La preuve du fait ou l’exigence d’un fait pertinent et contesté

S’intéresser à l’objet de la preuve suppose de déterminer ce que la partie à un procès doit prouver pour garantir le succès de ses prétentions.

De façon assez surprenante, l’objet de la preuve n’est abordé par aucun texte, alors même qu’il soulève de nombreuses difficultés.

La principale tient à la question de savoir si les justiciables doivent seulement prouver la situation qui est la cause du droit dont ils se prévalent ou s’ils doivent également prouver la règle de droit applicable.

À l’analyse, le principe est que seuls les faits doivent être prouvés. Ce principe n’est toutefois pas absolu. Il est des cas où la preuve du droit devra être rapportée.

Nous nous focaliserons ici sur la preuve du fait. 

S’il revient aux justiciables de rapporter la preuve des faits, tous les faits n’ont pas à être prouvés.

Il s’agit, en effet, de ne pas contraindre les parties à devoir prouver tous les faits qui ont concouru à la situation présentée au juge. Cela pourrait revenir, en effet, à exiger d’elles qu’elles remontent la causalité de l’univers et donc à rendre la preuve impossible.

C’est la raison pour laquelle seuls les faits répondant à certains critères doivent être prouvés. Il doit s’agir :

  • D’une part, de faits pertinents
  • D’autre part, de faits contestés

A) Un fait

==> La preuve du fait et non du droit

L’article 9 du Code de procédure civile prévoit que « il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention. »

Aussi, est-ce aux justiciables qu’il revient de supporter le fardeau de la preuve des faits à l’origine du litige porté devant le juge.

Comme souligné par François Terré « cette exigence naturelle est l’expression d’une nécessaire collaboration avec le juge, de la part de celui qui s’adresse à lui »[1].

La règle ainsi énoncée doit être lue en contemplation de l’article 12 du Code de procédure qui prévoit que « le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables. »

Il ressort de cette disposition que la règle de droit, contrairement aux faits qui dépendent des parties, est l’affaire du juge.

En effet, l’office du juge ne se limite pas à dire le droit, il lui appartient également de le « donner ».

Cette règle est exprimée par l’adage « da mihi factum, da tibi jus » qui signifie littéralement : « donne-moi les faits, je te donnerai le droit ».

Les parties n’ont ainsi nullement l’obligation de prouver la règle de droit dont elles entendent se prévaloir. C’est au juge qu’il incombe de trancher le litige qui lui est soumis au regard de la règle de droit applicable.

La raison en est que le Juge est présumé connaitre la règle de droit conformément à l’adage jura novit curia.

À cet égard, comme souligné par Aubry et Rau « les règles de droit ne sauraient en général faire l’objet d’une preuve proprement dite. Leur existence, leur teneur, et leur portée peuvent donner lieu à discussion, mais le juge est, par sa formation et son expérience, habile à en décider »[2].

N’étant pas tenues de prouver le droit, les parties doivent concentrer leurs efforts sur la preuve du fait. Plus précisément, selon Motulsky, il leur faut prouver « les éléments générateurs du droit par elle réclamé »[3].

A titre d’illustration, une victime qui saisit le Juge afin d’obtenir réparation d’un préjudice devra prouver non pas l’existence d’une règle qui « oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer » (art. 1240 C. civ.), mais que les conditions d’application de cette règle sont réunies (préjudice, fait générateur et lien de causalité).

Dans un procès les rôles sont ainsi parfaitement répartis entre le juge et les parties :

  • D’un côté, il appartient aux parties de prouver les faits qu’elles allèguent au soutien de leurs prétentions
  • D’un autre côté, il revient au juge d’une part, de recueillir les faits qui lui sont soumis, d’autre part, de leur donner ou restituer une exacte qualification et, enfin, de leur appliquer la règle de droit adéquate

==> La preuve du fait au sens large

Lorsque l’article 9 du Code de procédure civile prévoit qu’il incombe « à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention », la question qui immédiatement se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par « faits ».

Doit-on comprendre les faits au sens civiliste du terme, ou doit-on retenir une approche extensive ?

  • L’approche civiliste
    • Si l’on retient l’approche civiliste, il y a lieu d’opérer une distinction entre les faits juridiques et les actes juridiques :
      • Les faits juridiques
        • Ils sont définis à l’article 1100-2 du Code civil comme « des agissements ou des événements auxquels la loi attache des effets de droit».
        • Exemple: un accident de voiture, la dissimulation d’un objet, une tornade, blessures infligées à autrui etc…
      • Les actes juridiques
        • Ils sont définis à l’article 1100-1 du Code civil comme « des manifestations de volonté destinées à produire des effets de droit. »
        • Exemple: un contrat, une démission, une déclaration de naissance, l’acceptation d’une succession etc.
    • Il ressort de ces deux définitions que, le fait juridique se distingue de l’acte juridique en ce que les effets de droit qu’il est susceptible de produire n’ont pas été voulus.
    • Si l’on s’en tient à l’approche strictement civiliste de la notion de « faits », elle devrait conduire à exclure les actes juridiques de l’objet de la preuve, tel que présenté par l’article 9 du Code de procédure civile.
    • Est-ce à dire qu’il n’incomberait pas aux parties de prouver les actes juridiques qu’elles produisent au soutien de leurs prétentions ?
    • L’admettre reviendrait à imposer au juge de tenir pour vrai des éléments dont l’existence et l’authenticité ne seraient pas établies, alors même que l’une ou l’autre serait douteuse, sinon improbable.
    • Or cela serait contraire à la finalité du procès qui, pour mémoire, doit permettre notamment « la manifestation de la vérité» ( 10, al. 1er C. civ.)
    • Pour cette raison, seule une approche extensive de la notion de « faits » peut être envisagée.
  • L’approche extensive
    • Cette approche consiste à appréhender la notion de « faits » comme comprenant, tant les faits juridiques, que les actes juridiques.
    • Aussi, sont-ce de façon générale toutes « les situations juridiques»[4] qui doivent être prouvées par les parties, peu importe leur nature ou leur cause.

S’il n’est pas douteux que la notion de fait doit être comprise largement, cela ne signifie pas pour autant que tous les faits doivent être prouvés.

B) Un fait pertinent

Pour que pèse l’obligation sur une partie de prouver « les faits nécessaires au succès de sa prétention » (art. 9 CPC), encore faut-il que ces faits soient pertinents ou selon la terminologie processualiste « concluants » ou encore « relevants ».

Cette exigence est exprimée par l’adage frustra probatur quod probatum non relevat qui signifie : « il est vain de prouver les faits qui ne sont pas pertinents ».

Par pertinent, il faut comprendre que le fait qui doit être prouvé entretienne un rapport avec le litige porté devant le juge.

Plus précisément, il faut, selon Motulsky, que ce fait présente « une importance pour la solution du litige ».

Aubry et Rau abondent dans le même sens en écrivant que « le juge doit admettre ou ordonner la preuve que des faits relevants, pertinents, ou concluants, c’est-à-dire qui soient de nature à influer, d’une manière plus ou moins décisive, sur le jugement de la cause à l’occasion de laquelle ils sont allégués »[5].

À quoi bon, en effet, prouver un fait qui serait sans incidence sur la solution du litige à tout le moindre qui n’apporterait rien au débat judiciaire.

À cet égard, comme souligné par Jacques Ghestin et Gilles Goubeaux « le plaideur alléguant un fait qui, à supposer établi, ne donnerait prise à aucune règle de droit apte à produire l’effet demandé, doit voir sa prétention rejetée, sans qu’il soit besoin de se préoccuper de l’existence de ce fait »[6].

L’exigence de pertinence des faits à prouver n’est formulée par aucune disposition générale relevant du droit commun de la preuve.

On la retrouve toutefois dans certaines dispositions du Code de procédure civile intéressant les mesures d’instruction susceptibles d’être prises par le Juge.

L’article 143 de ce code prévoit, par exemple, que « les faits dont dépend la solution du litige peuvent, à la demande des parties ou d’office, être l’objet de toute mesure d’instruction légalement admissible ».

Cette règle confère ainsi le droit à un justiciable de solliciter auprès du juge une mesure d’instruction, tant en cours d’instance, qu’en prévision d’un litige à naître, pourvu que le fait qui requiert cette mesure d’instruction soit susceptible d’influer sur la solution du litige.

La question qui alors se pose est de savoir comment identifier un tel fait.

Pour Motulsky les faits pertinents « sont ceux qui correspondent aux éléments générateurs du droit subjectif déduit en justice ». Il poursuit en rappelant « la nécessité pour toute partie faisant valoir un droit subjectif en justice d’alléguer, sous peine d’être déboutée de sa prétention, toutes les circonstances de fait répondant aux éléments générateurs de ce droit »[7].

Or c’est précisément sur la base de ces circonstances que le juge sera en capacité de se forger une conviction.

D’où la conclusion partagée par la plupart des auteurs consistant à admettre qu’un fait présente un caractère pertinent « lorsque, à supposer son existence établie, il est de nature à entraîner la conviction du juge en l’aidant à conclure définitivement le litige »[8].

Pour déterminer si un fait répond au critère de pertinence il y a donc lieu de se demander s’il est susceptible d’influer la conviction du juge et donc d’orienter le sens de sa décision.

S’agissant de l’appréciation par le juge de la pertinence, il y a lieu de distinguer deux hypothèses :

  • Première hypothèse : l’appréciation de la pertinence du fait intéresse la conviction du juge
    • Lorsque l’enjeu de la preuve du fait se limite à influer la conviction du juge alors l’appréciation de la pertinence de la preuve relève de son pouvoir souverain (V. par exemple 2e civ. 30 janv. 1980, n°79-12.470).
    • Le juge est, en effet, seul à pouvoir déterminer si un fait est susceptible d’avoir une incidence sur sa décision
    • Lorsqu’ainsi il estime qu’un fait est trop éloigné du fait qu’une partie cherche à établir, il pourra rejeter la preuve à rapporter, car inutile ( 1ère civ. 20 nov. 1973, n°72-13.508).
    • Le juge pourra encore refuser d’ordonner une mesure d’instruction visant à établir un fait « quand sa conviction est formée» ( 2e civ. 12 mars 1970, n°69-12.291).
  • Seconde hypothèse : l’appréciation de la pertinence du fait mobilise une règle de droit
    • Lorsque l’enjeu de la preuve d’un fait intéresse la violation ou l’application d’une règle de droit, il est admis que la Cour de cassation exerce son contrôle sur l’appréciation par les juges du fond de la pertinence de la preuve rapportée.
    • Dans un arrêt du 29 juin 1967, la Deuxième chambre civile a jugé en ce sens que « si les juges du fond ont, en principe, un pouvoir souverain d’appréciation, quant à la pertinence des faits offerts en preuve, il en est autrement quand les faits invoqués, dans le cas où l’existence en serait établie, justifieraient les prétentions de la partie qui les articule» ( 2e civ. 29 juin 1967).

C) Un fait contesté

==> Théorie du fait constant

Parce que « la preuve juridique est une preuve judiciaire »[9], elle ne doit être rapportée que si le fait dont se prévaut l’une des parties au procès est contesté.

Cette exigence est issue de la « théorie du fait constant » développée par Motulsky qui a soutenu que « pour que se pose la question de la preuve, il faut donc une contestation ; un fait reconnu ou simplement non contesté n’a pas besoin d’être prouvé »[10].

Cet auteur explique que pour que les parties à un procès puissent espérer voir prospérer leurs prétentions, il leur échoit d’accomplir deux tâches bien distinctes :

  • Première tâche : l’allégation des faits
    • La première tâche qui incombe à une partie qui se prévaut de l’application d’une règle de droit est d’alléguer les faits qui justifient son application
    • Cette exigence est énoncée à l’article 6 du Code de procédure civile qui prévoit que « à l’appui de leurs prétentions, les parties ont la charge d’alléguer les faits propres à les fonder».
    • Il ne s’agit pas, à ce stade, de prouver les faits qui ont concouru à la situation présentée au juge, mais seulement de les lui exposer, pourvu qu’ils soient pertinents.
    • Car rappelle Motulsky, avant de s’intéresser à la preuve du fait, le juge va d’abord chercher à déterminer s’il existe « une coïncidence totale entre les éléments générateurs du droit réclamé et les allégations du demandeur»[11].
    • Dans l’affirmative, le juge devra tenir pour vrai le fait allégué et faire droit à la prétention du demandeur, sauf à ce que s’élève une contestation du défendeur.
  • Seconde tâche : la preuve des faits
    • Ce n’est que dans l’hypothèse où le défendeur oppose une résistance au demandeur que ce dernier sera tenu de rapporter la preuve des faits qu’il allègue.
    • À cet égard, comme souligné par Motulsky « la position du défendeur n’intéresse […] le juge qu’à condition que le défendeur nie la réalité de l’une au moins des circonstances faisant écho aux éléments générateurs [du droit invoqué par le demandeur]»[12].
    • Aussi l’objet de la preuve est-il circonscrit aux seuls faits qui sont contestés

La doctrine a tenté de justifier la théorie du fait constant soutenue par Motulsky en convoquant le principe dispositif et le dispositif de l’aveu judiciaire :

  • Le principe dispositif
    • Ce principe est énoncé à l’article 4, al. 1er du Code de procédure civile qui prévoit que « l’objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties. »
    • Parce que donc ce sont les parties qui déterminent le périmètre du procès, seuls les faits qu’elles entendraient soumettre à la discussion devraient être prouvés.
    • Les faits qui ne feraient l’objet d’aucune contestation s’imposeraient donc au juge qui n’aurait d’autre choix que de les tenir pour vrai.
    • D’ailleurs, l’article 7, al. 1er prévoit que « le juge ne peut fonder sa décision sur des faits qui ne sont pas dans le débat. »
    • Bien que l’argument soit séduisant, il se heurte notamment au second alinéa de l’article 7 qui dispose que « parmi les éléments du débat, le juge peut prendre en considération même les faits que les parties n’auraient pas spécialement invoqués au soutien de leurs prétentions. »
    • L’article 8 confère, en outre, au juge le pouvoir d’« inviter les parties à fournir les explications de fait qu’il estime nécessaires à la solution du litige.»
    • De toute évidence, le principe dispositif peine à justifier la théorie du fait constant.
  • L’aveu judiciaire
    • D’aucuns ont avancé que si un fait contesté n’a pas besoin d’être prouvé, c’est parce que l’absence de contestation par le défendeur s’analyse à un aveu tacite.
    • Or l’aveu compte parmi les modes de preuve.
    • À cet égard, l’article 1383-2 du Code civil prévoit, d’une part, que l’aveu judiciaire « fait foi contre celui qui l’a fait», d’autre part, qu’« il est irrévocable, sauf en cas d’erreur de fait. »
    • Là encore, l’argument ne convainc pas.
    • Compte tenu des conséquences attachées à l’aveu judiciaire, il serait dangereux d’admettre qu’il puisse s’induire du silence d’une partie.
    • La définition qui en est donnée par le premier alinéa de l’article 1383-2 du Code civil semble d’ailleurs s’y opposer.
    • Cette disposition prévoit que « l’aveu judiciaire est la déclaration que fait en justice la partie ou son représentant spécialement mandaté. »
    • Une déclaration consiste toujours en un acte positif et plus précisément en la manifestation d’une volonté.
    • Dès lors, il y a une incompatibilité entre l’aveu et la reconnaissance tacite d’un fait.

Au bilan, aucun des deux arguments portés par la doctrine ne parvient à justifier la théorie du fait constant. Cela n’a toutefois pas empêché sa réception en droit positif.

==> Réception de la théorie du fait constant en droit positif

L’examen de la jurisprudence révèle que la théorie du fait constant a été reconnue dans de nombreuses décisions.

Dans un arrêt du 16 novembre 1972, la Cour de cassation a, par exemple, censuré une Cour d’appel qui, pour refuser à des salariés le remboursement de frais de voyages a retenu que les états produits par chacun d’eux ne constituaient pas la preuve qu’il avait bien effectué les voyages.

La Chambre sociale casse et annule l’arrêt rendu au motif qu’un salarié « n’est tenu de rapporter cette preuve que si la réalité du voyage est déniée par l’employeur débiteur des remboursements » (Cass. soc. 16 nov. 1972, n°72-40.080).

La Chambre commerciale a statué dans le même sens dans un arrêt du 2 mai 1989 à propos de créances tirées d’effets de commerce déclarées au passif d’une procédure collective.

Faute d’avoir été contestées par le débiteur, la Cour de cassation a estimé que les créances déclarées devaient être admises au passif de la procédure (Cass. com. 2 mai 1989, n°87-17.159).

Si les décisions admettant l’absence de nécessité de rapporter la preuve d’un fait non contesté soit nombreuses, certaines ont semé le trouble quant à l’assimilation en droit positif de la théorie du fait constant.

Dans un arrêt du 10 mai 1991, la Cour de cassation a notamment jugé qu’une Cour d’appel « n’était pas tenue de considérer que les faits allégués étaient constants au seul motif qu’ils n’avaient pas été expressément contestés par les autres parties » (Cass. 2e civ. 10 mai 1991, n°89-10.460).

Ainsi dans cette décision, la Deuxième chambre civile considère-t-elle que le juge n’est nullement obligé de tenir pour vrai un fait dès lors qu’il n’est pas contesté. Il S’agit là d’une simple faculté qu’il est libre d’exercer.

Cette approche a été partagée par la Chambre commerciale qui, dans un arrêt du 10 octobre 2000, a décidé que « le juge n’est pas tenu de considérer un fait allégué pour constant au seul motif qu’il n’est pas expressément contesté » (Cass. com. 10 oct. 2000, n°97-22.399).

Il s’infère de ces décisions que la théorie du fait constant est pour le moins fragile, sinon remise en cause. Le juge demeure, en effet, toujours libre de ne pas réputer comme établi un fait qui ne serait pas contesté.

Il semble donc falloir s’en tenir à la règle énoncée à l’article 9 du Code de procédure civile qui n’opère aucune distinction entre les faits à prouver. En application de cette disposition il incombe à chaque partie d’établir « les faits nécessaires au succès de sa prétention ».

À cet égard, dans un arrêt du 18 avril 2000, la Cour de cassation a jugé que « le silence opposé à l’affirmation d’un fait ne vaut pas à lui seul reconnaissance de ce fait » (Cass. 1ère civ. 18 avr. 2000, n°97-22.421).

Autrement dit, le silence du défendeur ne saurait dispenser le demandeur de prouver les faits qu’il allègue.

 

[1] F. Terré, Introduction générale au droit, éd. Dalloz, 2000, n°487, p. 516.

[2] C. Aubry et C. Rau, Droit civil français, 6e éd. 1958, T. 12, par P. Esmein, p. 52.

[3] H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, thèse, Lyon, 1947, éd. Dalloz, 2002, n°115, p. 128

[4] F. Terré, Introduction générale au droit, éd. Dalloz, 2000, n°488, p. 516.

[5] C. Aubry et C. Rau, Cours de droit civil français d’après la méthode de Zachariea, éd. Hachette Livre – BNF, p. 153

[6] J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°576, p.452.

[7] H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, thèse, Lyon, 1947, éd. Dalloz, 2002, n°85, p. 87.

[8] R. Beudant et P. Lerebours-Pigeonnière, Cours de droit civil français, t. 9, Les contrats et les obligations, par G. Lagarde et R. Perrot, 1953, Rousseau, n°1170.

[9] J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°563, p.441.

[10] H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, thèse, Lyon, 1947, éd. Dalloz, 2002, n°115, p. 128.

[11] H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, thèse, Lyon, 1947, éd. Dalloz, 2002, n°107, p. 114.

[12] H. Motulsky, op. cit., n°109, p. 119.

[13] P. Mayer et V. Heuzé, Droit international privé, éd. LGDJ, 2001, n°179

[14] G. Cornu, Vocabulaire juridique, éd. Puf, 2005, V. Coutume, p. 248

La preuve de la coutume

À l’instar de la loi étrangère, le juge n’est pas censé connaître tous les usages et coutumes auxquels les justiciables sont susceptibles de se soumettre.

Pour mémoire, la coutume se définit comme une « norme de droit objectif fondée sur une tradition populaire (consensus utentium) qui prête à une pratique constante, un caractère juridiquement contraignant »[14].

Lorsqu’une partie à un procès se prévaut de l’application d’une coutume immédiatement se pose la question de la preuve de l’existence et du contenu de la règle invoquée.

Très tôt la jurisprudence a posé que la preuve de la coutume devait être rapportée par la partie qui en réclame l’application (V. par exemple Cass. soc. 11 juin 1987, n°84-43.059).

L’assemblée plénière a confirmé cette solution dans un arrêt du 26 février 1988 (Cass. ass. plén. 26 févr. 1988, n°85-40.034)

Parce que la coutume est traitée comme un fait, elle peut être prouvée par tous moyens.

Ainsi, les usages professionnels pourront, par exemple, être établis au moyen d’attestations délivrées par des Chambres de commerce, des Chambres des métiers ou encore des associations de professionnels (V. en ce sens Cass. com. 9 janv. 2001, n°97-22.668 ; Cass. com. 12 déc. 1973, n°72-12.979).

Dans un arrêt du 6 janvier 1987, la Cour de cassation a précisé « qu’il n’appartient pas à la Cour de Cassation de contrôler l’existence et l’application des principes et usages du commerce international » (Cass. 1ère civ. 6 janv. 1987, n°84-17.274).

C’est donc aux seuls juges du fond qu’il revient d’apprécier souverainement l’existence et le contenu de la coutume invoquée par une partie.

 

[1] F. Terré, Introduction générale au droit, éd. Dalloz, 2000, n°487, p. 516.

[2] C. Aubry et C. Rau, Droit civil français, 6e éd. 1958, T. 12, par P. Esmein, p. 52.

[3] H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, thèse, Lyon, 1947, éd. Dalloz, 2002, n°115, p. 128

[4] F. Terré, Introduction générale au droit, éd. Dalloz, 2000, n°488, p. 516.

[5] C. Aubry et C. Rau, Cours de droit civil français d’après la méthode de Zachariea, éd. Hachette Livre – BNF, p. 153

[6] J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°576, p.452.

[7] H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, thèse, Lyon, 1947, éd. Dalloz, 2002, n°85, p. 87.

[8] R. Beudant et P. Lerebours-Pigeonnière, Cours de droit civil français, t. 9, Les contrats et les obligations, par G. Lagarde et R. Perrot, 1953, Rousseau, n°1170.

[9] J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°563, p.441.

[10] H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, thèse, Lyon, 1947, éd. Dalloz, 2002, n°115, p. 128.

[11] H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, thèse, Lyon, 1947, éd. Dalloz, 2002, n°107, p. 114.

[12] H. Motulsky, op. cit., n°109, p. 119.

[13] P. Mayer et V. Heuzé, Droit international privé, éd. LGDJ, 2001, n°179

[14] G. Cornu, Vocabulaire juridique, éd. Puf, 2005, V. Coutume, p. 248

La preuve de la loi étrangère

Lorsqu’une situation juridique comporte un élément d’extranéité, elle mobilise potentiellement plusieurs droits nationaux qui peuvent rentrer en conflit.

Ce conflit est appréhendé par ce que l’on appelle une règle de conflit lois, laquelle a pour fonction de désigner la loi applicable.

Par le jeu de ce dispositif, le juge français est ainsi susceptible de faire application d’une loi étrangère sur le territoire national.

Très tôt la question s’est posée de savoir quel traitement réserver à la loi étrangère s’agissant de la preuve. Deux approchent viennent à l’esprit en première intention :

  • Première approche
    • Elle consiste à appréhender la loi étrangère comme n’importe règle de droit français.
    • Cette approche conduit alors à dispenser les parties de prouver la loi étrangère
    • C’est donc au juge que reviendrait la tâche de trancher le litige qui lui est soumis en appliquant la loi étrangère adéquate
    • Cette position revient toutefois à considérer que le juge connaît le contenu de la loi étrangère
    • Or il s’agit là d’un vœu pieux, le juge étant déjà bien en peine de maîtriser le droit français compte tenu de sa complexité
  • Seconde approche
    • Elle consiste à appréhender la loi étrangère comme un fait, de sorte que c’est aux parties qu’il incomberait de prouver son existence et son contenu.
    • Cette approche se veut pragmatique ; puisque intégrant l’impossibilité pour le juge français de connaître les droits de tous les États du monde.
    • L’autre argument avancé par les auteurs est que la loi étrangère « apparaît au juge français dépouillée de son élément impératif, en lequel réside justement le caractère juridique»[13].
    • Pour cette raison, elle ne se distinguerait pas d’un fait juridique et devrait, en conséquence, être traitée comme telle.

Dans un premier temps, la Cour de cassation a adopté la seconde approche. Dans un arrêt Lautour du 25 mai 1948, elle a, en effet, fait peser l’obligation sur les parties de rapporter la preuve de la loi étrangère applicable.

Au soutien de sa décision, la Haute juridiction a avancé qu’« il n’appartenait pas aux juges du fond de déplacer le fardeau de la preuve et de soustraire au contrôle de la Cour de cassation leur décision relative au règlement du conflit, en reprochant subsidiairement au défendeur à l’instance l’ignorance où ils les aurait laissés à des dispositions précises du droit espagnol capables de justifier ses allégations, alors que la victime, demanderesse en réparation, à laquelle incombait la charge de prouver que la loi applicable lui accordait les dommages-intérêts réclamés, ne contestait pas l’interprétation du droit espagnol affirmée par son adversaire » (Cass. Civ. 25mai 1948).

La Cour de cassation a, par suite, réaffirmé cette solution notamment dans un arrêt Sté Thinet rendu en date du 24 janvier 1984 (Cass. 1ère civ. 24 janv. 1984, n°82-16.767).

Dans un deuxième temps, la Cour de cassation a infléchi sa position en opérant une distinction entre les demandes portant sur des droits disponibles et celles portant sur des droits indisponibles

  • Première situation : les droits litigieux sont disponibles
    • Dans cette hypothèse, la charge de la preuve de la loi étrangère pèse sur les parties.
    • Dans un arrêt du 16 novembre 1993, la Chambre commerciale a jugé que « les matières où les parties ont la libre disposition de leurs droits, il incombe à la partie qui prétend que la mise en œuvre du droit étranger, désigné par la règle de conflit de lois, conduirait à un résultat différent de celui obtenu par l’application du droit français, de démontrer l’existence de cette différence par la preuve du contenu de la loi étrangère qu’elle invoque, à défaut de quoi le droit français s’applique en raison de sa vocation subsidiaire» ( com. 16 nov. 1993, n°91-16.116).
  • Seconde situation : les droits litigieux sont indisponibles
    • Dans cette hypothèse, c’est au juge qu’il appartient de rechercher d’office le contenu de la loi étrangère
    • Dans un arrêt du 1er juillet 1997, la Première chambre civile a jugé en ce sens que « l’application de la loi étrangère désignée pour régir les droits dont les parties n’ont pas la libre disposition impose au juge français de rechercher la teneur de cette loi» ( 1ère civ. 1er juill. 1997, n°95-17.925)

Dans un troisième temps, la Cour de cassation a abandonné cette distinction en décidant dans un arrêt du 27 janvier 1998 « qu’il appartient au juge qui déclare applicable une loi étrangère de procéder à sa mise en œuvre, et, spécialement, d’en rechercher la teneur » (Cass. 1ère civ. 27 janv. 1998, n°95-20.600).

Elle a ensuite confirmé ce revirement de jurisprudence en précisant dans deux arrêts rendus, le même jour, par la Première chambre civile et la Chambre commerciale, « qu’il incombe au juge français qui reconnaît applicable un droit étranger, d’en rechercher, soit d’office soit à la demande d’une partie qui l’invoque, la teneur, avec le concours des parties et personnellement s’il y a lieu, et de donner à la question litigieuse une solution conforme au droit positif étranger » (Cass. 1ère civ. 28 juin 2005, n°00-15.734 ; Cass. com. 28 juin 2005, n°02-14.686).

Par ces deux arrêts, la Cour de cassation renonce ainsi à l’idée que la preuve du contenu de la loi étrangère incombe exclusivement aux parties.

Dès lors que le conflit de lois a été résolu, le caractère disponible ou indisponible des droits subjectifs discutés devant le juge est sans incidence sur l’établissement du contenu de la loi étrangère.

La Cour de cassation a résumé cette idée dans un arrêt du 16 septembre 2015 aux termes duquel elle a jugé que « qu’il incombe au juge français, saisi d’une demande d’application d’un droit étranger, de rechercher la loi compétente, selon la règle de conflit, puis de déterminer son contenu, au besoin avec l’aide des parties, et de l’appliquer » (Cass. 1ère civ. 16 sept. 2015, n°14-10.373)

S’agissant du contrôle exercé par la Cour de cassation sur l’interprétation de la loi étrangère par les juges du fond, il est le même que celui exercé en matière d’actes juridiques.

Dans un arrêt du 13 novembre 2003, la Première chambre civile a, en effet, affirmé « que s’il incombe au juge français, qui applique une loi étrangère, de rechercher et de justifier la solution donnée à la question litigieuse par le droit positif de l’Etat concerné, l’application qu’il fait de ce droit étranger, quelle qu’en soit la source, légale ou jurisprudentielle, échappe, sauf dénaturation, au contrôle de la Cour de Cassation » (Cass. 1ère civ. 3 juin 2003, n°01-00.859).

Par hypothèse, la Cour de cassation n’est investie d’aucun pouvoir juridictionnel ou disciplinaire sur le droit étranger. Dans ces conditions, elle ne peut appréhender la loi étrangère que comme un acte juridique ordinaire relevant du domaine des faits au sens large – par opposition au droit.

C’est la raison pour laquelle, lorsque la Cour de cassation est saisie pour se prononcer sur l’application d’une loi étrangère, son contrôle se limite à vérifier que les juges du fond n’ont pas dénaturé le sens de la règle discutée.

 

 

[1] F. Terré, Introduction générale au droit, éd. Dalloz, 2000, n°487, p. 516.

[2] C. Aubry et C. Rau, Droit civil français, 6e éd. 1958, T. 12, par P. Esmein, p. 52.

[3] H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, thèse, Lyon, 1947, éd. Dalloz, 2002, n°115, p. 128

[4] F. Terré, Introduction générale au droit, éd. Dalloz, 2000, n°488, p. 516.

[5] C. Aubry et C. Rau, Cours de droit civil français d’après la méthode de Zachariea, éd. Hachette Livre – BNF, p. 153

[6] J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°576, p.452.

[7] H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, thèse, Lyon, 1947, éd. Dalloz, 2002, n°85, p. 87.

[8] R. Beudant et P. Lerebours-Pigeonnière, Cours de droit civil français, t. 9, Les contrats et les obligations, par G. Lagarde et R. Perrot, 1953, Rousseau, n°1170.

[9] J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°563, p.441.

[10] H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, thèse, Lyon, 1947, éd. Dalloz, 2002, n°115, p. 128.

[11] H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, thèse, Lyon, 1947, éd. Dalloz, 2002, n°107, p. 114.

[12] H. Motulsky, op. cit., n°109, p. 119.

[13] P. Mayer et V. Heuzé, Droit international privé, éd. LGDJ, 2001, n°179

[14] G. Cornu, Vocabulaire juridique, éd. Puf, 2005, V. Coutume, p. 248

Objet de la preuve: théorie du fait constant

==> Théorie du fait constant

Parce que « la preuve juridique est une preuve judiciaire »[9], elle ne doit être rapportée que si le fait dont se prévaut l’une des parties au procès est contesté.

Cette exigence est issue de la « théorie du fait constant » développée par Motulsky qui a soutenu que « pour que se pose la question de la preuve, il faut donc une contestation ; un fait reconnu ou simplement non contesté n’a pas besoin d’être prouvé »[10].

Cet auteur explique que pour que les parties à un procès puissent espérer voir prospérer leurs prétentions, il leur échoit d’accomplir deux tâches bien distinctes :

  • Première tâche : l’allégation des faits
    • La première tâche qui incombe à une partie qui se prévaut de l’application d’une règle de droit est d’alléguer les faits qui justifient son application
    • Cette exigence est énoncée à l’article 6 du Code de procédure civile qui prévoit que « à l’appui de leurs prétentions, les parties ont la charge d’alléguer les faits propres à les fonder».
    • Il ne s’agit pas, à ce stade, de prouver les faits qui ont concouru à la situation présentée au juge, mais seulement de les lui exposer, pourvu qu’ils soient pertinents.
    • Car rappelle Motulsky, avant de s’intéresser à la preuve du fait, le juge va d’abord chercher à déterminer s’il existe « une coïncidence totale entre les éléments générateurs du droit réclamé et les allégations du demandeur»[11].
    • Dans l’affirmative, le juge devra tenir pour vrai le fait allégué et faire droit à la prétention du demandeur, sauf à ce que s’élève une contestation du défendeur.
  • Seconde tâche : la preuve des faits
    • Ce n’est que dans l’hypothèse où le défendeur oppose une résistance au demandeur que ce dernier sera tenu de rapporter la preuve des faits qu’il allègue.
    • À cet égard, comme souligné par Motulsky « la position du défendeur n’intéresse […] le juge qu’à condition que le défendeur nie la réalité de l’une au moins des circonstances faisant écho aux éléments générateurs [du droit invoqué par le demandeur]»[12].
    • Aussi l’objet de la preuve est-il circonscrit aux seuls faits qui sont contestés

La doctrine a tenté de justifier la théorie du fait constant soutenue par Motulsky en convoquant le principe dispositif et le dispositif de l’aveu judiciaire :

  • Le principe dispositif
    • Ce principe est énoncé à l’article 4, al. 1er du Code de procédure civile qui prévoit que « l’objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties. »
    • Parce que donc ce sont les parties qui déterminent le périmètre du procès, seuls les faits qu’elles entendraient soumettre à la discussion devraient être prouvés.
    • Les faits qui ne feraient l’objet d’aucune contestation s’imposeraient donc au juge qui n’aurait d’autre choix que de les tenir pour vrai.
    • D’ailleurs, l’article 7, al. 1er prévoit que « le juge ne peut fonder sa décision sur des faits qui ne sont pas dans le débat. »
    • Bien que l’argument soit séduisant, il se heurte notamment au second alinéa de l’article 7 qui dispose que « parmi les éléments du débat, le juge peut prendre en considération même les faits que les parties n’auraient pas spécialement invoqués au soutien de leurs prétentions. »
    • L’article 8 confère, en outre, au juge le pouvoir d’« inviter les parties à fournir les explications de fait qu’il estime nécessaires à la solution du litige.»
    • De toute évidence, le principe dispositif peine à justifier la théorie du fait constant.
  • L’aveu judiciaire
    • D’aucuns ont avancé que si un fait contesté n’a pas besoin d’être prouvé, c’est parce que l’absence de contestation par le défendeur s’analyse à un aveu tacite.
    • Or l’aveu compte parmi les modes de preuve.
    • À cet égard, l’article 1383-2 du Code civil prévoit, d’une part, que l’aveu judiciaire « fait foi contre celui qui l’a fait», d’autre part, qu’« il est irrévocable, sauf en cas d’erreur de fait. »
    • Là encore, l’argument ne convainc pas.
    • Compte tenu des conséquences attachées à l’aveu judiciaire, il serait dangereux d’admettre qu’il puisse s’induire du silence d’une partie.
    • La définition qui en est donnée par le premier alinéa de l’article 1383-2 du Code civil semble d’ailleurs s’y opposer.
    • Cette disposition prévoit que « l’aveu judiciaire est la déclaration que fait en justice la partie ou son représentant spécialement mandaté. »
    • Une déclaration consiste toujours en un acte positif et plus précisément en la manifestation d’une volonté.
    • Dès lors, il y a une incompatibilité entre l’aveu et la reconnaissance tacite d’un fait.

Au bilan, aucun des deux arguments portés par la doctrine ne parvient à justifier la théorie du fait constant. Cela n’a toutefois pas empêché sa réception en droit positif.

==> Réception de la théorie du fait constant en droit positif

L’examen de la jurisprudence révèle que la théorie du fait constant a été reconnue dans de nombreuses décisions.

Dans un arrêt du 16 novembre 1972, la Cour de cassation a, par exemple, censuré une Cour d’appel qui, pour refuser à des salariés le remboursement de frais de voyages a retenu que les états produits par chacun d’eux ne constituaient pas la preuve qu’il avait bien effectué les voyages.

La Chambre sociale casse et annule l’arrêt rendu au motif qu’un salarié « n’est tenu de rapporter cette preuve que si la réalité du voyage est déniée par l’employeur débiteur des remboursements » (Cass. soc. 16 nov. 1972, n°72-40.080).

La Chambre commerciale a statué dans le même sens dans un arrêt du 2 mai 1989 à propos de créances tirées d’effets de commerce déclarées au passif d’une procédure collective.

Faute d’avoir été contestées par le débiteur, la Cour de cassation a estimé que les créances déclarées devaient être admises au passif de la procédure (Cass. com. 2 mai 1989, n°87-17.159).

Si les décisions admettant l’absence de nécessité de rapporter la preuve d’un fait non contesté soit nombreuses, certaines ont semé le trouble quant à l’assimilation en droit positif de la théorie du fait constant.

Dans un arrêt du 10 mai 1991, la Cour de cassation a notamment jugé qu’une Cour d’appel « n’était pas tenue de considérer que les faits allégués étaient constants au seul motif qu’ils n’avaient pas été expressément contestés par les autres parties » (Cass. 2e civ. 10 mai 1991, n°89-10.460).

Ainsi dans cette décision, la Deuxième chambre civile considère-t-elle que le juge n’est nullement obligé de tenir pour vrai un fait dès lors qu’il n’est pas contesté. Il S’agit là d’une simple faculté qu’il est libre d’exercer.

Cette approche a été partagée par la Chambre commerciale qui, dans un arrêt du 10 octobre 2000, a décidé que « le juge n’est pas tenu de considérer un fait allégué pour constant au seul motif qu’il n’est pas expressément contesté » (Cass. com. 10 oct. 2000, n°97-22.399).

Il s’infère de ces décisions que la théorie du fait constant est pour le moins fragile, sinon remise en cause. Le juge demeure, en effet, toujours libre de ne pas réputer comme établi un fait qui ne serait pas contesté.

Il semble donc falloir s’en tenir à la règle énoncée à l’article 9 du Code de procédure civile qui n’opère aucune distinction entre les faits à prouver. En application de cette disposition il incombe à chaque partie d’établir « les faits nécessaires au succès de sa prétention ».

À cet égard, dans un arrêt du 18 avril 2000, la Cour de cassation a jugé que « le silence opposé à l’affirmation d’un fait ne vaut pas à lui seul reconnaissance de ce fait » (Cass. 1ère civ. 18 avr. 2000, n°97-22.421).

Autrement dit, le silence du défendeur ne saurait dispenser le demandeur de prouver les faits qu’il allègue.

 

 

[1] F. Terré, Introduction générale au droit, éd. Dalloz, 2000, n°487, p. 516.

[2] C. Aubry et C. Rau, Droit civil français, 6e éd. 1958, T. 12, par P. Esmein, p. 52.

[3] H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, thèse, Lyon, 1947, éd. Dalloz, 2002, n°115, p. 128

[4] F. Terré, Introduction générale au droit, éd. Dalloz, 2000, n°488, p. 516.

[5] C. Aubry et C. Rau, Cours de droit civil français d’après la méthode de Zachariea, éd. Hachette Livre – BNF, p. 153

[6] J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°576, p.452.

[7] H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, thèse, Lyon, 1947, éd. Dalloz, 2002, n°85, p. 87.

[8] R. Beudant et P. Lerebours-Pigeonnière, Cours de droit civil français, t. 9, Les contrats et les obligations, par G. Lagarde et R. Perrot, 1953, Rousseau, n°1170.

[9] J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°563, p.441.

[10] H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, thèse, Lyon, 1947, éd. Dalloz, 2002, n°115, p. 128.

[11] H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, thèse, Lyon, 1947, éd. Dalloz, 2002, n°107, p. 114.

[12] H. Motulsky, op. cit., n°109, p. 119.

[13] P. Mayer et V. Heuzé, Droit international privé, éd. LGDJ, 2001, n°179

[14] G. Cornu, Vocabulaire juridique, éd. Puf, 2005, V. Coutume, p. 248

L’objet de la preuve: théorie générale

S’intéresser à l’objet de la preuve suppose de déterminer ce que la partie à un procès doit prouver pour garantir le succès de ses prétentions.

De façon assez surprenante, l’objet de la preuve n’est abordé par aucun texte, alors même qu’il soulève de nombreuses difficultés.

La principale tient à la question de savoir si les justiciables doivent seulement prouver la situation qui est la cause du droit dont ils se prévalent ou s’ils doivent également prouver la règle de droit applicable.

À l’analyse, le principe est que seuls les faits doivent être prouvés. Ce principe n’est toutefois pas absolu. Il est des cas où la preuve du droit devra être rapportée.

I) La preuve du fait

S’il revient aux justiciables de rapporter la preuve des faits, tous les faits n’ont pas à être prouvés.

Il s’agit, en effet, de ne pas contraindre les parties à devoir prouver tous les faits qui ont concouru à la situation présentée au juge. Cela pourrait revenir, en effet, à exiger d’elles qu’elles remontent la causalité de l’univers et donc à rendre la preuve impossible.

C’est la raison pour laquelle seuls les faits répondant à certains critères doivent être prouvés. Il doit s’agir :

  • D’une part, de faits pertinents
  • D’autre part, de faits contestés

A) Un fait

==> La preuve du fait et non du droit

L’article 9 du Code de procédure civile prévoit que « il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention. »

Aussi, est-ce aux justiciables qu’il revient de supporter le fardeau de la preuve des faits à l’origine du litige porté devant le juge.

Comme souligné par François Terré « cette exigence naturelle est l’expression d’une nécessaire collaboration avec le juge, de la part de celui qui s’adresse à lui »[1].

La règle ainsi énoncée doit être lue en contemplation de l’article 12 du Code de procédure qui prévoit que « le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables. »

Il ressort de cette disposition que la règle de droit, contrairement aux faits qui dépendent des parties, est l’affaire du juge.

En effet, l’office du juge ne se limite pas à dire le droit, il lui appartient également de le « donner ».

Cette règle est exprimée par l’adage « da mihi factum, da tibi jus » qui signifie littéralement : « donne-moi les faits, je te donnerai le droit ».

Les parties n’ont ainsi nullement l’obligation de prouver la règle de droit dont elles entendent se prévaloir. C’est au juge qu’il incombe de trancher le litige qui lui est soumis au regard de la règle de droit applicable.

La raison en est que le Juge est présumé connaitre la règle de droit conformément à l’adage jura novit curia.

À cet égard, comme souligné par Aubry et Rau « les règles de droit ne sauraient en général faire l’objet d’une preuve proprement dite. Leur existence, leur teneur, et leur portée peuvent donner lieu à discussion, mais le juge est, par sa formation et son expérience, habile à en décider »[2].

N’étant pas tenues de prouver le droit, les parties doivent concentrer leurs efforts sur la preuve du fait. Plus précisément, selon Motulsky, il leur faut prouver « les éléments générateurs du droit par elle réclamé »[3].

A titre d’illustration, une victime qui saisit le Juge afin d’obtenir réparation d’un préjudice devra prouver non pas l’existence d’une règle qui « oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer » (art. 1240 C. civ.), mais que les conditions d’application de cette règle sont réunies (préjudice, fait générateur et lien de causalité).

Dans un procès les rôles sont ainsi parfaitement répartis entre le juge et les parties :

  • D’un côté, il appartient aux parties de prouver les faits qu’elles allèguent au soutien de leurs prétentions
  • D’un autre côté, il revient au juge d’une part, de recueillir les faits qui lui sont soumis, d’autre part, de leur donner ou restituer une exacte qualification et, enfin, de leur appliquer la règle de droit adéquate

==> La preuve du fait au sens large

Lorsque l’article 9 du Code de procédure civile prévoit qu’il incombe « à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention », la question qui immédiatement se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par « faits ».

Doit-on comprendre les faits au sens civiliste du terme, ou doit-on retenir une approche extensive ?

  • L’approche civiliste
    • Si l’on retient l’approche civiliste, il y a lieu d’opérer une distinction entre les faits juridiques et les actes juridiques :
      • Les faits juridiques
        • Ils sont définis à l’article 1100-2 du Code civil comme « des agissements ou des événements auxquels la loi attache des effets de droit».
        • Exemple: un accident de voiture, la dissimulation d’un objet, une tornade, blessures infligées à autrui etc…
      • Les actes juridiques
        • Ils sont définis à l’article 1100-1 du Code civil comme « des manifestations de volonté destinées à produire des effets de droit. »
        • Exemple: un contrat, une démission, une déclaration de naissance, l’acceptation d’une succession etc.
    • Il ressort de ces deux définitions que, le fait juridique se distingue de l’acte juridique en ce que les effets de droit qu’il est susceptible de produire n’ont pas été voulus.
    • Si l’on s’en tient à l’approche strictement civiliste de la notion de « faits », elle devrait conduire à exclure les actes juridiques de l’objet de la preuve, tel que présenté par l’article 9 du Code de procédure civile.
    • Est-ce à dire qu’il n’incomberait pas aux parties de prouver les actes juridiques qu’elles produisent au soutien de leurs prétentions ?
    • L’admettre reviendrait à imposer au juge de tenir pour vrai des éléments dont l’existence et l’authenticité ne seraient pas établies, alors même que l’une ou l’autre serait douteuse, sinon improbable.
    • Or cela serait contraire à la finalité du procès qui, pour mémoire, doit permettre notamment « la manifestation de la vérité» ( 10, al. 1er C. civ.)
    • Pour cette raison, seule une approche extensive de la notion de « faits » peut être envisagée.
  • L’approche extensive
    • Cette approche consiste à appréhender la notion de « faits » comme comprenant, tant les faits juridiques, que les actes juridiques.
    • Aussi, sont-ce de façon générale toutes « les situations juridiques»[4] qui doivent être prouvées par les parties, peu importe leur nature ou leur cause.

S’il n’est pas douteux que la notion de fait doit être comprise largement, cela ne signifie pas pour autant que tous les faits doivent être prouvés.

B) Un fait pertinent

Pour que pèse l’obligation sur une partie de prouver « les faits nécessaires au succès de sa prétention » (art. 9 CPC), encore faut-il que ces faits soient pertinents ou selon la terminologie processualiste « concluants » ou encore « relevants ».

Cette exigence est exprimée par l’adage frustra probatur quod probatum non relevat qui signifie : « il est vain de prouver les faits qui ne sont pas pertinents ».

Par pertinent, il faut comprendre que le fait qui doit être prouvé entretienne un rapport avec le litige porté devant le juge.

Plus précisément, il faut, selon Motulsky, que ce fait présente « une importance pour la solution du litige ».

Aubry et Rau abondent dans le même sens en écrivant que « le juge doit admettre ou ordonner la preuve que des faits relevants, pertinents, ou concluants, c’est-à-dire qui soient de nature à influer, d’une manière plus ou moins décisive, sur le jugement de la cause à l’occasion de laquelle ils sont allégués »[5].

À quoi bon, en effet, prouver un fait qui serait sans incidence sur la solution du litige à tout le moindre qui n’apporterait rien au débat judiciaire.

À cet égard, comme souligné par Jacques Ghestin et Gilles Goubeaux « le plaideur alléguant un fait qui, à supposer établi, ne donnerait prise à aucune règle de droit apte à produire l’effet demandé, doit voir sa prétention rejetée, sans qu’il soit besoin de se préoccuper de l’existence de ce fait »[6].

L’exigence de pertinence des faits à prouver n’est formulée par aucune disposition générale relevant du droit commun de la preuve.

On la retrouve toutefois dans certaines dispositions du Code de procédure civile intéressant les mesures d’instruction susceptibles d’être prises par le Juge.

L’article 143 de ce code prévoit, par exemple, que « les faits dont dépend la solution du litige peuvent, à la demande des parties ou d’office, être l’objet de toute mesure d’instruction légalement admissible ».

Cette règle confère ainsi le droit à un justiciable de solliciter auprès du juge une mesure d’instruction, tant en cours d’instance, qu’en prévision d’un litige à naître, pourvu que le fait qui requiert cette mesure d’instruction soit susceptible d’influer sur la solution du litige.

La question qui alors se pose est de savoir comment identifier un tel fait.

Pour Motulsky les faits pertinents « sont ceux qui correspondent aux éléments générateurs du droit subjectif déduit en justice ». Il poursuit en rappelant « la nécessité pour toute partie faisant valoir un droit subjectif en justice d’alléguer, sous peine d’être déboutée de sa prétention, toutes les circonstances de fait répondant aux éléments générateurs de ce droit »[7].

Or c’est précisément sur la base de ces circonstances que le juge sera en capacité de se forger une conviction.

D’où la conclusion partagée par la plupart des auteurs consistant à admettre qu’un fait présente un caractère pertinent « lorsque, à supposer son existence établie, il est de nature à entraîner la conviction du juge en l’aidant à conclure définitivement le litige »[8].

Pour déterminer si un fait répond au critère de pertinence il y a donc lieu de se demander s’il est susceptible d’influer la conviction du juge et donc d’orienter le sens de sa décision.

S’agissant de l’appréciation par le juge de la pertinence, il y a lieu de distinguer deux hypothèses :

  • Première hypothèse : l’appréciation de la pertinence du fait intéresse la conviction du juge
    • Lorsque l’enjeu de la preuve du fait se limite à influer la conviction du juge alors l’appréciation de la pertinence de la preuve relève de son pouvoir souverain (V. par exemple 2e civ. 30 janv. 1980, n°79-12.470).
    • Le juge est, en effet, seul à pouvoir déterminer si un fait est susceptible d’avoir une incidence sur sa décision
    • Lorsqu’ainsi il estime qu’un fait est trop éloigné du fait qu’une partie cherche à établir, il pourra rejeter la preuve à rapporter, car inutile ( 1ère civ. 20 nov. 1973, n°72-13.508).
    • Le juge pourra encore refuser d’ordonner une mesure d’instruction visant à établir un fait « quand sa conviction est formée» ( 2e civ. 12 mars 1970, n°69-12.291).
  • Seconde hypothèse : l’appréciation de la pertinence du fait mobilise une règle de droit
    • Lorsque l’enjeu de la preuve d’un fait intéresse la violation ou l’application d’une règle de droit, il est admis que la Cour de cassation exerce son contrôle sur l’appréciation par les juges du fond de la pertinence de la preuve rapportée.
    • Dans un arrêt du 29 juin 1967, la Deuxième chambre civile a jugé en ce sens que « si les juges du fond ont, en principe, un pouvoir souverain d’appréciation, quant à la pertinence des faits offerts en preuve, il en est autrement quand les faits invoqués, dans le cas où l’existence en serait établie, justifieraient les prétentions de la partie qui les articule» ( 2e civ. 29 juin 1967).

C) Un fait contesté

==> Théorie du fait constant

Parce que « la preuve juridique est une preuve judiciaire »[9], elle ne doit être rapportée que si le fait dont se prévaut l’une des parties au procès est contesté.

Cette exigence est issue de la « théorie du fait constant » développée par Motulsky qui a soutenu que « pour que se pose la question de la preuve, il faut donc une contestation ; un fait reconnu ou simplement non contesté n’a pas besoin d’être prouvé »[10].

Cet auteur explique que pour que les parties à un procès puissent espérer voir prospérer leurs prétentions, il leur échoit d’accomplir deux tâches bien distinctes :

  • Première tâche : l’allégation des faits
    • La première tâche qui incombe à une partie qui se prévaut de l’application d’une règle de droit est d’alléguer les faits qui justifient son application
    • Cette exigence est énoncée à l’article 6 du Code de procédure civile qui prévoit que « à l’appui de leurs prétentions, les parties ont la charge d’alléguer les faits propres à les fonder».
    • Il ne s’agit pas, à ce stade, de prouver les faits qui ont concouru à la situation présentée au juge, mais seulement de les lui exposer, pourvu qu’ils soient pertinents.
    • Car rappelle Motulsky, avant de s’intéresser à la preuve du fait, le juge va d’abord chercher à déterminer s’il existe « une coïncidence totale entre les éléments générateurs du droit réclamé et les allégations du demandeur»[11].
    • Dans l’affirmative, le juge devra tenir pour vrai le fait allégué et faire droit à la prétention du demandeur, sauf à ce que s’élève une contestation du défendeur.
  • Seconde tâche : la preuve des faits
    • Ce n’est que dans l’hypothèse où le défendeur oppose une résistance au demandeur que ce dernier sera tenu de rapporter la preuve des faits qu’il allègue.
    • À cet égard, comme souligné par Motulsky « la position du défendeur n’intéresse […] le juge qu’à condition que le défendeur nie la réalité de l’une au moins des circonstances faisant écho aux éléments générateurs [du droit invoqué par le demandeur]»[12].
    • Aussi l’objet de la preuve est-il circonscrit aux seuls faits qui sont contestés

La doctrine a tenté de justifier la théorie du fait constant soutenue par Motulsky en convoquant le principe dispositif et le dispositif de l’aveu judiciaire :

  • Le principe dispositif
    • Ce principe est énoncé à l’article 4, al. 1er du Code de procédure civile qui prévoit que « l’objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties. »
    • Parce que donc ce sont les parties qui déterminent le périmètre du procès, seuls les faits qu’elles entendraient soumettre à la discussion devraient être prouvés.
    • Les faits qui ne feraient l’objet d’aucune contestation s’imposeraient donc au juge qui n’aurait d’autre choix que de les tenir pour vrai.
    • D’ailleurs, l’article 7, al. 1er prévoit que « le juge ne peut fonder sa décision sur des faits qui ne sont pas dans le débat. »
    • Bien que l’argument soit séduisant, il se heurte notamment au second alinéa de l’article 7 qui dispose que « parmi les éléments du débat, le juge peut prendre en considération même les faits que les parties n’auraient pas spécialement invoqués au soutien de leurs prétentions. »
    • L’article 8 confère, en outre, au juge le pouvoir d’« inviter les parties à fournir les explications de fait qu’il estime nécessaires à la solution du litige.»
    • De toute évidence, le principe dispositif peine à justifier la théorie du fait constant.
  • L’aveu judiciaire
    • D’aucuns ont avancé que si un fait contesté n’a pas besoin d’être prouvé, c’est parce que l’absence de contestation par le défendeur s’analyse à un aveu tacite.
    • Or l’aveu compte parmi les modes de preuve.
    • À cet égard, l’article 1383-2 du Code civil prévoit, d’une part, que l’aveu judiciaire « fait foi contre celui qui l’a fait», d’autre part, qu’« il est irrévocable, sauf en cas d’erreur de fait. »
    • Là encore, l’argument ne convainc pas.
    • Compte tenu des conséquences attachées à l’aveu judiciaire, il serait dangereux d’admettre qu’il puisse s’induire du silence d’une partie.
    • La définition qui en est donnée par le premier alinéa de l’article 1383-2 du Code civil semble d’ailleurs s’y opposer.
    • Cette disposition prévoit que « l’aveu judiciaire est la déclaration que fait en justice la partie ou son représentant spécialement mandaté. »
    • Une déclaration consiste toujours en un acte positif et plus précisément en la manifestation d’une volonté.
    • Dès lors, il y a une incompatibilité entre l’aveu et la reconnaissance tacite d’un fait.

Au bilan, aucun des deux arguments portés par la doctrine ne parvient à justifier la théorie du fait constant. Cela n’a toutefois pas empêché sa réception en droit positif.

==> Réception de la théorie du fait constant en droit positif

L’examen de la jurisprudence révèle que la théorie du fait constant a été reconnue dans de nombreuses décisions.

Dans un arrêt du 16 novembre 1972, la Cour de cassation a, par exemple, censuré une Cour d’appel qui, pour refuser à des salariés le remboursement de frais de voyages a retenu que les états produits par chacun d’eux ne constituaient pas la preuve qu’il avait bien effectué les voyages.

La Chambre sociale casse et annule l’arrêt rendu au motif qu’un salarié « n’est tenu de rapporter cette preuve que si la réalité du voyage est déniée par l’employeur débiteur des remboursements » (Cass. soc. 16 nov. 1972, n°72-40.080).

La Chambre commerciale a statué dans le même sens dans un arrêt du 2 mai 1989 à propos de créances tirées d’effets de commerce déclarées au passif d’une procédure collective.

Faute d’avoir été contestées par le débiteur, la Cour de cassation a estimé que les créances déclarées devaient être admises au passif de la procédure (Cass. com. 2 mai 1989, n°87-17.159).

Si les décisions admettant l’absence de nécessité de rapporter la preuve d’un fait non contesté soit nombreuses, certaines ont semé le trouble quant à l’assimilation en droit positif de la théorie du fait constant.

Dans un arrêt du 10 mai 1991, la Cour de cassation a notamment jugé qu’une Cour d’appel « n’était pas tenue de considérer que les faits allégués étaient constants au seul motif qu’ils n’avaient pas été expressément contestés par les autres parties » (Cass. 2e civ. 10 mai 1991, n°89-10.460).

Ainsi dans cette décision, la Deuxième chambre civile considère-t-elle que le juge n’est nullement obligé de tenir pour vrai un fait dès lors qu’il n’est pas contesté. Il S’agit là d’une simple faculté qu’il est libre d’exercer.

Cette approche a été partagée par la Chambre commerciale qui, dans un arrêt du 10 octobre 2000, a décidé que « le juge n’est pas tenu de considérer un fait allégué pour constant au seul motif qu’il n’est pas expressément contesté » (Cass. com. 10 oct. 2000, n°97-22.399).

Il s’infère de ces décisions que la théorie du fait constant est pour le moins fragile, sinon remise en cause. Le juge demeure, en effet, toujours libre de ne pas réputer comme établi un fait qui ne serait pas contesté.

Il semble donc falloir s’en tenir à la règle énoncée à l’article 9 du Code de procédure civile qui n’opère aucune distinction entre les faits à prouver. En application de cette disposition il incombe à chaque partie d’établir « les faits nécessaires au succès de sa prétention ».

À cet égard, dans un arrêt du 18 avril 2000, la Cour de cassation a jugé que « le silence opposé à l’affirmation d’un fait ne vaut pas à lui seul reconnaissance de ce fait » (Cass. 1ère civ. 18 avr. 2000, n°97-22.421).

Autrement dit, le silence du défendeur ne saurait dispenser le demandeur de prouver les faits qu’il allègue.

II) La preuve du droit

S’il a toujours été admis qu’il n’incombait pas aux parties de prouver la règle de droit dont elles se prévalaient, ce principe n’en souffre pas moins de tempéraments qui tiennent, pour les premiers, à l’invocation du droit, pour les seconds, à la preuve du droit.

A) L’invocation du droit

Il n’échoit certes pas aux parties de rapporter la preuve du droit, les dernières réformes de la procédure civile ont néanmoins visé à leur faire jouer un rôle actif dans son invocation.

L’article 768 du Code de procédure prévoit ainsi s’agissant de la procédure par-devant le Tribunal judiciaire que « les conclusions doivent formuler expressément les prétentions des parties ainsi que les moyens en fait et en droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée avec indication pour chaque prétention des pièces invoquées et de leur numérotation. »

Les parties sont ainsi tenues d’invoquer les règles de droit qu’elles entendent voir appliquer par le juge.

À cet égard, dans un arrêt Cesareo du 7 juillet 2006 la Cour de cassation a jugé que « qu’il incombe au demandeur de présenter dès l’instance relative à la première demande l’ensemble des moyens qu’il estime de nature à fonder celle-ci » (Cass. ass. Plén. 7 juill. 2006, n°04-10.672). C’est ce que l’on appelle le principe de concentration des moyens.

Ce principe vise en somme à interdire aux parties qui, dans le cadre d’un nouveau procès, formulent une demande ayant le même objet, de se prévaloir d’un moyen de droit qui n’aurait pas été invoqué en première instance. La violation de cette règle est sanctionnée par l’irrecevabilité de la nouvelle demande.

Deux ans plus tard, la Troisième chambre civile a été plus loin en étendant l’obligation de concentration des moyens aux parties en défense (Cass. 3e civ. 13 févr. 2008, 06-22.093)

Dans l’intervalle, l’assemblée plénière avait pris le soin de préciser dans un arrêt du 21 décembre 2007 que « si, parmi les principes directeurs du procès, l’article 12 du nouveau code de procédure civile oblige le juge à donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux invoqués par les parties au soutien de leurs prétentions, il ne lui fait pas obligation, sauf règles particulières, de changer la dénomination ou le fondement juridique de leurs demandes » (Cass. ass. plén. 21 déc. 2007, n°06-11.343).

Ce principe de concentration des moyens dégagé par la jurisprudence oblige donc les parties à jouer un rôle actif dans le processus de mobilisation de la règle de droit, à telle enseigne que l’on est légitimement en droit de se demander ce qu’il reste de l’office du juge.

En effet, tandis que les parties sont sommées de présenter au juge l’ensemble des moyens de droit qu’elles estiment de nature à fonder leurs prétentions, le juge est quant à lui dispenser de leur en proposer s’il n’en voit pas l’utilité.

Ce retrait du juge dans la proposition de la règle de droit peut être accentué par l’exercice de la faculté que lui confère l’article 13 du Code de procédure civile d’« inviter les parties à fournir les explications de droit qu’il estime nécessaires à la solution du litige. »

B) La preuve du droit

Si a priori il n’incombe pas aux parties de prouver la règle de droit qu’elles entendent voir appliquer, il est dérogé au principe pour deux catégories de normes :

  • La loi étrangère
  • La coutume

1. La preuve de la loi étrangère

Lorsqu’une situation juridique comporte un élément d’extranéité, elle mobilise potentiellement plusieurs droits nationaux qui peuvent rentrer en conflit.

Ce conflit est appréhendé par ce que l’on appelle une règle de conflit lois, laquelle a pour fonction de désigner la loi applicable.

Par le jeu de ce dispositif, le juge français est ainsi susceptible de faire application d’une loi étrangère sur le territoire national.

Très tôt la question s’est posée de savoir quel traitement réserver à la loi étrangère s’agissant de la preuve. Deux approchent viennent à l’esprit en première intention :

  • Première approche
    • Elle consiste à appréhender la loi étrangère comme n’importe règle de droit français.
    • Cette approche conduit alors à dispenser les parties de prouver la loi étrangère
    • C’est donc au juge que reviendrait la tâche de trancher le litige qui lui est soumis en appliquant la loi étrangère adéquate
    • Cette position revient toutefois à considérer que le juge connaît le contenu de la loi étrangère
    • Or il s’agit là d’un vœu pieux, le juge étant déjà bien en peine de maîtriser le droit français compte tenu de sa complexité
  • Seconde approche
    • Elle consiste à appréhender la loi étrangère comme un fait, de sorte que c’est aux parties qu’il incomberait de prouver son existence et son contenu.
    • Cette approche se veut pragmatique ; puisque intégrant l’impossibilité pour le juge français de connaître les droits de tous les États du monde.
    • L’autre argument avancé par les auteurs est que la loi étrangère « apparaît au juge français dépouillée de son élément impératif, en lequel réside justement le caractère juridique»[13].
    • Pour cette raison, elle ne se distinguerait pas d’un fait juridique et devrait, en conséquence, être traitée comme telle.

Dans un premier temps, la Cour de cassation a adopté la seconde approche. Dans un arrêt Lautour du 25 mai 1948, elle a, en effet, fait peser l’obligation sur les parties de rapporter la preuve de la loi étrangère applicable.

Au soutien de sa décision, la Haute juridiction a avancé qu’« il n’appartenait pas aux juges du fond de déplacer le fardeau de la preuve et de soustraire au contrôle de la Cour de cassation leur décision relative au règlement du conflit, en reprochant subsidiairement au défendeur à l’instance l’ignorance où ils les aurait laissés à des dispositions précises du droit espagnol capables de justifier ses allégations, alors que la victime, demanderesse en réparation, à laquelle incombait la charge de prouver que la loi applicable lui accordait les dommages-intérêts réclamés, ne contestait pas l’interprétation du droit espagnol affirmée par son adversaire » (Cass. Civ. 25mai 1948).

La Cour de cassation a, par suite, réaffirmé cette solution notamment dans un arrêt Sté Thinet rendu en date du 24 janvier 1984 (Cass. 1ère civ. 24 janv. 1984, n°82-16.767).

Dans un deuxième temps, la Cour de cassation a infléchi sa position en opérant une distinction entre les demandes portant sur des droits disponibles et celles portant sur des droits indisponibles

  • Première situation : les droits litigieux sont disponibles
    • Dans cette hypothèse, la charge de la preuve de la loi étrangère pèse sur les parties.
    • Dans un arrêt du 16 novembre 1993, la Chambre commerciale a jugé que « les matières où les parties ont la libre disposition de leurs droits, il incombe à la partie qui prétend que la mise en œuvre du droit étranger, désigné par la règle de conflit de lois, conduirait à un résultat différent de celui obtenu par l’application du droit français, de démontrer l’existence de cette différence par la preuve du contenu de la loi étrangère qu’elle invoque, à défaut de quoi le droit français s’applique en raison de sa vocation subsidiaire» ( com. 16 nov. 1993, n°91-16.116).
  • Seconde situation : les droits litigieux sont indisponibles
    • Dans cette hypothèse, c’est au juge qu’il appartient de rechercher d’office le contenu de la loi étrangère
    • Dans un arrêt du 1er juillet 1997, la Première chambre civile a jugé en ce sens que « l’application de la loi étrangère désignée pour régir les droits dont les parties n’ont pas la libre disposition impose au juge français de rechercher la teneur de cette loi» ( 1ère civ. 1er juill. 1997, n°95-17.925)

Dans un troisième temps, la Cour de cassation a abandonné cette distinction en décidant dans un arrêt du 27 janvier 1998 « qu’il appartient au juge qui déclare applicable une loi étrangère de procéder à sa mise en œuvre, et, spécialement, d’en rechercher la teneur » (Cass. 1ère civ. 27 janv. 1998, n°95-20.600).

Elle a ensuite confirmé ce revirement de jurisprudence en précisant dans deux arrêts rendus, le même jour, par la Première chambre civile et la Chambre commerciale, « qu’il incombe au juge français qui reconnaît applicable un droit étranger, d’en rechercher, soit d’office soit à la demande d’une partie qui l’invoque, la teneur, avec le concours des parties et personnellement s’il y a lieu, et de donner à la question litigieuse une solution conforme au droit positif étranger » (Cass. 1ère civ. 28 juin 2005, n°00-15.734 ; Cass. com. 28 juin 2005, n°02-14.686).

Par ces deux arrêts, la Cour de cassation renonce ainsi à l’idée que la preuve du contenu de la loi étrangère incombe exclusivement aux parties.

Dès lors que le conflit de lois a été résolu, le caractère disponible ou indisponible des droits subjectifs discutés devant le juge est sans incidence sur l’établissement du contenu de la loi étrangère.

La Cour de cassation a résumé cette idée dans un arrêt du 16 septembre 2015 aux termes duquel elle a jugé que « qu’il incombe au juge français, saisi d’une demande d’application d’un droit étranger, de rechercher la loi compétente, selon la règle de conflit, puis de déterminer son contenu, au besoin avec l’aide des parties, et de l’appliquer » (Cass. 1ère civ. 16 sept. 2015, n°14-10.373)

S’agissant du contrôle exercé par la Cour de cassation sur l’interprétation de la loi étrangère par les juges du fond, il est le même que celui exercé en matière d’actes juridiques.

Dans un arrêt du 13 novembre 2003, la Première chambre civile a, en effet, affirmé « que s’il incombe au juge français, qui applique une loi étrangère, de rechercher et de justifier la solution donnée à la question litigieuse par le droit positif de l’Etat concerné, l’application qu’il fait de ce droit étranger, quelle qu’en soit la source, légale ou jurisprudentielle, échappe, sauf dénaturation, au contrôle de la Cour de Cassation » (Cass. 1ère civ. 3 juin 2003, n°01-00.859).

Par hypothèse, la Cour de cassation n’est investie d’aucun pouvoir juridictionnel ou disciplinaire sur le droit étranger. Dans ces conditions, elle ne peut appréhender la loi étrangère que comme un acte juridique ordinaire relevant du domaine des faits au sens large – par opposition au droit.

C’est la raison pour laquelle, lorsque la Cour de cassation est saisie pour se prononcer sur l’application d’une loi étrangère, son contrôle se limite à vérifier que les juges du fond n’ont pas dénaturé le sens de la règle discutée.

2. La preuve de la coutume

À l’instar de la loi étrangère, le juge n’est pas censé connaître tous les usages et coutumes auxquels les justiciables sont susceptibles de se soumettre.

Pour mémoire, la coutume se définit comme une « norme de droit objectif fondée sur une tradition populaire (consensus utentium) qui prête à une pratique constante, un caractère juridiquement contraignant »[14].

Lorsqu’une partie à un procès se prévaut de l’application d’une coutume immédiatement se pose la question de la preuve de l’existence et du contenu de la règle invoquée.

Très tôt la jurisprudence a posé que la preuve de la coutume devait être rapportée par la partie qui en réclame l’application (V. par exemple Cass. soc. 11 juin 1987, n°84-43.059).

L’assemblée plénière a confirmé cette solution dans un arrêt du 26 février 1988 (Cass. ass. plén. 26 févr. 1988, n°85-40.034)

Parce que la coutume est traitée comme un fait, elle peut être prouvée par tous moyens.

Ainsi, les usages professionnels pourront, par exemple, être établis au moyen d’attestations délivrées par des Chambres de commerce, des Chambres des métiers ou encore des associations de professionnels (V. en ce sens Cass. com. 9 janv. 2001, n°97-22.668 ; Cass. com. 12 déc. 1973, n°72-12.979).

Dans un arrêt du 6 janvier 1987, la Cour de cassation a précisé « qu’il n’appartient pas à la Cour de Cassation de contrôler l’existence et l’application des principes et usages du commerce international » (Cass. 1ère civ. 6 janv. 1987, n°84-17.274).

C’est donc aux seuls juges du fond qu’il revient d’apprécier souverainement l’existence et le contenu de la coutume invoquée par une partie.

 

 

[1] F. Terré, Introduction générale au droit, éd. Dalloz, 2000, n°487, p. 516.

[2] C. Aubry et C. Rau, Droit civil français, 6e éd. 1958, T. 12, par P. Esmein, p. 52.

[3] H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, thèse, Lyon, 1947, éd. Dalloz, 2002, n°115, p. 128

[4] F. Terré, Introduction générale au droit, éd. Dalloz, 2000, n°488, p. 516.

[5] C. Aubry et C. Rau, Cours de droit civil français d’après la méthode de Zachariea, éd. Hachette Livre – BNF, p. 153

[6] J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°576, p.452.

[7] H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, thèse, Lyon, 1947, éd. Dalloz, 2002, n°85, p. 87.

[8] R. Beudant et P. Lerebours-Pigeonnière, Cours de droit civil français, t. 9, Les contrats et les obligations, par G. Lagarde et R. Perrot, 1953, Rousseau, n°1170.

[9] J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°563, p.441.

[10] H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, thèse, Lyon, 1947, éd. Dalloz, 2002, n°115, p. 128.

[11] H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, thèse, Lyon, 1947, éd. Dalloz, 2002, n°107, p. 114.

[12] H. Motulsky, op. cit., n°109, p. 119.

[13] P. Mayer et V. Heuzé, Droit international privé, éd. LGDJ, 2001, n°179

[14] G. Cornu, Vocabulaire juridique, éd. Puf, 2005, V. Coutume, p. 248

La clôture: le droit de se clore

==> Généralités

L’article 647 du code civil dispose que « tout propriétaire peut clore son héritage, sauf l’exception portée en l’article 682. »

Est ainsi exprimée la prérogative qui échoit au propriétaire de dresser des barrières physiques sur son fonds afin d’empêcher que l’on y pénètre sans y avoir été invité.

À cet égard, le droit de se clore prévu par l’article 647 du Code civil n’est pas seulement un moyen de protéger le propriétaire contre les incursions des tiers mais est aussi le signe que la vue de son bien est une utilité qui lui appartient.

La clôture est en quelque sorte la marque de la souveraineté exercée par le propriétaire sur son bien, marque à laquelle étaient très attachés les révolutionnaires.

Sous l’ancien régime, en effet, il était défendu de disposer des obstacles sur ses terres en raison du droit dont étaient titulaires les seigneurs de pénétrer dans les domaines aux fins d’y chasser le gibier.

La nuit du 4 août 1789 emporta avec elle ce privilège de chasse. Il s’ensuivit l’adoption de la loi des 28 septembre et 6 octobre 1791 qui rompit avec l’ancien droit féodal et consacra le droit fondamental pour chaque propriétaire d’élever une clôture

Le texte prévoyait en ce sens que « le droit de clore et de déclore ses héritages résulte essentiellement de celui de propriété, et ne peut être contesté à aucun propriétaire. »

La question s’est posée en doctrine de la nature de ce droit qui est envisagée dans le chapitre consacré aux servitudes qui dérivent de la situation des lieux.

À l’examen, le droit de se clore relève moins de la catégorie des servitudes que des attributs du droit de propriété.

Pour constituer une servitude il faut qu’existe un rapport entre un fonds servant et un fonds dominant. Or par hypothèse, ce rapport est inexistant en matière de clôture l’exercice du droit de se clore n’ayant pas pour effet d’asservir le fonds voisin.

Il s’agit là d’une prérogative qui peut être exercée discrétionnairement et qui, au vrai, peut être rattachée à l’article 544 du Code civil.

À cet égard, dans un arrêt du 3 février 1913, la Cour de cassation a affirmé que « le droit de clore ou de déclore les héritages résulte essentiellement de celui de la propriété » (Cass. 3e civ., 3 févr. 1913)

De surcroît, comme le droit de propriété, le droit de se clore ne se prescrit pas par le non-usage, ce qui est le cas des servitudes (art. 706 C. civ.)

A) Le contenu du droit de se clore

  1. Notion de clôture

L’article R. 651-1 du Code rural et de la pêche maritime prévoir que, est réputé clos « tout terrain entouré, soit par une haie vive, soit par un mur, une palissade, un treillage, une haie sèche d’une hauteur d’un mètre au moins, soit par un fossé d’un mètre vingt à l’ouverture et de cinquante centimètres de profondeur, soit par des traverses en bois ou des fils métalliques distants entre eux de trente-trois centimètres au plus s’élevant à un mètre de hauteur, soit par toute autre clôture continue et équivalente faisant obstacle à l’introduction des animaux »

Une clôture consiste ainsi en tout ce qui vise à empêcher la pénétration d’un tiers ou d’animaux dans une propriété.

La circulaire n°78-112 du 21 août 1978 assimile à une clôture les « murs, portes de clôture, clôtures à claire-voie, clôtures en treillis, clôtures de pieux, clôtures métalliques, palissades, grilles, herses, barbelés, lices, échaliers »

Ces listes établies par les textes ne sont pas exhaustives, le juge disposant d’un pouvoir d’appréciation en la matière.

En tout état de cause, la clôture élevée par le propriétaire sur son fonds peut être naturelle (une haie) ou artificielle (un mur), pourvu qu’elle obstrue le passage et qu’elle soit continue et constante (art. L. 424-3 C. env.)

A l’analyse, il ressort de la jurisprudence que constitue une clôture tout ouvrage dont la finalité consiste à fermer l’accès à tout ou partie d’une propriété.

Dans un arrêt du 21 juillet 2009, le Conseil d’État a précisé que, un tel ouvrage n’a pas à être implanté en limite de propriété pour constituer une clôture.

2. Condition d’installation de la clôture

a) Les conditions tenant à la position la clôture

==> Principe : installation en limite de fonds

Par principe, une clôture peut être installée en limite de fonds. Si elle est mitoyenne, ou si le voisin y consent, elle pourra être élevée sur la ligne séparative.

À défaut d’accord, la clôture devra être en positionnée en retrait, faute de quoi elle empiéterait sur le fonds voisin ce qui autoriserait son propriétaire à solliciter son déplacement, voire sa démolition (Cass. 3e civ., 20 mars 2002, n°00-16.015).

Celui qui installe une clôture sur son fond doit ainsi être extrêmement vigilant quant à son emplacement.

À cet égard, il ne devra pas seulement veiller à ce que l’ouvrage qu’il élève n’empiète pas sur le fonds voisin, il devra encore s’assurer, si la clôture consiste en des plantations, que la distance avec la ligne séparative est respectée.

==> Exception : observation d’une distance avec la ligne séparative

Lorsque la clôture consiste en des plantations, soit en une haie ou des arbustes, elle ne pourra pas être positionnée en limite de fonds.

La règle est énoncée à l’article 671 du Code civil qui prévoit que « il n’est permis d’avoir des arbres, arbrisseaux et arbustes près de la limite de la propriété voisine qu’à la distance prescrite par les règlements particuliers actuellement existants, ou par des usages constants et reconnus et, à défaut de règlements et usages, qu’à la distance de deux mètres de la ligne séparative des deux héritages pour les plantations dont la hauteur dépasse deux mètres, et à la distance d’un demi-mètre pour les autres plantations. »

Le principe qui s’infère de cette disposition est que pour éviter que les plantations nuisent au fonds voisin par leurs branches et leurs racines, l’article 671 interdit en principe à un propriétaire « d’avoir des arbres, arbrisseaux et arbustes » jusqu’à l’extrême limite de son terrain.

Ainsi que l’observe un auteur toutes les plantations sont en réalité visées par cette interdiction[1]. Au vrai, la seule question qui se pose est de savoir quelle est la distance minimale qui doit être observée entre les plantations et la ligne séparative du fonds.

Afin de déterminer la distance requise, l’article 671 du Code civil renvoie, d’abord aux règlements et usage, puis subsidiairement prescrit une distance par défaut.

  • La distance prévue par les règlements et les usages
    • Pour savoir jusqu’à quelle distance un propriétaire peut avoir des plantations, il est nécessaire de se référer en premier lieu aux règlements particuliers et aux usages constants et reconnus.
      • S’agissant des règlements particuliers
        • Ils sont constitués par les arrêtés, les documents d’urbanisme ou les servitudes d’utilité publique susceptibles de prescrire des distances ou des hauteurs particulières de plantations.
      • S’agissant des usages
        • Ils peuvent quant à eux être relevés par les chambres d’agriculture[2], mais ils peuvent également être directement reconnus par les juges du fond.
        • Ainsi, l’usage parisien autorise à planter jusqu’à l’extrême limite de son fonds, compte tenu de l’exiguïté des parcelles (V. en ce sens 3e civ., 14 février 1984, n°82-16092).
        • Il en va de même pour le pays de Caux ou à Marseille.
        • Dans certains cas, comme à Poitiers, les usages prescrivent des distances supérieures à celles prévues par le code civil.
  • La distance prévue par le code civil
    • Ce n’est qu’à défaut de règlement et d’usage que s’appliquent les distances prévues par le code civil, qui ont donc un caractère subsidiaire.
    • Dans cette hypothèse, l’article 671 pose un principe qu’il assortit d’une limite à l’alinéa 2.
      • Principe
        • La distance à observer dépend de la hauteur de la plantation, étant précisé que le calcul de cette hauteur ne tient pas compte de l’inclinaison du fonds, mais seulement de la taille intrinsèque de la plantation, de la base à son sommet (V. en ce sens 3e civ., 4 nov. 1998, n°96-19708).
        • Ainsi, la distance d’espacement est donc de :
          • Deux mètres de la ligne séparative pour les plantations dont la hauteur dépasse deux mètres
          • Un demi-mètre de la ligne séparative pour les autres plantations.
        • Seule importe donc la hauteur de la plantation, étant précisé que ne doit pas être prise en compte la croissance naturelle des arbres, ni la date habituelle de leur taille ( 3e civ. 19 mai 2004, n°03-10077).
        • En outre, dans un arrêt du 1er avril 2009, la Cour de cassation a précisé que « la distance existant entre les arbres et la ligne séparative des héritages doit être déterminée depuis cette ligne jusqu’à l’axe médian des troncs des arbres» ( 3e civ. 1er avr. 2009, n°08-11876).
      • Exception
        • L’article 671 prévoit une exception à la règle prescrivant une distance à observer entre les plantations et la limite du fonds.
        • En effet, l’alinéa 2 de ce texte dispose que lorsqu’existe un mur séparatif des plantations peuvent être faites « en espaliers, de chaque côté du mur séparatif, sans que l’on soit tenu d’observer aucune distance, mais [elles] ne pourront dépasser la crête du mur».
        • Si le mur n’est pas mitoyen, seul son propriétaire peut procéder à de telles plantations en espaliers.

b) Les conditions tenant à l’aspect de la clôture

Outre les règles d’emplacement de la clôture, doivent également être observées des règles qui tiennent à son aspect.

En principe, le choix de la clôture est libre, mais il est souvent soumis à certaines contraintes fixées par les règles d’urbanisme et plus précisément par les plans locaux d’urbanisme ou par les plans d’occupation des sols.

Ces règles propres à chaque agglomération et commune, peuvent ainsi imposer aux propriétaires des hauteurs ou des distances avec la ligne séparative à respecter ou des matériaux spécifiques à utiliser.

Par exemple, la nature et l’apparence des clôtures sont souvent réglementées par les dispositions du règlement du plan local d’urbanisme (PLU), qui va indiquer en général la hauteur maximale admise ainsi que l’apparence (enduit, etc) ou encore la forme que peuvent prendre les clôtures, en général :

  • Un mur plein
  • Un mur bahut d’une certaine hauteur obligatoirement surmonté d’un dispositif à claire-voie ou d’un grillage
  • Un simple grillage sans mur bahut.

Le code de l’urbanisme n’opère pas de distinction selon les types de clôture. Il peut s’agir de clôtures électriques, de grillages ou de tout autre procédé ayant pour fonction de fermer l’accès à un terrain ou d’introduire un obstacle à la circulation.

Dès lors que l’ouvrage a pour finalité de fermer l’accès à un terrain, quel que soit son emplacement sur la parcelle concernée et quelle que soit sa nature, il peut être assimilé à une clôture et, en conséquence, être soumis aux règles du PLU relatives à l’aspect et la forme des clôtures.

À défaut de réglementation spécifique, la hauteur d’un mur ne doit pas être supérieure à 3,20 m pour les villes de 50 000 habitants et plus, et à 2,60 m dans les autres cas, étant précisé que la clôture se mesure à partir du terrain le plus bas.

La clôture réalisée en méconnaissance des règles du PLU peut donner lieu à des sanctions pénales et une procédure devant le tribunal correctionnel.

L’aspect de la clôture peut également être stipulé par le cahier des charges d’une copropriété lorsque le fonds relève d’un lotissement, auquel cas les propriétaires seront tenus de s’y soumettre.

c) Les conditions tenant à la déclaration préalable

L’édification d’une clôture n’est, en principe, pas subordonnée à l’accomplissement d’une déclaration préalable.

Lorsque, toutefois, le fonds se situe dans une zone particulière une telle déclaration peut être exigée.

L’article R. 421-12 du Code de l’urbanisme prévoit en ce sens que doit être précédée d’une déclaration préalable l’édification d’une clôture située :

  • Dans le périmètre d’un site patrimonial remarquable classé en application de l’article L. 631-1 du code du patrimoine ou dans les abords des monuments historiques définis à l’article L. 621-30 du code du patrimoine ;
  • Dans un site inscrit ou dans un site classé ou en instance de classement en application des articles L. 341-1 et L. 341-2 du code de l’environnement ;
  • Dans un secteur délimité par le plan local d’urbanisme en application de l’article L. 151-19 ou de l’article L. 151-23 ;
  • Dans une commune ou partie de commune où le conseil municipal ou l’organe délibérant de l’établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d’urbanisme a décidé de soumettre les clôtures à déclaration.

Ainsi, l’édification de clôtures peut être soumise à déclaration préalable, dès lors que le projet est situé dans un secteur sauvegardé, dans le champ de visibilité d’un monument historique, dans une zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager, dans un site inscrit ou un site classé, dans un secteur délimité de plan local d’urbanisme (PLU) ou par délibération du conseil municipal ou de l’établissement public de coopération intercommunale compétent en PLU sur tout ou partie de la commune.

La jurisprudence a précisé que seule l’édification d’une clôture est soumise à la déclaration préalable et non sa rénovation ou sa modification (V. en ce sens Cass. crim., 26 févr. 1985).

La déclaration préalable doit satisfaire aux exigences de formes prescrites aux articles R. 431-35 à R. 431-37 du Code de l’urbanisme et notamment comporter

  • L’identité du ou des déclarants ;
  • La localisation et la superficie du ou des terrains ;
  • La nature des travaux ou du changement de destination ;
  • S’il y a lieu, la surface de plancher et la destination des constructions projetées ;
  • Les éléments, fixés par arrêtés, nécessaires au calcul des impositions.

La déclaration préalable doit, ensuite être adressée par pli recommandé avec demande d’avis de réception ou déposées à la mairie de la commune dans laquelle les travaux sont envisagés (art. R. 423-1 C. urb.).

La déclaration et le dossier qui l’accompagnent sont établis en deux exemplaires pour les déclarations préalables (art. R. 423-2 C. urb.).

Dans les quinze jours qui suivent le dépôt de la déclaration et pendant la durée d’instruction de celle-ci, le maire procède à l’affichage en mairie d’un avis de dépôt de demande de permis ou de déclaration préalable précisant les caractéristiques essentielles du projet, dans des conditions prévues par arrêté du ministre chargé de l’urbanisme (art. R. 423-6 C. urb.).

Le délai d’instruction de droit commun est un mois pour les déclarations préalables, étant précisé que ce délai court à compter de la réception en mairie d’un dossier complet.

À défaut de notification d’une décision expresse dans le délai d’instruction déterminé le silence gardé par l’autorité compétente vaut décision de non-opposition à la déclaration préalable (art. R. 424-1 C. urb.).

B) Les limites du droit de se clore

Le droit de se clore rencontre trois sortes de limites :

  • Celles qui tiennent au droit de vaine pâture
  • Celles qui tiennent au respect des servitudes
  • Celles qui tiennent à l’abus de droit

==> Les limites tenant au droit de vaine pâture

On entend par vaine pâture le droit qu’ont les habitants d’une commune de mener paître leurs bestiaux sur les terres incultes de leur territoire, ainsi que sur les autres fonds non clos, dépouillés de leurs récoltes après les premières et secondes herbes.

Lorsque ce droit existe entre les habitants d’une même commune, on lui donne le nom de vaine pâture et il prend celui de parcours lorsqu’il s’exerce de commune en commune.

Ainsi, le droit de parcours n’est qu’un droit de vaine pâture exercée sur une plus grande échelle.

Les droits de vaine pâture et de parcours ont toujours été regardés comme des actes de simple tolérance. Sous l’ancien régime ils sont devenus constitutifs d’une servitude, à telle enseigne qu’il était défendu aux propriétaires de clore leur héritage.

Cette interdiction a été levée par les révolutionnaires qui, dans le même temps, ont conservé le droit de vaine pâture dans le Code rural adopté en 1791.

La loi du 9 juillet 1889 a maintenu ce droit dans deux cas :

  • Premier cas: l’article L. 651-1 du Code rural et de la pêche maritime prévoit que « le droit de vaine pâture appartenant à la généralité des habitants et s’appliquant en même temps à la généralité d’une commune ou d’une section de commune, en vertu d’une ancienne loi ou coutume, d’un usage immémorial ou d’un titre, n’est reconnu que s’il a fait l’objet avant le 9 juillet 1890 d’une demande de maintien non rejetée par le conseil départemental ou par un décret en Conseil d’État. »
  • Second cas: l’article L. 651-10 du Code rural et de la pêche maritime prévoit que « la vaine pâture fondée sur un titre, et établie sur un héritage déterminé, soit au profit d’un ou plusieurs particuliers, soit au profit de la généralité des habitants d’une commune, est maintenue et continue à s’exercer conformément aux droits acquis. Mais le propriétaire de l’héritage grevé peut toujours s’affranchir soit moyennant une indemnité fixée à dire d’experts, soit par voie de cantonnement »

Quant à l’exercice du droit de vaine pâture il est très strictement encadré. Ainsi, dans aucun cas et dans aucun temps, la vaine pâture ne peut s’exercer sur les prairies artificielles.

Par ailleurs, elle ne peut avoir lieu sur aucune terre ensemencée ou couverte d’une production quelconque faisant l’objet d’une récolte, tant que la récolte n’est pas enlevée.

En outre les conseils municipaux peuvent réglementer le droit de vaine pâture, notamment pour en suspendre l’exercice en cas d’épizootie, le dégel ou de pluies torrentielles, pour cantonner les troupeaux de différents propriétaires ou les animaux d’espèces différentes, pour interdire la présence d’animaux dangereux ou malades dans les troupeaux.

Surtout, l’article L. 651-4 prévoit que « le droit de vaine pâture ne fait jamais obstacle à la faculté que conserve tout propriétaire soit d’user d’un nouveau mode d’assolement ou de culture, soit de se clore. Tout terrain clos est affranchi de la vaine pâture. »

Cette disposition ne fait que reprendre la règle énoncée à l’article 648 du Code civil qui autorise expressément les propriétaires, par principe, à faire obstacle au droit de vaine pâture en élevant des clôtures sur leurs fonds.

Le texte prévoit en ce sens que « le propriétaire qui veut se clore perd son droit au parcours et vaine pâture en proportion du terrain qu’il y soustrait. »

L’idée qui préside à cette règle est que celui qui retire sa mise de la société ne prenne plus de part dans la mise des autres.

Pour exemple, lorsqu’un propriétaire a clos un quart de son héritage, il ne peut plus faire paître que les trois quarts des bestiaux pour lesquels il avait droit antérieurement.

Lorsque toutefois, le droit de vaine pâture est fondé sur un titre, il ne peut plus être exercé puisque s’apparentant alors à une servitude (V. en ce sens Cass. req. 28 juill. 1875).

==> Les limites tenant au respect des servitudes

L’exercice du droit de se clore ne peut jamais porter atteinte aux servitudes susceptibles de grever le fonds.

Ainsi, l’installation d’une clôture ne doit jamais entraver l’exercice notamment :

  • D’une servitude de passage
  • D’une servitude d’écoulement des eaux

Ainsi que l’ont relevé des auteurs, « d’une manière plus générale le droit de se clore est limité par l’obligation de ne pas mettre obstacle à l’exercice d’une servitude quelconque dont le fonds serait grevé au profit d’un autre fonds »[3].

Dans un arrêt du 28 juin 1853 la Cour de cassation a précisé qu’il appartient au juge « tout en respectant autant que possible le droit de clôture du fonds servant, de veiller à ce qu’aux termes de l’article 701, il ne soit rien fait qui tende à diminuer ou à rendre plus incommode, au préjudice du fonds dominant, l’usage de la servitude » (Cass. civ., 28 juin 1853).

Dans un arrêt du 21 novembre 1969 la troisième chambre civile a encore affirmé que si le propriétaire d’un fonds grevé d’une servitude de passage conserve le droit d’y faire tous travaux qu’il juge convenables et de se clore, il ne doit cependant rien entreprendre qui puisse diminuer l’usage de la servitude ou le rendre moins commode, l’appréciation des circonstances modificatives de cet usage rentrant dans les pouvoirs souverains des juges du fond.

Au cas particulier, elle relève que les propriétaires du fonds grevé avaient réduit la largeur du passage, qui n’était plus que de 3,38 m, alors qu’il devait être de 4 mètres et en déduit que le trouble ainsi apporte à l’exercice du passage ne pouvait être utilement contesté puisque ledit passage était le seul accès permettant au propriétaire du fonds dominant d’exploiter sa ferme (Cass. 3e civ. 21 nov. 1969).

==> Les limites tenant à l’abus de droit

Le droit de se clore doit, pour pouvoir être librement exercé, ne pas dégénérer en abus de droit, soit être exercé dans l’intention de nuire au propriétaire du fonds voisin.

Deux critères sont traditionnellement exigés pour caractériser l’abus de droit de propriété : l’inutilité de l’action du propriétaire et son intention de nuire.

  • S’agissant de l’inutilité de l’action du propriétaire
    • Il s’agit ici d’établir que l’action du propriétaire ne lui procure aucune utilité personnelle
    • Dans l’arrêt Clément Bayard, la Cour de cassation avait jugé en ce sens que le dispositif ne présentait aucune utilité pour le terrain.
    • Elle avait en outre relevé que ce dispositif avait été érigé « sans d’ailleurs, à la hauteur à laquelle il avait été élevé, constituer au sens de l’article 647 du code civil, la clôture que le propriétaire est autorisé à construire pour la protection de ses intérêts légitimes»
    • Au sujet du critère de l’inutilité, dans un arrêt du 20 janvier 1964, la Cour de cassation a eu l’occasion de préciser que « l’exercice du droit de propriété qui a pour limite la satisfaction d’un intérêt sérieux et légitime, ne saurait autoriser l’accomplissement d’actes malveillants, ne se justifiant par aucune utilité appréciable et portant préjudice à autrui» ( 2e civ., 20 janv. 1964).
  • S’agissant de l’intention de nuire du propriétaire
    • L’intention de nuire qui est un critère psychologique, est l’élément central de la notion d’abus de droit
    • En effet, c’est l’intention de celui qui exerce son droit de propriété qui permet de caractériser l’abus de droit.
    • Dès lors, la recherche du juge consistera en une analyse des mobiles du propriétaire.
    • À l’évidence, l’exercice est difficile, l’esprit se laissant, par hypothèse, difficilement sondé.
    • Comment, dans ces conditions, démontrer l’intention de nuire, étant précisé que la charge de la preuve pèse sur le demandeur, soit sur la victime de l’abus ?
    • Compte tenu de la difficulté qu’il y a à rapporter la preuve de l’intention de nuire, la jurisprudence admet qu’elle puisse se déduire de constatations matérielles, en particulier l’inutilité de l’action du propriétaire et le préjudice causé.
    • Si le propriétaire n’avait aucun intérêt légitime à exercer son droit de propriété comme il l’a fait, on peut conjecturer que son comportement procède d’une intention de nuire à autrui, à plus forte raison s’il en résulte en préjudice.

S’agissant du droit de se clore, la Cour de cassation a, dans un arrêt du 30 octobre 1972, admis qu’il puisse dégénérer en abus de droit.

  • Faits
    • Un propriétaire édifie un mur face à la maison de ses voisins et installe plusieurs rangées de fils de fer barbelés dans le grillage séparant son jardin du chemin qui le borde
    • Les propriétaires du fonds voisin sollicitent la démolition du mur arguant qu’il avait été édifié dans l’unique but de priver leur habitation de vue et de lumière et d’en gêner l’accès.
    • De son côté, le propriétaire du mur soutient que l’édification de ce mur aurait été prescrite par l’autorité sanitaire, après l’enquête provoquée par les plaintes de ses voisins du fait des odeurs provenant de l’élevage de bestiaux.
  • Procédure
    • Par un arrêt du 29 mars 1971, la Cour d’appel d’Orléans ordonne la démolition du mur litigieux et le retrait des rangées de fils barbelés.
    • Les juges du fond relèvent :
      • D’une part, que les conditions imposées par l’administration au défendeur pour la poursuite de son exploitation d’élevage ne comprenaient pas l’édification du mur litigieux
      • D’autre part, que c’est à la suite de la plainte portée par les voisins auprès de l’autorité administrative que le défendeur a fait élever en face de la maison de ceux-ci, sans le prolonger au-delà, le mur litigieux, qui a été ultérieurement surmonté d’un grillage supportant des plantes grimpantes, manifestant de la sorte son intention évidente de priver leur habitation de vue et de lumière et d’en gêner l’accès, et a fait placer dans le grillage, qui était suffisant pour servir de clôture a son jardin, des rangées de fils de fer barbelés, créant ainsi un danger certain pour les usagers du chemin et notamment pour les enfants
    • La Cour d’appel en conclut que les actes du propriétaire du mur litigieux ne se justifiaient par aucune utilité appréciable en vue de satisfaire un intérêt sérieux et ont été inspirés par une intention malveillante, qui apparaît encore dans la pose, contre le mur litigieux et face à l’entrée de la maison des demandeurs à l’action, d’une pancarte portant l’inscription, « mur du repentir et de la honte, pour ceux qui en ont obligé la construction, que les morveux se mouchent»
  • Décision
    • Par un arrêt du 30 octobre 1972 la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par le propriétaire du mur litigieux.
    • Elle considère que la pose du mur avait bien dégénéré en abus de droit eu égard les circonstances de son édification et les motivations de son auteur.

Il ressort de cet arrêt que, lorsque l’intention de nuire est établie, il peut être fait échec à l’exercice du droit de se clore.

Lorsque, en revanche, il apparaît que la clôture ne présente pas un aspect inesthétique caractérisé et que son aspect est conforme à une autorisation municipale octroyée au propriétaire du fond, il a été jugé que l’action en trouble de voisinage ne peut pas prospérer (Cass. 3e civ. 18 janv. 2011, n°09-17459).

La clôture : régime juridique

==> Généralités

L’article 647 du code civil dispose que « tout propriétaire peut clore son héritage, sauf l’exception portée en l’article 682. »

Est ainsi exprimée la prérogative qui échoit au propriétaire de dresser des barrières physiques sur son fonds afin d’empêcher que l’on y pénètre sans y avoir été invité.

À cet égard, le droit de se clore prévu par l’article 647 du Code civil n’est pas seulement un moyen de protéger le propriétaire contre les incursions des tiers mais est aussi le signe que la vue de son bien est une utilité qui lui appartient.

La clôture est en quelque sorte la marque de la souveraineté exercée par le propriétaire sur son bien, marque à laquelle étaient très attachés les révolutionnaires.

Sous l’ancien régime, en effet, il était défendu de disposer des obstacles sur ses terres en raison du droit dont étaient titulaires les seigneurs de pénétrer dans les domaines aux fins d’y chasser le gibier.

La nuit du 4 août 1789 emporta avec elle ce privilège de chasse. Il s’ensuivit l’adoption de la loi des 28 septembre et 6 octobre 1791 qui rompit avec l’ancien droit féodal et consacra le droit fondamental pour chaque propriétaire d’élever une clôture

Le texte prévoyait en ce sens que « le droit de clore et de déclore ses héritages résulte essentiellement de celui de propriété, et ne peut être contesté à aucun propriétaire. »

La question s’est posée en doctrine de la nature de ce droit qui est envisagée dans le chapitre consacré aux servitudes qui dérivent de la situation des lieux.

À l’examen, le droit de se clore relève moins de la catégorie des servitudes que des attributs du droit de propriété.

Pour constituer une servitude il faut qu’existe un rapport entre un fonds servant et un fonds dominant. Or par hypothèse, ce rapport est inexistant en matière de clôture l’exercice du droit de se clore n’ayant pas pour effet d’asservir le fonds voisin.

Il s’agit là d’une prérogative qui peut être exercée discrétionnairement et qui, au vrai, peut être rattachée à l’article 544 du Code civil.

À cet égard, dans un arrêt du 3 février 1913, la Cour de cassation a affirmé que « le droit de clore ou de déclore les héritages résulte essentiellement de celui de la propriété » (Cass. 3e civ., 3 févr. 1913)

De surcroît, comme le droit de propriété, le droit de se clore ne se prescrit pas par le non-usage, ce qui est le cas des servitudes (art. 706 C. civ.)

==> Clôture et bornage

Bien que les deux opérations soient proches et entretiennent des liens étroits, le bornage et la clôture se distinguent fondamentalement.

Tandis que le bornage vise à déterminer la ligne divisoire, séparative entre deux fonds contigus, la clôture est ce qui sert à enclore un espace et à empêcher la communication avec les héritages voisins.

En toute logique, l’opération de bornage précède toujours la clôture, celle-ci prenant assiste sur la ligne séparative des fonds contigus.

Surtout les deux opérations se distinguent en ce que le bornage est toujours réalisé contradictoirement, alors que la clôture d’un fonds peut s’opérer unilatéralement.

En effet, régulièrement la jurisprudence rappelle que le bornage doit nécessairement être réalisé au contradictoire des propriétaires de tous les fonds concernés par l’opération.

Tel n’est pas le cas de la clôture qui peut être posée sur l’initiative d’un seul propriétaire, charge à lui de s’assurer de ne pas empiéter sur le fonds voisin. Le code civil envisage d’ailleurs la clôture comme une action unilatérale en prévoyant à l’article 647 que « tout propriétaire peut clore son héritage ».

À l’inverse, le bornage ne peut jamais se déduire de l’existence d’une clôture dont l’installation ne résulterait pas d’un commun accord entre les propriétaires.

Il en résulte que la présence, d’un mur, d’une haie ou de toute autre forme de clôture est sans incidence sur le droit du propriétaire du fonds voisin à exiger la réalisation ultérieure d’une opération de bornage (V. en ce sens Cass. civ. 4 mars 1879)

Aussi, pour que le bornage produise ses pleins effets, plusieurs conditions doivent être réunies, après quoi seulement l’opération qui consiste à borner peut être mise en œuvre.

==> Statut

Selon son emplacement, la clôture peut être affectée à un usage exclusivement privatif ou être affectée à l’usage des deux propriétaires des fonds contigus.

Dans le premier cas, elle sera à la charge du seul propriétaire du fonds sur lequel elle est implantée, dans le second cas, elle sera mitoyenne de sorte que l’obligation d’entretien pèse sur les deux propriétaires.

En tout état de cause, l’élévation d’une clôture n’est, en principe, jamais contrainte. Et pour cause, elle est envisagée par le Code civil comme un droit.

Assez paradoxalement néanmoins il est des circonstances où la clôture est constitutive d’une obligation, le voisinage pouvant contraindre un propriétaire à clore sa propriété.

I) Le droit de se clore

A) Le contenu du droit de se clore

  1. Notion de clôture

L’article R. 651-1 du Code rural et de la pêche maritime prévoir que, est réputé clos « tout terrain entouré, soit par une haie vive, soit par un mur, une palissade, un treillage, une haie sèche d’une hauteur d’un mètre au moins, soit par un fossé d’un mètre vingt à l’ouverture et de cinquante centimètres de profondeur, soit par des traverses en bois ou des fils métalliques distants entre eux de trente-trois centimètres au plus s’élevant à un mètre de hauteur, soit par toute autre clôture continue et équivalente faisant obstacle à l’introduction des animaux »

Une clôture consiste ainsi en tout ce qui vise à empêcher la pénétration d’un tiers ou d’animaux dans une propriété.

La circulaire n°78-112 du 21 août 1978 assimile à une clôture les « murs, portes de clôture, clôtures à claire-voie, clôtures en treillis, clôtures de pieux, clôtures métalliques, palissades, grilles, herses, barbelés, lices, échaliers »

Ces listes établies par les textes ne sont pas exhaustives, le juge disposant d’un pouvoir d’appréciation en la matière.

En tout état de cause, la clôture élevée par le propriétaire sur son fonds peut être naturelle (une haie) ou artificielle (un mur), pourvu qu’elle obstrue le passage et qu’elle soit continue et constante (art. L. 424-3 C. env.)

A l’analyse, il ressort de la jurisprudence que constitue une clôture tout ouvrage dont la finalité consiste à fermer l’accès à tout ou partie d’une propriété.

Dans un arrêt du 21 juillet 2009, le Conseil d’État a précisé que, un tel ouvrage n’a pas à être implanté en limite de propriété pour constituer une clôture.

2. Condition d’installation de la clôture

a) Les conditions tenant à la position la clôture

==> Principe : installation en limite de fonds

Par principe, une clôture peut être installée en limite de fonds. Si elle est mitoyenne, ou si le voisin y consent, elle pourra être élevée sur la ligne séparative.

À défaut d’accord, la clôture devra être en positionnée en retrait, faute de quoi elle empiéterait sur le fonds voisin ce qui autoriserait son propriétaire à solliciter son déplacement, voire sa démolition (Cass. 3e civ., 20 mars 2002, n°00-16.015).

Celui qui installe une clôture sur son fond doit ainsi être extrêmement vigilant quant à son emplacement.

À cet égard, il ne devra pas seulement veiller à ce que l’ouvrage qu’il élève n’empiète pas sur le fonds voisin, il devra encore s’assurer, si la clôture consiste en des plantations, que la distance avec la ligne séparative est respectée.

==> Exception : observation d’une distance avec la ligne séparative

Lorsque la clôture consiste en des plantations, soit en une haie ou des arbustes, elle ne pourra pas être positionnée en limite de fonds.

La règle est énoncée à l’article 671 du Code civil qui prévoit que « il n’est permis d’avoir des arbres, arbrisseaux et arbustes près de la limite de la propriété voisine qu’à la distance prescrite par les règlements particuliers actuellement existants, ou par des usages constants et reconnus et, à défaut de règlements et usages, qu’à la distance de deux mètres de la ligne séparative des deux héritages pour les plantations dont la hauteur dépasse deux mètres, et à la distance d’un demi-mètre pour les autres plantations. »

Le principe qui s’infère de cette disposition est que pour éviter que les plantations nuisent au fonds voisin par leurs branches et leurs racines, l’article 671 interdit en principe à un propriétaire « d’avoir des arbres, arbrisseaux et arbustes » jusqu’à l’extrême limite de son terrain.

Ainsi que l’observe un auteur toutes les plantations sont en réalité visées par cette interdiction[1]. Au vrai, la seule question qui se pose est de savoir quelle est la distance minimale qui doit être observée entre les plantations et la ligne séparative du fonds.

Afin de déterminer la distance requise, l’article 671 du Code civil renvoie, d’abord aux règlements et usage, puis subsidiairement prescrit une distance par défaut.

  • La distance prévue par les règlements et les usages
    • Pour savoir jusqu’à quelle distance un propriétaire peut avoir des plantations, il est nécessaire de se référer en premier lieu aux règlements particuliers et aux usages constants et reconnus.
      • S’agissant des règlements particuliers
        • Ils sont constitués par les arrêtés, les documents d’urbanisme ou les servitudes d’utilité publique susceptibles de prescrire des distances ou des hauteurs particulières de plantations.
      • S’agissant des usages
        • Ils peuvent quant à eux être relevés par les chambres d’agriculture[2], mais ils peuvent également être directement reconnus par les juges du fond.
        • Ainsi, l’usage parisien autorise à planter jusqu’à l’extrême limite de son fonds, compte tenu de l’exiguïté des parcelles (V. en ce sens 3e civ., 14 février 1984, n°82-16092).
        • Il en va de même pour le pays de Caux ou à Marseille.
        • Dans certains cas, comme à Poitiers, les usages prescrivent des distances supérieures à celles prévues par le code civil.
  • La distance prévue par le code civil
    • Ce n’est qu’à défaut de règlement et d’usage que s’appliquent les distances prévues par le code civil, qui ont donc un caractère subsidiaire.
    • Dans cette hypothèse, l’article 671 pose un principe qu’il assortit d’une limite à l’alinéa 2.
      • Principe
        • La distance à observer dépend de la hauteur de la plantation, étant précisé que le calcul de cette hauteur ne tient pas compte de l’inclinaison du fonds, mais seulement de la taille intrinsèque de la plantation, de la base à son sommet (V. en ce sens 3e civ., 4 nov. 1998, n°96-19708).
        • Ainsi, la distance d’espacement est donc de :
          • Deux mètres de la ligne séparative pour les plantations dont la hauteur dépasse deux mètres
          • Un demi-mètre de la ligne séparative pour les autres plantations.
        • Seule importe donc la hauteur de la plantation, étant précisé que ne doit pas être prise en compte la croissance naturelle des arbres, ni la date habituelle de leur taille ( 3e civ. 19 mai 2004, n°03-10077).
        • En outre, dans un arrêt du 1er avril 2009, la Cour de cassation a précisé que « la distance existant entre les arbres et la ligne séparative des héritages doit être déterminée depuis cette ligne jusqu’à l’axe médian des troncs des arbres» ( 3e civ. 1er avr. 2009, n°08-11876).
      • Exception
        • L’article 671 prévoit une exception à la règle prescrivant une distance à observer entre les plantations et la limite du fonds.
        • En effet, l’alinéa 2 de ce texte dispose que lorsqu’existe un mur séparatif des plantations peuvent être faites « en espaliers, de chaque côté du mur séparatif, sans que l’on soit tenu d’observer aucune distance, mais [elles] ne pourront dépasser la crête du mur».
        • Si le mur n’est pas mitoyen, seul son propriétaire peut procéder à de telles plantations en espaliers.

b) Les conditions tenant à l’aspect de la clôture

Outre les règles d’emplacement de la clôture, doivent également être observées des règles qui tiennent à son aspect.

En principe, le choix de la clôture est libre, mais il est souvent soumis à certaines contraintes fixées par les règles d’urbanisme et plus précisément par les plans locaux d’urbanisme ou par les plans d’occupation des sols.

Ces règles propres à chaque agglomération et commune, peuvent ainsi imposer aux propriétaires des hauteurs ou des distances avec la ligne séparative à respecter ou des matériaux spécifiques à utiliser.

Par exemple, la nature et l’apparence des clôtures sont souvent réglementées par les dispositions du règlement du plan local d’urbanisme (PLU), qui va indiquer en général la hauteur maximale admise ainsi que l’apparence (enduit, etc) ou encore la forme que peuvent prendre les clôtures, en général :

  • Un mur plein
  • Un mur bahut d’une certaine hauteur obligatoirement surmonté d’un dispositif à claire-voie ou d’un grillage
  • Un simple grillage sans mur bahut.

Le code de l’urbanisme n’opère pas de distinction selon les types de clôture. Il peut s’agir de clôtures électriques, de grillages ou de tout autre procédé ayant pour fonction de fermer l’accès à un terrain ou d’introduire un obstacle à la circulation.

Dès lors que l’ouvrage a pour finalité de fermer l’accès à un terrain, quel que soit son emplacement sur la parcelle concernée et quelle que soit sa nature, il peut être assimilé à une clôture et, en conséquence, être soumis aux règles du PLU relatives à l’aspect et la forme des clôtures.

À défaut de réglementation spécifique, la hauteur d’un mur ne doit pas être supérieure à 3,20 m pour les villes de 50 000 habitants et plus, et à 2,60 m dans les autres cas, étant précisé que la clôture se mesure à partir du terrain le plus bas.

La clôture réalisée en méconnaissance des règles du PLU peut donner lieu à des sanctions pénales et une procédure devant le tribunal correctionnel.

L’aspect de la clôture peut également être stipulé par le cahier des charges d’une copropriété lorsque le fonds relève d’un lotissement, auquel cas les propriétaires seront tenus de s’y soumettre.

c) Les conditions tenant à la déclaration préalable

L’édification d’une clôture n’est, en principe, pas subordonnée à l’accomplissement d’une déclaration préalable.

Lorsque, toutefois, le fonds se situe dans une zone particulière une telle déclaration peut être exigée.

L’article R. 421-12 du Code de l’urbanisme prévoit en ce sens que doit être précédée d’une déclaration préalable l’édification d’une clôture située :

  • Dans le périmètre d’un site patrimonial remarquable classé en application de l’article L. 631-1 du code du patrimoine ou dans les abords des monuments historiques définis à l’article L. 621-30 du code du patrimoine ;
  • Dans un site inscrit ou dans un site classé ou en instance de classement en application des articles L. 341-1 et L. 341-2 du code de l’environnement ;
  • Dans un secteur délimité par le plan local d’urbanisme en application de l’article L. 151-19 ou de l’article L. 151-23 ;
  • Dans une commune ou partie de commune où le conseil municipal ou l’organe délibérant de l’établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d’urbanisme a décidé de soumettre les clôtures à déclaration.

Ainsi, l’édification de clôtures peut être soumise à déclaration préalable, dès lors que le projet est situé dans un secteur sauvegardé, dans le champ de visibilité d’un monument historique, dans une zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager, dans un site inscrit ou un site classé, dans un secteur délimité de plan local d’urbanisme (PLU) ou par délibération du conseil municipal ou de l’établissement public de coopération intercommunale compétent en PLU sur tout ou partie de la commune.

La jurisprudence a précisé que seule l’édification d’une clôture est soumise à la déclaration préalable et non sa rénovation ou sa modification (V. en ce sens Cass. crim., 26 févr. 1985).

La déclaration préalable doit satisfaire aux exigences de formes prescrites aux articles R. 431-35 à R. 431-37 du Code de l’urbanisme et notamment comporter

  • L’identité du ou des déclarants ;
  • La localisation et la superficie du ou des terrains ;
  • La nature des travaux ou du changement de destination ;
  • S’il y a lieu, la surface de plancher et la destination des constructions projetées ;
  • Les éléments, fixés par arrêtés, nécessaires au calcul des impositions.

La déclaration préalable doit, ensuite être adressée par pli recommandé avec demande d’avis de réception ou déposées à la mairie de la commune dans laquelle les travaux sont envisagés (art. R. 423-1 C. urb.).

La déclaration et le dossier qui l’accompagnent sont établis en deux exemplaires pour les déclarations préalables (art. R. 423-2 C. urb.).

Dans les quinze jours qui suivent le dépôt de la déclaration et pendant la durée d’instruction de celle-ci, le maire procède à l’affichage en mairie d’un avis de dépôt de demande de permis ou de déclaration préalable précisant les caractéristiques essentielles du projet, dans des conditions prévues par arrêté du ministre chargé de l’urbanisme (art. R. 423-6 C. urb.).

Le délai d’instruction de droit commun est un mois pour les déclarations préalables, étant précisé que ce délai court à compter de la réception en mairie d’un dossier complet.

À défaut de notification d’une décision expresse dans le délai d’instruction déterminé le silence gardé par l’autorité compétente vaut décision de non-opposition à la déclaration préalable (art. R. 424-1 C. urb.).

B) Les limites du droit de se clore

Le droit de se clore rencontre trois sortes de limites :

  • Celles qui tiennent au droit de vaine pâture
  • Celles qui tiennent au respect des servitudes
  • Celles qui tiennent à l’abus de droit

==> Les limites tenant au droit de vaine pâture

On entend par vaine pâture le droit qu’ont les habitants d’une commune de mener paître leurs bestiaux sur les terres incultes de leur territoire, ainsi que sur les autres fonds non clos, dépouillés de leurs récoltes après les premières et secondes herbes.

Lorsque ce droit existe entre les habitants d’une même commune, on lui donne le nom de vaine pâture et il prend celui de parcours lorsqu’il s’exerce de commune en commune.

Ainsi, le droit de parcours n’est qu’un droit de vaine pâture exercée sur une plus grande échelle.

Les droits de vaine pâture et de parcours ont toujours été regardés comme des actes de simple tolérance. Sous l’ancien régime ils sont devenus constitutifs d’une servitude, à telle enseigne qu’il était défendu aux propriétaires de clore leur héritage.

Cette interdiction a été levée par les révolutionnaires qui, dans le même temps, ont conservé le droit de vaine pâture dans le Code rural adopté en 1791.

La loi du 9 juillet 1889 a maintenu ce droit dans deux cas :

  • Premier cas: l’article L. 651-1 du Code rural et de la pêche maritime prévoit que « le droit de vaine pâture appartenant à la généralité des habitants et s’appliquant en même temps à la généralité d’une commune ou d’une section de commune, en vertu d’une ancienne loi ou coutume, d’un usage immémorial ou d’un titre, n’est reconnu que s’il a fait l’objet avant le 9 juillet 1890 d’une demande de maintien non rejetée par le conseil départemental ou par un décret en Conseil d’État. »
  • Second cas: l’article L. 651-10 du Code rural et de la pêche maritime prévoit que « la vaine pâture fondée sur un titre, et établie sur un héritage déterminé, soit au profit d’un ou plusieurs particuliers, soit au profit de la généralité des habitants d’une commune, est maintenue et continue à s’exercer conformément aux droits acquis. Mais le propriétaire de l’héritage grevé peut toujours s’affranchir soit moyennant une indemnité fixée à dire d’experts, soit par voie de cantonnement »

Quant à l’exercice du droit de vaine pâture il est très strictement encadré. Ainsi, dans aucun cas et dans aucun temps, la vaine pâture ne peut s’exercer sur les prairies artificielles.

Par ailleurs, elle ne peut avoir lieu sur aucune terre ensemencée ou couverte d’une production quelconque faisant l’objet d’une récolte, tant que la récolte n’est pas enlevée.

En outre les conseils municipaux peuvent réglementer le droit de vaine pâture, notamment pour en suspendre l’exercice en cas d’épizootie, le dégel ou de pluies torrentielles, pour cantonner les troupeaux de différents propriétaires ou les animaux d’espèces différentes, pour interdire la présence d’animaux dangereux ou malades dans les troupeaux.

Surtout, l’article L. 651-4 prévoit que « le droit de vaine pâture ne fait jamais obstacle à la faculté que conserve tout propriétaire soit d’user d’un nouveau mode d’assolement ou de culture, soit de se clore. Tout terrain clos est affranchi de la vaine pâture. »

Cette disposition ne fait que reprendre la règle énoncée à l’article 648 du Code civil qui autorise expressément les propriétaires, par principe, à faire obstacle au droit de vaine pâture en élevant des clôtures sur leurs fonds.

Le texte prévoit en ce sens que « le propriétaire qui veut se clore perd son droit au parcours et vaine pâture en proportion du terrain qu’il y soustrait. »

L’idée qui préside à cette règle est que celui qui retire sa mise de la société ne prenne plus de part dans la mise des autres.

Pour exemple, lorsqu’un propriétaire a clos un quart de son héritage, il ne peut plus faire paître que les trois quarts des bestiaux pour lesquels il avait droit antérieurement.

Lorsque toutefois, le droit de vaine pâture est fondé sur un titre, il ne peut plus être exercé puisque s’apparentant alors à une servitude (V. en ce sens Cass. req. 28 juill. 1875).

==> Les limites tenant au respect des servitudes

L’exercice du droit de se clore ne peut jamais porter atteinte aux servitudes susceptibles de grever le fonds.

Ainsi, l’installation d’une clôture ne doit jamais entraver l’exercice notamment :

  • D’une servitude de passage
  • D’une servitude d’écoulement des eaux

Ainsi que l’ont relevé des auteurs, « d’une manière plus générale le droit de se clore est limité par l’obligation de ne pas mettre obstacle à l’exercice d’une servitude quelconque dont le fonds serait grevé au profit d’un autre fonds »[3].

Dans un arrêt du 28 juin 1853 la Cour de cassation a précisé qu’il appartient au juge « tout en respectant autant que possible le droit de clôture du fonds servant, de veiller à ce qu’aux termes de l’article 701, il ne soit rien fait qui tende à diminuer ou à rendre plus incommode, au préjudice du fonds dominant, l’usage de la servitude » (Cass. civ., 28 juin 1853).

Dans un arrêt du 21 novembre 1969 la troisième chambre civile a encore affirmé que si le propriétaire d’un fonds grevé d’une servitude de passage conserve le droit d’y faire tous travaux qu’il juge convenables et de se clore, il ne doit cependant rien entreprendre qui puisse diminuer l’usage de la servitude ou le rendre moins commode, l’appréciation des circonstances modificatives de cet usage rentrant dans les pouvoirs souverains des juges du fond.

Au cas particulier, elle relève que les propriétaires du fonds grevé avaient réduit la largeur du passage, qui n’était plus que de 3,38 m, alors qu’il devait être de 4 mètres et en déduit que le trouble ainsi apporte à l’exercice du passage ne pouvait être utilement contesté puisque ledit passage était le seul accès permettant au propriétaire du fonds dominant d’exploiter sa ferme (Cass. 3e civ. 21 nov. 1969).

==> Les limites tenant à l’abus de droit

Le droit de se clore doit, pour pouvoir être librement exercé, ne pas dégénérer en abus de droit, soit être exercé dans l’intention de nuire au propriétaire du fonds voisin.

Deux critères sont traditionnellement exigés pour caractériser l’abus de droit de propriété : l’inutilité de l’action du propriétaire et son intention de nuire.

  • S’agissant de l’inutilité de l’action du propriétaire
    • Il s’agit ici d’établir que l’action du propriétaire ne lui procure aucune utilité personnelle
    • Dans l’arrêt Clément Bayard, la Cour de cassation avait jugé en ce sens que le dispositif ne présentait aucune utilité pour le terrain.
    • Elle avait en outre relevé que ce dispositif avait été érigé « sans d’ailleurs, à la hauteur à laquelle il avait été élevé, constituer au sens de l’article 647 du code civil, la clôture que le propriétaire est autorisé à construire pour la protection de ses intérêts légitimes»
    • Au sujet du critère de l’inutilité, dans un arrêt du 20 janvier 1964, la Cour de cassation a eu l’occasion de préciser que « l’exercice du droit de propriété qui a pour limite la satisfaction d’un intérêt sérieux et légitime, ne saurait autoriser l’accomplissement d’actes malveillants, ne se justifiant par aucune utilité appréciable et portant préjudice à autrui» ( 2e civ., 20 janv. 1964).
  • S’agissant de l’intention de nuire du propriétaire
    • L’intention de nuire qui est un critère psychologique, est l’élément central de la notion d’abus de droit
    • En effet, c’est l’intention de celui qui exerce son droit de propriété qui permet de caractériser l’abus de droit.
    • Dès lors, la recherche du juge consistera en une analyse des mobiles du propriétaire.
    • À l’évidence, l’exercice est difficile, l’esprit se laissant, par hypothèse, difficilement sondé.
    • Comment, dans ces conditions, démontrer l’intention de nuire, étant précisé que la charge de la preuve pèse sur le demandeur, soit sur la victime de l’abus ?
    • Compte tenu de la difficulté qu’il y a à rapporter la preuve de l’intention de nuire, la jurisprudence admet qu’elle puisse se déduire de constatations matérielles, en particulier l’inutilité de l’action du propriétaire et le préjudice causé.
    • Si le propriétaire n’avait aucun intérêt légitime à exercer son droit de propriété comme il l’a fait, on peut conjecturer que son comportement procède d’une intention de nuire à autrui, à plus forte raison s’il en résulte en préjudice.

S’agissant du droit de se clore, la Cour de cassation a, dans un arrêt du 30 octobre 1972, admis qu’il puisse dégénérer en abus de droit.

  • Faits
    • Un propriétaire édifie un mur face à la maison de ses voisins et installe plusieurs rangées de fils de fer barbelés dans le grillage séparant son jardin du chemin qui le borde
    • Les propriétaires du fonds voisin sollicitent la démolition du mur arguant qu’il avait été édifié dans l’unique but de priver leur habitation de vue et de lumière et d’en gêner l’accès.
    • De son côté, le propriétaire du mur soutient que l’édification de ce mur aurait été prescrite par l’autorité sanitaire, après l’enquête provoquée par les plaintes de ses voisins du fait des odeurs provenant de l’élevage de bestiaux.
  • Procédure
    • Par un arrêt du 29 mars 1971, la Cour d’appel d’Orléans ordonne la démolition du mur litigieux et le retrait des rangées de fils barbelés.
    • Les juges du fond relèvent :
      • D’une part, que les conditions imposées par l’administration au défendeur pour la poursuite de son exploitation d’élevage ne comprenaient pas l’édification du mur litigieux
      • D’autre part, que c’est à la suite de la plainte portée par les voisins auprès de l’autorité administrative que le défendeur a fait élever en face de la maison de ceux-ci, sans le prolonger au-delà, le mur litigieux, qui a été ultérieurement surmonté d’un grillage supportant des plantes grimpantes, manifestant de la sorte son intention évidente de priver leur habitation de vue et de lumière et d’en gêner l’accès, et a fait placer dans le grillage, qui était suffisant pour servir de clôture a son jardin, des rangées de fils de fer barbelés, créant ainsi un danger certain pour les usagers du chemin et notamment pour les enfants
    • La Cour d’appel en conclut que les actes du propriétaire du mur litigieux ne se justifiaient par aucune utilité appréciable en vue de satisfaire un intérêt sérieux et ont été inspirés par une intention malveillante, qui apparaît encore dans la pose, contre le mur litigieux et face à l’entrée de la maison des demandeurs à l’action, d’une pancarte portant l’inscription, « mur du repentir et de la honte, pour ceux qui en ont obligé la construction, que les morveux se mouchent»
  • Décision
    • Par un arrêt du 30 octobre 1972 la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par le propriétaire du mur litigieux.
    • Elle considère que la pose du mur avait bien dégénéré en abus de droit eu égard les circonstances de son édification et les motivations de son auteur.

Il ressort de cet arrêt que, lorsque l’intention de nuire est établie, il peut être fait échec à l’exercice du droit de se clore.

Lorsque, en revanche, il apparaît que la clôture ne présente pas un aspect inesthétique caractérisé et que son aspect est conforme à une autorisation municipale octroyée au propriétaire du fond, il a été jugé que l’action en trouble de voisinage ne peut pas prospérer (Cass. 3e civ. 18 janv. 2011, n°09-17459).

II) L’obligation de se clore

A) Principe

Si tout propriétaire d’un fonds est titulaire du droit de se clore il est dès cas où cet acte lui est imposé par la loi.

L’article 663 du Code civil dispose en ce sens que « chacun peut contraindre son voisin, dans les villes et faubourgs, à contribuer aux constructions et réparations de la clôture faisant séparation de leurs maisons, cours et jardins assis ès dites villes et faubourgs »

Il ressort de cette disposition que le propriétaire d’un fonds situé dans un espace urbain peut contraindre son voisin à participer à la construction et à l’entretien d’une clôture afin d’empêcher toute communication entre les deux propriétés.

Cette clôture forcée est présentée par une partie de la doctrine comme répondant à un objectif de salubrité publique, en ce sens qu’il s’agirait d’empêcher la constitution de terrains vagues et de lutter contre l’insécurité.

D’autres auteurs arguent, au contraire, que dans la mesure où la règle ainsi édictée n’est pas d’ordre public elle viserait seulement à assurer la tranquillité et la vie privée des habitants des villes.

Reste que pour qu’un propriétaire soit contraint d’élever une clôture sur son fonds encore faut-il que son voisin se prévale du bénéfice de l’article 663. Or la mise en œuvre de cette disposition est subordonnée à la réunion de plusieurs conditions.

B) Conditions

  • Des fonds situés en milieu urbains
    • Le propriétaire d’un fonds ne peut contraindre son voisin à participer à l’élévation d’une clôture qu’à la condition que les fonds soient situés en milieu urbain, l’article 663 visant « les villes et les faubourgs».
    • Il en résulte que cette obligation n’est pas applicable en zone rurale.
    • En l’absence de définition des notions de villes et faubourgs, c’est au juge qu’il appartient d’apprécier la configuration de la zone dans laquelle sont situés les fonds concernés.
  • Des fonds affectés à l’usage d’habitation
    • Seuls les fonds affectés à l’usage d’habitation relèvent du domaine d’application de l’article 663 du Code civil ( req. 28 févr. 1905).
  • Des fonds contigus
    • La jurisprudence exige que les fonds soient contigus, faute de quoi l’article 663 est inapplicable ( req. 1er juill. 1857).
    • Lorsque, dès lors, les deux fonds sont séparés par un espace qui ne leur appartient pas, aucune clôture ne pourra être imposée par un propriétaire à l’autre.
  • L’absence de mur existant
    • Il s’infère de l’article 663 qu’un propriétaire ne peut contraindre son voisin à ériger une clôture qu’à la condition qu’aucun mur ne sépare déjà les deux fonds.
    • L’objectif recherché par le texte est de forcer l’édification d’une clôture et non l’acquisition de la mitoyenneté d’un mur (V. en ce sens Req. 25 juill. 1928).

C) Effets

==> Le partage des frais de construction

L’exercice de la faculté prévue à l’article 663 du Code civil a pour effet de contraindre le propriétaire du fonds voisin à « contribuer aux constructions et réparations de la clôture faisant séparation de leurs maisons, cours et jardins ».

Il s’infère de la règle ainsi posée que les frais de construction doivent être partagés à parts égales entre les propriétaires des deux fonds, étant précisé que le montant des frais s’évalue au jour de la construction.

La clôture alors édifiée sera mitoyenne de sorte que les propriétaires seront copropriétaires de l’ouvrage.

==> Les caractéristiques de la clôture

S’agissant des caractéristiques de la clôture, elles sont envisagées par l’article 663 qui prévoit que « la hauteur de la clôture sera fixée suivant les règlements particuliers ou les usages constants et reconnus et, à défaut d’usages et de règlements, tout mur de séparation entre voisins, qui sera construit ou rétabli à l’avenir, doit avoir au moins trente-deux décimètres de hauteur, compris le chaperon, dans les villes de cinquante mille âmes et au-dessus, et vingt-six décimètres dans les autres. »

Il ressort du texte que la clôture doit présenter certaines caractéristiques, faute de quoi l’un des propriétaires pourra contraindre l’autre à se conformer aux exigences requises.

  • Un mur
    • La première exigence tient à la nature de la clôture qui doit consister en un mur, de sorte qu’une simple haie, un grillage ou encore une palissade sont insuffisants
  • Dimensions
    • Le mur doit être édifié dans le respect de plusieurs dimensions fixées par l’article 663.
    • Tout d’abord, il doit être édifié sur la ligne séparative et s’étendre sur toute la longueur de cette ligne.
    • Ensuite, le mur doit atteindre une hauteur minimum de 3.20 m pour les villes de 50.000 habitants et plus et 2.60 m dans les autres villes, saufs règlements et usages contraires.
    • Les dimensions du mur s’imposent aux propriétaires qu’autant qu’ils n’ont pas trouvé d’accord.
    • Il leur est parfaitement loisible de s’entendre sur la nature de la clôture, en privilégiant par exemple l’installation d’un grillage à un mur ainsi que sur ces dimensions, pourvu que l’ouvrage respecte les règles d’urbanisme.

[1] E. Gavin-Millan Oosterlynck, « Servitudes légales, Distances à observer pour les plantations », J.-Cl. Civil Code, art. 671 à 673, 2010, n° 3.

[2] V. en ce sens l’article L. 511-3 du code rural et de la pêche maritime

[3] F. Terré et Ph. Simler, Droit civil – Les biens, éd. Dalloz, 2004, n°286, p. 235.

Les servitudes relatives aux égouts des toits

L’article 639 du Code civil distingue trois modes de constitution des servitudes :

  • Les servitudes qui dérivent de la situation des lieux
  • Les servitudes qui sont établies par la loi
  • Les servitudes qui sont établies par le fait de l’homme

S’agissant des premières, elles se justifient par la configuration de certains fonds qui les rend nécessaires. Ces servitudes intéressent principalement l’écoulement des eaux, le drainage et l’irrigation ainsi que les égouts des toits. Nous nous focaliserons ici sur ces dernières.

L’article 681 du Code civil dispose que « tout propriétaire doit établir des toits de manière que les eaux pluviales s’écoulent sur son terrain ou sur la voie publique ; il ne peut les faire verser sur le fonds de son voisin. »

Il ressort de cette disposition que tout propriétaire doit construire le toit qui couvre l’immeuble situé sur son fonds de telle manière que les eaux pluviales ne se déversent pas sur le fonds voisin.

Par eaux pluviales, il faut entendre toutes celles qui n’ont pas été altérées par le fait de l’homme, telles que les eaux industrielles, usées, fétides ou insalubres (Cass. 1ère civ. 4 déc. 1963).

Une fois tombées au sol, les eaux pluviales pourront néanmoins, en application de l’article 641 du Code civil, s’écouler sur les fonds inférieurs, dès lors que cet écoulement est le résultat naturel de la configuration des lieux (V. en ce sens Cass. 3e civ. 7 nov. 1972).

En tout état de cause, il appartient au propriétaire de bâtir son toit de telle manière que l’eau de pluie se déverse :

  • Soit sur son propre fonds
  • Soit sur la voie publique

Cette obligation qui pèse sur les propriétaires s’applique quelle que soit la localisation du fonds et de l’usage qui est fait du bâtiment.

Il peut être observé que le déversement des eaux pluviales sur la voie publique est susceptible d’être encadrée par la commune, des règles d’urbanisme pouvant notamment imposer des raccordements au réseau communal.

Par ailleurs, il a été admis que, lorsqu’une partie d’un fonds est détenue en indivision par plusieurs propriétaires, le déversement des eaux pluviales puisse s’effectuer sur une bande de terrain indivis, dès lors que cet écoulement est conforme à la destination des lieux et n’est pas incompatible avec le droit d’un coindivisaire (Cass. 3e civ. 9 janv. 1985, n°83-14000).

Les servitudes relatives à l’écoulement des eaux (naturel et aggravé)

L’article 639 du Code civil distingue trois modes de constitution des servitudes :

  • Les servitudes qui dérivent de la situation des lieux
  • Les servitudes qui sont établies par la loi
  • Les servitudes qui sont établies par le fait de l’homme

S’agissant des premières, elles se justifient par la configuration de certains fonds qui les rend nécessaires. Ces servitudes intéressent principalement l’écoulement des eaux, le drainage et l’irrigation.

Nous nous focaliserons ici sur celles relatives à l’écoulement des eaux, lesquelles se divisent en deux catégories :

  • Les servitudes relatives à l’écoulement naturel des eaux
  • Les servitudes relatives à l’écoulement aggravé des eaux

I) La servitude relative à l’écoulement naturel des eaux

  • Principe
    • L’article 640 du Code civil dispose que « les fonds inférieurs sont assujettis envers ceux qui sont plus élevés à recevoir les eaux qui en découlent naturellement sans que la main de l’homme y ait contribué. »
    • Il ressort de cette disposition que le propriétaire d’un fonds situé en aval d’un fonds situé en amont ne peut pas faire obstacle à l’écoulement des eaux, dès lors que celui-ci est le résultat naturel de la situation des lieux et non celui du fait de l’homme.
  • Domaine
    • La servitude relative à l’écoulement naturel des eaux pèse tant sur les fonds privés que sur les fonds relevant du domaine public.
    • À cet égard, il est indifférent que le fonds servant et le fonds dominant soient séparés par une voie publique.
    • Cette servitude s’applique encore aux eaux d’infiltration, et de source, aussi bien qu’aux eaux pluviales et à celles qui proviennent de la fonte des neiges
  • Condition
    • Le bénéfice de la servitude d’écoulement naturel des eaux est subordonné à l’absence d’intervention de la main de l’homme.
    • Autrement dit, l’écoulement de l’eau doit être le résultat naturel de la configuration des lieux.
    • Cette servitude n’a donc pas vocation à s’appliquer aux eaux usées, aux eaux ménagères ou encore aux eaux industrielles
  • Obligations
    • La servitude d’écoulement naturel des eaux emporte deux conséquences pour les propriétaires des fonds servants et dominants
      • Création d’une obligation qui pèse sur le propriétaire du fonds servant
        • L’article 663, al.2e prévoit que « le propriétaire inférieur ne peut point élever de digue qui empêche cet écoulement. »
        • Ainsi est-il fait défense au propriétaire du fonds servant d’empêcher l’écoulement des eaux et édifiant quelque obstacle que ce soit.
        • Le manquement à cette obligation engage sa responsabilité délictuelle (V. en ce sens 3e civ. 3 avr. 2012, n°11-14328)
      • Création d’une obligation qui pèse sur le propriétaire du fonds dominant
        • L’article 663, al. 3e dispose que « le propriétaire supérieur ne peut rien faire qui aggrave la servitude du fonds inférieur. »
        • Cette obligation mise à la charge du propriétaire du fonds dominant doit être comprise comme lui interdisant d’affecter l’écoulement naturel des eaux en déversant, par exemple, des eaux usées ou ménagères.
        • Dès lors que l’intervention du propriétaire du fonds dominant modifie l’écoulement des eaux, il y a aggravation de la charge qui pèse sur le fonds servant.
        • Or cette aggravation est constitutive d’une faute susceptible de donner lieu à une indemnisation du préjudice causé.
        • Le propriétaire du fonds servant peut encore contraindre, sous astreinte, le propriétaire du fonds supérieur à réaliser des travaux afin que cesse l’écoulement anormal des eaux.

II) La servitude relative à l’écoulement aggravé des eaux

Si, en application de l’article 663, al. 3e du Code civil « le propriétaire supérieur ne peut rien faire qui aggrave la servitude du fonds inférieur », la loi du 8 avril 1898 est venue assortir ce principe d’exceptions.

Ces exceptions ne sont autres que des applications du principe général posé à l’article 641, al. 1er du Code civil qui prévoit que « tout propriétaire a le droit d’user et de disposer des eaux pluviales qui tombent sur son fonds. »

Aussi, est-il certains cas où le propriétaire du fonds dominant est en droit d’aggraver la charge qui pèse sur le fonds servant, cette aggravation n’étant permise que dans le cadre d’une utilisation des eaux à des fins agricoles ou industrielles.

  • Les cas d’aggravation de la servitude d’écoulement des eaux
    • Premier cas
      • L’aggravation est permise lorsque le propriétaire du fonds dominant fait usage des eaux pluviales ou en affecte la direction de leur écoulement ( 641, al. 2e C. civ.).
      • Il en va également pour les eaux de sources nées sur un fonds ( 641, al. 3 C. civ.)
      • En contrepartie, l’article 641 prévoit qu’une indemnité est due au propriétaire du fonds inférieur.
    • Second cas
      • L’aggravation est encore permise lorsque, par des sondages ou des travaux souterrains, un propriétaire fait surgir des eaux dans son fonds, les propriétaires des fonds inférieurs doivent les recevoir ( 641, al. 4e C. civ.)
      • Le propriétaire du fonds servant aura alors droit à une indemnité en cas de dommages résultant de l’écoulement des eaux
  • Exceptions
    • L’article 641, al. 5 du Code civil prévoit que « les maisons, cours, jardins, parcs et enclos attenant aux habitations ne peuvent être assujettis à aucune aggravation de la servitude d’écoulement dans les cas prévus par les paragraphes précédents.»
    • Dans les hypothèses visées par cet alinéa, l’aggravation de la servitude d’écoulement naturel des eaux est ainsi prohibée.
  • Procédure
    • L’article 641, al. 6 du Code civil précise que les contestations auxquelles peuvent donner lieu l’établissement et l’exercice des servitudes prévues par ces paragraphes et le règlement, s’il y a lieu, des indemnités dues aux propriétaires des fonds inférieurs sont portées, en premier ressort, devant le juge du tribunal judiciaire du canton qui, en prononçant, doit concilier les intérêts de l’agriculture et de l’industrie avec le respect dû à la propriété.
    • En outre, s’il y a lieu à expertise, il peut n’être nommé qu’un seul expert ( 641, al. 7e C. civ.)

Les servitudes naturelles: régime juridique

L’article 639 du Code civil distingue trois modes de constitution des servitudes :

  • Les servitudes qui dérivent de la situation des lieux
  • Les servitudes qui sont établies par la loi
  • Les servitudes qui sont établies par le fait de l’homme

S’agissant des premières, elles se justifient par la configuration de certains fonds qui les rend nécessaires. Ces servitudes intéressent principalement l’écoulement des eaux, le drainage et l’irrigation.

Si les rédacteurs du Code civil ont également rangé dans cette catégorie les opérations de bornage et de clôture d’un fonds, il est admis que ces opérations ne s’apparentent nullement en des servitudes, raison pour laquelle elles sont traitées dans un fascicule séparé.

I) Les servitudes relatives à l’écoulement des eaux

==> La servitude relative à l’écoulement naturel des eaux

  • Principe
    • L’article 640 du Code civil dispose que « les fonds inférieurs sont assujettis envers ceux qui sont plus élevés à recevoir les eaux qui en découlent naturellement sans que la main de l’homme y ait contribué. »
    • Il ressort de cette disposition que le propriétaire d’un fonds situé en aval d’un fonds situé en amont ne peut pas faire obstacle à l’écoulement des eaux, dès lors que celui-ci est le résultat naturel de la situation des lieux et non celui du fait de l’homme.
  • Domaine
    • La servitude relative à l’écoulement naturel des eaux pèse tant sur les fonds privés que sur les fonds relevant du domaine public.
    • À cet égard, il est indifférent que le fonds servant et le fonds dominant soient séparés par une voie publique.
    • Cette servitude s’applique encore aux eaux d’infiltration, et de source, aussi bien qu’aux eaux pluviales et à celles qui proviennent de la fonte des neiges
  • Condition
    • Le bénéfice de la servitude d’écoulement naturel des eaux est subordonné à l’absence d’intervention de la main de l’homme.
    • Autrement dit, l’écoulement de l’eau doit être le résultat naturel de la configuration des lieux.
    • Cette servitude n’a donc pas vocation à s’appliquer aux eaux usées, aux eaux ménagères ou encore aux eaux industrielles
  • Obligations
    • La servitude d’écoulement naturel des eaux emporte deux conséquences pour les propriétaires des fonds servants et dominants
      • Création d’une obligation qui pèse sur le propriétaire du fonds servant
        • L’article 663, al.2e prévoit que « le propriétaire inférieur ne peut point élever de digue qui empêche cet écoulement. »
        • Ainsi est-il fait défense au propriétaire du fonds servant d’empêcher l’écoulement des eaux et édifiant quelque obstacle que ce soit.
        • Le manquement à cette obligation engage sa responsabilité délictuelle (V. en ce sens 3e civ. 3 avr. 2012, n°11-14328)
      • Création d’une obligation qui pèse sur le propriétaire du fonds dominant
        • L’article 663, al. 3e dispose que « le propriétaire supérieur ne peut rien faire qui aggrave la servitude du fonds inférieur. »
        • Cette obligation mise à la charge du propriétaire du fonds dominant doit être comprise comme lui interdisant d’affecter l’écoulement naturel des eaux en déversant, par exemple, des eaux usées ou ménagères.
        • Dès lors que l’intervention du propriétaire du fonds dominant modifie l’écoulement des eaux, il y a aggravation de la charge qui pèse sur le fonds servant.
        • Or cette aggravation est constitutive d’une faute susceptible de donner lieu à une indemnisation du préjudice causé.
        • Le propriétaire du fonds servant peut encore contraindre, sous astreinte, le propriétaire du fonds supérieur à réaliser des travaux afin que cesse l’écoulement anormal des eaux.

==> La servitude relative à l’écoulement aggravé des eaux

Si, en application de l’article 663, al. 3e du Code civil « le propriétaire supérieur ne peut rien faire qui aggrave la servitude du fonds inférieur », la loi du 8 avril 1898 est venue assortir ce principe d’exceptions.

Ces exceptions ne sont autres que des applications du principe général posé à l’article 641, al. 1er du Code civil qui prévoit que « tout propriétaire a le droit d’user et de disposer des eaux pluviales qui tombent sur son fonds. »

Aussi, est-il certains cas où le propriétaire du fonds dominant est en droit d’aggraver la charge qui pèse sur le fonds servant, cette aggravation n’étant permise que dans le cadre d’une utilisation des eaux à des fins agricoles ou industrielles.

  • Les cas d’aggravation de la servitude d’écoulement des eaux
    • Premier cas
      • L’aggravation est permise lorsque le propriétaire du fonds dominant fait usage des eaux pluviales ou en affecte la direction de leur écoulement ( 641, al. 2e C. civ.).
      • Il en va également pour les eaux de sources nées sur un fonds ( 641, al. 3 C. civ.)
      • En contrepartie, l’article 641 prévoit qu’une indemnité est due au propriétaire du fonds inférieur.
    • Second cas
      • L’aggravation est encore permise lorsque, par des sondages ou des travaux souterrains, un propriétaire fait surgir des eaux dans son fonds, les propriétaires des fonds inférieurs doivent les recevoir ( 641, al. 4e C. civ.)
      • Le propriétaire du fonds servant aura alors droit à une indemnité en cas de dommages résultant de l’écoulement des eaux
  • Exceptions
    • L’article 641, al. 5 du Code civil prévoit que « les maisons, cours, jardins, parcs et enclos attenant aux habitations ne peuvent être assujettis à aucune aggravation de la servitude d’écoulement dans les cas prévus par les paragraphes précédents.»
    • Dans les hypothèses visées par cet alinéa, l’aggravation de la servitude d’écoulement naturel des eaux est ainsi prohibée.
  • Procédure
    • L’article 641, al. 6 du Code civil précise que les contestations auxquelles peuvent donner lieu l’établissement et l’exercice des servitudes prévues par ces paragraphes et le règlement, s’il y a lieu, des indemnités dues aux propriétaires des fonds inférieurs sont portées, en premier ressort, devant le juge du tribunal judiciaire du canton qui, en prononçant, doit concilier les intérêts de l’agriculture et de l’industrie avec le respect dû à la propriété.
    • En outre, s’il y a lieu à expertise, il peut n’être nommé qu’un seul expert ( 641, al. 7e C. civ.)

II) Les servitudes relatives à l’irrigation et au drainage

Le code rural et de la pêche maritime envisage des servitudes spécifiques qui visent à permettre l’irrigation et le drainage des sols.

  • La Servitude pour l’établissement de canalisations publiques d’eau ou d’assainissement
    • Cette servitude est régie aux articles L. 152-1 à L. 152-2 du Code rural
    • L’article L. 152-1 prévoit que, « il est institué au profit des collectivités publiques, des établissements publics ou des concessionnaires de services publics qui entreprennent des travaux d’établissement de canalisations d’eau potable ou d’évacuation d’eaux usées ou pluviales une servitude leur conférant le droit d’établir à demeure des canalisations souterraines dans les terrains privés non bâtis, excepté les cours et jardins attenant aux habitations. »
    • L’établissement de cette servitude ouvre droit à indemnité.
    • Il fait l’objet d’une enquête publique réalisée selon les modalités prévues au livre Ier du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique.
    • Les contestations relatives à l’indemnité prévue au deuxième alinéa de l’article L. 152-1 sont jugées comme en matière d’expropriation pour cause d’utilité publique.
  • La Servitude de passage des conduites d’irrigation
    • Cette servitude est régie aux articles L. 152-3 à L. 152-6 du Code rural
    • L’article L. 152-3 prévoit que « il est institué, au profit de collectivités publiques et de leurs concessionnaires ainsi qu’au profit des établissements publics, une servitude leur conférant le droit d’établir à demeure, dans les conditions les plus rationnelles et les moins dommageables à l’exploitation présente et future, en vue de l’irrigation, des canalisations souterraines dans les terrains privés non bâtis, excepté les cours et jardins attenant aux habitations. »
    • L’établissement de cette servitude ouvre droit à indemnité.
    • Les contestations relatives à cette indemnité sont jugées comme en matière d’expropriation pour cause d’utilité publique.
  • La servitude de passage des engins mécaniques et de dépôt pour l’entretien des canaux d’irrigation
    • Cette servitude est régie aux articles L. 152-7 à L. 152-12 du Code rural
    • L’article L. 152-7 prévoit que les riverains de celles des sections de canaux d’irrigation pour lesquelles l’application des dispositions du présent article aura été déclarée d’utilité publique sont tenus de permettre le libre passage et l’emploi sur leurs propriétés, dans la limite d’une largeur de quatre mètres à partir de la rive, des engins mécaniques servant aux opérations d’entretien.
    • Ils doivent également permettre en certains endroits le dépôt des produits de curage et de faucardement.
    • À ces endroits, la zone grevée de servitude peut atteindre le double de la largeur existant entre les berges opposées du canal reprofilé.
    • En outre, les terrains bâtis ou clos de murs, les cours et jardins attenants aux habitations à la date de publication de l’acte prescrivant l’enquête préalable à la déclaration d’utilité publique sont exonérés des servitudes de passage et de dépôt.
    • Si le propriétaire le requiert, l’expropriation des terrains grevés de la servitude de dépôt est obligatoire.
    • L’établissement des servitudes donne droit à indemnité.
  • La servitude de passage des engins mécaniques et de dépôt pour l’entretien de certains canaux d’assainissement
    • Cette servitude est régie par l’article L. 152-13 du Code rural
    • Ce texte prévoit que les dispositions des articles L. 152-7 à L. 152-11 relatifs à une servitude de passage des engins mécaniques sur les terrains bordant certains canaux d’irrigation et à une servitude de dépôts sont applicables à ceux des émissaires d’assainissement qui, n’ayant pas le caractère de cours d’eau naturels, sont exclus du bénéfice des dispositions relatives aux servitudes de passage sur les berges des cours d’eau non domaniaux.
  • La servitude dite d’aqueduc
    • Cette servitude est régie par les articles L. 152-14 à L. 152-16 du Code rural
    • L’article L. 152-14 prévoit que toute personne physique ou morale, qui veut user pour l’alimentation en eau potable, pour l’irrigation ou, plus généralement, pour les besoins de son exploitation, des eaux dont elle a le droit de disposer, peut obtenir le passage par conduite souterraine de ces eaux sur les fonds intermédiaires, dans les conditions les plus rationnelles et les moins dommageables à l’exploitation présente et future de ces fonds, à charge d’une juste et préalable indemnité.
    • Sont exceptés de cette servitude les habitations et les cours et jardins y attenant.
    • Cette servitude s’applique également en zone de montagne pour obtenir le passage des eaux destinées à l’irrigation par aqueduc ou à ciel ouvert dans les mêmes conditions que celles prévues au premier alinéa.
    • L’article L. 152-15 du Code rural précise que les propriétaires des fonds inférieurs doivent recevoir les eaux qui s’écoulent des terrains ainsi arrosés, sauf l’indemnité qui peut leur être due.
    • Sont exceptés de cette servitude les habitations et les cours, jardins, parcs et enclos y attenant.
    • Les eaux usées, provenant des habitations alimentées et des exploitations desservies en application de l’article L. 152-14, peuvent être acheminées par canalisation souterraine vers des ouvrages de collecte et d’épuration sous les mêmes conditions et réserves énoncées à l’article L. 152-14, concernant l’amenée de ces eaux.
    • Enfin, les contestations auxquelles peut donner lieu l’établissement de la servitude, la fixation du parcours de la conduite d’eau, de ses dimensions et de sa forme, et les indemnités dues soit au propriétaire du fonds traversé, soit à celui du fonds qui reçoit l’écoulement des eaux sont portées devant les tribunaux de l’ordre judiciaire qui, en prononçant, doivent concilier l’intérêt de l’opération avec le respect dû à la propriété.
  • La servitude d’appui
    • Cette servitude est régie par les articles L. 152-17 à L. 152-19 du Code rural
    • L’article L. 152-17 prévoit que tout propriétaire qui veut se servir, pour l’irrigation de ses propriétés, des eaux naturelles ou artificielles dont il a le droit de disposer, peut obtenir la faculté d’appuyer sur la propriété du riverain opposé les ouvrages d’art nécessaires à sa prise d’eau, à la charge d’une juste et préalable indemnité.
    • Sont exceptés de cette servitude les bâtiments, cours et jardins attenants aux habitations.
    • L’article L. 152-18 précise que le riverain sur les fonds duquel l’appui est réclamé peut toujours demander l’usage commun du barrage, en contribuant pour moitié aux frais d’établissement et d’entretien ; aucune indemnité n’est respectivement due dans ce cas, et celle qui aurait été payée doit être rendue.
    • Lorsque cet usage commun n’est réclamé qu’après le commencement ou la confection des travaux, celui qui le demande doit supporter seul l’excédent auquel donnent lieu les changements à faire au barrage pour le rendre propre à l’irrigation des deux rives.
    • Enfin, les contestations auxquelles peut donner lieu l’application de cette servitude sont portées devant les tribunaux de l’ordre judiciaire.
  • La servitude d’écoulement
    • Cette servitude est régie par les articles L. 152-20 à L. 152-23 du Code rural
    • L’article L. 152-20 prévoit que tout propriétaire qui veut assainir son fonds par le drainage ou un autre mode d’assèchement peut, moyennant une juste et préalable indemnité, en conduire les eaux souterrainement ou à ciel ouvert à travers les propriétés qui séparent ce fonds d’un cours d’eau ou de toute autre voie d’écoulement.
    • Sont exceptés de cette servitude les habitations et les cours, jardins, parcs et enclos y attenant.
    • L’article L. 152-21 du Code rural précise que
    • Les propriétaires de fonds voisins ou traversés ont la faculté de se servir des travaux faits en vertu de l’article L. 152-20, pour l’écoulement des eaux et de leurs fonds.
    • Ils supportent dans ce cas :
      • Une part proportionnelle dans la valeur des travaux dont ils profitent ;
      • Les dépenses résultant des modifications que l’exercice de cette faculté peut rendre nécessaires ;
      • Pour l’avenir, une part contributive dans l’entretien des travaux devenus communs.
    • À cet égard, les associations syndicales, pour l’assainissement des terres par le drainage et par tout autre mode d’assèchement, et l’État, pour le dessèchement de marais ou la mise en valeur de terres incultes appartenant aux communes ou sections de communes, jouissent des mêmes droits et supportent les mêmes obligations.
    • Enfin, les contestations auxquelles peuvent donner lieu l’établissement et l’exercice de la servitude, la fixation du parcours des eaux, l’exécution des travaux de drainage ou d’assèchement, les indemnités et les frais d’entretien sont portées devant les tribunaux de l’ordre judiciaire qui, en prononçant, doivent concilier les intérêts de l’opération avec le respect dû à la propriété.

III) Les servitudes relatives aux égouts des toits

L’article 681 du Code civil dispose que « tout propriétaire doit établir des toits de manière que les eaux pluviales s’écoulent sur son terrain ou sur la voie publique ; il ne peut les faire verser sur le fonds de son voisin. »

Il ressort de cette disposition que tout propriétaire doit construire le toit qui couvre l’immeuble situé sur son fonds de telle manière que les eaux pluviales ne se déversent pas sur le fonds voisin.

Par eaux pluviales, il faut entendre toutes celles qui n’ont pas été altérées par le fait de l’homme, telles que les eaux industrielles, usées, fétides ou insalubres (Cass. 1ère civ. 4 déc. 1963).

Une fois tombées au sol, les eaux pluviales pourront néanmoins, en application de l’article 641 du Code civil, s’écouler sur les fonds inférieurs, dès lors que cet écoulement est le résultat naturel de la configuration des lieux (V. en ce sens Cass. 3e civ. 7 nov. 1972).

En tout état de cause, il appartient au propriétaire de bâtir son toit de telle manière que l’eau de pluie se déverse :

  • Soit sur son propre fonds
  • Soit sur la voie publique

Cette obligation qui pèse sur les propriétaires s’applique quelle que soit la localisation du fonds et de l’usage qui est fait du bâtiment.

Il peut être observé que le déversement des eaux pluviales sur la voie publique est susceptible d’être encadrée par la commune, des règles d’urbanisme pouvant notamment imposer des raccordements au réseau communal.

Par ailleurs, il a été admis que, lorsqu’une partie d’un fonds est détenue en indivision par plusieurs propriétaires, le déversement des eaux pluviales puisse s’effectuer sur une bande de terrain indivis, dès lors que cet écoulement est conforme à la destination des lieux et n’est pas incompatible avec le droit d’un coindivisaire (Cass. 3e civ. 9 janv. 1985, n°83-14000).