulier les ayants cause et les créanciers du copartageant évincé.

1. L’appel en garantie avant l’éviction effective

Si le copartageant concerné fait l’objet d’une revendication judiciaire d’un tiers sur le bien qui lui a été attribué, il a la possibilité d’appeler ses copartageants en garantie dans la procédure principale. Cette démarche vise à prévenir un éventuel préjudice en intégrant d’emblée la question de la garantie dans le cadre du litige existant.

a. Un mécanisme préventif évitant la multiplication des contentieux

L’appel en garantie permet de traiter la question de l’éviction dans le cadre de la procédure engagée par le tiers, ce qui évite au copartageant menacé de devoir ultérieurement introduire une action autonome en réparation. Cette solution présente un double avantage:

  • Elle limite le morcellement des contentieux, en évitant que le copartageant évincé ne doive engager une seconde procédure contre ses co-partageants une fois l’éviction constatée ;
  • Elle assure une meilleure coordination des défenses, en permettant aux copartageants de faire front commun pour contester la revendication du tiers.

b. Un recours limité aux troubles de droit

Cet appel en garantie est toutefois conditionné à l’existence d’un trouble de droit, c’est-à-dire d’une revendication fondée sur un droit réel préexistant au partage.

Ainsi, si l’éviction résulte d’un trouble de fait, sans fondement juridique avéré, la garantie ne pourra être invoquée contre les copartageants.

2. L’action autonome après l’éviction

Lorsque l’éviction est déjà consommée, et que le copartageant a perdu la jouissance du bien litigieux, il lui reste la possibilité d’agir en garantie contre ses co-indivisaires par le biais d’une action autonome.

a. Une action visant à rétablir l’équilibre du partage

L’objectif de cette action en garantie est de rétablir l’égalité entre les copartageants, en compensant la perte subie par l’évincé. Cette compensation peut prendre plusieurs formes :

  • Une indemnisation pécuniaire, à hauteur de la valeur du bien perdu ;
  • L’attribution d’un autre bien, lorsque cela est possible, en compensation du lot évincé.

L’action en garantie trouve ainsi son fondement dans la nature compensatoire du partage, lequel doit préserver l’équilibre entre les copartageants.

b. Une action qui repose sur la garantie des lots

L’action en garantie après éviction repose sur l’obligation de garantie attachée au partage, laquelle s’inspire des mécanismes de garantie des vices cachés en matière contractuelle. Toutefois, elle se distingue du régime de la garantie des vices cachés, dans la mesure où elle ne suppose pas une faute des copartageants : leur responsabilité est objective et découle du simple fait de l’éviction.

3. L’extension du recours aux ayants cause et aux créanciers du copartageant évincé

L’action en garantie n’est pas un droit exclusivement réservé au copartageant directement évincé : elle peut être exercée par d’autres parties ayant un intérêt légitime à la protection du patrimoine partagé.

a. Les ayants cause du copartageant évincé

Les ayants cause du copartageant évincé disposent d’un droit propre à agir en garantie, qu’il s’agisse :

  • D’héritiers, qui poursuivent la revendication initiée par le copartageant défunt ;
  • De cessionnaires, ayant acquis les droits du copartageant évincé et subissant directement le préjudice lié à l’éviction.

Cette transmission du droit à garantie assure la continuité de la protection attachée au partage, en permettant aux ayants cause de faire valoir les droits qui leur reviennent par transmission successorale ou contractuelle.

b. L’action oblique des créanciers du copartageant évincé

Les créanciers du copartageant évincé disposent également d’un mécanisme spécifique leur permettant d’exercer la garantie en lieu et place du copartageant.

Cette faculté repose sur l’action oblique, qui leur permet d’agir en justice pour préserver leurs droits, lorsque le débiteur n’exerce pas lui-même ses droits contre ses co-partageants.

Ce recours présente un intérêt particulier lorsque le copartageant évincé :

  • Est inactif ou refuse d’agir en justice ;
  • Est insolvable, et que ses créanciers souhaitent garantir le recouvrement de leur créance en obtenant une compensation pour le bien perdu.

Grâce à cette action oblique, les créanciers peuvent éviter qu’une inaction du copartageant évincé ne les prive d’un recours utile, garantissant ainsi une meilleure protection de leurs droits.

B) Prescription de l’action en garantie

L’action en garantie des lots, permettant au copartageant évincé d’obtenir une compensation, est soumise à un régime de prescription encadré par le droit civil. Ce régime a connu une évolution majeure avec la réforme du 23 juin 2006, qui a considérablement réduit le délai pour agir en justice.

1. L’ancien régime : une prescription trentenaire

Avant la réforme de 2006, l’action en garantie obéissait au régime général de prescription applicable aux actions réelles et immobilières.

a. Un délai de 30 ans protecteur mais excessif

Conformément aux règles de prescription de droit commun, l’action en garantie pouvait être exercée dans un délai de 30 ans à compter de l’éviction.

Ce délai prolongé avait pour objectif de protéger les copartageants évincés, leur offrant une période étendue pour découvrir un éventuel trouble et agir en conséquence.

b. Une instabilité prolongée des partages

Toutefois, cette prescription trentenaire présentait d’importants inconvénients :

  • Elle permettait de rouvrir des partages anciens, perturbant des situations patrimoniales stabilisées depuis des décennies.
  • Elle entretenait une incertitude juridique persistante, en maintenant le risque de contestation sur une durée excessive.
  • Elle compliquait la preuve des faits, puisque les événements à l’origine de l’éviction pouvaient être très anciens, rendant leur démonstration difficile.

Face à ces inconvénients, le législateur a choisi d’intervenir pour rationaliser le régime de prescription, en réduisant substantiellement le délai accordé aux copartageants évincés.

2. Le nouveau régime : une prescription abrégée à deux ans

La réforme du 23 juin 2006 a introduit une limitation plus stricte du droit d’agir en garantie, en instaurant un délai de prescription de deux ans, fixé par l’article 886 du Code civil.

a. Un délai plus court pour sécuriser les partages

Désormais, le copartageant évincé dispose de deux ans pour exercer son recours en garantie, ce délai courant à compter de l’éviction effective ou de la découverte du trouble.

Ce changement répond à un double objectif :

  • Garantir la stabilité des partages, en évitant qu’ils ne soient remis en cause des décennies après leur réalisation.
  • Limiter les contestations tardives, qui reposaient souvent sur des faits difficilement vérifiables, générant des incertitudes pour les héritiers ou copartageants.

Ce nouveau délai s’aligne ainsi sur la tendance générale du droit des successions et des indivisions, visant à raccourcir les périodes de contestation pour renforcer la prévisibilité des transmissions patrimoniales.

b. Une prise en compte du moment où l’éviction est révélée

Toutefois, la jurisprudence veille à ce que l’application de ce délai ne soit pas trop rigide et qu’elle tienne compte des circonstances propres à chaque situation.

Ainsi, lorsque le trouble ou l’éviction n’était pas immédiatement perceptible au moment du partage, le point de départ du délai est reporté à la date où le copartageant en a eu une connaissance effective.

Cette approche protège les copartageants évincés contre des situations où le trouble ne se manifeste qu’après plusieurs années, notamment dans les cas suivants :

  • Une revendication tardive d’un tiers, révélant un droit réel antérieur au partage mais inconnu lors de l’attribution des lots.
  • Une hypothèque non révélée lors du partage, qui n’est découverte qu’au moment de la saisie du bien.
  • Une prescription acquisitive ayant produit ses effets après le partage, rendant impossible la jouissance du bien attribué.

III) Effets

La garantie des lots repose sur un principe d’égalité entre copartageants, garantissant que nul ne soit lésé par une éviction ou un trouble affectant son lot.

Toutefois, cette garantie ne conduit pas à une remise en cause du partage lui-même, mais ouvre droit à une indemnisation, dont les modalités de répartition et de mise en œuvre obéissent à des règles précises.

A) Une indemnisation et non une remise en cause du partage

2. Un principe de compensation financière

Contrairement à d’autres mécanismes juridiques permettant d’anéantir rétroactivement un acte (comme l’action en nullité), la garantie des lots n’a pas pour effet d’invalider le partage.

L’éviction d’un copartageant ne remet pas en cause l’opération de partage en elle-même, mais génère un droit à réparation. Cette solution s’explique par la nature même du partage, qui n’est pas une cession mais une attribution à titre déclaratif.

Dès lors, la réparation prend exclusivement la forme d’une indemnisation dont le montant est calculé en fonction de la valeur du bien évincé au jour de l’éviction (Cass. 1re civ., 9 juin 1970, n°69-11.048).

2. Une évaluation fondée sur la valeur réelle du bien

Le calcul de l’indemnité ne repose pas sur la valeur du bien au jour du partage, mais bien sur sa valeur au moment où l’éviction survient. Cette approche permet d’éviter une indemnisation inéquitable en raison de la dépréciation ou de l’appréciation du bien au fil du temps.

Ainsi, si un immeuble attribué lors du partage subit une éviction plusieurs années plus tard, l’indemnité due au copartageant évincé sera évaluée en fonction du prix du marché immobilier à cette date, et non de sa valeur au moment du partage.

B) Une répartition de l’indemnisation entre les copartageants

1. Une charge collective et proportionnelle

L’indemnisation due au copartageant évincé est répartie entre tous les copartageants, proportionnellement à l’émolument reçu lors du partage (art. 885 C. civ.).

Cette règle repose sur un principe d’équité : tous les copartageants ont bénéficié du partage, il est donc légitime qu’ils contribuent à la réparation.

2. La prise en compte de l’insolvabilité d’un copartageant

Toutefois, lorsque l’un des copartageants est insolvable, sa part d’indemnisation est répartie entre les autres, y compris le copartageant évincé lui-même.

Ce mécanisme, bien que critiquable en ce qu’il impose une charge supplémentaire au copartageant lésé, vise à préserver la solidarité entre copartageants et à éviter une rupture de l’équilibre du partage.

C) Une garantie étendue au fait personnel des copartageants

Outre la garantie traditionnelle, qui couvre les troubles de droit affectant les biens attribués, la jurisprudence a consacré une garantie du fait personnel des copartageants (Cass. com., 8 déc. 1966).

Cette garantie repose sur un principe fondamental : aucun copartageant ne peut, après le partage, adopter un comportement portant atteinte aux droits d’un autre.

Plusieurs situations ont donné lieu à l’application de cette garantie :

  • L’exploitation d’un fonds de commerce concurrent à proximité immédiate de celui attribué à un autre copartageant a été jugée constitutive d’une violation de la garantie du fait personnel (Cass. com., 17 oct. 1984).
  • La remise en cause d’un droit concédé lors du partage, par exemple en contestant la validité d’une servitude attribuée à un autre copartageant, peut également donner lieu à garantie.

Contrairement à la garantie classique, qui repose sur l’article 884 du Code civil, la garantie du fait personnel trouve son fondement dans l’obligation de bonne foi et le respect des engagements (art. 1104 C.civ.).

Ce fondement a des implications importantes :

  • Elle pourrait être considérée d’ordre public, ce qui interdirait aux copartageants de l’exclure contractuellement.
  • Elle repose sur une logique de loyauté entre copartageants, interdisant toute manœuvre destinée à priver un autre copartageant du bénéfice du partage.

Attribution préférentielle: effets

L’attribution préférentielle constitue une modalité d’allotissement. Elle ne confère pas immédiatement la propriété du bien à l’attributaire, mais lui assure qu’il lui sera dévolu lors de la division définitive des actifs indivis. Cette intégration dans son lot s’effectue sous réserve du respect de l’équilibre du partage, ce qui peut impliquer le versement d’une soulte destinée à compenser les droits des autres indivisaires.

A) L’intégration du bien dans le lot de l’attributaire

L’attribution préférentielle constitue une modalité particulière d’allotissement permettant à un indivisaire de se voir attribuer un bien spécifique en priorité, sous réserve du respect de certaines conditions. Elle ne confère cependant pas immédiatement à son bénéficiaire la pleine propriété du bien en cause. Tant que le partage n’a pas été définitivement consommé, l’attributaire demeure soumis au régime de l’indivision, avec toutes les conséquences qui en découlent.

Ce régime transitoire implique notamment que l’attributaire ne puisse exercer sur le bien l’ensemble des prérogatives du propriétaire exclusif, qu’il s’agisse de l’administration, de la disposition ou encore de l’exploitation du bien. Toutefois, une fois le partage clôturé, l’attribution préférentielle produit un effet déclaratif qui consolide rétroactivement les droits de l’attributaire, lui reconnaissant une pleine propriété réputée acquise dès l’ouverture de l’indivision.

1. L’acquisition des droits attachés au bien

L’attribution préférentielle constitue un mode particulier d’allotissement dans le cadre du partage successoral ou de l’indivision. Son bénéficiaire ne devient pas immédiatement propriétaire du bien qui lui est attribué, mais acquiert un droit à en recevoir la pleine propriété lors de la division définitive des actifs. Tant que le partage n’est pas consommé, le bien demeure juridiquement soumis au régime de l’indivision, avec toutes les conséquences que cela implique.

Ainsi, jusqu’à la clôture des opérations de partage:

  • L’attributaire ne détient qu’un droit provisoire sur le bien, sans pour autant pouvoir se comporter comme un propriétaire exclusif ;
  • Il ne peut en disposer seul, notamment par voie de cession ou d’hypothèque, sauf à recueillir le consentement des autres indivisaires ou à obtenir une homologation judiciaire ;
  • Le bien attribué reste régi par les règles de l’indivision, impliquant notamment que les actes de disposition nécessitent l’accord unanime des indivisaires ou une majorité qualifiée (art. 815-3 C. civ.).

Cependant, une fois le partage définitivement consommé, l’attribution préférentielle produit un effet déclaratif et rétroactif. En vertu du principe de l’effet déclaratif du partage, le bien est réputé avoir toujours appartenu à l’attributaire depuis l’ouverture de l’indivision, sans qu’il y ait eu transmission de propriété à proprement parler (art. 883 C. civ.). 

Il s’ensuit que l’attributaire peut exercer sur le bien tous les droits attachés à la pleine propriété, sans avoir à justifier d’un titre de transfert. 

2. L’estimation des biens

L’intégration du bien dans le lot de l’attributaire suppose nécessairement une évaluation rigoureuse, visant à préserver l’égalité entre les indivisaires. L’article 832-4 du Code civil fixe à cet égard une règle fondamentale : la valeur du bien doit être déterminée à la date de la jouissance divise, qui doit être la plus proche possible du jour du partage effectif.

L’évaluation du bien repose sur plusieurs critères:

  • La valeur vénale du bien au jour du partage
    • Il convient de tenir compte des prix du marché et de l’état du bien au moment où l’attributaire en prend possession exclusive.
    • Cette évaluation exclut toute spéculation sur des hausses futures du marché ou sur des facteurs incertains.
  • L’état du bien et les éventuelles modifications survenues durant l’indivision
    • Si le bien s’est détérioré ou a été amélioré au cours de l’indivision, il faut distinguer l’origine de ces changements :
      • Les plus-values résultant d’événements fortuits (ex. : revalorisation du quartier, travaux publics alentour) profitent à l’indivision.
      • Celles issues d’initiatives personnelles de l’attributaire lui reviennent, sous réserve d’une indemnisation éventuelle due aux coindivisaires.
      • À l’inverse, les moins-values imputables à la négligence de l’attributaire devront être prises en compte à son détriment.
  • La prise en compte des charges et impenses engagées par l’attributaire
    • L’attributaire préférentiel, bien que destiné à devenir propriétaire du bien qui lui est attribué, ne peut prétendre à la pleine jouissance privative de celui-ci avant la clôture définitive des opérations de partage. 
    • Durant cette période transitoire, le bien demeure indivis et soumis aux règles gouvernant l’indivision (art. 832 et 1476 C. civ.).
    • Cette situation a des conséquences directes sur la prise en charge des dépenses relatives au bien. 
    • Conformément à l’article 815-13 du Code civil, lorsqu’un indivisaire a assumé des frais de conservation et de gestion sur un bien indivis, il peut en obtenir remboursement, sous réserve d’une appréciation en équité. 
    • Ce remboursement est évalué au regard :
      • Des dépenses effectivement engagées par l’indivisaire ;
      • De la plus-value conférée au bien, appréciée à la date du partage.
    • Ainsi, si l’attributaire a financé des travaux d’amélioration (rénovation, agrandissement, modernisation du bien), il peut prétendre à une indemnisation équitable dès lors que ces investissements ont contribué à valoriser le bien indivis. 
    • À l’inverse, si le bien a fait l’objet d’une dégradation imputable à l’attributaire, celui-ci devra indemniser la masse indivise pour le préjudice causé.
    • Un arrêt rendu par la Cour de cassation le 20 mars 1990 illustre précisément ces principes. 
    • Dans cette affaire, la Première chambre civile a censuré une cour d’appel qui avait considéré que les travaux financés par l’attributaire préférentiel après un jugement d’attribution de 1979 devaient rester à sa charge, au motif qu’il était devenu propriétaire du bien par le seul effet de ce jugement. 
    • La Haute juridiction rappelle au contraire que le bien demeure indivis jusqu’au partage, et que l’attributaire, à ce titre, doit pouvoir obtenir la prise en compte des dépenses qu’il a engagées pour sa conservation et son amélioration (Cass. 1re civ., 20 mars 1990, n°88-16.847).
    • Ce principe s’articule avec l’exigence d’une évaluation correcte du bien au jour du partage. 
    • Dans le même arrêt, la Cour a cassé une décision qui avait prescrit une simple réactualisation de la valeur du bien sur la base d’un indice du coût de la construction, rappelant que l’estimation du bien doit être réalisée à la date effective du partage, et non sur la base d’une indexation mécanique.
    • Dès lors, toute dépense engagée par l’attributaire sur le bien indivis doit être analysée au regard de ses effets sur la valeur du bien. 
    • Cette appréciation suppose une distinction entre :
      • Les dépenses nécessaires à la conservation du bien, qui doivent être remboursées ;
      • Les dépenses d’amélioration, qui peuvent donner lieu à une indemnisation si elles ont généré une plus-value ;
      • Les détériorations fautives, qui doivent être compensées par l’attributaire au bénéfice de la masse indivise.

Enfin, l’évaluation du bien attribué constitue un enjeu fondamental pour l’équilibre du partage. Si la valeur du bien correspond ou est inférieure aux droits de l’attributaire dans la masse partageable, elle s’impute simplement sur sa part, sans qu’aucune compensation supplémentaire ne soit requise. En revanche, lorsque la valeur du bien excède ses droits, l’attributaire doit verser une soulte aux autres indivisaires afin de rétablir l’équité. Cette compensation s’effectue généralement en numéraire, mais elle peut également prendre la forme d’une dation en paiement, sous réserve de l’accord des parties et des conditions légales applicables.

La rigueur de cette estimation revêt une importance d’autant plus grande que des contestations peuvent surgir ultérieurement. La jurisprudence admet ainsi qu’une réévaluation du bien puisse être sollicitée, notamment lorsque la valeur retenue lors de l’attribution initiale apparaît obsolète au moment du partage effectif (Civ. 1re, 4 janv. 1980, Bull. civ. I, no 9 ; Civ. 1re, 28 avr. 1986, Bull. civ. I, no 105). Toutefois, une telle révision ne saurait être fondée sur des considérations purement spéculatives : elle suppose la démonstration de circonstances objectives ayant substantiellement modifié la valeur du bien depuis son évaluation initiale.

Dans un arrêt du 4 janvier 1980, la Cour de cassation a jugé avec rigueur que l’évaluation d’un bien attribué préférentiellement devait être stabilisée et ne pouvait faire l’objet d’une révision qu’en présence de circonstances économiques objectives ayant substantiellement modifié sa valeur depuis la première estimation (Cass. 1re civ., 4 janv. 1980, n°78-13.596). En l’espèce, une héritière sollicitait la réactualisation de la valeur d’immeubles successoraux, estimant que la fixation opérée en 1975, lors de leur attribution préférentielle, ne correspondait plus à leur valeur réelle au moment du partage. La Cour de cassation rejeta cette demande, rappelant que la valeur des biens attribués doit être déterminée à une date aussi proche que possible du partage et qu’en l’absence de disposition contraire, l’évaluation arrêtée par la décision initiale s’imposait avec l’autorité de la chose jugée.

Cette solution met en évidence une distinction essentielle :

  • Lorsque le partage n’est pas encore définitivement arrêté, une réévaluation peut être envisagée si des circonstances nouvelles et objectives ont modifié substantiellement la valeur du bien ;
  • À l’inverse, si une décision judiciaire a fixé irrévocablement cette valeur, aucune révision ne saurait intervenir, même en cas de fluctuations du marché immobilier.

Ainsi, une revalorisation ne peut être admise sur la seule base d’une évolution économique. Elle doit reposer sur des éléments concrets, tels qu’une évolution réglementaire modifiant la constructibilité du bien ou une altération significative de son état.

Dès lors, il appartient aux parties d’anticiper les risques liés à une fixation inadaptée de la valeur du bien, en veillant, avant la finalisation du partage, à solliciter une expertise actualisée, seule à même d’éviter les litiges ultérieurs.

3. Le paiement de la soulte

L’attribution préférentielle, en ce qu’elle permet à un indivisaire de se voir attribuer un bien spécifique en priorité, ne saurait rompre l’égalité du partage. Dès lors, lorsque la valeur du bien attribué excède les droits de l’attributaire dans la masse à partager, celui-ci se trouve redevable d’une soulte destinée à rétablir cet équilibre. Cette compensation, qui s’effectue généralement en numéraire, peut sous certaines conditions prendre la forme d’une dation en paiement.

Toutefois, les modalités de règlement de cette soulte diffèrent selon que l’attribution préférentielle revêt un caractère facultatif ou résulte d’un droit reconnu par la loi.

a. L’attribution préférentielle facultative

Lorsqu’elle revêt un caractère facultatif, l’attribution préférentielle demeure soumise à l’appréciation du juge, lequel peut, en opportunité, décider de l’accorder ou de la refuser. Conscient du risque d’atteinte à l’égalité entre copartageants, le législateur a posé une règle de principe : le paiement comptant de la soulte (art. 832-4, al. 1er C. civ.).

Cette exigence repose sur l’idée que l’attribution préférentielle ne saurait s’opérer aux dépens des autres indivisaires, lesquels doivent être indemnisés immédiatement de la perte d’un bien qui aurait pu leur revenir. Cette règle emporte plusieurs conséquences qu’il y a lieu d’examiner.

==>L’insolvabilité de l’attributaire comme obstacle à l’attribution préférentielle

L’octroi d’une attribution préférentielle ne peut être accordé sans garantie quant à la solvabilité de l’attributaire. Ainsi, le juge peut légitimement rejeter une demande lorsque le requérant ne dispose pas des ressources nécessaires pour s’acquitter de la soulte due (Cass. 1re civ., 25 mars 1997, n° 95-15.770).

Ce principe répond à une logique de protection des copartageants, lesquels ne doivent pas se voir imposer un risque d’insolvabilité. En effet, une fois l’attribution préférentielle réalisée, les copartageants ne disposent plus du bien initialement indivis et doivent compter sur la capacité financière de l’attributaire pour percevoir la compensation qui leur est due. Le juge appréciera donc l’opportunité de l’attribution en fonction des moyens du requérant, et pourra l’écarter si le paiement de la soulte apparaît incertain.

==>L’impossibilité d’octroyer des délais judiciaires de paiement

Le caractère immédiat du paiement distingue les attributions préférentielles facultatives des attributions préférentielles de droit. Le juge est dépourvu de tout pouvoir d’accorder des délais de paiement au débiteur de la soulte, ce qui signifie que l’attributaire doit être en mesure de régler immédiatement l’intégralité de la somme due.

Cette règle s’applique avec une rigueur particulière dans le cadre du partage d’une communauté dissoute par divorce ou séparation de biens, où il a été jugé que l’attribution préférentielle, bien qu’admise, ne saurait être accompagnée d’un paiement différé (Cass. 1re civ., 11 juin 2008, n° 07-16.184).

Toutefois, bien que le juge ne puisse accorder de délai, les copartageants ont la possibilité de convenir amiablement d’un paiement différé, sous réserve d’un accord express (art. 832-4, al. 2 C. civ.). En pareil cas, les parties peuvent organiser librement les modalités du paiement et fixer, le cas échéant, un échéancier, un taux d’intérêt conventionnel ou encore des garanties spécifiques destinées à assurer le règlement des sommes dues.

==>Les modalités du paiement de la soulte

  • Principe du paiement en numéraire
    • Le paiement en numéraire constitue le mode normal d’acquittement de la soulte dans le cadre d’une attribution préférentielle facultative.
    • Conformément à l’article 832-4, alinéa 1er du Code civil, la soulte doit être réglée immédiatement, sauf accord amiable entre les copartageants. 
    • Cette règle vise à préserver l’égalité du partage en garantissant aux copartageants évincés une compensation financière immédiate, leur permettant ainsi de recouvrer leur part dans l’indivision sous une forme directement mobilisable.
    • L’exigence de paiement comptant s’explique par la nature même de l’attribution préférentielle facultative : ne constituant pas un droit en faveur du demandeur, elle est accordée sous réserve qu’il puisse assurer l’équilibre du partage sans léser les autres indivisaires. 
    • Dès lors, le défaut de paiement de la soulte peut justifier un refus de l’attribution préférentielle, le juge pouvant considérer que l’insolvabilité du requérant met en péril les intérêts des copartageants créanciers (Cass. 1re civ., 25 mars 1997, n° 95-15.770).
    • Toutefois, les parties conservent la liberté d’aménager contractuellement les modalités de paiement. 
    • Un accord amiable peut notamment prévoir un échelonnement du règlement, dans des conditions fixées par les copartageants eux-mêmes. En l’absence de convention contraire, les sommes restant dues produisent intérêts au taux légal à compter de la date du partage définitif (art. 834, al. 2 C. civ.).
  • Tempéraments
    • Le paiement par compensation
        • Bien que la règle de principe impose un règlement en numéraire, la soulte peut, dans certains cas, être acquittée par compensation. 
        • Ce mécanisme permet d’éteindre réciproquement des obligations de paiement lorsqu’un indivisaire est à la fois débiteur d’une soulte et créancier d’une somme équivalente due par l’indivision ou par ses copartageants.
        • La compensation est envisageable notamment dans les situations suivantes :
          • Créance de salaire différé : lorsqu’un héritier a travaillé au sein d’une exploitation familiale sans percevoir de rémunération, il peut être titulaire d’une créance de salaire différé à l’encontre de la succession. Cette créance peut être compensée avec la soulte qu’il doit verser à ses cohéritiers (Cass. 1re civ., 22 janv. 1958).
          • Indemnités diverses : lorsqu’un indivisaire a avancé des frais de conservation ou de gestion d’un bien indivis, ou s’il bénéficie d’une indemnité compensatoire allouée dans le cadre d’un divorce, ces sommes peuvent être prises en compte pour neutraliser partiellement ou totalement la soulte due.
          • Dommages et intérêts : dans certaines situations, des sommes allouées à l’un des copartageants à titre de réparation (par exemple, dans le cadre d’un divorce) peuvent être compensées avec la soulte résultant de l’attribution préférentielle (CA Paris, 4 nov. 1969).
        • Si la compensation est possible, elle reste subordonnée à la réunion des conditions prévues par le droit commun (art. 1347 C. civ.). 
        • En particulier, la créance opposée en compensation doit être certaine, liquide et exigible. 
        • À défaut, la compensation ne peut être imposée aux autres copartageants et nécessite leur consentement.
    • La dation en paiement
      • Si le paiement de la soulte est normalement exigible en numéraire, il peut également s’opérer par le biais d’une dation en paiement, c’est-à-dire par la remise d’un bien en contrepartie de la créance de soulte.
      • La dation en paiement repose avant tout sur un accord des copartageants : l’attributaire ne peut l’imposer unilatéralement aux autres indivisaires. 
      • Ceux-ci doivent accepter de recevoir un bien en contrepartie de leur créance, et ce, en considération de sa valeur vénale et de son adéquation avec le montant de la soulte due.
      • Cette solution peut être particulièrement pertinente lorsque :
        • L’attributaire ne dispose pas de liquidités suffisantes pour régler la soulte en numéraire.
        • L’actif indivis comprend des biens dont le partage en nature est difficile ou dont la cession est économiquement inopportune.
        • Les copartageants sont enclins à recevoir un bien plutôt qu’un versement monétaire, notamment pour préserver la continuité d’une exploitation agricole ou d’un ensemble immobilier indivis.
      • Lorsque la dation en paiement est consentie, elle doit être formalisée dans l’acte de partage. En cas de litige sur la valeur du bien remis en dation, une expertise peut être ordonnée afin de garantir l’équivalence avec le montant de la soulte due.
      • La dation en paiement entraîne un transfert immédiat de propriété au profit des copartageants créanciers. 
      • Ces derniers deviennent titulaires du bien remis en contrepartie de la soulte, ce qui éteint corrélativement la dette de l’attributaire.
      • Cette modalité de paiement présente plusieurs avantages :
        • Elle évite la nécessité d’un financement bancaire pour l’attributaire, ce qui peut être un critère déterminant lorsque les montants en jeu sont élevés.
        • Elle permet aux copartageants de se voir attribuer un bien d’une valeur équivalente à leur part successorale, sans attendre le versement d’une soulte en numéraire.
      • Cependant, la dation en paiement doit être encadrée avec précaution. 
      • Son exécution suppose que le bien remis en paiement ne soit grevé d’aucune charge de nature à en diminuer la valeur. 
      • De même, en cas de contestation sur l’équivalence de la dation avec la soulte due, il pourrait être nécessaire d’engager une action judiciaire pour statuer sur la validité de l’opération.
      • Le Code civil prévoit expressément la possibilité d’une dation en paiement dans le cadre de l’attribution préférentielle de biens agricoles destinés à constituer un groupement foncier agricole (art. 832-1, al. 4 C. civ.). 
      • Dans ce cas, les copartageants peuvent être réglés par l’attribution de parts du groupement foncier en contrepartie de leur créance de soulte, sous réserve qu’ils n’aient pas manifesté leur opposition à ce mode de règlement dans un délai d’un mois.
      • D’une manière plus générale, la jurisprudence a admis que le paiement d’une soulte puisse être réalisé par la remise d’un bien immobilier ou de parts sociales lorsque les parties en conviennent librement et que cette solution permet de préserver l’équilibre du partage.

==>La production d’intérêts

Le paiement de la soulte dans le cadre d’une attribution préférentielle soulève la question de la production d’intérêts, notamment en cas de report du règlement. En l’absence de convention contraire entre les copartageants, le régime applicable repose sur une distinction entre la période antérieure et la période postérieure au partage définitif.

  • L’absence d’intérêts avant la date du partage définitif
    • Le principe posé par l’article 834, alinéa 2, du Code civil est que la soulte ne produit pas d’intérêts avant la clôture définitive des opérations de partage. 
    • Autrement dit, tant que le partage n’a pas été formellement établi, les créanciers de la soulte ne peuvent exiger aucun intérêt, sauf stipulation expresse des parties.
    • Ce principe repose sur une logique d’équilibre entre les copartageants: tant que l’indivision subsiste juridiquement, l’attributaire du bien reste soumis aux règles de l’indivision et ne bénéficie pas encore pleinement des prérogatives exclusives de propriété. 
    • Dès lors, l’obligation de verser des intérêts sur la soulte ne prend effet qu’à compter du moment où l’attributaire devient juridiquement propriétaire exclusif du bien attribué.
    • Toutefois, les copartageants ont la possibilité de déroger à cette règle en stipulant contractuellement que la soulte portera intérêts avant la date du partage. 
    • Une telle convention peut être pertinente notamment lorsque le paiement de la soulte est différé et que les créanciers souhaitent être indemnisés du préjudice financier résultant de l’attente prolongée.
  • La production d’intérêts après le partage définitif
    • À compter de la date du partage définitif, la soulte devient de plein droit productive d’intérêts au taux légal, sauf si les copartageants ont convenu d’un taux différent. 
    • Cette règle vise à assurer une indemnisation des créanciers de la soulte pour le retard dans le paiement effectif de leur créance, en évitant qu’ils ne subissent une dépréciation monétaire.
    • Le régime applicable s’articule autour de deux principes:
      • Le point de départ des intérêts : les intérêts commencent à courir dès la date du partage définitif, sans qu’une mise en demeure préalable soit nécessaire.
      • Le taux applicable : en l’absence de stipulation contractuelle, les intérêts sont calculés au taux légal. Toutefois, les parties peuvent convenir d’un taux conventionnel, sous réserve qu’il ne soit pas usuraire et qu’il soit fixé de manière expresse dans l’acte de partage.

==>Aménagements conventionnels

Lorsque les copartageants concluent un accord amiable sur les modalités de paiement de la soulte, ils disposent d’une large liberté pour organiser l’exigibilité des intérêts. Ils peuvent notamment :

  • Définir un taux d’intérêt conventionnel, inférieur ou supérieur au taux légal, sous réserve qu’il respecte les limites imposées par la législation sur l’usure.
  • Reporter le point de départ des intérêts à une date postérieure à celle du partage définitif, par exemple en cas d’échelonnement du paiement de la soulte.
  • Fixer des échéances de paiement adaptées aux ressources financières de l’attributaire, tout en préservant les intérêts économiques des copartageants créanciers.

En cas de différend sur l’application des intérêts, le juge peut être amené à trancher, mais il ne peut en principe déroger aux règles posées par la loi, sauf si les parties ont expressément prévu des aménagements dans leur convention de partage.

b. L’attribution préférentielle de droit

Dans certaines hypothèses, le législateur a institué un régime favorable à l’attributaire, considérant que la pérennité de certains biens, tels qu’une exploitation agricole, une entreprise familiale ou le logement du conjoint survivant, justifie un assouplissement des contraintes financières pesant sur le partage. L’objectif est d’éviter que l’obligation de paiement immédiat de la soulte ne compromette la conservation du bien et, partant, ne conduise à sa cession forcée.

L’article 832-4, alinéa 2, du Code civil instaure ainsi un mécanisme spécifique qui permet au bénéficiaire de l’attribution préférentielle d’exiger de ses copartageants des délais de paiement pour une fraction de la soulte, dans une double limite :

  • Durée : le report ne peut excéder dix ans, un délai qui résulte d’un aménagement progressif du dispositif, renforcé notamment par la loi d’orientation agricole du 9 juillet 1980.
  • Montant : la fraction de la soulte dont le paiement est différé ne peut excéder la moitié de la somme due.

Ce mécanisme repose sur plusieurs principes, qui encadrent à la fois la mise en œuvre du paiement différé et les garanties dont bénéficient les créanciers de la soulte.

==>L’aménagement légal du paiement au profit de l’attributaire

L’attribution préférentielle de droit constitue une exception au principe du paiement comptant de la soulte, en permettant à l’attributaire de différer une partie de son règlement. Cette mesure vise à préserver la transmission et la conservation de certains biens essentiels, tels que les exploitations agricoles, les entreprises ou le logement familial, en évitant qu’un endettement immédiat ne compromette leur viabilité.

Ce mécanisme, consacré par l’article 832-4, alinéa 2, du Code civil, impose aux copartageants créanciers une forme de crédit forcé. Dès lors que les conditions légales sont réunies, ils ne peuvent s’opposer à l’octroi d’un délai de paiement. Ce dernier est cependant encadré :

  • Durée maximale : l’échelonnement du paiement ne peut excéder dix ans.
  • Montant différé : seule une fraction de la soulte, limitée à 50 % du total dû, peut faire l’objet d’un report.
  • Intérêts légaux : à défaut d’accord entre les parties, les sommes différées portent intérêts au taux légal à compter du partage définitif (Cass. 1re civ., 20 nov. 1979). Toutefois, les copartageants peuvent convenir d’un taux différent, sous réserve qu’il ne soit ni usuraire ni abusif.

Cet aménagement légal vise ainsi à concilier deux exigences contradictoires : assurer la continuité de certains patrimoines tout en préservant les droits des copartageants créanciers.

==>L’exigibilité immédiate de la soulte en cas de cession du bien

Si le législateur a aménagé un cadre favorable à l’attributaire en lui accordant des facilités de paiement, il a également prévu un garde-fou essentiel : la cessation du bénéfice du paiement différé en cas de cession des biens attribués. Ce mécanisme vise à éviter que l’attributaire ne détourne l’avantage qui lui est consenti en réalisant une opération purement spéculative au détriment des autres copartageants.

L’article 832-4, alinéa 3, du Code civil distingue deux hypothèses :

  • Vente de la totalité des biens attribués : la soulte devient immédiatement exigible dans son intégralité. Cette règle repose sur une logique simple : dès lors que l’attributaire perçoit une contrepartie financière immédiate, il n’a plus de raison de bénéficier d’un délai de paiement.
  • Vente partielle des biens : le produit de la cession est affecté au règlement de la fraction de soulte encore due, selon une imputation proportionnelle. Ce dispositif garantit que les créanciers ne soient pas lésés par la liquidation progressive du patrimoine de l’attributaire.

L’objectif de cette règle est d’assurer l’équilibre du partage et de prévenir tout abus du paiement différé. Elle protège ainsi les copartageants créanciers contre le risque d’un retard prolongé dans la perception des sommes qui leur reviennent, tout en maintenant une certaine souplesse pour l’attributaire dans la gestion de son lot.

==>La revalorisation de la soulte en cas d’évolution de la valeur du bien

Le législateur a également introduit un mécanisme de réévaluation du montant de la soulte en fonction des fluctuations de la valeur du bien attribué. L’article 828 du Code civil prévoit ainsi que si la valeur du bien a varié de plus de 25 % depuis le partage en raison de circonstances économiques objectives, la soulte est ajustée en conséquence.

Ce dispositif répond à une logique d’équité :

  • Si la valeur du bien a augmenté, l’attributaire doit verser un complément de soulte, afin de rétablir l’équilibre initial du partage.
  • Si la valeur du bien a diminué, la soulte est révisée à la baisse, de manière à éviter que l’attributaire ne soit tenu de verser une somme disproportionnée au regard de la valeur actuelle du bien.

Cette revalorisation repose sur une appréciation objective des conditions économiques et exclut les plus-values résultant d’améliorations apportées par l’attributaire ou les moins-values liées à une dégradation fautive de sa part. En revanche, elle peut résulter de facteurs exogènes tels que l’évolution du marché immobilier, des modifications du plan local d’urbanisme ou encore des évolutions réglementaires impactant la valorisation du bien.

==>Aménagements conventionnels

Si la loi fixe les principes directeurs du paiement de la soulte dans le cadre d’une attribution préférentielle de droit, les copartageants disposent d’une marge de manœuvre pour en aménager les modalités. Ils peuvent ainsi :

  • Fixer un taux d’intérêt différent du taux légal, sous réserve du respect des dispositions sur l’usure.
  • Réviser à la baisse ou supprimer la règle de revalorisation prévue par l’article 828 du Code civil, afin de sécuriser le montant de la soulte.
  • Prévoir des échéances de paiement spécifiques, adaptées aux capacités financières de l’attributaire et aux attentes des créanciers.

Ces ajustements conventionnels doivent faire l’objet d’une clause expresse dans l’acte de partage, afin d’éviter toute contestation ultérieure.

B) Le partage des autres biens

L’attribution préférentielle, en concentrant la propriété d’un bien déterminé entre les mains d’un seul indivisaire, modifie nécessairement l’équilibre du partage. Afin de rétablir l’égalité entre les copartageants, la compensation de cette attribution s’effectue selon un ordre de priorité, qui repose d’abord sur l’allotissement en nature, avant de recourir, si nécessaire, au paiement d’une soulte. À défaut de solution satisfaisante, la licitation du bien peut être envisagée en dernier recours.

1. L’allotissement prioritaire des copartageants

L’attribution préférentielle constitue un mode particulier d’allotissement et non un prélèvement effectué avant le partage. Dès lors, sa mise en œuvre modifie nécessairement la répartition des biens indivis et impose un rééquilibrage au bénéfice des autres copartageants. Cette opération repose sur trois principes:

  • L’imputation prioritaire de l’attributaire
    • L’attribution préférentielle n’est pas un droit conférant un avantage supplémentaire à son bénéficiaire, mais une modalité particulière d’allotissement qui doit respecter l’égalité du partage.
    • Ainsi, l’attributaire doit imputer la valeur du bien qu’il reçoit sur ses droits dans l’indivision, ce qui exclut toute possibilité d’un tirage au sort des lots, comme le confirme une jurisprudence constante (Cass. 1re civ., 30 juin 1993, n°91-17.804).
    • L’application de ce principe intervient notamment en matière de divorce: lorsqu’un époux obtient l’attribution préférentielle d’un bien immobilier, les autres biens communs doivent être alloués en priorité à l’autre conjoint, à due concurrence de ses droits (Cass. 1re civ., 5 mai 1981, n°79-16.444). 
    • Il en va de même dans le cadre du partage d’une succession: un héritier qui a bénéficié de l’attribution préférentielle d’un bien immobilier ne peut prétendre à un supplément de lot sur d’autres biens indivis (Cass. 1re civ., 18 mars 1975).
    • En pratique, le notaire chargé du partage procède donc à l’allotissement des autres biens indivis au profit des copartageants non attributaires, dans la limite de leurs droits respectifs. 
    • Ce n’est qu’en l’absence de biens suffisants que la compensation s’effectuera sous forme de soulte.
  • L’attribution prioritaire des autres biens indivis aux copartageants non attributaires
    • Lorsque l’attributaire reçoit un bien par préférence, les autres biens indivis doivent être attribués, en priorité, aux copartageants non attributaires. 
    • Cette règle permet de limiter le recours au paiement d’une soulte et de préserver l’équilibre du partage en nature.
    • Ainsi, lorsqu’il existe plusieurs biens de valeur équivalente, l’attribution préférentielle de l’un d’eux à un indivisaire commande que le second bien soit attribué à un autre copartageant. 
    • De même, lorsque l’indivision comprend des biens mobiliers et immobiliers, les copartageants non attributaires peuvent se voir attribuer prioritairement des biens mobiliers pour compenser l’attribution d’un immeuble au profit d’un autre héritier.
    • Ce principe s’applique également en cas d’attribution préférentielle en vue de la constitution d’un groupement foncier agricole.
    • L’article 832-1, alinéa 5, du Code civil prévoit que les biens et droits immobiliers qui ne sont pas destinés à être intégrés dans le groupement doivent être attribués en priorité aux indivisaires qui n’ont pas consenti à sa création, dans la limite de leurs droits successoraux respectifs. 
    • Cette disposition illustre la volonté du législateur de garantir un équilibre entre l’intérêt particulier de l’attributaire et les droits des autres indivisaires.
  • Le versement d’une soulte en compensation
    • Lorsque les biens restants dans l’indivision ne suffisent pas à compenser l’attribution préférentielle, la compensation s’opère par le versement d’une soulte. 
    • Celle-ci représente la valeur excédentaire du bien attribué et garantit l’égalité entre les copartageants.
    • La soulte devient ainsi une nécessité dans plusieurs cas :
      • Lorsque l’attributaire reçoit un bien de valeur supérieure à ses droits dans l’indivision: le versement d’une soulte est alors exigé pour rétablir l’équilibre patrimonial.
      • Lorsque les autres biens indivis ne permettent pas un allotissement équivalent: si les biens restants sont insuffisants ou indivisibles, le recours à la soulte devient incontournable pour éviter une rupture d’égalité entre les héritiers.
      • Lorsque l’attributaire souhaite éviter un partage en nature complexe : dans certaines situations, l’attributaire peut préférer s’acquitter d’une soulte plutôt que de procéder à une répartition matérielle des biens restants.
    • L’évaluation de la soulte repose sur la valeur des biens à la date du partage, en tenant compte des éventuelles plus-values ou moins-values survenues durant l’indivision (art. 832-4 C. civ.).

2. La licitation en dernier recours

L’attribution préférentielle constitue un mode de partage privilégié permettant à un indivisaire d’obtenir un bien en compensation de ses droits indivis. Toutefois, lorsque cette attribution bouleverse trop fortement l’équilibre du partage ou que les modalités de compensation ne permettent pas de garantir une répartition équitable, la licitation apparaît comme une solution nécessaire.

La licitation consiste en la mise en vente du bien indivis, dont le produit est ensuite réparti entre les copartageants au prorata de leurs droits. Ce mécanisme, bien que subsidiaire, répond à plusieurs objectifs : assurer l’égalité entre les indivisaires, mettre fin aux situations de blocage et éviter que l’attribution préférentielle ne soit source d’injustice pour les copartageants évincés.

Le recours à la licitation peut revêtir plusieurs formes, en fonction des circonstances et du degré d’accord entre les indivisaires :

  • La vente de gré à gré
    • Lorsque les copartageants s’accordent sur la nécessité de vendre le bien, une vente de gré à gré peut être organisée.
    • Dans ce cas, les indivisaires recherchent eux-mêmes un acquéreur et définissent ensemble les modalités de la cession (prix, conditions de paiement, délais de signature de l’acte).
    • Ce mode de licitation présente plusieurs avantages :
      • Une meilleure valorisation du bien : en évitant la précipitation d’une mise aux enchères, la vente de gré à gré permet de négocier des conditions plus favorables.
      • Une flexibilité accrue : les parties peuvent convenir d’un paiement échelonné ou d’autres aménagements qui optimisent la transmission du bien.
      • Une maîtrise du processus : les indivisaires conservent un certain contrôle sur la transaction, contrairement à une vente judiciaire qui leur échappe totalement.
    • Toutefois, cette solution suppose un accord unanime entre les indivisaires, ce qui, en pratique, n’est pas toujours réalisable.
  • La vente aux enchères judiciaires
    • Lorsque les indivisaires ne parviennent pas à s’entendre sur la cession, ou si la situation l’exige, la vente peut être ordonnée par le juge dans le cadre d’une licitation judiciaire. 
    • Cette procédure assure une impartialité totale et garantit que le bien sera cédé dans des conditions transparentes.
    • Elle repose sur plusieurs étapes :
      • Saisine du tribunal : un ou plusieurs indivisaires demandent au juge d’ordonner la mise en vente du bien.
      • Désignation d’un notaire : le juge peut confier l’organisation de la vente à un notaire ou à un commissaire de justice.
      • Fixation des conditions de vente : le bien est mis aux enchères publiques, avec publication d’un cahier des charges détaillant les modalités de la cession.
      • Adjudication du bien : le bien est vendu au plus offrant et le produit de la vente est réparti entre les copartageants en fonction de leurs droits.
    • Si la licitation judiciaire assure une égalité de traitement entre les indivisaires, elle présente néanmoins certains inconvénients :
      • Un risque de sous-évaluation : la vente aux enchères peut aboutir à une cession à un prix inférieur à la valeur vénale du bien, notamment en cas de faible concurrence entre acquéreurs.
      • Des coûts supplémentaires : frais d’expertise, frais de publicité et émoluments du notaire ou du commissaire de justice viennent grever le produit de la vente.
      • Une absence de maîtrise pour les indivisaires : contrairement à la vente de gré à gré, les copartageants ne contrôlent ni l’acheteur ni le prix final.

La licitation n’est pas une option systématique, mais elle peut s’imposer dans plusieurs situations où l’attribution préférentielle perturbe l’équilibre du partage ou se heurte à des difficultés pratiques.

  • Lorsque la valeur du bien attribué est trop importante
    • Si la valeur du bien attribué excède de manière significative les droits de l’attributaire dans l’indivision et que la compensation par soulte s’avère disproportionnée ou irréalisable, la licitation peut devenir inévitable.
    • À titre d’exemple, si un bien immobilier constitue l’essentiel du patrimoine à partager et qu’aucun autre bien en nature ne peut être attribué aux copartageants évincés, il sera difficile d’assurer un partage équilibré.
    • Dans un tel cas, la vente du bien et la répartition du produit entre les indivisaires s’imposent comme la seule solution garantissant l’équité du partage.
  • Lorsque le maintien en indivision entraîne des blocages
    • L’indivision est souvent source de conflits et d’entraves à la bonne gestion des biens communs.
    • Les divergences d’intérêts entre les indivisaires peuvent empêcher toute prise de décision, rendant le bien improductif ou entraînant une dégradation de sa valeur.
    • Le juge peut alors être saisi pour mettre fin à l’indivision en ordonnant la licitation.
    • Cette solution permet d’éviter les tensions prolongées et d’assurer une répartition définitive du patrimoine.
  • Lorsque l’attributaire est dans l’incapacité de régler la soulte
    • L’attribution préférentielle repose sur un équilibre financier qui suppose que l’attributaire puisse indemniser les autres indivisaires à hauteur de l’excédent de valeur du bien reçu.
    • Or, si l’attributaire ne dispose pas des ressources suffisantes pour régler la soulte et que les copartageants refusent de lui accorder des délais de paiement, la licitation s’impose comme une alternative.
    • Dans ce cas, la vente du bien permettra d’assurer une répartition immédiate des fonds entre les copartageants, sans dépendre des capacités financières de l’attributaire.

Au total, si l’attribution préférentielle constitue une modalité de partage favorisée par le législateur, elle ne peut se faire au détriment des droits des autres indivisaires.

Ainsi, lorsque l’attribution d’un bien en nature est incompatible avec le principe d’égalité entre copartageants, le recours à la licitation apparaît comme la seule issue permettant de garantir un partage juste et équilibré. Cette solution, bien que perçue comme une contrainte, reste une garantie pour l’ensemble des indivisaires et évite que l’un d’eux ne soit lésé par une répartition inéquitable des biens.

Attribution préférentielle: modalités de mise en oeuvre

L’attribution préférentielle constitue une modalité particulière du partage, permettant à un indivisaire de se voir attribuer, à titre exclusif, un bien indivis moyennant, le cas échéant, le versement d’une soulte. Ce mécanisme, conçu pour préserver l’unité de certains éléments patrimoniaux et garantir une répartition cohérente des biens, repose sur des critères strictement encadrés par le droit positif.

Toutefois, son exercice ne relève pas d’une simple faculté discrétionnaire. Il s’inscrit dans un cadre procédural rigoureux, où la compétence juridictionnelle, les formes de la demande et les conditions de recevabilité obéissent à des principes spécifiques. En particulier, la nature du bien concerné et la qualité du demandeur influencent tant la recevabilité de la prétention que son issue contentieuse.

A) L’exercice de la demande d’attribution préférentielle

1. Modalités de présentation de la demande

a. Compétence

L’attribution préférentielle, en tant que modalité d’allotissement d’un bien indivis, relève en principe du juge du partage. Toutefois, cette règle générale connaît une exception en matière de liquidation du régime matrimonial. En effet, lorsque l’attribution préférentielle porte sur un bien commun ou indivis entre époux après dissolution du mariage, la compétence juridictionnelle est spécifique et a donné lieu à un contentieux récurrent, notamment sur la question de savoir si elle relève du juge du divorce ou du juge chargé du partage définitif.

La Cour de cassation a clairement établi que, dans le cadre de la dissolution du régime matrimonial, la demande d’attribution préférentielle relève de la compétence exclusive du juge aux affaires familiales (JAF). Cette orientation jurisprudentielle repose sur la logique selon laquelle la liquidation et le partage des intérêts patrimoniaux des époux ou ex-époux sont indissociables du contentieux du divorce. Plusieurs arrêts ont consacré cette approche (V. par ex. Cass. 2e, 22 mars 2005, n° 03-20.728).

Avant la réforme de 2004, l’article 264-1 du Code civil imposait déjà au juge du divorce de se prononcer sur les conséquences patrimoniales du divorce, y compris l’attribution préférentielle. La loi du 26 mai 2004 a clarifié ce point en intégrant ces prérogatives dans l’article 267 du Code civil, qui dispose que le juge du divorce est compétent pour trancher toute contestation relative à la liquidation et au partage des intérêts patrimoniaux des époux.

Depuis l’entrée en vigueur de la réforme, le 1er janvier 2005, c’est donc toujours le juge du divorce qui statue sur l’attribution préférentielle lorsqu’elle concerne un bien dépendant du patrimoine des époux. Cette compétence a d’ailleurs été confirmée par des décisions ultérieures, notamment en matière de liquidation de régimes matrimoniaux complexes ou en présence d’une indivision postérieure au divorce (Cass. 1ère civ., 30 janv. 2019, n°18-14.150).

L’enjeu principal réside dans le fait que la demande d’attribution préférentielle peut être formulée dès la phase du divorce. Dans un arrêt du 28 juin 2005, la Cour de cassation a ainsi jugé que le juge du divorce, saisi d’une demande d’attribution préférentielle, ne saurait en différer l’examen au motif que des éléments relatifs à la valeur des biens ou à un projet de partage feraient défaut (Cass. 1ère civ., 28 juin 2005, n°04-13.663). En l’espèce, la cour d’appel de Lyon avait rejeté la demande d’attribution préférentielle du domicile conjugal présentée par le mari, considérant qu’il était prématuré de statuer en l’absence de telles données et que la question pourrait être abordée plus tard, lors de la liquidation de la communauté.

La Cour de cassation a censuré ce raisonnement, en rappelant que, conformément à l’article 264-1 du Code civil alors applicable, le juge qui prononce le divorce doit, à cette occasion, ordonner la liquidation et le partage des intérêts patrimoniaux des époux et, le cas échéant, statuer sur les demandes d’attribution préférentielle. Dès lors, en subordonnant l’examen de cette demande à une étape ultérieure du processus liquidatif, la cour d’appel a méconnu cette obligation légale et violé le texte susvisé.

Par cette décision, la Haute juridiction réaffirme que le juge aux affaires familiales, lorsqu’il est saisi dans le cadre du divorce, doit trancher sans attendre les questions relatives à l’attribution préférentielle, sans pouvoir se retrancher derrière l’absence d’évaluation du bien ou l’inexistence d’un projet de partage. 

La compétence du JAF en matière de liquidation ne se limite pas au cadre du mariage dissous. Il peut également statuer sur les opérations de partage des partenaires de PACS ou des concubins, en vertu de l’article L. 213-3 du Code de l’organisation judiciaire. Ainsi, le partage des intérêts patrimoniaux des couples, qu’ils soient mariés ou non, relève de cette juridiction lorsqu’une indivision est en cause.

b. Forme de la demande

Aucune disposition ne vient encadrer de manière impérative la forme de la demande d’attribution préférentielle. Celle-ci peut être formulée dans un écrit soigneusement rédigé ou simplement résulter d’une manifestation de volonté au cours d’une instance. Cette liberté procédurale s’explique par la finalité même de l’attribution préférentielle, laquelle constitue un mécanisme d’allotissement permettant d’assurer une répartition harmonieuse des biens indivis.

Toutefois, bien que non soumise à des règles de forme, la demande d’attribution préférentielle gagnera à être exprimée par acte écrit afin de garantir la clarté de son objet et de ses implications. A cet égard, elle peut être sollicitée aussi bien dans un partage amiable que dans un partage judiciaire, chacun de ces contextes impliquant des modalités spécifiques.

Dans le cadre d’un partage amiable, la demande est le plus souvent formalisée dans la convention conclue entre les copartageants. L’article 838 du Code civil prévoit d’ailleurs la possibilité d’un partage partiel, autorisant ainsi un accord limité à un bien ou à plusieurs biens faisant l’objet d’une attribution préférentielle, sans pour autant affecter l’intégralité de la masse successorale. Cette souplesse permet aux indivisaires d’organiser librement la répartition des biens et d’éviter ainsi les aléas d’un partage contentieux.

Dans le cadre d’un partage judiciaire, la demande peut être introduite dès l’assignation en partage ou être formulée postérieurement, au fil de l’instance. Elle peut également être portée devant le notaire commis pour conduire les opérations de liquidation, dès lors que le jugement ayant ordonné le partage ne s’y oppose pas expressément. La jurisprudence est venue consacrer cette latitude, admettant que la demande d’attribution préférentielle demeure recevable tant que le partage n’a pas été définitivement arrêté et homologué.

c. Moment de la demande

L’attribution préférentielle constitue un mode d’allotissement qui permet à un indivisaire d’obtenir l’attribution d’un bien indivis en contrepartie d’une indemnité compensatrice versée aux autres coindivisaires. En raison de sa nature, elle bénéficie d’une grande souplesse quant au moment où elle peut être sollicitée. Toutefois, cette liberté trouve des limites, notamment lorsque l’autorité de la chose jugée vient faire obstacle à une demande tardive.

==>Principe

Aucun délai légal n’est fixé pour introduire une demande d’attribution préférentielle. Dès l’ouverture de l’indivision, l’indivisaire qui souhaite bénéficier de cette prérogative peut en faire la demande sans être contraint par une forclusion. Cette souplesse découle de la nature même de l’attribution préférentielle, qui constitue un mode d’allotissement et non une remise en cause du partage lui-même.

Dans un arrêt du 8 mars 1983, la Cour de cassation a ainsi affirmé que l’attribution préférentielle, en tant que « procédé d’allotissement qui met fin à l’indivision, peut être demandée tant que le partage n’a pas été ordonné, selon une autre modalité incompatible, par une décision judiciaire devenue irrévocable » (Cass. 1ère civ., 8 mars 1983, n°82-10.721).

La jurisprudence admet ainsi, de manière constante, que la demande d’attribution préférentielle peut être introduite à divers stades de la procédure, tant que le partage n’a pas conféré à un bien une attribution définitive et exclusive (Cass. 1re civ., 5 nov. 1952).

  • Dès l’ouverture de l’indivision
    • L’attribution préférentielle, en tant que procédé d’allotissement permettant à un indivisaire d’obtenir la propriété exclusive d’un bien moyennant indemnisation de ses co-indivisaires, peut être sollicitée dès l’instant où l’indivision prend naissance. 
    • Aucun délai impératif ne vient restreindre son exercice, et l’indivisaire peut en formuler la demande sans attendre l’ouverture d’une procédure de partage. 
    • L’indivision se constitue dès l’instant où plusieurs personnes deviennent propriétaires d’un même bien sans que leurs quotes-parts respectives ne soient matériellement individualisées. 
    • Cette situation peut découler d’une succession, d’une dissolution de communauté conjugale, d’un achat en indivision ou encore d’un démembrement de propriété. 
    • Dès que l’indivision existe, l’indivisaire remplissant les conditions légales peut exprimer son intention d’obtenir l’attribution préférentielle d’un bien déterminé. 
    • Ce droit ne nécessite aucun formalisme particulier et peut être exercé avant même que ne soit engagée une instance en partage. 
    • Cette absence de contrainte a été confirmée par la jurisprudence, qui reconnaît que la demande peut être présentée tant qu’un partage consommé n’a pas opéré des attributions définitives de propriété (Cass. 1re civ., 5 nov. 1952).
    • L’indivisaire peut faire connaître son souhait d’obtenir l’attribution préférentielle sans attendre l’engagement d’une procédure de partage.
    • Dans le cadre d’un partage amiable, cette demande peut être exprimée lors des discussions entre indivisaires et intégrée à la convention de partage. 
    • Il est également possible de l’inclure dès l’assignation en partage lorsqu’une procédure judiciaire est engagée. 
    • En tout état de cause, tant qu’aucun partage définitif n’a été arrêté, l’indivisaire conserve la faculté de demander l’attribution préférentielle du bien convoité.
  • Avant le jugement ordonnant le partage
    • L’attribution préférentielle peut être sollicitée indépendamment de toute instance en partage. 
    • L’indivisaire désireux d’obtenir la propriété exclusive d’un bien indivis n’a pas l’obligation d’attendre qu’une demande en partage soit introduite pour faire valoir son droit. Il peut ainsi agir de manière autonome en sollicitant directement l’attribution préférentielle devant le juge compétent. 
    • Cette possibilité s’explique par la nature même de l’attribution préférentielle, qui ne s’oppose pas au principe du partage mais en constitue une modalité particulière de réalisation. 
    • Dès lors, elle peut être demandée avant que ne soit engagée une procédure de partage, sans que son exercice ne dépende de la volonté des autres indivisaires.
    • Lorsque l’indivisaire souhaite initier une procédure de partage, il peut également formuler sa demande d’attribution préférentielle dans l’assignation. 
    • Cette voie permet d’éviter toute contestation ultérieure et de garantir une prise en compte immédiate de sa demande lors des opérations de liquidation. 
    • La jurisprudence a admis cette possibilité en affirmant que l’attribution préférentielle pouvait être sollicitée dès la saisine du juge compétent (Cass. 1ère , 19 déc. 1977, n°74-14.297). 
    • Peu importe, à cet égard, que d’autres indivisaires formulent également des demandes concurrentes : l’attribution préférentielle, en tant que procédé d’allotissement, doit être examinée en fonction des conditions légales et des intérêts en présence, sans être conditionnée par l’absence d’opposition des co-indivisaires.
  • Après le jugement ordonnant le partage
    • Le jugement ordonnant le partage n’a pas pour effet d’éteindre la possibilité pour un indivisaire de solliciter l’attribution préférentielle. 
    • En effet, l’attribution préférentielle n’est pas une contestation du partage lui-même, mais une modalité d’allotissement qui vise à permettre la sortie de l’indivision dans des conditions favorisant la conservation de certains biens par des indivisaires ayant un intérêt particulier à les obtenir.
    • Dès lors, une fois le partage ordonné judiciairement, l’indivisaire conserve la faculté de présenter une demande d’attribution préférentielle au cours des opérations de liquidation-partage, tant que le partage n’a pas atteint un caractère définitif. Cette demande peut être introduite devant le notaire commis pour procéder aux opérations de répartition des biens.
    • La jurisprudence reconnaît d’ailleurs expressément cette possibilité, considérant que l’attribution préférentielle n’est qu’un mode particulier d’allotissement qui ne saurait être écarté tant que l’état liquidatif n’a pas été homologué (Cass. 1ère civ., 8 mars 1983, n°82-10.721).
    • Ainsi, tant que les opérations de partage ne sont pas clôturées par une décision définitive ou un accord irrévocable entre les parties, la demande demeure recevable.
    • Par ailleurs, la Cour de cassation a eu l’occasion de censurer des décisions ayant rejeté une demande d’attribution préférentielle au seul motif que le partage avait été ordonné. Elle a rappelé que la demande d’attribution ne saurait être écartée dès lors qu’aucune décision irrévocable n’a fixé de manière définitive la répartition des biens entre les copartageants (V. par ex. Cass. civ. 1ère, 9 janv. 2008, n°06-20.167). 
    • Dès lors, un indivisaire peut encore solliciter une telle attribution devant le notaire ou devant le juge du partage tant que la liquidation n’est pas homologuée, sauf disposition expresse contraire contenue dans la décision ordonnant le partage.
    • Enfin, il convient de souligner que la seule passivité d’un héritier ou d’un indivisaire ne saurait être assimilée à une renonciation tacite au bénéfice de l’attribution préférentielle, sauf s’il ressort de manière claire et non équivoque de son comportement une intention manifeste de ne pas exercer ce droit.
    • Cette souplesse procédurale, qui trouve son fondement dans la volonté du législateur de préserver les intérêts des copartageants, explique pourquoi l’attribution préférentielle demeure ouverte tant que le partage n’a pas été définitivement arrêté.
  • En cause d’appel
    • L’attribution préférentielle peut être sollicitée pour la première fois en cause d’appel, dès lors qu’elle se rattache aux bases mêmes de la liquidation et qu’elle constitue une modalité de répartition des biens indivis. 
    • La Cour de cassation admet ainsi que cette demande revêt le caractère d’une défense au fond, ce qui la rend recevable même en seconde instance, tant que le partage n’a pas été ordonné selon une modalité incompatible par une décision judiciaire devenue irrévocable (Cass. 1ère civ. 1re, 10 mars 1971, n°69-12.132).
    • Ce principe repose sur la nature même de l’attribution préférentielle, qui constitue un procédé d’allotissement permettant d’assurer une répartition cohérente et équitable des biens indivis.
    • La Cour de cassation a ainsi affirmé que l’attribution préférentielle peut être demandée tant que le partage n’a pas été définitivement consommé et que l’affectation des biens reste juridiquement réversible (Cass. 1ère civ., 30 avr. 2014, n° 13-12.346).
    • Cette faculté s’étend notamment aux hypothèses de divorce, dans lesquelles l’un des époux peut former une demande d’attribution préférentielle en appel tant que le jugement de divorce n’a pas acquis force de chose jugée. 
    • Cette solution repose sur une analyse pragmatique de la situation des parties et vise à éviter que la dissolution du lien matrimonial ne fasse obstacle à un partage équitable des biens indivis. 
    • La deuxième chambre civile de la Cour de cassation a ainsi jugé qu’une telle demande pouvait être présentée pour la première fois en appel, l’attribution préférentielle étant un accessoire de la demande en divorce (Cass. 2e civ., 5 juin 2003, n° 01-13.510).
    • De manière générale, la jurisprudence se montre indulgente à l’égard des demandes tardives d’attribution préférentielle, dès lors qu’elles tendent à éviter une licitation et qu’elles permettent une meilleure adéquation entre les intérêts des indivisaires et la structure du partage.
    • Ainsi, une cour d’appel a admis qu’une demande d’attribution préférentielle puisse être présentée en seconde instance, même si elle retardait le règlement du partage, considérant que celui-ci restait préférable à une vente judiciaire des biens indivis (CA Reims, 7 sept. 2006, n° 04/02427).

==>Limites

Si l’attribution préférentielle peut être sollicitée tant que le partage n’a pas acquis un caractère définitif, elle ne saurait, en revanche, remettre en cause une décision juridictionnelle passée en force de chose jugée ni modifier un partage amiable dûment conclu entre les indivisaires. 

  • Les décisions ayant acquis l’autorité de la chose jugée
    • L’attribution préférentielle, en tant que modalité du partage, ne peut être exercée si une décision juridictionnelle irrévocable a définitivement fixé la répartition des biens indivis. 
    • La Cour de cassation a, en ce sens, jugé qu’une licitation ordonnée par une décision ayant acquis force de chose jugée exclut toute possibilité ultérieure pour un indivisaire de revendiquer le bien à titre d’attribution préférentielle (Cass. 1ère civ., 19 nov. 1968). 
    • La logique sous-jacente repose sur le principe selon lequel une décision de justice définitive ne peut être remise en question que dans les cas strictement encadrés par la loi, notamment par l’exercice des voies de recours extraordinaires.
    • De la même manière, lorsque l’attribution préférentielle a été définitivement accordée à un indivisaire, elle devient intangible. 
    • La contestation ultérieure de l’état liquidatif établi sur cette base est irrecevable, sauf erreur manifeste ou fraude, qui demeurent des hypothèses exceptionnelles. 
    • Cette solution repose sur l’exigence d’irrévocabilité des décisions de justice : une fois que le droit de propriété d’un bien a été attribué à un indivisaire par une décision définitive, il ne peut être remis en cause, sauf accord de toutes les parties concernées ou révocation du jugement dans le cadre des voies de rétractation prévues par le Code de procédure civile.
    • Plus largement, dans un arrêt du 9 mars 1971 la Cour de cassation a affirmé avec force le principe selon lequel une demande d’attribution préférentielle ne peut être accueillie lorsqu’une décision irrévocable a ordonné une licitation du bien indivis (Cass. 1ère civ., 9 mars 1971, n°70-10.072).
    • En l’espèce, une héritière sollicitait l’attribution préférentielle d’un appartement après le décès du de cujus, alors même qu’un jugement antérieur, rendu le 6 avril 1967, avait ordonné la licitation de ce bien dans le cadre des opérations de liquidation et de partage de la succession.
    • Soutenant que cette décision n’avait qu’un caractère interlocutoire et ne constituait pas un jugement définitif, la demanderesse estimait qu’elle demeurait recevable à solliciter l’attribution préférentielle du bien.
    • Toutefois, la Cour d’appel de Paris avait rejeté cette demande en considérant que la licitation d’un bien, une fois ordonnée par une décision juridictionnelle devenue irrévocable, constituait une modalité de partage incompatible avec une attribution préférentielle ultérieure.
    • Saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation valide cette analyse et confirme la solution retenue par les juges du fond. 
    • Elle affirme que « la licitation constitue une modalité de partage incompatible avec l’attribution préférentielle ; que dès lors que la licitation d’un immeuble a été ordonnée par une précédente décision devenue irrévocable, un tribunal ne peut, sans méconnaître l’autorité de la chose jugée, prononcer l’attribution préférentielle du même bien indivis. »
    • Par cette décision, la Haute juridiction consacre une règle cardinale en matière de partage: une fois que le juge a statué de manière définitive sur la répartition d’un bien selon une modalité spécifique — en l’occurrence la licitation —, toute demande ultérieure d’attribution préférentielle est nécessairement irrecevable, sous peine de porter atteinte à l’autorité de la chose jugée.
  • Les conventions de partage amiable
    • Le partage amiable constitue une alternative à l’intervention du juge dans la répartition des biens indivis.
    • Lorsqu’il est adopté par les copartageants, il s’impose à eux et devient irrévocable dès sa formalisation, sous réserve des règles propres aux contrats.
    • En conséquence, une convention de partage amiable qui règle expressément le sort d’un bien susceptible d’attribution préférentielle ne peut être remise en cause de manière unilatérale par l’un des indivisaires.
    • Cette limitation trouve son fondement dans le respect du principe de force obligatoire des conventions, consacré par l’article 1103 du Code civil, selon lequel les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.
    • Par conséquent, un indivisaire ayant accepté un partage amiable ne peut ultérieurement solliciter une attribution préférentielle sur un bien qui aurait été attribué à un autre copartageant, sauf à obtenir l’accord unanime des parties pour modifier la répartition initialement convenue.
    • En ce sens, la Cour de cassation a confirmé que la destination d’un bien convenue dans un partage amiable ne pouvait être unilatéralement modifiée par l’un des copartageants, que ce soit pour revendiquer une attribution préférentielle ou pour renoncer à celle précédemment accordée (Cass. 1ère civ., 10 mars 1969).
    • Il en résulte que, sauf vices affectant la convention (erreur, dol, violence), le partage amiable demeure intangible et bloque toute demande ultérieure d’attribution préférentielle qui viendrait perturber la répartition des biens opérée par l’accord des parties.

2. La faculté de renoncer à l’attribution préférentielle

Si l’attribution préférentielle constitue un droit offert à certains indivisaires pour préserver la cohésion patrimoniale et éviter la dispersion des biens dans le cadre d’un partage, elle ne revêt aucun caractère impératif. Son bénéficiaire peut ainsi y renoncer, sous réserve que ni une décision judiciaire irrévocable, ni une convention ne l’en empêchent. Toutefois, cette faculté n’est pas sans limites et demeure soumise à des conditions strictes.

==>Les conditions d’exercice de la faculté de renonciation

Le principe est clair: la renonciation à l’attribution préférentielle est admise, sauf obstacle tenant à une décision de justice passée en force de chose jugée ou à une stipulation contractuelle. Toutefois, fidèle à la règle selon laquelle les renonciations ne se présument pas, la jurisprudence a adopté une approche particulièrement restrictive quant aux circonstances pouvant révéler une volonté non équivoque d’y renoncer.

La Cour de cassation exige que la renonciation soit manifeste et sans équivoque, et ne saurait admettre qu’elle résulte d’un simple comportement passif ou d’une omission dans la procédure. Ainsi, la participation à un partage provisionnel, la demande d’une licitation ou encore la sollicitation d’une expertise pour déterminer la possibilité d’un partage en nature ne suffisent pas à caractériser une renonciation tacite (Cass. civ., 5 avr. 1952).

Dans une affaire où un héritier, après avoir sollicité une expertise sur la possibilité d’un partage en nature, avait ultérieurement demandé l’attribution préférentielle d’un bien, la Cour de cassation a censuré l’arrêt d’appel qui avait conclu à une renonciation implicite, estimant qu’une telle démarche ne traduisait pas nécessairement une volonté de renoncer à son droit (Cass. 1re civ., 6 mars 1961).

De manière plus générale, la jurisprudence admet que l’indivisaire conserve la faculté de solliciter l’attribution préférentielle tant qu’aucun partage définitif n’a été réalisé. Ainsi, même si un accord prévoyant une attribution avait été conclu entre héritiers, la Cour de cassation considère que cette entente ne saurait suffire à démontrer une renonciation définitive, dès lors que l’accord n’a pas été exécuté et que l’indivisaire continue d’agir en vue d’obtenir l’attribution (Cass. 1re civ., 5 juill. 1977, n° 75-13.762).

Toutefois, en application de l’article 753, alinéa 3 du Code de procédure civile, la renonciation peut être déduite du fait qu’une partie ne réitère pas sa demande d’attribution préférentielle dans ses conclusions récapitulatives. Ainsi, une cour d’appel a pu juger qu’une demande non reprise dans ces écritures ne pouvait être reformulée en appel (CA Reims, 28 avr. 2005, n° 04/00334).

==>Le moment d’exercice de la faculté de renonciation

Initialement, la jurisprudence considérait que la renonciation était recevable tant que l’attribution préférentielle n’avait pas été reconnue par une décision passée en force de chose jugée. Ainsi, un indivisaire ayant obtenu l’attribution en première instance pouvait encore y renoncer en cause d’appel (Cass. 1re civ., 17 juin 1970,n°68-13.762). À l’inverse, une renonciation postérieure à un jugement irrévocable n’était pas admise (Cass. 1re civ., 10 mars 1969).

Toutefois, la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence en admettant que l’indivisaire pouvait renoncer à l’attribution préférentielle tant que le partage définitif n’était pas intervenu. L’argument avancé repose sur le fait que le jugement accordant l’attribution ne transfère pas immédiatement la propriété du bien, sauf s’il est intégré dans un état liquidatif homologué (Cass. 1re civ., 11 juin 1996, n°94-16.608). Ce raisonnement, dicté par des considérations pratiques, permet aux indivisaires de se délier lorsque des circonstances nouvelles (problèmes financiers, évolution du marché immobilier, changement de situation personnelle) rendent l’attribution inopportune. Cette solution a été confirmée par plusieurs décisions ultérieures (Cass. 1re civ., 23 oct. 2013, n° 12-18.170).

Cependant, la doctrine a exprimé des critiques à l’encontre de cette flexibilité, estimant qu’elle favorisait des stratégies opportunistes et contribuait à retarder la finalisation des partages. Pour pallier cet inconvénient, la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 a introduit une restriction au droit de renonciation. Désormais, l’article 834 du Code civil dispose que le bénéficiaire d’une attribution préférentielle ne peut y renoncer qu’à la condition que la valeur du bien ait augmenté de plus du quart entre la date de l’attribution et celle du partage définitif, indépendamment de son fait personnel. Cette règle vise à éviter que les indivisaires ne fassent usage de l’attribution préférentielle comme d’un simple droit d’option, qu’ils pourraient exercer ou abandonner en fonction de l’évolution du marché immobilier.

Néanmoins, un tempérament subsiste. La Cour de cassation a jugé que si la décision octroyant l’attribution n’avait pas encore acquis force de chose jugée, la renonciation demeurait possible en dehors des conditions strictes posées par l’article 834 (Cass. 1re civ., 29 mai 2019, n°18-18.823). En d’autres termes, un appel suspend l’irrévocabilité de l’attribution, permettant ainsi au bénéficiaire de se délier librement tant que l’arrêt définitif n’est pas intervenu.

==>Exclusion conventionnelle de la faculté de renonciation

Il convient de rappeler que l’attribution préférentielle n’étant pas d’ordre public, elle peut être écartée par convention. Ainsi, un indivisaire peut être contractuellement privé de ce droit par une stipulation testamentaire du de cujus, une clause du contrat de mariage ou une disposition statutaire régissant une société dans laquelle le bien est détenu en indivision. Par ailleurs, une convention de partage amiable entre les indivisaires peut également faire obstacle à toute revendication ultérieure d’attribution préférentielle, à moins que l’ensemble des parties ne consente à une modification de l’accord initial.

Cependant, les clauses insérées dans une convention d’indivision doivent respecter les limites posées par le Code civil. L’article 1873-13 énonce notamment que les stipulations prévoyant qu’un indivisaire survivant pourra se voir attribuer la quote-part du défunt ne peuvent préjudicier aux règles d’attribution préférentielle fixées par les articles 831 et suivants du Code civil.

B) Le traitement par le juge des demandes d’attribution préférentielle

1. La décision du juge en présence d’une demande unique d’attribution préférentielle

L’attribution préférentielle constitue une modalité particulière du partage, permettant à un indivisaire de se voir attribuer certains biens sous réserve du respect des conditions légales. Selon qu’elle est de droit ou facultative, l’étendue du pouvoir du juge varie considérablement : tandis que dans le premier cas, il se borne à vérifier l’application stricte des textes, dans le second, il dispose d’un pouvoir souverain d’appréciation, guidé par l’équilibre du partage et la prise en compte des intérêts en présence.

a. L’attribution préférentielle de droit

Dans certaines hypothèses limitativement énumérées par la loi, l’attribution préférentielle s’impose au juge dès lors que les conditions légales sont réunies. Dans ces cas, il ne dispose d’aucune latitude d’appréciation et ne peut refuser l’attribution au motif qu’elle ne serait pas opportune ou qu’elle porterait atteinte à un équilibre patrimonial souhaitable. Son rôle se borne alors à vérifier que le demandeur satisfait aux critères légaux, à défaut de quoi sa décision pourrait être censurée par la Cour de cassation (Cass. 1re civ., 7 nov. 2012, n° 11-16.164).

Trois grandes catégories d’attribution préférentielle de droit sont aujourd’hui reconnues par le Code civil :

  • L’attribution préférentielle des exploitations agricoles de petite et moyenne taille
    • L’article 832 du Code civil prévoit l’attribution préférentielle de droit au profit de l’indivisaire participant activement à l’exploitation. 
    • Ce dispositif vise à garantir la pérennité de ces exploitations en empêchant leur morcellement lors du partage.
    • La participation effective à l’exploitation constitue un critère déterminant, dont l’appréciation peut donner lieu à contestation.
    • La Cour de cassation a ainsi censuré une décision qui avait refusé l’attribution à un indivisaire remplissant pourtant les conditions légales (Cass. 1re civ., 20 oct. 2010, n° 09-67.029).
  • L’attribution préférentielle en vue de la constitution d’un groupement foncier agricole
    • L’article 832-1 du Code civil prévoit l’attribution préférentielle en faveur d’un ou plusieurs indivisaires souhaitant conserver les biens indivis sous la forme d’un groupement foncier agricole. 
    • Cette disposition, introduite pour encourager la transmission du patrimoine agricole et favoriser la continuité des exploitations familiales, permet une gestion collective du bien tout en évitant la dispersion des actifs.
    • Le juge doit alors s’assurer que le projet de groupement foncier répond bien aux critères légaux, notamment en ce qui concerne les intentions déclarées des indivisaires et leur engagement effectif dans cette démarche.
  • L’attribution préférentielle du local d’habitation du défunt, des meubles le garnissant et du véhicule
    • L’article 831-2, alinéa 1er, du Code civil accorde de plein droit au conjoint survivant l’attribution du logement du défunt, des meubles qui le garnissent et du véhicule de celui-ci. 
    • Ce dispositif vise à protéger le cadre de vie du conjoint survivant, en lui permettant de conserver un bien dont il avait l’usage avant le décès.
    • Depuis la loi du 23 juin 2006, cette attribution est également ouverte au partenaire pacsé survivant, à condition que le défunt l’ait expressément prévu dans son testament (C. civ., art. 515-6, al. 2).
    • Le juge doit ainsi vérifier l’existence de cette disposition testamentaire avant de prononcer l’attribution.

Si le juge ne peut refuser l’attribution préférentielle pour des raisons tenant à l’opportunité, son rôle reste essentiel dans la vérification des conditions légales. Il doit notamment s’assurer :

  • Que le demandeur remplit les conditions de qualité requises (statut d’indivisaire, lien avec le défunt ou avec l’exploitation agricole) ;
  • Que les conditions matérielles de l’attribution sont satisfaites, notamment la participation effective à l’exploitation en cas d’attribution d’une entreprise agricole ou la résidence principale dans un logement (Cass. 1re civ., 26 sept. 2012, n° 11-16.246).

L’attribution préférentielle ne peut être accordée que si ces conditions sont réunies. À défaut, le juge doit motiver son refus de manière précise, faute de quoi sa décision encourt la cassation. Ainsi, une cour d’appel qui rejette une demande sans examiner si le demandeur a effectivement exploité le bien agricole excède ses pouvoirs et commet une erreur de droit (Cass. 1re civ., 26 sept. 2012, n° 11-16.246).

Si l’attribution préférentielle de droit s’impose lorsque les conditions légales sont remplies, elle peut néanmoins donner lieu à des contestations de la part des autres indivisaires, qui peuvent remettre en cause :

  • La qualité du demandeur : certains coïndivisaires peuvent soutenir que celui-ci ne remplit pas les conditions requises pour bénéficier de l’attribution ;
  • La satisfaction des critères matériels : notamment, la contestation peut porter sur l’absence de résidence effective dans le logement concerné, ou encore sur le fait que l’exploitation agricole ne serait pas réellement gérée par l’indivisaire demandeur.

Dans ces hypothèses, le juge doit apprécier les éléments de preuve fournis par les parties, tout en respectant le principe du contradictoire. Toute décision accordant ou refusant l’attribution doit être motivée par des éléments objectifs et vérifiables.

L’exigence de rigueur procédurale s’applique également en cas de pluralité de demandes concurrentes. Lorsqu’il existe plusieurs demandeurs répondant aux conditions légales, le juge ne peut pas refuser l’attribution au motif que les biens devraient être partagés autrement, mais doit déterminer lequel des demandeurs est le plus apte à en bénéficier (Cass. 1re civ., 20 oct. 2010, n° 09-67.029).

En tout état de cause, toute décision doit être clairement motivée. Une motivation insuffisante expose la décision à la cassation, notamment lorsque :

b. L’attribution préférentielle facultative

À l’inverse de l’attribution préférentielle de droit, qui s’impose au juge dès lors que les conditions légales sont réunies, l’attribution facultative repose sur une évaluation discrétionnaire du magistrat. Celui-ci doit se prononcer en tenant compte des intérêts en présence, de l’équilibre du partage et des conséquences patrimoniales de sa décision.

Dans ce cadre, le simple fait que le demandeur remplisse les conditions légales ne suffit pas à emporter nécessairement la décision en sa faveur. Le juge peut refuser l’attribution si celle-ci compromet un équilibre patrimonial essentiel, si elle est de nature à léser les autres indivisaires, ou si elle ne sert pas l’objectif fondamental du partage (Cass. 1re civ., 13 févr. 2019, n° 18-14.580).

Parmi les biens pouvant faire l’objet d’une attribution préférentielle facultative figurent notamment les entreprises, les locaux d’habitation ou professionnels, le mobilier qui les garnit ainsi que certains droits au bail. Dans chacun de ces cas, le juge dispose d’un pouvoir souverain d’appréciation, bien que celui-ci soit encadré par des principes directeurs, garantis par la jurisprudence.

==>Les critères essentiels d’appréciation du juge

Lorsque le juge est saisi d’une demande d’attribution préférentielle facultative, son appréciation est essentiellement guidée par trois critères:

  • L’aptitude du demandeur à gérer le bien attribué
    • L’attribution préférentielle suppose que l’indivisaire demandeur soit en mesure d’assurer la gestion, l’entretien ou l’exploitation du bien concerné. 
    • À défaut, l’attribution peut être refusée pour éviter qu’un bien ne se retrouve entre les mains d’un indivisaire incapable d’en assurer la conservation ou la valorisation.
    • Ainsi, la Cour de cassation a validé le rejet d’une attribution portant sur un fonds de commerce, au motif que le demandeur, en raison de son âge avancé et de son état de santé, n’était plus en mesure d’assurer une gestion efficace du fonds (Cass. 1re civ., 27 oct. 1971, n°70-10.125).
    • De même, l’attribution d’un château a pu être refusée lorsqu’il a été démontré que le demandeur n’avait aucun projet d’entretien ou d’exploitation viable et qu’il poursuivait l’unique objectif de revendre le bien en réalisant une plus-value (TGI Paris, 13 nov. 1970).
    • Ce critère est particulièrement déterminant lorsque le bien objet de l’attribution revêt une valeur patrimoniale ou économique significative.
    • Il appartient alors au juge de s’assurer que le demandeur est en mesure d’assumer la charge effective du bien avant d’accorder l’attribution.
  • La solvabilité du demandeur et la capacité à régler la soulte
    • L’un des motifs les plus fréquents de rejet d’une attribution préférentielle repose sur l’incapacité du demandeur à s’acquitter de la soulte due aux autres indivisaires.
    • L’attribution préférentielle ne saurait avoir pour effet de léser les autres indivisaires en leur imposant un déséquilibre financier excessif ou un retard dans l’exécution du partage.
    • La jurisprudence a ainsi validé de nombreux refus fondés sur la situation financière du demandeur, notamment lorsque son impécuniosité était susceptible de porter atteinte aux droits des coïndivisaires (Cass. 1re civ., 21 sept. 2005, n° 02-20.287).
    • Toutefois, un rejet sur ce fondement suppose un examen minutieux des ressources du demandeur. 
    • En effet, la Cour de cassation a sanctionné plusieurs décisions ayant refusé une attribution sans rechercher si le demandeur pouvait compenser l’impossibilité de régler immédiatement la soulte par d’autres moyens financiers (Cass. 1re civ., 10 mai 2007, n° 06-10.034).
    • L’appréciation du juge doit ainsi être équilibrée et ne pas se limiter à un simple constat d’insolvabilité : il lui appartient d’examiner si des solutions de financement existent et si elles sont de nature à garantir le respect des droits des coïndivisaires.
  • L’incidence de l’attribution sur les autres indivisaires
    • L’attribution préférentielle ne doit pas aboutir à un déséquilibre excessif du partage.
    • En particulier, lorsque le bien concerné représente la majeure partie de l’actif indivis, la licitation peut apparaître plus appropriée afin d’assurer une répartition plus équitable entre les indivisaires (Cass. 1re civ., 2 juin 1970).
    • Dans le cadre des partages successoraux ou consécutifs à un divorce, les intérêts familiaux entrent également en ligne de compte.
    • Par exemple, l’attribution préférentielle d’un logement est fréquemment accordée au conjoint ayant la garde des enfants, afin d’assurer leur stabilité résidentielle. 
    • Toutefois, cette attribution ne saurait être automatique et ne doit pas léser les droits de l’autre époux (Cass. 1re civ., 26 juin 2013, n° 12-11.818).
    • De même, lorsqu’un bien indivis présente une importance stratégique pour plusieurs indivisaires, le juge doit trancher en prenant en compte les conséquences économiques et patrimoniales de son attribution.
    • Il doit donc rechercher la solution la plus équilibrée pour éviter toute atteinte disproportionnée aux intérêts des autres parties.

==>Le contrôle exercé par la Cour de cassation

Bien que le juge dispose d’un pouvoir souverain d’appréciation en matière d’attribution préférentielle facultative, il demeure astreint à une obligation de motivation rigoureuse.

En effet, toute décision prononçant ou refusant une attribution doit être expressément motivée, faute de quoi elle encourt le risque d’une censure par la Cour de cassation.

Ainsi, un refus fondé sur l’absence d’une estimation récente du bien a été censuré, la Haute juridiction ayant considéré que ce critère était sans incidence sur le principe même de l’attribution (Cass. 1re civ., 16 mars 2016, n° 15-14.822).

De même, un refus motivé par le montant supposé excessif de la soulte doit faire l’objet d’une analyse détaillée des capacités financières du demandeur. À défaut, la décision sera cassée pour défaut de base légale (Cass. 1re civ., 11 avr. 1995, n° 93-14.461).

Enfin, le respect du principe du contradictoire est impératif. Toute décision rejetant une demande d’attribution pour absence de justification financière sans avoir permis au demandeur de s’expliquer est annulée pour violation de l’article 16 du Code de procédure civile (Cass. 1re civ., 28 janv. 2009, n° 07-22.006).

2. La décision du juge en présence de demandes concurrentes d’attribution préférentielle

Lorsqu’un bien indivis fait l’objet de plusieurs demandes d’attribution préférentielle, le juge ne peut se contenter d’une appréciation binaire consistant à accorder ou refuser la demande. Contrairement à l’hypothèse d’une demande unique, où il lui appartient de vérifier la réunion des conditions légales et d’évaluer l’opportunité de l’attribution, la présence de demandes concurrentes l’oblige à procéder à un choix parmi les postulants.

Ce choix ne saurait être laissé à une libre appréciation du magistrat sans cadre défini: l’article 832-3 du Code civil impose un raisonnement en trois temps.

  • En premier lieu, le juge doit se laisser guider par les critères légaux, qui constituent le fondement même du droit à l’attribution préférentielle et limitent son pouvoir discrétionnaire.
  • En deuxième lieu, lorsque plusieurs postulants remplissent les conditions légales, il doit examiner les intérêts en présence, afin de privilégier la solution la plus conforme aux impératifs du partage et de la préservation du bien.
  • En dernier lieu, en cas d’impossibilité de départager les prétendants, il peut opter pour des solutions intermédiaires, telles que l’attribution conjointe ou la licitation du bien.

a. L’examen des critères légaux

L’article 832-3 du Code civil impose au juge, en présence de demandes concurrentes d’attribution préférentielle, de tenir compte de l’aptitude des postulants à gérer le bien en cause et à s’y maintenir. Ce critère général s’applique à l’ensemble des attributions préférentielles, qu’elles portent sur des exploitations agricoles, des fonds de commerce, des locaux professionnels ou d’habitation.

Toutefois, lorsque l’attribution préférentielle porte sur une entreprise, qu’elle soit agricole, commerciale, artisanale ou libérale, le texte précise que le tribunal doit accorder une attention particulière à la durée de la participation personnelle du postulant à l’activité concernée. Cette exigence vise à garantir que l’attributaire désigné soit en mesure d’assurer la continuité et la viabilité de l’entreprise, évitant ainsi des décisions qui compromettraient son exploitation future.

==>L’aptitude générale à gérer les biens en cause et à s’y maintenir

L’attribution préférentielle d’un bien indivis repose sur une exigence essentielle : le postulant doit être en mesure d’assurer une gestion pérenne et efficace du bien concerné. Cette aptitude, qui conditionne le succès de la demande, s’évalue au regard de plusieurs éléments, notamment l’expérience antérieure du demandeur et sa capacité effective à maintenir l’exploitation du bien attribué.

  • L’expérience passée comme présomption d’aptitude à la gestion
    • L’un des principes directeurs en matière d’attribution préférentielle repose sur l’idée qu’un indivisaire ayant fait preuve d’une implication active et constante dans l’exploitation du bien indivis présente les meilleures garanties pour en assurer la pérennité. 
    • Il s’agit d’un critère objectif, destiné à favoriser la continuité de l’exploitation et à éviter toute rupture brutale susceptible de nuire à la valorisation du bien.
    • Dans son appréciation, le juge accorde une importance décisive à l’historique de gestion du postulant, recherchant ainsi celui dont l’engagement passé atteste d’une capacité éprouvée à poursuivre l’exploitation avec sérieux et compétence. 
    • La jurisprudence a d’ailleurs consacré ce critère en relevant que la participation prolongée et constante à la gestion d’un bien indivis constitue un élément discriminant lorsqu’il existe plusieurs demandes concurrentes.
    • Ainsi, en matière agricole, lorsqu’une exploitation était revendiquée par plusieurs indivisaires, la préférence a été donnée à celui dont l’implication était la plus ancienne et continue, la cour ayant estimé qu’il présentait les meilleures garanties de gestion et de préservation de l’intégrité de l’exploitation (CA Pau, 28 févr. 2005, n° 03/02292). 
    • Ce raisonnement repose sur une logique de stabilité et de préservation de l’unité économique du bien, qui justifie l’exclusion des postulants dont l’investissement a été plus intermittent ou secondaire.
    • Un raisonnement similaire prévaut en matière commerciale : lorsqu’un fonds de commerce exploité en indivision fait l’objet de demandes concurrentes, la jurisprudence privilégie le postulant ayant démontré une gestion rigoureuse et continue de l’activité. 
    • En effet, la constance dans l’exploitation d’un commerce constitue un indicateur fort de la capacité du demandeur à assurer la viabilité de l’entreprise.
    • Toutefois, cette présomption d’aptitude à la gestion n’est pas irréfragable. 
    • Elle peut être écartée si des éléments objectifs viennent infirmer la capacité du demandeur à assurer une gestion efficace et pérenne.
    • L’expérience passée doit donc être mise en balance avec l’aptitude actuelle du postulant à poursuivre l’exploitation du bien.
    • C’est précisément ce qu’a rappelé la Cour de cassation dans un arrêt récent portant sur l’attribution préférentielle d’une exploitation agricole.
    • Dans cette affaire, plusieurs indivisaires revendiquaient des parcelles agricoles.
    • La Cour d’appel avait attribué ces parcelles à l’un des demandeurs en raison de la continuité de son activité d’agriculteur, tandis que l’autre postulant ne justifiait plus de l’exercice effectif de cette activité. 
    • En validant cette décision, la Cour de cassation a consacré le principe selon lequel la simple implication passée ne suffit pas à justifier une attribution préférentielle si le demandeur n’est plus en mesure d’assurer l’exploitation du bien (Cass.. 1re civ., 28 janv. 2015, n° 13-20.701).
    • Ce raisonnement s’applique à d’autres types de biens indivis, notamment en matière commerciale : lorsqu’un commerce est revendiqué par plusieurs indivisaires, le juge ne se limite pas à constater l’ancienneté de l’investissement du demandeur, mais vérifie également sa capacité à poursuivre l’exploitation de manière efficace.
    • Ainsi, une absence d’activité récente, un état de santé dégradé ou une situation financière instable peuvent conduire à écarter un postulant, même s’il a longtemps participé à l’exploitation du bien.
  • La proximité avec le bien comme facteur déterminant
    • Au-delà de l’engagement passé, la localisation du postulant par rapport au bien objet de l’attribution constitue un critère d’appréciation particulièrement pertinent.
    • Une gestion efficace suppose en effet une présence physique et une implication constante, de sorte qu’un indivisaire résidant sur place et assurant un suivi régulier du bien indivis offrira de meilleures garanties qu’un coïndivisaire vivant à distance et dans l’incapacité d’assurer un contrôle direct et immédiat.
    • Cette exigence de proximité géographique revêt une importance particulière en matière agricole, où la continuité de l’exploitation repose sur une présence effective du gestionnaire.
    • La jurisprudence illustre cette approche en reconnaissant l’avantage de l’indivisaire qui, par son maintien sur le domaine, garantit la gestion stable et la valorisation durable du bien.
    • Ainsi, dans un arrêt du 25 février 1997, la Cour de cassation a validé l’attribution préférentielle d’une exploitation agricole au bénéfice du demandeur demeuré sur place, qui avait poursuivi l’exploitation d’une partie du domaine familial après le décès de sa mère (Cass. 1re civ, 25 févr. 1997, n° 94-19.068).
    • À l’inverse, sa sœur, qui avait quitté la propriété plusieurs années auparavant pour s’installer à Paris, a vu sa demande rejetée.
    • Si cette dernière avait bien participé à l’exploitation avant son départ, son éloignement prolongé et la cessation de toute activité sur le domaine ont conduit les juges du fond à considérer qu’elle ne remplissait plus les conditions d’une gestion effective et continue du bien.
    • La Cour de cassation a validé cette appréciation souveraine des juges du fond, qui avaient estimé que le maintien sur place du frère et son exploitation continue d’une partie des terres indivises constituaient des éléments déterminants en faveur de son attribution préférentielle.
    • Ce principe trouve également à s’appliquer aux locaux commerciaux et aux biens à usage d’habitation.
    • Lorsqu’un indivisaire occupe déjà le bien ou y exerce une activité professionnelle, il bénéficie d’un avantage manifeste sur un coïndivisaire ne résidant pas sur place, son maintien dans les lieux garantissant une transition plus fluide et une gestion optimisée du bien.
    • Dans cette logique, la jurisprudence a précisé que l’occupation passée d’un bien ne suffit pas à justifier son attribution préférentielle si l’intéressé ne présente plus les garanties d’un maintien effectif et utile du bien dans l’avenir.
    • Ainsi, dans un arrêt du 13 février 1967, la Cour de cassation a validé la décision des juges du fond refusant l’attribution préférentielle d’un immeuble à un médecin qui y avait exercé son activité, mais qui ne l’occupait plus au moment du litige (Cass. 1re civ, 13 févr. 1967).
    • Les juges avaient estimé que la demande du médecin ne pouvait prospérer dès lors qu’elle ne s’inscrivait pas dans une logique d’exploitation durable, mais relevait davantage d’une volonté de conserver un bien à titre patrimonial.
    • La Haute juridiction a confirmé cette approche en rappelant que l’attribution préférentielle doit être appréciée en fonction des intérêts en présence et de l’usage effectif du bien.
    • Ces décisions s’inscrivent dans une tendance jurisprudentielle constante : l’attribution préférentielle ne repose pas sur un simple droit à la conservation du bien, mais sur une exigence d’exploitation effective et pérenne.

==>L’importance de la durée de la participation personnelle à l’activité en cas d’attribution préférentielle d’une entreprise

L’attribution préférentielle d’une entreprise obéit à des impératifs spécifiques, distincts de ceux applicables aux biens immobiliers à usage d’habitation ou aux exploitations purement foncières. L’article 832-3 du Code civil impose au juge de tenir compte, en particulier, de la durée de la participation personnelle du postulant à l’activité. Ce critère, introduit par la loi du 10 juillet 1982, vise à garantir que l’attribution bénéficie à celui qui a fait preuve d’un engagement constant et significatif dans la gestion du bien, offrant ainsi les meilleures garanties de viabilité et de continuité économique.

En effet, l’une des finalités de l’attribution préférentielle d’une entreprise est d’assurer la pérennité de l’activité en privilégiant celui dont l’investissement dans la gestion de l’exploitation a été le plus ancien et le plus constant. L’ancienneté de la participation constitue, en ce sens, un indice objectif de compétence et de capacité à poursuivre l’exploitation sans discontinuité. Cette exigence se vérifie tout particulièrement dans le domaine agricole, où la stabilité de l’exploitation constitue un impératif économique et social.

À cet égard, la jurisprudence souligne que le juge doit privilégier le demandeur dont l’implication dans la gestion de l’exploitation a été continue et significative, et qui apparaît le plus à même d’en assurer le maintien et le développement. Ainsi, dans une affaire où plusieurs indivisaires revendiquaient l’attribution d’une exploitation agricole, la cour d’appel a privilégié celui dont l’engagement était le plus long et le plus constant, estimant qu’il présentait les meilleures garanties de gestion à long terme (CA Pau, 28 févr. 2005, n° 03/02292).

De la même manière, ce raisonnement s’applique en matière commerciale, où la longévité et la régularité de l’implication dans l’activité d’un fonds de commerce ou d’une entreprise artisanale constituent un critère déterminant. L’article 832-3 du Code civil prévoit expressément que, lorsqu’une entreprise fait l’objet d’une demande d’attribution préférentielle, le juge doit tenir compte en particulier de la durée de la participation personnelle du postulant à l’exploitation.

Faute de jurisprudence récente et explicite en matière de fonds de commerce, les principes dégagés en matière agricole ou artisanale restent transposables : le postulant justifiant d’un engagement durable et effectif dans l’exploitation bénéficiera d’un avantage décisif sur un coïndivisaire dont l’implication a été plus intermittente ou récente. Ce critère permet ainsi d’éviter toute rupture brutale de l’exploitation, qui pourrait compromettre sa viabilité.

Toutefois, l’appréciation du juge ne saurait se limiter à une lecture mécanique des critères légaux. L’ancienneté et la continuité dans la participation ne suffisent pas, à elles seules, à justifier une attribution préférentielle. 

Le juge doit également procéder à une évaluation plus large, prenant en compte la capacité réelle du postulant à assurer la pérennité de l’exploitation. Ainsi, même si un indivisaire justifie d’un engagement prolongé dans l’entreprise, des éléments tels que sa situation financière, son état de santé ou l’absence d’un projet crédible de poursuite de l’activité peuvent légitimement justifier un refus d’attribution (Cass. 1re civ., 21 mai 1997, n° 95-15.132).

L’ancienneté de la participation à l’exploitation d’une entreprise prend tout son relief dans les conflits successoraux, où plusieurs héritiers peuvent se disputer l’attribution d’une même activité.  Dans ce contexte, le juge privilégiera naturellement le candidat dont l’engagement s’inscrit dans la durée et qui a démontré, par une implication constante et effective, sa capacité à assurer la pérennité de l’exploitation. Ainsi, lorsqu’une entreprise familiale fait l’objet de revendications concurrentes, la priorité est généralement accordée à celui qui a le plus contribué à son développement, offrant ainsi les meilleures garanties d’exploitation future.

À l’inverse, un coïndivisaire dont l’implication s’est révélée plus récente, sporadique ou limitée peut voir sa demande écartée, même s’il satisfait en apparence aux critères légaux. 

b. L’appréciation des intérêts en présence

Lorsqu’une pluralité de postulants satisfait aux critères légaux définis par l’article 832-3 du Code civil, le juge ne peut se limiter à une application purement formelle du texte. Il lui appartient d’adopter une approche plus large en mettant en balance les intérêts patrimoniaux, économiques et familiaux liés à l’attribution préférentielle. Cette analyse suppose de concilier les droits de chaque indivisaire avec l’objectif de préservation du bien indivis et de stabilité successorale.

==>La préservation de l’équilibre patrimonial

Dans le cadre d’un partage, le juge doit veiller à ce que l’attribution préférentielle ne provoque pas un déséquilibre excessif au détriment des autres indivisaires. À ce titre, la capacité financière du demandeur à indemniser ses coïndivisaires par le versement d’une soulte est un facteur déterminant.

Ainsi, l’attribution peut être refusée à un postulant dont la situation financière ne permettrait pas de compenser équitablement les autres copartageants. Ce principe a été rappelé dans un arrêt où la Cour de cassation a validé la décision des juges du fond ayant refusé une attribution préférentielle en raison de l’incapacité du demandeur à payer la soulte nécessaire (Cass. 1ère civ. 1re, 10 mai 2007, n° 06-10.034).

Dès lors, le postulant à l’attribution préférentielle ne doit pas seulement établir son aptitude à gérer le bien, mais également démontrer qu’il est en mesure d’indemniser équitablement les autres indivisaires, afin que l’attribution ne crée pas un déséquilibre au sein du partage successoral.

==>La continuité de l’exploitation et la protection du bien

Lorsque l’attribution préférentielle porte sur une exploitation agricole ou une entreprise, le juge privilégiera le demandeur offrant les meilleures garanties de pérennité de l’activité. Ce critère répond à un impératif économique : éviter que l’exploitation ne soit interrompue ou dégradée par une gestion hasardeuse ou par l’absence d’exploitation effective.

Ainsi, la Cour de cassation a été amenée à censurer une décision d’attribution préférentielle d’une exploitation agricole au bénéfice de deux frères, au détriment de leurs coïndivisaires, en raison d’une insuffisante prise en compte des intérêts en présence (Cass. 1ère civ., 20 janv. 2004, n° 00-14.252). 

En l’espèce, après le décès de leur mère, plusieurs indivisaires revendiquaient l’attribution d’un domaine agricole familial. La cour d’appel avait accordé l’attribution préférentielle à deux frères, en se fondant sur leur implication dans l’exploitation, notamment celle de l’un d’eux qui en exerçait la direction depuis plusieurs années.

Toutefois, la Cour de cassation a censuré cette décision au motif que la cour d’appel avait omis de procéder à une comparaison approfondie des intérêts en présence. En effet, les autres coïndivisaires soutenaient que la gestion des bénéficiaires de l’attribution préférentielle était contestable et qu’elle avait porté atteinte aux intérêts patrimoniaux de l’indivision. Or, l’article 832, alinéa 11, du Code civil impose au juge de statuer sur la demande d’attribution préférentielle en tenant compte de l’ensemble des intérêts en présence. En se bornant à constater l’implication des bénéficiaires dans l’exploitation, sans examiner les griefs des autres coïndivisaires, la cour d’appel a privé sa décision de base légale.

Cet arrêt illustre ainsi une exigence fondamentale : l’implication passée d’un demandeur ne suffit pas, à elle seule, à justifier l’attribution préférentielle. Le juge doit impérativement mettre en balance les intérêts économiques et patrimoniaux de l’ensemble des parties concernées. L’attribution préférentielle ne peut être accordée qu’à la condition qu’elle ne lèse pas de manière disproportionnée les droits des autres indivisaires, notamment lorsque des contestations sur la gestion du bien sont soulevées.

c. Les solutions intermédiaires : pallier l’impossibilité de départager les postulants

Dans certaines hypothèses, aucun des postulants ne se distingue de manière évidente au regard des critères légaux et jurisprudentiels. Le juge dispose alors d’une latitude pour aménager une solution équilibrée, conciliant les intérêts de l’ensemble des indivisaires et préservant la stabilité patrimoniale. Deux solutions alternatives peuvent être envisagées : l’attribution conjointe, qui permet un partage de la gestion entre plusieurs bénéficiaires, et la licitation, qui impose la vente du bien afin d’éviter des conflits irréconciliables.

==>L’attribution conjointe

Lorsque plusieurs demandeurs satisfont aux critères de l’attribution préférentielle et qu’aucun ne se distingue nettement par son aptitude à gérer le bien et à s’y maintenir, le juge peut envisager une répartition partielle du bien litigieux entre plusieurs postulants. Cette solution, bien que moins fréquente, permet d’éviter un déséquilibre trop marqué dans le partage successoral tout en préservant la continuité économique de l’exploitation concernée.

La Cour de cassation a validé cette approche dans une affaire où plusieurs héritiers revendiquaient l’attribution préférentielle de parcelles viticoles issues de la succession de leur père (Cass. 1re civ., 22 févr. 2000, n° 98-10.153). En l’espèce, deux des enfants avaient participé à la mise en valeur des terres litigieuses et chacun exploitait déjà des parcelles en propre. La cour d’appel avait estimé qu’ils étaient également aptes à poursuivre l’exploitation et que l’attribution d’une part significative du domaine à l’un des postulants, sans prise en compte des intérêts de l’autre, aurait entraîné un déséquilibre injustifié.

Dans son arrêt, la Cour de cassation a confirmé la décision des juges du fond, qui avaient attribué à chacun une portion des terres, en considérant que cette solution permettait d’assurer un partage équitable tout en préservant l’intégrité économique de l’exploitation. Elle a relevé que cette décision n’était pas motivée par une simple considération d’équité, mais reposait bien sur les critères posés par l’article 832-1 du Code civil, qui impose au juge de désigner l’attributaire en fonction des intérêts en présence et de l’aptitude des différents postulants à gérer l’exploitation et à s’y maintenir.

Toutefois, l’attribution conjointe suppose plusieurs conditions :

  • Une compatibilité de gestion entre les co-attributaires, afin d’éviter des conflits susceptibles de nuire à l’exploitation du bien ;
  • Une division matériellement possible du bien sans compromettre son intégrité économique ;
  • Un équilibre entre les intérêts successoraux, garantissant que la solution retenue ne lèse aucun héritier de manière disproportionnée.

Ainsi, cette solution ne peut être retenue que lorsque la nature du bien indivis permet une gestion distincte entre plusieurs indivisaires et que ces derniers disposent des compétences nécessaires pour en assurer l’exploitation de manière autonome.

Toutefois, le juge doit rester vigilant quant aux risques de conflits futurs entre co-attributaires. En effet, une exploitation en indivision peut rapidement devenir source de tensions, notamment en cas de désaccord sur la gestion des biens attribués conjointement. Dès lors, l’attribution conjointe ne constitue pas une solution systématique, mais une alternative à envisager lorsque les circonstances le permettent et que les indivisaires sont en mesure d’assurer une gestion sereine et efficace du bien partagé.

==>La licitation

L’attribution préférentielle d’un bien indivis repose sur l’idée qu’un indivisaire peut en assurer la gestion de manière autonome et efficace tout en indemnisant équitablement les autres coïndivisaires. Toutefois, lorsque cette répartition s’avère impossible ou qu’aucun des postulants ne présente de garanties suffisantes pour assurer la continuité de l’exploitation, le juge peut être amené à ordonner la licitation du bien.

La licitation consiste en la vente du bien indivis, soit de manière amiable, soit aux enchères publiques, afin de répartir le produit entre les indivisaires selon leurs droits respectifs. Cette solution est généralement considérée comme un dernier recours, intervenant lorsque :

  • L’attribution préférentielle à un indivisaire ne permet pas d’indemniser équitablement les autres héritiers par le paiement d’une soulte, notamment en raison d’un déséquilibre patrimonial trop important ;
  • Le maintien en indivision risque d’engendrer des conflits de gestion insolubles, notamment lorsque les coïndivisaires sont en désaccord sur la gestion du bien ;
  • Le bien concerné ne peut être matériellement partagé et son exploitation conjointe est impraticable, comme c’est le cas d’un fonds de commerce détenu par d’anciens époux après leur divorce.

La Cour de cassation a validé cette approche dans une affaire où des époux divorcés revendiquaient chacun l’attribution préférentielle d’un fonds de commerce commun (Cass. 1re civ., 22 avr. 1981, n° 79-16.342). Dans cette affaire, les tensions entre les ex-époux rendaient toute gestion commune impossible et l’attribution à l’un d’eux aurait nécessité le versement d’une soulte d’un montant trop élevé. La cour d’appel avait donc décidé d’ordonner la licitation du fonds de commerce, estimant que cette solution permettrait de garantir une répartition équitable des valeurs patrimoniales et d’éviter un conflit prolongé entre les parties.

La Cour de cassation a validé cette analyse en considérant que la licitation faisait apparaître “dans l’intérêt des deux parties, la valeur réelle et non théorique du fonds de commerce“, permettant ainsi à chacun des ex-époux de faire valoir ses droits dans des conditions financières objectives. Elle a également précisé que cette décision relevait de l’appréciation souveraine des juges du fond, qui avaient examiné les intérêts en présence avant de statuer.

Dans une perspective plus large, la licitation peut apparaître comme un instrument essentiel de préservation de l’équilibre patrimonial. Elle permet d’éviter qu’un indivisaire ne s’arroge une position dominante au détriment des autres, en assurant une répartition équitable de la valeur patrimoniale du bien.

Toutefois, cette solution ne saurait être ordonnée qu’en dernier ressort. Le juge doit, avant d’y recourir, explorer toutes les alternatives susceptibles de concilier les intérêts en présence, telles que l’attribution conjointe ou la mise en place de mécanismes compensatoires, à l’instar d’un échelonnement du paiement de la soulte. Ce n’est que lorsque toute tentative d’attribution préférentielle risquerait de rompre l’équilibre financier entre les indivisaires ou de conduire à une impasse dans la gestion du bien que la licitation s’impose avec nécessité.

Attribution préférentielle: conditions

L’attribution préférentielle constitue une exception à la règle du partage égalitaire des biens indivis. Codifiée aux articles 831 et suivants du Code civil, elle permet à un indivisaire d’obtenir, par priorité, la propriété exclusive de certains biens, en contrepartie d’une compensation financière éventuelle sous forme de soulte. Ce mécanisme, destiné à éviter les aléas du tirage au sort ou les conséquences d’un partage matériel inadapté, répond à un objectif de continuité patrimoniale et de préservation de certains intérêts essentiels.

Toutefois, cette faculté n’est ni automatique ni absolue : elle est soumise à des conditions strictes, tant en ce qui concerne la nature des biens susceptibles d’en faire l’objet que la qualité du demandeur. Ainsi, l’attribution préférentielle ne peut être sollicitée que pour des biens présentant un intérêt particulier, tels que la résidence principale du conjoint survivant, une exploitation agricole, un fonds de commerce ou encore un local professionnel indispensable à l’exercice d’une activité.

Outre ces critères objectifs, la loi impose une appréciation rigoureuse des circonstances entourant la demande, afin d’éviter tout détournement de ce mécanisme à des fins purement patrimoniales. Dès lors, l’octroi de l’attribution préférentielle suppose la réunion de conditions précises, dont la justification repose à la fois sur des considérations économiques, professionnelles et familiales.

A) Conditions relatives aux biens

L’attribution préférentielle, telle qu’organisée par les articles 831 et suivants du Code civil, vise à assurer la stabilité économique et patrimoniale en permettant à certains indivisaires d’obtenir la propriété exclusive de biens répondant à des besoins professionnels, familiaux ou agricoles. D’abord instaurée dans une perspective essentiellement agricole, afin de favoriser la transmission des petites et moyennes exploitations familiales, elle a progressivement été étendue à d’autres catégories de biens considérées comme essentielles à la pérennité économique et sociale du copartageant demandeur.

Aujourd’hui, le législateur a dressé une liste limitative des biens pouvant faire l’objet d’une attribution préférentielle. Ce dispositif permet ainsi d’assurer, au profit du demandeur, la propriété exclusive de certains biens répondant à des impératifs économiques, professionnels ou résidentiels, dès lors qu’ils sont jugés indispensables à l’exercice d’une activité ou au maintien d’un cadre de vie stable. Tous les biens qui ne figurent pas dans cette liste relèvent du droit commun du partage et ne peuvent être attribués par préférence à l’un des indivisaires, quelles que soient les circonstances de la cause.

L’analyse des textes applicables et de la jurisprudence permet de regrouper ces biens en fonction de deux critères : la nature du bien (immeubles, mobiliers, droits sociaux) et sa destination (résidentielle, professionnelle ou agricole). Ce classement met en lumière la logique sous-jacente à ce mécanisme : assurer la conservation des biens présentant une affectation particulière et éviter leur dispersion en cas de partage successoral ou d’indivision post-communautaire.

1. Les biens liés à l’habitat familial

Les règles encadrant l’attribution préférentielle confèrent une protection particulière au logement occupé par le conjoint survivant ou un héritier copropriétaire, garantissant ainsi la préservation du cadre de vie du demandeur et la continuité de ses conditions d’existence. Cette prérogative, prévue à l’article 831-2, 1° du Code civil, vise à éviter qu’un indivisaire ayant résidé durablement dans un bien indivis ne se retrouve contraint d’en quitter les lieux à la suite du partage.

Il ressort de la jurisprudence que cette protection ne s’étend qu’à la résidence principale du demandeur, à l’exclusion des résidences secondaires ou des locaux occupés de manière occasionnelle. Elle peut s’accompagner de l’attribution des meubles meublants garnissant le bien, ainsi que du véhicule du défunt, à condition que celui-ci soit nécessaire aux besoins de la vie courante.

a. La propriété ou le droit au bail du logement familial

L’attribution préférentielle du logement familial permet au conjoint survivant ou à l’héritier copropriétaire de se voir attribuer, par voie de partage, soit la pleine propriété du bien, soit le droit au bail y afférent, afin de garantir la continuité de ses conditions d’existence. Cette prérogative, consacrée par l’article 831-2, 1° du Code civil, repose sur l’idée que le maintien du bénéficiaire dans son cadre de vie habituel est un impératif supérieur, justifiant qu’il soit préféré aux autres indivisaires lors du partage.

La distinction entre propriété et droit au bail revêt une importance déterminante, l’attribution préférentielle ne pouvant porter que sur le titre juridique détenu par le défunt au jour du décès. Selon que l’immeuble était détenu en indivision ou loué par le défunt, les conséquences de l’attribution préférentielle seront radicalement différentes.

i. L’attribution préférentielle de la propriété du logement familial

==>Principe

L’attribution préférentielle permet à un indivisaire de devenir propriétaire exclusif du logement familial, sous réserve du paiement d’une éventuelle soulte si la valeur du bien excède ses droits dans l’indivision (art. 831-2, 1 C. civ.).

Lorsque le bien convoité appartient en pleine propriété à l’indivision successorale, l’attribution préférentielle permet au bénéficiaire d’échapper aux aléas du partage en obtenant un droit exclusif sur le logement familial. Il se substitue aux autres indivisaires et devient pleinement propriétaire du bien, ce qui lui confère :

  • Un droit d’usage et de disposition exclusif, lui permettant d’occuper, de louer ou de vendre le bien sans l’accord des autres indivisaires ;
  • L’obligation d’assumer toutes les charges afférentes à l’entretien et à la conservation du bien ;
  • Une obligation éventuelle de verser une soulte aux autres indivisaires si la valeur du bien attribué dépasse ses droits dans la succession.

L’attribution préférentielle poursuit un objectif de stabilité familiale et patrimoniale. Il s’agit d’éviter que le conjoint survivant ou un héritier copropriétaire ne soit contraint de quitter brutalement un logement qu’il occupait déjà de manière effective.

Si l’attribution préférentielle garantit une protection renforcée, elle n’est cependant pas automatique. Le législateur a posé une exigence stricte d’occupation effective du logement par le demandeur, condition sine qua non du bénéfice de ce mécanisme.

Ainsi, la loi ne vise pas un simple bien à usage d’habitation, mais exige que le demandeur y ait eu sa résidence à l’époque du décès et que le logement « lui serve effectivement d’habitation » (art. 831-2, 1° C. civ.).

La Cour de cassation a rappelé cette exigence dans un arrêt du 1er juillet 1997, écartant toute possibilité d’attribution préférentielle pour une résidence secondaire ou un bien dans lequel le demandeur ne faisait que des séjours occasionnels (Cass. 1ère civ., 1er juill. 1997, n°95-12.263). Cette solution est conforme à la finalité de l’institution : assurer la continuité du cadre de vie, et non conférer un avantage patrimonial qui serait déconnecté de toute nécessité d’usage.

Dès lors, seul le logement occupé à titre principal par le demandeur peut faire l’objet d’une attribution préférentielle, à l’exclusion des résidences secondaires, des biens vacants ou des locaux utilisés de manière intermittente. Cette exigence est d’autant plus stricte que l’attribution préférentielle constitue une modalité particulière de partage, impliquant un dessaisissement forcé des autres indivisaires. Il appartient dès lors au juge d’exercer une appréciation rigoureuse des conditions d’habitation du demandeur afin de ne pas dénaturer le mécanisme.

Toutefois, l’impératif de préservation du logement familial trouve son expression la plus aboutie lorsque le conjoint survivant est concerné. La protection qui lui est conférée s’exerce avec une particulière intensité, puisque l’article 831-3 du Code civil lui accorde un droit d’attribution préférentielle de plein droit : « l’attribution préférentielle visée au 1° de l’article 831-2 est de droit pour le conjoint survivant. »

Il en résulte que le juge ne peut refuser l’attribution préférentielle au conjoint survivant, sauf si celui-ci y renonce expressément. Ce droit automatique traduit la volonté du législateur de préserver l’équilibre familial et la sécurité du conjoint après le décès du de cujus.

À l’inverse, pour les héritiers autres que le conjoint survivant, l’attribution préférentielle demeure facultative. Elle ne peut être accordée que s’ils justifient d’un besoin légitime d’occupation et d’une continuité d’usage avérée du bien. Cette distinction reflète l’approche différenciée retenue par le législateur, qui réserve aux époux un régime protecteur renforcé, tout en maintenant une certaine souplesse pour les autres cohéritiers.

==>Limites

Si l’attribution préférentielle constitue une modalité protectrice du partage successoral, elle ne saurait pour autant être détournée à des fins d’éviction des autres indivisaires ou de captation abusive du patrimoine. Dès lors, la jurisprudence a institué trois principales limites à son exercice :

  • Première limite
    • L’attribution préférentielle ne peut porter que sur le logement familial et ne s’étend pas aux autres locaux situés dans le même immeuble, sauf s’ils sont indissociables du logement.
    • Ainsi, un immeuble comprenant plusieurs parties distinctes, notamment des locaux commerciaux, professionnels ou indépendants, ne peut être attribué en totalité, sauf si ces locaux forment un tout indivisible (Cass. 1ère civ. 1er mars 1988, n°86-13.110).
    • Pour exemple, un héritier occupant un appartement dans un immeuble comprenant également des bureaux et des commerces ne pourra obtenir l’attribution de l’ensemble du bien que s’il prouve l’impossibilité de dissocier les espaces sans compromettre l’intégrité de l’immeuble. À défaut, seul le logement occupé sera attribué, les autres locaux étant soumis aux règles classiques du partage successoral.
    • Cette limitation s’applique également aux annexes et dépendances (garage, cave, jardin), qui ne peuvent être comprises dans l’attribution que si elles sont strictement nécessaires à l’usage normal du bien principal. Une analyse au cas par cas est requise pour apprécier si ces éléments sont accessoires ou détachables du logement.
  • Deuxième limite
    • L’attribution préférentielle ne peut être sollicitée que sur un bien relevant intégralement de l’indivision successorale.
    • Dès lors, si le bien est détenu en indivision avec un tiers extérieur à la succession, l’attribution préférentielle devient impossible.
    • Dans une affaire où un immeuble appartenait pour partie aux héritiers et pour partie à une société tierce, la Cour de cassation a refusé l’attribution préférentielle, considérant que le bien ne faisait pas intégralement partie du patrimoine successoral (Cass. 1ère civ. 15 janv. 2014, n°12-25.322 et 12-26.460).
    • Cette restriction découle du principe selon lequel l’attribution préférentielle est une modalité du partage successoral, lequel suppose une répartition des biens entre cohéritiers. Il n’est pas possible d’imposer à un tiers une cession forcée de ses droits dans l’indivision.
    • Ainsi, lorsqu’un bien est détenu en indivision avec une personne étrangère à la succession, l’attribution préférentielle ne peut être exercée que si le demandeur parvient à acquérir la quote-part du tiers par voie amiable. À défaut, le bien demeure soumis au régime de l’indivision classique et doit être partagé conformément aux règles ordinaires.
  • Troisième limite
    • L’attribution préférentielle ne doit pas être confondue avec un simple droit d’occupation. 
    • Un indivisaire ne peut pas demander l’attribution préférentielle sous la forme d’un bail sur le bien indivis, en tentant d’en éviter les charges afférentes.
    • Ainsi, un héritier ne saurait réclamer une simple jouissance du logement en demandant à se voir attribuer un bail au lieu d’en devenir propriétaire.
    • La raison en est que l’attribution préférentielle constitue une modalité de partage successoral. Elle implique que l’attributaire devienne pleinement propriétaire du bien concerné et en assume les charges patrimoniales.
    • Or, si le logement familial fait partie de l’indivision successorale en pleine propriété, un indivisaire ne peut pas contourner ce mécanisme en sollicitant un simple bail sur le bien indivis au lieu d’en devenir propriétaire.

ii. L’attribution préférentielle du droit au bail du logement familial

Lorsqu’un logement familial ne relève pas de l’actif successoral en pleine propriété mais repose sur un contrat de bail, l’attribution préférentielle ne porte pas sur la propriété du bien, mais sur le droit locatif qui y est attaché.

Ce mécanisme a pour finalité d’assurer la continuité de l’occupation du logement familial, en évitant que le décès du preneur ne conduise à l’éviction du conjoint survivant ou de l’héritier occupant. Il s’inscrit ainsi dans la même logique de protection que l’attribution préférentielle de la propriété du logement, tout en répondant aux spécificités du régime locatif.

Toutefois, l’attribution préférentielle du droit au bail obéit à des règles distinctes et demeure encadrée par des principes stricts afin de garantir l’équilibre du partage successoral et d’éviter tout détournement du mécanisme à des fins de captation du patrimoine.

==>Principe

L’article 1742 du Code civil prévoit que « le contrat de louage n’est point résolu par la mort du bailleur ni par celle du preneur. »

Il ressort de cette disposition que le décès du preneur n’entraîne pas l’extinction automatique du bail, qui se poursuit de plein droit au bénéfice de ses héritiers. Toutefois, cette transmission successorale du bail ne signifie pas que l’ensemble des héritiers deviennent cotitulaires du bail de manière indifférenciée. Il appartient en effet à ceux qui souhaitent conserver le logement d’en solliciter l’attribution préférentielle, afin de bénéficier d’un droit exclusif sur le bien locatif.

Toutefois, les modalités de cette transmission varient selon la situation juridique du logement et la qualité des personnes concernées.

En effet, l’attribution préférentielle du droit au bail n’est pas automatique : elle doit être demandée par l’un des héritiers ou par le conjoint survivant, et son octroi est conditionné à la démonstration d’un intérêt légitime à se maintenir dans les lieux.

Deux hypothèses doivent être distinguées :

  • Le défunt était le seul preneur du bail
    • Dans cette configuration, le droit au bail entre dans l’actif successoral et peut faire l’objet d’une demande d’attribution préférentielle au profit d’un héritier ou du conjoint survivant.
    • Celui qui sollicite l’attribution doit démontrer :
      • Qu’il résidait effectivement dans le logement au moment du décès,
      • Que cette occupation présente un caractère stable et permanent,
      • Qu’il dispose d’un intérêt légitime à s’y maintenir, notamment en raison de l’absence d’autre solution d’hébergement ou de son attachement particulier au bien.
    • L’octroi de l’attribution préférentielle dans ce cadre ne constitue pas un droit absolu et reste soumis à l’appréciation souveraine des juges du fond, qui examinent les circonstances de chaque espèce.
  • Le défunt et son conjoint étaient cotitulaires du bail
    • Lorsque le bail était consenti au nom des deux époux, la situation est radicalement différente : dans ce cas, le conjoint survivant bénéficie de plein droit du bail, sans qu’il ait besoin d’invoquer l’attribution préférentielle.
    • Ce principe découle de l’article 1751 du Code civil, qui dispose que « le droit au bail du local, sans caractère professionnel ou commercial, qui sert effectivement à l’habitation de deux époux est réputé appartenir à l’un et à l’autre des époux. En cas de décès de l’un des époux, le conjoint survivant cotitulaire du bail dispose d’un droit exclusif sur celui-ci, sauf s’il y renonce expressément. »
    • Ainsi, dans cette hypothèse, le droit au bail n’entre pas dans l’actif successoral, mais est automatiquement transféré au conjoint survivant, qui en devient l’unique titulaire sans qu’aucune démarche supplémentaire ne soit requise.

==>Limites

Si l’attribution préférentielle du droit au bail constitue un mécanisme essentiel de protection du cadre de vie du conjoint survivant ou de l’héritier copropriétaire, elle ne saurait être exercée sans restriction. Plusieurs limites viennent encadrer son application, afin de préserver l’équilibre du partage successoral et d’éviter toute captation abusive du bien concerné.

  • Première limite
    • Contrairement au conjoint marié ou au partenaire pacsé, qui bénéficient d’un droit exclusif sur le bail en vertu de l’article 1751 du Code civil, le concubin survivant ne dispose d’aucun droit automatique à la poursuite du bail du défunt.
    • Ainsi, à défaut de cotitularité expresse du contrat de bail ou d’une clause spécifique de transmission au profit du survivant, le concubin doit impérativement formuler une demande d’attribution préférentielle, laquelle demeure soumise à l’appréciation souveraine des juges du fond.
    • Toutefois, en pratique, la jurisprudence se montre particulièrement rigoureuse et rechigne à conférer au concubin un statut équivalent à celui du conjoint survivant. 
    • L’attribution préférentielle ne peut être accordée qu’en présence de circonstances exceptionnelles, et ne saurait pallier l’absence de protection légale spécifique des concubins en matière successorale.
  • Deuxième limite
    • L’attribution préférentielle repose sur l’idée que les biens successoraux doivent être répartis entre les seuls cohéritiers.
    • Dès lors, lorsque la propriété du logement familial est détenue en indivision avec un tiers extérieur à la succession, l’attribution préférentielle devient inopérante.
    • Dans une telle hypothèse, l’attribution du droit au bail reviendrait à imposer au tiers propriétaire une cession forcée de ses droits, ce qui est contraire aux principes fondamentaux du droit des biens et de l’indivision.
    • La Cour de cassation, dans un arrêt du 15 janvier 2014 a expressément écarté l’attribution préférentielle du droit au bail dans une affaire où un bien indivis était détenu à la fois par les héritiers et une société tierce (Cass. 1ère civ. 15 janv. 2014, n°12-25.322 et 12-26.460).
    • La Haute juridiction a rappelé que l’attribution préférentielle suppose que le bien convoité appartienne exclusivement aux cohéritiers, et qu’elle ne saurait être utilisée pour contourner les droits d’un tiers copropriétaire.

En définitive, l’attribution préférentielle ne peut être invoquée que pour répondre à un besoin légitime d’occupation, et non dans le but de conférer à un héritier un avantage patrimonial excessif au détriment des autres indivisaires.

Ainsi, un demandeur ne saurait détourner ce mécanisme pour se ménager une jouissance gratuite du bien, ou pour évincer ses cohéritiers en bénéficiant d’un droit exclusif d’occupation sans en assumer les charges correspondantes.

L’attribution préférentielle ne doit pas altérer l’équilibre du partage successoral, ni aboutir à une captation abusive du patrimoine successoral sous couvert de protection du logement familial. Elle constitue une prérogative d’exception, dont l’octroi est soumis à une appréciation rigoureuse des juges, soucieux de garantir une répartition équitable des droits successoraux.

b. L’extension aux meubles meublants et au véhicule du défunt

L’attribution préférentielle ne se limite pas au logement familial lui-même. Elle s’étend, sous certaines conditions, aux éléments matériels qui le composent, en particulier aux meubles meublants qui le garnissent et au véhicule du défunt. Ces extensions, désormais consacrées par la loi, visent à garantir la continuité des conditions d’existence du conjoint survivant ou de l’héritier attributaire. Toutefois, ce droit demeure encadré et ne saurait s’appliquer de manière indifférenciée à l’ensemble des biens mobiliers de la succession.

==>L’attribution préférentielle des meubles meublants

L’attribution préférentielle des meubles meublants repose sur une idée fondamentale : assurer au bénéficiaire du logement familial un cadre de vie cohérent et fonctionnel. En ce sens, l’article 831-2, 1° du Code civil prévoit que l’attribution préférentielle du logement emporte également celle des meubles qui le garnissent.

Cette extension vise à prévenir le risque de démantèlement du cadre de vie de l’attributaire. Sans cette disposition, l’attribution préférentielle du logement pourrait se révéler inopérante si l’attributaire devait se voir privé des meubles nécessaires à son usage. La loi garantit ainsi une occupation du bien dans des conditions normales, en préservant l’harmonie matérielle du lieu de vie.

Toutefois, l’attribution préférentielle des meubles meublants demeure strictement encadrée. Ne peuvent en bénéficier que les biens qui sont effectivement destinés à garnir le logement familial. À ce titre, la jurisprudence a exclu certains objets qui, bien que présents dans le logement, ne sauraient être assimilés à des meubles meublants au sens de la loi.

Sont ainsi exclus du champ de l’attribution préférentielle :

  • Les instruments professionnels, qui ne relèvent pas d’un usage strictement domestique et ne participent pas au confort quotidien du logement ;
  • Les souvenirs de famille, souvent dotés d’une valeur sentimentale ou patrimoniale particulière, qui sont, en principe, destinés à être partagés entre les héritiers du sang.

Avant l’adoption de la loi du 3 décembre 2001, la jurisprudence refusait d’admettre l’attribution préférentielle des meubles meublants, faute de base légale expresse (CA Paris, 4 nov. 1969). Cette incertitude a été levée par l’intervention du législateur, qui a conféré une assise juridique incontestable à cette possibilité.

Désormais, l’attribution préférentielle des meubles meublants constitue une prérogative pleinement reconnue, permettant à l’attributaire du logement familial d’en conserver l’ameublement nécessaire à une occupation effective et immédiate.

==>L’attribution préférentielle du véhicule du défunt

Si l’attribution préférentielle des meubles meublants était devenue une évidence, celle du véhicule du défunt a longtemps été sujette à controverse. Pendant de nombreuses années, la jurisprudence adoptait une position stricte et refusait l’attribution préférentielle des véhicules, au motif qu’ils ne pouvaient être assimilés aux meubles meublants. Il en résultait des situations parfois inéquitables, privant un conjoint survivant ou un héritier d’un bien pourtant essentiel à sa vie quotidienne (CA Paris, 21 mai 2008, n° 07/11591).

Cette difficulté a été résolue par la loi n° 2015-177 du 16 février 2015, qui a explicitement étendu l’attribution préférentielle aux véhicules du défunt, à condition qu’ils soient nécessaires aux besoins de la vie courante.

Cette exigence de nécessité a pour objet d’éviter que l’attribution préférentielle du véhicule ne devienne un simple avantage patrimonial. Il ne s’agit pas de permettre au conjoint ou à l’héritier d’obtenir un bien de valeur sans justification particulière, mais bien de garantir son autonomie et son maintien dans des conditions de vie habituelles.

Dès lors, plusieurs restrictions s’imposent :

  • L’attribution préférentielle ne pourra être demandée pour un véhicule de collection ou un bien de luxe, dont l’usage ne correspond pas à un besoin quotidien ;
  • La nécessité de l’usage devra être démontrée par le demandeur, notamment en l’absence de solutions alternatives (modes de transport accessibles, proximité des services essentiels, situation de handicap, etc.).

Cette évolution législative consacre une approche pragmatique de l’attribution préférentielle. En reconnaissant que la protection du cadre de vie ne saurait se limiter aux seuls biens immobiliers, le législateur a voulu intégrer à ce dispositif les éléments matériels indispensables à la vie quotidienne.

L’attribution préférentielle du véhicule illustre ainsi l’évolution du droit successoral vers une prise en compte plus fine des besoins des copartageants. Elle garantit au conjoint survivant ou à l’héritier demandeur la possibilité de conserver un bien qui, dans de nombreuses situations, conditionne l’exercice d’une activité professionnelle ou la simple continuité des déplacements nécessaires à la vie courante.

2. Les biens liés à une activité professionnelle

2.1 L’attribution préférentielle des entreprises commerciales, industrielles, artisanales ou libérales

a. Énoncé du principe

L’attribution préférentielle, initialement conçue comme un instrument de préservation des exploitations agricoles face aux aléas du partage successoral, a connu une transformation majeure au fil du temps. Ce mécanisme, autrefois circonscrit à la transmission des patrimoines ruraux, a progressivement étendu son champ d’application aux entreprises de toute nature, répondant ainsi aux impératifs contemporains de pérennité économique et de stabilité entrepreneuriale.

Ce mouvement d’expansion a culminé avec la réforme opérée par la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, qui a consacré un régime simplifié et plus accessible à l’attribution préférentielle des entreprises, désormais régie par l’article 831 du Code civil.

L’attribution préférentielle trouve son origine dans la nécessité d’éviter le morcellement des exploitations agricoles au moment du partage successoral. Cette préoccupation, profondément ancrée dans la tradition juridique française, s’est traduite dans l’ancien article 832 du Code civil, qui encadrait strictement l’octroi de cette faveur successorale.

Lorsqu’en 1961, la faculté d’attribution préférentielle fut étendue aux entreprises commerciales, industrielles et artisanales, celles-ci furent assimilées aux exploitations agricoles et soumises aux mêmes critères restrictifs. Elles devaient ainsi répondre simultanément à trois conditions:

  • Une existence réelle, impliquant une activité économique tangible et identifiable ;
  • L’unité économique, c’est-à-dire une cohérence structurelle et une interdépendance entre les éléments composant l’entreprise ;
  • Le caractère familial, condition introduite en 1982 pour réserver l’attribution préférentielle aux héritiers ayant un lien direct avec l’activité, excluant ainsi les entreprises de grande envergure ou purement patrimoniales.

Cependant, ces critères restrictifs se sont révélés inadaptés aux réalités économiques contemporaines, marquées par:

  • L’éclatement des activités économiques, avec des entreprises fonctionnant en réseau ou réparties entre plusieurs entités juridiques ;
  • La diversité des structures entrepreneuriales, souvent constituées sous forme de sociétés à capital dispersé, parfois avec des actionnaires non familiaux.

En conséquence, ces conditions ont engendré un contentieux abondant, notamment sur la notion d’unité économique, que la Cour de cassation a longtemps considéré comme une question de fait laissée à l’appréciation souveraine des juges du fond (Cass. 1ère civ., 10 mai 2007, n°05-20.177). Toutefois, face aux divergences jurisprudentielles, elle a progressivement renforcé son contrôle de légalité, censurant certaines décisions pour violation de la loi ou manque de base légale (Cass. 1re civ., 18 mai 2005, n°02-13.502).

Conscient des difficultés d’application de l’ancien régime, le législateur a procédé, par la loi du 23 juin 2006, à une simplification et une généralisation du dispositif d’attribution préférentielle. L’article 831 du Code civil, dans sa rédaction actuelle, dispose que « toute entreprise, agricole, commerciale, industrielle, artisanale ou libérale, peut faire l’objet d’une attribution préférentielle au profit d’un héritier. S’il y a lieu, la demande d’attribution préférentielle peut porter sur des droits sociaux, sans préjudice de l’application des dispositions légales ou des clauses statutaires sur la continuation d’une société avec le conjoint survivant ou un ou plusieurs héritiers. »

Ce texte marque une rupture avec les anciennes contraintes en supprimant deux critères qui avaient complexifié la mise en œuvre du dispositif :

  • L’exigence d’unité économique, qui était source de contentieux et dont l’interprétation variait selon les juges du fond ;
  • L’exigence du caractère familial, qui limitait l’accès à l’attribution préférentielle aux seules entreprises à dimension familiale, excluant de facto certaines structures plus complexes.

Désormais, seules deux conditions sont requises pour qu’une entreprise puisse faire l’objet d’une attribution préférentielle :

  • Une consistance matérielle et juridique suffisante, ce qui signifie que l’entreprise doit être constituée d’éléments permettant une exploitation effective et identifiable ;
  • Son inclusion dans l’indivision successorale, ce qui exclut les biens ou droits sociaux qui ne feraient pas partie du patrimoine du défunt.

Ainsi, peu importe la taille de l’entreprise, sa structure juridique ou son mode d’exploitation :

  • Un cabinet libéral (avocat, médecin, expert-comptable) est éligible à l’attribution préférentielle, au même titre qu’un fonds de commerce ou un atelier artisanal ;
  • Les parts sociales d’une société peuvent être attribuées préférentiellement, sous réserve du respect des statuts et des clauses du pacte social (article 831, alinéa 2 du Code civil).

En revanche, certaines limites demeurent :

  • Un bail commercial ou un bail professionnel pris par le défunt ne peut être attribué préférentiellement, sauf s’il constitue un élément accessoire d’un fonds de commerce transmis dans son ensemble ;
  • Les droits sociaux sont soumis aux clauses statutaires et aux règles légales sur la transmission des parts (agrément des associés, préemption…).

b. Conditions d’application

L’attribution préférentielle d’une entreprise dans le cadre d’une succession repose sur une conciliation délicate entre la nécessité d’assurer la pérennité de l’activité économique et le respect des droits successoraux des cohéritiers. Ce mécanisme, qui permet à un héritier de se voir attribuer une entreprise issue de l’indivision, moyennant le cas échéant le versement d’une soulte, demeure étroitement encadré par la loi.

Sa mise en œuvre répond ainsi à deux exigences principales:

  • Des conditions matérielles, tenant à l’existence même de l’entreprise et à sa consistance économique ;
  • Des conditions juridiques, qui encadrent la transmission du bien et garantissent l’équilibre des droits entre les héritiers.

Loin d’être un simple privilège, l’attribution préférentielle s’inscrit donc dans une logique de préservation du tissu économique, tout en veillant à éviter toute atteinte aux principes fondamentaux du partage successoral.

i. Les conditions matérielles

L’attribution préférentielle d’une entreprise dans le cadre d’un partage ne se réduit pas à la simple transmission d’un bien. Elle obéit à des exigences matérielles précises, destinées à garantir que l’activité concernée constitue une entité économique viable et exploitable. Loin d’être un droit automatique, cette faculté, consacrée par l’article 831 du Code civil, ne peut être mise en œuvre qu’à certaines conditions strictes, dont l’appréciation relève du pouvoir souverain des juges du fond.

Ainsi, l’entreprise concernée ne saurait se résumer à un actif patrimonial isolé. Elle doit s’inscrire dans un cadre structuré, combinant des moyens matériels et humains autour d’une activité économique réelle. L’attribution préférentielle n’a pas pour objet de permettre l’appropriation d’éléments épars, mais bien d’assurer la continuité d’une exploitation cohérente, apte à être poursuivie sans discontinuité par l’héritier attributaire.

==>Une entreprise devant exister et être immédiatement exploitable

L’attribution préférentielle d’une entreprise suppose son existence effective au moment du partage. Il ne suffit pas qu’un bien présente une simple vocation professionnelle : encore faut-il qu’il soit actuellement exploité ou immédiatement exploitable.

Cette exigence découle directement de l’article 831 du Code civil, qui encadre l’attribution préférentielle dans une logique de pérennisation des outils de production et non de simple transfert patrimonial. L’objectif est ainsi de favoriser la continuité des entreprises existantes, en évitant leur démantèlement dans le cadre du partage successoral. La jurisprudence veille rigoureusement à cette exigence et rappelle que l’attribution préférentielle ne saurait être accordée si l’entreprise ne présente pas une réalité économique tangible (Cass. 1re civ., 10 mai 2007, n° 05-20.177).

Dès lors, plusieurs situations sont exclues du champ de l’attribution préférentielle :

  • Un stock de marchandises isolé, qui ne saurait à lui seul constituer une entreprise en l’absence d’une structure organisationnelle cohérente et d’une clientèle attachée. La jurisprudence rappelle que l’attribution ne peut porter sur des actifs économiques dissociés d’une activité en cours (Cass. 1re civ., 13 déc. 1994, n° 93-10.875).
  • Un local commercial vacant ou un atelier artisanal désaffecté, sauf à démontrer l’existence de démarches concrètes et sérieuses attestant d’une reprise d’activité imminente (Cass. 1re civ., 16 juin 1993, n° 91-19.812). L’héritier doit ainsi prouver que l’entreprise dispose des éléments nécessaires à son exploitation effective et que son activité peut être immédiatement relancée.
  • Un cabinet libéral dont l’activité aurait cessé, si aucune preuve ne vient établir que la patientèle ou la clientèle demeure rattachée à la structure et que la reprise est effective. La raison en est que l’exercice d’une profession libérale repose sur une relation de confiance qui ne saurait être maintenue en l’absence d’activité continue.

Ainsi, le juge apprécie souverainement si l’entreprise dispose encore d’une activité viable et exploitable. Il s’assure que l’attribution préférentielle ne devienne pas un simple levier patrimonial, permettant à un héritier de capter un actif professionnel sur la seule foi d’un projet incertain.

Cette rigueur se justifie par la finalité même de l’attribution préférentielle : elle ne doit pas être détournée de son objet pour devenir un instrument d’appropriation patrimoniale, mais bien un levier de continuité économique.

La doctrine souligne ainsi que « l’attribution préférentielle repose sur la nécessité d’assurer la transmission d’une activité et non d’un simple patrimoine ». Dans cette logique, l’article 831 du Code civil ne permet l’attribution que si l’exploitation de l’entreprise est assurée, excluant ainsi toute opération de spéculation sur un bien professionnel inactif.

En conséquence, si le demandeur ne peut justifier d’une exploitation en cours ou d’une capacité immédiate de reprise, l’attribution préférentielle ne saurait lui être accordée. La jurisprudence veille à ce que ce mécanisme demeure un outil de transmission d’une activité effective et non une simple opportunité patrimoniale.

Ainsi, l’entreprise doit non seulement exister, mais être immédiatement exploitable pour permettre une transmission effective et pérenne. Toute demande ne respectant pas cette exigence est rejetée par les tribunaux, qui veillent à préserver l’esprit du dispositif successoral, garant de la transmission des entreprises familiales et de la continuité des activités économiques.

==>Une entreprise formant un ensemble structuré et cohérent

L’attribution préférentielle d’une entreprise suppose qu’elle constitue une entité économique fonctionnelle, articulée autour de moyens matériels, humains et économiques interdépendants. Loin de se réduire à une simple juxtaposition d’actifs, l’entreprise doit former un ensemble homogène et viable, propre à assurer la continuité de l’activité.

Si la réforme de 2006 a supprimé l’exigence formelle d’unité économique, cette notion demeure un critère sous-jacent pour apprécier la consistance réelle de l’exploitation. La Cour de cassation l’a rappelé en affirmant que l’entreprise doit être dotée de la cohérence suffisante pour constituer une entité économique identifiable et exploitable, condition sine qua non de l’attribution préférentielle (Cass. 1re civ., 10 mai 2007, n° 05-20.177).

Aussi, pour faire l’objet d’une attribution préférentielle, l’entreprise doit-elle comprendre:

  • Un local d’exploitation, servant de siège à l’activité (boutique, atelier, cabinet, bureau professionnel…) ;
  • Des moyens matériels indispensables (équipements, stocks, outillage, mobilier, logiciels professionnels…) ;
  • Une clientèle ou une patientèle, élément essentiel pour les professions libérales, où la pérennité de l’activité repose sur une relation de confiance avec la clientèle.

L’attribution préférentielle peut donc s’étendre à l’ensemble des éléments constituant l’exploitation, dès lors qu’ils participent directement à son activité. Autrement dit, elle doit inclure tous les biens nécessaires au maintien de l’entreprise dans son intégrité et son exploitation normale.

À l’inverse, l’attribution préférentielle ne saurait être utilisée comme un simple levier patrimonial pour obtenir certains biens indépendamment de l’exploitation effective d’une entreprise. Ainsi, ne peuvent être qualifiés d’entreprises et exclus du champ de l’attribution :

  • Un immeuble commercial sans fonds de commerce attaché, dans la mesure où il ne participe pas directement à une activité économique (Cass. 1re civ., 28 mai 1991, n° 89-17.292) ;
  • Des éléments d’actif isolés, comme un stock de marchandises dépourvu d’une organisation commerciale effective ou un local d’exploitation sans clientèle, qui ne sauraient constituer à eux seuls une entité économique viable.

La doctrine s’accorde à reconnaître que l’attribution préférentielle suppose l’existence d’une entreprise véritablement en activité, regroupant l’ensemble des éléments nécessaires à son exploitation effective. Elle ne peut porter sur un simple ensemble d’actifs épars, dépourvu de toute cohérence économique et organisationnelle. L’entreprise doit ainsi constituer une entité fonctionnelle, capable d’assurer la poursuite immédiate de son activité sans nécessiter de reconstitution artificielle.

Ainsi, Jean Prieur souligne que « la finalité de l’attribution préférentielle est d’assurer la transmission des outils de production en évitant leur dispersion, mais sans conférer à un héritier un avantage économique indépendant d’une logique d’exploitation ».

Dans le même sens, Michel Grimaldi relève que « l’exclusion des actifs patrimoniaux isolés vise à préserver l’esprit du mécanisme successoral, en évitant que l’attribution préférentielle ne soit détournée de sa vocation économique au profit d’un simple effet de concentration patrimoniale ».

Ainsi, si l’unité économique n’est plus une condition formelle, son absence peut néanmoins constituer un motif de rejet de la demande d’attribution préférentielle par le juge, dès lors que l’ensemble revendiqué ne présente pas les caractéristiques d’une exploitation autonome et pérenne.

==>L’absence d’exigence de rentabilité ou de productivité

Si l’entreprise doit être immédiatement exploitable, sa rentabilité ou sa productivité ne constitue pas une condition de l’attribution préférentielle. Il serait en effet contraire à l’esprit de l’article 831 du Code civil d’exiger qu’une entreprise soit florissante au moment du partage, dès lors qu’elle demeure viable et que ses moyens d’exploitation sont préservés.

La Cour de cassation a consacré cette approche en affirmant que les difficultés économiques d’une entreprise ne sauraient, à elles seules, faire obstacle à son attribution préférentielle (Cass. 1re civ., 28 janv. 1997, n° 95-15.003). Cette jurisprudence protège ainsi la continuité des outils de production, en permettant à un héritier de reprendre une exploitation même en période de transition ou de fragilité financière.

Dès lors, il est admis qu’une attribution préférentielle puisse être sollicitée pour une entreprise:

  • Confrontée à des difficultés passagères, dès lors que l’activité demeure réelle et que l’exploitation n’est pas abandonnée ;
  • Engagée dans une phase de restructuration, lorsque l’héritier attributaire projette une modernisation ou une adaptation du modèle économique ;
  • Temporairement déficitaire, à condition que les moyens matériels et humains nécessaires à son exploitation soient préservés et que la clientèle ne soit pas irrémédiablement éteinte.

La doctrine abonde en ce sens, soulignant que l’objectif du mécanisme n’est pas d’attribuer une entreprise en raison de sa performance immédiate, mais bien de garantir sa transmission et d’assurer la pérennité de son activité.

En définitive, ce qui importe n’est pas tant l’état financier de l’entreprise à l’instant du partage, mais sa capacité à être maintenue et développée par l’héritier attributaire. Cette vision dynamique du mécanisme d’attribution préférentielle renforce son rôle de levier économique, en permettant aux héritiers investis dans la gestion d’une activité de la préserver, même lorsqu’elle traverse une phase d’instabilité.

==>Une appréciation au jour du partage

L’existence de l’entreprise et son éligibilité à l’attribution préférentielle s’apprécient à la date du partage, et non à l’ouverture de la succession. Ce principe, désormais bien établi, résulte d’une évolution jurisprudentielle qui a progressivement privilégié une approche pragmatique. La Cour de cassation a ainsi affirmé que l’entreprise doit exister et être exploitable au moment où l’attribution est demandée, et non au seul jour du décès (Cass. 1re civ., 14 mai 1992, n° 90-20.498).

Ce choix répond à un impératif de pérennité de l’exploitation. Il ne s’agit pas de figer la situation successorale à l’instant du décès, mais bien d’évaluer si, au moment du partage, l’entreprise demeure viable et susceptible d’être reprise. Cette approche garantit que l’attribution préférentielle joue son rôle économique en évitant la dispersion des outils de production et en facilitant la transmission des entreprises familiales.

Toutefois, cette souplesse ne saurait être détournée pour permettre des manœuvres artificielles destinées à créer ex nihilo une exploitation dans le seul but d’obtenir l’attribution préférentielle. La jurisprudence a ainsi sanctionné les tentatives de certains héritiers qui, après le décès, avaient cherché à reconstituer artificiellement une entreprise pour satisfaire aux conditions d’éligibilité. La Cour de cassation a censuré ces pratiques dans plusieurs arrêts, considérant notamment que :

  • L’acquisition postérieure de nouveaux éléments d’exploitation ne pouvait être prise en compte pour justifier l’existence de l’entreprise au jour du partage (Cass. 1re civ., 16 juin 1993, n° 91-19.812) ;
  • Une reprise fictive de l’activité, sans éléments tangibles attestant d’une exploitation réelle et effective, ne pouvait suffire à établir le caractère exploitable de l’entreprise.

Ainsi, si la souplesse de l’appréciation au jour du partage permet d’éviter une rigidité excessive, elle ne doit pas ouvrir la porte à des stratégies patrimoniales opportunistes. L’attribution préférentielle demeure avant tout un mécanisme de transmission d’une exploitation existante, et non un outil permettant de capter un bien successoral en invoquant une vocation économique postérieure au décès.

La doctrine s’accorde sur cette exigence de rigueur, rappelant que la finalité du mécanisme est de maintenir l’activité d’une entreprise viable, et non d’en permettre la reconstitution artificielle par l’un des cohéritiers.

En définitive, l’héritier demandant l’attribution préférentielle doit démontrer que l’entreprise existait et pouvait être exploitée sans interruption au moment du partage, garantissant ainsi le respect du principe d’égalité entre cohéritiers et la continuité économique du bien attribué.

ii. Les conditions juridiques

L’attribution préférentielle ne peut s’exercer que sur une entreprise relevant de l’indivision au jour du partage, conformément à l’article 831 du Code civil. Cette exigence vise à garantir que le bien dont l’attribution est sollicitée fait partie de la masse partageable, qu’il s’agisse d’une indivision successorale, d’une indivision conventionnelle ou d’une indivision légale née d’un autre mécanisme.

==>L’exclusion des biens ne relevant pas de l’indivision

L’attribution préférentielle, en ce qu’elle constitue un mécanisme dérogatoire au principe de l’égalité entre co-indivisaires, ne saurait porter que sur des biens relevant effectivement de l’indivision au jour du partage. Cette exigence découle directement de l’article 831 du Code civil, qui cantonne ce droit aux éléments constitutifs du patrimoine indivis, à l’exclusion de ceux qui en sont matériellement ou juridiquement détachés.

Dès lors, ne peut être revendiquée une entreprise dont les actifs relèvent exclusivement d’une propriété individuelle ou d’une entité tierce.

Tel est le cas lorsque:

  • L’exploitation appartient en propre à un tiers (une personne extérieure à l’indivision, qu’il s’agisse d’un associé, d’un co-gérant ou d’un autre exploitant),
  • Les éléments constitutifs de l’activité sont logés au sein d’une entité juridique distincte, notamment lorsqu’ils sont détenus par une société dont les parts ne sont pas indivises.

Ainsi, lorsque l’entreprise est exploitée sous forme de société et que les parts sociales ne figurent pas dans la masse indivise, l’attribution préférentielle ne peut porter que sur la valeur des parts, et non sur les actifs sous-jacents à l’exploitation (Cass. 1re civ., 5 avr. 2005, n° 01-12.810).

A cet égard, l’attribution préférentielle suppose que l’entreprise ait, à un moment donné, fait l’objet d’une détention indivise. Dès lors, un bien qui n’a jamais appartenu à l’indivision ne saurait être attribué préférentiellement à un co-indivisaire.

Cette hypothèse se rencontre notamment lorsque:

  • L’entreprise était la propriété exclusive de l’un des indivisaires avant l’ouverture de la succession ou avant la formation d’une indivision conventionnelle,
  • L’activité a été constituée après le décès ou après la mise en indivision des biens, sur la base d’actifs qui n’étaient pas eux-mêmes indivis.

Dans de tels cas, l’indivisaire qui revendique l’attribution préférentielle ne pourra prétendre qu’à la valeur monétaire de ses droits sur la masse partageable, sans pouvoir revendiquer le bien en nature.

Certains dispositifs confèrent un droit temporaire d’exploitation, mais sans transférer la propriété de l’entreprise elle-même. Or, l’attribution préférentielle ne peut jouer qu’à l’égard des droits réels sur l’entreprise, et non sur de simples prérogatives d’usage ou de gestion.

C’est notamment le cas des contrats de location-gérance, qui permettent à un exploitant d’exercer une activité sous une enseigne préexistante, mais sans lui conférer la propriété du fonds de commerce ou du fonds artisanal. Un héritier ou un co-indivisaire qui exploite une entreprise sous ce régime ne saurait prétendre à son attribution préférentielle, sauf si les éléments matériels (fonds, locaux, équipements) figurent dans la masse indivise.

Ainsi, la seule qualité d’exploitant ne suffit pas à justifier une attribution préférentielle, dès lors que le demandeur ne peut revendiquer aucun droit réel sur les actifs économiques en cause.

S’agissant du droit au bail, il est un élément essentiel de l’exploitation d’une entreprise, en ce qu’il garantit la jouissance des locaux où s’exerce l’activité économique. Toutefois, il ne constitue pas en soi un élément d’entreprise indivise, dès lors qu’il relève d’un régime spécifique de transmission.

Le bail commercial ou le bail professionnel souscrit par le défunt ou par un indivisaire ne confère pas un droit de propriété sur les locaux, mais seulement un droit d’usage et d’exploitation temporaire, encadré par les dispositions protectrices du statut des baux commerciaux.

Par conséquent, l’attribution préférentielle ne saurait porter sur un simple droit au bail, sauf si celui-ci est indissociablement lié à un fonds de commerce ou à une entreprise elle-même indivise. Ainsi, un indivisaire ne pourra pas demander l’attribution d’un local loué, à moins qu’il ne soit partie au bail et que l’exploitation en dépende directement.

==>L’attribution préférentielle d’une entreprise exploitée sous forme sociale

Lorsque l’entreprise est exploitée sous la forme d’une société, l’application du mécanisme d’attribution préférentielle se heurte à la distinction entre la personnalité juridique de la société et celle de ses associés. Consciente de cette particularité, la loi a aménagé un cadre spécifique permettant à un indivisaire de solliciter l’attribution des parts sociales ou actions détenues en indivision, en vertu de l’article 831, alinéa 2 du Code civil.

Toutefois, l’exercice de ce droit demeure soumis à plusieurs restrictions, découlant à la fois de la nature du bien sollicité et des impératifs propres à la gouvernance des sociétés. Ces limites tiennent notamment aux règles statutaires, aux droits des autres associés et aux mécanismes de régulation interne de l’entité concernée.

  • Première restriction
    • Si l’entreprise est exploitée sous forme sociétaire, seuls les droits sociaux relevant de l’indivision peuvent faire l’objet d’une attribution préférentielle. L’attribution ne saurait porter sur l’entreprise elle-même, dès lors que celle-ci constitue une entité juridique autonome, distincte des associés qui la composent.
    • Ainsi, lorsque les parts sociales ou actions sont en pleine propriété d’un associé unique, et qu’elles ne figurent pas dans la masse indivise, aucun indivisaire ne saurait revendiquer leur attribution. De même, la simple qualité de dirigeant ou d’exploitant ne suffit pas à justifier une demande d’attribution préférentielle sur des titres dont l’indivision ne résulte pas du partage successoral ou d’une indivision conventionnelle.
    • En revanche, si les titres sont détenus en indivision entre plusieurs héritiers ou co-indivisaires, alors l’attribution préférentielle peut être sollicitée, sous réserve du respect des conditions statutaires et du pacte social.
  • Deuxième restriction
    • L’attribution préférentielle des parts sociales se heurte fréquemment aux limitations statutaires propres aux sociétés de personnes, dont le fonctionnement repose sur l’intuitu personae.
      • Cas de la clause d’agrément
        • Dans de nombreuses sociétés, notamment les sociétés en nom collectif (SNC) et les sociétés civiles, il est d’usage que les statuts prévoient une clause d’agrément, soumettant la transmission des parts à l’accord des associés.
        • Une telle clause peut faire obstacle à l’exercice du droit d’attribution préférentielle, dans la mesure où les associés disposent du pouvoir de refuser l’entrée d’un nouvel associé, fût-il héritier ou indivisaire.
        • Il est ainsi admis qu’une clause d’agrément interdisant la transmission de parts sans l’accord préalable des associés peut valablement empêcher l’attribution préférentielle au profit d’un co-indivisaire, dès lors que cette restriction résultait des statuts (V. par ex. CA Amiens, 8 mars 1999, n° 9702146 ).
        • Dès lors, l’héritier ou co-indivisaire demandant l’attribution préférentielle ne pourra obtenir les parts qu’après agrément des associés, à défaut de quoi il ne pourra prétendre qu’à la valeur monétaire des droits indivis.
      • Cas de la clause de continuation
        • Les statuts peuvent également comporter une clause de continuation prévoyant que, en cas de décès d’un associé, la société se poursuivra avec certains héritiers désignés, à l’exclusion des autres indivisaires.
        • Lorsque de telles clauses existent, elles priment sur le mécanisme d’attribution préférentielle, l’attributaire devant alors se conformer aux dispositions statutaires, sauf à proposer le rachat des parts des autres indivisaires.
        • Cette règle est énoncée à l’article 831, alinéa 2 du Code civil, qui précise que l’attribution préférentielle doit respecter les clauses statutaires relatives à la transmission des parts ou actions.
  • Troisième restriction
    • Dans les sociétés de capitaux, où l’intuitu personae est moins marqué, l’attribution préférentielle des actions demeure théoriquement plus aisée. 
    • Toutefois, elle soulève des difficultés pratiques tenant à l’exercice des droits sociaux.
    • En premier lieu, lorsque les actions sont indivises, un indivisaire peut demander leur attribution préférentielle, mais cela ne lui confère pas nécessairement un pouvoir de contrôle sur l’entreprise.
    • L’exercice d’une influence sur la société dépendra du pourcentage de participation acquis à l’issue du partage, et des droits qui y sont attachés.
    • Ainsi, si l’attributaire obtient une participation minoritaire, il devra composer avec les autres actionnaires et ne pourra, sauf détention de titres majoritaires, prétendre à la direction effective de la société.
    • En second lieu, dans certaines SAS ou SA, des pactes d’actionnaires peuvent restreindre la transmission des titres, en prévoyant notamment des clauses de préemption, obligeant l’attributaire préférentiel à offrir ses actions aux autres actionnaires avant de pouvoir en revendiquer la pleine propriété.
    • Dans ce cas, l’attributaire ne pourra entrer en possession des titres qu’après l’expiration des délais et procédures prévus par le pacte, ou à défaut, il pourra être contraint de céder ses actions à un tiers conformément aux stipulations en vigueur.

==>L’incidence d’une indivision préexistence sur l’attribution préférentielle d’une entreprise

Lorsque l’entreprise était déjà soumise à un régime d’indivision avant l’ouverture de la succession ou la survenance du partage, l’exercice du droit d’attribution préférentielle ne met pas nécessairement un terme à cette indivision. L’attributaire peut se voir attribuer la quote-part indivise appartenant à la masse partageable, mais il ne deviendra pas automatiquement seul propriétaire de l’entreprise si d’autres indivisaires conservent des droits sur celle-ci.

  • L’entreprise relevant d’une indivision conventionnelle
    • Lorsque l’entreprise faisait l’objet d’une indivision préexistante entre plusieurs coindivisaires, avant même le décès ou le partage, l’attribution préférentielle ne portera que sur la quote-part indivise entrant dans la masse partageable.
    • L’indivision ne disparaîtra donc pas nécessairement, et l’attributaire devra coexister avec les autres indivisaires.
    • Dans ce cas, deux hypothèses peuvent être envisagées:
      • L’indivision maintenue : l’attributaire ne pourra revendiquer que la part appartenant au défunt, ce qui signifie que l’entreprise restera soumise à l’indivision entre lui et les autres coindivisaires. Cette situation peut poser des difficultés en termes de gestion et de prise de décision, notamment lorsque les indivisaires ne partagent pas une vision commune quant à l’exploitation de l’entreprise.
      • Le rachat des parts indivises : pour éviter de demeurer dans une indivision contrainte, l’attributaire peut négocier l’acquisition des parts détenues par les autres indivisaires. Ce rachat peut intervenir dans le cadre d’un accord amiable ou d’un partage judiciaire, sous réserve d’un prix conforme à la valeur vénale de l’entreprise.
    • La doctrine souligne ainsi que l’attribution préférentielle ne saurait conférer un monopole sur l’entreprise lorsque celle-ci relevait déjà d’une indivision conventionnelle entre plusieurs titulaires.
  • L’entreprise relevant d’une communauté conjugale
    • Lorsque l’exploitation constituait un bien commun d’un couple marié sous le régime de la communauté légale, seule la moitié des droits appartient à la masse partageable en cas de décès de l’un des époux.
    • L’autre moitié demeure la propriété exclusive de l’époux survivant.
    • Dans ce cas, plusieurs configurations peuvent se présenter :
      • L’époux survivant sollicite l’attribution préférentielle : si le conjoint survivant souhaite poursuivre l’exploitation, il peut lui-même exercer son droit d’attribution préférentielle sur la part entrant dans la succession, devenant ainsi seul propriétaire de l’entreprise.
      • Un héritier revendique l’attribution préférentielle : si un héritier demande l’attribution de la part indivise entrant dans la succession, il ne pourra devenir propriétaire exclusif de l’entreprise que si l’époux survivant accepte de céder sa propre part. À défaut, l’attributaire ne pourra prétendre qu’à la portion indivise dépendant du partage, et restera dans une indivision avec le conjoint survivant.
    • En tout état de cause, il est admis que dans une telle hypothèse, l’attributaire se substitue simplement au défunt dans l’indivision existante, sans pour autant acquérir immédiatement la pleine propriété de l’entreprise.

Lorsque l’indivision subsiste après l’attribution préférentielle, la gestion de l’entreprise est soumise aux règles générales de l’indivision :

  • Toute décision concernant les actes d’administration courante peut être prise à la majorité des indivisaires représentant au moins deux tiers des droits indivis (article 815-3 du Code civil).
  • En revanche, les actes de disposition (vente du fonds, mise en société, changement d’objet) nécessitent l’unanimité des indivisaires, sauf à obtenir une autorisation judiciaire.
  • L’attributaire ne peut prétendre à une gestion exclusive de l’entreprise sans l’accord des autres indivisaires, sauf s’il obtient un mandat de gestion ou rachète leurs parts.

Ainsi, bien que l’attribution préférentielle constitue un mécanisme destiné à garantir la continuité de l’entreprise, elle ne saurait conduire à évincer les autres indivisaires lorsque ceux-ci conservent des droits sur l’exploitation. En cas de désaccord persistant, il appartiendra au juge de trancher les éventuelles contestations, en appréciant l’opportunité d’un partage en nature ou en valeur.

2.2 L’attribution préférentielle du local professionnel

L’article 831-2, 2° du Code civil ouvre la possibilité pour un héritier indivisaire, un conjoint survivant ou un partenaire pacsé de solliciter l’attribution préférentielle du local à usage professionnel et des biens mobiliers nécessaires à l’exercice de sa profession. Ce dispositif vise à garantir la continuité d’une activité économique en permettant à l’attributaire de conserver son outil de travail, qu’il s’agisse d’un cabinet libéral, d’un atelier artisanal ou d’un bureau professionnel.

Cependant, l’attribution préférentielle du local professionnel ne constitue pas un droit automatique et demeure soumise à un encadrement strict.

==>Les conditions d’éligibilité du local et des biens mobiliers professionnels

L’attribution préférentielle du local professionnel repose sur une double exigence : le local doit être effectivement affecté à l’activité professionnelle du demandeur et il doit être indispensable à l’exercice de cette activité.

  • L’exigence d’une affectation d’un locale à l’activité professionnelle
    • L’article 831-2, 2° du Code civil n’impose aucune restriction quant à la nature de la profession exercée par le demandeur. 
    • Dès lors, un cabinet d’avocat ou de médecin, un atelier d’artiste, une étude notariale ou même un bureau d’écrivain peuvent faire l’objet d’une attribution préférentielle dès lors qu’ils servent effectivement à l’exercice d’une activité.
    • Toutefois, les locaux commerciaux et industriels sont exclus du champ d’application de cette disposition. Leur transmission relève du régime spécifique de l’attribution préférentielle des entreprises prévu à l’article 831 du Code civil.
    • En cas d’usage mixte (habitation et profession), l’attribution du local peut être accordée à condition que l’activité professionnelle y soit prépondérante et que le bien puisse être détaché du reste de l’immeuble.
  • Un local et des biens mobiliers indispensables à la poursuite de l’activité
    • L’attribution préférentielle vise à garantir la continuité de l’exploitation professionnelle.
    • Par conséquent, elle ne peut être accordée que si le local constitue un élément essentiel et indispensable pour l’exercice de l’activité.
    • Le juge apprécie souverainement le caractère indispensable du local et des biens mobiliers professionnels.
    • Ainsi, si le demandeur dispose d’un autre local exploitable, il ne pourra prétendre à l’attribution préférentielle (Cass. 1re civ., 13 févr. 1967).
    • Le même raisonnement s’applique aux biens mobiliers à usage professionnel.
    • Avant la réforme de 2015, seuls les meubles présents dans le local pouvaient être inclus dans l’attribution préférentielle
    • Désormais, tout bien mobilier nécessaire à l’exercice de la profession peut être intégré, même s’il est situé ailleurs, à condition qu’il remplisse un rôle indispensable.
    • Cette évolution législative permet notamment d’inclure des équipements techniques ou un véhicule professionnel.

==>Les restrictions à l’exercice du droit d’attribution préférentielle

Tout en visant à garantir la préservation de l’activité professionnelle du demandeur, l’attribution préférentielle du local professionnel reste assujettie à des restrictions destinées à prévenir les dérives et à assurer un juste équilibre entre les intérêts en présence.

En premier lieu, l’attribution préférentielle ne peut porter que sur un bien relevant exclusivement de l’indivision. Ainsi, si le local professionnel appartient à la fois aux héritiers et à un tiers, la demande devient inapplicable, car elle ne peut contraindre ce dernier à céder ses droits (Cass. 1re civ., 15 janv. 2014, n° 12-25.322 et n° 12-26.460).

Cependant, si seule une quote-part du local appartient à l’indivision, l’attribution peut porter sur cette quote-part indivise, l’attributaire restant alors en indivision avec le tiers.

En deuxième lieu, lorsque le local professionnel est détenu par une société, l’attribution préférentielle peut porter non pas sur le local lui-même, mais sur les parts sociales conférant la jouissance ou la propriété du local (L. n° 61-1378 du 19 décembre 1961, art. 14). Cependant, la jurisprudence a précisé que cette attribution ne peut être accordée que si ces droits sociaux confèrent exclusivement la propriété ou la jouissance du local (Cass. 1re civ., 24 oct. 2012, n° 11-20.075).

Dès lors, si les statuts de la société prévoient une clause d’agrément, l’attribution préférentielle sera soumise à l’accord préalable des associés.

En dernier lieu, comme pour toute attribution préférentielle, l’attributaire doit veiller à compenser les autres indivisaires lorsque la valeur du bien excède ses droits successoraux. L’indemnisation prend généralement la forme d’une soulte, dont le montant est déterminé en fonction de la valeur du local et des biens mobiliers concernés.

Toutefois, afin de faciliter la transmission des outils professionnels, l’article 832-4 du Code civil prévoit une possibilité d’échelonnement du versement de la soulte sur dix ans, avec un taux d’intérêt fixé au taux légal.

3. Les biens liés aux activités agricoles et rurales

L’attribution préférentielle des biens à destination agricole se distingue par la diversité des hypothèses qu’elle recouvre. Elle peut concerner aussi bien des biens immobiliers agricoles que des droits sociaux liés à l’exploitation. Le Code civil a prévu plusieurs régimes d’attribution préférentielle applicables aux exploitations agricoles, distinguant entre :

  • L’attribution en pleine propriété, qui peut être de droit ou soumise à l’appréciation du juge ;
  • L’attribution sous condition de mise en bail, destinée à garantir la continuité de l’exploitation ;
  • L’attribution en jouissance temporaire, notamment par la concession d’un bail rural.

Ces dispositifs ont été conçus afin d’assurer la transmission des exploitations dans des conditions économiquement viables et d’éviter leur morcellement, ce qui compromettrait leur rentabilité.

3.1. L’attribution préférentielle des biens nécessaires à l’exploitation agricole

La transmission des exploitations agricoles constitue une question éminemment stratégique pour la pérennité du tissu économique rural. Conscient des risques qu’un éclatement successoral pourrait faire peser sur ces structures, le législateur a prévu plusieurs dispositifs d’attribution préférentielle visant à garantir la continuité de l’activité agricole. Parmi eux, l’attribution des biens meubles nécessaires à l’exploitation (article 831-2, 3° du Code civil) et l’attribution des biens immobiliers agricoles (article 832-1 du Code civil) occupent une place prépondérante.

a. L’attribution préférentielle des biens meubles nécessaires à l’exploitation

==>Principe

L’article 831-2, 3° du Code civil prévoit que l’attribution préférentielle peut porter sur les biens meubles nécessaires à l’exploitation agricole, notamment le matériel agricole, le cheptel vif et mort, ainsi que les autres éléments mobiliers affectés à l’activité.

Il ressort de cette disposition que le législateur a entendu favoriser la continuité des exploitations agricoles en garantissant au repreneur la pleine possession de l’outil de production. Plutôt que d’aborder l’exploitation sous un angle purement patrimonial, où chaque héritier recevrait une part proportionnelle des biens, ce mécanisme vise à assurer son maintien dans des conditions économiquement viables.

L’attribution préférentielle poursuit ainsi plusieurs objectifs:

  • Préserver la viabilité économique de l’exploitation
    • Sans attribution préférentielle, l’héritier repreneur pourrait se heurter à deux obstacles majeurs :
      • La nécessité de racheter les équipements aux cohéritiers, ce qui pourrait le contraindre à s’endetter lourdement dès la reprise de l’exploitation.
      • Le risque d’un morcellement des équipements, chaque héritier pouvant revendiquer une part des biens mobiliers, rendant impossible la poursuite de l’activité agricole dans des conditions optimales. Grâce à ce dispositif, l’intégrité des moyens de production est préservée, garantissant ainsi une exploitation efficiente.
  • Limiter les conflits successoraux
    • Les successions sont souvent sources de tensions entre héritiers, notamment lorsque certains souhaitent conserver l’exploitation agricole tandis que d’autres privilégient la liquidation des actifs.
    • L’attribution préférentielle permet de clarifier la répartition des biens, en garantissant à l’exploitant la pleine jouissance des équipements indispensables à son activité, tout en permettant aux autres héritiers de recevoir une compensation financière.
  • Faciliter la modernisation des exploitations
    • En garantissant une transmission cohérente des équipements agricoles, l’attribution préférentielle permet au repreneur de concentrer ses efforts sur le développement et l’amélioration de l’exploitation, plutôt que sur la reconstitution de son outil de travail.

==>Conditions

Si l’article 831-2, 3° du Code civil prévoit la possibilité d’une attribution préférentielle des biens mobiliers, celle-ci n’est ni automatique ni inconditionnelle. Le législateur a posé deux exigences cumulatives, garantissant que l’attribution repose sur un besoin économique réel et non sur une simple faveur successorale :

  • Le défunt devait exploiter le fonds en qualité de fermier ou de métayer
    • Cette condition restreint l’attribution préférentielle aux situations où le défunt était lui-même exploitant et utilisait activement les biens en cause.
    • L’objectif est d’éviter qu’un héritier sans lien direct avec l’exploitation ne revendique ces biens à des fins purement patrimoniales.
  • L’attributaire doit poursuivre le bail agricole
    • Il ne suffit pas que l’héritier exprime son intention de reprendre l’exploitation ; encore faut-il qu’il dispose des garanties nécessaires pour obtenir le maintien du bail existant ou la conclusion d’un nouveau bail.
    • Cette exigence vise à empêcher qu’un héritier se prévale de l’attribution préférentielle sans disposer des compétences et des moyens requis pour exploiter l’exploitation de manière effective.

==>L’étendue des biens susceptibles d’attribution préférentielle

L’attribution préférentielle des biens meubles couvre une diversité d’éléments indispensables à l’exploitation agricole. Ces biens peuvent être classés en trois catégories principales :

  • Le matériel agricole : l’outil de travail indispensable
    • L’attributaire peut revendiquer l’ensemble des équipements nécessaires à l’exploitation des terres. Cela comprend notamment :
      • Les engins mécaniques : tracteurs, moissonneuses-batteuses, pulvérisateurs, faucheuses et autres machines agricoles.
      • Les outils de travail du sol : charrues, herses, semoirs, épandeurs à fumier, etc.
      • Les équipements de stockage et de transformation : silos à grains, citernes, pressoirs, broyeurs, équipements de tri et de conditionnement
    • L’objectif est d’assurer la continuité de l’activité agricole sans que le repreneur ne soit contraint d’investir immédiatement dans du matériel coûteux, ce qui pourrait fragiliser sa situation financière et compromettre la viabilité de l’exploitation.
  • Le cheptel vif et mort : garantir la pérennité de l’élevage
    • Pour les exploitations agricoles comprenant une activité d’élevage, l’attribution préférentielle peut porter sur :
      • Le cheptel vif, c’est-à-dire les animaux destinés à la production ou à la reproduction (bovins, ovins, caprins, volailles, porcins, etc.).
      • Le cheptel mort, qui comprend les stocks d’aliments pour bétail, les engrais, les semences et autres ressources nécessaires à l’élevage.
    • La transmission du cheptel est cruciale pour éviter une rupture d’exploitation. Sans ce mécanisme, le repreneur devrait racheter les animaux à ses cohéritiers ou sur le marché, ce qui pourrait s’avérer coûteux et ralentir la reprise de l’activité.
  • Les éléments mobiliers affectés à l’exploitation
    • L’attribution préférentielle peut également concerner des biens meubles nécessaires à la gestion et au bon fonctionnement de l’exploitation agricole, tels que :
      • Les infrastructures mobiles : serres démontables, abris pour animaux, clôtures électriques, etc.
      • Les réservoirs et systèmes de stockage : cuves à carburant, réservoirs d’eau, systèmes d’irrigation.
      • Les outils et petits équipements : tronçonneuses, scies, instruments de mesure et de contrôle.
    • Bien que ces éléments puissent sembler secondaires, ils constituent en réalité des ressources indispensables à la gestion quotidienne de l’exploitation, leur absence pouvant entraver le bon déroulement des activités agricoles.

b. L’attribution préférentielle des biens immobiliers agricoles

==>Principe

L’article 832-1 du Code civil instaure un dispositif d’attribution préférentielle spécifiquement destiné aux biens immobiliers agricoles. Il prévoit que, « si le maintien dans l’indivision n’a pas été ordonné et à défaut d’attribution préférentielle en propriété dans les conditions prévues à l’article 831 ou à l’article 832 », le conjoint survivant ou tout héritier copropriétaire peut demander l’attribution préférentielle de tout ou partie des biens et droits immobiliers à destination agricole dépendant de la succession en vue de constituer un groupement foncier agricole (GFA).

Ce dispositif, introduit par la loi du 4 juillet 1980, s’inscrit dans une logique économique visant à prévenir la fragmentation des exploitations et à structurer la transmission du foncier agricole. Contrairement aux autres formes d’attribution préférentielle qui reposent sur la nécessité de maintenir une exploitation agricole existante, celle-ci ouvre la possibilité de constituer un GFA, qu’il s’agisse de créer ou de conserver une exploitation.

L’attribution préférentielle ainsi définie ne suppose donc pas l’existence préalable d’une exploitation agricole autonome. L’objectif n’est pas seulement d’assurer la continuité d’une activité agricole, mais de permettre une gestion collective et stable du foncier dans le cadre du GFA.

==>Bénéficiaires et portée de l’attribution préférentielle

L’article 832-1 accorde le bénéfice de cette attribution à deux catégories de personnes :

  • Le conjoint survivant : ce dernier peut solliciter l’attribution préférentielle des biens agricoles afin de garantir la continuité de l’exploitation et de préserver ses intérêts patrimoniaux.
  • Les héritiers copropriétaires : la disposition permet aux cohéritiers de demander l’attribution, soit individuellement, soit collectivement dans la perspective de constituer un GFA.

À noter que le partenaire pacsé est exclu du bénéfice de cette disposition, en vertu de l’article 815-6 du Code civil. L’objet de cette attribution est également plus large que celui prévu par les articles 831 et 832 du Code civil. Elle ne se limite pas à la transmission d’une exploitation agricole existante, mais vise plus largement à structurer la gestion du foncier à long terme. 

==>Conditions de l’attribution préférentielle

L’attribution préférentielle des biens immobiliers agricoles, en vue de la constitution d’un groupement foncier agricole (GFA), obéit à des conditions strictement définies par le Code civil.

  • Première condition
    • L’article 832-1 du Code civil prévoit que l’attribution préférentielle des biens agricoles ne peut être sollicitée que par le conjoint survivant ou par tout héritier copropriétaire.
    • L’attribution ne saurait bénéficier à un tiers étranger à la dévolution successorale, ni même à un légataire universel.
    • Il est à noter que le partenaire lié par un pacte civil de solidarité  est expressément exclu du dispositif (C. civ., art. 815-6, a contrario). 
  • Deuxième condition
    • Seuls les biens et droits réels immobiliers à destination agricole peuvent faire l’objet d’une attribution préférentielle en vue de la constitution d’un GFA.
    • Cette exigence s’apprécie au regard de la vocation économique des biens au moment du décès du défunt.
    • Il n’est toutefois pas nécessaire que les biens concernés constituent une unité économique autonome, ni même qu’ils soient exploités en l’état au jour de la succession.
    • L’attribution peut ainsi porter sur :
      • Des terres agricoles, qu’elles soient exploitées ou non ;
      • Des bâtiments agricoles affectés à l’exploitation ;
      • Des droits réels immobiliers tels que l’usufruit, la nue-propriété ou même un bail emphytéotique.
    • Dès lors que les biens possèdent une destination agricole et qu’ils sont compris dans la masse successorale, ils peuvent être attribués préférentiellement, sous réserve du respect des autres conditions.
  • Troisième condition
    • L’attribution préférentielle ne saurait être accordée à un héritier sans lien effectif avec l’exploitation agricole. 
    • Aussi, le demandeur doit justifier de sa capacité à poursuivre l’exploitation des terres et garantir que l’attribution contribue à la pérennité de l’activité.
    • Toutefois, contrairement à d’autres hypothèses d’attribution préférentielle, il n’est pas exigé que le demandeur exploite personnellement les terres.
    • Il peut ainsi remplir cette condition en s’engageant à donner les biens en location agricole au sein d’un GFA, ce qui permet d’assurer leur mise en valeur sans obliger l’attributaire à devenir lui-même exploitant. 

Il peut être observé que si l’attribution préférentielle en vue de la constitution d’un GFA est possible, elle n’est pas toujours de droit. Le régime applicable varie selon le statut du demandeur:

  • Attribution de droit : lorsque la demande émane du conjoint survivant ou d’un héritier remplissant les conditions de l’article 831 du Code civil, ou lorsque ses descendants participent activement à l’exploitation, l’attribution ne peut être refusée par le juge. Il s’agit alors d’un véritable droit, opposable aux autres héritiers.
  • Attribution facultative : à défaut de remplir ces conditions, l’attribution préférentielle demeure soumise à l’appréciation du juge, qui évaluera tant l’opportunité économique du maintien des biens sous une gestion collective que l’aptitude du demandeur à administrer le groupement foncier agricole avec rigueur et efficience.

==>Subsidiarité

L’attribution préférentielle des biens immobiliers à vocation agricole, telle que consacrée par l’article 832-1 du Code civil, ne s’impose qu’à défaut d’une attribution en pleine propriété en application des articles 831 et 832. Autrement dit, elle ne peut être sollicitée que si aucun héritier ne revendique une attribution préférentielle ordinaire permettant un transfert direct de propriété.

Toutefois, cette attribution bénéficie d’une primauté sur les autres attributions subsidiaires. Cette prééminence témoigne de la volonté du législateur de favoriser la conservation du foncier agricole dans un cadre structuré, évitant ainsi la dispersion des terres et les conséquences économiques désastreuses d’un démembrement successoral. L’idée directrice est claire : privilégier la transmission des exploitations sous une forme garantissant à la fois leur pérennité et la stabilité patrimoniale des héritiers.

En effet, en l’absence de ce mécanisme, la répartition successorale pourrait conduire à un éclatement du foncier entre plusieurs cohéritiers, rendant l’exploitation difficilement viable et entravant la cohérence des projets agricoles à long terme. L’attribution préférentielle au sein d’un GFA apparaît dès lors comme une solution équilibrée, conciliant les impératifs économiques liés à l’exploitation des terres avec les exigences du partage successoral.

3.2. L’attribution préférentielle de l’entreprise agricole

Le Code civil a prévu plusieurs modalités d’attribution préférentielle applicables aux exploitations agricoles, reflétant ainsi la diversité des situations:

  • L’attribution préférentielle facultative en pleine propriété (article 831 du Code civil): elle suppose une demande du conjoint survivant ou d’un héritier copropriétaire et est soumise à l’appréciation du juge, qui en évalue l’opportunité au regard des intérêts en présence.
  • L’attribution préférentielle de droit en pleine propriété (article 832 du Code civil): lorsqu’un héritier satisfait aux conditions légales, cette attribution s’impose sans qu’il soit besoin d’une autorisation judiciaire, garantissant ainsi une transmission sans entrave de l’exploitation.
  • L’attribution préférentielle avec obligation de mise en bail (article 831-1 du Code civil): Cette forme particulière d’attribution confère la propriété du fonds agricole tout en imposant au bénéficiaire de consentir un bail rural, assurant ainsi la continuité de l’exploitation sans en modifier la structure.
  • L’attribution préférentielle en jouissance par concession d’un bail rural (article 832-2 du Code civil) : Dans cette hypothèse, l’héritier attributaire ne devient pas propriétaire du bien mais bénéficie d’un droit d’usage exclusif lui permettant d’assurer l’exploitation des terres selon les règles du statut du fermage.

Si les deux premières formes d’attribution permettent au bénéficiaire d’accéder à la pleine propriété des biens concernés, les deux dernières instaurent un schéma où la propriété et la jouissance sont dissociées, afin de préserver l’exploitation tout en ménageant les droits des cohéritiers.

==>Conditions

L’attribution préférentielle d’une exploitation agricole repose sur plusieurs conditions:

  • L’existence d’une exploitation agricole en tant qu’unité économique
    • L’attribution préférentielle ne saurait porter sur une simple parcelle de terre isolée ou sur un ensemble de biens agricoles dépourvus d’une vocation économique effective. 
    • L’exploitation doit former une unité économique autonome et viable, permettant de justifier qu’elle constitue un outil de production à part entière.
    • La jurisprudence a d’ailleurs précisé que la simple détention de terres agricoles ne suffit pas à caractériser une exploitation : il faut démontrer l’existence d’une activité régulière et productive.
    • Il s’agit de vérifier que les biens concernés permettent une mise en valeur effective, générant des revenus et assurant un équilibre économique suffisant pour l’héritier repreneur.
    • En outre, l’appréciation de cette condition ne saurait être figée au jour de l’ouverture de la succession.
    • La viabilité économique de l’exploitation doit être analysée au moment de la demande d’attribution, et non uniquement au décès du défunt (Cass. 1ère civ., 14 mai 1992, n° 90-20.498). 
    • Cette exigence permet d’éviter qu’une exploitation tombée en déshérence ne fasse l’objet d’une transmission qui ne répondrait plus aux exigences de productivité et de rentabilité.
  • La superficie de l’exploitation agricole
    • La loi distingue selon que l’exploitation concernée se situe en deçà ou au-delà d’un seuil fixé par décret en Conseil d’État.
    • Ce seuil, défini par le décret n° 70-783 du 27 août 1970 et précisé par l’arrêté du 22 août 1975, varie selon les départements et les spécificités agricoles locales.
    • À titre d’exemple, dans le département de l’Ain, une exploitation en polyculture ne peut bénéficier d’une attribution préférentielle de droit que si sa superficie n’excède pas 32 hectares. 
    • Ces seuils, fixés en fonction des conditions agro-économiques de chaque région, visent à garantir une transmission cohérente et équitable du patrimoine agricole.
      • Lorsque la superficie de l’exploitation est inférieure au seuil réglementaire, l’attribution préférentielle s’impose de plein droit si les autres conditions légales sont remplies. Le législateur a ainsi entendu protéger les exploitations de taille modeste ou moyenne, souvent plus vulnérables aux aléas économiques, en favorisant leur transmission sans entraves. Ce mécanisme vise à éviter que ces unités agricoles, essentielles à l’équilibre du secteur rural, ne disparaissent sous l’effet d’un morcellement excessif ou d’une mise en indivision prolongée.
      • En revanche, lorsque la superficie excède ce seuil, l’attribution devient facultative et son octroi relève de l’appréciation souveraine du juge. Ce dernier doit alors concilier deux impératifs : d’une part, l’intérêt économique attaché au maintien de l’exploitation dans son ensemble ; d’autre part, le respect des droits patrimoniaux des autres cohéritiers. L’objectif poursuivi est d’éviter qu’un héritier ne revendique un domaine d’une ampleur telle que son attribution nuirait à l’équilibre du partage successoral ou priverait les autres ayants droit de leur juste part.
    • En pratique, cette distinction vise à éviter des situations où l’attribution d’exploitations de grande envergure pourrait aboutir à des déséquilibres économiques au détriment des cohéritiers non attributaires, tout en garantissant une protection adaptée aux exploitations de moindre superficie.
  • La qualité de l’attributaire
    • L’attribution préférentielle ne peut être demandée que par certaines catégories d’héritiers, définies par le Code civil, afin de s’assurer que le dispositif profite à ceux qui ont un véritable intérêt dans la poursuite de l’exploitation.
  • Le conjoint survivant
    • Le conjoint survivant bénéficie d’un droit prioritaire à l’attribution préférentielle, reconnu dans un souci de préservation du cadre de vie familial et de maintien des ressources du conjoint du défunt. 
    • Son statut lui permet d’assurer la continuité de l’exploitation sans rupture, garantissant ainsi la pérennité de l’activité et des revenus agricoles.
  • Les héritiers copropriétaires
    • Tout héritier copropriétaire peut solliciter l’attribution préférentielle, sous réserve de démontrer un intérêt légitime à conserver l’exploitation. 
    • Cette faculté permet d’éviter une dispersion du patrimoine agricole entre des héritiers aux intérêts divergents, tout en maintenant l’unité de l’exploitation entre des mains familiales.
  • L’héritier ayant participé à l’exploitation
    • Un héritier ayant contribué à l’exploitation agricole dispose d’un droit renforcé à l’attribution préférentielle.
    • Cette disposition vise à récompenser l’investissement personnel de celui qui, par son travail et son engagement, a contribué à la gestion et au développement de l’exploitation.
    • Toutefois, il ne suffit pas d’invoquer une présence ponctuelle au sein de l’exploitation pour prétendre à l’attribution. L’héritier candidat doit justifier d’une participation réelle et significative, impliquant :
    • Une contribution active aux travaux agricoles (gestion des cultures, élevage, logistique, commercialisation, etc.) ;
    • Une participation régulière et durable, excluant les interventions occasionnelles ou purement symboliques ;
    • Une implication avérée dans la gestion de l’exploitation, attestant d’un engagement dans l’organisation et le développement de l’activité agricole.
      • En cas de litige, il appartient au demandeur d’apporter la preuve de sa participation effective à l’exploitation, par tout moyen (témoignages, justificatifs comptables, documents fiscaux, etc.). 
      • Cette exigence garantit que l’attribution préférentielle bénéficie aux véritables acteurs de l’exploitation, et non à des héritiers qui en revendiqueraient l’héritage sans en avoir jamais assumé la charge.

==>L’attribution d’une partie de l’exploitation agricole

L’attribution préférentielle ne se limite pas à l’ensemble d’une exploitation agricole dans son intégralité. Le législateur, soucieux d’adapter ce mécanisme aux réalités économiques et successorales, a prévu la possibilité d’une attribution partielle, dès lors que celle-ci permet le maintien d’une activité agricole viable. Cette possibilité, consacrée par l’article 831 du Code civil, s’exprime sous deux formes distinctes :

  • L’attribution d’une fraction de l’exploitation agricole
    • Il n’est pas exigé que l’exploitation dans son entier fasse l’objet d’une attribution préférentielle.
    • L’héritier demandeur peut prétendre à une fraction de celle-ci, à condition que cette partie conserve son autonomie économique et permette la poursuite d’une activité agricole efficiente.
    • Il ne s’agit donc pas de morceler l’exploitation au détriment de sa viabilité, mais bien de garantir la transmission d’une entité fonctionnelle, capable de subsister indépendamment du reste du domaine.
    • Le juge, saisi d’une telle demande, devra apprécier si la fraction sollicitée constitue une unité de production cohérente, dotée des ressources nécessaires à son exploitation (terres, bâtiments, matériel, cheptel, etc.). 
    • En d’autres termes, il s’assurera que l’attribution préférentielle ne crée pas une exploitation artificielle, mais bien une entité économiquement viable, capable d’être mise en valeur sans dépendre d’autres biens agricoles indivis.
  • L’attribution d’une quote-part indivise
    • Le législateur a également envisagé l’hypothèse dans laquelle un héritier déjà exploitant souhaiterait renforcer son exploitation par l’adjonction de biens appartenant à l’indivision successorale.
    • Dans cette optique, l’article 831 du Code civil autorise l’attribution préférentielle d’une quote-part indivise, permettant ainsi à l’héritier attributaire de consolider ou d’étendre son exploitation agricole existante.
    • Ce dispositif revêt une importance particulière dans les situations où un agriculteur déjà installé exploite des terres appartenant en partie à la succession. 
    • Sans ce mécanisme, il pourrait se retrouver contraint de racheter ces biens à ses cohéritiers ou, à défaut, d’abandonner une partie de son outil de travail. 
    • L’attribution préférentielle lui offre donc la possibilité de sécuriser son exploitation en intégrant définitivement à son patrimoine les éléments dont il avait jusqu’alors l’usage précaire.

3.3. L’attribution préférentielle des parts sociales des sociétés agricoles

==>Reconnaissance

Si l’attribution préférentielle s’est historiquement attachée aux biens immobiliers et mobiliers nécessaires à l’exploitation agricole, le législateur a progressivement reconnu que la structure juridique de certaines exploitations ne repose plus uniquement sur la détention en pleine propriété de terres et de matériels, mais bien sur une organisation sociétaire. 

Ainsi, afin d’adapter le droit successoral aux réalités économiques et aux nouveaux modes de gestion des exploitations agricoles, l’article 831 du Code civil prévoit que l’attribution préférentielle peut également porter sur des parts sociales de sociétés ayant pour objet l’exploitation agricole, sous réserve que cette attribution ne contrevienne pas aux stipulations statutaires de la société concernée.

L’attribution préférentielle peut ainsi concerner plusieurs types de sociétés agricoles, notamment :

  • Les parts d’un groupement foncier agricole (GFA) : le GFA étant une société civile ayant pour objet la détention et la gestion de terres agricoles, l’attribution préférentielle de ses parts permet à un héritier exploitant de conserver la maîtrise du foncier sans qu’il soit nécessaire de procéder à une répartition physique des terres. Cette solution favorise ainsi la pérennité du foncier agricole au sein du cercle familial et évite la fragmentation des propriétés.
  • Les parts d’une exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) : cette structure juridique étant particulièrement prisée par les exploitants agricoles pour organiser leur activité, l’attribution préférentielle de parts d’EARL permet d’assurer la continuité de l’exploitation en confiant le contrôle de la société à un héritier exploitant.
  • Les parts d’un groupement agricole d’exploitation en commun (GAEC) : dans le cadre d’un GAEC, où plusieurs associés exploitent une entreprise agricole en commun, l’attribution préférentielle des parts sociales à un héritier peut éviter l’entrée d’un tiers au sein de la société, préservant ainsi la cohésion de l’exploitation et la stabilité de son fonctionnement.
  • Les actions d’une société ayant pour objet l’exploitation agricole : certaines exploitations sont aujourd’hui organisées sous la forme de sociétés par actions (SAS ou SA), et l’attribution préférentielle peut également s’y appliquer dès lors que la société a pour finalité l’exploitation agricole et que ses statuts ne s’y opposent pas.

==>Conditions

Si l’attribution préférentielle des parts sociales constitue un mécanisme efficace pour assurer la continuité des exploitations agricoles sous forme sociétaire, elle est toutefois encadrée par certaines limites, visant à protéger à la fois les cohéritiers et les autres associés de la société.

  • Première condition
    • L’article 831 du Code civil précise expressément que l’attribution préférentielle des droits sociaux ne peut avoir lieu que si les statuts de la société ne s’y opposent pas.
    • En effet, certaines sociétés agricoles prévoient dans leurs statuts des clauses limitant la cession des parts sociales ou soumettant leur transmission à l’agrément des autres associés. 
    • En présence d’une telle clause, l’attributaire préférentiel devra obtenir l’accord des autres associés pour que l’attribution puisse être réalisée.
  • Deuxième condition
    • L’attribution préférentielle ne peut être accordée que si elle garantit la continuité de l’exploitation agricole.
    • Dès lors, il appartient à l’héritier demandeur de démontrer que la détention des parts sociales lui permettra d’assurer la pérennité de l’entreprise agricole et qu’il dispose des compétences et des moyens nécessaires pour en assurer la gestion.
  • Troisième condition
    • Comme pour toute attribution préférentielle, l’héritier qui en bénéficie doit indemniser ses cohéritiers pour compenser l’attribution exclusive des parts sociales.
    • Cette compensation peut s’opérer sous forme de soulte, sauf si les autres héritiers consentent à un partage inégal, ce qui reste une possibilité en cas d’accord familial.

B) Conditions relatives à l’attributaire

L’attribution préférentielle, en tant que modalité spécifique de partage, est soumise à des conditions rigoureuses quant à la qualité du demandeur. Trois exigences  se dégagent des textes et de la jurisprudence : l’attributaire doit avoir la qualité de copartageant, être titulaire de droits en propriété ou en nue-propriété, et justifier d’un intérêt légitime à l’attribution.

1. La qualité de copartageant

L’attribution préférentielle s’érige en une modalité singulière du partage, qu’il trouve sa source dans une dévolution successorale ou qu’il résulte de la dissolution d’une société. Dérogeant aux principes classiques du partage en nature ou par licitation, elle s’inscrit dans une perspective de pérennité patrimoniale et économique, veillant à préserver l’unité des biens et à en assurer la conservation ou l’exploitation dans des conditions optimales.

Toutefois, son octroi demeure subordonné à la réunion de deux exigences cumulatives :

  • L’exigence de qualité de copartageant, laquelle suppose d’être appelé à la répartition d’un patrimoine indivis, qu’il s’agisse d’une succession ou d’une masse sociale à liquider.
  • L’éligibilité à l’attribution préférentielle, réservée à certaines catégories de bénéficiaires déterminés en considération de leur lien avec le bien et de l’intérêt légitime qu’ils justifient à en obtenir l’attribution exclusive.

a. La nécessité d’endosser la qualité de copartageant

L’attribution préférentielle, en tant que modalité particulière du partage, ne peut être sollicitée que par un copartageant, c’est-à-dire un indivisaire appelé à bénéficier du partage d’un patrimoine, qu’il soit successoral, post-communautaire ou post-sociétaire. Cette exigence découle de la nature même de ce mécanisme, qui ne confère pas un droit propre à un individu, mais une faculté destinée à préserver l’unité et la continuité d’un bien en indivision, en fonction de son affectation économique, professionnelle ou familiale.

À l’origine, le bénéfice de l’attribution préférentielle était strictement limité aux héritiers ab intestat, excluant ainsi les autres indivisaires, notamment les légataires et les institués contractuels. Cette restriction répondait à une volonté de préserver le patrimoine au sein d’un cercle restreint, évitant qu’un tiers, choisi par voie de libéralité, ne puisse prétendre à l’appropriation d’un bien à titre préférentiel.

Toutefois, la réforme entreprise par la loi du 23 décembre 1970 a marqué une rupture en ouvrant cette faculté aux légataires universels et aux institués contractuels universels ou à titre universel (art. 833 C. civ.), consacrant ainsi une approche fondée non plus sur le lien familial, mais sur la vocation universelle du demandeur. Désormais, l’attribution préférentielle est accessible à toute personne ayant une indivision de principe sur le patrimoine à partager, sans que l’origine de ses droits (légale ou conventionnelle) constitue un critère d’exclusion.

En revanche, le titulaire de droits particuliers, tel que le légataire à titre particulier ou le bénéficiaire d’une indivision limitée à un bien spécifique, reste exclu du mécanisme. L’attribution préférentielle, qui suppose une indivision générale sur un ensemble de biens, ne peut être invoquée par celui qui ne détient qu’un droit déterminé sur un actif spécifique. Toutefois, si une réduction en nature d’une libéralité venait à placer un légataire en indivision avec d’autres indivisaires, ce dernier pourrait alors prétendre à l’attribution préférentielle pour sortir de l’indivision. La Cour de cassation a confirmé cette exclusion dans un arrêt du 21 juillet 1969, rappelant que seul un indivisaire ayant vocation à partager l’ensemble du patrimoine peut prétendre à cette faculté (Cass. 1re civ., 21 juill. 1969).

Enfin, la qualité de copartageant peut se transmettre: un successeur d’un indivisaire initial peut revendiquer l’attribution préférentielle, sous réserve d’en remplir personnellement les conditions, indépendamment de la situation de son auteur (Cass. 1re civ., 10 juin 1987, n°85-17.000). Cette solution consacre l’idée que l’attribution préférentielle ne repose pas sur la qualité personnelle du premier indivisaire, mais sur celle du demandeur final, garantissant ainsi une transmission patrimoniale fluide et une allocation optimale des biens indivis.

b. Les bénéficiaires éligibles à l’attribution préférentielle

Parmi les copartageants, seuls certains peuvent bénéficier de l’attribution préférentielle.

i. Le conjoint survivant

L’attribution préférentielle constitue un droit conféré au conjoint survivant, lui permettant de se voir attribuer certains biens du patrimoine successoral ou indivis afin d’assurer la continuité de ses conditions de vie. Ce mécanisme, qui vise à préserver le cadre de vie et les intérêts économiques du survivant, repose sur plusieurs dispositions du Code civil.

L’article 831-2 du Code civil prévoit ainsi que le conjoint survivant peut demander :

  • L’attribution en propriété ou en usufruit du logement conjugal, ainsi que du mobilier qui le garnit (C. civ., art. 831-2, 1°) ;
  • L’attribution des biens nécessaires à l’exercice de son activité professionnelle, à savoir la propriété ou le droit au bail du local à usage professionnel, ainsi que les objets mobiliers nécessaires à l’exercice de cette profession (C. civ., art. 831-2, 2°).

Par ailleurs, l’article 831-3 du Code civil accorde au conjoint survivant un droit automatique à l’attribution préférentielle du logement conjugal et de son mobilier, dès lors qu’il en fait la demande.

Ce droit, qui peut s’exercer dans le cadre d’un partage successoral ou d’un partage de communauté, se conjugue également avec le droit viager d’habitation et d’usage prévu à l’article 764 du Code civil, lequel permet au conjoint survivant de demeurer dans le logement principal du couple. Ces dispositifs combinés visent à éviter que le survivant ne se retrouve privé de son cadre de vie ou de ses moyens d’existence à la suite du décès de son époux.

==>L’attribution préférentielle dans le cadre d’un partage successoral

Le droit à l’attribution préférentielle du conjoint survivant s’exerce en priorité dans le cadre du partage successoral.

L’article 831-3 du Code civil prévoit que l’attribution en propriété ou en usufruit du logement conjugal et de son mobilier est de droit pour le conjoint survivant, dès lors qu’il en fait la demande.

Ainsi, sauf renonciation expresse du conjoint survivant ou circonstances particulières de la succession, le bénéfice de ce droit ne peut être écarté. En conséquence, dès lors que le survivant sollicite cette attribution, elle s’impose aux autres héritiers.

Toutefois, ce droit ne peut être invoqué en dehors d’un partage successoral. Dans un arrêt du 26 septembre 2012, la Cour de cassation a rejeté la demande d’attribution préférentielle d’une épouse séparée de biens, qui invoquait ce droit alors qu’aucune indivision successorale n’était en cause.

En l’espèce, les époux, mariés sous le régime de la séparation de biens, avaient acquis en indivision un immeuble à usage d’habitation. À la suite de la liquidation judiciaire du mari, le mandataire judiciaire, agissant dans l’intérêt des créanciers, a sollicité la cessation de l’indivision et la vente sur licitation du bien indivis. La conjointe, qui occupait ce logement, a alors demandé l’attribution préférentielle en se fondant sur les articles 831-3 et 832-4 du Code civil, offrant de verser une soulte dans les délais prévus par ce dernier texte.

La cour d’appel a rejeté sa demande, considérant que l’attribution préférentielle ne s’applique que dans le cadre d’un partage successoral ou d’un partage de communauté, et que la situation litigieuse relevait d’une indivision ordinaire née d’un acquisition conjointe, et non d’une succession ou d’un régime matrimonial dissous.

La Cour de cassation a confirmé cette analyse en relevant que la demanderesse n’avait pas la qualité de conjointe survivante, ce qui suffisait à exclure le bénéfice de l’attribution préférentielle de droit prévue à l’article 831-3 du Code civil. Elle a également précisé que cette faculté ne peut être exercée que dans le cadre d’un véritable partage successoral ou communautaire, à l’exclusion des situations où la fin de l’indivision résulte d’une procédure initiée par un créancier personnel d’un indivisaire (Cass. 1re civ., 26 sept. 2012, n° 11-16.246).

Cet arrêt illustre ainsi les limites du mécanisme de l’attribution préférentielle, qui ne saurait être invoqué pour contrer la licitation d’un bien indivis lorsque l’indivision ne relève ni du droit des successions, ni de la liquidation d’un régime matrimonial. 

==>L’attribution préférentielle dans le partage de communauté

Lorsque l’attribution préférentielle est demandée dans le cadre du partage d’une communauté, elle obéit à des règles spécifiques qui, bien que proches de celles du partage successoral, présentent des spécificités.

L’article 1476 du Code civil instaure un parallélisme des règles entre le partage de communauté et le partage successoral, en soumettant l’un aux principes gouvernant l’autre. Cette disposition prévoit, en effet, que « le partage de la communauté, pour tout ce qui concerne ses formes, le maintien de l’indivision et l’attribution préférentielle, la licitation des biens, les effets du partage, la garantie et les soultes, est soumis à toutes les règles qui sont établies au titre “Des successions” pour les partages entre cohéritiers. »

Ainsi, quelle que soit la cause de la dissolution du régime matrimonial — décès, divorce, séparation de corps ou changement de régime — l’un des époux peut prétendre à l’attribution préférentielle de certains biens indivis, en particulier lorsqu’il s’agit du logement conjugal ou des outils nécessaires à l’exercice d’une activité professionnelle.

La jurisprudence, bien avant l’adoption des textes actuels, avait déjà reconnu la possibilité d’une attribution préférentielle dans les partages consécutifs à un divorce ou à une séparation de corps, alors même que les dispositions anciennes ne visaient explicitement que le conjoint survivant (Cass. civ., 9 nov. 1954). 

Toutefois, le second alinéa de l’article 1476 du Code civil opère une distinction en modulant le régime de l’attribution préférentielle selon la cause de dissolution de la communauté. Il énonce que « toutefois, pour les communautés dissoutes par divorce, séparation de corps ou séparation de biens, l’attribution préférentielle n’est jamais de droit, et il peut toujours être décidé que la totalité de la soulte éventuellement due sera payable comptant. »

Il s’infère de cette disposition la nécessité de distinguer deux situations:

  • Lorsque la communauté est dissoute par décès, l’attribution préférentielle du logement conjugal et de son mobilier est de droit pour le conjoint survivant (C. civ., art. 831-3). Il suffit qu’il en fasse la demande pour qu’elle s’impose aux autres copartageants, sauf circonstances particulières.
  • Lorsque la communauté est dissoute par divorce, séparation de corps ou séparation de biens, l’attribution préférentielle n’est jamais de droit, mais reste soumise à l’appréciation du juge, qui appréciera l’opportunité de l’accorder en fonction des intérêts en présence.

Cette distinction repose sur une approche distincte du partage selon qu’il résulte d’un décès ou de la dissolution du mariage. En matière successorale, l’attribution préférentielle vise à protéger le conjoint survivant en lui permettant de conserver certains biens essentiels à son cadre de vie ou à son activité. En revanche, en cas de divorce ou de séparation, le principe est celui d’une liquidation définitive des intérêts patrimoniaux des époux, ce qui exclut toute automaticité de l’attribution préférentielle et justifie l’exigence d’un paiement immédiat de la soulte.

==>Cas particulier du conjoint séparé de biens

Un époux soumis au régime de la séparation de biens peut également prétendre à l’attribution préférentielle, sous réserve qu’il soit copropriétaire du bien concerné. L’article 1542 du Code civil étend expressément aux époux séparés de biens les règles de l’attribution préférentielle, sous réserve du respect des principes de l’indivision.

Ainsi, dans l’hypothèse où un bien a été acquis en indivision entre époux séparés de biens, et que cette indivision persiste après dissolution du mariage, l’un des époux peut solliciter l’attribution préférentielle lors du partage. 

Toutefois, la jurisprudence précise que cette demande peut également être formulée lorsque le partage intervient au cours du mariage, dès lors que l’indivision présente un caractère familial. En effet, la Cour de cassation a jugé qu’un époux séparé de biens pouvait prétendre à l’attribution préférentielle du logement conjugal dont il est copropriétaire, même si le partage était provoqué par un créancier, dès lors que l’indivision concernait un bien à usage familial (Cass. 1re civ., 9 oct. 1990, n° 89-10.429). Cette solution, fondée sur l’idée que la nature de l’indivision prime sur la cause du partage, assure une protection accrue du conjoint, en lui permettant de revendiquer l’attribution préférentielle du logement conjugal, y compris en dehors d’un partage successoral ou d’un partage de communauté postérieur à la dissolution du mariage.

ii. Les héritiers

L’article 831 du Code civil reconnaît à « tout héritier copropriétaire » le droit de solliciter l’attribution préférentielle, sans distinction de degré ou de ligne successorale. Peuvent ainsi y prétendre les héritiers en ligne directe comme en ligne collatérale, qu’ils soient issus du lien biologique ou adoptifs, dès lors qu’ils sont appelés à la succession et qu’ils l’ont acceptée. Cette qualité de successible est essentielle, car elle conditionne l’existence même du droit à l’attribution préférentielle.

Il en résulte qu’un cessionnaire de droits successoraux ne saurait revendiquer cette faculté, faute d’avoir lui-même la qualité d’héritier. La Cour de cassation a rappelé ce principe en jugeant qu’un ayant droit ne peut revendiquer l’attribution préférentielle, dans la mesure où il ne bénéficie pas personnellement de la vocation successorale initiale et n’est pas indivisaire de la succession (Cass. 1re civ., 9 janv. 1980, n° 78-14.550).

L’attribution préférentielle peut être demandée à tout moment jusqu’à la clôture définitive du partage. Peu importe que la demande de partage émane du postulant lui-même ou d’un autre cohéritier, voire d’un créancier de la succession : la seule exigence est d’être copropriétaire indivis du bien revendiqué (Cass. 1re civ., 24 mars 1998, n° 96-11.005).

Il en résulte que l’attribution préférentielle reste possible même si le partage a été sollicité par un tiers agissant dans l’intérêt d’un indivisaire. Ainsi, la demande de partage formulée par un créancier n’empêche pas l’héritier débiteur de revendiquer l’attribution préférentielle d’un bien successoral (Cass. 1re civ., 9 oct. 1990, n° 89-10.429).

Un héritier peut-il revendiquer l’attribution préférentielle lorsqu’il succède lui-même à un autre héritier qui aurait pu en bénéficier mais qui est décédé avant d’avoir exercé cette faculté ? La question n’est pas expressément tranchée par les textes, mais la jurisprudence y répond favorablement sous conditions.

La Cour de cassation a admis que l’héritier du premier successible pouvait exercer le droit à l’attribution préférentielle si celui-ci remplissait personnellement les conditions requises par la loi (Cass. 1re civ., 7 juill. 1971, n°70-13.561). Ce raisonnement repose sur la distinction entre :

  • Les facultés : un droit que le défunt n’a pas exercé de son vivant ne se transmet pas automatiquement à ses héritiers, sauf si ces derniers remplissent eux-mêmes les conditions nécessaires à son exercice ;
  • Les droits acquis : si un héritier a obtenu l’attribution préférentielle par un jugement définitif avant son décès, ce droit entre dans son patrimoine et se transmet à ses propres successibles, indépendamment de leur situation personnelle.

Ainsi, lorsque l’héritier décédé n’a pas formulé de demande d’attribution préférentielle, ses propres héritiers peuvent en solliciter le bénéfice, mais uniquement s’ils justifient personnellement des conditions exigées (Cass. 1re civ., 27 juin 2000, n° 98-17.177).

En revanche, lorsque l’attribution préférentielle a été définitivement accordée au premier héritier avant son décès, ses propres héritiers n’ont plus à justifier qu’ils remplissent personnellement les conditions légales : ils recueillent ce droit dans le cadre de la transmission successorale (Cass. 1re civ., 10 mars 1969).

La Cour de cassation a progressivement élargi la portée du droit à l’attribution préférentielle en dissociant la condition de participation à la mise en valeur du bien de celle de la copropriété.

Dans un arrêt du 10 juin 1987, elle a jugé qu’un héritier en second pouvait obtenir l’attribution préférentielle alors même que son auteur n’avait pas exercé cette faculté, à condition qu’il ait lui-même participé à la gestion ou à l’exploitation du bien en question (Cass. 1re civ., 10 juin 1987, n° 85-17.000). Cette solution marque une évolution notable : l’attribution préférentielle devient un droit propre à l’héritier en second, dès lors qu’il satisfait aux critères légaux, sans que l’on exige que son auteur ait lui-même rempli ces conditions.

Cette dissociation, consacrée à l’article 831 du Code civil, permet ainsi à un héritier de revendiquer l’attribution préférentielle d’un bien, même si son auteur ne pouvait lui-même y prétendre, dès lors qu’il remplit les conditions légales exigées, notamment en matière de participation effective à la mise en valeur du bien.

iii. Les légataires et institués contractuels

Avant l’adoption de la loi du 23 décembre 1970, la question de l’accès des légataires au bénéfice de l’attribution préférentielle avait donné lieu à des hésitations jurisprudentielles. Certains juges du fond avaient admis cette possibilité, considérant que la vocation successorale du légataire universel justifiait son assimilation à un héritier (CA Angers, 31 mai 1950). D’autres juridictions, en revanche, avaient rejeté cette prétention, estimant que l’attribution préférentielle devait être réservée aux parents du de cujus et ne pouvait être étendue à un tiers gratifié par testament (CA Rennes, 21 mars 1956).

Ces divergences n’avaient pas été tranchées par la loi de 1961, ce qui avait conduit la Cour de cassation à se prononcer en défaveur des légataires. Dans un arrêt du 15 novembre 1966, elle affirmait que « le légataire universel, qui peut n’être pas membre de la famille, ne saurait prétendre à l’attribution préférentielle » (Cass. 1re civ., 15 nov. 1966). Cette position restrictive, fondée sur l’idée que ce mécanisme devait avant tout servir la conservation familiale du patrimoine, allait à contre-courant de l’évolution doctrinale qui tendait à rapprocher le légataire universel de l’héritier.

Face à cette rigidité, le législateur a finalement réformé le dispositif en adoptant la loi du 23 décembre 1970, laquelle a modifié l’article 832-3 du Code civil (désormais repris à l’article 833), afin d’étendre expressément l’attribution préférentielle aux gratifiés ayant vocation universelle ou à titre universel. Depuis cette réforme, les légataires universels et les institués contractuels peuvent ainsi solliciter l’attribution préférentielle sous réserve de satisfaire aux conditions de droit et de fait imposées à tout attributaire.

La loi ne distingue pas selon la forme du testament qui institue le légataire (authentique, olographe, mystique ou international) ni selon la manière dont le legs est consenti. La seule distinction pertinente repose sur l’étendue de la vocation successorale conférée par le testament :

  • Le légataire universel peut prétendre, sans restriction, au bénéfice de l’attribution préférentielle, dans la mesure où il est appelé à recueillir l’intégralité de la succession et qu’il revêt ainsi une qualité assimilable à celle d’un héritier.
  • Le légataire à titre universel, c’est-à-dire celui qui reçoit une quote-part de la succession, bénéficie du même droit, à condition que la part qui lui est dévolue comprenne le bien objet de la demande d’attribution préférentielle.
  • Le légataire particulier, en revanche, demeure exclu du dispositif. Son legs portant sur un bien déterminé, il est censé en recevoir la pleine propriété par l’effet du testament, sans qu’il ait besoin de l’intervention des règles du partage successoral.

Toutefois, une exception existe lorsque la libéralité consentie au légataire est réduite en nature. En pareille hypothèse, le légataire particulier se retrouve en indivision avec les héritiers réservataires et peut ainsi se prévaloir du mécanisme de l’attribution préférentielle pour obtenir la propriété du bien indivis (Cass. 1re civ., 21 juill. 1969).

La généralisation de la réduction en valeur opérée par la loi du 23 juin 2006 a considérablement restreint l’intérêt du légataire universel à recourir à l’attribution préférentielle. En effet, si une libéralité excède la quotité disponible, elle est désormais réduite en valeur et non en nature, sauf exception. Cette réduction en valeur a pour effet de maintenir l’intégrité du legs dans le patrimoine du légataire, en contrepartie du paiement d’une indemnité aux héritiers réservataires. Dans un tel contexte, l’indivision successorale devient rare et, avec elle, le besoin de recourir à l’attribution préférentielle.

Toutefois, dans l’hypothèse exceptionnelle où la réduction s’opère en nature, le légataire universel peut se retrouver en indivision avec les héritiers réservataires et être amené à revendiquer l’attribution préférentielle du bien litigieux (art. 924 et 924-1 C. civ.).

Les règles régissant l’attribution préférentielle des légataires trouvent à s’appliquer, mutatis mutandis, aux institués contractuels, en vertu de l’assimilation opérée par l’article 833 du Code civil. Cette disposition leur confère ainsi la possibilité de solliciter l’attribution préférentielle, sous réserve qu’ils disposent d’une vocation universelle ou à titre universel à la succession.

Si, dans son acception traditionnelle, l’institution contractuelle désigne principalement les donations de biens à venir consenties par contrat de mariage, il est désormais admis que cette notion couvre également les donations entre époux réalisées en cours d’union, pour autant qu’elles attribuent au survivant des droits successoraux de nature universelle. Cette extension doctrinale et jurisprudentielle renforce la protection patrimoniale du conjoint bénéficiaire, en lui ouvrant l’accès aux mécanismes de l’attribution préférentielle dans le cadre du partage successoral.

De même, l’assimilation entre héritiers, légataires et institués contractuels opérée par le législateur s’étend également à la transmissibilité du bénéfice de l’attribution préférentielle. Ainsi, lorsqu’un légataire universel ou un institué contractuel décède avant d’avoir exercé son droit à l’attribution préférentielle, ses héritiers peuvent en revendiquer le bénéfice, à condition qu’ils remplissent eux-mêmes les conditions personnelles requises pour en bénéficier.

Cette transmission se justifie par la volonté du législateur d’uniformiser le sort des gratifiés universels en leur conférant, sauf disposition contraire, un statut similaire à celui des héritiers ab intestat en matière de partage. Dès lors, un légataire de l’héritier ou un légataire du légataire peut également exercer cette faculté, dans la mesure où il hérite d’une vocation successorale universelle ou à titre universel et satisfait aux exigences légales.

Enfin, cette logique s’applique aux libéralités graduelles ou résiduelles, lorsque plusieurs gratifiés en second sont appelés à recueillir collectivement les biens grevés de la charge de conservation et de restitution. Dès lors qu’ils sont investis d’une vocation universelle et qu’ils remplissent les conditions d’attribution préférentielle, ils peuvent prétendre à ce mécanisme, consolidant ainsi la cohérence et l’unité du régime successoral des gratifiés universels.

iv. Les partenaires de PACS

Avant 1999, le partenaire survivant ne bénéficiait d’aucune protection en matière de partage successoral. La loi du 15 novembre 1999 a corrigé cette lacune en insérant l’article 515-6 dans le Code civil, lequel ouvrait aux partenaires la possibilité de demander l’attribution préférentielle. Toutefois, cette faculté était initialement limitée aux dispositions de l’article 832 du Code civil, ce qui excluait d’emblée :

  • Les exploitations agricoles ;
  • Les parts indivises de ces exploitations ;
  • Les parts sociales des sociétés exploitant un domaine agricole.

Cette exclusion traduisait la volonté du législateur de maintenir une distinction entre les biens patrimoniaux à vocation résidentielle ou professionnelle, accessibles aux partenaires de PACS, et les biens à caractère économique, tels que les exploitations agricoles, dont la transmission devait rester prioritairement réservée aux héritiers du défunt. Ce choix instaurait ainsi une différence de traitement entre les unions contractuelles principalement urbaines, où l’attribution préférentielle pouvait jouer un rôle protecteur, et celles ancrées dans un cadre rural, où cette faculté était délibérément écartée.

En outre, la seule référence à l’article 832 du Code civil dans l’ancienne version de l’article 515-6 soulevait une incertitude quant aux autres formes d’attribution préférentielle. Il n’était pas précisé si les partenaires pouvaient bénéficier des dispositions spécifiques permettant aux nus-propriétaires, légataires et institués contractuels de revendiquer une attribution préférentielle (art. 832-4 C. civ.).

La loi du 23 juin 2006 a profondément modifié le régime applicable aux partenaires. Elle a clarifié et élargi leur droit à l’attribution préférentielle en modifiant l’article 515-6 du Code civil, qui dispose désormais que les articles 831, 831-2, 832-3 et 832-4 sont applicables aux partenaires de PACS en cas de dissolution de celui-ci.

Cette réécriture a deux conséquences majeures :

  • Elle consacre l’accès du partenaire survivant à l’attribution préférentielle facultative pour certains biens, notamment :
    • La résidence principale et le mobilier qui la garnit (C. civ., art. 831-2, 1°);
    • Le local à usage professionnel et son mobilier (C. civ., art. 831-2, 2°) ;
    • Le véhicule nécessaire aux besoins de la vie courante (C. civ., art. 831-2, 1° in fine).
  • Elle écarte explicitement les règles concernant:
    • L’attribution préférentielle de plein droit du logement et du mobilier (C. civ., art. 831-3) ;
    • Les exploitations agricoles (C. civ., art. 832) ;
    • La constitution d’un groupement foncier agricole (C. civ., art. 832-1 et 832-2).

Cette réforme met fin à l’ambiguïté qui existait sous l’empire de la loi de 1999 et conforte l’alignement progressif des effets du PACS sur ceux du mariage.

Si les partenaires de PACS ne bénéficient pas du droit viager d’habitation et d’usage accordé aux conjoints survivants (art. 764 C. civ.), la loi leur offre néanmoins une protection renforcée en matière de logement.

En effet, l’article 515-6 du Code civil prévoit qu’un partenaire survivant peut bénéficier de l’attribution préférentielle de la résidence principale, mais seulement si le défunt l’a expressément prévu par testament. Cette disposition introduit ainsi une différence notable avec le conjoint survivant, qui dispose d’un droit à l’attribution préférentielle de plein droit (art. 831-3 C. civ.).

En parallèle, la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 a instauré un droit spécifique pour le partenaire survivant en matière de droit au bail, en introduisant l’article 1751-1 du Code civil. Ce texte prévoit que le partenaire survivant peut demander au juge l’attribution du droit au bail du logement commun, sous réserve des intérêts sociaux et familiaux en présence. Cette faculté permet ainsi au survivant de ne pas être contraint de quitter brutalement le domicile en cas de décès de son partenaire.

L’attribution préférentielle peut également être sollicitée en cas de rupture du PACS entre vifs, c’est-à-dire :

  • Par la volonté commune des partenaires ;
  • Par la volonté unilatérale de l’un d’eux (art. 515-7 C. civ.).

Dans ce cas, l’attribution préférentielle fonctionne comme dans une indivision classique : le partenaire qui souhaite conserver le bien peut demander son attribution moyennant le versement d’une soulte à l’autre. Si un litige survient entre les partenaires ou avec les héritiers du défunt, le tribunal appréciera la demande en considération des intérêts en présence.

L’article 515-6 renvoyant expressément à l’article 832-3 du Code civil, qui régit les conflits en matière d’attribution préférentielle, les principes généraux du droit des successions trouvent ici à s’appliquer.

Malgré cette avancée législative, certaines différences subsistent entre les partenaires de PACS et les conjoints mariés :

  • L’attribution préférentielle est de droit pour le conjoint survivant en matière de logement principal (art. 831-3 C. civ.), alors qu’elle nécessite un testament exprès pour le partenaire de PACS (art. 515-6 C. civ.).
  • Le droit viager d’usage et d’habitation dont bénéficie le conjoint survivant (art. 764 C. civ.) ne s’applique pas aux partenaires de PACS.
  • Les partenaires de PACS sont exclus des dispositifs relatifs aux exploitations agricoles et aux entreprises familiales, ce qui peut être préjudiciable lorsque le couple partageait une activité économique.

Toutefois, cette assimilation partielle témoigne d’une tendance du législateur à rapprocher, dans une certaine mesure, les effets du PACS de ceux du mariage, notamment en matière successorale et patrimoniale.

v. L’exclusion des concubins

==>Principe

Contrairement aux partenaires liés par un pacte civil de solidarité, les concubins ne bénéficient d’aucun droit à l’attribution préférentielle, cette faculté étant strictement réservée au conjoint survivant, aux héritiers et aux partenaires de PACS. La Cour de cassation a réaffirmé avec constance cette exclusion, fondée sur l’absence de cadre juridique régissant le concubinage, qui ne crée aucun droit successoral automatique entre les concubins.

Cette position jurisprudentielle s’impose avec fermeté, y compris dans les cas où l’un des concubins occupait exclusivement le bien indivis après la rupture. Ainsi, la haute juridiction a censuré une décision qui avait accordé à un concubin l’attribution préférentielle d’un bien indivis au motif qu’il en était l’occupant depuis la séparation du couple. 

Elle a rappelé que l’attribution préférentielle, prévue par l’article 832 du Code civil, ne peut être demandée que par le conjoint ou par un héritier, et ne s’applique donc pas aux concubins, quelles que soient les circonstances de la rupture et l’occupation du bien indivis. 

En l’espèce, les juges du fond avaient retenu que l’attribution préférentielle devait être accordée au concubin au motif qu’il résidait dans le bien et qu’il n’était pas démontré qu’il serait dans l’impossibilité de s’acquitter d’une éventuelle soulte. La Cour de cassation a censuré cette décision en considérant que, les parties n’étant pas mariées, l’intéressé ne pouvait en aucun cas prétendre au bénéfice de ce mécanisme successoral (Cass. 1re civ., 9 déc. 2003, n° 02-12.884).

==>Exceptions

  • L’indivision conventionnelle
    • Si le concubinage en lui-même n’ouvre aucun droit à l’attribution préférentielle, une exception peut toutefois être admise lorsque les concubins ont acquis un bien en indivision et ont encadré leur relation patrimoniale par une convention spécifique. 
    • En effet, si un pacte stipule expressément un droit de préférence au profit de l’un des concubins, celui-ci pourra l’invoquer lors du partage de l’indivision.
    • La Cour de cassation a rappelé, dans un arrêt du 26 septembre 2012, que l’attribution préférentielle ne pouvait être sollicitée que par un conjoint, un partenaire de PACS ou un héritier, excluant ainsi les concubins du bénéfice des articles 831 et suivants du Code civil.
    • Toutefois, dans cette même décision, elle a précisé que l’indivision conventionnelle liant les concubins ne comportait aucune stipulation prévoyant un tel mécanisme, laissant ainsi entendre qu’une clause contractuelle explicite aurait pu être prise en compte (Cass. 1re civ., 26 sept. 2012, n° 11-12.838).
    • Ainsi, bien que le concubin ne puisse pas revendiquer l’attribution préférentielle en vertu du droit successoral ou matrimonial, il peut néanmoins organiser contractuellement un droit similaire dans le cadre des règles de l’indivision ordinaire, sous réserve d’un accord préalable entre les parties.
  • La théorie de l’accession
    • Dans un cas où une concubine était propriétaire d’un terrain sur lequel elle et son concubin avaient édifié ensemble une maison à frais communs, la Cour de cassation a jugé que la construction était devenue la propriété de la concubine par accession et que celle-ci pouvait en obtenir l’attribution dans le cadre de la liquidation du concubinage (Cass. 1re civ., 2 oct. 2002, n° 01-00.002).
    • Cette solution repose sur la théorie de l’accession et non sur l’attribution préférentielle au sens strict.
  • Le mariage des concubins suivi d’un divorce
    • Un concubin ayant acquis avec sa concubine un bien en indivision avant leur mariage peut, s’ils divorcent ultérieurement, solliciter l’attribution préférentielle du bien en tant que conjoint divorcé.
    • En effet, le changement de statut du couple entraîne un basculement dans le régime de l’attribution préférentielle des époux, le demandeur pouvant alors fonder sa prétention sur sa qualité de conjoint et de copropriétaire (Cass. 1re civ., 7 juin 1988, n°86-15.090).
  • L’existence d’une société de fait
    • Dans certaines circonstances, la reconnaissance d’une société de fait entre concubins peut leur permettre d’accéder à un mécanisme proche de l’attribution préférentielle. 
    • La Cour de cassation a ainsi censuré une décision qui avait refusé d’examiner l’existence d’une telle société entre concubins ayant acquis ensemble un immeuble et ayant organisé entre eux les modalités de remboursement.
    • Elle a estimé que les juges du fond auraient dû vérifier si la situation ne relevait pas du régime des sociétés de fait, auquel cas le partage aurait obéi aux règles des sociétés, notamment celles relatives à la répartition des actifs en cas de dissolution (Cass. 1re civ., 20 mars 1989, n° 87-15.818).
    • Toutefois, la jurisprudence se montre extrêmement rigoureuse dans l’admission de telles sociétés, exigeant que soit démontrée l’existence d’un réel affectio societatis, c’est-à-dire une volonté commune de collaborer dans une entreprise à but lucratif. 
    • À défaut, la société de fait ne sera pas reconnue et le concubin restera soumis au régime de l’indivision ordinaire, sans possibilité de revendiquer une attribution préférentielle (Cass. 1re civ., 20 janv. 2010, n° 08-13.200).

vi. Les associés dans le cadre du partage d’une société

L’attribution préférentielle ne se limite pas aux partages successoraux ou matrimoniaux ; elle trouve également à s’appliquer dans le cadre du partage de l’actif social d’une société en liquidation. L’article 1844-9 du Code civil consacre cette possibilité en prévoyant que « les règles concernant le partage des successions, y compris l’attribution préférentielle, s’appliquent aux partages entre associés. »

Toutefois, ce droit demeure encadré par des principes spécifiques au droit des sociétés. En premier lieu, le partage ne peut intervenir qu’après le paiement des dettes et le remboursement du capital social. Ce n’est qu’une fois ces obligations satisfaites que les associés peuvent prétendre au partage du solde de l’actif, en principe proportionnellement à leur participation aux bénéfices, sauf disposition contraire des statuts ou accord spécifique des associés.

En second lieu, l’attribution préférentielle est subordonnée à l’exercice des prérogatives prioritaires expressément prévues par l’alinéa 3 de l’article 1844-9 du Code civil. Ce texte confère en effet une priorité absolue à l’associé ayant effectué un apport en nature : si le bien apporté figure toujours dans l’actif social au moment du partage, il peut, sur simple demande, en obtenir l’attribution à charge de soulte si nécessaire. Ce droit prime toute autre demande d’attribution préférentielle et s’exerce avant toute autre répartition de l’actif.

En l’absence d’apport en nature identifiable, l’attribution préférentielle peut néanmoins être sollicitée par un associé sur tout bien répondant aux conditions définies aux articles 831 et 831-2 du Code civil. Autrement dit, un associé peut prétendre à l’attribution d’un actif social qui lui est nécessaire pour poursuivre une activité professionnelle, ou encore d’un bien immobilier servant d’habitation, à condition qu’il remplisse les exigences requises par le droit commun de l’attribution préférentielle.

La Cour de cassation a eu l’occasion d’appliquer ces principes dans une affaire impliquant le partage de l’actif social d’une société créée de fait entre concubins. Ceux-ci exploitaient ensemble un centre d’hébergement touristique et de loisirs, au sein duquel l’un des associés avait réalisé plusieurs tapisseries dans le cadre des activités artisanales développées par la société. La Cour d’appel avait jugé que ces œuvres, représentant l’apport en industrie de leur créateur, faisaient partie de l’actif social et devaient être intégrées à la masse à partager après liquidation du passif.

Confirmant cette analyse, la Cour de cassation a retenu que ces biens, relevant de l’activité de la société et se retrouvant en nature dans l’actif social, ouvraient droit à une attribution préférentielle au profit de leur auteur, sous réserve du versement d’une soulte aux autres associés, en application de l’article 1844-9 du Code civil (Cass. 1re civ., 30 mai 2006, n° 04-14.749). Ainsi, la haute juridiction a rappelé que lorsqu’un bien, résultant d’un apport en industrie, demeure en nature au sein du patrimoine social au moment de la liquidation, l’associé à l’origine de cet apport peut en solliciter l’attribution préférentielle dans le cadre du partage de l’actif.

2. La titularité d’un droit en propriété ou en nue-propriété

L’attribution préférentielle, en tant que modalité du partage successoral, suppose la détention d’un droit réel sur le bien indivis. Toutefois, si les héritiers titulaires d’un droit en pleine propriété ou en nue-propriété peuvent prétendre à cette faculté, les usufruitiers en sont expressément exclus. Cette distinction, qui repose sur la nature même des droits en cause, mérite d’être examinée à travers deux axes complémentaires : d’une part, l’exigence de titularité d’un droit en propriété ou en nue-propriété, et, d’autre part, l’exclusion des titulaires d’un droit d’usufruit.

a. L’exigence de titularité d’un droit en propriété ou en nue-propriété

L’attribution préférentielle, en tant que modalité du partage successoral, suppose que le demandeur détienne un droit en indivision sur le bien concerné. À ce titre, seuls les titulaires de droits en pleine propriété ou en nue-propriété peuvent valablement en solliciter le bénéfice. Cette exigence, consacrée par l’article 831 du Code civil, trouve sa justification dans le principe selon lequel le partage ne peut porter que sur les biens relevant de l’indivision, à l’exclusion de ceux qui appartiennent à des tiers.

Originellement, la jurisprudence interprétait de manière rigoureuse cette exigence de copropriété, réservant l’attribution préférentielle aux seuls titulaires d’un droit en pleine propriété. Dans un arrêt du 8 novembre 1965, la Cour de cassation avait ainsi retenu l’exclusion des nus-propriétaires, considérant que la nue-propriété, en ce qu’elle constitue un droit de propriété démembré, ne conférait pas une maîtrise suffisante du bien pour justifier une attribution préférentielle (Cass. 1re civ., 8 nov. 1965).

Cette position s’est révélée particulièrement sévère dans les hypothèses où le conjoint survivant recueillait l’usufruit universel des biens successoraux, reléguant les héritiers à la seule nue-propriété, sans possibilité d’obtenir l’attribution préférentielle des biens nécessaires à la poursuite d’une activité professionnelle ou à la conservation du patrimoine familial. Une telle rigueur a suscité d’importantes critiques doctrinales, dénonçant une application excessivement formaliste du droit successoral, au détriment de l’objectif poursuivi par le mécanisme de l’attribution préférentielle.

Face aux incohérences pratiques générées par cette exclusion, le législateur a entendu remédier à cette situation en adoptant la loi du 23 décembre 1970, introduisant l’article 832-4 du Code civil, devenu l’article 833 depuis la réforme du 23 juin 2006. Cette réforme a marqué une avancée décisive en reconnaissant aux nus-propriétaires la faculté de solliciter l’attribution préférentielle d’un bien indivis, y compris lorsque celui-ci restait grevé d’un usufruit.

Désormais, le nu-propriétaire, au même titre que le titulaire d’un droit en pleine propriété, peut revendiquer l’attribution préférentielle, ce qui revêt une portée pratique considérable dans le cadre de la transmission d’entreprises ou de biens immobiliers à usage professionnel. Un enfant nu-propriétaire exploitant un fonds de commerce ou une exploitation agricole peut ainsi prétendre à l’attribution préférentielle du bien, sous réserve de justifier d’une participation effective à son exploitation (Cass. 1ere civ., 2 déc. 2015, n°14-25.622). Cette évolution contribue à assurer la pérennité des entreprises familiales et à éviter que l’usufruit détenu par un conjoint survivant ne constitue un frein à la continuité de l’exploitation.

Toutefois, cette ouverture ne s’étend pas aux légataires à titre particulier. En effet, ces derniers ne disposent pas de la qualité d’héritier et, partant, ne peuvent se prévaloir du mécanisme de l’attribution préférentielle, sauf dans l’hypothèse où la libéralité consentie a été réduite en nature, les plaçant alors en indivision avec les autres cohéritiers. Cette exclusion s’explique par la volonté du législateur de réserver ce dispositif aux successions ab intestat ou aux situations où un bien demeure en indivision entre les successibles.

b. L’exclusion des titulaires d’un droit d’usufruit

Si la reconnaissance du droit des nus-propriétaires à solliciter une attribution préférentielle constitue une avancée significative du droit successoral, il n’en demeure pas moins que les usufruitiers en sont, quant à eux, formellement exclus. Cette exclusion procède de la nature même de l’usufruit, qui ne confère qu’un droit de jouissance temporaire, tandis que l’attribution préférentielle implique un transfert de propriété, incompatible avec les prérogatives limitées de l’usufruitier.

Ainsi, la Cour de cassation a rappelé à plusieurs reprises que l’usufruitier ne peut, en aucun cas, prétendre à une attribution préférentielle (Cass. 1re civ., 27 juin 2000, n° 98-17.177). Une telle demande reviendrait, en effet, à transformer un droit temporaire de jouissance en un droit de propriété définitif, ce que la loi prohibe expressément. L’attribution préférentielle étant une simple modalité du partage, elle ne peut en aucun cas constituer un moyen détourné d’accroître les droits de l’usufruitier au détriment des autres héritiers.

Cette exclusion trouve une justification dans la distinction fondamentale entre l’usufruit et la pleine propriété. L’usufruitier n’a, par définition, ni la maîtrise intégrale du bien, ni la faculté de le disposer librement. Or, le mécanisme de l’attribution préférentielle suppose, au contraire, une appropriation totale et définitive du bien, assortie, le cas échéant, du versement d’une soulte aux coindivisaires. Dans ces conditions, l’usufruitier ne saurait revendiquer une attribution préférentielle, pas même sous la forme d’un usufruit viager sur le bien litigieux.

Avant la réforme du 3 décembre 2001, cette exclusion de l’usufruitier s’est révélée particulièrement préjudiciable au conjoint survivant. En présence de descendants, ce dernier ne recueillait bien souvent que l’usufruit légal du quart de la succession et ne pouvait, en conséquence, obtenir l’attribution préférentielle du logement conjugal indivis (Cass. 1re civ., 10 mai 1966). En raison de l’absence de copropriété en pleine propriété, condition alors strictement exigée, le conjoint survivant usufruitier était privé de toute possibilité de sécuriser son maintien dans le logement.

Face aux difficultés pratiques engendrées par cette rigueur juridique, le législateur est intervenu par la loi du 3 décembre 2001, instaurant un droit viager au logement au profit du conjoint survivant (art. 764 C. civ.). Ce dispositif vise à assurer la protection du logement conjugal en permettant au conjoint survivant d’y demeurer jusqu’à son décès, à condition que ce bien ait constitué sa résidence principale au jour du décès du défunt.

Toutefois, ce droit viager ne saurait être assimilé à une attribution préférentielle. Contrairement à cette dernière, qui conduit à l’acquisition définitive du bien en propriété, le droit viager au logement se borne à conférer au conjoint survivant un droit d’usage et d’habitation, insusceptible de mutation ou de cession. Il s’agit d’une mesure de protection d’ordre public, s’imposant aux héritiers sans qu’aucune contrepartie financière ne leur soit due. De ce fait, si le conjoint survivant peut bénéficier d’une jouissance prolongée du logement conjugal, il demeure exclu du champ de l’attribution préférentielle, dont la vocation est résolument patrimoniale.

Cette distinction est d’autant plus importante que le droit viager au logement s’exerce indépendamment des règles successorales classiques. Il ne suppose pas l’indivision du bien et peut s’appliquer même si les héritiers entendent procéder à un partage immédiat de la succession. En revanche, l’attribution préférentielle reste subordonnée à l’existence d’une indivision successorale, ce qui en limite la portée au cadre du partage.

c. La situation particulière du titulaire d’un droit au bail

Si l’usufruitier demeure exclu du bénéfice de l’attribution préférentielle, le législateur a néanmoins aménagé une protection spécifique en matière de droit au bail, reconnaissant au conjoint survivant un droit préférentiel lui permettant de solliciter l’attribution du droit au bail du logement commun.

Cette avancée a été introduite par la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014, laquelle a inséré l’article 1751-1 du Code civil. Ce texte autorise désormais le conjoint survivant à demander l’attribution du droit au bail du logement conjugal, sous réserve de l’appréciation des intérêts en présence par le juge. Ce dernier devra notamment tenir compte des besoins du conjoint survivant et de ceux des autres héritiers pour statuer sur la demande.

Cette protection constitue une réponse aux difficultés que rencontrait le conjoint survivant en cas de logement pris à bail. Avant cette réforme, la question du devenir du contrat de location en cas de décès du locataire était source d’incertitudes. Si la jurisprudence avait admis que le conjoint survivant pouvait se voir reconnaître un droit exclusif sur le bail en cas de nécessité manifeste, cette solution demeurait incertaine et soumise aux appréciations des juges du fond. L’introduction de l’article 1751-1 du Code civil a donc eu pour effet de sécuriser la situation du conjoint survivant, en lui conférant un véritable droit préférentiel, opposable aux autres héritiers.

Toutefois, il est essentiel de souligner que ce droit préférentiel en matière de bail ne remet pas en cause l’exclusion du conjoint survivant du bénéfice de l’attribution préférentielle en pleine propriété. En effet, ce dispositif ne lui permet pas d’acquérir la propriété du logement, mais simplement d’en préserver la jouissance en cas de décès de son conjoint. Il constitue ainsi une mesure de protection renforcée du logement, sans pour autant emporter les effets patrimoniaux attachés à l’attribution préférentielle.

3. L’existence d’un intérêt légitime à l’attribution préférentielle

L’attribution préférentielle ne saurait être accordée sans la démonstration d’un intérêt légitime du postulant. Cette exigence, qui découle de l’article 831 du Code civil, se justifie par le fait que l’attribution constitue une modalité particulière du partage successoral, dérogeant au principe d’égalité entre coindivisaires. L’intérêt légitime s’apprécie au regard de la nature du bien sollicité et des circonstances propres à chaque demande.

a. L’attribution d’une entreprise agricole, commerciale, artisanale, industrielle ou libérale

L’attribution préférentielle d’une entreprise implique que le demandeur justifie d’une participation effective à son exploitation, conformément aux dispositions de l’article 831, alinéa 1 du Code civil. Cette participation peut être directe (gestion, exploitation active) ou indirecte (collaboration étroite, implication dans la valorisation de l’activité).

Ainsi, la jurisprudence reconnaît qu’un héritier peut prétendre à l’attribution préférentielle s’il a exercé une activité en lien avec l’exploitation concernée, même si cette activité n’était pas continue. Il n’est pas exigé que la participation ait perduré jusqu’à l’ouverture de la succession, il suffit qu’elle ait existé à un moment pertinent et qu’elle soit démontrée de manière tangible.

Par exemple, la Cour de cassation a jugé qu’un enfant ayant participé à l’exploitation d’un fonds de commerce familial, fût-ce de manière ponctuelle, pouvait se voir attribuer préférentiellement le bien, dès lors qu’il démontrait une intention de poursuivre l’activité (Cass. 1ere civ., 2 déc. 2015, n° 14-25.622). Cette souplesse vise à éviter une déstabilisation excessive des entreprises familiales lors du règlement successoral.

En matière agricole, l’attribution préférentielle peut être facilitée lorsque l’héritier exploite déjà le bien en qualité de fermier ou de métayer. Cette situation permet au juge de constater une continuité de l’exploitation et d’accorder l’attribution au regard de l’intérêt économique généralre.

Cependant, une stricte appréciation des critères demeure de mise : une simple intention déclarative de reprendre l’exploitation ne suffit pas, la preuve d’un engagement antérieur ou d’une compétence spécifique est requise.

b. L’attribution du local d’habitation ou professionnel

Lorsqu’elle porte sur un bien immobilier, l’attribution préférentielle repose sur des critères d’occupation effective et de nécessité.

S’agissant des locaux à usage d’habitation, l’article 831-2 du Code civil impose que le demandeur y ait résidé de manière stable avant l’ouverture de la succession et qu’il justifie d’un besoin réel de s’y maintenir. La Cour de cassation a ainsi rappelé que l’attribution ne saurait être accordée à un indivisaire qui ne justifie pas d’une occupation antérieure ou d’un projet de maintien dans le logement familial (Cass. 1re civ., 15 janv. 2014, n° 12-25.322).

Concernant les locaux professionnels, l’exigence porte non sur une occupation antérieure, mais sur l’exercice effectif d’une activité à la date de la demande (art. 831-2, 2° C. civ.). Cette condition vise à éviter qu’un indivisaire ne sollicite l’attribution à des fins spéculatives sans réel projet d’exploitation. Dès lors, un héritier qui exerce déjà une profession libérale dans un immeuble appartenant à l’indivision aura un intérêt légitime à en solliciter l’attribution.

c. L’attribution des éléments mobiliers affectés à l’exploitation

L’attribution préférentielle peut également s’étendre aux biens mobiliers nécessaires à l’exploitation d’un fonds professionnel ou agricole (art. 831-2, 3° C. civ.). Cette extension permet au bénéficiaire de poursuivre l’activité économique dans des conditions optimales.

Là encore, la notion d’intérêt légitime suppose la démonstration d’un usage effectif du matériel concerné. Ainsi, un médecin succédant à une clinique familiale pourra solliciter l’attribution préférentielle du matériel médical s’il entend poursuivre l’exercice de la profession dans les lieux. De même, un exploitant agricole héritant du cheptel de son prédécesseur pourra prétendre à son attribution dès lors qu’il démontre son utilité pour la continuité de l’exploitation.

La jurisprudence a admis que la continuité d’exploitation pouvait être assurée par l’attributaire lui-même ou par un membre de sa famille exerçant l’activité sous sa responsabilité (Cass. 1ere civ., 10 juin 1987, n°85-17.000). En revanche, une attribution préférentielle visant un matériel d’exploitation sans lien avéré avec l’activité du demandeur serait rejetée.

C) Conditions tenant aux volontés exprimées par le défunt et aux choix des copartageants

L’attribution préférentielle, en tant que simple modalité du partage successoral, se trouve naturellement soumise à la volonté du défunt et des copartageants. Loin d’être un droit absolu, elle demeure tributaire des dispositions prises de son vivant par le de cujus et des choix exprimés par les indivisaires lors du partage. Son application obéit ainsi à un double contrôle : d’une part, celui du testateur, dont les dispositions peuvent entraver ou exclure l’attribution préférentielle ; d’autre part, celui des copartageants, qui peuvent en contester la mise en œuvre sous certaines conditions.

1. L’influence de la volonté du défunt

==>La faculté d’exclure l’attribution préférentielle

Le défunt conserve une large latitude pour organiser la transmission de ses biens et, partant, restreindre ou empêcher l’attribution préférentielle. Ce pouvoir découle du principe selon lequel les dispositions testamentaires priment sur les règles supplétives du Code civil. Ainsi, plusieurs mécanismes peuvent être mis en œuvre pour priver les héritiers de la possibilité d’obtenir une attribution préférentielle :

  • L’exclusion par legs ou donation : un bien légué à titre particulier sort du patrimoine successoral et échappe de ce fait à l’attribution préférentielle. La jurisprudence l’a affirmé de manière constante, admettant que l’institution d’un légataire emporte de plein droit l’exclusion de la répartition successorale classique et donc de l’attribution préférentielle (Cass. 1re civ., 8 juill. 1958).
  • Le recours aux libéralités-partages : de même, lorsqu’un bien est attribué dans le cadre d’une donation-partage, il échappe définitivement aux opérations de partage et à toute revendication au titre de l’attribution préférentielle.
  • Les clauses testamentaires excluant le partage en nature : un testateur peut stipuler une disposition imposant un partage en nature ou interdisant une attribution préférentielle sur certains biens spécifiques (Cass. 1re civ., 3 févr. 1959). Une telle clause prime sur la demande d’attribution, sauf fraude manifeste ou contradiction avec des dispositions impératives.

==>Les limites de la volonté du défunt

Si le de cujus dispose d’un pouvoir d’organisation de sa succession, encore faut-il que sa volonté soit formelle et non équivoque. En effet, une simple disposition ambiguë ne saurait suffire à écarter le droit d’attribution préférentielle. La jurisprudence a ainsi précisé que l’exclusion de ce mécanisme ne peut résulter que d’une stipulation expresse, par exemple une clause testamentaire affirmant clairement la volonté d’un partage en nature ou d’une répartition spécifique du patrimoine (Cass. 1re civ., 30 oct. 1962).

Par ailleurs, la réduction des libéralités pour atteinte à la réserve ne réintroduit pas l’attribution préférentielle. En effet, lorsque le legs est réductible en valeur mais non en nature, le bien concerné ne revient pas dans la masse successorale et ne peut donc faire l’objet d’une attribution préférentielle.

2. L’influence de la volonté des copartageants

==>La nécessité d’une demande expresse

L’attribution préférentielle ne joue qu’à la condition d’être demandée. Elle ne peut être présumée ni imposée d’office par le juge. Cette demande peut être introduite dès l’ouverture de la succession et jusqu’à la clôture des opérations de partage, sauf prescription ou chose jugée (Cass. 1re civ., 19 déc. 1977).

L’absence de demande ou une renonciation, même tacite mais certaine, empêche son octroi (Cass. civ., 14 janv. 1947).

Un héritier peut donc renoncer volontairement à l’attribution préférentielle, que ce soit dans le cadre d’un accord amiable ou par un comportement implicite mais sans équivoque.

==>Les demandes concurrentes et leur règlement

Lorsque plusieurs copartageants remplissent les conditions pour obtenir l’attribution préférentielle d’un même bien, deux issues sont envisageables :

  • Une demande conjointe : les héritiers peuvent solliciter une attribution indivise, ce qui permet de répartir entre eux la charge éventuelle d’une soulte et d’assurer la conservation du bien dans le cadre familial?
  • Des demandes exclusives concurrentes : en cas de conflit entre plusieurs prétendants, il appartient au juge d’arbitrer en tenant compte des intérêts en présence et de l’aptitude de chaque postulant à assumer la charge de l’attribution. La jurisprudence impose notamment au juge d’apprécier la durée et l’intensité de l’implication du demandeur dans l’exploitation du bien convoité?

==>L’opposition des autres copartageants

Les autres copartageants peuvent-ils s’opposer à une demande d’attribution préférentielle qu’ils jugeraient préjudiciable à leurs intérêts ? La réponse dépend du caractère facultatif ou impératif de l’attribution :

  • Attribution préférentielle facultative : les autres copartageants peuvent faire valoir leurs propres intérêts pour s’y opposer. Toutefois, leur opposition ne constitue pas un veto absolu : le juge statue en fonction des circonstances et des éléments de fond, comme l’utilité du bien pour le demandeur et sa capacité à honorer une éventuelle soulte.
  • Attribution préférentielle de droit : lorsque la loi confère un droit automatique à l’attribution (comme dans le cas d’une petite exploitation agricole ou d’un local d’habitation principal), les coindivisaires ne peuvent s’y opposer que dans des circonstances très exceptionnelles, notamment en cas d’insolvabilité manifeste du demandeur (Cass. 1re civ., 17 mars 1987).

L’attribution préférentielle: domaine

L’attribution préférentielle constitue une modalité essentielle du partage, permettant à certains coïndivisaires d’obtenir, sous conditions, l’allocation en pleine propriété d’un bien indivis moyennant indemnisation, le cas échéant, des autres indivisaires. Toutefois, si elle apparaît à première vue comme un simple aménagement du partage, son application n’est nullement automatique. La nature du bien, la qualité du demandeur et surtout l’origine de l’indivision déterminent le champ d’application de cette institution, qui se voit tantôt consacrée, tantôt restreinte par la jurisprudence. L’objet de la présente analyse est donc d’en cerner les contours, en examinant les conditions de sa mise en œuvre ainsi que les évolutions récentes en la matière.

A) Principe

1. Préexistence d’une indivision

L’attribution préférentielle ne saurait être sollicitée en dehors d’un état d’indivision. Elle suppose, en effet, que le bien en cause soit indivis et susceptible d’être partagé. En ce sens, elle ne peut être exercée lorsque la pleine propriété d’un bien se reconstitue naturellement sur la tête d’un indivisaire, notamment par l’extinction d’un usufruit (Cass. 1ère civ., 4 janv. 1973, n°71-13.859).

De même, elle se distingue de la faculté de prélèvement prévue à l’article 1077-1 du Code civil, qui écarte toute indivision en permettant à un héritier de prélever certains biens avant leur mise en partage. Il s’agit là d’un mécanisme autonome visant à favoriser la conservation de certains biens au profit d’un héritier sans passer par les contraintes de l’indivision et du partage.

Toutefois, la question se pose de savoir si l’attribution préférentielle peut être invoquée dans toute indivision ou si elle se limite aux seuls cas expressément prévus par la loi.

Traditionnellement, la jurisprudence a limité le bénéfice de l’attribution préférentielle aux cas où elle est expressément prévue par la loi, à savoir :

  • Les indivisions successorales (articles 831 et suivants du Code civil),
  • Les indivisions post-communautaires, nées de la dissolution d’un régime matrimonial,
  • Les indivisions résultant d’une séparation de biens entre époux ou partenaires pacsés.

Cette approche s’explique par le fait que l’attribution préférentielle constitue une dérogation au principe du partage égalitaire. Elle ne saurait donc être élargie au-delà des cadres définis par le législateur sans risquer de porter atteinte aux droits des autres indivisaires. La Cour de cassation, soucieuse de préserver la sécurité juridique, a ainsi longtemps enfermé son champ d’application dans ces hypothèses précises.

Néanmoins, ces dernières années, la jurisprudence semble avoir amorcé un mouvement d’assouplissement. Si le cadre législatif demeure inchangé, certaines décisions tendent à admettre que l’attribution préférentielle puisse être envisagée au-delà des seules hypothèses expressément prévues par le Code civil, dès lors que les circonstances particulières de l’indivision le justifient.

Ainsi, sans remettre en cause son fondement légal, les juges du fond ont parfois reconnu l’opportunité d’accorder une attribution préférentielle dans des situations où celle-ci permettrait de préserver une cohérence patrimoniale ou de maintenir l’affectation d’un bien à un usage spécifique. L’idée sous-jacente à cette évolution est de ne pas sacrifier des impératifs d’équilibre économique ou familial sur l’autel d’une lecture trop rigide du droit positif.

Cette ouverture progressive pose la question de l’avenir de l’attribution préférentielle. Si la tendance jurisprudentielle actuelle suggère une prise en compte plus pragmatique des situations d’indivision, il reste à savoir si cette évolution sera sanctionnée ou pérennisée par la Cour de cassation.

L’extension de l’attribution préférentielle à des indivisions hors du cadre légal strict pourrait trouver un fondement dans une volonté d’adaptation aux réalités patrimoniales modernes. Toutefois, cette souplesse nouvelle ne saurait se faire au détriment des autres indivisaires, ce qui incite la jurisprudence à maintenir un contrôle rigoureux sur les conditions de son octroi.

2. Les indivisions admises

L’application de l’attribution préférentielle ne dépend pas uniquement de l’existence d’un état d’indivision ; encore faut-il que cette indivision entre dans le champ des hypothèses admises par la loi et la jurisprudence. L’origine même de l’indivision constitue ainsi un critère déterminant, certaines d’entre elles ouvrant droit à cette faculté tandis que d’autres en sont exclues.

a. L’indivision successorale

L’indivision successorale constitue le cadre naturel de l’attribution préférentielle, institution dont la genèse remonte à la loi du 17 mars 1938, qui visait à préserver l’intégrité des exploitations agricoles en les soustrayant aux effets souvent destructeurs du partage successoral, qu’il prenne la forme du tirage au sort, du partage en nature ou de la licitation. Ce mécanisme, bien qu’ayant évolué au fil du temps, demeure profondément ancré dans le droit des successions et trouve aujourd’hui application dans toute indivision successorale, sous réserve que le demandeur remplisse les conditions posées par les articles 831 à 834 du Code civil.

Si l’attribution préférentielle permet d’assurer la transmission cohérente et fonctionnelle des biens indivis, elle n’en demeure pas moins un droit subsidiaire : elle ne s’impose jamais à la volonté du défunt, qui peut en restreindre l’exercice ou l’écarter totalement par disposition expresse.

Ainsi, le de cujus est-il libre, de son vivant, de régler la destination posthume de ses biens et prévoir un partage spécifique qui ne laisse place à aucune attribution préférentielle. L’exclusion peut résulter notamment :

  • D’un testament prescrivant un partage en nature, privant ainsi les héritiers de la faculté de revendiquer une attribution préférentielle (Cass. 1ère civ., 3 févr. 1959) ;
  • D’un legs particulier ou universel, qui soustrait le bien concerné au champ du partage successoral (Cass. req., 28 juill. 1947) ;
  • D’une donation-partage, par laquelle le défunt attribue ses biens de son vivant, ce qui leur fait perdre leur qualité de biens indivis (Cass. 1ère civ., 8 juill. 1958) ;
  • D’une stipulation contenue dans un contrat de mariage, permettant au conjoint survivant d’acquérir ou de conserver certains biens en cas de décès (Cass. 1ère civ., 14 févr. 1967).

Dans ces différentes hypothèses, le bien sort du périmètre de l’indivision successorale, et le jeu des articles 831 et suivants du Code civil est mécaniquement écarté.

Toutefois, l’exclusion de l’attribution préférentielle ne se produit pas dans tous les cas où le défunt a disposé de son bien. Une distinction s’impose entre la transmission privative et la transmission indivise.

Lorsque le défunt a conféré un droit privatif sur un bien à l’un de ses héritiers (ex. : legs particulier sur un immeuble), le bien est exclu de l’indivision et l’attribution préférentielle devient impossible (Cass. 1ère civ., 10 juill. 1968)

À l’inverse, lorsque le défunt a attribué des droits indivis par le biais d’un legs universel ou à titre universel, l’indivision est maintenue, ce qui laisse subsister le droit à l’attribution préférentielle pour l’un des co-indivisaires (Cass. 1ère civ., 30 oct. 1962).

La jurisprudence a ainsi précisé que les dispositions universelles ne privent pas les héritiers de leur faculté de demander l’attribution préférentielle, sauf si elles aboutissent à un démembrement intégral du patrimoine.

L’articulation entre les droits successoraux et la liberté du de cujus a connu d’importantes mutations, notamment sous l’effet de la loi du 23 juin 2006 qui a réformé le droit des successions.

Désormais, toutes les dispositions à titre gratuit, qu’elles soient entre vifs ou à cause de mort, sont réductibles en valeur (art. 924 C. civ.), ce qui signifie qu’un bien transmis ne revient pas dans la masse à partager, mais fait simplement l’objet d’une compensation financière. Cette règle confère au de cujus une importante liberté quant à organiser une répartition successorale excluant de facto l’attribution préférentielle.

Toutefois, la jurisprudence a admis qu’une exclusion directe de l’attribution préférentielle par une clause testamentaire ne serait pas systématiquement valide si elle se heurte à des principes fondamentaux du droit successoral, tels que les droits des héritiers réservataires (Cass. 1ère civ., 5 nov. 1996, n°94-15.886).

Les développements jurisprudentiels récents tendent vers un équilibre entre deux logiques :

  • D’un côté, le respect de la volonté du défunt, qui peut organiser la transmission de son patrimoine et limiter l’application de l’attribution préférentielle ;
  • De l’autre, la nécessité de préserver certains équilibres successoraux, notamment lorsque l’indivision concerne des biens à forte valeur d’usage familial ou professionnel.

En définitive, la faculté d’exclure l’attribution préférentielle s’inscrit dans une approche pragmatique du partage successoral : elle est admise tant qu’elle repose sur une disposition claire et non équivoque, mais ne saurait être opposée aux héritiers réservataires lorsque ceux-ci en demandent le bénéfice pour assurer la pérennité d’un bien familial.

b. L’indivision post-communautaire

L’attribution préférentielle trouve également à s’exercer dans le cadre de l’indivision post-communautaire, c’est-à-dire celle qui survient après la dissolution du régime matrimonial. Toutefois, son application varie selon la cause de dissolution de la communauté conjugale.

  • En cas de dissolution par décès, l’attribution préférentielle est un droit pleinement reconnu, permettant au conjoint survivant de se voir attribuer certains biens communs. Cette faculté favorise la stabilité du cadre de vie du survivant et facilite la transition successorale.
  • En cas de dissolution par divorce ou séparation de corps, l’attribution préférentielle n’est plus un droit automatique, mais une simple faculté laissée à l’appréciation souveraine du juge. En pratique, les tribunaux ont tendance à privilégier le conjoint ayant la garde des enfants, notamment lorsqu’il sollicite l’attribution du logement familial.

==>L’application de l’attribution préférentielle en cas de décès

Lorsque la communauté conjugale est dissoute par le décès de l’un des époux, la question du partage des biens communs se pose inévitablement. Dans ce contexte, l’attribution préférentielle constitue un mécanisme de protection essentiel pour le conjoint survivant, lui permettant de conserver certains biens ayant une importance patrimoniale et affective particulière.

L’article 1476 du Code civil prévoit expressément que les règles gouvernant le partage des successions s’appliquent au partage de la communauté conjugale, consacrant ainsi une assimilation entre l’indivision successorale et l’indivision post-communautaire. Cette disposition permet au conjoint survivant de prétendre à l’attribution préférentielle de certains biens communs, au même titre qu’un héritier indivisaire peut solliciter l’attribution préférentielle d’un bien relevant de la masse successorale.

Parmi les biens susceptibles d’être attribués préférentiellement, le logement familial occupe une place centrale. Il ne s’agit pas seulement d’un actif patrimonial, mais bien d’un élément structurant du cadre de vie du conjoint survivant, souvent empreint d’une forte dimension symbolique et affective.

Dès le milieu du XXe siècle, la jurisprudence a admis de manière constante que le conjoint survivant pouvait se voir attribuer la résidence principale du couple, facilitant ainsi son maintien dans un environnement familier et préservant son équilibre matériel et psychologique (Cass. 1ère civ.., 2 janv. 1952).

Cette solution se justifie à plusieurs titres :

  • Elle protège le conjoint survivant d’une mise en indivision prolongée avec d’autres héritiers, évitant ainsi d’éventuels conflits successoraux.
  • Elle préserve son droit au logement, particulièrement crucial lorsque le conjoint survivant est âgé ou dispose de revenus limités, ne lui permettant pas de se reloger aisément.
  • Elle favorise la stabilité familiale, notamment lorsque des enfants sont encore à charge, en évitant un bouleversement brutal des conditions de vie.

En pratique, les juridictions accordent une attention particulière à la situation du conjoint survivant et font généralement droit à la demande d’attribution préférentielle lorsque celui-ci résidait dans le logement familial avant le décès et que la conservation du bien présente un intérêt manifeste.

Si le logement familial constitue le bien le plus fréquemment concerné par l’attribution préférentielle, d’autres biens communs peuvent également en faire l’objet, sous réserve qu’ils remplissent des critères de nécessité et d’usage personnel pour le conjoint survivant.

Ainsi, la jurisprudence a progressivement admis que l’attribution préférentielle pouvait également porter sur :

  • Le mobilier meublant le logement familial, garantissant au conjoint survivant la jouissance effective du bien attribué sans avoir à racheter séparément les éléments qui le composent.
  • Les exploitations agricoles ou les fonds artisanaux lorsqu’ils constituaient l’activité principale du conjoint survivant, évitant ainsi une désorganisation brutale de son outil de travail.
  • Certains véhicules, notamment lorsque ceux-ci sont nécessaires à l’exercice d’une activité professionnelle ou au maintien de l’autonomie du conjoint survivant.

Dans chaque cas, les juges apprécient souverainement l’opportunité de l’attribution, en tenant compte de l’intérêt du conjoint survivant, mais également des droits des autres héritiers, notamment en matière de répartition de l’actif successoral.

Si l’attribution préférentielle offre au conjoint survivant un levier de protection efficace, elle n’a toutefois rien d’automatique. Le de cujus conserve la faculté d’écarter cette possibilité, en disposant de ses biens par donation, legs ou stipulation testamentaire.

Ainsi, plusieurs hypothèses peuvent priver le conjoint survivant du bénéfice de l’attribution préférentielle :

  • Le défunt peut avoir expressément prévu une répartition différente de son patrimoine, notamment en léguant le logement familial à un autre héritier.
  • Une clause testamentaire peut imposer un partage en nature, excluant de facto toute possibilité d’attribution préférentielle.
  • La donation-partage consentie du vivant du défunt peut avoir sorti le bien convoité de la masse partageable, rendant impossible son attribution au conjoint survivant.

Toutefois, même dans ces situations, la réduction des libéralités excessives prévue par l’article 924 du Code civil peut permettre de réintégrer certains biens dans la masse successorale et de préserver, dans une certaine mesure, les droits du conjoint survivant.

==>L’application de l’attribution préférentielle en cas de divorce ou de séparation de corps

Lorsque la communauté conjugale est dissoute du vivant des époux, que ce soit par divorce ou par séparation de corps, la question du sort des biens communs se pose avec acuité. Si l’attribution préférentielle s’est imposée sans difficulté dans le cadre du partage successoral, son application aux partages consécutifs à la dissolution du mariage a suscité, en revanche, de vives hésitations doctrinales et jurisprudentielles avant d’être pleinement consacrée par la loi.

À l’origine, la doctrine et la jurisprudence se montraient réticentes à admettre que l’attribution préférentielle puisse trouver à s’exercer dans les partages de communauté dissoute du vivant des époux. Cette hésitation procédait d’une double interrogation :

  • L’attribution préférentielle n’a-t-elle pas été conçue comme un mécanisme propre au droit des successions, justifiant sa limitation au seul cadre des indivisions successorales ?
  • Peut-on raisonnablement transposer ce mécanisme à la dissolution du mariage, alors même que le principe du partage égalitaire des biens communs prévaut dans cette hypothèse ?

Un premier revirement jurisprudentiel est intervenu avec un arrêt du 2 novembre 1954, où la Cour de cassation a affirmé que les règles de l’attribution préférentielle s’appliquaient à tout partage de communauté, quelle que soit la cause de sa dissolution (Cass. 1ère civ. 2 nov. 1954). Cette solution a été accueillie favorablement et a trouvé une consécration législative quelques années plus tard.

Ainsi, la loi du 19 décembre 1961 a esquissé une reconnaissance légale de l’attribution préférentielle dans le cadre des partages post-communautaires. Puis, la loi du 13 juillet 1965, réformant les régimes matrimoniaux, a levé toute ambiguïté en insérant dans l’article 1476 du Code civil une référence générale aux règles successorales en matière d’attribution préférentielle. Dès lors, le principe était acquis : l’attribution préférentielle pouvait être sollicitée dans le cadre d’un divorce ou d’une séparation de corps, sous réserve du respect des conditions légales.

Si l’attribution préférentielle est désormais admise en principe dans le cadre des partages post-communautaires, elle ne revêt cependant aucun caractère automatique. L’alinéa 2 de l’article 1476 du Code civil précise expressément que « l’attribution préférentielle n’est jamais de droit » en cas de divorce, séparation de corps ou séparation de biens, et que le juge peut toujours décider que la totalité de la soulte sera payable comptant.

Cette rédaction confère aux juridictions un pouvoir souverain d’appréciation, leur permettant d’examiner au cas par cas l’opportunité d’une attribution préférentielle. Ainsi, contrairement à l’hypothèse du décès où l’attribution préférentielle du logement familial au conjoint survivant est souvent favorisée, le juge du divorce ou de la séparation de corps dispose d’une latitude bien plus large pour accorder ou refuser cette mesure.

En pratique, les décisions des tribunaux ont progressivement dessiné les contours d’une politique judiciaire plus favorable à certaines catégories de justiciables, notamment lorsque l’attribution préférentielle concernait le logement familial.

L’un des critères essentiels retenus par les juges dans l’octroi de l’attribution préférentielle réside dans la présence d’enfants au foyer.

Dès les premières décisions de jurisprudence, une tendance s’est dégagée en faveur du conjoint ayant la garde des enfants, particulièrement lorsqu’il sollicite l’attribution du domicile conjugal.

Ainsi, un arrêt du 5 juin 1991 a rappelé avec force que l’attribution préférentielle dans le cadre d’un divorce relevait exclusivement de l’appréciation des juges du fond (Cass. 2e civ., 5 juin 1991, n°90-14.109). Cette solution a été confirmée par de nombreuses juridictions, qui ont systématiquement privilégié le conjoint divorcé non fautif, et plus encore celui qui avait la charge des enfants, en lui accordant l’attribution du logement familial (CA Paris, 4 févr. 1965).

Cette orientation protectrice repose sur une double considération :

  • Le maintien d’un cadre de vie stable pour les enfants, afin de limiter les effets déstabilisants de la séparation parentale.
  • L’impératif social de préservation du logement familial, qui constitue bien souvent le seul bien de valeur pour le conjoint économiquement le plus vulnérable.

Ainsi, bien que l’attribution préférentielle ne soit jamais de droit, les juges l’accordent fréquemment en présence d’enfants mineurs et que la conservation du logement familial apparaît comme un facteur de stabilité essentiel.

==>Cas particulier du droit au bail du logement conjugal

L’attribution préférentielle, telle que consacrée par l’article 831 et suivants du Code civil, vise principalement la transmission en pleine propriété d’un bien indivis. Toutefois, une hypothèse singulière se présente lorsque la demande d’attribution ne porte pas sur la propriété du logement conjugal, mais sur le droit au bail y afférent.

Dans ce cas, un régime spécifique s’applique, régi non plus par les règles de l’indivision successorale ou post-communautaire, mais par l’article 1751 du Code civil. Ce texte consacre un principe de portée générale : le droit au bail portant sur le logement conjugal est réputé appartenir aux deux époux, quel que soit leur régime matrimonial.

Contrairement à la propriété d’un bien immobilier, dont l’attribution repose sur l’origine du financement et les modalités d’acquisition, le droit au bail du logement conjugal obéit à un régime spécifique qui fait abstraction de ces considérations. Peu importe lequel des époux a signé le contrat de location ou assumé le paiement des loyers : dès lors qu’il s’agit du logement familial, la loi présume que le bail appartient conjointement aux deux conjoints.

Ce mécanisme vise à garantir l’égalité des époux dans la jouissance du domicile conjugal, en empêchant que l’un d’eux puisse évincer l’autre en invoquant une titularité exclusive du bail. Il confère donc une protection essentielle, notamment pour le conjoint économiquement dépendant ou pour celui qui n’aurait pas de titre de location à son nom.

Lorsque le couple se sépare, la question du sort du droit au bail se pose avec acuité. Le maintien dans les lieux de l’un des conjoints suppose une réattribution du bail, laquelle doit prendre en considération des critères sociaux et familiaux.

L’article 1751, alinéa 2 du Code civil prévoit ainsi une procédure spécifique permettant au juge de statuer sur l’attribution du droit au bail à l’un des époux. Cette décision repose sur une appréciation souveraine des intérêts en présence, en tenant compte des circonstances particulières du divorce ou de la séparation de corps.

Le juge devra notamment considérer :

  • La situation familiale, notamment la présence d’enfants, qui constitue un critère déterminant pour privilégier le maintien du conjoint ayant leur garde dans le logement.
  • Les considérations sociales et économiques, en favorisant l’époux dont la situation financière ne permettrait pas de retrouver aisément un autre logement.
  • Les circonstances de la séparation, en veillant à éviter une attribution abusive qui désavantagerait injustement l’un des conjoints.

Cette approche pragmatique permet d’assurer une transition équitable entre la vie conjugale et la séparation, en préservant autant que possible la stabilité du cadre de vie familial.

Si le droit au bail du logement conjugal peut faire l’objet d’une attribution judiciaire, il ne relève pas du régime général de l’attribution préférentielle prévu par l’article 831-2, 1° du Code civil.

Les principales différences entre les deux dispositifs sont les suivantes :

Critères Attribution préférentielle classique (art. 831-2, 1° C. civ.) Attribution judiciaire du droit au bail (art. 1751, al. 2 C. civ.)
Objet de l’attribution Transmission en pleine propriété d’un bien immobilier indivis Transfert de la titularité du bail sans acquisition de la propriété
Cadre juridique Partage successoral ou post-communautaire Divorce ou séparation de corps
Droit applicable Articles 831 et suivants du Code civil Article 1751 du Code civil
Critères d’attribution Priorité aux héritiers ou époux remplissant les conditions légales Appréciation souveraine du juge en fonction des intérêts familiaux et sociaux
Effet juridique Le bénéficiaire devient propriétaire du bien Le bénéficiaire devient seul titulaire du bail mais n’acquiert pas la propriété

Bien que l’attribution du droit au bail présente des similarités avec l’attribution préférentielle, ses effets sont plus limités, dans la mesure où :

  • Elle ne confère aucun droit de propriété sur le logement, mais seulement le droit d’en être le locataire exclusif.
  • Elle est soumise aux termes du contrat de bail, ce qui implique que le bénéficiaire doit respecter les obligations locatives et ne bénéficie d’aucune garantie de renouvellement automatique.
  • Elle ne peut être invoquée à titre absolu, le juge pouvant refuser l’attribution s’il estime qu’elle ne se justifie pas au regard des circonstances du divorce.

==>La prise d’effet de l’attribution préférentielle dans le cadre de l’indivision post-communautaire

La question du moment auquel doivent être réunies les conditions d’octroi de l’attribution préférentielle dans le cadre d’une indivision post-communautaire a longtemps suscité des incertitudes, notamment en cas de divorce ou de séparation de corps. Si la jurisprudence avait, dans un premier temps, posé le principe d’une prise d’effet rétroactive à la date de la demande en divorce, la réforme de 2019 est venue clarifier et aménager ce régime.

Jusqu’à la réforme du 23 juin 2006, le principe de rétroactivité de la dissolution du régime matrimonial était consacré par l’ancien article 262 du Code civil, qui disposait que les effets du divorce sur le régime matrimonial remontaient au jour de la demande en divorce (ou de la demande en séparation de corps).

Cette disposition avait une conséquence directe sur l’attribution préférentielle :

  • Le moment déterminant pour apprécier si les conditions de l’attribution préférentielle étaient réunies était fixé à la date de la demande en divorce.
  • Ainsi, un époux souhaitant obtenir l’attribution d’un bien commun devait démontrer qu’il remplissait les critères dès le dépôt de la requête en divorce, et non au moment du prononcé du divorce définitif.
  • La jurisprudence en a déduit que l’indivision post-communautaire naissait rétroactivement à cette date, figeant ainsi la composition du patrimoine commun et les droits des parties (Cass. 1ère civ., 21 mai 1969).

Toutefois, ce système présentait des inconvénients majeurs. Il figeait artificiellement la situation patrimoniale des époux à une date parfois très antérieure au jugement de divorce, ce qui pouvait être source d’injustices, notamment en cas de longue procédure ou d’évolution significative de la situation des époux entre-temps.

La loi du 23 juin 2006 a profondément modifié la prise d’effet du divorce sur le régime matrimonial en introduisant une nouvelle règle dans l’article 262-1 du Code civil. Désormais, le divorce prenait effet à la date de l’ordonnance de non-conciliation (ONC), et non plus à la date de la demande en divorce.

Cette réforme a marqué une rupture importante avec le régime antérieur :

  • L’indivision post-communautaire ne prenait naissance qu’à compter de l’ordonnance de non-conciliation, soit un stade avancé de la procédure où le juge statuait sur des mesures provisoires.
  • Dès lors, les conditions d’attribution préférentielle devaient être réunies à la date de l’ONC, et non plus à la date de la demande en divorce.
  • Cette solution se justifiait par le fait que l’ONC marquait le premier contrôle judiciaire de la séparation des époux, rendant plus cohérent le choix de cette date pour fonder les droits des parties sur les biens communs.

Néanmoins, cette réforme n’a pas totalement figé la prise d’effet du divorce sur le régime matrimonial. L’article 262-1 du Code civil instaurait une exception permettant aux époux de solliciter du juge la fixation d’une date distincte, en considération des circonstances propres à leur situation. Cette faculté, largement mobilisée dans les divorces contentieux, offrait une souplesse bienvenue, notamment lorsque l’un des conjoints parvenait à démontrer qu’un décalage de la date de dissolution du régime matrimonial garantirait une répartition plus équitable du patrimoine commun.

La réforme du divorce du 23 mars 2019, entrée en vigueur le 1er janvier 2021, a de nouveau modifié le régime applicable à la prise d’effet du divorce sur les biens des époux. Elle a supprimé l’ordonnance de non-conciliation et a rétabli le principe selon lequel la dissolution du régime matrimonial intervient à la date de la demande en divorce (assignation ou requête conjointe).

L’article 262-1 du Code civil, dans sa version actuelle, prévoit que la dissolution du régime matrimonial prend effet à la date de l’assignation en divorce, sauf disposition contraire adoptée par les époux ou décision du juge.

L’indivision post-communautaire est donc figée à cette date, et les conditions de l’attribution préférentielle doivent être remplies à ce moment-là.

Toutefois, les époux conservent la possibilité de convenir d’une date différente, en vertu de l’article 265-2 du Code civil.

Le juge peut également fixer une autre date si des circonstances exceptionnelles le justifient, notamment en cas de rupture de la vie commune bien avant l’introduction de la procédure.

Cette réforme vise à simplifier et sécuriser la prise d’effet du divorce sur les biens des époux. En supprimant l’ONC et en rétablissant un critère fixe pour l’indivision post-communautaire, elle permet d’éviter les incertitudes qui existaient auparavant et de donner une plus grande prévisibilité aux époux souhaitant organiser le partage de leurs biens.

L’évolution du régime encadrant la prise d’effet du divorce a profondément influencé les conditions d’exercice de l’attribution préférentielle, témoignant d’une oscillation entre rigidité et souplesse au fil des réformes :

  • Avant 2006, les conditions d’attribution préférentielle devaient être réunies dès la date de la demande en divorce. Cette approche, bien que simple dans son application, s’avérait souvent inadaptée aux fluctuations de la situation patrimoniale des époux au cours de la procédure.
  • Entre 2006 et 2019, l’instauration d’un critère fondé sur l’ordonnance de non-conciliation a permis de reporter l’appréciation des conditions d’attribution préférentielle à un stade plus avancé de la procédure. Ce mécanisme offrait ainsi une certaine souplesse, en tenant compte de l’évolution de la situation patrimoniale des époux après l’introduction de la demande en divorce. Toutefois, cette approche s’accompagnait d’un inconvénient majeur : l’incertitude résultant des délais parfois longs séparant la requête initiale de cette ordonnance, rendant la prévisibilité des droits patrimoniaux plus complexe.
  • Depuis 2019, la réforme a marqué un retour à une date unique, celle de la demande en divorce. Cette solution, plus lisible, garantit une meilleure prévisibilité aux parties. Toutefois, elle n’exclut pas toute modulation, les époux conservant la faculté de convenir d’une date différente par convention, ou de solliciter du juge une adaptation en fonction des circonstances particulières du litige.

Dans ce contexte, la question de l’attribution préférentielle doit être envisagée dès l’engagement de la procédure de divorce. L’époux demandeur doit s’assurer qu’il satisfait aux conditions légales dès l’assignation, faute de quoi sa demande risque d’être rejetée, en raison de l’absence de fondement juridique à la date de référence retenue pour l’ouverture de l’indivision post-communautaire.

c. L’indivision post-sociétaire

L’attribution préférentielle, bien ancrée dans le droit des successions et des régimes matrimoniaux, trouve également à jouer dans le cadre du partage des sociétés dissoutes. Toutefois, son application soulève des interrogations en raison de la nature particulière de l’indivision post-sociétaire. Dès lors que l’actif social subsiste après extinction du passif, les associés deviennent indivisaires sur ces biens et peuvent prétendre à leur attribution sous certaines conditions.

i. Reconnaissance

Avant son encadrement législatif, l’attribution préférentielle appliquée aux sociétés en liquidation suscitait de vives incertitudes. En effet, si l’ancien article 1872 du Code civil prévoyait que les règles du partage successoral s’appliquaient aux sociétés en liquidation, il demeurait silencieux quant à la possibilité d’étendre l’attribution préférentielle aux parts sociales ou aux actions. Or, ce mécanisme, conçu à l’origine pour préserver l’unité économique des exploitations agricoles et des entreprises individuelles, se heurtait à la spécificité des sociétés, entités juridiquement distinctes de leurs associés.

Dans cette incertitude, la Cour de cassation a progressivement admis la possibilité de transposer l’attribution préférentielle aux sociétés en liquidation. Un arrêt du 4 novembre 1983 en fournit une illustration: elle y reconnaît qu’un associé peut prétendre à l’attribution préférentielle des droits sociaux dans le cadre du partage d’une société constituée entre concubins. La Haute juridiction considère alors que l’expression « conjoint survivant ou tout héritier », utilisée dans l’ancien article 832 du Code civil, pouvait être interprétée de manière extensive afin d’inclure les associés partageant un intérêt patrimonial commun (Cass. 1ère civ., 4 nov. 1983, n°82-12.450). Cette lecture audacieuse visait à éviter le morcellement des parts sociales et à préserver la continuité de l’exploitation économique, mais elle restait fragile, faute de fondement textuel explicite.

L’intervention du législateur a finalement permis de dissiper ces incertitudes. La loi du 4 janvier 1978 a consacré à l’article 1844-9 du Code civil un principe général de transposition des règles successorales aux partages entre associés, en affirmant que « les règles concernant le partage des successions, y compris l’attribution préférentielle, s’appliquent aux partages entre associés ». Cette reconnaissance législative a mis un terme aux hésitations doctrinales et jurisprudentielles en érigeant l’attribution préférentielle en droit commun du partage de l’indivision post-sociétaire.

Ce dispositif a été consolidé par la loi du 20 juillet 1982, qui a expressément étendu l’attribution préférentielle aux droits sociaux des exploitations agricoles et des entreprises à caractère familial. Cette évolution traduit la volonté du législateur d’assurer la continuité des structures économiques, en permettant à un associé d’hériter des droits sociaux nécessaires à la poursuite de l’activité.

Désormais, un associé peut solliciter l’attribution préférentielle lors du partage de l’actif subsistant d’une société, sous réserve des aménagements éventuellement prévus dans les statuts ou dans un pacte d’associés. Toutefois, si cette faculté constitue une avancée majeure en matière de transmission d’entreprise, elle demeure encadrée par le droit des sociétés, notamment par les clauses d’agrément ou de continuation qui peuvent restreindre sa mise en œuvre.

ii. Domaine d’application

L’attribution préférentielle peut s’exercer dans deux hypothèses bien distinctes : avant la dissolution de la société, lorsqu’il s’agit d’obtenir les droits sociaux d’un associé décédé ou sortant, et après sa dissolution, lorsque le partage de l’actif social subsistant est engagé.

==>L’attribution préférentielle avant la dissolution de la société

Tant que la société est en activité, le mécanisme d’attribution préférentielle peut s’appliquer aux parts ou actions détenues par un associé défunt ou sortant. Depuis la loi du 23 juin 2006, l’article 832 du Code civil utilise le terme « droits sociaux » au lieu de « parts sociales », afin d’inclure toutes les formes de sociétés, qu’elles soient commerciales, artisanales, agricoles ou libérales.

Ce mécanisme permet d’éviter l’entrée d’un tiers dans la société ou la vente de participations à des personnes extérieures. Il constitue une modalité privilégiée de maintien de l’unité économique de l’entreprise en assurant sa transmission entre associés légitimes.

==>L’attribution préférentielle après la dissolution de la société

Une fois la société dissoute, l’attribution préférentielle peut porter sur les biens en nature figurant dans l’actif subsistant. En application de l’article 1844-9 du Code civil, cette possibilité est néanmoins subordonnée à trois conditions:

  • L’extinction du passif social : le partage ne peut intervenir qu’après désintéressement des créanciers sociaux.
  • Le maintien en nature du bien convoité : l’attribution préférentielle ne peut jouer que sur des biens qui se retrouvent dans la masse à partager.
  • L’absence de clause contraire : les statuts ou une décision des associés peuvent aménager la répartition de l’actif et restreindre l’application du droit commun.

À noter que l’article 1844-9 du Code civil prévoit un ordre de priorité : l’associé qui retrouve son apport en nature bénéficie d’un droit d’attribution avant toute autre demande d’attribution préférentielle. Cette faculté, qui s’exerce moyennant le paiement d’une éventuelle soulte, prime sur les autres demandes émanant des coassociés.

iii. Conditions

Si la loi reconnaît désormais le principe de l’attribution préférentielle post-sociétaire, la jurisprudence demeure prudente quant aux conditions exigées du demandeur. 

Deux courants s’opposent:

  • Une interprétation restrictive voudrait que seules les personnes remplissant les conditions posées par l’article 831 du Code civil puissent se prévaloir de ce droit, c’est-à-dire les héritiers ou le conjoint survivant d’un associé défunt. Cette lecture limiterait considérablement la portée de l’article 1844-9 et exclurait toute application en dehors des hypothèses successorales.
  • Une interprétation extensive, plus conforme à l’esprit du texte, considère que l’attribution préférentielle est un simple mécanisme de partage et non un droit exclusivement successoral. Elle repose sur la seule qualité de copropriétaire de l’actif social, et non sur la vocation successorale du demandeur. En ce sens, un associé souhaitant obtenir l’attribution préférentielle d’un bien figurant dans l’actif social indivis pourrait le solliciter, qu’il soit héritier ou non.

La jurisprudence récente semble s’orienter vers cette seconde approche. Dans un arrêt du 30 mai 2006, la Cour de cassation a appliqué l’article 1844-9 à une indivision issue de la liquidation d’une société entre concubins, admettant ainsi que la seule qualité d’associé permettait de revendiquer l’attribution préférentielle d’un bien appartenant à l’actif social indivis (Cass. 1ère civ., 30 mai 2006, n°04-14.749).

Cette évolution s’inscrit dans une logique pragmatique : dès lors qu’un bien demeure en indivision après la dissolution d’une société, il doit pouvoir être attribué à l’un des indivisaires qui justifie d’un intérêt légitime à le conserver. L’article 1844-9 du Code civil prend ainsi toute sa mesure en garantissant la pérennité des entreprises dissoutes et en favorisant la transmission des biens professionnels ou agricoles.

d. L’indivision conventionnelle

L’indivision conventionnelle occupe une place singulière dans le régime de l’attribution préférentielle. À la différence des indivisions successorales ou post-communautaires, qui résultent d’un fait juridique échappant à la volonté des parties, elle procède d’un accord entre les indivisaires, rendant ainsi plus incertaine l’application de ce mécanisme dérogatoire au principe du partage égalitaire.

Traditionnellement, la jurisprudence a adopté une lecture restrictive, refusant de reconnaître l’attribution préférentielle dans les indivisions résultant d’un acte de volonté des parties. Cette position trouve son fondement dans l’idée que les indivisaires, en choisissant de se placer sous un régime d’indivision conventionnelle, disposent d’une pleine liberté pour organiser la sortie d’indivision. Il leur appartient, dès la conclusion de l’acte, de prévoir les conditions de répartition des biens en cas de partage. Ainsi, lorsqu’un bien est acquis conjointement par des indivisaires qui n’ont pas de lien successoral ou matrimonial, la faculté d’attribution préférentielle ne saurait être imposée à l’un d’eux au détriment des autres (Cass. 1ère civ., 13 janv. 1969).

Cette rigueur jurisprudentielle se justifiait par la nécessité de préserver le principe d’égalité entre les coïndivisaires et d’éviter qu’un indivisaire ne puisse s’imposer unilatéralement aux autres. L’argument tiré de l’origine volontaire de l’indivision justifiait alors l’exclusion de l’attribution préférentielle, qu’il s’agisse d’un achat en indivision, d’une donation conjointe ou encore d’un partage amiable laissant subsister une indivision.

Toutefois, cette position a progressivement évolué, notamment lorsqu’il s’agit d’indivisions présentant une dimension familiale. La Cour de cassation a amorcé une inflexion en admettant que certaines indivisions conventionnelles puissent relever du champ de l’attribution préférentielle dès lors qu’elles conservent un lien étroit avec une indivision successorale ou matrimoniale.

Dans un arrêt du 7 juin 1988, elle a ainsi reconnu qu’un bien acquis indivisément par des concubins avant leur mariage pouvait faire l’objet d’une attribution préférentielle au profit de l’un des ex-époux lors du divorce, à la condition que ce bien ait constitué le domicile conjugal et que le mariage ait été conclu sous le régime de la communauté légale (Cass. 1ère civ., 7 juin 1988, n°86-15.090). 

En l’espèce, les anciens époux avaient acquis en indivision un appartement avant leur union, chacun pour moitié. Après leur mariage sous le régime de la communauté légale, ce bien avait été affecté à leur domicile conjugal. Lors de la liquidation de la communauté, à la suite du divorce, l’ex-épouse, qui y résidait toujours, sollicitait l’attribution préférentielle du bien indivis. La cour d’appel rejeta cette demande, au motif que l’acquisition était intervenue avant le mariage et que les parties ne s’étaient pas mariées sous le régime de la séparation de biens.

Censurant cette décision, la Cour de cassation rappela que l’attribution préférentielle pouvait être demandée dans le cadre du partage des indivisions de nature familiale, y compris lorsque l’indivision avait une origine conventionnelle antérieure au mariage. Elle consacra ainsi une approche fonctionnelle, tenant compte de la vocation familiale du bien au moment du partage et non de sa seule origine juridique.

Cette décision marque une évolution jurisprudentielle en faveur d’une conception élargie de l’attribution préférentielle, qui ne se limite plus aux seules indivisions successorales ou post-communautaires, mais peut également s’étendre à certaines indivisions conventionnelles, dès lors que leur finalité s’apparente à celle des autres catégories d’indivision bénéficiant de ce mécanisme.

Un autre arrêt, rendu par le Première chambre civile le 21 septembre 2016, est venu confirmer cette évolution (Cass. 1ère civ., 21 sept. 2016, n°15-24.683). En l’espèce, à la suite du décès de leurs parents, plusieurs héritiers avaient procédé à un partage amiable de la succession, dans le cadre duquel certains biens immobiliers avaient été attribués en indivision à deux d’entre eux. Quelques années plus tard, l’un des coïndivisaires sollicita le partage de ces parcelles agricoles et demanda, à cette occasion, leur attribution préférentielle. Son coïndivisaire s’y opposa, soutenant que l’indivision ne relevait pas des règles successorales stricto sensu, mais d’un accord contractuel issu de leur partage amiable.

La Cour de cassation rejeta cet argument et confirma la décision des juges du fond ayant fait droit à la demande d’attribution préférentielle. Elle affirma que l’attribution préférentielle pouvait être demandée dans le partage des indivisions de nature familiale, même lorsqu’elles trouvaient leur origine dans un pacte conventionnel. Ce faisant, elle consacra une analyse pragmatique de la notion d’indivision successorale, en retenant que la qualification d’indivision familiale ne dépendait pas uniquement de son mode de constitution, mais aussi de sa finalité et de son rattachement à une transmission patrimoniale entre héritiers.

Cet arrêt s’inscrit dans le prolongement d’une tendance jurisprudentielle visant à ne plus exclure systématiquement du champ de l’attribution préférentielle les indivisions conventionnelles, dès lors qu’elles conservent une vocation successorale. Il illustre ainsi la volonté des juges d’adapter le droit du partage aux réalités patrimoniales contemporaines, en prenant en compte la continuité des liens familiaux dans la gestion des biens indivis.

Malgré ces évolutions, la jurisprudence continue d’opérer une distinction nette entre les indivisions présentant une dimension familiale et les indivisions purement contractuelles.

D’un côté, les indivisions successorales et celles qui trouvent leur origine dans un cadre familial bénéficient d’un assouplissement progressif, qui traduit une volonté de préserver la stabilité patrimoniale et la continuité des biens au sein du cercle familial. Cet élargissement jurisprudentiel permet d’éviter une licitation systématique des biens et favorise le maintien de certaines unités économiques ou familiales essentielles.

D’un autre côté, les indivisions strictement contractuelles demeurent exclues du champ de l’attribution préférentielle, la jurisprudence considérant que l’autonomie des parties doit être préservée. Ainsi, un bien acquis en indivision par deux associés commerciaux ou par des concubins sans lien successoral ou matrimonial demeure soumis au principe de partage égalitaire, sans possibilité pour l’un des indivisaires d’imposer une attribution préférentielle à l’autre.

L’orientation actuelle du droit semble donc marquée par un équilibre entre, d’une part, la reconnaissance d’une protection accrue pour les indivisions à vocation familiale et, d’autre part, la préservation de l’autonomie contractuelle dans les indivisions purement volontaires.

Si la tendance jurisprudentielle actuelle tend à élargir le champ d’application de l’attribution préférentielle, elle demeure soumise à des limites strictes. Toute évolution future supposerait une intervention législative pour clarifier les conditions d’application de ce mécanisme aux indivisions conventionnelles.

En l’état, la Cour de cassation a exclu toute application automatique de l’attribution préférentielle aux indivisions nées d’une convention, sauf si elles présentent un lien avéré avec une indivision successorale ou matrimoniale. Cette position permet d’éviter que l’attribution préférentielle ne devienne un instrument d’ingérence unilatérale dans des relations purement contractuelles, tout en assurant une protection adaptée aux situations où le maintien en indivision répond à des impératifs familiaux ou patrimoniaux.

Il n’est pas exclu que, dans les années à venir, une nouvelle inflexion soit opérée, notamment pour les indivisions conventionnelles conclues entre membres d’une même famille. Une reconnaissance plus large de l’attribution préférentielle pourrait alors s’inscrire dans une logique d’adaptation du droit des biens aux mutations contemporaines des structures familiales et patrimoniales. Toutefois, toute évolution en ce sens devra veiller à préserver l’équilibre entre protection des indivisaires et respect du principe de liberté contractuelle.

B) Limites

Bien que la jurisprudence ait progressivement assoupli les conditions d’octroi de l’attribution préférentielle, son application demeure encadrée par certaines restrictions. 

Deux obstacles majeurs subsistent en la matière : d’une part, la complexité résultant des indivisions mixtes, où la superposition de plusieurs masses patrimoniales rend l’attribution préférentielle plus incertaine ; d’autre part, le statut des partenaires pacsés et des concubins, ces derniers étant exclus du dispositif en l’absence d’un cadre légal spécifique.

1. Les indivisions mixtes

Lorsqu’un bien relève simultanément de plusieurs indivisions distinctes – par exemple, à la fois d’une indivision successorale et d’une indivision post-communautaire – la situation se complexifie. En principe, le demandeur à l’attribution préférentielle doit détenir des droits indivis dans l’ensemble des masses concernées. À défaut, sa demande peut être rejetée.

Dans un arrêt rendu le 15 janvier 2014, la Cour de cassation a rappelé que l’attribution préférentielle d’un bien indivis suppose que le demandeur détienne des droits indivis sur l’intégralité des masses concernées (Cass. 1ère civ., 15 janv. 2014, n° 12-25.322). En l’espèce, un immeuble dépendait à la fois d’une indivision successorale et d’une indivision comprenant un tiers, en l’occurrence une société. L’un des indivisaires, occupant le bien et souhaitant en obtenir l’attribution préférentielle, ne justifiait cependant de droits indivis que dans l’indivision successorale et non dans l’indivision incluant la société.

La Haute juridiction a rejeté sa demande en affirmant que l’attribution préférentielle ne peut être accordée lorsque le bien appartient indivisément aux héritiers et à un tiers. Cette décision repose sur une exigence fondamentale : le partage ne saurait affecter les droits d’un indivisaire extérieur à la masse successorale. Autrement dit, il est impossible d’imposer à un coïndivisaire une cession de ses droits lorsque le demandeur n’est pas engagé dans la même indivision.

Ce principe illustre la volonté du juge de préserver la cohérence des partages en évitant toute interférence entre différentes masses patrimoniales. Ainsi, l’attribution préférentielle, qui constitue une modalité dérogatoire du partage, ne peut jouer qu’au sein d’une indivision homogène, à l’exclusion des situations où la coexistence de plusieurs indivisions rendrait son application incohérente.

2. Le traitement différencié des partenaires et des concubins

Une autre limite à l’attribution préférentielle tient au statut du demandeur, notamment lorsqu’il s’agit d’un partenaire pacsé ou d’un concubin.

La loi du 15 novembre 1999, instaurant le pacte civil de solidarité, a initialement laissé les partenaires en dehors du dispositif de l’attribution préférentielle. Ce n’est qu’avec la loi du 23 juin 2006 que l’article 515-6 du Code civil leur a conféré un droit d’attribution préférentielle, calqué sur celui reconnu aux époux et aux héritiers. Désormais, un partenaire survivant peut, dans le cadre d’un partage successoral, demander l’attribution préférentielle du logement qu’il occupait avec le défunt. Toutefois, ce droit reste subordonné aux mêmes conditions que celles imposées aux héritiers et ne s’applique qu’en présence d’une indivision successorale.

À l’inverse, les concubins demeurent exclus de ce dispositif. En l’état du droit positif, un concubin survivant ne peut pas solliciter l’attribution préférentielle d’un bien indivis, même s’il constituait son domicile principal. Cette exclusion repose sur l’absence de cadre juridique spécifique au concubinage, qui reste une union de fait, laquelle n’emporte aucun effet juridique spécifique.

Toutefois, une exception existe : lorsqu’il est démontré que les concubins ont constitué une société créée de fait, l’attribution préférentielle peut, dans certains cas, être envisagée. La Cour de cassation a notamment admis, dans un arrêt du 26 septembre 2012, que la reconnaissance d’une société créée de fait entre concubins pouvait permettre à l’un d’eux de revendiquer certains droits patrimoniaux sur un bien indivis (Cass. 1ère civ., 26 sept. 2012, n°11-12.838). Cette solution reste toutefois exceptionnelle et suppose d’apporter la preuve de l’existence d’une véritable volonté de partager les pertes et les bénéfices et d’un affectio societatis.

L’exclusion des concubins du bénéfice de l’attribution préférentielle pourrait néanmoins faire l’objet d’évolutions futures, à mesure que le concubinage tend à se rapprocher juridiquement du PACS. L’harmonisation des régimes patrimoniaux de ces différentes unions, déjà amorcée en matière de droits successoraux, pourrait conduire à une extension progressive du champ d’application de l’attribution préférentielle aux concubins, notamment lorsqu’un bien indivis constituait leur résidence principale.

L’attribution préférentielle: vue générale

L’attribution préférentielle, aujourd’hui régie par les articles 831 à 834 du Code civil, constitue une exception au principe d’égalité dans le partage en permettant à un copartageant d’obtenir la propriété exclusive de certains biens indivis, moyennant le versement d’une soulte aux copartageants.

Longtemps ignorée du droit français, cette institution a émergé en réaction aux effets négatifs du morcellement successoral, notamment dans le secteur agricole. D’abord consacrée par le décret-loi du 17 juin 1938, elle a progressivement vu son champ d’application s’élargir à d’autres types de biens et à de nouveaux bénéficiaires, sous l’influence conjointe du législateur et de la jurisprudence. L’histoire de cette institution est ainsi celle d’un mouvement continu d’adaptation du droit des successions aux réalités économiques et sociales, en conciliant le respect des droits des cohéritiers avec la nécessité de préserver l’intégrité de certains patrimoines.

==>Code civil de 1804

Dès le XIXe siècle, la doctrine et les praticiens du droit, à commencer par les notaires, s’inquiétèrent des effets négatifs causés par l’application rigide du principe d’égalité en nature dans le partage successoral. Contrairement à d’autres traditions juridiques qui, à l’image du droit suisse ou du droit allemand, avaient organisé la transmission intégrale des exploitations familiales afin de préserver leur viabilité économique, le Code civil français, dans sa volonté d’assurer une stricte égalité entre héritiers, favorisait un éclatement progressif des patrimoines. Ce morcellement excessif, souvent aggravé par des tirages au sort hasardeux, conduisait à une instabilité foncière nuisible tant aux familles qu’à l’économie agricole, soumettant des générations entières d’héritiers à une division irrationnelle des biens reçus en succession.

Loin de rester une simple querelle doctrinale, cette question prit une acuité particulière dans le monde rural, où l’indivision successorale devenait une impasse, faute de règles permettant le maintien d’une exploitation cohérente. Le phénomène, amplifié par les successions nombreuses et la fragmentation des terres, fit apparaître une situation paradoxale : des exploitants se retrouvaient contraints de racheter à prix d’or les parcelles qui leur revenaient déjà en héritage, tandis que d’autres, faute d’accord entre cohéritiers, étaient contraints de vendre leurs biens à des tiers, dilapidant ainsi des héritages patiemment constitués.

Malgré ces constats alarmants, le législateur français demeura longtemps figé dans une orthodoxie égalitariste, se refusant à toucher aux principes fondamentaux du partage successoral édictés par le Code civil de 1804. Les premières réformes engagées en la matière se révélèrent ainsi timorées, limitées à des ajustements techniques sans véritable ambition structurelle.

Il fallut attendre la fin du XIXe siècle pour voir apparaître les premiers correctifs législatifs destinés à aménager l’égalité successorale. Deux lois, adoptées respectivement le 12 avril 1894 et le 30 novembre 1894, introduisirent des mécanismes visant à garantir une certaine continuité dans la transmission de certains biens patrimoniaux.

  • La loi du 12 avril 1894, inspirée par une volonté de protéger les patrimoines familiaux, instaurait un mécanisme d’attribution préférentielle en faveur des héritiers désireux de conserver un bien à forte valeur sentimentale ou économique.
  • La loi du 30 novembre 1894, quant à elle, visait plus spécifiquement les habitations à bon marché, en permettant à un héritier de revendiquer la propriété exclusive d’un logement familial sous réserve d’une compensation équitable au profit des autres cohéritiers.

Toutefois, ces dispositifs demeuraient extrêmement limités, tant dans leur champ d’application que dans leur portée concrète. Destinées à répondre à des situations particulières, ces réformes ne s’attaquaient pas à la cause première du morcellement : l’absence d’un véritable droit d’attribution préférentielle applicable aux exploitations agricoles ou aux entreprises.

==>Le décret-loi du 17 juin 1938 : la première grande réforme

Il fallut attendre le décret-loi du 17 juin 1938 pour que l’attribution préférentielle s’érige en véritable institution, marquant ainsi une rupture avec la rigueur égalitaire du partage successoral. Face au morcellement croissant des exploitations agricoles et à l’affaiblissement du tissu économique rural, le législateur, jusque-là réticent à altérer les principes fondateurs du Code civil, prit la mesure d’une nécessité impérieuse : préserver l’unité des patrimoines productifs en permettant leur transmission intégrale à l’héritier en mesure de les exploiter.

L’esprit de cette réforme s’articulait autour d’une double ambition :

  • Un impératif économique et social : l’éclatement des exploitations compromettait leur rentabilité, menaçant de précipiter la ruine de familles entières. En instaurant un mécanisme permettant d’éviter la dispersion des terres agricoles, le législateur entendait garantir la pérennité des structures rurales et préserver la transmission des biens patrimoniaux dans le cadre familial.
  • Une adaptation du droit des successions aux réalités du monde agricole : en modifiant l’article 832 du Code civil, la réforme autorisa, pour la première fois, un héritier exploitant à revendiquer l’intégralité de l’exploitation, à charge d’indemniser ses cohéritiers par le versement d’une soulte. Ce mécanisme, en rupture avec le principe d’égalité en nature, traduisait la volonté de privilégier l’efficacité économique sans léser les droits successoraux des autres ayants droit.

Toutefois, loin d’être accueillie avec unanimité, cette innovation suscita un contentieux nourri, témoignant des résistances que pouvait rencontrer une entorse au sacro-saint principe d’égalité successorale.

La jurisprudence, dans un premier temps, s’attacha à en rappeler la finalité doublement économique et familiale, considérant que l’attribution préférentielle devait permettre à son bénéficiaire d’assurer la continuité de l’exploitation sans subir les aléas d’un partage fragmentaire (Cass. 1re civ., 30 avril 1965, n°62-13716).

Mais, soucieuse de ne pas faire de cette exception un principe général, elle en souligna le caractère dérogatoire, appelant à une interprétation restrictive de ses conditions d’application. Ainsi, la Cour d’appel d’Angers estima dans un arrêt du 10 mai 1965, que l’attribution préférentielle ne pouvait s’affranchir des règles ordinaires du partage et ne devait être accordée que dans des circonstances strictement définies (CA Angers, 10 mai 1965). Cette approche prudente fut consacrée par la Cour de cassation, qui rappela à plusieurs reprises que cette faculté ne pouvait être étendue au-delà des limites imposées par le législateur (V. par ex. Cass. 1re civ., 5 juin 1962).

Toutefois, malgré ces réticences initiales, la réforme de 1938 marqua un tournant décisif. Elle jeta les fondements d’un nouveau modèle successoral, où la préservation de certains biens d’importance économique l’emporta, dans certaines hypothèses, sur le partage en nature. Cette première brèche ouverte dans le dogme de l’égalité successorale allait progressivement s’élargir sous l’effet de nouvelles réformes, qui, au fil des décennies, élargirent le champ de l’attribution préférentielle et en assouplirent les conditions.

==>L’extension progressive du domaine de l’attribution préférentielle

Le succès immédiat du mécanisme instauré en 1938 ouvrit la voie à une série d’adaptations législatives visant à assouplir ses conditions d’application et à élargir le champ des biens éligibles. Dès les années 1940, plusieurs textes vinrent préciser et renforcer ce dispositif naissant, témoignant de la volonté du législateur d’en faire un instrument de stabilité patrimoniale. Ainsi, les lois des 20 juillet 1940, 9 novembre 1940 et 15 janvier 1943 introduisirent des aménagements notables, facilitant l’octroi de l’attribution préférentielle et en assurant une meilleure adéquation entre le droit successoral et la réalité des structures économiques.

Toutefois, la réforme la plus marquante intervint avec la loi du 19 décembre 1961, qui constitua une véritable rupture avec le dispositif antérieur. Cette réforme d’envergure modifia en profondeur les règles applicables en opérant trois avancées majeures :

  • La suppression des limites de superficie et de valeur imposées aux exploitations agricoles : alors que le dispositif de 1938 ne concernait que les petites et moyennes exploitations, la réforme de 1961 permit d’étendre le bénéfice de l’attribution préférentielle aux exploitations de toute taille, consacrant ainsi la primauté du critère fonctionnel sur le critère dimensionnel.
  • L’élargissement du champ des biens éligibles : initialement réservé aux exploitations agricoles, le mécanisme fut progressivement ouvert aux entreprises commerciales, industrielles et artisanales, ainsi qu’aux locaux d’habitation et à usage professionnel. Cette extension traduisait une volonté manifeste d’adapter le droit successoral aux réalités économiques contemporaines et de garantir la transmission des outils de travail au sein des familles, en évitant leur dispersion entre plusieurs cohéritiers.
  • La distinction entre attribution préférentielle de droit et attribution préférentielle judiciaire :
    • L’attribution de droit fut instituée pour les petites exploitations agricoles, dès lors que le demandeur remplissait les conditions légales, le juge étant tenu de l’accorder.
    • L’attribution judiciaire, en revanche, fut soumise à l’appréciation des tribunaux, qui devaient statuer au regard des intérêts en présence et des capacités de l’attributaire à assurer la viabilité du bien concerné.

Par ces avancées, le législateur poursuivait une ambition double : assurer la transmission des unités économiques vitales et préserver l’équilibre du patrimoine indivis. Il ne s’agissait plus seulement de conjurer les effets délétères du morcellement des exploitations agricoles, mais bien d’ancrer l’attribution préférentielle dans une logique de structuration patrimoniale, en conjuguant pérennisation des actifs et équité entre les copartageants. Désormais, l’institution dépassait le strict cadre successoral pour s’imposer comme un véritable instrument de régulation des indivisions, qu’elles trouvent leur source dans une dévolution successorale, la liquidation d’une communauté conjugale ou encore la dissolution d’une société de personnes.

Ainsi, cette réforme marqua une mutation profonde du droit du partage : ce qui n’était jusque-là qu’une entorse ponctuelle au principe d’égalité en nature se mua en véritable mécanisme d’organisation des masses partageables, permettant d’affecter à certains copartageants des biens d’une importance stratégique, tout en maintenant un équilibre indemnitaire entre les indivisaires. Loin de se limiter aux enjeux agricoles, l’attribution préférentielle s’imposa alors comme une clé de voûte des partages contemporains, garantissant la préservation des ensembles patrimoniaux cohérents face aux exigences de la division.

Au fil des décennies, le législateur continua d’élargir le champ d’application de l’attribution préférentielle, en assouplissant les conditions tenant aux bénéficiaires. Initialement pensée pour préserver l’unité des exploitations agricoles, cette institution fut progressivement adaptée aux nouvelles réalités patrimoniales et aux diverses formes d’indivision, dépassant ainsi le strict cadre successoral pour s’imposer comme un véritable mécanisme de régulation des masses partageables.

La loi du 23 décembre 1970 marqua une première rupture en ouvrant l’attribution préférentielle aux héritiers en nue-propriété ainsi qu’aux légataires universels. Cette extension traduisait une évolution significative du droit successoral, prenant acte du fait que l’organisation patrimoniale ne reposait plus exclusivement sur les seuls héritiers en pleine propriété.

Désormais, un indivisaire nu-propriétaire pouvait solliciter l’attribution préférentielle, bien qu’il ne dispose pas encore de la plénitude des droits sur le bien concerné. Par ailleurs, un légataire universel, bien que désigné par disposition testamentaire et non en vertu d’une vocation légale, se voyait reconnaître un droit similaire. Cette réforme traduisait une volonté claire : faire primer l’intérêt patrimonial sur la rigueur des règles successorales, en permettant aux détenteurs de droits indivis d’assurer la transmission ou la conservation d’un bien sans être écartés par des considérations purement formelles.

Avec la loi du 3 janvier 1972, adoptée dans le cadre de la réforme de la filiation, l’attribution préférentielle fut encore élargie. Cette fois, il ne s’agissait plus d’une question de qualité successorale, mais bien d’une protection des intérêts familiaux dans le cadre des partages.

D’une part, le conjoint survivant se vit reconnaître un droit d’attribution préférentielle sur les résidences secondaires du couple, lui permettant ainsi de conserver un cadre de vie familier après le décès de son époux. Cette avancée marquait une rupture avec une conception purement successorale du mécanisme : l’attribution préférentielle n’était plus seulement un instrument de consolidation des exploitations économiques, mais devenait également un outil de préservation des conditions de vie du survivant.

D’autre part, les enfants légitimes purent également bénéficier de ce droit face aux autres copartageants de la masse partageable, garantissant ainsi une certaine stabilité dans la transmission des biens familiaux. Ce dispositif traduisait une prise en compte des intérêts affectifs et patrimoniaux, où l’équité successorale se combinait avec des considérations de préservation du cadre de vie.

En 1975, le législateur franchit un nouveau cap en transposant l’attribution préférentielle aux indivisions conjugales. Avec la loi du 11 juillet 1975, réformant le divorce, il fut expressément prévu que le mécanisme s’appliquerait désormais au partage des biens indivis entre époux séparés de biens.

Jusqu’alors, l’attribution préférentielle était principalement attachée aux partages successoraux. Désormais, elle s’étendait aux indivisions conjugales nées de la séparation des époux, permettant à l’un d’eux de revendiquer l’attribution exclusive d’un bien indivis, notamment lorsqu’il s’agissait du logement conjugal ou d’un bien à usage professionnel.

Cette évolution marquait une prise en compte des nouvelles réalités patrimoniales et des enjeux propres à la dissolution des communautés conjugales. Elle consacrait le principe selon lequel l’attribution préférentielle n’était plus un mécanisme exclusivement successoral, mais un véritable instrument d’organisation des partages, quelle qu’en soit l’origine.

Enfin, à l’aube du XXIe siècle, le législateur poursuivit cette dynamique d’adaptation en ouvrant l’attribution préférentielle aux partenaires liés par un PACS. La loi du 15 novembre 1999, qui institua le pacte civil de solidarité, permit aux partenaires pacsés de revendiquer l’attribution préférentielle en cas de dissolution du pacte.

Toutefois, le législateur posa une limite en excluant du champ d’application du dispositif les exploitations agricoles, signe d’une certaine prudence à l’égard d’un mécanisme historiquement conçu pour la transmission des structures économiques. Cette restriction traduisait la volonté de préserver le caractère successoral de l’attribution préférentielle dans certains secteurs stratégiques, tout en reconnaissant que les indivisions issues d’un PACS devaient pouvoir être réglées selon des mécanismes similaires à ceux applicables aux conjoints mariés.

==>La refonte du régime de l’attribution préférentielle par la loi du 23 juin 2006

L’évolution de l’attribution préférentielle ne s’est pas arrêtée à son extension aux différentes formes d’indivision. À partir du début du XXI siècle, le législateur s’attacha à refondre en profondeur le régime de l’attribution préférentielle, non seulement pour en assurer une meilleure cohérence, mais également pour l’adapter aux mutations économiques et sociétales.

La loi du 23 juin 2006, qui entreprit une réforme d’ampleur du droit des successions et des libéralités, marqua une nouvelle étape dans l’évolution de l’attribution préférentielle. Elle poursuivait un double objectif : clarifier et unifier les règles applicables, tout en étendant son champ d’application pour mieux répondre aux réalités patrimoniales contemporaines.

Trois avancées majeures méritent d’être mises en exergue :

  • Une réorganisation structurelle du dispositif : la réforme opéra une clarification méthodique en instituant dans le Code civil un paragraphe autonome consacré aux attributions préférentielles, désormais rassemblées aux articles 831 à 834. Par cette refonte, le législateur entendit ordonner la matière en rationalisant son architecture, offrant ainsi aux praticiens et aux justiciables une meilleure lisibilité et une cohérence renouvelée du régime applicable.
  • Une extension aux entreprises libérales et une harmonisation des terminologies : jusque-là, le texte se limitait à la notion d’exploitation agricole, révélant ainsi son ancrage dans une tradition juridique essentiellement tournée vers la préservation du patrimoine rural. La réforme de 2006 marqua un élargissement conceptuel, en substituant à cette appellation celle d’entreprise agricole, tout en intégrant expressément les entreprises libérales dans le domaine des attributions préférentielles. Cette évolution traduisait une volonté d’adapter l’institution aux réalités économiques contemporaines, où les activités libérales, commerciales et artisanales constituent des vecteurs essentiels du dynamisme économique.
  • L’abandon du critère de lien familial pour certaines entreprises : la réforme mit un terme à une restriction, en supprimant l’exigence d’un rattachement familial pour bénéficier de l’attribution préférentielle de certaines entreprises. Jusqu’alors, ce mécanisme était réservé aux héritiers en ligne directe ou aux proches parents du défunt. Désormais, l’attribution préférentielle peut être sollicitée par tout indivisaire remplissant les conditions d’exploitation ou de gestion de l’entreprise, indépendamment de tout lien de parenté. Ce changement traduit un renversement de perspective : alors que l’institution obéissait historiquement à une logique patrimoniale et successorale, elle repose désormais sur une approche éminemment économique, privilégiant la pérennité des structures d’exploitation à la simple transmission familiale.

Par cette réforme, l’attribution préférentielle acheva sa mue, s’émancipant de sa finalité originelle de remède au morcellement des exploitations agricoles, pour s’affirmer comme un mécanisme structurant du droit des partages. Elle s’inscrit ainsi désormais dans une dynamique plus large de conservation et de rationalisation des masses partageables, visant à préserver les actifs stratégiques qu’ils soient successoraux, professionnels ou simplement détenus en indivision, tout en conciliant stabilité économique et équité entre les copartageants.

==>Consolidation de la réforme de 2006

Dans les années qui suivirent la réforme de 2006, le législateur poursuivit son œuvre d’affinement du dispositif d’attribution préférentielle, soucieux de l’adapter aux exigences contemporaines et d’en parfaire le fonctionnement. 

La loi du 16 février 2015 introduisit une nouvelle catégorie de biens éligibles à l’attribution préférentielle : le véhicule du défunt, lorsqu’il est nécessaire aux besoins de la vie courante ou à l’exercice d’une activité professionnelle.

Jusqu’alors, l’attribution préférentielle s’attachait principalement aux immeubles et aux entreprises, considérés comme les piliers de la transmission patrimoniale. L’adjonction des véhicules au mécanisme traduit ainsi un infléchissement notable de la conception traditionnelle de l’institution, qui, sans renier sa vocation première de stabilisation du patrimoine indivis, s’adapte aux réalités modernes du quotidien.

Dans un monde où la mobilité est un instrument de l’autonomie, où l’accès à un véhicule conditionne l’exercice d’une activité professionnelle, la conservation d’un emploi, ou plus simplement l’organisation du quotidien, la transmission patrimoniale ne pouvait demeurer figée dans une approche exclusivement immobilière. Le législateur a donc pris acte de cette évolution en permettant qu’un véhicule puisse être attribué à titre préférentiel, dès lors qu’il répond à une nécessité impérieuse pour le demandeur.

Dès lors, cette nouvelle forme d’attribution préférentielle profite à deux catégories de bénéficiaires :

  • L’indivisaire dont l’activité professionnelle repose sur l’usage du véhicule : un médecin libéral devant assurer ses visites à domicile, un artisan se déplaçant pour ses chantiers, un agriculteur utilisant un engin spécifique pour l’exploitation de son domaine, ou encore un commerçant itinérant pouvaient désormais se voir reconnaître un droit de priorité sur le véhicule du défunt, à l’instar de ce qui était déjà prévu pour les locaux professionnels. Cette disposition vise à assurer la continuité économique et éviter une rupture brutale dans l’exercice de l’activité, laquelle aurait pu résulter d’une mise en partage du bien.
  • Le conjoint survivant ou tout autre copartageant ayant éminemment besoin du véhicule : l’attribution préférentielle pouvait également être sollicitée par une personne démontrant que le véhicule constituait un élément indispensable de son mode de vie, que ce soit pour assurer ses déplacements quotidiens, répondre à des obligations familiales, ou encore maintenir son indépendance face à un éloignement géographique des services essentiels.

Loin d’être anecdotique, cette réforme consacre une vision renouvelée de l’attribution préférentielle, ancrée dans une approche fonctionnelle du patrimoine, où la transmission ne se conçoit plus uniquement en termes de préservation des biens, mais bien dans une dynamique de continuité de l’usage et des besoins concrets des indivisaires. L’attribution préférentielle, en intégrant le véhicule, s’adapte ainsi aux mutations d’un monde dans lequel la mobilité constitue une ressource aussi précieuse qu’un toit ou qu’un outil de travail.

Un autre ajustement du dispositif intervint avec la loi du 24 mars 2014, qui mit un terme à une disparité persistante entre les époux et les partenaires pacsés en matière d’attribution préférentielle.

Depuis la reconnaissance du pacte civil de solidarité (PACS) en 1999, le droit patrimonial des couples s’était progressivement enrichi d’une protection accrue des partenaires survivants, sans toutefois atteindre le niveau de garanties conféré aux époux. S’ils pouvaient déjà bénéficier d’une certaine sécurité successorale, les partenaires pacsés ne jouissaient pas des mêmes droits que les conjoints mariés en matière d’attribution préférentielle, notamment lorsqu’il s’agissait du logement du couple ou d’un local professionnel.

Cette asymétrie fut levée en 2014, consacrant ainsi une harmonisation du droit patrimonial des couples, indépendamment de leur statut. Désormais, les partenaires pacsés accédaient aux mêmes droits que les époux en matière d’attribution préférentielle, selon des règles identiques. Cette avancée marqua une reconnaissance du PACS comme un mode d’union à part entière, venant concurrencer le mariage quant à l’organisation du patrimoine dans la cellule familiale.

Aussi, désormais, les partenaires pacsés sont admis à revendiquer :

  • L’attribution préférentielle du logement d’habitation et de son mobilier : cette évolution permit au partenaire survivant de demeurer dans le logement du couple, de la même manière qu’un conjoint marié, garantissant ainsi une protection renforcée de son cadre de vie. En étendant ce droit aux pacsés, le législateur entendait éviter toute insécurité successorale pour le survivant, en lui offrant une possibilité de conservation du bien au-delà du simple droit temporaire d’usage qui lui était jusqu’alors reconnu.
  • L’attribution préférentielle des biens professionnels indivis : un partenaire pacsé exploitant une activité dans un local dont le défunt était copropriétaire pouvait désormais en solliciter l’attribution dans les mêmes conditions qu’un époux survivant. Cette évolution était particulièrement importante pour les couples exerçant une activité libérale, artisanale ou commerciale, où l’enjeu de la transmission des outils de travail est souvent crucial pour la survie de l’exploitation.

Cette réforme traduisait une volonté de rationalisation et d’uniformisation du droit patrimonial des couples, en adéquation avec l’évolution des structures familiales. Elle consacrait ainsi une progression de l’attribution préférentielle vers un statut universel, applicable à toutes les formes d’indivision conjugale ou patrimoniale, sans distinction entre mariage et PACS.

Ces ajustements successifs révèlent la plasticité croissante de l’attribution préférentielle, qui, bien loin d’être une simple mesure technique de répartition successorale, s’est progressivement muée en un véritable instrument de protection patrimoniale, garantissant la pérennité des situations de vie et de travail des indivisaires.

D’abord pensée comme une exception au principe d’égalité dans les partages, elle tend désormais à se généraliser, répondant non plus seulement à une logique successorale, mais aussi à des impératifs de continuité patrimoniale et économique.

Le droit des partages ne se conçoit plus uniquement comme une opération de liquidation mécanique des biens indivis, mais bien comme un outil de préservation et d’organisation du patrimoine. En ce sens, l’attribution préférentielle dépasse aujourd’hui le cadre des successions pour s’imposer comme une clé de voûte de la gestion des indivisions, qu’elles soient familiales, conjugales ou professionnelles.

Opérations de partage: l’attribution préférentielle

L’attribution préférentielle, aujourd’hui régie par les articles 831 à 834 du Code civil, constitue une exception au principe d’égalité dans le partage en permettant à un copartageant d’obtenir la propriété exclusive de certains biens indivis, moyennant le versement d’une soulte aux copartageants.

Longtemps ignorée du droit français, cette institution a émergé en réaction aux effets négatifs du morcellement successoral, notamment dans le secteur agricole. D’abord consacrée par le décret-loi du 17 juin 1938, elle a progressivement vu son champ d’application s’élargir à d’autres types de biens et à de nouveaux bénéficiaires, sous l’influence conjointe du législateur et de la jurisprudence. L’histoire de cette institution est ainsi celle d’un mouvement continu d’adaptation du droit des successions aux réalités économiques et sociales, en conciliant le respect des droits des cohéritiers avec la nécessité de préserver l’intégrité de certains patrimoines.

==>Code civil de 1804

Dès le XIXe siècle, la doctrine et les praticiens du droit, à commencer par les notaires, s’inquiétèrent des effets négatifs causés par l’application rigide du principe d’égalité en nature dans le partage successoral. Contrairement à d’autres traditions juridiques qui, à l’image du droit suisse ou du droit allemand, avaient organisé la transmission intégrale des exploitations familiales afin de préserver leur viabilité économique, le Code civil français, dans sa volonté d’assurer une stricte égalité entre héritiers, favorisait un éclatement progressif des patrimoines. Ce morcellement excessif, souvent aggravé par des tirages au sort hasardeux, conduisait à une instabilité foncière nuisible tant aux familles qu’à l’économie agricole, soumettant des générations entières d’héritiers à une division irrationnelle des biens reçus en succession.

Loin de rester une simple querelle doctrinale, cette question prit une acuité particulière dans le monde rural, où l’indivision successorale devenait une impasse, faute de règles permettant le maintien d’une exploitation cohérente. Le phénomène, amplifié par les successions nombreuses et la fragmentation des terres, fit apparaître une situation paradoxale : des exploitants se retrouvaient contraints de racheter à prix d’or les parcelles qui leur revenaient déjà en héritage, tandis que d’autres, faute d’accord entre cohéritiers, étaient contraints de vendre leurs biens à des tiers, dilapidant ainsi des héritages patiemment constitués.

Malgré ces constats alarmants, le législateur français demeura longtemps figé dans une orthodoxie égalitariste, se refusant à toucher aux principes fondamentaux du partage successoral édictés par le Code civil de 1804. Les premières réformes engagées en la matière se révélèrent ainsi timorées, limitées à des ajustements techniques sans véritable ambition structurelle.

Il fallut attendre la fin du XIXe siècle pour voir apparaître les premiers correctifs législatifs destinés à aménager l’égalité successorale. Deux lois, adoptées respectivement le 12 avril 1894 et le 30 novembre 1894, introduisirent des mécanismes visant à garantir une certaine continuité dans la transmission de certains biens patrimoniaux.

  • La loi du 12 avril 1894, inspirée par une volonté de protéger les patrimoines familiaux, instaurait un mécanisme d’attribution préférentielle en faveur des héritiers désireux de conserver un bien à forte valeur sentimentale ou économique.
  • La loi du 30 novembre 1894, quant à elle, visait plus spécifiquement les habitations à bon marché, en permettant à un héritier de revendiquer la propriété exclusive d’un logement familial sous réserve d’une compensation équitable au profit des autres cohéritiers.

Toutefois, ces dispositifs demeuraient extrêmement limités, tant dans leur champ d’application que dans leur portée concrète. Destinées à répondre à des situations particulières, ces réformes ne s’attaquaient pas à la cause première du morcellement : l’absence d’un véritable droit d’attribution préférentielle applicable aux exploitations agricoles ou aux entreprises.

==>Le décret-loi du 17 juin 1938 : la première grande réforme

Il fallut attendre le décret-loi du 17 juin 1938 pour que l’attribution préférentielle s’érige en véritable institution, marquant ainsi une rupture avec la rigueur égalitaire du partage successoral. Face au morcellement croissant des exploitations agricoles et à l’affaiblissement du tissu économique rural, le législateur, jusque-là réticent à altérer les principes fondateurs du Code civil, prit la mesure d’une nécessité impérieuse : préserver l’unité des patrimoines productifs en permettant leur transmission intégrale à l’héritier en mesure de les exploiter.

L’esprit de cette réforme s’articulait autour d’une double ambition :

  • Un impératif économique et social : l’éclatement des exploitations compromettait leur rentabilité, menaçant de précipiter la ruine de familles entières. En instaurant un mécanisme permettant d’éviter la dispersion des terres agricoles, le législateur entendait garantir la pérennité des structures rurales et préserver la transmission des biens patrimoniaux dans le cadre familial.
  • Une adaptation du droit des successions aux réalités du monde agricole : en modifiant l’article 832 du Code civil, la réforme autorisa, pour la première fois, un héritier exploitant à revendiquer l’intégralité de l’exploitation, à charge d’indemniser ses cohéritiers par le versement d’une soulte. Ce mécanisme, en rupture avec le principe d’égalité en nature, traduisait la volonté de privilégier l’efficacité économique sans léser les droits successoraux des autres ayants droit.

Toutefois, loin d’être accueillie avec unanimité, cette innovation suscita un contentieux nourri, témoignant des résistances que pouvait rencontrer une entorse au sacro-saint principe d’égalité successorale.

La jurisprudence, dans un premier temps, s’attacha à en rappeler la finalité doublement économique et familiale, considérant que l’attribution préférentielle devait permettre à son bénéficiaire d’assurer la continuité de l’exploitation sans subir les aléas d’un partage fragmentaire (Cass. 1re civ., 30 avril 1965, n°62-13716).

Mais, soucieuse de ne pas faire de cette exception un principe général, elle en souligna le caractère dérogatoire, appelant à une interprétation restrictive de ses conditions d’application. Ainsi, la Cour d’appel d’Angers estima dans un arrêt du 10 mai 1965, que l’attribution préférentielle ne pouvait s’affranchir des règles ordinaires du partage et ne devait être accordée que dans des circonstances strictement définies (CA Angers, 10 mai 1965). Cette approche prudente fut consacrée par la Cour de cassation, qui rappela à plusieurs reprises que cette faculté ne pouvait être étendue au-delà des limites imposées par le législateur (V. par ex. Cass. 1re civ., 5 juin 1962).

Toutefois, malgré ces réticences initiales, la réforme de 1938 marqua un tournant décisif. Elle jeta les fondements d’un nouveau modèle successoral, où la préservation de certains biens d’importance économique l’emporta, dans certaines hypothèses, sur le partage en nature. Cette première brèche ouverte dans le dogme de l’égalité successorale allait progressivement s’élargir sous l’effet de nouvelles réformes, qui, au fil des décennies, élargirent le champ de l’attribution préférentielle et en assouplirent les conditions.

==>L’extension progressive du domaine de l’attribution préférentielle

Le succès immédiat du mécanisme instauré en 1938 ouvrit la voie à une série d’adaptations législatives visant à assouplir ses conditions d’application et à élargir le champ des biens éligibles. Dès les années 1940, plusieurs textes vinrent préciser et renforcer ce dispositif naissant, témoignant de la volonté du législateur d’en faire un instrument de stabilité patrimoniale. Ainsi, les lois des 20 juillet 1940, 9 novembre 1940 et 15 janvier 1943 introduisirent des aménagements notables, facilitant l’octroi de l’attribution préférentielle et en assurant une meilleure adéquation entre le droit successoral et la réalité des structures économiques.

Toutefois, la réforme la plus marquante intervint avec la loi du 19 décembre 1961, qui constitua une véritable rupture avec le dispositif antérieur. Cette réforme d’envergure modifia en profondeur les règles applicables en opérant trois avancées majeures :

  • La suppression des limites de superficie et de valeur imposées aux exploitations agricoles : alors que le dispositif de 1938 ne concernait que les petites et moyennes exploitations, la réforme de 1961 permit d’étendre le bénéfice de l’attribution préférentielle aux exploitations de toute taille, consacrant ainsi la primauté du critère fonctionnel sur le critère dimensionnel.
  • L’élargissement du champ des biens éligibles : initialement réservé aux exploitations agricoles, le mécanisme fut progressivement ouvert aux entreprises commerciales, industrielles et artisanales, ainsi qu’aux locaux d’habitation et à usage professionnel. Cette extension traduisait une volonté manifeste d’adapter le droit successoral aux réalités économiques contemporaines et de garantir la transmission des outils de travail au sein des familles, en évitant leur dispersion entre plusieurs cohéritiers.
  • La distinction entre attribution préférentielle de droit et attribution préférentielle judiciaire :
    • L’attribution de droit fut instituée pour les petites exploitations agricoles, dès lors que le demandeur remplissait les conditions légales, le juge étant tenu de l’accorder.
    • L’attribution judiciaire, en revanche, fut soumise à l’appréciation des tribunaux, qui devaient statuer au regard des intérêts en présence et des capacités de l’attributaire à assurer la viabilité du bien concerné.

Par ces avancées, le législateur poursuivait une ambition double : assurer la transmission des unités économiques vitales et préserver l’équilibre du patrimoine indivis. Il ne s’agissait plus seulement de conjurer les effets délétères du morcellement des exploitations agricoles, mais bien d’ancrer l’attribution préférentielle dans une logique de structuration patrimoniale, en conjuguant pérennisation des actifs et équité entre les copartageants. Désormais, l’institution dépassait le strict cadre successoral pour s’imposer comme un véritable instrument de régulation des indivisions, qu’elles trouvent leur source dans une dévolution successorale, la liquidation d’une communauté conjugale ou encore la dissolution d’une société de personnes.

Ainsi, cette réforme marqua une mutation profonde du droit du partage : ce qui n’était jusque-là qu’une entorse ponctuelle au principe d’égalité en nature se mua en véritable mécanisme d’organisation des masses partageables, permettant d’affecter à certains copartageants des biens d’une importance stratégique, tout en maintenant un équilibre indemnitaire entre les indivisaires. Loin de se limiter aux enjeux agricoles, l’attribution préférentielle s’imposa alors comme une clé de voûte des partages contemporains, garantissant la préservation des ensembles patrimoniaux cohérents face aux exigences de la division.

Au fil des décennies, le législateur continua d’élargir le champ d’application de l’attribution préférentielle, en assouplissant les conditions tenant aux bénéficiaires. Initialement pensée pour préserver l’unité des exploitations agricoles, cette institution fut progressivement adaptée aux nouvelles réalités patrimoniales et aux diverses formes d’indivision, dépassant ainsi le strict cadre successoral pour s’imposer comme un véritable mécanisme de régulation des masses partageables.

La loi du 23 décembre 1970 marqua une première rupture en ouvrant l’attribution préférentielle aux héritiers en nue-propriété ainsi qu’aux légataires universels. Cette extension traduisait une évolution significative du droit successoral, prenant acte du fait que l’organisation patrimoniale ne reposait plus exclusivement sur les seuls héritiers en pleine propriété.

Désormais, un indivisaire nu-propriétaire pouvait solliciter l’attribution préférentielle, bien qu’il ne dispose pas encore de la plénitude des droits sur le bien concerné. Par ailleurs, un légataire universel, bien que désigné par disposition testamentaire et non en vertu d’une vocation légale, se voyait reconnaître un droit similaire. Cette réforme traduisait une volonté claire : faire primer l’intérêt patrimonial sur la rigueur des règles successorales, en permettant aux détenteurs de droits indivis d’assurer la transmission ou la conservation d’un bien sans être écartés par des considérations purement formelles.

Avec la loi du 3 janvier 1972, adoptée dans le cadre de la réforme de la filiation, l’attribution préférentielle fut encore élargie. Cette fois, il ne s’agissait plus d’une question de qualité successorale, mais bien d’une protection des intérêts familiaux dans le cadre des partages.

D’une part, le conjoint survivant se vit reconnaître un droit d’attribution préférentielle sur les résidences secondaires du couple, lui permettant ainsi de conserver un cadre de vie familier après le décès de son époux. Cette avancée marquait une rupture avec une conception purement successorale du mécanisme : l’attribution préférentielle n’était plus seulement un instrument de consolidation des exploitations économiques, mais devenait également un outil de préservation des conditions de vie du survivant.

D’autre part, les enfants légitimes purent également bénéficier de ce droit face aux autres copartageants de la masse partageable, garantissant ainsi une certaine stabilité dans la transmission des biens familiaux. Ce dispositif traduisait une prise en compte des intérêts affectifs et patrimoniaux, où l’équité successorale se combinait avec des considérations de préservation du cadre de vie.

En 1975, le législateur franchit un nouveau cap en transposant l’attribution préférentielle aux indivisions conjugales. Avec la loi du 11 juillet 1975, réformant le divorce, il fut expressément prévu que le mécanisme s’appliquerait désormais au partage des biens indivis entre époux séparés de biens.

Jusqu’alors, l’attribution préférentielle était principalement attachée aux partages successoraux. Désormais, elle s’étendait aux indivisions conjugales nées de la séparation des époux, permettant à l’un d’eux de revendiquer l’attribution exclusive d’un bien indivis, notamment lorsqu’il s’agissait du logement conjugal ou d’un bien à usage professionnel.

Cette évolution marquait une prise en compte des nouvelles réalités patrimoniales et des enjeux propres à la dissolution des communautés conjugales. Elle consacrait le principe selon lequel l’attribution préférentielle n’était plus un mécanisme exclusivement successoral, mais un véritable instrument d’organisation des partages, quelle qu’en soit l’origine.

Enfin, à l’aube du XXIe siècle, le législateur poursuivit cette dynamique d’adaptation en ouvrant l’attribution préférentielle aux partenaires liés par un PACS. La loi du 15 novembre 1999, qui institua le pacte civil de solidarité, permit aux partenaires pacsés de revendiquer l’attribution préférentielle en cas de dissolution du pacte.

Toutefois, le législateur posa une limite en excluant du champ d’application du dispositif les exploitations agricoles, signe d’une certaine prudence à l’égard d’un mécanisme historiquement conçu pour la transmission des structures économiques. Cette restriction traduisait la volonté de préserver le caractère successoral de l’attribution préférentielle dans certains secteurs stratégiques, tout en reconnaissant que les indivisions issues d’un PACS devaient pouvoir être réglées selon des mécanismes similaires à ceux applicables aux conjoints mariés.

==>La refonte du régime de l’attribution préférentielle par la loi du 23 juin 2006

L’évolution de l’attribution préférentielle ne s’est pas arrêtée à son extension aux différentes formes d’indivision. À partir du début du XXI siècle, le législateur s’attacha à refondre en profondeur le régime de l’attribution préférentielle, non seulement pour en assurer une meilleure cohérence, mais également pour l’adapter aux mutations économiques et sociétales.

La loi du 23 juin 2006, qui entreprit une réforme d’ampleur du droit des successions et des libéralités, marqua une nouvelle étape dans l’évolution de l’attribution préférentielle. Elle poursuivait un double objectif : clarifier et unifier les règles applicables, tout en étendant son champ d’application pour mieux répondre aux réalités patrimoniales contemporaines.

Trois avancées majeures méritent d’être mises en exergue :

  • Une réorganisation structurelle du dispositif : la réforme opéra une clarification méthodique en instituant dans le Code civil un paragraphe autonome consacré aux attributions préférentielles, désormais rassemblées aux articles 831 à 834. Par cette refonte, le législateur entendit ordonner la matière en rationalisant son architecture, offrant ainsi aux praticiens et aux justiciables une meilleure lisibilité et une cohérence renouvelée du régime applicable.
  • Une extension aux entreprises libérales et une harmonisation des terminologies : jusque-là, le texte se limitait à la notion d’exploitation agricole, révélant ainsi son ancrage dans une tradition juridique essentiellement tournée vers la préservation du patrimoine rural. La réforme de 2006 marqua un élargissement conceptuel, en substituant à cette appellation celle d’entreprise agricole, tout en intégrant expressément les entreprises libérales dans le domaine des attributions préférentielles. Cette évolution traduisait une volonté d’adapter l’institution aux réalités économiques contemporaines, où les activités libérales, commerciales et artisanales constituent des vecteurs essentiels du dynamisme économique.
  • L’abandon du critère de lien familial pour certaines entreprises : la réforme mit un terme à une restriction, en supprimant l’exigence d’un rattachement familial pour bénéficier de l’attribution préférentielle de certaines entreprises. Jusqu’alors, ce mécanisme était réservé aux héritiers en ligne directe ou aux proches parents du défunt. Désormais, l’attribution préférentielle peut être sollicitée par tout indivisaire remplissant les conditions d’exploitation ou de gestion de l’entreprise, indépendamment de tout lien de parenté. Ce changement traduit un renversement de perspective : alors que l’institution obéissait historiquement à une logique patrimoniale et successorale, elle repose désormais sur une approche éminemment économique, privilégiant la pérennité des structures d’exploitation à la simple transmission familiale.

Par cette réforme, l’attribution préférentielle acheva sa mue, s’émancipant de sa finalité originelle de remède au morcellement des exploitations agricoles, pour s’affirmer comme un mécanisme structurant du droit des partages. Elle s’inscrit ainsi désormais dans une dynamique plus large de conservation et de rationalisation des masses partageables, visant à préserver les actifs stratégiques qu’ils soient successoraux, professionnels ou simplement détenus en indivision, tout en conciliant stabilité économique et équité entre les copartageants.

==>Consolidation de la réforme de 2006

Dans les années qui suivirent la réforme de 2006, le législateur poursuivit son œuvre d’affinement du dispositif d’attribution préférentielle, soucieux de l’adapter aux exigences contemporaines et d’en parfaire le fonctionnement. 

La loi du 16 février 2015 introduisit une nouvelle catégorie de biens éligibles à l’attribution préférentielle : le véhicule du défunt, lorsqu’il est nécessaire aux besoins de la vie courante ou à l’exercice d’une activité professionnelle.

Jusqu’alors, l’attribution préférentielle s’attachait principalement aux immeubles et aux entreprises, considérés comme les piliers de la transmission patrimoniale. L’adjonction des véhicules au mécanisme traduit ainsi un infléchissement notable de la conception traditionnelle de l’institution, qui, sans renier sa vocation première de stabilisation du patrimoine indivis, s’adapte aux réalités modernes du quotidien.

Dans un monde où la mobilité est un instrument de l’autonomie, où l’accès à un véhicule conditionne l’exercice d’une activité professionnelle, la conservation d’un emploi, ou plus simplement l’organisation du quotidien, la transmission patrimoniale ne pouvait demeurer figée dans une approche exclusivement immobilière. Le législateur a donc pris acte de cette évolution en permettant qu’un véhicule puisse être attribué à titre préférentiel, dès lors qu’il répond à une nécessité impérieuse pour le demandeur.

Dès lors, cette nouvelle forme d’attribution préférentielle profite à deux catégories de bénéficiaires :

  • L’indivisaire dont l’activité professionnelle repose sur l’usage du véhicule : un médecin libéral devant assurer ses visites à domicile, un artisan se déplaçant pour ses chantiers, un agriculteur utilisant un engin spécifique pour l’exploitation de son domaine, ou encore un commerçant itinérant pouvaient désormais se voir reconnaître un droit de priorité sur le véhicule du défunt, à l’instar de ce qui était déjà prévu pour les locaux professionnels. Cette disposition vise à assurer la continuité économique et éviter une rupture brutale dans l’exercice de l’activité, laquelle aurait pu résulter d’une mise en partage du bien.
  • Le conjoint survivant ou tout autre copartageant ayant éminemment besoin du véhicule : l’attribution préférentielle pouvait également être sollicitée par une personne démontrant que le véhicule constituait un élément indispensable de son mode de vie, que ce soit pour assurer ses déplacements quotidiens, répondre à des obligations familiales, ou encore maintenir son indépendance face à un éloignement géographique des services essentiels.

Loin d’être anecdotique, cette réforme consacre une vision renouvelée de l’attribution préférentielle, ancrée dans une approche fonctionnelle du patrimoine, où la transmission ne se conçoit plus uniquement en termes de préservation des biens, mais bien dans une dynamique de continuité de l’usage et des besoins concrets des indivisaires. L’attribution préférentielle, en intégrant le véhicule, s’adapte ainsi aux mutations d’un monde dans lequel la mobilité constitue une ressource aussi précieuse qu’un toit ou qu’un outil de travail.

Un autre ajustement du dispositif intervint avec la loi du 24 mars 2014, qui mit un terme à une disparité persistante entre les époux et les partenaires pacsés en matière d’attribution préférentielle.

Depuis la reconnaissance du pacte civil de solidarité (PACS) en 1999, le droit patrimonial des couples s’était progressivement enrichi d’une protection accrue des partenaires survivants, sans toutefois atteindre le niveau de garanties conféré aux époux. S’ils pouvaient déjà bénéficier d’une certaine sécurité successorale, les partenaires pacsés ne jouissaient pas des mêmes droits que les conjoints mariés en matière d’attribution préférentielle, notamment lorsqu’il s’agissait du logement du couple ou d’un local professionnel.

Cette asymétrie fut levée en 2014, consacrant ainsi une harmonisation du droit patrimonial des couples, indépendamment de leur statut. Désormais, les partenaires pacsés accédaient aux mêmes droits que les époux en matière d’attribution préférentielle, selon des règles identiques. Cette avancée marqua une reconnaissance du PACS comme un mode d’union à part entière, venant concurrencer le mariage quant à l’organisation du patrimoine dans la cellule familiale.

Aussi, désormais, les partenaires pacsés sont admis à revendiquer :

  • L’attribution préférentielle du logement d’habitation et de son mobilier : cette évolution permit au partenaire survivant de demeurer dans le logement du couple, de la même manière qu’un conjoint marié, garantissant ainsi une protection renforcée de son cadre de vie. En étendant ce droit aux pacsés, le législateur entendait éviter toute insécurité successorale pour le survivant, en lui offrant une possibilité de conservation du bien au-delà du simple droit temporaire d’usage qui lui était jusqu’alors reconnu.
  • L’attribution préférentielle des biens professionnels indivis : un partenaire pacsé exploitant une activité dans un local dont le défunt était copropriétaire pouvait désormais en solliciter l’attribution dans les mêmes conditions qu’un époux survivant. Cette évolution était particulièrement importante pour les couples exerçant une activité libérale, artisanale ou commerciale, où l’enjeu de la transmission des outils de travail est souvent crucial pour la survie de l’exploitation.

Cette réforme traduisait une volonté de rationalisation et d’uniformisation du droit patrimonial des couples, en adéquation avec l’évolution des structures familiales. Elle consacrait ainsi une progression de l’attribution préférentielle vers un statut universel, applicable à toutes les formes d’indivision conjugale ou patrimoniale, sans distinction entre mariage et PACS.

Ces ajustements successifs révèlent la plasticité croissante de l’attribution préférentielle, qui, bien loin d’être une simple mesure technique de répartition successorale, s’est progressivement muée en un véritable instrument de protection patrimoniale, garantissant la pérennité des situations de vie et de travail des indivisaires.

D’abord pensée comme une exception au principe d’égalité dans les partages, elle tend désormais à se généraliser, répondant non plus seulement à une logique successorale, mais aussi à des impératifs de continuité patrimoniale et économique.

Le droit des partages ne se conçoit plus uniquement comme une opération de liquidation mécanique des biens indivis, mais bien comme un outil de préservation et d’organisation du patrimoine. En ce sens, l’attribution préférentielle dépasse aujourd’hui le cadre des successions pour s’imposer comme une clé de voûte de la gestion des indivisions, qu’elles soient familiales, conjugales ou professionnelles.

I) Domaine de l’attribution préférentielle

L’attribution préférentielle constitue une modalité essentielle du partage, permettant à certains coïndivisaires d’obtenir, sous conditions, l’allocation en pleine propriété d’un bien indivis moyennant indemnisation, le cas échéant, des autres indivisaires. Toutefois, si elle apparaît à première vue comme un simple aménagement du partage, son application n’est nullement automatique. La nature du bien, la qualité du demandeur et surtout l’origine de l’indivision déterminent le champ d’application de cette institution, qui se voit tantôt consacrée, tantôt restreinte par la jurisprudence. L’objet de la présente analyse est donc d’en cerner les contours, en examinant les conditions de sa mise en œuvre ainsi que les évolutions récentes en la matière.

A) Principe

1. Préexistence d’une indivision

L’attribution préférentielle ne saurait être sollicitée en dehors d’un état d’indivision. Elle suppose, en effet, que le bien en cause soit indivis et susceptible d’être partagé. En ce sens, elle ne peut être exercée lorsque la pleine propriété d’un bien se reconstitue naturellement sur la tête d’un indivisaire, notamment par l’extinction d’un usufruit (Cass. 1ère civ., 4 janv. 1973, n°71-13.859).

De même, elle se distingue de la faculté de prélèvement prévue à l’article 1077-1 du Code civil, qui écarte toute indivision en permettant à un héritier de prélever certains biens avant leur mise en partage. Il s’agit là d’un mécanisme autonome visant à favoriser la conservation de certains biens au profit d’un héritier sans passer par les contraintes de l’indivision et du partage.

Toutefois, la question se pose de savoir si l’attribution préférentielle peut être invoquée dans toute indivision ou si elle se limite aux seuls cas expressément prévus par la loi.

Traditionnellement, la jurisprudence a limité le bénéfice de l’attribution préférentielle aux cas où elle est expressément prévue par la loi, à savoir :

  • Les indivisions successorales (articles 831 et suivants du Code civil),
  • Les indivisions post-communautaires, nées de la dissolution d’un régime matrimonial,
  • Les indivisions résultant d’une séparation de biens entre époux ou partenaires pacsés.

Cette approche s’explique par le fait que l’attribution préférentielle constitue une dérogation au principe du partage égalitaire. Elle ne saurait donc être élargie au-delà des cadres définis par le législateur sans risquer de porter atteinte aux droits des autres indivisaires. La Cour de cassation, soucieuse de préserver la sécurité juridique, a ainsi longtemps enfermé son champ d’application dans ces hypothèses précises.

Néanmoins, ces dernières années, la jurisprudence semble avoir amorcé un mouvement d’assouplissement. Si le cadre législatif demeure inchangé, certaines décisions tendent à admettre que l’attribution préférentielle puisse être envisagée au-delà des seules hypothèses expressément prévues par le Code civil, dès lors que les circonstances particulières de l’indivision le justifient.

Ainsi, sans remettre en cause son fondement légal, les juges du fond ont parfois reconnu l’opportunité d’accorder une attribution préférentielle dans des situations où celle-ci permettrait de préserver une cohérence patrimoniale ou de maintenir l’affectation d’un bien à un usage spécifique. L’idée sous-jacente à cette évolution est de ne pas sacrifier des impératifs d’équilibre économique ou familial sur l’autel d’une lecture trop rigide du droit positif.

Cette ouverture progressive pose la question de l’avenir de l’attribution préférentielle. Si la tendance jurisprudentielle actuelle suggère une prise en compte plus pragmatique des situations d’indivision, il reste à savoir si cette évolution sera sanctionnée ou pérennisée par la Cour de cassation.

L’extension de l’attribution préférentielle à des indivisions hors du cadre légal strict pourrait trouver un fondement dans une volonté d’adaptation aux réalités patrimoniales modernes. Toutefois, cette souplesse nouvelle ne saurait se faire au détriment des autres indivisaires, ce qui incite la jurisprudence à maintenir un contrôle rigoureux sur les conditions de son octroi.

2. Les indivisions admises

L’application de l’attribution préférentielle ne dépend pas uniquement de l’existence d’un état d’indivision ; encore faut-il que cette indivision entre dans le champ des hypothèses admises par la loi et la jurisprudence. L’origine même de l’indivision constitue ainsi un critère déterminant, certaines d’entre elles ouvrant droit à cette faculté tandis que d’autres en sont exclues.

a. L’indivision successorale

L’indivision successorale constitue le cadre naturel de l’attribution préférentielle, institution dont la genèse remonte à la loi du 17 mars 1938, qui visait à préserver l’intégrité des exploitations agricoles en les soustrayant aux effets souvent destructeurs du partage successoral, qu’il prenne la forme du tirage au sort, du partage en nature ou de la licitation. Ce mécanisme, bien qu’ayant évolué au fil du temps, demeure profondément ancré dans le droit des successions et trouve aujourd’hui application dans toute indivision successorale, sous réserve que le demandeur remplisse les conditions posées par les articles 831 à 834 du Code civil.

Si l’attribution préférentielle permet d’assurer la transmission cohérente et fonctionnelle des biens indivis, elle n’en demeure pas moins un droit subsidiaire : elle ne s’impose jamais à la volonté du défunt, qui peut en restreindre l’exercice ou l’écarter totalement par disposition expresse.

Ainsi, le de cujus est-il libre, de son vivant, de régler la destination posthume de ses biens et prévoir un partage spécifique qui ne laisse place à aucune attribution préférentielle. L’exclusion peut résulter notamment :

  • D’un testament prescrivant un partage en nature, privant ainsi les héritiers de la faculté de revendiquer une attribution préférentielle (Cass. 1ère civ., 3 févr. 1959) ;
  • D’un legs particulier ou universel, qui soustrait le bien concerné au champ du partage successoral (Cass. req., 28 juill. 1947) ;
  • D’une donation-partage, par laquelle le défunt attribue ses biens de son vivant, ce qui leur fait perdre leur qualité de biens indivis (Cass. 1ère civ., 8 juill. 1958) ;
  • D’une stipulation contenue dans un contrat de mariage, permettant au conjoint survivant d’acquérir ou de conserver certains biens en cas de décès (Cass. 1ère civ., 14 févr. 1967).

Dans ces différentes hypothèses, le bien sort du périmètre de l’indivision successorale, et le jeu des articles 831 et suivants du Code civil est mécaniquement écarté.

Toutefois, l’exclusion de l’attribution préférentielle ne se produit pas dans tous les cas où le défunt a disposé de son bien. Une distinction s’impose entre la transmission privative et la transmission indivise.

Lorsque le défunt a conféré un droit privatif sur un bien à l’un de ses héritiers (ex. : legs particulier sur un immeuble), le bien est exclu de l’indivision et l’attribution préférentielle devient impossible (Cass. 1ère civ., 10 juill. 1968)

À l’inverse, lorsque le défunt a attribué des droits indivis par le biais d’un legs universel ou à titre universel, l’indivision est maintenue, ce qui laisse subsister le droit à l’attribution préférentielle pour l’un des co-indivisaires (Cass. 1ère civ., 30 oct. 1962).

La jurisprudence a ainsi précisé que les dispositions universelles ne privent pas les héritiers de leur faculté de demander l’attribution préférentielle, sauf si elles aboutissent à un démembrement intégral du patrimoine.

L’articulation entre les droits successoraux et la liberté du de cujus a connu d’importantes mutations, notamment sous l’effet de la loi du 23 juin 2006 qui a réformé le droit des successions.

Désormais, toutes les dispositions à titre gratuit, qu’elles soient entre vifs ou à cause de mort, sont réductibles en valeur (art. 924 C. civ.), ce qui signifie qu’un bien transmis ne revient pas dans la masse à partager, mais fait simplement l’objet d’une compensation financière. Cette règle confère au de cujus une importante liberté quant à organiser une répartition successorale excluant de facto l’attribution préférentielle.

Toutefois, la jurisprudence a admis qu’une exclusion directe de l’attribution préférentielle par une clause testamentaire ne serait pas systématiquement valide si elle se heurte à des principes fondamentaux du droit successoral, tels que les droits des héritiers réservataires (Cass. 1ère civ., 5 nov. 1996, n°94-15.886).

Les développements jurisprudentiels récents tendent vers un équilibre entre deux logiques :

  • D’un côté, le respect de la volonté du défunt, qui peut organiser la transmission de son patrimoine et limiter l’application de l’attribution préférentielle ;
  • De l’autre, la nécessité de préserver certains équilibres successoraux, notamment lorsque l’indivision concerne des biens à forte valeur d’usage familial ou professionnel.

En définitive, la faculté d’exclure l’attribution préférentielle s’inscrit dans une approche pragmatique du partage successoral : elle est admise tant qu’elle repose sur une disposition claire et non équivoque, mais ne saurait être opposée aux héritiers réservataires lorsque ceux-ci en demandent le bénéfice pour assurer la pérennité d’un bien familial.

b. L’indivision post-communautaire

L’attribution préférentielle trouve également à s’exercer dans le cadre de l’indivision post-communautaire, c’est-à-dire celle qui survient après la dissolution du régime matrimonial. Toutefois, son application varie selon la cause de dissolution de la communauté conjugale.

  • En cas de dissolution par décès, l’attribution préférentielle est un droit pleinement reconnu, permettant au conjoint survivant de se voir attribuer certains biens communs. Cette faculté favorise la stabilité du cadre de vie du survivant et facilite la transition successorale.
  • En cas de dissolution par divorce ou séparation de corps, l’attribution préférentielle n’est plus un droit automatique, mais une simple faculté laissée à l’appréciation souveraine du juge. En pratique, les tribunaux ont tendance à privilégier le conjoint ayant la garde des enfants, notamment lorsqu’il sollicite l’attribution du logement familial.

==>L’application de l’attribution préférentielle en cas de décès

Lorsque la communauté conjugale est dissoute par le décès de l’un des époux, la question du partage des biens communs se pose inévitablement. Dans ce contexte, l’attribution préférentielle constitue un mécanisme de protection essentiel pour le conjoint survivant, lui permettant de conserver certains biens ayant une importance patrimoniale et affective particulière.

L’article 1476 du Code civil prévoit expressément que les règles gouvernant le partage des successions s’appliquent au partage de la communauté conjugale, consacrant ainsi une assimilation entre l’indivision successorale et l’indivision post-communautaire. Cette disposition permet au conjoint survivant de prétendre à l’attribution préférentielle de certains biens communs, au même titre qu’un héritier indivisaire peut solliciter l’attribution préférentielle d’un bien relevant de la masse successorale.

Parmi les biens susceptibles d’être attribués préférentiellement, le logement familial occupe une place centrale. Il ne s’agit pas seulement d’un actif patrimonial, mais bien d’un élément structurant du cadre de vie du conjoint survivant, souvent empreint d’une forte dimension symbolique et affective.

Dès le milieu du XXe siècle, la jurisprudence a admis de manière constante que le conjoint survivant pouvait se voir attribuer la résidence principale du couple, facilitant ainsi son maintien dans un environnement familier et préservant son équilibre matériel et psychologique (Cass. 1ère civ.., 2 janv. 1952).

Cette solution se justifie à plusieurs titres :

  • Elle protège le conjoint survivant d’une mise en indivision prolongée avec d’autres héritiers, évitant ainsi d’éventuels conflits successoraux.
  • Elle préserve son droit au logement, particulièrement crucial lorsque le conjoint survivant est âgé ou dispose de revenus limités, ne lui permettant pas de se reloger aisément.
  • Elle favorise la stabilité familiale, notamment lorsque des enfants sont encore à charge, en évitant un bouleversement brutal des conditions de vie.

En pratique, les juridictions accordent une attention particulière à la situation du conjoint survivant et font généralement droit à la demande d’attribution préférentielle lorsque celui-ci résidait dans le logement familial avant le décès et que la conservation du bien présente un intérêt manifeste.

Si le logement familial constitue le bien le plus fréquemment concerné par l’attribution préférentielle, d’autres biens communs peuvent également en faire l’objet, sous réserve qu’ils remplissent des critères de nécessité et d’usage personnel pour le conjoint survivant.

Ainsi, la jurisprudence a progressivement admis que l’attribution préférentielle pouvait également porter sur :

  • Le mobilier meublant le logement familial, garantissant au conjoint survivant la jouissance effective du bien attribué sans avoir à racheter séparément les éléments qui le composent.
  • Les exploitations agricoles ou les fonds artisanaux lorsqu’ils constituaient l’activité principale du conjoint survivant, évitant ainsi une désorganisation brutale de son outil de travail.
  • Certains véhicules, notamment lorsque ceux-ci sont nécessaires à l’exercice d’une activité professionnelle ou au maintien de l’autonomie du conjoint survivant.

Dans chaque cas, les juges apprécient souverainement l’opportunité de l’attribution, en tenant compte de l’intérêt du conjoint survivant, mais également des droits des autres héritiers, notamment en matière de répartition de l’actif successoral.

Si l’attribution préférentielle offre au conjoint survivant un levier de protection efficace, elle n’a toutefois rien d’automatique. Le de cujus conserve la faculté d’écarter cette possibilité, en disposant de ses biens par donation, legs ou stipulation testamentaire.

Ainsi, plusieurs hypothèses peuvent priver le conjoint survivant du bénéfice de l’attribution préférentielle :

  • Le défunt peut avoir expressément prévu une répartition différente de son patrimoine, notamment en léguant le logement familial à un autre héritier.
  • Une clause testamentaire peut imposer un partage en nature, excluant de facto toute possibilité d’attribution préférentielle.
  • La donation-partage consentie du vivant du défunt peut avoir sorti le bien convoité de la masse partageable, rendant impossible son attribution au conjoint survivant.

Toutefois, même dans ces situations, la réduction des libéralités excessives prévue par l’article 924 du Code civil peut permettre de réintégrer certains biens dans la masse successorale et de préserver, dans une certaine mesure, les droits du conjoint survivant.

==>L’application de l’attribution préférentielle en cas de divorce ou de séparation de corps

Lorsque la communauté conjugale est dissoute du vivant des époux, que ce soit par divorce ou par séparation de corps, la question du sort des biens communs se pose avec acuité. Si l’attribution préférentielle s’est imposée sans difficulté dans le cadre du partage successoral, son application aux partages consécutifs à la dissolution du mariage a suscité, en revanche, de vives hésitations doctrinales et jurisprudentielles avant d’être pleinement consacrée par la loi.

À l’origine, la doctrine et la jurisprudence se montraient réticentes à admettre que l’attribution préférentielle puisse trouver à s’exercer dans les partages de communauté dissoute du vivant des époux. Cette hésitation procédait d’une double interrogation :

  • L’attribution préférentielle n’a-t-elle pas été conçue comme un mécanisme propre au droit des successions, justifiant sa limitation au seul cadre des indivisions successorales ?
  • Peut-on raisonnablement transposer ce mécanisme à la dissolution du mariage, alors même que le principe du partage égalitaire des biens communs prévaut dans cette hypothèse ?

Un premier revirement jurisprudentiel est intervenu avec un arrêt du 2 novembre 1954, où la Cour de cassation a affirmé que les règles de l’attribution préférentielle s’appliquaient à tout partage de communauté, quelle que soit la cause de sa dissolution (Cass. 1ère civ. 2 nov. 1954). Cette solution a été accueillie favorablement et a trouvé une consécration législative quelques années plus tard.

Ainsi, la loi du 19 décembre 1961 a esquissé une reconnaissance légale de l’attribution préférentielle dans le cadre des partages post-communautaires. Puis, la loi du 13 juillet 1965, réformant les régimes matrimoniaux, a levé toute ambiguïté en insérant dans l’article 1476 du Code civil une référence générale aux règles successorales en matière d’attribution préférentielle. Dès lors, le principe était acquis : l’attribution préférentielle pouvait être sollicitée dans le cadre d’un divorce ou d’une séparation de corps, sous réserve du respect des conditions légales.

Si l’attribution préférentielle est désormais admise en principe dans le cadre des partages post-communautaires, elle ne revêt cependant aucun caractère automatique. L’alinéa 2 de l’article 1476 du Code civil précise expressément que « l’attribution préférentielle n’est jamais de droit » en cas de divorce, séparation de corps ou séparation de biens, et que le juge peut toujours décider que la totalité de la soulte sera payable comptant.

Cette rédaction confère aux juridictions un pouvoir souverain d’appréciation, leur permettant d’examiner au cas par cas l’opportunité d’une attribution préférentielle. Ainsi, contrairement à l’hypothèse du décès où l’attribution préférentielle du logement familial au conjoint survivant est souvent favorisée, le juge du divorce ou de la séparation de corps dispose d’une latitude bien plus large pour accorder ou refuser cette mesure.

En pratique, les décisions des tribunaux ont progressivement dessiné les contours d’une politique judiciaire plus favorable à certaines catégories de justiciables, notamment lorsque l’attribution préférentielle concernait le logement familial.

L’un des critères essentiels retenus par les juges dans l’octroi de l’attribution préférentielle réside dans la présence d’enfants au foyer.

Dès les premières décisions de jurisprudence, une tendance s’est dégagée en faveur du conjoint ayant la garde des enfants, particulièrement lorsqu’il sollicite l’attribution du domicile conjugal.

Ainsi, un arrêt du 5 juin 1991 a rappelé avec force que l’attribution préférentielle dans le cadre d’un divorce relevait exclusivement de l’appréciation des juges du fond (Cass. 2e civ., 5 juin 1991, n°90-14.109). Cette solution a été confirmée par de nombreuses juridictions, qui ont systématiquement privilégié le conjoint divorcé non fautif, et plus encore celui qui avait la charge des enfants, en lui accordant l’attribution du logement familial (CA Paris, 4 févr. 1965).

Cette orientation protectrice repose sur une double considération :

  • Le maintien d’un cadre de vie stable pour les enfants, afin de limiter les effets déstabilisants de la séparation parentale.
  • L’impératif social de préservation du logement familial, qui constitue bien souvent le seul bien de valeur pour le conjoint économiquement le plus vulnérable.

Ainsi, bien que l’attribution préférentielle ne soit jamais de droit, les juges l’accordent fréquemment en présence d’enfants mineurs et que la conservation du logement familial apparaît comme un facteur de stabilité essentiel.

==>Cas particulier du droit au bail du logement conjugal

L’attribution préférentielle, telle que consacrée par l’article 831 et suivants du Code civil, vise principalement la transmission en pleine propriété d’un bien indivis. Toutefois, une hypothèse singulière se présente lorsque la demande d’attribution ne porte pas sur la propriété du logement conjugal, mais sur le droit au bail y afférent.

Dans ce cas, un régime spécifique s’applique, régi non plus par les règles de l’indivision successorale ou post-communautaire, mais par l’article 1751 du Code civil. Ce texte consacre un principe de portée générale : le droit au bail portant sur le logement conjugal est réputé appartenir aux deux époux, quel que soit leur régime matrimonial.

Contrairement à la propriété d’un bien immobilier, dont l’attribution repose sur l’origine du financement et les modalités d’acquisition, le droit au bail du logement conjugal obéit à un régime spécifique qui fait abstraction de ces considérations. Peu importe lequel des époux a signé le contrat de location ou assumé le paiement des loyers : dès lors qu’il s’agit du logement familial, la loi présume que le bail appartient conjointement aux deux conjoints.

Ce mécanisme vise à garantir l’égalité des époux dans la jouissance du domicile conjugal, en empêchant que l’un d’eux puisse évincer l’autre en invoquant une titularité exclusive du bail. Il confère donc une protection essentielle, notamment pour le conjoint économiquement dépendant ou pour celui qui n’aurait pas de titre de location à son nom.

Lorsque le couple se sépare, la question du sort du droit au bail se pose avec acuité. Le maintien dans les lieux de l’un des conjoints suppose une réattribution du bail, laquelle doit prendre en considération des critères sociaux et familiaux.

L’article 1751, alinéa 2 du Code civil prévoit ainsi une procédure spécifique permettant au juge de statuer sur l’attribution du droit au bail à l’un des époux. Cette décision repose sur une appréciation souveraine des intérêts en présence, en tenant compte des circonstances particulières du divorce ou de la séparation de corps.

Le juge devra notamment considérer :

  • La situation familiale, notamment la présence d’enfants, qui constitue un critère déterminant pour privilégier le maintien du conjoint ayant leur garde dans le logement.
  • Les considérations sociales et économiques, en favorisant l’époux dont la situation financière ne permettrait pas de retrouver aisément un autre logement.
  • Les circonstances de la séparation, en veillant à éviter une attribution abusive qui désavantagerait injustement l’un des conjoints.

Cette approche pragmatique permet d’assurer une transition équitable entre la vie conjugale et la séparation, en préservant autant que possible la stabilité du cadre de vie familial.

Si le droit au bail du logement conjugal peut faire l’objet d’une attribution judiciaire, il ne relève pas du régime général de l’attribution préférentielle prévu par l’article 831-2, 1° du Code civil.

Les principales différences entre les deux dispositifs sont les suivantes :

CritèresAttribution préférentielle classique (art. 831-2, 1° C. civ.)Attribution judiciaire du droit au bail (art. 1751, al. 2 C. civ.)
Objet de l’attributionTransmission en pleine propriété d’un bien immobilier indivisTransfert de la titularité du bail sans acquisition de la propriété
Cadre juridiquePartage successoral ou post-communautaireDivorce ou séparation de corps
Droit applicableArticles 831 et suivants du Code civilArticle 1751 du Code civil
Critères d’attributionPriorité aux héritiers ou époux remplissant les conditions légalesAppréciation souveraine du juge en fonction des intérêts familiaux et sociaux
Effet juridiqueLe bénéficiaire devient propriétaire du bienLe bénéficiaire devient seul titulaire du bail mais n’acquiert pas la propriété

Bien que l’attribution du droit au bail présente des similarités avec l’attribution préférentielle, ses effets sont plus limités, dans la mesure où :

  • Elle ne confère aucun droit de propriété sur le logement, mais seulement le droit d’en être le locataire exclusif.
  • Elle est soumise aux termes du contrat de bail, ce qui implique que le bénéficiaire doit respecter les obligations locatives et ne bénéficie d’aucune garantie de renouvellement automatique.
  • Elle ne peut être invoquée à titre absolu, le juge pouvant refuser l’attribution s’il estime qu’elle ne se justifie pas au regard des circonstances du divorce.

==>La prise d’effet de l’attribution préférentielle dans le cadre de l’indivision post-communautaire

La question du moment auquel doivent être réunies les conditions d’octroi de l’attribution préférentielle dans le cadre d’une indivision post-communautaire a longtemps suscité des incertitudes, notamment en cas de divorce ou de séparation de corps. Si la jurisprudence avait, dans un premier temps, posé le principe d’une prise d’effet rétroactive à la date de la demande en divorce, la réforme de 2019 est venue clarifier et aménager ce régime.

Jusqu’à la réforme du 23 juin 2006, le principe de rétroactivité de la dissolution du régime matrimonial était consacré par l’ancien article 262 du Code civil, qui disposait que les effets du divorce sur le régime matrimonial remontaient au jour de la demande en divorce (ou de la demande en séparation de corps).

Cette disposition avait une conséquence directe sur l’attribution préférentielle :

  • Le moment déterminant pour apprécier si les conditions de l’attribution préférentielle étaient réunies était fixé à la date de la demande en divorce.
  • Ainsi, un époux souhaitant obtenir l’attribution d’un bien commun devait démontrer qu’il remplissait les critères dès le dépôt de la requête en divorce, et non au moment du prononcé du divorce définitif.
  • La jurisprudence en a déduit que l’indivision post-communautaire naissait rétroactivement à cette date, figeant ainsi la composition du patrimoine commun et les droits des parties (Cass. 1ère civ., 21 mai 1969).

Toutefois, ce système présentait des inconvénients majeurs. Il figeait artificiellement la situation patrimoniale des époux à une date parfois très antérieure au jugement de divorce, ce qui pouvait être source d’injustices, notamment en cas de longue procédure ou d’évolution significative de la situation des époux entre-temps.

La loi du 23 juin 2006 a profondément modifié la prise d’effet du divorce sur le régime matrimonial en introduisant une nouvelle règle dans l’article 262-1 du Code civil. Désormais, le divorce prenait effet à la date de l’ordonnance de non-conciliation (ONC), et non plus à la date de la demande en divorce.

Cette réforme a marqué une rupture importante avec le régime antérieur :

  • L’indivision post-communautaire ne prenait naissance qu’à compter de l’ordonnance de non-conciliation, soit un stade avancé de la procédure où le juge statuait sur des mesures provisoires.
  • Dès lors, les conditions d’attribution préférentielle devaient être réunies à la date de l’ONC, et non plus à la date de la demande en divorce.
  • Cette solution se justifiait par le fait que l’ONC marquait le premier contrôle judiciaire de la séparation des époux, rendant plus cohérent le choix de cette date pour fonder les droits des parties sur les biens communs.

Néanmoins, cette réforme n’a pas totalement figé la prise d’effet du divorce sur le régime matrimonial. L’article 262-1 du Code civil instaurait une exception permettant aux époux de solliciter du juge la fixation d’une date distincte, en considération des circonstances propres à leur situation. Cette faculté, largement mobilisée dans les divorces contentieux, offrait une souplesse bienvenue, notamment lorsque l’un des conjoints parvenait à démontrer qu’un décalage de la date de dissolution du régime matrimonial garantirait une répartition plus équitable du patrimoine commun.

La réforme du divorce du 23 mars 2019, entrée en vigueur le 1er janvier 2021, a de nouveau modifié le régime applicable à la prise d’effet du divorce sur les biens des époux. Elle a supprimé l’ordonnance de non-conciliation et a rétabli le principe selon lequel la dissolution du régime matrimonial intervient à la date de la demande en divorce (assignation ou requête conjointe).

L’article 262-1 du Code civil, dans sa version actuelle, prévoit que la dissolution du régime matrimonial prend effet à la date de l’assignation en divorce, sauf disposition contraire adoptée par les époux ou décision du juge.

L’indivision post-communautaire est donc figée à cette date, et les conditions de l’attribution préférentielle doivent être remplies à ce moment-là.

Toutefois, les époux conservent la possibilité de convenir d’une date différente, en vertu de l’article 265-2 du Code civil.

Le juge peut également fixer une autre date si des circonstances exceptionnelles le justifient, notamment en cas de rupture de la vie commune bien avant l’introduction de la procédure.

Cette réforme vise à simplifier et sécuriser la prise d’effet du divorce sur les biens des époux. En supprimant l’ONC et en rétablissant un critère fixe pour l’indivision post-communautaire, elle permet d’éviter les incertitudes qui existaient auparavant et de donner une plus grande prévisibilité aux époux souhaitant organiser le partage de leurs biens.

L’évolution du régime encadrant la prise d’effet du divorce a profondément influencé les conditions d’exercice de l’attribution préférentielle, témoignant d’une oscillation entre rigidité et souplesse au fil des réformes :

  • Avant 2006, les conditions d’attribution préférentielle devaient être réunies dès la date de la demande en divorce. Cette approche, bien que simple dans son application, s’avérait souvent inadaptée aux fluctuations de la situation patrimoniale des époux au cours de la procédure.
  • Entre 2006 et 2019, l’instauration d’un critère fondé sur l’ordonnance de non-conciliation a permis de reporter l’appréciation des conditions d’attribution préférentielle à un stade plus avancé de la procédure. Ce mécanisme offrait ainsi une certaine souplesse, en tenant compte de l’évolution de la situation patrimoniale des époux après l’introduction de la demande en divorce. Toutefois, cette approche s’accompagnait d’un inconvénient majeur : l’incertitude résultant des délais parfois longs séparant la requête initiale de cette ordonnance, rendant la prévisibilité des droits patrimoniaux plus complexe.
  • Depuis 2019, la réforme a marqué un retour à une date unique, celle de la demande en divorce. Cette solution, plus lisible, garantit une meilleure prévisibilité aux parties. Toutefois, elle n’exclut pas toute modulation, les époux conservant la faculté de convenir d’une date différente par convention, ou de solliciter du juge une adaptation en fonction des circonstances particulières du litige.

Dans ce contexte, la question de l’attribution préférentielle doit être envisagée dès l’engagement de la procédure de divorce. L’époux demandeur doit s’assurer qu’il satisfait aux conditions légales dès l’assignation, faute de quoi sa demande risque d’être rejetée, en raison de l’absence de fondement juridique à la date de référence retenue pour l’ouverture de l’indivision post-communautaire.

c. L’indivision post-sociétaire

L’attribution préférentielle, bien ancrée dans le droit des successions et des régimes matrimoniaux, trouve également à jouer dans le cadre du partage des sociétés dissoutes. Toutefois, son application soulève des interrogations en raison de la nature particulière de l’indivision post-sociétaire. Dès lors que l’actif social subsiste après extinction du passif, les associés deviennent indivisaires sur ces biens et peuvent prétendre à leur attribution sous certaines conditions.

i. Reconnaissance

Avant son encadrement législatif, l’attribution préférentielle appliquée aux sociétés en liquidation suscitait de vives incertitudes. En effet, si l’ancien article 1872 du Code civil prévoyait que les règles du partage successoral s’appliquaient aux sociétés en liquidation, il demeurait silencieux quant à la possibilité d’étendre l’attribution préférentielle aux parts sociales ou aux actions. Or, ce mécanisme, conçu à l’origine pour préserver l’unité économique des exploitations agricoles et des entreprises individuelles, se heurtait à la spécificité des sociétés, entités juridiquement distinctes de leurs associés.

Dans cette incertitude, la Cour de cassation a progressivement admis la possibilité de transposer l’attribution préférentielle aux sociétés en liquidation. Un arrêt du 4 novembre 1983 en fournit une illustration: elle y reconnaît qu’un associé peut prétendre à l’attribution préférentielle des droits sociaux dans le cadre du partage d’une société constituée entre concubins. La Haute juridiction considère alors que l’expression « conjoint survivant ou tout héritier », utilisée dans l’ancien article 832 du Code civil, pouvait être interprétée de manière extensive afin d’inclure les associés partageant un intérêt patrimonial commun (Cass. 1ère civ., 4 nov. 1983, n°82-12.450). Cette lecture audacieuse visait à éviter le morcellement des parts sociales et à préserver la continuité de l’exploitation économique, mais elle restait fragile, faute de fondement textuel explicite.

L’intervention du législateur a finalement permis de dissiper ces incertitudes. La loi du 4 janvier 1978 a consacré à l’article 1844-9 du Code civil un principe général de transposition des règles successorales aux partages entre associés, en affirmant que « les règles concernant le partage des successions, y compris l’attribution préférentielle, s’appliquent aux partages entre associés ». Cette reconnaissance législative a mis un terme aux hésitations doctrinales et jurisprudentielles en érigeant l’attribution préférentielle en droit commun du partage de l’indivision post-sociétaire.

Ce dispositif a été consolidé par la loi du 20 juillet 1982, qui a expressément étendu l’attribution préférentielle aux droits sociaux des exploitations agricoles et des entreprises à caractère familial. Cette évolution traduit la volonté du législateur d’assurer la continuité des structures économiques, en permettant à un associé d’hériter des droits sociaux nécessaires à la poursuite de l’activité.

Désormais, un associé peut solliciter l’attribution préférentielle lors du partage de l’actif subsistant d’une société, sous réserve des aménagements éventuellement prévus dans les statuts ou dans un pacte d’associés. Toutefois, si cette faculté constitue une avancée majeure en matière de transmission d’entreprise, elle demeure encadrée par le droit des sociétés, notamment par les clauses d’agrément ou de continuation qui peuvent restreindre sa mise en œuvre.

ii. Domaine d’application

L’attribution préférentielle peut s’exercer dans deux hypothèses bien distinctes : avant la dissolution de la société, lorsqu’il s’agit d’obtenir les droits sociaux d’un associé décédé ou sortant, et après sa dissolution, lorsque le partage de l’actif social subsistant est engagé.

==>L’attribution préférentielle avant la dissolution de la société

Tant que la société est en activité, le mécanisme d’attribution préférentielle peut s’appliquer aux parts ou actions détenues par un associé défunt ou sortant. Depuis la loi du 23 juin 2006, l’article 832 du Code civil utilise le terme « droits sociaux » au lieu de « parts sociales », afin d’inclure toutes les formes de sociétés, qu’elles soient commerciales, artisanales, agricoles ou libérales.

Ce mécanisme permet d’éviter l’entrée d’un tiers dans la société ou la vente de participations à des personnes extérieures. Il constitue une modalité privilégiée de maintien de l’unité économique de l’entreprise en assurant sa transmission entre associés légitimes.

==>L’attribution préférentielle après la dissolution de la société

Une fois la société dissoute, l’attribution préférentielle peut porter sur les biens en nature figurant dans l’actif subsistant. En application de l’article 1844-9 du Code civil, cette possibilité est néanmoins subordonnée à trois conditions:

  • L’extinction du passif social : le partage ne peut intervenir qu’après désintéressement des créanciers sociaux.
  • Le maintien en nature du bien convoité : l’attribution préférentielle ne peut jouer que sur des biens qui se retrouvent dans la masse à partager.
  • L’absence de clause contraire : les statuts ou une décision des associés peuvent aménager la répartition de l’actif et restreindre l’application du droit commun.

À noter que l’article 1844-9 du Code civil prévoit un ordre de priorité : l’associé qui retrouve son apport en nature bénéficie d’un droit d’attribution avant toute autre demande d’attribution préférentielle. Cette faculté, qui s’exerce moyennant le paiement d’une éventuelle soulte, prime sur les autres demandes émanant des coassociés.

iii. Conditions

Si la loi reconnaît désormais le principe de l’attribution préférentielle post-sociétaire, la jurisprudence demeure prudente quant aux conditions exigées du demandeur. 

Deux courants s’opposent:

  • Une interprétation restrictive voudrait que seules les personnes remplissant les conditions posées par l’article 831 du Code civil puissent se prévaloir de ce droit, c’est-à-dire les héritiers ou le conjoint survivant d’un associé défunt. Cette lecture limiterait considérablement la portée de l’article 1844-9 et exclurait toute application en dehors des hypothèses successorales.
  • Une interprétation extensive, plus conforme à l’esprit du texte, considère que l’attribution préférentielle est un simple mécanisme de partage et non un droit exclusivement successoral. Elle repose sur la seule qualité de copropriétaire de l’actif social, et non sur la vocation successorale du demandeur. En ce sens, un associé souhaitant obtenir l’attribution préférentielle d’un bien figurant dans l’actif social indivis pourrait le solliciter, qu’il soit héritier ou non.

La jurisprudence récente semble s’orienter vers cette seconde approche. Dans un arrêt du 30 mai 2006, la Cour de cassation a appliqué l’article 1844-9 à une indivision issue de la liquidation d’une société entre concubins, admettant ainsi que la seule qualité d’associé permettait de revendiquer l’attribution préférentielle d’un bien appartenant à l’actif social indivis (Cass. 1ère civ., 30 mai 2006, n°04-14.749).

Cette évolution s’inscrit dans une logique pragmatique : dès lors qu’un bien demeure en indivision après la dissolution d’une société, il doit pouvoir être attribué à l’un des indivisaires qui justifie d’un intérêt légitime à le conserver. L’article 1844-9 du Code civil prend ainsi toute sa mesure en garantissant la pérennité des entreprises dissoutes et en favorisant la transmission des biens professionnels ou agricoles.

d. L’indivision conventionnelle

L’indivision conventionnelle occupe une place singulière dans le régime de l’attribution préférentielle. À la différence des indivisions successorales ou post-communautaires, qui résultent d’un fait juridique échappant à la volonté des parties, elle procède d’un accord entre les indivisaires, rendant ainsi plus incertaine l’application de ce mécanisme dérogatoire au principe du partage égalitaire.

Traditionnellement, la jurisprudence a adopté une lecture restrictive, refusant de reconnaître l’attribution préférentielle dans les indivisions résultant d’un acte de volonté des parties. Cette position trouve son fondement dans l’idée que les indivisaires, en choisissant de se placer sous un régime d’indivision conventionnelle, disposent d’une pleine liberté pour organiser la sortie d’indivision. Il leur appartient, dès la conclusion de l’acte, de prévoir les conditions de répartition des biens en cas de partage. Ainsi, lorsqu’un bien est acquis conjointement par des indivisaires qui n’ont pas de lien successoral ou matrimonial, la faculté d’attribution préférentielle ne saurait être imposée à l’un d’eux au détriment des autres (Cass. 1ère civ., 13 janv. 1969).

Cette rigueur jurisprudentielle se justifiait par la nécessité de préserver le principe d’égalité entre les coïndivisaires et d’éviter qu’un indivisaire ne puisse s’imposer unilatéralement aux autres. L’argument tiré de l’origine volontaire de l’indivision justifiait alors l’exclusion de l’attribution préférentielle, qu’il s’agisse d’un achat en indivision, d’une donation conjointe ou encore d’un partage amiable laissant subsister une indivision.

Toutefois, cette position a progressivement évolué, notamment lorsqu’il s’agit d’indivisions présentant une dimension familiale. La Cour de cassation a amorcé une inflexion en admettant que certaines indivisions conventionnelles puissent relever du champ de l’attribution préférentielle dès lors qu’elles conservent un lien étroit avec une indivision successorale ou matrimoniale.

Dans un arrêt du 7 juin 1988, elle a ainsi reconnu qu’un bien acquis indivisément par des concubins avant leur mariage pouvait faire l’objet d’une attribution préférentielle au profit de l’un des ex-époux lors du divorce, à la condition que ce bien ait constitué le domicile conjugal et que le mariage ait été conclu sous le régime de la communauté légale (Cass. 1ère civ., 7 juin 1988, n°86-15.090). 

En l’espèce, les anciens époux avaient acquis en indivision un appartement avant leur union, chacun pour moitié. Après leur mariage sous le régime de la communauté légale, ce bien avait été affecté à leur domicile conjugal. Lors de la liquidation de la communauté, à la suite du divorce, l’ex-épouse, qui y résidait toujours, sollicitait l’attribution préférentielle du bien indivis. La cour d’appel rejeta cette demande, au motif que l’acquisition était intervenue avant le mariage et que les parties ne s’étaient pas mariées sous le régime de la séparation de biens.

Censurant cette décision, la Cour de cassation rappela que l’attribution préférentielle pouvait être demandée dans le cadre du partage des indivisions de nature familiale, y compris lorsque l’indivision avait une origine conventionnelle antérieure au mariage. Elle consacra ainsi une approche fonctionnelle, tenant compte de la vocation familiale du bien au moment du partage et non de sa seule origine juridique.

Cette décision marque une évolution jurisprudentielle en faveur d’une conception élargie de l’attribution préférentielle, qui ne se limite plus aux seules indivisions successorales ou post-communautaires, mais peut également s’étendre à certaines indivisions conventionnelles, dès lors que leur finalité s’apparente à celle des autres catégories d’indivision bénéficiant de ce mécanisme.

Un autre arrêt, rendu par le Première chambre civile le 21 septembre 2016, est venu confirmer cette évolution (Cass. 1ère civ., 21 sept. 2016, n°15-24.683). En l’espèce, à la suite du décès de leurs parents, plusieurs héritiers avaient procédé à un partage amiable de la succession, dans le cadre duquel certains biens immobiliers avaient été attribués en indivision à deux d’entre eux. Quelques années plus tard, l’un des coïndivisaires sollicita le partage de ces parcelles agricoles et demanda, à cette occasion, leur attribution préférentielle. Son coïndivisaire s’y opposa, soutenant que l’indivision ne relevait pas des règles successorales stricto sensu, mais d’un accord contractuel issu de leur partage amiable.

La Cour de cassation rejeta cet argument et confirma la décision des juges du fond ayant fait droit à la demande d’attribution préférentielle. Elle affirma que l’attribution préférentielle pouvait être demandée dans le partage des indivisions de nature familiale, même lorsqu’elles trouvaient leur origine dans un pacte conventionnel. Ce faisant, elle consacra une analyse pragmatique de la notion d’indivision successorale, en retenant que la qualification d’indivision familiale ne dépendait pas uniquement de son mode de constitution, mais aussi de sa finalité et de son rattachement à une transmission patrimoniale entre héritiers.

Cet arrêt s’inscrit dans le prolongement d’une tendance jurisprudentielle visant à ne plus exclure systématiquement du champ de l’attribution préférentielle les indivisions conventionnelles, dès lors qu’elles conservent une vocation successorale. Il illustre ainsi la volonté des juges d’adapter le droit du partage aux réalités patrimoniales contemporaines, en prenant en compte la continuité des liens familiaux dans la gestion des biens indivis.

Malgré ces évolutions, la jurisprudence continue d’opérer une distinction nette entre les indivisions présentant une dimension familiale et les indivisions purement contractuelles.

D’un côté, les indivisions successorales et celles qui trouvent leur origine dans un cadre familial bénéficient d’un assouplissement progressif, qui traduit une volonté de préserver la stabilité patrimoniale et la continuité des biens au sein du cercle familial. Cet élargissement jurisprudentiel permet d’éviter une licitation systématique des biens et favorise le maintien de certaines unités économiques ou familiales essentielles.

D’un autre côté, les indivisions strictement contractuelles demeurent exclues du champ de l’attribution préférentielle, la jurisprudence considérant que l’autonomie des parties doit être préservée. Ainsi, un bien acquis en indivision par deux associés commerciaux ou par des concubins sans lien successoral ou matrimonial demeure soumis au principe de partage égalitaire, sans possibilité pour l’un des indivisaires d’imposer une attribution préférentielle à l’autre.

L’orientation actuelle du droit semble donc marquée par un équilibre entre, d’une part, la reconnaissance d’une protection accrue pour les indivisions à vocation familiale et, d’autre part, la préservation de l’autonomie contractuelle dans les indivisions purement volontaires.

Si la tendance jurisprudentielle actuelle tend à élargir le champ d’application de l’attribution préférentielle, elle demeure soumise à des limites strictes. Toute évolution future supposerait une intervention législative pour clarifier les conditions d’application de ce mécanisme aux indivisions conventionnelles.

En l’état, la Cour de cassation a exclu toute application automatique de l’attribution préférentielle aux indivisions nées d’une convention, sauf si elles présentent un lien avéré avec une indivision successorale ou matrimoniale. Cette position permet d’éviter que l’attribution préférentielle ne devienne un instrument d’ingérence unilatérale dans des relations purement contractuelles, tout en assurant une protection adaptée aux situations où le maintien en indivision répond à des impératifs familiaux ou patrimoniaux.

Il n’est pas exclu que, dans les années à venir, une nouvelle inflexion soit opérée, notamment pour les indivisions conventionnelles conclues entre membres d’une même famille. Une reconnaissance plus large de l’attribution préférentielle pourrait alors s’inscrire dans une logique d’adaptation du droit des biens aux mutations contemporaines des structures familiales et patrimoniales. Toutefois, toute évolution en ce sens devra veiller à préserver l’équilibre entre protection des indivisaires et respect du principe de liberté contractuelle.

B) Limites

Bien que la jurisprudence ait progressivement assoupli les conditions d’octroi de l’attribution préférentielle, son application demeure encadrée par certaines restrictions. 

Deux obstacles majeurs subsistent en la matière : d’une part, la complexité résultant des indivisions mixtes, où la superposition de plusieurs masses patrimoniales rend l’attribution préférentielle plus incertaine ; d’autre part, le statut des partenaires pacsés et des concubins, ces derniers étant exclus du dispositif en l’absence d’un cadre légal spécifique.

1. Les indivisions mixtes

Lorsqu’un bien relève simultanément de plusieurs indivisions distinctes – par exemple, à la fois d’une indivision successorale et d’une indivision post-communautaire – la situation se complexifie. En principe, le demandeur à l’attribution préférentielle doit détenir des droits indivis dans l’ensemble des masses concernées. À défaut, sa demande peut être rejetée.

Dans un arrêt rendu le 15 janvier 2014, la Cour de cassation a rappelé que l’attribution préférentielle d’un bien indivis suppose que le demandeur détienne des droits indivis sur l’intégralité des masses concernées (Cass. 1ère civ., 15 janv. 2014, n° 12-25.322). En l’espèce, un immeuble dépendait à la fois d’une indivision successorale et d’une indivision comprenant un tiers, en l’occurrence une société. L’un des indivisaires, occupant le bien et souhaitant en obtenir l’attribution préférentielle, ne justifiait cependant de droits indivis que dans l’indivision successorale et non dans l’indivision incluant la société.

La Haute juridiction a rejeté sa demande en affirmant que l’attribution préférentielle ne peut être accordée lorsque le bien appartient indivisément aux héritiers et à un tiers. Cette décision repose sur une exigence fondamentale : le partage ne saurait affecter les droits d’un indivisaire extérieur à la masse successorale. Autrement dit, il est impossible d’imposer à un coïndivisaire une cession de ses droits lorsque le demandeur n’est pas engagé dans la même indivision.

Ce principe illustre la volonté du juge de préserver la cohérence des partages en évitant toute interférence entre différentes masses patrimoniales. Ainsi, l’attribution préférentielle, qui constitue une modalité dérogatoire du partage, ne peut jouer qu’au sein d’une indivision homogène, à l’exclusion des situations où la coexistence de plusieurs indivisions rendrait son application incohérente.

2. Le traitement différencié des partenaires et des concubins

Une autre limite à l’attribution préférentielle tient au statut du demandeur, notamment lorsqu’il s’agit d’un partenaire pacsé ou d’un concubin.

La loi du 15 novembre 1999, instaurant le pacte civil de solidarité, a initialement laissé les partenaires en dehors du dispositif de l’attribution préférentielle. Ce n’est qu’avec la loi du 23 juin 2006 que l’article 515-6 du Code civil leur a conféré un droit d’attribution préférentielle, calqué sur celui reconnu aux époux et aux héritiers. Désormais, un partenaire survivant peut, dans le cadre d’un partage successoral, demander l’attribution préférentielle du logement qu’il occupait avec le défunt. Toutefois, ce droit reste subordonné aux mêmes conditions que celles imposées aux héritiers et ne s’applique qu’en présence d’une indivision successorale.

À l’inverse, les concubins demeurent exclus de ce dispositif. En l’état du droit positif, un concubin survivant ne peut pas solliciter l’attribution préférentielle d’un bien indivis, même s’il constituait son domicile principal. Cette exclusion repose sur l’absence de cadre juridique spécifique au concubinage, qui reste une union de fait, laquelle n’emporte aucun effet juridique spécifique.

Toutefois, une exception existe : lorsqu’il est démontré que les concubins ont constitué une société créée de fait, l’attribution préférentielle peut, dans certains cas, être envisagée. La Cour de cassation a notamment admis, dans un arrêt du 26 septembre 2012, que la reconnaissance d’une société créée de fait entre concubins pouvait permettre à l’un d’eux de revendiquer certains droits patrimoniaux sur un bien indivis (Cass. 1ère civ., 26 sept. 2012, n°11-12.838). Cette solution reste toutefois exceptionnelle et suppose d’apporter la preuve de l’existence d’une véritable volonté de partager les pertes et les bénéfices et d’un affectio societatis.

L’exclusion des concubins du bénéfice de l’attribution préférentielle pourrait néanmoins faire l’objet d’évolutions futures, à mesure que le concubinage tend à se rapprocher juridiquement du PACS. L’harmonisation des régimes patrimoniaux de ces différentes unions, déjà amorcée en matière de droits successoraux, pourrait conduire à une extension progressive du champ d’application de l’attribution préférentielle aux concubins, notamment lorsqu’un bien indivis constituait leur résidence principale.

II) Conditions de l’attribution préférentielle

A) Conditions relatives aux biens

L’attribution préférentielle, telle qu’organisée par les articles 831 et suivants du Code civil, vise à assurer la stabilité économique et patrimoniale en permettant à certains indivisaires d’obtenir la propriété exclusive de biens répondant à des besoins professionnels, familiaux ou agricoles. D’abord instaurée dans une perspective essentiellement agricole, afin de favoriser la transmission des petites et moyennes exploitations familiales, elle a progressivement été étendue à d’autres catégories de biens considérées comme essentielles à la pérennité économique et sociale du copartageant demandeur.

Aujourd’hui, le législateur a dressé une liste limitative des biens pouvant faire l’objet d’une attribution préférentielle. Ce dispositif permet ainsi d’assurer, au profit du demandeur, la propriété exclusive de certains biens répondant à des impératifs économiques, professionnels ou résidentiels, dès lors qu’ils sont jugés indispensables à l’exercice d’une activité ou au maintien d’un cadre de vie stable. Tous les biens qui ne figurent pas dans cette liste relèvent du droit commun du partage et ne peuvent être attribués par préférence à l’un des indivisaires, quelles que soient les circonstances de la cause.

L’analyse des textes applicables et de la jurisprudence permet de regrouper ces biens en fonction de deux critères : la nature du bien (immeubles, mobiliers, droits sociaux) et sa destination (résidentielle, professionnelle ou agricole). Ce classement met en lumière la logique sous-jacente à ce mécanisme : assurer la conservation des biens présentant une affectation particulière et éviter leur dispersion en cas de partage successoral ou d’indivision post-communautaire.

1. Les biens liés à l’habitat familial

Les règles encadrant l’attribution préférentielle confèrent une protection particulière au logement occupé par le conjoint survivant ou un héritier copropriétaire, garantissant ainsi la préservation du cadre de vie du demandeur et la continuité de ses conditions d’existence. Cette prérogative, prévue à l’article 831-2, 1° du Code civil, vise à éviter qu’un indivisaire ayant résidé durablement dans un bien indivis ne se retrouve contraint d’en quitter les lieux à la suite du partage.

Il ressort de la jurisprudence que cette protection ne s’étend qu’à la résidence principale du demandeur, à l’exclusion des résidences secondaires ou des locaux occupés de manière occasionnelle. Elle peut s’accompagner de l’attribution des meubles meublants garnissant le bien, ainsi que du véhicule du défunt, à condition que celui-ci soit nécessaire aux besoins de la vie courante.

a. La propriété ou le droit au bail du logement familial

L’attribution préférentielle du logement familial permet au conjoint survivant ou à l’héritier copropriétaire de se voir attribuer, par voie de partage, soit la pleine propriété du bien, soit le droit au bail y afférent, afin de garantir la continuité de ses conditions d’existence. Cette prérogative, consacrée par l’article 831-2, 1° du Code civil, repose sur l’idée que le maintien du bénéficiaire dans son cadre de vie habituel est un impératif supérieur, justifiant qu’il soit préféré aux autres indivisaires lors du partage.

La distinction entre propriété et droit au bail revêt une importance déterminante, l’attribution préférentielle ne pouvant porter que sur le titre juridique détenu par le défunt au jour du décès. Selon que l’immeuble était détenu en indivision ou loué par le défunt, les conséquences de l’attribution préférentielle seront radicalement différentes.

i. L’attribution préférentielle de la propriété du logement familial

==>Principe

L’attribution préférentielle permet à un indivisaire de devenir propriétaire exclusif du logement familial, sous réserve du paiement d’une éventuelle soulte si la valeur du bien excède ses droits dans l’indivision (art. 831-2, 1 C. civ.).

Lorsque le bien convoité appartient en pleine propriété à l’indivision successorale, l’attribution préférentielle permet au bénéficiaire d’échapper aux aléas du partage en obtenant un droit exclusif sur le logement familial. Il se substitue aux autres indivisaires et devient pleinement propriétaire du bien, ce qui lui confère :

  • Un droit d’usage et de disposition exclusif, lui permettant d’occuper, de louer ou de vendre le bien sans l’accord des autres indivisaires ;
  • L’obligation d’assumer toutes les charges afférentes à l’entretien et à la conservation du bien ;
  • Une obligation éventuelle de verser une soulte aux autres indivisaires si la valeur du bien attribué dépasse ses droits dans la succession.

L’attribution préférentielle poursuit un objectif de stabilité familiale et patrimoniale. Il s’agit d’éviter que le conjoint survivant ou un héritier copropriétaire ne soit contraint de quitter brutalement un logement qu’il occupait déjà de manière effective.

Si l’attribution préférentielle garantit une protection renforcée, elle n’est cependant pas automatique. Le législateur a posé une exigence stricte d’occupation effective du logement par le demandeur, condition sine qua non du bénéfice de ce mécanisme.

Ainsi, la loi ne vise pas un simple bien à usage d’habitation, mais exige que le demandeur y ait eu sa résidence à l’époque du décès et que le logement « lui serve effectivement d’habitation » (art. 831-2, 1° C. civ.).

La Cour de cassation a rappelé cette exigence dans un arrêt du 1er juillet 1997, écartant toute possibilité d’attribution préférentielle pour une résidence secondaire ou un bien dans lequel le demandeur ne faisait que des séjours occasionnels (Cass. 1ère civ., 1er juill. 1997, n°95-12.263). Cette solution est conforme à la finalité de l’institution : assurer la continuité du cadre de vie, et non conférer un avantage patrimonial qui serait déconnecté de toute nécessité d’usage.

Dès lors, seul le logement occupé à titre principal par le demandeur peut faire l’objet d’une attribution préférentielle, à l’exclusion des résidences secondaires, des biens vacants ou des locaux utilisés de manière intermittente. Cette exigence est d’autant plus stricte que l’attribution préférentielle constitue une modalité particulière de partage, impliquant un dessaisissement forcé des autres indivisaires. Il appartient dès lors au juge d’exercer une appréciation rigoureuse des conditions d’habitation du demandeur afin de ne pas dénaturer le mécanisme.

Toutefois, l’impératif de préservation du logement familial trouve son expression la plus aboutie lorsque le conjoint survivant est concerné. La protection qui lui est conférée s’exerce avec une particulière intensité, puisque l’article 831-3 du Code civil lui accorde un droit d’attribution préférentielle de plein droit : « l’attribution préférentielle visée au 1° de l’article 831-2 est de droit pour le conjoint survivant. »

Il en résulte que le juge ne peut refuser l’attribution préférentielle au conjoint survivant, sauf si celui-ci y renonce expressément. Ce droit automatique traduit la volonté du législateur de préserver l’équilibre familial et la sécurité du conjoint après le décès du de cujus.

À l’inverse, pour les héritiers autres que le conjoint survivant, l’attribution préférentielle demeure facultative. Elle ne peut être accordée que s’ils justifient d’un besoin légitime d’occupation et d’une continuité d’usage avérée du bien. Cette distinction reflète l’approche différenciée retenue par le législateur, qui réserve aux époux un régime protecteur renforcé, tout en maintenant une certaine souplesse pour les autres cohéritiers.

==>Limites

Si l’attribution préférentielle constitue une modalité protectrice du partage successoral, elle ne saurait pour autant être détournée à des fins d’éviction des autres indivisaires ou de captation abusive du patrimoine. Dès lors, la jurisprudence a institué trois principales limites à son exercice :

  • Première limite
    • L’attribution préférentielle ne peut porter que sur le logement familial et ne s’étend pas aux autres locaux situés dans le même immeuble, sauf s’ils sont indissociables du logement.
    • Ainsi, un immeuble comprenant plusieurs parties distinctes, notamment des locaux commerciaux, professionnels ou indépendants, ne peut être attribué en totalité, sauf si ces locaux forment un tout indivisible (Cass. 1ère civ. 1er mars 1988, n°86-13.110).
    • Pour exemple, un héritier occupant un appartement dans un immeuble comprenant également des bureaux et des commerces ne pourra obtenir l’attribution de l’ensemble du bien que s’il prouve l’impossibilité de dissocier les espaces sans compromettre l’intégrité de l’immeuble. À défaut, seul le logement occupé sera attribué, les autres locaux étant soumis aux règles classiques du partage successoral.
    • Cette limitation s’applique également aux annexes et dépendances (garage, cave, jardin), qui ne peuvent être comprises dans l’attribution que si elles sont strictement nécessaires à l’usage normal du bien principal. Une analyse au cas par cas est requise pour apprécier si ces éléments sont accessoires ou détachables du logement.
  • Deuxième limite
    • L’attribution préférentielle ne peut être sollicitée que sur un bien relevant intégralement de l’indivision successorale.
    • Dès lors, si le bien est détenu en indivision avec un tiers extérieur à la succession, l’attribution préférentielle devient impossible.
    • Dans une affaire où un immeuble appartenait pour partie aux héritiers et pour partie à une société tierce, la Cour de cassation a refusé l’attribution préférentielle, considérant que le bien ne faisait pas intégralement partie du patrimoine successoral (Cass. 1ère civ. 15 janv. 2014, n°12-25.322 et 12-26.460).
    • Cette restriction découle du principe selon lequel l’attribution préférentielle est une modalité du partage successoral, lequel suppose une répartition des biens entre cohéritiers. Il n’est pas possible d’imposer à un tiers une cession forcée de ses droits dans l’indivision.
    • Ainsi, lorsqu’un bien est détenu en indivision avec une personne étrangère à la succession, l’attribution préférentielle ne peut être exercée que si le demandeur parvient à acquérir la quote-part du tiers par voie amiable. À défaut, le bien demeure soumis au régime de l’indivision classique et doit être partagé conformément aux règles ordinaires.
  • Troisième limite
    • L’attribution préférentielle ne doit pas être confondue avec un simple droit d’occupation. 
    • Un indivisaire ne peut pas demander l’attribution préférentielle sous la forme d’un bail sur le bien indivis, en tentant d’en éviter les charges afférentes.
    • Ainsi, un héritier ne saurait réclamer une simple jouissance du logement en demandant à se voir attribuer un bail au lieu d’en devenir propriétaire.
    • La raison en est que l’attribution préférentielle constitue une modalité de partage successoral. Elle implique que l’attributaire devienne pleinement propriétaire du bien concerné et en assume les charges patrimoniales.
    • Or, si le logement familial fait partie de l’indivision successorale en pleine propriété, un indivisaire ne peut pas contourner ce mécanisme en sollicitant un simple bail sur le bien indivis au lieu d’en devenir propriétaire.

ii. L’attribution préférentielle du droit au bail du logement familial

Lorsqu’un logement familial ne relève pas de l’actif successoral en pleine propriété mais repose sur un contrat de bail, l’attribution préférentielle ne porte pas sur la propriété du bien, mais sur le droit locatif qui y est attaché.

Ce mécanisme a pour finalité d’assurer la continuité de l’occupation du logement familial, en évitant que le décès du preneur ne conduise à l’éviction du conjoint survivant ou de l’héritier occupant. Il s’inscrit ainsi dans la même logique de protection que l’attribution préférentielle de la propriété du logement, tout en répondant aux spécificités du régime locatif.

Toutefois, l’attribution préférentielle du droit au bail obéit à des règles distinctes et demeure encadrée par des principes stricts afin de garantir l’équilibre du partage successoral et d’éviter tout détournement du mécanisme à des fins de captation du patrimoine.

==>Principe

L’article 1742 du Code civil prévoit que « le contrat de louage n’est point résolu par la mort du bailleur ni par celle du preneur. »

Il ressort de cette disposition que le décès du preneur n’entraîne pas l’extinction automatique du bail, qui se poursuit de plein droit au bénéfice de ses héritiers. Toutefois, cette transmission successorale du bail ne signifie pas que l’ensemble des héritiers deviennent cotitulaires du bail de manière indifférenciée. Il appartient en effet à ceux qui souhaitent conserver le logement d’en solliciter l’attribution préférentielle, afin de bénéficier d’un droit exclusif sur le bien locatif.

Toutefois, les modalités de cette transmission varient selon la situation juridique du logement et la qualité des personnes concernées.

En effet, l’attribution préférentielle du droit au bail n’est pas automatique : elle doit être demandée par l’un des héritiers ou par le conjoint survivant, et son octroi est conditionné à la démonstration d’un intérêt légitime à se maintenir dans les lieux.

Deux hypothèses doivent être distinguées :

  • Le défunt était le seul preneur du bail
    • Dans cette configuration, le droit au bail entre dans l’actif successoral et peut faire l’objet d’une demande d’attribution préférentielle au profit d’un héritier ou du conjoint survivant.
    • Celui qui sollicite l’attribution doit démontrer :
      • Qu’il résidait effectivement dans le logement au moment du décès,
      • Que cette occupation présente un caractère stable et permanent,
      • Qu’il dispose d’un intérêt légitime à s’y maintenir, notamment en raison de l’absence d’autre solution d’hébergement ou de son attachement particulier au bien.
    • L’octroi de l’attribution préférentielle dans ce cadre ne constitue pas un droit absolu et reste soumis à l’appréciation souveraine des juges du fond, qui examinent les circonstances de chaque espèce.
  • Le défunt et son conjoint étaient cotitulaires du bail
    • Lorsque le bail était consenti au nom des deux époux, la situation est radicalement différente : dans ce cas, le conjoint survivant bénéficie de plein droit du bail, sans qu’il ait besoin d’invoquer l’attribution préférentielle.
    • Ce principe découle de l’article 1751 du Code civil, qui dispose que « le droit au bail du local, sans caractère professionnel ou commercial, qui sert effectivement à l’habitation de deux époux est réputé appartenir à l’un et à l’autre des époux. En cas de décès de l’un des époux, le conjoint survivant cotitulaire du bail dispose d’un droit exclusif sur celui-ci, sauf s’il y renonce expressément. »
    • Ainsi, dans cette hypothèse, le droit au bail n’entre pas dans l’actif successoral, mais est automatiquement transféré au conjoint survivant, qui en devient l’unique titulaire sans qu’aucune démarche supplémentaire ne soit requise.

==>Limites

Si l’attribution préférentielle du droit au bail constitue un mécanisme essentiel de protection du cadre de vie du conjoint survivant ou de l’héritier copropriétaire, elle ne saurait être exercée sans restriction. Plusieurs limites viennent encadrer son application, afin de préserver l’équilibre du partage successoral et d’éviter toute captation abusive du bien concerné.

  • Première limite
    • Contrairement au conjoint marié ou au partenaire pacsé, qui bénéficient d’un droit exclusif sur le bail en vertu de l’article 1751 du Code civil, le concubin survivant ne dispose d’aucun droit automatique à la poursuite du bail du défunt.
    • Ainsi, à défaut de cotitularité expresse du contrat de bail ou d’une clause spécifique de transmission au profit du survivant, le concubin doit impérativement formuler une demande d’attribution préférentielle, laquelle demeure soumise à l’appréciation souveraine des juges du fond.
    • Toutefois, en pratique, la jurisprudence se montre particulièrement rigoureuse et rechigne à conférer au concubin un statut équivalent à celui du conjoint survivant. 
    • L’attribution préférentielle ne peut être accordée qu’en présence de circonstances exceptionnelles, et ne saurait pallier l’absence de protection légale spécifique des concubins en matière successorale.
  • Deuxième limite
    • L’attribution préférentielle repose sur l’idée que les biens successoraux doivent être répartis entre les seuls cohéritiers.
    • Dès lors, lorsque la propriété du logement familial est détenue en indivision avec un tiers extérieur à la succession, l’attribution préférentielle devient inopérante.
    • Dans une telle hypothèse, l’attribution du droit au bail reviendrait à imposer au tiers propriétaire une cession forcée de ses droits, ce qui est contraire aux principes fondamentaux du droit des biens et de l’indivision.
    • La Cour de cassation, dans un arrêt du 15 janvier 2014 a expressément écarté l’attribution préférentielle du droit au bail dans une affaire où un bien indivis était détenu à la fois par les héritiers et une société tierce (Cass. 1ère civ. 15 janv. 2014, n°12-25.322 et 12-26.460).
    • La Haute juridiction a rappelé que l’attribution préférentielle suppose que le bien convoité appartienne exclusivement aux cohéritiers, et qu’elle ne saurait être utilisée pour contourner les droits d’un tiers copropriétaire.

En définitive, l’attribution préférentielle ne peut être invoquée que pour répondre à un besoin légitime d’occupation, et non dans le but de conférer à un héritier un avantage patrimonial excessif au détriment des autres indivisaires.

Ainsi, un demandeur ne saurait détourner ce mécanisme pour se ménager une jouissance gratuite du bien, ou pour évincer ses cohéritiers en bénéficiant d’un droit exclusif d’occupation sans en assumer les charges correspondantes.

L’attribution préférentielle ne doit pas altérer l’équilibre du partage successoral, ni aboutir à une captation abusive du patrimoine successoral sous couvert de protection du logement familial. Elle constitue une prérogative d’exception, dont l’octroi est soumis à une appréciation rigoureuse des juges, soucieux de garantir une répartition équitable des droits successoraux.

b. L’extension aux meubles meublants et au véhicule du défunt

L’attribution préférentielle ne se limite pas au logement familial lui-même. Elle s’étend, sous certaines conditions, aux éléments matériels qui le composent, en particulier aux meubles meublants qui le garnissent et au véhicule du défunt. Ces extensions, désormais consacrées par la loi, visent à garantir la continuité des conditions d’existence du conjoint survivant ou de l’héritier attributaire. Toutefois, ce droit demeure encadré et ne saurait s’appliquer de manière indifférenciée à l’ensemble des biens mobiliers de la succession.

==>L’attribution préférentielle des meubles meublants

L’attribution préférentielle des meubles meublants repose sur une idée fondamentale : assurer au bénéficiaire du logement familial un cadre de vie cohérent et fonctionnel. En ce sens, l’article 831-2, 1° du Code civil prévoit que l’attribution préférentielle du logement emporte également celle des meubles qui le garnissent.

Cette extension vise à prévenir le risque de démantèlement du cadre de vie de l’attributaire. Sans cette disposition, l’attribution préférentielle du logement pourrait se révéler inopérante si l’attributaire devait se voir privé des meubles nécessaires à son usage. La loi garantit ainsi une occupation du bien dans des conditions normales, en préservant l’harmonie matérielle du lieu de vie.

Toutefois, l’attribution préférentielle des meubles meublants demeure strictement encadrée. Ne peuvent en bénéficier que les biens qui sont effectivement destinés à garnir le logement familial. À ce titre, la jurisprudence a exclu certains objets qui, bien que présents dans le logement, ne sauraient être assimilés à des meubles meublants au sens de la loi.

Sont ainsi exclus du champ de l’attribution préférentielle :

  • Les instruments professionnels, qui ne relèvent pas d’un usage strictement domestique et ne participent pas au confort quotidien du logement ;
  • Les souvenirs de famille, souvent dotés d’une valeur sentimentale ou patrimoniale particulière, qui sont, en principe, destinés à être partagés entre les héritiers du sang.

Avant l’adoption de la loi du 3 décembre 2001, la jurisprudence refusait d’admettre l’attribution préférentielle des meubles meublants, faute de base légale expresse (CA Paris, 4 nov. 1969). Cette incertitude a été levée par l’intervention du législateur, qui a conféré une assise juridique incontestable à cette possibilité.

Désormais, l’attribution préférentielle des meubles meublants constitue une prérogative pleinement reconnue, permettant à l’attributaire du logement familial d’en conserver l’ameublement nécessaire à une occupation effective et immédiate.

==>L’attribution préférentielle du véhicule du défunt

Si l’attribution préférentielle des meubles meublants était devenue une évidence, celle du véhicule du défunt a longtemps été sujette à controverse. Pendant de nombreuses années, la jurisprudence adoptait une position stricte et refusait l’attribution préférentielle des véhicules, au motif qu’ils ne pouvaient être assimilés aux meubles meublants. Il en résultait des situations parfois inéquitables, privant un conjoint survivant ou un héritier d’un bien pourtant essentiel à sa vie quotidienne (CA Paris, 21 mai 2008, n° 07/11591).

Cette difficulté a été résolue par la loi n° 2015-177 du 16 février 2015, qui a explicitement étendu l’attribution préférentielle aux véhicules du défunt, à condition qu’ils soient nécessaires aux besoins de la vie courante.

Cette exigence de nécessité a pour objet d’éviter que l’attribution préférentielle du véhicule ne devienne un simple avantage patrimonial. Il ne s’agit pas de permettre au conjoint ou à l’héritier d’obtenir un bien de valeur sans justification particulière, mais bien de garantir son autonomie et son maintien dans des conditions de vie habituelles.

Dès lors, plusieurs restrictions s’imposent :

  • L’attribution préférentielle ne pourra être demandée pour un véhicule de collection ou un bien de luxe, dont l’usage ne correspond pas à un besoin quotidien ;
  • La nécessité de l’usage devra être démontrée par le demandeur, notamment en l’absence de solutions alternatives (modes de transport accessibles, proximité des services essentiels, situation de handicap, etc.).

Cette évolution législative consacre une approche pragmatique de l’attribution préférentielle. En reconnaissant que la protection du cadre de vie ne saurait se limiter aux seuls biens immobiliers, le législateur a voulu intégrer à ce dispositif les éléments matériels indispensables à la vie quotidienne.

L’attribution préférentielle du véhicule illustre ainsi l’évolution du droit successoral vers une prise en compte plus fine des besoins des copartageants. Elle garantit au conjoint survivant ou à l’héritier demandeur la possibilité de conserver un bien qui, dans de nombreuses situations, conditionne l’exercice d’une activité professionnelle ou la simple continuité des déplacements nécessaires à la vie courante.

2. Les biens liés à une activité professionnelle

2.1 L’attribution préférentielle des entreprises commerciales, industrielles, artisanales ou libérales

a. Énoncé du principe

L’attribution préférentielle, initialement conçue comme un instrument de préservation des exploitations agricoles face aux aléas du partage successoral, a connu une transformation majeure au fil du temps. Ce mécanisme, autrefois circonscrit à la transmission des patrimoines ruraux, a progressivement étendu son champ d’application aux entreprises de toute nature, répondant ainsi aux impératifs contemporains de pérennité économique et de stabilité entrepreneuriale.

Ce mouvement d’expansion a culminé avec la réforme opérée par la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, qui a consacré un régime simplifié et plus accessible à l’attribution préférentielle des entreprises, désormais régie par l’article 831 du Code civil.

L’attribution préférentielle trouve son origine dans la nécessité d’éviter le morcellement des exploitations agricoles au moment du partage successoral. Cette préoccupation, profondément ancrée dans la tradition juridique française, s’est traduite dans l’ancien article 832 du Code civil, qui encadrait strictement l’octroi de cette faveur successorale.

Lorsqu’en 1961, la faculté d’attribution préférentielle fut étendue aux entreprises commerciales, industrielles et artisanales, celles-ci furent assimilées aux exploitations agricoles et soumises aux mêmes critères restrictifs. Elles devaient ainsi répondre simultanément à trois conditions:

  • Une existence réelle, impliquant une activité économique tangible et identifiable ;
  • L’unité économique, c’est-à-dire une cohérence structurelle et une interdépendance entre les éléments composant l’entreprise ;
  • Le caractère familial, condition introduite en 1982 pour réserver l’attribution préférentielle aux héritiers ayant un lien direct avec l’activité, excluant ainsi les entreprises de grande envergure ou purement patrimoniales.

Cependant, ces critères restrictifs se sont révélés inadaptés aux réalités économiques contemporaines, marquées par:

  • L’éclatement des activités économiques, avec des entreprises fonctionnant en réseau ou réparties entre plusieurs entités juridiques ;
  • La diversité des structures entrepreneuriales, souvent constituées sous forme de sociétés à capital dispersé, parfois avec des actionnaires non familiaux.

En conséquence, ces conditions ont engendré un contentieux abondant, notamment sur la notion d’unité économique, que la Cour de cassation a longtemps considéré comme une question de fait laissée à l’appréciation souveraine des juges du fond (Cass. 1ère civ., 10 mai 2007, n°05-20.177). Toutefois, face aux divergences jurisprudentielles, elle a progressivement renforcé son contrôle de légalité, censurant certaines décisions pour violation de la loi ou manque de base légale (Cass. 1re civ., 18 mai 2005, n°02-13.502).

Conscient des difficultés d’application de l’ancien régime, le législateur a procédé, par la loi du 23 juin 2006, à une simplification et une généralisation du dispositif d’attribution préférentielle. L’article 831 du Code civil, dans sa rédaction actuelle, dispose que « toute entreprise, agricole, commerciale, industrielle, artisanale ou libérale, peut faire l’objet d’une attribution préférentielle au profit d’un héritier. S’il y a lieu, la demande d’attribution préférentielle peut porter sur des droits sociaux, sans préjudice de l’application des dispositions légales ou des clauses statutaires sur la continuation d’une société avec le conjoint survivant ou un ou plusieurs héritiers. »

Ce texte marque une rupture avec les anciennes contraintes en supprimant deux critères qui avaient complexifié la mise en œuvre du dispositif :

  • L’exigence d’unité économique, qui était source de contentieux et dont l’interprétation variait selon les juges du fond ;
  • L’exigence du caractère familial, qui limitait l’accès à l’attribution préférentielle aux seules entreprises à dimension familiale, excluant de facto certaines structures plus complexes.

Désormais, seules deux conditions sont requises pour qu’une entreprise puisse faire l’objet d’une attribution préférentielle :

  • Une consistance matérielle et juridique suffisante, ce qui signifie que l’entreprise doit être constituée d’éléments permettant une exploitation effective et identifiable ;
  • Son inclusion dans l’indivision successorale, ce qui exclut les biens ou droits sociaux qui ne feraient pas partie du patrimoine du défunt.

Ainsi, peu importe la taille de l’entreprise, sa structure juridique ou son mode d’exploitation :

  • Un cabinet libéral (avocat, médecin, expert-comptable) est éligible à l’attribution préférentielle, au même titre qu’un fonds de commerce ou un atelier artisanal ;
  • Les parts sociales d’une société peuvent être attribuées préférentiellement, sous réserve du respect des statuts et des clauses du pacte social (article 831, alinéa 2 du Code civil).

En revanche, certaines limites demeurent :

  • Un bail commercial ou un bail professionnel pris par le défunt ne peut être attribué préférentiellement, sauf s’il constitue un élément accessoire d’un fonds de commerce transmis dans son ensemble ;
  • Les droits sociaux sont soumis aux clauses statutaires et aux règles légales sur la transmission des parts (agrément des associés, préemption…).

b. Conditions d’application

L’attribution préférentielle d’une entreprise dans le cadre d’une succession repose sur une conciliation délicate entre la nécessité d’assurer la pérennité de l’activité économique et le respect des droits successoraux des cohéritiers. Ce mécanisme, qui permet à un héritier de se voir attribuer une entreprise issue de l’indivision, moyennant le cas échéant le versement d’une soulte, demeure étroitement encadré par la loi.

Sa mise en œuvre répond ainsi à deux exigences principales:

  • Des conditions matérielles, tenant à l’existence même de l’entreprise et à sa consistance économique ;
  • Des conditions juridiques, qui encadrent la transmission du bien et garantissent l’équilibre des droits entre les héritiers.

Loin d’être un simple privilège, l’attribution préférentielle s’inscrit donc dans une logique de préservation du tissu économique, tout en veillant à éviter toute atteinte aux principes fondamentaux du partage successoral.

i. Les conditions matérielles

L’attribution préférentielle d’une entreprise dans le cadre d’un partage ne se réduit pas à la simple transmission d’un bien. Elle obéit à des exigences matérielles précises, destinées à garantir que l’activité concernée constitue une entité économique viable et exploitable. Loin d’être un droit automatique, cette faculté, consacrée par l’article 831 du Code civil, ne peut être mise en œuvre qu’à certaines conditions strictes, dont l’appréciation relève du pouvoir souverain des juges du fond.

Ainsi, l’entreprise concernée ne saurait se résumer à un actif patrimonial isolé. Elle doit s’inscrire dans un cadre structuré, combinant des moyens matériels et humains autour d’une activité économique réelle. L’attribution préférentielle n’a pas pour objet de permettre l’appropriation d’éléments épars, mais bien d’assurer la continuité d’une exploitation cohérente, apte à être poursuivie sans discontinuité par l’héritier attributaire.

==>Une entreprise devant exister et être immédiatement exploitable

L’attribution préférentielle d’une entreprise suppose son existence effective au moment du partage. Il ne suffit pas qu’un bien présente une simple vocation professionnelle : encore faut-il qu’il soit actuellement exploité ou immédiatement exploitable.

Cette exigence découle directement de l’article 831 du Code civil, qui encadre l’attribution préférentielle dans une logique de pérennisation des outils de production et non de simple transfert patrimonial. L’objectif est ainsi de favoriser la continuité des entreprises existantes, en évitant leur démantèlement dans le cadre du partage successoral. La jurisprudence veille rigoureusement à cette exigence et rappelle que l’attribution préférentielle ne saurait être accordée si l’entreprise ne présente pas une réalité économique tangible (Cass. 1re civ., 10 mai 2007, n° 05-20.177).

Dès lors, plusieurs situations sont exclues du champ de l’attribution préférentielle :

  • Un stock de marchandises isolé, qui ne saurait à lui seul constituer une entreprise en l’absence d’une structure organisationnelle cohérente et d’une clientèle attachée. La jurisprudence rappelle que l’attribution ne peut porter sur des actifs économiques dissociés d’une activité en cours (Cass. 1re civ., 13 déc. 1994, n° 93-10.875).
  • Un local commercial vacant ou un atelier artisanal désaffecté, sauf à démontrer l’existence de démarches concrètes et sérieuses attestant d’une reprise d’activité imminente (Cass. 1re civ., 16 juin 1993, n° 91-19.812). L’héritier doit ainsi prouver que l’entreprise dispose des éléments nécessaires à son exploitation effective et que son activité peut être immédiatement relancée.
  • Un cabinet libéral dont l’activité aurait cessé, si aucune preuve ne vient établir que la patientèle ou la clientèle demeure rattachée à la structure et que la reprise est effective. La raison en est que l’exercice d’une profession libérale repose sur une relation de confiance qui ne saurait être maintenue en l’absence d’activité continue.

Ainsi, le juge apprécie souverainement si l’entreprise dispose encore d’une activité viable et exploitable. Il s’assure que l’attribution préférentielle ne devienne pas un simple levier patrimonial, permettant à un héritier de capter un actif professionnel sur la seule foi d’un projet incertain.

Cette rigueur se justifie par la finalité même de l’attribution préférentielle : elle ne doit pas être détournée de son objet pour devenir un instrument d’appropriation patrimoniale, mais bien un levier de continuité économique.

La doctrine souligne ainsi que « l’attribution préférentielle repose sur la nécessité d’assurer la transmission d’une activité et non d’un simple patrimoine ». Dans cette logique, l’article 831 du Code civil ne permet l’attribution que si l’exploitation de l’entreprise est assurée, excluant ainsi toute opération de spéculation sur un bien professionnel inactif.

En conséquence, si le demandeur ne peut justifier d’une exploitation en cours ou d’une capacité immédiate de reprise, l’attribution préférentielle ne saurait lui être accordée. La jurisprudence veille à ce que ce mécanisme demeure un outil de transmission d’une activité effective et non une simple opportunité patrimoniale.

Ainsi, l’entreprise doit non seulement exister, mais être immédiatement exploitable pour permettre une transmission effective et pérenne. Toute demande ne respectant pas cette exigence est rejetée par les tribunaux, qui veillent à préserver l’esprit du dispositif successoral, garant de la transmission des entreprises familiales et de la continuité des activités économiques.

==>Une entreprise formant un ensemble structuré et cohérent

L’attribution préférentielle d’une entreprise suppose qu’elle constitue une entité économique fonctionnelle, articulée autour de moyens matériels, humains et économiques interdépendants. Loin de se réduire à une simple juxtaposition d’actifs, l’entreprise doit former un ensemble homogène et viable, propre à assurer la continuité de l’activité.

Si la réforme de 2006 a supprimé l’exigence formelle d’unité économique, cette notion demeure un critère sous-jacent pour apprécier la consistance réelle de l’exploitation. La Cour de cassation l’a rappelé en affirmant que l’entreprise doit être dotée de la cohérence suffisante pour constituer une entité économique identifiable et exploitable, condition sine qua non de l’attribution préférentielle (Cass. 1re civ., 10 mai 2007, n° 05-20.177).

Aussi, pour faire l’objet d’une attribution préférentielle, l’entreprise doit-elle comprendre:

  • Un local d’exploitation, servant de siège à l’activité (boutique, atelier, cabinet, bureau professionnel…) ;
  • Des moyens matériels indispensables (équipements, stocks, outillage, mobilier, logiciels professionnels…) ;
  • Une clientèle ou une patientèle, élément essentiel pour les professions libérales, où la pérennité de l’activité repose sur une relation de confiance avec la clientèle.

L’attribution préférentielle peut donc s’étendre à l’ensemble des éléments constituant l’exploitation, dès lors qu’ils participent directement à son activité. Autrement dit, elle doit inclure tous les biens nécessaires au maintien de l’entreprise dans son intégrité et son exploitation normale.

À l’inverse, l’attribution préférentielle ne saurait être utilisée comme un simple levier patrimonial pour obtenir certains biens indépendamment de l’exploitation effective d’une entreprise. Ainsi, ne peuvent être qualifiés d’entreprises et exclus du champ de l’attribution :

  • Un immeuble commercial sans fonds de commerce attaché, dans la mesure où il ne participe pas directement à une activité économique (Cass. 1re civ., 28 mai 1991, n° 89-17.292) ;
  • Des éléments d’actif isolés, comme un stock de marchandises dépourvu d’une organisation commerciale effective ou un local d’exploitation sans clientèle, qui ne sauraient constituer à eux seuls une entité économique viable.

La doctrine s’accorde à reconnaître que l’attribution préférentielle suppose l’existence d’une entreprise véritablement en activité, regroupant l’ensemble des éléments nécessaires à son exploitation effective. Elle ne peut porter sur un simple ensemble d’actifs épars, dépourvu de toute cohérence économique et organisationnelle. L’entreprise doit ainsi constituer une entité fonctionnelle, capable d’assurer la poursuite immédiate de son activité sans nécessiter de reconstitution artificielle.

Ainsi, Jean Prieur souligne que « la finalité de l’attribution préférentielle est d’assurer la transmission des outils de production en évitant leur dispersion, mais sans conférer à un héritier un avantage économique indépendant d’une logique d’exploitation ».

Dans le même sens, Michel Grimaldi relève que « l’exclusion des actifs patrimoniaux isolés vise à préserver l’esprit du mécanisme successoral, en évitant que l’attribution préférentielle ne soit détournée de sa vocation économique au profit d’un simple effet de concentration patrimoniale ».

Ainsi, si l’unité économique n’est plus une condition formelle, son absence peut néanmoins constituer un motif de rejet de la demande d’attribution préférentielle par le juge, dès lors que l’ensemble revendiqué ne présente pas les caractéristiques d’une exploitation autonome et pérenne.

==>L’absence d’exigence de rentabilité ou de productivité

Si l’entreprise doit être immédiatement exploitable, sa rentabilité ou sa productivité ne constitue pas une condition de l’attribution préférentielle. Il serait en effet contraire à l’esprit de l’article 831 du Code civil d’exiger qu’une entreprise soit florissante au moment du partage, dès lors qu’elle demeure viable et que ses moyens d’exploitation sont préservés.

La Cour de cassation a consacré cette approche en affirmant que les difficultés économiques d’une entreprise ne sauraient, à elles seules, faire obstacle à son attribution préférentielle (Cass. 1re civ., 28 janv. 1997, n° 95-15.003). Cette jurisprudence protège ainsi la continuité des outils de production, en permettant à un héritier de reprendre une exploitation même en période de transition ou de fragilité financière.

Dès lors, il est admis qu’une attribution préférentielle puisse être sollicitée pour une entreprise:

  • Confrontée à des difficultés passagères, dès lors que l’activité demeure réelle et que l’exploitation n’est pas abandonnée ;
  • Engagée dans une phase de restructuration, lorsque l’héritier attributaire projette une modernisation ou une adaptation du modèle économique ;
  • Temporairement déficitaire, à condition que les moyens matériels et humains nécessaires à son exploitation soient préservés et que la clientèle ne soit pas irrémédiablement éteinte.

La doctrine abonde en ce sens, soulignant que l’objectif du mécanisme n’est pas d’attribuer une entreprise en raison de sa performance immédiate, mais bien de garantir sa transmission et d’assurer la pérennité de son activité.

En définitive, ce qui importe n’est pas tant l’état financier de l’entreprise à l’instant du partage, mais sa capacité à être maintenue et développée par l’héritier attributaire. Cette vision dynamique du mécanisme d’attribution préférentielle renforce son rôle de levier économique, en permettant aux héritiers investis dans la gestion d’une activité de la préserver, même lorsqu’elle traverse une phase d’instabilité.

==>Une appréciation au jour du partage

L’existence de l’entreprise et son éligibilité à l’attribution préférentielle s’apprécient à la date du partage, et non à l’ouverture de la succession. Ce principe, désormais bien établi, résulte d’une évolution jurisprudentielle qui a progressivement privilégié une approche pragmatique. La Cour de cassation a ainsi affirmé que l’entreprise doit exister et être exploitable au moment où l’attribution est demandée, et non au seul jour du décès (Cass. 1re civ., 14 mai 1992, n° 90-20.498).

Ce choix répond à un impératif de pérennité de l’exploitation. Il ne s’agit pas de figer la situation successorale à l’instant du décès, mais bien d’évaluer si, au moment du partage, l’entreprise demeure viable et susceptible d’être reprise. Cette approche garantit que l’attribution préférentielle joue son rôle économique en évitant la dispersion des outils de production et en facilitant la transmission des entreprises familiales.

Toutefois, cette souplesse ne saurait être détournée pour permettre des manœuvres artificielles destinées à créer ex nihilo une exploitation dans le seul but d’obtenir l’attribution préférentielle. La jurisprudence a ainsi sanctionné les tentatives de certains héritiers qui, après le décès, avaient cherché à reconstituer artificiellement une entreprise pour satisfaire aux conditions d’éligibilité. La Cour de cassation a censuré ces pratiques dans plusieurs arrêts, considérant notamment que :

  • L’acquisition postérieure de nouveaux éléments d’exploitation ne pouvait être prise en compte pour justifier l’existence de l’entreprise au jour du partage (Cass. 1re civ., 16 juin 1993, n° 91-19.812) ;
  • Une reprise fictive de l’activité, sans éléments tangibles attestant d’une exploitation réelle et effective, ne pouvait suffire à établir le caractère exploitable de l’entreprise.

Ainsi, si la souplesse de l’appréciation au jour du partage permet d’éviter une rigidité excessive, elle ne doit pas ouvrir la porte à des stratégies patrimoniales opportunistes. L’attribution préférentielle demeure avant tout un mécanisme de transmission d’une exploitation existante, et non un outil permettant de capter un bien successoral en invoquant une vocation économique postérieure au décès.

La doctrine s’accorde sur cette exigence de rigueur, rappelant que la finalité du mécanisme est de maintenir l’activité d’une entreprise viable, et non d’en permettre la reconstitution artificielle par l’un des cohéritiers.

En définitive, l’héritier demandant l’attribution préférentielle doit démontrer que l’entreprise existait et pouvait être exploitée sans interruption au moment du partage, garantissant ainsi le respect du principe d’égalité entre cohéritiers et la continuité économique du bien attribué.

ii. Les conditions juridiques

L’attribution préférentielle ne peut s’exercer que sur une entreprise relevant de l’indivision au jour du partage, conformément à l’article 831 du Code civil. Cette exigence vise à garantir que le bien dont l’attribution est sollicitée fait partie de la masse partageable, qu’il s’agisse d’une indivision successorale, d’une indivision conventionnelle ou d’une indivision légale née d’un autre mécanisme.

==>L’exclusion des biens ne relevant pas de l’indivision

L’attribution préférentielle, en ce qu’elle constitue un mécanisme dérogatoire au principe de l’égalité entre co-indivisaires, ne saurait porter que sur des biens relevant effectivement de l’indivision au jour du partage. Cette exigence découle directement de l’article 831 du Code civil, qui cantonne ce droit aux éléments constitutifs du patrimoine indivis, à l’exclusion de ceux qui en sont matériellement ou juridiquement détachés.

Dès lors, ne peut être revendiquée une entreprise dont les actifs relèvent exclusivement d’une propriété individuelle ou d’une entité tierce.

Tel est le cas lorsque:

  • L’exploitation appartient en propre à un tiers (une personne extérieure à l’indivision, qu’il s’agisse d’un associé, d’un co-gérant ou d’un autre exploitant),
  • Les éléments constitutifs de l’activité sont logés au sein d’une entité juridique distincte, notamment lorsqu’ils sont détenus par une société dont les parts ne sont pas indivises.

Ainsi, lorsque l’entreprise est exploitée sous forme de société et que les parts sociales ne figurent pas dans la masse indivise, l’attribution préférentielle ne peut porter que sur la valeur des parts, et non sur les actifs sous-jacents à l’exploitation (Cass. 1re civ., 5 avr. 2005, n° 01-12.810).

A cet égard, l’attribution préférentielle suppose que l’entreprise ait, à un moment donné, fait l’objet d’une détention indivise. Dès lors, un bien qui n’a jamais appartenu à l’indivision ne saurait être attribué préférentiellement à un co-indivisaire.

Cette hypothèse se rencontre notamment lorsque:

  • L’entreprise était la propriété exclusive de l’un des indivisaires avant l’ouverture de la succession ou avant la formation d’une indivision conventionnelle,
  • L’activité a été constituée après le décès ou après la mise en indivision des biens, sur la base d’actifs qui n’étaient pas eux-mêmes indivis.

Dans de tels cas, l’indivisaire qui revendique l’attribution préférentielle ne pourra prétendre qu’à la valeur monétaire de ses droits sur la masse partageable, sans pouvoir revendiquer le bien en nature.

Certains dispositifs confèrent un droit temporaire d’exploitation, mais sans transférer la propriété de l’entreprise elle-même. Or, l’attribution préférentielle ne peut jouer qu’à l’égard des droits réels sur l’entreprise, et non sur de simples prérogatives d’usage ou de gestion.

C’est notamment le cas des contrats de location-gérance, qui permettent à un exploitant d’exercer une activité sous une enseigne préexistante, mais sans lui conférer la propriété du fonds de commerce ou du fonds artisanal. Un héritier ou un co-indivisaire qui exploite une entreprise sous ce régime ne saurait prétendre à son attribution préférentielle, sauf si les éléments matériels (fonds, locaux, équipements) figurent dans la masse indivise.

Ainsi, la seule qualité d’exploitant ne suffit pas à justifier une attribution préférentielle, dès lors que le demandeur ne peut revendiquer aucun droit réel sur les actifs économiques en cause.

S’agissant du droit au bail, il est un élément essentiel de l’exploitation d’une entreprise, en ce qu’il garantit la jouissance des locaux où s’exerce l’activité économique. Toutefois, il ne constitue pas en soi un élément d’entreprise indivise, dès lors qu’il relève d’un régime spécifique de transmission.

Le bail commercial ou le bail professionnel souscrit par le défunt ou par un indivisaire ne confère pas un droit de propriété sur les locaux, mais seulement un droit d’usage et d’exploitation temporaire, encadré par les dispositions protectrices du statut des baux commerciaux.

Par conséquent, l’attribution préférentielle ne saurait porter sur un simple droit au bail, sauf si celui-ci est indissociablement lié à un fonds de commerce ou à une entreprise elle-même indivise. Ainsi, un indivisaire ne pourra pas demander l’attribution d’un local loué, à moins qu’il ne soit partie au bail et que l’exploitation en dépende directement.

==>L’attribution préférentielle d’une entreprise exploitée sous forme sociale

Lorsque l’entreprise est exploitée sous la forme d’une société, l’application du mécanisme d’attribution préférentielle se heurte à la distinction entre la personnalité juridique de la société et celle de ses associés. Consciente de cette particularité, la loi a aménagé un cadre spécifique permettant à un indivisaire de solliciter l’attribution des parts sociales ou actions détenues en indivision, en vertu de l’article 831, alinéa 2 du Code civil.

Toutefois, l’exercice de ce droit demeure soumis à plusieurs restrictions, découlant à la fois de la nature du bien sollicité et des impératifs propres à la gouvernance des sociétés. Ces limites tiennent notamment aux règles statutaires, aux droits des autres associés et aux mécanismes de régulation interne de l’entité concernée.

  • Première restriction
    • Si l’entreprise est exploitée sous forme sociétaire, seuls les droits sociaux relevant de l’indivision peuvent faire l’objet d’une attribution préférentielle. L’attribution ne saurait porter sur l’entreprise elle-même, dès lors que celle-ci constitue une entité juridique autonome, distincte des associés qui la composent.
    • Ainsi, lorsque les parts sociales ou actions sont en pleine propriété d’un associé unique, et qu’elles ne figurent pas dans la masse indivise, aucun indivisaire ne saurait revendiquer leur attribution. De même, la simple qualité de dirigeant ou d’exploitant ne suffit pas à justifier une demande d’attribution préférentielle sur des titres dont l’indivision ne résulte pas du partage successoral ou d’une indivision conventionnelle.
    • En revanche, si les titres sont détenus en indivision entre plusieurs héritiers ou co-indivisaires, alors l’attribution préférentielle peut être sollicitée, sous réserve du respect des conditions statutaires et du pacte social.
  • Deuxième restriction
    • L’attribution préférentielle des parts sociales se heurte fréquemment aux limitations statutaires propres aux sociétés de personnes, dont le fonctionnement repose sur l’intuitu personae.
      • Cas de la clause d’agrément
        • Dans de nombreuses sociétés, notamment les sociétés en nom collectif (SNC) et les sociétés civiles, il est d’usage que les statuts prévoient une clause d’agrément, soumettant la transmission des parts à l’accord des associés.
        • Une telle clause peut faire obstacle à l’exercice du droit d’attribution préférentielle, dans la mesure où les associés disposent du pouvoir de refuser l’entrée d’un nouvel associé, fût-il héritier ou indivisaire.
        • Il est ainsi admis qu’une clause d’agrément interdisant la transmission de parts sans l’accord préalable des associés peut valablement empêcher l’attribution préférentielle au profit d’un co-indivisaire, dès lors que cette restriction résultait des statuts (V. par ex. CA Amiens, 8 mars 1999, n° 9702146 ).
        • Dès lors, l’héritier ou co-indivisaire demandant l’attribution préférentielle ne pourra obtenir les parts qu’après agrément des associés, à défaut de quoi il ne pourra prétendre qu’à la valeur monétaire des droits indivis.
      • Cas de la clause de continuation
        • Les statuts peuvent également comporter une clause de continuation prévoyant que, en cas de décès d’un associé, la société se poursuivra avec certains héritiers désignés, à l’exclusion des autres indivisaires.
        • Lorsque de telles clauses existent, elles priment sur le mécanisme d’attribution préférentielle, l’attributaire devant alors se conformer aux dispositions statutaires, sauf à proposer le rachat des parts des autres indivisaires.
        • Cette règle est énoncée à l’article 831, alinéa 2 du Code civil, qui précise que l’attribution préférentielle doit respecter les clauses statutaires relatives à la transmission des parts ou actions.
  •  
  • Troisième restriction
    • Dans les sociétés de capitaux, où l’intuitu personae est moins marqué, l’attribution préférentielle des actions demeure théoriquement plus aisée. 
    • Toutefois, elle soulève des difficultés pratiques tenant à l’exercice des droits sociaux.
    • En premier lieu, lorsque les actions sont indivises, un indivisaire peut demander leur attribution préférentielle, mais cela ne lui confère pas nécessairement un pouvoir de contrôle sur l’entreprise.
    • L’exercice d’une influence sur la société dépendra du pourcentage de participation acquis à l’issue du partage, et des droits qui y sont attachés.
    • Ainsi, si l’attributaire obtient une participation minoritaire, il devra composer avec les autres actionnaires et ne pourra, sauf détention de titres majoritaires, prétendre à la direction effective de la société.
    • En second lieu, dans certaines SAS ou SA, des pactes d’actionnaires peuvent restreindre la transmission des titres, en prévoyant notamment des clauses de préemption, obligeant l’attributaire préférentiel à offrir ses actions aux autres actionnaires avant de pouvoir en revendiquer la pleine propriété.
    • Dans ce cas, l’attributaire ne pourra entrer en possession des titres qu’après l’expiration des délais et procédures prévus par le pacte, ou à défaut, il pourra être contraint de céder ses actions à un tiers conformément aux stipulations en vigueur.

==>L’incidence d’une indivision préexistence sur l’attribution préférentielle d’une entreprise

Lorsque l’entreprise était déjà soumise à un régime d’indivision avant l’ouverture de la succession ou la survenance du partage, l’exercice du droit d’attribution préférentielle ne met pas nécessairement un terme à cette indivision. L’attributaire peut se voir attribuer la quote-part indivise appartenant à la masse partageable, mais il ne deviendra pas automatiquement seul propriétaire de l’entreprise si d’autres indivisaires conservent des droits sur celle-ci.

  • L’entreprise relevant d’une indivision conventionnelle
    • Lorsque l’entreprise faisait l’objet d’une indivision préexistante entre plusieurs coindivisaires, avant même le décès ou le partage, l’attribution préférentielle ne portera que sur la quote-part indivise entrant dans la masse partageable.
    • L’indivision ne disparaîtra donc pas nécessairement, et l’attributaire devra coexister avec les autres indivisaires.
    • Dans ce cas, deux hypothèses peuvent être envisagées:
      • L’indivision maintenue : l’attributaire ne pourra revendiquer que la part appartenant au défunt, ce qui signifie que l’entreprise restera soumise à l’indivision entre lui et les autres coindivisaires. Cette situation peut poser des difficultés en termes de gestion et de prise de décision, notamment lorsque les indivisaires ne partagent pas une vision commune quant à l’exploitation de l’entreprise.
      • Le rachat des parts indivises : pour éviter de demeurer dans une indivision contrainte, l’attributaire peut négocier l’acquisition des parts détenues par les autres indivisaires. Ce rachat peut intervenir dans le cadre d’un accord amiable ou d’un partage judiciaire, sous réserve d’un prix conforme à la valeur vénale de l’entreprise.
    • La doctrine souligne ainsi que l’attribution préférentielle ne saurait conférer un monopole sur l’entreprise lorsque celle-ci relevait déjà d’une indivision conventionnelle entre plusieurs titulaires.
  • L’entreprise relevant d’une communauté conjugale
    • Lorsque l’exploitation constituait un bien commun d’un couple marié sous le régime de la communauté légale, seule la moitié des droits appartient à la masse partageable en cas de décès de l’un des époux.
    • L’autre moitié demeure la propriété exclusive de l’époux survivant.
    • Dans ce cas, plusieurs configurations peuvent se présenter :
      • L’époux survivant sollicite l’attribution préférentielle : si le conjoint survivant souhaite poursuivre l’exploitation, il peut lui-même exercer son droit d’attribution préférentielle sur la part entrant dans la succession, devenant ainsi seul propriétaire de l’entreprise.
      • Un héritier revendique l’attribution préférentielle : si un héritier demande l’attribution de la part indivise entrant dans la succession, il ne pourra devenir propriétaire exclusif de l’entreprise que si l’époux survivant accepte de céder sa propre part. À défaut, l’attributaire ne pourra prétendre qu’à la portion indivise dépendant du partage, et restera dans une indivision avec le conjoint survivant.
    • En tout état de cause, il est admis que dans une telle hypothèse, l’attributaire se substitue simplement au défunt dans l’indivision existante, sans pour autant acquérir immédiatement la pleine propriété de l’entreprise.

Lorsque l’indivision subsiste après l’attribution préférentielle, la gestion de l’entreprise est soumise aux règles générales de l’indivision :

  • Toute décision concernant les actes d’administration courante peut être prise à la majorité des indivisaires représentant au moins deux tiers des droits indivis (article 815-3 du Code civil).
  • En revanche, les actes de disposition (vente du fonds, mise en société, changement d’objet) nécessitent l’unanimité des indivisaires, sauf à obtenir une autorisation judiciaire.
  • L’attributaire ne peut prétendre à une gestion exclusive de l’entreprise sans l’accord des autres indivisaires, sauf s’il obtient un mandat de gestion ou rachète leurs parts.

Ainsi, bien que l’attribution préférentielle constitue un mécanisme destiné à garantir la continuité de l’entreprise, elle ne saurait conduire à évincer les autres indivisaires lorsque ceux-ci conservent des droits sur l’exploitation. En cas de désaccord persistant, il appartiendra au juge de trancher les éventuelles contestations, en appréciant l’opportunité d’un partage en nature ou en valeur.

2.2 L’attribution préférentielle du local professionnel

L’article 831-2, 2° du Code civil ouvre la possibilité pour un héritier indivisaire, un conjoint survivant ou un partenaire pacsé de solliciter l’attribution préférentielle du local à usage professionnel et des biens mobiliers nécessaires à l’exercice de sa profession. Ce dispositif vise à garantir la continuité d’une activité économique en permettant à l’attributaire de conserver son outil de travail, qu’il s’agisse d’un cabinet libéral, d’un atelier artisanal ou d’un bureau professionnel.

Cependant, l’attribution préférentielle du local professionnel ne constitue pas un droit automatique et demeure soumise à un encadrement strict.

==>Les conditions d’éligibilité du local et des biens mobiliers professionnels

L’attribution préférentielle du local professionnel repose sur une double exigence : le local doit être effectivement affecté à l’activité professionnelle du demandeur et il doit être indispensable à l’exercice de cette activité.

  • L’exigence d’une affectation d’un locale à l’activité professionnelle
    • L’article 831-2, 2° du Code civil n’impose aucune restriction quant à la nature de la profession exercée par le demandeur. 
    • Dès lors, un cabinet d’avocat ou de médecin, un atelier d’artiste, une étude notariale ou même un bureau d’écrivain peuvent faire l’objet d’une attribution préférentielle dès lors qu’ils servent effectivement à l’exercice d’une activité.
    • Toutefois, les locaux commerciaux et industriels sont exclus du champ d’application de cette disposition. Leur transmission relève du régime spécifique de l’attribution préférentielle des entreprises prévu à l’article 831 du Code civil.
    • En cas d’usage mixte (habitation et profession), l’attribution du local peut être accordée à condition que l’activité professionnelle y soit prépondérante et que le bien puisse être détaché du reste de l’immeuble.
  • Un local et des biens mobiliers indispensables à la poursuite de l’activité
    • L’attribution préférentielle vise à garantir la continuité de l’exploitation professionnelle.
    • Par conséquent, elle ne peut être accordée que si le local constitue un élément essentiel et indispensable pour l’exercice de l’activité.
    • Le juge apprécie souverainement le caractère indispensable du local et des biens mobiliers professionnels.
    • Ainsi, si le demandeur dispose d’un autre local exploitable, il ne pourra prétendre à l’attribution préférentielle (Cass. 1re civ., 13 févr. 1967).
    • Le même raisonnement s’applique aux biens mobiliers à usage professionnel.
    • Avant la réforme de 2015, seuls les meubles présents dans le local pouvaient être inclus dans l’attribution préférentielle
    • Désormais, tout bien mobilier nécessaire à l’exercice de la profession peut être intégré, même s’il est situé ailleurs, à condition qu’il remplisse un rôle indispensable.
    • Cette évolution législative permet notamment d’inclure des équipements techniques ou un véhicule professionnel.

==>Les restrictions à l’exercice du droit d’attribution préférentielle

Tout en visant à garantir la préservation de l’activité professionnelle du demandeur, l’attribution préférentielle du local professionnel reste assujettie à des restrictions destinées à prévenir les dérives et à assurer un juste équilibre entre les intérêts en présence.

En premier lieu, l’attribution préférentielle ne peut porter que sur un bien relevant exclusivement de l’indivision. Ainsi, si le local professionnel appartient à la fois aux héritiers et à un tiers, la demande devient inapplicable, car elle ne peut contraindre ce dernier à céder ses droits (Cass. 1re civ., 15 janv. 2014, n° 12-25.322 et n° 12-26.460).

Cependant, si seule une quote-part du local appartient à l’indivision, l’attribution peut porter sur cette quote-part indivise, l’attributaire restant alors en indivision avec le tiers.

En deuxième lieu, lorsque le local professionnel est détenu par une société, l’attribution préférentielle peut porter non pas sur le local lui-même, mais sur les parts sociales conférant la jouissance ou la propriété du local (L. n° 61-1378 du 19 décembre 1961, art. 14). Cependant, la jurisprudence a précisé que cette attribution ne peut être accordée que si ces droits sociaux confèrent exclusivement la propriété ou la jouissance du local (Cass. 1re civ., 24 oct. 2012, n° 11-20.075).

Dès lors, si les statuts de la société prévoient une clause d’agrément, l’attribution préférentielle sera soumise à l’accord préalable des associés.

En dernier lieu, comme pour toute attribution préférentielle, l’attributaire doit veiller à compenser les autres indivisaires lorsque la valeur du bien excède ses droits successoraux. L’indemnisation prend généralement la forme d’une soulte, dont le montant est déterminé en fonction de la valeur du local et des biens mobiliers concernés.

Toutefois, afin de faciliter la transmission des outils professionnels, l’article 832-4 du Code civil prévoit une possibilité d’échelonnement du versement de la soulte sur dix ans, avec un taux d’intérêt fixé au taux légal.

3. Les biens liés aux activités agricoles et rurales

L’attribution préférentielle des biens à destination agricole se distingue par la diversité des hypothèses qu’elle recouvre. Elle peut concerner aussi bien des biens immobiliers agricoles que des droits sociaux liés à l’exploitation. Le Code civil a prévu plusieurs régimes d’attribution préférentielle applicables aux exploitations agricoles, distinguant entre :

  • L’attribution en pleine propriété, qui peut être de droit ou soumise à l’appréciation du juge ;
  • L’attribution sous condition de mise en bail, destinée à garantir la continuité de l’exploitation ;
  • L’attribution en jouissance temporaire, notamment par la concession d’un bail rural.

Ces dispositifs ont été conçus afin d’assurer la transmission des exploitations dans des conditions économiquement viables et d’éviter leur morcellement, ce qui compromettrait leur rentabilité.

3.1. L’attribution préférentielle des biens nécessaires à l’exploitation agricole

La transmission des exploitations agricoles constitue une question éminemment stratégique pour la pérennité du tissu économique rural. Conscient des risques qu’un éclatement successoral pourrait faire peser sur ces structures, le législateur a prévu plusieurs dispositifs d’attribution préférentielle visant à garantir la continuité de l’activité agricole. Parmi eux, l’attribution des biens meubles nécessaires à l’exploitation (article 831-2, 3° du Code civil) et l’attribution des biens immobiliers agricoles (article 832-1 du Code civil) occupent une place prépondérante.

a. L’attribution préférentielle des biens meubles nécessaires à l’exploitation

==>Principe

L’article 831-2, 3° du Code civil prévoit que l’attribution préférentielle peut porter sur les biens meubles nécessaires à l’exploitation agricole, notamment le matériel agricole, le cheptel vif et mort, ainsi que les autres éléments mobiliers affectés à l’activité.

Il ressort de cette disposition que le législateur a entendu favoriser la continuité des exploitations agricoles en garantissant au repreneur la pleine possession de l’outil de production. Plutôt que d’aborder l’exploitation sous un angle purement patrimonial, où chaque héritier recevrait une part proportionnelle des biens, ce mécanisme vise à assurer son maintien dans des conditions économiquement viables.

L’attribution préférentielle poursuit ainsi plusieurs objectifs:

  • Préserver la viabilité économique de l’exploitation
    • Sans attribution préférentielle, l’héritier repreneur pourrait se heurter à deux obstacles majeurs :
      • La nécessité de racheter les équipements aux cohéritiers, ce qui pourrait le contraindre à s’endetter lourdement dès la reprise de l’exploitation.
      • Le risque d’un morcellement des équipements, chaque héritier pouvant revendiquer une part des biens mobiliers, rendant impossible la poursuite de l’activité agricole dans des conditions optimales. Grâce à ce dispositif, l’intégrité des moyens de production est préservée, garantissant ainsi une exploitation efficiente.
  • Limiter les conflits successoraux
    • Les successions sont souvent sources de tensions entre héritiers, notamment lorsque certains souhaitent conserver l’exploitation agricole tandis que d’autres privilégient la liquidation des actifs.
    • L’attribution préférentielle permet de clarifier la répartition des biens, en garantissant à l’exploitant la pleine jouissance des équipements indispensables à son activité, tout en permettant aux autres héritiers de recevoir une compensation financière.
  • Faciliter la modernisation des exploitations
    • En garantissant une transmission cohérente des équipements agricoles, l’attribution préférentielle permet au repreneur de concentrer ses efforts sur le développement et l’amélioration de l’exploitation, plutôt que sur la reconstitution de son outil de travail.

==>Conditions

Si l’article 831-2, 3° du Code civil prévoit la possibilité d’une attribution préférentielle des biens mobiliers, celle-ci n’est ni automatique ni inconditionnelle. Le législateur a posé deux exigences cumulatives, garantissant que l’attribution repose sur un besoin économique réel et non sur une simple faveur successorale :

  • Le défunt devait exploiter le fonds en qualité de fermier ou de métayer
    • Cette condition restreint l’attribution préférentielle aux situations où le défunt était lui-même exploitant et utilisait activement les biens en cause.
    • L’objectif est d’éviter qu’un héritier sans lien direct avec l’exploitation ne revendique ces biens à des fins purement patrimoniales.
  • L’attributaire doit poursuivre le bail agricole
    • Il ne suffit pas que l’héritier exprime son intention de reprendre l’exploitation ; encore faut-il qu’il dispose des garanties nécessaires pour obtenir le maintien du bail existant ou la conclusion d’un nouveau bail.
    • Cette exigence vise à empêcher qu’un héritier se prévale de l’attribution préférentielle sans disposer des compétences et des moyens requis pour exploiter l’exploitation de manière effective.

==>L’étendue des biens susceptibles d’attribution préférentielle

L’attribution préférentielle des biens meubles couvre une diversité d’éléments indispensables à l’exploitation agricole. Ces biens peuvent être classés en trois catégories principales :

  • Le matériel agricole : l’outil de travail indispensable
    • L’attributaire peut revendiquer l’ensemble des équipements nécessaires à l’exploitation des terres. Cela comprend notamment :
      • Les engins mécaniques : tracteurs, moissonneuses-batteuses, pulvérisateurs, faucheuses et autres machines agricoles.
      • Les outils de travail du sol : charrues, herses, semoirs, épandeurs à fumier, etc.
      • Les équipements de stockage et de transformation : silos à grains, citernes, pressoirs, broyeurs, équipements de tri et de conditionnement
    • L’objectif est d’assurer la continuité de l’activité agricole sans que le repreneur ne soit contraint d’investir immédiatement dans du matériel coûteux, ce qui pourrait fragiliser sa situation financière et compromettre la viabilité de l’exploitation.
  • Le cheptel vif et mort : garantir la pérennité de l’élevage
    • Pour les exploitations agricoles comprenant une activité d’élevage, l’attribution préférentielle peut porter sur :
      • Le cheptel vif, c’est-à-dire les animaux destinés à la production ou à la reproduction (bovins, ovins, caprins, volailles, porcins, etc.).
      • Le cheptel mort, qui comprend les stocks d’aliments pour bétail, les engrais, les semences et autres ressources nécessaires à l’élevage.
    • La transmission du cheptel est cruciale pour éviter une rupture d’exploitation. Sans ce mécanisme, le repreneur devrait racheter les animaux à ses cohéritiers ou sur le marché, ce qui pourrait s’avérer coûteux et ralentir la reprise de l’activité.
  • Les éléments mobiliers affectés à l’exploitation
    • L’attribution préférentielle peut également concerner des biens meubles nécessaires à la gestion et au bon fonctionnement de l’exploitation agricole, tels que :
      • Les infrastructures mobiles : serres démontables, abris pour animaux, clôtures électriques, etc.
      • Les réservoirs et systèmes de stockage : cuves à carburant, réservoirs d’eau, systèmes d’irrigation.
      • Les outils et petits équipements : tronçonneuses, scies, instruments de mesure et de contrôle.
    • Bien que ces éléments puissent sembler secondaires, ils constituent en réalité des ressources indispensables à la gestion quotidienne de l’exploitation, leur absence pouvant entraver le bon déroulement des activités agricoles.

b. L’attribution préférentielle des biens immobiliers agricoles

==>Principe

L’article 832-1 du Code civil instaure un dispositif d’attribution préférentielle spécifiquement destiné aux biens immobiliers agricoles. Il prévoit que, « si le maintien dans l’indivision n’a pas été ordonné et à défaut d’attribution préférentielle en propriété dans les conditions prévues à l’article 831 ou à l’article 832 », le conjoint survivant ou tout héritier copropriétaire peut demander l’attribution préférentielle de tout ou partie des biens et droits immobiliers à destination agricole dépendant de la succession en vue de constituer un groupement foncier agricole (GFA).

Ce dispositif, introduit par la loi du 4 juillet 1980, s’inscrit dans une logique économique visant à prévenir la fragmentation des exploitations et à structurer la transmission du foncier agricole. Contrairement aux autres formes d’attribution préférentielle qui reposent sur la nécessité de maintenir une exploitation agricole existante, celle-ci ouvre la possibilité de constituer un GFA, qu’il s’agisse de créer ou de conserver une exploitation.

L’attribution préférentielle ainsi définie ne suppose donc pas l’existence préalable d’une exploitation agricole autonome. L’objectif n’est pas seulement d’assurer la continuité d’une activité agricole, mais de permettre une gestion collective et stable du foncier dans le cadre du GFA.

==>Bénéficiaires et portée de l’attribution préférentielle

L’article 832-1 accorde le bénéfice de cette attribution à deux catégories de personnes :

  • Le conjoint survivant : ce dernier peut solliciter l’attribution préférentielle des biens agricoles afin de garantir la continuité de l’exploitation et de préserver ses intérêts patrimoniaux.
  • Les héritiers copropriétaires : la disposition permet aux cohéritiers de demander l’attribution, soit individuellement, soit collectivement dans la perspective de constituer un GFA.

À noter que le partenaire pacsé est exclu du bénéfice de cette disposition, en vertu de l’article 815-6 du Code civil. L’objet de cette attribution est également plus large que celui prévu par les articles 831 et 832 du Code civil. Elle ne se limite pas à la transmission d’une exploitation agricole existante, mais vise plus largement à structurer la gestion du foncier à long terme. 

==>Conditions de l’attribution préférentielle

L’attribution préférentielle des biens immobiliers agricoles, en vue de la constitution d’un groupement foncier agricole (GFA), obéit à des conditions strictement définies par le Code civil.

  • Première condition
    • L’article 832-1 du Code civil prévoit que l’attribution préférentielle des biens agricoles ne peut être sollicitée que par le conjoint survivant ou par tout héritier copropriétaire.
    • L’attribution ne saurait bénéficier à un tiers étranger à la dévolution successorale, ni même à un légataire universel.
    • Il est à noter que le partenaire lié par un pacte civil de solidarité  est expressément exclu du dispositif (C. civ., art. 815-6, a contrario). 
  • Deuxième condition
    • Seuls les biens et droits réels immobiliers à destination agricole peuvent faire l’objet d’une attribution préférentielle en vue de la constitution d’un GFA.
    • Cette exigence s’apprécie au regard de la vocation économique des biens au moment du décès du défunt.
    • Il n’est toutefois pas nécessaire que les biens concernés constituent une unité économique autonome, ni même qu’ils soient exploités en l’état au jour de la succession.
    • L’attribution peut ainsi porter sur :
      • Des terres agricoles, qu’elles soient exploitées ou non ;
      • Des bâtiments agricoles affectés à l’exploitation ;
      • Des droits réels immobiliers tels que l’usufruit, la nue-propriété ou même un bail emphytéotique.
    • Dès lors que les biens possèdent une destination agricole et qu’ils sont compris dans la masse successorale, ils peuvent être attribués préférentiellement, sous réserve du respect des autres conditions.
  • Troisième condition
    • L’attribution préférentielle ne saurait être accordée à un héritier sans lien effectif avec l’exploitation agricole. 
    • Aussi, le demandeur doit justifier de sa capacité à poursuivre l’exploitation des terres et garantir que l’attribution contribue à la pérennité de l’activité.
    • Toutefois, contrairement à d’autres hypothèses d’attribution préférentielle, il n’est pas exigé que le demandeur exploite personnellement les terres.
    • Il peut ainsi remplir cette condition en s’engageant à donner les biens en location agricole au sein d’un GFA, ce qui permet d’assurer leur mise en valeur sans obliger l’attributaire à devenir lui-même exploitant. 

Il peut être observé que si l’attribution préférentielle en vue de la constitution d’un GFA est possible, elle n’est pas toujours de droit. Le régime applicable varie selon le statut du demandeur:

  • Attribution de droit : lorsque la demande émane du conjoint survivant ou d’un héritier remplissant les conditions de l’article 831 du Code civil, ou lorsque ses descendants participent activement à l’exploitation, l’attribution ne peut être refusée par le juge. Il s’agit alors d’un véritable droit, opposable aux autres héritiers.
  • Attribution facultative : à défaut de remplir ces conditions, l’attribution préférentielle demeure soumise à l’appréciation du juge, qui évaluera tant l’opportunité économique du maintien des biens sous une gestion collective que l’aptitude du demandeur à administrer le groupement foncier agricole avec rigueur et efficience.

==>Subsidiarité

L’attribution préférentielle des biens immobiliers à vocation agricole, telle que consacrée par l’article 832-1 du Code civil, ne s’impose qu’à défaut d’une attribution en pleine propriété en application des articles 831 et 832. Autrement dit, elle ne peut être sollicitée que si aucun héritier ne revendique une attribution préférentielle ordinaire permettant un transfert direct de propriété.

Toutefois, cette attribution bénéficie d’une primauté sur les autres attributions subsidiaires. Cette prééminence témoigne de la volonté du législateur de favoriser la conservation du foncier agricole dans un cadre structuré, évitant ainsi la dispersion des terres et les conséquences économiques désastreuses d’un démembrement successoral. L’idée directrice est claire : privilégier la transmission des exploitations sous une forme garantissant à la fois leur pérennité et la stabilité patrimoniale des héritiers.

En effet, en l’absence de ce mécanisme, la répartition successorale pourrait conduire à un éclatement du foncier entre plusieurs cohéritiers, rendant l’exploitation difficilement viable et entravant la cohérence des projets agricoles à long terme. L’attribution préférentielle au sein d’un GFA apparaît dès lors comme une solution équilibrée, conciliant les impératifs économiques liés à l’exploitation des terres avec les exigences du partage successoral.

3.2. L’attribution préférentielle de l’entreprise agricole

Le Code civil a prévu plusieurs modalités d’attribution préférentielle applicables aux exploitations agricoles, reflétant ainsi la diversité des situations:

  • L’attribution préférentielle facultative en pleine propriété (article 831 du Code civil): elle suppose une demande du conjoint survivant ou d’un héritier copropriétaire et est soumise à l’appréciation du juge, qui en évalue l’opportunité au regard des intérêts en présence.
  • L’attribution préférentielle de droit en pleine propriété (article 832 du Code civil): lorsqu’un héritier satisfait aux conditions légales, cette attribution s’impose sans qu’il soit besoin d’une autorisation judiciaire, garantissant ainsi une transmission sans entrave de l’exploitation.
  • L’attribution préférentielle avec obligation de mise en bail (article 831-1 du Code civil): Cette forme particulière d’attribution confère la propriété du fonds agricole tout en imposant au bénéficiaire de consentir un bail rural, assurant ainsi la continuité de l’exploitation sans en modifier la structure.
  • L’attribution préférentielle en jouissance par concession d’un bail rural (article 832-2 du Code civil) : Dans cette hypothèse, l’héritier attributaire ne devient pas propriétaire du bien mais bénéficie d’un droit d’usage exclusif lui permettant d’assurer l’exploitation des terres selon les règles du statut du fermage.

Si les deux premières formes d’attribution permettent au bénéficiaire d’accéder à la pleine propriété des biens concernés, les deux dernières instaurent un schéma où la propriété et la jouissance sont dissociées, afin de préserver l’exploitation tout en ménageant les droits des cohéritiers.

==>Conditions

L’attribution préférentielle d’une exploitation agricole repose sur plusieurs conditions:

  • L’existence d’une exploitation agricole en tant qu’unité économique
    • L’attribution préférentielle ne saurait porter sur une simple parcelle de terre isolée ou sur un ensemble de biens agricoles dépourvus d’une vocation économique effective. 
    • L’exploitation doit former une unité économique autonome et viable, permettant de justifier qu’elle constitue un outil de production à part entière.
    • La jurisprudence a d’ailleurs précisé que la simple détention de terres agricoles ne suffit pas à caractériser une exploitation : il faut démontrer l’existence d’une activité régulière et productive.
    • Il s’agit de vérifier que les biens concernés permettent une mise en valeur effective, générant des revenus et assurant un équilibre économique suffisant pour l’héritier repreneur.
    • En outre, l’appréciation de cette condition ne saurait être figée au jour de l’ouverture de la succession.
    • La viabilité économique de l’exploitation doit être analysée au moment de la demande d’attribution, et non uniquement au décès du défunt (Cass. 1ère civ., 14 mai 1992, n° 90-20.498). 
    • Cette exigence permet d’éviter qu’une exploitation tombée en déshérence ne fasse l’objet d’une transmission qui ne répondrait plus aux exigences de productivité et de rentabilité.
  • La superficie de l’exploitation agricole
    • La loi distingue selon que l’exploitation concernée se situe en deçà ou au-delà d’un seuil fixé par décret en Conseil d’État.
    • Ce seuil, défini par le décret n° 70-783 du 27 août 1970 et précisé par l’arrêté du 22 août 1975, varie selon les départements et les spécificités agricoles locales.
    • À titre d’exemple, dans le département de l’Ain, une exploitation en polyculture ne peut bénéficier d’une attribution préférentielle de droit que si sa superficie n’excède pas 32 hectares. 
    • Ces seuils, fixés en fonction des conditions agro-économiques de chaque région, visent à garantir une transmission cohérente et équitable du patrimoine agricole.
      • Lorsque la superficie de l’exploitation est inférieure au seuil réglementaire, l’attribution préférentielle s’impose de plein droit si les autres conditions légales sont remplies. Le législateur a ainsi entendu protéger les exploitations de taille modeste ou moyenne, souvent plus vulnérables aux aléas économiques, en favorisant leur transmission sans entraves. Ce mécanisme vise à éviter que ces unités agricoles, essentielles à l’équilibre du secteur rural, ne disparaissent sous l’effet d’un morcellement excessif ou d’une mise en indivision prolongée.
      • En revanche, lorsque la superficie excède ce seuil, l’attribution devient facultative et son octroi relève de l’appréciation souveraine du juge. Ce dernier doit alors concilier deux impératifs : d’une part, l’intérêt économique attaché au maintien de l’exploitation dans son ensemble ; d’autre part, le respect des droits patrimoniaux des autres cohéritiers. L’objectif poursuivi est d’éviter qu’un héritier ne revendique un domaine d’une ampleur telle que son attribution nuirait à l’équilibre du partage successoral ou priverait les autres ayants droit de leur juste part.
    • En pratique, cette distinction vise à éviter des situations où l’attribution d’exploitations de grande envergure pourrait aboutir à des déséquilibres économiques au détriment des cohéritiers non attributaires, tout en garantissant une protection adaptée aux exploitations de moindre superficie.
  • La qualité de l’attributaire
    • L’attribution préférentielle ne peut être demandée que par certaines catégories d’héritiers, définies par le Code civil, afin de s’assurer que le dispositif profite à ceux qui ont un véritable intérêt dans la poursuite de l’exploitation.
  • Le conjoint survivant
    • Le conjoint survivant bénéficie d’un droit prioritaire à l’attribution préférentielle, reconnu dans un souci de préservation du cadre de vie familial et de maintien des ressources du conjoint du défunt. 
    • Son statut lui permet d’assurer la continuité de l’exploitation sans rupture, garantissant ainsi la pérennité de l’activité et des revenus agricoles.
  •  
  • Les héritiers copropriétaires
    • Tout héritier copropriétaire peut solliciter l’attribution préférentielle, sous réserve de démontrer un intérêt légitime à conserver l’exploitation. 
    • Cette faculté permet d’éviter une dispersion du patrimoine agricole entre des héritiers aux intérêts divergents, tout en maintenant l’unité de l’exploitation entre des mains familiales.
  •  
  • L’héritier ayant participé à l’exploitation
    • Un héritier ayant contribué à l’exploitation agricole dispose d’un droit renforcé à l’attribution préférentielle.
    • Cette disposition vise à récompenser l’investissement personnel de celui qui, par son travail et son engagement, a contribué à la gestion et au développement de l’exploitation.
    • Toutefois, il ne suffit pas d’invoquer une présence ponctuelle au sein de l’exploitation pour prétendre à l’attribution. L’héritier candidat doit justifier d’une participation réelle et significative, impliquant :
    • Une contribution active aux travaux agricoles (gestion des cultures, élevage, logistique, commercialisation, etc.) ;
    • Une participation régulière et durable, excluant les interventions occasionnelles ou purement symboliques ;
    • Une implication avérée dans la gestion de l’exploitation, attestant d’un engagement dans l’organisation et le développement de l’activité agricole.
      • En cas de litige, il appartient au demandeur d’apporter la preuve de sa participation effective à l’exploitation, par tout moyen (témoignages, justificatifs comptables, documents fiscaux, etc.). 
      • Cette exigence garantit que l’attribution préférentielle bénéficie aux véritables acteurs de l’exploitation, et non à des héritiers qui en revendiqueraient l’héritage sans en avoir jamais assumé la charge.

==>L’attribution d’une partie de l’exploitation agricole

L’attribution préférentielle ne se limite pas à l’ensemble d’une exploitation agricole dans son intégralité. Le législateur, soucieux d’adapter ce mécanisme aux réalités économiques et successorales, a prévu la possibilité d’une attribution partielle, dès lors que celle-ci permet le maintien d’une activité agricole viable. Cette possibilité, consacrée par l’article 831 du Code civil, s’exprime sous deux formes distinctes :

  • L’attribution d’une fraction de l’exploitation agricole
    • Il n’est pas exigé que l’exploitation dans son entier fasse l’objet d’une attribution préférentielle.
    • L’héritier demandeur peut prétendre à une fraction de celle-ci, à condition que cette partie conserve son autonomie économique et permette la poursuite d’une activité agricole efficiente.
    • Il ne s’agit donc pas de morceler l’exploitation au détriment de sa viabilité, mais bien de garantir la transmission d’une entité fonctionnelle, capable de subsister indépendamment du reste du domaine.
    • Le juge, saisi d’une telle demande, devra apprécier si la fraction sollicitée constitue une unité de production cohérente, dotée des ressources nécessaires à son exploitation (terres, bâtiments, matériel, cheptel, etc.). 
    • En d’autres termes, il s’assurera que l’attribution préférentielle ne crée pas une exploitation artificielle, mais bien une entité économiquement viable, capable d’être mise en valeur sans dépendre d’autres biens agricoles indivis.
  • L’attribution d’une quote-part indivise
    • Le législateur a également envisagé l’hypothèse dans laquelle un héritier déjà exploitant souhaiterait renforcer son exploitation par l’adjonction de biens appartenant à l’indivision successorale.
    • Dans cette optique, l’article 831 du Code civil autorise l’attribution préférentielle d’une quote-part indivise, permettant ainsi à l’héritier attributaire de consolider ou d’étendre son exploitation agricole existante.
    • Ce dispositif revêt une importance particulière dans les situations où un agriculteur déjà installé exploite des terres appartenant en partie à la succession. 
    • Sans ce mécanisme, il pourrait se retrouver contraint de racheter ces biens à ses cohéritiers ou, à défaut, d’abandonner une partie de son outil de travail. 
    • L’attribution préférentielle lui offre donc la possibilité de sécuriser son exploitation en intégrant définitivement à son patrimoine les éléments dont il avait jusqu’alors l’usage précaire.

3.3. L’attribution préférentielle des parts sociales des sociétés agricoles

==>Reconnaissance

Si l’attribution préférentielle s’est historiquement attachée aux biens immobiliers et mobiliers nécessaires à l’exploitation agricole, le législateur a progressivement reconnu que la structure juridique de certaines exploitations ne repose plus uniquement sur la détention en pleine propriété de terres et de matériels, mais bien sur une organisation sociétaire. 

Ainsi, afin d’adapter le droit successoral aux réalités économiques et aux nouveaux modes de gestion des exploitations agricoles, l’article 831 du Code civil prévoit que l’attribution préférentielle peut également porter sur des parts sociales de sociétés ayant pour objet l’exploitation agricole, sous réserve que cette attribution ne contrevienne pas aux stipulations statutaires de la société concernée.

L’attribution préférentielle peut ainsi concerner plusieurs types de sociétés agricoles, notamment :

  • Les parts d’un groupement foncier agricole (GFA) : le GFA étant une société civile ayant pour objet la détention et la gestion de terres agricoles, l’attribution préférentielle de ses parts permet à un héritier exploitant de conserver la maîtrise du foncier sans qu’il soit nécessaire de procéder à une répartition physique des terres. Cette solution favorise ainsi la pérennité du foncier agricole au sein du cercle familial et évite la fragmentation des propriétés.
  • Les parts d’une exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) : cette structure juridique étant particulièrement prisée par les exploitants agricoles pour organiser leur activité, l’attribution préférentielle de parts d’EARL permet d’assurer la continuité de l’exploitation en confiant le contrôle de la société à un héritier exploitant.
  • Les parts d’un groupement agricole d’exploitation en commun (GAEC) : dans le cadre d’un GAEC, où plusieurs associés exploitent une entreprise agricole en commun, l’attribution préférentielle des parts sociales à un héritier peut éviter l’entrée d’un tiers au sein de la société, préservant ainsi la cohésion de l’exploitation et la stabilité de son fonctionnement.
  • Les actions d’une société ayant pour objet l’exploitation agricole : certaines exploitations sont aujourd’hui organisées sous la forme de sociétés par actions (SAS ou SA), et l’attribution préférentielle peut également s’y appliquer dès lors que la société a pour finalité l’exploitation agricole et que ses statuts ne s’y opposent pas.

==>Conditions

Si l’attribution préférentielle des parts sociales constitue un mécanisme efficace pour assurer la continuité des exploitations agricoles sous forme sociétaire, elle est toutefois encadrée par certaines limites, visant à protéger à la fois les cohéritiers et les autres associés de la société.

  • Première condition
    • L’article 831 du Code civil précise expressément que l’attribution préférentielle des droits sociaux ne peut avoir lieu que si les statuts de la société ne s’y opposent pas.
    • En effet, certaines sociétés agricoles prévoient dans leurs statuts des clauses limitant la cession des parts sociales ou soumettant leur transmission à l’agrément des autres associés. 
    • En présence d’une telle clause, l’attributaire préférentiel devra obtenir l’accord des autres associés pour que l’attribution puisse être réalisée.
  • Deuxième condition
    • L’attribution préférentielle ne peut être accordée que si elle garantit la continuité de l’exploitation agricole.
    • Dès lors, il appartient à l’héritier demandeur de démontrer que la détention des parts sociales lui permettra d’assurer la pérennité de l’entreprise agricole et qu’il dispose des compétences et des moyens nécessaires pour en assurer la gestion.
  • Troisième condition
    • Comme pour toute attribution préférentielle, l’héritier qui en bénéficie doit indemniser ses cohéritiers pour compenser l’attribution exclusive des parts sociales.
    • Cette compensation peut s’opérer sous forme de soulte, sauf si les autres héritiers consentent à un partage inégal, ce qui reste une possibilité en cas d’accord familial.

B) Conditions relatives à l’attributaire

L’attribution préférentielle, en tant que modalité spécifique de partage, est soumise à des conditions rigoureuses quant à la qualité du demandeur. Trois exigences  se dégagent des textes et de la jurisprudence : l’attributaire doit avoir la qualité de copartageant, être titulaire de droits en propriété ou en nue-propriété, et justifier d’un intérêt légitime à l’attribution.

1. La qualité de copartageant

L’attribution préférentielle s’érige en une modalité singulière du partage, qu’il trouve sa source dans une dévolution successorale ou qu’il résulte de la dissolution d’une société. Dérogeant aux principes classiques du partage en nature ou par licitation, elle s’inscrit dans une perspective de pérennité patrimoniale et économique, veillant à préserver l’unité des biens et à en assurer la conservation ou l’exploitation dans des conditions optimales.

Toutefois, son octroi demeure subordonné à la réunion de deux exigences cumulatives :

  • L’exigence de qualité de copartageant, laquelle suppose d’être appelé à la répartition d’un patrimoine indivis, qu’il s’agisse d’une succession ou d’une masse sociale à liquider.
  • L’éligibilité à l’attribution préférentielle, réservée à certaines catégories de bénéficiaires déterminés en considération de leur lien avec le bien et de l’intérêt légitime qu’ils justifient à en obtenir l’attribution exclusive.

a. La nécessité d’endosser la qualité de copartageant

L’attribution préférentielle, en tant que modalité particulière du partage, ne peut être sollicitée que par un copartageant, c’est-à-dire un indivisaire appelé à bénéficier du partage d’un patrimoine, qu’il soit successoral, post-communautaire ou post-sociétaire. Cette exigence découle de la nature même de ce mécanisme, qui ne confère pas un droit propre à un individu, mais une faculté destinée à préserver l’unité et la continuité d’un bien en indivision, en fonction de son affectation économique, professionnelle ou familiale.

À l’origine, le bénéfice de l’attribution préférentielle était strictement limité aux héritiers ab intestat, excluant ainsi les autres indivisaires, notamment les légataires et les institués contractuels. Cette restriction répondait à une volonté de préserver le patrimoine au sein d’un cercle restreint, évitant qu’un tiers, choisi par voie de libéralité, ne puisse prétendre à l’appropriation d’un bien à titre préférentiel.

Toutefois, la réforme entreprise par la loi du 23 décembre 1970 a marqué une rupture en ouvrant cette faculté aux légataires universels et aux institués contractuels universels ou à titre universel (art. 833 C. civ.), consacrant ainsi une approche fondée non plus sur le lien familial, mais sur la vocation universelle du demandeur. Désormais, l’attribution préférentielle est accessible à toute personne ayant une indivision de principe sur le patrimoine à partager, sans que l’origine de ses droits (légale ou conventionnelle) constitue un critère d’exclusion.

En revanche, le titulaire de droits particuliers, tel que le légataire à titre particulier ou le bénéficiaire d’une indivision limitée à un bien spécifique, reste exclu du mécanisme. L’attribution préférentielle, qui suppose une indivision générale sur un ensemble de biens, ne peut être invoquée par celui qui ne détient qu’un droit déterminé sur un actif spécifique. Toutefois, si une réduction en nature d’une libéralité venait à placer un légataire en indivision avec d’autres indivisaires, ce dernier pourrait alors prétendre à l’attribution préférentielle pour sortir de l’indivision. La Cour de cassation a confirmé cette exclusion dans un arrêt du 21 juillet 1969, rappelant que seul un indivisaire ayant vocation à partager l’ensemble du patrimoine peut prétendre à cette faculté (Cass. 1re civ., 21 juill. 1969).

Enfin, la qualité de copartageant peut se transmettre: un successeur d’un indivisaire initial peut revendiquer l’attribution préférentielle, sous réserve d’en remplir personnellement les conditions, indépendamment de la situation de son auteur (Cass. 1re civ., 10 juin 1987, n°85-17.000). Cette solution consacre l’idée que l’attribution préférentielle ne repose pas sur la qualité personnelle du premier indivisaire, mais sur celle du demandeur final, garantissant ainsi une transmission patrimoniale fluide et une allocation optimale des biens indivis.

b. Les bénéficiaires éligibles à l’attribution préférentielle

Parmi les copartageants, seuls certains peuvent bénéficier de l’attribution préférentielle.

i. Le conjoint survivant

L’attribution préférentielle constitue un droit conféré au conjoint survivant, lui permettant de se voir attribuer certains biens du patrimoine successoral ou indivis afin d’assurer la continuité de ses conditions de vie. Ce mécanisme, qui vise à préserver le cadre de vie et les intérêts économiques du survivant, repose sur plusieurs dispositions du Code civil.

L’article 831-2 du Code civil prévoit ainsi que le conjoint survivant peut demander :

  • L’attribution en propriété ou en usufruit du logement conjugal, ainsi que du mobilier qui le garnit (C. civ., art. 831-2, 1°) ;
  • L’attribution des biens nécessaires à l’exercice de son activité professionnelle, à savoir la propriété ou le droit au bail du local à usage professionnel, ainsi que les objets mobiliers nécessaires à l’exercice de cette profession (C. civ., art. 831-2, 2°).

Par ailleurs, l’article 831-3 du Code civil accorde au conjoint survivant un droit automatique à l’attribution préférentielle du logement conjugal et de son mobilier, dès lors qu’il en fait la demande.

Ce droit, qui peut s’exercer dans le cadre d’un partage successoral ou d’un partage de communauté, se conjugue également avec le droit viager d’habitation et d’usage prévu à l’article 764 du Code civil, lequel permet au conjoint survivant de demeurer dans le logement principal du couple. Ces dispositifs combinés visent à éviter que le survivant ne se retrouve privé de son cadre de vie ou de ses moyens d’existence à la suite du décès de son époux.

==>L’attribution préférentielle dans le cadre d’un partage successoral

Le droit à l’attribution préférentielle du conjoint survivant s’exerce en priorité dans le cadre du partage successoral.

L’article 831-3 du Code civil prévoit que l’attribution en propriété ou en usufruit du logement conjugal et de son mobilier est de droit pour le conjoint survivant, dès lors qu’il en fait la demande.

Ainsi, sauf renonciation expresse du conjoint survivant ou circonstances particulières de la succession, le bénéfice de ce droit ne peut être écarté. En conséquence, dès lors que le survivant sollicite cette attribution, elle s’impose aux autres héritiers.

Toutefois, ce droit ne peut être invoqué en dehors d’un partage successoral. Dans un arrêt du 26 septembre 2012, la Cour de cassation a rejeté la demande d’attribution préférentielle d’une épouse séparée de biens, qui invoquait ce droit alors qu’aucune indivision successorale n’était en cause.

En l’espèce, les époux, mariés sous le régime de la séparation de biens, avaient acquis en indivision un immeuble à usage d’habitation. À la suite de la liquidation judiciaire du mari, le mandataire judiciaire, agissant dans l’intérêt des créanciers, a sollicité la cessation de l’indivision et la vente sur licitation du bien indivis. La conjointe, qui occupait ce logement, a alors demandé l’attribution préférentielle en se fondant sur les articles 831-3 et 832-4 du Code civil, offrant de verser une soulte dans les délais prévus par ce dernier texte.

La cour d’appel a rejeté sa demande, considérant que l’attribution préférentielle ne s’applique que dans le cadre d’un partage successoral ou d’un partage de communauté, et que la situation litigieuse relevait d’une indivision ordinaire née d’un acquisition conjointe, et non d’une succession ou d’un régime matrimonial dissous.

La Cour de cassation a confirmé cette analyse en relevant que la demanderesse n’avait pas la qualité de conjointe survivante, ce qui suffisait à exclure le bénéfice de l’attribution préférentielle de droit prévue à l’article 831-3 du Code civil. Elle a également précisé que cette faculté ne peut être exercée que dans le cadre d’un véritable partage successoral ou communautaire, à l’exclusion des situations où la fin de l’indivision résulte d’une procédure initiée par un créancier personnel d’un indivisaire (Cass. 1re civ., 26 sept. 2012, n° 11-16.246).

Cet arrêt illustre ainsi les limites du mécanisme de l’attribution préférentielle, qui ne saurait être invoqué pour contrer la licitation d’un bien indivis lorsque l’indivision ne relève ni du droit des successions, ni de la liquidation d’un régime matrimonial. 

==>L’attribution préférentielle dans le partage de communauté

Lorsque l’attribution préférentielle est demandée dans le cadre du partage d’une communauté, elle obéit à des règles spécifiques qui, bien que proches de celles du partage successoral, présentent des spécificités.

L’article 1476 du Code civil instaure un parallélisme des règles entre le partage de communauté et le partage successoral, en soumettant l’un aux principes gouvernant l’autre. Cette disposition prévoit, en effet, que « le partage de la communauté, pour tout ce qui concerne ses formes, le maintien de l’indivision et l’attribution préférentielle, la licitation des biens, les effets du partage, la garantie et les soultes, est soumis à toutes les règles qui sont établies au titre “Des successions” pour les partages entre cohéritiers. »

Ainsi, quelle que soit la cause de la dissolution du régime matrimonial — décès, divorce, séparation de corps ou changement de régime — l’un des époux peut prétendre à l’attribution préférentielle de certains biens indivis, en particulier lorsqu’il s’agit du logement conjugal ou des outils nécessaires à l’exercice d’une activité professionnelle.

La jurisprudence, bien avant l’adoption des textes actuels, avait déjà reconnu la possibilité d’une attribution préférentielle dans les partages consécutifs à un divorce ou à une séparation de corps, alors même que les dispositions anciennes ne visaient explicitement que le conjoint survivant (Cass. civ., 9 nov. 1954). 

Toutefois, le second alinéa de l’article 1476 du Code civil opère une distinction en modulant le régime de l’attribution préférentielle selon la cause de dissolution de la communauté. Il énonce que « toutefois, pour les communautés dissoutes par divorce, séparation de corps ou séparation de biens, l’attribution préférentielle n’est jamais de droit, et il peut toujours être décidé que la totalité de la soulte éventuellement due sera payable comptant. »

Il s’infère de cette disposition la nécessité de distinguer deux situations:

  • Lorsque la communauté est dissoute par décès, l’attribution préférentielle du logement conjugal et de son mobilier est de droit pour le conjoint survivant (C. civ., art. 831-3). Il suffit qu’il en fasse la demande pour qu’elle s’impose aux autres copartageants, sauf circonstances particulières.
  • Lorsque la communauté est dissoute par divorce, séparation de corps ou séparation de biens, l’attribution préférentielle n’est jamais de droit, mais reste soumise à l’appréciation du juge, qui appréciera l’opportunité de l’accorder en fonction des intérêts en présence.

Cette distinction repose sur une approche distincte du partage selon qu’il résulte d’un décès ou de la dissolution du mariage. En matière successorale, l’attribution préférentielle vise à protéger le conjoint survivant en lui permettant de conserver certains biens essentiels à son cadre de vie ou à son activité. En revanche, en cas de divorce ou de séparation, le principe est celui d’une liquidation définitive des intérêts patrimoniaux des époux, ce qui exclut toute automaticité de l’attribution préférentielle et justifie l’exigence d’un paiement immédiat de la soulte.

==>Cas particulier du conjoint séparé de biens

Un époux soumis au régime de la séparation de biens peut également prétendre à l’attribution préférentielle, sous réserve qu’il soit copropriétaire du bien concerné. L’article 1542 du Code civil étend expressément aux époux séparés de biens les règles de l’attribution préférentielle, sous réserve du respect des principes de l’indivision.

Ainsi, dans l’hypothèse où un bien a été acquis en indivision entre époux séparés de biens, et que cette indivision persiste après dissolution du mariage, l’un des époux peut solliciter l’attribution préférentielle lors du partage. 

Toutefois, la jurisprudence précise que cette demande peut également être formulée lorsque le partage intervient au cours du mariage, dès lors que l’indivision présente un caractère familial. En effet, la Cour de cassation a jugé qu’un époux séparé de biens pouvait prétendre à l’attribution préférentielle du logement conjugal dont il est copropriétaire, même si le partage était provoqué par un créancier, dès lors que l’indivision concernait un bien à usage familial (Cass. 1re civ., 9 oct. 1990, n° 89-10.429). Cette solution, fondée sur l’idée que la nature de l’indivision prime sur la cause du partage, assure une protection accrue du conjoint, en lui permettant de revendiquer l’attribution préférentielle du logement conjugal, y compris en dehors d’un partage successoral ou d’un partage de communauté postérieur à la dissolution du mariage.

ii. Les héritiers

L’article 831 du Code civil reconnaît à « tout héritier copropriétaire » le droit de solliciter l’attribution préférentielle, sans distinction de degré ou de ligne successorale. Peuvent ainsi y prétendre les héritiers en ligne directe comme en ligne collatérale, qu’ils soient issus du lien biologique ou adoptifs, dès lors qu’ils sont appelés à la succession et qu’ils l’ont acceptée. Cette qualité de successible est essentielle, car elle conditionne l’existence même du droit à l’attribution préférentielle.

Il en résulte qu’un cessionnaire de droits successoraux ne saurait revendiquer cette faculté, faute d’avoir lui-même la qualité d’héritier. La Cour de cassation a rappelé ce principe en jugeant qu’un ayant droit ne peut revendiquer l’attribution préférentielle, dans la mesure où il ne bénéficie pas personnellement de la vocation successorale initiale et n’est pas indivisaire de la succession (Cass. 1re civ., 9 janv. 1980, n° 78-14.550).

L’attribution préférentielle peut être demandée à tout moment jusqu’à la clôture définitive du partage. Peu importe que la demande de partage émane du postulant lui-même ou d’un autre cohéritier, voire d’un créancier de la succession : la seule exigence est d’être copropriétaire indivis du bien revendiqué (Cass. 1re civ., 24 mars 1998, n° 96-11.005).

Il en résulte que l’attribution préférentielle reste possible même si le partage a été sollicité par un tiers agissant dans l’intérêt d’un indivisaire. Ainsi, la demande de partage formulée par un créancier n’empêche pas l’héritier débiteur de revendiquer l’attribution préférentielle d’un bien successoral (Cass. 1re civ., 9 oct. 1990, n° 89-10.429).

Un héritier peut-il revendiquer l’attribution préférentielle lorsqu’il succède lui-même à un autre héritier qui aurait pu en bénéficier mais qui est décédé avant d’avoir exercé cette faculté ? La question n’est pas expressément tranchée par les textes, mais la jurisprudence y répond favorablement sous conditions.

La Cour de cassation a admis que l’héritier du premier successible pouvait exercer le droit à l’attribution préférentielle si celui-ci remplissait personnellement les conditions requises par la loi (Cass. 1re civ., 7 juill. 1971, n°70-13.561). Ce raisonnement repose sur la distinction entre :

  • Les facultés : un droit que le défunt n’a pas exercé de son vivant ne se transmet pas automatiquement à ses héritiers, sauf si ces derniers remplissent eux-mêmes les conditions nécessaires à son exercice ;
  • Les droits acquis : si un héritier a obtenu l’attribution préférentielle par un jugement définitif avant son décès, ce droit entre dans son patrimoine et se transmet à ses propres successibles, indépendamment de leur situation personnelle.

Ainsi, lorsque l’héritier décédé n’a pas formulé de demande d’attribution préférentielle, ses propres héritiers peuvent en solliciter le bénéfice, mais uniquement s’ils justifient personnellement des conditions exigées (Cass. 1re civ., 27 juin 2000, n° 98-17.177).

En revanche, lorsque l’attribution préférentielle a été définitivement accordée au premier héritier avant son décès, ses propres héritiers n’ont plus à justifier qu’ils remplissent personnellement les conditions légales : ils recueillent ce droit dans le cadre de la transmission successorale (Cass. 1re civ., 10 mars 1969).

La Cour de cassation a progressivement élargi la portée du droit à l’attribution préférentielle en dissociant la condition de participation à la mise en valeur du bien de celle de la copropriété.

Dans un arrêt du 10 juin 1987, elle a jugé qu’un héritier en second pouvait obtenir l’attribution préférentielle alors même que son auteur n’avait pas exercé cette faculté, à condition qu’il ait lui-même participé à la gestion ou à l’exploitation du bien en question (Cass. 1re civ., 10 juin 1987, n° 85-17.000). Cette solution marque une évolution notable : l’attribution préférentielle devient un droit propre à l’héritier en second, dès lors qu’il satisfait aux critères légaux, sans que l’on exige que son auteur ait lui-même rempli ces conditions.

Cette dissociation, consacrée à l’article 831 du Code civil, permet ainsi à un héritier de revendiquer l’attribution préférentielle d’un bien, même si son auteur ne pouvait lui-même y prétendre, dès lors qu’il remplit les conditions légales exigées, notamment en matière de participation effective à la mise en valeur du bien.

iii. Les légataires et institués contractuels

Avant l’adoption de la loi du 23 décembre 1970, la question de l’accès des légataires au bénéfice de l’attribution préférentielle avait donné lieu à des hésitations jurisprudentielles. Certains juges du fond avaient admis cette possibilité, considérant que la vocation successorale du légataire universel justifiait son assimilation à un héritier (CA Angers, 31 mai 1950). D’autres juridictions, en revanche, avaient rejeté cette prétention, estimant que l’attribution préférentielle devait être réservée aux parents du de cujus et ne pouvait être étendue à un tiers gratifié par testament (CA Rennes, 21 mars 1956).

Ces divergences n’avaient pas été tranchées par la loi de 1961, ce qui avait conduit la Cour de cassation à se prononcer en défaveur des légataires. Dans un arrêt du 15 novembre 1966, elle affirmait que « le légataire universel, qui peut n’être pas membre de la famille, ne saurait prétendre à l’attribution préférentielle » (Cass. 1re civ., 15 nov. 1966). Cette position restrictive, fondée sur l’idée que ce mécanisme devait avant tout servir la conservation familiale du patrimoine, allait à contre-courant de l’évolution doctrinale qui tendait à rapprocher le légataire universel de l’héritier.

Face à cette rigidité, le législateur a finalement réformé le dispositif en adoptant la loi du 23 décembre 1970, laquelle a modifié l’article 832-3 du Code civil (désormais repris à l’article 833), afin d’étendre expressément l’attribution préférentielle aux gratifiés ayant vocation universelle ou à titre universel. Depuis cette réforme, les légataires universels et les institués contractuels peuvent ainsi solliciter l’attribution préférentielle sous réserve de satisfaire aux conditions de droit et de fait imposées à tout attributaire.

La loi ne distingue pas selon la forme du testament qui institue le légataire (authentique, olographe, mystique ou international) ni selon la manière dont le legs est consenti. La seule distinction pertinente repose sur l’étendue de la vocation successorale conférée par le testament :

  • Le légataire universel peut prétendre, sans restriction, au bénéfice de l’attribution préférentielle, dans la mesure où il est appelé à recueillir l’intégralité de la succession et qu’il revêt ainsi une qualité assimilable à celle d’un héritier.
  • Le légataire à titre universel, c’est-à-dire celui qui reçoit une quote-part de la succession, bénéficie du même droit, à condition que la part qui lui est dévolue comprenne le bien objet de la demande d’attribution préférentielle.
  • Le légataire particulier, en revanche, demeure exclu du dispositif. Son legs portant sur un bien déterminé, il est censé en recevoir la pleine propriété par l’effet du testament, sans qu’il ait besoin de l’intervention des règles du partage successoral.

Toutefois, une exception existe lorsque la libéralité consentie au légataire est réduite en nature. En pareille hypothèse, le légataire particulier se retrouve en indivision avec les héritiers réservataires et peut ainsi se prévaloir du mécanisme de l’attribution préférentielle pour obtenir la propriété du bien indivis (Cass. 1re civ., 21 juill. 1969).

La généralisation de la réduction en valeur opérée par la loi du 23 juin 2006 a considérablement restreint l’intérêt du légataire universel à recourir à l’attribution préférentielle. En effet, si une libéralité excède la quotité disponible, elle est désormais réduite en valeur et non en nature, sauf exception. Cette réduction en valeur a pour effet de maintenir l’intégrité du legs dans le patrimoine du légataire, en contrepartie du paiement d’une indemnité aux héritiers réservataires. Dans un tel contexte, l’indivision successorale devient rare et, avec elle, le besoin de recourir à l’attribution préférentielle.

Toutefois, dans l’hypothèse exceptionnelle où la réduction s’opère en nature, le légataire universel peut se retrouver en indivision avec les héritiers réservataires et être amené à revendiquer l’attribution préférentielle du bien litigieux (art. 924 et 924-1 C. civ.).

Les règles régissant l’attribution préférentielle des légataires trouvent à s’appliquer, mutatis mutandis, aux institués contractuels, en vertu de l’assimilation opérée par l’article 833 du Code civil. Cette disposition leur confère ainsi la possibilité de solliciter l’attribution préférentielle, sous réserve qu’ils disposent d’une vocation universelle ou à titre universel à la succession.

Si, dans son acception traditionnelle, l’institution contractuelle désigne principalement les donations de biens à venir consenties par contrat de mariage, il est désormais admis que cette notion couvre également les donations entre époux réalisées en cours d’union, pour autant qu’elles attribuent au survivant des droits successoraux de nature universelle. Cette extension doctrinale et jurisprudentielle renforce la protection patrimoniale du conjoint bénéficiaire, en lui ouvrant l’accès aux mécanismes de l’attribution préférentielle dans le cadre du partage successoral.

De même, l’assimilation entre héritiers, légataires et institués contractuels opérée par le législateur s’étend également à la transmissibilité du bénéfice de l’attribution préférentielle. Ainsi, lorsqu’un légataire universel ou un institué contractuel décède avant d’avoir exercé son droit à l’attribution préférentielle, ses héritiers peuvent en revendiquer le bénéfice, à condition qu’ils remplissent eux-mêmes les conditions personnelles requises pour en bénéficier.

Cette transmission se justifie par la volonté du législateur d’uniformiser le sort des gratifiés universels en leur conférant, sauf disposition contraire, un statut similaire à celui des héritiers ab intestat en matière de partage. Dès lors, un légataire de l’héritier ou un légataire du légataire peut également exercer cette faculté, dans la mesure où il hérite d’une vocation successorale universelle ou à titre universel et satisfait aux exigences légales.

Enfin, cette logique s’applique aux libéralités graduelles ou résiduelles, lorsque plusieurs gratifiés en second sont appelés à recueillir collectivement les biens grevés de la charge de conservation et de restitution. Dès lors qu’ils sont investis d’une vocation universelle et qu’ils remplissent les conditions d’attribution préférentielle, ils peuvent prétendre à ce mécanisme, consolidant ainsi la cohérence et l’unité du régime successoral des gratifiés universels.

iv. Les partenaires de PACS

Avant 1999, le partenaire survivant ne bénéficiait d’aucune protection en matière de partage successoral. La loi du 15 novembre 1999 a corrigé cette lacune en insérant l’article 515-6 dans le Code civil, lequel ouvrait aux partenaires la possibilité de demander l’attribution préférentielle. Toutefois, cette faculté était initialement limitée aux dispositions de l’article 832 du Code civil, ce qui excluait d’emblée :

  • Les exploitations agricoles ;
  • Les parts indivises de ces exploitations ;
  • Les parts sociales des sociétés exploitant un domaine agricole.

Cette exclusion traduisait la volonté du législateur de maintenir une distinction entre les biens patrimoniaux à vocation résidentielle ou professionnelle, accessibles aux partenaires de PACS, et les biens à caractère économique, tels que les exploitations agricoles, dont la transmission devait rester prioritairement réservée aux héritiers du défunt. Ce choix instaurait ainsi une différence de traitement entre les unions contractuelles principalement urbaines, où l’attribution préférentielle pouvait jouer un rôle protecteur, et celles ancrées dans un cadre rural, où cette faculté était délibérément écartée.

En outre, la seule référence à l’article 832 du Code civil dans l’ancienne version de l’article 515-6 soulevait une incertitude quant aux autres formes d’attribution préférentielle. Il n’était pas précisé si les partenaires pouvaient bénéficier des dispositions spécifiques permettant aux nus-propriétaires, légataires et institués contractuels de revendiquer une attribution préférentielle (art. 832-4 C. civ.).

La loi du 23 juin 2006 a profondément modifié le régime applicable aux partenaires. Elle a clarifié et élargi leur droit à l’attribution préférentielle en modifiant l’article 515-6 du Code civil, qui dispose désormais que les articles 831, 831-2, 832-3 et 832-4 sont applicables aux partenaires de PACS en cas de dissolution de celui-ci.

Cette réécriture a deux conséquences majeures :

  • Elle consacre l’accès du partenaire survivant à l’attribution préférentielle facultative pour certains biens, notamment :
    • La résidence principale et le mobilier qui la garnit (C. civ., art. 831-2, 1°);
    • Le local à usage professionnel et son mobilier (C. civ., art. 831-2, 2°) ;
    • Le véhicule nécessaire aux besoins de la vie courante (C. civ., art. 831-2, 1° in fine).
  • Elle écarte explicitement les règles concernant:
    • L’attribution préférentielle de plein droit du logement et du mobilier (C. civ., art. 831-3) ;
    • Les exploitations agricoles (C. civ., art. 832) ;
    • La constitution d’un groupement foncier agricole (C. civ., art. 832-1 et 832-2).

Cette réforme met fin à l’ambiguïté qui existait sous l’empire de la loi de 1999 et conforte l’alignement progressif des effets du PACS sur ceux du mariage.

Si les partenaires de PACS ne bénéficient pas du droit viager d’habitation et d’usage accordé aux conjoints survivants (art. 764 C. civ.), la loi leur offre néanmoins une protection renforcée en matière de logement.

En effet, l’article 515-6 du Code civil prévoit qu’un partenaire survivant peut bénéficier de l’attribution préférentielle de la résidence principale, mais seulement si le défunt l’a expressément prévu par testament. Cette disposition introduit ainsi une différence notable avec le conjoint survivant, qui dispose d’un droit à l’attribution préférentielle de plein droit (art. 831-3 C. civ.).

En parallèle, la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 a instauré un droit spécifique pour le partenaire survivant en matière de droit au bail, en introduisant l’article 1751-1 du Code civil. Ce texte prévoit que le partenaire survivant peut demander au juge l’attribution du droit au bail du logement commun, sous réserve des intérêts sociaux et familiaux en présence. Cette faculté permet ainsi au survivant de ne pas être contraint de quitter brutalement le domicile en cas de décès de son partenaire.

L’attribution préférentielle peut également être sollicitée en cas de rupture du PACS entre vifs, c’est-à-dire :

  • Par la volonté commune des partenaires ;
  • Par la volonté unilatérale de l’un d’eux (art. 515-7 C. civ.).

Dans ce cas, l’attribution préférentielle fonctionne comme dans une indivision classique : le partenaire qui souhaite conserver le bien peut demander son attribution moyennant le versement d’une soulte à l’autre. Si un litige survient entre les partenaires ou avec les héritiers du défunt, le tribunal appréciera la demande en considération des intérêts en présence.

L’article 515-6 renvoyant expressément à l’article 832-3 du Code civil, qui régit les conflits en matière d’attribution préférentielle, les principes généraux du droit des successions trouvent ici à s’appliquer.

Malgré cette avancée législative, certaines différences subsistent entre les partenaires de PACS et les conjoints mariés :

  • L’attribution préférentielle est de droit pour le conjoint survivant en matière de logement principal (art. 831-3 C. civ.), alors qu’elle nécessite un testament exprès pour le partenaire de PACS (art. 515-6 C. civ.).
  • Le droit viager d’usage et d’habitation dont bénéficie le conjoint survivant (art. 764 C. civ.) ne s’applique pas aux partenaires de PACS.
  • Les partenaires de PACS sont exclus des dispositifs relatifs aux exploitations agricoles et aux entreprises familiales, ce qui peut être préjudiciable lorsque le couple partageait une activité économique.

Toutefois, cette assimilation partielle témoigne d’une tendance du législateur à rapprocher, dans une certaine mesure, les effets du PACS de ceux du mariage, notamment en matière successorale et patrimoniale.

v. L’exclusion des concubins

==>Principe

Contrairement aux partenaires liés par un pacte civil de solidarité, les concubins ne bénéficient d’aucun droit à l’attribution préférentielle, cette faculté étant strictement réservée au conjoint survivant, aux héritiers et aux partenaires de PACS. La Cour de cassation a réaffirmé avec constance cette exclusion, fondée sur l’absence de cadre juridique régissant le concubinage, qui ne crée aucun droit successoral automatique entre les concubins.

Cette position jurisprudentielle s’impose avec fermeté, y compris dans les cas où l’un des concubins occupait exclusivement le bien indivis après la rupture. Ainsi, la haute juridiction a censuré une décision qui avait accordé à un concubin l’attribution préférentielle d’un bien indivis au motif qu’il en était l’occupant depuis la séparation du couple. 

Elle a rappelé que l’attribution préférentielle, prévue par l’article 832 du Code civil, ne peut être demandée que par le conjoint ou par un héritier, et ne s’applique donc pas aux concubins, quelles que soient les circonstances de la rupture et l’occupation du bien indivis. 

En l’espèce, les juges du fond avaient retenu que l’attribution préférentielle devait être accordée au concubin au motif qu’il résidait dans le bien et qu’il n’était pas démontré qu’il serait dans l’impossibilité de s’acquitter d’une éventuelle soulte. La Cour de cassation a censuré cette décision en considérant que, les parties n’étant pas mariées, l’intéressé ne pouvait en aucun cas prétendre au bénéfice de ce mécanisme successoral (Cass. 1re civ., 9 déc. 2003, n° 02-12.884).

==>Exceptions

  • L’indivision conventionnelle
    • Si le concubinage en lui-même n’ouvre aucun droit à l’attribution préférentielle, une exception peut toutefois être admise lorsque les concubins ont acquis un bien en indivision et ont encadré leur relation patrimoniale par une convention spécifique. 
    • En effet, si un pacte stipule expressément un droit de préférence au profit de l’un des concubins, celui-ci pourra l’invoquer lors du partage de l’indivision.
    • La Cour de cassation a rappelé, dans un arrêt du 26 septembre 2012, que l’attribution préférentielle ne pouvait être sollicitée que par un conjoint, un partenaire de PACS ou un héritier, excluant ainsi les concubins du bénéfice des articles 831 et suivants du Code civil.
    • Toutefois, dans cette même décision, elle a précisé que l’indivision conventionnelle liant les concubins ne comportait aucune stipulation prévoyant un tel mécanisme, laissant ainsi entendre qu’une clause contractuelle explicite aurait pu être prise en compte (Cass. 1re civ., 26 sept. 2012, n° 11-12.838).
    • Ainsi, bien que le concubin ne puisse pas revendiquer l’attribution préférentielle en vertu du droit successoral ou matrimonial, il peut néanmoins organiser contractuellement un droit similaire dans le cadre des règles de l’indivision ordinaire, sous réserve d’un accord préalable entre les parties.
  • La théorie de l’accession
    • Dans un cas où une concubine était propriétaire d’un terrain sur lequel elle et son concubin avaient édifié ensemble une maison à frais communs, la Cour de cassation a jugé que la construction était devenue la propriété de la concubine par accession et que celle-ci pouvait en obtenir l’attribution dans le cadre de la liquidation du concubinage (Cass. 1re civ., 2 oct. 2002, n° 01-00.002).
    • Cette solution repose sur la théorie de l’accession et non sur l’attribution préférentielle au sens strict.
  • Le mariage des concubins suivi d’un divorce
    • Un concubin ayant acquis avec sa concubine un bien en indivision avant leur mariage peut, s’ils divorcent ultérieurement, solliciter l’attribution préférentielle du bien en tant que conjoint divorcé.
    • En effet, le changement de statut du couple entraîne un basculement dans le régime de l’attribution préférentielle des époux, le demandeur pouvant alors fonder sa prétention sur sa qualité de conjoint et de copropriétaire (Cass. 1re civ., 7 juin 1988, n°86-15.090).
  • L’existence d’une société de fait
    • Dans certaines circonstances, la reconnaissance d’une société de fait entre concubins peut leur permettre d’accéder à un mécanisme proche de l’attribution préférentielle. 
    • La Cour de cassation a ainsi censuré une décision qui avait refusé d’examiner l’existence d’une telle société entre concubins ayant acquis ensemble un immeuble et ayant organisé entre eux les modalités de remboursement.
    • Elle a estimé que les juges du fond auraient dû vérifier si la situation ne relevait pas du régime des sociétés de fait, auquel cas le partage aurait obéi aux règles des sociétés, notamment celles relatives à la répartition des actifs en cas de dissolution (Cass. 1re civ., 20 mars 1989, n° 87-15.818).
    • Toutefois, la jurisprudence se montre extrêmement rigoureuse dans l’admission de telles sociétés, exigeant que soit démontrée l’existence d’un réel affectio societatis, c’est-à-dire une volonté commune de collaborer dans une entreprise à but lucratif. 
    • À défaut, la société de fait ne sera pas reconnue et le concubin restera soumis au régime de l’indivision ordinaire, sans possibilité de revendiquer une attribution préférentielle (Cass. 1re civ., 20 janv. 2010, n° 08-13.200).

vi. Les associés dans le cadre du partage d’une société

L’attribution préférentielle ne se limite pas aux partages successoraux ou matrimoniaux ; elle trouve également à s’appliquer dans le cadre du partage de l’actif social d’une société en liquidation. L’article 1844-9 du Code civil consacre cette possibilité en prévoyant que « les règles concernant le partage des successions, y compris l’attribution préférentielle, s’appliquent aux partages entre associés. »

Toutefois, ce droit demeure encadré par des principes spécifiques au droit des sociétés. En premier lieu, le partage ne peut intervenir qu’après le paiement des dettes et le remboursement du capital social. Ce n’est qu’une fois ces obligations satisfaites que les associés peuvent prétendre au partage du solde de l’actif, en principe proportionnellement à leur participation aux bénéfices, sauf disposition contraire des statuts ou accord spécifique des associés.

En second lieu, l’attribution préférentielle est subordonnée à l’exercice des prérogatives prioritaires expressément prévues par l’alinéa 3 de l’article 1844-9 du Code civil. Ce texte confère en effet une priorité absolue à l’associé ayant effectué un apport en nature : si le bien apporté figure toujours dans l’actif social au moment du partage, il peut, sur simple demande, en obtenir l’attribution à charge de soulte si nécessaire. Ce droit prime toute autre demande d’attribution préférentielle et s’exerce avant toute autre répartition de l’actif.

En l’absence d’apport en nature identifiable, l’attribution préférentielle peut néanmoins être sollicitée par un associé sur tout bien répondant aux conditions définies aux articles 831 et 831-2 du Code civil. Autrement dit, un associé peut prétendre à l’attribution d’un actif social qui lui est nécessaire pour poursuivre une activité professionnelle, ou encore d’un bien immobilier servant d’habitation, à condition qu’il remplisse les exigences requises par le droit commun de l’attribution préférentielle.

La Cour de cassation a eu l’occasion d’appliquer ces principes dans une affaire impliquant le partage de l’actif social d’une société créée de fait entre concubins. Ceux-ci exploitaient ensemble un centre d’hébergement touristique et de loisirs, au sein duquel l’un des associés avait réalisé plusieurs tapisseries dans le cadre des activités artisanales développées par la société. La Cour d’appel avait jugé que ces œuvres, représentant l’apport en industrie de leur créateur, faisaient partie de l’actif social et devaient être intégrées à la masse à partager après liquidation du passif.

Confirmant cette analyse, la Cour de cassation a retenu que ces biens, relevant de l’activité de la société et se retrouvant en nature dans l’actif social, ouvraient droit à une attribution préférentielle au profit de leur auteur, sous réserve du versement d’une soulte aux autres associés, en application de l’article 1844-9 du Code civil (Cass. 1re civ., 30 mai 2006, n° 04-14.749). Ainsi, la haute juridiction a rappelé que lorsqu’un bien, résultant d’un apport en industrie, demeure en nature au sein du patrimoine social au moment de la liquidation, l’associé à l’origine de cet apport peut en solliciter l’attribution préférentielle dans le cadre du partage de l’actif.

2. La titularité d’un droit en propriété ou en nue-propriété

L’attribution préférentielle, en tant que modalité du partage successoral, suppose la détention d’un droit réel sur le bien indivis. Toutefois, si les héritiers titulaires d’un droit en pleine propriété ou en nue-propriété peuvent prétendre à cette faculté, les usufruitiers en sont expressément exclus. Cette distinction, qui repose sur la nature même des droits en cause, mérite d’être examinée à travers deux axes complémentaires : d’une part, l’exigence de titularité d’un droit en propriété ou en nue-propriété, et, d’autre part, l’exclusion des titulaires d’un droit d’usufruit.

a. L’exigence de titularité d’un droit en propriété ou en nue-propriété

L’attribution préférentielle, en tant que modalité du partage successoral, suppose que le demandeur détienne un droit en indivision sur le bien concerné. À ce titre, seuls les titulaires de droits en pleine propriété ou en nue-propriété peuvent valablement en solliciter le bénéfice. Cette exigence, consacrée par l’article 831 du Code civil, trouve sa justification dans le principe selon lequel le partage ne peut porter que sur les biens relevant de l’indivision, à l’exclusion de ceux qui appartiennent à des tiers.

Originellement, la jurisprudence interprétait de manière rigoureuse cette exigence de copropriété, réservant l’attribution préférentielle aux seuls titulaires d’un droit en pleine propriété. Dans un arrêt du 8 novembre 1965, la Cour de cassation avait ainsi retenu l’exclusion des nus-propriétaires, considérant que la nue-propriété, en ce qu’elle constitue un droit de propriété démembré, ne conférait pas une maîtrise suffisante du bien pour justifier une attribution préférentielle (Cass. 1re civ., 8 nov. 1965).

Cette position s’est révélée particulièrement sévère dans les hypothèses où le conjoint survivant recueillait l’usufruit universel des biens successoraux, reléguant les héritiers à la seule nue-propriété, sans possibilité d’obtenir l’attribution préférentielle des biens nécessaires à la poursuite d’une activité professionnelle ou à la conservation du patrimoine familial. Une telle rigueur a suscité d’importantes critiques doctrinales, dénonçant une application excessivement formaliste du droit successoral, au détriment de l’objectif poursuivi par le mécanisme de l’attribution préférentielle.

Face aux incohérences pratiques générées par cette exclusion, le législateur a entendu remédier à cette situation en adoptant la loi du 23 décembre 1970, introduisant l’article 832-4 du Code civil, devenu l’article 833 depuis la réforme du 23 juin 2006. Cette réforme a marqué une avancée décisive en reconnaissant aux nus-propriétaires la faculté de solliciter l’attribution préférentielle d’un bien indivis, y compris lorsque celui-ci restait grevé d’un usufruit.

Désormais, le nu-propriétaire, au même titre que le titulaire d’un droit en pleine propriété, peut revendiquer l’attribution préférentielle, ce qui revêt une portée pratique considérable dans le cadre de la transmission d’entreprises ou de biens immobiliers à usage professionnel. Un enfant nu-propriétaire exploitant un fonds de commerce ou une exploitation agricole peut ainsi prétendre à l’attribution préférentielle du bien, sous réserve de justifier d’une participation effective à son exploitation (Cass. 1ere civ., 2 déc. 2015, n°14-25.622). Cette évolution contribue à assurer la pérennité des entreprises familiales et à éviter que l’usufruit détenu par un conjoint survivant ne constitue un frein à la continuité de l’exploitation.

Toutefois, cette ouverture ne s’étend pas aux légataires à titre particulier. En effet, ces derniers ne disposent pas de la qualité d’héritier et, partant, ne peuvent se prévaloir du mécanisme de l’attribution préférentielle, sauf dans l’hypothèse où la libéralité consentie a été réduite en nature, les plaçant alors en indivision avec les autres cohéritiers. Cette exclusion s’explique par la volonté du législateur de réserver ce dispositif aux successions ab intestat ou aux situations où un bien demeure en indivision entre les successibles.

b. L’exclusion des titulaires d’un droit d’usufruit

Si la reconnaissance du droit des nus-propriétaires à solliciter une attribution préférentielle constitue une avancée significative du droit successoral, il n’en demeure pas moins que les usufruitiers en sont, quant à eux, formellement exclus. Cette exclusion procède de la nature même de l’usufruit, qui ne confère qu’un droit de jouissance temporaire, tandis que l’attribution préférentielle implique un transfert de propriété, incompatible avec les prérogatives limitées de l’usufruitier.

Ainsi, la Cour de cassation a rappelé à plusieurs reprises que l’usufruitier ne peut, en aucun cas, prétendre à une attribution préférentielle (Cass. 1re civ., 27 juin 2000, n° 98-17.177). Une telle demande reviendrait, en effet, à transformer un droit temporaire de jouissance en un droit de propriété définitif, ce que la loi prohibe expressément. L’attribution préférentielle étant une simple modalité du partage, elle ne peut en aucun cas constituer un moyen détourné d’accroître les droits de l’usufruitier au détriment des autres héritiers.

Cette exclusion trouve une justification dans la distinction fondamentale entre l’usufruit et la pleine propriété. L’usufruitier n’a, par définition, ni la maîtrise intégrale du bien, ni la faculté de le disposer librement. Or, le mécanisme de l’attribution préférentielle suppose, au contraire, une appropriation totale et définitive du bien, assortie, le cas échéant, du versement d’une soulte aux coindivisaires. Dans ces conditions, l’usufruitier ne saurait revendiquer une attribution préférentielle, pas même sous la forme d’un usufruit viager sur le bien litigieux.

Avant la réforme du 3 décembre 2001, cette exclusion de l’usufruitier s’est révélée particulièrement préjudiciable au conjoint survivant. En présence de descendants, ce dernier ne recueillait bien souvent que l’usufruit légal du quart de la succession et ne pouvait, en conséquence, obtenir l’attribution préférentielle du logement conjugal indivis (Cass. 1re civ., 10 mai 1966). En raison de l’absence de copropriété en pleine propriété, condition alors strictement exigée, le conjoint survivant usufruitier était privé de toute possibilité de sécuriser son maintien dans le logement.

Face aux difficultés pratiques engendrées par cette rigueur juridique, le législateur est intervenu par la loi du 3 décembre 2001, instaurant un droit viager au logement au profit du conjoint survivant (art. 764 C. civ.). Ce dispositif vise à assurer la protection du logement conjugal en permettant au conjoint survivant d’y demeurer jusqu’à son décès, à condition que ce bien ait constitué sa résidence principale au jour du décès du défunt.

Toutefois, ce droit viager ne saurait être assimilé à une attribution préférentielle. Contrairement à cette dernière, qui conduit à l’acquisition définitive du bien en propriété, le droit viager au logement se borne à conférer au conjoint survivant un droit d’usage et d’habitation, insusceptible de mutation ou de cession. Il s’agit d’une mesure de protection d’ordre public, s’imposant aux héritiers sans qu’aucune contrepartie financière ne leur soit due. De ce fait, si le conjoint survivant peut bénéficier d’une jouissance prolongée du logement conjugal, il demeure exclu du champ de l’attribution préférentielle, dont la vocation est résolument patrimoniale.

Cette distinction est d’autant plus importante que le droit viager au logement s’exerce indépendamment des règles successorales classiques. Il ne suppose pas l’indivision du bien et peut s’appliquer même si les héritiers entendent procéder à un partage immédiat de la succession. En revanche, l’attribution préférentielle reste subordonnée à l’existence d’une indivision successorale, ce qui en limite la portée au cadre du partage.

c. La situation particulière du titulaire d’un droit au bail

Si l’usufruitier demeure exclu du bénéfice de l’attribution préférentielle, le législateur a néanmoins aménagé une protection spécifique en matière de droit au bail, reconnaissant au conjoint survivant un droit préférentiel lui permettant de solliciter l’attribution du droit au bail du logement commun.

Cette avancée a été introduite par la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014, laquelle a inséré l’article 1751-1 du Code civil. Ce texte autorise désormais le conjoint survivant à demander l’attribution du droit au bail du logement conjugal, sous réserve de l’appréciation des intérêts en présence par le juge. Ce dernier devra notamment tenir compte des besoins du conjoint survivant et de ceux des autres héritiers pour statuer sur la demande.

Cette protection constitue une réponse aux difficultés que rencontrait le conjoint survivant en cas de logement pris à bail. Avant cette réforme, la question du devenir du contrat de location en cas de décès du locataire était source d’incertitudes. Si la jurisprudence avait admis que le conjoint survivant pouvait se voir reconnaître un droit exclusif sur le bail en cas de nécessité manifeste, cette solution demeurait incertaine et soumise aux appréciations des juges du fond. L’introduction de l’article 1751-1 du Code civil a donc eu pour effet de sécuriser la situation du conjoint survivant, en lui conférant un véritable droit préférentiel, opposable aux autres héritiers.

Toutefois, il est essentiel de souligner que ce droit préférentiel en matière de bail ne remet pas en cause l’exclusion du conjoint survivant du bénéfice de l’attribution préférentielle en pleine propriété. En effet, ce dispositif ne lui permet pas d’acquérir la propriété du logement, mais simplement d’en préserver la jouissance en cas de décès de son conjoint. Il constitue ainsi une mesure de protection renforcée du logement, sans pour autant emporter les effets patrimoniaux attachés à l’attribution préférentielle.

3. L’existence d’un intérêt légitime à l’attribution préférentielle

L’attribution préférentielle ne saurait être accordée sans la démonstration d’un intérêt légitime du postulant. Cette exigence, qui découle de l’article 831 du Code civil, se justifie par le fait que l’attribution constitue une modalité particulière du partage successoral, dérogeant au principe d’égalité entre coindivisaires. L’intérêt légitime s’apprécie au regard de la nature du bien sollicité et des circonstances propres à chaque demande.

a. L’attribution d’une entreprise agricole, commerciale, artisanale, industrielle ou libérale

L’attribution préférentielle d’une entreprise implique que le demandeur justifie d’une participation effective à son exploitation, conformément aux dispositions de l’article 831, alinéa 1 du Code civil. Cette participation peut être directe (gestion, exploitation active) ou indirecte (collaboration étroite, implication dans la valorisation de l’activité).

Ainsi, la jurisprudence reconnaît qu’un héritier peut prétendre à l’attribution préférentielle s’il a exercé une activité en lien avec l’exploitation concernée, même si cette activité n’était pas continue. Il n’est pas exigé que la participation ait perduré jusqu’à l’ouverture de la succession, il suffit qu’elle ait existé à un moment pertinent et qu’elle soit démontrée de manière tangible.

Par exemple, la Cour de cassation a jugé qu’un enfant ayant participé à l’exploitation d’un fonds de commerce familial, fût-ce de manière ponctuelle, pouvait se voir attribuer préférentiellement le bien, dès lors qu’il démontrait une intention de poursuivre l’activité (Cass. 1ere civ., 2 déc. 2015, n° 14-25.622). Cette souplesse vise à éviter une déstabilisation excessive des entreprises familiales lors du règlement successoral.

En matière agricole, l’attribution préférentielle peut être facilitée lorsque l’héritier exploite déjà le bien en qualité de fermier ou de métayer. Cette situation permet au juge de constater une continuité de l’exploitation et d’accorder l’attribution au regard de l’intérêt économique généralre.

Cependant, une stricte appréciation des critères demeure de mise : une simple intention déclarative de reprendre l’exploitation ne suffit pas, la preuve d’un engagement antérieur ou d’une compétence spécifique est requise.

b. L’attribution du local d’habitation ou professionnel

Lorsqu’elle porte sur un bien immobilier, l’attribution préférentielle repose sur des critères d’occupation effective et de nécessité.

S’agissant des locaux à usage d’habitation, l’article 831-2 du Code civil impose que le demandeur y ait résidé de manière stable avant l’ouverture de la succession et qu’il justifie d’un besoin réel de s’y maintenir. La Cour de cassation a ainsi rappelé que l’attribution ne saurait être accordée à un indivisaire qui ne justifie pas d’une occupation antérieure ou d’un projet de maintien dans le logement familial (Cass. 1re civ., 15 janv. 2014, n° 12-25.322).

Concernant les locaux professionnels, l’exigence porte non sur une occupation antérieure, mais sur l’exercice effectif d’une activité à la date de la demande (art. 831-2, 2° C. civ.). Cette condition vise à éviter qu’un indivisaire ne sollicite l’attribution à des fins spéculatives sans réel projet d’exploitation. Dès lors, un héritier qui exerce déjà une profession libérale dans un immeuble appartenant à l’indivision aura un intérêt légitime à en solliciter l’attribution.

c. L’attribution des éléments mobiliers affectés à l’exploitation

L’attribution préférentielle peut également s’étendre aux biens mobiliers nécessaires à l’exploitation d’un fonds professionnel ou agricole (art. 831-2, 3° C. civ.). Cette extension permet au bénéficiaire de poursuivre l’activité économique dans des conditions optimales.

Là encore, la notion d’intérêt légitime suppose la démonstration d’un usage effectif du matériel concerné. Ainsi, un médecin succédant à une clinique familiale pourra solliciter l’attribution préférentielle du matériel médical s’il entend poursuivre l’exercice de la profession dans les lieux. De même, un exploitant agricole héritant du cheptel de son prédécesseur pourra prétendre à son attribution dès lors qu’il démontre son utilité pour la continuité de l’exploitation.

La jurisprudence a admis que la continuité d’exploitation pouvait être assurée par l’attributaire lui-même ou par un membre de sa famille exerçant l’activité sous sa responsabilité (Cass. 1ere civ., 10 juin 1987, n°85-17.000). En revanche, une attribution préférentielle visant un matériel d’exploitation sans lien avéré avec l’activité du demandeur serait rejetée.

C) Conditions tenant aux volontés exprimées par le défunt et aux choix des copartageants

L’attribution préférentielle, en tant que simple modalité du partage successoral, se trouve naturellement soumise à la volonté du défunt et des copartageants. Loin d’être un droit absolu, elle demeure tributaire des dispositions prises de son vivant par le de cujus et des choix exprimés par les indivisaires lors du partage. Son application obéit ainsi à un double contrôle : d’une part, celui du testateur, dont les dispositions peuvent entraver ou exclure l’attribution préférentielle ; d’autre part, celui des copartageants, qui peuvent en contester la mise en œuvre sous certaines conditions.

1. L’influence de la volonté du défunt

==>La faculté d’exclure l’attribution préférentielle

Le défunt conserve une large latitude pour organiser la transmission de ses biens et, partant, restreindre ou empêcher l’attribution préférentielle. Ce pouvoir découle du principe selon lequel les dispositions testamentaires priment sur les règles supplétives du Code civil. Ainsi, plusieurs mécanismes peuvent être mis en œuvre pour priver les héritiers de la possibilité d’obtenir une attribution préférentielle :

  • L’exclusion par legs ou donation : un bien légué à titre particulier sort du patrimoine successoral et échappe de ce fait à l’attribution préférentielle. La jurisprudence l’a affirmé de manière constante, admettant que l’institution d’un légataire emporte de plein droit l’exclusion de la répartition successorale classique et donc de l’attribution préférentielle (Cass. 1re civ., 8 juill. 1958).
  • Le recours aux libéralités-partages : de même, lorsqu’un bien est attribué dans le cadre d’une donation-partage, il échappe définitivement aux opérations de partage et à toute revendication au titre de l’attribution préférentielle.
  • Les clauses testamentaires excluant le partage en nature : un testateur peut stipuler une disposition imposant un partage en nature ou interdisant une attribution préférentielle sur certains biens spécifiques (Cass. 1re civ., 3 févr. 1959). Une telle clause prime sur la demande d’attribution, sauf fraude manifeste ou contradiction avec des dispositions impératives.

==>Les limites de la volonté du défunt

Si le de cujus dispose d’un pouvoir d’organisation de sa succession, encore faut-il que sa volonté soit formelle et non équivoque. En effet, une simple disposition ambiguë ne saurait suffire à écarter le droit d’attribution préférentielle. La jurisprudence a ainsi précisé que l’exclusion de ce mécanisme ne peut résulter que d’une stipulation expresse, par exemple une clause testamentaire affirmant clairement la volonté d’un partage en nature ou d’une répartition spécifique du patrimoine (Cass. 1re civ., 30 oct. 1962).

Par ailleurs, la réduction des libéralités pour atteinte à la réserve ne réintroduit pas l’attribution préférentielle. En effet, lorsque le legs est réductible en valeur mais non en nature, le bien concerné ne revient pas dans la masse successorale et ne peut donc faire l’objet d’une attribution préférentielle.

2. L’influence de la volonté des copartageants

==>La nécessité d’une demande expresse

L’attribution préférentielle ne joue qu’à la condition d’être demandée. Elle ne peut être présumée ni imposée d’office par le juge. Cette demande peut être introduite dès l’ouverture de la succession et jusqu’à la clôture des opérations de partage, sauf prescription ou chose jugée (Cass. 1re civ., 19 déc. 1977).

L’absence de demande ou une renonciation, même tacite mais certaine, empêche son octroi (Cass. civ., 14 janv. 1947).

Un héritier peut donc renoncer volontairement à l’attribution préférentielle, que ce soit dans le cadre d’un accord amiable ou par un comportement implicite mais sans équivoque.

==>Les demandes concurrentes et leur règlement

Lorsque plusieurs copartageants remplissent les conditions pour obtenir l’attribution préférentielle d’un même bien, deux issues sont envisageables :

  • Une demande conjointe : les héritiers peuvent solliciter une attribution indivise, ce qui permet de répartir entre eux la charge éventuelle d’une soulte et d’assurer la conservation du bien dans le cadre familial?
  • Des demandes exclusives concurrentes : en cas de conflit entre plusieurs prétendants, il appartient au juge d’arbitrer en tenant compte des intérêts en présence et de l’aptitude de chaque postulant à assumer la charge de l’attribution. La jurisprudence impose notamment au juge d’apprécier la durée et l’intensité de l’implication du demandeur dans l’exploitation du bien convoité?

==>L’opposition des autres copartageants

Les autres copartageants peuvent-ils s’opposer à une demande d’attribution préférentielle qu’ils jugeraient préjudiciable à leurs intérêts ? La réponse dépend du caractère facultatif ou impératif de l’attribution :

  • Attribution préférentielle facultative : les autres copartageants peuvent faire valoir leurs propres intérêts pour s’y opposer. Toutefois, leur opposition ne constitue pas un veto absolu : le juge statue en fonction des circonstances et des éléments de fond, comme l’utilité du bien pour le demandeur et sa capacité à honorer une éventuelle soulte.
  • Attribution préférentielle de droit : lorsque la loi confère un droit automatique à l’attribution (comme dans le cas d’une petite exploitation agricole ou d’un local d’habitation principal), les coindivisaires ne peuvent s’y opposer que dans des circonstances très exceptionnelles, notamment en cas d’insolvabilité manifeste du demandeur (Cass. 1re civ., 17 mars 1987).

III) Modalités de mise en oeuvre de l’attribution préférentielle

A) L’exercice de la demande d’attribution préférentielle

1. Modalités de présentation de la demande

a. Compétence

L’attribution préférentielle, en tant que modalité d’allotissement d’un bien indivis, relève en principe du juge du partage. Toutefois, cette règle générale connaît une exception en matière de liquidation du régime matrimonial. En effet, lorsque l’attribution préférentielle porte sur un bien commun ou indivis entre époux après dissolution du mariage, la compétence juridictionnelle est spécifique et a donné lieu à un contentieux récurrent, notamment sur la question de savoir si elle relève du juge du divorce ou du juge chargé du partage définitif.

La Cour de cassation a clairement établi que, dans le cadre de la dissolution du régime matrimonial, la demande d’attribution préférentielle relève de la compétence exclusive du juge aux affaires familiales (JAF). Cette orientation jurisprudentielle repose sur la logique selon laquelle la liquidation et le partage des intérêts patrimoniaux des époux ou ex-époux sont indissociables du contentieux du divorce. Plusieurs arrêts ont consacré cette approche (V. par ex. Cass. 2e, 22 mars 2005, n° 03-20.728).

Avant la réforme de 2004, l’article 264-1 du Code civil imposait déjà au juge du divorce de se prononcer sur les conséquences patrimoniales du divorce, y compris l’attribution préférentielle. La loi du 26 mai 2004 a clarifié ce point en intégrant ces prérogatives dans l’article 267 du Code civil, qui dispose que le juge du divorce est compétent pour trancher toute contestation relative à la liquidation et au partage des intérêts patrimoniaux des époux.

Depuis l’entrée en vigueur de la réforme, le 1er janvier 2005, c’est donc toujours le juge du divorce qui statue sur l’attribution préférentielle lorsqu’elle concerne un bien dépendant du patrimoine des époux. Cette compétence a d’ailleurs été confirmée par des décisions ultérieures, notamment en matière de liquidation de régimes matrimoniaux complexes ou en présence d’une indivision postérieure au divorce (Cass. 1ère civ., 30 janv. 2019, n°18-14.150).

L’enjeu principal réside dans le fait que la demande d’attribution préférentielle peut être formulée dès la phase du divorce. Dans un arrêt du 28 juin 2005, la Cour de cassation a ainsi jugé que le juge du divorce, saisi d’une demande d’attribution préférentielle, ne saurait en différer l’examen au motif que des éléments relatifs à la valeur des biens ou à un projet de partage feraient défaut (Cass. 1ère civ., 28 juin 2005, n°04-13.663). En l’espèce, la cour d’appel de Lyon avait rejeté la demande d’attribution préférentielle du domicile conjugal présentée par le mari, considérant qu’il était prématuré de statuer en l’absence de telles données et que la question pourrait être abordée plus tard, lors de la liquidation de la communauté.

La Cour de cassation a censuré ce raisonnement, en rappelant que, conformément à l’article 264-1 du Code civil alors applicable, le juge qui prononce le divorce doit, à cette occasion, ordonner la liquidation et le partage des intérêts patrimoniaux des époux et, le cas échéant, statuer sur les demandes d’attribution préférentielle. Dès lors, en subordonnant l’examen de cette demande à une étape ultérieure du processus liquidatif, la cour d’appel a méconnu cette obligation légale et violé le texte susvisé.

Par cette décision, la Haute juridiction réaffirme que le juge aux affaires familiales, lorsqu’il est saisi dans le cadre du divorce, doit trancher sans attendre les questions relatives à l’attribution préférentielle, sans pouvoir se retrancher derrière l’absence d’évaluation du bien ou l’inexistence d’un projet de partage. 

La compétence du JAF en matière de liquidation ne se limite pas au cadre du mariage dissous. Il peut également statuer sur les opérations de partage des partenaires de PACS ou des concubins, en vertu de l’article L. 213-3 du Code de l’organisation judiciaire. Ainsi, le partage des intérêts patrimoniaux des couples, qu’ils soient mariés ou non, relève de cette juridiction lorsqu’une indivision est en cause.

b. Forme de la demande

Aucune disposition ne vient encadrer de manière impérative la forme de la demande d’attribution préférentielle. Celle-ci peut être formulée dans un écrit soigneusement rédigé ou simplement résulter d’une manifestation de volonté au cours d’une instance. Cette liberté procédurale s’explique par la finalité même de l’attribution préférentielle, laquelle constitue un mécanisme d’allotissement permettant d’assurer une répartition harmonieuse des biens indivis.

Toutefois, bien que non soumise à des règles de forme, la demande d’attribution préférentielle gagnera à être exprimée par acte écrit afin de garantir la clarté de son objet et de ses implications. A cet égard, elle peut être sollicitée aussi bien dans un partage amiable que dans un partage judiciaire, chacun de ces contextes impliquant des modalités spécifiques.

Dans le cadre d’un partage amiable, la demande est le plus souvent formalisée dans la convention conclue entre les copartageants. L’article 838 du Code civil prévoit d’ailleurs la possibilité d’un partage partiel, autorisant ainsi un accord limité à un bien ou à plusieurs biens faisant l’objet d’une attribution préférentielle, sans pour autant affecter l’intégralité de la masse successorale. Cette souplesse permet aux indivisaires d’organiser librement la répartition des biens et d’éviter ainsi les aléas d’un partage contentieux.

Dans le cadre d’un partage judiciaire, la demande peut être introduite dès l’assignation en partage ou être formulée postérieurement, au fil de l’instance. Elle peut également être portée devant le notaire commis pour conduire les opérations de liquidation, dès lors que le jugement ayant ordonné le partage ne s’y oppose pas expressément. La jurisprudence est venue consacrer cette latitude, admettant que la demande d’attribution préférentielle demeure recevable tant que le partage n’a pas été définitivement arrêté et homologué.

c. Moment de la demande

L’attribution préférentielle constitue un mode d’allotissement qui permet à un indivisaire d’obtenir l’attribution d’un bien indivis en contrepartie d’une indemnité compensatrice versée aux autres coindivisaires. En raison de sa nature, elle bénéficie d’une grande souplesse quant au moment où elle peut être sollicitée. Toutefois, cette liberté trouve des limites, notamment lorsque l’autorité de la chose jugée vient faire obstacle à une demande tardive.

==>Principe

Aucun délai légal n’est fixé pour introduire une demande d’attribution préférentielle. Dès l’ouverture de l’indivision, l’indivisaire qui souhaite bénéficier de cette prérogative peut en faire la demande sans être contraint par une forclusion. Cette souplesse découle de la nature même de l’attribution préférentielle, qui constitue un mode d’allotissement et non une remise en cause du partage lui-même.

Dans un arrêt du 8 mars 1983, la Cour de cassation a ainsi affirmé que l’attribution préférentielle, en tant que « procédé d’allotissement qui met fin à l’indivision, peut être demandée tant que le partage n’a pas été ordonné, selon une autre modalité incompatible, par une décision judiciaire devenue irrévocable » (Cass. 1ère civ., 8 mars 1983, n°82-10.721).

La jurisprudence admet ainsi, de manière constante, que la demande d’attribution préférentielle peut être introduite à divers stades de la procédure, tant que le partage n’a pas conféré à un bien une attribution définitive et exclusive (Cass. 1re civ., 5 nov. 1952).

  • Dès l’ouverture de l’indivision
    • L’attribution préférentielle, en tant que procédé d’allotissement permettant à un indivisaire d’obtenir la propriété exclusive d’un bien moyennant indemnisation de ses co-indivisaires, peut être sollicitée dès l’instant où l’indivision prend naissance. 
    • Aucun délai impératif ne vient restreindre son exercice, et l’indivisaire peut en formuler la demande sans attendre l’ouverture d’une procédure de partage. 
    • L’indivision se constitue dès l’instant où plusieurs personnes deviennent propriétaires d’un même bien sans que leurs quotes-parts respectives ne soient matériellement individualisées. 
    • Cette situation peut découler d’une succession, d’une dissolution de communauté conjugale, d’un achat en indivision ou encore d’un démembrement de propriété. 
    • Dès que l’indivision existe, l’indivisaire remplissant les conditions légales peut exprimer son intention d’obtenir l’attribution préférentielle d’un bien déterminé. 
    • Ce droit ne nécessite aucun formalisme particulier et peut être exercé avant même que ne soit engagée une instance en partage. 
    • Cette absence de contrainte a été confirmée par la jurisprudence, qui reconnaît que la demande peut être présentée tant qu’un partage consommé n’a pas opéré des attributions définitives de propriété (Cass. 1re civ., 5 nov. 1952).
    • L’indivisaire peut faire connaître son souhait d’obtenir l’attribution préférentielle sans attendre l’engagement d’une procédure de partage.
    • Dans le cadre d’un partage amiable, cette demande peut être exprimée lors des discussions entre indivisaires et intégrée à la convention de partage. 
    • Il est également possible de l’inclure dès l’assignation en partage lorsqu’une procédure judiciaire est engagée. 
    • En tout état de cause, tant qu’aucun partage définitif n’a été arrêté, l’indivisaire conserve la faculté de demander l’attribution préférentielle du bien convoité.
  • Avant le jugement ordonnant le partage
    • L’attribution préférentielle peut être sollicitée indépendamment de toute instance en partage. 
    • L’indivisaire désireux d’obtenir la propriété exclusive d’un bien indivis n’a pas l’obligation d’attendre qu’une demande en partage soit introduite pour faire valoir son droit. Il peut ainsi agir de manière autonome en sollicitant directement l’attribution préférentielle devant le juge compétent. 
    • Cette possibilité s’explique par la nature même de l’attribution préférentielle, qui ne s’oppose pas au principe du partage mais en constitue une modalité particulière de réalisation. 
    • Dès lors, elle peut être demandée avant que ne soit engagée une procédure de partage, sans que son exercice ne dépende de la volonté des autres indivisaires.
    • Lorsque l’indivisaire souhaite initier une procédure de partage, il peut également formuler sa demande d’attribution préférentielle dans l’assignation. 
    • Cette voie permet d’éviter toute contestation ultérieure et de garantir une prise en compte immédiate de sa demande lors des opérations de liquidation. 
    • La jurisprudence a admis cette possibilité en affirmant que l’attribution préférentielle pouvait être sollicitée dès la saisine du juge compétent (Cass. 1ère , 19 déc. 1977, n°74-14.297). 
    • Peu importe, à cet égard, que d’autres indivisaires formulent également des demandes concurrentes : l’attribution préférentielle, en tant que procédé d’allotissement, doit être examinée en fonction des conditions légales et des intérêts en présence, sans être conditionnée par l’absence d’opposition des co-indivisaires.
  • Après le jugement ordonnant le partage
    • Le jugement ordonnant le partage n’a pas pour effet d’éteindre la possibilité pour un indivisaire de solliciter l’attribution préférentielle. 
    • En effet, l’attribution préférentielle n’est pas une contestation du partage lui-même, mais une modalité d’allotissement qui vise à permettre la sortie de l’indivision dans des conditions favorisant la conservation de certains biens par des indivisaires ayant un intérêt particulier à les obtenir.
    • Dès lors, une fois le partage ordonné judiciairement, l’indivisaire conserve la faculté de présenter une demande d’attribution préférentielle au cours des opérations de liquidation-partage, tant que le partage n’a pas atteint un caractère définitif. Cette demande peut être introduite devant le notaire commis pour procéder aux opérations de répartition des biens.
    • La jurisprudence reconnaît d’ailleurs expressément cette possibilité, considérant que l’attribution préférentielle n’est qu’un mode particulier d’allotissement qui ne saurait être écarté tant que l’état liquidatif n’a pas été homologué (Cass. 1ère civ., 8 mars 1983, n°82-10.721).
    • Ainsi, tant que les opérations de partage ne sont pas clôturées par une décision définitive ou un accord irrévocable entre les parties, la demande demeure recevable.
    • Par ailleurs, la Cour de cassation a eu l’occasion de censurer des décisions ayant rejeté une demande d’attribution préférentielle au seul motif que le partage avait été ordonné. Elle a rappelé que la demande d’attribution ne saurait être écartée dès lors qu’aucune décision irrévocable n’a fixé de manière définitive la répartition des biens entre les copartageants (V. par ex. Cass. civ. 1ère, 9 janv. 2008, n°06-20.167). 
    • Dès lors, un indivisaire peut encore solliciter une telle attribution devant le notaire ou devant le juge du partage tant que la liquidation n’est pas homologuée, sauf disposition expresse contraire contenue dans la décision ordonnant le partage.
    • Enfin, il convient de souligner que la seule passivité d’un héritier ou d’un indivisaire ne saurait être assimilée à une renonciation tacite au bénéfice de l’attribution préférentielle, sauf s’il ressort de manière claire et non équivoque de son comportement une intention manifeste de ne pas exercer ce droit.
    • Cette souplesse procédurale, qui trouve son fondement dans la volonté du législateur de préserver les intérêts des copartageants, explique pourquoi l’attribution préférentielle demeure ouverte tant que le partage n’a pas été définitivement arrêté.
  • En cause d’appel
    • L’attribution préférentielle peut être sollicitée pour la première fois en cause d’appel, dès lors qu’elle se rattache aux bases mêmes de la liquidation et qu’elle constitue une modalité de répartition des biens indivis. 
    • La Cour de cassation admet ainsi que cette demande revêt le caractère d’une défense au fond, ce qui la rend recevable même en seconde instance, tant que le partage n’a pas été ordonné selon une modalité incompatible par une décision judiciaire devenue irrévocable (Cass. 1ère civ. 1re, 10 mars 1971, n°69-12.132).
    • Ce principe repose sur la nature même de l’attribution préférentielle, qui constitue un procédé d’allotissement permettant d’assurer une répartition cohérente et équitable des biens indivis.
    • La Cour de cassation a ainsi affirmé que l’attribution préférentielle peut être demandée tant que le partage n’a pas été définitivement consommé et que l’affectation des biens reste juridiquement réversible (Cass. 1ère civ., 30 avr. 2014, n° 13-12.346).
    • Cette faculté s’étend notamment aux hypothèses de divorce, dans lesquelles l’un des époux peut former une demande d’attribution préférentielle en appel tant que le jugement de divorce n’a pas acquis force de chose jugée. 
    • Cette solution repose sur une analyse pragmatique de la situation des parties et vise à éviter que la dissolution du lien matrimonial ne fasse obstacle à un partage équitable des biens indivis. 
    • La deuxième chambre civile de la Cour de cassation a ainsi jugé qu’une telle demande pouvait être présentée pour la première fois en appel, l’attribution préférentielle étant un accessoire de la demande en divorce (Cass. 2e civ., 5 juin 2003, n° 01-13.510).
    • De manière générale, la jurisprudence se montre indulgente à l’égard des demandes tardives d’attribution préférentielle, dès lors qu’elles tendent à éviter une licitation et qu’elles permettent une meilleure adéquation entre les intérêts des indivisaires et la structure du partage.
    • Ainsi, une cour d’appel a admis qu’une demande d’attribution préférentielle puisse être présentée en seconde instance, même si elle retardait le règlement du partage, considérant que celui-ci restait préférable à une vente judiciaire des biens indivis (CA Reims, 7 sept. 2006, n° 04/02427).

==>Limites

Si l’attribution préférentielle peut être sollicitée tant que le partage n’a pas acquis un caractère définitif, elle ne saurait, en revanche, remettre en cause une décision juridictionnelle passée en force de chose jugée ni modifier un partage amiable dûment conclu entre les indivisaires. 

  • Les décisions ayant acquis l’autorité de la chose jugée
    • L’attribution préférentielle, en tant que modalité du partage, ne peut être exercée si une décision juridictionnelle irrévocable a définitivement fixé la répartition des biens indivis. 
    • La Cour de cassation a, en ce sens, jugé qu’une licitation ordonnée par une décision ayant acquis force de chose jugée exclut toute possibilité ultérieure pour un indivisaire de revendiquer le bien à titre d’attribution préférentielle (Cass. 1ère civ., 19 nov. 1968). 
    • La logique sous-jacente repose sur le principe selon lequel une décision de justice définitive ne peut être remise en question que dans les cas strictement encadrés par la loi, notamment par l’exercice des voies de recours extraordinaires.
    • De la même manière, lorsque l’attribution préférentielle a été définitivement accordée à un indivisaire, elle devient intangible. 
    • La contestation ultérieure de l’état liquidatif établi sur cette base est irrecevable, sauf erreur manifeste ou fraude, qui demeurent des hypothèses exceptionnelles. 
    • Cette solution repose sur l’exigence d’irrévocabilité des décisions de justice : une fois que le droit de propriété d’un bien a été attribué à un indivisaire par une décision définitive, il ne peut être remis en cause, sauf accord de toutes les parties concernées ou révocation du jugement dans le cadre des voies de rétractation prévues par le Code de procédure civile.
    • Plus largement, dans un arrêt du 9 mars 1971 la Cour de cassation a affirmé avec force le principe selon lequel une demande d’attribution préférentielle ne peut être accueillie lorsqu’une décision irrévocable a ordonné une licitation du bien indivis (Cass. 1ère civ., 9 mars 1971, n°70-10.072).
    • En l’espèce, une héritière sollicitait l’attribution préférentielle d’un appartement après le décès du de cujus, alors même qu’un jugement antérieur, rendu le 6 avril 1967, avait ordonné la licitation de ce bien dans le cadre des opérations de liquidation et de partage de la succession.
    • Soutenant que cette décision n’avait qu’un caractère interlocutoire et ne constituait pas un jugement définitif, la demanderesse estimait qu’elle demeurait recevable à solliciter l’attribution préférentielle du bien.
    • Toutefois, la Cour d’appel de Paris avait rejeté cette demande en considérant que la licitation d’un bien, une fois ordonnée par une décision juridictionnelle devenue irrévocable, constituait une modalité de partage incompatible avec une attribution préférentielle ultérieure.
    • Saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation valide cette analyse et confirme la solution retenue par les juges du fond. 
    • Elle affirme que « la licitation constitue une modalité de partage incompatible avec l’attribution préférentielle ; que dès lors que la licitation d’un immeuble a été ordonnée par une précédente décision devenue irrévocable, un tribunal ne peut, sans méconnaître l’autorité de la chose jugée, prononcer l’attribution préférentielle du même bien indivis. »
    • Par cette décision, la Haute juridiction consacre une règle cardinale en matière de partage: une fois que le juge a statué de manière définitive sur la répartition d’un bien selon une modalité spécifique — en l’occurrence la licitation —, toute demande ultérieure d’attribution préférentielle est nécessairement irrecevable, sous peine de porter atteinte à l’autorité de la chose jugée.
  • Les conventions de partage amiable
    • Le partage amiable constitue une alternative à l’intervention du juge dans la répartition des biens indivis.
    • Lorsqu’il est adopté par les copartageants, il s’impose à eux et devient irrévocable dès sa formalisation, sous réserve des règles propres aux contrats.
    • En conséquence, une convention de partage amiable qui règle expressément le sort d’un bien susceptible d’attribution préférentielle ne peut être remise en cause de manière unilatérale par l’un des indivisaires.
    • Cette limitation trouve son fondement dans le respect du principe de force obligatoire des conventions, consacré par l’article 1103 du Code civil, selon lequel les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.
    • Par conséquent, un indivisaire ayant accepté un partage amiable ne peut ultérieurement solliciter une attribution préférentielle sur un bien qui aurait été attribué à un autre copartageant, sauf à obtenir l’accord unanime des parties pour modifier la répartition initialement convenue.
    • En ce sens, la Cour de cassation a confirmé que la destination d’un bien convenue dans un partage amiable ne pouvait être unilatéralement modifiée par l’un des copartageants, que ce soit pour revendiquer une attribution préférentielle ou pour renoncer à celle précédemment accordée (Cass. 1ère civ., 10 mars 1969).
    • Il en résulte que, sauf vices affectant la convention (erreur, dol, violence), le partage amiable demeure intangible et bloque toute demande ultérieure d’attribution préférentielle qui viendrait perturber la répartition des biens opérée par l’accord des parties.

2. La faculté de renoncer à l’attribution préférentielle

Si l’attribution préférentielle constitue un droit offert à certains indivisaires pour préserver la cohésion patrimoniale et éviter la dispersion des biens dans le cadre d’un partage, elle ne revêt aucun caractère impératif. Son bénéficiaire peut ainsi y renoncer, sous réserve que ni une décision judiciaire irrévocable, ni une convention ne l’en empêchent. Toutefois, cette faculté n’est pas sans limites et demeure soumise à des conditions strictes.

==>Les conditions d’exercice de la faculté de renonciation

Le principe est clair: la renonciation à l’attribution préférentielle est admise, sauf obstacle tenant à une décision de justice passée en force de chose jugée ou à une stipulation contractuelle. Toutefois, fidèle à la règle selon laquelle les renonciations ne se présument pas, la jurisprudence a adopté une approche particulièrement restrictive quant aux circonstances pouvant révéler une volonté non équivoque d’y renoncer.

La Cour de cassation exige que la renonciation soit manifeste et sans équivoque, et ne saurait admettre qu’elle résulte d’un simple comportement passif ou d’une omission dans la procédure. Ainsi, la participation à un partage provisionnel, la demande d’une licitation ou encore la sollicitation d’une expertise pour déterminer la possibilité d’un partage en nature ne suffisent pas à caractériser une renonciation tacite (Cass. civ., 5 avr. 1952).

Dans une affaire où un héritier, après avoir sollicité une expertise sur la possibilité d’un partage en nature, avait ultérieurement demandé l’attribution préférentielle d’un bien, la Cour de cassation a censuré l’arrêt d’appel qui avait conclu à une renonciation implicite, estimant qu’une telle démarche ne traduisait pas nécessairement une volonté de renoncer à son droit (Cass. 1re civ., 6 mars 1961).

De manière plus générale, la jurisprudence admet que l’indivisaire conserve la faculté de solliciter l’attribution préférentielle tant qu’aucun partage définitif n’a été réalisé. Ainsi, même si un accord prévoyant une attribution avait été conclu entre héritiers, la Cour de cassation considère que cette entente ne saurait suffire à démontrer une renonciation définitive, dès lors que l’accord n’a pas été exécuté et que l’indivisaire continue d’agir en vue d’obtenir l’attribution (Cass. 1re civ., 5 juill. 1977, n° 75-13.762).

Toutefois, en application de l’article 753, alinéa 3 du Code de procédure civile, la renonciation peut être déduite du fait qu’une partie ne réitère pas sa demande d’attribution préférentielle dans ses conclusions récapitulatives. Ainsi, une cour d’appel a pu juger qu’une demande non reprise dans ces écritures ne pouvait être reformulée en appel (CA Reims, 28 avr. 2005, n° 04/00334).

==>Le moment d’exercice de la faculté de renonciation

Initialement, la jurisprudence considérait que la renonciation était recevable tant que l’attribution préférentielle n’avait pas été reconnue par une décision passée en force de chose jugée. Ainsi, un indivisaire ayant obtenu l’attribution en première instance pouvait encore y renoncer en cause d’appel (Cass. 1re civ., 17 juin 1970,n°68-13.762). À l’inverse, une renonciation postérieure à un jugement irrévocable n’était pas admise (Cass. 1re civ., 10 mars 1969).

Toutefois, la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence en admettant que l’indivisaire pouvait renoncer à l’attribution préférentielle tant que le partage définitif n’était pas intervenu. L’argument avancé repose sur le fait que le jugement accordant l’attribution ne transfère pas immédiatement la propriété du bien, sauf s’il est intégré dans un état liquidatif homologué (Cass. 1re civ., 11 juin 1996, n°94-16.608). Ce raisonnement, dicté par des considérations pratiques, permet aux indivisaires de se délier lorsque des circonstances nouvelles (problèmes financiers, évolution du marché immobilier, changement de situation personnelle) rendent l’attribution inopportune. Cette solution a été confirmée par plusieurs décisions ultérieures (Cass. 1re civ., 23 oct. 2013, n° 12-18.170).

Cependant, la doctrine a exprimé des critiques à l’encontre de cette flexibilité, estimant qu’elle favorisait des stratégies opportunistes et contribuait à retarder la finalisation des partages. Pour pallier cet inconvénient, la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 a introduit une restriction au droit de renonciation. Désormais, l’article 834 du Code civil dispose que le bénéficiaire d’une attribution préférentielle ne peut y renoncer qu’à la condition que la valeur du bien ait augmenté de plus du quart entre la date de l’attribution et celle du partage définitif, indépendamment de son fait personnel. Cette règle vise à éviter que les indivisaires ne fassent usage de l’attribution préférentielle comme d’un simple droit d’option, qu’ils pourraient exercer ou abandonner en fonction de l’évolution du marché immobilier.

Néanmoins, un tempérament subsiste. La Cour de cassation a jugé que si la décision octroyant l’attribution n’avait pas encore acquis force de chose jugée, la renonciation demeurait possible en dehors des conditions strictes posées par l’article 834 (Cass. 1re civ., 29 mai 2019, n°18-18.823). En d’autres termes, un appel suspend l’irrévocabilité de l’attribution, permettant ainsi au bénéficiaire de se délier librement tant que l’arrêt définitif n’est pas intervenu.

==>Exclusion conventionnelle de la faculté de renonciation

Il convient de rappeler que l’attribution préférentielle n’étant pas d’ordre public, elle peut être écartée par convention. Ainsi, un indivisaire peut être contractuellement privé de ce droit par une stipulation testamentaire du de cujus, une clause du contrat de mariage ou une disposition statutaire régissant une société dans laquelle le bien est détenu en indivision. Par ailleurs, une convention de partage amiable entre les indivisaires peut également faire obstacle à toute revendication ultérieure d’attribution préférentielle, à moins que l’ensemble des parties ne consente à une modification de l’accord initial.

Cependant, les clauses insérées dans une convention d’indivision doivent respecter les limites posées par le Code civil. L’article 1873-13 énonce notamment que les stipulations prévoyant qu’un indivisaire survivant pourra se voir attribuer la quote-part du défunt ne peuvent préjudicier aux règles d’attribution préférentielle fixées par les articles 831 et suivants du Code civil.

B) Le traitement par le juge des demandes d’attribution préférentielle

1. La décision du juge en présence d’une demande unique d’attribution préférentielle

L’attribution préférentielle constitue une modalité particulière du partage, permettant à un indivisaire de se voir attribuer certains biens sous réserve du respect des conditions légales. Selon qu’elle est de droit ou facultative, l’étendue du pouvoir du juge varie considérablement : tandis que dans le premier cas, il se borne à vérifier l’application stricte des textes, dans le second, il dispose d’un pouvoir souverain d’appréciation, guidé par l’équilibre du partage et la prise en compte des intérêts en présence.

a. L’attribution préférentielle de droit

Dans certaines hypothèses limitativement énumérées par la loi, l’attribution préférentielle s’impose au juge dès lors que les conditions légales sont réunies. Dans ces cas, il ne dispose d’aucune latitude d’appréciation et ne peut refuser l’attribution au motif qu’elle ne serait pas opportune ou qu’elle porterait atteinte à un équilibre patrimonial souhaitable. Son rôle se borne alors à vérifier que le demandeur satisfait aux critères légaux, à défaut de quoi sa décision pourrait être censurée par la Cour de cassation (Cass. 1re civ., 7 nov. 2012, n° 11-16.164).

Trois grandes catégories d’attribution préférentielle de droit sont aujourd’hui reconnues par le Code civil :

  • L’attribution préférentielle des exploitations agricoles de petite et moyenne taille
    • L’article 832 du Code civil prévoit l’attribution préférentielle de droit au profit de l’indivisaire participant activement à l’exploitation. 
    • Ce dispositif vise à garantir la pérennité de ces exploitations en empêchant leur morcellement lors du partage.
    • La participation effective à l’exploitation constitue un critère déterminant, dont l’appréciation peut donner lieu à contestation.
    • La Cour de cassation a ainsi censuré une décision qui avait refusé l’attribution à un indivisaire remplissant pourtant les conditions légales (Cass. 1re civ., 20 oct. 2010, n° 09-67.029).
  • L’attribution préférentielle en vue de la constitution d’un groupement foncier agricole
    • L’article 832-1 du Code civil prévoit l’attribution préférentielle en faveur d’un ou plusieurs indivisaires souhaitant conserver les biens indivis sous la forme d’un groupement foncier agricole. 
    • Cette disposition, introduite pour encourager la transmission du patrimoine agricole et favoriser la continuité des exploitations familiales, permet une gestion collective du bien tout en évitant la dispersion des actifs.
    • Le juge doit alors s’assurer que le projet de groupement foncier répond bien aux critères légaux, notamment en ce qui concerne les intentions déclarées des indivisaires et leur engagement effectif dans cette démarche.
  • L’attribution préférentielle du local d’habitation du défunt, des meubles le garnissant et du véhicule
    • L’article 831-2, alinéa 1er, du Code civil accorde de plein droit au conjoint survivant l’attribution du logement du défunt, des meubles qui le garnissent et du véhicule de celui-ci. 
    • Ce dispositif vise à protéger le cadre de vie du conjoint survivant, en lui permettant de conserver un bien dont il avait l’usage avant le décès.
    • Depuis la loi du 23 juin 2006, cette attribution est également ouverte au partenaire pacsé survivant, à condition que le défunt l’ait expressément prévu dans son testament (C. civ., art. 515-6, al. 2).
    • Le juge doit ainsi vérifier l’existence de cette disposition testamentaire avant de prononcer l’attribution.

Si le juge ne peut refuser l’attribution préférentielle pour des raisons tenant à l’opportunité, son rôle reste essentiel dans la vérification des conditions légales. Il doit notamment s’assurer :

  • Que le demandeur remplit les conditions de qualité requises (statut d’indivisaire, lien avec le défunt ou avec l’exploitation agricole) ;
  • Que les conditions matérielles de l’attribution sont satisfaites, notamment la participation effective à l’exploitation en cas d’attribution d’une entreprise agricole ou la résidence principale dans un logement (Cass. 1re civ., 26 sept. 2012, n° 11-16.246).

L’attribution préférentielle ne peut être accordée que si ces conditions sont réunies. À défaut, le juge doit motiver son refus de manière précise, faute de quoi sa décision encourt la cassation. Ainsi, une cour d’appel qui rejette une demande sans examiner si le demandeur a effectivement exploité le bien agricole excède ses pouvoirs et commet une erreur de droit (Cass. 1re civ., 26 sept. 2012, n° 11-16.246).

Si l’attribution préférentielle de droit s’impose lorsque les conditions légales sont remplies, elle peut néanmoins donner lieu à des contestations de la part des autres indivisaires, qui peuvent remettre en cause :

  • La qualité du demandeur : certains coïndivisaires peuvent soutenir que celui-ci ne remplit pas les conditions requises pour bénéficier de l’attribution ;
  • La satisfaction des critères matériels : notamment, la contestation peut porter sur l’absence de résidence effective dans le logement concerné, ou encore sur le fait que l’exploitation agricole ne serait pas réellement gérée par l’indivisaire demandeur.

Dans ces hypothèses, le juge doit apprécier les éléments de preuve fournis par les parties, tout en respectant le principe du contradictoire. Toute décision accordant ou refusant l’attribution doit être motivée par des éléments objectifs et vérifiables.

L’exigence de rigueur procédurale s’applique également en cas de pluralité de demandes concurrentes. Lorsqu’il existe plusieurs demandeurs répondant aux conditions légales, le juge ne peut pas refuser l’attribution au motif que les biens devraient être partagés autrement, mais doit déterminer lequel des demandeurs est le plus apte à en bénéficier (Cass. 1re civ., 20 oct. 2010, n° 09-67.029).

En tout état de cause, toute décision doit être clairement motivée. Une motivation insuffisante expose la décision à la cassation, notamment lorsque :

b. L’attribution préférentielle facultative

À l’inverse de l’attribution préférentielle de droit, qui s’impose au juge dès lors que les conditions légales sont réunies, l’attribution facultative repose sur une évaluation discrétionnaire du magistrat. Celui-ci doit se prononcer en tenant compte des intérêts en présence, de l’équilibre du partage et des conséquences patrimoniales de sa décision.

Dans ce cadre, le simple fait que le demandeur remplisse les conditions légales ne suffit pas à emporter nécessairement la décision en sa faveur. Le juge peut refuser l’attribution si celle-ci compromet un équilibre patrimonial essentiel, si elle est de nature à léser les autres indivisaires, ou si elle ne sert pas l’objectif fondamental du partage (Cass. 1re civ., 13 févr. 2019, n° 18-14.580).

Parmi les biens pouvant faire l’objet d’une attribution préférentielle facultative figurent notamment les entreprises, les locaux d’habitation ou professionnels, le mobilier qui les garnit ainsi que certains droits au bail. Dans chacun de ces cas, le juge dispose d’un pouvoir souverain d’appréciation, bien que celui-ci soit encadré par des principes directeurs, garantis par la jurisprudence.

==>Les critères essentiels d’appréciation du juge

Lorsque le juge est saisi d’une demande d’attribution préférentielle facultative, son appréciation est essentiellement guidée par trois critères:

  • L’aptitude du demandeur à gérer le bien attribué
    • L’attribution préférentielle suppose que l’indivisaire demandeur soit en mesure d’assurer la gestion, l’entretien ou l’exploitation du bien concerné. 
    • À défaut, l’attribution peut être refusée pour éviter qu’un bien ne se retrouve entre les mains d’un indivisaire incapable d’en assurer la conservation ou la valorisation.
    • Ainsi, la Cour de cassation a validé le rejet d’une attribution portant sur un fonds de commerce, au motif que le demandeur, en raison de son âge avancé et de son état de santé, n’était plus en mesure d’assurer une gestion efficace du fonds (Cass. 1re civ., 27 oct. 1971, n°70-10.125).
    • De même, l’attribution d’un château a pu être refusée lorsqu’il a été démontré que le demandeur n’avait aucun projet d’entretien ou d’exploitation viable et qu’il poursuivait l’unique objectif de revendre le bien en réalisant une plus-value (TGI Paris, 13 nov. 1970).
    • Ce critère est particulièrement déterminant lorsque le bien objet de l’attribution revêt une valeur patrimoniale ou économique significative.
    • Il appartient alors au juge de s’assurer que le demandeur est en mesure d’assumer la charge effective du bien avant d’accorder l’attribution.
  • La solvabilité du demandeur et la capacité à régler la soulte
    • L’un des motifs les plus fréquents de rejet d’une attribution préférentielle repose sur l’incapacité du demandeur à s’acquitter de la soulte due aux autres indivisaires.
    • L’attribution préférentielle ne saurait avoir pour effet de léser les autres indivisaires en leur imposant un déséquilibre financier excessif ou un retard dans l’exécution du partage.
    • La jurisprudence a ainsi validé de nombreux refus fondés sur la situation financière du demandeur, notamment lorsque son impécuniosité était susceptible de porter atteinte aux droits des coïndivisaires (Cass. 1re civ., 21 sept. 2005, n° 02-20.287).
    • Toutefois, un rejet sur ce fondement suppose un examen minutieux des ressources du demandeur. 
    • En effet, la Cour de cassation a sanctionné plusieurs décisions ayant refusé une attribution sans rechercher si le demandeur pouvait compenser l’impossibilité de régler immédiatement la soulte par d’autres moyens financiers (Cass. 1re civ., 10 mai 2007, n° 06-10.034).
    • L’appréciation du juge doit ainsi être équilibrée et ne pas se limiter à un simple constat d’insolvabilité : il lui appartient d’examiner si des solutions de financement existent et si elles sont de nature à garantir le respect des droits des coïndivisaires.
  • L’incidence de l’attribution sur les autres indivisaires
    • L’attribution préférentielle ne doit pas aboutir à un déséquilibre excessif du partage.
    • En particulier, lorsque le bien concerné représente la majeure partie de l’actif indivis, la licitation peut apparaître plus appropriée afin d’assurer une répartition plus équitable entre les indivisaires (Cass. 1re civ., 2 juin 1970).
    • Dans le cadre des partages successoraux ou consécutifs à un divorce, les intérêts familiaux entrent également en ligne de compte.
    • Par exemple, l’attribution préférentielle d’un logement est fréquemment accordée au conjoint ayant la garde des enfants, afin d’assurer leur stabilité résidentielle. 
    • Toutefois, cette attribution ne saurait être automatique et ne doit pas léser les droits de l’autre époux (Cass. 1re civ., 26 juin 2013, n° 12-11.818).
    • De même, lorsqu’un bien indivis présente une importance stratégique pour plusieurs indivisaires, le juge doit trancher en prenant en compte les conséquences économiques et patrimoniales de son attribution.
    • Il doit donc rechercher la solution la plus équilibrée pour éviter toute atteinte disproportionnée aux intérêts des autres parties.

==>Le contrôle exercé par la Cour de cassation

Bien que le juge dispose d’un pouvoir souverain d’appréciation en matière d’attribution préférentielle facultative, il demeure astreint à une obligation de motivation rigoureuse.

En effet, toute décision prononçant ou refusant une attribution doit être expressément motivée, faute de quoi elle encourt le risque d’une censure par la Cour de cassation.

Ainsi, un refus fondé sur l’absence d’une estimation récente du bien a été censuré, la Haute juridiction ayant considéré que ce critère était sans incidence sur le principe même de l’attribution (Cass. 1re civ., 16 mars 2016, n° 15-14.822).

De même, un refus motivé par le montant supposé excessif de la soulte doit faire l’objet d’une analyse détaillée des capacités financières du demandeur. À défaut, la décision sera cassée pour défaut de base légale (Cass. 1re civ., 11 avr. 1995, n° 93-14.461).

Enfin, le respect du principe du contradictoire est impératif. Toute décision rejetant une demande d’attribution pour absence de justification financière sans avoir permis au demandeur de s’expliquer est annulée pour violation de l’article 16 du Code de procédure civile (Cass. 1re civ., 28 janv. 2009, n° 07-22.006).

2. La décision du juge en présence de demandes concurrentes d’attribution préférentielle

Lorsqu’un bien indivis fait l’objet de plusieurs demandes d’attribution préférentielle, le juge ne peut se contenter d’une appréciation binaire consistant à accorder ou refuser la demande. Contrairement à l’hypothèse d’une demande unique, où il lui appartient de vérifier la réunion des conditions légales et d’évaluer l’opportunité de l’attribution, la présence de demandes concurrentes l’oblige à procéder à un choix parmi les postulants.

Ce choix ne saurait être laissé à une libre appréciation du magistrat sans cadre défini: l’article 832-3 du Code civil impose un raisonnement en trois temps.

  • En premier lieu, le juge doit se laisser guider par les critères légaux, qui constituent le fondement même du droit à l’attribution préférentielle et limitent son pouvoir discrétionnaire.
  • En deuxième lieu, lorsque plusieurs postulants remplissent les conditions légales, il doit examiner les intérêts en présence, afin de privilégier la solution la plus conforme aux impératifs du partage et de la préservation du bien.
  • En dernier lieu, en cas d’impossibilité de départager les prétendants, il peut opter pour des solutions intermédiaires, telles que l’attribution conjointe ou la licitation du bien.

a. L’examen des critères légaux

L’article 832-3 du Code civil impose au juge, en présence de demandes concurrentes d’attribution préférentielle, de tenir compte de l’aptitude des postulants à gérer le bien en cause et à s’y maintenir. Ce critère général s’applique à l’ensemble des attributions préférentielles, qu’elles portent sur des exploitations agricoles, des fonds de commerce, des locaux professionnels ou d’habitation.

Toutefois, lorsque l’attribution préférentielle porte sur une entreprise, qu’elle soit agricole, commerciale, artisanale ou libérale, le texte précise que le tribunal doit accorder une attention particulière à la durée de la participation personnelle du postulant à l’activité concernée. Cette exigence vise à garantir que l’attributaire désigné soit en mesure d’assurer la continuité et la viabilité de l’entreprise, évitant ainsi des décisions qui compromettraient son exploitation future.

==>L’aptitude générale à gérer les biens en cause et à s’y maintenir

L’attribution préférentielle d’un bien indivis repose sur une exigence essentielle : le postulant doit être en mesure d’assurer une gestion pérenne et efficace du bien concerné. Cette aptitude, qui conditionne le succès de la demande, s’évalue au regard de plusieurs éléments, notamment l’expérience antérieure du demandeur et sa capacité effective à maintenir l’exploitation du bien attribué.

  • L’expérience passée comme présomption d’aptitude à la gestion
    • L’un des principes directeurs en matière d’attribution préférentielle repose sur l’idée qu’un indivisaire ayant fait preuve d’une implication active et constante dans l’exploitation du bien indivis présente les meilleures garanties pour en assurer la pérennité. 
    • Il s’agit d’un critère objectif, destiné à favoriser la continuité de l’exploitation et à éviter toute rupture brutale susceptible de nuire à la valorisation du bien.
    • Dans son appréciation, le juge accorde une importance décisive à l’historique de gestion du postulant, recherchant ainsi celui dont l’engagement passé atteste d’une capacité éprouvée à poursuivre l’exploitation avec sérieux et compétence. 
    • La jurisprudence a d’ailleurs consacré ce critère en relevant que la participation prolongée et constante à la gestion d’un bien indivis constitue un élément discriminant lorsqu’il existe plusieurs demandes concurrentes.
    • Ainsi, en matière agricole, lorsqu’une exploitation était revendiquée par plusieurs indivisaires, la préférence a été donnée à celui dont l’implication était la plus ancienne et continue, la cour ayant estimé qu’il présentait les meilleures garanties de gestion et de préservation de l’intégrité de l’exploitation (CA Pau, 28 févr. 2005, n° 03/02292). 
    • Ce raisonnement repose sur une logique de stabilité et de préservation de l’unité économique du bien, qui justifie l’exclusion des postulants dont l’investissement a été plus intermittent ou secondaire.
    • Un raisonnement similaire prévaut en matière commerciale : lorsqu’un fonds de commerce exploité en indivision fait l’objet de demandes concurrentes, la jurisprudence privilégie le postulant ayant démontré une gestion rigoureuse et continue de l’activité. 
    • En effet, la constance dans l’exploitation d’un commerce constitue un indicateur fort de la capacité du demandeur à assurer la viabilité de l’entreprise.
    • Toutefois, cette présomption d’aptitude à la gestion n’est pas irréfragable. 
    • Elle peut être écartée si des éléments objectifs viennent infirmer la capacité du demandeur à assurer une gestion efficace et pérenne.
    • L’expérience passée doit donc être mise en balance avec l’aptitude actuelle du postulant à poursuivre l’exploitation du bien.
    • C’est précisément ce qu’a rappelé la Cour de cassation dans un arrêt récent portant sur l’attribution préférentielle d’une exploitation agricole.
    • Dans cette affaire, plusieurs indivisaires revendiquaient des parcelles agricoles.
    • La Cour d’appel avait attribué ces parcelles à l’un des demandeurs en raison de la continuité de son activité d’agriculteur, tandis que l’autre postulant ne justifiait plus de l’exercice effectif de cette activité. 
    • En validant cette décision, la Cour de cassation a consacré le principe selon lequel la simple implication passée ne suffit pas à justifier une attribution préférentielle si le demandeur n’est plus en mesure d’assurer l’exploitation du bien (Cass.. 1re civ., 28 janv. 2015, n° 13-20.701).
    • Ce raisonnement s’applique à d’autres types de biens indivis, notamment en matière commerciale : lorsqu’un commerce est revendiqué par plusieurs indivisaires, le juge ne se limite pas à constater l’ancienneté de l’investissement du demandeur, mais vérifie également sa capacité à poursuivre l’exploitation de manière efficace.
    • Ainsi, une absence d’activité récente, un état de santé dégradé ou une situation financière instable peuvent conduire à écarter un postulant, même s’il a longtemps participé à l’exploitation du bien.
  • La proximité avec le bien comme facteur déterminant
    • Au-delà de l’engagement passé, la localisation du postulant par rapport au bien objet de l’attribution constitue un critère d’appréciation particulièrement pertinent.
    • Une gestion efficace suppose en effet une présence physique et une implication constante, de sorte qu’un indivisaire résidant sur place et assurant un suivi régulier du bien indivis offrira de meilleures garanties qu’un coïndivisaire vivant à distance et dans l’incapacité d’assurer un contrôle direct et immédiat.
    • Cette exigence de proximité géographique revêt une importance particulière en matière agricole, où la continuité de l’exploitation repose sur une présence effective du gestionnaire.
    • La jurisprudence illustre cette approche en reconnaissant l’avantage de l’indivisaire qui, par son maintien sur le domaine, garantit la gestion stable et la valorisation durable du bien.
    • Ainsi, dans un arrêt du 25 février 1997, la Cour de cassation a validé l’attribution préférentielle d’une exploitation agricole au bénéfice du demandeur demeuré sur place, qui avait poursuivi l’exploitation d’une partie du domaine familial après le décès de sa mère (Cass. 1re civ, 25 févr. 1997, n° 94-19.068).
    • À l’inverse, sa sœur, qui avait quitté la propriété plusieurs années auparavant pour s’installer à Paris, a vu sa demande rejetée.
    • Si cette dernière avait bien participé à l’exploitation avant son départ, son éloignement prolongé et la cessation de toute activité sur le domaine ont conduit les juges du fond à considérer qu’elle ne remplissait plus les conditions d’une gestion effective et continue du bien.
    • La Cour de cassation a validé cette appréciation souveraine des juges du fond, qui avaient estimé que le maintien sur place du frère et son exploitation continue d’une partie des terres indivises constituaient des éléments déterminants en faveur de son attribution préférentielle.
    • Ce principe trouve également à s’appliquer aux locaux commerciaux et aux biens à usage d’habitation.
    • Lorsqu’un indivisaire occupe déjà le bien ou y exerce une activité professionnelle, il bénéficie d’un avantage manifeste sur un coïndivisaire ne résidant pas sur place, son maintien dans les lieux garantissant une transition plus fluide et une gestion optimisée du bien.
    • Dans cette logique, la jurisprudence a précisé que l’occupation passée d’un bien ne suffit pas à justifier son attribution préférentielle si l’intéressé ne présente plus les garanties d’un maintien effectif et utile du bien dans l’avenir.
    • Ainsi, dans un arrêt du 13 février 1967, la Cour de cassation a validé la décision des juges du fond refusant l’attribution préférentielle d’un immeuble à un médecin qui y avait exercé son activité, mais qui ne l’occupait plus au moment du litige (Cass. 1re civ, 13 févr. 1967).
    • Les juges avaient estimé que la demande du médecin ne pouvait prospérer dès lors qu’elle ne s’inscrivait pas dans une logique d’exploitation durable, mais relevait davantage d’une volonté de conserver un bien à titre patrimonial.
    • La Haute juridiction a confirmé cette approche en rappelant que l’attribution préférentielle doit être appréciée en fonction des intérêts en présence et de l’usage effectif du bien.
    • Ces décisions s’inscrivent dans une tendance jurisprudentielle constante : l’attribution préférentielle ne repose pas sur un simple droit à la conservation du bien, mais sur une exigence d’exploitation effective et pérenne.

==>L’importance de la durée de la participation personnelle à l’activité en cas d’attribution préférentielle d’une entreprise

L’attribution préférentielle d’une entreprise obéit à des impératifs spécifiques, distincts de ceux applicables aux biens immobiliers à usage d’habitation ou aux exploitations purement foncières. L’article 832-3 du Code civil impose au juge de tenir compte, en particulier, de la durée de la participation personnelle du postulant à l’activité. Ce critère, introduit par la loi du 10 juillet 1982, vise à garantir que l’attribution bénéficie à celui qui a fait preuve d’un engagement constant et significatif dans la gestion du bien, offrant ainsi les meilleures garanties de viabilité et de continuité économique.

En effet, l’une des finalités de l’attribution préférentielle d’une entreprise est d’assurer la pérennité de l’activité en privilégiant celui dont l’investissement dans la gestion de l’exploitation a été le plus ancien et le plus constant. L’ancienneté de la participation constitue, en ce sens, un indice objectif de compétence et de capacité à poursuivre l’exploitation sans discontinuité. Cette exigence se vérifie tout particulièrement dans le domaine agricole, où la stabilité de l’exploitation constitue un impératif économique et social.

À cet égard, la jurisprudence souligne que le juge doit privilégier le demandeur dont l’implication dans la gestion de l’exploitation a été continue et significative, et qui apparaît le plus à même d’en assurer le maintien et le développement. Ainsi, dans une affaire où plusieurs indivisaires revendiquaient l’attribution d’une exploitation agricole, la cour d’appel a privilégié celui dont l’engagement était le plus long et le plus constant, estimant qu’il présentait les meilleures garanties de gestion à long terme (CA Pau, 28 févr. 2005, n° 03/02292).

De la même manière, ce raisonnement s’applique en matière commerciale, où la longévité et la régularité de l’implication dans l’activité d’un fonds de commerce ou d’une entreprise artisanale constituent un critère déterminant. L’article 832-3 du Code civil prévoit expressément que, lorsqu’une entreprise fait l’objet d’une demande d’attribution préférentielle, le juge doit tenir compte en particulier de la durée de la participation personnelle du postulant à l’exploitation.

Faute de jurisprudence récente et explicite en matière de fonds de commerce, les principes dégagés en matière agricole ou artisanale restent transposables : le postulant justifiant d’un engagement durable et effectif dans l’exploitation bénéficiera d’un avantage décisif sur un coïndivisaire dont l’implication a été plus intermittente ou récente. Ce critère permet ainsi d’éviter toute rupture brutale de l’exploitation, qui pourrait compromettre sa viabilité.

Toutefois, l’appréciation du juge ne saurait se limiter à une lecture mécanique des critères légaux. L’ancienneté et la continuité dans la participation ne suffisent pas, à elles seules, à justifier une attribution préférentielle. 

Le juge doit également procéder à une évaluation plus large, prenant en compte la capacité réelle du postulant à assurer la pérennité de l’exploitation. Ainsi, même si un indivisaire justifie d’un engagement prolongé dans l’entreprise, des éléments tels que sa situation financière, son état de santé ou l’absence d’un projet crédible de poursuite de l’activité peuvent légitimement justifier un refus d’attribution (Cass. 1re civ., 21 mai 1997, n° 95-15.132).

L’ancienneté de la participation à l’exploitation d’une entreprise prend tout son relief dans les conflits successoraux, où plusieurs héritiers peuvent se disputer l’attribution d’une même activité.  Dans ce contexte, le juge privilégiera naturellement le candidat dont l’engagement s’inscrit dans la durée et qui a démontré, par une implication constante et effective, sa capacité à assurer la pérennité de l’exploitation. Ainsi, lorsqu’une entreprise familiale fait l’objet de revendications concurrentes, la priorité est généralement accordée à celui qui a le plus contribué à son développement, offrant ainsi les meilleures garanties d’exploitation future.

À l’inverse, un coïndivisaire dont l’implication s’est révélée plus récente, sporadique ou limitée peut voir sa demande écartée, même s’il satisfait en apparence aux critères légaux. 

b. L’appréciation des intérêts en présence

Lorsqu’une pluralité de postulants satisfait aux critères légaux définis par l’article 832-3 du Code civil, le juge ne peut se limiter à une application purement formelle du texte. Il lui appartient d’adopter une approche plus large en mettant en balance les intérêts patrimoniaux, économiques et familiaux liés à l’attribution préférentielle. Cette analyse suppose de concilier les droits de chaque indivisaire avec l’objectif de préservation du bien indivis et de stabilité successorale.

==>La préservation de l’équilibre patrimonial

Dans le cadre d’un partage, le juge doit veiller à ce que l’attribution préférentielle ne provoque pas un déséquilibre excessif au détriment des autres indivisaires. À ce titre, la capacité financière du demandeur à indemniser ses coïndivisaires par le versement d’une soulte est un facteur déterminant.

Ainsi, l’attribution peut être refusée à un postulant dont la situation financière ne permettrait pas de compenser équitablement les autres copartageants. Ce principe a été rappelé dans un arrêt où la Cour de cassation a validé la décision des juges du fond ayant refusé une attribution préférentielle en raison de l’incapacité du demandeur à payer la soulte nécessaire (Cass. 1ère civ. 1re, 10 mai 2007, n° 06-10.034).

Dès lors, le postulant à l’attribution préférentielle ne doit pas seulement établir son aptitude à gérer le bien, mais également démontrer qu’il est en mesure d’indemniser équitablement les autres indivisaires, afin que l’attribution ne crée pas un déséquilibre au sein du partage successoral.

==>La continuité de l’exploitation et la protection du bien

Lorsque l’attribution préférentielle porte sur une exploitation agricole ou une entreprise, le juge privilégiera le demandeur offrant les meilleures garanties de pérennité de l’activité. Ce critère répond à un impératif économique : éviter que l’exploitation ne soit interrompue ou dégradée par une gestion hasardeuse ou par l’absence d’exploitation effective.

Ainsi, la Cour de cassation a été amenée à censurer une décision d’attribution préférentielle d’une exploitation agricole au bénéfice de deux frères, au détriment de leurs coïndivisaires, en raison d’une insuffisante prise en compte des intérêts en présence (Cass. 1ère civ., 20 janv. 2004, n° 00-14.252). 

En l’espèce, après le décès de leur mère, plusieurs indivisaires revendiquaient l’attribution d’un domaine agricole familial. La cour d’appel avait accordé l’attribution préférentielle à deux frères, en se fondant sur leur implication dans l’exploitation, notamment celle de l’un d’eux qui en exerçait la direction depuis plusieurs années.

Toutefois, la Cour de cassation a censuré cette décision au motif que la cour d’appel avait omis de procéder à une comparaison approfondie des intérêts en présence. En effet, les autres coïndivisaires soutenaient que la gestion des bénéficiaires de l’attribution préférentielle était contestable et qu’elle avait porté atteinte aux intérêts patrimoniaux de l’indivision. Or, l’article 832, alinéa 11, du Code civil impose au juge de statuer sur la demande d’attribution préférentielle en tenant compte de l’ensemble des intérêts en présence. En se bornant à constater l’implication des bénéficiaires dans l’exploitation, sans examiner les griefs des autres coïndivisaires, la cour d’appel a privé sa décision de base légale.

Cet arrêt illustre ainsi une exigence fondamentale : l’implication passée d’un demandeur ne suffit pas, à elle seule, à justifier l’attribution préférentielle. Le juge doit impérativement mettre en balance les intérêts économiques et patrimoniaux de l’ensemble des parties concernées. L’attribution préférentielle ne peut être accordée qu’à la condition qu’elle ne lèse pas de manière disproportionnée les droits des autres indivisaires, notamment lorsque des contestations sur la gestion du bien sont soulevées.

c. Les solutions intermédiaires : pallier l’impossibilité de départager les postulants

Dans certaines hypothèses, aucun des postulants ne se distingue de manière évidente au regard des critères légaux et jurisprudentiels. Le juge dispose alors d’une latitude pour aménager une solution équilibrée, conciliant les intérêts de l’ensemble des indivisaires et préservant la stabilité patrimoniale. Deux solutions alternatives peuvent être envisagées : l’attribution conjointe, qui permet un partage de la gestion entre plusieurs bénéficiaires, et la licitation, qui impose la vente du bien afin d’éviter des conflits irréconciliables.

==>L’attribution conjointe

Lorsque plusieurs demandeurs satisfont aux critères de l’attribution préférentielle et qu’aucun ne se distingue nettement par son aptitude à gérer le bien et à s’y maintenir, le juge peut envisager une répartition partielle du bien litigieux entre plusieurs postulants. Cette solution, bien que moins fréquente, permet d’éviter un déséquilibre trop marqué dans le partage successoral tout en préservant la continuité économique de l’exploitation concernée.

La Cour de cassation a validé cette approche dans une affaire où plusieurs héritiers revendiquaient l’attribution préférentielle de parcelles viticoles issues de la succession de leur père (Cass. 1re civ., 22 févr. 2000, n° 98-10.153). En l’espèce, deux des enfants avaient participé à la mise en valeur des terres litigieuses et chacun exploitait déjà des parcelles en propre. La cour d’appel avait estimé qu’ils étaient également aptes à poursuivre l’exploitation et que l’attribution d’une part significative du domaine à l’un des postulants, sans prise en compte des intérêts de l’autre, aurait entraîné un déséquilibre injustifié.

Dans son arrêt, la Cour de cassation a confirmé la décision des juges du fond, qui avaient attribué à chacun une portion des terres, en considérant que cette solution permettait d’assurer un partage équitable tout en préservant l’intégrité économique de l’exploitation. Elle a relevé que cette décision n’était pas motivée par une simple considération d’équité, mais reposait bien sur les critères posés par l’article 832-1 du Code civil, qui impose au juge de désigner l’attributaire en fonction des intérêts en présence et de l’aptitude des différents postulants à gérer l’exploitation et à s’y maintenir.

Toutefois, l’attribution conjointe suppose plusieurs conditions :

  • Une compatibilité de gestion entre les co-attributaires, afin d’éviter des conflits susceptibles de nuire à l’exploitation du bien ;
  • Une division matériellement possible du bien sans compromettre son intégrité économique ;
  • Un équilibre entre les intérêts successoraux, garantissant que la solution retenue ne lèse aucun héritier de manière disproportionnée.

Ainsi, cette solution ne peut être retenue que lorsque la nature du bien indivis permet une gestion distincte entre plusieurs indivisaires et que ces derniers disposent des compétences nécessaires pour en assurer l’exploitation de manière autonome.

Toutefois, le juge doit rester vigilant quant aux risques de conflits futurs entre co-attributaires. En effet, une exploitation en indivision peut rapidement devenir source de tensions, notamment en cas de désaccord sur la gestion des biens attribués conjointement. Dès lors, l’attribution conjointe ne constitue pas une solution systématique, mais une alternative à envisager lorsque les circonstances le permettent et que les indivisaires sont en mesure d’assurer une gestion sereine et efficace du bien partagé.

==>La licitation

L’attribution préférentielle d’un bien indivis repose sur l’idée qu’un indivisaire peut en assurer la gestion de manière autonome et efficace tout en indemnisant équitablement les autres coïndivisaires. Toutefois, lorsque cette répartition s’avère impossible ou qu’aucun des postulants ne présente de garanties suffisantes pour assurer la continuité de l’exploitation, le juge peut être amené à ordonner la licitation du bien.

La licitation consiste en la vente du bien indivis, soit de manière amiable, soit aux enchères publiques, afin de répartir le produit entre les indivisaires selon leurs droits respectifs. Cette solution est généralement considérée comme un dernier recours, intervenant lorsque :

  • L’attribution préférentielle à un indivisaire ne permet pas d’indemniser équitablement les autres héritiers par le paiement d’une soulte, notamment en raison d’un déséquilibre patrimonial trop important ;
  • Le maintien en indivision risque d’engendrer des conflits de gestion insolubles, notamment lorsque les coïndivisaires sont en désaccord sur la gestion du bien ;
  • Le bien concerné ne peut être matériellement partagé et son exploitation conjointe est impraticable, comme c’est le cas d’un fonds de commerce détenu par d’anciens époux après leur divorce.

La Cour de cassation a validé cette approche dans une affaire où des époux divorcés revendiquaient chacun l’attribution préférentielle d’un fonds de commerce commun (Cass. 1re civ., 22 avr. 1981, n° 79-16.342). Dans cette affaire, les tensions entre les ex-époux rendaient toute gestion commune impossible et l’attribution à l’un d’eux aurait nécessité le versement d’une soulte d’un montant trop élevé. La cour d’appel avait donc décidé d’ordonner la licitation du fonds de commerce, estimant que cette solution permettrait de garantir une répartition équitable des valeurs patrimoniales et d’éviter un conflit prolongé entre les parties.

La Cour de cassation a validé cette analyse en considérant que la licitation faisait apparaître “dans l’intérêt des deux parties, la valeur réelle et non théorique du fonds de commerce“, permettant ainsi à chacun des ex-époux de faire valoir ses droits dans des conditions financières objectives. Elle a également précisé que cette décision relevait de l’appréciation souveraine des juges du fond, qui avaient examiné les intérêts en présence avant de statuer.

Dans une perspective plus large, la licitation peut apparaître comme un instrument essentiel de préservation de l’équilibre patrimonial. Elle permet d’éviter qu’un indivisaire ne s’arroge une position dominante au détriment des autres, en assurant une répartition équitable de la valeur patrimoniale du bien.

Toutefois, cette solution ne saurait être ordonnée qu’en dernier ressort. Le juge doit, avant d’y recourir, explorer toutes les alternatives susceptibles de concilier les intérêts en présence, telles que l’attribution conjointe ou la mise en place de mécanismes compensatoires, à l’instar d’un échelonnement du paiement de la soulte. Ce n’est que lorsque toute tentative d’attribution préférentielle risquerait de rompre l’équilibre financier entre les indivisaires ou de conduire à une impasse dans la gestion du bien que la licitation s’impose avec nécessité.

IV) Effets de l’attribution préférentielle

L’attribution préférentielle constitue une modalité d’allotissement. Elle ne confère pas immédiatement la propriété du bien à l’attributaire, mais lui assure qu’il lui sera dévolu lors de la division définitive des actifs indivis. Cette intégration dans son lot s’effectue sous réserve du respect de l’équilibre du partage, ce qui peut impliquer le versement d’une soulte destinée à compenser les droits des autres indivisaires.

A) L’intégration du bien dans le lot de l’attributaire

L’attribution préférentielle constitue une modalité particulière d’allotissement permettant à un indivisaire de se voir attribuer un bien spécifique en priorité, sous réserve du respect de certaines conditions. Elle ne confère cependant pas immédiatement à son bénéficiaire la pleine propriété du bien en cause. Tant que le partage n’a pas été définitivement consommé, l’attributaire demeure soumis au régime de l’indivision, avec toutes les conséquences qui en découlent.

Ce régime transitoire implique notamment que l’attributaire ne puisse exercer sur le bien l’ensemble des prérogatives du propriétaire exclusif, qu’il s’agisse de l’administration, de la disposition ou encore de l’exploitation du bien. Toutefois, une fois le partage clôturé, l’attribution préférentielle produit un effet déclaratif qui consolide rétroactivement les droits de l’attributaire, lui reconnaissant une pleine propriété réputée acquise dès l’ouverture de l’indivision.

1. L’acquisition des droits attachés au bien

L’attribution préférentielle constitue un mode particulier d’allotissement dans le cadre du partage successoral ou de l’indivision. Son bénéficiaire ne devient pas immédiatement propriétaire du bien qui lui est attribué, mais acquiert un droit à en recevoir la pleine propriété lors de la division définitive des actifs. Tant que le partage n’est pas consommé, le bien demeure juridiquement soumis au régime de l’indivision, avec toutes les conséquences que cela implique.

Ainsi, jusqu’à la clôture des opérations de partage:

  • L’attributaire ne détient qu’un droit provisoire sur le bien, sans pour autant pouvoir se comporter comme un propriétaire exclusif ;
  • Il ne peut en disposer seul, notamment par voie de cession ou d’hypothèque, sauf à recueillir le consentement des autres indivisaires ou à obtenir une homologation judiciaire ;
  • Le bien attribué reste régi par les règles de l’indivision, impliquant notamment que les actes de disposition nécessitent l’accord unanime des indivisaires ou une majorité qualifiée (art. 815-3 C. civ.).

Cependant, une fois le partage définitivement consommé, l’attribution préférentielle produit un effet déclaratif et rétroactif. En vertu du principe de l’effet déclaratif du partage, le bien est réputé avoir toujours appartenu à l’attributaire depuis l’ouverture de l’indivision, sans qu’il y ait eu transmission de propriété à proprement parler (art. 883 C. civ.). 

Il s’ensuit que l’attributaire peut exercer sur le bien tous les droits attachés à la pleine propriété, sans avoir à justifier d’un titre de transfert. 

2. L’estimation des biens

L’intégration du bien dans le lot de l’attributaire suppose nécessairement une évaluation rigoureuse, visant à préserver l’égalité entre les indivisaires. L’article 832-4 du Code civil fixe à cet égard une règle fondamentale : la valeur du bien doit être déterminée à la date de la jouissance divise, qui doit être la plus proche possible du jour du partage effectif.

L’évaluation du bien repose sur plusieurs critères:

  • La valeur vénale du bien au jour du partage
    • Il convient de tenir compte des prix du marché et de l’état du bien au moment où l’attributaire en prend possession exclusive.
    • Cette évaluation exclut toute spéculation sur des hausses futures du marché ou sur des facteurs incertains.
  • L’état du bien et les éventuelles modifications survenues durant l’indivision
    • Si le bien s’est détérioré ou a été amélioré au cours de l’indivision, il faut distinguer l’origine de ces changements :
      • Les plus-values résultant d’événements fortuits (ex. : revalorisation du quartier, travaux publics alentour) profitent à l’indivision.
      • Celles issues d’initiatives personnelles de l’attributaire lui reviennent, sous réserve d’une indemnisation éventuelle due aux coindivisaires.
      • À l’inverse, les moins-values imputables à la négligence de l’attributaire devront être prises en compte à son détriment.
  • La prise en compte des charges et impenses engagées par l’attributaire
    • L’attributaire préférentiel, bien que destiné à devenir propriétaire du bien qui lui est attribué, ne peut prétendre à la pleine jouissance privative de celui-ci avant la clôture définitive des opérations de partage. 
    • Durant cette période transitoire, le bien demeure indivis et soumis aux règles gouvernant l’indivision (art. 832 et 1476 C. civ.).
    • Cette situation a des conséquences directes sur la prise en charge des dépenses relatives au bien. 
    • Conformément à l’article 815-13 du Code civil, lorsqu’un indivisaire a assumé des frais de conservation et de gestion sur un bien indivis, il peut en obtenir remboursement, sous réserve d’une appréciation en équité. 
    • Ce remboursement est évalué au regard :
      • Des dépenses effectivement engagées par l’indivisaire ;
      • De la plus-value conférée au bien, appréciée à la date du partage.
    • Ainsi, si l’attributaire a financé des travaux d’amélioration (rénovation, agrandissement, modernisation du bien), il peut prétendre à une indemnisation équitable dès lors que ces investissements ont contribué à valoriser le bien indivis. 
    • À l’inverse, si le bien a fait l’objet d’une dégradation imputable à l’attributaire, celui-ci devra indemniser la masse indivise pour le préjudice causé.
    • Un arrêt rendu par la Cour de cassation le 20 mars 1990 illustre précisément ces principes. 
    • Dans cette affaire, la Première chambre civile a censuré une cour d’appel qui avait considéré que les travaux financés par l’attributaire préférentiel après un jugement d’attribution de 1979 devaient rester à sa charge, au motif qu’il était devenu propriétaire du bien par le seul effet de ce jugement. 
    • La Haute juridiction rappelle au contraire que le bien demeure indivis jusqu’au partage, et que l’attributaire, à ce titre, doit pouvoir obtenir la prise en compte des dépenses qu’il a engagées pour sa conservation et son amélioration (Cass. 1re civ., 20 mars 1990, n°88-16.847).
    • Ce principe s’articule avec l’exigence d’une évaluation correcte du bien au jour du partage. 
    • Dans le même arrêt, la Cour a cassé une décision qui avait prescrit une simple réactualisation de la valeur du bien sur la base d’un indice du coût de la construction, rappelant que l’estimation du bien doit être réalisée à la date effective du partage, et non sur la base d’une indexation mécanique.
    • Dès lors, toute dépense engagée par l’attributaire sur le bien indivis doit être analysée au regard de ses effets sur la valeur du bien. 
    • Cette appréciation suppose une distinction entre :
      • Les dépenses nécessaires à la conservation du bien, qui doivent être remboursées ;
      • Les dépenses d’amélioration, qui peuvent donner lieu à une indemnisation si elles ont généré une plus-value ;
      • Les détériorations fautives, qui doivent être compensées par l’attributaire au bénéfice de la masse indivise.

Enfin, l’évaluation du bien attribué constitue un enjeu fondamental pour l’équilibre du partage. Si la valeur du bien correspond ou est inférieure aux droits de l’attributaire dans la masse partageable, elle s’impute simplement sur sa part, sans qu’aucune compensation supplémentaire ne soit requise. En revanche, lorsque la valeur du bien excède ses droits, l’attributaire doit verser une soulte aux autres indivisaires afin de rétablir l’équité. Cette compensation s’effectue généralement en numéraire, mais elle peut également prendre la forme d’une dation en paiement, sous réserve de l’accord des parties et des conditions légales applicables.

La rigueur de cette estimation revêt une importance d’autant plus grande que des contestations peuvent surgir ultérieurement. La jurisprudence admet ainsi qu’une réévaluation du bien puisse être sollicitée, notamment lorsque la valeur retenue lors de l’attribution initiale apparaît obsolète au moment du partage effectif (Civ. 1re, 4 janv. 1980, Bull. civ. I, no 9 ; Civ. 1re, 28 avr. 1986, Bull. civ. I, no 105). Toutefois, une telle révision ne saurait être fondée sur des considérations purement spéculatives : elle suppose la démonstration de circonstances objectives ayant substantiellement modifié la valeur du bien depuis son évaluation initiale.

Dans un arrêt du 4 janvier 1980, la Cour de cassation a jugé avec rigueur que l’évaluation d’un bien attribué préférentiellement devait être stabilisée et ne pouvait faire l’objet d’une révision qu’en présence de circonstances économiques objectives ayant substantiellement modifié sa valeur depuis la première estimation (Cass. 1re civ., 4 janv. 1980, n°78-13.596). En l’espèce, une héritière sollicitait la réactualisation de la valeur d’immeubles successoraux, estimant que la fixation opérée en 1975, lors de leur attribution préférentielle, ne correspondait plus à leur valeur réelle au moment du partage. La Cour de cassation rejeta cette demande, rappelant que la valeur des biens attribués doit être déterminée à une date aussi proche que possible du partage et qu’en l’absence de disposition contraire, l’évaluation arrêtée par la décision initiale s’imposait avec l’autorité de la chose jugée.

Cette solution met en évidence une distinction essentielle :

  • Lorsque le partage n’est pas encore définitivement arrêté, une réévaluation peut être envisagée si des circonstances nouvelles et objectives ont modifié substantiellement la valeur du bien ;
  • À l’inverse, si une décision judiciaire a fixé irrévocablement cette valeur, aucune révision ne saurait intervenir, même en cas de fluctuations du marché immobilier.

Ainsi, une revalorisation ne peut être admise sur la seule base d’une évolution économique. Elle doit reposer sur des éléments concrets, tels qu’une évolution réglementaire modifiant la constructibilité du bien ou une altération significative de son état.

Dès lors, il appartient aux parties d’anticiper les risques liés à une fixation inadaptée de la valeur du bien, en veillant, avant la finalisation du partage, à solliciter une expertise actualisée, seule à même d’éviter les litiges ultérieurs.

3. Le paiement de la soulte

L’attribution préférentielle, en ce qu’elle permet à un indivisaire de se voir attribuer un bien spécifique en priorité, ne saurait rompre l’égalité du partage. Dès lors, lorsque la valeur du bien attribué excède les droits de l’attributaire dans la masse à partager, celui-ci se trouve redevable d’une soulte destinée à rétablir cet équilibre. Cette compensation, qui s’effectue généralement en numéraire, peut sous certaines conditions prendre la forme d’une dation en paiement.

Toutefois, les modalités de règlement de cette soulte diffèrent selon que l’attribution préférentielle revêt un caractère facultatif ou résulte d’un droit reconnu par la loi.

a. L’attribution préférentielle facultative

Lorsqu’elle revêt un caractère facultatif, l’attribution préférentielle demeure soumise à l’appréciation du juge, lequel peut, en opportunité, décider de l’accorder ou de la refuser. Conscient du risque d’atteinte à l’égalité entre copartageants, le législateur a posé une règle de principe : le paiement comptant de la soulte (art. 832-4, al. 1er C. civ.).

Cette exigence repose sur l’idée que l’attribution préférentielle ne saurait s’opérer aux dépens des autres indivisaires, lesquels doivent être indemnisés immédiatement de la perte d’un bien qui aurait pu leur revenir. Cette règle emporte plusieurs conséquences qu’il y a lieu d’examiner.

==>L’insolvabilité de l’attributaire comme obstacle à l’attribution préférentielle

L’octroi d’une attribution préférentielle ne peut être accordé sans garantie quant à la solvabilité de l’attributaire. Ainsi, le juge peut légitimement rejeter une demande lorsque le requérant ne dispose pas des ressources nécessaires pour s’acquitter de la soulte due (Cass. 1re civ., 25 mars 1997, n° 95-15.770).

Ce principe répond à une logique de protection des copartageants, lesquels ne doivent pas se voir imposer un risque d’insolvabilité. En effet, une fois l’attribution préférentielle réalisée, les copartageants ne disposent plus du bien initialement indivis et doivent compter sur la capacité financière de l’attributaire pour percevoir la compensation qui leur est due. Le juge appréciera donc l’opportunité de l’attribution en fonction des moyens du requérant, et pourra l’écarter si le paiement de la soulte apparaît incertain.

==>L’impossibilité d’octroyer des délais judiciaires de paiement

Le caractère immédiat du paiement distingue les attributions préférentielles facultatives des attributions préférentielles de droit. Le juge est dépourvu de tout pouvoir d’accorder des délais de paiement au débiteur de la soulte, ce qui signifie que l’attributaire doit être en mesure de régler immédiatement l’intégralité de la somme due.

Cette règle s’applique avec une rigueur particulière dans le cadre du partage d’une communauté dissoute par divorce ou séparation de biens, où il a été jugé que l’attribution préférentielle, bien qu’admise, ne saurait être accompagnée d’un paiement différé (Cass. 1re civ., 11 juin 2008, n° 07-16.184).

Toutefois, bien que le juge ne puisse accorder de délai, les copartageants ont la possibilité de convenir amiablement d’un paiement différé, sous réserve d’un accord express (art. 832-4, al. 2 C. civ.). En pareil cas, les parties peuvent organiser librement les modalités du paiement et fixer, le cas échéant, un échéancier, un taux d’intérêt conventionnel ou encore des garanties spécifiques destinées à assurer le règlement des sommes dues.

==>Les modalités du paiement de la soulte

  • Principe du paiement en numéraire
    • Le paiement en numéraire constitue le mode normal d’acquittement de la soulte dans le cadre d’une attribution préférentielle facultative.
    • Conformément à l’article 832-4, alinéa 1er du Code civil, la soulte doit être réglée immédiatement, sauf accord amiable entre les copartageants. 
    • Cette règle vise à préserver l’égalité du partage en garantissant aux copartageants évincés une compensation financière immédiate, leur permettant ainsi de recouvrer leur part dans l’indivision sous une forme directement mobilisable.
    • L’exigence de paiement comptant s’explique par la nature même de l’attribution préférentielle facultative : ne constituant pas un droit en faveur du demandeur, elle est accordée sous réserve qu’il puisse assurer l’équilibre du partage sans léser les autres indivisaires. 
    • Dès lors, le défaut de paiement de la soulte peut justifier un refus de l’attribution préférentielle, le juge pouvant considérer que l’insolvabilité du requérant met en péril les intérêts des copartageants créanciers (Cass. 1re civ., 25 mars 1997, n° 95-15.770).
    • Toutefois, les parties conservent la liberté d’aménager contractuellement les modalités de paiement. 
    • Un accord amiable peut notamment prévoir un échelonnement du règlement, dans des conditions fixées par les copartageants eux-mêmes. En l’absence de convention contraire, les sommes restant dues produisent intérêts au taux légal à compter de la date du partage définitif (art. 834, al. 2 C. civ.).
  • Tempéraments
    • Le paiement par compensation
        • Bien que la règle de principe impose un règlement en numéraire, la soulte peut, dans certains cas, être acquittée par compensation. 
        • Ce mécanisme permet d’éteindre réciproquement des obligations de paiement lorsqu’un indivisaire est à la fois débiteur d’une soulte et créancier d’une somme équivalente due par l’indivision ou par ses copartageants.
        • La compensation est envisageable notamment dans les situations suivantes :
          • Créance de salaire différé : lorsqu’un héritier a travaillé au sein d’une exploitation familiale sans percevoir de rémunération, il peut être titulaire d’une créance de salaire différé à l’encontre de la succession. Cette créance peut être compensée avec la soulte qu’il doit verser à ses cohéritiers (Cass. 1re civ., 22 janv. 1958).
          • Indemnités diverses : lorsqu’un indivisaire a avancé des frais de conservation ou de gestion d’un bien indivis, ou s’il bénéficie d’une indemnité compensatoire allouée dans le cadre d’un divorce, ces sommes peuvent être prises en compte pour neutraliser partiellement ou totalement la soulte due.
          • Dommages et intérêts : dans certaines situations, des sommes allouées à l’un des copartageants à titre de réparation (par exemple, dans le cadre d’un divorce) peuvent être compensées avec la soulte résultant de l’attribution préférentielle (CA Paris, 4 nov. 1969).
        • Si la compensation est possible, elle reste subordonnée à la réunion des conditions prévues par le droit commun (art. 1347 C. civ.). 
        • En particulier, la créance opposée en compensation doit être certaine, liquide et exigible. 
        • À défaut, la compensation ne peut être imposée aux autres copartageants et nécessite leur consentement.
    • La dation en paiement
      • Si le paiement de la soulte est normalement exigible en numéraire, il peut également s’opérer par le biais d’une dation en paiement, c’est-à-dire par la remise d’un bien en contrepartie de la créance de soulte.
      • La dation en paiement repose avant tout sur un accord des copartageants : l’attributaire ne peut l’imposer unilatéralement aux autres indivisaires. 
      • Ceux-ci doivent accepter de recevoir un bien en contrepartie de leur créance, et ce, en considération de sa valeur vénale et de son adéquation avec le montant de la soulte due.
      • Cette solution peut être particulièrement pertinente lorsque :
        • L’attributaire ne dispose pas de liquidités suffisantes pour régler la soulte en numéraire.
        • L’actif indivis comprend des biens dont le partage en nature est difficile ou dont la cession est économiquement inopportune.
        • Les copartageants sont enclins à recevoir un bien plutôt qu’un versement monétaire, notamment pour préserver la continuité d’une exploitation agricole ou d’un ensemble immobilier indivis.
      • Lorsque la dation en paiement est consentie, elle doit être formalisée dans l’acte de partage. En cas de litige sur la valeur du bien remis en dation, une expertise peut être ordonnée afin de garantir l’équivalence avec le montant de la soulte due.
      • La dation en paiement entraîne un transfert immédiat de propriété au profit des copartageants créanciers. 
      • Ces derniers deviennent titulaires du bien remis en contrepartie de la soulte, ce qui éteint corrélativement la dette de l’attributaire.
      • Cette modalité de paiement présente plusieurs avantages :
        • Elle évite la nécessité d’un financement bancaire pour l’attributaire, ce qui peut être un critère déterminant lorsque les montants en jeu sont élevés.
        • Elle permet aux copartageants de se voir attribuer un bien d’une valeur équivalente à leur part successorale, sans attendre le versement d’une soulte en numéraire.
      • Cependant, la dation en paiement doit être encadrée avec précaution. 
      • Son exécution suppose que le bien remis en paiement ne soit grevé d’aucune charge de nature à en diminuer la valeur. 
      • De même, en cas de contestation sur l’équivalence de la dation avec la soulte due, il pourrait être nécessaire d’engager une action judiciaire pour statuer sur la validité de l’opération.
      • Le Code civil prévoit expressément la possibilité d’une dation en paiement dans le cadre de l’attribution préférentielle de biens agricoles destinés à constituer un groupement foncier agricole (art. 832-1, al. 4 C. civ.). 
      • Dans ce cas, les copartageants peuvent être réglés par l’attribution de parts du groupement foncier en contrepartie de leur créance de soulte, sous réserve qu’ils n’aient pas manifesté leur opposition à ce mode de règlement dans un délai d’un mois.
      • D’une manière plus générale, la jurisprudence a admis que le paiement d’une soulte puisse être réalisé par la remise d’un bien immobilier ou de parts sociales lorsque les parties en conviennent librement et que cette solution permet de préserver l’équilibre du partage.

==>La production d’intérêts

Le paiement de la soulte dans le cadre d’une attribution préférentielle soulève la question de la production d’intérêts, notamment en cas de report du règlement. En l’absence de convention contraire entre les copartageants, le régime applicable repose sur une distinction entre la période antérieure et la période postérieure au partage définitif.

  • L’absence d’intérêts avant la date du partage définitif
    • Le principe posé par l’article 834, alinéa 2, du Code civil est que la soulte ne produit pas d’intérêts avant la clôture définitive des opérations de partage. 
    • Autrement dit, tant que le partage n’a pas été formellement établi, les créanciers de la soulte ne peuvent exiger aucun intérêt, sauf stipulation expresse des parties.
    • Ce principe repose sur une logique d’équilibre entre les copartageants: tant que l’indivision subsiste juridiquement, l’attributaire du bien reste soumis aux règles de l’indivision et ne bénéficie pas encore pleinement des prérogatives exclusives de propriété. 
    • Dès lors, l’obligation de verser des intérêts sur la soulte ne prend effet qu’à compter du moment où l’attributaire devient juridiquement propriétaire exclusif du bien attribué.
    • Toutefois, les copartageants ont la possibilité de déroger à cette règle en stipulant contractuellement que la soulte portera intérêts avant la date du partage. 
    • Une telle convention peut être pertinente notamment lorsque le paiement de la soulte est différé et que les créanciers souhaitent être indemnisés du préjudice financier résultant de l’attente prolongée.
  • La production d’intérêts après le partage définitif
    • À compter de la date du partage définitif, la soulte devient de plein droit productive d’intérêts au taux légal, sauf si les copartageants ont convenu d’un taux différent. 
    • Cette règle vise à assurer une indemnisation des créanciers de la soulte pour le retard dans le paiement effectif de leur créance, en évitant qu’ils ne subissent une dépréciation monétaire.
    • Le régime applicable s’articule autour de deux principes:
      • Le point de départ des intérêts : les intérêts commencent à courir dès la date du partage définitif, sans qu’une mise en demeure préalable soit nécessaire.
      • Le taux applicable : en l’absence de stipulation contractuelle, les intérêts sont calculés au taux légal. Toutefois, les parties peuvent convenir d’un taux conventionnel, sous réserve qu’il ne soit pas usuraire et qu’il soit fixé de manière expresse dans l’acte de partage.

==>Aménagements conventionnels

Lorsque les copartageants concluent un accord amiable sur les modalités de paiement de la soulte, ils disposent d’une large liberté pour organiser l’exigibilité des intérêts. Ils peuvent notamment :

  • Définir un taux d’intérêt conventionnel, inférieur ou supérieur au taux légal, sous réserve qu’il respecte les limites imposées par la législation sur l’usure.
  • Reporter le point de départ des intérêts à une date postérieure à celle du partage définitif, par exemple en cas d’échelonnement du paiement de la soulte.
  • Fixer des échéances de paiement adaptées aux ressources financières de l’attributaire, tout en préservant les intérêts économiques des copartageants créanciers.

En cas de différend sur l’application des intérêts, le juge peut être amené à trancher, mais il ne peut en principe déroger aux règles posées par la loi, sauf si les parties ont expressément prévu des aménagements dans leur convention de partage.

b. L’attribution préférentielle de droit

Dans certaines hypothèses, le législateur a institué un régime favorable à l’attributaire, considérant que la pérennité de certains biens, tels qu’une exploitation agricole, une entreprise familiale ou le logement du conjoint survivant, justifie un assouplissement des contraintes financières pesant sur le partage. L’objectif est d’éviter que l’obligation de paiement immédiat de la soulte ne compromette la conservation du bien et, partant, ne conduise à sa cession forcée.

L’article 832-4, alinéa 2, du Code civil instaure ainsi un mécanisme spécifique qui permet au bénéficiaire de l’attribution préférentielle d’exiger de ses copartageants des délais de paiement pour une fraction de la soulte, dans une double limite :

  • Durée : le report ne peut excéder dix ans, un délai qui résulte d’un aménagement progressif du dispositif, renforcé notamment par la loi d’orientation agricole du 9 juillet 1980.
  • Montant : la fraction de la soulte dont le paiement est différé ne peut excéder la moitié de la somme due.

Ce mécanisme repose sur plusieurs principes, qui encadrent à la fois la mise en œuvre du paiement différé et les garanties dont bénéficient les créanciers de la soulte.

==>L’aménagement légal du paiement au profit de l’attributaire

L’attribution préférentielle de droit constitue une exception au principe du paiement comptant de la soulte, en permettant à l’attributaire de différer une partie de son règlement. Cette mesure vise à préserver la transmission et la conservation de certains biens essentiels, tels que les exploitations agricoles, les entreprises ou le logement familial, en évitant qu’un endettement immédiat ne compromette leur viabilité.

Ce mécanisme, consacré par l’article 832-4, alinéa 2, du Code civil, impose aux copartageants créanciers une forme de crédit forcé. Dès lors que les conditions légales sont réunies, ils ne peuvent s’opposer à l’octroi d’un délai de paiement. Ce dernier est cependant encadré :

  • Durée maximale : l’échelonnement du paiement ne peut excéder dix ans.
  • Montant différé : seule une fraction de la soulte, limitée à 50 % du total dû, peut faire l’objet d’un report.
  • Intérêts légaux : à défaut d’accord entre les parties, les sommes différées portent intérêts au taux légal à compter du partage définitif (Cass. 1re civ., 20 nov. 1979). Toutefois, les copartageants peuvent convenir d’un taux différent, sous réserve qu’il ne soit ni usuraire ni abusif.

Cet aménagement légal vise ainsi à concilier deux exigences contradictoires : assurer la continuité de certains patrimoines tout en préservant les droits des copartageants créanciers.

==>L’exigibilité immédiate de la soulte en cas de cession du bien

Si le législateur a aménagé un cadre favorable à l’attributaire en lui accordant des facilités de paiement, il a également prévu un garde-fou essentiel : la cessation du bénéfice du paiement différé en cas de cession des biens attribués. Ce mécanisme vise à éviter que l’attributaire ne détourne l’avantage qui lui est consenti en réalisant une opération purement spéculative au détriment des autres copartageants.

L’article 832-4, alinéa 3, du Code civil distingue deux hypothèses :

  • Vente de la totalité des biens attribués : la soulte devient immédiatement exigible dans son intégralité. Cette règle repose sur une logique simple : dès lors que l’attributaire perçoit une contrepartie financière immédiate, il n’a plus de raison de bénéficier d’un délai de paiement.
  • Vente partielle des biens : le produit de la cession est affecté au règlement de la fraction de soulte encore due, selon une imputation proportionnelle. Ce dispositif garantit que les créanciers ne soient pas lésés par la liquidation progressive du patrimoine de l’attributaire.

L’objectif de cette règle est d’assurer l’équilibre du partage et de prévenir tout abus du paiement différé. Elle protège ainsi les copartageants créanciers contre le risque d’un retard prolongé dans la perception des sommes qui leur reviennent, tout en maintenant une certaine souplesse pour l’attributaire dans la gestion de son lot.

==>La revalorisation de la soulte en cas d’évolution de la valeur du bien

Le législateur a également introduit un mécanisme de réévaluation du montant de la soulte en fonction des fluctuations de la valeur du bien attribué. L’article 828 du Code civil prévoit ainsi que si la valeur du bien a varié de plus de 25 % depuis le partage en raison de circonstances économiques objectives, la soulte est ajustée en conséquence.

Ce dispositif répond à une logique d’équité :

  • Si la valeur du bien a augmenté, l’attributaire doit verser un complément de soulte, afin de rétablir l’équilibre initial du partage.
  • Si la valeur du bien a diminué, la soulte est révisée à la baisse, de manière à éviter que l’attributaire ne soit tenu de verser une somme disproportionnée au regard de la valeur actuelle du bien.

Cette revalorisation repose sur une appréciation objective des conditions économiques et exclut les plus-values résultant d’améliorations apportées par l’attributaire ou les moins-values liées à une dégradation fautive de sa part. En revanche, elle peut résulter de facteurs exogènes tels que l’évolution du marché immobilier, des modifications du plan local d’urbanisme ou encore des évolutions réglementaires impactant la valorisation du bien.

==>Aménagements conventionnels

Si la loi fixe les principes directeurs du paiement de la soulte dans le cadre d’une attribution préférentielle de droit, les copartageants disposent d’une marge de manœuvre pour en aménager les modalités. Ils peuvent ainsi :

  • Fixer un taux d’intérêt différent du taux légal, sous réserve du respect des dispositions sur l’usure.
  • Réviser à la baisse ou supprimer la règle de revalorisation prévue par l’article 828 du Code civil, afin de sécuriser le montant de la soulte.
  • Prévoir des échéances de paiement spécifiques, adaptées aux capacités financières de l’attributaire et aux attentes des créanciers.

Ces ajustements conventionnels doivent faire l’objet d’une clause expresse dans l’acte de partage, afin d’éviter toute contestation ultérieure.

B) Le partage des autres biens

L’attribution préférentielle, en concentrant la propriété d’un bien déterminé entre les mains d’un seul indivisaire, modifie nécessairement l’équilibre du partage. Afin de rétablir l’égalité entre les copartageants, la compensation de cette attribution s’effectue selon un ordre de priorité, qui repose d’abord sur l’allotissement en nature, avant de recourir, si nécessaire, au paiement d’une soulte. À défaut de solution satisfaisante, la licitation du bien peut être envisagée en dernier recours.

1. L’allotissement prioritaire des copartageants

L’attribution préférentielle constitue un mode particulier d’allotissement et non un prélèvement effectué avant le partage. Dès lors, sa mise en œuvre modifie nécessairement la répartition des biens indivis et impose un rééquilibrage au bénéfice des autres copartageants. Cette opération repose sur trois principes:

  • L’imputation prioritaire de l’attributaire
    • L’attribution préférentielle n’est pas un droit conférant un avantage supplémentaire à son bénéficiaire, mais une modalité particulière d’allotissement qui doit respecter l’égalité du partage.
    • Ainsi, l’attributaire doit imputer la valeur du bien qu’il reçoit sur ses droits dans l’indivision, ce qui exclut toute possibilité d’un tirage au sort des lots, comme le confirme une jurisprudence constante (Cass. 1re civ., 30 juin 1993, n°91-17.804).
    • L’application de ce principe intervient notamment en matière de divorce: lorsqu’un époux obtient l’attribution préférentielle d’un bien immobilier, les autres biens communs doivent être alloués en priorité à l’autre conjoint, à due concurrence de ses droits (Cass. 1re civ., 5 mai 1981, n°79-16.444). 
    • Il en va de même dans le cadre du partage d’une succession: un héritier qui a bénéficié de l’attribution préférentielle d’un bien immobilier ne peut prétendre à un supplément de lot sur d’autres biens indivis (Cass. 1re civ., 18 mars 1975).
    • En pratique, le notaire chargé du partage procède donc à l’allotissement des autres biens indivis au profit des copartageants non attributaires, dans la limite de leurs droits respectifs. 
    • Ce n’est qu’en l’absence de biens suffisants que la compensation s’effectuera sous forme de soulte.
  • L’attribution prioritaire des autres biens indivis aux copartageants non attributaires
    • Lorsque l’attributaire reçoit un bien par préférence, les autres biens indivis doivent être attribués, en priorité, aux copartageants non attributaires. 
    • Cette règle permet de limiter le recours au paiement d’une soulte et de préserver l’équilibre du partage en nature.
    • Ainsi, lorsqu’il existe plusieurs biens de valeur équivalente, l’attribution préférentielle de l’un d’eux à un indivisaire commande que le second bien soit attribué à un autre copartageant. 
    • De même, lorsque l’indivision comprend des biens mobiliers et immobiliers, les copartageants non attributaires peuvent se voir attribuer prioritairement des biens mobiliers pour compenser l’attribution d’un immeuble au profit d’un autre héritier.
    • Ce principe s’applique également en cas d’attribution préférentielle en vue de la constitution d’un groupement foncier agricole.
    • L’article 832-1, alinéa 5, du Code civil prévoit que les biens et droits immobiliers qui ne sont pas destinés à être intégrés dans le groupement doivent être attribués en priorité aux indivisaires qui n’ont pas consenti à sa création, dans la limite de leurs droits successoraux respectifs. 
    • Cette disposition illustre la volonté du législateur de garantir un équilibre entre l’intérêt particulier de l’attributaire et les droits des autres indivisaires.
  • Le versement d’une soulte en compensation
    • Lorsque les biens restants dans l’indivision ne suffisent pas à compenser l’attribution préférentielle, la compensation s’opère par le versement d’une soulte. 
    • Celle-ci représente la valeur excédentaire du bien attribué et garantit l’égalité entre les copartageants.
    • La soulte devient ainsi une nécessité dans plusieurs cas :
      • Lorsque l’attributaire reçoit un bien de valeur supérieure à ses droits dans l’indivision: le versement d’une soulte est alors exigé pour rétablir l’équilibre patrimonial.
      • Lorsque les autres biens indivis ne permettent pas un allotissement équivalent: si les biens restants sont insuffisants ou indivisibles, le recours à la soulte devient incontournable pour éviter une rupture d’égalité entre les héritiers.
      • Lorsque l’attributaire souhaite éviter un partage en nature complexe : dans certaines situations, l’attributaire peut préférer s’acquitter d’une soulte plutôt que de procéder à une répartition matérielle des biens restants.
    • L’évaluation de la soulte repose sur la valeur des biens à la date du partage, en tenant compte des éventuelles plus-values ou moins-values survenues durant l’indivision (art. 832-4 C. civ.).

2. La licitation en dernier recours

L’attribution préférentielle constitue un mode de partage privilégié permettant à un indivisaire d’obtenir un bien en compensation de ses droits indivis. Toutefois, lorsque cette attribution bouleverse trop fortement l’équilibre du partage ou que les modalités de compensation ne permettent pas de garantir une répartition équitable, la licitation apparaît comme une solution nécessaire.

La licitation consiste en la mise en vente du bien indivis, dont le produit est ensuite réparti entre les copartageants au prorata de leurs droits. Ce mécanisme, bien que subsidiaire, répond à plusieurs objectifs : assurer l’égalité entre les indivisaires, mettre fin aux situations de blocage et éviter que l’attribution préférentielle ne soit source d’injustice pour les copartageants évincés.

Le recours à la licitation peut revêtir plusieurs formes, en fonction des circonstances et du degré d’accord entre les indivisaires :

  • La vente de gré à gré
    • Lorsque les copartageants s’accordent sur la nécessité de vendre le bien, une vente de gré à gré peut être organisée.
    • Dans ce cas, les indivisaires recherchent eux-mêmes un acquéreur et définissent ensemble les modalités de la cession (prix, conditions de paiement, délais de signature de l’acte).
    • Ce mode de licitation présente plusieurs avantages :
      • Une meilleure valorisation du bien : en évitant la précipitation d’une mise aux enchères, la vente de gré à gré permet de négocier des conditions plus favorables.
      • Une flexibilité accrue : les parties peuvent convenir d’un paiement échelonné ou d’autres aménagements qui optimisent la transmission du bien.
      • Une maîtrise du processus : les indivisaires conservent un certain contrôle sur la transaction, contrairement à une vente judiciaire qui leur échappe totalement.
    • Toutefois, cette solution suppose un accord unanime entre les indivisaires, ce qui, en pratique, n’est pas toujours réalisable.
  • La vente aux enchères judiciaires
    • Lorsque les indivisaires ne parviennent pas à s’entendre sur la cession, ou si la situation l’exige, la vente peut être ordonnée par le juge dans le cadre d’une licitation judiciaire. 
    • Cette procédure assure une impartialité totale et garantit que le bien sera cédé dans des conditions transparentes.
    • Elle repose sur plusieurs étapes :
      • Saisine du tribunal : un ou plusieurs indivisaires demandent au juge d’ordonner la mise en vente du bien.
      • Désignation d’un notaire : le juge peut confier l’organisation de la vente à un notaire ou à un commissaire de justice.
      • Fixation des conditions de vente : le bien est mis aux enchères publiques, avec publication d’un cahier des charges détaillant les modalités de la cession.
      • Adjudication du bien : le bien est vendu au plus offrant et le produit de la vente est réparti entre les copartageants en fonction de leurs droits.
    • Si la licitation judiciaire assure une égalité de traitement entre les indivisaires, elle présente néanmoins certains inconvénients :
      • Un risque de sous-évaluation : la vente aux enchères peut aboutir à une cession à un prix inférieur à la valeur vénale du bien, notamment en cas de faible concurrence entre acquéreurs.
      • Des coûts supplémentaires : frais d’expertise, frais de publicité et émoluments du notaire ou du commissaire de justice viennent grever le produit de la vente.
      • Une absence de maîtrise pour les indivisaires : contrairement à la vente de gré à gré, les copartageants ne contrôlent ni l’acheteur ni le prix final.

La licitation n’est pas une option systématique, mais elle peut s’imposer dans plusieurs situations où l’attribution préférentielle perturbe l’équilibre du partage ou se heurte à des difficultés pratiques.

  • Lorsque la valeur du bien attribué est trop importante
    • Si la valeur du bien attribué excède de manière significative les droits de l’attributaire dans l’indivision et que la compensation par soulte s’avère disproportionnée ou irréalisable, la licitation peut devenir inévitable.
    • À titre d’exemple, si un bien immobilier constitue l’essentiel du patrimoine à partager et qu’aucun autre bien en nature ne peut être attribué aux copartageants évincés, il sera difficile d’assurer un partage équilibré.
    • Dans un tel cas, la vente du bien et la répartition du produit entre les indivisaires s’imposent comme la seule solution garantissant l’équité du partage.
  • Lorsque le maintien en indivision entraîne des blocages
    • L’indivision est souvent source de conflits et d’entraves à la bonne gestion des biens communs.
    • Les divergences d’intérêts entre les indivisaires peuvent empêcher toute prise de décision, rendant le bien improductif ou entraînant une dégradation de sa valeur.
    • Le juge peut alors être saisi pour mettre fin à l’indivision en ordonnant la licitation.
    • Cette solution permet d’éviter les tensions prolongées et d’assurer une répartition définitive du patrimoine.
  • Lorsque l’attributaire est dans l’incapacité de régler la soulte
    • L’attribution préférentielle repose sur un équilibre financier qui suppose que l’attributaire puisse indemniser les autres indivisaires à hauteur de l’excédent de valeur du bien reçu.
    • Or, si l’attributaire ne dispose pas des ressources suffisantes pour régler la soulte et que les copartageants refusent de lui accorder des délais de paiement, la licitation s’impose comme une alternative.
    • Dans ce cas, la vente du bien permettra d’assurer une répartition immédiate des fonds entre les copartageants, sans dépendre des capacités financières de l’attributaire.

Au total, si l’attribution préférentielle constitue une modalité de partage favorisée par le législateur, elle ne peut se faire au détriment des droits des autres indivisaires.

Ainsi, lorsque l’attribution d’un bien en nature est incompatible avec le principe d’égalité entre copartageants, le recours à la licitation apparaît comme la seule issue permettant de garantir un partage juste et équilibré. Cette solution, bien que perçue comme une contrainte, reste une garantie pour l’ensemble des indivisaires et évite que l’un d’eux ne soit lésé par une répartition inéquitable des biens.

Opérations de partage: le rapport des dettes

==>Définition

Le rapport des dettes s’analyse en un mécanisme d’attribution propre aux opérations de partage, offrant un mode simplifié de règlement des dettes d’un indivisaire envers l’indivision. Son fonctionnement repose sur un principe simple : lorsqu’un copartageant est débiteur d’une créance à l’égard de la masse partageable, cette créance lui est allouée au moment du partage. L’extinction de la dette s’opère alors par confusion, sans qu’aucun paiement effectif ne soit requis.

Derrière cette mécanique se dessine une quête d’efficacité et d’équilibre. Le rapport des dettes permet d’assurer l’équilibre du partage en intégrant les créances des copartageants dans la répartition des lots. Ce faisant, il évite que la dette demeure impayée en raison d’une insolvabilité ultérieure du débiteur et protège ainsi les intérêts des autres indivisaires. Son champ d’application excède de loin les seules indivisions successorales : il s’étend à toute opération de partage, qu’elle soit d’origine successorale, post-communautaire ou conventionnelle, affirmant ainsi sa vocation à garantir l’harmonie des répartitions patrimoniales.

==>Terminologie

Le Code civil ne fait plus expressément mention du « rapport des dettes », bien qu’il en organise le régime. L’article 825 du Code civil distingue désormais « les valeurs soumises à rapport ou réduction » et « les dettes des copartageants envers le défunt ou envers l’indivision », attestant ainsi du maintien du mécanisme sans en reprendre la qualification d’origine.

Historiquement, la notion de « rapport des dettes » trouve son origine dans celle du rapport des libéralités. Sous l’Ancien droit, ces deux mécanismes étaient confondus : l’héritier gratifié en avancement de part devait être comptable des biens reçus, tout comme l’héritier débiteur d’une somme prêtée par le défunt devait en répondre à l’égard de ses copartageants. Cette parenté conceptuelle explique pourquoi l’ancien article 829 du Code civil réunissait, dans un même énoncé, le rapport des libéralités et le rapport des dettes.

Toutefois, cette assimilation était juridiquement discutable. Alors que le rapport des libéralités vise à réintégrer des avantages consentis à un successible pour rétablir l’égalité des vocations successorales, le rapport des dettes repose sur une autre logique : il permet d’assurer l’égalité effective du partage en prévenant les risques d’impayés. Les fonds empruntés ne sont pas « rapportés » à proprement parler à la masse partageable, mais leur non-remboursement est compensé par une allocation spécifique dans la répartition des biens. Le rapport des dettes, contrairement au rapport des libéralités, n’a donc jamais vocation à reconstituer la masse partageable.

==>Evolution

Le rapport des dettes puise ses racines dans l’Ancien droit coutumier, qui, par une association fondée davantage sur une intuition que sur une distinction rigoureuse des concepts, l’avait rapproché du rapport des libéralités. La doctrine classique illustre cette confusion, Pothier affirmant avec emphase que « le rapport est dû des sommes prêtées également comme des sommes données ».

Cette assimilation s’explique par la nature des prêts familiaux, souvent consentis sans formalisation rigoureuse, rendant délicate la distinction entre une véritable intention libérale et une créance exigible. La jurisprudence des Parlements, dès 1564, attestait déjà de l’existence de ce mécanisme destiné à intégrer les dettes des héritiers dans l’égalisation du partage.

Dès cette époque, l’idée selon laquelle l’acquittement de la dette pouvait être différé jusqu’au partage s’imposa. Le créancier successoral n’était plus contraint de réclamer immédiatement le remboursement du prêt, mais bénéficiait d’un mécanisme d’imputation permettant d’intégrer la créance dans l’opération de partage, assurant ainsi la continuité du patrimoine et évitant les aléas du recouvrement.

La codification napoléonienne hérita de cette conception et traduisit cette approche dans son article 829, aujourd’hui abrogé, qui énonçait que « chaque cohéritier fait rapport à la masse […] des dons qui lui sont faits, et des sommes dont il est débiteur ».

En consacrant ainsi une même terminologie pour des obligations pourtant distinctes, le Code civil de 1804 perpétua une confusion déjà manifeste sous l’Ancien droit. Cette assimilation fut rapidement source d’incertitudes quant à la qualification juridique du rapport des dettes. Assimiler un prêt impayé à une libéralité revenait à occulter la différence essentielle entre une transmission patrimoniale consentie à titre gratuit et une dette issue d’un engagement contractuel.

La doctrine releva rapidement la faiblesse de cette approche, certains auteurs s’interrogeant sur l’opportunité d’un tel rapprochement, tandis que la jurisprudence s’attacha à rétablir une distinction plus rigoureuse. Il ne s’agissait pas d’assurer une restitution à la masse successorale, comme c’est le cas pour le rapport des libéralités, mais bien d’intégrer la dette dans la répartition des lots. L’objectif n’était donc pas tant de reconstituer la masse partageable que de garantir l’égalité concrète du partage en neutralisant les effets de la dette sur les attributions respectives des copartageants.

Il fallut attendre la réforme des successions opérée par la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, entrée en vigueur le 1?? janvier 2007, pour que le rapport des dettes fût enfin doté d’un régime juridique propre, dissocié du rapport des libéralités.

Désormais intégré aux articles 864 à 867 du Code civil, il relève de la section III du chapitre VIII consacré au partage, au sein des dispositions relatives au paiement des dettes. Cette réforme ne se contente pas de formaliser des pratiques antérieures ; elle consacre le rapport des dettes comme un mécanisme autonome, clairement distingué des autres formes de rapport, en particulier du rapport des libéralités.

Si la réforme n’a pas expressément nommé cette institution, elle en a néanmoins consacré l’essence en le dotant d’un régime spécifique, fondé sur l’allotissement du copartageant débiteur et l’extinction de sa dette par confusion (C. civ., art. 864, al. 2). Loin d’être une modalité du rapport des libéralités, il constitue désormais un mode simplifié de règlement des dettes d’un indivisaire envers l’indivision, évitant tout versement monétaire et garantissant aux copartageants la préservation de leurs droits sans craindre l’insolvabilité de l’un d’entre eux.

Dès lors, la distinction entre le rapport des dettes et le rapport des libéralités est pleinement consacrée. Tandis que le rapport des libéralités vise à rétablir l’égalité des vocations successorales en réintégrant fictivement à la masse les avantages consentis par le défunt, le rapport des dettes relève d’une logique d’imputation et d’extinction par allotissement. La confusion originelle entre ces deux mécanismes a cédé la place à une approche plus rigoureuse, permettant d’appréhender le rapport des dettes comme une véritable technique de partage, indépendante de toute notion de donation ou de restitution patrimoniale.

==>Nature juridique

Le rapport des dettes s’analyse avant tout en une opération de partage, qualification affirmée de longue date par la jurisprudence et désormais consacrée par l’article 864, alinéa 1?? du Code civil (Cass. 1?? civ., 30 juin 1998, n° 96-13.313). Il ne s’agit ni d’un paiement au sens strict, ni d’une compensation, mais d’un mécanisme spécifique d’attribution destiné à neutraliser les créances détenues par la masse partageable sur l’un des copartageants.

Loin de se réduire à un simple règlement de créance, le rapport des dettes repose sur une logique d’imputation patrimoniale. Lorsqu’un copartageant est débiteur d’une somme envers l’indivision, la créance est intégrée dans son lot lors du partage. Ainsi, à due concurrence de ses droits dans la masse, le débiteur est alloti de la créance dont il est redevable. Ce mécanisme présente une double fonction : il évite à l’indivision d’être exposée au risque d’une insolvabilité future et assure une répartition des biens plus équitable entre les copartageants. En effet, plutôt que de contraindre le débiteur à procéder à un paiement effectif, la dette est absorbée dans l’attribution des lots, préservant ainsi l’équilibre du partage.

Loin d’un paiement stricto sensu, qui supposerait une extinction de la dette par l’exécution d’une obligation monétaire (art. 1342 C. civ.), le rapport des dettes se réalise en moins prenant, c’est-à-dire par imputation sur la part revenant au copartageant débiteur (Cass. 1?? civ., 29 juin 1994, n° 92-15.253). La dette ne disparaît donc pas par règlement, mais par confusion, le copartageant étant simultanément débiteur et créancier. Ce phénomène évite tout flux financier et simplifie les opérations de liquidation. Il ne peut d’ailleurs y avoir confusion qu’à hauteur des droits du débiteur dans la masse : si le montant de la dette excède la part successorale du copartageant, celui-ci demeure tenu au paiement du solde (art. 864, al. C. civ.).

Le rapport des dettes présente une vertu cardinale : la garantie de l’égalité des copartageants. En attribuant au débiteur la créance existant contre lui, ce mécanisme préserve les autres copartageants d’un éventuel défaut de paiement. Sans lui, ces derniers pourraient se retrouver créanciers d’une dette non honorée, exposés aux aléas d’une éventuelle insolvabilité et à la concurrence des créanciers personnels du débiteur. Le rapport des dettes pallie ce risque en procédant à une affectation immédiate de la créance, la convertissant en une simple réduction des droits du débiteur dans la masse partageable.

En ce sens, il constitue une alternative bien plus protectrice qu’un règlement classique, qui exigerait une action en recouvrement potentiellement infructueuse. Il permet ainsi d’assurer une égalité concrète des lots, chaque copartageant recevant une valeur équivalente, sans qu’aucun d’entre eux n’ait à supporter la charge d’une créance douteuse.

L’analyse juridique du rapport des dettes montre qu’il s’agit bien d’un mode d’allotissement propre aux opérations de partage, et non d’une modalité de paiement des obligations du copartageant. Contrairement à la compensation, qui suppose l’extinction réciproque de créances entre deux parties (art. 1347 C. civ.), le rapport des dettes intervient dans le cadre de l’indivision, où les droits des copartageants ne s’analysent pas en créances, mais en quotes-parts indivises d’un patrimoine commun (Cass. civ., 11 janv. 1937). Dès lors, il n’y a pas extinction de la dette par voie de compensation, mais absorption de celle-ci par l’affectation du bien au sein du partage.

Cette spécificité explique son autonomie par rapport aux autres mécanismes de règlement. Il ne s’agit ni d’un paiement au sens du droit des obligations, ni d’une compensation entre droits personnels, mais d’une technique d’équilibrage des lots, visant à assurer l’égalité des attributions en tenant compte des dettes existant au sein de la masse.

==>Distinctions

Le rapport des dettes constitue une opération de partage autonome, qui se distingue à la fois du paiement et de la compensation. Il ne repose pas sur une remise de fonds, mais sur une extinction par confusion, laquelle résulte de l’allotissement du débiteur lors du partage. Il protège ainsi les copartageants en évitant qu’ils ne deviennent créanciers personnels du débiteur et en les mettant à l’abri du risque d’insolvabilité. Ce mécanisme garantit également un partage équilibré, sans nécessiter de mobilisation de liquidités ou d’exécution forcée d’une créance.

  • Rapport des dettes et paiement
    • L’une des particularités du rapport des dettes réside dans son effet extinctif.
    • Contrairement au paiement, qui suppose l’exécution d’une obligation par le transfert d’une somme d’argent ou d’un bien, le rapport des dettes entraîne l’extinction de l’obligation par l’effet de la confusion.
    • Cette extinction intervient lorsque le copartageant débiteur est alloti de la créance existant contre lui. Dès lors, il cumule les qualités de créancier et de débiteur sur une même tête, ce qui provoque automatiquement l’extinction de la dette, sans qu’aucun règlement effectif ne soit nécessaire.
    • Il ne s’agit donc pas d’un paiement au sens des articles 1342 et suivants du Code civil, mais d’une technique de liquidation propre au partage.
    • L’intérêt pratique de cette distinction est essentiel. 
    • Le copartageant débiteur n’a pas à mobiliser de liquidités pour s’acquitter de sa dette, ce qui lui évite de fragiliser son patrimoine ou de vendre des actifs prématurément. 
    • Cette neutralisation de la dette par le jeu des attributions permet également de préserver l’égalité entre copartageants. 
    • Chacun reçoit un lot d’une valeur nette équivalente, sans qu’aucun d’eux ne se retrouve créancier personnel d’un autre, situation qui pourrait engendrer des difficultés en cas d’insolvabilité. 
    • Le rapport des dettes évite ainsi aux copartageants de se soumettre à la loi du concours, qui leur serait défavorable face aux autres créanciers du débiteur.
    • Toutefois, la confusion n’opère qu’à due concurrence des droits du débiteur dans l’indivision. 
    • Lorsque la dette excède la valeur des biens qui lui sont attribués, le surplus demeure exigible et doit être réglé selon les règles classiques du paiement.
    • L’article 864, alinéa 2 du Code civil précise en ce sens que l’extinction de l’obligation ne joue qu’à hauteur des droits du copartageant dans la masse partageable.
    • Un exemple permet d’illustrer l’efficacité du mécanisme :
    • Imaginons une indivision dans laquelle trois héritiers, A, B et C, se partagent un patrimoine composé d’un immeuble d’une valeur de 300 000 euros et d’une créance de 90 000 euros contre A, résultant d’un prêt consenti par le défunt.
    • Si le partage se faisait sans rapport des dettes, la masse partageable serait de 390 000 euros, chaque héritier ayant vocation à recevoir 130 000 euros. 
    • A recevrait 100 000 euros en biens et resterait redevable d’une somme de 30 000 euros envers ses cohéritiers.
    • B et C recevraient 100 000 euros en biens et deviendraient chacun créanciers de A à hauteur de 15 000 euros.
    • Or, si A est insolvable, B et C pourraient ne jamais récupérer leur créance, ce qui compromettrait l’égalité du partage.
    • Avec le rapport des dettes, la créance de 90 000 euros est réintégrée dans la masse partageable, portant l’actif successoral à 390 000 euros. A est alloti de l’immeuble pour 210 000 euros ainsi que de la créance de 90 000 euros contre lui-même. B et C reçoivent chacun 90 000 euros en biens et 15 000 euros en numéraire. 
    • La créance est ainsi éteinte par confusion, sans qu’aucun mouvement financier ne soit nécessaire.
    • L’égalité des copartageants est préservée, et B et C ne courent aucun risque lié à l’insolvabilité de A.
  • Rapport des dettes et compensation
    • Il serait tentant de rapprocher le rapport des dettes d’une compensation, en considérant que la dette du copartageant pourrait s’éteindre par l’effet d’une compensation avec ses droits dans la succession.
    • Cette analyse a cependant été rejetée par la jurisprudence (Cass. 1?? civ., 14 déc. 1983, n°82-14.725).
    • La compensation suppose l’existence de créances réciproques, chacune des parties devant être simultanément créancière et débitrice de l’autre.
    • Or, cette condition fait défaut dans le rapport des dettes.
    • Le droit du copartageant sur l’indivision est un droit réel, tandis que la dette qu’il doit à l’indivision est une obligation personnelle.
    • La différence de nature entre ces droits interdit toute extinction par compensation.
    • Contrairement à la compensation, qui opère de plein droit dès que les créances deviennent exigibles, le rapport des dettes n’intervient qu’au stade du partage et par le biais de l’allotissement.
    • L’extinction de la dette ne découle donc pas d’un simple jeu d’écritures, mais d’une réorganisation patrimoniale propre aux opérations liquidatives.
    • Si le rapport des dettes était assimilé à une compensation, l’extinction de l’obligation interviendrait automatiquement au jour de l’ouverture de la succession.
    • Une telle analyse viendrait perturber l’équilibre du partage, en faisant disparaître la dette avant même la composition des lots.
    • Or, l’article 864 du Code civil prévoit expressément que l’extinction ne se produit que lors du partage, et seulement dans la limite des droits du copartageant dans la masse.
    • Cette approche garantit que la dette est bien prise en compte dans les attributions finales et qu’elle ne fausse pas la répartition entre héritiers.
    • Toutefois, si le rapport des dettes ne peut être assimilé à une compensation, il n’exclut pas pour autant qu’une compensation puisse intervenir en amont, dans le cadre du compte d’indivision (art. 867 C. civ.).
    • Lorsqu’un indivisaire est à la fois débiteur et créancier de l’indivision, il peut obtenir une compensation partielle entre ses créances et dettes avant la liquidation finale.
    • Cette opération demeure cependant distincte du rapport des dettes proprement dit, qui relève d’un mécanisme de liquidation et non d’une extinction par jeu de créances réciproques.
    • La réforme du 23 juin 2006, entrée en vigueur le 1er janvier 2007, a consacré cette autonomie en intégrant le rapport des dettes dans les règles propres au partage.
    • Il s’agit désormais du mode de règlement de droit commun des dettes entre copartageants, garantissant un équilibre liquidatif sans interférence avec les règles du droit des obligations.

I) Conditions

Le rapport des dettes, en tant qu’opération de partage, repose sur un ensemble de conditions précises qui en définissent le domaine d’application. Deux éléments fondamentaux doivent être réunis : l’existence d’un copartageant débiteur et la présence d’une créance inscrite à l’actif de la masse partageable. 

A) Conditions relatives au débiteur

==>Qualités de copartageant et débiteur

En premier lieu, seuls les indivisaires appelés à concourir au partage peuvent être assujettis au rapport des dettes. Cette exigence, qui puise sa source dans l’article 864 du Code civil, implique que l’intéressé soit doté d’une vocation à se voir attribuer une fraction d’une masse indivise. Aussi, dès lors qu’un indivisaire prend part au partage, ses droits sur la masse doivent être ajustés à due concurrence des obligations qu’il a contractées envers celle-ci.

L’application du rapport des dettes ne se limite pas aux seules successions. Elle s’étend aux partages de communauté, notamment lorsque la dissolution du régime matrimonial impose un règlement des créances entre les époux (Cass. 1?? civ., 2 oct. 2001, n°99-11.375). Elle concerne également les indivisions conventionnelles, lorsque plusieurs indivisaires mettent fin à leur indivision et procèdent au partage des biens. De même, elle intervient dans le cadre du partage consécutif à la dissolution d’une société, lorsque les associés doivent se répartir les actifs indivis subsistants (Cass. civ., 8 févr. 1882). Dans chacune de ces hypothèses, la qualité de copartageant implique l’intégration au mécanisme d’allotissement des dettes, indépendamment de l’origine de la masse à partager.

En matière successorale, cette règle signifie que le titre en vertu duquel un successeur vient au partage est indifférent. Qu’il soit héritier ab intestat, légataire universel ou institué contractuel, il est soumis au rapport des dettes, dès lors qu’il participe à la répartition de la succession. En revanche, le légataire à titre particulier échappe à cette obligation, puisqu’il n’a pas vocation à prendre part à l’indivision successorale (Cass. 1?? civ., 6 déc. 2005, n°01-12.038). Cette règle illustre la distinction fondamentale entre le rapport des dettes et le rapport des libéralités. Contrairement à ce dernier, qui ne concerne que les héritiers présomptifs gratifiés, le rapport des dettes vise l’ensemble des copartageants dès lors qu’ils remplissent les conditions requises.

En second lieu, au-delà de la condition de copartageant, le rapport des dettes suppose également que l’indivisaire concerné soit débiteur d’une créance comprise dans la masse partageable. Cette dette peut avoir une origine diverse. Elle peut résulter d’une obligation contractée à l’égard du de cujus de son vivant, auquel cas elle est transmise à la succession et doit être réglée lors du partage. Elle peut également être née postérieurement à l’ouverture de la succession, lorsque l’indivisaire est tenu envers l’indivision en raison d’une obligation née durant la gestion des biens indivis.

L’indivisaire peut ainsi être débiteur de la masse successorale lorsqu’il a bénéficié d’un prêt consenti par le de cujus et demeuré impayé au jour du décès. Il peut aussi avoir perçu des fonds en vertu d’une procuration sur les comptes du défunt, dont il reste comptable envers la succession. De même, il peut être tenu au paiement d’une indemnité d’occupation lorsqu’il a joui privativement d’un bien indivis sans indemniser ses cohéritiers. Enfin, il peut être redevable envers la masse indivise s’il a perçu des revenus générés par un bien indivis sans les reverser à l’indivision ou si, en sa qualité d’administrateur des biens indivis, il a commis des fautes de gestion ayant causé un préjudice au patrimoine partagé.

Le rapport des dettes impose donc une stricte corrélation entre la qualité d’indivisaire appelé au partage et l’existence d’une dette à l’égard de la masse. Il vise à garantir que les créances détenues par la masse sur un copartageant ne puissent être éludées au moment de la répartition des biens. Dès lors que l’indivisaire concerné remplit ces deux conditions, il ne peut se soustraire à cette obligation et voit ses dettes imputées sur sa part.

==>L’exclusion des héritiers renonçants et indignes

L’héritier qui renonce à la succession est réputé n’avoir jamais été héritier (art. 805 C. civ.). Cette fiction juridique le soustrait de plein droit aux opérations de partage et, par voie de conséquence, au mécanisme du rapport des dettes. Néanmoins, cette exclusion ne saurait anéantir l’obligation qui lui incombe : sa dette demeure et doit être exécutée selon les principes du droit commun (Cass. civ., 8 août 1895).

Il en va de même pour l’héritier déclaré indigne, dont la déchéance des droits successoraux entraîne l’éviction pure et simple du partage. Dès lors qu’il ne revêt pas la qualité de copartageant, il échappe au rapport des dettes. Toutefois, l’indignité ne purge en rien l’obligation préexistante : la créance qui pèse sur lui conserve son plein effet et demeure exigible selon les voies de droit ordinaires.

Ces exclusions s’inscrivent dans la logique inhérente au rapport des dettes, lequel est intrinsèquement lié à la participation au partage. Le renonçant et l’indigne, étrangers à l’indivision successorale, ne sauraient être astreints aux ajustements opérés lors de la répartition. Ils demeurent tenus de s’acquitter de leurs obligations, mais hors du cadre liquidatif, selon les règles de droit commun.

==>La représentation successorale

La représentation successorale soulève une interrogation quant à l’application du rapport des dettes. Ce mécanisme, en vertu des articles 752 et 753 du Code civil, permet à un héritier de venir au partage en représentation d’un prédécédé, d’un indigne ou d’un renonçant. Dès lors, une question se pose : le représentant doit-il être tenu d’alloter, dans le partage, les dettes contractées par celui qu’il remplace ?

Deux positions doctrinales s’affrontent :

D’un côté, une lecture rigoureuse du principe du partage par souche pourrait conduire à imposer au représentant les obligations du représenté, en ce compris celles relevant du rapport des dettes. Cette approche repose sur l’idée que la représentation est une fiction juridique assurant la continuité des souches successorales. En venant au partage à la place de son auteur, le représentant se substituerait à lui non seulement dans ses droits, mais également dans ses charges, de sorte qu’il devrait se voir alloti des créances existant contre le représenté.

D’un autre côté, une analyse plus nuancée conduit à rejeter cette automaticité. Le représentant n’est pas personnellement débiteur des créances contractées par le représenté ; il ne s’est jamais directement engagé à leur paiement et ne saurait en répondre à titre propre. Or, le rapport des dettes trouve son fondement dans le principe de la confusion des qualités de créancier et de débiteur, laquelle suppose que ces deux qualités soient réunies en une seule et même personne. Cette condition fait défaut dans l’hypothèse du représentant, qui n’a jamais contracté la dette initiale. Dès lors, celle-ci ne saurait s’éteindre par l’effet du rapport et devrait être traitée selon les mécanismes de droit commun.

L’adoption de cette seconde solution a pour corollaire de concentrer le risque d’insolvabilité sur la souche successorale du représenté. Le représentant, bien que juridiquement étranger à la dette initiale, pourrait se voir grevé d’une obligation dont il n’est pas l’auteur, ce qui poserait un problème d’équité entre les copartageants. Une telle situation pourrait s’avérer particulièrement délicate dans l’hypothèse où la dette du représenté serait significative et excéderait les droits successoraux du représentant.

En l’état du droit positif, aucune disposition ne tranche expressément cette question. Contrairement au rapport des libéralités, où l’article 843 du Code civil impose au représentant d’alloter, dans le partage, les donations reçues par le représenté, aucune règle équivalente n’a été consacrée pour le rapport des dettes.

Dès lors, par prudence, il semble opportun de considérer que le successeur venant par représentation ne saurait, en principe, être tenu au rapport des dettes contractées par le représenté, sauf à ce qu’il en devienne lui-même débiteur par transmission du passif. Une clarification législative s’avérerait bienvenue afin de garantir une application homogène de ce mécanisme et d’écarter toute divergence d’interprétation susceptible d’engendrer des iniquités successorales.

B) Conditions relatives aux dettes

Le mécanisme du rapport des dettes, consacré par l’article 864 du Code civil, vise à assurer l’équité entre les copartageants en imposant à celui d’entre eux qui est débiteur d’une créance comprise dans la masse partageable d’en être alloti à due concurrence de ses droits. Cette règle, qui relève de la technique liquidative des successions et des indivisions, repose sur l’idée que les dettes d’un indivisaire à l’égard de la masse successorale doivent être régularisées au moment du partage, afin d’éviter que certains copartageants ne soient avantagés ou que l’actif partageable ne se trouve minoré au détriment des autres.

Toutefois, pour que le rapport des dettes puisse être mis en œuvre, certaines conditions doivent être réunies, tant en ce qui concerne l’origine de la dette que ses caractéristiques intrinsèques. Si le Code civil ne dresse pas une liste exhaustive des dettes concernées, la jurisprudence et la doctrine ont progressivement dégagé les principes directeurs qui en gouvernent l’application.

1. L’origine des dettes rapportables

L’article 864 du Code civil ne distingue pas selon l’origine ou la nature de la dette. Ainsi, le rapport des dettes peut indifféremment concerner des obligations d’origine contractuelle, légale, quasi-contractuelle, délictuelle ou quasi-délictuelle (Cass. 1ère civ., 11 juin 1981, n°80-11.177). La jurisprudence a admis que cette règle s’applique aux dettes résultant de l’annulation d’un acte juridique consacrant ainsi l’idée que le rapport des dettes constitue un mécanisme de régularisation des obligations entre copartageants, indépendamment du fait générateur de la créance.

L’essentiel est que la dette trouve sa source dans les relations entre le débiteur et la masse partageable. Ainsi, toute obligation née entre le de cujus et un héritier peut être rapportée, de même que celles contractées entre un indivisaire et l’indivision successorale.

Les dettes les plus fréquemment concernées par le rapport sont celles que l’héritier a contractées envers le défunt de son vivant. Il en va ainsi des prêts consentis par le de cujus et non remboursés à son décès, des avances sur héritage, ou encore des créances résultant d’une convention conclue avec le défunt. Ces créances figurent à l’actif de la succession et, en raison de l’absence d’effet extinctif du décès du créancier, elles doivent être réglées par le débiteur avant la répartition du patrimoine.

Un exemple marquant est celui des retraits effectués par un héritier grâce à une procuration sur les comptes du défunt. Si ces fonds ont été utilisés à titre personnel, l’héritier devra les rapporter à la succession (Cass. 1ère civ., 2 févr. 1999, n°96-21.460). Toutefois, si les sommes prélevées l’ont été dans l’intérêt du de cujus, la dette ne sera pas soumise au rapport, la charge de la preuve incombant alors au mandataire (Cass. 1ère civ., 21 nov. 1995, n°93-21.162).

Le rapport des dettes s’applique également aux obligations nées après l’ouverture de la succession, dès lors qu’elles résultent des relations entre l’indivisaire et la masse successorale. Ainsi, les sommes ou fruits encaissés par un indivisaire pour le compte de l’indivision doivent être restitués lors du partage (Cass. req. 23 avr. 1898). Il en va de même des indemnités d’occupation dues par l’indivisaire jouissant privativement d’un bien indivis (CA Angers, 2 sept. 1991) ou des sommes correspondant à des détériorations du bien indivis causées par un cohéritier (Cass. req. 17 nov. 1885).

Dans le même sens, il a été jugé par la Cour de cassation dans un arrêt du 19 octobre 1983 que l’indivisaire qui administre un bien dépendant de la succession sans en rendre compte peut être contraint de rétablir dans la masse partageable la valeur du bien ainsi appréhendé (Cass. 1?? civ., 19 oct. 1983, n°82-13.329).

En l’espèce, un héritier avait été désigné pour assurer l’administration provisoire d’un cabinet de conseil juridique et d’administrateur de biens dépendant de la succession. Or, il est apparu que cet indivisaire, exerçant lui-même une activité similaire, avait confondu ses propres opérations avec celles du cabinet hérité, sans tenir de comptabilité distincte ni produire de comptes de gestion. Cette confusion a conduit les juges du fond à constater l’impossibilité d’établir la consistance exacte des éléments du cabinet subsistant au jour du partage.

Se fondant sur les conclusions d’un expert, la cour d’appel a estimé que la seule manière de préserver l’égalité du partage était de retenir la valeur du cabinet au jour du décès, soit 120 000 francs, et de mettre cette somme à la charge de l’indivisaire en cause, avec intérêts au taux légal courant depuis l’ouverture de la succession.

La Cour de cassation a validé cette décision en considérant que l’héritier avait appréhendé cet élément d’actif dans sa consistance au jour du décès et que, faute de justification sur son usage et son état au moment du partage, il devait en restituer la valeur à l’indivision. Elle a ainsi confirmé la condamnation de l’intéressé à rétablir dans la masse successorale l’équivalent de la valeur du cabinet litigieux.

Cet arrêt illustre de manière particulièrement rigoureuse l’exigence de transparence et de reddition de comptes incombant à tout indivisaire ayant assumé la gestion d’un bien commun. Il consacre la règle selon laquelle l’indivisaire qui fait sien, sans autorisation ni justification, un élément du patrimoine successoral doit en restituer la valeur à la masse, afin de garantir le principe d’égalité entre copartageants.

Enfin, le rapport des dettes trouve également à s’appliquer lorsque la succession a payé à un tiers une dette incombant normalement à un cohéritier. Tel est l’enseignement qui peut être retiré d’un arrêt rendu par la Cour de cassation le 26 mars 1974 (Cass. 1ère civ. 26 mars 1974, n°72-13.132).

En l’espèce, un professionnel libéral était décédé en laissant pour héritiers sa veuve et ses trois enfants. L’un d’eux, ultérieurement placé en règlement judiciaire, était débiteur envers un tiers d’une somme correspondant à des détournements de fonds. Afin d’éviter des poursuites, le défunt s’était porté caution de cette dette. Après le décès, le créancier avait exercé un recours contre les héritiers, ce qui avait conduit la succession à s’acquitter de la dette et à se subroger dans les droits du créancier initial.

Les juges du fond avaient estimé que cette créance devait être rapportée à la masse successorale, dans la mesure où la succession s’était substituée au créancier initial. Confirmant cette solution, la Cour de cassation a jugé que, dès lors qu’une dette contractée par un héritier envers un tiers avait été acquittée par l’indivision, elle constituait une créance de cette dernière contre le débiteur initial et devait être réglée selon le mécanisme du rapport des dettes. L’arrêt relevait également que l’héritier débiteur avait bénéficié des éléments essentiels de la succession, ce qui justifiait encore davantage l’imputation de cette dette sur ses droits dans le partage.

Toutefois, la Cour de cassation a opéré une distinction essentielle en censurant partiellement la décision d’appel. Elle a rappelé que, conformément aux articles 829 et 830 du Code civil, seules les dettes ayant un lien direct avec l’indivision successorale peuvent être rapportées à la masse. Dès lors, elle a annulé l’arrêt en ce qu’il avait également inclus dans le rapport des dettes une somme avancée à l’héritier débiteur par son frère, ainsi que d’autres paiements effectués en sa faveur. Selon la Haute juridiction, ces créances résultaient de relations purement personnelles entre copartageants et ne pouvaient dès lors être soumises au mécanisme du rapport des dettes.

Cet arrêt illustre ainsi une double exigence : d’une part, le rapport des dettes s’applique lorsque l’indivision s’est substituée au créancier initial en s’acquittant d’une dette due par un cohéritier ; d’autre part, seules les dettes directement liées à l’indivision successorale peuvent être prises en compte, à l’exclusion de celles nées de rapports strictement personnels entre copartageants et dépourvues de tout lien avec l’indivision successorale.

2. Les caractères des dettes rapportables

Le rapport des dettes répond à une logique de justice distributive qui impose que les obligations pesant sur un copartageant soient traitées dans le cadre du partage, indépendamment de leur échéance. C’est en ce sens que l’article 864 du Code civil prévoit expressément que la dette n’a pas besoin d’être exigible au jour de l’ouverture de la succession pour être soumise au rapport. Ce principe, consacré de longue date par la jurisprudence (V. par ex. Cass. civ. 28 févr. 1866), vise à neutraliser l’effet des délais de paiement et à empêcher qu’un indivisaire ne bénéficie d’un avantage indu du seul fait d’un report d’exigibilité. Dès lors qu’une dette est juridiquement constituée, sa prise en compte dans le partage s’impose afin d’éviter que la répartition du patrimoine successoral ne soit faussée par des échéances différées.

Cette règle repose sur l’idée que le rapport des dettes ne saurait être conditionné par des facteurs contingents tenant à la structure de l’obligation. Une créance à terme, dès lors qu’elle est certaine et que son montant est déterminé, peut ainsi être allotie au copartageant débiteur sans qu’il soit nécessaire d’attendre son exigibilité. À défaut, on introduirait une iniquité entre les indivisaires, certains étant artificiellement exonérés de leur obligation simplement en raison d’un décalage temporel. Cette approche trouve une confirmation dans la jurisprudence, qui s’attache davantage à la certitude et à la liquidité de la dette qu’à son exigibilité immédiate.

Toutefois, pour être rapportable, la dette doit nécessairement présenter un caractère certain et liquide. À défaut, son allotissement au copartageant débiteur compromettrait l’égalité du partage et introduirait une source d’insécurité juridique. La Cour de cassation l’a rappelé dès 1885 (Cass. req. 17 nov. 1885), en posant comme condition que l’obligation soit clairement établie, tant dans son principe que dans son montant. Une dette dont l’existence serait litigieuse, ou dont l’évaluation resterait à faire, ne saurait faire l’objet d’un rapport, sous peine de grever un indivisaire d’une charge indéterminée, ce qui heurterait frontalement l’exigence de prévisibilité inhérente au partage successoral.

Néanmoins, cette exigence n’est pas absolue et connaît certains tempéraments. Ainsi, les dettes affectées d’une condition suspensive peuvent être rapportées dès lors que la créance existe en germe et que l’éventualité de son exigibilité future est suffisamment caractérisée. La cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 18 mars 2003, a admis cette possibilité, reconnaissant que la prise en compte anticipée d’une dette conditionnelle pouvait se justifier lorsque les circonstances permettaient d’en prévoir raisonnablement l’issue. Une telle solution s’inscrit dans la logique du rapport des dettes, qui tend à assurer une répartition équilibrée des charges entre les copartageants et à éviter qu’un indivisaire ne soit favorisé en raison d’une contingence juridique.

3. Compensation des dettes rapportables avec les créances contre la masse partageable

Le mécanisme du rapport des dettes, consacré par l’article 864 du Code civil, s’inscrit dans une logique d’équité en imposant à tout copartageant débiteur d’une obligation envers la masse partageable d’en supporter l’imputation lors du partage. Toutefois, ce principe ne saurait aboutir à ce qu’un copartageant débiteur soit contraint d’allotir l’intégralité de sa dette sans prise en compte des créances qu’il détient sur l’indivision. L’article 867 du Code civil prévoit ainsi que, dans une telle hypothèse, la dette ne sera rapportée qu’à concurrence du solde restant dû après compensation. Dès lors, seules les dettes excédant les créances réciproques du copartageant sur la masse partageable donnent lieu à un allotissement, évitant ainsi qu’un indivisaire se voie artificiellement grevé d’une obligation sans prise en compte des flux financiers inverses.

Ce mécanisme repose sur le principe de la compensation légale, défini aux articles 1347 et suivants du Code civil, qui permet l’extinction réciproque de dettes connexes entre deux parties lorsque plusieurs conditions sont réunies. L’application de ce dispositif dans le cadre du rapport des dettes implique ainsi de s’assurer de l’existence de créances réciproques entre le copartageant et la masse indivise.

D’abord, les obligations en présence doivent être certaines, liquides et exigibles. La compensation ne saurait se concevoir sur la base d’une créance incertaine, contestée ou encore en cours de liquidation, sous peine de rompre l’équilibre du partage et d’introduire un facteur d’instabilité dans la détermination des droits des copartageants. Seules les créances dont la consistance est juridiquement établie et dont l’échéance est acquise peuvent ainsi donner lieu à une imputation compensatoire.

Ensuite, l’identité des parties doit être caractérisée. La dette dont le copartageant est tenu envers l’indivision doit trouver son pendant dans une créance qu’il détient à l’encontre de cette même masse. Il ne saurait être question d’opérer une compensation entre des obligations relevant de rapports strictement personnels entre indivisaires, sans lien direct avec la masse partageable.

Enfin, la compensation doit s’exercer exclusivement sur des créances et dettes attachées à l’indivision, et non sur des obligations étrangères au partage. La jurisprudence veille à préserver cette stricte imputation, excluant notamment les créances personnelles des indivisaires de l’assiette du mécanisme compensatoire (Cass. 1?? civ., 28 mars 2018, n° 17-14.104).

Lorsque ces conditions sont réunies, la compensation s’opère automatiquement et préalablement à l’allotissement du copartageant. Dès lors, seul le solde restant dû après imputation réciproque est pris en compte dans le partage, assurant ainsi une répartition plus juste des charges successorales.

L’article 867 du Code civil trouve à s’appliquer dans diverses situations où un copartageant, tout en étant débiteur envers l’indivision, dispose également d’une créance sur cette dernière.

  • Le règlement des charges indivises : lorsqu’un indivisaire a avancé des fonds pour acquitter des dépenses grevant l’indivision, telles que la taxe foncière, les charges de copropriété ou encore les frais d’entretien du bien indivis, il bénéficie d’une créance en retour. Si, parallèlement, il est tenu de rapporter une dette à l’indivision, la compensation s’opérera entre ces flux financiers, et seul l’éventuel solde restant dû après imputation donnera lieu à allotissement.
  • Les améliorations apportées au bien indivis : l’indivisaire qui a financé des travaux d’amélioration d’un bien indivis peut prétendre à une créance compensatoire en raison de la plus-value générée. Si, en parallèle, il est redevable d’une indemnité d’occupation en raison d’un usage privatif du bien, la compensation interviendra avant toute répartition, prévenant ainsi un double prélèvement qui altérerait l’équilibre du partage.
  • Les avances consenties entre copartageants : lorsque l’un des indivisaires a avancé des sommes aux autres copartageants afin de faciliter la gestion de l’indivision, ces créances croisées peuvent également faire l’objet d’une compensation, dès lors qu’elles relèvent directement du compte d’indivision.

En pratique, les notaires procèdent souvent à l’établissement de comptes d’indivision permettant d’enregistrer ces créances et dettes et d’aboutir à un solde net avant le partage. Toutefois, contrairement au compte de récompenses en matière de régimes matrimoniaux (art. 1468 et 1470 C. civ.), ce compte demeure une simple faculté et ne constitue pas une exigence impérative.

Si le mécanisme de la compensation permet un partage de la masse indivise plus équitable, elle ne saurait s’appliquer sans restriction.

D’une part, les règles de prescription propres à chaque créance ou dette demeurent indépendantes du processus compensatoire. Contrairement à ce qu’avait jugé à tort une cour d’appel, la prescription d’une créance du copartageant ne peut être suspendue jusqu’au partage, ainsi que l’a rappelé la Cour de cassation dans son arrêt du 28 mars 2018 (Cass. 1?? civ., 28 mars 2018, n° 17-14.104). L’application de l’article 2224 du Code civil impose ainsi de veiller à ce que les droits des indivisaires ne se trouvent pas indûment prorogés par l’effet de la compensation.

D’autre part, la compensation ne s’impose que si ses conditions sont réunies, et ne peut être invoquée sur des créances incertaines ou encore soumises à des conditions suspensives non réalisées. Ainsi, la seule perspective d’une créance future ne saurait justifier une imputation immédiate, la jurisprudence ayant exclu une telle anticipation en matière de partage successoral.

Enfin, la compensation ne modifie pas l’ordre des allotissements et ne confère aucun droit préférentiel à l’indivisaire qui l’invoque. Elle permet seulement de garantir que son obligation nette, après imputation réciproque, soit équitablement répartie dans l’opération de partage.

4. Preuve des dettes rapportables

Le rapport des dettes, en ce qu’il constitue une modalité d’allotissement spécifique lors du partage, suppose que la dette invoquée contre un copartageant soit préalablement établie dans son principe et dans son montant. Cette exigence découle de la nécessité d’assurer une parfaite égalité entre les indivisaires et de prévenir toute imputation arbitraire d’une obligation sur l’un d’entre eux. Dès lors, la charge de la preuve repose naturellement sur celui qui sollicite le rapport de la dette.

La jurisprudence a admis que cette preuve peut être apportée par tous moyens (Cass. civ. 24 juill. 1918). Ce principe se justifie par la diversité des origines des dettes rapportables, qui peuvent découler d’actes contractuels, de quasi-contrats, d’obligations légales ou encore d’engagements informels entre le défunt et l’héritier concerné. Ainsi, la preuve d’une dette susceptible d’être alloti dans le partage peut résulter de documents écrits, d’attestations, d’éléments comptables ou encore d’un faisceau d’indices suffisamment précis et concordants permettant d’établir l’existence de l’obligation.

Toutefois, lorsque la dette provient de mouvements financiers opérés sur les comptes du défunt, la charge de la preuve connaît un aménagement. En présence de retraits effectués par un héritier mandataire disposant d’une procuration bancaire, il incombe à ce dernier de justifier l’usage des fonds prélevés. La Cour de cassation a fermement consacré cette règle dans un arrêt du 2 février 1999, précisant que le mandataire, tenu de rendre compte de sa gestion, doit démontrer que les sommes perçues ont été employées conformément aux intérêts du défunt et qu’elles ne constituent pas une dette susceptible d’être rapportée (Cass. 1ère civ., 2 févr. 1999, n°96-21.460). Ce renversement de la charge de la preuve s’explique par le devoir de transparence qui pèse sur le mandataire, lequel ne peut se contenter d’un simple silence ou d’un défaut de justification de la part des autres héritiers pour éluder ses responsabilités.

En outre, les juges du fond exercent un contrôle strict sur ces prélèvements, notamment lorsque leur montant excède les besoins habituels du défunt ou qu’ils ont été effectués dans des circonstances suspectes, en particulier à l’approche du décès. À défaut d’explication convaincante du mandataire, ces retraits peuvent être assimilés à des dettes rapportables, et leur imputation s’effectue alors sur sa part successorale.

5. Prescription des dettes rapportables

Le jeu du rapport des dettes trouve une limite dans l’effet de la prescription extinctive. Une dette qui s’est éteinte par l’effet de la prescription au jour du décès du défunt ne peut plus être imputée sur la part successorale de l’héritier débiteur, faute d’existence juridique. La Cour de cassation a réaffirmé ce principe dans un arrêt du 12 février 2020, précisant que le rapport ne peut porter que sur des obligations encore valides au moment du partage (Cass. 1?? civ. 12 févr. 2020, n°18-23.573).

L’extinction de la dette par prescription obéit aux règles de droit commun et s’apprécie selon la nature de l’obligation concernée. Depuis la réforme opérée par la loi du 17 juin 2008, le délai de prescription de droit commun est fixé à cinq ans (art. 2224 C. civ.), ce qui peut conduire à une extinction rapide des créances lorsque celles-ci n’ont pas fait l’objet de réclamations régulières. Dans la pratique successorale, cette brièveté du délai peut entraîner la perte du recours contre un copartageant débiteur si aucune reconnaissance de dette ou interruption de la prescription n’est intervenue avant le décès du créancier.

Toutefois, la prescription n’opère pas toujours une extinction pure et simple de la dette. Lorsque le créancier successoral – en l’occurrence, le défunt – s’est abstenu de réclamer le paiement, cette inaction peut être interprétée comme une volonté implicite de renoncer à son droit. En pareille hypothèse, la remise de dette constitue une libéralité indirecte, soumise aux règles du rapport des libéralités. L’article 843 du Code civil impose en effet aux héritiers gratifiés de rapporter à la succession les avantages qu’ils ont reçus du défunt pour assurer l’égalité entre les copartageants. Ainsi, si la remise de dette est jugée intentionnelle et gratuite, elle ne relève plus du rapport des dettes, mais de celui des libéralités, modifiant en conséquence le mode de règlement de l’indivision.

Enfin, la charge de la preuve de la prescription repose sur le copartageant débiteur. Celui qui entend se prévaloir de l’extinction de sa dette doit démontrer que le délai applicable était écoulé à la date du décès du défunt. En cas de contestation, la prescription ne sera opposable que si l’héritier débiteur parvient à établir qu’aucun acte interruptif ou suspensif n’a été accompli dans l’intervalle. À défaut, la dette reste due et peut faire l’objet d’un allotissement dans le partage.

II) Mise en œuvre

A) Le moment d’exécution du rapport des dettes

Le rapport des dettes, qui constitue un mécanisme essentiel à l’équilibre des opérations de partage, se distingue par une exécution qui varie selon le moment où intervient son règlement. Tant que l’indivision subsiste, le rapport demeure une simple faculté, laissée à la discrétion du copartageant débiteur. Mais dès lors que le partage devient effectif, il se transforme en une obligation impérative, s’imposant à lui de plein droit.

1. Avant le partage : un règlement facultatif

Durant l’indivision, le copartageant débiteur n’est nullement contraint de procéder immédiatement au rapport de sa dette. Il jouit de la faculté d’en différer l’exécution, repoussant ainsi son règlement au moment du partage. Cette prérogative, désormais érigée en principe par l’article 865, alinéa 1??, du Code civil, trouve son fondement dans une jurisprudence bien établie, qui avait déjà consacré l’impossibilité, pour les créanciers de l’indivision, d’exiger un paiement anticipé des dettes rapportables (Cass. 1?? civ., 31 janv. 1989, n° 87-11.829).

Toutefois, ce principe ne saurait revêtir un caractère absolu, certaines dettes échappant au report d’exigibilité. Tel est le cas des créances relatives aux biens indivis, qui doivent être acquittées sans délai. Ainsi, lorsqu’un indivisaire est redevable d’une indemnité d’occupation en raison d’une jouissance privative (art. 815-9, al. 2 C. civ.), du produit net de la gestion d’un bien indivis (art. 815-12 C. civ.) ou encore des fruits et revenus indivis qu’il aurait perçus sans y être fondé (art. 815-10 C. civ.), ces dettes ne sauraient faire l’objet d’un sursis. L’article 865 du Code civil opère ainsi un cantonnement du principe général, en soumettant ces créances au régime de l’exigibilité immédiate (Cass. 1?? civ., 14 avr. 2021, n°19-21.313).

D’un point de vue pratique, cette dualité de régime influe directement sur la gestion patrimoniale des indivisaires. Tant que l’indivision perdure, le copartageant débiteur dispose d’une marge de manœuvre : il peut soit s’acquitter immédiatement de sa dette, soit en différer le règlement jusqu’au partage. Cette latitude lui permet d’adapter son choix en fonction de sa situation financière, des contraintes économiques et des perspectives patrimoniales qui s’offrent à lui.

2. Au moment du partage : un règlement obligatoire

Si le copartageant débiteur a pu repousser l’exécution de sa dette tant que durait l’indivision, ce choix n’est plus envisageable une fois venu le temps du partage. L’article 864 du Code civil prévoit en effet que, lorsque le partage intervient, la dette doit impérativement être rapportée et intégrée aux opérations de liquidation. Dès lors, l’imputation devient automatique et aucun refus n’est possible.

Cette exécution forcée du rapport peut s’opérer sous trois formes distinctes :

  • Le rapport en moins prenant, qui constitue la règle de principe : la dette est imputée directement sur la part du copartageant débiteur, réduisant ainsi l’actif qui lui revient.
  • Le prélèvement sur la masse partageable, notamment lorsque l’imputation directe est impossible ou insuffisante.
  • L’allotissement spécifique, qui consiste à attribuer au copartageant débiteur un lot correspondant à sa dette, lorsque l’équilibre du partage l’exige.

La jurisprudence a rappelé que cette obligation s’impose même lorsque la dette excède la part successorale du copartageant débiteur (Cass. 1?? civ., 14 déc. 1983, n°82-14.725). Dans ce cas, le solde restant dû demeure à la charge du débiteur, qui devra s’en acquitter selon les modalités prévues initialement par l’obligation.

B) Les modalités d’exécution du rapport des dettes

Le rapport des dettes répond à un régime spécifique visant à assurer l’équilibre entre les héritiers lors du partage successoral. Consacré par l’article 864 du Code civil, il repose sur le mécanisme du rapport en moins prenant, permettant à l’héritier débiteur d’être alloti de la créance dont il est redevable à due concurrence de ses droits dans la succession. Cette technique favorise un règlement simplifié des dettes successorales tout en évitant la nécessité d’un remboursement immédiat. Toutefois, plusieurs ajustements peuvent être nécessaires en fonction de la situation des copartageants et de la composition de la masse successorale.

1. Le principe du rapport en moins prenant

Lorsqu’un copartageant est débiteur envers l’indivision, la créance existant contre lui est intégrée dans la masse partageable et lui est allouée lors du partage. Ce mécanisme, qualifié de rapport en moins prenant, obéit à une logique comptable permettant au copartageant débiteur d’être rempli de ses droits à hauteur de sa dette tout en évitant un paiement immédiat (art. 864, al. 1er C. civ.).

a. Imputation de la dette dans la masse successorale

L’article 864, alinéa 1??, du Code civil prévoit que lorsque la masse partageable comprend une créance à l’encontre d’un copartageant, celui-ci en est alloti dans le partage à concurrence de ses droits dans la masse. Ce mécanisme repose sur une opération purement comptable, dans laquelle la dette du copartageant vient diminuer sa part successorale, sans nécessiter de transfert de fonds.

Ce mode de règlement présente plusieurs avantages :

  • Il évite d’exiger un paiement immédiat du copartageant débiteur, ce qui pourrait parfois s’avérer difficile.
  • Il simplifie le partage en intégrant la créance à la masse successorale, assurant une répartition équilibrée entre les héritiers.
  • Il permet l’extinction automatique de la dette par confusion, évitant ainsi toute contestation ultérieure.

L’application de ce mécanisme peut être aisément comprise à travers un exemple chiffré.

Supposons une succession dans laquelle :

  • L’actif successoral net s’élève à 400 000 €.
  • Deux héritiers, A et B, héritent à parts égales, soit 200 000 € chacun.
  • A est débiteur de la succession à hauteur de 50 000 € (par exemple, en raison d’un prêt que lui avait consenti le défunt).

Afin d’intégrer la dette dans la succession, on ajoute la créance de 50 000 € à l’actif successoral pour obtenir la masse partageable :

Masse partageable = 400 000 € + 50 000 € = 450 000 €

Ainsi, la masse à partager entre les deux héritiers est portée à 450 000 €, soit 225 000 € chacun.

Allotissement de l’héritier débiteur A

  • A reçoit en priorité la créance dont il est débiteur : 50 000 € sont ainsi imputés sur ses droits successoraux.
  • Ce montant s’éteint par confusion, conformément à l’article 864, alinéa 1??, du Code civil.
  • Son droit successoral s’élevant à 225 000 €, il lui reste encore 175 000 € à recevoir en biens ou en liquidités.

Attribution de l’héritier B

  • L’héritier B, non débiteur, se voit attribuer 225 000 € en biens ou en liquidités, correspondant intégralement à sa part successorale.

A l’analyse, l’imputation de la dette dans la masse partageable repose sur une opération équilibrée qui ne crée aucun enrichissement injustifié au profit des héritiers.

En effet, l’effet immédiat de cette technique est l’extinction de la dette de l’héritier débiteur. L’article 864, alinéa 1??, du Code civil précise expressément que la dette s’éteint par confusion dès lors qu’elle est allouée à l’héritier débiteur. Il s’agit d’un mécanisme proche de la confusion des qualités de créancier et de débiteur (Cass. 1ère civ., 26 déc. 1960).

Ainsi, A ne devra plus rien à la succession, et aucun paiement effectif n’est exigé. La dette est purement et simplement absorbée par l’imputation.

L’un des principaux intérêts de l’imputation de la dette est qu’elle évite toute liquidation forcée des biens successoraux.

  • Si l’héritier débiteur était tenu de rembourser immédiatement sa dette en numéraire, il pourrait être contraint de vendre des actifs (notamment un bien immobilier familial).
  • En procédant par imputation, on maintient la stabilité de l’actif successoral et on préserve l’unité des biens indivis.

Dans notre exemple, A ne subit aucun appauvrissement immédiat, et B n’a pas à attendre un remboursement qui pourrait s’avérer incertain.

En imputant la dette sur la part successorale de A, la répartition demeure strictement équitable :

  • A perçoit bien 225 000 € en valeur, mais cette somme inclut les 50 000 € de dette dont il était redevable.
  • B ne subit aucune perte et reçoit sa part intégrale de 225 000 €.

b. Limite de l’imputation : l’obligation de paiement du solde

==>L’insuffisance de la créance détenue contre l’indivision pour éteindre la dette du copartageant

Si la dette du copartageant excède ses droits dans l’indivision, l’imputation ne suffit plus à assurer son extinction intégrale. L’article 864, alinéa 2, du Code civil prévoit ainsi que le copartageant reste tenu du paiement du solde, selon les conditions initiales de l’obligation.

Prenons une hypothèse où l’héritier A est redevable d’une somme plus importante :

  • L’actif successoral est toujours de 400 000 €.
  • A est débiteur de 250 000 € envers la succession.
  • La masse partageable, incluant cette créance, est de 650 000 €, soit 325 000 € de droits pour chaque héritier.

Conséquence du dépassement de la part successorale :

  • A reçoit en priorité la créance existant contre lui à hauteur de 325 000 €.
  • Cependant, sa dette s’élève à 250 000 €, ce qui dépasse ses droits successoraux (225 000 €).
  • L’imputation opère à hauteur de 225 000 €, mais il reste un solde de 25 000 € à payer.

L’héritier débiteur devra donc s’acquitter du reliquat auprès des cohéritiers, dans les conditions et délais initialement attachés à l’obligation.

==>L’incidence de l’insuffisance de la créance détenue contre l’indivision sur le droit au partage

Pour mémoire, l’article 815 du Code civil énonce le principe selon lequel « nul ne peut être contraint à demeurer dans l’indivision », consacrant ainsi le droit pour tout indivisaire de provoquer le partage à tout moment. Toutefois, lorsque l’un des héritiers se trouve débiteur à l’égard de la succession et que l’allotissement de sa dette épuise intégralement ses droits dans la masse successorale, se pose la question de savoir s’il demeure en mesure d’exercer ce droit.

Dans un arrêt du 14 décembre 1983, la Cour de cassation a semblé exclure cette faculté pour un héritier dont la dette excédait sa part successorale (Cass. 1ère civ. 14 déc. 1983, n°82-14.725). En l’espèce, un défunt laissait à sa succession plusieurs enfants et une veuve usufruitière. L’un des héritiers, ayant été placé en règlement judiciaire, voyait son syndic solliciter le partage de la succession ainsi que la licitation des immeubles indivis. Or, il apparaissait que d’importantes sommes avaient été versées par le défunt et son épouse pour acquitter certaines dettes de cet héritier, créant ainsi une dette rapportable excédant largement ses droits successoraux.

La cour d’appel, statuant sur cette demande de partage, avait relevé que la dette rapportable dépassait très largement la part successorale de l’héritier débiteur. Dès lors, elle avait rejeté la demande en partage et en licitation, en estimant que cet héritier, n’ayant plus de droits résiduels dans la succession après imputation de sa dette, ne pouvait plus prétendre à une quelconque attribution et, partant, ne disposait plus du droit d’agir en partage.

La Cour de cassation valide cette solution et affirme que, lorsqu’un héritier est débiteur envers la succession d’une somme supérieure à sa part successorale, il ne peut lui être fait dans le partage aucune attribution. Dans ces conditions, ses créanciers personnels, agissant par voie oblique, ne sauraient avoir plus de droits que lui. En d’autres termes, non seulement l’héritier ne peut plus prétendre au partage, mais ses créanciers, qui n’ont vocation qu’à exercer par subrogation les droits de leur débiteur, ne peuvent davantage provoquer ce partage pour tenter d’en tirer profit.

La portée de cet arrêt ne saurait cependant être interprétée de manière absolue. Il convient en effet de distinguer l’existence du droit au partage et l’intérêt à agir dans un tel cadre.

D’un point de vue strictement juridique, l’héritier demeure indivisaire tant que le partage n’a pas été réalisé. Il conserve donc, en principe, son droit de provoquer le partage, indépendamment de sa situation patrimoniale. De surcroît, le rapport des dettes est lui-même une opération de partage, et lui refuser ce droit reviendrait à priver l’héritier débiteur d’un mode de règlement favorable de son obligation.

Cependant, l’arrêt du 14 décembre 1983 met en lumière une limite tenant à l’absence d’intérêt à agir en partage. Dès lors que l’héritier débiteur ne dispose plus d’aucun droit réel dans la masse successorale, le partage devient, pour lui, une opération dénuée d’effet : il ne saurait obtenir une attribution en biens ou en valeur, et ses créanciers ne pourraient espérer recouvrer une quelconque somme via cette voie. En ce sens, l’arrêt ne nie pas tant un droit abstrait au partage qu’il ne sanctionne une situation où l’héritier n’a rien à revendiquer dans l’indivision.

Ainsi, l’héritier débiteur peut en principe provoquer le partage, mais lorsque sa dette excède intégralement ses droits successoraux, cette faculté devient théorique et privée d’objet. Son intérêt à agir disparaît dès lors que son allotissement par imputation épuise la totalité de ses droits dans la succession.

L’autre enseignement majeur de cette décision réside dans l’impossibilité, pour les créanciers personnels de l’héritier débiteur, d’exercer l’action en partage par voie oblique (art. 1341-1 C. civ.).

L’action oblique, qui permet aux créanciers d’un débiteur inactif d’exercer ses droits afin de préserver leur gage, suppose que ce dernier dispose encore d’un droit effectif à faire valoir. Or, en l’absence de tout droit résiduel dans la succession après imputation de sa dette, le partage ne saurait produire pour l’héritier débiteur aucun effet utile. Dès lors, ses créanciers personnels ne sauraient obtenir, par l’exercice d’une action oblique, plus de droits que leur débiteur.

Dans l’arrêt du 14 décembre 1983, la Cour de cassation a expressément refusé aux créanciers d’un héritier débiteur la possibilité de provoquer le partage, au motif que ce dernier ne disposait plus d’aucun droit patrimonial dans la succession.

Il ne s’agit donc pas d’une interdiction de principe d’agir en partage pour un créancier oblique, mais d’une conséquence logique de l’absorption totale des droits successoraux par l’imputation de la dette. Le partage, dans une telle configuration, est dépourvu de substance, puisqu’aucune attribution ne peut être réalisée au profit du débiteur, et, par voie de conséquence, au bénéfice de ses créanciers.

L’équilibre successoral repose ainsi sur un double constat :

  • Le partage suppose une répartition effective de l’actif indivis entre les héritiers, ce qui implique que chacun conserve des droits dans la masse successorale.
  • Lorsqu’un héritier voit ses droits totalement absorbés par l’imputation de sa dette, il ne peut prétendre à aucune attribution et ne peut, en conséquence, procurer à ses créanciers aucune valeur issue de la succession.

Dans ce contexte, la Cour de cassation veille à éviter toute instrumentalisation de l’action en partage à des fins purement opportunistes. Le partage ne saurait être imposé aux cohéritiers dans un but purement artificiel, dès lors qu’il ne produirait aucun effet utile pour l’héritier débiteur et, par ricochet, pour ses créanciers.

Imaginons une succession comprenant :

  • Un actif net de 500 000 €.
  • Une dette rapportable de 300 000 €, dont l’héritier A est redevable.
  • Une masse partageable portée à 800 000 € après intégration de cette créance (500 000 € + 300 000 €).
  • Deux héritiers, A et B, disposant chacun, en théorie, de 400 000 € de droits successoraux.

Dans cette configuration :

  • L’imputation en moins prenant absorbe les 400 000 € de droits de A, qui se trouve donc totalement privé de toute attribution effective dans la succession.
  • Ses créanciers personnels tentent alors d’exercer son droit au partage par voie oblique, espérant recouvrer des fonds sur la masse successorale.
  • Toutefois, comme A n’a plus aucun droit résiduel dans l’indivision, le partage ne leur apporterait rien.

Dès lors, en application de l’arrêt du 14 décembre 1983, ces créanciers ne peuvent obtenir le partage, car ils ne sauraient revendiquer plus de droits que leur débiteur. L’action oblique, qui vise normalement à pallier l’inertie du débiteur, se heurte ici à l’absence même de droit à faire valoir.

En refusant aux créanciers personnels de l’héritier débiteur la possibilité d’agir en partage, la Cour de cassation préserve la stabilité des opérations successorales. Une solution inverse aurait conduit à une immixtion excessive des créanciers dans le règlement des successions, au mépris des droits des autres cohéritiers.

Ce mécanisme permet ainsi d’éviter deux écueils majeurs :

  • L’exploitation opportuniste du droit au partage par des créanciers extérieurs à la succession, qui chercheraient à imposer un partage sans que leur débiteur puisse en tirer le moindre bénéfice.
  • L’instabilité successorale, qui pourrait résulter d’actions répétées des créanciers tentant de forcer un partage alors même qu’aucune valeur n’est recouvrable pour eux.

La portée de cet arrêt est donc claire : le droit au partage est un droit successoral attaché à la qualité d’héritier, et non un outil à la disposition des créanciers pour forcer un partage dénué d’objet. Dès lors que l’imputation de la dette épuise totalement les droits successoraux de l’héritier concerné, le partage perd toute finalité économique et ne peut être sollicité ni par lui, ni par ses créanciers.

c. Cas particulier des créances croisées entre copartageants

L’article 867 du Code civil prévoit que le mécanisme de la compensation joue lorsque le copartageant débiteur dispose lui-même d’une créance à faire valoir contre la succession. Avant toute imputation, un solde est établi, permettant d’opérer une neutralisation partielle des dettes et créances respectives.

Imaginons que A soit à la fois débiteur et créancier de la succession :

  • A doit 50 000 € à la succession.
  • A détient aussi une créance de 20 000 € contre la succession (par exemple, une somme qu’il avait avancée pour payer les frais funéraires).

Mise en œuvre de la compensation :

  • La créance de 20 000 € est déduite de la dette de 50 000 €.
  • Après compensation, A ne doit plus que 30 000 € à la succession.
  • Cette somme sera alors intégrée dans la masse partageable et imputée sur ses droits successoraux.

Grâce à cette compensation préalable, A évite une double imputation, ce qui garantit une neutralité économique et une répartition fidèle à la réalité des obligations respectives.

2. L’alternative au rapport en moins prenant : les prélèvements

Si le rapport en moins prenant demeure la méthode privilégiée pour assurer l’exécution du rapport des dettes, il n’est pas toujours réalisable. En particulier, dans le cadre d’un partage judiciaire impliquant un tirage au sort des lots, l’attribution de la créance au copartageant débiteur devient impossible (art. 826 C. civ.). Dans une telle configuration, il est alors nécessaire d’avoir recours à une méthode alternative, celle des prélèvements, qui permet de rétablir l’égalité entre les copartageants tout en assurant la répartition des biens successoraux.

Contrairement au rapport en moins prenant, qui repose sur une imputation directe de la dette au sein du lot du débiteur, la technique des prélèvements repose sur une logique inverse : ce sont les autres héritiers qui prélèvent, sur la masse successorale, une valeur équivalente au montant de la dette rapportable avant toute répartition.

En d’autres termes, au lieu d’attribuer la créance au copartageant débiteur et de réduire son lot en conséquence, les cohéritiers non débiteurs effectuent un prélèvement compensatoire, ce qui diminue d’autant l’actif successoral disponible pour être partagé. Ce mécanisme permet ainsi d’intégrer la dette au processus de partage sans avoir à l’allouer directement au débiteur.

Imaginons une succession comprenant les éléments suivants :

  • Un immeuble évalué à 300 000 € ;
  • Des liquidités s’élevant à 60 000 € ;
  • Une dette rapportable de 40 000 €, dont l’héritier A est débiteur.

En raison d’un désaccord entre les cohéritiers, le partage ne peut être réalisé à l’amiable et doit être effectué judiciairement par tirage au sort des lots. Or, dans ce cadre, l’imputation directe de la dette au sein du lot de A devient impossible, car un tel mécanisme supposerait que A puisse être alloti précisément du lot contenant la créance, ce qui n’est pas garanti lors d’un tirage au sort.

Solution retenue : le prélèvement compensatoire

  • Masse successorale initiale : 360 000 € (300 000 € + 60 000 €).
  • Prélèvement compensatoire réalisé par B : 40 000 €.
  • Masse résiduelle à partager : 320 000 € (360 000 € – 40 000 €).
  • Droits de chaque héritier après prélèvement : 160 000 € chacun.
  • Constitution de deux lots équivalents à 160 000 € chacun, permettant ainsi le tirage au sort, conformément aux règles du partage judiciaire.

Ainsi, la dette de A a bien été neutralisée au sein de la succession, sans qu’il soit nécessaire de lui en allouer directement la charge. L’équilibre successoral est maintenu, chaque cohéritier recevant sa juste part, tandis que l’incertitude liée au tirage au sort est évitée.

Si le prélèvement constitue une solution technique efficace, il demeure rarement mis en œuvre en raison des nombreux inconvénients qu’il présente.

Le premier écueil de cette méthode tient à son effet réducteur sur l’actif successoral. En effet, en permettant aux cohéritiers non débiteurs d’opérer un prélèvement compensatoire, la technique diminue la masse des biens à partager, ce qui peut engendrer des difficultés de répartition.

Exemple :

Si la succession comprend un bien immobilier d’une valeur de 300 000 € et des liquidités de 60 000 €, un prélèvement de 40 000 € sur la masse successorale réduit la part disponible, risquant ainsi d’entraîner la vente forcée du bien pour assurer une égalité entre les héritiers.

En comparaison, le rapport en moins prenant évite cette difficulté en maintenant l’intégralité de la masse successorale intacte, puisque la dette est imputée directement sur le lot du débiteur.

Le prélèvement suppose nécessairement :

  • Une évaluation précise des biens successoraux afin de déterminer la valeur exacte du prélèvement compensatoire.
  • Un accord entre les héritiers sur la méthode de compensation.

Or, en pratique, la valorisation des biens peut être contestée, notamment lorsque la succession comporte des actifs immobiliers, dont la valeur fluctue selon les conditions du marché. L’absence de consensus sur le bien sur lequel doit porter le prélèvement risque alors de prolonger inutilement le règlement successoral.

Illustration :

Si la succession comprend deux immeubles d’une valeur estimée à 150 000 € chacun, un héritier pourrait contester l’attribution d’un immeuble entier en compensation du prélèvement, au motif que sa valeur réelle excède le montant de la dette rapportable.

Le prélèvement modifie l’équilibre initialement prévu par les règles successorales, en créant un déséquilibre dans la répartition des biens.

Ainsi, un héritier bénéficiant du prélèvement pourrait recevoir des biens de moindre valeur ou se voir contraint d’accepter un bien qu’il ne souhaitait pas initialement.

De plus, cette méthode introduit un risque de contentieux, les héritiers pouvant contester le bien-fondé du prélèvement ou la modalité de répartition des biens résiduels.

C) L’effet de l’exécution du rapport des dettes

1. L’impact sur la masse partageable

L’exécution du rapport des dettes entraîne une modification immédiate de la composition de la masse partageable. Conformément à l’article 864, alinéa 1??, du Code civil, lorsque la succession comprend une créance à l’encontre de l’un des héritiers, cette créance est réintégrée dans la masse successorale et attribuée au débiteur à concurrence de ses droits. Cette réintégration a une incidence purement comptable : elle majore artificiellement l’actif successoral sans pour autant entraîner un apport effectif de fonds.

L’objectif du mécanisme est double :

  • Préserver l’égalité entre les cohéritiers en évitant qu’un héritier débiteur bénéficie d’un avantage indu en ne rapportant pas les sommes dont il a profité.
  • Empêcher un appauvrissement de la succession qui résulterait d’un remboursement immédiat, lequel pourrait imposer une cession forcée de biens successoraux.

Cependant, il convient de noter que cette intégration comptable ne modifie pas la consistance des biens à partager. Elle se traduit par une augmentation arithmétique de la masse successorale, sans affecter la composition physique du patrimoine, sauf lorsque le solde de la dette excède les droits de l’héritier débiteur, auquel cas celui-ci demeure redevable du reliquat envers la succession.

2. L’application du principe du nominalisme monétaire

Le rapport des dettes est soumis au principe du nominalisme monétaire, consacré à l’article 1895 du Code civil, selon lequel « l’obligation qui résulte d’un prêt en argent n’est toujours que de la somme énoncée au contrat ». 

Ainsi, lorsqu’un copartageant est débiteur envers l’indivision, il ne doit rapporter que le montant nominal de sa dette, sans réévaluation en fonction de l’évolution monétaire ou de la valeur du bien acquis grâce aux fonds empruntés. Ce principe, consacré par la jurisprudence, a été renforcé par la loi du 23 juin 2006, qui a clairement distingué le rapport des dettes du rapport des libéralités.

==>L’application du nominalisme monétaire dans le rapport des dettes entre copartageants

Bien que le nominalisme monétaire soit une règle de droit commun en matière d’obligations pécuniaires, il revêt une importance particulière dans le cadre de l’indivision. Lorsqu’un copartageant a une dette envers l’indivision, celle-ci doit être intégrée dans la masse partageable pour son montant nominal, sans que sa valeur puisse être réajustée en fonction d’événements postérieurs.

La réforme du 23 juin 2006 a permis de clarifier cette règle. Sous l’ancien régime, l’article 869 du Code civil prévoyait que le rapport d’une somme d’argent devait s’effectuer pour son montant nominal, sauf si cette somme avait servi à l’acquisition d’un bien. Dans ce cas, le rapport devait être effectué pour la valeur du bien acquis au jour du partage. Ce mécanisme, qui s’appliquait au rapport des libéralités, avait un temps été étendu au rapport des dettes, générant une confusion entre ces deux notions (Cass. 1?? civ. 18 janv. 1989).

Désormais, avec la suppression de l’ancien article 869 et son remplacement par l’article 860-1 du Code civil, seul le rapport des libéralités est susceptible de faire l’objet d’une revalorisation en fonction de la valeur du bien acquis grâce à la somme rapportable. Le rapport des dettes, quant à lui, demeure exclusivement régi par le nominalisme monétaire. Ainsi, même si les fonds empruntés ont permis d’acquérir un bien dont la valeur a fortement évolué, le copartageant débiteur n’est tenu de rapporter que la somme nominale de la dette initiale.

La jurisprudence a confirmé l’application stricte du nominalisme monétaire au rapport des dettes à l’occasion d’un arrêt de principe rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 29 juin 1994 (Cass. 1ère civ., 29 juin 1994, n°92-15.253). Cet arrêt a définitivement écarté l’application de l’ancien article 869 du Code civil, qui régissait le rapport des libéralités, au rapport des dettes entre copartageants. Désormais, aucune revalorisation des dettes rapportables n’est admise, quelle que soit la destination des fonds empruntés.

L’affaire soumise à la Haute juridiction illustre parfaitement cette nouvelle règle. Il s’agissait d’un prêt d’un million de francs consenti par un père à son fils pour l’acquisition d’un immeuble. Après le décès du prêteur, l’indivision successorale se retrouvait créancière de cette somme. Un litige s’éleva entre les cohéritiers quant aux modalités de rapport de cette dette : fallait-il l’imputer pour son montant nominal, ou devait-on, par analogie avec le rapport des libéralités d’argent, tenir compte de la valeur actuelle du bien acquis grâce aux fonds prêtés ?

La cour d’appel avait retenu que l’indivision était créancière de la somme nominale d’un million de francs, correspondant au montant initial du prêt, sans revalorisation. La Cour de cassation a censuré cette décision en affirmant que « si le rapport des dettes prévu par l’article 829 du Code civil n’est qu’une technique de règlement qui n’obéit pas aux règles de l’article 869 du même Code, lequel concerne exclusivement le rapport des libéralités, le cohéritier débiteur n’en doit pas moins réaliser le rapport de sa dette en moins prenant, par imputation sur sa part, et non en effectuer le paiement ».

Deux enseignements peuvent être tirés de cette décision :

  • Premier enseignement
    • Contrairement aux libéralités, dont le rapport peut être effectué en valeur, le rapport des dettes se fait uniquement pour son montant nominal.
    • L’ancien article 869 du Code civil, qui prévoyait une exception pour les libéralités ayant servi à financer l’acquisition d’un bien, ne saurait s’appliquer aux dettes.
  • Second enseignement
    • L’héritier ou le copartageant débiteur ne doit pas effectuer un paiement, mais uniquement une imputation sur sa part dans l’indivision, à hauteur de la dette existante.

En d’autres termes, quelle que soit la finalité du prêt, celui-ci demeure soumis au principe du nominalisme monétaire. Ainsi, quand bien même l’immeuble acquis grâce aux fonds empruntés aurait vu sa valeur évoluer entre le moment du prêt et celui du partage, cette fluctuation ne saurait être prise en compte. La dette demeure rapportable pour son montant nominal, et non pour la valeur du bien acquis.

Par cette décision, la Cour de cassation a ainsi confirmé une jurisprudence constante, refusant toute assimilation entre prêt et libéralité, et affirmant que le rapport des dettes constitue une opération purement comptable, déconnectée de la variation de valeur des biens acquis grâce aux sommes prêtées.

==>L’exclusion de l’application du valorisme monétaire dans le rapport des dettes entre copartageants

L’indépendance du rapport des dettes à l’égard du rapport des libéralités s’explique par leur nature fondamentalement distincte. Tandis que le rapport des libéralités tend à rétablir l’égalité entre les copartageants en tenant compte de la valeur réelle des biens transmis, le rapport des dettes repose exclusivement sur une logique comptable. Il ne poursuit d’autre finalité que l’intégration des créances existantes contre l’un des copartageants dans la masse partageable, sans altérer la consistance des biens à répartir.

L’application du nominalisme monétaire à cette opération se justifie par plusieurs considérations. Tout d’abord, une dette ne saurait être assimilée à un avantage consenti à titre gratuit. Alors qu’une libéralité modifie de manière définitive la structure patrimoniale du gratifié, en augmentant son patrimoine sans contrepartie, une dette crée une obligation de remboursement, qui empêche de la considérer comme une libéralité. Il serait donc incohérent de soumettre ces deux mécanismes à une même règle d’évaluation, d’autant que le rapport des libéralités répond à une finalité d’équité entre les copartageants, tandis que le rapport des dettes vise simplement à organiser la répartition des droits successoraux ou indivis.

Le principe du nominalisme monétaire trouve également sa justification dans le fait que le copartageant débiteur conserve toujours la possibilité de s’exécuter par un paiement volontaire avant le partage. Tant que l’indivision subsiste, il peut solder sa dette en numéraire, ce qui lui permet de ne pas être alloti de sa créance dans le partage. Dès lors, il serait illogique que le montant de la dette rapportable varie selon qu’elle est réglée par paiement ou par imputation. Cette analyse a d’ailleurs été confirmée par la jurisprudence, qui a rappelé que la dette rapportable ne peut être réévaluée et qu’elle doit être imputée à son montant nominal, conformément au principe du nominalisme monétaire (Cass. 1?? civ. 13 janv. 1998, n°96-11.688).

Enfin, l’application stricte de ce principe implique que, même si les fonds empruntés ont été utilisés pour acquérir un bien dont la valeur a fortement évolué depuis l’octroi du prêt, le copartageant débiteur ne saurait être tenu de rapporter une somme supérieure à celle qu’il a initialement reçue. Peu importe l’appréciation ou la dépréciation éventuelle de l’actif financé, la dette demeure évaluée à sa valeur nominale, sans prise en compte de la destination des fonds. C’est ainsi que le rapport des dettes s’affirme comme une opération purement comptable, déconnectée de toute logique de réajustement patrimonial entre les copartageants.

==>L’exception des dettes de valeur

Si le principe du nominalisme monétaire constitue la règle générale en matière de rapport des dettes, certaines créances échappent par nature à cette logique et doivent être évaluées selon d’autres critères. Il s’agit de dettes dont l’objet présente une variabilité intrinsèque, qu’il s’agisse de leur libellé en monnaie étrangère, de leur indexation sur un indice ou encore de leur exécution en nature. Ces situations dérogatoires illustrent les limites du nominalisme monétaire et la nécessité d’adopter une approche plus souple pour garantir une évaluation conforme à la réalité économique du partage.

  • Les dettes libellées en devises étrangères
    • Lorsqu’une dette rapportable est contractée en monnaie étrangère, son évaluation ne saurait s’opérer en appliquant rigoureusement le nominalisme monétaire, sous peine d’introduire un décalage significatif entre la valeur initiale de l’obligation et son montant actualisé au moment du partage. 
    • Il est en effet admis que le règlement d’une telle dette doit tenir compte du taux de change en vigueur au jour du partage, et non de celui applicable au jour de la naissance de l’obligation.
    • Cette solution a été consacrée par la jurisprudence, notamment par un arrêt du 10 juin 1976 aux termes duquel la Cour de cassation a jugé qu’une dette libellée en dollars devait être évaluée à la date de son règlement et non à sa valeur en francs français au moment de son octroi (Cass. 1ère civ. 10 juin 1976, n°75-10.798).
    • Ainsi, un copartageant débiteur d’une somme en monnaie étrangère ne rapportera pas nécessairement l’équivalent en euros de ce qu’il devait lors de la naissance de l’obligation, mais la somme convertie sur la base du taux de change applicable au jour du partage.
    • Cette exception se justifie par la nature fluctuante des devises, dont la valeur est susceptible d’évoluer de manière significative entre la date de contraction de la dette et celle de son règlement. 
    • En fixant l’évaluation au jour du partage, la jurisprudence entend assurer une équivalence économique entre les parties, en prenant en compte la réalité monétaire du moment où la dette est effectivement apurée.
  • Les dettes indexées
    • Certaines dettes rapportables sont assorties d’une clause d’indexation, prévoyant une revalorisation automatique en fonction d’un indice de référence, tel que l’inflation, le coût de la construction ou un indice sectoriel spécifique.
    • Dans ces cas, l’application stricte du nominalisme monétaire serait contraire à la volonté des parties et à la nature même de l’obligation, qui a vocation à évoluer dans le temps afin de refléter une valeur actualisée.
    • Ainsi, lorsqu’un copartageant est tenu de rapporter une dette indexée, son montant sera nécessairement ajusté en fonction de l’indice applicable au jour du partage. 
    • Loin d’être une remise en cause du principe du nominalisme monétaire, cette exception trouve son fondement dans la nature même de l’engagement souscrit, qui implique une réévaluation systématique et contractuellement prévue.
    • L’application de cette règle se rencontre fréquemment dans les dettes résultant de contrats de prêt assortis d’une clause de révision du taux d’intérêt ou d’obligations financières indexées sur des indices économiques.
    • Dans ces hypothèses, le copartageant débiteur ne pourra rapporter sa dette qu’à hauteur de son montant réévalué, conformément aux conditions initiales de l’obligation.
  • Les obligations de restitution en nature
    • Enfin, certaines dettes rapportables ne peuvent être réduites à une simple somme d’argent et impliquent une restitution en nature.
    • Il en va ainsi lorsque l’obligation porte sur un bien déterminé, tel qu’un objet d’art, des titres financiers ou un actif dont la valeur intrinsèque est fluctuante.
    • Dans ces cas, le principe du nominalisme monétaire cède nécessairement le pas au valorisme, l’évaluation devant tenir compte de la valeur réelle du bien au jour du partage.
    • Prenons l’exemple d’un copartageant ayant reçu en prêt une collection de tableaux, dont il est tenu de restituer l’équivalent patrimonial lors du partage.
    • Si ces œuvres ont vu leur valeur s’accroître de manière significative au fil des années, la dette ne pourra être évaluée à hauteur de la somme nominale initialement convenue.
    • L’évaluation devra s’opérer en fonction de la valeur vénale des œuvres au jour du partage, afin d’assurer un règlement conforme à la consistance réelle de la masse successorale.
    • De même, lorsqu’un copartageant est tenu de restituer des titres financiers ou des actifs soumis à une fluctuation de valeur, l’évaluation doit nécessairement tenir compte de la cotation en vigueur au moment du partage.
    • L’application stricte du nominalisme monétaire conduirait à des distorsions manifestes, en obligeant le débiteur à rapporter une somme sans lien avec la valeur actuelle du bien concerné.

Ces exceptions, bien que résultant de cas très spécifiques, révèlent que le nominalisme monétaire n’est pas une règle absolue et qu’il peut céder dans certaines situations où l’évaluation monétaire stricte ne reflète pas la réalité patrimoniale du partage. Toutefois, ces tempéraments concernent uniquement des dettes dont l’objet présente une variabilité intrinsèque, et ne remettent aucunement en cause l’application du principe du nominalisme monétaire aux dettes de sommes d’argent.

En définitive, si les dettes libellées en devises étrangères, les obligations indexées et les restitutions en nature échappent au nominalisme monétaire, ce principe joue pour toutes les dettes strictement pécuniaires, qui restent soumises aux dispositions de l’article 1895 du Code civil. C’est ainsi que le droit positif maintient une distinction nette entre les dettes de sommes d’argent, qui restent évaluées à leur valeur nominale, et les dettes de valeur, dont l’évaluation doit tenir compte des fluctuations affectant leur objet.

3. La production d’intérêts sur les dettes rapportables

L’article 866 du Code civil instaure un régime autonome régissant la production d’intérêts sur les dettes rapportables. Il s’agit d’une évolution notable, car, sous l’empire du droit antérieur, la jurisprudence appliquait de manière indifférenciée aux dettes et aux libéralités rapportables les règles de l’article 856 du Code civil, lequel prévoit que les fruits des choses sujettes à rapport sont dus à compter de l’ouverture de la succession. Désormais, les dettes rapportables obéissent à des règles propres, qui tiennent compte de leur origine et de leur nature.

==>Une production d’intérêts de plein droit, au taux légal ou conventionnel

L’alinéa premier de l’article 866 du Code civil dispose que les dettes rapportables produisent intérêt au taux légal, sauf stipulation contraire. Il en résulte que, même si l’obligation initiale n’était pas productrice d’intérêts avant l’ouverture de la succession, elle le devient de plein droit dès lors qu’elle est soumise au mécanisme du rapport.

Cette solution, appliquée de façon constante par la jurisprudence (Cass. 1ère civ., 15 mai 2001, n°99-10.286), a été expressément consacrée par le législateur. Les intérêts sont dus sans qu’une mise en demeure soit nécessaire, ce qui distingue ces obligations des dettes civiles ordinaires.

Toutefois, les coïndivisaires conservent la faculté de convenir d’un taux distinct du taux légal, sous réserve du respect des limites fixées par les règles relatives au taux d’usure. Ainsi, si le de cujus avait prévu contractuellement un taux d’intérêt supérieur ou inférieur au taux légal pour la dette concernée, cette stipulation demeure applicable, conformément au principe de la force obligatoire du contrat.

==>Le point de départ des intérêts

L’article 866 du Code civil distingue selon que la dette rapportable est née avant la constitution de l’indivision ou qu’elle est survenue en cours d’indivision.

  • Les dettes préexistantes à l’indivision
    • Lorsque la dette existait avant l’ouverture de l’indivision – que celle-ci résulte d’un décès, d’un divorce, d’une dissolution de PACS ou de la cessation d’une indivision conventionnelle – les intérêts commencent à courir dès la constitution de l’indivision.
    • Cette règle assure la continuité du régime juridique des créances détenues contre un copartageant et s’inscrit dans la lignée des solutions jurisprudentielles antérieures, qui admettaient déjà que les créances préexistantes à l’indivision produisent intérêts dès le jour de la naissance de celle-ci (Cass. 1ère civ, 8 juin 2004, n°01-15.044).
    • Ainsi, un indivisaire débiteur d’une somme envers l’indivision au jour de sa constitution ne peut différer le cours des intérêts : la dette est réputée immédiatement exigible à l’égard des autres copartageants, ce qui justifie l’application du taux légal dès la naissance de l’indivision.
  • Les dettes nées en cours d’indivision
    • Lorsque la dette naît après la constitution de l’indivision, les intérêts ne courent qu’à compter du jour où elle devient exigible. 
    • Cette solution, désormais consacrée par l’article 866 du Code civil, rompt avec la jurisprudence antérieure, qui, dans certains cas, admettait que les intérêts puissent courir dès la constitution de l’indivision, même lorsque la dette lui était postérieure (Cass. 1ère civ., 5 avr. 2005, n°01-12.810 et 01-15.367).
    • Désormais, le texte met fin à cette incertitude en retenant une règle claire et sécurisante : tant qu’une dette contractée par un indivisaire dans le cadre de l’indivision n’est pas exigible, elle ne produit pas d’intérêts.
    • Ce principe permet d’éviter qu’un copartageant se voie imposer des intérêts moratoires alors même qu’il n’a pas encore été mis en demeure d’exécuter son obligation.

Il peut être observé que lorsque le montant de la dette n’est pas déterminé au jour de la constitution de l’indivision, les intérêts ne peuvent courir qu’à compter de la fixation de son montant. Ce principe, dégagé par la jurisprudence (Cass. 1ère civ., 27 janv. 1987, n°85-15.336), repose sur une considération de bon sens : il serait manifestement inéquitable d’exiger des intérêts sur une obligation dont l’assiette demeure indéterminée.

Cette règle trouve notamment à s’appliquer dans les situations où le montant de la dette fait l’objet d’une contestation entre copartageants ou lorsque son évaluation nécessite un processus préalable (par exemple, lorsqu’il s’agit d’une dette de valeur liée à un actif dont la valorisation est fluctuante). Dans ces hypothèses, les intérêts ne commencent à courir qu’à compter du moment où la dette est définitivement liquidée, en cohérence avec la nature indemnitaire des intérêts moratoires.

==>L’anatocisme

Le mécanisme de l’anatocisme – c’est-à-dire la capitalisation des intérêts pour produire eux-mêmes des intérêts – est admis dans le cadre du rapport des dettes. Cette solution trouve son fondement dans l’ancien article 1154 du Code civil (devenu l’article 1343-2), ainsi que dans une jurisprudence bien établie (Cass. 1ère civ., 19 oct. 1983, n° 82-11.982).

Toutefois, l’anatocisme ne saurait s’appliquer automatiquement. Il suppose :

  • Que les intérêts soient dus pendant au moins une année entière avant de pouvoir être capitalisés.
  • Qu’une demande expresse soit formulée par l’un des copartageants pour obtenir la capitalisation des intérêts (Civ. 1??, 23 mars 1994, n° 92-13.345).

Ainsi, bien que le rapport des dettes puisse donner lieu à une production d’intérêts capitalisables, leur accumulation reste strictement encadrée et soumise à des conditions précises.

==>L’assiette des intérêts

Enfin, l’assiette des intérêts doit être précisément définie. Toutes les dettes rapportables ne produisent pas nécessairement intérêts sur l’intégralité de leur montant. Seules les sommes excédant les droits du copartageant débiteur dans la masse indivise génèrent des intérêts.

La jurisprudence a confirmé cette solution en jugeant que seules les dettes restant exigibles après imputation sur les droits dans l’indivision sont productives d’intérêts (CA Paris, 23 oct. 1986).

Autrement dit, lorsqu’un copartageant est débiteur envers l’indivision, la compensation entre sa dette et ses droits indivis s’opère en priorité. Ce n’est qu’à hauteur du solde demeurant exigible après compensation que des intérêts seront dus. Cette règle vise à éviter qu’un copartageant, bien que débiteur, ne soit excessivement pénalisé par une accumulation d’intérêts sur une dette qui, pour partie, s’impute naturellement sur ses droits dans l’indivision.