Les classifications de l’assurance

Institution juridique au carrefour de la prévoyance et de l’économie du risque, l’assurance se distingue par la diversité de ses formes, la complexité de ses mécanismes et la variété des intérêts qu’elle protège. Cette richesse explique qu’elle ait, très tôt, suscité l’élaboration de multiples classifications, chacune révélatrice d’un aspect fonctionnel, normatif ou économique du phénomène assurantiel.

Ainsi que le soulignait René Savatier, l’assurance peut être définie comme « le mécanisme juridique par lequel une personne se fait promettre, moyennant rémunération, une prestation pour le cas où un risque se réalise »[1]. Mais derrière cette formulation apparemment limpide, se dissimule une réalité protéiforme, que la doctrine s’accorde à reconnaître comme irréductible à une approche unique. À la suite du doyen Besson, qui voyait dans l’assurance « une opération à facettes multiples », il est désormais admis que l’intelligibilité de la matière suppose une pluralité de grilles de lecture, chacune révélant une dimension spécifique du contrat d’assurance.

Ces classifications ne relèvent pas d’une simple entreprise taxinomique ou descriptive. Elles structurent l’ensemble du droit des assurances contemporain : elles conditionnent l’application des règles substantielles, gouvernent la régulation administrative du secteur (via le régime d’agrément), fondent les modalités de gestion technique et financière des risques, et contribuent, enfin, à l’identification des intérêts – patrimoniaux ou existentiels – protégés par la garantie.

Trois grandes classifications dominent traditionnellement l’étude du droit des assurances :

  • la classification juridique, qui distingue les contrats selon la nature du risque garanti et la finalité de la prestation (réparation ou versement forfaitaire) ;
  • la classification technique, qui repose sur les modalités de financement et de gestion des engagements (répartition ou capitalisation) ;
  • la classification administrative, enfin, issue du droit positif européen, qui organise la spécialisation des opérateurs par le biais d’une nomenclature en branches, conditionnant l’exercice de leur activité.

À travers ces trois classifications, c’est l’architecture même du droit des assurances qui se dessine : un droit en tension constante entre mutualisation solidaire et logique de marché, entre engagement aléatoire et gestion patrimoniale, entre finalité protectrice et exigences prudentielles.

I) Les classifications juridiques

La richesse du droit des assurances ne se mesure pas uniquement à la diversité des risques qu’il appréhende, mais également à la finesse des outils de classification qu’il mobilise. Ces derniers permettent d’organiser, de rationaliser et, partant, de gouverner les multiples situations que l’assurance est appelée à régir. Parmi ces classifications, les classifications juridiques occupent une place prééminente, en ce qu’elles fondent les régimes applicables, structurent les obligations réciproques des parties au contrat et conditionnent l’exercice des recours et garanties postérieurs au sinistre.

Le droit positif, enrichi par les apports doctrinaux et consolidé par la jurisprudence, a retenu deux critères. Le premier repose sur l’objet du risque couvert : il distingue les assurances de dommages, qui protègent le patrimoine de l’assuré, des assurances de personnes, qui intéressent sa vie, sa santé ou son intégrité physique. Le second critère, plus fonctionnel, concerne la nature de la prestation de l’assureur : indemnitaire ou forfaitaire, selon qu’elle dépend ou non de l’existence d’un préjudice réel.

Loin d’être de simples constructions intellectuelles, ces distinctions irriguent l’ensemble de la matière assurantielle. Elles permettent de délimiter le champ d’application de principes cardinaux tels que le principe indemnitaire, de déterminer la possibilité ou non d’un recours subrogatoire, et d’encadrer la réglementation des assurances cumulatives. Leur articulation est d’autant plus essentielle que les contrats d’assurance modernes tendent à mêler des prestations de nature hybride, brouillant parfois les frontières doctrinales et jurisprudentielles.

Le Code des assurances, après avoir posé les règles générales du contrat (Livre I, Titre I), organise les régimes particuliers autour de cette dichotomie, en distinguant les assurances de dommages (Titre II) et les assurances de personnes (Titre III). Quant à la Cour de cassation, elle veille à ce que ces catégories ne soient pas confondues, interdisant notamment de statuer sur le fondement des règles afférentes à l’assurance de responsabilité dans un litige concernant une assurance de personnes (Cass. 1re civ., 13 mai 1997, n° 95-14.843).

C’est donc à la lumière de cette dualité structurante que doivent être envisagées les classifications juridiques des assurances. Il convient d’en examiner successivement le contenu, puis d’en souligner les implications pratiques et les enjeux juridiques.

A) Le contenu des classifications juridiques

1. La distinction entre assurances de dommages et assurances de personnes

La distinction entre assurances de dommages et assurances de personnes constitue l’un des fondements traditionnels de la classification juridique des opérations d’assurance. Longtemps consacrée par la loi du 13 juillet 1930, elle est désormais reprise dans la structuration même du Code des assurances, qui consacre respectivement son Titre II aux contrats d’assurance de dommages et son Titre III aux contrats d’assurance de personnes. Ce clivage n’est pas uniquement formel : il répond à une logique fonctionnelle qui permet de différencier les régimes applicables aux obligations de l’assureur selon la nature du risque garanti.

a. Le critère fondé sur l’objet du risque

La distinction entre les assurances de dommages et les assurances de personnes repose, en premier lieu, sur l’objet du risque garanti. Il s’agit là d’un critère substantiel, qui permet de fonder une classification juridique pérenne et d’en tirer des conséquences normatives précises. Selon une formule devenue classique, les assurances de dommages protègent le patrimoine de l’assuré, tandis que les assurances de personnes ont pour objet la personne même de l’assuré, dans ses dimensions physiques, vitales et existentielles.

i. Les assurances de dommages

Les assurances de dommages ont pour finalité de garantir l’assuré contre les conséquences économiques d’un événement affectant son environnement patrimonial. L’objet du risque assuré est ici un intérêt pécuniaire, dont la disparition ou la diminution constitue le sinistre ouvrant droit à indemnisation. Comme le souligne la jurisprudence, il peut s’agir d’un intérêt direct, mais aussi d’un intérêt plus large, tel qu’un intérêt économique légitime, sans qu’il soit nécessaire de démontrer un droit réel (Cass. 1ère civ., 25 avr. 1990, n° 88-17.699).

Deux grandes catégories se dégagent traditionnellement :

  • Les assurances de choses, ou assurances de biens, couvrent les atteintes matérielles à un bien déterminé. En cas de perte, destruction ou dégradation de ce bien, l’assureur verse une indemnité destinée à compenser la diminution d’actif subie par l’assuré. Ces assurances recouvrent des risques fréquents, tels que l’incendie, le vol, les dégâts des eaux, le branchement illégal d’électricité, ou encore la perte d’exploitation. Le régime juridique est fondé sur l’article L. 121-1 du Code des assurances, qui énonce le principe indemnitaire selon lequel l’indemnité ne peut excéder la valeur du bien au moment du sinistre.
  • Les assurances de responsabilité, également appelées assurances de dettes, visent à prémunir l’assuré contre une augmentation de passif, résultant de la mise en cause de sa responsabilité civile. Dans cette hypothèse, le sinistre n’est pas un dommage affectant directement le patrimoine de l’assuré, mais le fait générateur d’une obligation à réparation à l’égard d’un tiers. L’assureur garantit le paiement de l’indemnité due à la victime, laquelle dispose d’un droit propre contre l’assureur, par le biais de l’action directe prévue à l’article L. 124-3 du Code des assurances. Ce mécanisme, à la structure tripartite, justifie un traitement juridique distinct, notamment en ce qui concerne les modalités de déclaration du sinistre, l’opposabilité des exceptions et le droit à indemnité de la victime.

ii. Les assurances de personnes

À l’inverse, les assurances de personnes ont pour objet la protection de la personne physique de l’assuré contre les conséquences d’événements liés à sa vie, sa santé ou son intégrité corporelle. Elles ne visent donc pas la préservation d’un bien ou l’indemnisation d’une dette, mais la prise en charge d’un aléa vital, dont la survenance déclenche le versement d’une prestation à caractère personnel ou familial.

L’intérêt garanti n’est pas un intérêt économique extérieur au sujet de droit, mais un intérêt existentiel intrinsèque. Pour autant, la prestation de l’assureur — souvent une somme d’argent — peut présenter un caractère patrimonial apparent. Il n’en demeure pas moins que la finalité de l’assurance est non indemnitaire, car elle ne vise pas à réparer une perte, mais à fournir une aide ou un revenu dans une situation donnée.

Ces assurances donnent lieu, en cas de réalisation du risque, au versement d’un capital ou d’une rente, soit à l’assuré, soit à ses ayants droit. Elles incluent notamment :

  • Les assurances sur la vie (branche 20 de l’article R. 321-1 C. assur.), qui prévoient le versement d’un capital en cas de survie à une certaine date (assurance en cas de vie) ou, au contraire, en cas de décès (assurance en cas de décès). Ces assurances peuvent être utilisées dans une optique d’épargne, de prévoyance successorale ou de constitution de capital différé.
  • Les assurances contre les accidents corporels (branche 1) et les assurances maladie (branche 2), qui prévoient la prise en charge de frais médicaux, l’indemnisation d’une incapacité temporaire, ou encore le versement d’une rente en cas d’invalidité. Ces garanties peuvent être individuelles ou collectives, souscrites à titre facultatif ou dans le cadre de régimes de prévoyance professionnelle.
  • Les assurances de prévoyance collective (branche 26), introduites par renvoi au titre IV du livre IV du Code des assurances, notamment sous l’influence de la loi Evin du 31 décembre 1989, qui organise les régimes complémentaires d’entreprise (décès, incapacité, invalidité, dépendance) au profit des salariés. Ces assurances, bien qu’attachées à la personne, présentent une dimension sociale accrue, en lien avec la solidarité professionnelle.

b. Les limites de la distinction

Si la distinction entre assurances de dommages et assurances de personnes est traditionnellement présentée comme structurante, sa mise en œuvre concrète révèle une subtilité conceptuelle et une plasticité pratique qu’il convient de souligner. Loin d’être purement binaire, cette opposition laisse place à de nombreuses zones grises, alimentées tant par l’évolution des produits d’assurance que par la diversité des garanties qu’ils mobilisent. Elle constitue, pour reprendre une formule chère à la doctrine, une « dichotomie fondatrice à l’application nuancée ».

L’incertitude tient d’abord au caractère hybride de certaines prestations, notamment dans le domaine de la prévoyance. Les indemnités journalières en cas d’arrêt de travail ou les rentes d’invalidité, bien que relevant formellement d’assurances de personnes, visent souvent à compenser une perte de revenus, c’est-à-dire un préjudice patrimonial consécutif à un événement personnel. À cet égard, elles brouillent la frontière entre prise en charge d’un aléa de la vie et réparation économique, rendant difficile une qualification juridique univoque.

C’est pourquoi, comme l’analysent les auteurs, il convient d’adopter une approche fonctionnelle et négative : les assurances de dommages sont celles qui ne relèvent pas des assurances de personnes, c’est-à-dire celles qui ne garantissent pas la vie, la santé ou l’intégrité corporelle de l’assuré. Leur finalité est la protection d’un intérêt économique, qu’il soit direct (comme dans l’assurance incendie) ou indirect (comme dans l’assurance de responsabilité). Cette dernière, bien qu’elle puisse être activée à la suite d’un dommage corporel causé à un tiers, n’indemnise pas la victime en tant que personne, mais garantit à l’assuré le coût de l’indemnisation qu’il doit verser.

Inversement, les assurances de personnes, même lorsqu’elles donnent lieu à des prestations pécuniaires, ne visent pas à indemniser une perte économique, mais à répondre à un aléa vital, qu’il s’agisse d’un accident, d’une maladie, d’un décès ou d’un événement de la vie comme la naissance ou le mariage. Elles relèvent donc d’une logique de prévoyance ou d’épargne, et non d’indemnisation.

Face à ces incertitudes doctrinales et aux chevauchements fonctionnels, la jurisprudence s’est efforcée de maintenir une frontière claire entre les deux catégories, notamment afin d’éviter les erreurs de qualification qui pourraient conduire à l’application inappropriée d’un régime juridique.

Dans un arrêt fondamental du 13 mai 1997 (Cass. 1re civ., 13 mai 1997, n° 95-14.843), la Cour de cassation a expressément refusé d’appliquer les règles relatives à l’assurance de responsabilité dans un litige portant sur une assurance de personnes. Par cette décision, la Haute juridiction a réaffirmé le principe d’étanchéité des régimes juridiques : une assurance de personnes ne saurait être jugée selon les règles propres à l’indemnisation du dommage, même en présence d’un sinistre corporel. La cohérence systémique l’emporte sur les rapprochements d’apparence.

De même, le législateur a entériné cette logique de séparation à l’occasion de la loi du 17 mars 2014, en consacrant l’existence des assurances affinitaires (C. assur., art. L. 112-10). Celles-ci, souvent proposées lors de l’achat d’un bien ou d’un service (ex. : téléphone, billet d’avion), sont expressément qualifiées d’assurances de dommages, même lorsque le bien protégé est de faible valeur pécuniaire. Ce choix n’est pas neutre : il permet de les soumettre au régime de l’indemnité, et non à celui des prestations forfaitaires, ce qui renforce la protection contre le risque de cumul spéculatif.

En définitive, si la distinction entre assurances de dommages et assurances de personnes repose sur des principes directeurs, elle demeure poreuse en pratique, notamment en raison de la sophistication croissante des produits d’assurance et de l’émergence de garanties composites. Cette complexité n’invalide pas la distinction, mais en appelle à une lecture nuancée, fondée sur l’analyse concrète du contrat, de ses finalités et de ses mécanismes.

La doctrine, à l’instar de Jean Bigot ou encore Hubert Groutel, plaide pour une reconnaissance de cette complexité sans renoncer à la valeur normative des catégories. Car la distinction n’est pas qu’un outil de classement : elle conditionne l’application du principe indemnitaire, la licéité de la subrogation, le régime du cumul d’assurances, et plus généralement, le statut juridique de l’assureur et de l’assuré.

En somme, la distinction, bien qu’évolutive et parfois difficile à manier, demeure une boussole pour le juriste, à condition qu’elle soit mobilisée avec discernement, à la lumière des textes, des intentions contractuelles, et de la jurisprudence constante.

2. La distinction entre les assurances indemnitaires et les assurances forfaitaires

Si la distinction entre assurances de dommages et assurances de personnes repose sur l’objet du risque garanti, elle peut être utilement complétée par une seconde dichotomie, fondée sur la nature de la prestation due par l’assureur. À cet égard, la doctrine comme la jurisprudence opposent classiquement les assurances indemnitaires, qui tendent à compenser un préjudice effectivement subi, et les assurances forfaitaires, dont la prestation est déterminée contractuellement, indépendamment de l’existence ou de l’étendue d’un dommage. Cette classification, de nature fonctionnelle, transcende la précédente, dans la mesure où elle irrigue tant le domaine des assurances de dommages que celui des assurances de personnes.

a. Le critère de distinction : le lien avec le dommage subi

La distinction entre assurances indemnitaires et forfaitaires repose sur un critère fonctionnel, tiré de la finalité de la prestation d’assurance. Elle ne s’attache pas à la nature du risque garanti, mais à la relation que la prestation entretient avec l’existence d’un dommage. Elle permet ainsi de différencier les assurances dans lesquelles l’assureur indemnise un préjudice, de celles dans lesquelles il exécute une obligation contractuellement définie, indépendante de toute atteinte à un intérêt patrimonial.

i. L’assurance indemnitaire

L’assurance indemnitaire se caractérise par le fait que la prestation due par l’assureur a vocation à réparer un dommage réellement subi par l’assuré. Elle s’inscrit dans une logique de restitution économique, fondée sur le principe de la réparation intégrale, lequel interdit tout enrichissement sans cause de l’assuré.

Ce principe est expressément affirmé à l’article L. 121-1 du Code des assurances, applicable aux assurances de dommages : « l’assurance relative aux biens est un contrat d’indemnité ; l’indemnité due par l’assureur à l’assuré ne peut pas dépasser la valeur de la chose assurée au moment du sinistre. »

Ce texte consacre la limitation du montant de la garantie à l’évaluation objective de la perte subie. En pratique, la prestation de l’assureur est donc proportionnelle au dommage, qu’il s’agisse d’une atteinte matérielle (destruction, détérioration), d’une perte de revenus, ou d’un coût supporté par l’assuré dans le cadre de la mise en jeu de sa responsabilité.

Le corollaire naturel de cette logique est la subrogation de l’assureur dans les droits de l’assuré contre le tiers responsable, dès lors que ce dernier est à l’origine du dommage. Cette subrogation, de droit en matière d’assurance de dommages, est prévue à l’article L. 121-12 du Code des assurances, et répond à une exigence d’équité : l’assureur, en indemnisant l’assuré, éteint la dette du tiers responsable, et doit pouvoir exercer un recours contre celui-ci afin que la charge définitive de la réparation ne repose pas indûment sur lui.

La notion d’assurance indemnitaire excède toutefois le champ des seules assurances de dommages. Certaines assurances de personnes peuvent également revêtir un caractère indemnitaire, notamment lorsqu’elles prévoient des prestations destinées à couvrir une perte pécuniaire réelle, telle que :

  • le remboursement de frais médicaux,
  • l’indemnisation d’une incapacité de travail,
  • ou le versement d’indemnités journalières compensant une perte de revenus.

Dans ces cas, la logique indemnitaire s’applique pleinement, malgré l’apparente nature personnelle du risque garanti. La prestation vise ici non à prendre en charge un événement de la vie en tant que tel, mais à compenser ses conséquences économiques.

ii. L’assurance forfaitaire

Par opposition, l’assurance forfaitaire est celle dans laquelle l’assureur s’engage, en contrepartie du paiement de primes, à verser une somme déterminée à l’avance, sans que l’existence ni l’étendue d’un dommage ne conditionnent le versement de la prestation.

Cette logique repose sur une autonomie contractuelle forte : la prestation est fixée dans le contrat, et sa réalisation est subordonnée uniquement à la survenance d’un événement convenu, sans lien nécessaire avec un préjudice. L’article L. 131-1 du Code des assurances le consacre en ces termes : « l’assurance sur la vie est une opération par laquelle l’assureur s’engage, en contrepartie du paiement de primes, à verser une prestation déterminée en cas de réalisation de l’événement assuré. »

Cette règle trouve son application privilégiée en matière d’assurance sur la vie, d’assurance décès, ou encore d’assurance dépendance, dans lesquelles la prestation — capital ou rente — est due dès lors que l’événement assuré (décès, survie à une certaine date, dépendance constatée) survient, quelle que soit la situation patrimoniale du bénéficiaire.

Les assurances forfaitaires sont également courantes dans le domaine de la prévoyance collective, notamment dans les contrats souscrits dans un cadre professionnel, qui garantissent des prestations prédéfinies en cas d’invalidité, d’incapacité ou de décès du salarié.

Ce caractère forfaitaire permet de cumuler les prestations sans limitation, favorisant ainsi des logiques de capitalisation patrimoniale, de prévoyance familiale ou de transmission successorale, à l’inverse des assurances indemnitaires soumises au plafonnement lié au principe indemnitaire.

b. Une distinction transversale à la classification dommages/personnes

La distinction entre assurances indemnitaires et assurances forfaitaires ne se superpose pas mécaniquement à celle entre assurances de dommages et assurances de personnes. Elle obéit à une logique propre, centrée sur la nature de la prestation d’assurance et son lien — ou son absence de lien — avec l’existence d’un dommage. Dès lors, cette typologie traverse la classification juridique traditionnelle et invite à une lecture croisée et nuancée des contrats d’assurance.

i. Une dissociation des régimes assurantiels traditionnels

De manière générale, les assurances de dommages se rattachent très largement à une logique indemnitaire. Cela tient à leur objet même : la couverture d’un intérêt patrimonial menacé par un sinistre. Qu’il s’agisse d’un bien corporel (incendie, dégât des eaux, vol) ou d’une dette de responsabilité (indemnisation d’un tiers victime), la prestation de l’assureur est strictement limitée à la valeur du préjudice subi. L’assurance ne répare que ce qui est perdu. Cette approche exclut tout enrichissement et repose sur l’application rigoureuse du principe indemnitaire (C. assur., art. L. 121-1), qui constitue la pierre angulaire du régime juridique de ces contrats.

Inversement, les assurances de personnes relèvent généralement de la logique forfaitaire. Le risque garanti — décès, invalidité, survie, dépendance — donne lieu à une prestation prédéterminée, le plus souvent un capital ou une rente, versée à un bénéficiaire désigné. Cette prestation n’est pas calculée en fonction d’un dommage subi par l’assuré ou ses ayants droit : elle est autonome, fixée d’avance, et indépendante de toute logique de réparation. L’assurance sur la vie, telle que définie par l’article L. 131-1 du Code des assurances, en constitue l’archétype : le capital est versé au terme du contrat ou au décès de l’assuré, sans qu’aucune justification d’un préjudice ne soit requise.

ii. L’existence d’assurances de personnes à caractère indemnitaire

Ce panorama doit néanmoins être nuancé. Certaines assurances de personnes, bien qu’ayant pour objet la couverture d’un aléa vital, peuvent donner lieu à des prestations de nature indemnitaire. C’est notamment le cas :

  • des remboursements de frais médicaux, dans les assurances maladie ou frais de santé ;
  • des indemnités journalières versées en cas d’arrêt de travail ou d’incapacité temporaire ;
  • des rentes d’invalidité, calculées en fonction d’une perte de capacité professionnelle.

Dans toutes ces hypothèses, la prestation vise à compenser une perte de revenus ou une dépense engagée : elle est donc liée à un dommage réel. Il ne s’agit plus d’une prestation abstraite ou automatique, mais d’une indemnisation fonctionnelle, soumise aux règles du droit commun de la responsabilité ou du préjudice. Le contrat, bien que qualifié d’assurance de personnes, participe d’une logique indemnitaire, ce qui emporte des conséquences majeures en matière de subrogation ou de cumul d’indemnités.

iii. Consécration jurisprudentielle

La jurisprudence de la Cour de cassation a joué un rôle décisif dans l’élaboration du critère fonctionnel distinguant les prestations indemnitaires des prestations forfaitaires. Cette distinction a notamment été consacrée par l’arrêt d’Assemblée plénière du 19 décembre 2003 (Ass. plen. 19 déc. 2003, n° 01-10.670), qui constitue une décision de principe en matière d’assurance de personnes et de subrogation.

L’affaire concernait le régime de prévoyance collective souscrit par un employeur au profit de ses salariés cadres. L’assureur, la société La Mondiale, avait versé à l’un des salariés victimes d’un accident de la circulation diverses prestations en exécution du contrat (au titre de l’incapacité temporaire totale puis de l’incapacité permanente partielle). Elle entendait exercer un recours subrogatoire contre l’assureur du responsable de l’accident, en soutenant que les prestations servies revêtaient un caractère indemnitaire, car elles étaient calculées en référence au salaire brut de l’assuré.

La cour d’appel avait rejeté cette demande en retenant que la prédétermination contractuelle des prestations leur conférait un caractère forfaitaire, interdisant toute subrogation en vertu de l’article L. 131-2 alinéa 1er du Code des assurances. La Mondiale avait formé un pourvoi en cassation, critiquant l’approche formelle de la cour d’appel et arguant que la seule existence d’éléments prédéterminés ne saurait exclure le caractère indemnitaire de la prestation, dès lors qu’elle vise à réparer une perte de revenus liée à l’incapacité de travail.

La Cour de cassation, siégeant en Assemblée plénière, rejette le pourvoi, tout en opérant un revirement méthodologique important. Elle affirme : « si le mode de calcul des prestations versées à la victime en fonction d’éléments prédéterminés n’est pas à lui seul de nature à empêcher ces prestations de revêtir un caractère indemnitaire, il ressort des motifs […] que les prestations servies […] sont indépendantes dans leurs modalités de calcul et d’attribution de celles de la réparation du préjudice selon le droit commun. »

Par cette formule, la Cour substitue au critère formel du montant prédéterminé une analyse fonctionnelle, fondée sur deux éléments cumulatifs :

  • Les modalités de calcul et d’attribution de la prestation doivent être conformes au droit commun de la réparation du préjudice ;
  • Une clause de subrogation doit être expressément stipulée au profit de l’assureur (cf. art. L. 131-2, al. 2).

Dès lors que ces conditions ne sont pas remplies — en l’espèce, le contrat ne comportait aucune disposition spécifique pour le cas d’un tiers responsable, et les prestations étaient indépendantes des règles de l’évaluation du préjudice —, la prestation versée par l’assureur est réputée forfaitaire, et la subrogation est exclue de plein droit.

Ainsi, la Cour consacre une lecture téléologique du contrat d’assurance : la nature indemnitaire ou forfaitaire d’une prestation ne saurait être déduite de la seule fixation contractuelle de son montant, mais doit s’apprécier à la lumière de sa finalité juridique. Si la prestation vise la réparation d’un dommage déterminé selon les règles de la responsabilité civile, elle est indemnitaire ; dans le cas contraire, lorsqu’elle constitue l’exécution d’une obligation autonome née du contrat, elle est forfaitaire.

Cette décision a permis de clarifier une incertitude doctrinale et jurisprudentielle persistante, en établissant un cadre d’analyse fonctionnel et rigoureux. Elle a également été confirmée par plusieurs arrêts ultérieurs de la deuxième chambre civile (V. notamment Cass. 2e civ., 17 avr. 2008, n°06-20.417), qui ont précisé les conditions dans lesquelles une prestation versée au titre d’une assurance de personnes peut être qualifiée d’indemnitaire et donner lieu à subrogation.

c. Les conséquences pratiques de la distinction

La distinction entre prestations indemnitaires et prestations forfaitaires, bien qu’elle repose sur un critère fonctionnel lié à la finalité de la prestation, n’est pas sans effets concrets. Elle emporte, au contraire, des conséquences juridiques majeures qui se manifestent tant sur le terrain du cumul des indemnités que sur celui de la subrogation de l’assureur, sans oublier des implications indirectes en matière de fiscalité et de régime successoral.

i. Le régime du cumul des prestations d’assurance

Le premier effet pratique de la distinction entre assurances indemnitaires et assurances forfaitaires se manifeste de façon particulièrement nette dans le régime applicable au cumul des prestations issues de plusieurs contrats. Cette question, d’apparence technique, révèle une opposition de fond entre deux logiques assurantielles : celle, rigoureusement compensatoire, des assurances indemnitaires, et celle, plus libérale et patrimoniale, des assurances forfaitaires.

==>Le plafonnement des prestations en matière indemnitaire : l’expression du principe indemnitaire

En matière d’assurances indemnitaires, le principe de réparation intégrale gouverne la relation contractuelle. Il est solennellement énoncé par l’article L. 121-1 du Code des assurances, qui dispose que « l’assurance relative aux biens est un contrat d’indemnité; l’indemnité due par l’assureur à l’assuré ne peut pas dépasser la valeur de la chose assurée au moment du sinistre ».

Cette disposition consacre l’interdiction de tout enrichissement injustifié de l’assuré, même lorsque celui-ci a souscrit plusieurs polices couvrant un même risque. Le cumul des contrats est admis, mais le cumul des indemnités ne peut excéder le préjudice réellement subi. Les assureurs sont donc contraints, en cas de pluralité, de répartir entre eux la charge de l’indemnisation, dans les proportions prévues aux articles L. 121-4 à L. 121-7 du Code des assurances relatifs aux assurances cumulatives.

A cet égard, la jurisprudence rappelle régulièrement que le cumul des indemnisations est prohibé dès lors qu’il dépasse la valeur du dommage, affirmant la prééminence du principe indemnitaire. Cette jurisprudence se justifie pleinement par la nature du contrat indemnitaire, dont la seule finalité est de restaurer, sans excès ni défaut, l’équilibre patrimonial antérieur au sinistre.

==>La liberté de cumul dans les assurances forfaitaires : autonomie contractuelle et finalité patrimoniale

À l’inverse, en matière de prestations forfaitaires, la logique change radicalement. Le contrat ne vise plus la réparation d’un dommage, mais l’exécution d’une obligation contractuelle autonome, dont le montant est déterminé à l’avance, indépendamment de toute considération de perte subie. Dès lors, le cumul des prestations est libre : l’assuré peut parfaitement souscrire plusieurs contrats prévoyant chacun le versement d’un capital en cas de réalisation du risque assuré (notamment le décès), sans que l’on exige la démonstration d’un préjudice effectif.

Cette spécificité a été entérinée par la jurisprudence, notamment dans un arrêt du 14 mai 1991 aux termes duquel il a été jugé que le bénéficiaire d’une assurance décès pouvait percevoir les capitaux garantis par plusieurs contrats, sans que le montant global soit plafonné (Cass. 1ère civ., 14 mai 1991, n° 87-16.004). Cette solution a été confirmée à nouveau dans un arrêt du 13 octobre 2005 (Cass. 2e civ. 14 mai 1991, n° 04-15.888), qui valide la logique cumulative propre aux assurances à caractère forfaitaire.

Ce régime se justifie par la nature économique et sociale des assurances de personnes à caractère forfaitaire. Ces contrats répondent souvent à une finalité de prévoyance individuelle ou collective, voire d’optimisation successorale ou patrimoniale. Ils s’inscrivent dans une perspective d’organisation de la protection de l’assuré et de ses proches, sans rapport avec la réparation d’un dommage évalué objectivement.

Comme le souligne Jean Bigot, « le contrat d’assurance de personnes ne se rattache pas, par essence, au droit de la responsabilité civile, mais à celui de l’engagement contractuel ». Ce caractère extrapatrimonial dans l’origine du risque, mais patrimonial dans les effets, justifie pleinement que le cumul soit autorisé, sans que l’on redoute une atteinte au principe d’égalité ou à l’ordre public assurantiel.

ii. Le régime de la subrogation de l’assureur

La deuxième conséquence majeure touche au droit de subrogation de l’assureur, c’est-à-dire la possibilité pour celui-ci, après avoir indemnisé son assuré, de se retourner contre le tiers responsable du dommage afin d’obtenir remboursement.

Ce mécanisme de subrogation, qui s’analyse comme un transfert légal ou conventionnel de créance, trouve son fondement en droit commun (C. civ., art. 1346 s.) et une application particulière en droit des assurances. Il est reconnu :

  • de plein droit en matière d’assurance de dommages (art. L. 121-12 C. assur.) ;
  • de manière conventionnelle en matière d’assurance de personnes à caractère indemnitaire, conformément à l’article L. 131-2, al. 2 du même code.

Mais, inversement, en présence d’une prestation forfaitaire, la subrogation est formellement prohibée par l’article L. 131-2, alinéa 1er. L’assureur ne peut exercer de recours contre le tiers responsable, dès lors qu’il n’a pas indemnisé un dommage, mais exécuté une obligation autonome née du contrat, indépendante de toute logique réparatrice. Ce principe s’inscrit dans une cohérence systémique : la subrogation n’a de sens que si la prestation efface une dette du tiers.

Cette différence a été illustrée avec rigueur dans l’arrêt précité relatif à une rente “éducation” versée à un enfant après le décès accidentel de son père. La Cour a jugé que, faute pour la prestation d’être calculée selon les règles du droit commun de la responsabilité civile, et en l’absence de clause de subrogation, la prestation conservait un caractère forfaitaire, interdisant à l’assureur tout recours contre le tiers responsable (Cass. 2e civ., 17 avr. 2008, n°06-20.417).

La même logique est appliquée dans les arrêts du 5 avril 2007 (Cass. 2e civ. 5 avr. 2007, n° 06-10.638) et du 24 novembre 2011 (Cass. 2e civ., 24 nov. 2011, n° 10-13.458), où la Cour souligne que la subrogation suppose que la prestation ait effectivement pour objet de réparer un dommage, ce qui n’est pas le cas dans les assurances à caractère forfaitaire, fussent-elles versées à l’occasion d’un sinistre.

iii. Une influence indirecte en matière fiscale et successorale

Enfin, il convient de mentionner, quoique de manière incidente, que la qualification de la prestation comme indemnitaire ou forfaitaire peut influer sur son régime fiscal et successoral:

  • En matière d’assurance-vie, les prestations forfaitaires versées à un bénéficiaire désigné échappent, dans certaines limites, aux droits de succession (CGI, art. 990 I et 757 B), ce qui n’est pas le cas d’une prestation indemnitaire, assimilée à un actif de la succession ;
  • En matière sociale, la distinction peut également affecter la soumission à cotisations sociales (les prestations forfaitaires étant parfois exonérées ou soumises à des régimes plus favorables).

B) Les intérêts des classifications juridiques

Les distinctions opérées par le droit des assurances entre, d’une part, assurances de dommages et assurances de personnes, et, d’autre part, prestations indemnitaires et prestations forfaitaires, ne relèvent pas d’une pure taxinomie académique. Elles exercent, au contraire, une influence directe et structurante sur le régime juridique applicable aux contrats d’assurance, en ce qu’elles déterminent à la fois les modalités d’exécution des obligations de l’assureur, les droits de recours, ainsi que les effets économiques du contrat dans l’environnement juridique de l’assuré.

1. Le principe indemnitaire

Parmi les effets les plus structurants des classifications juridiques du droit des assurances, figure sans conteste l’application du principe indemnitaire, qui irrigue l’ensemble du régime applicable aux assurances de dommages. Ce principe, codifié à l’article L. 121-1 du Code des assurances, repose sur l’idée cardinale selon laquelle l’assurance ne doit jamais devenir source d’enrichissement pour l’assuré, mais uniquement instrument de réparation.

a. Le principe d’équivalence économique entre perte et indemnité

L’article L. 121-1 dispose en termes clairs que « l’assurance relative aux biens est un contrat d’indemnité ; l’indemnité due par l’assureur à l’assuré ne peut pas dépasser la valeur de la chose assurée au moment du sinistre ». Ce texte fonde une règle impérative : l’assureur ne peut s’engager à verser une somme supérieure au dommage réel subi. Toute clause contraire serait réputée non écrite.

Ce principe indemnitaire consacre une approche objectiviste et économique de la réparation. Il interdit expressément à l’assuré de tirer profit du sinistre, ce qui serait contraire à la finalité préventive et protectrice du contrat d’assurance. En cela, le droit des assurances se distingue du droit des libéralités ou des contrats aléatoires à visée spéculative. Il repose ici sur une conception neutralisante de l’opération d’assurance, qui tend exclusivement à replacer l’assuré dans l’état patrimonial antérieur au dommage (logique de restitutio in integrum).

Ce principe trouve son fondement théorique dans l’interdiction de l’enrichissement sans cause et dans la nécessaire maîtrise actuarielle des risques par l’assureur. Il vise à éviter les comportements opportunistes, les fraudes, mais aussi les dérives économiques du système assurantiel, en imposant une stricte corrélation entre la perte subie et l’indemnité versée.

b. Le champ d’application du principe indemnitaire

Le principe indemnitaire est spécifiquement applicable aux assurances de dommages, qu’il s’agisse :

  • des assurances de biens, qui indemnisent une perte ou une dégradation d’éléments d’actif du patrimoine (incendie, vol, dégâts des eaux…) ;
  • des assurances de responsabilité, qui visent à prendre en charge les dettes nées de la mise en cause de la responsabilité civile de l’assuré envers un tiers.

Dans ces deux hypothèses, le préjudice – qu’il soit matériel, économique, ou juridique – constitue la mesure de l’engagement de l’assureur. La détermination du montant de la prestation suppose donc, au cas par cas, une évaluation contradictoire du dommage, réalisée selon les règles du droit commun de la responsabilité ou les stipulations contractuelles qui les reprennent.

A cet égard, la jurisprudence rappelle régulièrement que l’assuré ne peut prétendre à une indemnisation supérieure à la valeur du bien détruit, même s’il a souscrit plusieurs contrats couvrant le même risque.

c. L’exclusion du principe indemnitaire dans les assurances de personnes à caractère forfaitaire

À l’opposé, le principe indemnitaire est inapplicable dans les hypothèses où la prestation de l’assureur n’est pas fondée sur un dommage, mais sur la réalisation d’un événement existentiel prédéterminé, souvent attaché à la personne de l’assuré (décès, incapacité, invalidité, dépendance, etc.).

Tel est le cas des assurances de personnes à caractère forfaitaire, dans lesquelles le montant de la prestation est déterminé contractuellement, sans référence nécessaire à une quelconque perte ou dommage. L’assureur s’oblige alors à verser un capital ou une rente convenus à l’avance, indépendamment du préjudice éventuellement subi par le bénéficiaire.

Ce modèle repose sur une logique distincte, que la doctrine qualifie d’engagement autonome : l’assureur ne répare pas, mais exécute une obligation née du contrat. Comme le rappelle Jacques Kullmann, ces prestations ne relèvent pas d’un régime indemnitaire, mais d’une logique d’anticipation d’un aléa de la vie, souvent dans un objectif de prévoyance ou d’organisation patrimoniale.

La jurisprudence a constamment affirmé cette différence de régime. Dans l’arrêt rendu le 14 mai 1991, la Cour de cassation a admis le cumul de plusieurs prestations forfaitaires versées à raison du même événement (le décès de l’assuré), en l’absence de tout préjudice prouvé, consacrant ainsi l’indépendance de ces prestations vis-à-vis du principe indemnitaire (Cass. 1ère civ., 14 mai 1991, n° 87-16.004).

2. Le droit à subrogation

Parmi les effets majeurs attachés à la nature juridique de la prestation d’assurance figure la possibilité pour l’assureur d’exercer un recours subrogatoire contre le tiers responsable du dommage. Ce droit, qui s’analyse comme une transmission de créance de l’assuré à son assureur, n’est admis que dans les hypothèses où la prestation versée revêt un caractère indemnitaire. Ainsi, les classifications juridiques en droit des assurances déterminent directement le régime applicable à ce mécanisme, essentiel pour préserver l’équilibre économique de la mutualisation du risque.

a. Fondement du droit à subrogation

En droit commun, la subrogation personnelle est définie aux articles 1346 et suivants du Code civil comme l’opération juridique par laquelle un tiers qui paie une dette à la place du débiteur se voit transférer les droits du créancier contre le débiteur. Ce mécanisme repose sur une logique de préservation des intérêts du solvens ayant payé une dette qui ne lui incombait pas directement.

En matière d’assurance, cette logique est transposée à la relation triangulaire entre :

  • l’assuré, victime d’un dommage causé par un tiers ;
  • le tiers responsable, débiteur de la réparation ;
  • l’assureur, qui indemnise son assuré au titre du contrat.

Dans ce schéma, l’assureur, en versant une indemnité à son assuré, éteint en réalité une créance dont l’assuré disposait contre le tiers responsable. Il est donc légitime qu’il puisse exercer le recours correspondant, à hauteur de la prestation servie. Cette subrogation permet d’éviter que le tiers fautif ne bénéficie indirectement du contrat d’assurance conclu par la victime.

b. Régime différencié de la subrogation selon la nature de l’assurance

Le Code des assurances organise une hiérarchisation précise des conditions de la subrogation, en fonction de la nature indemnitaire ou forfaitaire de la prestation versée par l’assureur.

  • Dans les assurances de dommages, la subrogation est de plein droit. L’article L. 121-12 C. assur. prévoit expressément que « l’assureur qui a payé l’indemnité est subrogé, jusqu’à concurrence de cette indemnité, dans les droits et actions de l’assuré contre les tiers qui, par leur fait, ont causé le dommage ayant donné lieu à la responsabilité de l’assureur ». Il s’agit d’un effet automatique du paiement, qui ne nécessite aucune stipulation particulière. La subrogation a ici une fonction réparatrice et contributive, permettant de faire supporter en définitive la charge du sinistre à son auteur.
  • Dans les assurances de personnes à caractère indemnitaire, la subrogation n’est pas automatique, mais peut être stipulée contractuellement. L’article L. 131-2, alinéa 2 C. assur. autorise cette subrogation à condition qu’elle soit prévue par une clause expresse. La justification repose sur le fait que la subrogation, dans ce cadre, ne découle pas du paiement d’une dette tierce mais d’une logique réparatrice indirecte, plus incertaine et variable selon les régimes de prévoyance.
  • Dans les assurances de personnes à caractère forfaitaire, la subrogation est en revanche formellement prohibée. L’article L. 131-2, alinéa 1er du même code dispose que « dans les assurances de personnes, la subrogation de l’assureur dans les droits de l’assuré n’est pas admise » lorsque la prestation n’est pas liée à un dommage, mais constitue l’exécution d’un engagement autonome. En ce cas, l’assureur ne vient pas éteindre la dette d’un tiers, mais remplit une obligation purement contractuelle à raison d’un événement garanti. Il ne saurait donc acquérir, par voie de subrogation, un droit dont son cocontractant n’était pas titulaire.

Cette différence de régime selon la nature de l’assurance a été confirmée par la Cour de cassation, notamment dans un arrêt du 17 avril 2008 (Cass. 2e civ., 17 avr. 2008, n°06-20.417). En l’espèce, une compagnie d’assurance avait versé à un enfant une rente “éducation” à la suite du décès accidentel de son père, survenu à l’occasion d’un accident de la circulation imputable à un tiers. L’assureur, estimant avoir indemnisé un dommage, entendait exercer un recours subrogatoire contre le tiers responsable.

La Cour de cassation rejette cette prétention, en retenant que la prestation servie, bien qu’indexée sur des paramètres objectivables (âge de l’enfant, durée de l’obligation d’entretien…), ne répondait pas aux exigences du droit commun de la responsabilité civile, et ne comportait pas de clause expresse de subrogation. Dès lors, la prestation conservait un caractère forfaitaire, excluant tout droit de recours de l’assureur contre le responsable du dommage.

La solution, fidèle à l’économie générale des articles L. 131-2 et L. 121-12, a été confirmée par plusieurs arrêts ultérieurs dans lesquels la Cour de cassation rappelle que le droit à subrogation suppose que la prestation versée ait effectivement réparé un dommage (Cass. 2e civ., 24 novembre 2011, n° 10-13.458).

3. Le cumul d’assurances

Le régime du cumul des assurances, entendu comme la possibilité pour un assuré de percevoir plusieurs prestations à raison d’un même événement dommageable ou existentiel, dépend étroitement de la qualification de la prestation assurantielle : indemnitaire ou forfaitaire. Cette distinction conditionne directement l’étendue des droits de l’assuré, ainsi que les obligations mises à la charge des assureurs multiples intervenant dans un même sinistre.

a. Le principe de non-cumul en matière de prestations indemnitaires

Dans le domaine des assurances de dommages, où la prestation versée par l’assureur a pour finalité de réparer un préjudice réel, le cumul est strictement encadré. L’article L. 121-1 du Code des assurances énonce cette interdiction : « l’indemnité due par l’assureur à l’assuré ne peut pas dépasser la valeur de la chose assurée au moment du sinistre ». Ce principe, corollaire du principe indemnitaire, proscrit toute possibilité d’enrichissement injustifié de l’assuré.

Ainsi, lorsque plusieurs contrats couvrent un même bien ou un même risque, l’assuré ne saurait cumuler les indemnités au-delà de la valeur réelle du préjudice. Le dépassement est considéré comme indu, et les assureurs sont fondés à réclamer le remboursement de la part excédentaire. Aussi, la pluralité de contrats ne saurait légitimer une double indemnisation excédant le préjudice subi.

Ce principe s’applique quel que soit le nombre d’assureurs en cause : dans ce cas, les prestations doivent être réparties entre eux au prorata de leur engagement, selon les stipulations des contrats ou à défaut selon les règles générales de la contribution à la dette.

Il s’agit ici encore de préserver l’économie du contrat d’indemnité, fondée sur une logique de réparation stricte, et d’éviter que le contrat d’assurance ne devienne un instrument de spéculation ou de profit pour l’assuré.

b. La liberté de cumul en matière de prestations forfaitaires

À l’inverse, lorsque la prestation assurantielle revêt un caractère forfaitaire, c’est-à-dire qu’elle est déterminée contractuellement sans considération du dommage subi, le cumul est pleinement licite. L’assuré peut alors bénéficier de plusieurs prestations issues de contrats distincts, sans qu’il soit tenu de justifier d’un quelconque préjudice.

Cette règle, aujourd’hui solidement établie tant par la doctrine que par la jurisprudence, repose sur une logique propre : la prestation d’assurance n’a pas pour objet de réparer une perte, mais de réaliser une promesse contractuelle adossée à la survenance d’un aléa, souvent existentiel (décès, invalidité, dépendance). Elle peut s’inscrire dans un projet de prévoyance familiale, d’épargne patrimoniale ou d’anticipation successorale, indépendamment de toute logique indemnitaire.

C’est en ce sens que la Cour de cassation, dans un arrêt de principe du 14 mai 1991, a validé le cumul de capitaux décès provenant de plusieurs contrats souscrits par le même assuré, sans qu’il soit nécessaire d’apporter la preuve d’un dommage économique (Cass. 1ère civ., 14 mai 1991, n° 87-16.004). Cette solution a été confirmée par l’arrêt du 13 octobre 2005 dans lequel la Cour rappelle que l’existence d’une pluralité de prestations forfaitaires ne contrevient à aucune règle d’ordre public, dès lors qu’elles procèdent chacune d’un engagement autonome (Cass. 2e civ., 13 oct. 2005, n° 04-15.888).

Cette position, conforme à la nature des assurances de personnes à prestation forfaitaire, est également admise par la doctrine. Ainsi, selon Hubert Groutel, le caractère forfaitaire ouvre la voie à un véritable cumul patrimonial licite, en raison de la déconnexion entre le montant versé et la réalité du dommage. Le contrat répond ici à une logique d’anticipation assurantielle, dans une perspective non réparatrice mais constructive du patrimoine.

II) Les classifications techniques

A) Le contenu des classifications techniques

À côté des distinctions juridiques classiques, le droit des assurances reconnaît également des classifications techniques, qui ne reposent plus sur l’objet du risque ou la nature de la prestation, mais sur les modalités de gestion économique et financière des engagements pris par l’assureur.

Ces classifications s’ancrent dans une réalité plus opérationnelle, en ce qu’elles traduisent la manière dont l’assureur constitue, affecte et mobilise les ressources nécessaires à l’exécution de ses obligations contractuelles. Elles reflètent ainsi des logiques de mutualisation différentes, parfois concurrentes, parfois complémentaires, et impliquent des régimes comptables et prudentiels distincts.

De manière générale, deux grands modèles techniques peuvent ainsi être distingués : la répartition, dans laquelle les primes collectées sur une période donnée servent à couvrir les sinistres survenus durant cette même période, et la capitalisation, dans laquelle les primes sont épargnées, valorisées dans le temps, puis mobilisées à échéance pour financer les engagements futurs. La première repose sur une logique de mutualisation immédiate du risque entre les membres d’un même groupe ; la seconde sur une logique d’accumulation progressive de droits individualisés.

Le choix entre ces méthodes n’est jamais neutre : il influe sur le niveau de provisionnement, sur la durée d’engagement de l’assureur, sur le régime des primes, et, plus fondamentalement, sur la nature des risques couverts. Il conditionne également la manière dont les engagements sont évalués, tant en comptabilité qu’en actuariat, et soulève des enjeux réglementaires spécifiques.

Il convient donc d’en exposer les principes, les implications, ainsi que les cas d’application, afin de mieux comprendre la logique technique à l’œuvre dans l’économie assurantielle contemporaine.

1. Les assurances gérées par répartition

Le mode de gestion par répartition constitue le fondement historique du modèle assurantiel. Il repose sur une logique simple, mais puissante : celle de la mutualisation immédiate des risques au sein d’un même exercice comptable. Ce modèle, qui s’inspire directement des principes fondateurs de la solidarité collective, consiste à faire financer les sinistres survenus pendant une période déterminée (souvent l’année civile) par l’ensemble des cotisations ou primes versées par les assurés au cours de cette même période.

a. Une gestion fondée sur la mutualisation annuelle des risques

Le principe de gestion en répartition repose sur une logique de mutualisation immédiate des risques dans le temps. L’assureur ne constitue pas, dans ce modèle, une épargne individualisée en vue de la couverture future d’un risque spécifique à chaque assuré. Il opère, au contraire, sur la base d’un mécanisme de mise en commun des ressources à court terme, dans lequel les primes collectées au cours d’un exercice donné servent à indemniser les sinistres survenus pendant cette même période.

Autrement dit, la solidarité entre les assurés ne s’étend pas dans le temps mais s’organise sur la base d’un équilibre annuel : chacun contribue à la constitution d’un fonds commun, dont la vocation est de couvrir les événements aléatoires affectant certains membres de la mutualité au cours de l’exercice. L’assureur se comporte ici comme un gestionnaire de flux, en équilibrant chaque année les recettes (primes encaissées) et les charges (prestations versées).

Ce schéma, qui correspond historiquement au modèle mutualiste originel, suppose l’existence d’un groupe d’assurés suffisamment vaste et homogène, de manière à permettre une prévision actuarielle fiable du risque. En effet, pour que l’équilibre technique soit assuré, il est nécessaire que la fréquence et l’intensité des sinistres soient statistiquement maîtrisables, sur la base de données historiques ou de lois de probabilité applicables à la population assurée.

En pratique, cette gestion par répartition requiert :

  • une stabilité des paramètres démographiques et économiques affectant le portefeuille (âge, profession, exposition au risque, etc.) ;
  • une absence de concentration excessive des sinistres, qui compromettrait l’équilibre du fonds ;
  • et un ajustement permanent des cotisations, notamment en cas de dégradation de la sinistralité.

Dans ce contexte, l’assureur n’a pas vocation à accumuler des provisions à long terme (contrairement au modèle en capitalisation), mais doit constituer des provisions techniques de court terme, telles que les provisions pour sinistres à payer ou pour risques en cours, afin de faire face aux engagements déjà nés mais non encore liquidés.

La répartition instaure ainsi une solidarité inter-assurés limitée dans le temps, mais efficace dans sa logique : les uns financent immédiatement les pertes des autres, dans un cadre fondé sur la réciprocité, la prévisibilité du risque, et l’ajustement permanent du tarif.

b. Domaine d’application de la gestion par répartition

Le mode de gestion par répartition se prête tout particulièrement aux opérations d’assurance caractérisées par un risque à survenance rapide et une logique indemnitaire, c’est-à-dire lorsque la prestation due par l’assureur est directement corrélée à un dommage effectivement subi. Ce modèle de financement, fondé sur l’équilibre des flux annuels, est en effet incompatible avec des engagements à long terme ou nécessitant une capitalisation progressive.

i. Les assurances de dommages

Les assurances de dommages constituent historiquement et techniquement le domaine d’élection de la gestion par répartition. Ces assurances ont pour finalité la protection du patrimoine de l’assuré contre les atteintes susceptibles de l’affecter, que ce soit sur le plan de l’actif (par la dégradation ou la perte d’un bien) ou du passif (par l’apparition d’une dette de responsabilité). Elles se subdivisent classiquement en deux sous-catégories :

  • Les assurances de choses, qui couvrent les atteintes portées à des biens déterminés : sinistres d’incendie, de vol, de dégât des eaux, bris de machines, etc. Dans ce cas, le dommage est immédiatement quantifiable, et l’indemnité versée est strictement proportionnée à la valeur de la chose détruite ou détériorée. L’article L. 121-1 du Code des assurances énonce expressément que l’assurance relative aux biens est un contrat d’indemnité, limitant la prestation au montant du préjudice.
  • Les assurances de responsabilité, visées aux articles L. 124-1 et suivants du Code des assurances, qui prennent en charge les conséquences pécuniaires de la mise en cause de la responsabilité civile de l’assuré à l’égard d’un tiers. Le sinistre ici réside dans le fait générateur du dommage causé à autrui, et la prestation consiste dans le règlement, par l’assureur, des sommes dues à la victime. Ce mécanisme, qui peut impliquer une action directe (C. assur., art. L. 124-3), requiert également une mutualisation immédiate, compte tenu de la variabilité des montants à indemniser.

Dans ces deux hypothèses, le recours à la gestion par répartition s’impose naturellement : les risques couverts sont de courte durée, les sinistres sont généralement circonscrits à l’année d’assurance, et l’équilibre technique peut être assuré sans mobilisation de capitaux à long terme.

ii. L’extension de la gestion par répartition aux assurances de personnes à finalité indemnitaire

La gestion par répartition s’étend également à certaines assurances de personnes, dès lors qu’elles présentent un caractère indemnitaire. Bien qu’elles aient pour objet la personne de l’assuré et non son patrimoine, ces assurances donnent lieu à des prestations destinées à réparer un préjudice économique objectivable, et non à garantir un aléa existentiel ou à constituer une épargne. Il en va ainsi notamment :

  • des assurances maladie, qui couvrent les frais médicaux, chirurgicaux, ou d’hospitalisation exposés par l’assuré à raison d’une affection. La prestation versée — remboursement ou indemnité — dépend de la dépense réellement engagée et s’inscrit dans une logique de compensation ;
  • des assurances accidents corporels, qui indemnisent les pertes pécuniaires résultant d’un accident non professionnel, telles que la perte de revenus, les frais médicaux non remboursés, ou les coûts d’adaptation du logement. Là encore, la prestation est déterminée en fonction du dommage subi et peut donner lieu, si une clause le prévoit, à subrogation (C. assur., art. L. 131-2, al. 2).

Dans ces cas, bien que l’objet assuré soit la personne, la structure du contrat est conforme à la logique indemnitaire, ce qui justifie l’adoption du mode de gestion en répartition. Il serait en effet inapproprié, tant au plan économique que juridique, de recourir à la capitalisation pour des garanties de court terme, exposées à des variations imprévisibles et sans engagement différé dans le temps.

c. Une gestion fondée sur l’équilibre annuel entre primes et sinistres

La gestion en répartition repose sur une logique de flux comptables à court terme : les primes perçues au cours d’un exercice doivent permettre de couvrir l’intégralité des prestations dues au titre des sinistres survenus pendant cette même période. Il s’agit d’un système en équilibre dynamique, dans lequel l’assureur agit comme un organisateur d’une solidarité instantanée, sans mobilisation de capitaux affectés individuellement à chaque assuré.

Ce modèle suppose une tarification fondée sur une anticipation actuarielle précise : les cotisations doivent être calculées de telle sorte qu’elles permettent, globalement, de faire face aux engagements nés de la réalisation aléatoire des risques assurés. En cas de déséquilibre (par exemple, une sinistralité plus élevée que prévu), l’assureur ne dispose pas, dans ce cadre, d’une réserve durable susceptible d’être mobilisée. Le redressement de l’équilibre technique ne peut s’opérer que par une augmentation des primes pour les périodes ultérieures, ou par l’ajustement du portefeuille d’assurés.

Contrairement aux assurances gérées en capitalisation, les opérations en répartition n’impliquent pas la constitution de provisions mathématiques, c’est-à-dire de passifs financiers destinés à couvrir les engagements futurs individualisés de long terme. En revanche, elles nécessitent la mise en place de provisions techniques de court terme, telles que :

  • les provisions pour sinistres à payer, destinées à couvrir les engagements nés d’événements déjà survenus mais non encore liquidés à la date de clôture de l’exercice ;
  • les provisions pour risques en cours, couvrant les sinistres susceptibles de se produire entre la date de souscription du contrat et la fin de la période de couverture, lorsque la prime est réputée acquise en totalité à l’assureur.

Ce mode de gestion confère à l’assurance en répartition une souplesse opérationnelle, mais aussi une fragilité structurelle : en l’absence de réserve, l’équilibre du régime dépend de la fiabilité des hypothèses de sinistralité, du volume du portefeuille assuré, et de la capacité d’ajustement tarifaire. Il en résulte une forte sensibilité aux fluctuations conjoncturelles et aux dérives techniques, notamment en contexte d’incertitude accrue ou de changement des comportements assurantiels.

2. Les assurances gérées par capitalisation

À l’opposé de la logique de mutualisation immédiate propre à la répartition, le modèle de la capitalisation repose sur une gestion individualisée et différée du risque, dans une perspective de long terme. Il s’agit ici non pas de répartir collectivement les charges d’un aléa dans un laps de temps donné, mais de constituer une épargne affectée à un assuré déterminé, en vue du versement ultérieur d’une prestation, soit en capital, soit sous forme de rente.

a. Une gestion fondée sur l’individualisation des engagements et le financement anticipé du risque

Le modèle de gestion par capitalisation repose sur une logique fondamentalement distincte de celle de la répartition. Il ne s’agit plus de répartir collectivement les charges d’un risque sur une communauté d’assurés et un exercice donné, mais de constituer, au profit de chaque souscripteur, une épargne personnalisée, affectée à la couverture d’un événement futur dont la réalisation est incertaine, mais dont la date peut être anticipée ou déterminée contractuellement.

Dans ce schéma, les primes versées ne sont pas mutualisées, mais affectées à un compte individuel, qui se voit crédité, au fil du temps, des versements effectués, augmentés des produits financiers générés par la capitalisation des fonds (intérêts composés, participation aux bénéfices, etc.). Le rôle de l’assureur est alors moins celui d’un mutualiste que celui d’un gestionnaire d’actifs : il investit les primes, en garantit la rentabilité contractuelle (taux minimum garanti) ou espérée (fonds en unités de compte), et s’engage à restituer, à l’échéance du contrat, un capital ou une rente au profit de l’assuré ou de ses ayants droit.

Ce modèle est particulièrement adapté aux engagements de long terme, notamment ceux reposant sur la durée de la vie humaine (assurance en cas de vie ou de décès), ou sur la survenance d’événements familiaux prévisibles (naissance, mariage, dépendance, retraite). L’aléa existe, mais il n’affecte pas l’existence du droit à prestation, seulement la temporalité ou la forme de son exécution. Le risque principal assumé par l’assureur n’est donc plus de nature sinistrelle, mais essentiellement financière, démographique et économique : rendement des placements, évolution des taux d’intérêt, allongement de l’espérance de vie, inflation, etc.

Sur le plan comptable, cette logique impose à l’assureur de constituer des provisions mathématiques, c’est-à-dire des passifs techniques inscrits à son bilan et représentant, à tout moment, l’engagement financier qu’il détient envers l’ensemble de ses assurés. Ces provisions sont calculées de manière actuarielle, selon des paramètres précis : âge du souscripteur, échéance du contrat, montant de la prestation garantie, taux d’actualisation, tables de mortalité, etc.

À la différence de la répartition, où les engagements sont courts, collectifs et variables, la capitalisation implique un engagement ferme et durable, garantissant à chaque assuré un droit autonome à prestation, dont l’exécution n’est pas subordonnée à l’état général du portefeuille, mais à la constitution préalable et individualisée des réserves nécessaires.

Ainsi structurée, l’assurance en capitalisation s’apparente, dans bien des cas, à une opération d’épargne assurantielle, répondant à des logiques de prévoyance patrimoniale plus qu’à une logique d’indemnisation. Elle occupe une place centrale dans l’assurance-vie, la retraite complémentaire, la dépendance ou la prévoyance privée à long terme.

b. Les domaines d’application de la gestion par capitalisation

La gestion en capitalisation ne se prête pas à toutes les branches de l’assurance. Elle trouve une application privilégiée dans des contrats à dominante patrimoniale, où l’objectif poursuivi par le souscripteur ne réside pas dans la couverture immédiate d’un risque de sinistre, mais dans la constitution méthodique d’un capital, mobilisable à terme, au gré de la survenance d’un événement personnel ou familial.

Cette logique est propre à certaines assurances de personnes, identifiées comme telles par la nomenclature des branches établie à l’article R. 321-1 du Code des assurances. Trois catégories principales de contrats en relèvent :

  • Les assurances sur la vie (branche 20), qui représentent la forme la plus emblématique du recours à la capitalisation. Ces contrats consistent en un engagement de l’assureur à verser une prestation – en capital ou en rente – soit au décès de l’assuré (assurance en cas de décès), soit à l’échéance d’un terme fixé contractuellement si l’assuré est encore en vie (assurance en cas de vie). Ces garanties peuvent être assorties de couvertures complémentaires, telles que l’invalidité ou la dépendance, mais conservent une finalité première : l’épargne à long terme et la transmission de patrimoine, que ce soit dans un cadre familial (désignation d’un bénéficiaire) ou fiscal (dispositifs de capitalisation exonérés de droits de succession sous conditions).
  • Les assurances natalité-nuptialité (branche 21), plus marginales, prévoient le versement d’un capital ou d’une rente à l’occasion d’un événement personnel précis : la naissance d’un enfant, le mariage de l’assuré ou d’un bénéficiaire désigné. Ces contrats relèvent également d’une logique de capitalisation, puisque l’événement déclencheur de la prestation est déterminé à l’avance, et que les fonds sont accumulés au profit du bénéficiaire en anticipation de sa survenance.
  • Les opérations de capitalisation (branche 24), qui ne constituent pas des assurances stricto sensu, dès lors qu’elles sont dépourvues d’aléa au sens technique du droit des assurances. L’article L. 310-1-2 du Code des assurances les exclut du champ des opérations d’assurance proprement dites, tout en les soumettant au même régime prudentiel. Il s’agit de placements dans lesquels l’assureur s’engage à restituer à l’échéance un capital majoré des intérêts produits. L’assuré agit ici non comme un mutualiste, mais comme un investisseur institutionnel, bénéficiant de la sécurité offerte par le statut réglementé de l’entreprise d’assurance.

Dans toutes ces hypothèses, l’assuré ne participe pas à une communauté de risques, mais se constitue une réserve technique individualisée, valorisée au fil du temps et destinée à être restituée sous forme monétaire. Il ne sollicite pas l’intervention de la solidarité assurantielle, mais recherche une sécurité patrimoniale adossée à des garanties financières, qu’elles soient minimales (fonds en euros à taux garanti) ou aléatoires (unités de compte liées aux marchés).

Ainsi, les contrats gérés en capitalisation traduisent une évolution de l’assurance contemporaine vers des fonctions de gestion privée du risque, dans une perspective de prévoyance, de retraite ou de transmission, à la frontière du droit des assurances et de la gestion d’actifs.

c. Une gestion prudentielle adossée à des engagements de long terme

La spécificité des contrats gérés en capitalisation réside dans la nature même de l’engagement souscrit par l’assureur : il ne s’agit plus de couvrir un risque aléatoire sur une courte période, mais de garantir le versement futur d’un capital ou d’une rente, souvent plusieurs décennies après la souscription. Cette temporalité étendue impose une maîtrise technique, financière et actuarielle d’une grande exigence, afin d’assurer la pérennité des engagements souscrits.

Le cœur de cette gestion repose sur la constitution de provisions mathématiques – dettes techniques de l’assureur envers ses assurés – calculées sur la base d’hypothèses actuarielles prudentes : espérance de vie, rendement financier, taux d’actualisation, évolution de l’inflation, etc. Ces provisions, inscrites au passif du bilan, doivent être suffisamment provisionnées et constamment ajustées, pour faire face à la réalité des engagements, notamment en cas de baisse des taux d’intérêt ou d’allongement de la durée de vie des assurés.

Ce modèle implique également une politique d’investissement rigoureuse : l’assureur doit placer les primes collectées dans des actifs suffisamment liquides, diversifiés et solvables, pour générer les rendements attendus sans compromettre la sécurité des engagements pris. Il s’agit d’un arbitrage permanent entre performance et sécurité, sur fond de contraintes réglementaires de plus en plus exigeantes.

La directive européenne Solvabilité II, transposée en droit français depuis 2016, encadre strictement cette gestion. Elle impose notamment :

  • le respect d’un capital de solvabilité requis (SCR), calculé pour absorber des chocs économiques extrêmes et garantir la solidité financière de l’assureur sur le long terme ;
  • la mise en œuvre d’un pilier 2 (gouvernance et gestion des risques), qui exige une politique de souscription, de placement et de gestion prudentielle formalisée, adaptée à la nature et à la durée des engagements ;
  • une exigence de transparence accrue à l’égard des autorités de contrôle et du public (pilier 3), notamment par le biais du rapport sur la solvabilité et la situation financière (SFCR).

Dans ce cadre normatif exigeant, la gestion en capitalisation confère au contrat d’assurance une dimension patrimoniale assumée : l’assurance ne se limite plus à indemniser un sinistre, elle devient un instrument de planification financière et successorale, relevant presque de la gestion d’actifs. C’est précisément en raison de cette fonction économique élargie que le législateur a jugé nécessaire de maintenir ces opérations dans le périmètre du droit des assurances, malgré l’absence, parfois, d’aléa au sens classique du terme (notamment pour les contrats relevant de la branche 24).

En somme, la capitalisation impose une discipline prudentielle renforcée, où la confiance des assurés repose moins sur la mutualisation que sur la solidité technique et financière de l’assureur, à l’image d’un gestionnaire institutionnel garant de l’intégrité des réserves qui lui sont confiées.

B) Intérêts des classifications techniques

Si la distinction entre les techniques de gestion des opérations d’assurance – répartition ou capitalisation – s’enracine dans une logique économique et actuarielle, elle emporte également des conséquences juridiques et prudentielles majeures, qui justifient son articulation rigoureuse au sein du droit des assurances.

1. Une incidence directe sur le régime prudentiel applicable

La distinction entre gestion en répartition et gestion en capitalisation ne se limite pas à une approche technique ou comptable : elle conditionne la nature et l’intensité des exigences prudentielles imposées aux entreprises d’assurance. Ces exigences, qui trouvent leur fondement dans la directive européenne Solvabilité II (transposée en droit français notamment aux articles L. 310-1-1 et suivants du Code des assurances), visent à garantir la solvabilité à long terme des assureurs, en fonction des risques qu’ils assument effectivement.

a. Régime applicable aux contrats gérés par capitalisation

Dans les contrats gérés selon le mode de la capitalisation, l’assureur s’engage à verser, à une date future parfois lointaine, une prestation déterminée (capital ou rente), en contrepartie des cotisations versées par l’assuré. Cette promesse, fondée sur une logique d’épargne et non de mutualisation aléatoire, oblige l’entreprise d’assurance à constituer des provisions mathématiques reflétant avec précision la dette technique individualisée qu’elle détient à l’égard de chacun de ses assurés.

Ces provisions, qui figurent au passif du bilan de l’entreprise, doivent être calculées selon des règles actuarielles strictes, prenant en compte notamment :

  • l’âge et le sexe de l’assuré ;
  • la durée du contrat ;
  • le capital garanti ou les flux de rente ;
  • le taux d’actualisation retenu, en fonction de la courbe des taux sans risque ;
  • les hypothèses de mortalité ou de longévité (table TH, TGH, etc.).

Leur poids structurel dans le bilan des assureurs vie impose une gestion financière prudente et un contrôle renforcé, assuré en France par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), notamment au travers des trois piliers de Solvabilité II (exigence de capital, gouvernance et transparence).

b. Régime applicable aux contrats gérés par répartition

À l’opposé, les contrats gérés en répartition relèvent d’une logique de mutualisation à court terme : les primes collectées au cours d’un exercice sont destinées à couvrir les sinistres survenus durant ce même exercice. Ce modèle, dominant en matière d’assurances de dommages, ne justifie pas la constitution de provisions mathématiques à long terme. En revanche, il exige l’enregistrement de provisions pour sinistres à payer, c’est-à-dire pour des engagements nés mais dont le règlement n’est pas encore intervenu.

Ce type de provision couvre :

  • les sinistres déclarés mais non réglés à la clôture de l’exercice ;
  • les sinistres survenus mais non encore déclarés (incurres but not reported, ou IBNR);
  • les frais de gestion associés à ces sinistres.

Ainsi, la gestion prudentielle en répartition repose davantage sur la prévision de flux à court terme et sur la maîtrise de la sinistralité annuelle, avec une forte dépendance à la qualité des statistiques techniques et des modèles de tarification. La volatilité y est plus immédiate, mais moins durable.

2. Une spécialisation fonctionnelle imposée par le régime des agréments administratifs

La distinction entre gestion en répartition et gestion en capitalisation ne se limite pas à une différenciation des mécanismes comptables ou financiers. Elle constitue également un critère structurant de l’organisation institutionnelle du marché de l’assurance, en conditionnant directement le régime d’agrément administratif applicable aux entreprises d’assurance.

a. Un principe de spécialisation encadré par le Code des assurances

L’exercice de l’activité d’assurance en France est subordonné à la délivrance d’un agrément par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), conformément aux articles L. 321-1 et R. 321-1 du Code des assurances. Cet agrément est délivré par branche, c’est-à-dire par catégorie de risques couverts, en fonction non seulement de la nature des garanties souscrites (assurances de choses, de responsabilité, de personnes…), mais également du mode de gestion technique de ces garanties.

Ce système repose sur un principe de spécialisation, qui interdit en principe à une même entreprise d’exercer simultanément des activités fondées sur des logiques de gestion opposées — répartition et capitalisation — sans cloisonnement strict. Ce cloisonnement vise à préserver l’étanchéité entre les engagements techniques et à éviter tout déséquilibre structurel susceptible de compromettre la sécurité des assurés, qu’ils soient mutualistes ou épargnants.

b. Des exigences renforcées en cas de cumul d’activités

Lorsqu’une entreprise souhaite exercer de manière concomitante des activités relevant de la capitalisation et de la répartition, elle doit satisfaire à des exigences organisationnelles renforcées, tant sur le plan juridique que comptable et prudentiel. Parmi les conditions impératives figurent :

  • La séparation stricte des portefeuilles : chaque branche d’activité doit donner lieu à une comptabilité autonome, permettant de distinguer clairement les engagements relevant de la mutualisation immédiate de ceux reposant sur une épargne individualisée à long terme ;
  • L’adaptation des méthodes de provisionnement : les provisions mathématiques exigées en gestion capitalisée ne sauraient être confondues avec les provisions techniques nécessaires en gestion par répartition. Chacune obéit à des règles actuarielles et à des exigences de solvabilité spécifiques ;
  • La conformité à des ratios prudentiels différenciés : les fonds propres réglementaires, les exigences de couverture des engagements, la politique d’investissement ou encore la gouvernance interne doivent être ajustés à la nature des risques souscrits et à leur temporalité.

c. Une exigence dictée par la nature des risques assurés

Cette contrainte organisationnelle se justifie par l’hétérogénéité des risques pris en charge : les engagements issus de contrats d’assurance vie ou de capitalisation appellent une gestion financière de long terme, tandis que ceux relatifs aux assurances de dommages nécessitent une trésorerie réactive et une solvabilité instantanée.

L’objectif poursuivi par le législateur et les autorités de supervision est clair : éviter que les excédents d’une activité ne soient indûment affectés à la couverture de risques n’obéissant pas à la même logique économique, compromettant ainsi l’équilibre technique global de l’entreprise. Le respect de ce cloisonnement permet de garantir la transparence financière, la loyauté de gestion et la protection effective des assurés, quel que soit le régime auquel ils sont rattachés.

III) Les classifications administratives

À côté des distinctions juridiques et techniques, le droit positif opère une troisième classification des opérations d’assurance, de nature administrative, dont la finalité première est de structurer l’intervention des entreprises d’assurance sur le marché, en fonction des risques qu’elles souhaitent couvrir. Cette classification, d’inspiration européenne, est fixée par l’article R. 321-1 du Code des assurances, qui dresse une nomenclature en branches déterminant les modalités d’agrément des entreprises par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR).

A) Une nomenclature sectorielle à finalité réglementaire

Le régime d’agrément administratif prévu aux articles L. 321-1 et R. 321-1 du Code des assurances repose sur un principe de spécialisation des opérateurs. Toute entreprise d’assurance souhaitant exercer en France doit obtenir un agrément préalable délivré par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) pour une ou plusieurs des branches d’assurance prévues par la réglementation. Ces branches constituent autant de segments d’activités distincts, définis en fonction du type de risques couverts.

Issu du droit européen et harmonisé à l’échelle de l’Union, ce mécanisme de classification présente une vocation pragmatique et prudentielle : il permet de sectoriser l’activité assurantielle, d’en assurer une supervision technique ciblée, et de garantir la cohérence des engagements pris par les entreprises d’assurance au regard de leurs capacités financières et organisationnelles.

La nomenclature issue de l’article R. 321-1 distingue traditionnellement deux grandes catégories de branches, chacune englobant des risques de nature différente :

  • Les branches d’assurance de dommages (branches 1 à 18), qui couvrent des risques objectivables ou événementiels, parmi lesquels :
    • des dommages aux biens, comme les véhicules terrestres (branche 3), les navires maritimes (branche 6), ou les installations techniques ;
    • des risques de responsabilité civile, tel que la responsabilité des véhicules (branche 10) ou la responsabilité générale (branche 13) ;
    • des risques économiques ou techniques spécifiques, tels que le crédit (branche 14), la caution (branche 15) ou encore les pertes pécuniaires diverses (branche 16).
  • Les branches d’assurance de personnes (branches 19 à 26), qui regroupent :
    • les assurances sur la vie (branche 20), qu’il s’agisse d’assurances en cas de vie, de décès, ou mixtes ;
    • les assurances nuptialité-natalité (branche 21), qui prévoient une prestation à l’occasion de certains événements familiaux ;
    • les opérations de capitalisation (branche 24), qui, bien que ne constituant pas des contrats d’assurance au sens strict (C. assur., art. L. 310-1-2), sont soumises aux mêmes exigences prudentielles ;
    • et enfin, les assurances de groupe et de gestion collective (branche 26), souvent mobilisées dans les régimes de prévoyance d’entreprise.

Loin d’être une simple nomenclature descriptive, cette classification par branches joue un rôle structurant dans l’économie du droit des assurances. L’agrément délivré pour une branche donnée n’autorise l’entreprise à exercer que dans le périmètre exact de risques qu’elle couvre, sous peine de nullité des engagements contractés au-delà de ce périmètre.

Elle permet en outre à l’ACPR :

  • d’évaluer la compétence technique et la solidité financière des entreprises candidates à l’exercice de l’activité assurantielle ;
  • de contrôler l’adéquation des moyens humains, organisationnels et prudentiels à la nature des risques couverts ;
  • d’imposer des règles de gouvernance, de solvabilité et de gestion des risques spécifiques à chaque type de branche ;
  • et de faciliter la reconnaissance mutuelle des agréments au sein du marché européen, conformément au principe de libre prestation de services.

Il en résulte un cadre réglementaire à la fois protecteur pour les assurés et structurant pour les opérateurs, qui assure une meilleure lisibilité du marché et favorise la spécialisation des acteurs. Ce faisant, la classification administrative par branches constitue un pilier technique et juridique incontournable de la régulation assurantielle contemporaine.

B) Enjeux pratiques et limites de la classification administrative

Si la classification administrative issue de l’article R. 321-1 du Code des assurances participe d’une volonté de spécialisation et de transparence, elle n’échappe pas à certaines critiques doctrinales, tenant à la dispersion des critères de classement qui la fondent.

En effet, la classification repose sur des fondements méthodologiques disparates : certaines branches sont définies en fonction de l’événement garanti (par exemple, le décès pour la branche 20), d’autres par l’objet matériel de la couverture (comme les véhicules terrestres pour la branche 3), d’autres encore selon la fonction économique du contrat (telle la caution en branche 15 ou les pertes pécuniaires diverses en branche 16). Cette hétérogénéité a pu être critiquée, notamment par la doctrine autorisée[2], qui déplore une absence d’unité classificatoire susceptible de nuire à la clarté et à la cohérence du dispositif.

Ce défaut d’intelligibilité peut engendrer des difficultés de qualification juridique, notamment pour certains produits composites ou innovants, situés à la frontière de plusieurs branches. Il appelle parfois une relecture pragmatique, centrée davantage sur la finalité économique et technique du contrat que sur la lettre des textes.

Pour autant, cette nomenclature demeure un levier stratégique essentiel de la régulation assurantielle, tant au plan national qu’européen. Elle permet :

  • de fixer avec précision le périmètre d’intervention des entreprises d’assurance, en subordonnant l’exercice effectif de chaque activité à la détention préalable d’un agrément pour la ou les branches correspondantes ;
  • de garantir une spécialisation technique des opérateurs, dans une logique de protection des assurés, en imposant que les entreprises disposent des compétences organisationnelles, humaines et financières adaptées à la nature des risques souscrits ;
  • d’encadrer la commercialisation des produits, en interdisant aux entreprises de proposer des contrats relevant de branches non agréées, sous peine de nullité des engagements et de sanctions administratives prononcées par l’ACPR ;
  • de faciliter la reconnaissance mutuelle des agréments au sein de l’Espace économique européen, dans le cadre de la libre prestation de services et de la liberté d’établissement (directives dites “Solvabilité I” et “Solvabilité II”).

Si cette classification n’a pas vocation à structurer en profondeur le droit des contrats d’assurance – à la différence des distinctions entre assurances de dommages et de personnes, ou entre prestations indemnitaires et forfaitaires –, elle exerce néanmoins une fonction régulatoire de premier plan.

Elle constitue le socle d’un pilotage prudentiel sectorisé, indispensable à la sécurité financière du marché et à la transparence vis-à-vis des assurés. À ce titre, elle contribue à l’architecture institutionnelle du droit des assurances, en articulant les exigences d’agrément, de solvabilité, de gouvernance et de contrôle autour de catégories opérationnelles claires – sinon toujours rigoureusement homogènes.

 

 

  1. R. Savatier, Traité de la responsabilité civile, t. 3, 1951 ?
  2. V. J. Bigot, Droit des assurances, t. 1, n° 72 ?

Civ. 2, 27 févr. 2025, n° 23-18.038 : Contentieux de la sécurité sociale – jonction d’instance et indépendance rapports caisse-employeur-victime

Résumé.

Le principe directeur d’indépendance des rapports caisse-employeur-victime et les principes directeurs du procès supposent de bien séparer les chefs de critique. Il est acquis en jurisprudence que l’employeur qui se défend d’avoir commis une faute inexcusable (rapport employeur-salarié) n’est pas recevable à exciper le caractère inopposable de la décision de prise en charge par la caisse de l’accident, de la maladie ou de la rechute au titre de la législation professionnelle (rapport caisse-employeur). La jonction des demandes formulées par l’employeur puis par le salarié (substitué par le FIVA) n’y change rien.

Commentaire.

En l’espèce, une caisse primaire d’assurance maladie prend en charge une affection au titre de la législation professionnelle. L’employeur conteste le caractère professionnel de la maladie contractée par le salarié. La saisine de la commission de recours amiable est vaine ; l’analyse de la caisse est confirmée. Une juridiction de sécurité sociale est saisie afin que la décision de prise en charge de la maladie par la branche AT/MP soit jugée inopposable. En parallèle, le Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante, qui est subrogé dans les droits du salarié-victime qui a été indemnisé, saisit à son tour le juge de la sécurité sociale aux fins de reconnaissance du caractère inexcusable de la faute commise par l’employeur. La caisse intervient à l’instance (art. 331 cpc ensemble art. L. 376-1 et L. 455-2, al. 3 css).

L’enjeu est important pour chacune des parties à la cause. L’employeur entend vraisemblablement échapper à la majoration de son taux brut de cotisations. L’arrêt ne renseigne certes pas formellement cet aspect de l’affaire. Disons toutefois que si l’employeur avait relevé d’une tarification collective du risque, qui le dispense de ladite majoration, le coût environné de l’action en justice aurait pu le dissuader d’introduire une action en justice. L’intéressé entend également (peut-être surtout) échapper au remboursement de toutes les prestations sociales servies en contemplation de la faute inexcusable qu’il aurait prétendument commise (art. L. 452-2, al. 6 css). Il faut bien voir que si l’employeur n’est pas assuré, le poids de la dette de remboursement des tiers payeurs est de nature à le mettre en grande difficulté financière. La caisse cherche pour sa part à être remboursée de ses débours (art. L. 376-1 css). Quant au FIVA, qui conteste devoir être le débiteur final de la réparation, l’action en justice a précisément pour objet son remboursement à due concurrence des sommes versées (art. 53, VI de la loi n° 2000-1257 du 23 déc. 2000)

L’affaire de ce point de vue est plutôt banale. Elle prend un tour autrement plus intéressant après que, dans un souci de bonne administration de justice (ou pas dans le cas particulier), le tribunal ordonne la jonction des deux affaires (art. 367 cpc). La question est alors posée de savoir si ladite jonction est de nature à faire disparaître le caractère distinct des procédures.

De concert, les juges du fond répondent par l’affirmative et décident que « si en défense à une action en reconnaissance de la faute inexcusable l’employeur peut soutenir que le caractère professionnel de la maladie professionnelle ou de l’accident du travail n’est pas établi, il n’est pas recevable à contester, aux fins d’inopposabilité, la prise en charge par la caisse, au titre de la législation professionnelle. Et la Cour d’appel d’Amiens de considérer qu’ « il convient dès lors de confirmer le jugement déféré par substitution de motifs, et de débouter l’employeur de la demande d’inopposabilité de la décision de prise en charge du sinistre par la caisse primaire d’assurance maladie, cependant que la société exposante justifiait que cette contestation avait été introduite par voie d’action ».

L’arrêt rendu par la Cour d’appel d’Amiens est cassé au visa des articles L. 452-1, R. 142-1 et R. 441-14 du code de la sécurité sociale et 4 du code de procédure civile.

La question a partie liée avec ce qu’on appelle le principe directeur d’indépendance des rapports caisse-employeur-victime (v. not. J. Bourdoiseau, AT/MP : relations triangulaires, indépendances des rapports, imputation des coûts et tarification, Bulletin Joly travail, déc. 2024). Aux termes dudit principe, les rapports entretenus par la caisse avec la victime sont exclusifs de ceux noués avec l’employeur (Cass. soc., 31 mai 1989, n° 87-17.499 – Cass. 2e civ., 7 nov. 2019, n° 18-19.764, JCP S 2019.1364, note M. Courtois d’Arcollières et M.-A. Godefroy). En bref, ce n’est pas parce que la caisse a conclu au caractère professionnel de l’accident qui a été déclaré que le compte employeur sera nécessairement majoré (pour le cas où naturellement il aurait vocation à l’être). Pour le dire d’une autre manière, il n’y a aucune identité de sort. En résumé, un accident peut être professionnel au stade de sa reconnaissance mais pas à celui de sa réparation (M. Keim-Bagot, Voyage au pays de l’absurde : des conséquences de l’indépendance des rapports employeur-caisse-salarié, Bull. Joly travail, janv. 23, p. 41). Et inversement, pourrait-on ajouter. On considère que le principe sous étude est la traduction en droit substantiel de la protection sociale d’un principe fondamental tiré du droit de la procédure civile, à savoir qu’une décision de justice ne pouvant lier que ceux qui y ont été partie (art. 1351 c.civ.), le salarié ne saurait souffrir les suites du combat qu’a décidé de mener l’employeur avec la caisse et/ou le juge de la sécurité sociale.

Il se pourrait que cette dernière considération ait convaincu les juges de fond d’interdire à l’employeur de contester le caractère opposable de la décision administrative prise par la caisse.

Seulement voilà : jamais le salarié-victime n’aurait été préjudicié si d’aventure les juges avaient conclu au caractère inopposable de la décision de la caisse. Le droit de la sécurité sociale est en ce sens. Qu’on comprenne bien : la décision du juge déclarant inopposable à l’employeur la décision de prise en charge de la caisse n’aurait pas nécessairement eu pour effet de paralyser la reconnaissance du caractère possiblement inexcusable de la faute commise. C’est que le rapport caisse-employeur (premier chef de critique) est indépendant du rapport employeur-victime (second chef de critique).

C’est ce que dit la Cour de cassation de manière aussi explicite que pédagogique : « La décision prise par la caisse (…) est sans incidence sur l’action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur » (point n° 4). Et la deuxième Chambre civile d’ajouter : « réciproquement, l’exercice par la victime de l’action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur est sans incidence sur la recevabilité du recours aux fins d’inopposabilité de la décision de prise en charge, au titre de la législation professionnelle, de l’accident, de la maladie ou de la rechute » (point n° 5). Où l’on constate au passage que la Cour de cassation entend que la règle s’applique non seulement pour le cas où la prise en charge d’une maladie fait débat (ce qui était le cas en l’espèce) mais également pour le cas où il se serait agi d’un accident ou bien d’une rechute.

Au résultat, si l’employeur a gain de cause relativement premier chef de critique (inopposabilité de la décision de prise en charge du risque au titre du livre IV du code de la sécurité sociale), il ne souffre aucune conséquence pécuniaire. Quant à la victime, elle reste lotie tandis que la caisse n’est pas remboursée de ses débours. Si en revanche l’employeur échoue à convaincre le juge, alors son taux de cotisation a vocation à être majoré. Relativement au second chef de critique, de deux choses l’une : soit le caractère inexcusable de la faute commise est déclaré et l’employeur est tenu de rembourser les prestations sociales majorées qui ont été servies, soit les conditions de l’article L. 452-1 du code de la sécurité sociale ne sont pas remplies et l’affaire en reste là.

L’erreur des juges du fond a consisté à étendre le domaine d’application d’une jurisprudence bien connue au cas particulier né de la jonction d’instances. Car il existe bien une règle qui interdit à l’employeur, qui se défend d’avoir commis une faute inexcusable, de contester, aux fins d’inopposabilité, la prise en charge par la caisse d’un accident, d’une maladie ou d’une rechute au titre de la législation sur les risques professionnelles. Mais cette dernière règle a été dégagée pour interdire à l’employeur qui est en procès avec son salarié de débattre d’une question qui ne regarde que l’intéressé et la caisse de sécurité sociale (Civ. 2, 09 juill. 2020, n° 18-26.782, F-P+B+I).

Le principe directeur de l’indépendance des rapports protège le salarié victime en ce qu’il lui garantit le paiement de revenus de remplacement peu important qu’au terme d’un recours il soit décidé réflexion faite que la prise en charge par la branche AT/MP n’était pas dû. C’est ce que les juges du fond semblent ne pas avoir saisis.

(Article publié in Responsabilité civile et assurance mars 2025)

Civ. 2, 30 janv. 2025, n° 22-19.660 : Expatriation et couverture de la faute inexcusable de l’employeur

Résumé

La Caisse des Français de l’étranger n’est pas une caisse de sécurité sociale comme les autres. Pour preuve, si un salarié expatrié est victime de la faute inexcusable de son employeur, qui a participé à la maladie dont il est atteint, alors la CFE n’a pas à faire l’avance des indemnités majorée. En bref, le salarié privé de toute solidarité de métier se retrouve à devoir supporter seul les dépenses afférentes aux suites de la maladies professionnelles et possiblement à la sauvegarde de sa dignité. Il aura fallu deux décisions rendues par la Cour de cassation dans la même affaire pour imposer la solution à la Cour d’appel de Rennes entrée en opposition frontale avec la cour régulatrice.

Commentaire.

En l’espèce, un salarié déclare une maladie qui renseigne une exposition à l’amiante dont le caractère professionnel est reconnu par la caisse de sécurité sociale. Il introduit dans la foulée une action en reconnaissance du caractère inexcusable de la faute commise par son employeur. Dans le cas particulier, la victime est un salarié expatrié, qui a souscrit une assurance volontaire (au sens de l’article L. 762-8 c. sécu. soc.) « accident du travail et maladies professionnelles » auprès de la Caisse des Français de l’étranger (CFE). C’est la variable de complication de l’affaire.

Comprenons bien : le salarié concerné n’étant plus soumis à la législation française de sécurité sociale (en application du principe de territorialité de l’article L. 111-2-2 c. sécu. soc.), l’intéressé était tout à fait libre de contracter avec l’assureur privé ou public de son choix pour autant qu’il satisfasse naturellement les conditions fixées au contrat projeté ou bien les dispositions légales édictées par le pays d’accueil aux fins de couverture du risque professionnel. Dans le cas particulier, le salarié préfère exercer la faculté qui lui est offerte de s’assurer volontairement contre les risques professionnels auprès de la CFE (art. L. 762-2 c. sécu. soc.). I

Le différend, qui a nécessité que la Cour de cassation se prononce à deux reprises dans cette affaire, est né du refus de la CFE de faire l’avance des indemnités majorées en raison de la faute inexcusable de l’employeur, ce qui est pourtant une obligation qui pèse sur les caisses primaires d’assurance maladie ( L. 452-2, al. 6 c. sécu. soc.) et les mutualités sociales agricoles (art. L. 452-2, al. 6 c. sécu. soc. sur renvoi de l’art. L. 751-7 c. rur.).

La question est donc posée de savoir au fond si la CFE est une caisse de sécurité sociale comme les autres ou pas ?

Saisie, la Cour d’appel de Rennes répond dans un premier arrêt par l’affirmative (9e ch., 26 sept. 2018). Et de conclure par voie de conséquence à l’obligation faite à la CFE de payer la majoration due tout en privant en revanche cette dernière de son droit à récupérer le capital représentatif auprès de l’employeur. Qu’on ne se méprenne pas : la Cour d’appel de Rennes ne prive pas discrétionnairement la CFE d’un droit subjectif au remboursement. L’infraction à l’article L. 452-2, al. 6 c. sécu. soc. aurait été bien trop frontale. Non, il s’avère simplement (ou pas) que les règles qui fixent l’organisation et le fonctionnement de la CFE, qui sont renfermées dans un titre IV du Livre VII « Régime divers – dispositions diverses » du Code de la sécurité sociale, n’accorde aucune subrogation légale à la caisse. Dans la mesure où, il ne saurait y avoir de paiement par subrogation sans texte (art. 1346 c.civ.), et que manifestement aucune subrogation conventionnelle n’a été stipulée, la Cour d’appel de Rennes semble articuler convenablement le régime d’indemnisation des risques professionnels, les règles spéciales de couverture des salariés expatriés victimes d’une maladie et les principes directeurs du droit civil des obligations.

Dans un arrêt rendu le 16 juillet 2000 (n° 18-24.942), la Cour de cassation n’est pourtant pas de cet avis, qui casse une première fois l’arrêt au visa de l’article au visa des articles L. 762-1 et L. 762-8 c. sécu. soc. en ce que si l’assurance volontaire qui a été souscrite donne droit à l’ensemble des prestations prévues par le livre IV, c’est à l’exclusion de l’indemnisation des conséquences de la faute inexcusable de l’employeur. Et la deuxième Chambre civile de se réunir en formation de section et d’ordonner qu’une large diffusion soit donnée à sa décision (FS-P+B+I). Désignée en qualité de cour de renvoi, la Cour d’appel de Rennes s’obstine pourtant dans son analyse et entre en voie de résistance manifeste (CA Rennes (9e ch., 1er juin 2022).

C’est la raison pour laquelle – fait suffisamment rare pour être souligné – la Cour de cassation tranche définitivement le litige et ne renvoie pas une seconde fois l’affaire pour qu’il soit jugé au fond. Au vu de la situation particulière, la deuxième Chambre civile aurait peut-être gagné à enrichir sa décision et ne pas se contenter ou presque de reproduire mot à mot le chapeau intérieur. L’exercice tenant trop sûrement de la gageure, l’arrêt est promis au rapport annuel. L’occasion sera donc donnée de revenir sur le cas particulier.

C’est que le raisonnement de la victime tiré d’une application par analogie des textes applicables aux caisses primaires d’assurance maladie et mutualités sociales agricoles, qui a convaincu la Cour d’appel de Rennes, était assez séduisant. Un article D. 461-24 c. sécu. soc. dispose en effet : « conformément aux dispositions du deuxième alinéa de l’article L. 431-1 et des articles L. 432-1 et L. 461-1, la charge des prestations, indemnités et rentes incombe à la caisse d’assurance maladie ou à l’organisation spéciale de sécurité sociale à laquelle la victime est affiliée (…) » tandis qu’un second texte – l’article L. 762-8, alinéa 2 du code de la sécurité sociale – dispose que « l’assurance volontaire accidents du travail et maladies professionnelles donne droit à l’ensemble des prestations prévues par le livre IV ». L’application cumulée semblait fonder la condamnation de la CFE à faire l’avance des indemnités majorée (pendant que les textes relevés plus haut semblaient bien la priver de toute subrogation).

Mais c’est une autre combinaison qui a été choisie, qui tient compte de l’économie générale de la Caisse des Français de l’étranger, qui a été possiblement omise au nombre des variables qu’il s’agissait d’articuler, ou dont la considération a été jugée moins déterminante que le triste sort réservé au salarié concerné en l’espèce.

A la différence d’une caisse primaire d’assurance maladie ou bien d’une mutualité sociale agricole, la CFE est gestionnaire d’une assurance volontairement contractée par le salarié expatrié, qui est seul tenu au paiement de la dette de cotisation à l’exclusion de l’employeur par voie de conséquence. Que ce dernier décide spontanément de payer la dette du salarié (Soc., 27 nov. 2013, n° 12-23.603, inédit) ou bien qu’une convention collective l’y contraigne (Soc., 19 sept. 2007, n° 05-41.156, inédit – 26 juin 2013, n° 12-13.046, inédit), cela n’a pas pour effet de lier juridiquement la CFE et l’employeur. La solution serait du reste la même si le salarié ne disposait pas de la totalité des ressources nécessaires pour acquitter sa cotisation et que la CFE décidait de prendre en charge le reliquat sur son budget de l’action sanitaire et sociale (art. L. 762-6-5, al. 1 c. sécu. soc.. V. par ex. arr. du 21 déc. 2018 fixant le niveau de prise en charge des cotisations par le budget de l’action sanitaire et sociale de la Caisse des Français de l’étranger pour la troisième catégorie de cotisants : soit 1/3 de la cotisation).

En bref, il n’appartient donc pas à la caisse de couvrir le risque accident ou maladie aggravé par la faute inexcusable de l’employeur, risque qui n’est pas entré dans le champ contractuel. Et si aucune subrogation légale n’a été accordée à la CFE, c’est très précisément parce que cette dernière ne paie pas la dette de l’employeur mais la sienne propre née de la conclusion du contrat d’assurance.

Ceci étant dit, et le commentaire ne devrait pas plus convaincre la Cour d’appel de Rennes que la décision sous étude : le caractère sui generis de la CFE tourne au préjudice du salarié, qui est la partie faible au contrat qu’il s’agit pourtant de protéger. En pratique, c’est bien le salarié qui va supporter le risque d’opposition de son employeur voire le risque d’insolvabilité. La Cour de cassation, qui complète ici sa décision au regard du premier arrêt, indique que le salarié « dispose (…) du droit d’agir à l’encontre de son employeur, sur le fondement du droit commun de la responsabilité civile contractuelle, pour obtenir la réparation des préjudices causés par le manquement de ce dernier à son obligation de sécurité » (point n° 9). Pour le dire autrement : c’est donc sur ses derniers propres qu’un salarié victime d’une exposition à l’amiante devra supporter les suites de la faute inexcusable de son employeur tant qu’un accord n’aura pas été trouvé ou bien une décision passée en force de chose jugée n’aura pas été rendue.

Cette situation n’est pas du tout conforme au droit des risques professionnels. Non seulement, le salarié victime d’une maladie professionnelle, en situation de fragilité relative du fait de l’expatriation, n’est pas traité à l’identique de ses collègues relativement aux risques professionnels, qui doit faire l’avance des fonds nécessaires à la sauvegarde de sa dignité, mais il peut en outre se retrouver en situation de transiger tandis qu’il n’est pas dans une position égale en termes de puissance avec son co-contractant, le tout en violation de l’article. L. 482-4, al. 1 c. sécu. soc. qui dispose que « toute convention contraire au présent livre (IV) est nulle de plein droit ».

La CFE est en capacité de garantir le salarié contre sa propre difficulté financière au stade de la conclusion du contrat. Pour quelle raison ne serait-elle pas en capacité de le garantir contre l’insolvabilité du tiers responsable au jour de l’exécution du contrat d’assurance ? A ces questions, il sera répondu que la CFE n’en a tout simplement pas les moyens car le régime, qui doit être équilibré en recettes et dépenses (art. R. 766-57 c. sécu. soc.) est abondé en argent grâce aux seules cotisations payées par les adhérents salariés (art. R. 766-58 c. sécu. soc.), exception faite d’une subvention annuelle qui contribue au financement du budget de l’action sanitaire et sociale art. R. 766-58-1 c. sécu. soc. Admettons. Au fond, s’il est une raison à cette solution sévère pour le salarié, elle n’est pas exclusivement d’ordre technique. Pour paraphraser une formule usitée par le Conseil constitutionnel, il s’avère que la Cour de cassation ne dispose (très vraisemblablement) pas d’un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement (J. Bourdoiseau, L’évolution de la responsabilité de l’entreprise dans la survenance du risque professionnel d’une dette d’argent de l’employeur à une créance de réparation du salarié ? Dr. social févr. 2025.178). Charge revient donc au législateur tout à fait informé à présent de remettre ou pas l’ouvrage sur le métier.

(Article publié in Dalloz actualité févr. 2025)

Le paiement des obligations de sommes d’argent (art. 1343 à 1343-5 C. civ.)

C’est une nouveauté introduite par l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, le Code civil renferme désormais une section entière consacrée aux « obligations de sommes d’argent ».

Cette section comporte des dispositions qui constituent le droit spécial du paiement, à tout le moins elles sont présentées comme tel.

Le législateur a indiqué en ce sens, dans le Rapport au Président de la République accompagnant l’ordonnance, que « les obligations de sommes d’argent présentent des particularités justifiant de consacrer une partie distincte aux règles propres à leur paiement. »

La particularité des obligations de sommes d’argent tient notamment au cours de la monnaie qui, par nature, peut varier. Ces obligations comportent encore des spécificités lorsqu’elles sont productives d’intérêts.

Les difficultés que sont susceptibles de soulever les obligations monétaires sont abordées aux articles 1343 et suivants du Code civil.

Après avoir posé le principe du nominalisme monétaire, ces dispositions traitent des intérêts susceptibles d’être produit par la dette. Enfin elles abordent les modalités du paiement de l’obligation de somme d’argent.

§1: Le nominalisme monétaire

I) Principe

==> Exposé du principe du nominalisme monétaire

Lorsqu’une obligation porte sur une somme d’argent, cela implique pour le débiteur de payer le créancier au moyen de monnaie.

À cet égard, la monnaie ne constitue pas seulement un instrument de paiement, elle a également pour fonction d’évaluer un bien ou un service.

Autrement dit, dans cette fonction, la monnaie s’analyse en une unité de mesure. Contrairement toutefois aux unités de mesure utilisées dans le domaine des sciences, elle présente un caractère instable dans la mesure où sa valeur est fixée par un cours. Or ce cours est susceptible de varier et, par voie de conséquence, d’affecter la valeur de la monnaie.

Aussi, la fluctuation monétaire rend-elle difficile l’évaluation des biens et services sur une période longue, en particulier durant des périodes d’inflation ou de dépréciation monétaires.

La question qui alors se pose est de savoir quel montant le débiteur d’une obligation de somme d’argent doit-il verser au créancier pour éteindre sa dette. Deux approches sont envisageables :

  • Première approche : le nominalisme monétaire
    • Pour se libérer de son obligation, le débiteur doit verser au créancier le montant nominal de la dette stipulé au contrat.
    • L’inconvénient de cette approche est que, en cas de fluctuation monétaire entre le jour de la conclusion du contrat et le jour du paiement, la valeur de la somme d’argent réglée par le débiteur au créancier ne correspondra plus à la valeur du montant de la dette stipulé au contrat.
  • Seconde approche : le valorisme monétaire
    • Pour se libérer de son obligation, le débiteur doit verser au créancier une somme d’argent dont le montant a été actualisé au jour du paiement et qui donc est susceptible d’être différent de celui déterminé lors de la conclusion du contrat.
    • Cette approche présente l’avantage de tenir compte des phénomènes d’inflation et de dépréciation monétaires.

Entre ces deux approches, le législateur a retenu la première. L’article 1343, al. 1er du Code civil prévoit en ce sens que « le débiteur d’une obligation de somme d’argent se libère par le versement de son montant nominal. »

Cette disposition pose donc le principe du nominalisme monétaire, principe selon lequel le débiteur doit verser la somme correspondant au montant nominal de sa dette, même si la valeur de la monnaie a varié.

Concrètement, cela signifie qu’une dette dont la valeur nominale est de 100 vaudra toujours 100 peu importe le nombre d’années qui s’est écoulé entre la conclusion du contrat et le paiement de l’obligation.

Autrement dit, le paiement doit porter sur le même nombre d’unités monétaires que celui stipulé au contrat au jour de la naissance de la dette, les fluctuations monétaires étant sans incidence sur le montant nominal dû par le débiteur.

==> Consécration du principe du nominalisme monétaire

Sous l’empire du droit antérieur, le principe du nominalisme monétaire avait été déduit de l’article 1895 du Code civil qui prévoit, en matière de prêt de consommation, que « l’obligation qui résulte d’un prêt en argent n’est toujours que de la somme énoncée au contrat. »

Le second alinéa de ce texte précise que « s’il y a eu augmentation ou diminution d’espèces avant l’époque du paiement, le débiteur doit rendre la somme prêtée, et ne doit rendre que cette somme dans les espèces ayant cours au moment du paiement. »

S’il n’est pas douteux que, en application de ce texte, l’emprunteur ne soit tenu de rembourser au prêteur que le montant nominal de la somme d’argent prêtée, on est légitimement en droit de s’interroger, en revanche, sur le domaine de la règle ainsi énoncée.

Une approche restrictive devrait conduire à cantonner le champ d’application de cette règle aux seuls prêts d’argent.

Telle n’est toutefois pas la voie qui a été empruntée par la jurisprudence qui, très tôt, a dégagé de l’article 1895 du Code civil un principe général (V. en ce sens Cass. req. 25 févr. 1929).

Afin de lever toute ambiguïté et prévenir toute difficulté d’interprétation du texte, le législateur a fait le choix, à l’occasion de l’adoption de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du régime général des obligations, de consacrer le principe du nominalisme monétaire, énoncée désormais à l’article 1343 du Code civil.

Reste que si le principe du nominalisme monétaire pose une exigence de parfaite égalité entre le montant nominal de la somme d’argent stipulé au contrat au jour de la naissance de la créance et le montant nominal de la dette qui doit être payée par le débiteur au jour du paiement, cette correspondance pas toujours, pour autant, à la réalité économique.

II) Exceptions

En période de stabilité monétaire, le principe du nominalisme monétaire ne soulève aucune difficulté d’application pour les parties.

La valeur de la monnaie étant constante, le montant de la somme d’argent due au créancier est toujours égal au montant de la dette qui doit être réglée par débiteur.

Lorsque, en revanche, la monnaie connaît des périodes de fluctuation, le principe du nominalisme monétaire est susceptible de contrevenir à l’équité.

Afin de surmonter cette difficulté le législateur a :

  • D’une part, autorisé les parties à déroger contractuellement au principe du nominalisme monétaire
  • D’autre part, institué le système des dettes de valeur

A) L’aménagement contractuel du principe du nominalisme monétaire

1. Techniques contractuelles visant à déroger au principe du nominalisme monétaire

Le principe du nominalisme monétaire n’est pas d’ordre public. Il est donc admis que les parties puissent y déroger par convention contraire.

Très tôt la pratique a développé deux techniques contractuelles permettant de protéger les parties contre le phénomène de fluctuation monétaire :

  • Les clauses monétaires
  • Les clauses d’indexation

1.1. S’agissant des clauses monétaires

a. Notion

Une clause monétaire est celle qui vise comme unité de valeur de référence d’une créance de somme d’argent une unité monétaire ou l’or.

Il s’agit, autrement dit, de stipulations aux termes desquelles les parties conviennent de se référer à une monnaie étrangère plutôt que d’utiliser la monnaie légale, soit pour évaluer les créances, soit pour les régler.

Classiquement, on distingue deux catégories de clauses monétaires :

  • Première catégorie : les clauses monnaies étrangères et les clauses-or
    • Il s’agit des clauses qui stipulent que le paiement devra s’effectuer dans une monnaie autre que celle déterminée par la loi (clause monnaie étrangère) ou en or (clause-or).
    • Ces clauses écartent ainsi le principe posé à l’article 1343-3, al .1er du Code civil selon lequel « le paiement, en France, d’une obligation de somme d’argent s’effectue en euros.»
    • La monnaie étrangère a donc vocation à être utilisée ici, en lieu et place de la monnaie légale, aux fins de règlement de la dette
  • Seconde catégorie : les clauses valeur-monnaie étrangère et les clauses valeur or
    • Il s’agit des clauses qui visent la monnaie étrangère ou l’or, non pas comme une monnaie de paiement, mais comme une monnaie de compte.
    • Autrement dit, elles stipulent que le paiement s’effectuera en monnaie légale (l’euro), mais que la valeur nominale de la dette variera en fonction du cours d’une monnaie étrangère ou de l’or.
    • Ce type de clause vise donc à se référer à une monnaie étrangère ou au cours de l’ord pour évaluer une dette

b. Cours forcé et cours légal

Au début du XIXe siècle, en raison de la relativement grande stabilité du franc, il était admis que les parties à un contrat puissent stipuler des clauses monétaires et que donc le paiement puisse s’effectuer en monnaie étrangère ou en or.

Puis le législateur institua, par le décret du 15 mars 1848, un cours forcé des billets émis par la Banque de France ce qui signifiait les paiements devaient nécessairement être réalisés en monnaie légale et que les détenteurs de ces billets ne pouvaient plus réclamer leur conversion en monnaie métallique. L’objectif recherché était double : mettre un frein à la fuite des réserves de métaux précieux de la Banque de France et favoriser l’utilisation large des billets comme monnaie fiduciaire.

Si le cours forcé a été aboli en 1850, il a été rétabli par la loi du 12 août 1870 qui a, en outre, institué ce que l’on appelle un cours légal du billet. Selon ce cours, il est fait obligation à tout créancier d’accepter les billets de banque émis par la banque de France comme instrument de paiement au même titre que la monnaie métallique.

L’adoption du cours forcé et du cours légal n’a pas été sans incidence sur la validité des clauses monétaires.

Ces deux cours faisaient désormais obstacle au paiement d’une créance en monnaie étrangère ou en or. Leur instauration revenait ainsi à prohiber les clauses monnaies étrangères et les clauses or. Cette prohibition a, dans un premier temps, visé les clauses or (Cass. civ., 11 févr. 1873), puis les clauses monnaie étrangère (V. en ce sens Cass. civ. 17 mai 1927).

La jurisprudence a, par suite, étendu cette prohibition aux clauses valeur-monnaies étrangères et aux clauses valeur-or (V. en ce sens Cass. civ. 31 déc. 1928).

c. Régime

Si la stipulation de clauses monétaires est, par principe, prohibée pour les opérations réalisées sur le territoire français, elle est admise lorsqu’elle intéresse des opérations qui présentent un caractère international.

c.1 Les opérations internationales

La prohibition générale des clauses monétaires posée par la jurisprudence à partir de la fin du XIXe siècle est rapidement apparue comme étant inconciliable avec les exigences et impératifs du commerce international.

Le maintien de cette prohibition aurait eu pour effet d’empêcher les marchands français de commercer avec des partenaires étrangers.

Pour cette raison, très tôt la Cour de cassation a admis que les opérations présentant un caractère international échappaient à la prohibition des clauses monétaires.

Dans un arrêt Matter rendu le 17 mai 1927 (Cass. civ. 17 mai 1927), elle a ainsi jugé qu’une clause prévoyant le règlement d’une obligation dans une devise étrangère n’était pas illicite, pourvu qu’elle se rattache à une opération internationale.

Pour présenter un caractère international et donc échapper à la prohibition des clauses monétaires, l’opération doit produire un mouvement de valeurs transfrontalier, soit un flux qui circule d’un état vers un autre.

Une circulaire du garde des Sceaux aux procureurs généraux du 16 juillet 1926 a indiqué en ce sens que les règlements internationaux sont ceux « qui concernent des opérations qui se poursuivent sur le territoire de deux États, se règlent par un appel de change d’un État sur un autre et aboutissent finalement à un règlement de pays à pays ».

Dès lors que cette condition est remplie, les parties sont libres de déroger au cours légal et au cours forcé ; elles peuvent donc prévoir que les règlements s’effectueront au moyen d’une devise étrangère.

À cet égard, il peut être dérogé pour les opérations internationales au principe de prohibition des clauses monétaires, tant lorsque la monnaie étrangère est utilisée comme une monnaie de paiement (clauses monnaie étrangère) que lorsqu’elle est utilisée comme une monnaie de compte (clauses valeur-monnaie étrangère).

Dans ce dernier cas, la conversion de la devise étrangère en euro devra se faire au jour du paiement. La Cour de cassation a jugé en ce sens dans un arrêt du 18 décembre 1990, que « la contre-valeur en francs français d’une dette stipulée en monnaie étrangère doit être fixée au jour du paiement, sauf si le retard apporté à celui-ci est imputable à l’une des parties » (Cass. 1ère civ. 18 déc. 1990, n°88-20.232).

Si la dérogation au principe de prohibition des clauses monétaires pour les opérations internationales a été admise par la jurisprudence dès le début du XXe siècle, il a fallu attendre près d’un siècle pour qu’elle soit consacrée par le législateur.

L’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 a ainsi inséré un article 1343-3 dans un le Code civil qui prévoyait que, si « le paiement, en France, d’une obligation de somme d’argent s’effectue en euros. Toutefois, le paiement peut avoir lieu en une autre devise si l’obligation ainsi libellée procède d’un contrat international ou d’un jugement étranger. »

Cette disposition a toutefois fait l’objet d’un ajustement à l’occasion de l’adoption de la loi n° 2018-287 du 20 avril 2018 ratifiant l’ordonnance du 10 février 2016.

Il a été relevé que la rédaction de l’article 1343-3, telle que retenue par cette ordonnance, était plus restrictive que l’état du droit antérieur.

Il a notamment été souligné que dans une décision rendue le 11 octobre 1989 à propos d’un contrat de prêt, la Cour de cassation s’était référée à la notion plus souple d’« opération de commerce international » et non de contrat international (Cass. 1ère civ. 11 oct. 1989, n°87-16.341).

Cette notion permettait aux parties de déterminer la monnaie de compte ou de paiement de leurs obligations même si le paiement devait être réalisé sur le sol français, dès lors qu’il pouvait être qualifié d’opération de commerce international.

Il est toutefois apparu que cette notion d’« opération de commerce international » ne permettait pas non plus de couvrir l’ensemble des hypothèses dans lesquelles le paiement en monnaies étrangères était admis avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance.

Pour s’approcher au plus près de l’état du droit antérieur et permettre aux entreprises d’utiliser la monnaie de leur choix, tout en n’affaiblissant pas la monnaie nationale, il a finalement été décidé de retenir le critère d’« opération à caractère international », à la place de celui trop restrictif de lien avec un « contrat international », cette rédaction pouvant encore être affinée au cours de la navette parlementaire.

Aussi, désormais après avoir énoncé que « le paiement, en France, d’une obligation de somme d’argent s’effectue en euros », l’article 1343-3, al. 2e du Code civil est rédigé comme suit : « le paiement peut avoir lieu en une autre monnaie si l’obligation ainsi libellée procède d’une opération à caractère international ou d’un jugement étranger. »

c.2 Les opérations internes

==> Principe

Très tôt la jurisprudence a donc posé le principe de prohibition des clauses monétaires pour les opérations internes, considérant que ces clauses heurtaient l’ordre public monétaire (V. en ce sens Cass. com., 27 avr. 1964 ; Cass. 1ère civ. 11 oct. 1989, n°87-16.341).

Cette prohibition procédait notamment de l’idée que les clauses de monnaie étrangère avaient pour effet d’affaiblir la monnaie nationale.

Certains auteurs soutiennent qu’elle n’est aujourd’hui plus justifiée dans la mesure où le droit français fait figure d’exception au sein de la zone euro[1].

D’autres avances que « les règles du cours légal et du cours forcé constituent […] des fondements insuffisants à l’illicéité des clauses monétaires. Et leur cumul n’y saurait rien changer : la somme de deux arguments creux sonne creux »[2].

  • S’agissant du cours forcé, il empêche seulement le détenteur de billets émis par la Banque de France de demander auprès d’elle la conversion en or ou en argent. Il ne fait a priori nullement obstacle à ce que les parties à un contrat décident que le règlement des dettes s’effectuera au moyen d’une monnaie étrangère.
  • S’agissant du cours légal, il interdit, quant à lui, à tout créancier d’une obligation de refuser un paiement au moyen de billets émis par la Banque de France. Cette interdiction ne fait nullement obstacle, là encore, à ce que les parties à un contrat utilisent une devise étrangère comme moyen de règlement des obligations.

Si, en l’état du droit positif, la prohibition des clauses monétaires demeure, nonobstant les critiques – nombreuses – formulées par la doctrine, elle a toutefois connu un assouplissement, notamment sous l’impulsion du développement des clauses d’indexation.

À compter du milieu du XXe siècle, la jurisprudence a, en effet, commencé à distinguer selon que la monnaie étrangère était utilisée par les parties comme une monnaie de paiement ou comme une monnaie de compte.

Pour mémoire, tandis que dans le premier cas le contrat écarte purement et simplement la monnaie légale comme moyen de règlement des obligations (clause monnaie étrangère), dans le second cas la monnaie étrangère sert seulement à évaluer le montant des créances, le paiement s’effectuant, en tout état de cause, dans la monnaie légale (clause valeur-monnaie étrangère).

Dans l’ordre interne, alors que les clauses monnaie étrangères ont toujours été prohibées par la jurisprudence, la Cour de cassation demeurant inflexible, elle a fini par admettre la validité des clauses valeur-monnaie étrangère, soit celles n’impliquant le paiement de l’obligation dans une devise étrangère (Cass. 1ère civ. 4 déc. 1962).

La Cour de cassation subordonna toutefois leur validité au respect des règles encadrant les clauses d’indexation.

En parallèle de cette jurisprudence, elle maintint la prohibition des clauses monnaie étrangère (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 14 nov. 2013, n°12-23.208).

La violation de cette prohibition est sanctionnée par la nullité absolue, dans la mesure où elle porte atteinte à l’ordre public monétaire (Cass. 1ère civ. 18 nov. 1997, n°95-14.003).

Dans un arrêt du 2 octobre 2007, la Cour de cassation a précisé qu’il appartient, en conséquence, au juge de relever d’office cette cause de nullité du contrat (Cass. 3e civ. 2 oct. 2007, n°06-14.725).

==> Exceptions

Le principe d’interdiction de stipuler pour les contrats relevant de l’ordre interne une clause de règlement d’une obligation en devise étrangère souffre de deux exceptions :

  • Première exception
    • L’article 1343-3, al. 3e du Code civil prévoit que « les parties peuvent convenir que le paiement aura lieu en devise s’il intervient entre professionnels, lorsque l’usage d’une monnaie étrangère est communément admis pour l’opération concernée. »
    • Cette exception, qui est issue de la loi n° 2018-287 du 20 avril 2018 ratifiant l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, vise à tenir compte des réalités économiques et notamment des impératifs rencontrés dans certains domaines d’activité où il est d’usage que les paiements s’opèrent en devise étrangère et notamment en dollar américain.
  • Seconde exception
    • L’article L. 112-5-1 du Code monétaire et financier prévoit que « par dérogation au premier alinéa de l’article 1343-3 du code civil, le paiement peut avoir lieu en une autre monnaie si l’obligation ainsi libellée procède d’un instrument financier à terme ou d’une opération de change au comptant.»

1.2. S’agissant des clauses d’indexation

Une clause d’indexation, qualifiée également de clause d’échelle mobile, est celle qui fait varier le montant de la dette en fonction d’un indice extérieur au contrat.

La clause peut renvoyer, soit à un indice publié par un organisme public ou privé, soit au cours d’une marchandise ou d’un service, pourvu qu’elle ne contrevienne pas au cours forcé.

À l’instar des clauses monétaires, pendant longtemps les clauses d’indexation ont été regardées avec méfiance par la jurisprudence, les juridictions voyant en elles un facteur d’inflation.

En effet, la clause d’indexation ne fait certes pas varier le montant de la somme due par le débiteur en fonction du cours d’une devise étrangère. Toutefois, en stipulant une telle clause les parties cherchent indirectement à se prémunir des fluctuations monétaires susceptibles d’affecter la valeur de l’obligation souscrite.

Afin de limiter le recours aux clauses d’indexation la Cour de cassation a opéré une distinction entre :

  • D’un côté, les clauses qui avaient été stipulées dans le seul but d’échapper aux fluctuations monétaires.
  • D’un autre côté, les clauses qui avaient été stipulées aux fins de préserver l’équivalence économique des prestations.

Tandis que les premières étaient prohibées (Cass. 1ère civ. 3 nov. 1953), les secondes ont été reconnues valables (Cass. 1ère civ. 27 déc. 1954).

Dans ce contexte de fébrilité de la jurisprudence quant à la reconnaissance des clauses de d’indexation, la question de leur validité s’est posée spécifiquement pour les contrats de prêt.

Pour mémoire, l’article 1895 du Code civil prévoit que « s’il y a eu augmentation ou diminution d’espèces avant l’époque du paiement, le débiteur doit rendre la somme prêtée, et ne doit rendre que cette somme dans les espèces ayant cours au moment du paiement. »

Selon cette disposition, qui pose le principe du nominalisme monétaire en matière de prêt, le montant remboursé par l’emprunteur doit correspondre au montant nominal qui a été mis à sa disposition par le prêteur.

Est-ce à dire que, pour cette catégorie de contrat, toute clause visant à indexer le montant de la somme prêtée sur indice et donc à faire fluctuer le montant nominal de la somme devant être remboursée serait nulle ?

Se fondant sur le principe du nominalisme monétaire, certaines juridictions ont statué en ce sens.

La Cour de cassation a toutefois porté un coup d’arrêt à cette jurisprudence dans un arrêt Guyot rendu en date du 27 juin 1957 (Cass. 1ère civ. 27 juin 1957, n°57-01.212).

Aux termes de cette décision, la Première chambre civile affirma que :

  • En premier lieu, que l’article 1895 ne présente aucun caractère d’ordre public dans la mesure où :
    • D’une part, « il a seulement pour objet d’écarter, dans le silence de la convention, une révision judiciaire des conditions de remboursement du prêt d’argent, éventuellement demandée, en vertu de l’article 1892, pour changement de “qualité” de la monnaie. »
    • D’autre part, que « l’ordre public n’exige pas, dans le prêt d’argent, une protection des emprunteurs contre la libre acceptation du risque d’une majoration de la somme à rembourser, destinée à conserver à celle-ci le pouvoir d’achat de la somme prêtée apprécié par rapport au coût d’une denrée, dès lors qu’ils peuvent assumer des risques de même importance dans d’autres contrats»
    • Enfin « qu’on ne peut non plus prétendre que le caractère impératif de cet article serait justifié par des principes d’ordre monétaire, qui l’imposeraient en raison d’un danger que les clauses entraînant cette majoration présenteraient pour la stabilité de la monnaie, l’influence desdites clauses à cet égard apparaissant en l’état trop incertaine pour légitimer une nullité portant une atteinte grave à la sécurité de l’épargne et du crédit»
  • En second lieu, que les lois monétaires en vigueur n’impliquent pas l’invariabilité du pouvoir d’achat de la monnaie, lequel varie avec le prix des denrées, et n’empêchant pas dès lors les prêteurs plus que les autres créanciers de faire état des variations de ce pouvoir d’achat

Ainsi, par cet arrêt, non seulement la Cour de cassation reconnaît admet qu’une clause d’indexation puisse être stipulé dans un contrat de prêt en raison du caractère non impératif de l’article 1895 du Code civil, mais encore elle pose un principe général de validité des clauses d’indexation.

Elle abandonne ainsi la distinction entre les clauses stipulées dans le but de prévenir des fluctuations monétaires et celles stipulées aux fins de garantir l’équilibre économique des prestations.

Désormais, toutes les clauses d’indexation sont réputées valables, peu importe la finalité recherchée par les parties.

Dans un arrêt du 4 décembre 1962, la Cour de cassation a, par suite, appliqué la solution retenue dans l’arrêt Guyot aux clauses valeur or.

Après avoir rappelé « qu’aucune clause d’indexation n’est interdite par l’article 1895, texte non impératif », la Première chambre civile affirme que « la stipulation faisant dépendre le nombre de francs à rembourser du cours des Pièces d’or union latine n’était pas illicite, la liberté des transactions sur ces pièces et la reconnaissance officielle des variations corrélatives de leur valeur en francs, impliquant nécessairement la possibilité pour les particuliers de subordonner le montant d’un payement a ces variations » (Cass. 1ère civ. 4 déc. 1962).

Puis dans un arrêt du 10 mai 1966, la Haute juridiction reconnaît, pour la première fois, la validité des clauses valeur-monnaie étrangère, soit celles qui utilisent la monnaie, non pas comme une monnaie de paiement, mais comme une monnaie de compte, peu importe qu’elles soient stipulées dans un contrat qui ne présente aucun caractère international (Cass. 1ère civ. 10 mai 1966).

Pour justifier sa position, la Cour de cassation a indiqué, dans plusieurs arrêts, que la fixation d’une créance en monnaie étrangère devait s’analyser en « une indexation déguisée » (Cass. 1ère civ. 11 oct. 1989, n°87-16.341).

Or dans la mesure où les clauses d’indexation sont valides, il doit en être de même pour les clauses de valeur-monnaie étrangère.

Aujourd’hui, l’article 1343, al. 2e du Code civil, issu l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du régime des obligations, prévoit expressément que « le montant de la somme due peut varier par le jeu de l’indexation ».

Une lecture rapide de cette disposition suggère que le législateur a entendu reconnaître les clauses d’indexation. L’apparence est toutefois trompeuse.

À l’analyse, il y a lieu de comprendre ce texte comme posant moins un principe de validité des clauses d’indexation que comme une atténuation à la règle du nominalisme monétaire.

La liberté de stipuler des clauses d’indexation est, en effet, enfermée dans des conditions strictes énoncées aux articles L. 112-1 et suivants du Code monétaire et financière. Ces dispositions sont issues des ordonnances n° 58-1374 du 30 décembre 1958 et n° 59-246 du 4 février 1959.

a. Le régime des clauses d’indexation

a.1 Principe

L’article L. 112-2 du Code monétaire et financier prévoit que « dans les dispositions statutaires ou conventionnelles, est interdite toute clause prévoyant des indexations fondées sur le salaire minimum de croissance, sur le niveau général des prix ou des salaires ou sur les prix des biens, produits ou services ».

Ainsi, cette disposition prohibe le recours par les parties à des indices généraux. Lors de l’instauration de cette prohibition, le principal objectif recherché par le législateur n’était autre que la lutte contre l’inflation.

Concrètement, il est donc fait interdiction aux parties d’indexer les obligations stipulées au contrat sur :

  • D’une part, le SMIC
    • Dans un arrêt du 18 mars 1992, la Cour de cassation a, par exemple, censuré une décision rendue par un Conseil de prud’hommes qui avait validé la clause stipulée dans un contrat de travail qui « prévoyait une rémunération brute horaire égale au SMIC augmenté de 7 %» ( soc. 18 mars 1992, n°88-43.434).
    • Pour la Chambre sociale, la prohibition des « clauses prévoyant des indexations fondées sur le SMIC le salaire minimum interprofessionnel de croissance» interdisait à l’employeur de « consentir par avance une révision automatique du salaire basée sur le SMIC ».
  • D’autre part, le niveau général des prix
    • La Cour de cassation a ainsi jugé dans un arrêt du 27 mars 1990 qu’était nulle la clause stipulée dans un contrat de location-gérance d’un fonds de commerce prévoyant que la redevance serait indexée sur l’indice des prix à la consommation des ménages urbains ( com. 27 mars 1990, n°88-15.092)
  • Enfin, le niveau général des salaires
    • Dans un arrêt du 3 novembre 1988, la Cour de cassation a, par exemple, jugé qu’était « atteinte d’une nullité absolue » la clause stipulée dans un contrat de fourniture de marchandises prévoyant l’indexation du prix de vente « sur l’indice général des taux de salaires horaires des ouvriers toutes activités série France entière» ( com. 3 nov. 1988, n°87-10.043).

a.2 Tempéraments

i. L’indexation libre

La prohibition du recours par les parties à des indices généraux n’est pas absolue. Elle souffre d’exceptions prévues par la loi.

L’article L. 112-2, al. 3e du CMF prévoit notamment que l’indexation est libre pour les opérations intéressant les dettes d’aliments.

Par rente d’aliments il faut entendre, précise le texte « les rentes viagères constituées entre particuliers, notamment en exécution des dispositions de l’article 759 du code civil ».

L’indexation peut encore être librement stipulée pour les prestations compensatoires qui prennent la forme de rentes (art. 276-1 C. civ.)

L’article L. 112-3 du CMF autorise, par ailleurs, l’indexation de certaines conventions sur le niveau général des prix :

  • Les livrets A définis à l’article L. 221-1 ;
  • Les comptes sur livret d’épargne populaire définis à l’article L. 221-13 ;
  • Les livrets de développement durable et solidaire définis à l’article L. 221-27 ;
  • Les comptes d’épargne-logement définis à l’article L. 315-1 du code de la construction et de l’habitation ;
  • Les livrets d’épargne-entreprise définis à l’article 1er de la loi n° 84-578 du 9 juillet 1984 sur le développement de l’initiative économique ;
  • Les livrets d’épargne institués au profit des travailleurs manuels définis à l’article 80 de la loi de finances pour 1977 (n° 76-1232 du 29 décembre 1976) ;
  • Les prêts accordés aux personnes morales ainsi qu’aux personnes physiques pour les besoins de leur activité professionnelle ;
  • Les loyers prévus par les conventions portant sur un local d’habitation ou sur un local affecté à des activités commerciales ou artisanales relevant du décret prévu au premier alinéa de l’article L. 112-2 ;
  • Les loyers prévus par les conventions portant sur un local à usage des activités prévues au deuxième alinéa de l’article L. 112-2 ;
  • Les rémunérations des cocontractants de l’Etat et de ses établissements publics ainsi que les rémunérations des cocontractants des collectivités territoriales, de leurs établissements publics et de leurs groupements, au titre des contrats de concession et de marché de partenariat conclus dans le domaine des infrastructures et des services de transport.

L’article D. 112-1 précise que l’indexation sur le niveau général des prix autorisée pour les produits et services visés à l’article L. 112-3 est mise en œuvre en utilisant l’indice des prix à la consommation pour l’ensemble des ménages, hors tabac, publié mensuellement par l’Institut national de la statistique et des études économiques.

Enfin, l’article L. 112-3-1 du CPC prévoit que « l’indexation des titres de créance et des contrats financiers mentionnés respectivement au 2 du II et au III de l’article L. 211-1 est libre. »

ii. L’indexation encadrée

S’il est fait interdiction pour les parties à un contrat de recourir à des indices généraux aux fins d’indexer leurs créances, l’article L. 112-2 du CMF les autorise à se référer à des indices spéciaux.

Ce texte prévoit, en effet, que l’indexation est permise lorsque l’indice stipulé au contrat entretient une relation directe :

  • Soit avec l’objet de la convention
  • Soit avec l’activité de l’une des parties

?. L’indexation en relation directe avec l’objet de la convention

La clause d’indexation est donc valable, à la condition que l’indice choisi par les parties soit en relation directe avec l’objet de la convention.

La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par « l’objet de la convention ».

Deux approches sont possibles :

  • Une approche restrictive
    • Cette approche consiste à appréhender la notion « d’objet de la convention» au regard du droit commun des contrats.
    • Si l’on emprunte cette voie, l’objet de la convention désigne la prestation à propos de laquelle l’accord des parties est intervenu et autour de laquelle s’ordonne l’économie du contrat
  • Une approche extensive
    • Cette approche consiste à s’émanciper du droit commun des contrats pour inclure dans l’objet de la convention la finalité recherchée par les parties.
    • L’objet de la convention ne se limiterait donc pas seulement à l’objet de l’obligation des parties, il embrasserait également le but poursuivi par elles.

Entre ces deux approches, la jurisprudence a opté pour la seconde. Dans un arrêt du 9 janvier 1974, la Cour de cassation a, en effet, jugé à propos de la stipulation d’une clause d’indexation dans un contrat de prêt que « l’objet de la convention, au sens de l’article 79 de l’ordonnance du 30 décembre 1958 modifie par l’article 14 de l’ordonnance du 4 février 1959, doit s’entendre dans son acception la plus large et que notamment l’objet d’un prêt peut être de permettre à l’acquéreur de construire ou d’acheter un immeuble » (Cass. 1ère civ. 9 janv. 1974, n°72-13.846).

En l’espèce, pour déterminer s’il existait un lien direct entre l’indice choisi par les parties et l’objet du prêt la haute juridiction examine la finalité du contrat de prêt qui avait été conclu aux fins de financier l’acquisition d’un bien immobilier.

Elle en déduit que la clause indexant la dette d’emprunt sur l’indice du coût de la construction était parfaitement valable.

?. L’indexation en relation directe avec l’activité de l’une des parties

La clause d’indexation est également valable lorsque l’indice retenu par les parties est en relation directe avec l’activité de l’une d’elles.

Comme pour la notion d’objet de la convention, la jurisprudence s’est livrée à une interprétation extensive de la notion d’activité de l’une des parties.

Elle a, en effet, admis que l’activité en cause ne devait pas nécessairement être celle exercée à titre principal (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 7 mars 1984, n°83-11.094).

Dans un arrêt du 6 juin 1984, la Cour de cassation a précisé que le changement d’activité de l’une des parties au cours du contrat était indifférent dans la mesure où « la validité d’une clause d’indexation doit être appréciée au moment de la conclusion du contrat et ne peut être affectée par le changement d’activité du débiteur survenu ultérieurement » (Cass. 1ère civ. 6 juin 1984, n°83-12.301).

?. Le caractère direct de la relation entre l’indice choisi et l’objet de la convention ou l’activité de l’une des parties

==> Appréciation de l’existence d’une relation directe

L’appréciation du caractère direct de la relation entre l’indice choisi et l’objet de la convention ou l’activité de l’une des parties relève du pouvoir souverain des juges du fond.

Dans un arrêt du 4 mars 1964, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « l’appréciation du rapport existant entre la nature de l’indice et l’objet du contrat, étant fonction de la part plus ou moins importante pour laquelle le produit ou service envisage est susceptible d’entrer dans la réalisation de cet objet, est une question de fait qui échappe au contrôle de la cour de cassation » (Cass. com. 4 mars 1964).

À l’analyse, les juridictions font plutôt montre d’une grande indulgence en la matière. La Cour de cassation a, par exemple, jugé dans un arrêt du 31 janvier 1984 qu’il existait une relation suffisamment directe entre le prêt consenti à un restaurateur et le prix des bouteilles d’eau de la marque « Perrier » sur lequel le financement était indexé (Cass. com. 31 janv. 1984, n°82-16.533).

Il a encore été jugé que cette relation directe existait entre le prix de vente du fonds de commerce d’un garagiste et le salaire de l’ouvrier qualifié dans l’échelon le plus élevé qui avait été utilisé comme indice de valorisation du fonds (Cass. 3e civ. 15 févr. 1972, n°70-13.280).

La Troisième chambre civile a décidé, dans le même sens, qu’était valide l’indexation du prix de vente d’une exploitation agricole sur le cours du lait (Cass. 3e civ. 4 juin 1971, n°69-14.047).

Il ressort de ces décisions que la jurisprudence reconnaît l’existence d’une relation directe dans des cas où l’indexation repose sur des éléments qui ne représentent que très partiellement l’activité.

Malgré, la souplesse de la jurisprudence quant à l’appréciation de cette relation directe entre l’indice choisi et l’activité exercée par l’une des parties ou l’objet de la convention, les parties ne sont pas à l’abri de voir annuler la clause d’indexation stipulée au contrat.

Dans un arrêt du 22 octobre 1970, la Cour de cassation a, par exemple, jugé illicite l’indexation de la valeur d’un immeuble sur le cours de la pièce d’or Napoléon (Cass. 3e civ. 22 oct. 1970, n°69-11.470).

Elle a également cassé, dans un arrêt du 16 février 1993, la décision d’une Cour d’appel qui avait déclaré licite la clause prévoyant l’indexation de la redevance due par un locataire-gérant sur l’indice national du coût de la construction.

La Chambre commerciale considère que, au cas particulier, il n’y avait pas de relation directe entre l’indice choisi et l’activité exercé par l’une des parties, dans la mesure où le contrat de location-gérance d’un fonds de commerce est relatif à un bien meuble incorporel et non à un immeuble bâti. Or l’indice du coût de la construction intéresse précisément les immeubles bâtis (Cass. com. 16 févr. 1993, n°91-13.277).

==> Présomptions de relation directe

Afin de prévenir les difficultés d’appréciation de la validité des clauses d’indexation, le législateur a posé des présomptions de relation directe jouant dans trois cas précis :

  • Présomption de relation directe entre l’indice du coût de la construction et une convention relative à un immeuble bâti
    • Issu de la loi n° 70-600 du 9 juillet 1970 modifiant l’article 79 de l’ordonnance n° 58-1374 du 30 décembre 1958, relatif aux indexations, l’article L. 112-2 du Code monétaire et financier prévoit que « est réputée en relation directe avec l’objet d’une convention relative à un immeuble bâti toute clause prévoyant une indexation sur la variation de l’indice national du coût de la construction publié par l’Institut national des statistiques et des études économiques»
  • Présomption de relation directe entre l’indice trimestriel des loyers commerciaux et certaines activités commerciales ou artisanales
    • Issu de la loi n°2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie, l’article L. 112-2 du Code monétaire et financier prévoit que « est réputée en relation directe […] toute clause prévoyant une indexation […] pour des activités commerciales ou artisanales définies par décret, sur la variation de l’indice trimestriel des loyers commerciaux publié dans des conditions fixées par ce même décret par l’Institut national de la statistique et des études économiques.»
  • Présomption de relation directe entre l’indice trimestriel des loyers des activités tertiaires et les conventions relatives à un immeuble conclues pour une activité autre que commerciale ou artisanale
    • Issu de la loi n°2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit, l’article L. 112-2, al. 2e du Code monétaire et financier prévoit que « est également réputée en relation directe avec l’objet d’une convention relative à un immeuble toute clause prévoyant, pour les activités autres que celles visées au premier alinéa ainsi que pour les activités exercées par les professions libérales, une indexation sur la variation de l’indice trimestriel des loyers des activités tertiaires publié par l’Institut national de la statistique et des études économiques dans des conditions fixées par décret. »

iii. L’indexation interdite

Outre la prohibition générale de l’indexation automatique des prix de biens ou de services posée par l’article L. 112-1 du Code monétaire et financier, cette même disposition prévoit des interdictions spécifiques en matière de contrats à exécution successive et de baux d’habitation.

L’alinéa 2e de ce texte prévoit ainsi que « est réputée non écrite toute clause d’un contrat à exécution successive, et notamment des baux et locations de toute nature, prévoyant la prise en compte d’une période de variation de l’indice supérieure à la durée s’écoulant entre chaque révision. »

L’alinéa 3e de l’article L. 112-1 du CMF prévoit encore que « est interdite toute clause d’une convention portant sur un local d’habitation prévoyant une indexation fondée sur l’indice ” loyers et charges ” servant à la détermination des indices généraux des prix de détail. »

Le texte poursuit en énonçant qu’« il en est de même de toute clause prévoyant une indexation fondée sur le taux des majorations légales fixées en application de la loi n° 48-1360 du 1er septembre 1948, à moins que le montant initial n’ait lui-même été fixé conformément aux dispositions de ladite loi et des textes pris pour son application. »

b. Sanction

La mise en œuvre d’une clause d’indexation est susceptible de se heurter à deux difficultés :

  • Sont irrégularité au regard du cadre contraignant posé par le législateur
  • La disparition de l’indice au cours du contrat

i. L’irrégularité de l’indice choisi par les parties

==> La nature de la nullité

Il est admis que l’irrégularité d’une clause d’indexation soit sanctionnée par la nullité absolue (Cass. com. 3 nov. 1988, n°87-10.043). La raison en est que cette irrégularité porterait atteinte à l’ordre public monétaire.

D’aucuns soutiennent toutefois que, en raison de l’admission par le législateur des clauses d’indexation, les règles encadrant leur stipulation viseraient moins à défendre l’ordre public de direction, qu’à protéger les débiteurs contre les dangers représentés par l’indexation d’une dette.

Aussi, pour une frange de la doctrine « l’indexation devrait être frappée de nullité simplement relative »[3].

Pour l’heure, la Cour de cassation n’a adopté aucune décision en ce sens.

==> L’étendue de la nullité

S’agissant de l’étendue de la nullité, la question s’est posée de savoir si elle affectait seulement la clause jugée irrégulière ou si elle anéantissait l’acte dans son entier.

Avant la réforme des obligations, le Code civil ne comportait aucune disposition de portée générale régissant l’étendue de la nullité.

Tout au plus, on a pu voir dans la combinaison des articles 900 et 1172 une distinction à opérer s’agissant de l’étendue de la nullité entre les actes à titre gratuit et les actes à titre onéreux.

  • Les actes à titre gratuit
    • L’article 900 du Code civil prévoit que « dans toute disposition entre vifs ou testamentaire, les conditions impossibles, celles qui sont contraires aux lois ou aux mœurs, seront réputées non écrites»
    • Pour les actes à titre gratuit, la nullité pourrait donc n’être que partielle en cas d’illicéité d’une clause
  • Les actes à titre onéreux
    • L’ancien article 1172 prévoyait que « toute condition d’une chose impossible, ou contraire aux bonnes mœurs, ou prohibée par la loi est nulle, et rend nulle la convention qui en dépend»
    • Sur le fondement de cette disposition les auteurs estimaient que, pour les actes à titre onéreux, l’illicéité d’une stipulation contractuelle entachait l’acte dans son ensemble de sorte que la nullité ne pouvait être totale.

Manifestement, la jurisprudence a très largement dépassé ce clivage.

Les tribunaux ont préféré s’appuyer sur le critère du caractère déterminant de la clause dans l’esprit des parties. Ella a notamment retenu cette approche pour les clauses d’indexation (Cass. 3e civ. 24 juin 1971, n°70-11.730).

Aussi, la détermination de l’étendue de la nullité supposait-elle de distinguer deux situations :

  • Lorsque la clause présente un caractère « impulsif et déterminant», soit est essentielle, son illicéité affecte l’acte dans son entier
    • La nullité est donc totale
  • Lorsque la clause illicite ne présente aucun caractère « impulsif et déterminant», soit est accessoire, elle est seulement réputée non-écrite
    • La nullité est donc partielle

Jugeant le Code civil « lacunaire » sur ce point, à l’occasion de la réforme des obligations, le législateur a consacré la théorie de la nullité partielle, reprenant le critère subjectif institué par la jurisprudence.

Aux termes de l’article 1184, al. 1er du Code civil, « lorsque la cause de nullité n’affecte qu’une ou plusieurs clauses du contrat, elle n’emporte nullité de l’acte tout entier que si cette ou ces clauses ont constitué un élément déterminant de l’engagement des parties ou de l’une d’elles. »

Il ressort de cette disposition que quand bien même un acte est affecté par une cause de nullité, il peut être sauvé.

Le juge dispose, en effet, de la faculté de ne prononcer qu’une nullité partielle de l’acte.

Cela suppose toutefois que deux conditions soient remplies :

  • L’illicéité affecte une ou plusieurs clauses de l’acte
  • La stipulation desdites clauses ne doit pas avoir été déterminante de l’engagement des parties

Si ces deux conditions sont remplies, les clauses affectées par la cause de nullité seront réputées non-écrites

L’application de cette règle à la clause d’indexation signifie que si elle a été déterminante du consentement des parties, alors le contrat doit être annulé dans son intégralité.

 Dans le cas contraire, la clause d’indexation doit seulement être réputée non écrite. Aussi, appartient-il aux juges de rechercher l’intention des parties.

Dans un arrêt du 14 janvier 2016, la Cour de cassation a ainsi approuvé une Cour d’appel qui pour prononcer la nullité d’une clause d’indexation avait relevé « le caractère essentiel de l’exclusion d’un ajustement à la baisse du loyer à la soumission du loyer à l’indexation » (Cass. 3e civ. 14 janv. 2016, n°14-24.681).

Dans un arrêt du 29 novembre 2018, la Troisième chambre civile a toutefois cherché à moduler cette sanction en censurant une Cour d’appel qui avait réputé non écrite la clause d’indexation dans son entier. Or elle estime que seule la stipulation qui crée la distorsion prohibée doit être réputée non écrite (Cass. 3e civ. 29 nov. 2018, n°17-23.058).

Cette limite vise à contenir les conséquences financières de l’annulation de l’intégralité d’une clause d’indexation. Il s’agit, en effet, d’éviter que le créancier ait à restituer l’intégralité des sommes indûment perçues résultant de l’indexation.

Dans le droit fil de cette jurisprudence, la question s’est posée de savoir si plutôt que d’annuler la clause d’indexation, même partiellement, le juge ne pouvait pas procéder à une substitution de l’indice irrégulier.

Dans un arrêt du 14 octobre 1975, la Cour de cassation a rejeté cette thèse en affirmant que le juge ne pouvait pas « se substituer aux parties pour remplacer une clause d’indexation, déclarée nulle par la loi, par une clause nouvelle se référant à un indice diffèrent » (Cass. 3e civ. 14 oct. 1975, n°74-12.880).

Elle a toutefois tempéré son approche en admettant, dans un arrêt du 22 juin 1987, que le juge puisse substituer à l’indice annulé un indice admis par la loi, dès lors que cette substitution se déduit de la commune intention des parties (Cass. 3e civ. 22 juill. 1987, n°84-10.548).

Cette position adoptée par la Cour de cassation ne paraît pas avoir été remise en cause par l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du régime des obligations.

Le nouvel article 1167 introduit dans le code civil par ce texte prévoit, en effet, que « lorsque le prix ou tout autre élément du contrat doit être déterminé par référence à un indice qui n’existe pas ou a cessé d’exister ou d’être accessible, celui-ci est remplacé par l’indice qui s’en rapproche le plus. »

Certes ce texte n’envisage la réfaction du contrat qu’en cas de disparition ou d’inapplication de l’indice. La doctrine considère toutefois que la règle peut être étendue au cas de nullité de l’indice irrégulier.

==> L’action en nullité

S’agissant des titulaires de l’action en nullité, l’article 1180 du Code civil prévoit que « la nullité absolue peut être demandée par toute personne justifiant d’un intérêt, ainsi que par le ministère public. »

Quant au délai de prescription de l’action, il y a lieu de distinguer selon que la nullité est soulevée par voie d’action ou par voie d’exception :

Lorsque la nullité est invoquée par voie d’action, l’article 2224 du Code civil dispose que « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans ».

Lorsque, en revanche, la nullité est soulevée par voie d’action, le délai de prescription est très différent de celui imparti à celui qui agit par voie d’action.

Aux termes de l’article 1185 du Code civil « l’exception de nullité ne se prescrit pas si elle se rapporte à un contrat qui n’a reçu aucune exécution. »

Il ressort de cette disposition que l’exception de nullité est perpétuelle.

ii. La disparition de l’indice choisi par les parties

L’article 1167 du Code civil prévoit « lorsque le prix ou tout autre élément du contrat doit être déterminé par référence à un indice qui n’existe pas ou a cessé d’exister ou d’être accessible, celui-ci est remplacé par l’indice qui s’en rapproche le plus. »

Lorsqu’ainsi l’indice choisi par les parties est inapplicable, le juge est investi du pouvoir de le remplacer par un autre indice. Ce pouvoir avait déjà été reconnu au juge sous l’empire du droit antérieur (V. en ce sens Cass. 3e civ. 12 janv. 2005, n°03-17.260)

Il a également été admis que le juge puisse se faire assister par un expert afin de déterminer les évolutions probables de l’indice qui a cessé d’exister (Cass. com. 25 févr. 1963).

En cas d’impossibilité de déterminer l’évolution de l’indice qui a cessé d’exister ou de le substituer par un nouvel indice, l’issue retenue par le juge devrait, en toute logique, être la caducité du contrat (V. en ce sens Cass. com., 30 juin 1980, n° 79-10.632).

B) Les dettes de valeur

Autre correctif au principe du nominalisme monétaire institué par le législateur : le mécanisme de la dette de valeur.

La dette de valeur s’oppose radicalement à la dette de monnaie en ce que son montant est fixé, non pas à la date de création de l’obligation, mais au jour de son paiement.

En présence d’une dette de monnaie, le débiteur doit verser au créancier à la date d’exigibilité de l’obligation, le montant nominal de la dette stipulé au contrat.

Tel n’est pas le cas en présence d’une dette de valeur. Le montant dû par le débiteur correspond à une valeur non chiffrée qui est susceptible de subir des variations jusqu’à la date d’échéance et qui ne sera convertie en valeur monétaire qu’au jour du paiement.

Le mécanisme de la dette de valeur a été consacré par le législateur à l’occasion de la réforme du régime général des obligations opéré par l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016.

Le nouvel article 1343, al. 3e du Code civil prévoit que « le débiteur d’une dette de valeur se libère par le versement de la somme d’argent résultant de sa liquidation. »

Nombreuses sont les domaines dans lesquels la dette de valeur trouve application :

  • Les restitutions
    • L’article 1352 du Code civil prévoit que « la restitution d’une chose autre que d’une somme d’argent a lieu en nature ou, lorsque cela est impossible, en valeur, estimée au jour de la restitution.»
    • Lorsqu’ainsi un débiteur doit restituer un bien en valeur, faute de pouvoir le restituer en nature, le montant de la dette correspondra à la valeur du bien dont l’estimation sera faite à la date du jugement ordonnant la restitution
  • Les dettes de réparations
    • Il est admis de longue date que les dommages et intérêts alloués à la victime d’un dommage sont évalués, non pas à la date de réalisation de ce dommage, mais au jour du jugement (V. en ce sens req. 24 mars 1942).
    • Dans un arrêt du 11 janvier 1979, la Cour de cassation a, par exemple, affirmé que « si le droit, pour la victime d’un accident, d’obtenir la réparation du préjudice subi existe dès que le dommage a été cause, l’évaluation de ce dommage doit être faite par le juge au moment où il rend sa décision» ( 2e civ. 11 janv. 1979, n°77-12.937).
    • Dans un arrêt du 13 novembre 2003, elle a encore jugé que « le préjudice économique subi par l’ayant droit d’une victime du fait du décès de celle-ci doit être évalué au jour de la décision qui le fixe en tenant compte de tous les éléments connus à cette date» ( 2e civ. 13 nov. 2003, n°02-16.733).
  • Les récompenses
    • Le mécanisme de la dette de valeur se retrouve également en droit des régimes matrimoniaux s’agissant du calcul des récompenses.
    • L’article 1469, al. 1er du Code civil prévoit que « la récompense est, en général, égale à la plus faible des deux sommes que représentent la dépense faite et le profit subsistant. »
    • Il est ainsi des cas où le montant de la récompense dû à un époux correspondra au profit subsistant, soit à l’enrichissement dont a bénéficié le patrimoine débiteur de la récompense à raison de la dépense faite par le patrimoine créancier.
  • L’accession
    • En cas de construction d’un immeuble sur le terrain d’autrui, l’article 555, al. 3e du Code civil prévoit que lorsque le propriétaire du fonds opte pour la conservation de l’ouvrage, « il doit, à son choix, rembourser au tiers, soit une somme égale à celle dont le fonds a augmenté de valeur, soit le coût des matériaux et le prix de la main-d’œuvre estimés à la date du remboursement, compte tenu de l’état dans lequel se trouvent lesdites constructions, plantations et ouvrages.»
  • L’indivision
    • L’article 815-13 du Code civil prévoit que « lorsqu’un indivisaire a amélioré à ses frais l’état d’un bien indivis, il doit lui en être tenu compte selon l’équité, eu égard à ce dont la valeur du bien se trouve augmentée au temps du partage ou de l’aliénation. Il doit lui être pareillement tenu compte des dépenses nécessaires qu’il a faites de ses deniers personnels pour la conservation desdits biens, encore qu’elles ne les aient point améliorés. »

La question qui se pose au regard de ces différentes applications de la technique de la dette de valeur est de savoir si les parties à un contrat pourraient y recourir en dehors des cas prévus par la loi et la jurisprudence.

Dans un arrêt du 5 juillet 2005, la Cour de cassation a rappelé que « le principe du nominalisme monétaire n’est pas d’ordre public » (Cass. com. 5 juill. 2005, n°02-10.233).

Aussi, cela signifie-t-il qu’il peut y être dérogé par convention contraire, raison pour laquelle il y a lieu de penser que la stipulation d’une dette de valeur doit être admise.

§2: Les dettes productives d’intérêts

==> Vue générale

L’une des particularités des dettes de somme d’argent est qu’elles sont susceptibles de produire des intérêts.

Par intérêt il faut entendre le revenu produit par un capital prêté, placé ou dû à raison d’une convention ou d’une condamnation.

Au fond, l’intérêt correspond à ce que l’on désigne plus couramment sous la formule de « loyer de l’argent » ou encore de « prix du temps ».

De façon plus imagée, Jean Carbonnier disait de l’intérêt qu’il est « l’enfant naturel de la monnaie »[4]. On pourrait alors filer la métaphore en précisant que la monnaie donne en réalité naissance à des jumeaux ; car l’intérêt est tantôt créditeur, tantôt débiteur.

Technique, l’intérêt se calcule en appliquant un pourcentage (le taux d’intérêt) à une somme d’argent (le capital) sur une période donnée.

Classiquement on distingue l’intérêt légal de l’intérêt conventionnel :

  • L’intérêt légal
    • Lorsqu’il est légal, l’intérêt a vocation à s’appliquer dans un certain nombre de situations prévues par la loi ou la jurisprudence.
    • Ce taux de référence est principalement utilisé dans les procédures civiles ou commerciales.
    • L’article 1231 du Code civil énonce en ce sens que « les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d’une obligation de somme d’argent consistent dans l’intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure».
    • L’article 1231-7 dispose encore que « en toute matière, la condamnation à une indemnité emporte intérêts au taux légal même en l’absence de demande ou de disposition spéciale du jugement.».
    • Initialement, le taux d’intérêt légal était établi par le législateur lui-même.
    • Par une loi du 3 septembre 1807 il avait, par exemple, été porté à 5%.
    • Afin d’apporter un peu plus de souplesse à ce système qui, en période de forte inflation monétaire, ne permettait pas de rémunérer suffisamment les créanciers, la loi n° 89-421 du 23 juin 1989 relative à l’information et à la protection des consommateurs a prévu que le taux d’intérêt légal serait dorénavant fixé par décret « en fonction de la moyenne arithmétique des douze dernières moyennes mensuelles des taux de rendement actuariel des adjudications de bons du Trésor à taux fixe à treize semaines».
    • Le calcul, fondé sur le taux de financement de l’État à treize semaines conduisit toutefois à une baisse très forte de son niveau dans un contexte où les taux sans risque de court terme étaient pratiquement nuls.
    • Parce qu’il était particulièrement bas, le taux légal n’était nullement dissuasif pour les débiteurs contre lesquels courraient des intérêts moratoires. Aussi, Le législateur est-il intervenu une nouvelle fois dans le dessein de le rendre plus représentatif du coût de refinancement de celui à qui l’argent est dû et de l’évolution de la situation économique.
    • L’ordonnance n° 2014-947 du 20 août 2014 relative au taux de l’intérêt légal a institué, dans cette perspective, une distinction entre deux taux légaux fondée sur le coût de refinancement.
    • L’article 313-2 du Code monétaire et financier prévoit désormais que le taux légal « comprend un taux applicable lorsque le créancier est une personne physique n’agissant pas pour des besoins professionnels et un taux applicable dans tous les autres cas. ».
    • Dans les deux cas, il est calculé semestriellement, en fonction du taux directeur de la Banque centrale européenne sur les opérations principales de refinancement et des taux pratiqués par les établissements de crédit et les sociétés de financement.
    • Toutefois, pour les particuliers, les taux pratiqués par les établissements de crédit et les sociétés de financement pris en compte pour le calcul du taux applicable sont les taux effectifs moyens de crédits consentis aux particuliers.
  • L’intérêt conventionnel
    • Le taux d’intérêt conventionnel est celui qui est prévu par les parties dans la convention de crédit.
    • Ces dernières sont certes libres de convenir le taux qui leur sied. Toutefois leur liberté demeure enfermée dans une double limite.
      • D’une part, conformément à l’article 1907 du Code civil, la rémunération du prêteur ne peut pas excéder le taux d’usure, lequel ne saurait céder sous l’effet du principe d’autonomie de la volonté. Dès lors que des intérêts sont stipulés en violation de la règle de prohibition de l’usure, le prêteur s’expose notamment à une réduction de son droit aux intérêts au taux légal[5].
      • D’autre part, il ressort des articles L. 314-5 du Code de la consommation et L. 313-4 du Code monétaire et financier que toutes les fois qu’un crédit est consenti par un professionnel la convention qui constate l’opération doit mentionner ce que l’on appelle le taux effectif global.

Cette distinction entre l’intérêt légal et l’intérêt conventionnel puise son origine dans l’article 1907 du Code civil applicable aux prêts d’argent qui prévoit que « l’intérêt est légal ou conventionnel. »

À l’occasion de la réforme du régime général des obligations opérée par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, le législateur a élevé cette distinction au rang de summa divisio des obligations de somme d’argent portant intérêts.

Ces obligations sont désormais abordées aux articles 1343-1 et 1343-2 du Code civil qui, comme relevé par des auteurs « esquissent un droit commun des intérêts de somme d’argent »[6].

Car en effet, le domaine des intérêts est bien plus vaste que les règles énoncées par ces dispositions qui se limitent à poser les principes généraux qui président :

  • D’une part, aux paiements des dettes portant intérêts
  • D’autre part, à la stipulation d’intérêts
  • Enfin, à l’anatocisme

I) Le paiement des dettes portant intérêts

A) Libération du débiteur

L’article 1343-1 du Code civil prévoit que « lorsque l’obligation de somme d’argent porte intérêt, le débiteur se libère en versant le principal et les intérêts. »

Il ressort de cette disposition que lorsque d’une dette est productive d’intérêts, son extinction est subordonnée au paiement :

  • D’une part, du capital
  • D’autre part, des intérêts

Il s’agit là de deux éléments indissociables qui participent d’une même obligation. Aussi, le paiement du seul capital ne suffit pas à éteindre la dette.

Tant que les intérêts, accessoires de la dette, ne sont pas réglés, le débiteur n’est pas libéré de son obligation.

Ainsi, la dette d’intérêt ne saurait être regardée comme étant distincte de la dette de capital : capital et intérêts forment une seule et même dette.

À ce titre, elle est soumise, à l’instar de n’importe quelle autre dette, au principe d’indivisibilité du paiement. Or pour mémoire, en application de ce principe qui s’infère de l’article 1342-4, al. 1er du Code civil, le paiement doit nécessairement porter sur tout ce qui est dû, faute de quoi le créancier est fondé à le refuser.

B) Imputation du paiement

==> Principe

L’article 1343-1, al. 1er prévoit que si l’obligation de somme d’argent porte intérêt « le paiement partiel s’impute d’abord sur les intérêts. »

À l’analyse, il s’agit là d’une reprise de la règle énoncée par l’ancien article 1254 du Code civil qui disposait que « le paiement fait sur le capital et intérêts, mais qui n’est point intégral, s’impute d’abord sur les intérêts. »

Ainsi, en présence du paiement partiel d’une dette unique, celui-ci s’impute :

  • D’abord sur les intérêts
  • Ensuite sur le capital

L’objectif recherché ici est de protéger le créancier. Tant qu’il n’a pas été intégralement payé, sa dette doit continuer à produire des intérêts.

Or la base de calcul de ces intérêts n’est autre que le capital de la dette. Aussi, imputer le paiement prioritairement sur le capital reviendrait à affecter le rendement de la dette, alors même que le créancier n’a pas été totalement satisfait.

Pour cette raison, le législateur a estimé que, en cas de paiement partiel, celui-ci devait s’imputer d’abord sur les intérêts.

Dans un arrêt du 7 février 1995, la Cour de cassation a précisé que « au même titre que les intérêts visés par l’article 1254 du Code civil, les frais de recouvrement d’une créance constituent des accessoires de la dette ; que le débiteur ne peut, sans le consentement du créancier, imputer les paiements qu’il fait sur le capital par préférence à ces accessoires » (Cass. 1ère civ. 7 févr. 1995, n°92-14.216).

Ainsi, la règle prévoyant d’imputer prioritairement le paiement sur les intérêts de la dette est étendue aux frais de recouvrement et plus généralement à l’ensemble des accessoires de la dette.

==> Tempéraments

Le principe posé à l’article 1343-1 du Code civil n’est pas absolu ; il est assorti d’un certain nombre de tempéraments :

  • Premier tempérament
    • L’article 1343-1 est une disposition supplétive de volonté, ce qui signifie que les parties peuvent y déroger.
    • Aussi, sont-elles libres de prévoir que le paiement s’imputera prioritairement sur le capital.
    • À cet égard, contrairement à l’hypothèse où le débiteur est tenu de plusieurs dettes, il ne pourra pas imposer un ordre d’imputation au créancier.
    • Dans un arrêt du 20 octobre 1992 la Cour de cassation a jugé en ce sens :
      • D’une part, que « le débiteur d’une dette qui porte intérêt ne peut, sans le consentement du créancier, imputer le paiement qu’il a fait sur le capital par préférence aux intérêts»
      • D’autre part, que « le consentement des créanciers peut seul permettre l’imputation des paiements sur le capital par préférence aux intérêts» ( com. 20 oct. 1992, n°90-13.072)
    • Ainsi, l’imputation du paiement ne pourra se faire prioritairement sur le capital de la dette que si le créancier y consent.
  • Deuxième tempérament
    • Dans un arrêt du 11 juin 1996, la Cour de cassation a précisé que « l’imputation légalement faite du paiement effectué par le débiteur principal est opposable à la caution» ( com., 11 juin 1996, n° 94-15.097).
    • Il en résulte que l’imputation prioritaire des paiements effectués par le débiteur principal sur les intérêts générés par l’obligation garantie s’impose à la caution.
    • L’article 2302 du Code civil apporte une dérogation à ce principe en disposant que « dans les rapports entre le créancier et la caution, les paiements effectués par le débiteur pendant cette période sont imputés prioritairement sur le principal de la dette. »
    • Pratiquement cela signifie que le créancier sera déchu de l’intégralité des intérêts échus tant que le défaut d’information subsistera dans la mesure où les paiements du débiteur principal ne s’imputeront d’abord sur le capital restant dû.
    • Cette sanction est de nature à inciter le créancier à régulariser au plus vite sa situation, faute de quoi le règlement de ses intérêts ne sera pas garanti.
  • Troisième tempérament
    • L’article 1343-5 du Code civil prévoit que, dans le cadre d’une demande de délai de grâce qui lui est adressée par un débiteur justifiant d’une situation financière obérée, le juge peut ordonner notamment « que les paiements s’imputeront d’abord sur le capital.»
  • Quatrième tempérament
    • L’article L. 733-1, 2° du Code de la consommation dispose que, dans le cadre d’une procédure de surendettement, la Commission de surendettement peut, à la demande du débiteur et après avoir mis les parties en mesure de fournir leurs observations, décider que les paiements s’imputeront « d’abord sur le capital»

II) La stipulation d’intérêts

L’article 1343-1 du Code civil prévoit que « l’intérêt est accordé par la loi ou stipulé dans le contrat ».

Il ressort de cette disposition que la création d’obligations portant intérêt n’est pas le monopole du législateur. Les parties à contrats sont également autorisées à stipuler des intérêts.

Si cette faculté ne leur a pas toujours été reconnue, elle n’est pas non plus sans être rigoureusement encadrée.

A) De la prohibition à l’admission de la stipulation d’intérêts

La stipulation d’intérêts qui se rencontre essentiellement dans les prêts d’argent, était autrefois prohibée par le droit canonique.

Pour justifier cette interdiction, Saint Thomas d’Aquin soutenait qu’il serait contraire à la loi de Dieu d’exiger un intérêt de l’emprunteur en contrepartie du prêt d’une chose, alors même que cette chose a vocation à être restituée au prêteur en nature ou par équivalent, ce qui, en toute hypothèse, est constitutif d’une opération à somme nulle.

Une dérogation existait néanmoins pour les juifs et les Lombards. Une ordonnance royale prise en 1360 leur conféra le privilège de consentir des prêts d’argent moyennant rémunération. Les chrétiens, quant à eux, demeuraient tenus d’observer les prescriptions du droit canonique.

 À partir du XVIe siècle, le bien-fondé de l’interdiction commence toutefois à être discuté, notamment sous l’impulsion Du Moulin puis de Turgot.

La critique portée par ces auteurs reposait, en substance, sur la revendication du droit à disposer de ses biens, d’où il s’infère la possibilité de faire produire des fruits à son argent.

Cette thèse a emporté, sans mal, la conviction du législateur révolutionnaire qui, dès 1789, a levé l’interdiction de la stipulation d’intérêts.

Puis, en 1804, les rédacteurs du Code civil ont consacré la liberté de stipuler des intérêts à l’article 1907 du Code civil, lequel admet que le contrat de prêt puisse être conclu à titre onéreux.

À l’occasion de la réforme du régime général des obligations, le législateur a entendu conférer une portée générale à la liberté de stipuler des intérêts en insérant dans le Code civil des dispositions (les articles 1343-1 et 1343-2) qui ont vocation à s’appliquer à toutes les obligations productives d’intérêts au-delà du contrat de prêt.

Cette liberté n’est toutefois pas sans limite : la stipulation d’intérêt requiert la satisfaction de plusieurs exigences.

B) L’encadrement de la stipulation d’intérêts

==> L’exigence d’une stipulation contractuelle

L’article 1343-1, al. 2e du Code civil prévoit que « l’intérêt est accordé par la loi ou stipulé dans le contrat ».

Il ressort de cette disposition que, pour produire intérêt, une obligation de somme d’argent doit avoir été :

  • Soit prévue par la loi
  • Soit stipulée dans un contrat

Aussi, en l’absence de texte ou de stipulation contractuelle, une obligation est réputée ne produire aucun intérêt.

==> L’exigence générale d’un écrit

L’article 1343-1, al. 2e poursuit en prévoyant que « le taux de l’intérêt conventionnel doit être fixé par écrit ».

Cette disposition ne fait manifestement que reprendre l’exigence énoncée à l’article 1907 du Code civil qui prévoit, en matière de prêt d’argent que « le taux de l’intérêt conventionnel doit être fixé par écrit ».

De toute évidence, il s’agit là d’une disposition extrêmement protectrice des intérêts du débiteur[7]. Est-ce à dire que, en cas d’inobservation de cette exigence le créancier est totalement déchu de son droit aux intérêts ?

À l’analyse, à l’instar de l’article 1907 du Code civil, l’article 1343-1, al. 2e exige l’établissement d’un écrit s’agissant de la mention, non pas de l’intérêt, mais du taux de l’intérêt, soit sa mesure.

En matière de prêt d’argent, la question s’est rapidement posée de savoir s’il s’agissait d’une règle de preuve ou d’une règle de fond.

Par un arrêt du 24 juin 1981, la Cour de cassation a opté pour la seconde solution en jugeant que « l’exigence d’un écrit mentionnant le taux de l’intérêt conventionnel est une condition de validité de la stipulation d’intérêt » (Cass. 1ère civ. 24 juin 1981, n°80-12.773).

En cas d’absence d’écrit, la sanction est donc la nullité de la prévision des parties, ce qui revient, en pratique, à priver de son intérêt la présomption simple posée à l’article 1905 du Code civil.

En effet, tandis que cette disposition autorise le prêteur à rétablir son droit aux intérêts conventionnels s’il rapporte la preuve de la stipulation, l’article 1907 écarte, dans le même temps, cette possibilité en prévoyant que la mention du taux est exigée ad validitatem.

La stipulation d’intérêts ne se concevant pas en dehors de l’établissement d’un taux, la règle de fond posée à l’article 1907 prime nécessairement sur la règle de preuve édictée à l’article 1905.

La primauté de l’exigence d’un écrit à peine de nullité est d’autant plus forte que depuis la loi n°66-1010 du 28 décembre 1966 relative à l’usure, aux prêts d’argent et à certaines opérations de démarchage et de publicité, il est une règle d’ordre public édictée désormais à l’article L. 314-5 du Code de la consommation aux termes de laquelle le taux effectif global doit être « mentionné dans tout écrit constatant un contrat de prêt ».

==> L’exigence de mention de la périodicité de l’intérêt

L’article 1343-1, al. 2e du Code civil prévoit que le taux d’intérêt « est réputé annuel par défaut ».

Cette précision est une nouveauté introduite par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du régime général des obligations puisqu’elle ne se retrouve pas à l’article 1907 du Code civil.

Aussi, en l’absence de stipulation contraire, le calcul des intérêts se fait sur une période d’un an.

De l’avis de la doctrine, cette règle est supplétive de volonté, ce qui implique que les parties peuvent y déroger et donc prévoir une périodicité plus courte ou plus longue.

==> L’exigence spécifique de mention du taux effectif global

Introduite par la loi n°66-1010 du 28 décembre 1966 relative à l’usure, aux prêts d’argent et à certaines opérations de démarchage et de publicité, la notion de taux effectif global (TEG) est au cœur du dispositif de protection de l’emprunteur en matière de crédit.

Le législateur est parti du constat que le seul taux débiteur pratiqué par le prêteur ne permettait pas de rendre compte du coût exact du crédit, ne serait-ce que parce que d’autres frais se greffent à l’opération tels que l’assurance emprunteur, la rémunération des intermédiaires ou encore les frais de dossier.

L’appréciation du caractère usuraire de la rémunération du prêteur s’en trouve alors faussée. D’où la nécessité de mettre en place un outil qui permette de mesurer avec exactitude le coût réel de l’opération supporté par l’emprunteur. Parce qu’il intègre dans son calcul tous les frais payés par l’emprunteur, le taux effectif global répond à ce besoin.

Dans un premier temps, l’utilisation de cet outil a été circonscrite au domaine de la répression de l’usure. L’article 1er de la loi 28 décembre 1966 prévoit que l’usure doit être appréciée au regard du taux effectif global dont mention doit obligatoirement être faite dans tout acte constatant une opération de crédit. L’objectif poursuivi par ce texte était ainsi la protection du consommateur, lequel doit pouvoir déterminer la licéité du taux qui lui est appliqué.

Dans un second temps, il a été recouru à la notion de taux effectif global, sous l’impulsion du législateur européen, afin de stimuler la concurrence entre les établissements bancaires. Constatant qu’il existait de grandes disparités entre les législations des différents États membres dans le domaine du crédit à la consommation et que ces disparités étaient susceptibles de créer des distorsions de concurrence entre les prêteurs dans le marché commun, les instances communautaires ont en tiré la conclusion qu’il était nécessaire de faciliter la comparaison des offres de crédits.

Pour ce faire, cela suppose notamment que les emprunteurs reçoivent des informations adéquates sur les conditions et le coût du crédit. Parmi ces informations, le taux effectif global occupe une place centrale dans le dispositif mis en place par le législateur européen. La directive 87/102/CEE du Conseil du 22 décembre 1986 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de crédit à la consommation a ainsi créé l’obligation pour les établissements bancaires de mentionner, et dans leurs publicités, et dans les contrats de crédits proposés aux consommateurs, le taux effectif global.

Une fois cette exigence de communication par écrit à l’emprunteur du taux effectif global posée, la problématique relative au coût du crédit n’était pas pour autant définitivement résolue. Restait, en effet, à déterminer comment calculer le taux effectif global.

S’il est aisé de se représenter à quoi correspond le taux effectif global, plus délicate est la question de sa détermination.

Parce qu’il est supposé refléter le coût réel du crédit, les juges se montrent particulièrement exigeants à l’égard du banquier. La difficulté à laquelle celui-ci est confronté tient à l’obligation qui lui est faite de communiquer à l’emprunteur un taux effectif global exact à une décimale près.

Contrairement à ce que l’on pourrait être intuitivement tenté de penser, l’obtention de ce résultat est loin de consister en l’accomplissement d’une simple formalité pour le banquier, notamment lorsque le crédit présente de nombreuses particularités.

Tout d’abord, il lui appartient de n’omettre aucuns frais dans l’assiette de calcul, ce qui n’est pas sans soulever des difficultés liées à l’opportunité d’inclure ou d’exclure certains éléments.

Ensuite, le banquier doit veiller à communiquer à l’emprunteur toutes les informations nécessaires au calcul du taux effectif global, notamment le taux de période lorsque le crédit est consenti à un professionnel.

Enfin, il peut être observé que le calcul du taux effectif global consiste à résoudre une équation dont le résultat n’est jamais un nombre fini, à tout le moins l’hypothèse est rare.

Aussi, le taux effectif global est-il la plupart du temps le résultat d’un arrondi, alors même que le législateur ne tolère qu’une erreur à une décimale près.

Pour toutes ces raisons, la détermination du taux effectif global se révèle être un exercice extrêmement périlleux pour le banquier.

Celui-ci est d’autant plus tenu de faire preuve de vigilance que les actions en responsabilité se sont multipliées ces dernières années. La détermination du taux effectif global a donné lieu à un contentieux fourni qui s’articule autour de deux reproches.

Le premier consiste pour les plaideurs à contester le calcul, en tant que tel, du taux effectif global, soit parce qu’un élément aurait été omis dans son assiette, soit parce que le banquier n’aurait pas appliqué la bonne méthode de calcul, à tout le moins pas correctement.

Le second reproche qui est adressé au banquier tient à la communication du taux effectif global qui figure sur le contrat de prêt. Le grief se focalise ici, tant sur l’inexactitude du taux annoncé, que sur l’exhaustivité des informations communiquées à l’emprunteur.

L’absence de mention écrite du TEG/TAEG sur le contrat prêt, tel qu’exigé par l’article L. 314-5 du Code de la consommation quelle que soit la nature du crédit, est sanctionnée pénalement.

L’article L. 341-9 du même Code prévoit, en effet, une peine d’amende de 150.000 euros, étant précisé que, antérieurement à la loi Hamon du 17 mars 2014, elle n’était que de 4.500 euros.

L’augmentation du montant de cette amende témoigne de la volonté du législateur de sanctionner lourdement l’inexécution de l’obligation de communication du TEG/TAEG.

Quant à la sanction civile, l’article L. 341-48-1 du Code de la consommation prévoit que « en cas de défaut de mention ou de mention erronée du taux effectif global prévue à l’article L. 314-5, le prêteur peut être déchu du droit aux intérêts dans la proportion fixée par le juge, au regard notamment du préjudice pour l’emprunteur. »

Lorsque le prêteur est déchu du droit aux intérêts dans les conditions prévues à l’alinéa précédent, l’emprunteur n’est tenu qu’au seul remboursement du capital suivant l’échéancier prévu ainsi que, le cas échéant, au paiement des intérêts dont le prêteur n’a pas été déchu.

Les sommes perçues au titre des intérêts, qui sont productives d’intérêts au taux de l’intérêt légal à compter du jour de leur versement, sont restituées par le prêteur ou imputées sur le capital restant dû.

III) L’anatocisme

Il n’est pas exclu que les intérêts produits par le capital de la dette produisent eux-mêmes des intérêts. C’est ce que l’on appelle l’anatocisme. Ce terme est issu du grec ana- (« encore une fois ») et tokos (« revenu »).

Dans un arrêt du 20 janvier 1998 a parfaitement décrit le mécanisme de l’anatocisme en observant que « lorsque le créancier et le débiteur sont convenus […] que les intérêts à échoir se capitaliseront à la fin de chaque année pour produire eux-mêmes des intérêts, ils constituent non plus des intérêts mais un nouveau capital qui s’ajoute au premier » (Cass. com. 20 janv. 1998, n°95-14.101).

Ce mécanisme, qui donc consiste à capitaliser les intérêts échus, a toujours été regardé avec une certaine méfiance ; car il est de nature à accélérer l’alourdissement du poids de la dette et ce, sans que le débiteur en prenne nécessairement conscience.

Bien que les rédacteurs du Code civil aient hésité à interdire l’anatocisme[8], le législateur s’est finalement résolu à l’autoriser.

Dans un premier temps, l’anatocisme a été régi par l’article 1154 du Code civil qui prévoyait que « les intérêts échus des capitaux peuvent produire des intérêts, ou par une demande judiciaire, ou par une convention spéciale, pourvu que, soit dans la demande, soit dans la convention, il s’agisse d’intérêts dus au moins pour une année entière. »

Cette disposition relevait d’une section du Code civil consacrée aux « dommages et intérêts résultant de l’inexécution de l’obligation ».

Est-ce à dire qu’il fallait limiter le domaine de l’anatocisme aux intérêts échus, comme le suggère d’ailleurs expressément le texte. Autrement dit, fallait-il comprendre que seuls les intérêts qui faisaient l’objet d’un retard de paiement pouvaient être capitalisés ?

Aussi, serait-il fait interdiction aux parties d’établir une convention qui stipulerait une capitalisation annuelle des intérêts à échoir.

Comme relevé par les auteurs[9], la Cour de cassation a très tôt écarté cette thèse, bien que l’article 1154 du Code civil vise « les intérêts échus ».

La Haute juridiction a affirmé que le texte n’interdisait nullement la stipulation d’une clause d’anatocisme pour les intérêts à échoir. Selon elle, l’article 1154 énonçait seulement la règle selon laquelle seuls les intérêts échus peuvent faire l’objet d’une capitalisation (V. en ce sens Cass. civ. 15 févr. 1965).

Cette interprétation, pour le moins extensive de l’article 1154 du Code civil, a été validée par le législateur à l’occasion de l’adoption de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

Dans un second temps, le législateur a, en effet, entendu conférer une portée générale à la règle autorisant l’anatocisme puisque désormais énoncée à l’article 1343-2 du Code civil qui relève du droit commun du paiement des obligations de sommes d’argent.

Ce nouveau texte prévoit que « les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produisent intérêt si le contrat l’a prévu ou si une décision de justice le précise. »

Il s’agit là assurément d’une modernisation de l’ancien article 1154 du Code civil ; les anciennes conditions de l’anatocisme étant reprises.

Pour être valable, plusieurs conditions doivent, en effet, être réunies :

  • Exigence tenant à la source de l’anatocisme
    • L’article 1343-2 du Code civil prévoit que l’anatocisme ne peut jouer que si le contrat l’a prévu ou si une décision de justice le précise
      • L’anatocisme prévu par le contrat
        • Principe
          • L’anatocisme ne peut donc jouer que si une clause du contrat le prévoit.
          • À défaut, les intérêts de la dette ne pourront pas être capitalisés.
          • À cet égard, les parties pourront prévoir une capitalisation des intérêts, tant pour les intérêts échus, soit ceux qui font l’objet d’un retard de paiement, que pour les intérêts à échoir, pourvu que cette capitalisation soit annuelle
        • Exception
          • La jurisprudence considère que la stipulation d’une clause d’anatocisme est prohibée en matière de crédit consenti à un consommateur.
          • Dans un arrêt du 20 avril 2022 elle a par exemple affirmé que l’article L. 313-52 du Code de la consommation selon lequel aucune indemnité ni aucun coût autres que ceux qui sont mentionnés à l’article L. 313-51 ne peuvent être mis à la charge de l’emprunteur dans les cas de défaillance prévus par les dispositions de cet article « fait obstacle à l’application de la capitalisation des intérêts prévue par l’ancien article 1154 du Code civil ( 1ère civ. 20 avr. 2002, n°20-23.617).
      • L’anatocisme ordonné par une décision de justice
        • Alors que l’ancien article 1154 du Code civil prévoyait que l’anatocisme pouvait résulter d’« une demande judiciaire», le nouvel article 1343-2 prévoit qu’il peut jouer « si une décision de justice le précise ».
        • Cette modification du texte suggère qu’il n’est désormais plus nécessaire de formuler une demande en justice pour obtenir, faute de stipulation au contrat d’une clause d’anatocisme, la capitation des intérêts produits par une obligation.
        • Sous l’empire du droit antérieur, la Cour de cassation avait refusé de reconnaître au juge le pouvoir de prononcer, de sa propre initiative, la capitalisation des intérêts ( 1ère civ. 4 avr. 82-16.683)
        • Cette faculté semble désormais lui être reconnue.
  • Exigence tenant à l’annualité de l’anatocisme
    • L’article 1343-2 du Code civil prévoit que pour être capitalisés, les intérêts échus doivent être « dus au moins pour une année entière».
    • Ainsi, l’anatocisme ne peut jouer que sur la base d’une périodicité annuelle.
    • Limitation vise à empêcher un alourdissement excessif du poids de la dette.
    • Il s’agit là d’une règle d’ordre public, de sorte que les parties ne peuvent pas y déroger par convention contraire.

§3: Les modalités du paiement d’une obligation de somme d’argent

A) La monnaie du paiement

L’article 1343-3, al. 1er du Code civil prévoit que « le paiement, en France, d’une obligation de somme d’argent s’effectue en euros. »

Il s’agit là d’une règle d’ordre public qui donc s’impose, tant au débiteur, qu’au créancier d’une obligation.

Cette règle n’est toutefois pas absolue ; elle ne s’applique que pour les opérations réalisées « en France ».

Pour les opérations qui présentent un caractère international, le paiement en devises étrangères est admis.

B) Les modes de paiement

Si les parties sont libres de choisir le mode de paiement qui leur sied, le législateur a posé certaines restrictions pour le paiement en espèces.

L’article L. 112-6 du Code monétaire et financier prévoit en ce sens que « ne peut être effectué en espèces ou au moyen de monnaie électronique le paiement d’une dette supérieure à un montant fixé par décret, tenant compte du lieu du domicile fiscal du débiteur, de la finalité professionnelle ou non de l’opération et de la personne au profit de laquelle le paiement est effectué. »

Il ressort de cette disposition que le paiement en espèces est interdit au-delà d’un certain montant qui dépend notamment du domicile fiscal du débiteur et de s’il agit ou non pour les besoins de son activité professionnelle :

  • Le débiteur a son domicile fiscal en France ou agi pour les besoins de son activité professionnelle
    • L’article D. 112-3, I, 1° du Code monétaire et financier prévoit que, lorsque le débiteur a son domicile fiscal sur le territoire de la République française ou agit pour les besoins d’une activité professionnelle, il lui ait fait interdiction :
      • de payer en espèce une somme d’argent supérieure à 1.000 euros
      • de payer au moyen de monnaie électronique une somme d’argent supérieure à 3.000 euros
  • Le débiteur a son domicile fiscal en France ou n’agit pas pour les besoins de son activité professionnelle
    • Il convient de distinguer ici selon que le paiement est ou non réalisé au profit de l’une des personnes mentionnées à l’article L. 561-2 du Code monétaire et financier au nombre desquelles figurent notamment les établissements de crédit, les établissements de paiement, les entreprises d’assurance, les institutions de prévoyance, les mutuelles, les intermédiaires en opérations de banque et services de paiement, les intermédiaires d’assurance etc.
      • Le paiement est réalisé au profit d’une personne mentionnée à l’article L. 561-2 du Code monétaire et financier
        • L’article D. 112-3, I, 3° du Code monétaire et financier prévoit qu’il est fait interdiction au débiteur de payer en espèces ou au moyen de monnaie électronique une somme d’argent supérieure à 15.000 euros
      • Le paiement n’est pas réalisé au profit d’une personne mentionnée à l’article L. 561-2 du Code monétaire et financier
        • L’article D. 112-3, I, 2° du Code monétaire et financier prévoit qu’il est fait interdiction au débiteur de payer en espèces ou au moyen de monnaie électronique une somme d’argent supérieure à 10.000 euros

C) Le lieu du paiement

L’article 1343-4 du Code civil prévoit que « à défaut d’une autre désignation par la loi, le contrat ou le juge, le lieu du paiement de l’obligation de somme d’argent est le domicile du créancier. »

Ainsi, pour les obligations monétaires, le paiement est non pas quérable, mais portable, ce qui signifie que c’est au débiteur de se rendre au domicile du créancier aux fins de lui « porter » son dû.

Il s’agit là d’une nouveauté introduite par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du régime général des obligations.

Le législateur justifie cette nouveauté en avançant « des raisons techniques, liées à la généralisation de la monnaie scripturale (chèque, virement, paiement par carte bancaire). »

[1] F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, éd. Dalloz, 2019, n°1458, p. 1534

[2] F. Grua, Paiement des obligations de sommes d’argent – Monnaie étrangère, Jcl. Notarial Répertoire, fasc. 40, n°37

[3] J. François, Les obligations – Régime général, éd. Economica, 2020, n°51, p. 52

[4] J. Carbonnier, Les biens, 19e éd., 2000, PUF, n°22.

[5] Article L. 341-48 C. conso

[6] G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°964, p. 867.

[7] F. PELTIER, « Le droit positif des taux d’intérêt conventionnels », Banque et droit, juill.-août 1991, p. 127.

[8] Le projet d’article 1154 (ancien) du Code civil prévoyait que « il n’est point dû d’intérêts d’intérêts ».

[9] V. notamment sur cette question F. terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Droit civil – Les obligations, éd. Dalloz, 2002, n°607, p. 590.

Les clauses d’indexation: régime

En période de stabilité monétaire, le principe du nominalisme monétaire ne soulève aucune difficulté d’application pour les parties.

La valeur de la monnaie étant constante, le montant de la somme d’argent due au créancier est toujours égal au montant de la dette qui doit être réglée par débiteur.

Lorsque, en revanche, la monnaie connaît des périodes de fluctuation, le principe du nominalisme monétaire est susceptible de contrevenir à l’équité.

Afin de surmonter cette difficulté le législateur a autorisé les parties à déroger contractuellement au principe du nominalisme monétaire qui n’est donc pas d’ordre public.

La pratique a alors développé deux techniques contractuelles permettant de protéger les parties contre le phénomène de fluctuation monétaire :

  • Les clauses monétaires
  • Les clauses d’indexation

Nous nous focaliserons sur les clauses d’indexation.

Une clause d’indexation, qualifiée également de clause d’échelle mobile, est celle qui fait varier le montant de la dette en fonction d’un indice extérieur au contrat.

La clause peut renvoyer, soit à un indice publié par un organisme public ou privé, soit au cours d’une marchandise ou d’un service, pourvu qu’elle ne contrevienne pas au cours forcé.

À l’instar des clauses monétaires, pendant longtemps les clauses d’indexation ont été regardées avec méfiance par la jurisprudence, les juridictions voyant en elles un facteur d’inflation.

En effet, la clause d’indexation ne fait certes pas varier le montant de la somme due par le débiteur en fonction du cours d’une devise étrangère. Toutefois, en stipulant une telle clause les parties cherchent indirectement à se prémunir des fluctuations monétaires susceptibles d’affecter la valeur de l’obligation souscrite.

Afin de limiter le recours aux clauses d’indexation la Cour de cassation a opéré une distinction entre :

  • D’un côté, les clauses qui avaient été stipulées dans le seul but d’échapper aux fluctuations monétaires.
  • D’un autre côté, les clauses qui avaient été stipulées aux fins de préserver l’équivalence économique des prestations.

Tandis que les premières étaient prohibées (Cass. 1ère civ. 3 nov. 1953), les secondes ont été reconnues valables (Cass. 1ère civ. 27 déc. 1954).

Dans ce contexte de fébrilité de la jurisprudence quant à la reconnaissance des clauses de d’indexation, la question de leur validité s’est posée spécifiquement pour les contrats de prêt.

Pour mémoire, l’article 1895 du Code civil prévoit que « s’il y a eu augmentation ou diminution d’espèces avant l’époque du paiement, le débiteur doit rendre la somme prêtée, et ne doit rendre que cette somme dans les espèces ayant cours au moment du paiement. »

Selon cette disposition, qui pose le principe du nominalisme monétaire en matière de prêt, le montant remboursé par l’emprunteur doit correspondre au montant nominal qui a été mis à sa disposition par le prêteur.

Est-ce à dire que, pour cette catégorie de contrat, toute clause visant à indexer le montant de la somme prêtée sur indice et donc à faire fluctuer le montant nominal de la somme devant être remboursée serait nulle ?

Se fondant sur le principe du nominalisme monétaire, certaines juridictions ont statué en ce sens.

La Cour de cassation a toutefois porté un coup d’arrêt à cette jurisprudence dans un arrêt Guyot rendu en date du 27 juin 1957 (Cass. 1ère civ. 27 juin 1957, n°57-01.212).

Aux termes de cette décision, la Première chambre civile affirma que :

  • En premier lieu, que l’article 1895 ne présente aucun caractère d’ordre public dans la mesure où :
    • D’une part, « il a seulement pour objet d’écarter, dans le silence de la convention, une révision judiciaire des conditions de remboursement du prêt d’argent, éventuellement demandée, en vertu de l’article 1892, pour changement de “qualité” de la monnaie. »
    • D’autre part, que « l’ordre public n’exige pas, dans le prêt d’argent, une protection des emprunteurs contre la libre acceptation du risque d’une majoration de la somme à rembourser, destinée à conserver à celle-ci le pouvoir d’achat de la somme prêtée apprécié par rapport au coût d’une denrée, dès lors qu’ils peuvent assumer des risques de même importance dans d’autres contrats»
    • Enfin « qu’on ne peut non plus prétendre que le caractère impératif de cet article serait justifié par des principes d’ordre monétaire, qui l’imposeraient en raison d’un danger que les clauses entraînant cette majoration présenteraient pour la stabilité de la monnaie, l’influence desdites clauses à cet égard apparaissant en l’état trop incertaine pour légitimer une nullité portant une atteinte grave à la sécurité de l’épargne et du crédit»
  • En second lieu, que les lois monétaires en vigueur n’impliquent pas l’invariabilité du pouvoir d’achat de la monnaie, lequel varie avec le prix des denrées, et n’empêchant pas dès lors les prêteurs plus que les autres créanciers de faire état des variations de ce pouvoir d’achat

Ainsi, par cet arrêt, non seulement la Cour de cassation reconnaît admet qu’une clause d’indexation puisse être stipulé dans un contrat de prêt en raison du caractère non impératif de l’article 1895 du Code civil, mais encore elle pose un principe général de validité des clauses d’indexation.

Elle abandonne ainsi la distinction entre les clauses stipulées dans le but de prévenir des fluctuations monétaires et celles stipulées aux fins de garantir l’équilibre économique des prestations.

Désormais, toutes les clauses d’indexation sont réputées valables, peu importe la finalité recherchée par les parties.

Dans un arrêt du 4 décembre 1962, la Cour de cassation a, par suite, appliqué la solution retenue dans l’arrêt Guyot aux clauses valeur or.

Après avoir rappelé « qu’aucune clause d’indexation n’est interdite par l’article 1895, texte non impératif », la Première chambre civile affirme que « la stipulation faisant dépendre le nombre de francs à rembourser du cours des Pièces d’or union latine n’était pas illicite, la liberté des transactions sur ces pièces et la reconnaissance officielle des variations corrélatives de leur valeur en francs, impliquant nécessairement la possibilité pour les particuliers de subordonner le montant d’un payement a ces variations » (Cass. 1ère civ. 4 déc. 1962).

Puis dans un arrêt du 10 mai 1966, la Haute juridiction reconnaît, pour la première fois, la validité des clauses valeur-monnaie étrangère, soit celles qui utilisent la monnaie, non pas comme une monnaie de paiement, mais comme une monnaie de compte, peu importe qu’elles soient stipulées dans un contrat qui ne présente aucun caractère international (Cass. 1ère civ. 10 mai 1966).

Pour justifier sa position, la Cour de cassation a indiqué, dans plusieurs arrêts, que la fixation d’une créance en monnaie étrangère devait s’analyser en « une indexation déguisée » (Cass. 1ère civ. 11 oct. 1989, n°87-16.341).

Or dans la mesure où les clauses d’indexation sont valides, il doit en être de même pour les clauses de valeur-monnaie étrangère.

Aujourd’hui, l’article 1343, al. 2e du Code civil, issu l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du régime des obligations, prévoit expressément que « le montant de la somme due peut varier par le jeu de l’indexation ».

Une lecture rapide de cette disposition suggère que le législateur a entendu reconnaître les clauses d’indexation. L’apparence est toutefois trompeuse.

À l’analyse, il y a lieu de comprendre ce texte comme posant moins un principe de validité des clauses d’indexation que comme une atténuation à la règle du nominalisme monétaire.

La liberté de stipuler des clauses d’indexation est, en effet, enfermée dans des conditions strictes énoncées aux articles L. 112-1 et suivants du Code monétaire et financière. Ces dispositions sont issues des ordonnances n° 58-1374 du 30 décembre 1958 et n° 59-246 du 4 février 1959.

I) Le régime des clauses d’indexation

A) Principe

L’article L. 112-2 du Code monétaire et financier prévoit que « dans les dispositions statutaires ou conventionnelles, est interdite toute clause prévoyant des indexations fondées sur le salaire minimum de croissance, sur le niveau général des prix ou des salaires ou sur les prix des biens, produits ou services ».

Ainsi, cette disposition prohibe le recours par les parties à des indices généraux. Lors de l’instauration de cette prohibition, le principal objectif recherché par le législateur n’était autre que la lutte contre l’inflation.

Concrètement, il est donc fait interdiction aux parties d’indexer les obligations stipulées au contrat sur :

  • D’une part, le SMIC
    • Dans un arrêt du 18 mars 1992, la Cour de cassation a, par exemple, censuré une décision rendue par un Conseil de prud’hommes qui avait validé la clause stipulée dans un contrat de travail qui « prévoyait une rémunération brute horaire égale au SMIC augmenté de 7 %» ( soc. 18 mars 1992, n°88-43.434).
    • Pour la Chambre sociale, la prohibition des « clauses prévoyant des indexations fondées sur le SMIC le salaire minimum interprofessionnel de croissance» interdisait à l’employeur de « consentir par avance une révision automatique du salaire basée sur le SMIC ».
  • D’autre part, le niveau général des prix
    • La Cour de cassation a ainsi jugé dans un arrêt du 27 mars 1990 qu’était nulle la clause stipulée dans un contrat de location-gérance d’un fonds de commerce prévoyant que la redevance serait indexée sur l’indice des prix à la consommation des ménages urbains ( com. 27 mars 1990, n°88-15.092)
  • Enfin, le niveau général des salaires
    • Dans un arrêt du 3 novembre 1988, la Cour de cassation a, par exemple, jugé qu’était « atteinte d’une nullité absolue » la clause stipulée dans un contrat de fourniture de marchandises prévoyant l’indexation du prix de vente « sur l’indice général des taux de salaires horaires des ouvriers toutes activités série France entière» ( com. 3 nov. 1988, n°87-10.043).

B) Tempéraments

1. L’indexation libre

La prohibition du recours par les parties à des indices généraux n’est pas absolue. Elle souffre d’exceptions prévues par la loi.

L’article L. 112-2, al. 3e du CMF prévoit notamment que l’indexation est libre pour les opérations intéressant les dettes d’aliments.

Par rente d’aliments il faut entendre, précise le texte « les rentes viagères constituées entre particuliers, notamment en exécution des dispositions de l’article 759 du code civil ».

L’indexation peut encore être librement stipulée pour les prestations compensatoires qui prennent la forme de rentes (art. 276-1 C. civ.)

L’article L. 112-3 du CMF autorise, par ailleurs, l’indexation de certaines conventions sur le niveau général des prix :

  • Les livrets A définis à l’article L. 221-1 ;
  • Les comptes sur livret d’épargne populaire définis à l’article L. 221-13 ;
  • Les livrets de développement durable et solidaire définis à l’article L. 221-27 ;
  • Les comptes d’épargne-logement définis à l’article L. 315-1 du code de la construction et de l’habitation ;
  • Les livrets d’épargne-entreprise définis à l’article 1er de la loi n° 84-578 du 9 juillet 1984 sur le développement de l’initiative économique ;
  • Les livrets d’épargne institués au profit des travailleurs manuels définis à l’article 80 de la loi de finances pour 1977 (n° 76-1232 du 29 décembre 1976) ;
  • Les prêts accordés aux personnes morales ainsi qu’aux personnes physiques pour les besoins de leur activité professionnelle;
  • Les loyers prévus par les conventions portant sur un local d’habitation ou sur un local affecté à des activités commerciales ou artisanales relevant du décret prévu au premier alinéa de l’article L. 112-2 ;
  • Les loyers prévus par les conventions portant sur un local à usage des activités prévues au deuxième alinéa de l’article L. 112-2 ;
  • Les rémunérations des cocontractants de l’Etat et de ses établissements publics ainsi que les rémunérations des cocontractants des collectivités territoriales, de leurs établissements publics et de leurs groupements, au titre des contrats de concession et de marché de partenariat conclus dans le domaine des infrastructures et des services de transport.

L’article D. 112-1 précise que l’indexation sur le niveau général des prix autorisée pour les produits et services visés à l’article L. 112-3 est mise en œuvre en utilisant l’indice des prix à la consommation pour l’ensemble des ménages, hors tabac, publié mensuellement par l’Institut national de la statistique et des études économiques.

Enfin, l’article L. 112-3-1 du CPC prévoit que « l’indexation des titres de créance et des contrats financiers mentionnés respectivement au 2 du II et au III de l’article L. 211-1 est libre. »

2. L’indexation encadrée

S’il est fait interdiction pour les parties à un contrat de recourir à des indices généraux aux fins d’indexer leurs créances, l’article L. 112-2 du CMF les autorise à se référer à des indices spéciaux.

Ce texte prévoit, en effet, que l’indexation est permise lorsque l’indice stipulé au contrat entretient une relation directe :

  • Soit avec l’objet de la convention
  • Soit avec l’activité de l’une des parties

a. L’indexation en relation directe avec l’objet de la convention

La clause d’indexation est donc valable, à la condition que l’indice choisi par les parties soit en relation directe avec l’objet de la convention.

La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par « l’objet de la convention ».

Deux approches sont possibles :

  • Une approche restrictive
    • Cette approche consiste à appréhender la notion « d’objet de la convention» au regard du droit commun des contrats.
    • Si l’on emprunte cette voie, l’objet de la convention désigne la prestation à propos de laquelle l’accord des parties est intervenu et autour de laquelle s’ordonne l’économie du contrat
  • Une approche extensive
    • Cette approche consiste à s’émanciper du droit commun des contrats pour inclure dans l’objet de la convention la finalité recherchée par les parties.
    • L’objet de la convention ne se limiterait donc pas seulement à l’objet de l’obligation des parties, il embrasserait également le but poursuivi par elles.

Entre ces deux approches, la jurisprudence a opté pour la seconde. Dans un arrêt du 9 janvier 1974, la Cour de cassation a, en effet, jugé à propos de la stipulation d’une clause d’indexation dans un contrat de prêt que « l’objet de la convention, au sens de l’article 79 de l’ordonnance du 30 décembre 1958 modifie par l’article 14 de l’ordonnance du 4 février 1959, doit s’entendre dans son acception la plus large et que notamment l’objet d’un prêt peut être de permettre à l’acquéreur de construire ou d’acheter un immeuble » (Cass. 1ère civ. 9 janv. 1974, n°72-13.846).

En l’espèce, pour déterminer s’il existait un lien direct entre l’indice choisi par les parties et l’objet du prêt la haute juridiction examine la finalité du contrat de prêt qui avait été conclu aux fins de financier l’acquisition d’un bien immobilier.

Elle en déduit que la clause indexant la dette d’emprunt sur l’indice du coût de la construction était parfaitement valable.

b. L’indexation en relation directe avec l’activité de l’une des parties

La clause d’indexation est également valable lorsque l’indice retenu par les parties est en relation directe avec l’activité de l’une d’elles.

Comme pour la notion d’objet de la convention, la jurisprudence s’est livrée à une interprétation extensive de la notion d’activité de l’une des parties.

Elle a, en effet, admis que l’activité en cause ne devait pas nécessairement être celle exercée à titre principal (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 7 mars 1984, n°83-11.094).

Dans un arrêt du 6 juin 1984, la Cour de cassation a précisé que le changement d’activité de l’une des parties au cours du contrat était indifférent dans la mesure où « la validité d’une clause d’indexation doit être appréciée au moment de la conclusion du contrat et ne peut être affectée par le changement d’activité du débiteur survenu ultérieurement » (Cass. 1ère civ. 6 juin 1984, n°83-12.301).

c. Le caractère direct de la relation entre l’indice choisi et l’objet de la convention ou l’activité de l’une des parties

==> Appréciation de l’existence d’une relation directe

L’appréciation du caractère direct de la relation entre l’indice choisi et l’objet de la convention ou l’activité de l’une des parties relève du pouvoir souverain des juges du fond.

Dans un arrêt du 4 mars 1964, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « l’appréciation du rapport existant entre la nature de l’indice et l’objet du contrat, étant fonction de la part plus ou moins importante pour laquelle le produit ou service envisage est susceptible d’entrer dans la réalisation de cet objet, est une question de fait qui échappe au contrôle de la cour de cassation » (Cass. com. 4 mars 1964).

À l’analyse, les juridictions font plutôt montre d’une grande indulgence en la matière. La Cour de cassation a, par exemple, jugé dans un arrêt du 31 janvier 1984 qu’il existait une relation suffisamment directe entre le prêt consenti à un restaurateur et le prix des bouteilles d’eau de la marque « Perrier » sur lequel le financement était indexé (Cass. com. 31 janv. 1984, n°82-16.533).

Il a encore été jugé que cette relation directe existait entre le prix de vente du fonds de commerce d’un garagiste et le salaire de l’ouvrier qualifié dans l’échelon le plus élevé qui avait été utilisé comme indice de valorisation du fonds (Cass. 3e civ. 15 févr. 1972, n°70-13.280).

La Troisième chambre civile a décidé, dans le même sens, qu’était valide l’indexation du prix de vente d’une exploitation agricole sur le cours du lait (Cass. 3e civ. 4 juin 1971, n°69-14.047).

Il ressort de ces décisions que la jurisprudence reconnaît l’existence d’une relation directe dans des cas où l’indexation repose sur des éléments qui ne représentent que très partiellement l’activité.

Malgré, la souplesse de la jurisprudence quant à l’appréciation de cette relation directe entre l’indice choisi et l’activité exercée par l’une des parties ou l’objet de la convention, les parties ne sont pas à l’abri de voir annuler la clause d’indexation stipulée au contrat.

Dans un arrêt du 22 octobre 1970, la Cour de cassation a, par exemple, jugé illicite l’indexation de la valeur d’un immeuble sur le cours de la pièce d’or Napoléon (Cass. 3e civ. 22 oct. 1970, n°69-11.470).

Elle a également cassé, dans un arrêt du 16 février 1993, la décision d’une Cour d’appel qui avait déclaré licite la clause prévoyant l’indexation de la redevance due par un locataire-gérant sur l’indice national du coût de la construction.

La Chambre commerciale considère que, au cas particulier, il n’y avait pas de relation directe entre l’indice choisi et l’activité exercé par l’une des parties, dans la mesure où le contrat de location-gérance d’un fonds de commerce est relatif à un bien meuble incorporel et non à un immeuble bâti. Or l’indice du coût de la construction intéresse précisément les immeubles bâtis (Cass. com. 16 févr. 1993, n°91-13.277).

==> Présomptions de relation directe

Afin de prévenir les difficultés d’appréciation de la validité des clauses d’indexation, le législateur a posé des présomptions de relation directe jouant dans trois cas précis :

  • Présomption de relation directe entre l’indice du coût de la construction et une convention relative à un immeuble bâti
    • Issu de la loi n° 70-600 du 9 juillet 1970 modifiant l’article 79 de l’ordonnance n° 58-1374 du 30 décembre 1958, relatif aux indexations, l’article L. 112-2 du Code monétaire et financier prévoit que « est réputée en relation directe avec l’objet d’une convention relative à un immeuble bâti toute clause prévoyant une indexation sur la variation de l’indice national du coût de la construction publié par l’Institut national des statistiques et des études économiques»
  • Présomption de relation directe entre l’indice trimestriel des loyers commerciaux et certaines activités commerciales ou artisanales
    • Issu de la loi n°2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie, l’article L. 112-2 du Code monétaire et financier prévoit que « est réputée en relation directe […] toute clause prévoyant une indexation […] pour des activités commerciales ou artisanales définies par décret, sur la variation de l’indice trimestriel des loyers commerciaux publié dans des conditions fixées par ce même décret par l’Institut national de la statistique et des études économiques.»
  • Présomption de relation directe entre l’indice trimestriel des loyers des activités tertiaires et les conventions relatives à un immeuble conclues pour une activité autre que commerciale ou artisanale
    • Issu de la loi n°2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit, l’article L. 112-2, al. 2e du Code monétaire et financier prévoit que « est également réputée en relation directe avec l’objet d’une convention relative à un immeuble toute clause prévoyant, pour les activités autres que celles visées au premier alinéa ainsi que pour les activités exercées par les professions libérales, une indexation sur la variation de l’indice trimestriel des loyers des activités tertiaires publié par l’Institut national de la statistique et des études économiques dans des conditions fixées par décret. »

3. L’indexation interdite

Outre la prohibition générale de l’indexation automatique des prix de biens ou de services posée par l’article L. 112-1 du Code monétaire et financier, cette même disposition prévoit des interdictions spécifiques en matière de contrats à exécution successive et de baux d’habitation.

L’alinéa 2e de ce texte prévoit ainsi que « est réputée non écrite toute clause d’un contrat à exécution successive, et notamment des baux et locations de toute nature, prévoyant la prise en compte d’une période de variation de l’indice supérieure à la durée s’écoulant entre chaque révision. »

L’alinéa 3e de l’article L. 112-1 du CMF prévoit encore que « est interdite toute clause d’une convention portant sur un local d’habitation prévoyant une indexation fondée sur l’indice ” loyers et charges ” servant à la détermination des indices généraux des prix de détail. »

Le texte poursuit en énonçant qu’« il en est de même de toute clause prévoyant une indexation fondée sur le taux des majorations légales fixées en application de la loi n° 48-1360 du 1er septembre 1948, à moins que le montant initial n’ait lui-même été fixé conformément aux dispositions de ladite loi et des textes pris pour son application. »

II) Sanction

La mise en œuvre d’une clause d’indexation est susceptible de se heurter à deux difficultés :

  • Sont irrégularité au regard du cadre contraignant posé par le législateur
  • La disparition de l’indice au cours du contrat

A) L’irrégularité de l’indice choisi par les parties

==> La nature de la nullité

Il est admis que l’irrégularité d’une clause d’indexation soit sanctionnée par la nullité absolue (Cass. com. 3 nov. 1988, n°87-10.043). La raison en est que cette irrégularité porterait atteinte à l’ordre public monétaire.

D’aucuns soutiennent toutefois que, en raison de l’admission par le législateur des clauses d’indexation, les règles encadrant leur stipulation viseraient moins à défendre l’ordre public de direction, qu’à protéger les débiteurs contre les dangers représentés par l’indexation d’une dette.

Aussi, pour une frange de la doctrine « l’indexation devrait être frappée de nullité simplement relative »[3].

Pour l’heure, la Cour de cassation n’a adopté aucune décision en ce sens.

==> L’étendue de la nullité

S’agissant de l’étendue de la nullité, la question s’est posée de savoir si elle affectait seulement la clause jugée irrégulière ou si elle anéantissait l’acte dans son entier.

Avant la réforme des obligations, le Code civil ne comportait aucune disposition de portée générale régissant l’étendue de la nullité.

Tout au plus, on a pu voir dans la combinaison des articles 900 et 1172 une distinction à opérer s’agissant de l’étendue de la nullité entre les actes à titre gratuit et les actes à titre onéreux.

  • Les actes à titre gratuit
    • L’article 900 du Code civil prévoit que « dans toute disposition entre vifs ou testamentaire, les conditions impossibles, celles qui sont contraires aux lois ou aux mœurs, seront réputées non écrites»
    • Pour les actes à titre gratuit, la nullité pourrait donc n’être que partielle en cas d’illicéité d’une clause
  • Les actes à titre onéreux
    • L’ancien article 1172 prévoyait que « toute condition d’une chose impossible, ou contraire aux bonnes mœurs, ou prohibée par la loi est nulle, et rend nulle la convention qui en dépend»
    • Sur le fondement de cette disposition les auteurs estimaient que, pour les actes à titre onéreux, l’illicéité d’une stipulation contractuelle entachait l’acte dans son ensemble de sorte que la nullité ne pouvait être totale.

Manifestement, la jurisprudence a très largement dépassé ce clivage.

Les tribunaux ont préféré s’appuyer sur le critère du caractère déterminant de la clause dans l’esprit des parties. Ella a notamment retenu cette approche pour les clauses d’indexation (Cass. 3e civ. 24 juin 1971, n°70-11.730).

Aussi, la détermination de l’étendue de la nullité supposait-elle de distinguer deux situations :

  • Lorsque la clause présente un caractère « impulsif et déterminant», soit est essentielle, son illicéité affecte l’acte dans son entier
    • La nullité est donc totale
  • Lorsque la clause illicite ne présente aucun caractère « impulsif et déterminant», soit est accessoire, elle est seulement réputée non-écrite
    • La nullité est donc partielle

Jugeant le Code civil « lacunaire » sur ce point, à l’occasion de la réforme des obligations, le législateur a consacré la théorie de la nullité partielle, reprenant le critère subjectif institué par la jurisprudence.

Aux termes de l’article 1184, al. 1er du Code civil, « lorsque la cause de nullité n’affecte qu’une ou plusieurs clauses du contrat, elle n’emporte nullité de l’acte tout entier que si cette ou ces clauses ont constitué un élément déterminant de l’engagement des parties ou de l’une d’elles. »

Il ressort de cette disposition que quand bien même un acte est affecté par une cause de nullité, il peut être sauvé.

Le juge dispose, en effet, de la faculté de ne prononcer qu’une nullité partielle de l’acte.

Cela suppose toutefois que deux conditions soient remplies :

  • L’illicéité affecte une ou plusieurs clauses de l’acte
  • La stipulation desdites clauses ne doit pas avoir été déterminante de l’engagement des parties

Si ces deux conditions sont remplies, les clauses affectées par la cause de nullité seront réputées non-écrites

L’application de cette règle à la clause d’indexation signifie que si elle a été déterminante du consentement des parties, alors le contrat doit être annulé dans son intégralité.

 Dans le cas contraire, la clause d’indexation doit seulement être réputée non écrite. Aussi, appartient-il aux juges de rechercher l’intention des parties.

Dans un arrêt du 14 janvier 2016, la Cour de cassation a ainsi approuvé une Cour d’appel qui pour prononcer la nullité d’une clause d’indexation avait relevé « le caractère essentiel de l’exclusion d’un ajustement à la baisse du loyer à la soumission du loyer à l’indexation » (Cass. 3e civ. 14 janv. 2016, n°14-24.681).

Dans un arrêt du 29 novembre 2018, la Troisième chambre civile a toutefois cherché à moduler cette sanction en censurant une Cour d’appel qui avait réputé non écrite la clause d’indexation dans son entier. Or elle estime que seule la stipulation qui crée la distorsion prohibée doit être réputée non écrite (Cass. 3e civ. 29 nov. 2018, n°17-23.058).

Cette limite vise à contenir les conséquences financières de l’annulation de l’intégralité d’une clause d’indexation. Il s’agit, en effet, d’éviter que le créancier ait à restituer l’intégralité des sommes indûment perçues résultant de l’indexation.

Dans le droit fil de cette jurisprudence, la question s’est posée de savoir si plutôt que d’annuler la clause d’indexation, même partiellement, le juge ne pouvait pas procéder à une substitution de l’indice irrégulier.

Dans un arrêt du 14 octobre 1975, la Cour de cassation a rejeté cette thèse en affirmant que le juge ne pouvait pas « se substituer aux parties pour remplacer une clause d’indexation, déclarée nulle par la loi, par une clause nouvelle se référant à un indice diffèrent » (Cass. 3e civ. 14 oct. 1975, n°74-12.880).

Elle a toutefois tempéré son approche en admettant, dans un arrêt du 22 juin 1987, que le juge puisse substituer à l’indice annulé un indice admis par la loi, dès lors que cette substitution se déduit de la commune intention des parties (Cass. 3e civ. 22 juill. 1987, n°84-10.548).

Cette position adoptée par la Cour de cassation ne paraît pas avoir été remise en cause par l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du régime des obligations.

Le nouvel article 1167 introduit dans le code civil par ce texte prévoit, en effet, que « lorsque le prix ou tout autre élément du contrat doit être déterminé par référence à un indice qui n’existe pas ou a cessé d’exister ou d’être accessible, celui-ci est remplacé par l’indice qui s’en rapproche le plus. »

Certes ce texte n’envisage la réfaction du contrat qu’en cas de disparition ou d’inapplication de l’indice. La doctrine considère toutefois que la règle peut être étendue au cas de nullité de l’indice irrégulier.

==> L’action en nullité

S’agissant des titulaires de l’action en nullité, l’article 1180 du Code civil prévoit que « la nullité absolue peut être demandée par toute personne justifiant d’un intérêt, ainsi que par le ministère public. »

Quant au délai de prescription de l’action, il y a lieu de distinguer selon que la nullité est soulevée par voie d’action ou par voie d’exception :

Lorsque la nullité est invoquée par voie d’action, l’article 2224 du Code civil dispose que « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans ».

Lorsque, en revanche, la nullité est soulevée par voie d’action, le délai de prescription est très différent de celui imparti à celui qui agit par voie d’action.

Aux termes de l’article 1185 du Code civil « l’exception de nullité ne se prescrit pas si elle se rapporte à un contrat qui n’a reçu aucune exécution. »

Il ressort de cette disposition que l’exception de nullité est perpétuelle.

B) La disparition de l’indice choisi par les parties

L’article 1167 du Code civil prévoit « lorsque le prix ou tout autre élément du contrat doit être déterminé par référence à un indice qui n’existe pas ou a cessé d’exister ou d’être accessible, celui-ci est remplacé par l’indice qui s’en rapproche le plus. »

Lorsqu’ainsi l’indice choisi par les parties est inapplicable, le juge est investi du pouvoir de le remplacer par un autre indice. Ce pouvoir avait déjà été reconnu au juge sous l’empire du droit antérieur (V. en ce sens Cass. 3e civ. 12 janv. 2005, n°03-17.260)

Il a également été admis que le juge puisse se faire assister par un expert afin de déterminer les évolutions probables de l’indice qui a cessé d’exister (Cass. com. 25 févr. 1963).

En cas d’impossibilité de déterminer l’évolution de l’indice qui a cessé d’exister ou de le substituer par un nouvel indice, l’issue retenue par le juge devrait, en toute logique, être la caducité du contrat (V. en ce sens Cass. com., 30 juin 1980, n° 79-10.632).

[1] F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, éd. Dalloz, 2019, n°1458, p. 1534

[2] F. Grua, Paiement des obligations de sommes d’argent – Monnaie étrangère, Jcl. Notarial Répertoire, fasc. 40, n°37

[3] J. François, Les obligations – Régime général, éd. Economica, 2020, n°51, p. 52

La charge de la preuve du paiement

La preuve du paiement présente un enjeu majeur, dans la mesure où, en cas de litige, elle détermine le sort de l’obligation dont le débiteur se prétend être déchargée.

Deux questions alors se posent : qui doit prouver ? comment prouver ?

Nous nous focaliserons ici sur la charge de la preuve du paiement.

==> Principe

Signe que la réforme du régime général des obligations entreprise par le législateur en 2016 n’est pas totalement aboutie, la charge de la preuve du paiement n’est pas abordée dans la partie du Code civil dédié au paiement.

Pour trouver la règle qui répond à la question de savoir à qui incombe la charge de la preuve du paiement, il y a lieu de se reporter à l’article 1353, al. 2e du Code civil qui relève d’un Titre consacré à la preuve des obligations. 

Cette disposition prévoit que « celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation. »

Il ressort de cette disposition que la preuve du paiement pèse sur le débiteur. Encore faut-il toutefois que le créancier ait préalablement rapporté la preuve de l’obligation dont il se prévaut.

En effet, les deux alinéas de l’article 1353 du Code civil fonctionnent ensemble ; en ce sens qu’ils organisent une réparation de la charge de la preuve. Aussi, ne saurait-on lire l’un sans l’autre ; leur application est nécessairement combinée :

  • Premier alinéa de l’article 1353 du Code civil
    • Cet alinéa pose que c’est d’abord à celui qui réclame l’exécution d’une obligation de la prouver
    • Autrement dit, il appartient au créancier de prouver l’existence de l’obligation dont il se prévaut et dont il revendique l’exécution
    • S’il n’y parvient pas, il succombera sans que le débiteur n’ait à rapporter la preuve du paiement.
  • Second alinéa de l’article 1353 du Code civil
    • Ce n’est que dans l’hypothèse où le créancier parvient à établir l’existence de son droit, qu’il incombera au débiteur de prouver qu’il s’est dûment libéré de son obligation.
    • Autrement dit, il devra rapporter la preuve du paiement, soit de l’exécution de la prestation due.

==> Exceptions

  • Le paiement d’une obligation de moyens
    • Pour mémoire, on dit que l’obligation est de moyens lorsque le débiteur s’engage à mobiliser toutes les ressources dont il dispose pour accomplir la prestation promise, sans garantie du résultat
      • Exemple : le médecin a l’obligation de soigner son patient, mais n’a nullement l’obligation de le guérir.
      • Dans cette configuration, le débiteur ne promet pas un résultat : il s’engage seulement à mettre en œuvre tous les moyens que mettrait en œuvre un bon père de famille pour atteindre le résultat
    • Pour que la responsabilité du débiteur puisse être recherchée, il doit être établi que celui-ci a commis une faute, soit que, en raison de sa négligence ou de son imprudence, il n’a pas mis en œuvre tous les moyens dont il disposait pour atteindre le résultat promis.
    • Il y a là une inversion de la charge de la preuve qui ne pèse donc, non pas sur le débiteur, mais sur le créancier.
  • L’exécution d’une obligation de ne pas faire
    • En présence d’une obligation de ne pas faire, l’application de l’article 1353, al. 2e du Code civil devrait conduire à imposer au débiteur d’établir qu’il s’est abstenu, ce qui revient à exiger de lui qu’il rapporte la preuve d’un fait négatif.
    • Parce que cette preuve est, par nature, difficile sinon impossible à rapporter, il est fréquent que la jurisprudence renverse la charge de la preuve en pareille circonstance.
    • Aussi, n’est pas au débiteur de prouver son abstention, mais au créancier de rapporter la preuve d’une action fautive (V. en ce sens com., 19 sept. 2006, n°05-16.406; Cass. com., 28 mars 2018, n° 17-10.600 ; Cass. soc. 25 mars 2009, n°07-41.894).
  • La stipulation d’une clause contraire
    • En application de l’article 1356 du Code civil, les parties sont libres d’aménager conventionnellement les règles de preuve et notamment la preuve du paiement.
  • Les présomptions légales
    • Il est des textes qui instituent, en certaines circonstances, des présomptions de paiement, ce qui a pour conséquence de renverser la charge de la preuve qui dès lors pèse, non plus sur le débiteur, mais sur le créancier.
    • On en abordera deux :
      • La remise au débiteur du titre constatant la créance
        • L’article 1342-9 du Code civil prévoit que « la remise volontaire par le créancier au débiteur de l’original sous signature privée ou de la copie exécutoire du titre de sa créance vaut présomption simple de libération. »
        • Cette disposition crée ainsi une présomption de paiement à la faveur du débiteur dans l’hypothèse où le créancier lui aurait remis le titre constatant l’obligation qui les lie.
        • En cas de litige, c’est donc au créancier qu’il reviendra de prouver qu’il n’a pas été payé par le débiteur.
      • La mention apposée sur le titre constatant la créance
        • L’article 1378-2 du Code civil prévoit que :
          • D’une part, « la mention d’un paiement ou d’une autre cause de libération portée par le créancier sur un titre original qui est toujours resté en sa possession vaut présomption simple de libération du débiteur. »
          • D’autre part, « il en est de même de la mention portée sur le double d’un titre ou d’une quittance, pourvu que ce double soit entre les mains du débiteur. »
        • Il ressort de cette disposition que dans l’hypothèse où une mention établissant la libération du débiteur figure, tantôt sur le titre constatant la créance détenue en original par le créancier, tantôt sur le double de ce titre détenu par le débiteur, la charge de la preuve du paiement est inversée.
        • La mention apposée sur le titre fait, en effet, présumer le paiement de sorte que c’est au créancier qu’il revient d’établir qu’il n’a pas été payé.

La preuve du paiement

La preuve du paiement présente un enjeu majeur, dans la mesure où, en cas de litige, elle détermine le sort de l’obligation dont le débiteur se prétend être déchargée.

Deux questions alors se posent : qui doit prouver ? comment prouver ?

A) La charge de la preuve du paiement

==> Principe

Signe que la réforme du régime général des obligations entreprise par le législateur en 2016 n’est pas totalement aboutie, la charge de la preuve du paiement n’est pas abordée dans la partie du Code civil dédié au paiement.

Pour trouver la règle qui répond à la question de savoir à qui incombe la charge de la preuve du paiement, il y a lieu de se reporter à l’article 1353, al. 2e du Code civil qui relève d’un Titre consacré à la preuve des obligations. 

Cette disposition prévoit que « celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation. »

Il ressort de cette disposition que la preuve du paiement pèse sur le débiteur. Encore faut-il toutefois que le créancier ait préalablement rapporté la preuve de l’obligation dont il se prévaut.

En effet, les deux alinéas de l’article 1353 du Code civil fonctionnent ensemble ; en ce sens qu’ils organisent une réparation de la charge de la preuve. Aussi, ne saurait-on lire l’un sans l’autre ; leur application est nécessairement combinée :

  • Premier alinéa de l’article 1353 du Code civil
    • Cet alinéa pose que c’est d’abord à celui qui réclame l’exécution d’une obligation de la prouver
    • Autrement dit, il appartient au créancier de prouver l’existence de l’obligation dont il se prévaut et dont il revendique l’exécution
    • S’il n’y parvient pas, il succombera sans que le débiteur n’ait à rapporter la preuve du paiement.
  • Second alinéa de l’article 1353 du Code civil
    • Ce n’est que dans l’hypothèse où le créancier parvient à établir l’existence de son droit, qu’il incombera au débiteur de prouver qu’il s’est dûment libéré de son obligation.
    • Autrement dit, il devra rapporter la preuve du paiement, soit de l’exécution de la prestation due.

==> Exceptions

  • Le paiement d’une obligation de moyens
    • Pour mémoire, on dit que l’obligation est de moyens lorsque le débiteur s’engage à mobiliser toutes les ressources dont il dispose pour accomplir la prestation promise, sans garantie du résultat
      • Exemple : le médecin a l’obligation de soigner son patient, mais n’a nullement l’obligation de le guérir.
      • Dans cette configuration, le débiteur ne promet pas un résultat : il s’engage seulement à mettre en œuvre tous les moyens que mettrait en œuvre un bon père de famille pour atteindre le résultat
    • Pour que la responsabilité du débiteur puisse être recherchée, il doit être établi que celui-ci a commis une faute, soit que, en raison de sa négligence ou de son imprudence, il n’a pas mis en œuvre tous les moyens dont il disposait pour atteindre le résultat promis.
    • Il y a là une inversion de la charge de la preuve qui ne pèse donc, non pas sur le débiteur, mais sur le créancier.
  • L’exécution d’une obligation de ne pas faire
    • En présence d’une obligation de ne pas faire, l’application de l’article 1353, al. 2e du Code civil devrait conduire à imposer au débiteur d’établir qu’il s’est abstenu, ce qui revient à exiger de lui qu’il rapporte la preuve d’un fait négatif.
    • Parce que cette preuve est, par nature, difficile sinon impossible à rapporter, il est fréquent que la jurisprudence renverse la charge de la preuve en pareille circonstance.
    • Aussi, n’est pas au débiteur de prouver son abstention, mais au créancier de rapporter la preuve d’une action fautive (V. en ce sens com., 19 sept. 2006, n°05-16.406; Cass. com., 28 mars 2018, n° 17-10.600 ; Cass. soc. 25 mars 2009, n°07-41.894).
  • La stipulation d’une clause contraire
    • En application de l’article 1356 du Code civil, les parties sont libres d’aménager conventionnellement les règles de preuve et notamment la preuve du paiement.
  • Les présomptions légales
    • Il est des textes qui instituent, en certaines circonstances, des présomptions de paiement, ce qui a pour conséquence de renverser la charge de la preuve qui dès lors pèse, non plus sur le débiteur, mais sur le créancier.
    • On en abordera deux :
      • La remise au débiteur du titre constatant la créance
        • L’article 1342-9 du Code civil prévoit que « la remise volontaire par le créancier au débiteur de l’original sous signature privée ou de la copie exécutoire du titre de sa créance vaut présomption simple de libération. »
        • Cette disposition crée ainsi une présomption de paiement à la faveur du débiteur dans l’hypothèse où le créancier lui aurait remis le titre constatant l’obligation qui les lie.
        • En cas de litige, c’est donc au créancier qu’il reviendra de prouver qu’il n’a pas été payé par le débiteur.
      • La mention apposée sur le titre constatant la créance
        • L’article 1378-2 du Code civil prévoit que :
          • D’une part, « la mention d’un paiement ou d’une autre cause de libération portée par le créancier sur un titre original qui est toujours resté en sa possession vaut présomption simple de libération du débiteur. »
          • D’autre part, « il en est de même de la mention portée sur le double d’un titre ou d’une quittance, pourvu que ce double soit entre les mains du débiteur. »
        • Il ressort de cette disposition que dans l’hypothèse où une mention établissant la libération du débiteur figure, tantôt sur le titre constatant la créance détenue en original par le créancier, tantôt sur le double de ce titre détenu par le débiteur, la charge de la preuve du paiement est inversée.
        • La mention apposée sur le titre fait, en effet, présumer le paiement de sorte que c’est au créancier qu’il revient d’établir qu’il n’a pas été payé.

B) Les modes de preuve du paiement

==> Droit antérieur

Sous l’empire du droit antérieur, le mode de preuve du paiement a donné lieu à une controverse. Cette controverse a vu s’opposer deux thèses : celle de l’acte juridique et celle du fait juridique

  • Thèse du fait juridique
    • Selon cette thèse, le paiement ne serait autre qu’un fait juridique car, au fond, il tirerait ses effets de la loi et non de la volonté du débiteur.
    • Si donc le paiement produit, tantôt un effet extinctif, tantôt un effet subrogatoire, ce n’est pas parce que les parties intéressées à l’opération l’ont voulu, mais parce que la loi le prévoit.
    • En tant que fait juridique, le paiement pourrait alors se prouver par tous moyens
  • Thèse de l’acte juridique
    • Selon cette thèse, le paiement s’analyserait en une convention conclue entre le solvens (celui qui paye) et l’accipiens (celui qui est payé) aux fins d’éteindre l’obligation originaire.
    • Il en résulterait que la preuve du paiement supposerait la production d’un écrit, conformément à l’article 1364 du Code civil

Entre ces deux thèses, la Cour de cassation a opté pour la seconde. Dans un arrêt du 6 juillet 2004, elle a jugé que « la preuve du paiement, qui est un fait, peut être rapportée par tous moyens » (Cass. 1ère civ. 6 juill. 2004, 01-14.618).

Cinq ans plus tard, la Deuxième chambre civile a statué dans le même sens, dans un arrêt du 17 décembre 2009 (Cass. 2e civ. 17 déc. 2009, n°06-18.649)

Alors qu’une position semblait avoir été arrêtée par la Cour de cassation, la Chambre sociale (Cass. soc. 11 janv. 2006, n°04-41.231), puis la Troisième chambre civile (Cass. 3e civ. 27 févr. 2008, n°07-10.222) ont semé le doute en rendant des décisions intéressant la preuve du paiement au visa de l’ancien article 1341 du Code civil, soit celui exigeant la production d’un écrit.

==> Droit positif

À l’occasion de la réforme du droit des contrats opérée par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, le législateur a entendu clarifier l’état du droit positif.

Aussi, a-t-il inséré un article 1342-8 dans le Code civil qui dispose que « le paiement se prouve par tout moyen. »

À l’analyse, si la règle énoncée met un terme à l’incertitude jurisprudentielle née de la divergence entre les Chambres de la Cour de cassation, elle ne règle pas la question de la qualification du paiement.

Comme souligné par des auteurs « selon que l’on se prononce en faveur de la qualification d’acte ou de fait juridique, l’article 1342-8 du Code civil apparaîtra comme une simple application du droit commun ou, au contraire, comme une remarquable exception »[8].

En tout état de cause, parce que le paiement se prouve « par tout moyen », le débiteur est autorisé à mobiliser tous les modes de preuves aux fins d’établir sa prétention au nombre desquels figurent notamment l’écrit, le témoignage, la présomption judiciaire, l’aveu et le serment.

Parfois, il pourra être dispensé de rapporter la preuve du paiement en présence d’une présomption légale.

1. La liberté de la preuve ou les modes de preuve admis

1.1. L’écrit

Si la production d’un écrit n’est pas exigée pour prouver le paiement, cela ne signifie pas pour autant qu’il est fait interdiction au débiteur d’y recourir.

Parce que le paiement se prouve par tout moyen, l’écrit est admis au même titre que les autres modes de preuve.

Si, en théorie, ils sont tous placés sur un pied d’égalité, en pratique, le débiteur portera son choix, la plupart du temps, sur l’écrit en raison de la force probante que le juge lui prêtera.

Encore faut-il qu’il réponde à certaines exigences, quant à sa forme et quant à son origine, faute de quoi le juge est susceptible, au mieux, de le reléguer au rang de commencement de preuve par écrit, au pire, de l’écarter purement et simplement.

a. La forme de l’écrit

La constatation dans un écrit du paiement consiste habituellement en l’établissement d’une quittance, appelée autrement « reçu ».

La quittance ne doit pas être confondue avec la facture :

  • La quittance constate le paiement ; elle est remise au débiteur après qu’il s’est acquitté de son obligation
  • La facture détaille le contenu et le prix de la prestation fournie par le créancier ; elle est remise au débiteur en vue du paiement

 S’agissant de la quittance, elle peut être établie, soit par acte sous seing privé, soit par acte notarié.

  • La quittance sous seing privée
    • Pour valoir acte sous seing privé, la quittance doit comporter la signature du créancier, l’objet du paiement et sa cause.
    • S’agissant de la date et des modalités du paiement, la Cour de cassation a jugé que ces éléments n’étaient pas exigés à titre de validité de la quittance (V. en ce sens 1ère civ. 12 févr. 1964; Cass. 1ère civ. 16 mars 2004, n°01-11.274).
  • La quittance sous forme authentique
    • Il est des cas où la loi exige que la quittance soit établie par voie d’acte authentique.
    • L’article 1346-2, al. 2e du Code civil prévoit en ce sens que « la subrogation peut être consentie sans le concours du créancier, mais à la condition que la dette soit échue ou que le terme soit en faveur du débiteur. Il faut alors que l’acte d’emprunt et la quittance soient passés devant notaire, que dans l’acte d’emprunt il soit déclaré que la somme a été empruntée pour faire le paiement, et que dans la quittance il soit déclaré que le paiement a été fait des sommes versées à cet effet par le nouveau créancier. »

Dans l’hypothèse où la quittance ne satisfait aux exigences notamment parce que le débiteur, ni de l’acte sous seing privé, ni de l’acte authentique, elle vaudra seulement commencement par écrit.

Tel sera le cas lorsque, soit la quittance ne sera pas signée par le créancier, soit le débiteur n’en détiendra qu’une copie (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 27 mai 1986, n°84-14.370).

b. L’origine de l’écrit

Pour mémoire, l’article 1363 du Code civil prévoit que « nul ne peut se constituer de titre à soi-même. »

Il ressort de cette disposition que pour valoir écrit, l’acte produit par le débiteur à titre de preuve ne peut pas avoir été préconstitué par lui ; il doit émaner, soit du créancier, soit d’un tiers.

Cette règle est-elle applicable à la preuve du paiement ? La question se pose dans la mesure où le paiement se prouve par tous moyens ce qui suggère qu’il s’analyserait en un fait juridique.

Or l’article 1363 du Code civil s’applique à la preuve des actes juridiques, soit aux cas où l’écrit est exigé.

À cet égard, sous l’empire du droit antérieur, la Cour de cassation a jugé dans un arrêt du 6 mars 2014 que « le principe selon lequel nul ne peut se constituer de preuve à soi-même n’est pas applicable à la preuve d’un fait juridique » (Cass. 2e civ. 6 mars 2014, n°13-14.294)

Est-ce à dire que le débiteur pourrait prouver son paiement en produisant un acte qui émane de lui ?

Tout dépend de la qualification que l’on reconnaît au paiement :

  • Si l’on estime qu’il s’agit d’un fait juridique, alors il y a lieu d’admettre que l’écrit produit aux fins de prouver le paiement puisse émaner du débiteur.
  • Si l’on estime, au contraire, qu’il s’agit d’un acte juridique, alors il y a lieu de considérer que l’écrit émanant du débiteur ne suffit pas à prouver son paiement

À supposer que l’on opte pour la première approche, elle n’aura qu’une portée limitée dans la mesure elle doit être combinée avec la règle énoncée à l’article 1378-1 du Code civil.

Cette disposition prévoit, en effet, que « les registres et papiers domestiques ne font pas preuve au profit de celui qui les a écrits. »

Aussi, est-il fait interdiction, en tout état de cause, au débiteur de prouver le paiement en produisant sa propre comptabilité.

c. La force probante de l’écrit

Lorsque le débiteur produit un acte qui remplit les conditions de l’écrit aux fins de prouver son paiement, quelle est la force probante de cet acte ?

Plus précisément la question se pose de savoir si, pour contester le paiement du débiteur, le créancier devra, à son tour, produire un écrit ?

Dans la mesure où, en matière de paiement, la preuve est libre, on pourrait être tenté de répondre par la négative : le créancier devra pouvoir prouver sa prétention par tous moyens.

Tel n’est toutefois pas la voie empruntée par la jurisprudence sous l’empire du droit antérieur. Dans un arrêt du 4 novembre 2011, la Cour de cassation a jugé, par exemple, que « si celui qui a donné quittance peut établir que celle-ci n’a pas la valeur libératoire qu’implique son libellé, cette preuve ne peut être rapportée que dans les conditions prévues par les articles 1341 et suivants du code civil » (Cass. 1ère civ. 4 nov. 2011, n°10-27.035).

Cette solution a-t-elle été reconduite par la réforme du régime général des obligations opérée par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ?

Les auteurs sont réservés. Tout d’abord, l’écrit n’est exigé à titre de preuve que pour les actes juridiques. Or la jurisprudence analyse le paiement plutôt comme un fait juridique.

Ensuite, comme relevé par Maxime Julienne « il n’y a aucune raison de retenir une interprétation restrictive de l’article 1342-8 et de ne pas étendre à la preuve de l’absence de paiement le principe de liberté probatoire dont ce texte est porteur »[9].

1.2. Le témoignage

Parce que la preuve du paiement est libre, il est admis que le débiteur puisse recourir au témoignage afin d’établir qu’il s’est libéré de son obligation envers le créancier.

Pour mémoire, le témoignage consiste en une déclaration faite au juge par une personne, le témoin, ayant constaté ou eu connaissance des faits litigieux.

L’article 1381 du Code civil prévoit que la valeur probante des déclarations faites par un tiers est laissée à l’appréciation du juge.

Autrement dit, il appartient au juge d’apprécier la véracité du contenu de la déclaration qu’il reçoit.

En pratique, le débiteur s’appuiera sur le témoignage lorsque, soit il sera dans l’incapacité de produire un écrit (art. 1360 C. civ.), soit parce que l’acte dont il est en possession ne remplit pas les conditions de l’écrit et n’a la valeur que d’un commencement de preuve par écrit (art. 1361 C. civ.).

1.3. La présomption judiciaire

Lorsque la preuve est libre, il est admis que le juge puisse puiser dans les circonstances de la cause la preuve du fait contesté ; c’est le mécanisme des présomptions judiciaires, qualifiées également de présomptions du fait de l’homme.

Concrètement, la preuve procède ici d’un raisonnement par induction. Il s’agira donc, à partir d’un ou plusieurs indices connus, de tirer des conséquences quant à la réalité du fait contesté.

En application de l’article 1382 du Code civil, seules les présomptions « graves, précises et concordantes » sont admises.

Lorsque cette condition est remplie, les présomptions judiciaires « sont laissées à l’appréciation du juge ».

L’ancien article 1353 du Code civil prévoyait dans le même sens qu’elles doivent être « abandonnées aux lumières et à la prudence du magistrat ».

Comme souligné par des auteurs « la preuve construite sur des indices n’est donc acquise que si elle correspond à l’intime conviction du juge »[10].

S’agissant de l’application du mécanisme des présomptions judiciaires au paiement, bien qu’il ne s’agisse pas de son terrain de prédilection, elle n’est pas à exclure.

Les présomptions judiciaires pourront notamment jouer en présence de documents, tels que des courriers, certificats, chèques ou encore factures qui suggèrent l’exécution d’un paiement (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 7 févr. 1989, n°85-14.989).

1.4. L’aveu

L’aveu est défini à l’article 1383, al. 1er du Code civil comme « la déclaration par laquelle une personne reconnaît pour vrai un fait de nature à produire contre elle des conséquences juridiques ».

L’alinéa 2 de cette disposition précise que l’aveu peut être judiciaire ou extrajudiciaire :

  • L’aveu judiciaire
    • Il s’agit de la déclaration que fait en justice la partie ou son représentant spécialement mandaté.
    • La particularité de ce mode de preuve est qu’il est recevable en toutes matières, y compris lorsqu’un écrit est exigé.
    • Autrement dit, il peut servir à établir, tant un fait juridique, qu’un acte juridique : il n’est donc pas besoin qu’il soit corroboré par un autre mode de preuve, à la différence par exemple du témoignage ou du commencement de preuve par écrit.
    • La raison en est qu’il « fait foi contre celui qui l’a fait» ( 1382, al. 2e C. civ.)
    • Aussi, la reconnaissance par le créancier de l’exécution par le débiteur de son obligation vaudra preuve du paiement, étant précisé que le juge sera lié par cet aveu.
    • Dans ces conditions, il devra tenir pour établi le fait avoué, quand bien même cela ira à l’encontre de son intime conviction.
  • L’aveu extrajudiciaire
    • Il s’agit de la déclaration faite par une partie au procès en dehors du prétoire.
    • Contrairement à l’aveu judiciaire, l’aveu extrajudiciaire n’est recevable que « dans les cas où la loi permet la preuve par tout moyen» ( 1383-1, al. 1er C. civ.).
    • La preuve du paiement étant libre, le recours à l’aveu extrajudiciaire en cette manière ne soulève aucune difficulté.
    • À cet égard, l’aveu peut émaner, tant du créancier, que du débiteur.
    • Reste que dans les deux cas, comme précisé par l’article 1383-1, al. 2e du Code civil « sa valeur probante est laissée à l’appréciation du juge. »

1.5. Le serment

Le serment est un mode de preuve hérité d’une époque où l’église était fortement imbriquée dans l’état et où la société était particulièrement imprégnée des concepts d’honneur et de moral.

Classiquement, le serment est défini comme « la déclaration par laquelle un plaideur affirme, d’une manière solennelle et devant un juge, la réalité d’un fait qui lui est favorable »[11].

Lorsqu’il est utilisé à des fins probatoire, le serment est soit décisoire, soit supplétoire.

  • Le serment décisoire
    • Il s’agit de celui qu’une partie défère à l’autre pour en faire dépendre le jugement de la cause ( 1384 C. civ.) :
      • Si le plaideur auquel le serment est déféré accepte le « défi », alors il gagne le procès.
      • Si en revanche, il renonce à prêter serment craignant notamment la sanction attachée au parjure, alors il succombe.
    • La particularité du serment décisoire est qu’il « peut être déféré sur quelque espèce de contestation que ce soit et en tout état de cause. »
    • Autrement dit, il peut intervenir aux fins de prouver, tant un acte juridique, qu’un fait juridique.
    • Le paiement peut ainsi être prouvé au moyen du serment décisoire.
    • À cet égard, à l’instar de l’aveu judiciaire, le serment décisoire présente l’avantage de lier le juge à la déclaration du plaideur.
    • Il devra donc tenir pour vrai ce que ce dernier déclare, à tout le moins dès lors la déclaration porte sur un fait personnel, soit d’un fait qu’il a personnellement vécu ou constaté ( 1385-1 C. civ.).
  • Le serment supplétoire
    • Il s’agit de celui qui est déféré d’office par le juge à l’une ou à l’autre des parties.
    • Contrairement au serment décisoire, le serment supplétoire ne peut pas jouer en toutes matières ; il obéit à des conditions de recevabilité énoncées à l’article 1386-1 du Code civil.
    • Cette disposition prévoit que « le juge ne peut déférer d’office le serment, soit sur la demande, soit sur l’exception qui y est opposée, que si elle n’est pas pleinement justifiée ou totalement dénuée de preuves. »
    • Autrement dit, le juge ne pourra recourir au serment supplétoire que pour parfaire son intime conviction.
    • Il s’agit, en quelque, sorte d’une mesure d’instruction qui ne peut ni pallier la carence de preuves, ni intervenir pour combattre une preuve parfaite.
    • La recevabilité du serment décision est ainsi conditionnée à la vraisemblance de la prétention qu’il vise à confirmer ou infirmer.
    • Si cette condition est remplie, le juge pourra y recourir afin d’établir la réalité du paiement discutée par les parties.

2. La dispense de rapporter la preuve ou les présomptions légales

Il est des textes qui instituent, en certaines circonstances, des présomptions de paiement, ce qui a pour conséquence de dispenser le débiteur de rapporteur la preuve de sa libération.

a. La remise volontaire au débiteur du titre constatant la créance

L’article 1342-9 du Code civil prévoit que « la remise volontaire par le créancier au débiteur de l’original sous signature privée ou de la copie exécutoire du titre de sa créance vaut présomption simple de libération. »

Il ressort de cette disposition que la restitution par le créancier de l’écrit qui lui servait de preuve au débiteur fait présumer la libération de ce dernier.

Cette règle procède de l’idée que si le créancier s’est dessaisi entre les mains du débiteur du titre qui constatait sa créance, il est fort probable qu’il s’agisse là d’une contrepartie au paiement qu’il a reçu à tout le moins cette démarche exprime son intention de libérer le débiteur de son obligation.

Sous l’empire du droit antérieur, la présomption de libération du débiteur résultant de la remise du titre original était abordée dans une section du Code civil consacrée à la remise de dette.

Les anciens articles 1282 et 1283 du Code civil conféraient à cette présomption une force probante différente selon que le titre remis au débiteur était un acte sous seing privé ou la copie exécutoire d’un acte authentique (grosse) :

  • Lorsque le titre remis était un acte sous seing privé, l’article 1282 du Code civil faisait produire à la remise l’effet d’une présomption irréfragable de libération du débiteur (V. en ce sens com. 6 mai 1991, n°89-19.136)
  • Lorsque le titre remis était une copie exécutoire d’un acte notarié, l’article 1283 du Code civil faisait produire à la remise l’effet d’une présomption simple de libération du débiteur

Les auteurs expliquaient cette différence de traitement entre les deux remises en avançant que la remise de la copie exécutoire d’un acte notarié était moins probante que la remise d’un acte sous seing privé.

En effet, lorsque la remise porte sur un acte sous seing privé, elle consiste pour le créancier à se dessaisir du titre original constatant sa créance. Cela signifie donc qu’il renonce à détenir l’instrumentum susceptible de lui permettre d’établir, en cas de litige, l’existence même de son obligation. La démarche est forte ; d’où la présomption irréfragable instituée par la jurisprudence en pareille circonstance.

Lorsque, en revanche, la remise porte sur la copie exécutoire de l’acte notarié, le sens de cette remise est bien différent. Comme son nom le suggère, une copie exécutoire, dit autrement « grosse », n’est autre qu’une reproduction de l’acte notarié, l’original étant conservé par le notaire au rang des minutes. En se dessaisissant d’une copie exécutoire du titre constatant sa créance, le créancier conserve la possibilité d’accéder à l’exemplaire original de son titre et donc de se faire délivrer une nouvelle copie exécutoire. C’est la raison pour laquelle, dans cette hypothèse, le législateur a seulement fait produire à la remise l’effet d’une présomption simple.

Cette différence entre remise d’un acte sous seing privé et remise d’une copie exécutoire n’a pas été reconduite par le législateur à l’occasion de la réforme du régime général des obligations opérée par l’ordonnance 2016-131 du 10 février 2016.

Les règles énoncées aux articles 1232 et 1283 du Code civil ont été unifiées, en ce sens qu’il est désormais indifférent que la remise porte sur l’original d’un acte sous seing privé ou sur la copie exécutoire d’un acte notarié. Dans les deux cas cette remise produit l’effet d’une présomption simple.

L’objet et les conditions d’application de cette présomption demeurent toutefois inchangés.

i. Objet de la présomption

Bien que l’article 1342-9 soit localisé dans une section du Code civil dédiée au paiement, il n’institue pas une présomption de paiement, mais une présomption de libération du débiteur.

Cette précision est d’importance, car elle signifie que la remise volontaire au débiteur du titre constatant la créance fait présumer l’extinction de l’obligation pour n’importe quelle cause.

Or les causes d’extinction d’une obligation ne se limitent pas au paiement ; elles sont multiples. Remise de dette, compensation, novation, confusion sont des causes d’extinction des obligations au même titre que le paiement.

Si, la plupart du temps, l’enjeu du litige réside exclusivement dans la libération du débiteur, il est des cas où la cause de cette libération ne sera pas indifférente.

Il en va notamment ainsi en matière de remise de dette intervenant dans le cadre du règlement d’une succession.

Dans cette situation, les effets diffèrent selon que la libération du débiteur procède d’un paiement ou d’une remise de dette.

La remise de dette est, en effet, susceptible de constituer une donation indirecte et, par voie de conséquence, de faire l’objet d’un rapport ou d’une réduction.

Parce que donc l’article 1342-9 institue, non pas une présomption de paiement, mais une présomption de libération, il ne permettra pas d’établir la cause d’extinction de l’obligation.

Cette preuve devra être rapportée par un autre biais, étant précisé qu’il ne s’agit pas ici de prouver un acte juridique, mais un mode de libération du débiteur. Aussi, est-il admis que la preuve soit libre : elle peut donc être rapportée par tout moyen.

Quant à la charge de cette preuve, elle pèse sur celui qui prétend que la libération du débiteur procède d’une remise de dette ou d’un paiement.

ii. Conditions d’application de la présomption

Pour que la présomption instituée par l’article 1342-9 du Code civil puisse jouer, plusieurs conditions doivent être réunies :

==> Première condition : une remise

La présomption instituée par l’article 1342-9 du Code civil ne produira ses effets que s’il y a eu remise du titre constatant la créance au débiteur. Autrement dit, il faut que le créancier se soit dessaisi de son titre entre les mains du débiteur.

Aussi, le simple fait que le débiteur détienne le titre n’est pas suffisant. Il peut, en effet, l’avoir obtenu au moyen de manœuvres frauduleuses ou encore de façon totalement fortuite.

Reste que la jurisprudence a admis, afin d’alléger le fardeau de la preuve, que la détention du titre faisait à elle seule présumer la remise (Cass. req. 26 mai 1886). Il s’agit toutefois d’une présomption simple qui donc peut être combattue par la preuve contraire.

==> Deuxième condition : une remise volontaire

Il ne suffit pas que la détention par le débiteur du titre constatant la créance procède d’une remise, il faut encore que cette remise ait été volontaire.

Plus précisément il faut que le créancier ait exprimé par cette remise deux intentions :

  • Première intention
    • Le créancier doit avoir sciemment et librement voulu se dessaisir de son titre entre les mains du débiteur.
    • Aussi, la remise ne peut-elle pas avoir été effectuée par erreur ou provoquée par une manœuvre dolosive.
  • Seconde intention
    • Le créancier doit avoir voulu, par cette remise, libérer le débiteur de son obligation.
    • La présomption instituée par l’article 1342-9 du Code civil peut donc être écartée si la remise ne révèle pas l’intention de libération du débiteur (V. en ce sens req. 20 oct. 1880).

La détention du titre par le débiteur fait néanmoins présumer la remise volontaire du titre par le créancier (V. en ce sens Cass. com. 7 janv. 2003, n°99-16.617).

==> Troisième condition : une remise volontaire par le créancier

La remise du titre constatant la créance doit nécessairement avoir été faite par le créancier ou son représentant.

À défaut, la présomption de libération du débiteur ne pourra pas jouer (V. en ce sens Cass. com. 16 oct. 2001, n°98-14.264). Si, en effet, le titre est remis au débiteur par un tiers, il est pour le moins douteux que la remise ait été voulue par le créancier.

==> Quatrième condition : une remise portant sur l’original d’un acte sous seing privé ou sur la copie exécutoire du

Pour faire présumer la libération du débiteur, la remise doit nécessairement porter :

  • Soit sur l’original de l’acte sous seing privé constatant la créance
    • La remise d’une copie de l’acte sous seing privé ne permet donc pas de faire jouer la présomption instituée à l’article 1342-9 du Code civil
    • Dans un arrêt du 21 octobre 1975 a précisé que, en présence de plusieurs originaux du titre sous signature privée constatant la créance, le débiteur ne pouvait être présumé être libérée qu’à la condition que tous les exemplaires lui aient été remis par le créancier, à tout le moins ceux qu’il détenait ( 1ère civ. 21 oct. 1975, n°74-11.646)
  • Soit sur la copie exécutoire de l’acte authentique constatant la créance
    • La remise d’une simple expédition de l’acte notarié non revêtue de la formule exécutoire n’est pas suffisante pour faire présumer la libération du débiteur.
    • Parce que la minute est toujours détenue par le notaire, le créancier a toujours la possibilité de se faire délivrer des copies.

iii. Effets de la présomption

La présomption instituée par l’article 1342-9 du Code civil produit deux effets :

  • Premier effet
    • Le débiteur est réputé libéré de son obligation envers le créancier.
  • Second effet
    • En présence de plusieurs débiteurs, l’article 1342-9, al. 2e prévoit que « la même remise à l’un des codébiteurs solidaires produit le même effet à l’égard de tous. »
    • Cette règle n’est pas sans faire écho à celle énoncée à l’article 1313 du Code civil qui dispose, pour mémoire, que le paiement effectué par un codébiteur solidaire libère tous les codébiteurs envers le créancier.

b. La mention apposée sur le titre constatant la créance

L’article 1378-2 du Code civil prévoit que :

  • D’une part, « la mention d’un paiement ou d’une autre cause de libération portée par le créancier sur un titre original qui est toujours resté en sa possession vaut présomption simple de libération du débiteur. »
  • D’autre part, « il en est de même de la mention portée sur le double d’un titre ou d’une quittance, pourvu que ce double soit entre les mains du débiteur. »

Il ressort de cette disposition que dans l’hypothèse où une mention établissant la libération du débiteur figure, tantôt sur le titre constatant la créance détenue en original par le créancier, tantôt sur le double de ce titre détenu par le débiteur, celui-ci est présumé être libéré de son obligation.

La présomption ainsi instituée produit le même effet que celle résultant de la remise volontaire au débiteur du titre constatant la créance.

 

 

 

[1] M. Julienne, Régime général des obligations, éd. LGDJ, 2022, n°528, p. 362

[2] E-D Glasson, A. Tissier, R. Morel, Traité théorique et pratique d’organisation judiciaire de compétence et de procédure civile, Paris, Libr. du Rec. Sirey, 1925-1936, t. 1 n° 173

[3] V. en ce sens G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations – Commentaire théorique et pratique dans l’ordre du Code civil, éd. Dalloz, 2018, n°941, p.849.

[4] J. François, Traité de droit civil – Les obligations, Régime général, Economica 2017, n°139, p. 126.

[5] F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et F. Chénédé, Droit civil – Les obligations, éd. Dalloz, 2019, n°1423, p. 1504

[6] G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°988, p.888.

[7] V. en ce sens Ph. Simler, Cautionnement – Extinction par voie accessoire, Lexisnexis, fasc. Jurisclasseur, n°24

[8] F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, éd. Dalloz, 2019, n°1449, p. 1526

[9] M. Julienne, Régime général des obligations, éd. LGDJ, 2022, n°554, p. 377.

[10] H. Roland et L. Boyer, Introduction au droit, éd. Litec, 2002, n°1806, p. 619.

[11] J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction Générale, éd. LGDJ, 1990, n°660, p. 635.

L’imputation du paiement portant sur une dette partiellement cautionnée

Lorsque le paiement partiel porte sur une dette partiellement cautionnée, la question se pose de l’imputation de ce paiement.

De deux choses l’une :

  • Soit l’on impute le paiement partiel du débiteur sur la fraction de la dette cautionnée, auquel cas la caution est susceptible d’être libérée de son obligation
  • Soit l’on impute le paiement partiel du débiteur sur la fraction de la dette non cautionnée, auquel cas la caution demeure tenue envers le créancier

Dans le silence des textes, c’est à la jurisprudence qu’est revenue la tâche de se prononcer.

Très tôt la Cour de cassation a statué en faveur du créancier, considérant qu’il y avait lieu d’imputer le paiement partiel du débiteur en priorité sur la fraction non cautionnée de la dette (V. en ce sens Cass. req. 8 juin 1901).

Dans un arrêt du 28 janvier 1997, la Chambre commerciale a ainsi jugé que « lorsque le cautionnement ne garantit qu’une partie de la dette, il n’est éteint que lorsque cette dette est intégralement payée, les paiements partiels faits par le débiteur principal s’imputant d’abord, sauf convention contraire, non alléguée en l’espèce, sur la portion non cautionnée de la dette » (Cass. com. 28 janv. 1997, n°94-19.347).

Elle a réitéré cette solution dans un arrêt du 12 janvier 2010 en précisant que lorsque le créancier était déchu de son droit aux intérêts en raison d’un manquement à l’obligation d’information annuelle, l’imputation du paiement partiel doit être cantonnée à la fraction relative au principal de la dette (Cass. com. 12 janv. 2010, n°09-11.710).

Dans un arrêt du 27 mars 2012, la Cour de cassation a encore considéré que, dans l’hypothèse où des cautions solidaires garantissent des fractions distinctes d’une même dette, il y a lieu d’imputer les paiements partiels, non pas sur la fraction de la dette garantie par chacune, mais sur les fractions non couvertes par leurs engagements respectifs.

La conséquence en est, en cas de poursuite par le créancier d’une seule caution, qu’elle est susceptible d’être condamnée au paiement de l’intégralité de son obligation (Cass. com. 27 mars 2012, n°11-13.960).

Plusieurs justifications ont été avancées par les auteurs au soutien de la règle d’imputation des paiements partiels sur la fraction non cautionnée de la dette.

D’aucuns soutiennent qu’elle aurait pour fondement la fonction de garantie du cautionnement, tandis que d’autres estiment qu’elle puise sa source dans la règle subordonnant le paiement partiel du débiteur à l’acceptation du créancier (art. 1342-4, al. 1er C. civ.).

À l’analyse, l’ordonnance du n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du régime des obligations n’a apporté aucune réponse qui permettrait de trancher le débat.

Bien que, encore aujourd’hui, la position adoptée par la jurisprudence demeure sans fondement textuel, elle est approuvée par la doctrine majoritaire qui y voit la marque de l’équité et du bon sens[1].

À cet égard, les parties demeurent libres de déroger à la règle en stipulant une clause dans l’acte de cautionnement qui prévoirait que le paiement partiel du débiteur s’imputerait en priorité sur la fraction cautionnée de la dette.

 

 

[1] V. en ce sens Ph. Simler, Cautionnement – Extinction par voie accessoire, Lexisnexis, fasc. Jurisclasseur, n°24

L’imputation du paiement en présence d’une dette unique

Il est des cas où le paiement réalisé par le débiteur ne suffira pas à couvrir ce qu’il doit au créancier.

Deux cas de figure sont susceptibles de se présenter :

  • Le débiteur peut être tenu envers un même créancier de plusieurs dettes et le paiement réalisé est insuffisant pour les éteindre toutes
  • Le débiteur peut être tenu envers le créancier d’une dette unique et le paiement réalisé ne permet d’en couvrir qu’une partie

Dans ces deux situations, la question se pose de savoir comment le paiement doit-il être imputé.

  • En présence d’une pluralité de dettes, le paiement doit-il être imputé en priorité sur certaines ou à proportion de leur montant ?
  • En présence d’une dette unique, le paiement doit-il être imputé d’abord sur le capital ou sur les intérêts ?

Nous nous focaliserons ici sur l’imputation du paiement en présence d’une dette unique. 

À l’instar de l’hypothèse où le débiteur est tenu envers le créancier de plusieurs dettes, en présence d’une dette unique, l’article 1343-1, al. 1er du Code civil établit un ordre d’imputation du paiement réalisé par le débiteur.

Pour que cette situation se présente, encore faut-il que le créancier ait accepté de recevoir ce paiement dans la mesure où, par hypothèse, il sera partiel. Or cela heurte le principe d’indivisibilité du paiement posée par l’article 1342-4, al. 1er du Code civil. D’où la nécessité pour le débiteur d’obtenir l’accord préalable du créancier.

Ce n’est que si cette condition est remplie que la règle d’imputation énoncée à l’article 1343-1 trouvera à s’appliquer.

==> Principe

L’article 1343-1, al. 1er prévoit que si l’obligation de somme d’argent porte intérêt « le paiement partiel s’impute d’abord sur les intérêts. »

À l’analyse, il s’agit là d’une reprise de la règle énoncée par l’ancien article 1254 du Code civil qui disposait que « le paiement fait sur le capital et intérêts, mais qui n’est point intégral, s’impute d’abord sur les intérêts. »

Ainsi, en présence du paiement partiel d’une dette unique, celui-ci s’impute :

  • D’abord sur les intérêts
  • Ensuite sur le capital

L’objectif recherché ici est de protéger le créancier. Tant qu’il n’a pas été intégralement payé, sa dette doit continuer à produire des intérêts.

Or la base de calcul de ces intérêts n’est autre que le capital de la dette. Aussi, imputer le paiement prioritairement sur le capital reviendrait à affecter le rendement de la dette, alors même que le créancier n’a pas été totalement satisfait.

Pour cette raison, le législateur a estimé que, en cas de paiement partiel, celui-ci devait s’imputer d’abord sur les intérêts.

Dans un arrêt du 7 février 1995, la Cour de cassation a précisé que « au même titre que les intérêts visés par l’article 1254 du Code civil, les frais de recouvrement d’une créance constituent des accessoires de la dette ; que le débiteur ne peut, sans le consentement du créancier, imputer les paiements qu’il fait sur le capital par préférence à ces accessoires » (Cass. 1ère civ. 7 févr. 1995, n°92-14.216).

Ainsi, la règle prévoyant d’imputer prioritairement le paiement sur les intérêts de la dette est étendue aux frais de recouvrement et plus généralement à l’ensemble des accessoires de la dette.

==> Tempéraments

Le principe posé à l’article 1343-1 du Code civil n’est pas absolu ; il est assorti d’un certain nombre de tempéraments :

  • Premier tempérament
    • L’article 1343-1 est une disposition supplétive de volonté, ce qui signifie que les parties peuvent y déroger.
    • Aussi, sont-elles libres de prévoir que le paiement s’imputera prioritairement sur le capital.
    • À cet égard, contrairement à l’hypothèse où le débiteur est tenu de plusieurs dettes, il ne pourra pas imposer un ordre d’imputation au créancier.
    • Dans un arrêt du 20 octobre 1992 la Cour de cassation a jugé en ce sens :
      • D’une part, que « le débiteur d’une dette qui porte intérêt ne peut, sans le consentement du créancier, imputer le paiement qu’il a fait sur le capital par préférence aux intérêts»
      • D’autre part, que « le consentement des créanciers peut seul permettre l’imputation des paiements sur le capital par préférence aux intérêts» ( com. 20 oct. 1992, n°90-13.072)
    • Ainsi, l’imputation du paiement ne pourra se faire prioritairement sur le capital de la dette que si le créancier y consent.
  • Deuxième tempérament
    • Dans un arrêt du 11 juin 1996, la Cour de cassation a précisé que « l’imputation légalement faite du paiement effectué par le débiteur principal est opposable à la caution» ( com., 11 juin 1996, n° 94-15.097).
    • Il en résulte que l’imputation prioritaire des paiements effectués par le débiteur principal sur les intérêts générés par l’obligation garantie s’impose à la caution.
    • L’article 2302 du Code civil apporte une dérogation à ce principe en disposant que « dans les rapports entre le créancier et la caution, les paiements effectués par le débiteur pendant cette période sont imputés prioritairement sur le principal de la dette. »
    • Pratiquement cela signifie que le créancier sera déchu de l’intégralité des intérêts échus tant que le défaut d’information subsistera dans la mesure où les paiements du débiteur principal ne s’imputeront d’abord sur le capital restant dû.
    • Cette sanction est de nature à inciter le créancier à régulariser au plus vite sa situation, faute de quoi le règlement de ses intérêts ne sera pas garanti.
  • Troisième tempérament
    • L’article 1343-5 du Code civil prévoit que, dans le cadre d’une demande de délai de grâce qui lui est adressée par un débiteur justifiant d’une situation financière obérée, le juge peut ordonner notamment « que les paiements s’imputeront d’abord sur le capital.»
  • Quatrième tempérament
    • L’article L. 733-1, 2° du Code de la consommation dispose que, dans le cadre d’une procédure de surendettement, la Commission de surendettement peut, à la demande du débiteur et après avoir mis les parties en mesure de fournir leurs observations, décider que les paiements s’imputeront « d’abord sur le capital»

==> Cas particulier du paiement partiel portant sur une dette partiellement cautionnée

Lorsque le paiement partiel porte sur une dette partiellement cautionnée, la question se pose de l’imputation de ce paiement.

De deux choses l’une :

  • Soit l’on impute le paiement partiel du débiteur sur la fraction de la dette cautionnée, auquel cas la caution est susceptible d’être libérée de son obligation
  • Soit l’on impute le paiement partiel du débiteur sur la fraction de la dette non cautionnée, auquel cas la caution demeure tenue envers le créancier

Dans le silence des textes, c’est à la jurisprudence qu’est revenue la tâche de se prononcer.

Très tôt la Cour de cassation a statué en faveur du créancier, considérant qu’il y avait lieu d’imputer le paiement partiel du débiteur en priorité sur la fraction non cautionnée de la dette (V. en ce sens Cass. req. 8 juin 1901).

Dans un arrêt du 28 janvier 1997, la Chambre commerciale a ainsi jugé que « lorsque le cautionnement ne garantit qu’une partie de la dette, il n’est éteint que lorsque cette dette est intégralement payée, les paiements partiels faits par le débiteur principal s’imputant d’abord, sauf convention contraire, non alléguée en l’espèce, sur la portion non cautionnée de la dette » (Cass. com. 28 janv. 1997, n°94-19.347).

Elle a réitéré cette solution dans un arrêt du 12 janvier 2010 en précisant que lorsque le créancier était déchu de son droit aux intérêts en raison d’un manquement à l’obligation d’information annuelle, l’imputation du paiement partiel doit être cantonnée à la fraction relative au principal de la dette (Cass. com. 12 janv. 2010, n°09-11.710).

Dans un arrêt du 27 mars 2012, la Cour de cassation a encore considéré que, dans l’hypothèse où des cautions solidaires garantissent des fractions distinctes d’une même dette, il y a lieu d’imputer les paiements partiels, non pas sur la fraction de la dette garantie par chacune, mais sur les fractions non couvertes par leurs engagements respectifs.

La conséquence en est, en cas de poursuite par le créancier d’une seule caution, qu’elle est susceptible d’être condamnée au paiement de l’intégralité de son obligation (Cass. com. 27 mars 2012, n°11-13.960).

Plusieurs justifications ont été avancées par les auteurs au soutien de la règle d’imputation des paiements partiels sur la fraction non cautionnée de la dette.

D’aucuns soutiennent qu’elle aurait pour fondement la fonction de garantie du cautionnement, tandis que d’autres estiment qu’elle puise sa source dans la règle subordonnant le paiement partiel du débiteur à l’acceptation du créancier (art. 1342-4, al. 1er C. civ.).

À l’analyse, l’ordonnance du n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du régime des obligations n’a apporté aucune réponse qui permettrait de trancher le débat.

Bien que, encore aujourd’hui, la position adoptée par la jurisprudence demeure sans fondement textuel, elle est approuvée par la doctrine majoritaire qui y voit la marque de l’équité et du bon sens[1].

À cet égard, les parties demeurent libres de déroger à la règle en stipulant une clause dans l’acte de cautionnement qui prévoirait que le paiement partiel du débiteur s’imputerait en priorité sur la fraction cautionnée de la dette.

 

 

[1] V. en ce sens Ph. Simler, Cautionnement – Extinction par voie accessoire, Lexisnexis, fasc. Jurisclasseur, n°24

L’imputation du paiement en présence d’une pluralité de dettes

Il est des cas où le paiement réalisé par le débiteur ne suffira pas à couvrir ce qu’il doit au créancier.

Deux cas de figure sont susceptibles de se présenter :

  • Le débiteur peut être tenu envers un même créancier de plusieurs dettes et le paiement réalisé est insuffisant pour les éteindre toutes
  • Le débiteur peut être tenu envers le créancier d’une dette unique et le paiement réalisé ne permet d’en couvrir qu’une partie

Dans ces deux situations, la question se pose de savoir comment le paiement doit-il être imputé.

  • En présence d’une pluralité de dettes, le paiement doit-il être imputé en priorité sur certaines ou à proportion de leur montant ?
  • En présence d’une dette unique, le paiement doit-il être imputé d’abord sur le capital ou sur les intérêts ?

Nous nous focaliserons ici sur l’imputation du paiement en présence d’une pluralité de dettes. 

Dans cette configuration, l’article 1342-10 du Code civil confère au débiteur la liberté d’imputer le paiement réalisé sur la dette de son choix.

À défaut d’indication, le texte établit une hiérarchie des dettes permettant de déterminer comment s’opère l’imputation du paiement.

I) Imputation du paiement par le débiteur

==> Principe

L’article 1342-10 du Code civil prévoit que « le débiteur de plusieurs dettes peut indiquer, lorsqu’il paie, celle qu’il entend acquitter. »

Il ressort de cette disposition que le débiteur est libre d’imputer le paiement qu’il réalise sur la dette de son choix, selon ses propres intérêts.

Il pourra ainsi décider d’imputer prioritairement son paiement sur la dette la plus onéreuse, celle dont l’échéance est la plus proche ou encore celle qui est assortie de sûretés.

En tout état de cause, l’imputation du paiement, en présence d’une pluralité de dettes, ne requiert par l’accord du créancier qui n’a d’autre choix que d’acter le choix du débiteur.

Le texte ne précisant pas la forme que doit prendre l’expression de volonté du débiteur, il est admis qu’elle puisse être implicite (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 29 oct. 2002, n°00-11958).

Dans deux arrêts rendus le 1er juin 2011, la Cour de cassation a précisé que l’imputation volontaire du paiement « peut résulter du comportement non équivoque du débiteur » (Cass. 1ère civ. 1er juin 2011, n°09-67.090 et 10-15.107).

En l’absence déclaration expresse du débiteur, les juges devront donc rechercher s’il existe des éléments de nature à établir, de manière non équivoque, qu’elle dette il entendait acquitter (V. en ce sens Cass. com 17 févr. 2009, n°07-20.100).

==> Limites

La liberté de choix du débiteur quant à l’imputation du paiement n’est pas sans limites :

  • Première limite
    • Dans l’hypothèse où le paiement réalisé par le débiteur ne permet pas de couvrir la dette qu’il entend acquitter, il devra obtenir l’accord du créancier.
    • Pour mémoire, l’article 1342-4, al. 1er du Code civil prévoit que « le créancier peut refuser un paiement partiel même si la prestation est divisible.»
    • Il ressort de cette disposition que le paiement est indivisible, en ce sens qu’il doit porter sur tout ce qui est dû.
    • En d’autres termes, il est fait interdiction au débiteur d’imposer au créancier un paiement partiel ou fractionné sans avoir reçu son consentement, soit au moment de l’établissement du contrat, soit postérieurement.
    • Dans un arrêt du 27 novembre 2019 la Cour de cassation a jugé en ce sens « que, si le débiteur de plusieurs dettes a le droit de déclarer, lorsqu’il paye, quelle dette il entend acquitter, l’exercice de ce droit implique, sauf accord de son créancier, qu’il procède au paiement intégral de cette dette» ( 1ère civ. 27 nov. 2019, n°18-21.570).
  • Deuxième limite
    • Parmi les dettes auxquelles est tenu le débiteur, celui-ci ne pourra s’acquitter que des dettes échues.
    • En effet, il est de principe qu’une dette ne puisse jamais être payée avant la survenance de son échéance, sauf à ce que le terme ait été stipulé au profit exclusif du débiteur.
    • Si donc le terme d’une dette non échue a été stipulé dans l’intérêt du créancier ou des deux parties, le choix du débiteur ne pourra se porter sur cette dette.
    • L’imputation ne pourra se faire que sur les dettes échues.
  • Troisième limite
    • La Cour de cassation a très tôt estimé, sur le fondement de la théorie de l’abus de droit, que le débiteur engage sa responsabilité si son choix d’imputation a été fait dans l’unique but de nuire au créancier ou à un tiers (V. en ce sens civ. 14 nov. 1922).

II) Imputation du paiement par la loi

==> Principe

L’article 1342-10, al. 2e du Code civil prévoit que « à défaut d’indication par le débiteur, l’imputation a lieu comme suit : d’abord sur les dettes échues ; parmi celles-ci, sur les dettes que le débiteur avait le plus d’intérêt d’acquitter. À égalité d’intérêt, l’imputation se fait sur la plus ancienne ; toutes choses égales, elle se fait proportionnellement. »

Il ressort de cette disposition que lorsque le débiteur n’a exprimé aucun choix, l’imputation du paiement s’opère selon un ordre bien défini.

  • Rang 1 : les dettes échues
    • L’article 1342-10, al. 2e prévoit que le paiement s’impute en priorité sur les dettes échues, soit celles qui sont devenues exigibles.
    • Aussi, est-il indifférent qu’une dette non échue soit plus onéreuse ; le paiement ne pourra s’imputer sur elle qu’après l’extinction de toutes les dettes échues.
  • Rang 2 : les dettes échues que le débiteur avait le plus intérêt à acquitter
    • Le texte précise que parmi les dettes échues le paiement s’impute sur les dettes que le débiteur avait le plus d’intérêt d’acquitter.
    • La question qui alors se pose est de savoir en considération de quel critère l’intérêt du débiteur doit-il être mesuré.
    • Il s’infère de la jurisprudence, que l’intérêt du débiteur se mesure en se référant au caractère onéreux de la dette.
    • Autrement dit, le débiteur a intérêt a payé en priorité la dette la plus onéreuse en raison, soit du coût de ses intérêts (intérêts conventionnels et moratoires, pénalités, frais etc), soit du coût des sûretés dont elle est éventuellement assortie.
    • Pour exemple, en présence d’une dette garantie par cautionnement, la Cour de cassation a jugé que la dette que le débiteur avait le plus intérêt à acquitter n’était autre que la dette cautionnée.
    • En s’acquittant prioritairement de cette dette, son paiement libère, en effet, la caution, ce qui le prémunit d’un éventuel recours en remboursement (V. en ce sens 1ère civ. 29 oct. 1963 ; Cass. 1ère civ. 19 janv. 1994, n°92-12.585).
    • Cette règle n’est toutefois pas d’application absolue.
    • La Cour de cassation a admis que dans certaines circonstances, le débiteur pouvait trouver un intérêt à acquitter une dette autre que celle cautionnée en raison soit de sa garantie par une sûreté de meilleur rang ( 1ère civ. 8 nov. 1989, n°88-10.205), soit de son caractère plus onéreux (Cass. com. 16 mars 2010, n°0912.226).
    • En tout état de cause, l’évaluation de l’intérêt du débiteur à acquitter en priorité telle ou telle dette relève du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond ( 1ère civ. 29 oct. 1963).
    • La seule limite qui se pose à eux réside dans l’interdiction qui leur est faire de faire primer l’intérêt du créancier sur celui du débiteur.
    • Dans un arrêt du 12 juin 2014, la Troisième chambre civile a jugé en ce sens que « si la règle posée par l’article 2425 du Code civil a vocation à régler les conflits pouvant naître entre différents créanciers ayant chacun inscrit une hypothèque sur le même immeuble et privilégie le créancier titulaire de l’hypothèque de premier rang, la prise de rang ne peut cependant permettre à un même créancier qui détient plusieurs créances à l’encontre du propriétaire de l’immeuble de contourner les dispositions de l’article 1256 du Code civil et de déterminer, à la place du débiteur, la dette que ce dernier a le plus intérêt d’acquitter et souverainement que l’antériorité de la dette née du premier prêt et l’intérêt pour le débiteur de se libérer à la fois vis-à-vis de la banque et à l’égard de la caution commandaient l’imputation du produit de la vente de l’immeuble sur le premier prêt» ( 3e civ. 12 juin 2014, n°13-18.595).
  • Rang 3 : la dette échue la plus ancienne en cas d’égalité d’intérêt
    • L’article 1342-10, al. 2e du Code civil prévoit que, en cas d’égalité d’intérêt entre plusieurs dettes, l’imputation du paiement se fait en priorité sur la plus ancienne.
    • Autrement dit, on retient ici comme critère d’imputation la date de naissance de la créance, laquelle ne doit pas être confondue avec sa date d’exigibilité (survenance du terme)
  • Rang 4 : imputation proportionnelle
    • En cas d’impossibilité d’établir un ordre entre les dettes échues au regard des critères précités, l’article 1342-10, al. 2e prévoit que, toutes choses égales par ailleurs, l’imputation « se fait proportionnellement» sur toutes les dettes.
    • En d’autres termes, on imputera le paiement sur chaque dette à proportion de son montant.
  • Rang 5 : les dettes non échues
    • Ce n’est qu’une fois que l’ensemble des dettes échues auront été acquittées que le paiement pourra être imputé sur les dettes non échues.
    • Encore faut-il néanmoins que ces dettes soient assorties d’un terme stipulé au profit exclusif du débiteur.
    • Dans le cas contraire, le créancier sera fondé à refuser le paiement

==> Portée

L’article 1342-10, al. 2e du Code civil présente un caractère supplétif. Cela signifie que les parties sont libres de prévoir que, à défaut d’indication du débiteur, l’imputation s’opérera selon les critères définis dans le contrat.

Il pourra, par exemple, être stipulé que le paiement s’imputera, en priorité sur les dettes cautionnées, puis sur les dettes productives d’intérêts et enfin sur les dettes garanties par une sûreté réelle.

 

 

[1] V. en ce sens Ph. Simler, Cautionnement – Extinction par voie accessoire, Lexisnexis, fasc. Jurisclasseur, n°24