La représentation est un mécanisme juridique permettant à une personne, le représentant, d’accomplir un acte juridique au nom et pour le compte d’une autre, le représenté. Son efficacité repose sur l’articulation entre la volonté et le pouvoir : la volonté du représenté, qui consent à être engagé par l’intermédiaire d’un tiers, et le pouvoir conféré au représentant, qui agit en vertu d’une habilitation. Si la théorie classique mettait l’accent sur la primauté de la volonté du représenté, la doctrine moderne souligne davantage le rôle actif du représentant et l’autonomie du pouvoir qui lui est délégué. Cette évolution doctrinale éclaire l’analyse des conditions de validité de la représentation, qu’il s’agisse de la nature des actes accomplis, du statut du représentant ou de celui du représenté.
A) Les conditions relatives à l’objet de la représentation
La représentation permet à une personne d’accomplir un acte juridique au nom et pour le compte d’une autre. Toutefois, ce mécanisme ne saurait être appliqué de manière indifférenciée à toutes les situations. Il ne peut jouer que dans le cadre d’actes juridiques et se heurte à certaines limites inhérentes à la nature de l’acte accompli. L’examen de ces conditions impose d’abord de circonscrire le domaine des actes susceptibles d’être réalisés par représentation (1), puis d’identifier ceux qui, par leur nature, échappent à ce régime (2).
1. La représentation dans l’accomplissement d’actes juridiques
La représentation ne trouve à s’exercer que dans le cadre des actes juridiques, c’est-à-dire des manifestations de volonté destinées à produire des effets de droit. Cette restriction se justifie par la nature même du mécanisme représentatif, qui repose sur l’aptitude du représentant à exprimer une volonté en vue d’engager juridiquement le représenté. L’acte accompli par le représentant déploie ainsi directement ses effets dans la sphère juridique du représenté, comme si celui-ci l’avait lui-même accompli.
Toutefois, certains actes, en raison de leur caractère strictement personnel, échappent à cette logique. Le droit positif interdit ainsi la représentation dans les situations où l’intervention d’un tiers priverait l’acte de son essence propre. Tel est le cas du mariage : l’article 146 du Code civil pose l’exigence du consentement personnel des époux, rendant toute substitution impossible. De même, la rédaction d’un testament ne saurait être confiée à un tiers (C. civ., art. 970), dans la mesure où elle traduit une volonté personnelle irréductible. Enfin, la prestation de serment, qui engage non seulement la responsabilité juridique mais aussi l’intégrité morale de l’individu, ne peut être accomplie que par celui qui en est l’objet (CPC, art. 321).
Cette interdiction ne signifie pas pour autant que tout acte relevant de la sphère personnelle est exclu du domaine de la représentation. Certaines actions, bien que fondées sur un droit personnel, peuvent être engagées par un représentant dès lors que leur exercice ne requiert pas nécessairement l’intervention physique du titulaire du droit. Ainsi, une action en divorce ou en séparation de corps peut être introduite par un représentant, notamment dans le cas où l’un des époux est frappé d’incapacité. De même, la réparation d’un préjudice moral peut être demandée par un représentant, dès lors que la titularité du droit à indemnisation n’implique pas nécessairement l’expression directe d’une volonté propre au représenté. Ces distinctions soulignent l’importance du critère de l’intuitu personae dans la détermination du champ d’application de la représentation.
2. L’exclusion de la représentation dans les faits juridiques et les actes matériels
Si les actes juridiques peuvent être réalisés par l’intermédiaire d’un représentant, il n’en va pas de même des faits juridiques. Ces derniers, par définition, produisent des effets de droit indépendamment de toute manifestation de volonté. Ils se distinguent ainsi des actes juridiques en ce qu’ils résultent de circonstances objectives ou de la loi elle-même. L’intervention d’un représentant y serait donc dépourvue de sens, car elle ne pourrait modifier ni la survenance du fait ni ses conséquences juridiques. Ainsi, une naissance, une possession ou encore la réalisation d’un fait dommageable générateur de responsabilité délictuelle ne sauraient donner lieu à un mécanisme de représentation: la responsabilité d’un individu du fait de son acte ne saurait être transférée à autrui par le biais d’une représentation.
De la même manière, la représentation ne s’étend pas aux actes matériels, qui constituent l’exécution concrète d’une opération juridique. Si un agent immobilier peut être mandaté pour vendre un bien, ce qui relève bien de la représentation dans un acte juridique, il n’en demeure pas moins que les visites des lieux, la gestion des formalités administratives ou la prise en charge de la relation avec les potentiels acquéreurs sont des actes matériels qu’il accomplit en son nom propre. Cette distinction est d’autant plus essentielle que de nombreux professionnels, tels que les agents commerciaux, les courtiers ou les commissionnaires, interviennent dans des opérations où se mêlent à la fois des actes juridiques et des actes matériels. Lorsqu’ils agissent en qualité de représentants, ils peuvent engager directement la responsabilité du représenté ; mais lorsqu’ils accomplissent des actes matériels, ils n’engagent qu’eux-mêmes.
Enfin, il convient de souligner que certaines catégories d’actes, bien que pouvant paraître relever de la représentation, n’en relèvent pas en raison de leur mode d’exécution. Par exemple, dans le domaine des contrats intuitu personae, une entreprise ne saurait se substituer à un tiers pour exécuter une prestation si celle-ci repose sur des compétences personnelles spécifiques. Ainsi, un artiste ou un avocat ne peut déléguer intégralement l’exécution de sa mission à un représentant, car l’obligation qui lui incombe est strictement attachée à sa personne.
Ces considérations démontrent que la représentation, bien qu’étant un mécanisme de transmission de la volonté juridique, ne saurait être étendue au-delà du domaine des actes de volonté. Son champ d’application est donc limité par la nature même des actes susceptibles d’être accomplis par autrui, ce qui impose un encadrement strict de son régime.
B) Les conditions relatives au représentant
L’exercice de la représentation repose sur un ensemble de conditions visant à garantir l’efficacité et la sécurité des actes accomplis au nom et pour le compte du représenté. Trois éléments doivent être réunis pour que la représentation produise pleinement ses effets.
En premier lieu, la capacité du représentant, qui détermine son aptitude à exercer les droits du représenté et à conclure valablement des actes juridiques. Si le principe veut que le représentant soit juridiquement capable, la jurisprudence et la doctrine ont admis des tempéraments, notamment en matière de représentation par des personnes dotées de discernement mais frappées d’incapacité.
En second lieu, la volonté du représentant, qui doit se manifester de manière non équivoque. Son consentement doit être libre et éclairé, exempt de tout vice, et son intention d’agir pour autrui clairement établie. Sans cette volonté de représenter, l’acte risque d’être interprété comme un engagement personnel du représentant plutôt que comme une opération réalisée pour le compte du représenté.
Enfin, le pouvoir de représentation, qui constitue le fondement même de l’acte accompli. Ce pouvoir peut être conféré par la loi, par une décision judiciaire ou par un acte conventionnel. Sa reconnaissance et sa délimitation conditionnent l’étendue des prérogatives du représentant et déterminent les conséquences des actes qu’il accomplit.
1. La capacité de représenter
La validité de la représentation repose en premier lieu sur la capacité du représentant, c’est-à-dire son aptitude à exercer les droits du représenté et à accomplir des actes juridiques en son nom. Si le principe veut que le représentant soit capable d’exercer pleinement ces droits, la jurisprudence et la doctrine ont admis des tempéraments, notamment en ce qui concerne les incapables dotés de discernement.
a. Principe
En droit civil, l’exercice d’un droit suppose en principe que son titulaire soit capable juridiquement, c’est-à-dire qu’il dispose de la capacité d’exercice, lui permettant d’accomplir seul des actes juridiques. À défaut, une personne juridiquement incapable – par exemple, un mineur non émancipé ou un majeur placé sous curatelle ou tutelle – ne peut pas conclure seule un contrat ou accomplir un acte engageant son patrimoine. Cette incapacité vise à la protéger contre les conséquences d’actes qu’elle pourrait ne pas pleinement comprendre ou maîtriser.
Cependant, cette exigence de capacité d’exercice connaît un assouplissement en matière de représentation. En effet, dans le cadre de la représentation, c’est le représenté, et non le représentant, qui est engagé par l’acte accompli. Dès lors, la rigueur habituelle imposée à la capacité d’exercice du représentant s’atténue, car l’acte n’a pas d’effet direct sur son propre patrimoine.
La jurisprudence a ainsi admis que certaines personnes juridiquement incapables – telles que des mineurs doués de discernement ou des majeurs protégés – puissent représenter autrui (Cass. civ., 5 déc. 1933). Cette tolérance repose sur un principe fondamental : le représentant ne prend pas d’engagement personnel et n’exerce pas ses propres droits, mais agit uniquement au nom et pour le compte d’un tiers. Ainsi, l’exigence d’une capacité juridique complète s’applique avant tout au représenté, qui supportera les conséquences de l’acte accompli en son nom.
Cette distinction entre la capacité d’exercice du représentant et la capacité de jouissance du représenté est essentielle. Elle justifie qu’une personne normalement privée de la capacité d’accomplir certains actes pour elle-même puisse néanmoins les accomplir pour autrui, dès lors qu’elle est apte à comprendre la portée de ses actes et à exprimer une volonté propre.
b. Exception
Le Code civil prévoit expressément que le mandat peut être confié à un mineur non émancipé dès lors qu’il est capable de discernement (art. 1990 C. civ.). Cette solution repose sur une analyse pragmatique : le représentant n’exerce pas ses propres droits, mais ceux du représenté, et il n’engage pas son propre patrimoine. Il est donc moins risqué, du point de vue juridique, d’autoriser un mineur doté de discernement à être mandataire que de lui reconnaître la capacité d’agir en son nom propre.
Les auteurs classiques et contemporains confirment cette analyse en insistant sur le fait que la représentation n’implique pas nécessairement que le représentant soit titulaire des droits exercés, mais seulement qu’il dispose de la lucidité suffisante pour les mettre en œuvre. La doctrine relève ainsi que l’attribution d’un pouvoir de représentation à un mineur peut être envisagée à condition qu’il soit doté d’un discernement suffisant.
Dans certains cas, la jurisprudence a même étendu cette possibilité aux autres incapables. Bien que la doctrine reconnaisse la pertinence de cette approche, elle insiste sur la nécessité d’une prudence accrue : si des juridictions du fond ont parfois admis qu’un incapable puisse être représentant, la Cour de cassation a, dans certaines affaires, laissé la question ouverte sans trancher définitivement (Cass. civ. 4 janv. 1934).
c. Cas particulier de la survenance d’une incapacité sur les pouvoirs du représentant
La question se pose de savoir ce qu’il advient des pouvoirs du représentant lorsqu’il devient lui-même incapable en cours de mission. Le Code civil apporte une réponse à cette problématique à travers l’article 1160, issu de l’ordonnance du 10 février 2016, qui dispose que les pouvoirs du représentant cessent s’il est atteint d’une incapacité ou frappé d’une interdiction. Toutefois, ce texte ne précise ni les modalités de cessation de la représentation ni ses effets à l’égard des tiers.
L’application stricte de cette disposition conduirait à considérer que l’incapacité du représentant entraîne immédiatement l’extinction de son pouvoir de représentation, ce qui pourrait soulever des difficultés pratiques, notamment lorsque des tiers ignorent l’existence de cette incapacité. La théorie de l’apparence pourrait dès lors être invoquée pour protéger ces tiers de bonne foi.
Cependant, une ambiguïté demeure quant à l’exigence d’une capacité lors de l’attribution initiale du pouvoir de représentation. Certains auteurs ont suggéré que la nouvelle rédaction de l’article 1160 du Code civil pourrait être interprétée comme imposant une capacité au moment de la désignation du représentant. Une telle lecture serait toutefois une rupture avec la conception traditionnelle selon laquelle la validité du contrat conclu par représentation reste subordonnée à la seule capacité du représenté.
Il apparaît donc préférable de maintenir la distinction entre :
- L’incapacité survenue en cours de mandat, qui justifie l’extinction des pouvoirs du représentant pour préserver les intérêts du représenté.
- L’incapacité préexistante au moment de l’attribution du pouvoir, qui ne remet pas en cause la représentation dès lors que le représenté, en connaissance de cause, a choisi d’octroyer un mandat à une personne dotée du discernement nécessaire.
2. La volonté de représenter
L’effectivité de la représentation repose sur une volonté non équivoque du représentant, qui se manifeste par son consentement libre et éclairé et son intention d’agir pour autrui. Le consentement doit être exempt de tout vice, sous peine de nullité de l’acte. Quant à l’intention de représenter, elle garantit que l’acte produit ses effets dans le patrimoine du représenté et non dans celui du représentant. Cette exigence de clarté assure la sécurité juridique des actes accomplis sous le régime de la représentation.
a. Le consentement du représentant
Le représentant est l’auteur de l’acte qu’il accomplit : il ne se borne pas à extérioriser la volonté du représenté, mais manifeste une volonté propre, qui, bien que tournée vers l’intérêt d’un tiers, n’en demeure pas moins un engagement personnel. Cette autonomie implique nécessairement que son consentement soit libre, réel et exempt de vices.
Ainsi, l’erreur, le dol ou la violence peuvent vicier son consentement et entraîner l’annulation du contrat conclu par son intermédiaire. C’est donc en la personne du représentant que s’apprécie l’existence d’un éventuel vice du consentement, et non en celle du représenté, lequel ne contracte pas directement.
Lorsqu’un représentant est victime d’un dol ou d’une erreur portant sur l’acte conclu, il peut en demander l’annulation, indépendamment de la volonté du représenté. Par exemple, si le représentant a été induit en erreur par des informations fallacieuses fournies par le cocontractant, l’acte est susceptible d’être frappé de nullité (Cass. 3e civ., 29 avr. 1998, n° 96-17.540). Cette règle s’applique avec d’autant plus de rigueur lorsque le représentant est une personne juridiquement protégée.
Dans le cas particulier où le représentant ne dispose pas de la pleine capacité civile – comme un mineur pourvu de discernement –, il est indispensable que son consentement soit éclairé et exempt de toute manipulation (Cass. civ., 5 déc. 1933). Le Code civil admet en effet qu’un mineur non émancipé puisse être choisi comme mandataire dès lors qu’il est capable de comprendre la portée des actes qu’il accomplit (art. 1990 C. civ.).
Toutefois, la jurisprudence reste prudente dans l’admission de cette possibilité, exigeant que l’incapable soit doté d’une lucidité suffisante pour appréhender les implications de son rôle de représentant. Cette exigence vise à éviter que des individus vulnérables ne soient instrumentalisés à leur insu dans des opérations juridiques dont ils ne mesurent pas pleinement la portée.
b. L’intention de représenter
Outre son consentement libre, le représentant doit également agir dans l’intention claire et non équivoque de représenter le mandant. Cette condition, parfois qualifiée de “contemplatio domini“, vise à garantir que les effets de l’acte se répercutent sur le patrimoine du représenté et non sur celui du représentant.
==>Une volonté manifeste d’agir pour autrui
Pour que la représentation produise ses effets, il est essentiel que le représentant exprime sans ambiguïté son intention d’agir au nom et pour le compte du représenté (Cass. com., 31 mars 1981). Cette volonté peut se manifester de manière explicite, par une déclaration formelle, ou implicite, à travers des actes qui ne laissent aucun doute sur la qualité en laquelle il agit.
Dans la représentation parfaite, l’acte doit mentionner que le représentant agit pour le compte d’un tiers, et idéalement préciser l’identité de ce dernier (art. 1154, al. 1er C. civ.). Toutefois, cette identification n’est pas toujours obligatoire : en effet, l’intention de représenter suffit à conférer l’effet représentatif, même si l’identité du représenté n’a pas été révélée aux tiers.
==>La représentation sans divulgation du représenté
Il est admis que la représentation puisse exister sans que l’identité du représenté soit nécessairement dévoilée. Ainsi, en matière de commission, l’intermédiaire contracte en son nom propre mais pour le compte d’un tiers dont l’identité demeure inconnue du cocontractant (art. L. 132-1 C. com.). Dans cette hypothèse, le mandataire n’apparaît pas en tant que simple exécutant d’un ordre, mais comme un véritable opérateur qui engage la responsabilité du représenté dans une relation contractuelle.
L’absence de divulgation du représenté peut parfois soulever des interrogations sur la portée de l’engagement du représentant. Toutefois, la jurisprudence considère que dès lors que la volonté de représenter est évidente, la représentation fonctionne pleinement et produit ses effets dans le patrimoine du représenté.
==>Sanctions en cas d’absence d’intention de représenter
En l’absence de “contemplatio domini”, l’acte conclu par le représentant pourrait être interprété comme ayant été réalisé pour son propre compte, engageant ainsi sa responsabilité personnelle. Cette hypothèse s’illustre notamment dans les cas de contrats conclus par un prête-nom, où la dissimulation de la qualité de représentant entraîne des conséquences juridiques spécifiques (Cass. civ., 8 nov. 1926).
À l’inverse, lorsqu’un individu prétend agir en qualité de représentant sans en avoir réellement l’intention, la nullité de l’acte peut être prononcée. En ce sens, la Cour de cassation a jugé que la mauvaise foi du représentant pouvait être opposée au représenté, notamment dans les hypothèses où ce dernier avait connaissance de la fraude (Cass. 3e civ., 5 juill. 2018, n° 17-20.121).
3. Le pouvoir de représentation
L’exercice de la représentation repose sur l’existence d’un pouvoir permettant au représentant d’agir au nom et pour le compte du représenté. Ce pouvoir, qui constitue le fondement même de la représentation, peut être défini comme la prérogative conférée à une personne afin qu’elle accomplisse des actes juridiques dont les effets s’imputeront directement au représenté. Il convient d’examiner, d’une part, la notion de pouvoir et, d’autre part, les différentes modalités de son habilitation.
3.1. Notion de pouvoir
a. Définition
Le pouvoir conféré au représentant est une prérogative juridique qui lui permet d’accomplir des actes juridiques pour autrui, en engageant directement le patrimoine du représenté. Il ne s’agit donc pas d’un simple exercice personnel d’un droit, mais bien d’une faculté d’intervention conférée au représentant en vertu d’un mécanisme qui, selon Pothier, se justifie par la nécessité d’agir au nom d’autrui lorsque celui-ci ne peut le faire lui-même.
Selon une définition classique, le pouvoir peut être envisagé comme la capacité d’exprimer une volonté propre à produire des effets contraignants pour un tiers. Cette approche s’inscrit dans la continuité des travaux de Planiol et Ripert, qui considéraient que le pouvoir juridique est une délégation de volonté permettant d’imputer directement les effets d’un acte à une personne distincte du signataire.
Toutefois, cette notion a fait l’objet de critiques. Elle est parfois perçue comme une simple constatation ex post de la validité d’un acte accompli, plutôt qu’une condition préalable à l’exercice de la représentation. La doctrine classique, en particulier Troplong et Baudry-Lacantinerie, soulignait déjà que le pouvoir n’existait que pour autant qu’un acte juridique pouvait être rattaché au représenté.
Néanmoins, la réforme du droit des contrats a consacré l’importance du pouvoir de représentation, en l’intégrant dans le droit commun des obligations. L’article 1153 du Code civil affirme ainsi que le représentant ne peut engager le représenté qu’en vertu d’un pouvoir qui lui a été donné à cet effet, confirmant le caractère central de cette notion dans la théorie juridique des actes accomplis pour autrui.
b. Distinctions
i. Pouvoir de représentation et pouvoirs propres
La notion de pouvoir en droit privé recouvre des réalités distinctes qu’il convient de ne pas confondre. Si le pouvoir de représentation permet au représentant d’agir au nom et pour le compte du représenté, certains pouvoirs sont exercés en nom propre, bien qu’ils bénéficient indirectement à un tiers. Cette distinction est essentielle, car elle détermine l’imputation des effets juridiques des actes accomplis.
==>Exposé de la distinction
- Les pouvoirs de représentation : une délégation de volonté
- Les pouvoirs de représentation impliquent que le représentant n’agit pas en son nom, mais qu’il exprime la volonté d’un tiers qui sera directement lié par l’acte accompli.
- Ce pouvoir repose sur une délégation explicite ou implicite, qui peut résulter :
- D’une convention : tel est le cas du mandataire, qui reçoit d’un mandant le pouvoir d’agir en son nom (art. 1984 C. civ.). L’étendue de ce pouvoir est déterminée par le contrat et peut être générale (lorsqu’il concerne toutes les affaires du représenté) ou spéciale (limitée à un ou plusieurs actes précis).
- De la loi : certains représentants tiennent leurs pouvoirs directement d’un texte législatif. Ainsi, les administrateurs légaux (art. 387-1 C. civ.), les tuteurs (art. 496 C. civ.) ou encore les mandataires judiciaires d’un majeur protégé (art. 433 C. civ.) exercent leurs fonctions en vertu de règles qui leur confèrent expressément le pouvoir d’agir pour le compte d’autrui.
- D’une décision judiciaire : l’autorité judiciaire peut conférer un pouvoir de représentation lorsqu’un individu est empêché d’exercer ses droits, par exemple lorsque le juge habilite un époux à représenter son conjoint hors d’état de manifester sa volonté (art. 216 C. civ.).
- Dans toutes ces hypothèses, le représentant agit comme un intermédiaire juridique, et les actes qu’il accomplit sont directement rattachés à la personne du représenté.
- Le pouvoir de représentation n’a donc pas d’autonomie propre : il est exercé dans l’intérêt exclusif du représenté et ne produit d’effets qu’à son égard.
- Les pouvoirs propres : une autonomie d’action
- À l’inverse, certains pouvoirs sont exercés en nom propre, bien qu’ils profitent indirectement à autrui.
- Ces pouvoirs ne procèdent pas d’une délégation de volonté, mais d’une prérogative autonome conférée à une personne qui, bien qu’agissant dans l’intérêt d’un tiers, ne le représente pas juridiquement.
- Ainsi, l’exécuteur testamentaire exerce les pouvoirs qui lui sont conférés par le testateur, mais il n’agit ni au nom du défunt, ni au nom des héritiers (art. 1026 s. C. civ.).
- Son rôle est d’assurer l’exécution des dernières volontés du défunt, et il dispose pour cela de prérogatives spécifiques qui lui sont propres.
- En conséquence, les actes qu’il accomplit engagent sa propre responsabilité et ne sont pas directement imputables aux héritiers.
- De même, le syndic de copropriété est investi de pouvoirs d’administration et de gestion de l’immeuble sans pour autant représenter individuellement chaque copropriétaire (L. n° 65-557 du 10 juillet 1965, art. 18).
- Il prend des décisions qui affectent la copropriété dans son ensemble, mais les effets de ses actes ne se rattachent pas directement aux copropriétaires en tant qu’individus.Il agit donc en vertu de pouvoirs propres, et non d’un mandat de représentation.
- Dans le même esprit, les dirigeants sociaux exercent ce que la doctrine qualifie de « représentation organique » : ils n’expriment pas la volonté d’un mandant, mais incarnent la personne morale qu’ils dirigent.
- Lorsqu’un dirigeant engage une société, il n’agit pas en tant que représentant au sens strict du mandat, mais en tant qu’organe de la société, habilité à exprimer sa volonté propre.
==>Conséquences pratiques de la distinction
Cette distinction entre pouvoirs de représentation et pouvoirs propres n’est pas qu’une subtilité doctrinale. Elle emporte des conséquences importantes en matière de responsabilité et d’opposabilité des actes :
- Opposabilité aux tiers
- Dans la représentation, les actes du représentant s’imposent directement au représenté.
- Par exemple, si un mandataire contracte une vente en son nom et pour le compte du mandant, c’est ce dernier qui est tenu par l’obligation.
- Dans l’exercice de pouvoirs propres, l’auteur de l’acte reste personnellement engagé, même si l’acte bénéficie à un tiers.
- Ainsi, un syndic de copropriété qui souscrit un contrat d’entretien ne représente pas individuellement les copropriétaires : c’est le syndicat des copropriétaires, en tant qu’entité distincte, qui est engagé.
- Responsabilité
- Le représentant n’engage pas sa responsabilité personnelle, sauf en cas de dépassement de pouvoir ou de faute lourde.
- Le représenté est le véritable débiteur des obligations contractées.
- À l’inverse, celui qui exerce un pouvoir propre répond personnellement des actes accomplis, car il est juridiquement l’auteur de ces actes.
- Un dirigeant social qui abuse de ses pouvoirs engage ainsi sa responsabilité personnelle à l’égard de la société et des tiers.
- Faculté de délégation
- Un pouvoir de représentation peut être délégué, sous réserve que l’acte constitutif du pouvoir l’autorise (ex. : le mandataire peut désigner un sous-mandataire si cela est prévu dans le contrat).
- En revanche, un pouvoir propre ne peut être cédé sans autorisation. Un exécuteur testamentaire ne peut transmettre son rôle à un tiers, sauf si le testateur l’a expressément prévu.
Ainsi, si la représentation est un mécanisme visant à imputer les effets d’un acte à une autre personne, les pouvoirs propres confèrent une autonomie juridique à celui qui les exerce, même lorsque son action bénéficie à autrui. Il en résulte des régimes distincts en matière d’engagements, de responsabilité et d’effets à l’égard des tiers, ce qui justifie la nécessité d’opérer une distinction rigoureuse entre ces deux catégories de pouvoirs.
==>Représentation de volonté et représentation organique
Si la représentation classique repose sur une délégation de pouvoir permettant à un individu d’agir au nom et pour le compte d’un tiers, la représentation organique propre aux personnes morales s’en distingue fondamentalement. Les dirigeants sociaux n’agissent pas en qualité de simples mandataires, mais en tant qu’organes de la personne morale, investis d’un pouvoir propre d’expression de la volonté sociale.
Dans le cadre de la représentation classique, le représentant est un intermédiaire juridique : il n’engage pas sa propre volonté, mais celle du représenté. À l’inverse, dans la représentation organique, l’organe social ne fait pas que retransmettre la volonté d’un tiers : il exprime la volonté propre de la personne morale, qu’il incarne juridiquement. Cette distinction a été consacrée par la doctrine, notamment par Gérard Martin, qui souligne que le dirigeant « ne se contente pas d’agir pour le compte de la société : il est la voix et la main par lesquelles elle s’exprime et agit ».
Ainsi, lorsqu’un gérant de SARL, un président de SAS ou un directeur général de SA conclut un contrat, il ne le fait pas au nom d’un mandant préexistant, mais en tant qu’organe exerçant un pouvoir directement conféré par la loi ou les statuts (art. 1843-5 C. civ.). De ce fait, les actes qu’il accomplit engagent immédiatement la société, sans qu’il soit nécessaire de prouver un mandat préalable ou une délégation de pouvoir.
Contrairement à un représentant classique qui peut être librement révoqué par le représenté, les pouvoirs du dirigeant social sont encadrés par la loi et les statuts. Ils ne peuvent être limités dans leurs effets à l’égard des tiers que dans des conditions strictement définies, notamment en cas d’abus de pouvoir ou de dépassement des limites statutaires.
Aussi, en application du principe de l’opposabilité des actes aux tiers de bonne foi (art. 1158 C. civ.), la société demeure engagée par les actes passés par son représentant légal, même si ceux-ci dépassent les pouvoirs qui lui ont été attribués en interne. Cette règle vise à protéger la sécurité des transactions et la stabilité des relations d’affaires.
Par ailleurs, contrairement au mandataire classique, qui doit justifier de l’étendue de son pouvoir, le dirigeant social tire directement son habilitation du texte fondateur de la société. Il n’a pas besoin d’un acte de désignation spécifique pour justifier de sa capacité à engager la société.
Cette autonomie d’action explique que les dirigeants sociaux soient soumis à un régime de responsabilité propre, distinct de celui des mandataires classiques. Ils ne peuvent être tenus personnellement responsables des engagements sociaux que dans des cas exceptionnels, notamment en cas de faute de gestion, d’abus de biens sociaux ou de dépassement manifeste de leurs pouvoirs.
La distinction entre pouvoir de représentation et pouvoir propre se retrouve également dans l’articulation entre les organes de direction et les organes de contrôle.
- Les dirigeants exécutifs (président, directeur général, gérant, etc.) sont les véritables représentants de la société dans ses relations avec les tiers.
- Les organes de contrôle (conseil d’administration, conseil de surveillance, commissaires aux comptes), bien qu’intervenant dans la gestion de la société, n’exercent pas une fonction de représentation au sens strict : ils disposent de pouvoirs propres de surveillance et de contrôle, qui ne se confondent pas avec un mandat classique de représentation.
De même, les associés ou actionnaires, bien qu’ils participent à la prise de décision, n’ont pas individuellement le pouvoir d’engager la société, sauf en cas d’action sociale ut singuli (art. 1843-5 C. civ.).
3.2. Source du pouvoir
L’exercice du pouvoir de représentation suppose une habilitation préalable, laquelle peut être d’origine légale, judiciaire ou conventionnelle. Cette habilitation constitue la source du pouvoir du représentant et conditionne la validité des actes qu’il accomplit au nom et pour le compte du représenté.
a. Les différentes sources de pouvoir
==>L’habilitation légale
Dans certains cas, la loi attribue directement un pouvoir de représentation sans qu’aucun acte juridique préalable ne soit nécessaire. Cette forme d’habilitation est automatique et découle du statut même du représentant.
Tel est le cas des parents administrateurs légaux qui gèrent les biens de leurs enfants mineurs non émancipés (art. 387-1 C. civ.). De même, le tuteur d’un mineur ou d’un majeur protégé est investi d’un pouvoir général d’administration des biens de la personne protégée (C. civ., art. 496).
D’autres situations relèvent de l’habilitation légale, bien que le pouvoir du représentant soit plus limité. Ainsi, le gérant d’affaires peut intervenir en l’absence d’un mandat exprès, mais son action doit se limiter aux actes nécessaires dans l’intérêt du représenté.
Dans tous ces cas, le représentant n’a pas besoin de justifier d’un acte spécifique de nomination : son pouvoir lui est directement attribué par la loi, et ses décisions s’imposent au représenté sans que ce dernier ait besoin de les approuver.
==>L’habilitation judiciaire
Dans d’autres situations, le pouvoir de représentation ne découle pas directement de la loi mais nécessite une intervention judiciaire. Le juge est alors amené à désigner un représentant lorsque le représenté est incapable d’exprimer sa volonté ou dans l’impossibilité d’agir lui-même.
Cette hypothèse concerne notamment :
- Le conjoint empêché d’exprimer sa volonté, auquel cas le juge peut habiliter son époux ou épouse à le représenter pour certains actes patrimoniaux (art. 216 s. C. civ.).
- L’indivisaire hors d’état de manifester sa volonté, pour lequel un mandataire judiciaire peut être désigné afin d’administrer ses droits indivis (815-4 C. civ.).
- Le mandataire judiciaire d’une procédure collective, investi d’un pouvoir d’administration sur les biens du débiteur en liquidation judiciaire afin de préserver les intérêts des créanciers.
Dans ces situations, le juge définit l’étendue des pouvoirs du représentant : ceux-ci peuvent être généraux (gestion courante du patrimoine) ou limités à certains actes spécifiques. Le pouvoir de représentation ne peut excéder ce que la décision judiciaire a expressément prévu, garantissant ainsi une protection optimale du représenté.
==>L’habilitation conventionnelle
Enfin, l’habilitation du représentant peut être conventionnelle, résultant d’un accord conclu entre le représenté et son représentant. Dans ce cadre, c’est la volonté des parties qui définit les pouvoirs conférés au représentant.
L’exemple le plus emblématique est le mandat, par lequel une personne (le mandant) charge une autre personne (le mandataire) d’accomplir un ou plusieurs actes en son nom (art. 1984 s. C. civ.). Le mandat peut être :
- Spécial, lorsque le mandataire est habilité à accomplir un acte déterminé (ex. : vente d’un bien immobilier).
- Général, lorsqu’il porte sur l’ensemble des affaires du mandant.
D’autres contrats peuvent conférer des pouvoirs de représentation, comme :
- La commission, où le commissionnaire agit pour le compte du commettant sans nécessairement révéler son identité (JCl. Commercial, fasc. 360).
- Le mandat de protection future, permettant d’anticiper une situation d’incapacité en désignant un mandataire chargé de gérer les affaires du représenté (C. civ., art. 477).
Dans tous ces cas, l’étendue des pouvoirs du représentant est définie par la convention qui les établit. En cas de litige, son interprétation se fait à la lumière des règles générales d’interprétation des contrats, notamment les articles 1359 et suivants du Code civil.
b. L’absence d’habilitation
Si un individu agit comme représentant sans disposer d’un pouvoir valide, l’acte qu’il accomplit est en principe inopposable au représenté, sauf dans deux cas :
- Ratification ultérieure : le représenté peut confirmer rétroactivement l’acte accompli sans pouvoir, lui conférant ainsi une pleine efficacité juridique. Cette ratification peut être expresse (par écrit, par exemple) ou tacite (par l’exécution volontaire de l’acte).
- Théorie de l’apparence : si le comportement du représenté a fait naître chez un tiers une croyance légitime dans l’existence du pouvoir, ce dernier peut invoquer l’apparence pour faire valoir ses droits. Ainsi, un tiers de bonne foi peut être protégé contre les effets d’un défaut de pouvoir si l’attitude du représenté a laissé croire qu’un mandat existait (Cass. 1re civ., 2 févr. 1966).
C) Les conditions relatives au représenté
La représentation ne peut exister que si elle se rapporte à une personne juridiquement identifiable et titulaire de droits. Dès lors, le représenté doit remplir plusieurs conditions essentielles qui tiennent à son existence juridique et sa capacité à être représenté.
1. L’existence juridique du représenté
Pour qu’une représentation soit possible, le représenté doit exister juridiquement, c’est-à-dire être une personne physique ou morale dotée de la personnalité juridique. Cette exigence repose sur le principe fondamental selon lequel on ne peut exercer des droits pour le compte d’un être ou d’une entité dépourvue de personnalité.
==>La représentation d’un défunt
En principe, il est impossible d’accomplir un acte juridique au nom d’une personne décédée, la mort entraînant l’extinction de la personnalité juridique. Toute action introduite en justice au nom d’un défunt est donc irrecevable et doit être déclarée inexistante (Cass. 2e civ., 19 mai 1980).
Toutefois, certaines exceptions limitées existent :
- Mandat posthume : en mandat peut être stipulé pour survivre au décès du mandant (art. 2003 C. civ.). Ce mécanisme, qui doit répondre à un intérêt sérieux et légitime, permet au mandataire d’administrer les biens du défunt après sa mort pour le compte des héritiers (art. 812 s. C. civ.).
- Exécution d’un contrat conclu avant le décès : en application de l’article 2008 du Code civil, les actes accomplis par un mandataire qui ignorait la mort du mandant restent valides.
- Reprise d’actions par les héritiers : si une action a été initiée avant le décès, elle peut se poursuivre au profit des héritiers, ceux-ci devenant alors les véritables demandeurs (Cass. crim., 12 oct. 1995).
==>La représentation d’un être non encore né
Si une personne qui n’est plus, ne peut en principe être représentée, une exception est admise pour les enfants conçus mais non encore nés. Selon l’adage infans conceptus pro nato habetur quoties de commodis ejus agitur, l’enfant conçu est réputé né chaque fois que cela lui profite. Il peut donc hériter (art. 725 C. civ.), recevoir une donation ou un legs (art. 906 C. civ.) et bénéficier des effets d’actes accomplis en son nom.
==>La représentation d’une société en formation
Une société n’acquiert la personnalité morale qu’à compter de son immatriculation. Dès lors, les actes accomplis avant cette date ne sont pas directement opposables à la société. Toutefois, le Code de commerce (art. L. 210-6 et art. 1843 C. civ.) prévoit un mécanisme de reprise, par lequel la société peut ratifier les engagements pris pour son compte. Cette ratification entraîne une fiction juridique : l’acte est réputé avoir été conclu dès l’origine par la société elle-même.
2. La capacité du représenté
Si l’existence juridique est un préalable incontournable, encore faut-il que le représenté soit titulaire des droits mis en œuvre par le représentant. Cette condition se traduit par l’exigence d’une capacité de jouissance, laquelle peut varier en fonction de la nature de la représentation.
La capacité de jouissance, définie comme l’aptitude à être titulaire de droits et obligations, est une condition essentielle. Une personne frappée d’une incapacité de jouissance ne peut être représentée que dans la mesure où elle possède les droits en question.
Par exemple :
- Une personne sous curatelle ou tutelle peut être représentée pour gérer son patrimoine, mais elle ne peut pas être représentée pour tester ou consentir une donation si elle est frappée d’une incapacité de jouissance.
- La capacité de recevoir une donation s’apprécie dans la personne du représenté, car c’est lui qui bénéficiera des effets de l’acte.
Dans les cas de représentation conventionnelle, le représenté doit en principe avoir la capacité de conclure le contrat par lequel il confère un pouvoir au représentant. Toutefois, des tempéraments existent, notamment en matière de gestion d’affaires, où la capacité du représenté est indifférente dès lors que l’acte est utile.