Les conditions requises pour succéder ou l’aptitude à hériter: existence et absence d’indignité successorale

La mort n’est pas la fin. Elle met seulement un terme à ce qui a commencé et à ce qui a vécu. Mais la vie se poursuit à travers ce qui reste et continue à exister.

Lorsque la Camarde vient frapper à la porte de celui dont l’heure est venue, le trépas emporte certes extinction de la personnalité juridique. Le défunt laisse néanmoins derrière lui un patrimoine, sans maître, qui a vocation à être immédiatement transmis à ceux qui lui survivent.

Cette transmission du patrimoine qui intervient concomitamment au moment du décès est exprimée par l’adage hérité de l’ancien droit « le mort saisit le vif par son hoir le plus proche ».

Ce principe procède de l’idée que la personne du défunt survit à travers ses successeurs – héritiers et légataires – lesquels ont vocation à recueillir l’ensemble de ses biens, mais également la totalité de ses dettes.

Parce que l’ouverture d’une succession s’accompagne d’enjeux, en particulier financiers, souvent importants, elle est de nature à plonger la famille dans une crise qui sera parfois profonde, les successeurs se disputant le patrimoine du défunt.

Le droit ne peut bien évidemment pas rester indifférent à cette situation qui menace la paix sociale et dont l’Histoire a montré qu’elle pouvait conduire à l’effondrement de royaumes entiers. La succession de Charlemagne a profondément marqué l’Histoire de France.

Bien que les héritiers soient immédiatement saisis à la mort du défunt, ce qui, concrètement, signifie qu’ils entrent en possession de son patrimoine sans période intercalaire, la transmission qui s’opère n’échappe pas à l’emprise du droit.

À cet égard, les règles qui connaissent de la transmission à cause de mort forment ce que l’on appelle le droit des successions.

Il ressort de ce corpus normatif que la transmission par voie successorale peut être réglée :

  • Soit par l’effet de la loi
    • On parle de succession ab intestat, ce qui signifie qui littéralement « sans testament»
    • Dans cette hypothèse, c’est donc la loi qui désigne les héritiers et détermine la part du patrimoine du de cujus (celui de la succession duquel il s’agit) qui leur revient
  • Soit par l’effet de la volonté
    • On parle ici de transmission par voie testamentaire, car résultant de l’établissement d’un acte appelé testament.
    • Dans cette hypothèse, c’est le de cujus qui désigne les personnes appelées à hériter (légataires) et qui détermine les biens ou la portion de biens (legs) qu’il leur entend leur léguer.

Que la transmission à cause de mort s’opère par l’effet de la loi ou par l’effet d’un testament, elle requiert, dans les deux cas, et au préalable, l’ouverture de la succession du défunt.

Une fois la succession ouverte, seules pourront être appelées les personnes qui justifient des qualités requises pour hériter.

En effet, pour succéder au de cujus, deux conditions cumulatives doivent être remplies :

  • D’une part, l’héritier doit exister au jour de l’ouverture de la succession
  • D’autre part, l’héritier ne doit pas être frappé d’une cause indignité successorale

§1 : L’existence de l’héritier

L’article 725 du Code civil prévoit que « pour succéder, il faut exister à l’instant de l’ouverture de la succession ou, ayant déjà été conçu, naître viable. »

Il ressort de cette disposition que pour hériter, il convient d’exister, ce qui dès lors interroge sur la définition de ce verbe.

Dans le langage courant, on dit d’une personne qu’elle existe lorsqu’elle est en vie par opposition à une personne décédée qui n’existe plus.

Reste que, comme observé par Michel Grimaldi, « ce n’est pas de l’existence physique qu’il s’agit, mais de l’existence juridique, c’est-à-dire de la personnalité juridique, de l’aptitude à acquérir des droits »[1].

Aussi, l’existence telle qu’envisagée à l’article 725 du Code civil, ne correspond pas en tout point à celle définie en biologie.

Pour exemple, sous l’empire du droit antérieur, les personnes condamnées à une peine de mort civile étaient privées de leur capacité à hériter, alors même qu’elles étaient encore en vie.

En droit des successions, la notion d’existence s’est ainsi construite sur la base d’un certain nombre de fictions juridiques qui, tantôt conduisent à attribuer la qualité d’héritier à des personnes qui n’existent pas encore, tantôt à refuser la qualité d’héritier à des personnes auxquelles on reconnaît pourtant une existence juridique.

Afin d’appréhender la condition tenant à l’existence, il convient donc de déterminer qu’elles sont les personnes qui sont pour

I) Les personnes pourvues de l’aptitude à hériter

Deux enseignements peuvent être retirés de l’article 725 du Code civil qui pose l’existence comme première condition à l’octroi de la qualité d’héritier :

  • D’une part, le respect de la condition tenant à l’existence de la personne appelée à hériter doit être apprécié au jour de l’ouverture de la succession
  • D’autre part, l’existence commence au jour de la conception, pourvu que l’enfant naisse vivant et viable

A) Le moment de l’appréciation de l’existence

Conformément à l’article 725 du Code civil, les personnes auxquelles on reconnaît l’aptitude à hériter sont celles qui existent « à l’instant de l’ouverture de la succession ».

L’existence de la personne appelée à succéder doit ainsi être appréciée au moment où la succession s’ouvre, soit au jour où le de cujus est réputé mort.

La raison en est que, en application du principe de continuité de la personne du défunt, la transmission de son patrimoine doit intervenir concomitamment à son décès.

Aussi, est-ce pour éviter qu’une rupture ne vienne affecter cette transmission, qu’il a été décidé que seules les personnes qui existaient au jour de l’ouverture de la succession étaient aptes à hériter.

B) La conception comme point de départ de l’existence

L’article 725 du Code civil prévoit que « pour succéder, il faut exister à l’instant de l’ouverture de la succession ou, ayant déjà été conçu, naître viable. »

Aussi, est-ce au moment de la conception de l’enfant qu’il y a lieu de se placer pour déterminer si au jour de l’ouverture de la succession, il est apte à hériter. Encore faut-il que celui-ci naisse vivant et viable.

1. Principe

==> Énoncé du principe

Définir l’existence consiste, au fond, à déterminer là où elle commence et là où elle se termine.

S’agissant de la fin de l’existence, elle ne soulève pas de réelle difficulté dans la mesure où un seul événement peut servir de borne : la mort.

S’agissant, en revanche, du début de l’existence, la question est plus délicate : doit-on retenir comme date de commencement la naissance ou la conception de la personne ?

La difficulté a été tranchée dès l’entrée en vigueur du Code civil. Ses rédacteurs ont retenu la seconde option en reprenant le principe exprimé par l’adage « infans conceptus pro nato habetur quoties de commodis ejus agitur ».

Pris dans son sens littéral, cet adage signifie que l’enfant conçu est considéré comme né chaque fois qu’il y va de son intérêt.

Aussi, l’enfant posthume, soit celui qui naît postérieurement au décès de l’un ou l’autre de ses parents, serait apte à hériter, le principe dit de l’infans conceptus, faisant commencer l’existence humaine, non pas au jour de la naissance, mais au moment de la conception.

Il n’est donc pas nécessaire d’être né pour succéder, il suffit d’avoir été conçu au jour de l’ouverture de la succession.

À l’analyse, il y a quelque chose de contradictoire à, d’un côté, octroyer des droits à enfant dès sa conception et, d’un autre côté poser que la personnalité juridique ne s’acquiert qu’au jour de la naissance.

Pour être titulaire de droits, il faut être pourvu d’une capacité de jouissance. Or cette capacité est étroitement attachée à la personnalité juridique.

En toute rigueur, un enfant ne devrait donc être apte à recueillir des droits qu’au jour de sa naissance.

Aussi, est-ce pour surmonter cette difficulté que la règle infans conceptus fait rétroagir, par le jeu d’une fiction juridique, les effets de la naissance au moment de la conception.

==> Justification du principe

L’instauration de la règle « infans conceptus » se justifie essentiellement pour deux raisons :

  • Première raison
    • Il est scientifiquement établi que la vie commence dès le stade de la conception ; c’est à ce moment que l’on fixe le point de départ de l’existence
    • Indépendamment de l’argument scientifique qui est relativement récent, cette réalité a très tôt été admise chez les juristes.
    • La preuve en est les romains qui sont à l’origine de la règle, laquelle a, par suite, été reprise, dans les mêmes termes, par les rédacteurs du Code civil qui voyaient également dans la conception le commencement de l’existence
  • Seconde raison
    • Reconnaître à l’enfant, dès sa conception, l’aptitude à hériter participe d’une volonté d’instaurer une égalité successorale entre enfants.
    • L’égalité commande, en effet, d’octroyer à l’enfant seulement conçu les mêmes droits que ceux dont sont titulaires ses frères et sœurs déjà nés.
    • Pourquoi opérer une différence de traitement entre eux alors que tous existent au jour du décès de leur parent ? L’admettre reviendrait à créer une rupture d’égalité fondée sur la seule antériorité de la naissance.
    • Or cela s’est contraire à l’article 735 du Code civil qui dispose que « les enfants ou leurs descendants succèdent à leurs père et mère ou autres ascendants, sans distinction de sexe, ni de primogéniture, même s’ils sont issus d’unions différentes.».

2. Conditions

Il ressort de l’article 725 du Code civil que deux conditions cumulatives doivent être réunies pour que l’enfant seulement conçu soit apte à hériter :

  • D’une part, la conception doit être antérieure à l’ouverture de la succession
  • D’autre part, l’enfant doit être né vivant et viable

a. Première condition : l’exigence d’antériorité de la conception au décès

Si, en application de l’article 725 du Code civil, pour succéder il suffit que l’enfant ait « déjà été conçu », encore faut-il que sa conception soit antérieure à l’ouverture de la succession.

Dès lors que la conception est postérieure au décès, il est trop tard. La condition tenant à l’existence n’est, par hypothèse, plus remplie. Or pour recueillir des droits il faut, a minima, exister.

La question qui alors se pose est de savoir à quel moment l’enfant peut-il être réputé avoir été conçu.

Pour déterminer la date de conception, il y a lieu de faire jouer les deux présomptions légales à l’article 311 du Code civil.

  • Première présomption
    • L’article 311, al. 1er du Code civil prévoit que « la loi présume que l’enfant a été conçu pendant la période qui s’étend du trois centième au cent quatre-vingtième jour, inclusivement, avant la date de la naissance»
    • Cette présomption étant de portée générale, elle peut être appliquée aux fins de déterminer si l’enfant conçu est apte à hériter.
    • En substance, la présomption posée par le texte répute la conception intervenir entre le 300e jour et le 125e jour avant la naissance de l’enfant.
    • On en déduit qu’un enfant né au plus tard 300 jours après le décès du de cujus sera apte à hériter.
    • Sous l’empire du droit antérieur, il s’agissait là d’une présomption irréfragable, qui ne pouvait donc pas être renversée.
    • Dans un arrêt du Ogez du 9 juin 1959, la Cour de cassation avait jugé en ce sens qu’« en fixant à 180 et 300 jours le minimum et le maximum de la durée de gestation, l’article 312 du Code civil a posé une présomption qui n’est pas susceptible de preuve contraire ; que doit, en conséquence, être déclaré illégitime sur l’action en contestation engagée par application de l’article 315 du même Code l’enfant né plus de 300 jours après la dissolution du mariage» ( 1ère civ. 9 juin 1959, n°58-10.038)
    • La loi n°72-3 du janvier 1972 est venue modifier cet état du droit en conférant un caractère simple à cette présomption qui a été transférée à l’article 311.
    • Il en résulte qu’elle peut être combattue par la preuve contraire.
    • Aussi, tout ne serait pas perdu pour un enfant qui naîtrait plus de trois cents jours après le décès du de cujus: s’il prouve que sa conception est intervenue antérieurement à l’ouverture de la succession, il pourra succéder.
    • Prenons l’exemple d’un enfant qui naîtrait 301 jours après le décès du de cujus.
    • En application de l’article 311, al. 1er du Code civil, il est a priori dépourvu de la qualité d’héritier.
    • Il lui est néanmoins possible de prouver qu’il a été conçu 304 jours avant sa naissance, de sorte qu’il était déjà conçu au moment du décès et que, par voie de conséquence, il était bien apte à succéder au défunt.
  • Seconde présomption
    • L’article 311, al. 2e du Code civil prévoit que « la conception est présumée avoir eu lieu à un moment quelconque de cette période, suivant ce qui est demandé dans l’intérêt de l’enfant. »
    • Il ressort de ce texte que la conception est réputée intervenir à n’importe quel moment entre le 300e jour et le 125e jour avant la naissance de l’enfant.
    • La date qu’il y a lieu de retenir est celle qui lui est la plus favorable, ce qui s’agissant d’acquérir la qualité à hériter sera celle qui précède le décès du de cujus.
    • Cette présomption dite omni meliore momento (au moment le plus favorable) est comme la précédente une présomption simple de sorte qu’elle souffre la preuve contraire.
    • Dans ces conditions, la qualité d’héritier d’un enfant né durant la période de conception légale pourra lui être contestée s’il est établi qu’en réalité il a été conçu postérieurement au décès du de cujus.
    • Prenons l’exemple d’un enfant qui naîtrait 298 jours après le décès du défunt
    • Dans cette hypothèse, il est présumé avoir été conçu entre le 298e et le 300e jour avant sa naissance.
    • Sa qualité d’héritier pourra toutefois lui être contestée s’il est établi qu’il a, en réalité, été conçu 297 jours avant sa naissance.
    • Si cette preuve est rapportée, l’enfant ne pourra alors pas être appelée à la succession de cujus.

b. Seconde condition : l’exigence de naissance d’un enfant vivant et viable

==> Notion de viabilité

Il ne suffit pas que l’enfant ait été conçu avant le décès du de cujus. Encore faut-il qu’il naisse vivant et viable.

Aussi, l’aptitude à succéder de l’enfant non encore né à est assortie d’une condition résolutoire qui ne sera levée que s’il répond à l’exigence de viabilité.

N’est donc pas apte à hériter l’enfant qui :

  • Soit est mort-né
  • Soit naît vivant, mais non viable

Toute la question est alors de savoir ce que recouvre la notion d’enfant né viable. Selon Philippe Salvage, la viabilité serait un « faisceau de critères relatifs s’articulant autour des idées de maturité et de conformation et se manifestant par l’autonomie végétative de l’être »[2].

Autrement dit, la viabilité suppose que :

  • D’une part, l’enfant soit doté d’une constitution en ordre de fonctionnement présentant un niveau de maturité suffisant pour lui permettre de vivre de façon autonome
  • D’autre part, il soit porteur de tous les organes essentiels à l’existence.

En substance, pour être considéré comme viable, l’enfant ne doit donc présenter aucune anomalie qui serait incompatible avec la vie.

Dans un arrêt du 8 février 1830, la Cour d’appel de Bordeaux a jugé en ce sens que « selon l’ancien droit, un enfant était viable quand il était né vivant, à terme, bien conformé et avec tous les organes nécessaires à la vie » (CA Bordeaux, 8 février. 1830, S., 1830.2.164 ; D., 1830.160).

L’exigence de viabilité procède d’une approche pragmatique. Pourquoi reconnaître la qualité d’héritier à un enfant qui est condamné à mourir avant d’avoir vécu ?

Il convient de ne pas perdre de vue le sens de l’institution qu’est la succession : transmettre un patrimoine aux personnes qui survivent au de cujus et qui participeront de la continuation de sa personne.

À quoi bon transmettre ce patrimoine à un enfant qui ne sera, par hypothèse, pas en capacité de jouer ce rôle ? Rien ne le justifie, raison pour laquelle le législateur subordonne l’acquisition de la qualité d’héritier à la viabilité de l’être non encore né.

S’agissant de l’approche juridique de la viabilité, elle est assise sur une présomption simple.

Autrement dit, l’enfant est présumé viable, dès lors que, d’une part, il naît et que, d’autre part, il est en vie au moment de la naissance.

==> L’abandon des critères de l’OMS

Reprenant les préconisations formulées par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), une circulaire prise le 22 juillet 1993 par le ministère de la santé présume que l’enfant est viable lorsque deux critères alternatifs sont remplis :

  • La naissance de l’infant intervient à plus de 22 semaines d’aménorrhée chez la mère
  • L’enfant pèse au moins cinq cents grammes.

Cette circulaire visait à préciser les règles relatives à l’état civil issues de la loi du 8 janvier 1993 et, en particulier, l’article 79-1 du Code civil qui traite de l’inscription à l’état civil de l’enfant décédé avant son inscription à l’état civil.

En application de cette disposition, l’enfant bénéficie d’un état civil complet dès lors qu’un certificat médical indique qu’il est né vivant et viable et précise les jour et heure de naissance et de décès.

À défaut d’un tel certificat médical, l’officier de l’état civil doit établir un acte d’enfant sans vie.

Sous l’empire du droit antérieur, cet acte ne pouvait toutefois pas être dressé lorsque le fœtus ne répondait pas aux critères de viabilité de la circulaire.

Par trois arrêts du 6 février 2008, la Cour de cassation a sanctionné cette pratique en jugeant que « l’article 79-1, alinéa 2, du code civil ne subordonne l’établissement d’un acte d’enfant sans vie ni au poids du fœtus, ni à la durée de la grossesse » (Cass. 1ère civ. 6 févr. 2008, n°06-16.498, n°06-16.499, n°06-16.500).

En exigeant que l’enfant soit né à plus de 22 semaines d’aménorrhée chez la mère ou qu’il pèse au moins cinq cents grammes, la première chambre civile estime que la circulaire du 22 juillet 1993 a ajouté au texte des conditions qu’il ne prévoyait pas.

==> Présomption de viabilité

Afin de déterminer si un enfant est viable, il y a donc lieu de se départir des critères de viabilité posés par la circulaire du 22 juillet 1993 qui, d’ailleurs ont, consécutivement aux arrêts rendus par la Cour de cassation, été définitivement été écartés par le décret n°2008-800 du 20 août 2008 relatif à l’application du second alinéa de l’article 79-1 du code civil.

Désormais, il convient plutôt de raisonner sur la base de la présomption de viabilité qui s’infère de la jurisprudence (V. notamment CA Bordeaux, 8 février. 1830, S., 1830.2.164 ; D., 1830.160)

Il est, en effet, admis que la viabilité de l’enfant est présumée, dès lors qu’il naît en vie.

Gérard Cornu écrit en ce sens que tout « enfant né vivant est présumé viable, même s’il est mort rapidement après. Une présomption de viabilité s’attache au premier signe de vie »[3].

Cette présomption de viabilité n’est toutefois pas légale. Il s’agit d’une présomption simple qui donc souffre de la preuve contraire.

Afin d’établir que l’enfant n’est pas viable, il faudra démontrer :

  • D’une part, qu’il ne possède pas la maturité suffisante pour vivre
  • D’autre part, qu’il présente une anomalie physique incompatible avec la vie

II) Les personnes dépourvues de l’aptitude à hériter

Les personnes qui ne sont pas aptes à succéder se répartissent en cinq catégories :

  • Les personnes décédées
  • L’enfant mort-né ou né non viable
  • Les personnes absentes
  • Les personnes disparues
  • Les personnes morales

A) Les personnes décédées

1. Principe

==> La mort naturelle

Parce que le décès emporte extinction de la personnalité juridique, les personnes qui sont décédées ne sont pas aptes à hériter.

Seules les personnes vivantes « à l’instant de l’ouverture de la succession » sont pourvues de la qualité d’héritier.

Il peut être observé que, en 1804, les rédacteurs du Code civil avaient envisagé deux sortes de morts comme causes d’incapacité à succéder :

  • La mort naturelle, procédant d’une cessation des fonctions vitales
  • La mort civile, procédant d’une condamnation judiciaire

La mort civile ayant été abolie par la loi du 31 mai 1854, la mort ne présente désormais plus qu’une seule forme : elle ne peut être que naturelle.

==> Les critères de la mort

C’est le décret n°96-1041 du 2 décembre 1996 qui règle la procédure actuelle de détermination de la mort d’une personne.

Cette procédure est plus ou moins lourde selon que la personne décédée est ou non maintenue artificiellement en vie aux fins de faire l’objet d’un prélèvement d’organes.

  • La procédure simplifiée de constat de la mort en l’absence de maintien en vie artificiel de la personne décédée
    • Lorsque la personne décédée n’est pas maintenue artificiellement en vie, l’article R. 1232-1 du Code de la santé publique prévoit que si la personne présente un arrêt cardiaque et respiratoire persistant, le constat de la mort ne peut être établi que si les trois critères cliniques suivants sont simultanément présents :
      • Absence totale de conscience et d’activité motrice spontanée ;
      • Abolition de tous les réflexes du tronc cérébral ;
      • Absence totale de ventilation spontanée
    • Le constat de la mort doit être formalisé dans un procès-verbal établi sur un document dont le modèle est fixé par arrêté du ministre chargé de la santé.
    • L’article R. 1232-3 du Code de la santé publique précise que ce procès-verbal doit indiquer les résultats des constatations cliniques ainsi que la date et l’heure du constat de la mort.
    • Il doit, en outre, être établi et signé par un médecin appartenant à une unité fonctionnelle ou un service distinct de ceux dont relèvent les médecins qui effectuent un prélèvement d’organe ou une greffe.
  • La procédure renforcée de constat de la mort en présence d’un maintien en vie artificiel de la personne décédée
    • Lorsque la personne décédée est maintenue artificiellement en vie aux fins de faire l’objet d’un prélèvement d’organe, l’article R. 1232-2 du Code de la santé publique prévoit que, en complément des trois critères cliniques mentionnés à l’article R. 1232-1, il est recouru pour attester du caractère irréversible de la destruction encéphalique :
      • Soit à deux électroencéphalogrammes nuls et aréactifs effectués à un intervalle minimal de quatre heures, réalisés avec amplification maximale sur une durée d’enregistrement de trente minutes et dont le résultat est immédiatement consigné par le médecin qui en fait l’interprétation ;
      • Soit à une angiographie objectivant l’arrêt de la circulation encéphalique et dont le résultat est immédiatement consigné par le radiologue qui en fait.
    • Dans ce cas de figure, le constat de la mort doit être formalisé dans un procès-verbal établi sur un document dont le modèle est fixé par arrêté du ministre chargé de la santé.
    • Le formalisme auquel ce procès-verbal doit répondre est, en revanche, plus lourd, compte tenu du maintien en vie artificiel du patient décédé.
    • L’article R. 1232-3, al. 3 du Code de la santé publique prévoit en ce sens que lorsque le constat de la mort est établi pour une personne assistée par ventilation mécanique et conservant une fonction hémodynamique, le procès-verbal de constat de la mort indique les résultats des constatations cliniques concordantes de deux médecins répondant à la condition mentionnée à l’article L. 1232-4.
    • Ce procès-verbal mentionne, en outre, le résultat des examens définis au 1° ou au 2° de l’article R. 1232-2, ainsi que la date et l’heure de ce constat.
    • Il doit être signé par les deux médecins susmentionnés.

Que la personne dont le décès est constaté soit ou non maintenue artificiellement en vie, l’article R. 1232-4 du Code de la santé publique prévoit que « le procès-verbal du constat de la mort est signé concomitamment au certificat de décès prévu par arrêté du ministre chargé de la santé. »

==> La preuve de la mort

Pour qu’une personne décédée soit privée de sa capacité à hériter, encore faut-il que sa mort intervienne antérieurement à l’ouverture de la succession du de cujus.

Aussi, la date de la mort présente un enjeu majeur, ce qui, dès lors pose la question de sa preuve.

S’agissant de la charge de cette preuve, elle pèse sur les ayants droit de l’héritier présomptif.

La plupart de temps, cette preuve sera rapportée par la production de l’acte de décès sur lequel figure notamment le jour, l’heure et le lieu de décès (art. 79 C. civ.)

Parce que l’acte de décès appartient à la catégorie des actes d’état civil, il est réputé constater, « d’une manière authentique, un événement dont dépend l’état d’une ou de plusieurs personnes » (Cass. 1ère civ. 14 juin 1983, n°82-13.247).

L’acte de décès tire donc sa force probante de son caractère authentique. Il en résulte qu’il fait foi jusqu’à inscription de faux, à tout le moins s’agissant de l’existence matérielle des faits que l’officier public y a énoncés comme les ayant accomplis lui-même ou comme s’étant passés en sa présence dans l’exercice de ses fonctions (Cass. 1ère civ. 26 mai 1964).

En effet, il y a lieu de distinguer deux sortes d’informations sur l’acte de décès :

  • Les informations qui résultent des propres constatations de l’officier d’état civil
    • Le caractère authentique de l’acte de décès confère à ces informations une force probante des plus efficaces, car elles font foi jusqu’à inscription en faux
    • Celui qui conteste la véracité de l’une d’elles devra donc engager des poursuites judiciaires, selon les règles de procédure énoncées aux articles 303 à 316 du Code de procédure civile.
  • Les informations qui résultent des déclarations que l’officier d’état civil reçoit de la personne qui a déclaré le décès
    • Ces informations font foi jusqu’à ce qu’il soit rapporté la preuve contraire.
    • Dans un arrêt du 19 octobre 1999, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « si l’acte de décès n’établit, quant à l’heure du décès, qu’une simple présomption, il appartient à celui qui la conteste d’en établir l’exactitude» ( 1ère civ., 19 oct. 1999, n° 97-19.845).

S’agissant de la date et l’heure du décès, ces deux informations ne sont donc pas couvertes par le caractère authentique de l’acte de décès, faute pour l’officier d’état civil d’avoir pu les constater personnellement.

Dans ces conditions, elles pourront être remises en cause, ce qui supposera d’établir que, soit la date, soit l’heure, ou les deux, sont erronées

2. Tempérament

Par exception à la règle privant les personnes décédées de l’aptitude à hériter, les articles 752 et 752-2 du Code civil admettent que certains descendants de l’héritier prédécédé puissent lui succéder par le jeu de la représentation.

Pour mémoire, la représentation est définie par l’article 751 du Code civil comme « une fiction juridique qui a pour effet d’appeler à la succession les représentants aux droits du représenté »

Ce mécanisme interviendra, par exemple, lorsque, dans le cadre de la succession d’un grand-père, les petits enfants, viendront représenter leur parent décédé, de sorte qu’ils occuperont éventuellement le même rang que leur oncle.

S’agissant des personnes admises à représenter l’héritier présomptif prédécédé, il s’agit :

  • D’une part, en ligne directe des descendants à l’infini ( 752 C. civ.)
  • D’autre part, en ligne collatérale, des enfants et descendants de frères ou sœurs du défunt ( 752-2 C. civ.)

Ainsi, le décès de l’héritier présomptif ne prive ses descendants de la possibilité succéder en son lieu et place au de cujus.

B) L’enfant mort-né ou né non viable

Lorsqu’un enfant décède avant que n’ait pu être réalisée la déclaration de naissance, il y a lieu de distinguer selon qu’il est né vivant et viable ou seulement sans vie.

  • L’enfant né vivant et viable
    • L’article 79-1, al. 1er du Code civil prévoit que lorsqu’un enfant est décédé avant que sa naissance ait été déclarée à l’état civil, l’officier de l’état civil établit un acte de naissance et un acte de décès sur production d’un certificat médical indiquant que l’enfant est né vivant et viable et précisant les jours et heures de sa naissance et de son décès.
    • L’établissement d’un acte de naissance présente ici un enjeu majeur, car cette formalité conférera à l’enfant décédé la personnalité juridique et, par voie de conséquence, la capacité à hériter.
  • L’enfant né sans vie
    • L’article 79-1, al. 2e du Code civil prévoit que, lorsque l’enfant est mort-né ou naît vivant mais non viable, l’officier de l’état civil peut établir sur la demande des parents un acte d’enfant sans vie.
    • L’établissement de cet acte permettra d’inscrire cet enfant sur le livret de famille et d’organiser de funérailles.
    • En revanche, l’enfant ne se verra pas conférer la personnalité juridique, en conséquence de quoi il n’acquerra pas la qualité d’héritier.

C) Les personnes absentes

L’absence est définie à l’article 112 du Code civil comme la situation d’une personne qui « a cessé de paraître au lieu de son domicile ou de sa résidence sans que l’on en ait eu de nouvelles ».

Il s’agit, autrement dit, de l’hypothèse où une personne ne s’est pas manifestée auprès de ses proches pendant une période prolongée, de sorte que l’on ignore si elle est encore en vie ou si elle est décédée.

Cette situation se rencontrera essentiellement à des époques troublées par la guerre, la révolution ou encore des catastrophes naturelles.

Quel que soit le motif de l’absence, faute de certitude sur la situation de la personne qui ne donne plus aucun signe de vie, la question se pose de savoir ce qu’il doit advenir de son patrimoine.

Doit-on désigner un administrateur aux fins d’administrer ses biens dans l’attente que l’absent réapparaisse ou doit-on ouvrir sa succession ?

Pour le déterminer, il y a lieu de se reporter aux articles 112 à 132 du Code civil qui règlent la situation de l’absence.

À l’analyse, le dispositif mis en place distingue deux périodes qui se succèdent :

  • La présomption d’absence qui fait primer la vie sur la mort
  • La déclaration d’absence qui fait primer la mort sur la vie

==> La personne présumée absente

L’article 112 du Code civil prévoit que « lorsqu’une personne a cessé de paraître au lieu de son domicile ou de sa résidence sans que l’on en ait eu de nouvelles, le juge des tutelles peut, à la demande des parties intéressées ou du ministère public, constater qu’il y a présomption d’absence. »

Il ressort de cette disposition que, lorsque les conditions de l’absence sont réunies, le juge rend une décision constatant la présomption d’absence.

Cette décision emporte deux effets majeurs :

  • Elle fixe le point de départ du délai au terme duquel la présomption d’absence sera convertie en déclaration d’absence, soit en un acte qui présumé l’absent mort
  • Elle instaure un système de représentation de l’absent qui fait l’objet des mêmes mesures de protection que celles prises à la faveur de l’incapable majeur

À cet égard, durant toute la période au cours de laquelle la présomption d’absence joue l’absent est présumé en vie, ce qui signifie que, à ce stade, non seulement sa succession ne saurait s’ouvrir, mais encore il conserve sa capacité à hériter comme précisé par l’article 725 du Code civil.

La présomption d’absence est, par ailleurs, sans incidence sur la situation matrimoniale de l’absent qui demeure marié ou pacsé.

Cette présomption emporte pour seule conséquence l’instauration d’une mesure de représentation de l’absent qui est traité comme un incapable, en ce qu’il fait l’objet des mêmes mesures de protection.

==> La personne déclarée absente

Lorsque la période de présomption d’absence arrive à son terme, s’amorce une seconde phase, celle de la déclaration d’absence qui conduit à présumer l’absent décédé.

Il ne s’agit donc plus ici d’assurer la protection de l’absent dont on présume qu’il est en vie, mais d’organiser la liquidation de ses intérêts, puisqu’on présume dorénavant qu’il est mort.

Le basculement de la présomption de vie vers une présomption de mort s’opère au bout d’un délai compris entre 10 et 20 ans selon le cas.

À l’analyse, ce délai varie selon que la présomption d’absence a ou non été judiciairement constatée

  • La présomption d’absence a été judiciairement constatée
    • L’article 122 du Code civil prévoit que « lorsqu’il se sera écoulé dix ans depuis le jugement qui a constaté la présomption d’absence, soit selon les modalités fixées par l’article 112, soit à l’occasion de l’une des procédures judiciaires prévues par les articles 217 et 219, 1426 et 1429, l’absence pourra être déclarée par le tribunal judiciaire à la requête de toute partie intéressée ou du ministère public».
    • Ainsi, dès lors que la présomption d’absence a été régulièrement constatée par le juge, la déclaration d’absence peut être prononcée.
    • Ce délai commence à courir à compter de la date fixée dans la décision qui a constaté la présomption d’absence
  • La présomption d’absence n’a pas été judiciairement constatée
    • L’absence de constatation judiciaire de la présomption d’absence n’est pas un obstacle au prononcé de la déclaration d’absence
    • L’article 122 du Code civil prévoit en ce sens que l’absence peut être déclarée lorsque « à défaut d’une telle constatation, la personne aura cessé de paraître au lieu de son domicile ou de sa résidence, sans que l’on en ait eu de nouvelles depuis plus de vingt ans. »
    • Cette hypothèse se rencontrera notamment, lorsque le patrimoine du présumé absent aura été administré par un mandataire, de sorte que le recours à la procédure visant à obtenir des mesures de protection était sans intérêt.
    • Aussi, s’il n’est pas nécessaire d’obtenir la constatation judiciaire de la présomption d’absence, le délai pour obtenir la déclaration d’absence est doublé.
    • La difficulté pour le demandeur consistera à rapporter la preuve de l’écoulement d’un délai de 20 ans.
    • Ainsi que l’observait Jean foyer l’objectif est ici « de protéger les intérêts d’un présumé absent contre des proches qui ne se sont pas montrés diligents pour la gestion de son patrimoine, ou dont on pourrait craindre qu’ils soient tentés de faire déclarer frauduleusement l’absence d’une personne vivante durablement éloignée de ses affaires».

L’article 128 du Code civil prévoit que « le jugement déclaratif d’absence emporte, à partir de la transcription, tous les effets que le décès établi de l’absent aurait eus. »

Ce jugement produit donc l’effet inverse que la présomption d’absence : l’absent bascule du statut de présumé en vie en présumé mort.

Il en résulte notamment que l’absent perd son aptitude à hériter, puisque sa personnalité juridique s’éteint.

D) Les personnes disparues

L’article 88 du Code civil prévoit que « peut être judiciairement déclaré, à la requête du procureur de la République ou des parties intéressées, le décès de tout Français disparu en France ou hors de France, dans des circonstances de nature à mettre sa vie en danger, lorsque son corps n’a pu être retrouvé. »

Il ressort de cette disposition que lorsqu’une personne a disparu dans des circonstances de nature à faire sérieusement douter de sa survie (naufrage, effondrement d’une mine, catastrophe naturelle, accident d’avion, incendie etc.), c’est le juge procédera à la constatation du décès pour cause de disparition.

La disparition se distingue de l’absence qui correspond à l’hypothèse où l’on ignore si la personne absente est morte ou encore en vie.

S’agissant de la disparition, il existe une probabilité très élevée que la personne soit décédée, en raison des circonstances violentes dans lesquelles elle a disparu.

Lorsque l’on a la certitude qu’une personne a été victime d’un naufrage ou d’un accident d’avion et que celle-ci ne réapparaît plus, il est vraisemblable, sinon certain qu’elle soit décédée.

S’agissant des effets de la disparition, il y a lieu de se reporter à l’article 91, al. 3e du Code civil.

Cette disposition prévoit que « les jugements déclaratifs de décès tiennent lieu d’actes de décès et sont opposables aux tiers, qui peuvent seulement en obtenir la rectification ou l’annulation, conformément aux articles 99 et 99-1 du présent code. »

Ainsi, la personne qui est déclarée disparue est réputée décédée à l’instar de la personne qui est déclarée absente.

Il en résulte que sa personnalité juridique prend fin, ce qui emporte, par voie de conséquence, son aptitude à hériter.

S’agissant de la date à laquelle il y a lieu de faire jouer les effets de la disparition, il convient de retenir, non pas la date de prononcé du jugement, mais la date à laquelle le disparu est réputé mort, laquelle doit nécessairement être fixée par la décision.

C’est donc à cette date qu’il y aura lieu de se placer afin d’apprécier l’aptitude de la personne disparue à succéder au de cujus.

E) Les personnes morales

En application de l’article 725 du Code civil, pour succéder, il faut en principe exister. Si l’on s’en tient à la lettre du texte, devraient donc être aptes à hériter, tant les personnes physiques, que les personnes morales.

S’agissant de ces dernières, bien qu’elles n’aient pas de réalité tangible, elles existent bien juridiquement. Et pour cause, en leur reconnaissant la personnalité juridique, la loi leur confère la capacité à détenir un patrimoine.

Rien ne devrait donc s’opposer à ce que les personnes morales puissent recueillir les biens d’une personne physique dans le cadre d’une succession.

Tel n’est pour autant pas l’état du droit qui subordonne l’acquisition de la qualité d’héritier à l’existence d’un lien de parenté ou d’alliance entre le de cujus et ses successibles.

Pour cette raison, les personnes morales sont inaptes à hériter, à tout le moins dans le cadre d’une succession ab intestat, soit la succession qui s’opère sans testament.

La jurisprudence, puis le législateur, ont toutefois admis que les personnes morales pouvaient, à certaines conditions, bénéficier d’une libéralité par voie de donation ou par voie testamentaire.

À l’analyse, l’aptitude d’une personne morale à recueillir une libéralité dépend de sa nature juridique (société, association, fondation etc.).

S’agissant des sociétés civiles et commerciales, la jurisprudence leur a très tôt reconnu cette aptitude (V. en ce sens Cass. req. 23 févr. 1891).

À cet égard, l’exercice de leur droit à recueillir une libéralité n’est nullement subordonné à l’octroi d’une quelconque autorisation, ni à l’accomplissement d’une déclaration (Cass. req., 29 nov. 1897).

Tout au plus, en raison du principe de spécialité qui limite leur capacité de jouissance, l’objet social figurant dans les statuts de la société civile ou commerciale devra comprendre la possibilité de recueillir une libéralité.

S’agissant des fondations, des congrégations et des associations, non seulement elles ont la capacité de recevoir des libéralités entre vifs ou par testament, mais encore qu’elles peuvent les accepter librement (art. 910 C. civ.).

L’article 910 prévoit néanmoins que si le préfet constate que l’organisme légataire ou donataire ne satisfait pas aux conditions légales exigées pour avoir la capacité juridique à recevoir des libéralités ou qu’il n’est pas apte à utiliser la libéralité conformément à son objet statutaire, il peut former opposition à la libéralité.

Afin que ce contrôle puisse effectivement être exercé, le décret n° 2007-807 du 11 mai 2007 fait peser une obligation de déclaration sur les associations, fondations et congrégations recueillant la libéralité.

§2 : L’absence d’indignité successorale

Si l’aptitude à hériter est indépendante de la volonté de celui auquel elle est reconnue, il est en revanche certains agissements qui sont incompatibles avec la qualité d’héritier.

Certains comportements moralement répréhensibles, sinon délictueux, dont a fait montre l’héritier envers le de cujus sont, en effet, de nature à le priver de sa vocation successorale.

Ces comportements tombent sous le coup de ce que l’on appelle l’indignité.

==> Notion

Envisagée aux articles 726 à 729-1 du Code civil, l’indignité successorale est classiquement définie comme la déchéance du droit de succéder au défunt à raison d’atteintes graves portées à son encontre.

L’indignité produit sensiblement les mêmes effets qu’une exhérédation, à deux nuances près.

  • D’une part, l’indignité successorale se produit sous l’effet de la loi, alors que l’exhérédation ordinaire résulte de la volonté du de cujus.
  • D’autre part, alors que l’indignité successorale est susceptible de priver l’héritier de sa part réservataire, lorsqu’elle est le fait du de cujus, l’exhérédation ne pourra se limiter qu’à la quotité disponible.

Pour ces deux raisons, l’indignité successorale ne se confond pas avec l’exhérédation. Néanmoins, depuis l’entrée en vigueur de la loi n°2001-1135 du 3 décembre 2001, il apparaît que les deux institutions se sont rapprochées.

En effet, l’indignité n’est plus, comme sous l’empire du droit en vigueur, un effet légal strictement attaché à une conduite incriminée, qu’aucune volonté contraire ne saurait écarter.

Désormais, l’indignité peut être neutralisée par le pardon accordé à l’indigne, soit par le de cujus lui-même, soit par ses cohéritiers.

==> Nature

S’agissant de la nature de l’indignité successorale, la doctrine est partagée entre deux approches :

  • Première approche : l’assimilation de l’indignité à une incapacité
    • D’aucuns soutiennent que l’indignité s’apparenterait à une incapacité de jouissance, celle-ci produisant finalement les mêmes effets : celui qui est reconnu indigne est inapte à recueillir le patrimoine du de cujus.
    • À cette analyse, il est objecté notamment qu’une incapacité serait toujours prononcée pour des raisons « indépendantes du mérite ou du démérite de la personne»[4].
    • Au surplus, les incapacités auraient une portée générale. Or l’indignité ne frappe l’indigne que pour la succession de la personne envers laquelle il s’est mal comporté.
    • Ainsi que l’observe néanmoins Michel Grimaldi, il existe « des incapacités relatives qui, précisément, ne concernent que les rapports entre deux personnes déterminées»[5].
    • Tel est notamment le cas du médecin qui est frappé d’une incapacité de jouissance spéciale quant à recevoir une libéralité émanant de son patient ( 909 C. civ.).
    • Il en va de même pour le tuteur auquel il est fait interdiction recevoir une libéralité provenant du mineur dont il assurait la représentation ( 907 C. civ.).
  • Seconde approche : l’assimilation de l’indignité à une peine privée
    • La doctrine majoritaire assimile l’indignité successorale à une peine privée, car elle jouerait le rôle de sanction.
    • Dans un arrêt du 18 décembre 1984, la Cour de cassation a statué en ce sens, en qualifiant expressément l’indignité de « peine civile de nature personnelle et d’interprétation stricte».
    • Elle en déduit qu’elle « ne peut être étendue au-delà des textes qui l’instituent » ( 1ère civ. 18 déc. 1984, n°83-16.028).

Selon que l’on assimile l’indignité successorale à une incapacité ou à une peine privée, elle ne sera pas soumise au même principe.

Si l’indignité s’analyse en une incapacité, alors elle ne peut frapper que les personnes expressément visées par la loi. Rien ne ferait en revanche obstacle à ce que les juges puissent se livrer à une interprétation extensive des textes aux fins d’appliquer l’indignité à des cas non expressément prévus par la loi.

Si l’indignité est assimilée à une peine privée, elle obéit alors au principe de légalité des délits et des peines, ce qui signifie qu’elle ne peut jouer que pour les cas expressément visés par un texte.

À l’examen, c’est plutôt la seconde approche qui semble avoir été adoptée par la jurisprudence, (Cass. 1ère civ. 18 déc. 1984, n°83-16.028). Elle doit donc être appréhendée comme une peine privée.

==> Domaine

Le domaine de l’indignité successoral est cantonné aux seules successions ab intestat, soit à celles qui s’opèrent en dehors de tout testament.

L’indignité ne joue pas :

  • Dans le cadre des libéralités
    • Pour mémoire, les libéralités recouvrent les donations et les testaments, soit les actes à titre gratuit qui procèdent de la volonté du disposant
    • Pour ces actes, en cas de mauvaise conduite du bénéficiaire envers leur auteur, la sanction est toute autre.
    • Il s’agit, en effet, de la révocation pour cause d’ingratitude.
    • En soi, l’ingratitude produit les mêmes effets que l’indignité successorale.
    • Elle s’en distingue toutefois en ce qu’elle sanctionne des agissements moins graves.
    • Aussi, les cas d’ingratitude et d’indignité ne coïncident pas totalement
  • Dans le cadre des avantages matrimoniaux
    • L’article 1527 du Code civil définit les avantages matrimoniaux comme ceux « que l’un ou l’autre des époux peut retirer des clauses d’une communauté conventionnelle, ainsi que ceux qui peuvent résulter de la confusion du mobilier ou des dettes».
    • Il s’agit, autrement dit, de tout profit procuré à l’un des époux résultant des règles qui président au fonctionnement du régime matrimonial.
    • Les avantages matrimoniaux présentent la particularité d’échapper au régime des libéralités ; ils leur sont étrangers.
    • Est-ce à dire qu’ils sont susceptibles de relever du domaine de l’indignité, puisque ne pouvant donc pas être révoqués pour cause d’ingratitude ?
    • Dans un arrêt remarqué du 7 avril 1998, la Cour de cassation a répondu par la négative.
    • Dans cette décision, elle a estimé que l’indignité successorale était insusceptible de sanctionner le conjoint condamné à une peine de 10 ans de réclusion criminelle pour avoir mortellement frappé son épouse ( 1ère civ., 7 avr. 1998, n° 96-14.508).
    • La position prise par la Cour de cassation est sévère.
    • Aussi, marque-t-elle sa volonté de faire une application stricte des textes et de circonscrire le domaine de l’indignité aux seules successions ab intestat.

==> Réforme

Le régime de l’indignité successorale a été profondément réformé par la loi 2001-1135 du 3 décembre 2001 relative aux droits du conjoint survivant et des enfants adultérins et modernisant diverses dispositions de droit successoral.

Il était notamment reproché aux règles antérieures d’être trop étroites, trop rigides et quelquefois injustes.

La loi du 3 décembre 2001 a tenu compte des critiques, en créant de nouveaux cas d’indignité successorale, dont la plupart sont facultatifs pour le juge, afin d’apporter de la souplesse dans un dispositif.

Le texte met fin, par ailleurs, à l’injustice dont étaient victimes les enfants de l’indigne : ceux-ci, qui n’ont commis aucune faute, peuvent désormais représenter leur auteur dans la succession dont il est exclu (art. 729-1 C. civ.).

Bien qu’en règle générale on ne puisse représenter que des personnes mortes, cette représentation peut avoir lieu du vivant même de l’indigne.

L’appréhension de l’indignité successorale suppose d’envisager ses causes, après quoi il conviendra de se focaliser sur ses effets.

I) Les causes d’indignité successorale

Les rédacteurs du Code civil n’avaient envisagé que trois causes d’indignité successorale :

  • Avoir été condamnée pour meurtre ou tentative de meurtre à l’endroit du défunt
  • Avoir porté contre le défunt une accusation capitale jugée calomnieuse, soit avoir cherché à le faire condamner à mort en l’accusant d’un crime qu’il n’avait pas commis
  • Avoir été instruit du meurtre du défunt et ne l’avoir pas dénoncé aux autorités judiciaires

Lors des travaux parlementaires dont est issue la loi du 3 décembre 2001, il est apparu que les cas d’indignité successorale prévus par le Code civil étaient pour le moins étroits, sinon désuets.

Aussi, a-t-il été jugé nécessaire de les revoir, ce qui a conduit, non seulement à les élargir, mais encore à les répartir en deux catégories :

  • Les cas d’indignité de plein droit
  • Les cas d’indignité facultative

Tandis que les premiers jouent automatiquement en cas de condamnation pénale de l’héritier présomptif, les seconds requièrent l’intervention du juge civile qui devra se prononcer sur leur bien-fondé.

A) Les cas d’indignité de plein droit

L’article 726 du Code civil prévoit deux cas d’indignité de plein droit :

  • Premier cas
    • Il s’agit de la condamnation comme auteur ou complice, à une peine criminelle de celui qui a volontairement donné ou tenté de donner la mort au défunt.
    • Ce cas d’indignité vise indistinctement le meurtre ( 221-1 et 221-4 C. pén.), l’assassinat (art. 221-3 C. pén.), l’empoisonnement (art. 221-5 C. pén.).
  • Second cas
    • Il s’agit de la condamnation comme auteur ou complice, à une peine criminelle de celui qui a volontairement porté des coups ou commis des violences ou voies de fait ayant entraîné la mort du défunt sans intention de la donner.
    • Ce cas d’indignité recouvre toutes les infractions sanctionnant les atteintes portées à l’intégrité physique du de cujus et qui ont conduit à son décès, sans pour autant que l’auteur de l’infraction ou son complice aient été animés d’une intention homicide.

Plusieurs enseignements peuvent être retirés des cas d’indignité de plein droit visés par l’article 726 du Code civil.

Tout d’abord, seule une condamnation à une peine criminelle est constitutive d’une cause d’indignité de plein droit.

Par peine criminelle, il faut entendre une condamnation pénale supérieure à 10 ans de réclusion.

Ensuite, il peut être observé que, désormais, le complice de l’auteur du crime est également susceptible d’être frappée par l’indignité successorale, ce qui n’était pas le cas sous l’empire du droit antérieur

Enfin, il n’est pas nécessaire que celui qui a porté atteinte à la vie du défunt, à tout le moins qui y a concouru volontairement, soit animé de la volonté de tuer, pour encourir l’indignité successorale.

Il s’agit là d’une nouveauté introduite par la loi du 3 décembre 2001, le législateur ayant estimé qu’absence d’intention homicide n’excusait pas l’héritier qui, par ses agissements, porte la responsabilité de la mort du de cujus.

B) Les cas d’indignité facultative

L’article 727 du Code civil prévoit six cas d’indignité successorale :

  • Premier cas
    • Il s’agit de la condamnation comme auteur ou complice, à une peine correctionnelle, de celui qui a volontairement donné ou tenté de donner la mort au défunt.
    • Sont ici visées les mêmes infractions qu’au 1e de l’article 726 du Code civil, soit le meurtre, l’assassinat et l’empoisonnement.
    • La seule différence, c’est que l’auteur ou le complice de l’infraction a été condamné, non pas à une peine criminelle, mais à une peine correctionnelle.
    • Par peine correctionnelle, il faut entendre une peine d’emprisonnement qui n’excède pas dix ans.
    • Parce que la peine prononcée à son encontre est moins lourde, le législateur a estimé que l’indignité devait, pour cette situation, n’être que facultative.
    • Le dernier alinéa du texte précise néanmoins que « peuvent également être déclarés indignes de succéder ceux qui ont commis les actes mentionnés aux 1° et 2° et à l’égard desquels, en raison de leur décès, l’action publique n’a pas pu être exercée ou s’est éteinte. »
    • Autrement dit, lorsque l’action publique n’a pas pu être mise en mouvement pour quelque raison que ce soit, l’indignité successorale pourra malgré tout être prononcée par un juge.
    • L’objectif recherché par cette règle est d’empêcher la famille de l’auteur ou du complice de l’infraction ne puisse hériter du patrimoine de la victime.
  • Deuxième cas
    • Il s’agit de la condamnation comme auteur ou complice, à une peine correctionnelle de celui qui a volontairement commis des violences ayant entraîné la mort du défunt sans intention de la donner.
    • Ce cas d’indignité participe de la même logique que le précédent, en ce que les infractions visées sont exactement les mêmes que celles énoncées au 2e de l’article 726 du Code civil.
    • La peine prononcée présente néanmoins un caractère correctionnel, de sorte que l’indignité encourue ne joue plus de plein droit ; elle est facultative.
    • Par ailleurs, l’absence de mise en mouvement de l’action publique est ici aussi sans incidence sur le risque encouru par l’auteur ou le complice de l’infraction d’être frappé d’une indignité successorale.
    • Le dernier alinéa du texte est également applicable à cette cause d’indignité facultative
  • Troisième cas
    • Il s’agit de la condamnation comme auteur ou complice, à une peine criminelle ou correctionnelle de celui qui a commis des tortures et actes de barbarie, des violences volontaires, un viol ou une agression sexuelle envers le défunt.
    • Ce cas d’indignité facultative a été introduit par la loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales.
    • Cet ajout est motivé par la volonté du législateur de réprimer plus sévèrement les auteurs de violences conjugales.
    • Il est parti du constat que si la loi permettait de déclarer l’indignité successorale en cas de faux témoignage et de dénonciation calomnieuse contre le défunt, tel n’était pas le cas pour les violences sexuelles ou physiques dès lors qu’elles n’ont pas été mortelles.
    • Il y avait là, selon les parlementaires, un problème d’échelle de valeurs qu’il fallait corriger.
    • Pour cette raison, il a été décidé de créer un nouveau cas d’indignité successorale pour celui qui a été condamné à une peine criminelle pour avoir commis des violences volontaires ou un viol sur le défunt.
    • Le mari violent ne peut désormais donc plus hériter de son épouse si celle-ci décède avant lui.
    • Sur ce point, la commission des lois a souhaité viser, en plus des violences et du viol, les actes de torture et de barbarie et les agressions sexuelles, et prévoir que l’indignité pourrait être prononcée même si le conjoint a seulement été condamné à une peine correctionnelle.
  • Quatrième cas
    • Il s’agit de la condamnation de celui qui est à l’origine d’un témoignage mensonger porté contre le défunt dans une procédure criminelle.
    • Il s’agit là d’une reprise d’un souhait formulé par une partie de la doctrine qui regrettait que cette infraction ne soit pas une cause d’indignité.
    • Pour mémoire, l’infraction de faux témoignage dans le cadre est envisagée à l’article 434-13 du Code pénale.
    • Cette disposition prévoit que « le témoignage mensonger fait sous serment devant toute juridiction ou devant un officier de police judiciaire agissant en exécution d’une commission rogatoire est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. »
    • Il s’agirait autrement dit, pour l’héritier présomptif, de témoigner contre le de cujus dans le cadre d’une procédure criminelle en alléguant des faits qu’il sait faux.
  • Cinquième cas
    • Il s’agit de la condamnation de celui qui s’est volontairement abstenu d’empêcher soit un crime soit un délit contre l’intégrité corporelle du défunt d’où il est résulté la mort, alors qu’il pouvait le faire sans risque pour lui ou pour les tiers.
    • Ce cas d’indignité successorale est une innovation de la loi du 3 décembre 2001.
    • Il vise à sanctionner celui qui savait qu’un crime ou un délit allait se commettre à l’endroit de la personne du défunt, mais n’a rien dit, ni rien fait.
    • Or s’il avait agi, il aurait pu empêcher la mort du de cujus.
    • Parce qu’il porte une part de responsabilité dans le drame qui s’est produit, il ne mérite pas d’hériter.
    • Son abstention est d’autant plus blâmable que le décès du de cujus lui a directement profité en ce que, sans l’indignité, il hériterait prématurément.
    • Au surplus, on est légitimement en droit de le soupçonner d’avoir laissé faire dans le seul dessein d’accélérer sa vocation successorale.
    • Reste que le domaine de ce cas d’indignité est pour le moins restreint.
    • Pour être retenu, il faudra établir :
      • D’une part, l’abstention volontaire de l’héritier volontaire
      • D’autre part, que l’atteinte portée au de cujus était constitutive d’un crime ou d’un délit
      • En outre, que cette atteinte consistait en une agression physique sur sa personne
      • Enfin, que l’héritier présomptif était en capacité d’agir sans risque pour lui ou pour les tiers
    • Au bilan, les conditions devant être remplies pour que ce cas d’indignité soit retenu sont si nombreuses que, en pratique, ne sera caractérisé que dans de très rares cas
  • Sixième cas
    • Il s’agit de la condamnation de celui qui est à l’origine d’une dénonciation calomnieuse contre le défunt lorsque, pour les faits dénoncés, une peine criminelle était encourue.
    • Ce cas d’indignité successorale n’est autre qu’une reprise de l’un des cas prévus par les rédacteurs du Code civil.
    • L’ancien article 727, 2e prévoyait en effet que l’indignité était encourue par « celui qui a porté contre le défunt une accusation capitale jugée calomnieuse».
    • La seule différence, c’est que la dénonciation calomnieuse visée ici porte sur une infraction punie, non plus de peine de mort, mais par une peine criminelle.
    • L’esprit de ce cas d’indignité successorale n’en reste pas moins le même.
    • Il s’agit de sanctionner celui qui a portée contre le de cujus une accusation très grave, car portant sur des faits de nature criminelle, et, à ce titre, l’a exposé au risque d’être condamné à une lourde peine.
    • Certes, la motivation de l’auteur de la calomnie ne résidera pas dans la perspective d’hériter prématurément du de cujus, celui-ci ne risquant plus d’être condamné à mort.
    • Néanmoins, le préjudice personnel susceptible de lui être causé est si important que l’héritier présomptif doit être privé de sa vocation successorale.

II) La mise en œuvre de l’indignité successorale

Selon que l’indignité successorale joue de plein droit ou selon qu’elle est facultative, sa mise en œuvre diffère.

A) La mise en œuvre de l’indignité successorale de plein droit

Lorsque l’indignité successorale joue de plein droit, car résultant de l’une des causes visées par l’article 726 du Code civil, elle est automatique en ce sens que, pour produire ses effets, il n’est pas besoin de saisir le juge.

Aussi, est-elle attachée à la condamnation pénale dont, au fond, elle est une conséquence légale.

Encore faut-il néanmoins qu’elle soit invoquée, faute de quoi elle ne pourra pas jouer.

Les personnes admises à se prévaloir de l’indignité successorale de plein droit sont limitées.

On compte :

  • Les cohéritiers de l’indigne
  • Les ayants droit de l’indigne
  • Les légataires à titre universel et à titre particulier
  • Le ministère public en l’absence d’héritier

B) La mise en œuvre de l’indignité successorale facultative

Lorsque l’indignité est facultative, soit résulte de l’une des causes visées à l’article 727 du Code civil, sa mise œuvre requiert l’obtention d’une déclaration judiciaire d’indignité.

Aussi, cela suppose-t-il pour celui qui se prévaut de cette forme d’indignité successorale de saisir le juge civil.

À la différence de l’indignité de plein droit, l’indignité facultative n’est pas automatique ; elle doit être prononcée.

==> Compétence

En application de l’article 727-1 du Code civil, la juridiction compétente pour prononcer la déclaration d’indignité successorale est le Tribunal judiciaire.

Plus précisément, parce qu’il s’agit d’une demande qui intéresse les rapports entre héritiers, c’est la juridiction dans le ressort de laquelle est ouverte la succession jusqu’au partage qui est compétente (art. 45 CPC), étant précisé que la succession doit s’ouvrir au lieu du dernier domicile du défunt (art. 720 C. civ.).

==> Titulaires de l’action

L’article 727-1 du Code civil prévoit que « la déclaration d’indignité prévue à l’article 727 est prononcée après l’ouverture de la succession par le tribunal judiciaire à la demande d’un autre héritier. »

Il ressort de cette disposition que seuls les cohéritiers de l’indigne ont qualité pour saisir le juge aux fins de déclaration judiciaire d’indignité.

Aussi, sont privés de la possibilité d’exercer cette action, tant les héritiers testamentaires, que les légataires, alors même qu’ils auraient intérêt à agir.

En l’absence d’héritier, le second alinéa du texte précise que « la demande peut être formée par le ministère public. »

==> Moment d’exercice de l’action

L’article 727-1 du Code civil prévoit expressément que la demande visant à ce qu’un héritier soit déclaré indigne ne peut être formulée qu’après l’ouverture de la succession.

Aucune action ne pourra donc être exercée, tant que la victime de l’indignité n’est pas décédée.

==> Délai pour agir

L’article 727-1 du Code civil prévoit que « la demande doit être formée dans les six mois du décès si la décision de condamnation ou de déclaration de culpabilité est antérieure au décès, ou dans les six mois de cette décision si elle est postérieure au décès. »

Il s’infère de cette disposition qu’il y a lieu de distinguer selon que la décision de condamnation ou de déclaration de culpabilité intervient avant ou après le décès.

  • La décision de condamnation ou de déclaration de culpabilité intervient avant le décès de la victime de l’indignité
    • Dans cette hypothèse, l’action en déclaration d’indignité doit être exercée dans un délai de 6 mois à compter du décès du de cujus.
  • La décision de condamnation ou de déclaration de culpabilité intervient après le décès de la victime de l’indignité
    • Dans cette hypothèse, l’action en déclaration d’indignité doit être exercée dans un délai de 6 mois à compter du prononcé de la décision de condamnation ou de déclaration de culpabilité

==> Décision

Après avoir examiné les circonstances de la cause et vérifié que l’un des cas d’indignité facultative visé par l’article 727 du Code civil était caractérisé, le juge pourra prononce une déclaration d’indignité.

III) Les effets de l’indignité successorale

Lorsqu’elle est acquise, soit directement par l’effet d’une condamnation pénale, soit par l’effet d’une décision du juge civil, l’indignité emporte plusieurs effets.

A) Les effets de l’indignité à l’égard de l’indigne

L’indignité produit deux effets à l’égard de l’indigne :

  • Il est exclu de la succession du de cujus
  • Il doit restitution des fruits et revenus

1. Exclusion de la succession

==> Principe

L’indignité a pour effet principal d’exclure l’indigne de la succession : il est déchu de son droit à succéder au de cujus, il perd sa qualité d’héritier.

S’agissant des libéralités susceptibles d’avoir été consenties par ce dernier à l’indigne, il peut être observé qu’elles ne relèvent pas de l’indignité. Elles ne peuvent être révoquées que pour cause d’ingratitude.

Aussi, l’indignité n’a d’incidence que sur la seule succession ab intestat. L’indigne peut donc conserver le bénéfice des donations ou dispositions testamentaires dont il aurait été gratifié par le défunt.

L’effet attaché à l’indignité n’est, par ailleurs, que relatif en ce sens qu’elle ne prive l’indigne de son aptitude à hériter que dans ses seuls rapports avec le de cujus.

Aussi, conserve-t-il sa capacité à hériter d’une autre personne et notamment aux parents de la victime de l’indignité, soit par le jeu de transmissions successives, soit par le jeu de la représentation successorale.

==> Exception

L’article 728 du Code civil prévoit que « n’est pas exclu de la succession le successible frappé d’une cause d’indignité prévue aux articles 726 et 727, lorsque le défunt, postérieurement aux faits et à la connaissance qu’il en a eue, a précisé, par une déclaration expresse de volonté en la forme testamentaire, qu’il entend le maintenir dans ses droits héréditaires ou lui a fait une libéralité universelle ou à titre universel. »

Il ressort de cette disposition que le de cujus dispose de la faculté de maintenir l’indigne dans ses droits, malgré les fautes commises à son endroit.

Cette faculté de pardon reconnue au de cujus joue, tant en matière d’indignité de plein droit, qu’en matière d’indignité facultative.

C’est là une innovation de la loi n°2001-1135 du 3 décembre 2001, le législateur ayant estimé qu’il y avait lieu de donner le dernier mot au défunt, sa volonté primant ainsi les effets de la loi.

Reste que pour que le pardon opère et déjoue les effets de l’indignité, trois conditions cumulatives doivent être réunies :

  • D’une part, le de cujus doit avoir eu connaissance des faits commis à son encontre et frappés de l’une des causes d’indignité
  • D’autre part, il doit avoir exprimé sa volonté de maintenir l’indigne dans ses droits, nonobstant les faits dont il a eu connaissance
  • Enfin, le pardon accordé par le de cujus à l’indigne doit intervenir après la découverte des faits frappés d’indignité et prendre la forme :
    • Soit d’une disposition testamentaire, ce qui suppose donc que les faits pardonnés soient expressément mentionnés dans le testament
    • Soit d’une libéralité universelle ou à titre universel

2. Obligation de restitution des fruits et revenus

L’article 729 du Code civil prévoit que « l’héritier exclu de la succession pour cause d’indignité est tenu de rendre tous les fruits et tous les revenus dont il a eu la jouissance depuis l’ouverture de la succession. »

Cette disposition marque le caractère rétroactif de l’indignité successorale. Cette situation se rencontrera lorsque l’indigne est entré en possession des biens du de cujus et que l’indignité n’a pas encore produit ses effets.

Tel sera le cas pour l’indignité facultative qui ne peut être déclaré que postérieurement au décès du défunt.

Pour ce qui est de l’indignité de plein droit, la rétroactivité ne concernera que l’hypothèse où la condamnation de l’indigne a été prononcée après le décès du de cujus et que l’indigne est entré en possession immédiatement après l’ouverture de la succession.

En tout état de cause, lorsque l’indignité – de plein droit ou facultative – produit ses effets, l’indigne est réputé n’avoir jamais hérité.

Il en résulte qu’il a l’obligation de restituer :

  • D’une part, les biens qu’il aurait recueillis dans son patrimoine
  • D’autre part, les fruits et les revenus qu’il a éventuellement retirés de ces biens

C’est parce que l’indigne est considéré comme un possesseur de mauvaise foi, qu’il est tenu de restituer intégralement les fruits et revenus provenant des biens dont il a eu la jouissance.

Quant aux tiers auxquels l’indigne aurait transférer la propriété des biens recueillis, leur situation est pour le moins précaire car endossant la qualité d’acquéreur a non domino, soit d’acquéreur sans titre valable.

S’agissant des immeubles, l’opération encourt la nullité en application de la règle nemo plus juris.

Seule la prescription acquisitive pourra consolider la situation du tiers, encore qu’il ne pourra pas se prévaloir de la prescription abrégée.

S’agissant des meubles, la remise en cause de l’opération dépendra de la bonne ou mauvaise foi du tiers.

S’il est de bonne foi, nonobstant sa qualité d’acquéreur a non domino, il conservera le bénéfice de son acquisition. Si, en revanche, il est de mauvaise foi, une action en revendication pourra être exercée, le délai de prescription étant porté à trente ans.

B) Les effets de l’indignité à l’égard des héritiers

Parce qu’il s’agit d’une peine personnelle, l’indignité ne produit ses effets qu’à l’encontre de l’indigne ; elle est sans incidence :

  • D’une part, sur les cohéritiers
  • D’autre part, sur les enfants

S’agissant des enfants, il s’agit là d’une autre innovation introduite par la loi du 3 décembre 2001.

L’article 729-1 du Code civil prévoit que « les enfants de l’indigne ne sont pas exclus par la faute de leur auteur, soit qu’ils viennent à la succession de leur chef, soit qu’ils y viennent par l’effet de la représentation […] ».

Il ressort de cette disposition que les enfants de l’indigne peuvent venir en représentation de celui-ci.

Pour mémoire, la représentation est définie par l’article 751 du Code civil comme « une fiction juridique qui a pour effet d’appeler à la succession les représentants aux droits du représenté »

Le législateur a ici voulu mettre fin à l’injustice dont étaient victimes les enfants de l’indigne : ceux-ci, qui n’ont commis aucune faute, doivent pouvoir représenter leur auteur dans la succession dont il est exclu.

L’article 729-1 précise néanmoins que « l’indigne ne peut, en aucun cas, réclamer, sur les biens de cette succession, la jouissance que la loi accorde aux père et mère sur les biens de leurs enfants. »

Cette précision vise à déroger à la règle posée à l’article 386-1 du Code civil qui confère aux parents d’un enfant mineur un droit de jouissance légale sur les biens qu’ils administrent.

Il ne faudrait pas que l’indigne puisse tirer profit des biens dont il a été privé par l’entremise de ses enfants qui l’ont représenté dans la succession du de cujus.

Afin d’illustrer la règle énoncée à l’article 729-1, prenons l’exemple de la succession de A qui laisse derrière lui deux enfants, B et C. B qui a deux enfants E et F, est frappé d’indignité.

Si les enfants de l’indigne ne pouvaient pas venir en représentation de celui-ci, alors c’est C qui recueillerait l’intégralité de la succession de A.

Si en revanche les enfants de l’indigne sont admis à le représenter, alors ils pourront se partager la moitié de la succession de A, tandis que C recueillera l’autre moitié.

 

 

[1] M. Grimaldi, Droit des successions, éd. LexisNexis, 2017, n°101, p. 77.

[2] Ph. Salvage, « La viabilité de l’enfant nouveau-né », RTD civ., 1976, p. 725

[3] G. Cornu, Droit civil, Introduction, les personnes, les biens, Domat Droit privé, 9ème éd., 1999, p. 186

[4] M. Planiol, Traité élémentaire de droit civil, t. III, LGDJ, 7e éd. 1918, n°1731.

[5] M. Grimaldi, Droit des successions, éd. Lexisnexis, 2017, n°105, p. 81.

L’acquisition de la qualité d’héritier: la condition tenant à l’existence (art. 725 C. civ.)

La mort n’est pas la fin. Elle met seulement un terme à ce qui a commencé et à ce qui a vécu. Mais la vie se poursuit à travers ce qui reste et continue à exister.

Lorsque la Camarde vient frapper à la porte de celui dont l’heure est venue, le trépas emporte certes extinction de la personnalité juridique. Le défunt laisse néanmoins derrière lui un patrimoine, sans maître, qui a vocation à être immédiatement transmis à ceux qui lui survivent.

Cette transmission du patrimoine qui intervient concomitamment au moment du décès est exprimée par l’adage hérité de l’ancien droit « le mort saisit le vif par son hoir le plus proche ».

Ce principe procède de l’idée que la personne du défunt survit à travers ses successeurs – héritiers et légataires – lesquels ont vocation à recueillir l’ensemble de ses biens, mais également la totalité de ses dettes.

Parce que l’ouverture d’une succession s’accompagne d’enjeux, en particulier financiers, souvent importants, elle est de nature à plonger la famille dans une crise qui sera parfois profonde, les successeurs se disputant le patrimoine du défunt.

Le droit ne peut bien évidemment pas rester indifférent à cette situation qui menace la paix sociale et dont l’Histoire a montré qu’elle pouvait conduire à l’effondrement de royaumes entiers. La succession de Charlemagne a profondément marqué l’Histoire de France.

Bien que les héritiers soient immédiatement saisis à la mort du défunt, ce qui, concrètement, signifie qu’ils entrent en possession de son patrimoine sans période intercalaire, la transmission qui s’opère n’échappe pas à l’emprise du droit.

À cet égard, les règles qui connaissent de la transmission à cause de mort forment ce que l’on appelle le droit des successions.

Il ressort de ce corpus normatif que la transmission par voie successorale peut être réglée :

  • Soit par l’effet de la loi
    • On parle de succession ab intestat, ce qui signifie qui littéralement « sans testament»
    • Dans cette hypothèse, c’est donc la loi qui désigne les héritiers et détermine la part du patrimoine du de cujus (celui de la succession duquel il s’agit) qui leur revient
  • Soit par l’effet de la volonté
    • On parle ici de transmission par voie testamentaire, car résultant de l’établissement d’un acte appelé testament.
    • Dans cette hypothèse, c’est le de cujus qui désigne les personnes appelées à hériter (légataires) et qui détermine les biens ou la portion de biens (legs) qu’il leur entend leur léguer.

Que la transmission à cause de mort s’opère par l’effet de la loi ou par l’effet d’un testament, elle requiert, dans les deux cas, et au préalable, l’ouverture de la succession du défunt.

Une fois la succession ouverte, seules pourront être appelées les personnes qui justifient des qualités requises pour hériter.

En effet, pour succéder au de cujus, deux conditions cumulatives doivent être remplies :

  • D’une part, l’héritier doit exister au jour de l’ouverture de la succession
  • D’autre part, l’héritier ne doit pas être frappé d’une cause indignité successorale

Nous nous focaliserons ici sur la condition tenant à l’existence. 

L’article 725 du Code civil prévoit que « pour succéder, il faut exister à l’instant de l’ouverture de la succession ou, ayant déjà été conçu, naître viable. »

Il ressort de cette disposition que pour hériter, il convient d’exister, ce qui dès lors interroge sur la définition de ce verbe.

Dans le langage courant, on dit d’une personne qu’elle existe lorsqu’elle est en vie par opposition à une personne décédée qui n’existe plus.

Reste que, comme observé par Michel Grimaldi, « ce n’est pas de l’existence physique qu’il s’agit, mais de l’existence juridique, c’est-à-dire de la personnalité juridique, de l’aptitude à acquérir des droits »[1].

Aussi, l’existence telle qu’envisagée à l’article 725 du Code civil, ne correspond pas en tout point à celle définie en biologie.

Pour exemple, sous l’empire du droit antérieur, les personnes condamnées à une peine de mort civile étaient privées de leur capacité à hériter, alors même qu’elles étaient encore en vie.

En droit des successions, la notion d’existence s’est ainsi construite sur la base d’un certain nombre de fictions juridiques qui, tantôt conduisent à attribuer la qualité d’héritier à des personnes qui n’existent pas encore, tantôt à refuser la qualité d’héritier à des personnes auxquelles on reconnaît pourtant une existence juridique.

Afin d’appréhender la condition tenant à l’existence, il convient donc de déterminer qu’elles sont les personnes qui sont pour

I) Les personnes pourvues de l’aptitude à hériter

Deux enseignements peuvent être retirés de l’article 725 du Code civil qui pose l’existence comme première condition à l’octroi de la qualité d’héritier :

  • D’une part, le respect de la condition tenant à l’existence de la personne appelée à hériter doit être apprécié au jour de l’ouverture de la succession
  • D’autre part, l’existence commence au jour de la conception, pourvu que l’enfant naisse vivant et viable

A) Le moment de l’appréciation de l’existence

Conformément à l’article 725 du Code civil, les personnes auxquelles on reconnaît l’aptitude à hériter sont celles qui existent « à l’instant de l’ouverture de la succession ».

L’existence de la personne appelée à succéder doit ainsi être appréciée au moment où la succession s’ouvre, soit au jour où le de cujus est réputé mort.

La raison en est que, en application du principe de continuité de la personne du défunt, la transmission de son patrimoine doit intervenir concomitamment à son décès.

Aussi, est-ce pour éviter qu’une rupture ne vienne affecter cette transmission, qu’il a été décidé que seules les personnes qui existaient au jour de l’ouverture de la succession étaient aptes à hériter.

B) La conception comme point de départ de l’existence

L’article 725 du Code civil prévoit que « pour succéder, il faut exister à l’instant de l’ouverture de la succession ou, ayant déjà été conçu, naître viable. »

Aussi, est-ce au moment de la conception de l’enfant qu’il y a lieu de se placer pour déterminer si au jour de l’ouverture de la succession, il est apte à hériter. Encore faut-il que celui-ci naisse vivant et viable.

1. Principe

==> Énoncé du principe

Définir l’existence consiste, au fond, à déterminer là où elle commence et là où elle se termine.

S’agissant de la fin de l’existence, elle ne soulève pas de réelle difficulté dans la mesure où un seul événement peut servir de borne : la mort.

S’agissant, en revanche, du début de l’existence, la question est plus délicate : doit-on retenir comme date de commencement la naissance ou la conception de la personne ?

La difficulté a été tranchée dès l’entrée en vigueur du Code civil. Ses rédacteurs ont retenu la seconde option en reprenant le principe exprimé par l’adage « infans conceptus pro nato habetur quoties de commodis ejus agitur ».

Pris dans son sens littéral, cet adage signifie que l’enfant conçu est considéré comme né chaque fois qu’il y va de son intérêt.

Aussi, l’enfant posthume, soit celui qui naît postérieurement au décès de l’un ou l’autre de ses parents, serait apte à hériter, le principe dit de l’infans conceptus, faisant commencer l’existence humaine, non pas au jour de la naissance, mais au moment de la conception.

Il n’est donc pas nécessaire d’être né pour succéder, il suffit d’avoir été conçu au jour de l’ouverture de la succession.

À l’analyse, il y a quelque chose de contradictoire à, d’un côté, octroyer des droits à enfant dès sa conception et, d’un autre côté poser que la personnalité juridique ne s’acquiert qu’au jour de la naissance.

Pour être titulaire de droits, il faut être pourvu d’une capacité de jouissance. Or cette capacité est étroitement attachée à la personnalité juridique.

En toute rigueur, un enfant ne devrait donc être apte à recueillir des droits qu’au jour de sa naissance.

Aussi, est-ce pour surmonter cette difficulté que la règle infans conceptus fait rétroagir, par le jeu d’une fiction juridique, les effets de la naissance au moment de la conception.

==> Justification du principe

L’instauration de la règle « infans conceptus » se justifie essentiellement pour deux raisons :

  • Première raison
    • Il est scientifiquement établi que la vie commence dès le stade de la conception ; c’est à ce moment que l’on fixe le point de départ de l’existence
    • Indépendamment de l’argument scientifique qui est relativement récent, cette réalité a très tôt été admise chez les juristes.
    • La preuve en est les romains qui sont à l’origine de la règle, laquelle a, par suite, été reprise, dans les mêmes termes, par les rédacteurs du Code civil qui voyaient également dans la conception le commencement de l’existence
  • Seconde raison
    • Reconnaître à l’enfant, dès sa conception, l’aptitude à hériter participe d’une volonté d’instaurer une égalité successorale entre enfants.
    • L’égalité commande, en effet, d’octroyer à l’enfant seulement conçu les mêmes droits que ceux dont sont titulaires ses frères et sœurs déjà nés.
    • Pourquoi opérer une différence de traitement entre eux alors que tous existent au jour du décès de leur parent ? L’admettre reviendrait à créer une rupture d’égalité fondée sur la seule antériorité de la naissance.
    • Or cela s’est contraire à l’article 735 du Code civil qui dispose que « les enfants ou leurs descendants succèdent à leurs père et mère ou autres ascendants, sans distinction de sexe, ni de primogéniture, même s’ils sont issus d’unions différentes.».

2. Conditions

Il ressort de l’article 725 du Code civil que deux conditions cumulatives doivent être réunies pour que l’enfant seulement conçu soit apte à hériter :

  • D’une part, la conception doit être antérieure à l’ouverture de la succession
  • D’autre part, l’enfant doit être né vivant et viable

a. Première condition : l’exigence d’antériorité de la conception au décès

Si, en application de l’article 725 du Code civil, pour succéder il suffit que l’enfant ait « déjà été conçu », encore faut-il que sa conception soit antérieure à l’ouverture de la succession.

Dès lors que la conception est postérieure au décès, il est trop tard. La condition tenant à l’existence n’est, par hypothèse, plus remplie. Or pour recueillir des droits il faut, a minima, exister.

La question qui alors se pose est de savoir à quel moment l’enfant peut-il être réputé avoir été conçu.

Pour déterminer la date de conception, il y a lieu de faire jouer les deux présomptions légales à l’article 311 du Code civil.

  • Première présomption
    • L’article 311, al. 1er du Code civil prévoit que « la loi présume que l’enfant a été conçu pendant la période qui s’étend du trois centième au cent quatre-vingtième jour, inclusivement, avant la date de la naissance»
    • Cette présomption étant de portée générale, elle peut être appliquée aux fins de déterminer si l’enfant conçu est apte à hériter.
    • En substance, la présomption posée par le texte répute la conception intervenir entre le 300e jour et le 125e jour avant la naissance de l’enfant.
    • On en déduit qu’un enfant né au plus tard 300 jours après le décès du de cujus sera apte à hériter.
    • Sous l’empire du droit antérieur, il s’agissait là d’une présomption irréfragable, qui ne pouvait donc pas être renversée.
    • Dans un arrêt du Ogez du 9 juin 1959, la Cour de cassation avait jugé en ce sens qu’« en fixant à 180 et 300 jours le minimum et le maximum de la durée de gestation, l’article 312 du Code civil a posé une présomption qui n’est pas susceptible de preuve contraire ; que doit, en conséquence, être déclaré illégitime sur l’action en contestation engagée par application de l’article 315 du même Code l’enfant né plus de 300 jours après la dissolution du mariage» ( 1ère civ. 9 juin 1959, n°58-10.038)
    • La loi n°72-3 du janvier 1972 est venue modifier cet état du droit en conférant un caractère simple à cette présomption qui a été transférée à l’article 311.
    • Il en résulte qu’elle peut être combattue par la preuve contraire.
    • Aussi, tout ne serait pas perdu pour un enfant qui naîtrait plus de trois cents jours après le décès du de cujus: s’il prouve que sa conception est intervenue antérieurement à l’ouverture de la succession, il pourra succéder.
    • Prenons l’exemple d’un enfant qui naîtrait 301 jours après le décès du de cujus.
    • En application de l’article 311, al. 1er du Code civil, il est a priori dépourvu de la qualité d’héritier.
    • Il lui est néanmoins possible de prouver qu’il a été conçu 304 jours avant sa naissance, de sorte qu’il était déjà conçu au moment du décès et que, par voie de conséquence, il était bien apte à succéder au défunt.
  • Seconde présomption
    • L’article 311, al. 2e du Code civil prévoit que « la conception est présumée avoir eu lieu à un moment quelconque de cette période, suivant ce qui est demandé dans l’intérêt de l’enfant. »
    • Il ressort de ce texte que la conception est réputée intervenir à n’importe quel moment entre le 300e jour et le 125e jour avant la naissance de l’enfant.
    • La date qu’il y a lieu de retenir est celle qui lui est la plus favorable, ce qui s’agissant d’acquérir la qualité à hériter sera celle qui précède le décès du de cujus.
    • Cette présomption dite omni meliore momento (au moment le plus favorable) est comme la précédente une présomption simple de sorte qu’elle souffre la preuve contraire.
    • Dans ces conditions, la qualité d’héritier d’un enfant né durant la période de conception légale pourra lui être contestée s’il est établi qu’en réalité il a été conçu postérieurement au décès du de cujus.
    • Prenons l’exemple d’un enfant qui naîtrait 298 jours après le décès du défunt
    • Dans cette hypothèse, il est présumé avoir été conçu entre le 298e et le 300e jour avant sa naissance.
    • Sa qualité d’héritier pourra toutefois lui être contestée s’il est établi qu’il a, en réalité, été conçu 297 jours avant sa naissance.
    • Si cette preuve est rapportée, l’enfant ne pourra alors pas être appelée à la succession de cujus.

b. Seconde condition : l’exigence de naissance d’un enfant vivant et viable

==> Notion de viabilité

Il ne suffit pas que l’enfant ait été conçu avant le décès du de cujus. Encore faut-il qu’il naisse vivant et viable.

Aussi, l’aptitude à succéder de l’enfant non encore né à est assortie d’une condition résolutoire qui ne sera levée que s’il répond à l’exigence de viabilité.

N’est donc pas apte à hériter l’enfant qui :

  • Soit est mort-né
  • Soit naît vivant, mais non viable

Toute la question est alors de savoir ce que recouvre la notion d’enfant né viable. Selon Philippe Salvage, la viabilité serait un « faisceau de critères relatifs s’articulant autour des idées de maturité et de conformation et se manifestant par l’autonomie végétative de l’être »[2].

Autrement dit, la viabilité suppose que :

  • D’une part, l’enfant soit doté d’une constitution en ordre de fonctionnement présentant un niveau de maturité suffisant pour lui permettre de vivre de façon autonome
  • D’autre part, il soit porteur de tous les organes essentiels à l’existence.

En substance, pour être considéré comme viable, l’enfant ne doit donc présenter aucune anomalie qui serait incompatible avec la vie.

Dans un arrêt du 8 février 1830, la Cour d’appel de Bordeaux a jugé en ce sens que « selon l’ancien droit, un enfant était viable quand il était né vivant, à terme, bien conformé et avec tous les organes nécessaires à la vie » (CA Bordeaux, 8 février. 1830, S., 1830.2.164 ; D., 1830.160).

L’exigence de viabilité procède d’une approche pragmatique. Pourquoi reconnaître la qualité d’héritier à un enfant qui est condamné à mourir avant d’avoir vécu ?

Il convient de ne pas perdre de vue le sens de l’institution qu’est la succession : transmettre un patrimoine aux personnes qui survivent au de cujus et qui participeront de la continuation de sa personne.

À quoi bon transmettre ce patrimoine à un enfant qui ne sera, par hypothèse, pas en capacité de jouer ce rôle ? Rien ne le justifie, raison pour laquelle le législateur subordonne l’acquisition de la qualité d’héritier à la viabilité de l’être non encore né.

S’agissant de l’approche juridique de la viabilité, elle est assise sur une présomption simple.

Autrement dit, l’enfant est présumé viable, dès lors que, d’une part, il naît et que, d’autre part, il est en vie au moment de la naissance.

==> L’abandon des critères de l’OMS

Reprenant les préconisations formulées par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), une circulaire prise le 22 juillet 1993 par le ministère de la santé présume que l’enfant est viable lorsque deux critères alternatifs sont remplis :

  • La naissance de l’infant intervient à plus de 22 semaines d’aménorrhée chez la mère
  • L’enfant pèse au moins cinq cents grammes.

Cette circulaire visait à préciser les règles relatives à l’état civil issues de la loi du 8 janvier 1993 et, en particulier, l’article 79-1 du Code civil qui traite de l’inscription à l’état civil de l’enfant décédé avant son inscription à l’état civil.

En application de cette disposition, l’enfant bénéficie d’un état civil complet dès lors qu’un certificat médical indique qu’il est né vivant et viable et précise les jour et heure de naissance et de décès.

À défaut d’un tel certificat médical, l’officier de l’état civil doit établir un acte d’enfant sans vie.

Sous l’empire du droit antérieur, cet acte ne pouvait toutefois pas être dressé lorsque le fœtus ne répondait pas aux critères de viabilité de la circulaire.

Par trois arrêts du 6 février 2008, la Cour de cassation a sanctionné cette pratique en jugeant que « l’article 79-1, alinéa 2, du code civil ne subordonne l’établissement d’un acte d’enfant sans vie ni au poids du fœtus, ni à la durée de la grossesse » (Cass. 1ère civ. 6 févr. 2008, n°06-16.498, n°06-16.499, n°06-16.500).

En exigeant que l’enfant soit né à plus de 22 semaines d’aménorrhée chez la mère ou qu’il pèse au moins cinq cents grammes, la première chambre civile estime que la circulaire du 22 juillet 1993 a ajouté au texte des conditions qu’il ne prévoyait pas.

==> Présomption de viabilité

Afin de déterminer si un enfant est viable, il y a donc lieu de se départir des critères de viabilité posés par la circulaire du 22 juillet 1993 qui, d’ailleurs ont, consécutivement aux arrêts rendus par la Cour de cassation, été définitivement été écartés par le décret n°2008-800 du 20 août 2008 relatif à l’application du second alinéa de l’article 79-1 du code civil.

Désormais, il convient plutôt de raisonner sur la base de la présomption de viabilité qui s’infère de la jurisprudence (V. notamment CA Bordeaux, 8 février. 1830, S., 1830.2.164 ; D., 1830.160)

Il est, en effet, admis que la viabilité de l’enfant est présumée, dès lors qu’il naît en vie.

Gérard Cornu écrit en ce sens que tout « enfant né vivant est présumé viable, même s’il est mort rapidement après. Une présomption de viabilité s’attache au premier signe de vie »[3].

Cette présomption de viabilité n’est toutefois pas légale. Il s’agit d’une présomption simple qui donc souffre de la preuve contraire.

Afin d’établir que l’enfant n’est pas viable, il faudra démontrer :

  • D’une part, qu’il ne possède pas la maturité suffisante pour vivre
  • D’autre part, qu’il présente une anomalie physique incompatible avec la vie

II) Les personnes dépourvues de l’aptitude à hériter

Les personnes qui ne sont pas aptes à succéder se répartissent en cinq catégories :

  • Les personnes décédées
  • L’enfant mort-né ou né non viable
  • Les personnes absentes
  • Les personnes disparues
  • Les personnes morales

A) Les personnes décédées

1. Principe

==> La mort naturelle

Parce que le décès emporte extinction de la personnalité juridique, les personnes qui sont décédées ne sont pas aptes à hériter.

Seules les personnes vivantes « à l’instant de l’ouverture de la succession » sont pourvues de la qualité d’héritier.

Il peut être observé que, en 1804, les rédacteurs du Code civil avaient envisagé deux sortes de morts comme causes d’incapacité à succéder :

  • La mort naturelle, procédant d’une cessation des fonctions vitales
  • La mort civile, procédant d’une condamnation judiciaire

La mort civile ayant été abolie par la loi du 31 mai 1854, la mort ne présente désormais plus qu’une seule forme : elle ne peut être que naturelle.

==> Les critères de la mort

C’est le décret n°96-1041 du 2 décembre 1996 qui règle la procédure actuelle de détermination de la mort d’une personne.

Cette procédure est plus ou moins lourde selon que la personne décédée est ou non maintenue artificiellement en vie aux fins de faire l’objet d’un prélèvement d’organes.

  • La procédure simplifiée de constat de la mort en l’absence de maintien en vie artificiel de la personne décédée
    • Lorsque la personne décédée n’est pas maintenue artificiellement en vie, l’article R. 1232-1 du Code de la santé publique prévoit que si la personne présente un arrêt cardiaque et respiratoire persistant, le constat de la mort ne peut être établi que si les trois critères cliniques suivants sont simultanément présents :
      • Absence totale de conscience et d’activité motrice spontanée ;
      • Abolition de tous les réflexes du tronc cérébral ;
      • Absence totale de ventilation spontanée
    • Le constat de la mort doit être formalisé dans un procès-verbal établi sur un document dont le modèle est fixé par arrêté du ministre chargé de la santé.
    • L’article R. 1232-3 du Code de la santé publique précise que ce procès-verbal doit indiquer les résultats des constatations cliniques ainsi que la date et l’heure du constat de la mort.
    • Il doit, en outre, être établi et signé par un médecin appartenant à une unité fonctionnelle ou un service distinct de ceux dont relèvent les médecins qui effectuent un prélèvement d’organe ou une greffe.
  • La procédure renforcée de constat de la mort en présence d’un maintien en vie artificiel de la personne décédée
    • Lorsque la personne décédée est maintenue artificiellement en vie aux fins de faire l’objet d’un prélèvement d’organe, l’article R. 1232-2 du Code de la santé publique prévoit que, en complément des trois critères cliniques mentionnés à l’article R. 1232-1, il est recouru pour attester du caractère irréversible de la destruction encéphalique :
      • Soit à deux électroencéphalogrammes nuls et aréactifs effectués à un intervalle minimal de quatre heures, réalisés avec amplification maximale sur une durée d’enregistrement de trente minutes et dont le résultat est immédiatement consigné par le médecin qui en fait l’interprétation ;
      • Soit à une angiographie objectivant l’arrêt de la circulation encéphalique et dont le résultat est immédiatement consigné par le radiologue qui en fait.
    • Dans ce cas de figure, le constat de la mort doit être formalisé dans un procès-verbal établi sur un document dont le modèle est fixé par arrêté du ministre chargé de la santé.
    • Le formalisme auquel ce procès-verbal doit répondre est, en revanche, plus lourd, compte tenu du maintien en vie artificiel du patient décédé.
    • L’article R. 1232-3, al. 3 du Code de la santé publique prévoit en ce sens que lorsque le constat de la mort est établi pour une personne assistée par ventilation mécanique et conservant une fonction hémodynamique, le procès-verbal de constat de la mort indique les résultats des constatations cliniques concordantes de deux médecins répondant à la condition mentionnée à l’article L. 1232-4.
    • Ce procès-verbal mentionne, en outre, le résultat des examens définis au 1° ou au 2° de l’article R. 1232-2, ainsi que la date et l’heure de ce constat.
    • Il doit être signé par les deux médecins susmentionnés.

Que la personne dont le décès est constaté soit ou non maintenue artificiellement en vie, l’article R. 1232-4 du Code de la santé publique prévoit que « le procès-verbal du constat de la mort est signé concomitamment au certificat de décès prévu par arrêté du ministre chargé de la santé. »

==> La preuve de la mort

Pour qu’une personne décédée soit privée de sa capacité à hériter, encore faut-il que sa mort intervienne antérieurement à l’ouverture de la succession du de cujus.

Aussi, la date de la mort présente un enjeu majeur, ce qui, dès lors pose la question de sa preuve.

S’agissant de la charge de cette preuve, elle pèse sur les ayants droit de l’héritier présomptif.

La plupart de temps, cette preuve sera rapportée par la production de l’acte de décès sur lequel figure notamment le jour, l’heure et le lieu de décès (art. 79 C. civ.)

Parce que l’acte de décès appartient à la catégorie des actes d’état civil, il est réputé constater, « d’une manière authentique, un événement dont dépend l’état d’une ou de plusieurs personnes » (Cass. 1ère civ. 14 juin 1983, n°82-13.247).

L’acte de décès tire donc sa force probante de son caractère authentique. Il en résulte qu’il fait foi jusqu’à inscription de faux, à tout le moins s’agissant de l’existence matérielle des faits que l’officier public y a énoncés comme les ayant accomplis lui-même ou comme s’étant passés en sa présence dans l’exercice de ses fonctions (Cass. 1ère civ. 26 mai 1964).

En effet, il y a lieu de distinguer deux sortes d’informations sur l’acte de décès :

  • Les informations qui résultent des propres constatations de l’officier d’état civil
    • Le caractère authentique de l’acte de décès confère à ces informations une force probante des plus efficaces, car elles font foi jusqu’à inscription en faux
    • Celui qui conteste la véracité de l’une d’elles devra donc engager des poursuites judiciaires, selon les règles de procédure énoncées aux articles 303 à 316 du Code de procédure civile.
  • Les informations qui résultent des déclarations que l’officier d’état civil reçoit de la personne qui a déclaré le décès
    • Ces informations font foi jusqu’à ce qu’il soit rapporté la preuve contraire.
    • Dans un arrêt du 19 octobre 1999, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « si l’acte de décès n’établit, quant à l’heure du décès, qu’une simple présomption, il appartient à celui qui la conteste d’en établir l’exactitude» ( 1ère civ., 19 oct. 1999, n° 97-19.845).

S’agissant de la date et l’heure du décès, ces deux informations ne sont donc pas couvertes par le caractère authentique de l’acte de décès, faute pour l’officier d’état civil d’avoir pu les constater personnellement.

Dans ces conditions, elles pourront être remises en cause, ce qui supposera d’établir que, soit la date, soit l’heure, ou les deux, sont erronées

2. Tempérament

Par exception à la règle privant les personnes décédées de l’aptitude à hériter, les articles 752 et 752-2 du Code civil admettent que certains descendants de l’héritier prédécédé puissent lui succéder par le jeu de la représentation.

Pour mémoire, la représentation est définie par l’article 751 du Code civil comme « une fiction juridique qui a pour effet d’appeler à la succession les représentants aux droits du représenté »

Ce mécanisme interviendra, par exemple, lorsque, dans le cadre de la succession d’un grand-père, les petits enfants, viendront représenter leur parent décédé, de sorte qu’ils occuperont éventuellement le même rang que leur oncle.

S’agissant des personnes admises à représenter l’héritier présomptif prédécédé, il s’agit :

  • D’une part, en ligne directe des descendants à l’infini ( 752 C. civ.)
  • D’autre part, en ligne collatérale, des enfants et descendants de frères ou sœurs du défunt ( 752-2 C. civ.)

Ainsi, le décès de l’héritier présomptif ne prive ses descendants de la possibilité succéder en son lieu et place au de cujus.

B) L’enfant mort-né ou né non viable

Lorsqu’un enfant décède avant que n’ait pu être réalisée la déclaration de naissance, il y a lieu de distinguer selon qu’il est né vivant et viable ou seulement sans vie.

  • L’enfant né vivant et viable
    • L’article 79-1, al. 1er du Code civil prévoit que lorsqu’un enfant est décédé avant que sa naissance ait été déclarée à l’état civil, l’officier de l’état civil établit un acte de naissance et un acte de décès sur production d’un certificat médical indiquant que l’enfant est né vivant et viable et précisant les jours et heures de sa naissance et de son décès.
    • L’établissement d’un acte de naissance présente ici un enjeu majeur, car cette formalité conférera à l’enfant décédé la personnalité juridique et, par voie de conséquence, la capacité à hériter.
  • L’enfant né sans vie
    • L’article 79-1, al. 2e du Code civil prévoit que, lorsque l’enfant est mort-né ou naît vivant mais non viable, l’officier de l’état civil peut établir sur la demande des parents un acte d’enfant sans vie.
    • L’établissement de cet acte permettra d’inscrire cet enfant sur le livret de famille et d’organiser de funérailles.
    • En revanche, l’enfant ne se verra pas conférer la personnalité juridique, en conséquence de quoi il n’acquerra pas la qualité d’héritier.

C) Les personnes absentes

L’absence est définie à l’article 112 du Code civil comme la situation d’une personne qui « a cessé de paraître au lieu de son domicile ou de sa résidence sans que l’on en ait eu de nouvelles ».

Il s’agit, autrement dit, de l’hypothèse où une personne ne s’est pas manifestée auprès de ses proches pendant une période prolongée, de sorte que l’on ignore si elle est encore en vie ou si elle est décédée.

Cette situation se rencontrera essentiellement à des époques troublées par la guerre, la révolution ou encore des catastrophes naturelles.

Quel que soit le motif de l’absence, faute de certitude sur la situation de la personne qui ne donne plus aucun signe de vie, la question se pose de savoir ce qu’il doit advenir de son patrimoine.

Doit-on désigner un administrateur aux fins d’administrer ses biens dans l’attente que l’absent réapparaisse ou doit-on ouvrir sa succession ?

Pour le déterminer, il y a lieu de se reporter aux articles 112 à 132 du Code civil qui règlent la situation de l’absence.

À l’analyse, le dispositif mis en place distingue deux périodes qui se succèdent :

  • La présomption d’absence qui fait primer la vie sur la mort
  • La déclaration d’absence qui fait primer la mort sur la vie

==> La personne présumée absente

L’article 112 du Code civil prévoit que « lorsqu’une personne a cessé de paraître au lieu de son domicile ou de sa résidence sans que l’on en ait eu de nouvelles, le juge des tutelles peut, à la demande des parties intéressées ou du ministère public, constater qu’il y a présomption d’absence. »

Il ressort de cette disposition que, lorsque les conditions de l’absence sont réunies, le juge rend une décision constatant la présomption d’absence.

Cette décision emporte deux effets majeurs :

  • Elle fixe le point de départ du délai au terme duquel la présomption d’absence sera convertie en déclaration d’absence, soit en un acte qui présumé l’absent mort
  • Elle instaure un système de représentation de l’absent qui fait l’objet des mêmes mesures de protection que celles prises à la faveur de l’incapable majeur

À cet égard, durant toute la période au cours de laquelle la présomption d’absence joue l’absent est présumé en vie, ce qui signifie que, à ce stade, non seulement sa succession ne saurait s’ouvrir, mais encore il conserve sa capacité à hériter comme précisé par l’article 725 du Code civil.

La présomption d’absence est, par ailleurs, sans incidence sur la situation matrimoniale de l’absent qui demeure marié ou pacsé.

Cette présomption emporte pour seule conséquence l’instauration d’une mesure de représentation de l’absent qui est traité comme un incapable, en ce qu’il fait l’objet des mêmes mesures de protection.

==> La personne déclarée absente

Lorsque la période de présomption d’absence arrive à son terme, s’amorce une seconde phase, celle de la déclaration d’absence qui conduit à présumer l’absent décédé.

Il ne s’agit donc plus ici d’assurer la protection de l’absent dont on présume qu’il est en vie, mais d’organiser la liquidation de ses intérêts, puisqu’on présume dorénavant qu’il est mort.

Le basculement de la présomption de vie vers une présomption de mort s’opère au bout d’un délai compris entre 10 et 20 ans selon le cas.

À l’analyse, ce délai varie selon que la présomption d’absence a ou non été judiciairement constatée

  • La présomption d’absence a été judiciairement constatée
    • L’article 122 du Code civil prévoit que « lorsqu’il se sera écoulé dix ans depuis le jugement qui a constaté la présomption d’absence, soit selon les modalités fixées par l’article 112, soit à l’occasion de l’une des procédures judiciaires prévues par les articles 217 et 219, 1426 et 1429, l’absence pourra être déclarée par le tribunal judiciaire à la requête de toute partie intéressée ou du ministère public».
    • Ainsi, dès lors que la présomption d’absence a été régulièrement constatée par le juge, la déclaration d’absence peut être prononcée.
    • Ce délai commence à courir à compter de la date fixée dans la décision qui a constaté la présomption d’absence
  • La présomption d’absence n’a pas été judiciairement constatée
    • L’absence de constatation judiciaire de la présomption d’absence n’est pas un obstacle au prononcé de la déclaration d’absence
    • L’article 122 du Code civil prévoit en ce sens que l’absence peut être déclarée lorsque « à défaut d’une telle constatation, la personne aura cessé de paraître au lieu de son domicile ou de sa résidence, sans que l’on en ait eu de nouvelles depuis plus de vingt ans. »
    • Cette hypothèse se rencontrera notamment, lorsque le patrimoine du présumé absent aura été administré par un mandataire, de sorte que le recours à la procédure visant à obtenir des mesures de protection était sans intérêt.
    • Aussi, s’il n’est pas nécessaire d’obtenir la constatation judiciaire de la présomption d’absence, le délai pour obtenir la déclaration d’absence est doublé.
    • La difficulté pour le demandeur consistera à rapporter la preuve de l’écoulement d’un délai de 20 ans.
    • Ainsi que l’observait Jean foyer l’objectif est ici « de protéger les intérêts d’un présumé absent contre des proches qui ne se sont pas montrés diligents pour la gestion de son patrimoine, ou dont on pourrait craindre qu’ils soient tentés de faire déclarer frauduleusement l’absence d’une personne vivante durablement éloignée de ses affaires».

L’article 128 du Code civil prévoit que « le jugement déclaratif d’absence emporte, à partir de la transcription, tous les effets que le décès établi de l’absent aurait eus. »

Ce jugement produit donc l’effet inverse que la présomption d’absence : l’absent bascule du statut de présumé en vie en présumé mort.

Il en résulte notamment que l’absent perd son aptitude à hériter, puisque sa personnalité juridique s’éteint.

D) Les personnes disparues

L’article 88 du Code civil prévoit que « peut être judiciairement déclaré, à la requête du procureur de la République ou des parties intéressées, le décès de tout Français disparu en France ou hors de France, dans des circonstances de nature à mettre sa vie en danger, lorsque son corps n’a pu être retrouvé. »

Il ressort de cette disposition que lorsqu’une personne a disparu dans des circonstances de nature à faire sérieusement douter de sa survie (naufrage, effondrement d’une mine, catastrophe naturelle, accident d’avion, incendie etc.), c’est le juge procédera à la constatation du décès pour cause de disparition.

La disparition se distingue de l’absence qui correspond à l’hypothèse où l’on ignore si la personne absente est morte ou encore en vie.

S’agissant de la disparition, il existe une probabilité très élevée que la personne soit décédée, en raison des circonstances violentes dans lesquelles elle a disparu.

Lorsque l’on a la certitude qu’une personne a été victime d’un naufrage ou d’un accident d’avion et que celle-ci ne réapparaît plus, il est vraisemblable, sinon certain qu’elle soit décédée.

S’agissant des effets de la disparition, il y a lieu de se reporter à l’article 91, al. 3e du Code civil.

Cette disposition prévoit que « les jugements déclaratifs de décès tiennent lieu d’actes de décès et sont opposables aux tiers, qui peuvent seulement en obtenir la rectification ou l’annulation, conformément aux articles 99 et 99-1 du présent code. »

Ainsi, la personne qui est déclarée disparue est réputée décédée à l’instar de la personne qui est déclarée absente.

Il en résulte que sa personnalité juridique prend fin, ce qui emporte, par voie de conséquence, son aptitude à hériter.

S’agissant de la date à laquelle il y a lieu de faire jouer les effets de la disparition, il convient de retenir, non pas la date de prononcé du jugement, mais la date à laquelle le disparu est réputé mort, laquelle doit nécessairement être fixée par la décision.

C’est donc à cette date qu’il y aura lieu de se placer afin d’apprécier l’aptitude de la personne disparue à succéder au de cujus.

E) Les personnes morales

En application de l’article 725 du Code civil, pour succéder, il faut en principe exister. Si l’on s’en tient à la lettre du texte, devraient donc être aptes à hériter, tant les personnes physiques, que les personnes morales.

S’agissant de ces dernières, bien qu’elles n’aient pas de réalité tangible, elles existent bien juridiquement. Et pour cause, en leur reconnaissant la personnalité juridique, la loi leur confère la capacité à détenir un patrimoine.

Rien ne devrait donc s’opposer à ce que les personnes morales puissent recueillir les biens d’une personne physique dans le cadre d’une succession.

Tel n’est pour autant pas l’état du droit qui subordonne l’acquisition de la qualité d’héritier à l’existence d’un lien de parenté ou d’alliance entre le de cujus et ses successibles.

Pour cette raison, les personnes morales sont inaptes à hériter, à tout le moins dans le cadre d’une succession ab intestat, soit la succession qui s’opère sans testament.

La jurisprudence, puis le législateur, ont toutefois admis que les personnes morales pouvaient, à certaines conditions, bénéficier d’une libéralité par voie de donation ou par voie testamentaire.

À l’analyse, l’aptitude d’une personne morale à recueillir une libéralité dépend de sa nature juridique (société, association, fondation etc.).

S’agissant des sociétés civiles et commerciales, la jurisprudence leur a très tôt reconnu cette aptitude (V. en ce sens Cass. req. 23 févr. 1891).

À cet égard, l’exercice de leur droit à recueillir une libéralité n’est nullement subordonné à l’octroi d’une quelconque autorisation, ni à l’accomplissement d’une déclaration (Cass. req., 29 nov. 1897).

Tout au plus, en raison du principe de spécialité qui limite leur capacité de jouissance, l’objet social figurant dans les statuts de la société civile ou commerciale devra comprendre la possibilité de recueillir une libéralité.

S’agissant des fondations, des congrégations et des associations, non seulement elles ont la capacité de recevoir des libéralités entre vifs ou par testament, mais encore qu’elles peuvent les accepter librement (art. 910 C. civ.).

L’article 910 prévoit néanmoins que si le préfet constate que l’organisme légataire ou donataire ne satisfait pas aux conditions légales exigées pour avoir la capacité juridique à recevoir des libéralités ou qu’il n’est pas apte à utiliser la libéralité conformément à son objet statutaire, il peut former opposition à la libéralité.

Afin que ce contrôle puisse effectivement être exercé, le décret n° 2007-807 du 11 mai 2007 fait peser une obligation de déclaration sur les associations, fondations et congrégations recueillant la libéralité.

 

 

[1] M. Grimaldi, Droit des successions, éd. LexisNexis, 2017, n°101, p. 77.

[2] Ph. Salvage, « La viabilité de l’enfant nouveau-né », RTD civ., 1976, p. 725

[3] G. Cornu, Droit civil, Introduction, les personnes, les biens, Domat Droit privé, 9ème éd., 1999, p. 186

Le lieu d’ouverture de la succession

La mort n’est pas la fin. Elle met seulement un terme à ce qui a commencé et à ce qui a vécu. Mais la vie se poursuit à travers ce qui reste et continue à exister.

Lorsque la Camarde vient frapper à la porte de celui dont l’heure est venue, le trépas emporte certes extinction de la personnalité juridique. Le défunt laisse néanmoins derrière lui un patrimoine, sans maître, qui a vocation à être immédiatement transmis à ceux qui lui survivent.

Cette transmission du patrimoine qui intervient concomitamment au moment du décès est exprimée par l’adage hérité de l’ancien droit « le mort saisit le vif par son hoir le plus proche ».

Ce principe procède de l’idée que la personne du défunt survit à travers ses successeurs – héritiers et légataires – lesquels ont vocation à recueillir l’ensemble de ses biens, mais également la totalité de ses dettes.

Parce que l’ouverture d’une succession s’accompagne d’enjeux, en particulier financiers, souvent importants, elle est de nature à plonger la famille dans une crise qui sera parfois profonde, les successeurs se disputant le patrimoine du défunt.

Le droit ne peut bien évidemment pas rester indifférent à cette situation qui menace la paix sociale et dont l’Histoire a montré qu’elle pouvait conduire à l’effondrement de royaumes entiers. La succession de Charlemagne a profondément marqué l’Histoire de France.

Bien que les héritiers soient immédiatement saisis à la mort du défunt, ce qui, concrètement, signifie qu’ils entrent en possession de son patrimoine sans période intercalaire, la transmission qui s’opère n’échappe pas à l’emprise du droit.

À cet égard, les règles qui connaissent de la transmission à cause de mort forment ce que l’on appelle le droit des successions.

Il ressort de ce corpus normatif que la transmission par voie successorale peut être réglée :

  • Soit par l’effet de la loi
    • On parle de succession ab intestat, ce qui signifie qui littéralement « sans testament»
    • Dans cette hypothèse, c’est donc la loi qui désigne les héritiers et détermine la part du patrimoine du de cujus (celui de la succession duquel il s’agit) qui leur revient
  • Soit par l’effet de la volonté
    • On parle ici de transmission par voie testamentaire, car résultant de l’établissement d’un acte appelé testament.
    • Dans cette hypothèse, c’est le de cujus qui désigne les personnes appelées à hériter (légataires) et qui détermine les biens ou la portion de biens (legs) qu’il leur entend leur léguer.

Que la transmission à cause de mort s’opère par l’effet de la loi ou par l’effet d’un testament, elle requiert, dans les deux cas, et au préalable, l’ouverture de la succession du défunt.

Cette ouverture de la succession soulève trois questions : quelles en sont les causes, à quel moment doit-elle intervenir et en quel lieu ?

Nous nous focaliserons ici sur le lieu d’ouverture de la succession.

La détermination du lieu d’ouverture de la succession présente deux enjeux :

  • Premier enjeu
    • En droit interne, certaines actions relèvent de compétence de la juridiction du lieu où la succession a été ouverte.
    • L’article 45 du CPC prévoit, par exemple, que, en matière de succession, sont portées devant la juridiction dans le ressort de laquelle est ouverte la succession, soit lieu du dernier domicile du défunt :
      • Les demandes entre héritiers ;
      • Les demandes formées par les créanciers du défunt ;
      • Les demandes relatives à l’exécution des dispositions à cause de mort
    • L’article 841 du Code civil dispose encore que « Le tribunal du lieu d’ouverture de la succession est exclusivement compétent pour connaître de l’action en partage et des contestations qui s’élèvent soit à l’occasion du maintien de l’indivision soit au cours des opérations de partage.»
    • Compte tenu de ces règles de compétence, le lieu d’ouverture de la succession n’est pas neutre.
    • Il peut être observé que s’il s’agit là de règles de compétence d’ordre public ; le juge n’a pas l’obligation de soulever son incompétence.
  • Second enjeu
    • En droit international privé, le lieu d’ouverture de la succession détermine la loi applicable.
    • Il en résulte qu’une succession ouverte en France sera soumise au droit français.
    • À l’inverse une succession dont le lieu d’ouverture est situé hors de France, sera soumise au droit étranger

À l’analyse, afin de déterminer le lieu d’ouverture de la succession du défunt, le texte applicable diffère selon que l’on est ou non en présence d’un conflit de lois, bien que le critère retenu, in fine, soit le même.

I) La fixation du lieu d’ouverture de la succession en l’absence de conflit de lois

L’article 720 du Code civil prévoit que « les successions s’ouvrent […] au dernier domicile du défunt. »

Il ressort de cette disposition que ce n’est donc pas au lieu du décès du défunt que la succession s’ouvre, mais au lieu où il avait établi son dernier domicile.

La raison en est que c’est à cet endroit que les principaux biens et intérêts du de cujus sont vraisemblablement localisés.

Il devrait donc être plus commode de procéder aux opérations de liquidation de son patrimoine.

En cas de doute sur la localisation du dernier domicile du défunt, il conviendra de combiner un critère matériel (lieu où sont concentrés les principaux intérêts du de cujus) avec un critère intentionnel (lieu choisi intentionnellement par le de cujus pour y concentrer ses intérêts).

À cet égard, il est indifférent que le dernier domicile du défunt soit volontaire ou légal, ou encore qu’il soit situé en France ou à l’étranger, encore que dans cette dernière hypothèse, c’est le règlement européen qu’il y aura lieu d’appliquer afin de déterminer le lieu d’ouverture de la succession.

II) La fixation du lieu d’ouverture de la succession en présence d’un conflit de lois

En réaction à la pluralité des lois successorales édictées dans les différentes régions  du monde qui rend difficile le règlement des successions qui comportent une dimension internationale, a été adoptée, au sein de l’Union Européenne, le règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement et du conseil du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat européen.

Le législateur européen est parti du postulat qu’il était nécessaire d’adopter un instrument en matière de successions, traitant notamment des questions de conflits de lois, de la compétence, de la reconnaissance mutuelle et de l’exécution des décisions dans le domaine des successions ainsi que d’un certificat successoral européen.

Plus précisément, il y a lieu de faciliter le bon fonctionnement du marché intérieur en supprimant les entraves à la libre circulation de personnes confrontées aujourd’hui à des difficultés pour faire valoir leurs droits dans le contexte d’une succession ayant des incidences transfrontières.

Il a encore été avancé, au soutien de l’adoption du règlement, que, dans l’espace européen de justice, les citoyens doivent être en mesure d’organiser à l’avance leur succession. Les droits des héritiers et légataires, des autres personnes proches du défunt ainsi que des créanciers de la succession doivent être garantis de manière effective.

Ce règlement européen soulève une double interrogation :

  • Quel est son champ d’application
  • Quel est le système de règlement des conflits de lois qu’il met en place

A) Le champ d’application du règlement européen

==> Le champ d’application rationne temporis du règlement européen

Aux termes de l’article 83 du texte communautaire « le présent règlement s’applique aux successions des personnes qui décèdent le 17 août 2015 ou après le 17 août 2015. »

Aussi, convient-il de distinguer selon que la succession a été ouverte avant ou après le 17 août 2015.

  • Pour les successions ouvertes avant le 17 août 2015, elles sont soumises aux règles anciennes de conflits de lois
  • Pour les successions ouvertes après le 17 août 2015, c’est le règlement européen qui s’applique

==> Le champ d’application rationne loci du règlement européen

La question qui ici se pose est de savoir si le règlement est seulement applicable aux successions entretenant un lien avec la loi d’un État membre de l’Union européenne.

La lecture de l’article 20 du texte, nous apporte une réponse négative à cette question.

Aux termes de cette disposition « toute loi désignée par le présent règlement s’applique même si cette loi n’est pas celle d’un État membre. »

Le domaine d’application du règlement européen a donc une portée universelle. Il s’applique aux successions qui entretiennent un lien, tant avec un État membre, qu’avec un pays étranger.

B) Le système de règlement du conflit de lois

Sur ce point, le règlement européen a plusieurs innovations.

Antérieurement à son adoption, les règles de conflits lois en vigueur dans les différents États membres ne retenaient pas les mêmes systèmes de détermination du droit applicable de sorte que cela pouvait conduire à l’adoption de solutions radicalement opposées.

Tandis que certains systèmes envisageaient l’appréhension de la succession selon l’application d’une loi unique, d’autres distinguaient entre les meubles et les immeubles. D’autres encore admettaient que le défunt puisse désigner la loi applicable.

Le législateur européen est intervenu afin de mettre à ce morcellement des droits nationaux qui ne permettait pas d’avoir un système cohérent.

Il en est résulté l’adoption de deux innovations majeures :

  • Première innovation : le critère de la résidence habituelle
    • Il est apparu nécessaire pour ce dernier que, compte tenu de la mobilité croissante des citoyens et afin d’assurer une bonne administration de la justice au sein de l’Union et de veiller à ce qu’un lien de rattachement réel existe entre la succession et l’État membre dans lequel la compétence est exercée, le règlement prévoit que le facteur général de rattachement aux fins de la détermination, tant de la compétence que de la loi applicable, soit la résidence habituelle du défunt au moment du décès.
    • Ainsi, le règlement européen a-t-il instauré comme critère de rattachement commun à tous les États membre la résidence habituelle du défunt.
  • Seconde innovation : l’admission de la professio juris
    • Autre innovation du règlement, il autorise le défunt à choisir la loi applicable à sa succession, soit le système de ce que l’on appelle la professio juris
    • Le législateur européen est parti de l’idée que dans l’espace européen de justice, les citoyens doivent être en mesure d’organiser à l’avance leur succession.
    • Il en résulte qu’ils doivent être en mesure d’organiser à l’avance leur succession.

Envisageons chacune de ces deux innovations introduites par le règlement européen tour à tour.

1. Sur l’admission de la professio juris

==> Consécration

La faculté pour le défunt de désigner dans son testament la loi applicable, faculté appelée pour savamment professio juris a été admise par la Convention de La Haye 1er août 1989 sur la loi applicable aux successions à cause de mort.

L’objectif poursuivi par les États signataires de cette convention était de placer la volonté du défunt au cœur du dispositif de règlement du conflit.

Pratiquement, cela lui permet d’organiser sa dévolution successorale, notamment lorsque son patrimoine est dispersé dans différents pays.

Séduit par cette prise en compte de la volonté du défunt qui permet encore de contourner les difficultés de mise en œuvre du critère de rattachement à la dernière résidence habituelle, le législateur a admis la professio juris à l’occasion de l’adoption du règlement du 4 juillet 2012.

L’article 22 de ce texte prévoit en ce sens que « une personne peut choisir comme loi régissant l’ensemble de sa succession la loi de l’État dont elle possède la nationalité au moment où elle fait ce choix ou au moment de son décès. »

L’exercice de la liberté dont jouit le défunt de désigner la loi applicable à sa dévolution successorale est cependant soumis à conditions.

==> Conditions

  • Les conditions de fond
    • L’article 22, 1° du règlement européen pose comme condition au choix offert au défunt que la loi désignée soit celle de l’État dont il possède la nationalité
      • Soit au moment où le choix est effectué
      • Soit au moment du décès
    • Dans l’hypothèse où le défunt est titulaire de plusieurs nationalités, le règlement l’autorise à choisir la loi de tous les États dont il est ressortissant
  • Les conditions de forme
    • L’article 22, 2° dispose que le choix effectué par le défunt doit être formulé de manière expresse dans une déclaration revêtant la forme d’une disposition à cause de mort.
    • Par disposition à cause de mort il faut entendre « un testament, un testament conjonctif ou un pacte successoral »
    • Cette disposition ajoute, en outre, que la professio juris « peut résulter des termes» d’une disposition à cause de mort.
    • Est-ce à dire que le choix du défunt peut être implicite ?
    • La lecture du considérant 39 du règlement permet d’envisager cette hypothèse.
    • Ce considérant énonce, en effet, que « le choix de la loi pourrait être considéré comme résultant d’une disposition à cause de mort dans le cas où, par exemple, dans sa disposition, le défunt avait fait référence à des dispositions spécifiques de la loi de l’État de sa nationalité ou dans le cas où il avait mentionné cette loi d’une autre manière.»

2. Sur l’adoption du critère de la résidence habituelle

Aux termes de l’article 21 de ce texte, « sauf disposition contraire du présent règlement, la loi applicable à l’ensemble d’une succession est celle de l’État dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès. »

Ainsi, la loi applicable est celle, non pas de l’État dont était ressortissant le défunt, mais de l’État dans lequel il était établi, soit à l’endroit où il vit.

La question qui immédiatement se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par « résidence habituelle ».

Pour le déterminer, il convient de se reporter aux considérants 23 et 24 du règlement qui envisagent la notion de résidence habituelle.

a. La notion de résidence habituelle à la lumière du règlement européen

==> La méthode du faisceau d’indices

Le considérant 23 du règlement suggère au juge de recourir à la méthode du faisceau d’indices pour déterminer le lieu de la résidence habituelle du défunt.

Il prévoit que « afin de déterminer la résidence habituelle, l’autorité chargée de la succession devrait procéder à une évaluation d’ensemble des circonstances de la vie du défunt au cours des années précédant son décès et au moment de son décès, prenant en compte tous les éléments de fait pertinents, notamment la durée et la régularité de la présence du défunt dans l’État concerné ainsi que les conditions et les raisons de cette présence. »

Ce considérant ajoute que « la résidence habituelle ainsi déterminée devrait révéler un lien étroit et stable avec l’État concerné, compte tenu des objectifs spécifiques du présent règlement. »

==> Appréhension des cas complexes

Le considérant 24 du règlement évoque certains cas pour lesquels il pourrait s’avérer complexe de déterminer la résidence habituelle du défunt.

À cet égard, deux cas complexes sont envisagés par le règlement:

  • Premier cas
    • Il s’agit de l’hypothèse où, pour des raisons professionnelles ou économiques, le défunt était parti vivre dans un autre État pour y travailler, parfois pendant une longue période, tout en ayant conservé un lien étroit et stable avec son État d’origine.
    • Le considérant prévoit que, dans un tel cas, le défunt pourrait, en fonction des circonstances de l’espèce, être considéré comme ayant toujours sa résidence habituelle dans son État d’origine, dans lequel se trouvait le centre des intérêts de sa vie familiale et sociale.
  • Second cas
    • Il s’agit de l’hypothèse où le défunt vivait de façon alternée dans plusieurs États ou voyageait d’un État à un autre sans s’être installé de façon permanente dans un État.
    • Le considérant énonce que, en pareil cas, si le défunt était ressortissant de l’un de ces États ou y avait l’ensemble de ses principaux biens, sa nationalité ou le lieu de situation de ces biens pourrait constituer un critère particulier pour l’appréciation globale de toutes les circonstances de fait.

b. La notion de résidence habituelle à la lumière de la jurisprudence

==> La jurisprudence européenne

Dans un arrêt du 2 avril 2009, la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur la notion de résidence habituelle, non pas dans le cadre de l’application du règlement européen du 4 juillet 2012, mais s’agissant de l’interprétation du règlement (CE) nº 2201/2003 du 27 novembre 2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale (CJCE, 2 avr. 2009, aff. C-523/07).

Aussi, a-t-elle apporté un certain nombre de précisions sur la notion de résidence habituelle.

Elle a notamment estimé que « cette résidence correspond au lieu qui traduit une certaine intégration de l’enfant dans un environnement social et familial. À cette fin, doivent notamment être pris en considération la durée, la régularité, les conditions et les raisons du séjour sur le territoire d’un État membre et du déménagement de la famille dans cet État, la nationalité de l’enfant, le lieu et les conditions de scolarisation, les connaissances linguistiques ainsi que les rapports familiaux et sociaux entretenus par l’enfant dans ledit État. »

Il ressort de cette décision que si la notion de résidence habituelle vise le lieu du centre de vie de l’intéressé, il faut tenir compte d’éléments de fait qui doivent être appréciés, au cas par cas, par les juges du fond.

==> La jurisprudence française

L’examen de la jurisprudence révèle que la notion de résidence habituelle n’a pas été définie par la Cour de cassation.

Cette notion est appréhendée par les juges au cas par cas qui, comme suggéré par le règlement européen, recourent à la méthode du faisceau d’indice pour mettre en œuvre ce critère de rattachement.

Dans un arrêt du 7 décembre 2005, la Cour de cassation prend notamment en considération :

  • La localisation des intérêts du défunt
  • La domiciliation du défunt dans son testament

Dans un autre arrêt du 30 décembre 2006, la Cour de cassation prend pareillement en compte (Cass. 1ère civ., 30 oct. 2006 ):

  • Le lieu de vie du défunt avec son épouse
  • La localisation de ses intérêts

Manifestement, il ressort de ces deux décisions que le principal élément dont tient compte la Cour de cassation pour déterminer le lieu de résidence habituelle du défunt, c’est l’endroit où étaient situés ses principaux intérêts.

À cet égard, la Cour de cassation a récemment rendu une décision qui retient particulièrement l’attention.

Dans un arrêt du 27 septembre 2017, elle a, en effet, été amenée à se prononcer, dans cette affaire, sur la détermination de la loi applicable à la succession d’un ressortissant français, Maurice JARRE, domicilié et décédé dans l’État de Californie (Cass. 1ère civ. 27 sept. 2017, n°16-17.198).

La question posée à la haute juridiction était notamment de savoir quelle loi successorale avait vocation à régir la dévolution du patrimoine du défunt. Devait-on appliquer la loi californienne ou la loi française.

==> Faits

Après s’être marié en date du 6 décembre 1984 avec Madame Fong F. Khong, le célèbre artiste Maurice JARRE a constitué en 1991 avec son épouse un trust family.

Ce mécanisme inconnu du droit français, consiste, selon le droit Californien, pour un ou plusieurs membres d’une même famille, appelés constituants, à transférer la propriété de tout ou partie de leurs biens à une entité tierce, le fiduciaire ou trust, aux fins de réaliser un objet conventionnellement défini à la faveur de bénéficiaires.

Tant que la condition posée par les constituants ne s’est pas réalisée, le fiduciaire demeure propriétaire des biens qui lui ont été affectés.

En l’espèce, Maurice JARRE et son épouse étaient les deux uniques constituants (trustors) et administrateurs (trustees) du trust.

En 1995, ils ont par suite constitué une société civile immobilière à laquelle ils ont apporté un bien immobilier situé à Paris et acquis en 1981.

Au décès de Maurice JARRE, le 29 mars 2009 à Los Angeles (Californie), il est ressorti de son testament, établi le 31 juillet 2008, qu’il avait entendu léguer tous ses biens meubles à son épouse et le reliquat de sa succession au fiduciaire trust, déshéritant par-là même ses trois enfants, dont Jean-Michel JARRE.

Consécutivement, l’épouse a exprimé son souhait de contester à ces derniers tout droit à la succession de leur père.

==> Demande

Les enfants de Maurice JARRE ont assigné son épouse, la SCI et les sociétés française et américaine de gestion des droits d’auteur sur deux fondements juridiques distincts :

  • Premier fondement
    • Les demandeurs invoquent, tout d’abord, le droit de prélèvement énoncé à l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 relative à l’abolition du droit d’aubaine et de détraction.
    • Aux termes de cette disposition « dans le cas de partage d’une même succession entre des cohéritiers étrangers et français, ceux-ci prélèveront sur les biens situés en France une portion égale à la valeur des biens situés en pays étranger dont ils seraient exclus, à quelque titre que ce soit, en vertu des lois et coutumes locales. »
    • Au titre de ce droit de prélèvement, lorsqu’une succession comporte un élément d’extranéité, les héritiers français disposent de la faculté de réclamer sur des biens situés en France la part successorale que lui octroierait la loi française et dont il a été exclu par la loi successorale étrangère
  • Second fondement
    • Au soutien de leur action, les enfants de Maurice JARRE avancent encore que, en les privant de leur part réservataire, la loi Californienne porterait atteinte à l’ordre public international français.
    • C’est donc la loi française qui aurait vocation à s’appliquer par exception au principe posé par la règle de conflit qui, en l’espèce, désignait la loi Californienne

==> Procédure

Par un arrêt du 11 mai 2016, la Cour d’appel de Paris a débouté les requérants de leurs deux demandes.

  • D’une part, les juges du fond ont estimé que l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 ne peut pas être appliqué dans le présent litige, en raison de son abrogation consécutivement à la décision n° 2011-159 QPC du 5 août 2011 rendu par le Conseil constitutionnel
  • D’autre part, ils ont considéré qu’aucun élément ne permettait d’écarter l’application de la loi californienne à la faveur de la loi française

Pour ces deux raisons, la Cour d’appel de Paris rejette les prétentions des enfants de Maurice JARRE

==> Solution

Par un arrêt du 27 septembre 2017, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par les demandeurs.

  • Sur le premier moyen
    • La Cour de cassation considère que :
      • En premier lieu, « aux termes de l’article 62, alinéa 3, de la Constitution, les décisions du Conseil constitutionnel s’imposent à toutes les autorités juridictionnelles»
      • En second lieu, « que, lorsque la déclaration d’inconstitutionnalité est rendue sur une question prioritaire de constitutionnalité, la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel dès lors que celui-ci n’a pas usé du pouvoir, que les dispositions de l’article 62, alinéa 2, de la Constitution lui réservent, de fixer la date de l’abrogation et reporter dans le temps ses effets ou de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l’intervention de cette déclaration».
    • Après avoir relevé que, dans sa décision du 5 août 2011, le Conseil constitutionnel avait abrogé l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 et qu’aucune décision revêtue de l’autorité de la chose jugée ni aucune reconnaissance de droit antérieure à la publication de cette décision n’avait consacré le droit de prélèvement que les enfants de Maurice JARRE entendaient exercer, la première chambre civile en déduit que ces derniers ne pouvaient valablement invoquer les dispositions abrogées.
    • En somme, pour la haute juridiction, dès lors que le Conseil constitutionnel n’avait pas jugé opportun dans sa décision de reporter dans le temps les effets de l’abrogation de l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819, celui-ci était insusceptible de recevoir une application dans l’instance en cours
    • La Cour de cassation considère, en outre, que, contrairement à ce qu’ils prétendaient, les enfants de Maurice JARRE ne justifiaient d’aucune atteinte à leur droit de propriété, tel que protégé par l’article 1er du Protocole additionnel n°1 à la Convention Européenne des Droits de l’Homme.
    • Aux termes de cette disposition, « toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international».
    • Aussi, pour la première chambre civile, « le droit au respect des biens garanti par l’article 1er du Protocole n° 1 additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne garantit pas celui d’en acquérir par voie de succession ab intestat ou de libéralités».
    • La raison en est que le droit de prélèvement en vigueur au moment du décès du de cujus ne confère aucun droit héréditaire définitivement reconnu aux héritiers, de sorte qu’ils ne disposent pas de biens au sens de l’article 1er du Protocole additionnel n°1.
    • D’où le rejet des prétentions des enfants de Maurice JARRE qui n’étaient donc pas fondés à exciper d’une atteinte à leur droit de propriété.
  • Sur le second moyen
    • D’abord, la Cour de cassation affirme « qu’une loi étrangère désignée par la règle de conflit qui ignore la réserve héréditaire n’est pas en soi contraire à l’ordre public international français et ne peut être écartée que si son application concrète, au cas d’espèce, conduit à une situation incompatible avec les principes du droit français considérés comme essentiels».
    • Ensuite, elle relève :
      • D’une part, que le dernier domicile du défunt est situé dans l’État de Californie, que ses unions, à compter de 1965, ont été contractées aux États-Unis, où son installation était ancienne et durable
      • D’autre part, que les requérants ne soutiennent pas se trouver dans une situation de précarité économique ou de besoin
    • Enfin, elle en déduit qu’il n’y avait pas lieu d’écarter la loi californienne au profit de la loi française
    • La première chambre civile réfute ainsi l’argument des enfants de Maurice JARRE qui soutenaient que la réserve héréditaire, qui a pour vocation de protéger la pérennité économique et sociale de la famille, l’égalité des enfants et les volontés et libertés individuelles des héritiers, est un principe essentiel du droit français relevant de l’ordre public international.
    • Il en résulte que la loi californienne, qui ne connaît pas la réserve héréditaire, ne saurait être appliquée car conduisant à admettre que le de cujus puisse exhéréder totalement ses descendants.

==> Analyse

Il ressort de l’arrêt du 27 septembre 2017que pour déterminer la loi applicable à la succession de Maurice JARRE, la Cour de cassation se réfère, une nouvelle fois, au critère de la résidence habituelle.

Aussi, opère-t-elle un contrôle pour le moins rigoureux sur la motivation des juges du fond, relève un certain nombre de circonstances de faits :

  • Tout d’abord, elle constate que le dernier domicile du défunt était situé dans l’État de Californie
  • Ensuite, elle relève que ses unions, à compter de 1965, ont toutes été contractées aux États-Unis
  • Enfin, elle observe que l’installation de Maurice JARRE dans l’État de Californie était ancienne et durable

Le contrôle ainsi exercé par la Cour de cassation sur les critères de détermination de la résidence habituelle indique qu’il appartient aux juges du fond, pour fonder leur décision, de recourir à la méthode du faisceau d’indices.

En cas de doute ou de contradiction des circonstances de fait, le critère qui retiendra particulièrement l’attention du juge est celui du lieu où se situent les principaux intérêts du défunt.

Il ressort, en effet, de la jurisprudence antérieure et du présent arrêt que ce critère prime sur tous les autres.

Cass. 1ère civ. 27 sept. 2017
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 11 mai 2016), que Maurice X..., compositeur de musique, de nationalité française, s’est marié le 6 décembre 1984 avec Mme Z... ; qu’en 1991, Maurice X... et son épouse ont constitué, selon le droit californien, le X... family trust, dont ils étaient les deux uniques “trustors” et “trustees”, et auquel ont été transférés tous les biens de Maurice X... ; qu’en 1995, ils ont constitué une société civile immobilière (la SCI), à laquelle a été apporté le bien immobilier sis à Paris, acquis par celui-ci en 1981 ; qu’il est décédé le [...] à Los Angeles, Etat de Californie (Etats-Unis d’Amérique), laissant à sa survivance son épouse, deux enfants issus de précédentes unions, Jean-Michel et Stéphanie (les consorts X...), et un fils adoptif, Kevin, en l’état d’un testament du 31 juillet 2008 léguant tous ses biens meubles à son épouse et le reliquat de sa succession au fiduciaire du trust ; qu’en 2010, Mme Z... leur ayant contesté tout droit à la succession de leur père, les consorts X... l’ont assignée ainsi que Kevin X..., décédé en cours de procédure, la SCI et les sociétés française et américaine de gestion des droits d’auteur, afin de voir juger les tribunaux français compétents à l’égard des héritiers réservataires français pour connaître de l’exercice du droit de prélèvement prévu à l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 ; que par décision du 5 août 2011 (n° 2011-159 QPC), le Conseil constitutionnel, saisi dans une autre instance, a déclaré cette disposition contraire à la Constitution ;

Sur le premier moyen, pris en ces cinq premières branches :

Attendu que les consorts X... font grief à l’arrêt de dire que l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 ne peut pas être appliqué dans le présent litige et de rejeter leurs demandes, alors, selon le moyen :

1°/ que la loi ne dispose que pour l’avenir et qu’elle n’a point d’effet rétroactif ; que la dévolution successorale est soumise aux règles en vigueur au moment de l’ouverture de la succession ; que l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819, qui détermine l’étendue de la part successorale d’un héritier français dans une succession internationale, est une règle relative à la dévolution successorale ; qu’une telle règle était donc applicable aux successions ouvertes avant son abrogation ; qu’au cas présent, la succession de Maurice X... a été ouverte le 29 mars 2009, avant l’abrogation de l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 par le Conseil constitutionnel, le 5 août 2011 ; que la succession, et notamment la part successorale des héritiers français, était donc soumise aux règles en vigueur à cette date, y compris l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 ; qu’en écartant l’application de cette loi pour cela qu’il ne s’agirait pas d’une règle relative à la dévolution successorale mais d’une exception à la règle de conflit de lois, la cour d’appel a violé l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819, ensemble l’article 2 du code civil ;

 2°/ qu’à supposer que l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 soit assimilable à une règle portant sur le partage de la succession, la succession restait soumise à la loi en vigueur au moment du décès ; que le partage étant déclaratif, il ne saurait remettre en cause les parts successorales résultant de l’application des règles en vigueur au moment de l’ouverture de la succession ; qu’en se fondant sur ce que le droit de prélèvement serait une règle relative au partage, pour refuser d’appliquer la loi en vigueur au moment de l’ouverture de la succession et en privant ainsi les consorts X... du prélèvement auquel leur donnait droit la loi de 1819 alors encore en vigueur, la cour d’appel a violé l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819, ensemble l’article 2 du code civil ;

3°/ que la loi ne dispose que pour l’avenir et qu’elle n’a point d’effet rétroactif ; qu’une règle de conflit de lois n’a pas davantage d’effet rétroactif qu’une règle substantielle ; qu’une succession internationale est donc soumise aux règles de conflit de lois applicables au jour de son ouverture ; qu’à supposer donc même que l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 ne soit pas une règle de dévolution successorale mais une exception à la règle normale de conflit de lois, elle était tout de même applicable aux successions ouvertes avant son entrée en vigueur ; qu’au cas présent, la succession de Maurice X... a été ouverte le 29 mars 2009, avant l’abrogation de l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 par le Conseil constitutionnel, le 5 août 2011 ; que la succession était donc soumise aux règles en vigueur à cette date, y compris l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 ; qu’en écartant l’application de cette loi au motif qu’il ne s’agirait pas d’une règle relative à la dévolution successorale mais d’une exception à la règle de conflit de lois, la cour d’appel a violé l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819, ensemble l’article 2 du code civil ;

4°/ que l’application immédiate de la loi nouvelle, ou d’une décision du Conseil constitutionnel, implique que celle-ci sera immédiatement appliquée aux faits postérieurs à son entrée en vigueur ; que cette application immédiate, qui est de principe, s’oppose à l’application rétroactive, selon laquelle la loi ou décision nouvelle est appliquée aux litiges en cours relatifs à des faits antérieurs, et qui, elle, est d’exception ; qu’au cas présent, après avoir énoncé que la décision d’inconstitutionnalité n’était pas rétroactive, la cour d’appel a, par motifs adoptés, estimé qu’« il y a lieu de constater l’application immédiate de cette décision au litige dont le tribunal est saisi », lequel portait par hypothèse sur une succession ouverte antérieurement à ladite décision du Conseil constitutionnel ; qu’en statuant ainsi, la cour d’appel, qui a confondu application immédiate et rétroactivité, a violé l’article 2 du code civil ;

5°/ qu’au jour de l’ouverture de la succession, l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 était toujours en vigueur ; qu’à cette date, les consorts X... disposaient donc du droit de prélever dans les biens situés en France la part dont ils étaient privés dans la masse successorale californienne par l’effet de la loi californienne ; que cette part successorale constitue un bien protégé par l’article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme ; qu’en faisant rétroagir la décision d’abrogation du 5 août 2011 et en les privant ainsi rétroactivement de leur part dans la succession de leur père, la cour d’appel a porté une atteinte disproportionnée au droit au respect des biens garanti par l’article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Mais attendu, d’une part, qu’aux termes de l’article 62, alinéa 3, de la Constitution, les décisions du Conseil constitutionnel s’imposent à toutes les autorités juridictionnelles ; que, lorsque la déclaration d’inconstitutionnalité est rendue sur une question prioritaire de constitutionnalité, la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel dès lors que celui-ci n’a pas usé du pouvoir, que les dispositions de l’article 62, alinéa 2, de la Constitution lui réservent, de fixer la date de l’abrogation et reporter dans le temps ses effets ou de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l’intervention de cette déclaration ; qu’ayant constaté, par motifs propres et adoptés, que dans sa décision du 5 août 2011 (n° 2011-159 QPC), le Conseil constitutionnel avait abrogé l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 et qu’aucune décision revêtue de l’autorité de la chose jugée ni aucune reconnaissance de droit antérieure à la publication de cette décision, le 6 août suivant, n’avait consacré le droit de prélèvement que les consorts X... entendaient exercer, la cour d’appel en a déduit à bon droit qu’ils ne pouvaient invoquer les dispositions abrogées ;

Attendu, d’autre part, qu’après avoir relevé que le droit au respect des biens garanti par l’article 1er du Protocole n° 1 additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne garantit pas celui d’en acquérir par voie de succession ab intestat ou de libéralités, et constaté que les consorts X..., auxquels le droit de prélèvement en vigueur au moment du décès de leur père n’avait conféré aucun droit héréditaire définitivement reconnu, ne disposaient pas de biens au sens de l’article précité, elle a exactement retenu que ceux-ci n’étaient pas fondés à exciper d’une atteinte à leur droit de propriété ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen  :

Attendu que les consorts X... font grief à l’arrêt de dire que la réserve héréditaire ne relève pas de l’ordre public international français et de rejeter leurs demandes, alors, selon le moyen, que la réserve héréditaire, qui a pour vocation de protéger la pérennité économique et sociale de la famille, l’égalité des enfants et les volontés et libertés individuelles des héritiers, est un principe essentiel du droit français relevant de l’ordre public international ; qu’au cas présent, en refusant d’écarter la loi californienne, qui, pourtant, ne connaît pas la réserve et permet ainsi au de cujus d’exhéréder complètement ses descendants, la cour d’appel a violé l’article 3 du code civil ;

Mais attendu qu’une loi étrangère désignée par la règle de conflit qui ignore la réserve héréditaire n’est pas en soi contraire à l’ordre public international français et ne peut être écartée que si son application concrète, au cas d’espèce, conduit à une situation incompatible avec les principes du droit français considérés comme essentiels ;

Et attendu qu’après avoir énoncé que la loi applicable à la succession de Maurice X... est celle de l’État de Californie, qui ne connaît pas la réserve, l’arrêt relève, par motifs propres, que le dernier domicile du défunt est situé dans l’État de Californie, que ses unions, à compter de 1965, ont été contractées aux États-Unis, où son installation était ancienne et durable et, par motifs adoptés, que les parties ne soutiennent pas se trouver dans une situation de précarité économique ou de besoin ; que la cour d’appel en a exactement déduit qu’il n’y avait pas lieu d’écarter la loi californienne au profit de la loi française ; que le moyen n’est pas fondé ;

Sur le premier moyen, pris en sa sixième branche, et le troisième moyen, ci-après annexés :

Attendu que ces griefs ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Par ces motifs :

REJETTE le pourvoi ;

3. Les exceptions au critère de la résidence habituelle

En application du règlement européen du 4 juillet 2012, la loi applicable à la succession du défunt est, en principe, celle du lieu de sa résidence habituelle.

Ce texte a toutefois assorti cette règle de deux exceptions.

==> L’exception d’ordre public international

Aux termes l’article 35 du règlement européen du 4 juillet 2012 prévoit que « l’application d’une disposition de la loi d’un État désignée par le présent règlement ne peut être écartée que si cette application est manifestement incompatible avec l’ordre public du for. »

Autrement dit, en cas de contrariété de la loi étrangère à l’ordre public international, son application est écartée à la faveur de la loi du for.

Dans son arrêt du 27 septembre 2017, pour justifier l’application de la loi californienne, la Cour de cassation a ainsi estimé que, contrairement à ce qui était allégué par les requérants, cette loi ne portait nullement atteinte à l’ordre public international.

La première chambre civile a, en effet, considéré « qu’une loi étrangère désignée par la règle de conflit qui ignore la réserve héréditaire n’est pas en soi contraire à l’ordre public international français et ne peut être écartée que si son application concrète, au cas d’espèce, conduit à une situation incompatible avec les principes du droit français considérés comme essentiels »

Autrement dit, pour la Cour de cassation, la réserve héréditaire ne revêt pas un caractère d’ordre public international.

La décision ici rendue par la Cour de cassation a de quoi surprendre, ne serait-ce que parce qu’elle admet que, au moyen de la désignation d’une loi étrangère, un défunt puisse exhéréder ses enfants.

Aussi, cela marque-t-il un certain déclin de la réserve héréditaire, institution qui prend ses racines dans l’ancien régime.

La position que la haute juridiction adopte, en l’espèce, n’est toutefois pas sans nuance.

Au soutien de sa décision elle relève :

  • D’une part, que l’absence de reconnaissance de la réserve héréditaire ne conduit à une situation incompatible avec les principes du droit français considérés comme essentiels
  • D’autre part, que les parties ne se trouvaient pas dans une situation de précarité économique ou de besoin

On en déduit que dès lors que l’un de ces deux critères est rempli, la réserve héréditaire pourrait être reconnue comme relevant de l’ordre public international.

Il appartiendra donc aux juridictions d’apprécier l’exception d’ordre public au cas par cas.

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir ce que l’on doit entendre par « la situation incompatible avec les principes du droit français considérés comme essentiels »

D’aucuns soutiennent que la Cour de cassation vise l’hypothèse où la loi étrangère opérerait une discrimination entre les héritiers réservataires, notamment entre les enfants légitimes, naturels ou encore adultérins.

En dehors de cette hypothèse, sauf à ce que les successibles justifient d’une situation de précarité économique, on voit mal comment la loi étrangère qui autorise le défunt à déshériter ses enfants pourrait être écartée.

Doit-on voir dans la décision rendue par la Cour de cassation une influence du droit européen, bien que la solution rendue ait été adoptée sous l’empire du droit antérieur ?

Pour le déterminer, il convient de se reporter au règlement européen du 4 juillet 2012 qui, dans son considérant 58, envisage les différents cas dans lesquels l’ordre public international est susceptible d’être invoqué.

Ainsi, est-il prévu que « dans des circonstances exceptionnelles, des considérations d’intérêt public devraient donner aux juridictions et aux autres autorités compétentes des États membres chargées du règlement des successions la possibilité d’écarter certaines dispositions d’une loi étrangère lorsque, dans un cas précis, l’application de ces dispositions serait manifestement incompatible avec l’ordre public de l’État membre concerné. »

Le texte européen précise néanmoins que « les juridictions ou autres autorités compétentes ne devraient pas pouvoir appliquer l’exception d’ordre public en vue d’écarter la loi d’un autre État membre ou refuser de reconnaître — ou, le cas échéant, d’accepter —, ou d’exécuter une décision rendue, un acte authentique ou une transaction judiciaire d’un autre État membre, lorsque ce refus serait contraire à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, en particulier à son article 21 qui interdit toute forme de discrimination. »

Il ressort de ce considérant du règlement européen que dès lors que la loi étrangère porte atteinte, soit à l’ordre public d’un état membre, soit aux principes fondamentaux du droit européen, elle doit être écartée.

De toute évidence, la solution adoptée par la Cour de cassation dans son arrêt du 27 septembre 2017 est très proche des termes du règlement.

Elle est d’autant plus conforme à ce texte que si elle avait adopté le contraire, cela serait revenu, en définitive, à altérer la liberté reconnue en 2012 au défunt de désigner la loi applicable à sa succession.

Pour cette raison, la décision de la première chambre civile est parfaitement cohérente au regard de l’évolution du droit européen.

==> La clause de sauvegarde

Aux termes de l’article 21, 2° du règlement européen du 4 juillet 2012 « lorsque, à titre exceptionnel, il résulte de l’ensemble des circonstances de la cause que, au moment de son décès, le défunt présentait des liens manifestement plus étroits avec un État autre que celui dont la loi serait applicable en vertu du paragraphe 1, la loi applicable à la succession est celle de cet autre État. »

Dans cette hypothèse, la loi du lieu de la résidence habituelle est donc écartée.

Les règles de dévolution successorale en cas de décès simultanés ou la situation des comourants

==> Données du problème

Il est un cas où la détermination de la date du décès requiert une attention somme toute particulière : c’est l’hypothèse où plusieurs personnes ayant vocation à hériter les unes des autres décèdent dans un même événement.

Cette situation – tragique – se rencontrera lors de catastrophes aériennes, de naufrages maritimes, d’accidents de la route, d’attentats terroristes, de catastrophes naturelles (incendie, avalanche, tsunami etc.) ou encore en temps de guerre (bombardement, déportation, etc.).

La difficulté soulevée par la situation des comourants tient à la détermination de l’ordre des successions.

Selon la chronologie des décès que l’on retient, la dévolution successorale est susceptible d’être radicalement différente.

Supposons un couple marié qui périt dans un accident de la route. Tandis que l’époux laisse pour seul parent un frère, sa conjointe laisse quant à elle une tante.

  • Hypothèse 1
    • Le mari est réputé être décédé le premier.
    • Dans cette hypothèse, c’est la conjointe qui hérite, car elle prime sur le frère du mari
    • Dans la mesure où elle aussi décède, c’est sa tante qui a vocation à recueillir la succession de cette dernière et incidemment celle de son mari
  • Hypothèse 2
    • L’épouse est réputée être décédée en premier
    • Dans cette hypothèse, c’est la dévolution successorale inverse qui s’opère
    • Le mari hérite de son épouse et, par suite, le frère de celui-ci recueille l’intégralité de la succession du couple
  • Hypothèse 3
    • L’époux et sa conjointe sont réputés être décédés concomitamment
    • Dans cette hypothèse, aucun des deux n’hérite de l’autre, de sorte que la succession se répartit entre le frère du mari et la tante de l’épouse

Il ressort de cet exemple que plusieurs solutions peuvent être adoptées aux fins de déterminer la désignation des héritiers :

  • Soit l’on cherche à établir une chronologie des décès des comourants
  • Soit l’on fait abstraction du décès des comourants dans les rapports qu’ils entretiennent entre eux

Tandis que les rédacteurs du Code civil avaient opté pour la première solution, le législateur a, lors de l’adoption de la loi n°2001-1135 du 3 décembre 2001 préféré la seconde.

==> Droit antérieur

Le système mis en place par les rédacteurs du Code civil reposait sur des présomptions légales de survie permettant d’établir une chronologie des décès et, par voie de conséquence, la dévolution successorale.

Ces présomptions de survie, instituées aux anciens articles 721 et 722 du Code civil, elles reposaient sur l’âge et le sexe des comourants.

  • S’agissant des présomptions de survie fondées sur l’âge
    • L’ancien article 721 du Code civil qui prévoyait que :
      • Si ceux qui ont péri ensemble avaient moins de quinze ans, le plus âgé sera présumé avoir survécu.
      • S’ils étaient tous au-dessus de soixante ans, le moins âgé sera présumé avoir survécu.
      • Si les uns avaient moins de quinze ans, et les autres plus de soixante, les premiers seront présumés avoir survécu.
  • S’agissant des présomptions de survie fondées sur le sexe
    • L’ancien article 722 du Code civil disposait que :
      • Si ceux qui ont péri ensemble avaient quinze ans accomplis et moins de soixante, le mâle est toujours présumé avoir survécu, lorsqu’il y a égalité d’âge, ou si la différence qui existe n’excède pas une année.
      • S’ils étaient du même sexe, la présomption de survie, qui donne ouverture à la succession dans l’ordre de la nature doit être admise : ainsi le plus jeune est présumé avoir survécu au plus âgé.

Le système ainsi mis en place a été vivement critiqué au motif qu’il reposait sur des présomptions de survie artificielles et incomplètes : à âge égal, si un homme et une femme décèdent lors d’un même événement, l’homme est ainsi présumé avoir survécu à la femme.

La jurisprudence a bien tenté de limiter les effets des présomptions de survie en adoptant une interprétation restrictive des textes, si bien qu’un certains nombre de cas ne relevaient pas de leur domaine d’application (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 8 févr. 2005, n°02-18.767).

Les juridictions n’en demeuraient pas moins contraintes d’y avoir recours lorsque les conditions requises étaient remplies.

Fort de ce constat, lors de l’adoption de la loi du 3 décembre 2001, le législateur a décidé d’abolir les présomptions de survie à la faveur d’un système plus simple et surtout épuré de toute différence de traitement liée au sexe.

I) Domaine du dispositif

Il s’infère de l’article 725-1 du Code civil que le dispositif applicable aux comourants requiert que les décès qui frappent les comourants interviennent dans un même évènement.

Si, sous l’empire du droit antérieur, la jurisprudence exigeait que les comourants aient des vocations héréditaires réciproques, la loi du 3 décembre 2001 a supprimé cette exigence.

==> L’exigence tenant à la survenance des décès dans un même événement

L’article 725-1 du Code civil prévoit expressément que la théorie des comourants ne s’applique que « lorsque deux personnes […] périssent dans un même événement ».

A défaut, c’est l’ordre de survenance des événements qui déterminera l’ordre des décès.

A cet égard, les décès seront réputés être intervenus dans un même événement lorsqu’il existera une unité de lieu, de temps et d’action. Tel sera le cas des victimes qui périssent dans un accident d’avion ou dans le naufrage d’un navire.

Lorsque, en revanche, l’un de ses éléments (lieu, temps, action) fera défaut, la jurisprudence aura tendance à considérer que les décès sont intervenus dans des événements différents.

==> L’abandon de l’exigence tenant à l’existence de vocations héréditaires réciproques

Sous l’empire du droit antérieur, la jurisprudence subordonnait l’application des présomptions de survie à l’existence de vocations héréditaires réciproques.

Aussi, lorsqu’un seul des comourants avaient vocation à hériter de l’autre, le jeu de ces présomptions était écarté.

La loi n°2001-1135 du 3 décembre 2001 a aboli l’exigence tenant à l’existence de vocations successorales réciproques.

L’article 725 du Code civil prévoit désormais que le dispositif des comourants est applicable « lorsque deux personnes, dont l’une avait vocation à succéder à l’autre, périssent dans un même événement ».

Il est donc indifférent que des personnes décédées dans un même événement soient appelées à hériter les unes des autres.

En revanche, cette vocation successorale doit être de nature légale, ce qui implique que la théorie des comourants ne joue pas pour :

  • Les personnes qui héritent par voie testamentaire
  • Les personnes bénéficiaires d’un contrat d’assurance vie

II) Contenu du dispositif

S’inspirant de certaines législations étrangères, le système mis en place par la loi du 3 décembre 2001 repose sur deux règles énoncées à l’article 725-1 du Code civil, la seconde étant assortie d’une exception.

  • Première règle : tentative de détermination de l’ordre des décès
    • L’article 725-1, al. 1er du Code civil prévoit que « lorsque deux personnes, dont l’une avait vocation à succéder à l’autre, périssent dans un même événement, l’ordre des décès est établi par tous moyens. »
    • Il ressort de cette disposition que, en première intention, il doit être fait la lumière sur les circonstances du décès des comourants.
    • Le législateur invite ainsi les héritiers, les notaires et le cas échéant le juge, à rechercher par tous moyens la chronologie des décès.
    • Pour ce faire, il pourra être recouru aux présomptions du fait de l’homme, soit celles qui, en application de l’article 1382 du Code civil, « sont laissées à l’appréciation du juge, qui ne doit les admettre que si elles sont graves, précises et concordantes»
    • Les juges disposent, en la matière, d’un pouvoir souverain d’appréciation ( 1re civ., 19 oct. 1999, n° 97-19.845), ce qui est susceptible de les conduire à retenir de tous types de preuve aux fins de forger leur intime conviction.
    • Ils pourront ainsi s’appuyer sur des certificats médicaux, des procès-verbaux de police ou de gendarmerie, sur des expertises réalisées sur la situation des lieux ou encore sur des témoignages.
    • Dans l’hypothèse où l’ordre des décès pourra être établi, chaque comourant qui décède avant l’autre est réputé apte à hériter, de sorte que la dévolution successorale peut s’opérer comme s’il avait survécu.
    • Quant à la charge de la preuve, elle pèse sur celui qui prétend que c’est celui dont il a vocation à hériter qui a survécu.
  • Seconde règle : abstraction de la vocation héréditaire des comourants
    • Principe
      • Le deuxième alinéa de l’article 725-1 du Code civil prévoit que si l’ordre des décès des personnes comourantes « ne peut être déterminé, la succession de chacune d’elles est dévolue sans que l’autre y soit appelée. »
      • Il ressort de cette disposition que faute d’être en mesure d’établir une chronologie des décès, il y a lieu d’admettre que les comourants sont décédés simultanément.
      • Le législateur en a tiré la conséquence qu’il y avait lieu de priver les comourants de leur capacité à hériter l’un de l’autre.
      • La dévolution successorale s’opérera donc en faisant abstraction de la vocation héréditaire des comourants.
      • C’est là une solution radicalement opposée à celle qui résultait du système mis en place par les rédacteurs du Code civil et qui conduisait nécessairement à l’établissement d’un ordre des décès, fût-ce-t-il totalement artificiel
    • Exception
      • Par exception à la règle privant les comourants de la capacité à hériter l’un de l’autre, dans l’hypothèse où aucune chronologie des décès n’aurait pu être établie, le troisième alinéa de l’article 725-1 du Code civil prévoit que « si l’un des codécédés laisse des descendants, ceux-ci peuvent représenter leur auteur dans la succession de l’autre lorsque la représentation est admise. »
      • Ainsi, le jeu de la représentation est susceptible de faire échec au cloisonnement des successions.
      • Pour mémoire, la représentation est définie par l’article 751 du Code civil comme « une fiction juridique qui a pour effet d’appeler à la succession les représentants aux droits du représenté»
      • Ce mécanisme interviendra, par exemple, lorsque, dans le cadre de la succession d’un grand-père, les petits enfants, viendront représenter leur parent décédé, de sorte qu’ils occuperont éventuellement le même rang que leur oncle.
      • S’agissant des comourants, quand bien même ils sont privés de capacité à hériter l’un de l’autre, la loi autorise leurs descendants à les représenter.
      • Pour illustrer cette règle, prenons l’exemple suivant :
        • À est père de deux fils, B et C, lesquels ont eux-mêmes des enfants
        • Supposons que A et C décèdent simultanément
        • L’application de l’alinéa 2 de l’article 725-1 du Code civil devrait conduire à reconnaître la qualité d’héritier uniquement à B, dans la mesure où C ne peut pas hériter de A et, par voie de conséquence, ses enfants également
        • Pour corriger cette situation qui serait manifestement injuste, le troisième alinéa de l’article 725-1 autorise les enfants de C à venir en représentation de leur père décédé concomitamment avec leur grand-père et à occuper le même rang successoral que B, qui n’est autre que leur oncle.

La date d’ouverture de la succession

La mort n’est pas la fin. Elle met seulement un terme à ce qui a commencé et à ce qui a vécu. Mais la vie se poursuit à travers ce qui reste et continue à exister.

Lorsque la Camarde vient frapper à la porte de celui dont l’heure est venue, le trépas emporte certes extinction de la personnalité juridique. Le défunt laisse néanmoins derrière lui un patrimoine, sans maître, qui a vocation à être immédiatement transmis à ceux qui lui survivent.

Cette transmission du patrimoine qui intervient concomitamment au moment du décès est exprimée par l’adage hérité de l’ancien droit « le mort saisit le vif par son hoir le plus proche ».

Ce principe procède de l’idée que la personne du défunt survit à travers ses successeurs – héritiers et légataires – lesquels ont vocation à recueillir l’ensemble de ses biens, mais également la totalité de ses dettes.

Parce que l’ouverture d’une succession s’accompagne d’enjeux, en particulier financiers, souvent importants, elle est de nature à plonger la famille dans une crise qui sera parfois profonde, les successeurs se disputant le patrimoine du défunt.

Le droit ne peut bien évidemment pas rester indifférent à cette situation qui menace la paix sociale et dont l’Histoire a montré qu’elle pouvait conduire à l’effondrement de royaumes entiers. La succession de Charlemagne a profondément marqué l’Histoire de France.

Bien que les héritiers soient immédiatement saisis à la mort du défunt, ce qui, concrètement, signifie qu’ils entrent en possession de son patrimoine sans période intercalaire, la transmission qui s’opère n’échappe pas à l’emprise du droit.

À cet égard, les règles qui connaissent de la transmission à cause de mort forment ce que l’on appelle le droit des successions.

Il ressort de ce corpus normatif que la transmission par voie successorale peut être réglée :

  • Soit par l’effet de la loi
    • On parle de succession ab intestat, ce qui signifie qui littéralement « sans testament»
    • Dans cette hypothèse, c’est donc la loi qui désigne les héritiers et détermine la part du patrimoine du de cujus (celui de la succession duquel il s’agit) qui leur revient
  • Soit par l’effet de la volonté
    • On parle ici de transmission par voie testamentaire, car résultant de l’établissement d’un acte appelé testament.
    • Dans cette hypothèse, c’est le de cujus qui désigne les personnes appelées à hériter (légataires) et qui détermine les biens ou la portion de biens (legs) qu’il leur entend leur léguer.

Que la transmission à cause de mort s’opère par l’effet de la loi ou par l’effet d’un testament, elle requiert, dans les deux cas, et au préalable, l’ouverture de la succession du défunt.

Cette ouverture de la succession soulève trois questions : quelles en sont les causes, à quel moment doit-elle intervenir et en quel lieu ?

Nous nous focaliserons ici sur la date d’ouverture de la succession.

I) Enjeux

La date d’ouverture de la succession présente un enjeu majeur en raison de l’instantanéité de la transmission à cause de mort.

Parce que « le mort saisit le vif », les héritiers sont réputés entrer en possession du patrimoine du de cujus concomitamment à son décès.

La détermination du moment où s’ouvre la succession est donc essentielle, sinon crucial à trois égards :

  • Premier enjeu
    • C’est à la date d’ouverture de la succession qu’il y a lieu de se placer pour déterminer quels sont les héritiers qui ont vocation à succéder à la personne décédée.
    • Pour être pourvu de la qualité d’héritier, il convient notamment d’être vivant ou, à défaut, avoir été conçu à la date d’ouverture de la succession.
    • C’est à cette même date qu’un lien de parenté ou qu’une union matrimoniale doit exister entre le de cujus et l’héritier
  • Deuxième enjeu
    • La date d’ouverture de la succession permet de déterminer le moment où s’opère la transmission de plano du patrimoine du de cujus à ses successibles
    • C’est donc à ce jour que sera instituée l’indivision successorale et auquel on fera remonter les effets du partage subséquent auquel est attaché un effet déclaratif.
  • Troisième enjeu
    • La date d’ouverture de la succession permet enfin de déterminer la loi applicable en cas de conflit de lois dans le temps
    • C’est la loi en vigueur au jour d’ouverture de la succession qui a vocation à s’appliquer, sauf dispositions transitoires contraires.
    • Il peut être observé que, aujourd’hui, les successions ouvertes en France sont susceptibles d’être régis par trois lois différentes
      • Les successions ouvertes avant le 1er juillet 2002 sont régis par le droit antérieur à la loi du 3 décembre 2001
      • Les successions ouvertes entre le 1er juillet 2002 et le 23 juin 2006 sont régies par la loi du 3 décembre 2001
      • Les successions ouvertes après le 1er janvier 2007, sont régies par la loi du 23 juin 2006

II) Détermination de la date d’ouverture de la succession

Selon que l’ouverture de la succession résulte d’un décès, d’une absence ou d’une disparition, le moment où elle s’ouvre varie.

A) L’ouverture de la succession résulte d’un décès

1. Fixation de la date d’ouverture de la succession

Lorsque l’ouverture de la succession résulte d’un décès, ce qui est le cas le plus fréquent, alors c’est à la date à laquelle ce décès est intervenu que la succession s’ouvre.

Cette date correspond, en principe, au jour où le médecin a constaté la mort du de cujus, selon les examens cliniques prescrits par les articles R. 1232-1 et R. 1232-2 du Code de la santé publique.

Le constat de la mort par le médecin doit donner lieu à l’établissement d’un certificat de décès sur lequel seront notamment mentionnées la date et l’heure de décès.

En application de l’article 78 du Code civil, ces informations seront alors reprises par l’officier d’état civil lorsqu’il dressera l’acte de décès qui consiste à faire état de la mort du défunt sur le registre d’état civil.

2. Preuve de la date d’ouverture de la succession

a. La preuve par l’acte de décès

La preuve de la mort du défunt se fait, en principe, au moyen de l’acte de décès qui devra être produit au notaire par les héritiers.

Parce que l’acte de décès appartient à la catégorie des actes d’état civil, il est réputé constater, « d’une manière authentique, un événement dont dépend l’état d’une ou de plusieurs personnes » (Cass. 1ère civ. 14 juin 1983, n°82-13.247).

L’acte de décès tire donc sa force probante de son caractère authentique. Il en résulte qu’il fait foi jusqu’à inscription de faux, à tout le moins s’agissant de l’existence matérielle des faits que l’officier public y a énoncés comme les ayant accomplis lui-même ou comme s’étant passés en sa présence dans l’exercice de ses fonctions (Cass. 1ère civ. 26 mai 1964).

S’agissant de la date du décès, dans la mesure où elle n’aura pas été constatée par l’officier d’état civil en personne, elle pourra être contestée par quiconque justifie d’un intérêt à agir en rapportant la preuve contraire.

Dans un arrêt du 19 octobre 1999, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « si l’acte de décès n’établit, quant à l’heure du décès, qu’une simple présomption, il appartient à celui qui la conteste d’en établir l’exactitude » (Cass. 1ère civ., 19 oct. 1999, n° 97-19.845).

b. La rectification des erreurs/omissions de l’acte de décès

L’acte de décès est susceptible d’être affecté de deux sortes d’anomalies : des erreurs et des omissions.

L’erreur pourra consister en une date fausse ou inexacte, tandis que l’omission correspondra à l’hypothèse où la date de la mort du défunt ne figure pas sur l’acte de décès, à tout le moins de façon lacunaire.

Dans les deux cas, l’anomalie fait obstacle à l’ouverture de la succession, dans la mesure où la date du décès du de cujus n’est pas certaine, faute de pouvoir être prouvée.

Aussi, appartient-il aux héritiers de solliciter la rectification de l’acte de décès.

À l’analyse, la procédure de rectification obéit à des règles qui distinguent selon que l’anomalie affectant l’acte de décès est ou non purement matérielle.

  • La rectification des erreurs/omissions purement matérielles
    • Dans l’hypothèse où l’anomalie qui affecte l’acte de décès est purement matérielle, la loi autorise qu’il soit procédé à sa rectification selon une procédure simplifiée.
    • La rectification pourra être effectuée directement par l’officier d’état civil s’il s’aperçoit immédiatement après l’établissement de l’acte qu’il comporte une anomalie.
    • L’article 175 de l’instruction générale relative à l’état civil du 11 mai 1999 précise en ce sens que « si la lecture de l’acte aux comparants révèle des erreurs ou des omissions, l’officier de l’état civil procède aux ratures et aux renvois en marge. »
    • La rectification doit ainsi intervenir sur le champ.
    • Toutefois, dès lors que l’acte de décès est revêtu de toutes les signatures, sa rectification ne peut être faite que par les autorités judiciaires et notamment par le procureur s’il s’agit d’une anomalie purement matérielle.
    • L’article 99-1 du Code civil prévoit, en effet, que « le procureur de la République territorialement compétent peut toujours faire procéder à la rectification administrative des erreurs et omissions purement matérielles des actes de l’état civil ; à cet effet, il donne directement les instructions utiles aux dépositaires des registres de l’acte erroné ainsi qu’à ceux qui détiennent les autres actes entachés par la même erreur. »
  • La rectification des erreurs/omissions de fond
    • En application de l’article 99 du Code civil, lorsque l’acte de décès est entaché d’une irrégularité de fond, c’est le Président du Tribunal judiciaire est compétent
    • La demande de rectification peut porter sur tout ce qui figure dans les registres de l’état civil (actes, transcriptions d’actes ou de jugements, mentions marginales), et exclusivement sur ce qui y figure.
    • À cet égard, Lorsque l’acte de décès est incomplet et notamment lorsque la date du décès n’est pas mentionnée, il a été jugé dans un arrêt du 28 janvier 1957 que « à défaut de toute autre indication, le décès doit être réputé s’être produit le jour où il est constaté par l’officier de l’état civil», étant précisé que cette présomption peut être détruite par tout intéressé établissant le moment précis du décès ( 1re civ., 28 janv. 1957)

c. Cas particulier des comourants

==> Données du problème

Il est un cas où la détermination de la date du décès requiert une attention somme toute particulière : c’est l’hypothèse où plusieurs personnes ayant vocation à hériter les unes des autres décèdent dans un même événement.

Cette situation – tragique – se rencontrera lors de catastrophes aériennes, de naufrages maritimes, d’accidents de la route, d’attentats terroristes, de catastrophes naturelles (incendie, avalanche, tsunami etc.) ou encore en temps de guerre (bombardement, déportation, etc.).

La difficulté soulevée par la situation des comourants tient à la détermination de l’ordre des successions.

Selon la chronologie des décès que l’on retient, la dévolution successorale est susceptible d’être radicalement différente.

Supposons un couple marié qui périt dans un accident de la route. Tandis que l’époux laisse pour seul parent un frère, sa conjointe laisse quant à elle une tante.

  • Hypothèse 1
    • Le mari est réputé être décédé le premier.
    • Dans cette hypothèse, c’est la conjointe qui hérite, car elle prime sur le frère du mari
    • Dans la mesure où elle aussi décède, c’est sa tante qui a vocation à recueillir la succession de cette dernière et incidemment celle de son mari
  • Hypothèse 2
    • L’épouse est réputée être décédée en premier
    • Dans cette hypothèse, c’est la dévolution successorale inverse qui s’opère
    • Le mari hérite de son épouse et, par suite, le frère de celui-ci recueille l’intégralité de la succession du couple
  • Hypothèse 3
    • L’époux et sa conjointe sont réputés être décédés concomitamment
    • Dans cette hypothèse, aucun des deux n’hérite de l’autre, de sorte que la succession se répartit entre le frère du mari et la tante de l’épouse

Il ressort de cet exemple que plusieurs solutions peuvent être adoptées aux fins de déterminer la désignation des héritiers :

  • Soit l’on cherche à établir une chronologie des décès des comourants
  • Soit l’on fait abstraction du décès des comourants dans les rapports qu’ils entretiennent entre eux

Tandis que les rédacteurs du Code civil avaient opté pour la première solution, le législateur a, lors de l’adoption de la loi n°2001-1135 du 3 décembre 2001 préféré la seconde.

==> Droit antérieur

Le système mis en place par les rédacteurs du Code civil reposait sur des présomptions légales de survie permettant d’établir une chronologie des décès et, par voie de conséquence, la dévolution successorale.

Ces présomptions de survie, instituées aux anciens articles 721 et 722 du Code civil, elles reposaient sur l’âge et le sexe des comourants.

  • S’agissant des présomptions de survie fondées sur l’âge
    • L’ancien article 721 du Code civil qui prévoyait que :
      • Si ceux qui ont péri ensemble avaient moins de quinze ans, le plus âgé sera présumé avoir survécu.
      • S’ils étaient tous au-dessus de soixante ans, le moins âgé sera présumé avoir survécu.
      • Si les uns avaient moins de quinze ans, et les autres plus de soixante, les premiers seront présumés avoir survécu.
  • S’agissant des présomptions de survie fondées sur le sexe
    • L’ancien article 722 du Code civil disposait que :
      • Si ceux qui ont péri ensemble avaient quinze ans accomplis et moins de soixante, le mâle est toujours présumé avoir survécu, lorsqu’il y a égalité d’âge, ou si la différence qui existe n’excède pas une année.
      • S’ils étaient du même sexe, la présomption de survie, qui donne ouverture à la succession dans l’ordre de la nature doit être admise : ainsi le plus jeune est présumé avoir survécu au plus âgé.

Le système ainsi mis en place a été vivement critiqué au motif qu’il reposait sur des présomptions de survie artificielles et incomplètes : à âge égal, si un homme et une femme décèdent lors d’un même événement, l’homme est ainsi présumé avoir survécu à la femme.

La jurisprudence a bien tenté de limiter les effets des présomptions de survie en adoptant une interprétation restrictive des textes, si bien qu’un certains nombre de cas ne relevaient pas de leur domaine d’application (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 8 févr. 2005, n°02-18.767).

Les juridictions n’en demeuraient pas moins contraintes d’y avoir recours lorsque les conditions requises étaient remplies.

Fort de ce constat, lors de l’adoption de la loi du 3 décembre 2001, le législateur a décidé d’abolir les présomptions de survie à la faveur d’un système plus simple et surtout épuré de toute différence de traitement liée au sexe.

i. Domaine du dispositif

Il s’infère de l’article 725-1 du Code civil que le dispositif applicable aux comourants requiert que les décès qui frappent les comourants interviennent dans un même évènement.

Si, sous l’empire du droit antérieur, la jurisprudence exigeait que les comourants aient des vocations héréditaires réciproques, la loi du 3 décembre 2001 a supprimé cette exigence.

==> L’exigence tenant à la survenance des décès dans un même événement

L’article 725-1 du Code civil prévoit expressément que la théorie des comourants ne s’applique que « lorsque deux personnes […] périssent dans un même événement ».

A défaut, c’est l’ordre de survenance des événements qui déterminera l’ordre des décès.

A cet égard, les décès seront réputés être intervenus dans un même événement lorsqu’il existera une unité de lieu, de temps et d’action. Tel sera le cas des victimes qui périssent dans un accident d’avion ou dans le naufrage d’un navire.

Lorsque, en revanche, l’un de ses éléments (lieu, temps, action) fera défaut, la jurisprudence aura tendance à considérer que les décès sont intervenus dans des événements différents.

==> L’abandon de l’exigence tenant à l’existence de vocations héréditaires réciproques

Sous l’empire du droit antérieur, la jurisprudence subordonnait l’application des présomptions de survie à l’existence de vocations héréditaires réciproques.

Aussi, lorsqu’un seul des comourants avaient vocation à hériter de l’autre, le jeu de ces présomptions était écarté.

La loi n°2001-1135 du 3 décembre 2001 a aboli l’exigence tenant à l’existence de vocations successorales réciproques.

L’article 725 du Code civil prévoit désormais que le dispositif des comourants est applicable « lorsque deux personnes, dont l’une avait vocation à succéder à l’autre, périssent dans un même événement ».

Il est donc indifférent que des personnes décédées dans un même événement soient appelées à hériter les unes des autres.

En revanche, cette vocation successorale doit être de nature légale, ce qui implique que la théorie des comourants ne joue pas pour :

  • Les personnes qui héritent par voie testamentaire
  • Les personnes bénéficiaires d’un contrat d’assurance vie

ii. Contenu du dispositif

S’inspirant de certaines législations étrangères, le système mis en place par la loi du 3 décembre 2001 repose sur deux règles énoncées à l’article 725-1 du Code civil, la seconde étant assortie d’une exception.

  • Première règle : tentative de détermination de l’ordre des décès
    • L’article 725-1, al. 1er du Code civil prévoit que « lorsque deux personnes, dont l’une avait vocation à succéder à l’autre, périssent dans un même événement, l’ordre des décès est établi par tous moyens. »
    • Il ressort de cette disposition que, en première intention, il doit être fait la lumière sur les circonstances du décès des comourants.
    • Le législateur invite ainsi les héritiers, les notaires et le cas échéant le juge, à rechercher par tous moyens la chronologie des décès.
    • Pour ce faire, il pourra être recouru aux présomptions du fait de l’homme, soit celles qui, en application de l’article 1382 du Code civil, « sont laissées à l’appréciation du juge, qui ne doit les admettre que si elles sont graves, précises et concordantes»
    • Les juges disposent, en la matière, d’un pouvoir souverain d’appréciation ( 1re civ., 19 oct. 1999, n° 97-19.845), ce qui est susceptible de les conduire à retenir de tous types de preuve aux fins de forger leur intime conviction.
    • Ils pourront ainsi s’appuyer sur des certificats médicaux, des procès-verbaux de police ou de gendarmerie, sur des expertises réalisées sur la situation des lieux ou encore sur des témoignages.
    • Dans l’hypothèse où l’ordre des décès pourra être établi, chaque comourant qui décède avant l’autre est réputé apte à hériter, de sorte que la dévolution successorale peut s’opérer comme s’il avait survécu.
    • Quant à la charge de la preuve, elle pèse sur celui qui prétend que c’est celui dont il a vocation à hériter qui a survécu.
  • Seconde règle : abstraction de la vocation héréditaire des comourants
    • Principe
      • Le deuxième alinéa de l’article 725-1 du Code civil prévoit que si l’ordre des décès des personnes comourantes « ne peut être déterminé, la succession de chacune d’elles est dévolue sans que l’autre y soit appelée. »
      • Il ressort de cette disposition que faute d’être en mesure d’établir une chronologie des décès, il y a lieu d’admettre que les comourants sont décédés simultanément.
      • Le législateur en a tiré la conséquence qu’il y avait lieu de priver les comourants de leur capacité à hériter l’un de l’autre.
      • La dévolution successorale s’opérera donc en faisant abstraction de la vocation héréditaire des comourants.
      • C’est là une solution radicalement opposée à celle qui résultait du système mis en place par les rédacteurs du Code civil et qui conduisait nécessairement à l’établissement d’un ordre des décès, fût-ce-t-il totalement artificiel
    • Exception
      • Par exception à la règle privant les comourants de la capacité à hériter l’un de l’autre, dans l’hypothèse où aucune chronologie des décès n’aurait pu être établie, le troisième alinéa de l’article 725-1 du Code civil prévoit que « si l’un des codécédés laisse des descendants, ceux-ci peuvent représenter leur auteur dans la succession de l’autre lorsque la représentation est admise. »
      • Ainsi, le jeu de la représentation est susceptible de faire échec au cloisonnement des successions.
      • Pour mémoire, la représentation est définie par l’article 751 du Code civil comme « une fiction juridique qui a pour effet d’appeler à la succession les représentants aux droits du représenté»
      • Ce mécanisme interviendra, par exemple, lorsque, dans le cadre de la succession d’un grand-père, les petits enfants, viendront représenter leur parent décédé, de sorte qu’ils occuperont éventuellement le même rang que leur oncle.
      • S’agissant des comourants, quand bien même ils sont privés de capacité à hériter l’un de l’autre, la loi autorise leurs descendants à les représenter.
      • Pour illustrer cette règle, prenons l’exemple suivant :
        • À est père de deux fils, B et C, lesquels ont eux-mêmes des enfants
        • Supposons que A et C décèdent simultanément
        • L’application de l’alinéa 2 de l’article 725-1 du Code civil devrait conduire à reconnaître la qualité d’héritier uniquement à B, dans la mesure où C ne peut pas hériter de A et, par voie de conséquence, ses enfants également
        • Pour corriger cette situation qui serait manifestement injuste, le troisième alinéa de l’article 725-1 autorise les enfants de C à venir en représentation de leur père décédé concomitamment avec leur grand-père et à occuper le même rang successoral que B, qui n’est autre que leur oncle.

B) L’ouverture de la succession résulte d’une absence

Lorsque le de cujus est présumé mort par voie de déclaration judiciaire d’absence, sa succession s’ouvre, conformément à l’article 128, al. 1er du Code civil, à la date de la transcription du jugement déclaratif d’absence dans le registre d’état civil.

C) L’ouverture de la succession résulte d’une disparition

En application de l’article 91, al. 3e du Code civil, la succession de celui ayant fait l’objet d’une déclaration judiciaire de disparition, s’ouvre, non pas à la date de prononcé du jugement déclaratif, mais à la date à laquelle le disparu est déclaré mort, laquelle doit nécessairement être fixée par la décision.

À l’instar du jugement déclaratif d’absence, le dispositif du jugement déclaratif de décès est transcrit sur les registres de l’état civil du lieu réel ou présumé du décès et, le cas échéant, sur ceux du lieu du dernier domicile du défunt.

Mention de la transcription est faite en marge des registres à la date du décès.

En cas de jugement collectif, des extraits individuels du dispositif sont transmis aux officiers de l’état civil du dernier domicile de chacun des disparus, en vue de la transcription.

L’émergence du droit des données à caractère personnel: de la loi informatique et libertés au RGPD

I) La genèse

==> Noli me tangere

 Si, comme l’a écrit Nietzche, « notre époque se nourrit et vit des moralités du passé », depuis le début du XXe siècle les défenseurs du principe de laïcité n’ont eu de cesse de combattre ces moralités, afin qu’il soit procédé, comme l’a suggéré Georges Ripert, à « l’élimination complète de la force religieuse dans la création du droit »[1].

Il est, pourtant, une partie de cette force créatrice qui n’a pas succombé ; il s’agit de ce par quoi est maintenue la personne humaine au sommet de la pyramide des valeurs. Sans que les juristes y prêtent, pour la plupart, grande attention, le caractère sacré de la personne, est directement issu de la Genèse.

L’homme y est décrit comme une créature suprême, façonnée à l’image de Dieu. Ainsi, le vieil adage juridique Noli me tangere (ne me touche pas) est-il directement tiré de l’Evangile selon Saint Jean[2], le Christ exhortant Marie-Madelaine de ne pas le toucher afin que la croyance en sa résurrection relève de l’ordre de sa seule foi.

Cependant, comme le souligne Bernard Beigner, à la différence de l’interprétation faite par les théologiens, les juristes ont interprété ces paroles « d’une manière aussi libre et aussi peu théologique que l’adage tiré de saint Luc : « Les lis ne filent pas » pour justifier le principe de double masculinité dans la succession royale au trône de France »[3].

C’est la raison pour laquelle noli me tangere a perdu toute signification évangélique et, après avoir servi de fondement au droit romain[4], est désormais repris par notre droit pour justifier la primauté de la personne humaine sur toute autre considération[5].

En outre, en plus de cette erreur d’interprétation, les juristes se sont livrés à un amalgame, en assimilant, durant des siècles, la personne au corps humain[6], si bien que seul l’être charnel bénéficiait d’une protection juridique.

Il a fallu attendre la fin du XIXe siècle pour que « l’éminente dignité humaine en réfère aussi bien à l’animus qu’au corpus »[7]. C’est précisément à cette époque que certaines voix ont commencé à faire valoir, notamment sous l’impulsion de la doctrine germano-suisse, qu’il serait opportun de créer un droit de la personnalité soit, d’étendre la protection juridique conférée par l’adage noli me tangere, à l’être spirituel.

==> La naissance des droits de la personnalité

En France, c’est le professeur Perreau qui, le premier[8], s’est ouvertement prononcé en faveur d’une telle extension, lorsque, dans un article intitulé « Des droits de la personnalité »[9], il émet l’idée de la reconnaissance de droits – subjectifs – extrapatrimoniaux[10].

Dans un premier temps, cette position est pour le moins accueillie fraichement par la doctrine française. Roubier, par exemple, raille cette théorie de faire état de « droits fantômes conçus par des imaginations déréglées »[11]. Nombreux sont, cependant, les auteurs qui, dans un second temps, se sont ravisés, adhérant massivement à la proposition formulée par Perreau trente ans auparavant[12].

Finalement, pour reprendre une expression de Ripert, c’est la lutte « des forces sociales » qui a eu raison des querelles de juristes. Cette lutte s’est manifestée dans le courant des années soixante par une pléiade de décisions jurisprudentielles qui ont ému l’opinion publique.

À cette période, est en train de naître la presse, dite à « scandale », dans laquelle les lecteurs peuvent lire les frasques des différentes célébrités qui animent la vie publique de l’époque. Peu enclines à laisser paraitre au grand jour des évènements qu’elles jugent relever de leur intimité, certaines d’entre elles décident de requérir les services de la justice afin que cessent ces atteintes dont elles font de plus en plus fréquemment l’objet[13].

Malheureusement, les juges ne disposent guère plus que de l’inusable article 1382 du Code civil pour répondre à leurs attentes. Le vide juridique qui existe en la matière, est comparable à celui que l’on rencontre dans un trou noir[14].

Aussi, le législateur décide-t-il d’intervenir afin que ce vide qui, jusqu’alors, était comblé par les rustines du droit de la responsabilité, le soit, désormais, par le droit de la personnalité.

C’est ainsi, que, par une loi du 17 juillet 1970, a été reconnu, à l’article 9 du Code civil, le droit au respect la vie privée[15].

La protection conférée par l’adage noli me tangere à l’être charnel est étendue à l’être spirituel. Au même moment, l’informatique fait une entrée fracassante dans une société en pleine mutation et met rapidement en évidence, les limites de cette nouvelle législation.

==> Le projet SAFARI

 Bien que les textes qui consacrent le droit à la vie privée soient nombreux[16], la notion de « vie privée » n’est définie par aucun d’eux. C’est pourquoi il est revenu aux juges la tâche d’en délimiter les contours. Si, au fil de leurs décisions, ces derniers ont pu affirmer que toutes les informations relatives à la vie privée sont des informations personnelles[17], ils ont également eu l’occasion de souligner que les données à caractère personnel ne relevaient pas toutes de la vie privée[18].

Force est de constater, comme le souligne Guy Braibant, que « la notion d’atteinte à la vie privée ne permet […] pas d’épuiser tous les cas de méconnaissance des droits des personnes auxquels la mise en œuvre de traitements de données à caractère personnel est susceptible de donner lieu »[19].

La question s’est alors posée de savoir si la protection conférée par le droit au respect de la vie privée, était suffisante quant à protéger l’être informationnel dans son ensemble. Une fois encore, ce sont les forces sociales qui se sont illustrées, lorsque, dans un retentissant article publié dans le journal Le Monde, le journaliste Philippe Boucher dénonce le projet SAFARI (Système Automatisé pour les fichiers administratifs et le répertoire des individus)[20].

Ce projet avait ambition de réaliser une interconnexion générale des différents fichiers administratifs à l’aide de l’identification unique de chaque français. Comme le souligne le titre de l’article, la réalisation d’un tel dispositif aurait eu pour conséquence de sonner l’ouverture de « la chasse aux français ».

Le danger qui guettait les administrés était, en somme, qu’un ordinateur central recoupe chacune de leurs données personnelles, sans qu’ils puissent invoquer un quelconque droit à la vie privée pour l’en empêcher.

Ce droit ne peut, en effet, être exercé que s’il est porté atteinte au libre choix d’une personne de ne pas divulguer une information la concernant. Or tel n’est pas ce que prévoit le projet SAFARI. Celui-ci vise, non pas à permettre une immixtion de l’administration dans l’intimité de ses administrés, mais seulement une interconnexion des données qui lui ont volontairement été divulguées.

Dans cette perspective, Adolphe Touffait, procureur général près la Cour de cassation déclare, à l’époque, que « la dynamique du système qui tend à la centralisation des fichiers risque de porter gravement atteinte aux libertés, et même à l’équilibre des pouvoirs politiques »[21].

II) L’autonomisation du droit des données à caractère personnel

==> La loi informatique et libertés

 En réaction au vent de panique créé par le projet SAFARI, le premier ministre décide, immédiatement, de saisir le garde des sceaux afin que soit créée, en urgence, une commission chargée de formuler des propositions « tendant à garantir que le développement de l’informatique dans les secteurs publics, semi-publics et privés, se réalisera dans le respect de la vie privée, des libertés individuelles et des libertés publiques ».

Le défi lancé à la Commission informatique et libertés est de taille. Comme le fait remarquer Bernard Tricot « il est toujours difficile de bâtir une muraille de Chine juridique sur laquelle viendront s’écraser les assauts de l’informatique ».

Par chance, les travaux réalisés par la Commission sont d’une excellente facture, ce qui permet la rédaction d’un remarquable projet de loi.

Déposé en août 1976, ce projet accouche de la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.

Par cette loi, la protection conférée par l’adage noli me tangere est étendue à l’être informationnel dans son entier.

Désormais, c’est la personne humaine réunie dans ses trois composantes qui est protégée par le droit. Comme pour remercier le remarquable travail de la Commission qui avait fort bien œuvré, elle est instituée gardienne de la loi informatique et libertés.

À l’image d’une pierre jetée dans l’eau, l’adoption de cette législation, très innovante, a pour effet immédiat de se propager partout en Europe.

Nombre d’États souhaitent, dans le sillage de la France, protéger leurs ressortissants de l’informatique, qui dorénavant est perçue comme « une dévoreuse d’identité, elle capte l’individu sous toutes ses facettes et porte au grand jour des aspects qu’il souhaiterait conserver secret »[22].

==> La propagation internationale du mouvement de protection de la vie privée

Exception faite des États-Unis qui, pour des considérations essentiellement d’ordre économique, préfèrent fermer les yeux sur les dangers qui menacent l’intimité des citoyens américains, de nombreux pays ont, dès le début des années quatre-vingts, pris des mesures concertées, afin que l’appétit de l’ogre informatique à engloutir des données, s’arrête là où commence le droit des personnes à ne pas abandonner les éléments de leur identité.

La première de ces mesures peut être portée au crédit de l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Economique), qui adopte le 23 septembre 1980 des lignes directrices destinées à régir la protection de la vie privée et les flux transfrontières de données à caractères personnel.

Quatre mois plus tard, cette organisation internationale est suivie par le Conseil de l’Europe qui adopte, le 28 janvier 1981, la convention pour la protection des personnes à l’égard du traitement des données à caractère personnel[23]. On l’appelle également la convention 108. L’objectif de ce traité est de « garantir sur le territoire de chaque partie, à toute personne physique, quelles que soient sa nationalité ou sa résidence, le respect de ses droits et de ses libertés fondamentales, et notamment de sa vie privée, à l’égard du traitement automatisé de données à caractère personnel la concernant »[24].

Enfin, par une résolution n°45/95 du 14 décembre 1990, l’assemblée générale des Nations Unies[25] apporte une touche d’universalité à ces conventions, dont la portée ne dépasse guère plus les frontières de l’Europe. Pis, seule la convention 108 présente un caractère contraignant[26]. Fort légitimement, on est alors en droit de s’interroger sur l’utilité de proclamer des grands principes, s’il n’existe aucun moyen de les faire appliquer, à plus forte raison lorsqu’il s’agit de garantir des libertés.

Indépendamment de l’impact international provoqué par la loi informatique et libertés, il doit être souligné, comme l’affirme le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 92-316 du 20 janvier 1993, que cette loi participe, avant tout, au système de protection de la liberté personnelle et individuelle[27] ce qui, sans lui conférer une valeur constitutionnelle, « l’enracine en quelque sorte dans le bloc de constitutionnalité qui la vivifie »[28].

==> Le toilettage de la loi informatique et libertés

 La loi informatique et libertés se trouve être à la croisée de nombreuses libertés fondamentales, au-delà même du droit au respect à la vie privée[29].

En témoignent les rapports étroits qu’elle entretient avec le droit bancaire, le droit de la santé, le droit de la consommation, le droit de la communication, le droit de la propriété intellectuelle, ou encore le droit social. Sont ici concernés tous les droits qui appréhendent des secteurs dans lesquels sont collectées et traitées des données à caractère personnel. L’étendue du champ d’application de la loi informatique et libertés apparaît illimitée.

C’est de là qu’est issue la très grande portée de cette loi, laquelle montre une aptitude à se saisir des situations nouvelles créées par les machines. Ces situations « s’étendent à tous les aspects de la vie publique et privée, des activités collectives et individuelles »[30].

Bien que très étendu puisse apparaître le champ d’application de la loi informatique et libertés lors de son adoption, il est, toutefois un évènement qui, assez paradoxalement, va, plus tard, le rendre trop étroit. Quel est cet évènement ? Il s’agit de la naissance de l’internet qui s’est accompagnée, nous l’avons vu, de nouvelles techniques de collectes de données à caractère personnel.

Surtout, ce qui est nouveau, c’est que, une fois collectées, les données peuvent, en quelques clics de souris, circuler d’ordinateur en ordinateur, sans compter que la menace vient désormais, moins de l’administration publique que des agents privés. Naturellement, on ne saurait reprocher au législateur de n’avoir pas anticipé ces phénomènes.

Quoi qu’il en soit, un toilettage de la loi informatique et libertés devient, rapidement, nécessaire. Contrairement, à son élaboration qui s’est faite dans un cadre national, la refonte de cette loi est impulsée par les instances communautaires, qui brandissent – de façon assez discutable – leur compétence quant à connaître de tout ce qui relève de la circulation des marchandises. Or, selon elles, les données à caractère personnel peuvent y être assimilées.

Comment, dès lors, parvenir d’une part, à une harmonisation des législations nationales et, d’autre part, à la libre circulation des données à caractère personnel, tout en garantissant un niveau élevé de protection des libertés individuelles.

 Pour le conseil d’Etat, qui se prononce en assemblée générale, dans un avis du 13 juin 1993, le texte qui va être adopté ne saurait contenir de « dispositions qui conduiraient à priver des principes de valeur constitutionnelle de la protection que leur accorde la loi du 6 janvier 1978 actuellement en vigueur »[31].

De la même manière, dans une résolution de l’assemblée nationale du 25 juin 1993, il est estimé que la Communauté européenne ne peut « justifier son intervention dans la réglementation des traitements des données à caractère personnel qu’à la condition que la réalisation de cet objectif ne nuise pas au haut degré de protection dont doivent bénéficier les personnes physiques à l’égard de ces traitements et encore moins à assimiler ces données à de simples marchandises ».

Fort heureusement, en raison de la grande considération que les instances communautaires portent à la loi informatique et libertés, les recommandations formulées par les autorités françaises, notamment par la CNIL, ont été suivies rigoureusement.

Cela s’est traduit par l’adoption d’une directive, le 24 octobre 1995, qui dispose, dans son dixième considérant, que « […] le rapprochement [des] législations ne doit pas conduire à affaiblir la protection qu’elles assurent mais doit, au contraire, avoir pour objectif de garantir un niveau élevé de protection dans la Communauté »[32]. Par ce texte communautaire est assuré « la protection des libertés et droits fondamentaux des personnes physiques, notamment de leur vie privée, à l’égard du traitement des données à caractère personnel »[33].

En France, il faut attendre près de dix ans pour que cette directive soit transposée. Elle le fut, par une loi du 6 août 2004, qui, sans remplacer la précédente du 6 juillet 1978, a simplement été intégrée à elle.

==> Le RGPD

Une proposition de règlement et une proposition de directive ont été formulées par la Commission européenne le 25 janvier 2012[34], en vue de remplacer respectivement la – déjà obsolète – directive du 24 octobre 1995 et la décision cadre 2008/977/JAI sur la protection des données dans le cadre de la coopération policière et judiciaire[35].

A cet égard, le législateur européen s’est donné pour objectif de renforcer les droits des personnes et le marché intérieur de l’UE, garantir un contrôle accru de l’application de la réglementation, simplifier les transferts internationaux de données à caractère personnel et instaurer des normes mondiales en matière de protection des données.

La France a pris une part très active dans les négociations afin de maintenir et promouvoir son modèle de protection des données qui constitue encore aujourd’hui une référence en Europe et dans le monde.

A l’issue de longues négociations, le Parlement européen et le Conseil ont adopté le « paquet protection des données » le 27 avril 2016, fruit d’un compromis entre les Etats membres de l’Union européenne.

Ce paquet se compose :

  • D’un règlement relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (règlement (UE) 2016/679).
  • D’une directive relative aux traitements mis en œuvre à des fins de prévention et de détection des infractions pénales, d’enquêtes et de poursuites en la matière ou d’exécution de sanctions pénales (directive (UE) 2016/680).

Au-delà des exigences propres à la mise en conformité avec le droit européen de la protection des données à caractère personnel, le règlement prévoit plus d’une cinquantaine de marges de manœuvre qui permettent aux Etats membres de préciser certaines dispositions ou d’aller plus loin que ce que prévoit le droit européen.

Certaines de ces marges de manœuvre permettent de maintenir des dispositions déjà existantes dans notre droit national. D’autres, en revanche, peuvent être mises en œuvre afin notamment de prendre en compte l’évolution technologique et sociétale.

Le rapport annuel du Conseil d’Etat de 2014, intitulé « Le numérique et les droits fondamentaux » a souligné la nécessité de repenser la protection des droits fondamentaux afin de mettre le numérique au service des droits individuels et de l’intérêt général.

De même, le rapport d’information déposé par la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République de l’Assemblée nationale a également révélé l’importance des « incidences des nouvelles normes européennes en matière de protection des données personnelles sur la législation française »

Les nouvelles exigences posées par le législateur européen ont été transposées en droit français lors de l’adoption de la loi n° 2018-493 du 20 juin 2018 relative à la protection des données personnelles.

[1] G. Ripert, Les forces créatrices du droit, LGDJ, coll. « reprint », 1998, p. 146.

[2] V. en ce sens G. Cornu, Linguistique juridique, Montchrestien, coll. « Domat », 2005, p. 356 ; H. Roland et L. Boyer, Adages du droit français, Litec, coll. « traités », 3éd., Paris, 1992, n°251, p. 533 ; B. Beignier, Droit de la personnalité, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1992, p. 14-15.

[3] Cité in B. Beignier, op. préc., p. 15.

[4] Ulpien affirmait « dominus membrorum suorum nemo videtur » (nul n’est propriétaire de son corps), Digeste, IX-2-13, cité in B. Beignier, op. préc., p. 76.

[5] Selon R. Andorno, « le système juridique repose sur la base de la distinction radicale personnes-choses, qui est une condition sine qua non, non seulement de l’existence du système, mais du respect dû à la personne humaine » (R. Andorno, « Procréations artificielles, personnes et choses », RRJ, 1992, n°1, pp. 13 s.).

[6] J. Carbonnier, Droit civil. Introduction, Les personnes, La famille, l’enfant, le couple, PUF, coll. « Quadrige manuels », 2004, n°4, p.19.

[7] Bernard Beigner, op. préc., p. 7.

[8] Emile Beaussire par son ouvrage « les principes du droit » publié en 1888 et A. Boistel dans son cours de philosophie du droit en 1889 avaient néanmoins déjà développé la notion de droits innés au nombre desquels figurait le droit au respect de l’individualité.

[9] E.-H. Perreau, « Des droits de la personnalité », RTDCiv, 1909, pp. 501 et s.

[10] Perreaufait, par exemple, référence au dommage moral, à la protection du corps et de l’esprit, à l’honneur ou encore au « droit à la liberté ».

[11] P. Roubier, préface in R. Nerson, Les droits extrapatrimoniaux, LGDJ, 1939.

[12] Sans doute est-ce là le résultat de l’influence de Jean Dabin, qui avance dans son ouvrage relatif aux droits subjectifs, que ces deniers incluent, tant les intérêts juridiquement protégés, que les « droits de liberté ». Dans le droit fil de cette idée Roger Nerson, élève de Roubier, écrit plus tard dans sa thèse qu’« un droit extrapatrimonial est un droit dont la fin est de satisfaire un besoin non économique : besoin souvent moral, parfois d’ordre matériel » (R. Nerson, op. préc., p. 6).

[13] V. en ce sens notamment, Aff. Marlène Dietrich, CA Paris, 16 mars 1955, D. 1955, p. 295 ; Aff. Picasso, CA Paris, 6 juill. 1965, Gaz. Pal. 1966, 1, p. 39 ; Aff. Trintignant, CA Paris, 17 mars 1966, D. 1966, p. 749; Aff. Bardot, TGI Seine, 24 nov. 1965, JCP G 1966, II, 14521, puis CA Paris, 27 févr. 1967 : D. 1967, p. 450, note Foulon-Piganiol.

[14] R. Badinter, « Le droit au respect de la vie privée », JCP G, 1968, I, 2136, n° 12.

[15] Article 9 de la loi n°70-643 du 17 juillet 1970 : « chacun a droit au respect de sa vie privée ».

[16] On peut citer l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, l’article 7 de la Chartes des droits fondamentaux de l’Union Européenne ou encore l’article 1er de la Directive Directive 2002/58/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 juillet 2002 concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques JO 31 juillet 2002, L. 201, pp. 37-47.

[17] Comme le souligne Emmanuel Derieux « à défaut d’une définition légale précise de la vie privée […], c’est dans la jurisprudence, tant antérieure que postérieure à la loi de 1970 que l’on doit chercher la signification ou l’interprétation de cette notion. […] On considère généralement – encore que cela puisse varier selon les circonstances et l’identité des individus concernés – que relèvent de la vie privée d’une personne : sa vie sentimentale ; ses relations amicales ; sa situation de famille ; ses ressources et moyens d’existence ; ses loisirs […] ; sens opinions politiques ; son appartenance syndicale ou religieuse ; son état de santé ; le mode d’éducation choisi pour ses enfants ; son adresse […] » (E. Derieux, Droit des médias. Droit français, européen et international, LGDL, coll. « Manuel », 2008, n°1803-1804, p. 583).

[18] On pense notamment aux données relatives au patrimoine, à la confession ou encore à la profession.

[19] G. Braibant, Rapport Données personnelles et société de l’information. Transposition en droit français de la directive numéro 95/46, La documentation française, coll. « rapports officiels », 1998, p. 7. V. également sur la notion d’atteinte à la vie privée, B. Beignier, « Vie privée et vie publique », Légipresse, sep. 1995, n°124, pp. 67-74 ; O. d’Antin et L. Brossollet, « Le domaine de la vie privée et sa délimitation jurisprudentielle » Légicom, octobre 1999, n° 20, pp. 9-19 ; J. Curto, « La fin justifie-t-elle les moyens ? De la notion de vie privée et de la preuve déloyale » Revue Lamy Droit Civil, avr. 2012, n°92, pp. 55-56.

[20] Ph. Boucher, « Safari ou la chasse aux Français », Le Monde, 21 mars 1974.

[21] A. Touffait, Discours du 9 avril 1973 devant l’Académie des Sciences morales et politiques, cité in Ph. Boucher, art. préc.

[22] D. Pousson, « L’identité informatisée », in L’identité de la personne humaine. Étude de droit français et de droit comparé, Bruylant, Bruxelles, 2002, p. 373.

[23] Cette convention a été complétée par un amendement adopté le 15 juin 1999, lequel prévoit l’ouverture à la signature de l’Union européenne et par un protocole additionnel relatif aux autorités de contrôle des flux transfrontières de données à caractère personnel.

[24] Article 1er de la convention 108, publiée par le décret n°85-1203 du 15 novembre 1985, JO 20 nov., p. 13436

[25] Résolution 45/95 du 14 décembre 1990 adoptée par l’assemblée générale des Nations Unies relative aux principes directeurs pour la règlementation des fichiers personnels informatisés.

[26] La convention 108 prend directement sa source dans la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales laquelle est d’application directe. L’arrêt du Conseil d’État du 18 novembre 1992 semble aller en ce sens (CE, 18 nov. 1992, Licra, AJDA 1993, n°3, p. 213, note Letterson).

[27] Décision n° 92-316 DC du 20 janvier 1993, JORF n°18 du 22 janvier 1993 p. 1118.

[28] A. Lucas, J. Devèze, J. Frayssinet, op. cit. note n°100, n°41, p. 28.

[29] Ibid.

[30] P. Laroque, « Informatique et libertés publiques », in Techniques de l’Ingénieur, Fascicules H 8770, éd. Techniques, 1970.

[31] V. en ce sens, Les grands avis du Conseil d’État, Paris, LGDJ, 1997, p. 399, note de B. Stirn.

[32] Directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil, du 24 octobre 1995, relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, JO 23 nov. 1995, L. 281, pp. 31-50.

[33] Article 1er, 1° de la directive 95/46/CE.

[34] Communication de la Commission « une approche globale de la protection des données à caractère personnel dans l’Union européenne », 4 novembre 2010, COM(2010)609 final.

[35] Décision-cadre 2008/977/JAI du Conseil du 27 novembre 2008 relative à la protection des données à caractère personnel traitées dans le cadre de la coopération policière et judiciaire en matière pénale, J.O.C.E. L 350 du 30 décembre 2008.

L’arrêt Maurice JARRE: la réserve héréditaire ne relève pas de l’ordre public international (Cass. 1ere civ. 27 sept. 2017)

Dans un arrêt du 27 septembre 2017, la Cour de cassation a été amenée à se prononcer sur la détermination de la loi applicable à la succession d’un ressortissant français, Maurice JARRE, domicilié et décédé dans l’État de Californie (Cass. 1ère civ. 27 sept. 2017, n°16-17.198).

La question posée à la haute juridiction était notamment de savoir quelle loi successorale avait vocation à régir la dévolution du patrimoine du défunt. Devait-on appliquer la loi californienne ou la loi française.

Indépendamment de la nouveauté de la solution retenue par la Cour de cassation, la question qui lui était soumise retient particulièrement l’attention.

Récemment, cette question a, en effet, été portée sur le devant de la scène, car  se posant sensiblement dans les mêmes termes que la problématique soulevée dans le cadre de la succession de Johnny HALLYDAY.

==> Faits

Après s’être marié en date du 6 décembre 1984 avec Madame Fong F. Khong, le célèbre artiste Maurice JARRE a constitué en 1991 avec son épouse un trust family.

Ce mécanisme inconnu du droit français, consiste, selon le droit Californien, pour un ou plusieurs membres d’une même famille, appelés constituants, à transférer la propriété de tout ou partie de leurs biens à une entité tierce, le fiduciaire ou trust, aux fins de réaliser un objet conventionnellement défini à la faveur de bénéficiaires.

Tant que la condition posée par les constituants ne s’est pas réalisée, le fiduciaire demeure propriétaire des biens qui lui ont été affectés.

En l’espèce, Maurice JARRE et son épouse étaient les deux uniques constituants (trustors) et administrateurs (trustees) du trust.

En 1995, ils ont par suite constitué une société civile immobilière à laquelle ils ont apporté un bien immobilier situé à Paris et acquis en 1981.

Au décès de Maurice JARRE, le 29 mars 2009 à Los Angeles (Californie), il est ressorti de son testament, établi le 31 juillet 2008, qu’il avait entendu léguer tous ses biens meubles à son épouse et le reliquat de sa succession au fiduciaire trust, déshéritant par-là même ses trois enfants, dont Jean-Michel JARRE.

Consécutivement, l’épouse a exprimé son souhait de contester à ces derniers tout droit à la succession de leur père.

==> Demande

Les enfants de Maurice JARRE ont assigné son épouse, la SCI et les sociétés française et américaine de gestion des droits d’auteur sur deux fondements juridiques distincts :

  • Premier fondement
    • Les demandeurs invoquent, tout d’abord, le droit de prélèvement énoncé à l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 relative à l’abolition du droit d’aubaine et de détraction.
    • Aux termes de cette disposition « dans le cas de partage d’une même succession entre des cohéritiers étrangers et français, ceux-ci prélèveront sur les biens situés en France une portion égale à la valeur des biens situés en pays étranger dont ils seraient exclus, à quelque titre que ce soit, en vertu des lois et coutumes locales. »
    • Au titre de ce droit de prélèvement, lorsqu’une succession comporte un élément d’extranéité, les héritiers français disposent de la faculté de réclamer sur des biens situés en France la part successorale que lui octroierait la loi française et dont il a été exclu par la loi successorale étrangère
  • Second fondement
    • Au soutien de leur action, les enfants de Maurice JARRE avancent encore que, en les privant de leur part réservataire, la loi Californienne porterait atteinte à l’ordre public international français.
    • C’est donc la loi française qui aurait vocation à s’appliquer par exception au principe posé par la règle de conflit qui, en l’espèce, désignait la loi Californienne

==> Procédure

Par un arrêt du 11 mai 2016, la Cour d’appel de Paris a débouté les requérants de leurs deux demandes.

  • D’une part, les juges du fond ont estimé que l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 ne peut pas être appliqué dans le présent litige, en raison de son abrogation consécutivement à la décision n° 2011-159 QPC du 5 août 2011 rendu par le Conseil constitutionnel
  • D’autre part, ils ont considéré qu’aucun élément ne permettait d’écarter l’application de la loi californienne à la faveur de la loi française

Pour ces deux raisons, la Cour d’appel de Paris rejette les prétentions des enfants de Maurice JARRE

==> Solution

Par un arrêt du 27 septembre 2017, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par les demandeurs.

  • Sur le premier moyen
    • La Cour de cassation considère que :
      • En premier lieu, « aux termes de l’article 62, alinéa 3, de la Constitution, les décisions du Conseil constitutionnel s’imposent à toutes les autorités juridictionnelles»
      • En second lieu, « que, lorsque la déclaration d’inconstitutionnalité est rendue sur une question prioritaire de constitutionnalité, la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel dès lors que celui-ci n’a pas usé du pouvoir, que les dispositions de l’article 62, alinéa 2, de la Constitution lui réservent, de fixer la date de l’abrogation et reporter dans le temps ses effets ou de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l’intervention de cette déclaration».
    • Après avoir relevé que, dans sa décision du 5 août 2011, le Conseil constitutionnel avait abrogé l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 et qu’aucune décision revêtue de l’autorité de la chose jugée, ni aucune reconnaissance de droit antérieure à la publication de cette décision n’avait consacré le droit de prélèvement que les enfants de Maurice JARRE entendaient exercer, la première chambre civile en déduit que ces derniers ne pouvaient valablement invoquer les dispositions abrogées.
    • En somme, pour la haute juridiction, dès lors que le Conseil constitutionnel n’avait pas jugé opportun dans sa décision de reporter dans le temps les effets de l’abrogation de l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819, celui-ci était insusceptible de recevoir une application dans l’instance en cours
    • La Cour de cassation considère, en outre, que, contrairement à ce qu’ils prétendaient, les enfants de Maurice JARRE ne justifiaient d’aucune atteinte à leur droit de propriété, tel que protégé par l’article 1er du Protocole additionnel n°1 à la Convention Européenne des Droits de l’Homme.
    • Aux termes de cette disposition, « toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international».
    • Aussi, pour la première chambre civile, « le droit au respect des biens garanti par l’article 1er du Protocole n° 1 additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne garantit pas celui d’en acquérir par voie de succession ab intestat ou de libéralités».
    • La raison en est que le droit de prélèvement en vigueur au moment du décès du de cujus ne confère aucun droit héréditaire définitivement reconnu aux héritiers, de sorte qu’ils ne disposent pas de biens au sens de l’article 1er du Protocole additionnel n°1.
    • D’où le rejet des prétentions des enfants de Maurice JARRE qui n’étaient donc pas fondés à exciper d’une atteinte à leur droit de propriété.
  • Sur le second moyen
    • D’abord, la Cour de cassation affirme « qu’une loi étrangère désignée par la règle de conflit qui ignore la réserve héréditaire n’est pas en soi contraire à l’ordre public international français et ne peut être écartée que si son application concrète, au cas d’espèce, conduit à une situation incompatible avec les principes du droit français considérés comme essentiels».
    • Ensuite, elle relève :
      • D’une part, que le dernier domicile du défunt est situé dans l’État de Californie, que ses unions, à compter de 1965, ont été contractées aux États-Unis, où son installation était ancienne et durable
      • D’autre part, que les requérants ne soutiennent pas se trouver dans une situation de précarité économique ou de besoin
    • Enfin, elle en déduit qu’il n’y avait pas lieu d’écarter la loi californienne au profit de la loi française
    • La première chambre civile réfute ainsi l’argument des enfants de Maurice JARRE qui soutenaient que la réserve héréditaire, qui a pour vocation de protéger la pérennité économique et sociale de la famille, l’égalité des enfants et les volontés et libertés individuelles des héritiers, est un principe essentiel du droit français relevant de l’ordre public international.
    • Il en résulte que la loi californienne, qui ne connaît pas la réserve héréditaire, ne saurait être appliquée car conduisant à admettre que le de cujus puisse exhéréder totalement ses descendants.

 ==> Analyse

Bien que la Cour de cassation se soit prononcée sur une succession ouverte antérieurement à l’adoption du règlement n° 650/2012 du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen, plusieurs enseignements peuvent être retirés par l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 27 septembre 2017.

  • Sur la notion de résidence habituelle
    • Pour déterminer le lieu de la résidence habituelle du défunt, la Cour de cassation, qui indéniablement opère un contrôle sur la motivation des juges du fond, relève un certain nombre de circonstances de faits :
      • Tout d’abord, elle constate que le dernier domicile du défunt était situé dans l’État de Californie
      • Ensuite, elle relève que ses unions, à compter de 1965, ont toutes été contractées aux États-Unis
      • Enfin, elle observe que l’installation de Maurice JARRE dans l’État de Californie était ancienne et durable
    • Le contrôle ainsi exercé par la Cour de cassation sur les critères de détermination de la résidence habituelle indique qu’il appartient aux juges du fond, pour fonder leur décision, de recourir à la méthode du faisceau d’indices.
    • En cas de doute ou de contradiction des circonstances de fait, le critère qui retiendra particulièrement l’attention du juge est celui du lieu où se situent les principaux intérêts du défunt.
    • Il ressort, en effet, de la jurisprudence antérieure et du présent arrêt que ce critère prime sur tous les autres.
    • Au cas particulier de la succession de Johnny HALLYDAY, la question qui, dès lors, sera inévitablement soumise à la juridiction saisie sera de savoir où ses principaux intérêts étaient-ils localisés ? À ne pas en douter, cette question devrait être au centre du débat judiciaire.
    • Dans la mesure où l’essentiel de son public était français, il y a fort à parier que la France soit désignée comme le lieu de sa résidence habituelle.
    • Si, toutefois, le juge décidait du contraire, bien qu’en mauvaise posture, tout ne serait pas perdu pour Laura SMET et David HALLYDAY.
    • Le principe d’application de la loi du lieu de la résidence habituelle du défunt est, en effet, assorti de deux exceptions.
  • Sur l’ordre public international
    • Pour justifier l’application de la loi californienne, la Cour de cassation estime que, contrairement à ce qui était allégué par les requérants, cette loi ne portait nullement atteinte à l’ordre public international.
    • Pour mémoire, l’article 35 du règlement européen du 4 juillet 2012 prévoit que « l’application d’une disposition de la loi d’un État désignée par le présent règlement ne peut être écartée que si cette application est manifestement incompatible avec l’ordre public du for.»
    • Autrement dit, en cas de contrariété de la loi étrangère à l’ordre public international, son application est écartée à la faveur de la loi du for.
    • En l’espèce, la première chambre civile considère « qu’une loi étrangère désignée par la règle de conflit qui ignore la réserve héréditaire n’est pas en soi contraire à l’ordre public international français et ne peut être écartée que si son application concrète, au cas d’espèce, conduit à une situation incompatible avec les principes du droit français considérés comme essentiels »
    • Aussi, pour la Cour de cassation, la réserve héréditaire ne revêt pas un caractère d’ordre public international.
    • La décision ici rendue par la Cour de cassation a de quoi surprendre, ne serait-ce que parce qu’elle admet que, au moyen de la désignation d’une loi étrangère, un défunt puisse exhéréder ses enfants.
    • Aussi, cela marque-t-il un certain déclin de la réserve héréditaire, institution qui prend ses racines dans l’ancien régime.
    • La position que la haute juridiction adopte, en l’espèce, n’est toutefois pas sans nuance.
    • Au soutien de sa décision elle relève :
      • D’une part, que l’absence de reconnaissance de la réserve héréditaire ne conduit à une situation incompatible avec les principes du droit français considérés comme essentiels
      • D’autre part, que les parties ne se trouvaient pas dans une situation de précarité économique ou de besoin
    • On en déduit que dès lors que l’un de ces deux critères est rempli, la réserve héréditaire pourrait être reconnue comme relevant de l’ordre public international.
    • Il appartiendra donc aux juridictions d’apprécier l’exception d’ordre public au cas par cas.
    • La question qui immédiatement se pose est alors de savoir ce que l’on doit entendre par « la situation incompatible avec les principes du droit français considérés comme essentiels»
    • D’aucuns soutiennent que la Cour de cassation vise l’hypothèse où la loi étrangère opérerait une discrimination entre les héritiers réservataires, notamment entre les enfants légitimes, naturels ou encore adultérins.
    • En dehors de cette hypothèse, sauf à ce que les successibles justifient d’une situation de précarité économique, on voit mal comment la loi étrangère qui autorise le défunt à déshériter ses enfants pourrait être écartée.
    • Doit-on voir dans la décision rendue par la Cour de cassation une influence du droit européen, bien que la solution rendue ait été adoptée sous l’empire du droit antérieur ?
    • Pour le déterminer, il convient de se reporter au règlement européen du 4 juillet 2012 qui, dans son considérant 58, envisage les différents cas dans lesquels l’ordre public international est susceptible d’être invoqué.
    • Ainsi, est-il prévu que « dans des circonstances exceptionnelles, des considérations d’intérêt public devraient donner aux juridictions et aux autres autorités compétentes des États membres chargées du règlement des successions la possibilité d’écarter certaines dispositions d’une loi étrangère lorsque, dans un cas précis, l’application de ces dispositions serait manifestement incompatible avec l’ordre public de l’État membre concerné. »
    • Le texte européen précise néanmoins que « les juridictions ou autres autorités compétentes ne devraient pas pouvoir appliquer l’exception d’ordre public en vue d’écarter la loi d’un autre État membre ou refuser de reconnaître — ou, le cas échéant, d’accepter —, ou d’exécuter une décision rendue, un acte authentique ou une transaction judiciaire d’un autre État membre, lorsque ce refus serait contraire à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, en particulier à son article 21 qui interdit toute forme de discrimination.»
    • Il ressort de ce considérant du règlement européen que dès lors que la loi étrangère porte atteinte, soit à l’ordre public d’un état membre, soit aux principes fondamentaux du droit européen, elle doit être écartée.
    • De toute évidence, la solution adoptée par la Cour de cassation dans son arrêt du 27 septembre 2017 est très proche des termes du règlement.
    • Elle est d’autant plus conforme à ce texte que si elle avait adopté le contraire, cela serait revenu, en définitive, à altérer la liberté reconnue en 2012 au défunt de désigner la loi applicable à sa succession.
    • Pour cette raison, la décision de la première chambre civile est parfaitement cohérente au regard de l’évolution du droit européen.
    • Appliquée aux circonstances qui entourent la succession de Johnny HALLYDAY, il est très peu probable que Laura SMET et David HALLYDAY soient fondés à se prévaloir de l’exception d’ordre public international au regard de la jurisprudence de la Cour de cassation.
    • Non seulement, il est peu probable qu’ils parviennent à convaincre le juge qu’ils se trouvent dans une situation de précarité, mais encore rien n’indique que le droit californien comporte des dispositions qui contreviendraient aux principes essentiels du droit français.
    • Une action fondée sur ce fondement a, dès lors, quasi aucune chance de prospérer.

Cass. 1ère civ. 27 sept. 2017
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 11 mai 2016), que Maurice X..., compositeur de musique, de nationalité française, s’est marié le 6 décembre 1984 avec Mme Z... ; qu’en 1991, Maurice X... et son épouse ont constitué, selon le droit californien, le X... family trust, dont ils étaient les deux uniques “trustors” et “trustees”, et auquel ont été transférés tous les biens de Maurice X... ; qu’en 1995, ils ont constitué une société civile immobilière (la SCI), à laquelle a été apporté le bien immobilier sis à Paris, acquis par celui-ci en 1981 ; qu’il est décédé le [...] à Los Angeles, Etat de Californie (Etats-Unis d’Amérique), laissant à sa survivance son épouse, deux enfants issus de précédentes unions, Jean-Michel et Stéphanie (les consorts X...), et un fils adoptif, Kevin, en l’état d’un testament du 31 juillet 2008 léguant tous ses biens meubles à son épouse et le reliquat de sa succession au fiduciaire du trust ; qu’en 2010, Mme Z... leur ayant contesté tout droit à la succession de leur père, les consorts X... l’ont assignée ainsi que Kevin X..., décédé en cours de procédure, la SCI et les sociétés française et américaine de gestion des droits d’auteur, afin de voir juger les tribunaux français compétents à l’égard des héritiers réservataires français pour connaître de l’exercice du droit de prélèvement prévu à l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 ; que par décision du 5 août 2011 (n° 2011-159 QPC), le Conseil constitutionnel, saisi dans une autre instance, a déclaré cette disposition contraire à la Constitution ;

Sur le premier moyen, pris en ces cinq premières branches :

Attendu que les consorts X... font grief à l’arrêt de dire que l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 ne peut pas être appliqué dans le présent litige et de rejeter leurs demandes, alors, selon le moyen :

1°/ que la loi ne dispose que pour l’avenir et qu’elle n’a point d’effet rétroactif ; que la dévolution successorale est soumise aux règles en vigueur au moment de l’ouverture de la succession ; que l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819, qui détermine l’étendue de la part successorale d’un héritier français dans une succession internationale, est une règle relative à la dévolution successorale ; qu’une telle règle était donc applicable aux successions ouvertes avant son abrogation ; qu’au cas présent, la succession de Maurice X... a été ouverte le 29 mars 2009, avant l’abrogation de l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 par le Conseil constitutionnel, le 5 août 2011 ; que la succession, et notamment la part successorale des héritiers français, était donc soumise aux règles en vigueur à cette date, y compris l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 ; qu’en écartant l’application de cette loi pour cela qu’il ne s’agirait pas d’une règle relative à la dévolution successorale mais d’une exception à la règle de conflit de lois, la cour d’appel a violé l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819, ensemble l’article 2 du code civil ;

2°/ qu’à supposer que l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 soit assimilable à une règle portant sur le partage de la succession, la succession restait soumise à la loi en vigueur au moment du décès ; que le partage étant déclaratif, il ne saurait remettre en cause les parts successorales résultant de l’application des règles en vigueur au moment de l’ouverture de la succession ; qu’en se fondant sur ce que le droit de prélèvement serait une règle relative au partage, pour refuser d’appliquer la loi en vigueur au moment de l’ouverture de la succession et en privant ainsi les consorts X... du prélèvement auquel leur donnait droit la loi de 1819 alors encore en vigueur, la cour d’appel a violé l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819, ensemble l’article 2 du code civil ;

3°/ que la loi ne dispose que pour l’avenir et qu’elle n’a point d’effet rétroactif ; qu’une règle de conflit de lois n’a pas davantage d’effet rétroactif qu’une règle substantielle ; qu’une succession internationale est donc soumise aux règles de conflit de lois applicables au jour de son ouverture ; qu’à supposer donc même que l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 ne soit pas une règle de dévolution successorale mais une exception à la règle normale de conflit de lois, elle était tout de même applicable aux successions ouvertes avant son entrée en vigueur ; qu’au cas présent, la succession de Maurice X... a été ouverte le 29 mars 2009, avant l’abrogation de l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 par le Conseil constitutionnel, le 5 août 2011 ; que la succession était donc soumise aux règles en vigueur à cette date, y compris l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 ; qu’en écartant l’application de cette loi au motif qu’il ne s’agirait pas d’une règle relative à la dévolution successorale mais d’une exception à la règle de conflit de lois, la cour d’appel a violé l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819, ensemble l’article 2 du code civil ;

4°/ que l’application immédiate de la loi nouvelle, ou d’une décision du Conseil constitutionnel, implique que celle-ci sera immédiatement appliquée aux faits postérieurs à son entrée en vigueur ; que cette application immédiate, qui est de principe, s’oppose à l’application rétroactive, selon laquelle la loi ou décision nouvelle est appliquée aux litiges en cours relatifs à des faits antérieurs, et qui, elle, est d’exception ; qu’au cas présent, après avoir énoncé que la décision d’inconstitutionnalité n’était pas rétroactive, la cour d’appel a, par motifs adoptés, estimé qu’« il y a lieu de constater l’application immédiate de cette décision au litige dont le tribunal est saisi », lequel portait par hypothèse sur une succession ouverte antérieurement à ladite décision du Conseil constitutionnel ; qu’en statuant ainsi, la cour d’appel, qui a confondu application immédiate et rétroactivité, a violé l’article 2 du code civil ;

5°/ qu’au jour de l’ouverture de la succession, l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 était toujours en vigueur ; qu’à cette date, les consorts X... disposaient donc du droit de prélever dans les biens situés en France la part dont ils étaient privés dans la masse successorale californienne par l’effet de la loi californienne ; que cette part successorale constitue un bien protégé par l’article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme ; qu’en faisant rétroagir la décision d’abrogation du 5 août 2011 et en les privant ainsi rétroactivement de leur part dans la succession de leur père, la cour d’appel a porté une atteinte disproportionnée au droit au respect des biens garanti par l’article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Mais attendu, d’une part, qu’aux termes de l’article 62, alinéa 3, de la Constitution, les décisions du Conseil constitutionnel s’imposent à toutes les autorités juridictionnelles ; que, lorsque la déclaration d’inconstitutionnalité est rendue sur une question prioritaire de constitutionnalité, la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel dès lors que celui-ci n’a pas usé du pouvoir, que les dispositions de l’article 62, alinéa 2, de la Constitution lui réservent, de fixer la date de l’abrogation et reporter dans le temps ses effets ou de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l’intervention de cette déclaration ; qu’ayant constaté, par motifs propres et adoptés, que dans sa décision du 5 août 2011 (n° 2011-159 QPC), le Conseil constitutionnel avait abrogé l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 et qu’aucune décision revêtue de l’autorité de la chose jugée ni aucune reconnaissance de droit antérieure à la publication de cette décision, le 6 août suivant, n’avait consacré le droit de prélèvement que les consorts X... entendaient exercer, la cour d’appel en a déduit à bon droit qu’ils ne pouvaient invoquer les dispositions abrogées ;

Attendu, d’autre part, qu’après avoir relevé que le droit au respect des biens garanti par l’article 1er du Protocole n° 1 additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne garantit pas celui d’en acquérir par voie de succession ab intestat ou de libéralités, et constaté que les consorts X..., auxquels le droit de prélèvement en vigueur au moment du décès de leur père n’avait conféré aucun droit héréditaire définitivement reconnu, ne disposaient pas de biens au sens de l’article précité, elle a exactement retenu que ceux-ci n’étaient pas fondés à exciper d’une atteinte à leur droit de propriété ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen :

Attendu que les consorts X... font grief à l’arrêt de dire que la réserve héréditaire ne relève pas de l’ordre public international français et de rejeter leurs demandes, alors, selon le moyen, que la réserve héréditaire, qui a pour vocation de protéger la pérennité économique et sociale de la famille, l’égalité des enfants et les volontés et libertés individuelles des héritiers, est un principe essentiel du droit français relevant de l’ordre public international ; qu’au cas présent, en refusant d’écarter la loi californienne, qui, pourtant, ne connaît pas la réserve et permet ainsi au de cujus d’exhéréder complètement ses descendants, la cour d’appel a violé l’article 3 du code civil ;

Mais attendu qu’une loi étrangère désignée par la règle de conflit qui ignore la réserve héréditaire n’est pas en soi contraire à l’ordre public international français et ne peut être écartée que si son application concrète, au cas d’espèce, conduit à une situation incompatible avec les principes du droit français considérés comme essentiels ;

Et attendu qu’après avoir énoncé que la loi applicable à la succession de Maurice X... est celle de l’Etat de Californie, qui ne connaît pas la réserve, l’arrêt relève, par motifs propres, que le dernier domicile du défunt est situé dans l’Etat de Californie, que ses unions, à compter de 1965, ont été contractées aux Etats-Unis, où son installation était ancienne et durable et, par motifs adoptés, que les parties ne soutiennent pas se trouver dans une situation de précarité économique ou de besoin ; que la cour d’appel en a exactement déduit qu’il n’y avait pas lieu d’écarter la loi californienne au profit de la loi française ; que le moyen n’est pas fondé ;

Sur le premier moyen, pris en sa sixième branche, et le troisième moyen, ci-après annexés :

Attendu que ces griefs ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Par ces motifs :

REJETTE le pourvoi ;