Le droit au partage

Le droit au partage constitue une pierre angulaire du régime juridique de l’indivision, illustrant la volonté du législateur français de privilégier la propriété individuelle sur toute forme de possession collective prolongée. Héritage des principes du Code civil de 1804, ce droit revêt une portée fondamentale en ce qu’il consacre la faculté inaliénable de tout indivisaire de sortir à tout moment d’une situation d’indivision, préservant ainsi son autonomie patrimoniale. Ce droit, qui trouve son origine dans une méfiance historique vis-à-vis de l’indivision, demeure aujourd’hui un outil incontournable de régulation des conflits au sein des patrimoines indivis.

Dans le développement qui suit, nous explorerons les fondements historiques et juridiques du droit au partage, en mettant en lumière ses caractères essentiels, ses évolutions législatives, ainsi que les garanties apportées tant aux indivisaires qu’aux créanciers. Nous verrons comment ce droit, loin d’être une simple règle technique, incarne un véritable principe d’ordre public au service de la sécurité patrimoniale et de la liberté individuelle.

I) La reconnaissance d’un droit au partage

Dès la codification napoléonienne, le droit au partage a été érigé en rempart contre les dangers perçus de l’indivision, laquelle était regardée avec une profonde méfiance en raison de ses effets jugés économiquement délétères et socialement déstabilisants.

L’indivision, en tant que forme de propriété collective, était perçue non seulement comme un frein à l’efficience patrimoniale, mais également comme un facteur de conflits et de dispersion des richesses.

L’article 815 du Code civil, dans sa rédaction originelle de 1804, traduit de manière saisissante cette défiance.

En affirmant avec une clarté absolue que « nul ne peut être contraint à demeurer dans l’indivision et le partage peut être toujours provoqué, nonobstant prohibitions et conventions contraires », le législateur posait un principe fort, à la fois expression d’une liberté individuelle et outil de préservation de l’harmonie patrimoniale. Ce texte consacre le partage comme une issue naturelle et presque inéluctable, destinée à mettre un terme à une situation collective perçue comme transitoire et intrinsèquement précaire.

Cette disposition s’inscrit pleinement dans la philosophie individualiste qui imprègne le Code Napoléon, où la propriété individuelle, conçue comme un droit absolu, devait primer sur toute forme de possession collective.

Loin d’être une simple mesure technique, le droit au partage incarnait une ambition profonde : celle de restaurer l’autonomie patrimoniale de chaque indivisaire en garantissant à chacun un lot distinct, correspondant à ses droits sur le patrimoine commun. Il s’agissait ainsi de rétablir, par l’allotissement, l’ordre naturel de la propriété individuelle, tout en dissipant les tensions inhérentes à la gestion collective.

Cependant, avec le passage du temps, les mutations économiques et sociales ont rendu nécessaire une réévaluation de cette position de principe.

L’indivision, bien qu’imparfaite, s’est révélée parfois utile pour répondre à des besoins de gestion temporaire ou pour préserver l’unité de certains patrimoines complexes.

Les réformes législatives du XX? siècle, tout en modernisant les règles applicables à l’indivision, n’ont jamais renoncé à cette idée fondamentale que le partage constitue l’aboutissement normal de cette forme de propriété collective. Ce droit, profondément enraciné dans le droit patrimonial, a donc été maintenu comme une prérogative inaliénable des indivisaires, tout en s’adaptant aux exigences d’une société en constante évolution.

La loi du 31 décembre 1976, tout en introduisant des mécanismes visant à permettre un sursis temporaire au partage par convention ou par décision judiciaire, n’a nullement altéré l’essence même de ce droit. Bien au contraire, elle a réaffirmé son caractère fondamental, établissant que toute restriction imposée à l’exercice de ce droit devait demeurer strictement provisoire et encadrée par des garanties précises. Cette réforme témoigne d’une volonté constante d’équilibrer la liberté individuelle de sortir de l’indivision avec les nécessités pratiques de gestion collective.

Dans le droit fil de cette loi, la réforme opérée par la loi du 23 juin 2006 a poursuivi l’effort de modernisation des règles applicables à l’indivision, renforçant les instruments permettant d’assurer une administration équilibrée des biens tout en consacrant le droit au partage comme un principe immuable. L’article 815 du Code civil, dans sa rédaction actuelle, continue d’affirmer cette prérogative essentielle, tout en tenant compte des ajustements nécessaires pour préserver les équilibres patrimoniaux, protéger les intérêts des indivisaires les plus vulnérables, ainsi que ceux des créanciers. Par ces évolutions, le législateur démontre un souci constant de concilier la liberté individuelle et la nécessité de prévenir les désordres inhérents à une gestion collective prolongée.

Cette continuité historique et normative a reçu une consécration dans la décision du Conseil constitutionnel du 9 novembre 1999 (Décision n° 99-419 DC du 9 novembre 1999). Les juges de la rue Montpensier, tout en rappelant que « nul ne peut être contraint à demeurer dans l’indivision », ont reconnu au droit au partage une valeur constitutionnelle.

Le Conseil constitutionnel a souligné que, bien que des restrictions puissent être envisagées, celles-ci doivent revêtir un caractère strictement exceptionnel et être rigoureusement encadrées. Ces limitations, lorsqu’elles sont admises, doivent s’inscrire dans une logique de protection légitime, qu’il s’agisse de préserver les droits des créanciers ou de garantir les intérêts des indivisaires les plus vulnérables.

En affirmant ces principes, le Conseil a non seulement réitéré la nature intrinsèquement précaire de l’indivision, mais il a également élevé le partage au rang d’une manifestation essentielle de la liberté patrimoniale, consacrant ainsi ce droit comme une expression fondamentale de l’autonomie conférée à chaque indivisaire.

II) Les caractères du droit au partage

Le principe de précarité de l’indivision s’exprime principalement par le droit au partage, un droit qui présente trois caractéristiques fondamentales : il est impératif, discrétionnaire et imprescriptible. Ces trois éléments se rejoignent et se complètent pour faire du droit au partage un droit absolu, garantissant à chaque indivisaire la possibilité de mettre fin à l’indivision à tout moment.

Premièrement, le caractère impératif du droit au partage découle directement de l’article 815 du Code civil, qui énonce que « nul ne peut être contraint à demeurer dans l’indivision ». Ce droit est d’ordre public, ce qui signifie que même des conventions conclues entre les indivisaires ne peuvent priver l’un d’entre eux de cette faculté. L’indivision étant perçue en droit français comme un état transitoire et précaire, chaque indivisaire doit pouvoir retrouver, quand il le souhaite, la situation normale de la propriété individuelle.

Deuxièmement, le droit au partage est discrétionnaire, ce qui signifie que l’indivisaire peut l’exercer sans avoir à justifier de motifs particuliers. La méfiance traditionnelle à l’égard de l’indivision en droit français a conduit à consacrer ce droit comme un levier permettant à chacun de sortir de l’indivision sans contrainte. Le juge ne peut contrôler les raisons d’une demande de partage, renforçant ainsi la liberté des indivisaires de ne pas rester dans une situation collective indéfinie.

Troisièmement, le droit au partage est imprescriptible : il ne s’éteint jamais, quel que soit le temps qui s’est écoulé depuis la formation de l’indivision. Chaque indivisaire conserve en permanence la faculté de demander le partage, même après une longue période. Cela reflète l’idée que l’indivision n’est qu’une parenthèse dans la jouissance des droits de propriété, et que le partage tend toujours à restaurer la propriété privative.

Ces trois caractères s’articulent pour faire du partage un droit fondamental et absolu, garantissant la possibilité de sortir de l’indivision à tout moment, ce qui illustre la précarité inhérente à cette situation juridique.

A) Un droit impératif

Le caractère impératif du droit au partage signifie qu’il s’impose à tous les indivisaires et qu’aucun d’eux ne peut renoncer de manière permanente à la possibilité de sortir de l’indivision.

Le droit au partage ne peut donc pas être écarté, ni par une convention, ni par une clause contractuelle, sauf dans les limites strictes prévues par la loi.

Cette protection absolue garantit à chaque indivisaire la possibilité de provoquer à tout moment la dissolution de l’indivision, assurant ainsi la préservation du droit de propriété individuel.

Le législateur a prévu quelques exceptions au droit immédiat au partage, notamment à travers les conventions d’indivision temporaires (articles 1873-1 et suivants du Code civil), mais celles-ci ne peuvent excéder une durée déterminée.

Toute clause qui priverait un indivisaire de ce droit de manière permanente est réputée non écrite (art. 1873-5 C. civ.).

La jurisprudence est constante à cet égard. Par exemple, la Cour de cassation a rappelé dans un arrêt du 29 juin 2011 (Cass. 1re civ., 29 juin 2011, n° 10-25.098) que ce droit est absolu et que l’opposition des autres indivisaires ne peut empêcher un indivisaire, même en liquidation judiciaire, de demander le partage.

==>Le caractère impératif du partage à l’égard des indivisaires

L’une des principales conséquences du caractère impératif du droit au partage est que les indivisaires ne peuvent pas, de manière définitive, renoncer à leur droit de demander le partage.

La raison en est que l’indivision est une situation transitoire, vouée à prendre fin par le partage, car la propriété tend naturellement à se diriger vers une appropriation individuelle.

Ce droit de demander le partage est imprescriptible et peut être exercé à tout moment, dès lors que l’indivision existe, en dépit de la volonté des autres co-indivisaires.

Toute convention ou clause qui, dès lors, tenterait de priver un indivisaire de cette faculté serait réputée non écrite en vertu de l’article 1873-5 du Code civil.

La jurisprudence est constante sur ce point et a réaffirmé à plusieurs reprises l’impossibilité pour un indivisaire de renoncer définitivement à son droit au partage.

Par exemple, dans un arrêt du 29 juin 2011, la Cour de cassation a rappelé que le droit au partage s’impose de manière absolue à tous les indivisaires, et que toute clause empêchant un indivisaire de provoquer le partage est nulle (Cass. 1ère civ., 29 juin 2011, n°10-25.098).

Cependant, une renonciation temporaire au droit au partage est possible, mais seulement dans le respect des conditions strictes encadrées par la loi.

La loi du 31 décembre 1976, à travers les articles 1873-1 et suivants du Code civil, permet aux indivisaires de conclure une convention d’indivision par laquelle ils acceptent de maintenir temporairement l’indivision. Cette convention doit être conclue à l’unanimité entre les indivisaires, et elle est limitée dans le temps : elle ne peut excéder cinq ans, bien qu’elle soit renouvelable.

Toutefois, ces conventions de maintien dans l’indivision ne privent pas les indivisaires de leur droit fondamental de sortir de l’indivision une fois le délai écoulé.

Une renonciation temporaire au partage, bien que possible dans les limites légales, ne doit jamais constituer une atteinte à l’exercice du droit au partage une fois les conditions convenues ou le délai expiré.

En vertu de la théorie de l’autonomie de la volonté, les indivisaires sont libres de convenir des modalités d’exercice de leur droit au partage, tant que ces aménagements n’affectent pas le principe même de ce droit.

Cela signifie que les indivisaires peuvent, par exemple, s’interdire temporairement de demander une licitation (c’est-à-dire la vente des biens indivis aux enchères publiques), ou encore convenir de reporter le partage sous condition suspensive ou résolutoire.

Ces aménagements sont valables tant qu’ils ne compromettent pas de manière définitive le droit au partage et respectent les conditions de durée et de consentement imposées par la loi.

Par exemple, il a été jugé que les indivisaires peuvent conclure un accord par lequel ils s’engagent à ne pas demander la licitation d’un bien indivis pendant une durée déterminée, ce qui constitue un aménagement des modalités du partage sans porter atteinte au principe même du droit au partage.

De même, les indivisaires peuvent convenir d’un partage différé sous condition, dès lors que cette condition est licite et ne contredit pas le caractère imprescriptible du droit au partage.

Ces aménagements contractuels reflètent l’idée que, bien que le droit au partage soit impératif, les indivisaires disposent d’une certaine marge de manœuvre pour organiser la gestion de l’indivision et adapter l’exercice de leurs droits aux besoins spécifiques de la situation. L’autonomie des volontés des indivisaires est donc respectée, tant qu’elle n’entrave pas le droit fondamental de demander le partage.

==>Le caractère impératif du partage à l’égard de l’auteur des indivisaires

Le caractère impératif du droit au partage s’étend également à l’auteur des indivisaires, c’est-à-dire au donateur ou au testateur qui a constitué l’indivision par une libéralité ou un testament.

En effet, la loi garantit que même dans le cadre d’une disposition à titre gratuit, le droit de demander le partage reste un droit fondamental auquel l’auteur de l’indivision ne peut déroger de manière permanente.

Il est essentiel de préserver cette faculté pour éviter qu’une indivision ne devienne perpétuelle, ce qui serait contraire à l’esprit de la propriété individuelle.

Aussi, la liberté de l’auteur de l’indivision, que ce soit un donateur ou un testateur, est strictement encadrée.

Selon l’article 815 du Code civil, il n’est pas possible d’imposer une indivision au-delà d’une certaine durée, même par disposition testamentaire ou donation.

En effet, la loi ne permet que des exceptions temporaires au droit au partage, sous certaines conditions.

Par exemple, la loi du 31 décembre 1976, à travers les articles 1873-1 et suivants du Code civil, permet aux indivisaires de conclure une convention de maintien dans l’indivision pour une durée déterminée ou même indéterminée sous certaines conditions.

Toutefois, ces conventions ne peuvent jamais empêcher un indivisaire de demander le partage à un moment donné.

Il est important de noter que, dans le cadre d’une disposition testamentaire, un testateur ne peut imposer à ses héritiers de rester dans l’indivision au-delà de cinq ans, sauf si les conditions légales strictes permettant un maintien prolongé sont remplies, notamment dans le cadre d’une gestion commune ou d’une indivision conventionnelle. Toute tentative d’imposer une indivision perpétuelle ou de priver définitivement les indivisaires de leur droit au partage serait réputée non écrite.

La jurisprudence a confirmé à plusieurs reprises la nullité des clauses qui imposeraient une indivision perpétuelle ou indéfinie.

Le caractère d’ordre public du droit au partage implique que toute clause qui priverait un indivisaire de la faculté de demander le partage, au-delà des limites légales, est réputée non écrite.

Par exemple, dans un arrêt du 13 avril 2016 (Cass. 1ère civ., 13 avr. 2016, n°15-13.312), la Cour de cassation a jugé qu’une clause testamentaire visant à maintenir les indivisaires dans une indivision perpétuelle était nulle, car elle portait atteinte au droit absolu de demander le partage.

Cependant, la question de la validité des clauses testamentaires imposant un maintien temporaire dans l’indivision reste sujette à débat.

Bien que la jurisprudence soit claire sur l’impossibilité d’imposer une indivision perpétuelle, certaines dispositions peuvent être considérées comme valides lorsqu’elles visent à protéger un intérêt commun aux indivisaires.

Dans ce cas, le testateur peut limiter temporairement le droit au partage, mais sans priver définitivement les héritiers de cette faculté.

L’objectif de telles clauses pourrait être de préserver le patrimoine indivis ou de permettre une gestion collective dans l’intérêt de tous les indivisaires.

Toutefois, ces clauses doivent respecter certaines conditions, notamment qu’elles n’empêchent pas les indivisaires de sortir de l’indivision en cas de difficultés majeures ou de mauvaise foi de l’un des co-indivisaires.

Ainsi, le maintien dans l’indivision doit être justifié par un intérêt légitime et ne peut être imposé de manière arbitraire.

La loi du 23 juin 2006 a apporté des précisions sur la possibilité pour le de cujus d’imposer certaines restrictions au droit de partage.

En particulier, cette loi permet la nomination d’un mandataire à effet posthume, chargé de gérer tout ou partie de la succession pour le compte des héritiers.

Ce mandat, qui peut durer jusqu’à cinq ans, prorogeable sous certaines conditions, peut temporairement priver les héritiers de leur droit au partage, mais uniquement dans l’intérêt légitime de la gestion du patrimoine ou des besoins des héritiers.

Le mandat à effet posthume, bien que limitant temporairement le droit au partage, est lui aussi strictement encadré. Il ne peut pas aboutir à une situation où les héritiers seraient définitivement privés de leur droit de sortir de l’indivision.

Le juge peut intervenir pour mettre fin à ce mandat si les conditions légales ne sont plus remplies, assurant ainsi que le caractère fondamental du droit au partage est toujours préservé.

==>Le caractère impératif du partage à l’égard du juge

Le caractère impératif du droit au partage s’impose non seulement aux indivisaires, mais également au juge, qui doit respecter et garantir ce droit fondamental dans ses décisions.

En effet, lorsqu’il est saisi d’une demande tendant à la fin de l’indivision, le juge ne peut pas, de sa propre initiative, empêcher le partage.

Le droit au partage étant un droit d’ordre public, toute décision judiciaire qui priverait un indivisaire de ce droit serait contraire à la loi.

Le juge ne peut donc ni refuser de prononcer le partage, ni en limiter l’exercice, sauf dans les cas expressément prévus par la loi.

Cette limitation du pouvoir judiciaire est une conséquence directe du caractère d’ordre public du droit au partage, qui protège les indivisaires contre toute mesure judiciaire pouvant prolonger indûment une situation d’indivision subie.

Cette règle découle du principe selon lequel « nul ne peut être contraint à demeurer dans l’indivision ». Elle confère aux indivisaires une faculté de sortie de l’indivision qui ne peut être entravée que temporairement et sous certaines conditions strictes, prévues par le Code civil.

L’article 815-5 du Code civil prévoit une exception à ce principe en permettant au juge de surseoir temporairement au partage dans des situations bien précises. Cette disposition a été envisagée aux fins de répondre aux cas où un partage immédiat risquerait de causer un préjudice grave à un ou plusieurs indivisaires.

Par exemple, le juge peut accorder un sursis lorsqu’il estime que le partage serait prématuré ou que certaines circonstances économiques ou personnelles justifient un délai avant de procéder au partage. Cela peut concerner des situations où la vente d’un bien indivis entraînerait une dépréciation significative de sa valeur, ou encore des situations où un indivisaire est dans une situation de vulnérabilité ou de précarité.

Cependant, ce sursis est temporaire et ne peut pas avoir pour effet de remettre en cause le caractère impératif du droit au partage. En effet, la suspension du partage ne peut être accordée que pour une durée limitée et justifiée par les circonstances. Le juge doit motiver sa décision et préciser les conditions et la durée du sursis, car l’objectif reste de préserver le droit de chacun de sortir de l’indivision, tout en évitant un préjudice disproportionné.

Même dans les cas où le juge accorde un sursis au partage, son rôle est de trouver un équilibre entre les intérêts des indivisaires. Il doit veiller à ce que le sursis n’entraîne pas une situation d’indivision prolongée qui pourrait être ressentie comme une injustice par les indivisaires désirant mettre fin à cette situation. Ainsi, tout sursis doit rester proportionné et ne peut s’appliquer que dans les conditions définies par la loi.

La jurisprudence a confirmé cette approche, rappelant que le sursis au partage ne peut être accordé que pour éviter un préjudice grave à l’un des indivisaires, mais qu’il ne peut jamais avoir pour effet de priver un indivisaire de son droit au partage de manière définitive ou prolongée au-delà de ce qui est nécessaire.

Par exemple, la Cour de cassation, dans un arrêt du 10 février 2015, a rappelé que même si un indivisaire fait l’objet d’une procédure collective, cette situation ne saurait empêcher un autre indivisaire de demander le partage (Cass. 1re civ., 10 févr. 2015, n°13-24.659).

Outre l’article 815-5, le juge dispose également du pouvoir de surseoir à statuer lorsqu’une difficulté préalable doit être résolue avant de pouvoir procéder au partage.

Par exemple, si une contestation sur la validité d’un testament doit être résolue avant que le partage puisse être ordonné, le juge peut surseoir à statuer jusqu’à ce que cette question soit tranchée.

B) Un droit discrétionnaire

Le caractère discrétionnaire du droit au partage permet à tout co-indivisaire de demander le partage sans avoir à fournir de justification ou de motif légitime.

Autrement dit, l’indivisaire n’a aucune obligation de démontrer que la poursuite de l’indivision lui est préjudiciable, ni d’attendre une circonstance particulière pour demander à en sortir.

L’absence d’exigence de justification permet de garantir que l’indivision ne soit jamais subie par un co-indivisaire.

François Zenati-Castaing explique en ce sens que « la liberté d’exercer ce droit, sans condition ni justification, est une manifestation directe du droit de propriété et de la volonté du législateur d’éviter la perpétuation d’une indivision subie »[1].

Ce caractère discrétionnaire assure ainsi que l’indivisaire, qu’il s’agisse d’une indivision successorale ou de tout autre forme d’indivision, conserve à tout moment la faculté de récupérer sa part de propriété exclusive. Il s’agit d’un droit absolu, qui s’impose aux co-indivisaires sans restriction.

La jurisprudence réaffirme régulièrement cette règle en insistant sur la liberté absolue de chaque indivisaire de provoquer le partage, et ce, sans motif particulier.

Un arrêt fondateur de la Cour de cassation du 26 décembre 1866 a précisé que la demande en partage n’a pas à être fondée sur des motifs légitimes et ne peut être considérée comme un abus de droit, même si elle est désavantageuse pour les autres indivisaires.

Cela signifie qu’un indivisaire peut provoquer le partage même lorsque cette décision s’avère préjudiciable pour les autres co-indivisaires.

Ce caractère discrétionnaire est essentiel pour préserver la précarité intrinsèque du régime de l’indivision, permettant à chaque indivisaire de mettre un terme à cette situation selon sa propre volonté, et ce, sans subir d’opposition.

De manière corrélative, les autres indivisaires ne peuvent empêcher l’un d’eux de sortir de l’indivision, peu importe les circonstances.

Le caractère absolu du droit au partage s’impose également aux juridictions saisies.

En effet, à l’exception des cas prévus par la loi permettant de maintenir temporairement la situation d’indivision, comme le sursis judiciaire (article 815-5 du Code civil), toute juridiction doit accéder à une demande de partage formulée par un indivisaire. La Cour de cassation a confirmé, dès le 19e siècle, que le juge ne dispose pas de la faculté de refuser le partage, quelles que soient les circonstances.

Dans l’arrêt du 26 décembre 1866, elle affirma en ce sens que le partage peut être provoqué à tout moment, peu importe l’absence de motif sérieux ou légitime lors de la demande.

De même, la faible valeur des biens indivis ne constitue pas un obstacle à l’exercice de ce droit, comme rappelé dans un arrêt du 30 mai 1877 (Cass. civ. 30 mai 1877).

Cette liberté s’étend même aux indivisaires en situation particulière, comme ceux placés en liquidation judiciaire.

Dans un arrêt du 29 juin 2011, la Cour de cassation a, par exemple, affirmé qu’un indivisaire faisant l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire pouvait demander le partage sans que les autres indivisaires ne puissent s’y opposer (Cass. 1ère civ. 29 juin 2011, n°10-25.098).

Par ailleurs, le droit de tout indivisaire à demander le partage, absolu et discrétionnaire, prime sur toute disposition testamentaire qui tenterait d’y porter atteinte.

Ainsi, un testateur ne saurait contraindre ses héritiers à rester en indivision, qu’il s’agisse d’une durée illimitée ou même temporaire, sans enfreindre ce droit fondamental.

La jurisprudence est constante à ce sujet : toute clause testamentaire qui restreindrait l’exercice le droit au partage, en imposant par exemple une indivision perpétuelle ou en dissuadant un héritier de demander le partage, est réputée non écrite.

C’est ce que la Cour de cassation a réaffirmé dans un arrêt du 13 avril 2016 (Cass. 1re civ., 13 avr. 2016, n° 15-13.312), en invalidant une stipulation testamentaire visant à maintenir indéfiniment l’indivision.

Dans cette affaire, la Cour de cassation a été saisie d’un litige concernant une stipulation testamentaire imposant une indivision aux héritiers. Le disposant avait inséré une clause pénale dans son testament, stipulant qu’un héritier qui exercerait son droit de demander le partage se verrait infliger une réduction de sa part dans la succession.

Cette disposition avait pour objectif d’empêcher, à tout le moins de dissuader, les héritiers de rompre l’indivision établie par le défunt, même si elle n’était pas à durée déterminée.

La question soulevée devant la Cour de cassation était donc de savoir si une telle clause était valide et si elle pouvait être opposée aux héritiers indivisaires.

Le testateur, en insérant cette clause, tentait manifestement de restreindre l’exercice du droit absolu et discrétionnaire de chaque indivisaire de demander le partage.

Cependant, la Cour de cassation a rappelé que ce droit est protégé par la loi, et qu’il ne peut être entravé, même par des volontés testamentaires explicites.

Plus précisément, elle a jugé que la stipulation testamentaire en question devait être réputée non écrite, car elle portait une atteinte excessive au droit des héritiers de demander le partage.

La Haute juridiction a souligné que ce droit est absolu et ne peut souffrir aucune limitation, qu’elle soit directe ou indirecte, notamment par le biais d’une clause pénale dissuasive.

Cette décision s’inscrit dans le droit fil d’une jurisprudence constante visant à protéger l’autonomie des héritiers indivisaires et à préserver leur faculté de sortir de l’indivision à tout moment.

En statuant ainsi, la Cour de cassation a non seulement invalidé la clause pénale insérée dans le testament, mais elle a également réaffirmé le caractère absolu et discrétionnaire du droit au partage : le testateur ne peut imposer à ses héritiers des contraintes qui porteraient atteinte à l’essence même de leur droit au partage. Ce droit prime sur toute volonté testamentaire visant à prolonger l’indivision, et toute clause contraire doit être écartée.

De même, même lorsque le testateur impose une indivision pour une durée limitée, comparable à ce qui est prévu pour l’indivision conventionnelle (limitée à cinq ans), cette contrainte ne saurait s’imposer aux héritiers.

La jurisprudence l’a confirmé à plusieurs reprises (V. notamment Cass. 1ère civ. 5 janv. 1977, n°75-15.199), et cette position n’a pas été remise en cause par la réforme de 1976.

Ainsi, qu’il s’agisse d’une indivision perpétuelle ou temporaire, toute tentative du testateur d’imposer sa durée, même assortie de sanctions, contrevient au droit inaliénable de tout indivisaire de demander le partage. Toute clause allant dans ce sens se voit automatiquement privée d’effet, étant réputée non écrite.

C) Un droit imprescriptible

==>L’exclusion de la prescription extinctive

Le droit au partage se distingue par son caractère imprescriptible, c’est-à-dire qu’il ne s’éteint jamais, quel que soit le temps écoulé depuis la constitution de l’indivision.

La Cour de cassation a rappelé ce principe notamment dans un arrêt du 12 décembre 2007 aux termes duquel elle a jugé que « le droit de demander le partage étant imprescriptible, celui-ci peut toujours être provoqué, à moins qu’il n’y ait été sursis par jugement ou convention » (Cass. 1ère civ., 12 déc. 2007, n°06-20.830).

Dans cette affaire, la demande de partage concernait une succession vieille de plus de 70 ans, et la Cour a confirmé que le délai écoulé ne faisait pas obstacle à cette action. Cet arrêt illustre de manière claire l’absence de toute prescription extinctive pour l’action en partage, même en présence d’une indivision très ancienne.

Cette règle vise à protéger le droit de propriété de chaque indivisaire, en lui offrant la possibilité de retrouver à tout moment une pleine maîtrise de sa part de bien.

Des auteurs soulignent à cet égard que « le droit au partage est intrinsèquement lié à la protection de la propriété individuelle et ne saurait être anéanti par l’écoulement du temps »[2]. Dans le même sens Planiol et Ripert ont écrit que « le droit de sortir d’indivision ne se perd pas par non-usage »[3].

Cette position doctrinale met en évidence la nature temporaire de l’indivision, conçue pour cesser dès lors qu’un indivisaire le souhaite. L’imprescriptibilité du droit au partage en est la manifestation la plus claire.

En tout état de cause, bien que la prescription extinctive puisse entraîner l’extinction de certains droits par l’écoulement du temps, elle ne s’applique pas à l’action en partage.

Ce principe, fermement établi par la jurisprudence, est illustré notamment par un ancien arrêt rendu par la Cour de cassation le 13 décembre 1937 (Cass. req., 13 déc. 1937).

Elle y a confirmé que le droit au partage échappe à toute forme de prescription extinctive. Cette décision réaffirme le caractère fondamentalement imprescriptible de ce droit, garantissant à tout indivisaire la faculté de provoquer la fin de l’indivision, quel que soit le temps écoulé depuis sa constitution.

Ainsi, même en cas d’indivision prolongée, chaque indivisaire conserve la possibilité de demander le partage à tout moment. Ce droit est protégé contre toute forme d’inertie, qu’elle soit intentionnelle ou non, de la part des autres indivisaires. Cela évite que l’indivision ne se perpétue simplement par défaut d’action ou par négligence de certains indivisaires.

En ce sens, l’imprescriptibilité du droit au partage agit comme une garantie contre l’inaction, préservant le droit de chaque co-indivisaire à mettre fin à cette situation à tout moment, sans qu’un quelconque délai puisse jouer en défaveur de cette prérogative.

==>Le jeu de la prescription acquisitive

Reste que si le droit au partage est imprescriptible, la prescription acquisitive constitue une exception à ce principe.

En effet, bien que la prescription extinctive ne puisse éteindre le droit de demander le partage, il est possible, sous certaines conditions, qu’un indivisaire ou un tiers acquière la propriété d’un bien indivis par possession prolongée.

L’article 816 du Code civil dispose en ce sens que « le partage ne peut être demandé s’il y a eu possession suffisante pour acquérir la prescription ».

Cela signifie que si un bien indivis a été possédé de manière continue, paisible, publique et non équivoque pendant un délai de trente ans, l’usucapion permet à l’indivisaire ou au tiers possesseur de faire sortir ce bien de l’indivision, le privant ainsi de son caractère indivis.

L’usucapion, qui repose sur des conditions rigoureuses de possession, s’applique donc uniquement à des biens spécifiques au sein de l’indivision, et non à l’ensemble d’une succession ou d’un patrimoine indivis dans son intégralité.

Cela se justifie par la nature même de l’indivision, qui repose sur une co-titularité de droits de propriété, chacun des indivisaires jouissant de l’ensemble des biens indivis sans en détenir la propriété exclusive.

Certains auteurs soutiennent qu’une succession, en tant qu’universalité juridique, ne peut faire l’objet d’une possession prolongée dans son ensemble, car il serait difficile, voire impossible, de posséder une telle universalité de manière non équivoque et exclusive.

En raison de la diversité des biens qui la composent et de la nature collective des droits indivisaires, ils estiment que la possession, pour être effective et produire des effets juridiques, doit porter sur des biens déterminés, spécifiquement identifiés, plutôt que sur l’ensemble des biens formant l’indivision.

Les tenants de cette thèse considèrent que « l’usucapion ne peut jouer que relativement à des biens envisagés ut singuli », c’est-à-dire individuellement, et non sur l’intégralité d’une succession ou d’une indivision, laquelle est perçue comme une universalité juridique insusceptible de possession exclusive[4].

Cependant, d’autres auteurs adoptent une approche plus large et nuancée de l’usucapion.

Ils soutiennent qu’il serait possible, sous certaines conditions, d’acquérir par prescription acquisitive non seulement des biens spécifiques, mais également un ensemble de biens constituant l’actif successoral, dès lors que ces biens sont suffisamment identifiés au sein de l’universalité juridique de la succession.

Selon cette approche, l’usucapion ne porterait pas sur l’universalité en tant que telle, mais sur les éléments patrimoniaux qui la composent, ce qui permettrait à un indivisaire de prescrire l’intégralité de l’actif successoral ou de l’indivision.

Cette position a trouvé un certain écho dans la jurisprudence. En effet, la Cour de cassation a admis, dans un arrêt du 4 juillet 1853, que la prescription acquisitive pouvait, dans certaines circonstances, s’appliquer à l’ensemble des biens dépendant d’une succession.

Cet arrêt confirme l’interprétation selon laquelle l’usucapion, bien qu’habituellement limitée à des biens déterminés, peut dans des cas particuliers s’étendre à un ensemble de biens indivis, lorsque les conditions de la possession sont réunies.

L’article 816 du Code civil, qui dispose que « le partage ne peut être demandé s’il y a eu possession suffisante pour acquérir la prescription », consacre ce mécanisme, en permettant qu’un bien indivis puisse être usucapé et sortir ainsi de l’indivision, rendant le partage inapplicable à ce bien.

Quoi qu’il en doit, l’application de l’usucapion, même sur des biens indivis, repose sur le respect strict des conditions de la prescription acquisitive, telles qu’énoncées dans l’article 2261 du Code civil.

Pour que la possession puisse conduire à l’acquisition d’un bien par usucapion, elle doit être paisible, continue, publique et non équivoque, et ce, pendant un délai de trente ans, si aucun titre translatif de propriété n’est invoqué.

La jurisprudence et la doctrine insistent sur le caractère exclusif de la possession, particulièrement en matière d’indivision, où les actes accomplis par un indivisaire tendent souvent à être interprétés comme des actes de gestion collective plutôt que comme des manifestations d’une volonté d’exclusivité.

A cet égard, la possession en situation d’indivision présente une difficulté particulière : les actes de gestion ou d’usage par un coïndivisaire sont généralement équivoques, car ils peuvent être perçus comme l’exercice normal des droits indivis, et non comme une appropriation exclusive.

Selon Planiol et Ripert, la possession d’un bien indivis par un coïndivisaire est souvent indéterminée, car elle reflète une jouissance commune plutôt qu’une propriété individuelle. Les actes de possession ne peuvent donc permettre l’usucapion que s’ils traduisent une intention manifeste de se comporter en propriétaire exclusif, incompatible avec la qualité d’indivisaire.

La jurisprudence est venue confirmer cette exigence. Ainsi, dans plusieurs arrêts, la Cour de cassation a rappelé que les juges du fond doivent rechercher si le possesseur indivis s’est comporté en propriétaire exclusif, c’est-à-dire s’il a accompli des actes montrant son intention de s’approprier le bien pour lui seul (V. en ce sens Cass. 1ère civ., 27 oct. 1993, n° 91-13.286). En l’absence d’actes exclusifs et non équivoques, la prescription acquisitive ne peut prospérer, et le bien demeure dans l’indivision.

Il peut être observé que le vice d’équivoque est l’un des principaux obstacles à la mise en œuvre de l’usucapion dans le cadre de l’indivision.

Ce vice se manifeste lorsque la possession invoquée par l’indivisaire n’est pas clairement distincte de celle que pourrait exercer un autre indivisaire.

Par exemple, un indivisaire qui se contente d’occuper un bien indivis ou d’en tirer des revenus comme le ferait tout autre coïndivisaire ne pourra prétendre à l’usucapion, car ces actes ne montrent pas une volonté d’exclusivité (Cass. 3e civ., 27 nov. 1985, n°84-15.259). À l’inverse, des actes significatifs, tels que l’accomplissement de travaux importants sans en informer les autres indivisaires ou la perception exclusive des fruits du bien, peuvent constituer des indices d’une volonté d’exclusivité, susceptibles de permettre l’usucapion (Cass. 3e civ., 25 févr. 1998, n° 96-15.045).

Pour que la prescription acquisitive puisse être opposée avec succès aux autres indivisaires, il est nécessaire que l’indivisaire prétendant à l’usucapion se soit comporté en véritable propriétaire exclusif. Cette exclusivité doit être démontrée par des actes incompatibles avec la qualité d’indivisaire, c’est-à-dire des actes qui ne relèvent pas simplement de la gestion ordinaire de l’indivision, mais qui traduisent une appropriation personnelle du bien.

Le délai de prescription requis pour l’usucapion en matière d’indivision est de trente ans. La prescription abrégée de dix ans, applicable dans certains cas lorsque le possesseur dispose d’un juste titre, ne trouve pas à s’appliquer dans ce contexte, en raison de l’absence de titre translatif au profit de l’indivisaire.

Ce principe a été établi par la jurisprudence, qui exclut la possibilité pour un indivisaire de prescrire en moins de trente ans en invoquant un partage irrégulier ou un acte de gestion comme titre translatif (V. en ce sens Cass. req., 4 août 1870).

Cependant, dans le cadre de la copropriété, il est possible pour l’ensemble des copropriétaires d’acquérir des parties communes par prescription abrégée, comme rappelé par la Cour de cassation dans un arrêt du 30 avril 2003 .

Aux termes de cet arrêt, elle a, en effet, jugé que « les actes de vente de biens immobiliers, constitués par des lots de copropriété qui sont nécessairement composés de parties privatives et de quotes-parts de parties communes, peuvent être le juste titre qui permet à l’ensemble des copropriétaires de prescrire, selon les modalités de l’article 2265 du Code civil, sur les parties communes de la copropriété, les droits indivis de propriété qu’ils ont acquis accessoirement aux droits exclusifs qu’ils détiennent sur les parties privatives de leurs lots » (Cass. 3e civ., 30 avr. 2003, n° 01-15.078).

Au total, l’usucapion, bien que potentiellement applicable à des biens indivis, reste un mécanisme d’exception nécessitant des conditions strictes. La possession doit être exclusive, continue, paisible, publique et non équivoque, et ce, pendant une période de trente ans.

Si ces conditions ne sont pas réunies, le bien demeurera dans l’indivision et restera éligible au partage, étant précisé que la jurisprudence exclut toute possibilité d’usucapion lorsque la possession invoquée par l’indivisaire se confond avec l’usage ordinaire d’un bien indivis, ce qui nécessité alors une véritable appropriation exclusive pour que la prescription acquisitive puisse produire ses effets.

III) Les titulaires du droit au partage

A) Les indivisaires

1. Principe

Le droit de provoquer le partage est conféré à tout indivisaire, sans distinction. Cette prérogative essentielle s’applique à tous, quelle que soit l’origine des droits : qu’ils résultent d’une succession ab intestat, d’un legs universel ou d’une institution contractuelle.

En conférant ce droit à chacun des membres de l’indivision, le législateur n’a fait que traduire un principe fondamental qui préside au droit patrimonial : l’autonomie individuelle dans la gestion des droits sur un patrimoine commun.

Cette faculté s’exerce également sans égard pour la quotité des droits détenus par l’indivisaire. Même celui qui ne possède qu’une part minime dans la masse indivise peut, à son initiative, demander le partage, sans être tenue par une règle de majorité. Cette égalité juridique entre les coindivisaires garantit que la voix de chacun, quelle que soit l’importance de sa participation, soit respectée et protégée.

En affirmant que nul ne peut être contraint de demeurer dans une communauté indivise contre son gré, l’article 815 du Code civil positionne le partage comme l’issue naturelle et légitime de l’indivision.

Ce principe, qui traverse l’ensemble du régime de l’indivision, confère à chaque indivisaire un droit personnel et indépendant, lui permettant de recouvrer, à tout moment, une pleine maîtrise de son patrimoine.

Ainsi, le droit de demander le partage incarne l’idée que l’indivision, par nature transitoire, ne peut être imposée durablement à aucun indivisaire.

2. Tempérament

Si le droit au partage constitue l’un des principes cardinaux du régime de l’indivision, le législateur a néanmoins prévu, dans des conditions strictement encadrées, des mécanismes permettant d’en différer temporairement l’exercice. Ces dispositifs, conçus pour répondre à des impératifs patrimoniaux ou familiaux, visent à préserver l’équilibre des intérêts en jeu, sans jamais porter atteinte à la nature fondamentale de ce droit.

Parmi ces mécanismes, le mandat à effet posthume, introduit par la loi du 23 juin 2006 et codifié aux articles 812 et suivants du Code civil, illustre cette volonté de concilier la préservation de l’unité patrimoniale avec la garantie de la liberté des indivisaires. Ce mandat confère au de cujus la faculté de désigner un mandataire chargé de gérer tout ou partie de la succession pour le compte des héritiers. Sa finalité est de permettre une gestion cohérente et centralisée des biens indivis dans des circonstances exigeant une coordination temporaire.

Le mandat à effet posthume repose sur une condition essentielle : l’existence d’un intérêt sérieux et légitime. Celui-ci peut se manifester dans des situations telles que la nécessité de préserver l’unité d’une exploitation agricole, d’assurer la pérennité d’une entreprise familiale, ou encore de protéger les intérêts d’héritiers particulièrement vulnérables. La durée de ce mandat, limitée à cinq ans prorogeables sous certaines conditions, garantit le caractère transitoire de cette mesure.

Bien que ce dispositif puisse temporairement différer l’exercice du droit au partage, il ne saurait en altérer l’essence. Le législateur a strictement encadré cette faculté, en veillant à ce qu’elle demeure une mesure de sauvegarde, et non une atteinte définitive au droit des indivisaires de sortir de l’indivision. Ainsi, en cas de disparition des motifs ayant justifié sa mise en place, le juge peut, à la demande des indivisaires, révoquer le mandat, rétablissant ainsi leur liberté patrimoniale.

3. Exclusions

Le droit de provoquer le partage, intrinsèquement lié à la qualité d’indivisaire, est une prérogative qui s’éteint dès lors que cette qualité disparaît ou fait défaut. Cette connexion organique avec l’indivision explique que les personnes étrangères à celle-ci, ainsi que celles qui ont cessé d’y appartenir, soient logiquement exclues de l’exercice de ce droit.

Les non-indivisaires, tout d’abord, se trouvent naturellement exclus des opérations de partage. C’est le cas des légataires particuliers ou des successeurs gratifiés de biens spécifiquement individualisés, tels qu’un immeuble ou un ensemble de meubles désignés. Dépourvus de droits indivis, ces personnes n’ont aucun titre pour intervenir dans la répartition des biens communs, leur patrimoine étant constitué indépendamment de la masse indivise.

Par ailleurs, la perte de la qualité d’indivisaire entraîne également la disparition du droit au partage. Plusieurs circonstances peuvent conduire à cette extinction corrélative.

Ainsi, la cession de la totalité des parts indivises à un tiers, ou encore l’acquisition de l’ensemble des droits par un seul indivisaire, mettent fin à l’indivision et, par conséquent, à la possibilité d’en demander la dissolution. De même, la prescription acquisitive, par laquelle un indivisaire ou un tiers devient propriétaire exclusif d’un bien indivis, aboutit à la perte de tout droit indivis sur le bien en question, privant les anciens indivisaires de la faculté de provoquer le partage.

Enfin, la réalisation d’un partage définitif marque l’extinction ultime de ce droit. Lorsque les indivisaires s’accordent sur la répartition des biens et formalisent cette entente par un acte de partage, qu’il soit verbalement consenti et prouvé ou constaté par écrit, le droit de provoquer le partage disparaît. Cet acte met un terme à la situation d’indivision en conférant à chaque indivisaire un droit exclusif et privatif sur les biens qui lui sont attribués.

Toutefois, il convient de souligner que seules les conventions de partage définitif, et non les accords provisoires ou les conventions organisant la jouissance temporaire des biens indivis, ont cet effet extinctif. Ainsi, une simple organisation transitoire de l’indivision, comme une convention d’attribution de jouissance, ne prive pas les indivisaires de leur droit de demander ultérieurement un partage formel et définitif.

4. Cas particuliers

Le droit de provoquer le partage, pilier du régime de l’indivision, s’étend naturellement aux ayants cause des indivisaires, selon des règles qui varient selon la nature des droits transmis et la qualité du bénéficiaire. Si les ayants cause universels ou à titre universel succèdent pleinement aux prérogatives de leur auteur, les ayants cause à titre particulier sont soumis à des restrictions importantes.

a. Les ayants cause universels et à titre universel

Les ayants cause universels ou à titre universel, qu’ils soient héritiers légaux, légataires ou institués contractuels, acquièrent simultanément la qualité d’indivisaire et le droit de provoquer le partage.

Ce droit, intrinsèquement lié à leur qualité d’indivisaire, leur permet de poursuivre les opérations de partage au même titre que leur auteur. La jurisprudence et la doctrine reconnaissent unanimement cette faculté, qui reflète la continuité patrimoniale inhérente aux transmissions universelles.

Cependant, le droit de partage des ayants cause universels ou à titre universel peut être affecté par une condition suspensive attachée à leurs droits. Ainsi, un légataire universel soumis à une telle condition ne pourra exercer ce droit qu’après la réalisation de la condition, conformément aux principes du droit successoral.

b. Les ayants cause à titre particulier

Les ayants cause à titre particulier se distinguent dans le régime de l’indivision par leur situation spécifique : l’acquisition de la qualité d’indivisaire, et donc du droit de provoquer le partage, est conditionnée par la nature des droits qui leur sont transmis.

Contrairement aux transmissions universelles ou à titre universel, les transmissions particulières ne confèrent pas systématiquement la qualité d’indivisaire à leurs bénéficiaires, limitant ainsi leur capacité à intervenir dans les opérations de partage.

==>Les personnes gratifiées

Les légataires particuliers ou les bénéficiaires de donations portant sur des biens spécifiquement individualisés se trouvent exclus de l’indivision.

En effet, la nature des droits transmis, déconnectés de l’ensemble indivis, leur interdit toute participation aux opérations de partage.

Par exemple, un légataire bénéficiant d’un bien précis, tel qu’un tableau ou un immeuble non indivis, n’a aucun titre pour réclamer un partage, ses droits étant pleinement isolés de la communauté indivise.

==>Les cessionnaires de parts indivises

En revanche, les cessionnaires d’une part indivise, qu’elle soit totale ou partielle, accèdent directement à la qualité d’indivisaire par le biais de la transmission des droits de leur auteur.

En acquérant ces droits, ils s’intègrent pleinement à l’indivision et se voient conférer le droit de provoquer le partage en leur propre nom. Cette intégration s’opère sans restriction, leur permettant d’agir dans les mêmes conditions que leur prédécesseur.

Cette situation reflète le principe d’autonomie patrimoniale inhérent au régime de l’indivision, selon lequel tout indivisaire, y compris un cessionnaire, peut décider librement de mettre fin à l’indivision, dans le respect des règles légales.

==>Les cessionnaires de biens indivis

Lorsque la cession porte sur un bien indivis ou sur les droits afférents à ce bien, la situation devient plus nuancée.

Le cessionnaire, bien qu’exclu de la qualité d’indivisaire, peut néanmoins avoir un intérêt légitime à demander le partage.

Cet intérêt s’explique par l’éventualité que le bien cédé soit attribué dans le lot de son auteur lors du partage. Toutefois, cette faculté est encadrée de manière stricte : le cessionnaire ne peut agir qu’au nom et pour le compte de l’indivisaire initial.

Ainsi, lui est-il impossible d’imposer un partage limité à ce seul bien, car une telle demande dépasserait les droits conférés à son auteur.

Cette règle garantit une gestion cohérente et collective de l’indivision, évitant que des intérêts particuliers ne viennent fragmenter le processus de partage au détriment des autres indivisaires.

B) Les créanciers

L’article 815-17, alinéa 3, du Code civil confère aux créanciers personnels d’un indivisaire une faculté d’une portée exceptionnelle : celle de provoquer le partage au nom de leur débiteur ou d’intervenir dans le partage initié par ce dernier.

Ce mécanisme, qui participe de l’application de l’action oblique, repose sur la nécessité de préserver les droits des créanciers face à l’inertie de leur débiteur ou aux risques de fraude liés aux opérations de partage.

D’une part, les créanciers peuvent exercer une action en partage, par laquelle ils agissent directement pour mettre fin à l’indivision et obtenir ainsi le paiement de leur créance. Cette action permet de mobiliser les droits indivis pour transformer les actifs en valeurs liquidatives, souvent nécessaires pour désintéresser les créanciers. Ce droit, soumis à des conditions de fond et de forme, exige notamment une créance certaine, liquide et exigible, ainsi qu’une carence avérée du débiteur à agir.

D’autre part, de manière complémentaire, l’article 815-17, alinéa 3, prévoit que les coïndivisaires du débiteur disposent d’un moyen d’opposition : ils peuvent arrêter le cours de l’action en partage en acquittant eux-mêmes l’obligation au nom et en l’acquit du débiteur.

Cette faculté, qui relève d’une logique de solidarité entre indivisaires, leur permet de préserver l’indivision en désintéressant directement le créancier.

Toutefois, cette opposition suppose que les coïndivisaires acquittent intégralement la dette, faute de quoi le créancier conserve son droit à agir.

Les coïndivisaires qui exercent cette faculté se remboursent ensuite par prélèvement sur les biens indivis, conformément au texte. Ce mécanisme garantit un équilibre entre les droits des créanciers et la volonté des coïndivisaires de maintenir l’unité de l’indivision.

Ces deux prérogatives – l’action en partage la faculté d’arrêt du cours de l’action – traduisent un subtil équilibre entre les droits des créanciers, la sauvegarde de l’indivision et la protection des coïndivisaires. Ce dispositif assure ainsi une conciliation efficace entre les impératifs de recouvrement et les principes fondamentaux de l’indivision.

1. L’action en partage

L’article 815-17, alinéa 3, du Code civil confère aux créanciers personnels d’un indivisaire une prérogative singulière : celle de provoquer le partage au nom de leur débiteur.

Ce droit, en dérogation à la prohibition générale de saisie édictée par l’alinéa précédent, s’inscrit dans un équilibre entre la sauvegarde des droits des créanciers et la préservation de l’intégrité de l’indivision.

a. Principe

L’article 815-17, alinéa 3, du Code civil dispose que « les créanciers personnels d’un indivisaire ont […] la faculté de provoquer le partage au nom de leur débiteur ou d’intervenir dans le partage provoqué par lui ».

Cette disposition repose sur une logique de protection des créanciers, en leur offrant un moyen d’action face à la carence du débiteur à exercer ses droits dans l’indivision.

Lorsqu’un indivisaire néglige de demander le partage, les créanciers sont exposés au risque de voir leur créance compromise par la stagnation de l’indivision, notamment si les biens indivis perdent de leur valeur ou si des litiges surviennent entre les coïndivisaires.

Ce droit, introduit par la loi du 31 décembre 1976, marque une évolution importante par rapport au régime antérieur.

En effet, il dépasse la simple opposition prévue à l’article 882 du Code civil, qui permettait seulement aux créanciers de veiller à ce qu’un partage ne se fasse pas en fraude de leurs droits. Ici, l’article 815-17, alinéa 3, leur confère une véritable faculté d’agir au nom du débiteur, par le biais de l’action oblique régie par l’article 1341-1 du Code civil, lorsque l’inertie de ce dernier compromet leur recouvrement.

En outre, cette faculté ne se limite pas à la demande de partage stricto sensu. Elle s’étend également à la licitation des biens indivis, laquelle se révèle souvent indispensable lorsque les biens en question sont indivisibles ou difficilement partageables en nature.

Dans de tels cas, la licitation, consistant en la vente aux enchères des biens indivis, permet de transformer les actifs indivis en une masse de liquidités répartissable entre les indivisaires, facilitant ainsi le règlement des créances.

La jurisprudence a confirmé cette extension du droit d’agir des créanciers, considérant que la demande de licitation découle nécessairement de leur faculté de provoquer le partage (CA Paris, 20 nov. 1984).

Ce droit de substitution illustre une conciliation entre la sauvegarde des intérêts des créanciers et le respect des règles fondamentales de l’indivision. Il n’en reste pas moins encadré par des conditions strictes, à la fois procédurales et matérielles, afin d’éviter tout abus de droit ou atteinte disproportionnée aux droits des coïndivisaires.

Par exemple, le créancier doit justifier d’une créance certaine, liquide et exigible, et il lui appartient de démontrer que la carence de son débiteur compromet directement ses droits (Cass. 1re civ., 17 mai 1982, n°81-12.312).

Ainsi, l’article 815-17, alinéa 3, confère aux créanciers un outil efficace pour préserver leurs intérêts, tout en maintenant l’équilibre entre les droits des indivisaires et ceux des tiers, notamment lorsque l’inertie ou l’obstruction d’un débiteur met en péril la pérennité de l’indivision.

b. Conditions de l’action en partage

i. Conditions de fond

Pour que l’action en partage, exercée par un créancier personnel d’un indivisaire, soit jugée recevable, plusieurs conditions de fond doivent impérativement être réunies.

Ces conditions, qui mêlent à la fois les exigences spécifiques à l’action en partage et celles découlant du régime général de l’action oblique, traduisent la nature hybride de cette prérogative.

En effet, l’action en partage, bien qu’encadrée par des règles propres, s’inscrit dans la logique de l’article 1341-1 du Code civil, faisant de l’action oblique un fondement sous-jacent.

Ces exigences témoignent de la rigueur juridique entourant cette faculté, visant à garantir l’équilibre entre les droits des créanciers à recouvrer leurs créances et la protection des indivisaires contre des actions abusives ou non justifiées.

Elles conditionnent non seulement la recevabilité de l’action, mais aussi son bien-fondé au regard des principes qui gouvernent l’indivision.

==>Existence d’une indivision

L’indivision doit être constituée au moment où l’action en partage est engagée. L’article 815-17, alinéa 3, du Code civil ne saurait être invoqué pour obtenir le partage d’un bien n’étant pas encore dans une situation d’indivision juridiquement établie.

Cela exclut, par exemple, les biens relevant d’une communauté conjugale avant sa dissolution, comme l’a rappelé la Cour de cassation dans un arrêt du 9 novembre 1993 aux termes duquel elle a jugé qu’un créancier personnel d’un conjoint commun en biens ne peut provoquer le partage d’un bien commun avant la dissolution de la communauté (Cass. 1re civ., 9 nov. 1993, n°91-20.290).

Il s’infère de cette condition que l’action en partage repose sur une situation juridique préexistante, et non sur un simple espoir de constitution future d’un patrimoine indivis.

==>Qualité de créancier personnel

L’action en partage reconnue par l’article 815-17, alinéa 3, du Code civil est strictement réservée aux créanciers personnels d’un indivisaire.

A cet égard, la qualité de créancier personnel désigne une personne ayant une créance directe envers un indivisaire en raison d’un lien contractuel, délictuel ou quasi-délictuel, ou d’une autre source d’obligation.

En vertu de cette relation juridique, le créancier agit dans son propre intérêt et non dans celui de l’indivision.

Ainsi, cette action ne s’étend pas aux créanciers de l’indivision elle-même, ces derniers étant appelés à faire valoir leurs droits selon des mécanismes spécifiques, tels que le prélèvement sur l’actif indivis prévu par l’article 815-17, alinéa 1.

Cette distinction garantit que seuls les créanciers directement concernés par la dette d’un indivisaire débiteur puissent exercer un droit d’action sur l’indivision. Une telle restriction vise à prévenir les abus et à préserver les intérêts des autres coïndivisaires, qui pourraient être compromis si les créanciers de l’indivision, plus nombreux, pouvaient également intervenir dans ce cadre.

La limitation de l’action aux créanciers personnels découle de la nature intrinsèque de l’indivision, qui est fondée sur la coexistence de droits concurrents entre indivisaires.

Le partage, qui vise à mettre fin à l’indivision, constitue une opération complexe pouvant avoir des conséquences importantes pour chaque indivisaire. Il serait donc inéquitable que des créanciers extérieurs à un indivisaire spécifique puissent intervenir pour contraindre l’indivision dans son ensemble.

Cette règle répond également à une logique de sécurité juridique. En autorisant uniquement les créanciers personnels d’un indivisaire à provoquer ou intervenir dans le partage, la loi limite les situations de conflits et d’enchevêtrement des droits de créance, tout en maintenant l’équilibre nécessaire entre les droits des créanciers et la préservation des intérêts des coïndivisaires.

La jurisprudence a précisé et confirmé cette distinction qu’il y a lieu de faire encre les créanciers.

Par exemple, il a été jugé que les créanciers de l’indivision ne peuvent provoquer le partage des biens indivis, car ils ne détiennent pas de créance personnelle contre un indivisaire en particulier.

À l’inverse, les créanciers personnels, du fait de leur lien direct avec un indivisaire débiteur, sont habilités à exercer l’action, dans la limite des droits détenus par leur débiteur dans l’indivision.

La qualité de créancier personnel constitue donc une condition essentielle à la recevabilité de l’action en partage.

Avant d’engager une telle procédure, le créancier doit prouver l’existence de ce lien direct, sous peine d’irrecevabilité. Cette exigence met également en lumière la nécessité pour les créanciers de vérifier la nature juridique de leur créance avant toute action.

==>Carence du débiteur

L’article 815-17, alinéa 3, du Code civil confère aux créanciers personnels d’un indivisaire le droit de provoquer le partage, mais uniquement si leur débiteur se révèle défaillant dans l’exercice de cette faculté.

La carence du débiteur constitue dès lors une condition préalable et indispensable à la recevabilité de l’action.

Ce principe repose sur une double logique :

  • Préserver l’autonomie des indivisaires : le partage relève en principe d’une décision des indivisaires eux-mêmes. L’intervention du créancier n’est permise que si cette autonomie est défaillante, justifiant une substitution par le créancier.
  • Protéger les intérêts des créanciers : lorsque le débiteur reste inactif malgré la nécessité manifeste de mettre fin à l’indivision, le créancier est légitimé à intervenir pour éviter que ses droits ne soient irrémédiablement compromis.

La carence du débiteur peut prendre différentes formes, toutes caractérisées par une inertie préjudiciable aux droits du créancier :

  • Le débiteur s’abstient totalement de demander le partage des biens indivis, bien que cette démarche soit nécessaire pour permettre le paiement de la créance.
  • Une action en partage a été engagée, mais le débiteur néglige de la poursuivre ou d’accomplir les actes nécessaires à son aboutissement.
  • Le débiteur manifeste une inertie persistante, malgré l’existence d’un contexte évident justifiant le partage, tel qu’un conflit entre coïndivisaires ou une impossibilité matérielle de maintenir l’indivision (Cass. 1re civ., 21 nov. 2018, n° 17-26.245).

La jurisprudence veille à un contrôle rigoureux de cette condition. La charge de la preuve incombe au créancier, qui doit démontrer que l’attitude du débiteur met en péril le recouvrement de sa créance.

La Cour de cassation a précisé que cette carence ne peut être présumée. Elle doit être constatée sur la base de faits objectifs établissant :

  • L’inaction prolongée du débiteur
  • L’absence d’intention manifeste de procéder au partage, malgré une situation d’indivision durable ou économiquement nuisible.

À titre d’exemple, une carence a été retenue dans une affaire où le débiteur, endetté depuis plusieurs années, n’avait entrepris aucune démarche pour sortir d’une indivision bloquée, compromettant ainsi les droits de ses créanciers (Cass. 1re civ., 11 mars 2003, n° 01-12.170).

Toutefois, l’inertie du débiteur n’est pas établie si celui-ci justifie son refus d’agir par des motifs légitimes, tels que :

  • La conclusion d’une convention d’indivision entre coïndivisaires, interdisant toute demande de partage avant un certain délai.
  • L’existence d’un désaccord entre indivisaires ne relevant pas de sa responsabilité.
  • Une procédure en cours, telle qu’une liquidation judiciaire, encadrant les biens indivis.

Dans ces cas, le créancier ne pourra valablement prétendre à la carence du débiteur.

Lorsqu’elle est avérée, la carence du débiteur ouvre au créancier la possibilité d’exercer une action oblique pour provoquer le partage.

==>Existence d’une créance certaine, liquide et exigible

Pour que l’action en partage intentée par un créancier personnel d’un indivisaire soit recevable, la créance invoquée doit remplir trois critères cumulatifs : elle doit être certaine, liquide, et exigible.

Ces exigences, issues des principes généraux du droit des obligations, garantissent que l’action ne repose pas sur des droits hypothétiques ou incertains.

  • Une créance certaine
    • Une créance est dite certaine lorsqu’elle repose sur une obligation clairement établie, et non sur une simple éventualité ou probabilité.
    • Cela signifie que le droit du créancier à réclamer le paiement doit être juridiquement reconnu et non contesté par le débiteur ou soumis à des conditions suspensives.
    • Aussi, une créance subordonnée à la réalisation d’une condition suspensive (exemple : le versement d’une somme après la survenance d’un événement futur et incertain) ne peut justifier une action en partage.
    • La jurisprudence est stricte à cet égard : une créance incertaine, parce que conditionnelle, prive le créancier du droit d’agir dans l’indivision (Cass. req., 25 mars 1924).
    • Pour exemple, une banque réclamant le remboursement d’un prêt hypothécaire dont l’échéance n’est pas encore arrivée ne pourrait prétendre exercer une action en partage au titre d’une créance non encore certaine.
  • Une créance liquide
    • La liquidité d’une créance implique qu’elle soit susceptible d’être chiffrée avec exactitude.
    • Autrement dit, le montant dû doit être déterminé ou, à tout le moins, facilement déterminable sans nécessiter de procédures longues et complexes.
    • Une créance dont le montant reste incertain ou non évaluable ne peut permettre au créancier d’exercer l’action.
    • Par exemple, une créance portant sur des dommages et intérêts à évaluer ultérieurement par le juge serait considérée comme non liquide.
    • Certains auteurs estiment toutefois qu’une créance évaluée par le biais d’une clause pénale ou stipulée par contrat peut être considérée comme liquide, même si son montant exact n’a pas encore été fixé par un juge.
  • Une créance exigible
    • Une créance exigible est une créance dont le terme est échu, ce qui signifie que le débiteur est tenu d’en effectuer le paiement.
    • Une créance assortie d’un terme suspensif, c’est-à-dire dont l’échéance est fixée à une date future, ne peut servir de fondement à une action en partage.
    • L’exigence d’exigibilité garantit que le créancier agit pour faire valoir un droit actuel et non anticipé.
    • Par exemple, une créance résultant d’un prêt dont les échéances ne sont pas encore dues ne permettrait pas au créancier d’intervenir dans l’indivision.
    • En cas de défaillance manifeste du débiteur ou de risque d’insolvabilité, certaines créances dont le terme est en cours peuvent toutefois, dans des cas spécifiques, être prises en compte, sous réserve d’une autorisation judiciaire.

La charge de la preuve de ces trois caractères que doit présenter la créance incombe au créancier.

Ce dernier doit démontrer, par tout moyen, que la créance est certaine, liquide et exigible. À défaut, son action sera jugée irrecevable.

La nécessité d’une créance certaine, liquide et exigible trouve sa justification dans le caractère intrusif de l’action en partage pour les coïndivisaires.

L’objectif est de limiter cette faculté aux situations où le créancier dispose d’un droit incontestable et actuel, évitant ainsi des conflits inutiles ou prématurés.

Cette exigence préserve les droits des autres coïndivisaires, en évitant qu’un créancier sans titre solide ne vienne perturber l’indivision.

En s’assurant de ces conditions, le créancier maximise ses chances de succès dans l’obtention d’une quote-part ou d’une somme permettant le recouvrement de sa créance.

ii. Conditions procédurales

L’action en partage exercée par un créancier personnel d’un indivisaire est soumise à des exigences procédurales spécifiques, dont certaines découlent des règles générales applicables à l’action oblique, tandis que d’autres répondent aux particularités du partage.

Ces conditions visent à garantir la régularité des opérations tout en assurant l’équilibre entre l’efficacité de la créance et les droits des indivisaires.

==>Compétence juridictionnelle

Le tribunal compétent varie selon la nature de l’indivision et le contexte dans lequel s’inscrit la demande en partage :

  • Compétence du Tribunal judiciaire
    • En principe, le tribunal judiciaire est compétent pour statuer sur les actions en partage, y compris celles intentées par un créancier personnel d’un indivisaire dans le cadre d’une action oblique.
    • Cette compétence découle des dispositions générales du Code de l’organisation judiciaire, en particulier l’article L. 211-3, qui attribue au tribunal judiciaire compétence en matière de partage, quelle qu’en soit la cause.
    • Lorsque l’indivisaire débiteur fait l’objet d’une procédure collective, le tribunal judiciaire demeure compétent pour connaître de l’action en partage.
    • Ce principe a été confirmé par la Cour de cassation qui a jugé que le partage des biens indivis ne relève pas des matières spécialement attribuées aux juridictions commerciales, même lorsque l’un des indivisaires est soumis à une procédure collective (Cass. com., 28 nov. 2000, n° 98-10.145).
    • Cette décision repose sur le fait que le partage ne constitue pas une mesure de réalisation des actifs de la procédure collective, mais vise à mettre fin à l’indivision.
  • Compétence du Juge aux affaires familiales (JAF)
    • Lorsque l’action concerne une indivision entre époux, partenaires de PACS ou concubins (même non séparés), le juge aux affaires familiales est compétent en vertu de l’article L. 213-3 du Code de l’organisation judiciaire.
    • Cela inclut notamment les demandes en partage liées à des indivisions créées par la liquidation des régimes matrimoniaux ou les relations patrimoniales des concubins (Cass. 1re civ., 1er juin 2017, n°15-28.344).

==>Assignation de tous les indivisaires

L’action en partage intentée par un créancier doit respecter le principe du contradictoire.

À ce titre, tous les indivisaires doivent être assignés. Cette exigence garantit que chaque coïndivisaire puisse faire valoir ses droits et participer aux discussions sur le partage ou la licitation des biens indivis.

L’absence d’un indivisaire dans la procédure pourrait entraîner l’irrecevabilité de l’action ou la nullité des actes de partage.

==>Dérogation aux formalités prévues par l’article 1360 du Code de procédure civile

Le créancier personnel d’un indivisaire, agissant par voie oblique, bénéficie d’une dérogation importante aux prescriptions formelles de l’article 1360 du Code de procédure civile.

Pour mémoire, cet article impose aux indivisaires, sous peine d’irrecevabilité, de fournir un descriptif sommaire du patrimoine à partager ainsi que de préciser leurs intentions quant à la répartition des biens. Ces exigences, bien qu’elles garantissent une certaine transparence, peuvent constituer un frein à l’efficacité des procédures lorsqu’il s’agit de préserver les droits des créanciers.

Toutefois, la Cour de cassation a clairement exclu l’application de ces dispositions au créancier exerçant une action oblique pour provoquer le partage, estimant que ces formalités ne sauraient entraver le recouvrement des créances (Cass. 1re civ., 25 sept. 2013, n° 12-21.272). Cette position vise à assurer la rapidité et l’efficacité de la procédure, en tenant compte de la nécessité d’intervenir dans l’indivision pour protéger les droits du créancier.

De manière similaire, la Cour de cassation a jugé qu’un liquidateur judiciaire représentant un débiteur peut provoquer le partage dans l’intérêt des créanciers, sans être tenu de respecter les formalités strictes prévues par l’article 1360 (Cass. 1re civ., 13 janv. 2016, n° 14-29.534).

En l’occurrence, le liquidateur judiciaire, agissant au nom et pour le compte du débiteur en procédure collective, avait sollicité la licitation-partage d’un immeuble indivis afin de permettre le règlement des créanciers. Cette décision confirme que les impératifs liés à la protection des créanciers priment sur les contraintes procédurales classiques dans ce contexte.

Ainsi, l’exclusion des exigences formelles prévues par l’article 1360 illustre la volonté de la jurisprudence de privilégier l’efficacité dans la sauvegarde des droits des créanciers, tout en adaptant les règles procédurales aux particularités de l’action oblique.

==>Absence de mise en demeure

Enfin, aucune formalité préalable spécifique, telle qu’une mise en demeure, n’est requise pour initier l’action en partage.

Cependant, il est recommandé de notifier ou d’informer le débiteur avant d’intenter l’action, afin de limiter les contestations ultérieures et d’assurer une certaine transparence dans la procédure.

c. Effets de l’action en partage

i. Effets principaux

==>Bénéfice collectif pour les créanciers

L’action en partage, initiée par un créancier personnel d’un indivisaire, produit des effets au-delà des intérêts du seul demandeur.

En effet, cette action bénéficie à l’ensemble des créanciers du débiteur, conformément au principe de l’unicité du patrimoine du débiteur consacré par l’article 2284 du Code civil, selon lequel ses biens présents et à venir constituent le gage commun de ses créanciers.

Lorsque le partage permet de mettre fin à l’indivision et de convertir les droits indivis du débiteur en sommes d’argent, ces dernières sont disponibles pour être réparties entre tous les créanciers, conformément aux règles de la procédure d’exécution ou de la procédure collective applicable.

Cela établit une forme de solidarité passive indirecte entre les créanciers, où les efforts d’un seul profitent à tous, tout en évitant des actions concurrentes susceptibles de compromettre l’efficacité du recouvrement.

Cette mutualisation des bénéfices est particulièrement pertinente lorsque les biens indivis sont indivisibles en nature ou difficiles à répartir autrement que par leur vente.

La licitation, ordonnée dans ce cadre, assure une distribution équitable de la valeur liquidée entre tous les créanciers.

==>Préservation des droits des créanciers

Le créancier agissant en partage ne se contente pas d’initier le processus de dissolution de l’indivision?; il intervient également pour protéger ses propres droits et, par ricochet, ceux des autres créanciers.

  • Contrôle des opérations de partage
    • En participant activement au partage, le créancier peut vérifier que les modalités de répartition respectent les principes légaux et qu’aucune tentative de fraude ne vient compromettre ses droits.
    • Par exemple, il peut s’opposer à des évaluations manifestement biaisées des biens indivis ou contester l’attribution de certains biens au débiteur, notamment lorsque ceux-ci sont insaisissables (par exemple, un bien affecté à l’usage d’une activité professionnelle et bénéficiant de la protection de l’article L. 526-1 du Code de commerce).
  • Sanction des fraudes
    • En cas de fraude manifeste, telle qu’une sous-évaluation intentionnelle des biens indivis ou l’attribution de biens au débiteur dans le seul but d’échapper à l’action des créanciers, l’article 1167 du Code civil permet au créancier d’exercer l’action paulienne pour faire déclarer inopposables les actes portant atteinte à son droit de gage général.
  • Recours en cas d’abus de droit
    • Si un indivisaire, notamment le débiteur, utilise sa position pour retarder le partage ou obtenir une répartition déséquilibrée, le créancier peut également invoquer les dispositions relatives à l’abus de droit, afin de faire respecter les principes d’équité et de bonne foi (article 1104 du Code civil).

ii. Limites

L’action du créancier est susceptible d’être empêchée par plusieurs obstacles :

  • L’existence d’une convention d’indivision
  • L’existence d’un démembrement de propriété

==>L’existence d’une convention d’indivision

La convention d’indivision, prévue par les articles 1873-1 et suivants du Code civil, constitue un cadre juridique permettant aux indivisaires d’organiser la gestion de leur indivision et d’en limiter la dissolution.

Bien qu’elle confère une stabilité à l’indivision, elle peut également limiter l’exercice du droit des créanciers personnels d’un indivisaire, y compris lorsqu’ils agissent par voie oblique sur le fondement de l’article 815-17, alinéa 3, du Code civil.

En effet, l’article 1873-15, alinéa 2, dispose que les créanciers personnels d’un indivisaire « ne peuvent provoquer le partage que dans les cas où leur débiteur pourrait lui-même le provoquer ».

En conséquence, les créanciers sont directement soumis aux restrictions imposées par la convention d’indivision, laquelle peut être conclue pour une durée déterminée ou indéterminée :

Selon l’article 1873-3, alinéa 1er, lorsque la convention fixe une durée déterminée (ne pouvant excéder cinq ans), le partage ne peut être provoqué avant le terme convenu, sauf en cas de justes motifs.

Ces justes motifs, appréciés souverainement par le juge, peuvent inclure une situation de péril pour les droits des créanciers ou la preuve d’une fraude manifeste des indivisaires visant à empêcher le recouvrement des créances.

En vertu de l’article 1873-3, alinéa 2, lorsqu’une convention est conclue pour une durée indéterminée, le partage peut être provoqué à tout moment, à condition que l’action ne soit pas exercée de mauvaise foi ou à contretemps. Ces notions, bien que peu définies, visent à prévenir les abus de droit, qu’ils émanent des indivisaires ou des créanciers.

Pour que la convention d’indivision soit opposable au créancier personnel d’un indivisaire, elle doit répondre à plusieurs critères de validité :

  • Conformité aux exigences légales
    • La convention doit respecter les dispositions de l’article 1873-2, alinéa 2, du Code civil. À défaut, elle pourrait être contestée par le créancier, qui demanderait sa nullité ou son inopposabilité.
  • Antériorité de la convention
    • La convention d’indivision doit être conclue avant la demande en partage.
    • La Cour de cassation a en effet jugé en ce sens qu’une convention conclue après l’introduction de l’action en partage ne peut être opposée au créancier pour empêcher le déroulement de cette action (Cass. 1re civ., 8 mars 1983, n°82-10.721).
    • Cette règle vise à éviter que les indivisaires n’utilisent abusivement la convention pour bloquer les initiatives des créanciers sans autre contrepartie.

Si la convention d’indivision constitue un moyen juridique efficace de limiter les actions des créanciers, elle n’est pas exempte d’incertitudes :

D’une part, les « justes motifs » permettant de contourner une convention d’indivision temporaire restent sujets à interprétation. La doctrine a notamment souligné le caractère imprécis de ces notions et leur appréciation au cas par cas par le juge.

D’autre part, les créanciers peuvent contester la convention s’ils démontrent qu’elle a été utilisée de manière abusive ou qu’elle a pour unique objet de retarder indûment le recouvrement de leur créance.

==>L’existence d’un démembrement de propriété

Lorsque le bien indivis est grevé d’un usufruit, la situation se complexifie davantage, notamment en cas de demande de licitation judiciaire. L’usufruitier dispose de droits spécifiques sur le bien, qui doivent être respectés et pris en compte dans toute opération de partage ou de licitation.

  • Principe de protection de l’usufruitier
    • Selon l’article 578 du Code civil, l’usufruitier a le droit d’utiliser le bien indivis et d’en percevoir les fruits.
    • Toute vente ou licitation du bien indivis affecterait ces droits, ce qui impose l’accord préalable de l’usufruitier pour procéder à la licitation.
    • Cette règle a été confirmée par la Cour de cassation, qui a rappelé que, sans cet accord, la licitation ne peut être ordonnée (Cass. 1re civ., 13 juin 2019, n° 18-17.347).
  • Effet sur l’action des créanciers
    • En pratique, si un créancier souhaite provoquer le partage ou demander la licitation d’un bien grevé d’usufruit, il doit soit obtenir l’accord de l’usufruitier, soit démontrer que ce dernier agit de manière abusive ou qu’il ne subira pas de préjudice significatif.
    • À défaut, le juge peut rejeter la demande.
  • Incidence sur la répartition
    • En cas de licitation validée avec l’accord de l’usufruitier, le produit de la vente doit être réparti en tenant compte de la valeur respective de l’usufruit et de la nue-propriété.
    • Cette répartition est réalisée conformément aux règles fixées par la table de mortalité de l’article 669 du Code général des impôts, qui évalue la valeur de l’usufruit en fonction de l’âge de l’usufruitier.

d. Les concours entre créanciers

L’indivision, en tant que régime juridique transitoire, peut donner lieu à des situations complexes de concours entre créanciers.

Ces conflits surviennent lorsque plusieurs créanciers revendiquent des droits concurrents sur les biens ou l’actif de l’indivision.

Le régime applicable varie selon les catégories de créanciers en présence : créanciers de l’indivision, créanciers personnels des indivisaires, ou encore indivisaires eux-mêmes créanciers.

==>Concours entre créanciers de l’indivision

Le concours entre créanciers de l’indivision se pose dans deux hypothèses principales :

  • Tous les créanciers sont chirographaires
    • En l’absence de créanciers bénéficiant de sûretés réelles, la distribution des fonds disponibles se fait au prorata des créances, selon la règle classique du marc l’euro. Cette répartition proportionnelle garantit une égalité entre créanciers.
  • Insuffisance de l’actif de l’indivision
    • Lorsque l’actif est insuffisant pour désintéresser l’ensemble des créanciers, chacun voit sa créance réduite à hauteur de la fraction disponible.
    • Par exemple, si l’actif s’élève à 500 000 € pour un passif de 600 000 €, chaque créancier recevra 5/6 de sa créance.

Dans ces situations, une négociation amiable est souvent privilégiée pour éviter les coûts supplémentaires liés aux saisies ou aux procédures judiciaires.

Par ailleurs, les créanciers peuvent convenir d’une attribution en nature des biens indivis en règlement de leur créance, sous réserve de l’accord de toutes les parties.

==>Concours entre créanciers de l’indivision et créanciers personnels des indivisaires

Le Code civil opère une distinction nette entre ces deux catégories de créanciers, fondée sur la séparation des gages.

  • Priorité des créanciers de l’indivision
    • L’article 815-17, alinéa 1er, du Code civil confère aux créanciers de l’indivision un droit de prélèvement prioritaire sur l’actif indivis, avant toute répartition entre les indivisaires.
    • Ce droit s’exerce indépendamment des créances personnelles des indivisaires.
  • Exclusion des créanciers personnels des indivisaires
    • Ces derniers ne peuvent saisir la part de leur débiteur dans les biens indivis tant que le partage n’est pas intervenu, conformément à l’article 815-17, alinéa 2, du Code civil.
    • Leur droit s’exerce uniquement sur le lot attribué à leur débiteur après partage.
    • Cette règle protège l’intégrité de l’indivision en tant que patrimoine distinct.

Certains auteurs critiquent la primauté des créanciers chirographaires de l’indivision sur les créanciers personnels hypothécaires des indivisaires, estimant qu’elle crée un « privilège » implicite pour les premiers.

Cependant, cette situation découle de la distinction entre deux masses de gage distinctes, et non d’un véritable privilège. La jurisprudence s’accorde sur la priorité des créanciers de l’indivision dans le cadre de leur droit de prélèvement.

==>Concours entre indivisaires créanciers et droit de prélèvement

Le droit de prélèvement reconnu aux créanciers de l’indivision, en application de l’article 815-17, alinéa 1er, du Code civil, est un mécanisme central dans le règlement des dettes liées à la conservation ou à la gestion des biens indivis.

Toutefois, lorsque ce droit est invoqué par un indivisaire lui-même créancier de l’indivision, il peut entrer en concurrence avec d’autres droits ou créances, posant des problématiques complexes.

Selon l’article 815-17, alinéa 1er, les créanciers dont les créances résultent de dépenses de conservation ou de gestion des biens indivis bénéficient d’un droit prioritaire de prélèvement sur l’actif avant tout partage. Ce droit s’applique indépendamment du statut des autres créanciers, qu’il s’agisse de créanciers personnels des indivisaires ou d’indivisaires eux-mêmes.

La jurisprudence a confirmé ce principe en établissant que les créances liées aux dépenses nécessaires pour maintenir les biens indivis (ex. : remboursement d’un emprunt ayant financé l’acquisition ou la conservation du bien) peuvent être imputées sur la valeur des biens avant leur répartition.

Dans un arrêt du 26 juin 2013, la Cour de cassation a clarifié les conditions d’exercice du droit de prélèvement par un indivisaire créancier Cass. 1re civ., 26 juin 2013, n° 12-11.818).

Dans cette affaire, deux ex-époux étaient propriétaires indivis d’un immeuble acquis pendant leur mariage grâce à des emprunts.

À la suite de leur divorce, le notaire chargé de la liquidation des intérêts pécuniaires a proposé une attribution préférentielle de l’immeuble à l’un des ex-époux, qui avait remboursé personnellement une partie des échéances des prêts contractés pour financer le bien.

Le liquidateur judiciaire de l’autre ex-époux a contesté cette attribution et a demandé la licitation de l’immeuble afin de régler le passif de la liquidation judiciaire.

La cour d’appel avait accédé à cette demande, ordonnant la vente aux enchères publiques de l’immeuble, au motif que l’ex-époux demandant l’attribution préférentielle ne justifiait pas disposer des fonds nécessaires pour désintéresser le liquidateur judiciaire.

Elle avait également considéré que les paiements effectués par cet ex-époux ne suffisaient pas à justifier un droit de prélèvement prioritaire sur l’actif indivis.

Cependant, la Cour de cassation a censuré cette décision. Elle a rappelé que les créances résultant des dépenses de conservation ou de gestion des biens indivis, telles que le remboursement d’emprunts nécessaires à l’acquisition ou au maintien du bien, donnent droit à un prélèvement prioritaire sur l’actif indivis, avant tout partage.

En l’espèce, l’ex-époux ayant effectué ces paiements était créancier de l’indivision et pouvait légitimement faire valoir ce droit de prélèvement pour être indemnisé avant que les créances personnelles de l’autre ex-époux ne soient prises en compte.

Cette décision met en lumière plusieurs principes qui régissent l’exercice du droit de prélèvement par un indivisaire créancier :

  • Tout d’abord, les créances résultant de dépenses de conservation ou de gestion des biens indivis priment sur les créances personnelles des indivisaires. Cela permet de garantir que les efforts consentis pour préserver les biens indivis soient compensés équitablement.
  • Ensuite, les créanciers personnels des indivisaires ne peuvent prétendre au règlement intégral de leurs créances sans tenir compte des droits prioritaires des créanciers de l’indivision, même lorsque ces derniers sont des indivisaires.
  • Enfin, le droit de prélèvement vise à ajuster la répartition des parts indivises en fonction des contributions financières réelles de chacun des indivisaires à la conservation des biens.

En consacrant la priorité des créances liées à la conservation des biens, cet arrêt illustre l’importance du droit de prélèvement pour assurer l’équité entre les indivisaires et leurs créanciers dans le cadre d’une indivision.

2. La faculté des coïndivisaires de mettre un terme à l’action en partage

L’article 815-17, alinéa 3, du Code civil confère aux coïndivisaires la faculté de mettre fin à une action en partage introduite par un créancier personnel d’un indivisaire.

Ce mécanisme repose sur un équilibre entre la préservation de l’indivision et la satisfaction des créanciers, en permettant aux coïndivisaires de désintéresser le créancier au nom et pour le compte du débiteur.

a. Principe

L’article 815-17, alinéa 3 du Code civil confère une faculté aux coïndivisaires : celle de mettre fin à l’action en partage introduite par un créancier personnel d’un indivisaire.

Ce texte prévoit en ce sens que les coïndivisaires du débiteur « peuvent arrêter le cours de l’action en partage en acquittant l’obligation au nom et en l’acquit du débiteur ».

Cette disposition vise à préserver l’intégrité de l’indivision, considérée comme un outil de gestion collective des biens indivis.

La faculté d’arrêter le cours de l’action en partage protège les indivisaires contre la dislocation forcée des biens indivis, qui pourrait compromettre des intérêts communs, tels que la conservation d’un patrimoine indivisible ou l’exploitation d’une entreprise familiale.

Cette faculté n’entrave pas les droits du créancier poursuivant, mais impose que sa créance soit intégralement réglée. Ainsi, l’équilibre est maintenu entre la protection de l’indivision et le droit au recouvrement du créancier.

b. Conditions

L’exercice de la faculté, prévue par l’article 815-17, alinéa 3, du Code civil, permettant aux coïndivisaires d’arrêter le cours de l’action en partage intentée par un créancier, est soumis à plusieurs conditions strictes, destinées à garantir à la fois la protection des droits du créancier et la préservation des intérêts des indivisaires.

i. Paiement intégral de la dette

Pour que les coïndivisaires puissent valablement exercer leur faculté d’arrêter le cours de l’action en partage, il leur est impératif de s’acquitter de l’intégralité de la créance due au créancier poursuivant.

Cette exigence repose sur une logique juridique implacable : tant que la créance n’est pas totalement éteinte, le créancier conserve son droit d’action sur le fondement de l’article 815-17, alinéa 3, du Code civil. Un paiement partiel, en ne supprimant qu’une fraction de la dette, laisse intact le statut de créancier, lequel demeure en droit de poursuivre l’action en partage pour le solde.

La nécessité d’un paiement intégral s’impose également pour prévenir toute forme de litige ultérieur. Si les coïndivisaires n’éteignent pas complètement la créance, des contestations pourraient surgir sur la part encore due, compliquant inutilement la procédure et menaçant l’équilibre de l’indivision.

Par ailleurs, un règlement partiel introduirait une instabilité en maintenant une créance résiduelle, laquelle continuerait de peser sur les droits des indivisaires et, in fine, sur l’ensemble de la masse indivise. En revanche, en réglant intégralement la dette, les coïndivisaires garantissent l’extinction totale de l’obligation et éteignent corrélativement le droit d’action du créancier en partage.

Toutefois, une controverse doctrinale est née sur la question de l’étendue exacte de cette obligation de paiement. Certains auteurs soutiennent que les coïndivisaires devraient pouvoir se limiter à verser une somme correspondant aux seuls droits de l’indivisaire débiteur dans l’indivision. Une telle approche, disent-ils, reflèterait mieux le lien entre la créance du créancier et la part indivise du débiteur.

D’autres, à l’inverse, considèrent que le paiement doit porter sur l’intégralité de la dette, quelle que soit sa proportion par rapport aux droits indivis de l’indivisaire débiteur. Cette position s’appuie sur le caractère indivisible de la créance, qui ne saurait être fragmentée selon les parts respectives des indivisaires.

La jurisprudence a tranché en faveur de la seconde thèse, imposant un paiement intégral (V. en ce sens CA Versailles 21 mars 1983). Cette solution se justifie par plusieurs considérations qui traduisent l’équilibre délicat entre les droits des créanciers et la préservation de l’indivision.

D’abord, en raison du principe d’unité de la créance, celle-ci ne saurait être morcelée au gré des parts indivises.

Ensuite, un règlement de l’intégralité de la créance fait obstacle à toute résurgence du droit d’action du créancier et préserve ainsi la stabilité de l’indivision.

Enfin, il s’agit là de renforcer la solidarité entre les coïndivisaires. En unissant leurs efforts pour désintéresser le créancier, les indivisaires contribuent à maintenir l’intégrité de l’indivision et à éviter sa rupture forcée.

ii. Connaissance précise du montant de la dette

L’exercice de la faculté d’arrêter le cours d’une action en partage par le paiement de la créance est subordonné à la satisfaction d’une condition essentielle : la connaissance précise du montant de la dette.

Ce principe découle directement de l’article 815-17, alinéa 3, du Code civil, qui impose que le paiement effectué par les coïndivisaires soit suffisant pour éteindre totalement la créance. À défaut, leur droit d’arrêter l’action en partage ne peut être valablement exercé, et le partage lui-même ne peut être ordonné.

Dans un arrêt fondateur du 20 décembre 1993, la Cour de cassation a affirmé que les coïndivisaires ne peuvent mettre en œuvre leur faculté sans disposer d’une connaissance exacte du montant de la dette à acquitter (Cass. 1ère civ., 20 déc. 1993, n° 92-11.189).

En l’espèce, l’indivisaire débiteur était en liquidation judiciaire, et le créancier avait initié une action en partage. Les coïndivisaires, invoquant leur droit de maintenir l’indivision, avaient manifesté leur intention de s’acquitter de la dette au nom du débiteur.

Toutefois, en l’absence d’une décision définitive d’admission de la créance au passif de la liquidation, ils n’étaient pas en mesure de déterminer avec précision le montant de la dette à payer.

La Haute juridiction a censuré la décision de la cour d’appel, qui avait ordonné le partage malgré cette incertitude, en rappelant que le partage ne peut être prononcé tant que le montant de la créance demeure incertain. Cette position a été réaffirmée dans des décisions ultérieures (V. notamment Cass. 1re civ., 22 juin 1999, n°96-22.454)).

Bien que la connaissance du montant exact de la créance soit une condition sine qua non pour arrêter l’action en partage, les coïndivisaires ne peuvent, en revanche, contester la validité ou le montant de la créance pour laquelle le créancier agit.

Cette règle a été énoncée dans un arrêt de la cour d’appel de Paris du 27 mai 1987, selon lequel les dispositions de l’article 815-17, alinéa 3, ne permettent pas aux coïndivisaires d’exercer un contrôle sur la créance invoquée par le créancier poursuivant, mais uniquement de l’acquitter telle qu’elle résulte des titres produits (CA Paris, 27 mai 1987).

L’absence de possibilité de contestation de la créance invoquée signifie que le paiement effectué par les coïndivisaires s’inscrit dans une logique purement libératoire : ils ne se substituent pas au débiteur en qualité de créanciers du créancier initial, mais mettent fin à l’obligation par un règlement effectif.

iii. Exercice de la faculté avant la fin du partage

L’exercice de la faculté permettant aux coïndivisaires de mettre un terme à l’action en partage intentée par un créancier personnel, bien qu’importante pour préserver l’unité de l’indivision, doit être exercée avant que le partage ne soit définitivement consommé.

Une fois celui-ci arrêté ou validé, les coïndivisaires perdent irrévocablement leur droit d’intervenir pour suspendre le cours de l’action engagée.

Cette exigence découle de la nature même du partage, qui, une fois définitivement acté, produit des effets irrévocables, notamment l’individualisation des droits des anciens indivisaires.

c. Effets

Le paiement réalisé par l’indivisaire solvens aux fins d’arrêter le cours de l’action en partage produit plusieurs effets.

i. Extinction de l’action en partage

Le premier effet notable de l’exercice de cette faculté est l’extinction immédiate du droit du créancier de poursuivre l’action en partage.

Une fois désintéressé par le paiement intégral de sa créance, le créancier perd toute possibilité de demander le partage de l’indivision.

Ce mécanisme offre aux coïndivisaires une voie efficace pour préserver l’unité de l’indivision face aux revendications d’un créancier personnel.

ii. Exclusion de la subrogation

Une autre conséquence importante de l’exercice de la faculté d’empêcher le partage réside dans l’absence de subrogation du solvens dans les droits du créancier désintéressé.

Contrairement à ce qui pourrait être attendu du paiement de la dette d’autrui, le règlement effectué par le solvens ne le place pas dans la position du créancier initial.

Il est, en effet, de principe que lorsqu’une personne paie la dette d’un tiers, elle est subrogée dans les droits du créancier initial, lui permettant de bénéficier des garanties et privilèges attachés à la créance originelle.

Toutefois, dans le cadre particulier de l’indivision, ce mécanisme de subrogation est exclu. Le paiement effectué par le solvens éteint la créance du créancier initial et donne naissance à une créance nouvelle, dirigée non contre l’indivisaire débiteur, mais contre l’indivision elle-même.

Ainsi, le solvens, bien qu’ayant désintéressé le créancier, ne peut revendiquer ni les privilèges attachés à la créance originelle ni les garanties qui l’accompagnaient. Par exemple, s’il s’agissait d’une créance assortie d’une hypothèque ou d’un nantissement, ces sûretés ne sont pas transférées au solvens. Ce dernier est uniquement habilité à exercer un droit de prélèvement sur les biens indivis lors du partage, conformément aux dispositions légales.

Cette exclusion de la subrogation s’inscrit dans une logique de préservation de l’équilibre au sein de l’indivision. En empêchant le solvens de revendiquer des droits supérieurs à ceux conférés par le prélèvement, le législateur garantit que l’intervention du solvens ne bouleverse pas la répartition des droits entre coïndivisaires.

Enfin, cette règle protège également les autres indivisaires contre d’éventuels abus. Si le solvens était subrogé dans les droits du créancier initial, il pourrait exercer une pression disproportionnée sur l’indivisaire débiteur ou revendiquer des garanties exorbitantes au détriment de l’équilibre général de l’indivision. L’exclusion de la subrogation empêche de telles dérives, tout en assurant que le droit de prélèvement reste ancré dans les principes de solidarité et de justice collective propres au régime de l’indivision.

iii. Octroi d’un droit de prélèvement

==>Principe du droit de prélèvement

Le droit de prélèvement est une conséquence essentielle de l’exercice, par les coïndivisaires, de leur faculté de désintéresser un créancier personnel d’un indivisaire.

Prévu à l’article 815-17, alinéa 3, du Code civil, ce droit reflète l’esprit solidaire du régime de l’indivision, en affirmant que le remboursement du solvens s’effectue non pas contre le débiteur qu’il a désintéressé, mais contre l’indivision elle-même.

==>Objet du droit de prélèvement

Le droit de prélèvement confère au solvens, c’est-à-dire l’indivisaire ayant désintéressé un créancier personnel, la faculté de recouvrer les sommes qu’il a avancées en prélevant sur les biens indivis.

Ce mécanisme, expressément prévu à l’article 815-17, alinéa 3, du Code civil, illustre la spécificité du régime de l’indivision, où les droits et obligations des indivisaires s’ancrent dans une solidarité patrimoniale collective, transcendant les relations individuelles.

Contrairement à la logique sous-tendant un droit de créance qui serait dirigé contre la quote-part de l’indivisaire débiteur, le prélèvement opéré par le solvens s’étend à l’ensemble des biens indivis. Cette caractéristique garantit au solvens une assise patrimoniale large, lui permettant de recouvrer sa créance sans être limité à la part théorique du débiteur dans l’indivision.

Aussi, en théorie, le droit de prélèvement peut s’exercer sur tout bien indivis, qu’il s’agisse de fonds ou de biens en nature. Cependant, en pratique, cette faculté peut soulever des difficultés. Si le solvens choisit un bien dont la valeur excède celle de sa créance, cela pourrait déséquilibrer l’indivision au détriment des autres indivisaires. Une telle situation nécessiterait alors le versement d’une soulte par le solvens afin de compenser l’écart et rétablir l’équilibre patrimonial entre les coïndivisaires.

Cette exigence de compensation trouve sa justification dans la volonté de prévenir tout abus de droit. Autoriser un solvens à prélever un bien indivis d’une valeur disproportionnée reviendrait à lui accorder un privilège excessif, notamment en matière de choix des biens. Cela pourrait également engendrer des conflits si plusieurs indivisaires ayant désintéressé des créanciers prétendaient exercer leur droit sur le même bien.

Afin d’éviter de tels déséquilibres, il est généralement admis que le prélèvement doit être limité aux biens indivis dont la valeur correspond précisément à la somme avancée par le solvens. Cette restriction, bien qu’évidente en droit, impose une rigueur dans l’exécution du prélèvement pour garantir une répartition équitable des biens lors de la liquidation de l’indivision.

==>Moment de l’exercice du droit de prélèvement

Le droit de prélèvement s’exerce exclusivement lors du partage, c’est-à-dire au moment de la liquidation définitive de l’indivision.

Contrairement aux créanciers de l’indivision mentionnés à l’article 815-17, alinéa 1, qui bénéficient d’un privilège d’antériorité pour être désintéressés sur l’actif avant le partage, le solvens ne peut réclamer un remboursement anticipé.

Cette règle garantit que les créanciers prioritaires soient désintéressés avant que le solvens ne puisse exercer son droit de prélèvement.

En cantonnant le prélèvement au moment du partage, la loi évite tout déséquilibre entre les droits des créanciers et ceux des coïndivisaires.

Elle protège également la stabilité de la masse indivise en préservant l’intégrité des biens indivis jusqu’à leur liquidation.

IV) Conditions d’exercice du droit au partage

A) Préexistence d’une indivision

1. Les éléments constitutifs de l’indivision

Bien que la notion d’indivision constitue une pierre angulaire du droit des biens, elle n’est définie par aucun texte.

Aussi, s’est-elle principalement construite à travers la doctrine et la jurisprudence, lesquelles se sont appuyés sur les articles 815 et suivants du Code civil.

De nombreuses approches de la notion d’indivision ont été proposées par les auteurs. Nous nous limiterons à en proposer trois :

  • L’approche classique
    • Selon cette approche, l’indivision désigne la situation juridique dans laquelle se trouvent plusieurs personnes (les coïndivisaires) qui sont propriétaires ensemble d’un même bien, chacune ayant des droits égaux sur la totalité du bien, sans qu’il y ait division matérielle de celui-ci.
    • Chaque coïndivisaire est réputé propriétaire de l’ensemble du bien, mais uniquement pour sa part et portion, soit sans pouvoir revendiquer un droit exclusif sur une partie déterminée du bien.
    • Cette approche repose sur une dissociation entre la chose, qui reste matériellement indivise, et le droit de propriété, qui a pour objet une quote-part abstraite attribuée à chaque propriétaire.
    • Ce droit n’est pas lié à une portion physique du bien, mais à une fraction arithmétique de la propriété totale, chaque indivisaire ayant un droit qui s’exerce sur chaque élément de la chose, sans qu’il soit possible d’identifier matériellement cette part.
  • L’approche fonctionnelle
    • Certains auteurs envisagent l’indivision en contemplation de sa fonction.
    • Pour eux, l’indivision est intrinsèquement provisoire, en ce sens qu’elle n’est pas une fin en soi mais un moyen temporaire de gérer un bien en attendant une résolution plus définitive de la situation à laquelle il est mis fin par l’opération de partage.
    • Cette conception s’appuie sur l’idée que les situations d’indivision naissent souvent de circonstances qui requièrent un dénouement futur.
    • Tel est notamment le cas lorsque l’indivision résulte d’une succession, d’un divorce ou de la dissolution d’une personne morale.
    • Dans le cadre d’une succession, par exemple, l’indivision survient lorsque les héritiers héritent d’un patrimoine commun sans qu’une répartition immédiate des biens soit possible ou souhaitée.
    • Le temps nécessaire à l’évaluation des actifs, au paiement des dettes du défunt, et à l’accord entre les parties sur la répartition des biens rend l’indivision inévitable.
    • De la même façon, lors d’un divorce, les ex-conjoints peuvent se retrouver en situation d’indivision pour la résidence familiale ou d’autres biens, jusqu’à ce que des arrangements financiers et personnels plus permanents puissent être mis en place.
    • Ces situations constituent, par nature, des terrains fertiles aux conflits entre coïndivisaires, car chaque partie peut avoir des attentes, des besoins financiers et des projets de vie divergents.
    • Les tensions peuvent surgir autour de la gestion des biens, leur utilisation, leur éventuelle valorisation ou leur vente.
    • L’indivision apparaît alors comme une solution permettant :
      • D’une part, d’assurer une transition vers la liquidation définitive des droits dont sont investies les parties sur un ou plusieurs biens
      • D’autre part, de prévenir les risques de mésententes, la loi offrant des mécanismes permettant aux coïndivisaires de demander à tout moment le partage, mais également des possibilités de gestion du bien par un ou plusieurs indivisaires voire, en cas de conflits, par un administrateur provisoire
  • L’approche économique
    • Il est des auteurs qui appréhendent l’indivision au regard de sa fonction économique.
    • Plus précisément, selon les tenants de cette approche, l’indivision offre une structure permettant une gestion collective des biens qui peut être plus efficace que la gestion individuelle, surtout dans des contextes où les ressources et compétences sont partagées.
    • Tel est notamment le cas s’agissant de la gestion d’un patrimoine ou d’une entreprise familiale.
    • Par ailleurs, l’indivision peut se révéler être un formidable outil permettant de réaliser des économies d’échelle en mutualisant les coûts liés à la gestion, l’entretien, et la valorisation des biens.
    • Par exemple, dans le cas d’une grande propriété agricole ou d’un immeuble, la gestion collective peut réduire les coûts unitaires et améliorer la rentabilité globale du patrimoine.
    • De plus, elle évite la fragmentation des biens qui pourrait en réduire la valeur économique et compliquer leur gestion.
    • Des auteurs voient également l’indivision comme une étape préparatoire au partage définitif des biens.
    • La période d’indivision peut servir à évaluer la meilleure manière de diviser les biens sans compromettre leur valeur économique ou leur utilité.
    • Cette phase peut être cruciale pour les entreprises familiales où un partage prématuré ou mal planifié pourrait nuire à l’entreprise elle-même.
    • Enfin, l’indivision peut être une forme d’organisation économique et sociale bénéfique, surtout lorsque les biens sont destinés à rester dans un cadre familial ou communautaire.
    • Elle permet non seulement une gestion efficace mais aussi un moyen de préserver le patrimoine pour les générations futures.

Malgré les différences qui distinguent ces approches, elles ont pour point commun d’admettre que l’existence d’une situation d’indivision est toujours subordonnée à la réunion de trois éléments constitutifs :

  • Une pluralité de personnes exerçant des droits concurrents
  • Les droits dont sont titulaires ces personnes doivent être de même nature
  • Ces droits doivent porter sur un même bien

a. Pluralité de personnes

Parce que l’indivision constitue une forme de propriété collective, elle ne se conçoit qu’en présence d’une pluralité de personnes qui exercent des droits concurrents sur un ou plusieurs biens.

Cette exigence conduit à exclure du domaine de l’indivision deux situations juridiques résultant des opérations que sont :

  • D’une part, la clause d’accroissement
  • D’autre part, le compte joint

==>La clause d’accroissement

La clause d’accroissement, qualifiée également de tontine ou de pacte tontinier, désigne le dispositif contractuel aux termes duquel plusieurs personnes stipulent dans l’acte d’acquisition d’un bien que, à la mort de l’un des acquéreurs, ses droits sur le bien accroissent ceux des survivants, jusqu’à ce que le dernier vivant devienne l’unique propriétaire.

Ce contrat vise ainsi, à chaque décès successif, à concentrer la propriété du bien sur la tête des survivants, le dernier survivant étant réputé avoir été le seul propriétaire dès l’origine de l’acquisition du bien.

Dans un premier temps, la Cour de cassation avait prohibé les clauses d’accroissement, considérant qu’elles s’analysaient en des pactes sur succession future (Cass. req. 24 janv. 1928).

Puis, dans un second temps, elle a opéré un revirement de jurisprudence en admettant la stipulation de telles clauses.

Pour échapper à la qualification de pacte sur succession future, la clause d’accroissement doit toutefois présenter un caractère aléatoire et être stipulée à titre onéreux (Cass. 3e civ. 3 févr. 1959).

Une fois le principe de validité des clauses d’accroissement acquis, la question se pose de savoir si la conclusion d’un pacte de tontine ne créerait pas une situation d’indivision entre les tontiniers.

À cette question, la Haute juridiction répond par la négative. Elle a effet jugé dans un arrêt du 27 mai 1986 que la clause d’accroissement rend « jusqu’au décès du prémourant incompatibles entre eux les droits des parties à la propriété de l’immeuble litigieux puisque seul le survivant en était titulaire depuis la date d’acquisition de ce bien » (Cass. 1ère civ. 27 mai 1986, n°85-10.031).

Il ressort de cette décision que la clause d’accroissement n’a nullement pour effet de conférer la qualité de propriétaire aux parties de telle sorte qu’ils se retrouveraient dans une situation d’indivision.

En application de cette clause, ce n’est que celui qui survit à tous les autres qui est réputé avoir été le seul propriétaire du bien. Quant à ceux prédécédés, ils sont réputés n’avoir jamais rien acquis.

À l’analyse, le pacte de tontine repose sur une technique juridique qui combine :

  • D’une part, une condition suspensive de la survie : elle confère au dernier survivant la propriété du bien acquis en tontine
  • D’autre part, une condition résolutoire du décès : elle dénie aux prémourants la qualité de propriétaire du bien acquis en tontine

Parce que la réalisation de ces deux conditions opère rétroactivement, les tontiniers ne peuvent jamais être titulaires, en même temps, d’un droit de propriété sur le bien.

D’où la position de la Cour de cassation qui n’admet pas la création d’une situation d’indivision par l’effet d’une clause d’accroissement.

Dans un arrêt du 17 décembre 2013, la Troisième chambre civile a ainsi expressément affirmé que « l’achat en commun d’un bien immobilier avec clause d’accroissement est exclusif de l’indivision » (Cass. 3e civ. 17 déc. 2013, n°12-15.453).

La conséquence en est l’impossibilité pour les tontiniers de solliciter le partage du bien à l’instar de la faculté reconnue aux coïndivisaires.

Compte tenu de l’absence d’indivision, est-ce à dire que les parties au pacte de tontine ne seraient investies d’aucuns droits concurrents sur le bien ? Il n’en est rien.

Dans un arrêt du 9 février 1994, la Cour de cassation a jugé que si la clause d’accroissement est exclusive de toute indivision « puisqu’il n’y aura jamais eu qu’un seul titulaire du droit de propriété », en revanche, tant que la condition suspensive – de survie – ne s’est pas réalisée, « les parties ont des droits concurrents qui emportent le droit pour chacune d’entre elles de jouir indivisément du bien » (Cass. 1ère civ. 9 févr. 1994, n°92-11.111).

Autrement dit, la clause d’accroissement a pour effet de créer une situation d’indivision, non pas en propriété, mais en jouissance à tout le moins tant qu’au moins deux tontiniers sont encore en vie

Dans un arrêt du 9 novembre 2011, la Cour de cassation en a déduit la faculté pour une partie de réclamer à l’autre une indemnité de jouissance au titre de l’occupation exclusive du bien acquis en tontine (Cass. 1ère civ. 9 nov. 2011, n°10-21.710).

==>Le compte joint

L’ouverture d’un compte joint est le fait, le plus souvent, des personnes mariées, pacsées ou vivant en concubinage qui l’utilisent aux fins d’accomplir les opérations relatives à l’entretien du ménage.

Il se caractérise par la situation de ses cotitulaires qui exercent les mêmes droits sur l’intégralité des fonds inscrits en compte.

Compte tenu de l’existence d’une situation de concours entre les droits des cotitulaires d’un compte joint, la question se pose de savoir si l’ouverture d’un tel compte ne créerait pas une situation d’indivision.

Une brève analyse du régime juridique applicable au compte joint conduit à répondre par la négative.

En effet, le compte joint est régi par les principes de solidarité active et passive. Or il s’agit là de deux principes qui sont incompatibles avec le mécanisme de l’indivision.

  • S’agissant de la solidarité active
    • Elle confère une grande autonomie de gestion aux cotitulaires d’un compte joint.
    • Chacun peut accomplir seul des opérations susceptibles d’affecter la totalité du compte sans qu’il soit nécessaire d’obtenir l’approbation des autres titulaires.
    • Cette autonomie contraste fortement avec le régime de l’indivision où chaque acte de gestion nécessite, par principe, l’accord de tous les coïndivisaires, à tout le moins de la majorité d’entre eux pour l’accomplissement de certains actes.
  • S’agissant de la solidarité passive
    • Elle implique que chaque titulaire du compte est tenu solidairement par les engagements souscrits par tous les autres.
    • Ainsi, en cas de solde débiteur, le banquier peut se retourner contre n’importe quel titulaire du compte et lui réclamer le paiement de l’intégralité des sommes dues.
    • Cette solidarité passive qui lie les cotitulaires d’un compte joint ne se retrouve pas dans une indivision.
  • En effet, les coïndivisaires ne sont tenus qu’à une obligation conjointe envers les créanciers de l’indivision, ce qui signifie qu’ils ne peuvent être actionnés en paiement qu’à concurrence de la quote-part qu’ils détiennent.

b. Identité des droits

==>Principe

Pour que plusieurs propriétaires soient regardés comme se trouvant en situation d’indivision, ils doivent être titulaires de droits concurrents qui sont de même nature.

Par même nature, il faut comprendre que les droits réels qui sont en concours portent sur un ou plusieurs démembrements du droit de propriété qui correspondent.

Ainsi, par exemple, il ne saurait y avoir d’indivision entre un usufruitier et un nu-propriétaire.

La raison en est que les droits de nue-propriété et d’usufruit ne confèrent pas à leurs titulaires les mêmes prérogatives de sorte qu’ils peuvent être exercés séparément.

Or cette séparation quant à l’exercice de droits réels est incompatible avec le fonctionnement unitaire d’une indivision dont la gestion est gouvernée par le principe de codécision.

Au fond, tandis que les coïndivisaires se tiennent côte à côte, l’usufruitier et le nu-propriétaire sont placés dans des situations qui se superposent.

À cet égard, la jurisprudence est constante sur cette question. Dans un arrêt du 31 octobre 2000 la Cour de cassation a expressément affirmé qu’« il est de principe qu’il n’y a pas indivision entre usufruitier et nu-propriétaire » (Cass. 3e civ. 31 oct. 2000, n°97-20.732).

Dans un arrêt du 12 février 2020, elle a encore jugé « qu’il n’existe pas d’indivision entre l’usufruitier et le nu-propriétaire dont les droits sont de nature différente » (Cass. 1ère civ. 12 févr. 2020, n°18-22.537).

L’enjeu ici réside dans la faculté des titulaires de droits réels de solliciter le partage du bien et plus précisément pour un usufruitier et un nu-propriétaire de mettre fin prématurément au démembrement du droit de propriété.

La fin de ce démembrement ne peut toutefois intervenir qu’à la mort de l’usufruitier. Aussi, ne saurait-on contourner cette règle en convoquant des droits – au cas particulier le droit au partage – qui ne sont reconnus qu’aux seuls titulaires de droits indivis.

Il peut être observé que le même raisonnement peut être tenu s’agissant du tréfonds (la propriété du sous-sol) et de la superficie (la propriété de la surface).

En effet, l’un et l’autre font l’objet de droits de propriétés distincts, de sorte que le tréfoncier et le superficiaire ne sauraient être regardés comme se trouvant en situation d’indivision.

À l’instar de l’usufruitier et du nu-propriétaire, ils sont titulaires de droits, non pas qui se tiennent côte à côte, mais qui se superposent.

==>Mise en œuvre

Si l’exigence d’identité des droits conduit à dénier au nu-propriétaire et à l’usufruitier la qualité de coïndivisaire, il est en revanche admis que puisse exister une situation d’indivision entre titulaires de démembrements du droit de propriété, pourvu que ces démembrements soient de même nature.

Dans un arrêt du 7 juillet 2016, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « l’indivision s’entend de la coexistence de droits de même nature sur un même bien [de sorte] qu’elle peut ne porter que sur une partie des droits des intéressés » (Cass. 3e civ. 7 juill. 2016, n°15-10.278).

Aussi, l’indivision est-elle susceptible d’intervenir dans plusieurs configurations :

  • Concours entre droits de nue-propriété
    • Il est des cas où la nue-propriété d’un bien appartient à plusieurs personnes.
    • Dans cette configuration, elles se trouveront alors en situation d’indivision.
    • Il en résulte que chaque nue-propriétaire pourra se prévaloir de son droit au partage de la nue-propriété.
  • Concours entre droits d’usufruit
    • Lorsque l’usufruit appartient à plusieurs usufruitiers il est également admis qu’existe entre eux une situation d’indivision.
    • Là encore, chaque usufruitier pourra faire valoir son droit à provoquer un partage de l’usufruit.
  • Concours entre droits d’usage et d’habitation
    • Pour mémoire, les droits d’usage et d’usufruit ne sont autres que des diminutifs de l’usufruit en ce sens qu’ils confèrent à leur titulaire un droit de jouissance restreint sur la chose :
      • S’agissant du droit d’usage, il autorise à se servir de la chose et à en percevoir les fruits « qu’autant qu’il lui en faut pour ses besoins et ceux de sa famille » (art. 630, al. 1er C. civ.).
      • S’agissant du droit d’habitation, il permet seulement d’utiliser la chose aux fins seulement d’habitation. Tout au plus, dit l’article 632 du Code civil, « celui qui a un droit d’habitation dans une maison peut y demeurer avec sa famille ». Ce droit doit toutefois rester restreint « à ce qui est nécessaire pour l’habitation de celui à qui ce droit est concédé et de sa famille. »
    • Parce qu’ils s’établissent et se perdent de la même manière que l’usufruit, les droits d’usage et d’habitation s’analysent en des droits réels.
    • La question qui alors se pose est de savoir s’il se crée, lorsqu’ils sont en concours, une situation d’indivision.
    • À cette question, la Cour de cassation a répondu par l’affirmative dans son arrêt rendu le 7 juillet 2016.
    • Aux termes de cette décision, elle a jugé, en effet, que « le propriétaire d’un bien, qui a le droit de jouir de son bien de la façon la plus absolue, dispose de droits concurrents avec le titulaire d’un droit d’usage et d’habitation s’exerçant conjointement sur le bien et qu’il existe par conséquent une indivision entre eux quant à ce droit d’usage et d’habitation » (Cass. 3e civ. 7 juill. 2016, n°15-10.278).
  • Concours entre l’usufruit et la pleine propriété
    • Il peut arriver qu’un droit d’usufruit soit en concours avec un droit de pleine propriété.
    • Ce cas correspond à l’hypothèse où l’usufruit n’est que partiel, et que le surplus appartienne à une ou plusieurs personnes qui sont également nus-propriétaires.
    • La question qui alors se pose est de savoir s’il existe une situation d’indivision entre l’usufruitier et le plein propriétaire.
    • Une première approche consisterait à répondre négativement, compte tenu de ce que l’usufruit et la nue-propriété sont des droits réels de nature différente.
    • Or l’existence d’une indivision est subordonnée à l’existence d’un concours entre droits réels de même nature.
    • Une deuxième approche pourrait consister à envisager qu’une indivision se crée en usufruit.
    • Reste que l’article 578 prévoit que « l’usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété », de sorte que l’on ne peut pas jamais être regardé comme usufruitier de sa propre chose.
    • Selon une dernière approche, le concours entre un droit d’usufruit et un droit de pleine propriété ferait naître une indivision, non pas en usufruit, mais en jouissance.
    • C’est dans ce sens que la jurisprudence s’est positionnée.
    • Dans un arrêt du 25 juin 1974, la Cour de cassation a ainsi expressément affirmé que « lorsque le droit de l’usufruitier porte sur une quote-part d’un bien, il y a une indivision entre lui et le plein-propriétaire du surplus quant à la jouissance » (Cass. 1ère civ. 25 juin 1974, n°72-12.451).

c. Identité d’objet

Pour que plusieurs personnes se trouvent en situation d’indivision, les droits réels concurrents dont elles sont titulaires doivent avoir le même objet.

À cet égard, l’indivision peut porter, tant sur un bien unique, que sur plusieurs biens.

Il est également admis qu’une indivision puisse porter sur une universalité, tel que, par exemple, un fonds de commerce.

S’agissant de la nature des biens objets de l’indivision, il est indifférent qu’il s’agisse d’un meuble ou d’un immeuble. Il importe peu également que l’on soit en présence d’une chose corporelle ou incorporelle.

2. Les sources de l’indivision

Il est plusieurs circonstances susceptibles de conduire à une situation d’indivision. Ces circonstances peuvent être voulues ou subies.

Nous nous limiterons, dans les développements qui suivent, à aborder les principales sources de l’indivision.

2.1. L’indivision résultant de l’ouverture d’une succession

Lorsqu’une personne décède et laisse derrière elle plusieurs héritiers, ces derniers sont immédiatement investis de droits concurrents, de même nature, sur un ou plusieurs bien ayant appartenu au défunt.

C’est alors que se crée entre eux, dès l’ouverture de la succession, une situation d’indivision.

Il peut être observé que l’indivision successorale peut résulter :

  • D’une part, de la loi qui, en l’absence de disposition testamentaire, désigne les personnes ayant vocation à hériter du de cujus et détermine leurs droits dans la succession
  • D’autre part, d’une disposition testamentaire qui peut instituer plusieurs personnes comme légataires d’un même bien ou d’un même ensemble de biens
  • Enfin, d’une donation qui serait consentie à plusieurs personnes et qui porterait là encore sur un même bien ou sur un même ensemble de biens

Dans ces trois cas, il est nécessaire de régir les rapports entre successeurs lesquels sont titulaires de droits concurrents ayant un objet identique, alors même qu’ils sont susceptibles d’avoir des intérêts divergents, voire opposés.

C’est là tout l’enjeu, sinon la raison d’être de l’indivision : assurer la coexistence des droits et intérêts de chacun.

2.2. L’indivision résultant de la dissolution d’une communauté matrimoniale

Lorsque deux personnes se marient et optent pour un régime dit communautaire (par exemple le régime légal), les biens qu’elles acquièrent – ensemble ou séparément – et certains biens qu’elles apportent, viennent abonder ce que l’on appelle une communauté.

Cette communauté présente la particularité de consister en une masse de biens distincte de celles composées de biens appartenant en propre aux époux.

D’aucuns se sont demandé si, compte tenu de cette particularité, la communauté ne s’analyserait pas, au fond, en une forme d’indivision. Bien que séduisante, cette thèse n’est toutefois pas sans faille.

Tout d’abord, l’indivision se caractérise par sa nature temporaire ; elle n’a pas vocation à durer dans le temps. Tel n’est pas le cas de la communauté qui ne prend fin que dans les cas limitativement énumérés par la loi.

Ensuite, l’indivision constitue un ensemble de biens inorganisé, en ce sens qu’il n’est ni de répartition, ni d’aménagement des pouvoirs entre les indivisaires, puisque, pour la très grande majorité des actes de gestion du bien indivis, c’est la règle de l’unanimité qui préside à la prise de décision.

S’agissant, tout au contraire, des biens composant la communauté conjugale, les pouvoirs d’administration et de gestion des époux sont définis avec précision par la loi.

Selon la nature du bien concerné et la gravité de l’opération en cause, les pouvoirs dont sont investis les époux sur les biens communs diffèrent. Tantôt la loi admet une gestion concurrente, tantôt elle exige une gestion conjointe. Il est encore des cas où elle instaure un principe de gestion exclusive.

S’il est indéniable que la communauté conjugale et l’indivision sont deux institutions qui, en raison de leurs caractéristiques, sont proches, elles ne se confondent pas.

C’est ainsi que la Cour de cassation a refusé d’appliquer les règles relatives aux récompenses pour un bien acquis en indivision avant le mariage des époux, puisque n’ayant pas le caractère de bien commun (Cass. 1ère civ. 22 juill. 1985, n°84-14.173).

Par cette décision, la Première chambre civile refuse d’assimiler un bien indivis à un bien commun. C’est là la preuve qu’ils obéissent à des régimes juridiques distincts, à tout le moins aussi longtemps que la communauté perdure. Car lorsque celle-ci prend fin, les biens communs tombent en indivision.

Pour mémoire, il est plusieurs événements susceptibles de mettre fin à l’existence de la communauté. L’article 1441 du Code civil prévoit en ce sens que La communauté se dissout :

  • par la mort de l’un des époux ;
  • par l’absence déclarée ;
  • par le divorce ;
  • par la séparation de corps ;
  • par la séparation de biens ;
  • par le changement du régime matrimonial.

Aussi, lorsque la communauté prend fin, indépendamment de la répartition des biens qui la composent, se pose la question des règles organisant la gestion de ces biens dans l’attente du dénouement des opérations de partage.

Spontanément, il apparaît que l’institution qui serait la plus à même de fournir des règles de gestion temporaire des biens issus d’une communauté conjugale dissoute n’est autre que l’indivision.

Ce mécanisme juridique a, en effet, été précisément pensé pour encadrer la situation de biens se trouvant dans un état transitoire. Sans grande surprise, c’est cette solution qui a été retenue par le législateur.

Ainsi, résulte-t-il de la dissolution d’une communauté conjugale, pour quelle que cause que ce soit, la constitution d’une indivision post-communautaire.

Les biens qui, dès lors, composaient la masse commune se transforment, sous l’effet de la dissolution de la communauté, en biens indivis. La conséquence en est un changement des règles applicables.

Tandis que les biens communs sont soumis au droit des régimes matrimoniaux, et plus précisément aux règles qui régissent la communauté conjugale, les biens indivis obéissent quant à eux au droit commun de l’indivision.

À compter du jour de la dissolution de la communauté, ce sont donc les articles 815 et suivants du Code civil qui s’appliquent aux biens relevant de l’indivision post-communautaire.

2.3. L’indivision résultant de l’adoption d’un régime matrimonial séparatiste

Lorsque deux personnes se marient, elles peuvent choisir d’opter pour un régime matrimonial séparatiste plutôt que pour le régime de la communauté réduite aux acquêts.

Les régimes séparatistes se caractérisent par l’absence de création d’une masse commune de biens qui serait alimentée par les biens présents et futurs acquis par les époux.

Aussi, ces derniers conservent-ils, en principe, la propriété en propre de tous les biens qu’ils ont apportés ou qu’ils acquièrent au cours du mariage.

La vie conjugale implique toutefois que les époux mettent en commun les biens qu’ils acquièrent séparément.

Sous l’effet du temps, les biens, en particulier les meubles, qui leur appartiennent en propre sont alors susceptibles de se confondre avec ceux qui appartiennent au conjoint et réciproquement.

Cette situation est, par hypothèse, de nature à rendre pour le moins difficile l’attribution à l’un et l’autre époux de la propriété des biens qui ont été confondus.

Aussi, afin de faciliter la preuve de la propriété de ces biens, le législateur a institué une règle qui, lorsqu’existe une incertitude sur la propriété d’un bien, fait présumer ce bien appartenir aux époux en indivision.

a. Présomption d’indivision

Issu de la loi n°65-570 du 13 juillet 1965, l’article 1538 du Code civil prévoit que « les biens sur lesquels aucun des époux ne peut justifier d’une propriété exclusive sont réputés leur appartenir indivisément, à chacun pour moitié ».

Par le jeu de cette présomption est ainsi instituée une masse indivise de biens qui, à certains égards, se rapproche de la masse commune instituée sous les régimes communautaires.

Elle s’en distingue néanmoins en ce que les biens qui la composent sont soumis au seul droit de l’indivision.

Il en résulte que le sort de cette masse indivise n’est pas lié à la durée du mariage. Plus précisément, cette masse peut cesser d’exister avant la dissolution du mariage, ce qui n’est pas le cas de la communauté qui est instituée pour toute la durée de l’union matrimoniale.

À l’analyse, la présomption d’indivision est un dispositif qui permet d’atténuer le principe de séparation des patrimoines qui préside au régime de la séparation de biens.

Comme observé par Gulsen Yildirimn elle « permet d’introduire un facteur d’équité dans l’établissement de la composition des patrimoines des époux. »

D’autres auteurs soulignent qu’« il est significatif de voir ainsi s’établir une union des intérêts pécuniaires, subrepticement en quelque sorte, et à la faveur d’une absence de preuve. Cela autorise à penser qu’une certaine communauté de meubles est peut-être, elle aussi, dans la nature des choses »[5].

S’agissant des effets de cette présomption, elle conduira les époux à se partager le bien lors de la dissolution du mariage.

Le partage donnera lieu à réparation du bien en deux parts égales, celui-ci étant présumé appartenir conjointement aux époux pour moitié.

Il peut être observé que la présomption d’indivision instituée à l’article 1538 du Code civil n’est pas sans limite. Elle peut être combattue par la preuve contraire.

b. Preuve de la propriété

==>La charge de la preuve

En l’absence de présomption conventionnelle de propriété, la charge de la preuve pèse sur l’époux qui revendique la propriété d’un bien.

L’article 1538, al. 1er du Code civil prévoit en ce sens que « tant à l’égard de son conjoint que des tiers, un époux peut prouver par tous les moyens qu’il a la propriété exclusive d’un bien. »

Il peut être observé que si la règle énoncée par cette disposition ne vise que le cas où celui qui se prévaut de la propriété d’un bien est un époux, elle s’applique également à l’hypothèse où c’est un tiers qui cherchera à attribuer la propriété d’un bien à l’un ou l’autre époux.

Il y aura notamment intérêt lorsqu’il voudra exercer des poursuites sur ce bien, au titre d’une créance qu’il détient contre son débiteur.

==>Objet de la preuve

La preuve de la propriété n’est pas des plus aisée à rapporter. Pour y parvenir, il convient, en effet, d’établir irréfutablement la légitimité du rapport d’appropriation d’un bien. Or cela suppose d’être en mesure de remonter la chaîne des transferts successifs de propriété jusqu’au premier propriétaire, ce qui, a priori, est impossible.

D’où la présentation de la preuve de la propriété comme la « probatio diabolica », car seul le diable serait en capacité de la rapporter.

Quoi qu’il en soit, cette preuve doit être rapportée par l’époux qui revendique la propriété d’un bien, faute de quoi, conformément au troisième alinéa de l’article 1538 du Code civil, le bien revendiqué sera réputé appartenir indivisément à chacun des époux pour moitié.

Cette preuve de la propriété est-elle insurmontable ? Il n’en est rien. Comme observé par le Professeur Revêt « la propriété se prouve par sa cause : l’acquisition ».

Aussi, la propriété d’un bien se prouvera différemment selon le mode d’acquisition de ce bien. Il convient, en particulier, de distinguer les modes d’acquisition originaires, des modes d’acquisition dérivés.

  • L’acquisition originaire
    • Il s’agit du mode d’acquisition qui confère à l’acquéreur un droit de propriété qu’il ne tient pas d’autrui
    • Le droit dont il est titulaire n’a été exercé par personne et résulte d’un fait juridique.
    • Tel est le cas de l’occupation, de la prescription, de la présomption de propriété ou encore de l’accession
    • Dans cette configuration, l’acquisition de la propriété n’exige pas que l’acquéreur noue un rapport juridique avec une autre personne.
    • L’acquisition n’intéresse que lui et la chose
    • La preuve de la propriété consistera donc ici à établir les circonstances de création de ce lien entre le propriétaire et la chose
      • En cas d’acquisition d’un bien par occupation, il s’agira de démontrer l’entrée en possession de la chose et la volonté d’en être le propriétaire
      • En cas d’acquisition par prescription, il s’agira de démontrer que la possession est caractérisée, tant dans ses éléments constitutifs, que dans ses caractères.
      • En cas d’acquisition par accession, il conviendra de rapporter la preuve du fait d’accroissement ou de production.
  • L’acquisition dérivée
    • Il s’agit du mode d’acquisition qui confère à l’acquéreur un droit de propriété par voie de transfert du droit
    • Autrement dit, le bien appartenait, avant le transfert de sa propriété, à une autre personne, de sorte que l’acquéreur détient son droit d’autrui.
    • Ce mode d’acquisition de la propriété procède toujours de l’accomplissement d’un acte juridique, tels qu’un contrat, un échange, un testament, une donation etc.
    • Dans cette configuration, un rapport juridique doit nécessairement se créer pour que l’acquisition emporte transfert de la propriété
    • La preuve de la propriété consistera ici à établir l’existence d’un transfert de propriété et plus précisément à remonter le fil des transmissions, ce qui ne sera pas sans soulever des difficultés en matière mobilière.

==>Les modes de preuve

S’agissant des modes de preuves admis quant à établir la propriété d’un bien, l’article 1538 du Code civil prévoit que la preuve peut être rapportée « par tous moyens ».

Cela signifie que tous les modes de preuves sont admis. Est-ce à dire qu’ils se valent tous ? Il n’en est rien.

Le titre de propriété est, sans aucun doute, le mode de preuve qui est pourvu de la plus grande force probante.

Reste qu’il ne sera établi, en général, que pour les immeubles étant précisé que la jurisprudence considère que « sous le régime de la séparation de biens, le bien appartient à celui dont le titre établit la propriété sans égard à son financement » (Cass. 1ère civ. 31 mai 2005, n°02-20.553).

Autrement dit, il est indifférent que le bien ait été financé par un époux en particulier : le titre prime en tout état de cause sur la finance. C’est donc l’époux titulaire du titre qui endosse la qualité de propriétaire du bien.

S’agissant des meubles, cette question ne se posera pas, à tout le moins qu’à titre exceptionnel, dans la mesure il est rare qu’un titre de propriété soit établi lors de l’acquisition de cette catégorie de biens.

Parfois, les meubles acquis avant le mariage feront l’objet d’une énumération dans le contrat de mariage, ce qui permettra d’éviter que les époux se disputent la propriété de ces biens lors de la liquidation de leur régime matrimoniale.

Pour les meubles acquis au cours du mariage, sauf à ce qu’ils aient été expressément visés dans une donation ou un testament, la possession devrait constituer le mode normal de preuve de la propriété.

Reste que pour produire ses effets, elle doit présenter les caractères requis par l’article 2261 du Code civil qui prévoit que « pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire. »

Il ressort de cette disposition que pour être efficace, la possession ne doit être affectée d’aucun vice. Elle doit, autrement dit, être utile.

Par utile, il faut entendre susceptible de fonder une prescription acquisitive. On dit alors que la possession est utile ad usucapionem, soit par l’usucapion.

Si la situation des époux séparés de biens ne fait pas obstacle à la réunion des trois premiers caractères de la possession utile (continue, paisible et publique), il en va différemment de l’exigence tenant à l’absence d’équivoque.

Par hypothèse, les époux, quel que soit le régime matrimonial auquel ils sont soumis, partagent une communauté de vie, ce qui implique qu’ils mettent en commun leurs biens meubles.

Aussi, s’avérera-t-il délicat de déterminer si le possesseur détient la chose à titre exclusif ou si la possession est partagée.

Cette situation conduit, en pratique, à une confusion des biens meubles, ce qui est de nature à rendre la possession équivoque.

Compte tenu de la difficulté à établir l’absence d’équivoque de la possession pour les biens meules, la Cour de cassation a jugé, dans un arrêt du 7 novembre 1995, que « les règles de preuve de la propriété entre époux séparés de biens, édictées par l’article 1538 du Code civil, excluent l’application de l’article 2279 [nouvellement 2276] du même Code » (Cass. 1ère civ. 7 nov. 1995, n°92-10.051).

Ainsi, pour la Première chambre civile, la règle énoncée à l’article 2276 du Code civil qui confère un titre de propriété à celui qui possède – de bonne foi – un meuble, est paralysée sous l’effet du régime de la séparation de biens.

Bien que vivement critiquée par les auteurs, cette position a été confirmée dans un arrêt du 27 novembre 2001 (Cass. 1ère civ. 27 nov. 2001, n°99-10.633).

Dans ces conditions, la preuve de la propriété devra se faire selon d’autres moyens, ce qui pourra consister à produire des témoignages et plus généralement toutes sortes d’indices.

Ces indices pourront notamment résulter de factures, bien qu’il ne s’agisse pas d’un écrit au sens du droit de la preuve.

Dans un arrêt du 10 mars 1993, la Cour de cassation a jugé en ce sens, au visa de l’article 1538 du Code civil, « qu’une facture, même non acquittée, est de nature à établir, sauf preuve contraire, l’acquisition d’un bien par celui au nom duquel elle est établie » (Cass. 1ère civ. 10 mars 1993, n°91-13.923).

Elle ajoute, dans cette même décision, « que la propriété d’un bien appartient à celui qui l’a acquis sans qu’il y ait lieu d’avoir égard à la façon dont l’acquisition a été financée ».

Les factures ne sont pas les seuls indices susceptibles de prouver la propriété d’un bien acquis par un époux séparé de biens. La jurisprudence a également admis que la preuve puisse être rapportée au moyen de certificats de garantie ou d’origine (CA Versailles 12 déc. 1988).

Pour les véhicules immatriculés, la preuve de leur propriété pourra résulter de la carte grise qui a été établie au nom d’un époux (CA Paris, 4 févr. 1982).

Si, en droit commun de la preuve, on n’accorde aux documents qui ne remplissent pas les conditions d’un écrit qu’une faible valeur probante, car ne prouvant, tout au plus, que le paiement par celui au nom duquel ils sont établis, à l’analyse, il en va différemment lorsque la preuve est rapportée dans le cadre matrimonial.

La jurisprudence reconnaît, en effet, aux indices que sont les factures, les certificats et autres documents contractuels, la valeur d’une présomption simple, en ce sens qu’ils permettent d’établir la propriété du bien jusqu’à la preuve contraire.

C’est là une certaine faveur qui est consentie aux époux séparés de bien pour lesquels le fardeau de la preuve se trouve ainsi allégé.

2.4. L’indivision résultant de la dissolution d’une société

Tout comme les personnes physiques dont la vie prend fin par la mort, les sociétés ont également vocation à disparaître. Ce qui met fin à l’existence de ces dernières, c’est la dissolution.

Classiquement, on définit la dissolution comme l’acte juridique qui anéantit l’existence de la personne morale. Autrement dit, c’est le processus qui marque la cessation de l’activité de la société et la disparition de sa personnalité juridique. La dissolution peut en quelque sorte être regardée comme la « mort » juridique de la société.

À la différence toutefois de la mort qui frappe une personne physique, la dissolution ne produit pas d’effet instantané, en ce sens qu’elle n’emporte pas extinction immédiate de tous les droits et obligations de la personne morale.

Avant que le pacte social conclu par les associés ne cesse définitivement de produire des effets, il doit être procédé à la conduite de deux catégories d’opérations qui se succèdent :

  • Les opérations de liquidation
  • Les opérations de partage

==>Les opérations de liquidation

La dissolution d’une société donne lieu à ce que l’on appelle la phase de liquidation.

Classiquement on définit la liquidation comme l’ensemble des opérations qui, consécutivement à la dissolution de la société, visent à :

  • D’une part, exécuter les engagements souscrits, désintéresser les créanciers, et recouvrer les créances sociales.
  • D’autre part, procéder à la répartition de l’actif net entre tous les associés, soit l’actif subsistant après le règlement du passif social

Il peut être observé que pendant cette phase transitoire qu’est la liquidation, conformément à l’article 1844-8, al. 3e du Code civil, la personnalité morale de la société subsiste pour les besoins de la liquidation jusqu’à la publication de la clôture de celle-ci.

Il en résulte que, aussi longtemps que perdurent les opérations de liquidation, la société conserve la propriété de son patrimoine, les associés n’étant titulaires que de droits sociaux.

Aussi, ce n’est qu’à compter de la clôture de la liquidation de la société que ces derniers se voient reconnaître des droits sur l’actif social, à tout le moins si le règlement du passif laisse subsister des éléments d’actif.

S’ouvre alors une seconde phase : le partage.

==>Les opérations de partage

La clôture de la liquidation de la société, qui emporte disparition définitive de la personne morale, donne lieu à ce que l’on appelle la phase de partage.

Cette phase recouvre l’ensemble des opérations qui vise à répartir entre les ex-associés les biens issus des opérations de liquidation.

La personne morale ayant disparu, se pose alors la question du statut de ces biens dans l’attente du dénouement des opérations de partage.

Pour le déterminer, il convient de se tourner vers l’article 1844-9 du Code civil d’où il s’évince que, consécutivement à la clôture de la liquidation, l’actif social tombe en indivision.

Ce sont donc les règles de l’indivision qui ont vocation à régir les rapports entre ex-associés quant à la gestion des biens qu’ils ont vocation à se répartir.

À cet égard, si le partage de l’actif social entre ex-associés est présenté comme la suite naturelle de la liquidation de la société, il n’y a là rien d’obligatoire.

L’article 1844-9 du Code civil prévoit, en effet, que « tous les associés, ou certains d’entre eux seulement, peuvent aussi demeurer dans l’indivision pour tout ou partie des biens sociaux. »

3. L’indivision résultant de l’acquisition d’un bien en commun

Si la plupart du temps l’indivision est une situation qui est subie par les coïndivisaires, il est des cas où elle peut être choisie.

Il en va notamment ainsi lorsque plusieurs personnes décident d’acquérir un bien en commun.

L’acquisition en commun d’un bien ne donne toutefois pas systématiquement lieu à une situation d’indivision. Le statut du bien dépend de la nature des relations entretenues par les acquéreurs.

Le régime applicable diffère notamment selon que l’achat est ou non réalisé par des personnes qui vivent en couple.

3.1. L’acquisition d’un bien en commun dans le cadre d’un couple

a. Les couples mariés

a.1. L’acquisition d’un bien en commun dans le cadre d’un régime communautaire

Lorsque deux personnes se marient, elles sont libres d’opter pour un régime dit communautaire (par exemple le régime légal).

La conséquence en est que, par principe, tous les biens qu’elles acquièrent – ensemble ou séparément – pendant le mariage viennent abonder une masse commune de biens que l’on appelle communauté.

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir quel statut reconnaître à ces biens – qualifiés également d’acquêts – qui forment la communauté conjugale ?

Pour certains auteurs, les acquêts endossent la qualification de biens indivis. D’autres soutiennent qu’ils répondent à un statut qui leur est propre et que, par voie de conséquence, ils ne sont pas soumis aux règles de l’indivision.

À l’analyse, c’est la seconde thèse qui emporte l’adhésion de la doctrine majoritaire, laquelle est corroborée par la jurisprudence qui systématiquement refuse d’appliquer aux biens communs les règles de l’indivision et inversement d’appliquer des règles issues du régime matrimonial à des biens acquis par un époux en indivision (Cass. 1ère civ. 22 juill. 1985, n°84-14.173, n°84-14.173).

Aussi, faut-il considérer que, par principe, les biens acquis par des époux mariés sous un régime de communauté échappent à la qualification de biens indivis. Ils appartiennent à une masse de biens – la communauté – qui, si elle comporte des similitudes avec une indivision, ne se confond pas avec cette institution.

a.2. L’acquisition d’un bien en commun dans le cadre d’un régime séparatiste

i. Principe général

Lorsque les époux sont mariés sous le régime de la séparation de biens, le principe de séparation des patrimoines implique que chacun conserve la propriété de ses biens présents et futurs.

Faute d’instauration d’une communauté, les éléments d’actif que les époux acquièrent séparément, à commencer par leurs revenus, n’ont donc pas vocation à alimenter une troisième masse de biens.

C’est la raison pour laquelle, sous le régime de la séparation de biens, les époux en conservent nécessairement la propriété à titre individuel, sans que l’enrichissement que leur procure l’acquisition faite ne puisse, par un transfert de valeur, profiter au patrimoine du conjoint.

ii. Tempéraments

Le Code civil prévoit une exception au principe de séparation des patrimoines lorsque le bien appartient aux époux en indivision.

Cette indivision peut résulter :

  • Soit de l’acquisition conjointe d’un bien
  • Soit de présomptions d’indivision

?: L’acquisition conjointe d’un bien par les époux

Il n’est pas rare que les époux séparés de biens réalisent des acquisitions conjointement, en particulier lorsqu’il s’agit d’acquérir un bien pourvu d’une valeur patrimoniale importante, tel que le logement de famille ou une résidence secondaire.

Lorsqu’ils acquièrent un bien ensemble, il leur appartient en indivision, étant précisé que les quotes-parts attribuées à l’un et l’autre peuvent être déterminées dans l’acte constatant l’acquisition. À défaut, les époux sont réputés être propriétaires du bien indivis à parts égales.

Quoi qu’il en soit, les biens acquis conjointement par les époux séparés de biens ne composent, en aucune façon, une troisième masse de biens à l’instar de la communauté instaurée sous le régime légal.

Il s’agit de biens soumis au seul droit de l’indivision qui se compose de deux corps de règles :

  • Les règles générales énoncées aux articles 815 et suivants du Code civil qui s’appliquent en l’absence de convention contraire
  • Les règles spéciales énoncées aux articles 1873-1 et suivants du Code civil lorsqu’une convention relative à l’exercice des droits indivis a été conclue entre les époux.

Il peut être observé que, dès lors que l’acte d’acquisition constate que le bien a été acquis conjointement par les époux, il est réputé leur appartenir en copropriété, peu importe qu’il ait été financé par un seul des époux.

Dans un arrêt du 14 novembre 2007, la Cour de cassation validé en ce sens une décision de Cour d’appel qui, après avoir relevé qu’aux termes de l’acte de vente, le terrain avait été acquis indivisément chacun pour moitié par les époux séparés de biens, avait décidé que l’épouse, propriétaire pour moitié du terrain, « devait être présumée propriétaire pour moitié de l’immeuble qui y avait été édifié, les modalités de financement de la construction de cet immeuble n’étant pas, à elles seules, de nature à établir la preuve contraire » (Cass. 1ère civ. 14 nov. 2007, n°06-18.395).

?: Les présomptions d’indivision

Les présomptions d’indivision peuvent avoir deux sources différentes :

  • La loi
  • La volonté des époux

==>La présomption d’indivision légale

La vie conjugale implique que les époux mettent en commun les biens qu’ils acquièrent séparément.

Sous l’effet du temps, les biens, en particulier les meubles, qui leur appartiennent en propre sont alors susceptibles de se confondre avec ceux qui appartiennent au conjoint et réciproquement.

Cette situation est, par hypothèse, de nature à rendre pour le moins difficile l’attribution à l’un et l’autre époux de la propriété des biens qui ont été confondus.

Aussi, afin de faciliter la preuve de la propriété de ces biens, le législateur a institué une règle qui, lorsqu’existe une incertitude sur la propriété d’un bien, fait présumer ce bien appartenir aux époux en indivision.

Cette règle, qui est issue de la loi n°65-570 du 13 juillet 1965, est énoncée à l’article 1538 du Code civil qui prévoit que « les biens sur lesquels aucun des époux ne peut justifier d’une propriété exclusive sont réputés leur appartenir indivisément, à chacun pour moitié ».

Par le jeu de cette présomption est ainsi instituée une masse indivise de biens qui, à certains égards, se rapproche de la masse commune instituée sous les régimes communautaires.

Elle s’en distingue néanmoins en ce que les biens qui la composent sont soumis au seul droit de l’indivision.

Il en résulte que le sort de cette masse indivise n’est pas lié à la durée du mariage. Plus précisément, cette masse peut cesser d’exister avant la dissolution du mariage, ce qui n’est pas le cas de la communauté qui est instituée pour toute la durée de l’union matrimoniale.

En effet, l’article 815 du Code civil prévoit que « nul ne peut être contraint à demeurer dans l’indivision et le partage peut toujours être provoqué, à moins qu’il n’y ait été sursis par jugement ou convention. ». La situation d’indivision peut donc cesser à tout instant du mariage.

À l’analyse, la présomption d’indivision est un dispositif qui permet d’atténuer le principe de séparation des patrimoines qui préside au régime de la séparation de biens.

Comme observé par Gulsen Yildirimn elle « permet d’introduire un facteur d’équité dans l’établissement de la composition des patrimoines des époux. »

D’autres auteurs soulignent qu’« il est significatif de voir ainsi s’établir une union des intérêts pécuniaires, subrepticement en quelque sorte, et à la faveur d’une absence de preuve. Cela autorise à penser qu’une certaine communauté de meubles est peut-être, elle aussi, dans la nature des choses »[6].

S’agissant des effets de cette présomption, elle opère, tant dans les rapports entre époux, que dans les rapports avec les tiers.

  • Dans les rapports entre époux
    • La présomption d’indivision conduira les époux à se partager le bien lors de la dissolution du mariage.
    • Le partage donnera lieu à réparation du bien en deux parts égales, celui-ci étant présumé appartenir conjointement aux époux pour moitié.
  • Dans les rapports avec les tiers
    • La présomption d’indivision leur est opposable, de sorte que s’applique l’article 817 du Code civil aux termes duquel il leur est fait interdiction de saisir la quote-part indivise de l’époux débiteur.
    • Ils n’ont d’autre choix que de provoquer le partage de l’indivision.

==>Les présomptions d’indivision conventionnelles

En application du principe de liberté des conventions matrimoniales, les époux peuvent insérer dans leur contrat de mariage une clause qui institue une présomption d’indivision qui aura vocation s’appliquer à une ou plusieurs catégories de biens.

Depuis que la loi a institué une présomption d’indivision pourvue d’une portée générale, la stipulation d’une telle clause a grandement perdu de son intérêt.

Reste qu’il pourra être recouru à ce dispositif contractuel pour les meubles meublants qui garnissent le logement familial et plus généralement tous les lieux où les époux résident.

Sous l’empire du droit antérieur à la loi du 13 juillet 1965, on s’était demandé si les présomptions d’indivision conventionnelles étaient opposables aux tiers.

L’article 1538, al. 2e du Code civil tranche désormais cette question en prévoyant que « les présomptions de propriété énoncées au contrat de mariage ont effet à l’égard des tiers aussi bien que dans les rapports entre époux, s’il n’en a été autrement convenu. »

La conséquence de l’opposabilité des présomptions d’indivision conventionnelles aux tiers est le renversement de la charge de la preuve.

Autrement dit, c’est au créancier saisissant d’établir que le bien sur lequel il exerce ses poursuites appartient exclusivement à l’époux débiteur.

Dans un arrêt du 29 janvier 1974, la Cour de cassation a jugé en ce sens que la clause de présomption d’indivision figurant dans le contrat de mariage des époux séparés de biens est opposable au créancier, de sorte qu’il appartient à ce dernier d’administrer la preuve du droit de propriété exclusif de son débiteur sur les biens litigieux (Cass. 1ère civ. 29 janv. 1974, n°72-12.670).

iii. Cas particuliers : l’acquisition d’un bien par un époux financé par le conjoint

La plupart du temps, lorsqu’un époux se porte acquéreur d’un bien, il le fera au moyen de ses deniers personnels, de sorte que ce bien lui appartiendra en propre, sans qu’il lui soit besoin d’accomplir les formalités d’emploi ou de remploi requises sous le régime légal.

Sous le régime de la séparation de biens, chaque époux reste propriétaire, par principe, des biens qu’ils acquièrent au moyen de leurs deniers personnels.

Il est des cas néanmoins où l’époux qui réalisera l’acquisition ne sera pas nécessairement celui qui l’aura financée. Il peut, en effet, arriver que cette acquisition soit financée par le conjoint.

Lorsque cette situation se présente, la question alors se pose de la propriété du bien. Revient-elle à l’époux qui s’est porté acquéreur ou à celui qui a financé l’acquisition ?

Il ressort de la jurisprudence qu’une distinction se dessine quant aux règles applicables selon que le bien acquis est affecté à l’usage personnel de l’époux acquéreur ou selon qu’il est affecté à un usage familial.

?: Acquisition d’un bien affecté à un usage personnel

==>L’époux acquiert le bien au moyen de deniers fournis par le conjoint en dehors de tout contrat

Le principe est que lorsqu’un bien est acquis par l’un ou l’autre époux, il appartient, non pas à l’époux qui a financé l’acquisition, mais, à celui au nom duquel cette acquisition a été faite.

Aussi, c’est le titre qui confère la qualité de propriétaire et non le financement qui ne confère aucun droit de propriété sur le bien.

Dans un arrêt du 9 octobre 1991, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « sous le régime de la séparation de biens, l’époux qui acquiert un bien pour son compte à l’aide de deniers provenant de son conjoint, devient seul propriétaire de ce bien » (Cass. 1ère civ. 9 oct. 1991, n°90-15.073).

Dans un arrêt du 31 mai 2005, la première chambre civile a encore jugé que « sous le régime de la séparation de biens, le bien appartient à celui dont le titre établit la propriété sans égard à son financement » (Cass. 1ère civ. 31 mai 2005, n°02-20.553).

Tout au plus, l’époux qui a financé le bien pourra « obtenir le règlement d’une créance lors de la liquidation du régime matrimonial, s’il prouve avoir financé en tout ou partie l’acquisition » (Cass. 1ère civ. 23 janv. 2007, n°05-14.311).

==>L’époux acquiert le bien au moyen de deniers fournis par le conjoint dans le cadre d’un contrat de mandat

Dans cette hypothèse, l’époux qui se porte acquéreur endosse la qualité de mandataire ou, le cas échéant, de gérant d’affaires.

Pour déterminer à qui revient la propriété du bien objet de l’acquisition il y a lieu de faire application des règles du mandat.

Or ces règles désignent le mandant comme étant seul propriétaire du bien acquis.

L’époux qui a réalisé l’opération est, en effet, réputé avoir agi en représentation de son conjoint.

==>L’époux acquiert le bien au moyen de deniers fournis par le conjoint dans le cadre d’un contrat de prêt

Dans cette hypothèse, quand bien même les deniers ont été fournis par le conjoint, le bien acquis demeure la propriété exclusive de l’époux qui s’est porté acquéreur.

La raison en est que la remise de fonds en exécution d’un contrat de prêt opère un transfert de propriété.

Aussi, parce que les fonds prêtés appartiennent en propre à l’époux emprunteur, le bien qu’il acquiert avec ces fonds subit le même sort, charge à lui de rembourser son conjoint selon les règles qui régissent les créances entre époux.

==>L’époux acquiert le bien au moyen de deniers fournis par le conjoint dans le cadre d’une donation

  • Droit antérieur
    • Lorsqu’un époux reçoit de son conjoint des fonds à titre gratuit et qu’il remploie ces fonds à l’acquisition d’un bien, ce bien devrait, par le jeu de la subrogation réelle, lui appartenir en propre.
    • Telle n’est pourtant pas la solution qui avait été retenue par la jurisprudence sous l’empire du droit antérieur.
    • Les juridictions regardaient plutôt cette opération comme une donation déguisée, le déguisement se caractérisant par le fait que la libéralité se dissimule sous les apparences d’un autre acte, notamment d’un acte à titre onéreux.
    • Il en était tiré conséquence que la donation portait non pas sur les fonds donnés, mais sur le bien acquis au moyen de ces fonds.
    • Il en résultait que, en cas d’annulation de la libéralité, ce qui, en application de l’ancien article 1099, al. 2e du Code civil, était le sort de toute donation déguisée, la propriété du bien retournait dans le patrimoine du conjoint qui en avait financé l’acquisition (le donateur) et non à l’époux acquéreur (le donataire).
    • Là n’était pas la seule conséquence de l’anéantissement de la donation.
    • Il en était une autre qui était particulièrement fâcheuse lorsque le donataire avait réalisé avec les fonds provenant de la donation irrégulière une opération immobilière à laquelle intervenaient des tiers.
    • Exemple[7] :
      • Un époux achète, avec les deniers donnés par l’autre, un immeuble, puis le revend à un tiers ou lui consent des droits sur cet immeuble.
      • Dans cette hypothèse, comme vu précédemment, la jurisprudence considérait que l’époux donateur était réputé « avoir toujours été le seul propriétaire de l’immeuble acquis de ses deniers » au motif qu’il s’agirait là d’une donation déguisée.
      • L’annulation de cette donation entraînait alors l’anéantissement de toutes les mutations intervenues subséquemment à l’acquisition de l’immeuble par le donataire, ce qui, par voie de conséquence, était de nature à léser gravement les droits des tiers de bonne foi qui donc voyaient l’opération qu’ils avaient conclue remise en cause.
    • Afin d’assurer la sécurité juridique des tiers, en prévenant notamment la survenance de nullités en cascade, le législateur est intervenu pour briser la jurisprudence de la Cour de cassation en introduisant, par la loi du 28 décembre 1967, un article 1099-1 dans le Code civil.
    • Cette disposition prévoit que « quand un époux acquiert un bien avec des deniers qui lui ont été donnés par l’autre à cette fin, la donation n’est que des deniers et non du bien auquel ils sont employés. »
    • Ainsi, désormais, la donation est réputée avoir pour objet les fonds donnés par l’époux donateur et non le bien acquis au moyen de ces deniers.
    • En cas d’annulation d’une donation déguisée ou de simple révocation d’une donation ostensible, obligation était donc faite au donataire de restituer les fonds donnés.
    • En application du second alinéa de l’article 1099-1 du Code civil, la somme restituée devait toutefois correspondre, non pas à la valeur nominale des deniers remis, mais à la valeur actuelle du bien acquis avec ces deniers.
    • Quoi qu’il en soit, par l’instauration de ce système, le droit de propriété constitué par le donataire sur le bien s’en trouvait préservé, sauf à ce qu’il ne dispose pas des liquidités suffisantes pour régler la somme d’argent due à son conjoint au titre de l’obligation de restitution.
    • Dans cette hypothèse, il serait alors contraint, soit de céder le bien à un tiers et de remettre au donateur le produit de la vente, soit de s’’acquitter de sa dette en cédant directement à ce dernier la propriété de son bien.
    • Afin d’éviter que l’une ou l’autre situation ne se produise et ainsi préserver le droit de propriété du donateur sur son bien conformément à l’objectif recherché par le législateur lors de l’introduction de l’article 1099-1 dans le Code civil, la jurisprudence a cherché à cantonner le domaine des libéralités entre époux.
    • Plus précisément, les juridictions ont progressivement considéré que, en cas de collaboration d’un époux à l’activité professionnelle de son conjoint au-delà de ce qui était exigé au titre de l’obligation de contribution aux charges du mariage, la remise d’une somme d’argent par le second au premier devait s’analyser, non pas en une libéralité, mais en une rémunération due au titre du travail fourni (Cass. 1ère civ. 19 mai 1976, n°75-10.558).
    • La conséquence en était la requalification de l’opération en acte à titre onéreux ce qui dès lors faisait obstacle à tout anéantissement sur le fondement, soit du principe de révocabilité des libéralités, soit du principe de nullité des donations déguisées.
    • À cet égard, la Cour de cassation est allée plus loin en jugeant que la qualification de libéralité devait également être écartée lorsqu’il était établi que l’activité de l’époux bénéficiaire de la remise de fonds dans la gestion du ménage et la direction du foyer avait, de par son importance, été source d’économies pour le conjoint.
    • Cela lui permettait ainsi de refuser l’annulation ou la révocation de l’acte de remise de fonds, puisque s’analysant en une rétribution due en contrepartie de la fourniture d’un travail au foyer (Cass. 1ère civ. 20 mai 1981, n°79-17.171).
    • Seule solution pour le demandeur à l’action en nullité ou en révocation de l’acte litigieux : rapporter la preuve de l’origine des deniers et de l’intention libérale du donateur.
    • À défaut, ni l’acquisition du bien, ni la fourniture des deniers ayant servi à son financement ne pouvaient être remises en cause.
  • Droit positif
    • Depuis l’adoption de la loi n°2004-439 du 26 mai 2004 relative au divorce, les solutions dégagées par la jurisprudence s’agissant de l’anéantissement des donations entre époux n’opèrent plus.
    • En effet, cette loi a aboli :
      • D’une part, le principe de révocabilité des donations entre époux
      • D’autre part, le principe de nullité des donations déguisées
    • Ainsi, aujourd’hui, dans la mesure où les donations entre époux de biens présents ne peuvent plus être anéanties, sauf motifs graves[8], il est indifférent que l’époux qui a remis une somme d’argent à son conjoint ait été ou non animé d’une intention libérale.
    • Il importe peu également que le bénéficiaire de cette remise de fonds ait collaboré à l’activité professionnelle du conjoint ou qu’il ait assuré la gestion du ménage au-delà de ce qui était exigé au titre de l’obligation de contribution aux charges du mariage.
    • Dans les deux cas, la donation, qu’elle soit ostensible, indirecte ou déguisée, ne peut plus être remise en cause, de sorte que non seulement le donataire est consolidé dans ses droits de propriété du bien acquis au moyen des fonds remis en application de l’article 1099-1 du Code civil, mais encore le risque de devoir restituer ces fonds au donateur est écarté.
    • Ainsi que le relèvent les auteurs « cette modification revêt une importance considérable pour le régime de la séparation de biens »[9].
    • Le contentieux des donations indirectes et déguisées ne s’en trouve pas totalement épuisé pour autant : l’administration demeure en effet toujours intéressée au premier chef des libéralités qui n’ont fait l’objet d’aucune formalité de déclaration.

?: Acquisition d’un bien affecté à l’usage de la famille

Lorsqu’un époux séparé de biens finance un bien indivis au-delà de la quote-part dont il est titulaire et que le bien financé est affecté à un usage familial la question s’est posée de la nature du financement réalisé.

Plus précisément, on s’est demandé si le financement supporté par l’époux solvens ne relevait pas de la contribution aux charges du mariage.

Pour mémoire, l’article 214 du Code civil prévoit que les époux doivent contribuer à ce que l’on appelle les charges du mariage, contribution qui, sauf convention contraire, est proportionnelle à leurs facultés respectives.

Il s’agit là d’une obligation légale qui vise à assurer le bon fonctionnement du ménage et qui a pour seul fait générateur le mariage.

Aussi, dès lors que deux personnes sont mariées elles sont assujetties à l’obligation de contribution aux charges du mariage, peu importe le régime matrimonial auquel elles ont choisi de se soumettre.

Cette obligation a ainsi vocation à s’appliquer à tous les couples mariés, y compris à ceux séparés de biens, ce qui, dans le cas de ces derniers, n’est pas sans apporter un sérieux tempérament au principe de séparation des patrimoines.

Une application stricte de ce principe devrait, en effet, conduire à écarter toute mise en commun forcée des ressources perçues par les époux séparés de biens. En instituant une obligation de contribuer aux charges du mariage, le législateur a entendu déroger à ce principe.

Pour les dépenses en lien avec le train de vie du ménage et ayant pour objet l’entretien de la famille et l’éducation des enfants l’époux solvens ne saurait attendre en retour aucune contrepartie de la part de son conjoint, sinon que celui-ci exécute pareillement son obligation de contribution aux charges du mariage.

La qualification de charges du mariage n’est ainsi pas sans enjeu :

  • Lorsqu’une dépense s’analyse en une charge du mariage, elle ne peut jamais donner naissance à une créance entre époux, sauf à ce que cette dépense excède la part de l’époux solvens au titre de son obligation contributive
  • Lorsqu’une dépense ne s’analyse pas en une charge du mariage, elle donnera naissance à une créance entre époux toutes les fois qu’elle se rapporte à une dette supportée par l’époux solvens alors qu’elle relève du passif définitif du conjoint

S’il ne fait aucun doute que la qualification de charges du mariage est exclue lorsque le paiement réalisé par l’époux solvens se rapporte à une dette contractée aux fins d’acquisition d’un bien affecté à l’usage exclusif du conjoint, cette qualification est bien moins évidente en présence d’une dépense ayant financé un bien affecté à l’usage familial.

Il ressort de la jurisprudence que deux situations doivent être distinguées :

  • Première situation : le bien affecté à l’usage familial a été financé au moyen d’un prêt remboursé par l’époux solvens
    • Dans un arrêt du 15 mai 2013 la Cour de cassation a jugé que le remboursement par un époux d’un emprunt ayant servi à l’acquisition en indivision du domicile conjugal « participait de l’exécution [par ce dernier] de son obligation de contribuer aux charges du mariage » (Cass. 1ère civ. 15 mai 2013, n°11-26.933).
    • Il ressort de cette décision que lorsqu’un époux finance un bien indivis affecté à l’usage familial au-delà de la quote-part qui lui revient, il ne peut se prévaloir d’aucun droit de créance à l’encontre de son conjoint, sauf à ce que le contrat de mariage stipule le contraire.
    • Tel serait notamment le cas si celui-ci comporte la clause de style énonçant, par exemple, que « chacun des époux est réputé avoir fourni au jour le jour sa part contributive aux charges du mariage, en sorte qu’aucun compte ne sera fait entre eux à ce sujet et qu’ils n’auront pas de recours l’un contre l’autre pour les dépenses de cette nature »
    • Il peut être observé que la première chambre civile a retenu la même solution pour l’acquisition d’une résidence secondaire, après avoir relevé que ce bien était « destiné à l’usage de la famille » (Cass. 1ère civ. 3 oct. 2018, n°17-25.858).
    • Dans un arrêt du 5 octobre 2016, elle a jugé, en revanche, que « le financement, par un époux, d’un investissement locatif destiné à constituer une épargne, ne relève pas de la contribution aux charges du mariage ».
    • Il en résulte que la dépense supportée par l’époux solvens lui confère un droit de créance contre son conjoint pour la partie du bien indivis financé qui excède sa quote-part (Cass. 1ère civ. 5 oct. 2016, n°15-25.944).
  • Seconde situation : le bien affecté à l’usage familial a été financé au moyen de l’apport en capital provenant de la vente de biens personnels
    • Dans un arrêt du 3 octobre 2019, la Cour de cassation a jugé, au visa de l’article 214 du Code civil, que « sauf convention matrimoniale contraire, l’apport en capital provenant de la vente de biens personnels, effectué par un époux séparé de biens pour financer la part de son conjoint lors de l’acquisition d’un bien indivis affecté à l’usage familial, ne participe pas de l’exécution de son obligation de contribuer aux charges du mariage » (Cass. 1ère civ. 3 oct. 2019, n°18-20.828).
    • Dans cette hypothèse, le financement du bien par l’époux solvens ouvre droit à créance à l’encontre de son conjoint.
    • La Première chambre civile a confirmé par la suite sa position à plusieurs reprises ; notamment dans un arrêt du 9 juin 2022 (Cass. 1ère civ. 9 juin 2022, n°20-21.277).

b. Les couples non mariés

b.1. L’acquisition d’un bien en commun dans le cadre d’un pacs

Issu de la loi n°99-944 du 15 novembre 1999, le pacte civil de solidarité (pacs) est défini à l’article 515-1 du Code civil comme « contrat conclu par deux personnes physiques majeures, de sexe différent ou de même sexe, pour organiser leur vie commune ».

Le pacs vise à proposer aux concubins un statut légal, un « quasi-mariage » diront certains[10], qui règle les rapports tant personnels, que patrimoniaux entre les partenaires.

En 1999, le régime patrimonial du PACS reposait sur deux présomptions d’indivision différentes selon le type de biens :

  • les meubles meublants dont les partenaires feraient l’acquisition à titre onéreux postérieurement à la conclusion du PACS sont présumés indivis par moitié, sauf déclaration contraire dans la convention initiale. Il en est de même lorsque la date d’acquisition de ces biens ne peut être établie ;
  • les autres biens dont les partenaires deviennent propriétaires à titre onéreux postérieurement à la conclusion du pacte sont présumés indivis par moitié si l’acte d’acquisition ou de souscription n’en dispose autrement.

Par ailleurs, le champ de l’indivision était pour le moins incertain puisque la formulation du texte ne permettait pas de savoir avec certitude s’il comprenait les revenus, les deniers, et les biens créés après la signature du pacs.

Afin de remédier à ces difficultés, le législateur a décidé, à l’occasion de l’adoption de la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités, d’abandonner le principe d’indivision des biens acquis par les partenaires au cours du pacs, à la faveur d’un régime de séparation de biens.

Si, aujourd’hui, les partenaires sont soumis à un régime de séparation de biens, ils disposent toujours du choix d’opter pour un régime d’indivision organisé.

i. Principe

Aux termes de l’article 515-5 du Code civil « Sauf dispositions contraires de la convention visée au troisième alinéa de l’article 515-3, chacun des partenaires conserve l’administration, la jouissance et la libre disposition de ses biens personnels ».

Il ressort de ce principe que le législateur a souhaité instituer un régime de séparation de biens entre les partenaires.

Cette volonté a été exprimée, lors de l’adoption de la loi du 23 juin 2006, dans un souci de protection des partenaires qui ignorent souvent que les biens acquis au cours du pacs sont soumis à l’indivision et a jugé préférable de prévoir la séparation des biens, sauf quand les partenaires optent pour l’indivision.

Sous l’empire du droit antérieur à cette réforme, le législateur avait instauré le régime inverse, soit une indivision entre les partenaires.

La loi du 15 novembre 1999 posait, en ce sens, l’existence d’une sorte de communauté de biens réduite aux acquêts.

En simplifiant à l’extrême, il convenait d’opérer une distinction entre les biens acquis avant et après l’enregistrement du pacs.

  • S’agissant des biens acquis avant l’enregistrement du pacs
    • Ils avaient vocation à rester dans le patrimoine personnel des partenaires, à charge pour eux de rapporter la preuve que le bien revendiqué leur appartenait en propre.
  • S’agissant des biens acquis après l’enregistrement du pacs
    • Ils étaient réputés indivis, de sorte qu’à la dissolution du pacs, une répartition égalitaire était effectuée entre les concubins

La loi du 23 juin 2006 a abandonné ce régime patrimonial applicable aux partenaires. Désormais, c’est un régime de séparation de biens qui régit leurs rapports patrimoniaux.

Cela signifie que tous les biens acquis par les partenaires avant et après l’enregistrement du pacs leur appartiennent un propre.

Une lecture affinée de l’article 515-4 révèle toutefois qu’il convient de distinguer les meubles dont la propriété est établie de ceux pour lesquels aucun des partenaires ne peut prouver sa qualité de propriétaire

  • S’agissant des biens dont la propriété est établie
    • C’est l’alinéa 1er de l’article 515-4 qui s’applique en pareille hypothèse
    • Ils restent dans le patrimoine personnel du partenaire qui les a acquis
    • Il est indifférent que l’acquisition soit intervenue avant ou après l’enregistrement du pacs.
  • S’agissant des biens dont la propriété n’est pas établie
    • L’article 515-5 du Code civil pris en son deuxième alinéa prévoit que :
      • D’une part, chacun des partenaires peut prouver par tous les moyens, tant à l’égard de son partenaire que des tiers, qu’il a la propriété exclusive d’un bien.
      • D’autre part, les biens sur lesquels aucun des partenaires ne peut justifier d’une propriété exclusive sont réputés leur appartenir indivisément, à chacun pour moitié.
    • Il s’évince de cette disposition que, lorsque les biens sont acquis à titre onéreux postérieurement à la conclusion du PACS, ils sont présumés indivis par moitié, sauf déclaration contraire dans la convention initiale.
    • Il en est de même lorsque la date d’acquisition de ces biens ne peut être établie

ii. Exception

Si le législateur a institué le régime de la séparation de biens en principe, il a offert la possibilité aux partenaires d’y déroger en concluant une convention d’indivision.

L’article 515-5-1 du Code civil prévoit en ce sens que :

  • D’une part, les partenaires peuvent, dans la convention initiale ou dans une convention modificative, choisir de soumettre au régime de l’indivision les biens qu’ils acquièrent, ensemble ou séparément, à compter de l’enregistrement de ces conventions.
  • D’autre part, ces biens sont alors réputés indivis par moitié, sans recours de l’un des partenaires contre l’autre au titre d’une contribution inégale.

Ce régime d’indivision auquel les partenaires ont la faculté d’adhérer par convention s’articule autour de deux principes :

  • Premier principe
    • L’indivision s’applique aux seuls acquêts, c’est-à-dire aux biens acquis par les partenaires, ensemble ou séparément, après l’enregistrement de leur convention.
    • S’agissant des biens acquis l’enregistrement de la convention d’indivision qui n’est pas nécessairement concomitant à l’enregistrement du pacs, ils demeurent appartenir en propre aux partenaires
  • Second principe
    • Les biens visés par la convention conclue par les partenaires sont réputés indivis pour moitié.
    • Cela signifie qu’en cas de liquidation du pacs la répartition s’opérera à parts égales, sauf à ce qu’une fraction du bien ait été financée par des fonds propres d’un partenaire.
    • Dans cette hypothèse, seule la portion du bien qui constitue un acquêt fera d’un partage par moitié.
    • Exemple :
      • un immeuble est acquis pour 50 % avec les fonds propres d’un partenaire, pour l’autre moitié avec des fonds indivis.
      • Dans cette hypothèse, en cas de partage, le partenaire qui aura financé le bien avec ses fonds propres sera fondé à revendiquer 75% du bien, tandis que l’autre ne percevra que 25% de sa valeur.

L’article 515-5-3 du Code civil précise que la convention d’indivision est réputée conclue pour la durée du pacte civil de solidarité.

Toutefois, lors de la dissolution du pacte, les partenaires peuvent décider qu’elle continue de produire ses effets. Cette décision est soumise aux dispositions des articles 1873-1 à 1873-15 du Code civil.

iii. Exception à l’exception

En cas de conclusion par les partenaires d’une convention d’indivision, le législateur a prévu qu’un certain nombre de biens échappaient à son champ d’application.

L’article 515-5-2 prévoit que demeurent la propriété exclusive de chaque partenaire :

  1. Les deniers perçus par chacun des partenaires, à quelque titre que ce soit, postérieurement à la conclusion du pacte et non employés à l’acquisition d’un bien ;
  2. Les biens créés et leurs accessoires ;
  3. Les biens à caractère personnel ;
  4. Les biens ou portions de biens acquis au moyen de deniers appartenant à un partenaire antérieurement à l’enregistrement de la convention initiale ou modificative aux termes de laquelle ce régime a été choisi ;
  5. Les biens ou portions de biens acquis au moyen de deniers reçus par donation ou succession ;
  6. Les portions de biens acquises à titre de licitation de tout ou partie d’un bien dont l’un des partenaires était propriétaire au sein d’une indivision successorale ou par suite d’une donation.

Le dernier alinéa de cette disposition précise que l’emploi de deniers tels que définis aux 4° et 5° fait l’objet d’une mention dans l’acte d’acquisition.

L’emploi est un acte qui stipule la provenance des deniers et la volonté de leur propriétaire de les employer pour l’acquisition d’un bien propre.

À défaut d’accomplissement des formalités d’emploi, le bien est réputé indivis par moitié et ne donne lieu qu’à une créance entre partenaires.

b.2. L’acquisition d’un bien en commun dans le cadre d’un concubinage

En théorie, la cessation du concubinage ne devrait emportait aucune conséquence juridique.

Spécialement, comme rappelé régulièrement par la jurisprudence, le statut juridique dont jouissent les époux n’est pas applicable aux concubins.

La conséquence en est que ces derniers ne sauraient se prévaloir des règles qui gouvernent la liquidation du régime matrimonial.

En pratique, toutefois, la rupture du concubinage soulève de nombreuses difficultés, d’ordre juridique, face auxquelles les juridictions ne peuvent pas rester indifférentes.

Par hypothèse, l’existence d’une vie commune va conduire les concubins à acquérir des biens, tantôt séparément, tantôt en commun.

Au moment de cessation du concubinage, il conviendra donc de démêler leurs intérêts et leurs biens qui, parce que s’est instituée entre eux une communauté de vie, se sont entrelacés, voire parfois confondus.

Aussi, la question se posera de la liquidation de leurs intérêts pécuniaires. En l’absence de régime matrimonial, cette liquidation ne pourra s’opérer que selon les règles du droit commun.

Concrètement, la liquidation du concubinage suppose de surmonter une importante difficulté et non des moindres : la preuve de la propriété des biens.

À titre de remarque liminaire, il convient d’observer que, lors de la cessation du concubinage, la preuve de la propriété d’un bien ne soulèvera de difficulté qu’en cas de dispute, par les concubins, de la qualité de propriétaire.

Dans cette perspective, il est parfaitement envisageable que les concubins se répartissent les biens sans tenir compte des règles qui gouvernent la propriété et notamment faire fi de la question de savoir qui a financé l’acquisition de tel ou tel bien.

C’est donc seulement en cas de désaccord sur la propriété d’un bien que la preuve de la qualité de propriétaire devra être rapportée.

Deux hypothèses doivent être distinguées :

==>Le bien revendiqué est assorti d’un titre de propriété

Deux situations doivent alors être distinguées :

  • Le bien a été financé par le titulaire du titre de propriété
    • Le titre de propriété est un acte qui constate un droit de propriété
    • Il permet à celui désigné dans l’acte de justifier de sa qualité de propriétaire
    • Le titre de propriété est dressé en cas de vente immobilière, de cession de fonds de commerce et plus généralement en cas d’acquisition d’un droit de propriété ou de créance qui fait l’objet de formalités de publicité
    • Aussi la propriété du bien reviendra à celui qui est désigné dans l’acte
    • Dans l’hypothèse où les deux concubins sont désignés dans l’acte, le bien sera soumis au régime de l’indivision.
  • Le bien n’a pas été financé ou seulement partiellement par le titulaire du titre de propriété
    • Dans cette hypothèse, la jurisprudence considère que le titre prime sur la finance.
    • Dans un arrêt du 19 mars 2004, la Cour de cassation a estimé que « les personnes qui ont acheté un bien en indivision en ont acquis la propriété, sans qu’il y ait lieu d’avoir égard à la façon dont cette acquisition a été financée » (Cass. 1ère civ. 19 mars 2014, n°13-14.989).
    • Ainsi, peu importe que le bien ait été entièrement financé par le concubin qui en revendique la propriété.
    • La qualité de propriétaire est, en toutes circonstances, endossée par le titulaire du titre de propriété.
    • Dans un arrêt du 2 avril 2014, la Cour de cassation a précisé que le concubin qui avait financé en intégralité l’acquisition d’un bien en indivision n’était pas fondé à se prévaloir d’une créance de remboursement à l’encontre de sa concubine dès lors qu’il avait été établi que celui-ci était animé d’une intention libérale.
    • Toute la difficulté sera alors de prouver l’intention libérale qui, selon la première chambre civile, peut se déduire « des circonstances de la cause » (Cass. 1ère civ., 2 avr. 2014, n°13-11.025).
    • Dans un arrêt du 13 janvier 2016, la Première chambre civile a encore rejeté la demande de remboursement formulé par le concubin qui avait supporté l’intégralité de l’acquisition d’un bien indivis au motif que ce financement s’analysait en une dépense de la vie courant (Cass. 1ère civ. 13 janv. 2016, n°14-29.746).
    • La solution retenue par la Cour de cassation ici est éminemment contestable dans la mesure où les concubins ne sont assujettis à aucune obligation de contribuer aux dépenses de la vie courante à l’instar des époux sur lesquels pèse une obligation de contribution aux charges du mariage en application de l’article 214 du Code civil.
    • Bien que critiquable, cette solution a été reconduite par la Cour de cassation dans un arrêt du 7 février 2018 (Cass. 1ère civ. 7 févr. 2018, n°17-13.979).

==>Le bien revendiqué n’est assorti d’aucun titre de propriété

En l’absence de titre, rien n’est perdu pour le concubin revendiquant qui pourra toujours rapporter la preuve de la propriété du bien.

Toutefois, il ne pourra, ni compter sur la présomption de possession s’il souhaite établir la propriété exclusive d’un bien, ni ne pourra se prévaloir d’une présomption d’indivision s’il souhaite prouver la propriété indivise du bien.

  • L’inopérance de la présomption de possession
    • Aux termes de l’article 2276 du Code civil « en fait de meubles, la possession vaut titre »
    • Cela signifie que celui qui exerce la possession sur un bien est réputé en être le propriétaire.
    • Cette présomption est, de toute évidence, très pratique pour établir la propriété d’un bien lorsque l’on est muni d’aucun titre ce qui sera presque toujours le cas pour les biens meubles
    • La mise en œuvre de cette présomption est toutefois subordonnée à l’établissement d’une possession non équivoque sur le bien.
    • En cas de concubinage, il sera, par hypothèse, extrêmement difficile de satisfaire cette condition, dans la mesure où l’existence d’une communauté de vie entre les concubins confère précisément à la possession du bien revendiqué un caractère équivoque.
    • D’où la position de la Cour de cassation qui, systématique, refuse de faire jouer la présomption de l’article 2276 à la faveur du concubin revendiquant.
    • Aussi, lui appartiendra-t-il de rapporter la preuve de la propriété du bien par tous moyens.
    • Pour établir sa qualité de propriétaire, il pourra, notamment, se rapporter aux circonstances qui ont entouré l’acquisition du bien
    • Le plus souvent, le juge déterminera la titularité de la propriété du bien disputé en recourant à la méthode du faisceau d’indices.
    • Il tiendra notamment compte de l’auteur du financement du bien ou encore de l’existence d’une intention libérale
    • Il pourra encore se référer au nom du signataire de l’acte d’acquisition du bien.
  • L’absence de présomption d’indivision
    • Principe
      • Il est de jurisprudence constante qu’il n’existe pas de présomption d’indivision entre concubins.
      • Dans un arrêt du 25 juin 2014, la Cour de cassation a considéré, par exemple, s’agissant de la propriété de fonds déposés sur un compte bancaire que « le titulaire d’un compte bancaire est présumé seul propriétaire des fonds déposés sur ce compte et qu’il appartient à son adversaire d’établir l’origine indivise des fonds employés pour financer l’acquisition de l’immeuble indivis » (Cass. 1ère civ. 25 juin 2014, n°13-18.891).
      • Dans le même sens la Cour d’appel d’Amiens a jugé dans un arrêt du 8 janvier 2009 qu’il s’infère de l’article 515-8 du Code civil qu’il « n’existe ni indivision, ni présomption d’indivision entre deux personnes vivant en concubinage » (CA Amiens, 8 janv. 2009, n° 08/03128).
      • Il en résulte qu’il appartient à celui qui revendique la propriété indivise d’un bien de le prouver.
      • La Cour d’appel de Riom a de la sorte considérer « qu’en l’absence de présomption d’indivision entre concubins, le concubin qui est en possession d’un meuble corporel est présumé en être propriétaire et il est admis une preuve par tous moyens concernant la propriété des biens litigieux. » (CA Riom 16 mai 2017, n° 15/01253)
    • Exception
      • L’absence de présomption d’indivision entre concubins est assortie d’une exception.
      • Dans l’hypothèse où aucun des concubins ne parvient à établir qu’il est le propriétaire exclusif du bien revendiqué, celui-ci sera réputé indivis pour moitié (V. en cens CA Lyon, ch. 6, 17 octobre 2013, n°12/04463).
      • La présomption d’indivision n’intervient ainsi, qu’à titre subsidiaire.

3.2. L’acquisition d’un bien en commun en dehors du couple

Pour qu’un bien puisse être reconnu comme appartenant à plusieurs personnes, il doit être mentionné dans le titre de propriété que ce bien a été acquis en indivision.

Dans un arrêt du 5 octobre 1994, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « les personnes qui ont acheté un bien en indivision en ont acquis la propriété, sans qu’il y ait lieu d’avoir égard à la façon dont cette acquisition a été financée » (Cass. 1ère civ. 5 oct. 1994, n°92-19.169).

Il ressort de cette disposition que le titre prime toujours sur la finance. Autrement dit, il est indifférent que l’acquisition du bien n’ait pas été financée par la personne désignée dans le titre de propriété ; seule cette dernière est considérée comme la seule et unique propriétaire du bien. En somme, le propriétaire est toujours celui qui achète le bien et non celui finance.

Il peut être observé que si le titre constate que le bien a été acquis en indivision, mais qu’il ne précise pas le montant de la quote-part détenue par chaque indivisaire, le bien est réputé appartenir pour moitié à chacun (V en ce sens Cass. 1ère civ. 4 mars 2015, n°14-11.278).

Lorsque plusieurs personnes acquièrent ainsi un bien en indivision, il est préconisé de préciser dans l’acte d’acquisition les proportions des droits détenus par chacune d’elles.

B) Existence de biens partageables

L’exercice du droit de tout indivisaire de solliciter le partage, consacré par l’article 815 du Code civil, suppose nécessairement que les biens composant l’indivision soient susceptibles de partage. Cependant, cette faculté trouve des limites importantes, posées par la loi ou la nature même de certains biens. Ainsi, tous les biens indivis ne peuvent être soumis à une demande en partage, en raison soit de leur inclusion dans des régimes d’indivision forcée ou perpétuelle, soit de leur affectation à des finalités spécifiques.

Cette réflexion appelle une double approche : d’une part, il convient de définir les biens qui composent l’indivision et, d’autre part, d’examiner ceux qui, bien que potentiellement indivis, échappent à toute procédure de partage.

Dans cette perspective, nous aborderons d’abord les catégories de biens qui constituent le patrimoine indivis, avant d’explorer les exclusions qui s’imposent, qu’il s’agisse des biens soumis à un régime d’indivision forcée ou perpétuelle, ou des biens spécifiques comme ceux affectés au culte, ceux à caractère familial, ou encore ceux attachés à l’exercice d’une fonction. Ces restrictions, loin d’être anecdotiques, traduisent des considérations juridiques et sociales majeures qui encadrent le droit au partage.

1. Les biens faisant l’objet du partage

1.1. Principe général

Le partage constitue l’aboutissement naturel de l’indivision, un état temporaire où les biens, matériels ou immatériels, sont détenus collectivement par les indivisaires. Ce processus repose sur un principe fondamental : tous les biens appartenant à l’indivision au moment du partage, qu’il s’agisse de biens existants, de biens subrogés ou des fruits et revenus générés pendant l’indivision, doivent être inclus dans la répartition patrimoniale.

Les biens existants, qu’ils soient immobiliers, mobiliers ou incorporels, forment le socle initial du partage. À ces biens s’ajoutent ceux issus du mécanisme de subrogation réelle, comme le prix de vente, les indemnités d’assurance ou d’expropriation, qui remplacent les biens aliénés ou détruits. Ces éléments préservent l’intégrité de la masse à partager et garantissent que les droits des indivisaires ne soient ni altérés ni amoindris par les évolutions survenues durant l’indivision.

Le partage ne se limite pas à une répartition statique des biens. Il tient également compte des variations de leur valeur, qu’il s’agisse de plus-values réalisées ou de pertes subies en cours d’indivision, souvent liées à des fluctuations économiques ou à une gestion active des biens. Ces évolutions influent directement sur l’équilibre des droits entre indivisaires, et leur prise en compte lors du partage est essentielle pour assurer une répartition équitable.

Ainsi, le partage ne représente pas seulement la sortie de l’indivision, mais aussi l’aboutissement d’un processus visant à rétablir les droits individuels de chacun, dans le respect des apports et de l’évolution des biens indivis. Il consacre une répartition équilibrée, tenant compte à la fois de la nature, de la valeur et de la dynamique des éléments composant la masse indivise.

1.2. Mise en œuvre

a. Les biens existants

Les biens existants forment la base essentielle de toute masse partageable, qu’elle résulte d’une indivision successorale, conventionnelle ou légale.

Dans le cadre d’une indivision successorale, ces biens comprennent l’intégralité des éléments patrimoniaux ayant appartenu au de cujus et demeurant dans la succession au jour du partage.

i. Notion et délimitation des biens existants

==>Les biens ordinaires

Les biens existants sont ceux qui appartiennent à l’indivision au moment de l’ouverture de celle-ci et qui n’ont pas été cédés, consommés ou aliénés avant la clôture des opérations de partage.

Ces biens peuvent revêtir différentes formes, au nombre desquels figurent :

  • Les biens immobiliers : terrains, maisons, appartements, immeubles de rapport, qui constituent souvent une partie substantielle de la masse indivise.
  • Les biens mobiliers : meubles corporels tels que les objets d’art, les véhicules, les meubles d’ameublement, ainsi que les biens mobiliers incorporels comme les valeurs mobilières, les comptes bancaires ou les titres de créances.
  • Les parts sociales et actions : dans les sociétés civiles ou commerciales, les parts détenues par le défunt, tant qu’elles n’ont pas été transmises par cession, restent dans la masse indivise.
  • Les droits patrimoniaux : droits de créance, droits d’exploitation d’une entreprise individuelle ou droits attachés à des propriétés intellectuelles.

Le partage de ces biens dépend de leur existence au jour du partage. Dans un arrêt du 9 mai 9178, la Cour de cassation a eu l’occasion de préciser que « le partage ne peut porter que sur les biens qui existent encore à la date du partage » (Cass. 1ère civ., 9 mai 1978, n°76-12.646), soulignant ainsi la nécessité d’exclure les biens qui ont disparu de la masse successorale avant cette date, que ce soit par aliénation, consommation ou destruction.

==>Les libéralités rapportées ou réduites

En sus des biens existants au sens strict, les libéralités consenties à certains héritiers peuvent également entrer dans la masse à partager sous réserve de certaines conditions.

En effet, ces libéralités sont susceptibles d’être rapportées à la masse indivise ou réduites si elles excèdent la quotité disponible et portent atteinte à la réserve héréditaire.

L’article 843 du Code civil prévoit en ce sens que les héritiers réservataires sont tenus de rapporter à la masse successorale les biens dont ils ont pu bénéficier à titre de donation ou d’avantage indirect.

Deux situations sont à envisager :

  • Le rapport des libéralités
    • Il s’agit de remettre fictivement dans la masse successorale les biens reçus par un héritier en avance sur sa part d’héritage.
    • Ces biens peuvent être rapportés en nature (si le bien est resté dans le patrimoine de l’héritier) ou en valeur.
    • Le but est ici de préserver l’égalité entre les héritiers.
  • La réduction des libéralités
    • Si les donations ou legs consentis par le défunt dépassent la quotité disponible, ils peuvent être réduits pour protéger les droits des héritiers réservataires.
    • La réduction s’effectue en valeur ou en nature selon les modalités prévues par les articles 924 et suivants du Code civil.

Dans ces cas, même si les biens en question ont été donnés avant l’ouverture de la succession, leur valeur est réintégrée dans la masse à partager pour préserver l’égalité entre les cohéritiers.

ii. L’évolution de la masse indivise jusqu’au partage

Il convient de souligner que la masse indivise n’est pas figée. Elle peut évoluer entre l’ouverture de l’indivision et le partage définitif.

Pendant cette période, les biens peuvent être vendus, dégradés ou augmenter de valeur.

Par exemple, les immeubles indivis peuvent prendre de la valeur sur le marché immobilier ou au contraire subir une dépréciation en fonction des conditions économiques.

L’article 822 du Code civil précise que l’évaluation des biens indivis se fait à la date la plus proche du partage afin de tenir compte de ces fluctuations.

En cas d’augmentation de la valeur des biens, celle-ci bénéficie à l’ensemble des indivisaires.

De la même manière, toute dépréciation impacte collectivement les indivisaires. Les plus-values réalisées, par exemple en cas de gestion ou d’améliorations apportées aux biens indivis par un des cohéritiers, sont elles aussi réparties au prorata des droits indivisaires, sauf demande de remboursement pour les investissements réalisés (Cass. 1ère civ., 29 mai 1996, n°94-14.632).

iii. L’importance d’une évaluation exhaustive des biens existants

Il est essentiel de procéder à une évaluation complète et précise de l’ensemble des biens existants au jour du partage.

L’omission d’un bien dans la masse indivise peut entraîner un partage complémentaire, quand bien même la valeur du bien omis est minime.

Dans d’une décision du 15 mai 2008, la Cour de cassation a rappelé en ce sens que « lorsqu’un bien est omis lors du partage, cela impose la réalisation d’un partage complémentaire, quelle que soit la valeur du bien omis » (Cass. 1ère civ., 15 mai 2008, n°06-19.416).

Cette règle vise à garantir que tous les biens constituant la masse successorale soient effectivement répartis entre les cohéritiers, protégeant ainsi les droits de chacun.

Aussi, sauf renonciation expresse d’un indivisaire à ses droits, l’omission d’un bien ne saurait priver un indivisaire de sa part dans ce bien. Le fait de ne pas avoir mentionné un bien dans le partage initial n’éteint donc pas les droits des indivisaires sur ce bien.

b. Les créances

Les créances indivises peuvent constituer une composante importante de l’actif de l’indivision, car elles représentent des droits que l’indivision détient envers des tiers.

Elles peuvent prendre différentes formes : créances de nature contractuelle, créances liées à des droits de propriété, ou encore créances issues de la gestion des biens indivis.

Leur gestion au sein de l’indivision est encadrée par des principes stricts de répartition entre les indivisaires.

i. Le principe de division des créances

==>Énoncé du principe

En application de l’article 1309, al. 1er du Code civil, dès l’ouverture de l’indivision, les créances se divisent de plein droit entre les indivisaires, au prorata de leurs parts dans la succession.

Ce principe est applicable aussi bien en cas d’indivision successorale qu’en cas d’indivision conventionnelle. Cela signifie que chaque indivisaire devient titulaire de la fraction de la créance correspondant à sa quote-part dans l’indivision.

En pratique, cela permet à chaque indivisaire de réclamer directement sa part de la créance à un tiers débiteur. Cette règle vise à simplifier le recouvrement des créances tout en respectant les droits proportionnels de chacun des indivisaires.

==>Mise en œuvre du principe

Lorsqu’une créance indivise est recouvrée par un indivisaire, ce dernier doit s’assurer de ne percevoir que sa part proportionnelle.

Si un indivisaire reçoit un montant supérieur à sa quote-part dans la créance, il est tenu de rembourser l’excédent à ses coindivisaires. Cette obligation découle du principe d’équité qui régit l’indivision.

L’effet déclaratif du partage, prévu par l’article 883 du Code civil, joue un rôle important ici.

Lors du partage de l’indivision, chaque indivisaire est considéré comme ayant toujours été propriétaire exclusif des biens qui lui sont attribués depuis l’origine de l’indivision.

Cela signifie qu’une créance qui est partagée ne fait l’objet d’un transfert qu’au moment du partage, ce qui peut avoir des conséquences sur les paiements effectués avant le partage.

Si, par exemple, une créance successorale est cédée par un indivisaire avant le partage, cette cession pourrait être annulée si, au moment du partage, la créance est attribuée à un autre indivisaire.

Cela a été confirmé par la jurisprudence dans un arrêt ancien, mais encore souvent cité : Cass. req., 13 janv. 1909, qui rappelle que la cession d’une créance par un indivisaire avant partage est nulle si celui-ci n’en est pas attributaire lors du partage.

Dans cette affaire, un indivisaire avait cédé une créance successorale avant le partage de la succession.

Toutefois, au moment du partage, cette créance n’avait pas été attribuée au cédant, mais à un autre héritier. La Cour de cassation a jugé que cette cession était nulle, car l’indivisaire cédant n’avait pas été attributaire de la créance au moment du partage.

Il ressort de cette jurisprudence que, jusqu’au partage, l’indivisaire ne saurait valablement céder une créance indivise, car l’effet déclaratif du partage signifie qu’il n’est considéré comme ayant eu un droit exclusif sur cette créance qu’à partir du moment où elle lui est attribuée définitivement lors du partage.

En effet, l’effet déclaratif du partage, consacré par l’article 883 du Code civil, signifie que le partage ne fait que constater et déclarer des droits qui existaient depuis l’ouverture de la succession, mais que chaque héritier est censé avoir eu de manière exclusive sur les biens qui lui sont attribués.

Avant le partage, les biens de la succession sont indivis, et chaque indivisaire est copropriétaire de la totalité des biens à hauteur de sa quote-part. Un indivisaire ne peut donc céder un bien ou une créance tant que celui-ci n’a pas été précisément attribué à lui lors du partage.

Cette règle vise à préserver l’intégrité de la masse successorale jusqu’au partage et d’éviter des complications liées à des cessions de biens indivis avant leur attribution définitive.

ii. Exception : les créances indivisibles

Toutes les créances ne sont pas divisibles entre les indivisaires. Certaines créances, en raison de leur nature, sont considérées comme indivisibles et doivent être recouvrées et partagées dans leur totalité par l’ensemble des indivisaires.

Un exemple typique est celui des indemnités d’expropriation, que la jurisprudence a qualifiées de créances indivisibles.

Dans une décision importante, la Cour de cassation a jugé que ces indemnités ne pouvaient pas être divisées entre les indivisaires, et devaient donc être partagées dans leur ensemble (Cass. 3e civ., 13 déc. 1995, n°94-86.191).

Dans cette affaire, une indemnité d’expropriation avait été accordée pour un bien appartenant à une indivision.

Le problème portait sur la manière dont cette indemnité devait être traitée et répartie entre les indivisaires, certains d’entre eux contestant les modalités de la répartition.

Plus précisément, la question soulevée était de savoir si une indemnité d’expropriation, touchant un bien indivis, pouvait être divisée entre les indivisaires ou si elle devait être considérée comme indivisible.

La Cour de cassation a jugé que l’indemnité d’expropriation d’un bien indivis est indivisible, confirmant ainsi que cette indemnité devait être partagée entre tous les indivisaires de manière globale.

Elle ne pouvait donc pas, en d’autres termes, être divisée et recouvrée séparément par chaque indivisaire en fonction de sa quote-part dans l’indivision.

Il s’en déduit qu’une créance liée à l’indemnité d’expropriation d’un bien indivis est insusceptible de faire l’objet d’une division proportionnelle comme les autres créances ordinaires de l’indivision.

La raison en est que l’indivisibilité de l’indemnité d’expropriation repose sur la nature même de cette indemnité, qui est censée compenser la perte d’un bien indivis dans son ensemble.

Le bien étant indivis, l’indemnité qui le remplace doit également être considérée comme indivise et répartie globalement entre les co-indivisaires au moment du partage.

La jurisprudence justifie cette position par la nécessité de maintenir la cohérence de l’indemnisation en cas d’expropriation d’un bien indivis.

Puisque le bien appartient en commun à tous les indivisaires, l’indemnité accordée par les autorités expropriantes est considérée comme une créance unique et indivisible, à répartir seulement après avoir été reçue globalement par l’indivision.

Il peut être observé que le caractère indivisible d’une créance peut également se retrouver dans d’autres situations, notamment lorsque la nature même de l’obligation le rend impossible. Cela peut notamment concerner des créances liées à des préjudices moraux, ou des obligations contractuelles spécifiques.

c. Les biens subrogés

La subrogation réelle consiste à substituer dans un patrimoine une chose par une autre.

Il en va ainsi lorsqu’un bien mobilier ou immobilier dont est propriétaire une personne est remplacé par une somme d’argent correspondant à la valeur du bien remplacé.

Cette somme d’argent peut consister en un prix de vente, à une indemnité d’assurance ou encore à une indemnité d’expropriation.

La particularité de la subrogation réelle est donc qu’elle opère le remplacement dans un bien par un autre, sans pour autant modifier le rapport de propriété préexistant liant le propriétaire à la chose.

C’est là le sens de l’adage subrogatum capit naturam subrogi, soit ce qui est subrogé prend la nature de ce à quoi il est subrogé.

La conséquence en est que la subrogation n’affecte pas le droit réel exercé par le propriétaire ; elle substitue seulement son objet.

A cet égard, le mécanisme de la subrogation réelle trouve une application dans le régime des indivisions, particulièrement lorsque des biens sont vendus, détruits ou remplacés.

La subrogation permet ainsi d’assurer la continuité de la masse indivise, en substituant à un bien disparu un équivalent en nature ou en valeur (prix de vente, indemnité, créance, etc.). L’objectif est de préserver les droits des indivisaires et de maintenir la cohérence de l’actif indivis jusqu’au partage.

En pratique, cela signifie que le bien subrogé, bien qu’il diffère dans sa forme ou sa valeur, continue à appartenir à la masse indivise et reste soumis aux règles qui gouvernent le partage.

Le principe de la subrogation réelle est issu de l’arrêt Chollet-Dumoulin rendu par les chambres réunies de la Cour de cassation le 5 décembre 1907 (Cass. ch. Réunies, 5 déc. 1907).

Dans cette affaire, les indivisaires avaient vendu un bien immobilier indivis et une contestation était née quant à la répartition du prix de vente.

La question portait sur le fait de savoir si le prix de vente devait être considéré comme faisant partie de la succession et partagé entre les indivisaires, ou s’il pouvait être exclu de la masse indivise.

La Cour de cassation a tranché en faveur de l’intégration du prix de vente à la masse indivise, affirmant que le produit de la vente d’un bien indivis devait être considéré comme un « effet de succession ».

Le prix de vente remplace donc le bien vendu et devient un bien subrogé à répartir entre les indivisaires de la même manière que le bien lui-même aurait été partagé. Cet arrêt a posé le fondement de la subrogation réelle, garantissant ainsi que la vente d’un bien indivis n’entraîne pas la perte de valeur pour les indivisaires mais simplement son transfert sur une somme d’argent.

Dès lors, la subrogation réelle peut intervenir selon deux modalités principales :

  • La subrogation automatique
    • Lorsqu’elle est automatique, la subrogation réelle joue de plein droit.
    • Ce mécanisme est mise en oeuvre dès lors qu’un bien indivis est aliéné ou détruit, sans nécessiter l’accord des indivisaires.
    • Par exemple, le prix de vente d’un bien indivis ou une indemnité d’assurance en cas de destruction entre automatiquement dans la masse indivise.
    • Ce principe de subrogation automatique assure que les droits des indivisaires sur les biens aliénés sont préservés et reportés sur la somme obtenue en contrepartie.
  • La subrogation volontaire
    • Il est des cas où pour produire ses effets, la subrogation requiert le consentement des indivisaires, notamment en matière d’emploi ou de remploi de biens indivis.
    • Ici, le produit de la vente d’un bien indivis peut être réinvesti dans l’acquisition d’un nouveau bien, à condition que tous les indivisaires y consentent.
    • Ce nouveau bien deviendra alors lui-même indivis, mais seulement si les cohéritiers acceptent explicitement cette opération.

i. La subrogation automatique : un principe général

La subrogation réelle est, en principe, automatique et s’applique de plein droit dès lors qu’un bien indivis est aliéné ou détruit.

Ce principe est consacré par l’article 815-10 du Code civil, qui prévoit que les créances et indemnités venant remplacer des biens indivis entrent automatiquement dans la masse indivise.

Ainsi, les indivisaires conservent-ils leurs droits, non plus sur le bien initial, mais sur la somme ou l’indemnité qui le remplace.

La subrogation automatique est susceptible de jouer dans plusieurs situations :

  • Vente d’un bien indivis : le prix de vente comme bien subrogé
    • Lorsqu’un bien indivis est vendu, le prix de vente se substitue automatiquement au bien vendu et intègre la masse indivise.
    • Cette subrogation a pour effet de remplacer le bien physique par une créance pécuniaire, qui est alors partagée entre les indivisaires selon leurs droits dans l’indivision.
    • Ainsi, les indivisaires conservent une quote-part dans le produit de la vente.
    • C’est ce principe que l’arrêt Chollet-Dumoulin est venu consacrer (Cass. ch. Réunies, 5 déc. 1907).
    • Ce principe garantit que la vente d’un bien indivis ne prive pas les indivisaires de leurs droits, mais simplement les reporte sur une somme d’argent.
  • Indemnité d’assurance : subrogation en cas de destruction d’un bien
    • En cas de destruction d’un bien indivis, par exemple à la suite d’un sinistre, l’indemnité d’assurance versée en réparation du dommage se substitue automatiquement au bien détruit.
    • Cette indemnité est intégrée dans la masse indivise et se partage entre les indivisaires selon leurs parts respectives.
    • Ce principe a été confirmé par l’arrêt Cass. 1re civ., 19 mars 2014, dans lequel la Cour de cassation a jugé que l’indemnité d’assurance subrogée à un bien indivis détruit doit être intégrée à l’indivision, même si son montant dépasse la valeur initiale du bien détruit.
    • Le juge du partage n’a aucun pouvoir pour discuter le montant de l’indemnité ; il doit l’intégrer intégralement à l’actif indivis (Cass. 1ère civ. 19 mars 2014, n° 13-12.578).
  • Créances successorales : annulation des cessions avant partage
    • Un autre exemple de subrogation réelle se retrouve dans le cas des créances successorales.
    • Si un indivisaire cède une créance avant le partage et que cette créance n’est finalement pas attribuée à cet indivisaire au moment du partage, la cession est annulée.
    • C’est le principe de l’effet déclaratif du partage qui est à l’œuvre ici, comme l’a affirmé la Cour de cassation dans un arrêt du 13 janvier 1909 (Cass. req., 13 janvier 1909).
    • Dans cette affaire, un indivisaire avait cédé une créance successorale avant le partage.
    • Toutefois, au moment du partage, cette créance n’avait pas été attribuée au cédant, mais à un autre héritier.
    • La Cour de cassation a jugé que la cession de cette créance était nulle, car l’indivisaire cédant n’était pas devenu propriétaire exclusif de la créance avant le partage.
    • Cet arrêt confirme que, tant que le partage n’a pas eu lieu, les droits des indivisaires sur les biens de la succession sont indivis et ne peuvent pas faire l’objet d’une cession indépendante par un seul co-indivisaire.
    • Ce principe s’infère de l’article 883 du Code civil, selon lequel le partage a un effet déclaratif : il ne crée pas de nouveaux droits mais attribue à chaque indivisaire la portion de biens à laquelle il avait déjà droit depuis l’ouverture de la succession.
    • Ainsi, la cession d’un bien indivis avant le partage n’est valable que si le bien est effectivement attribué à l’indivisaire cédant au moment du partage.

ii. La subrogation volontaire : emploi et remploi des biens indivis

Par exception, certaines situations de subrogation réelle ne sont pas automatiques et requièrent le consentement des indivisaires.

Cela concerne principalement les cas d’emploi et de remploi, où le prix de vente d’un bien indivis ou une indemnité est réinvesti dans un nouveau bien. Cette forme de subrogation est dite volontaire, car elle requiert l’accord unanime des indivisaires.

En effet, l’emploi et le remploi sont des mécanismes qui permettent de réinvestir les sommes issues de la vente d’un bien indivis dans l’acquisition d’un nouveau bien.

Ce nouveau bien devient alors indivis, à condition que tous les indivisaires aient donné leur consentement.

L’article 815-10 du Code civil précise en ce sens que les biens acquis en emploi ou en remploi de biens indivis ne peuvent être eux-mêmes indivis que si tous les indivisaires ont consenti à cette opération.

Ce consentement est indispensable pour éviter que l’un des indivisaires ne soit contraint d’accepter l’acquisition d’un nouveau bien en indivision contre son gré. En l’absence d’accord unanime, seul le prix de vente ou l’indemnité d’assurance reste dans la masse indivise, mais aucun nouveau bien ne peut être intégré à l’indivision.

La jurisprudence a confirmé à plusieurs reprises le caractère volontaire de l’emploi et du remploi, notamment à travers d’un arrêt rendu par la Cour de cassation le 20 février 1996 (Cass. 1ère civ., 20 févr. 1996, 93-21.141)

Dans cette affaire, il s’agissait de savoir si les opérations de gestion effectuées par le gérant d’une indivision, en utilisant des fonds indivis pour acquérir de nouveaux biens, pouvaient être considérées comme ayant été réalisées au profit de l’indivision.

L’époux, qui était le gérant de l’indivision post-communautaire, avait effectué des achats avec les deniers indivis. Le litige portait sur la question de savoir si ces biens nouvellement acquis devaient être considérés comme des biens indivis, au titre de la subrogation réelle.

La Cour de cassation a confirmé que les opérations de remploi effectuées par le gérant d’une indivision post-communautaire étaient valables, sous réserve que ces opérations aient été réalisées avec le consentement des indivisaires ou, à défaut, dans l’intérêt de l’indivision.

En l’espèce, la Cour a jugé que toutes les acquisitions réalisées par le gérant avec des deniers indivis l’avaient été volontairement pour le compte de l’indivision, car il avait agi dans l’intérêt de celle-ci et avec l’accord implicite des autres indivisaires.

Ainsi, la simple utilisation de deniers indivis ne suffit donc pas à opérer une subrogation ; il faut également une intention manifeste d’acquérir pour le compte de l’indivision.

En revanche, si l’emploi ou le remploi a lieu sans le consentement de tous les indivisaires, la subrogation ne pourra pas être imposée. Dans ce cas, seule la somme d’argent, comme le prix de vente ou l’indemnité, restera dans la masse indivise.

En cas de désaccord entre les indivisaires sur la question du remploi, il est possible de demander l’intervention du juge.

L’article 815-6 du Code civil permet au tribunal judiciaire de prendre des mesures urgentes pour protéger les intérêts de l’indivision, notamment en autorisant une opération de remploi en l’absence d’accord unanime.

De même, l’article 815-5 du Code civil permet à un indivisaire d’agir seul en cas de gestion d’affaires, à condition que cela soit dans l’intérêt commun et justifié par l’urgence ou la conservation du bien.

d. Les biens à caractère personnel

Certains biens, bien qu’ayant un caractère personnel, peuvent être inclus dans la masse partageable de l’indivision, mais sous certaines conditions particulières.

La jurisprudence a établi une distinction essentielle entre la titularité (ou le titre) de ces biens, qui reste personnelle et intransmissible, et leur valeur économique, qui, elle, peut être intégrée à la masse indivise et partagée entre les coindivisaires.

Ce principe de distinction entre le titre et la valeur permet de concilier le caractère personnel de certains biens avec la nécessité de partager leur valeur économique dans une indivision. Il trouve son origine dans la gestion des offices ministériels et a ensuite été transposé à d’autres types de biens présentant des caractéristiques similaires, comme les parts sociales ou les clientèles professionnelles.

i. Origine de la distinction entre le titre et la finance

Les offices ministériels (notaires, huissiers de justice, commissaires-priseurs, etc.) illustrent bien la distinction entre le titre et la finance car ils se caractérisent par deux aspects distincts :

  • Le titre, qui confère à son titulaire l’autorisation d’exercer une mission de service public. Ce titre, octroyé par l’État, est strictement personnel, car il repose sur des qualifications spécifiques et des agréments particuliers liés à la personne du titulaire. En raison de ce caractère personnel, la titularité d’un office ne peut être cédée ou partagée dans le cadre d’une indivision.
  • La finance, ou la valeur économique de l’office, est en revanche patrimoniale. Cette valeur correspond au prix de marché de l’office et peut être partagée, notamment lors d’une succession ou d’un partage. Ainsi, même si le titre reste propre au titulaire, la valeur patrimoniale de l’office (appelée finance) peut être incluse dans la masse indivise et partagée entre les indivisaires.

Cette distinction a été consacré par la jurisprudence, notamment pour éviter que les coindivisaires ou le conjoint d’un titulaire d’office ne puissent revendiquer la titularité de l’office, tout en leur permettant de bénéficier de la valeur économique qu’il représente.

ii. Extension de la distinction à d’autres biens à caractère personnel

Au fil du temps, cette distinction entre le titre et la valeur a été transposée à d’autres biens à caractère personnel, tels que les parts sociales dans des sociétés de personnes, les clientèles professionnelles, ou encore certaines concessions administratives.

==>Les parts dans des sociétés de personnes

Dans les sociétés de personnes, comme les sociétés civiles ou les SNC (Société en Nom Collectif), la qualité d’associé repose sur une relation de confiance (intuitu personae) entre les associés.

La titularité des parts sociales est donc strictement personnelle et intransmissible sans l’accord des autres associés.

Cependant, la valeur patrimoniale de ces parts peut entrer dans la masse indivise et être partagée entre les indivisaires au moment du partage.

==>Les clientèles professionnelles

La clientèle d’un professionnel (médecin, avocat, notaire) repose sur une relation de confiance personnelle avec les clients, ce qui la rend intransmissible.

Toutefois, la valeur économique de cette clientèle peut être incluse dans l’actif indivis.

Par exemple, lors de la liquidation d’une indivision post-communautaire, la valeur patrimoniale de la clientèle peut être évaluée et partagée entre les indivisaires, bien que la titularité de la clientèle reste propre au professionnel.

==>Les concessions administratives

Un autre exemple de cette distinction peut être trouvé dans les concessions administratives, telles que les concessions de parcs à huîtres.

Dans un arrêt du 8 décembre 1987, la Cour de cassation a jugé que la concession, en tant que droit personnel, était intransmissible. Toutefois, la valeur patrimoniale de cette concession pouvait entrer dans la masse commune ou indivise, permettant ainsi de protéger l’intérêt économique des indivisaires ou du conjoint (Cass. 1ère civ. 8 déc. 1987, n°86-12426).

iii. Application de la distinction dans le cadre de l’indivision

La distinction entre le titre et la finance s’applique donc dans plusieurs cas où le bien est personnel, mais présente une valeur patrimoniale importante. Elle permet de protéger l’aspect personnel du bien, tout en offrant aux indivisaires la possibilité de partager la valeur économique de ce bien.

La jurisprudence est claire : la titularité de certains biens à caractère personnel (parts sociales, offices ministériels, clientèles professionnelles) reste strictement attachée à la personne du titulaire.

Cette intransmissibilité s’explique par les qualités spécifiques requises pour exercer certains droits ou fonctions, ou encore par la relation de confiance personnelle qui caractérise certains types de biens.

En revanche, même si la titularité ne peut être partagée, la valeur économique du bien peut entrer dans la masse indivise. Cela permet d’assurer une équité entre les indivisaires, notamment lorsque le bien représente une part significative du patrimoine indivis. Lors du partage, la valeur de marché du bien est évaluée et incluse dans la masse à partager.

L’évaluation des biens à caractère personnel pour leur intégration dans la masse indivise se fait généralement au moment du partage. Leur valeur marchande est déterminée lors des opérations de liquidation et de partage de l’indivision, et cette valeur est répartie entre les indivisaires proportionnellement à leurs parts.

e. Les fruits et revenus

Les fruits et revenus générés par les biens indivis, tels que les loyers, les dividendes, les intérêts ou d’autres produits, sont des éléments essentiels susceptibles de faire l’objet d’un partage entre les indivisaires. Ces derniers, en s’ajoutant à la masse indivise, augmentent l’actif partageable et garantissent une répartition équitable entre les coindivisaires.

Ce principe est énoncé par l’article 815-10 du Code civil qui prévoit que « les fruits et les revenus des biens indivis accroissent à l’indivision ». Selon cette règle, les fruits et revenus bénéficient donc à l’ensemble des indivisaires, évitant qu’un seul ne tire un avantage exclusif des fruits générés par les biens communs.

i. Le principe d’accroissement de la masse indivise

L’objectif de cette règle est d’éviter qu’un indivisaire ne tire un bénéfice personnel des fruits produits par un bien indivis avant le partage, au détriment des autres indivisaires.

Ainsi, les fruits et revenus produits par les biens indivis ne reviennent pas directement à celui qui en a la gestion ou la jouissance temporaire, mais sont intégrés dans la masse indivise pour être partagés lors de la liquidation ou du partage de l’indivision.

Cet équilibre est particulièrement important dans le cadre des successions, où certains héritiers pourraient autrement profiter d’un bien frugifère (comme un immeuble locatif) avant le partage, alors que d’autres ne recevraient qu’un bien non frugifère.

Le fait que les fruits soient inclus dans la masse indivise permet de garantir une égalité entre les héritiers et de compenser les écarts liés à la nature des biens attribués lors du partage.

Ce principe a été consacré depuis longtemps par la jurisprudence, notamment par un arrêt de la Cour de cassation du 20 juillet 1858, qui reprend l’adage latin « fructus augent hereditatem », soit les fruits augmentent l’héritage (Cass. civ. 20 juill. 1858).

Ce principe veut que tous les fruits et revenus générés par les biens indivis bénéficient à l’ensemble des indivisaires et non à un seul.

ii. Typologie des fruits et revenus

Les fruits et revenus des biens indivis peuvent prendre plusieurs formes :

  • Les fruits naturels
    • Les fruits naturels sont les produits qui proviennent des biens immobiliers sans intervention humaine excessive.
    • On compte dans cette catégorie notamment :
      • Les récoltes agricoles issues de terrains indivis utilisés pour l’agriculture.
      • Les produits forestiers comme le bois provenant de forêts indivises, ou encore la résine et autres produits naturels exploitables.
    • Les fruits naturels se distinguent par le fait qu’ils sont directement générés par la nature et peuvent être récoltés régulièrement sans affecter la substance du bien d’origine (par exemple, couper du bois dans une forêt sans détruire le terrain). Ces revenus doivent être répartis entre les coindivisaires au moment du partage, sauf si une convention ou un accord a prévu une répartition antérieure.
  • Les fruits civils
    • Les fruits civils représentent les produits réguliers résultant de l’exploitation de biens indivis, souvent en vertu de contrats conclus avec des tiers. Contrairement aux fruits naturels, les fruits civils nécessitent une gestion active du bien pour en percevoir les revenus.
    • Ils incluent notamment :
      • Les loyers perçus d’un bien immobilier indivis mis en location. Les revenus locatifs sont considérés comme des fruits civils qui s’ajoutent à la masse indivise.
      • Les dividendes provenant de parts sociales ou d’actions détenues en indivision. Si les indivisaires détiennent des titres financiers indivis, les dividendes versés par la société émettrice sont également intégrés à l’actif indivis.
      • Les redevances issues de contrats de concession ou d’exploitation, comme la gestion d’un fonds de commerce indivis ou la mise en valeur de propriétés intellectuelles détenues en indivision.
    • Les fruits civils sont souvent générés sur une base contractuelle et impliquent une perception périodique (mensuelle, trimestrielle, annuelle, etc.).
    • Ces revenus, comme les loyers ou dividendes, doivent être partagés entre les indivisaires en fonction de leurs parts dans l’indivision.
    • Si un indivisaire a géré seul un bien et perçu des loyers ou des dividendes, il est tenu de les partager avec les autres, sous peine de devoir indemniser l’indivision.
  • Les intérêts
    • Les intérêts perçus dans le cadre d’une indivision résultent de placements financiers ou de créances indivises.
    • Ces revenus peuvent provenir de différentes sources, telles que :
      • Les créances indivises qui génèrent des intérêts, comme un prêt consenti par l’indivision à un tiers. Dans ce cas, les intérêts perçus doivent être répartis entre les indivisaires.
      • Les placements financiers, comme des comptes bancaires, des livrets d’épargne ou des obligations détenues par l’indivision. Les intérêts générés par ces placements viennent également augmenter la masse indivise.
    • Les intérêts, qu’ils soient issus de créances ou de placements financiers, sont des revenus passifs, ne nécessitant pas une gestion active mais dépendant du temps et des conditions contractuelles.
    • Ils sont perçus à échéances régulières et augmentent la masse à partager au moment de la liquidation de l’indivision.

Tous ces revenus, qu’ils proviennent de fruits naturels, de fruits civils ou encore d’intérêts, augmentent donc systématiquement la masse indivise et doivent être partagés entre les indivisaires lors de la liquidation de l’indivision.

Leur répartition se fait en fonction des parts respectives de chaque indivisaire dans l’indivision.

Ce mécanisme permet d’éviter qu’un indivisaire ne bénéficie exclusivement des produits générés par le bien indivis avant le partage, ce qui pourrait entraîner des situations inéquitables.

En pratique, les revenus sont généralement conservés ou placés sur un compte commun au nom de l’indivision jusqu’au partage.

Si un indivisaire a perçu des fruits ou revenus sans les partager, il est tenu de restituer l’excédent aux autres indivisaires. Ce mécanisme vise à garantir l’équité entre les coindivisaires et à préserver les intérêts de chacun.

f. Les plus-values et moins-values

Dans le cadre d’une indivision, les plus-values et les moins-values réalisées sur les biens indivis constituent des éléments susceptibles d’être intégrés au partage. Ces variations de valeur, qu’elles résultent d’évolutions économiques, d’investissements ou encore de la gestion active des biens par l’un des indivisaires, influencent directement l’équilibre patrimonial au sein de l’indivision.

Le partage de ces fluctuations vise à garantir que chaque indivisaire bénéficie ou supporte les effets des changements affectant la valeur des biens indivis, conformément à ses droits dans l’indivision. Ce mécanisme assure une répartition équitable, tenant compte des enrichissements ou des diminutions de valeur intervenus pendant la période indivise.

Lors de la liquidation de l’indivision, les plus-values et moins-values sont évaluées au moment du partage, permettant une prise en compte actualisée des biens indivis. Ainsi, ces variations s’intègrent dans la répartition, traduisant une juste répartition des bénéfices ou pertes accumulés au cours de la gestion collective.

i. Les plus-values dans l’indivision

Les plus-values réalisées sur les biens indivis constituent des éléments importants pouvant faire l’objet d’un partage. Ces plus-values peuvent résulter de plusieurs facteurs :

  • L’évolution naturelle des prix du marché immobilier ou financier. Par exemple, une augmentation du prix de l’immobilier peut générer une plus-value sur un immeuble détenu en indivision.
  • Les investissements réalisés sur les biens indivis, tels que des travaux d’amélioration ou de rénovation, qui augmentent la valeur des biens. Ces investissements peuvent être réalisés soit par l’ensemble des indivisaires, soit par un seul indivisaire.

Lorsqu’une plus-value est constatée, elle bénéficie à l’ensemble des indivisaires, indépendamment de celui qui aurait initié les travaux ou géré le bien. Conformément au principe d’équité, toute augmentation de la valeur des biens indivis est répartie proportionnellement entre les indivisaires, chacun percevant une part en fonction de ses droits dans l’indivision.

Cependant, lorsqu’une plus-value est le résultat direct de la gestion active d’un bien indivis par un indivisaire (par exemple, dans le cadre de la gestion d’un fonds de commerce indivis), cet indivisaire a la possibilité de réclamer une rémunération pour sa gestion.

Cette règle a été consacrée par la jurisprudence, notamment dans un arrêt rendu par la Cour de cassation le 29 mai 1996 aux termes duquel elle a reconnu que la plus-value résultant de la gestion par un indivisaire accroît l’actif indivis, mais que cet indivisaire peut être indemnisé pour son activité de gestion (Cass. 1re civ., 29 mai 1996, n°94-14.632).

Dans cette affaire, un époux avait continué à gérer un fonds de commerce après la dissolution de la communauté post-communautaire, mais alors que les biens étaient encore en indivision.

Sa gestion avait permis une augmentation de la valeur du fonds de commerce, générant ainsi une plus-value.

Le litige portait sur la question de savoir si cette plus-value devait revenir uniquement à l’époux ayant géré le fonds, ou si elle devait être partagée entre les autres indivisaires.

La Cour de cassation a jugé que la plus-value résultant de la gestion d’un indivisaire sur un bien indivis accrue à l’indivision, c’est-à-dire qu’elle devait bénéficier à tous les indivisaires.

Cependant, la Cour a également précisé que l’indivisaire ayant géré le fonds pouvait demander une rémunération pour sa gestion, sous réserve que cette gestion ait été dans l’intérêt commun de l’indivision.

L’octroi de cette rémunération permet de compenser l’effort de gestion tout en préservant le principe que les fruits de l’indivision doivent être partagés.

La rémunération accordée à l’indivisaire peut prendre plusieurs formes, comme une indemnité de gestion ou une participation aux bénéfices générés par le bien. Cette indemnisation est soumise à l’approbation des autres indivisaires ou, à défaut, à une décision judiciaire en cas de désaccord.

ii. Les pertes dans l’indivision

Les pertes subies par les biens indivis peuvent également faire l’objet d’un partage entre les indivisaires, conformément au principe de proportionnalité des droits dans l’indivision.

Ces pertes, qu’elles soient liées à des circonstances économiques, des incidents ou une gestion déficiente, impactent collectivement la masse partageable au moment de la liquidation de l’indivision.

Ces pertes peuvent être dues à plusieurs facteurs, tels que :

  • Des dépréciations économiques : une baisse du marché immobilier, par exemple, peut entraîner une diminution de la valeur des biens indivis, affectant ainsi la masse partageable lors de la liquidation.
  • Des incidents ou sinistres : un bien indivis endommagé par un sinistre (incendie, inondation, etc.) peut entraîner des pertes financières, à moins qu’une indemnité d’assurance ne compense cette perte.
  • La mauvaise gestion des biens indivis : si les biens indivis sont mal entretenus ou sous-exploités, leur valeur peut diminuer, entraînant une perte pour l’ensemble des indivisaires.

Cependant, la jurisprudence prévoit une exception importante : si les pertes sont imputables à la faute ou à la négligence d’un indivisaire, celui-ci peut être tenu pour responsable personnellement de ces pertes.

Par exemple, si un indivisaire, en tant que gérant des biens indivis, a pris des décisions qui ont causé une dégradation importante de la valeur des biens ou des pertes financières injustifiées, il pourrait être tenu de compenser ces pertes au bénéfice des autres indivisaires.

Cette responsabilité est souvent invoquée dans les cas où un indivisaire gère un bien indivis de manière négligente ou en ne tenant pas compte de l’intérêt commun de tous les coindivisaires.

2. Les biens exclus du partage

Le partage constitue le mécanisme naturel de dissolution de l’indivision. Toutefois, certains biens, en raison de leur nature ou de leur affectation particulière, échappent à cette issue. Leur exclusion du partage repose sur des considérations spécifiques, qu’elles soient d’ordre juridique, familial ou liées à l’intérêt collectif.

Cette exclusion s’appuie principalement sur deux logiques :

  • La perpétuation de leur affectation : certains biens, tels que les biens cultuels ou familiaux, ne peuvent être soumis au partage sans compromettre leur usage ou leur valeur symbolique. Ils incarnent des fonctions ou des attaches particulières qui justifient leur maintien dans une indivision protégée.
  • L’indisponibilité juridique : d’autres biens, comme les copropriétés forcées ou les titres communs à l’hérédité, sont soustraits au partage pour des raisons de nécessité ou d’intérêt collectif. Leur affectation spéciale ou leur caractère essentiel à un ensemble plus vaste impose une organisation juridique dérogatoire.

Ainsi, bien que le droit de provoquer le partage constitue une règle cardinale en matière d’indivision, il cède dans ces hypothèses au profit d’impératifs supérieurs. Ces exclusions, loin d’être arbitraires, traduisent une volonté de préserver des intérêts spécifiques qui transcendent la seule logique patrimoniale.

a. Les biens affectés à un usage cultuel

Les biens cultuels, qu’ils soient mobiliers ou immobiliers, ainsi que les sépultures familiales, bénéficient d’un régime dérogatoire qui les soustrait au partage, en raison de leur affectation particulière. Cette exclusion repose sur le respect de leur vocation symbolique, religieuse ou familiale, et sur la préservation de leur usage.

Ainsi, les objets liturgiques, tels que les vases sacrés, les ornements religieux ou encore les livres destinés au culte, ne peuvent faire l’objet d’une licitation lorsqu’ils appartiennent à une indivision.

Cette interdiction vise à éviter que leur destination ne soit compromise par un transfert de propriété qui pourrait ignorer leur caractère sacré.

La jurisprudence a reconnu à ces biens une nature particulière les rendant indisponibles s’agissant d’un partage. Par exemple, un acheteur d’un tel bien lors d’une vente judiciaire pourrait être contraint de respecter son usage religieux, notamment via des stipulations figurant dans le cahier des charges.

De manière similaire, les chapelles privées affectées au culte public, bien qu’appartenant à plusieurs indivisaires, ne peuvent être aliénées sans conditions.

Si la jurisprudence récente tend à adopter une approche protectrice, en refusant d’exclure ces biens de principe du partage, elle impose toutefois à l’acquéreur de respecter leur destination initiale. L’arrêt rendu par la Cour de cassation le 25 septembre 2002 illustre cette volonté d’équilibre en réaffirmant que le droit au partage, consacré par l’article 815 du Code civil, demeure applicable, même pour des biens d’utilité religieuse, dès lors qu’aucun texte spécifique n’y déroge (Cass. 3e civ. 25 sept. 2002, n°99-20.765).

Dans cette affaire, des biens immobiliers avaient été acquis par des paroissiens pour être consacrés au culte protestant et étaient inscrits aux noms des paroisses correspondantes. La cour d’appel de Papeete avait jugé que ces biens relevaient d’une indivision forcée et perpétuelle, excluant tout partage tant qu’ils demeuraient affectés à leur usage religieux. En censurant cette analyse, la Cour de cassation a rappelé que, par leur nature ou leur destination, les biens d’utilité religieuse ne sont pas automatiquement soustraits à la règle selon laquelle nul ne peut être contraint de rester en indivision.

Cependant, la Haute juridiction ne méconnaît pas la particularité des biens cultuels. Elle souligne que leur affectation initiale constitue une stipulation tacite, opposable à tout nouvel acquéreur. En l’espèce, elle a reconnu que l’usage cultuel des biens, tel qu’établi par les paroissiens à l’origine des acquisitions, devait être respecté, même en cas de partage ou de transfert de propriété. Ainsi, l’Église évangélique, en sa qualité de bénéficiaire de cette stipulation, était en droit de solliciter la cessation des troubles causés par les associations cultuelles en place.

Cette décision marque une étape importante dans la conciliation entre le droit des indivisaires au partage et la protection des affectations spécifiques. Elle consacre un principe de responsabilité pour les acquéreurs, qui ne peuvent s’écarter de l’usage cultuel des biens sans méconnaître la volonté initiale des parties. Cette approche témoigne d’un effort pour préserver l’équilibre entre le droit individuel à l’indivision et les impératifs collectifs, notamment religieux, attachés à ces biens.

b. Les sépultures familiales

Les sépultures et tombeaux de famille, qu’ils soient établis sous forme de concessions dans les cimetières ou de caveaux sur des terrains privés, bénéficient d’un statut juridique particulier qui reflète leur nature symbolique et leur vocation à rassembler les générations d’une même lignée.

Ces biens, assimilés à des biens hors commerce, sont soumis à des règles dérogatoires qui en interdisent le partage ou la licitation, en raison de leur affectation familiale exclusive (Cass. 1re civ., 25 mars 1958).

Ces sépultures relèvent d’un régime d’indivision perpétuelle, dans lequel chaque héritier en ligne directe, conjoint ou collatéral, dispose d’un droit d’usage et de jouissance indivis. Ce droit, reconnu comme non susceptible de prescription, permet à chaque indivisaire de s’y faire inhumer et d’y faire inhumer ses proches, sous réserve de respecter les droits équivalents des autres membres de la famille (CA Amiens, 28 oct. 1992).

Toute tentative d’appropriation exclusive ou de transfert à un tiers étranger à la famille, même par voie testamentaire, est strictement prohibée (CA Paris, 28 janv. 1954). Cette interdiction garantit que les sépultures demeurent un lieu collectif et inviolable, consacré à la mémoire familiale. En conséquence, ces biens ne peuvent être inclus dans la masse successorale et restent en dehors de tout acte de partage ou de licitation (CA Toulouse, 25 avr. 1904).

L’attribution et l’utilisation des sépultures familiales reposent, avant tout, sur la volonté du fondateur de la concession. En l’absence de dispositions explicites, les juridictions s’attachent à interpréter cette volonté à travers des indices contextuels, notamment l’usage qui a été fait du tombeau ou les intentions présumées du fondateur.

Lorsqu’un différend survient entre les indivisaires, le juge intervient pour préserver l’équilibre familial et empêcher toute atteinte à la destination collective des sépultures. À ce titre, l’affectation familiale interdit qu’un étranger à la famille y soit inhumé, sauf accord unanime des ayants droit (Cass. 1ère civ., 15 mai 2001, n°99-12.363).

Lorsque le défunt a choisi la crémation, la question de l’attribution des cendres peut susciter des différends au sein de sa famille ou avec ses proches. La jurisprudence s’attache alors à privilégier une solution qui reflète fidèlement la volonté du défunt, considérée comme le critère essentiel pour résoudre les conflits.

Ainsi, lorsqu’une opposition survient, le juge se prononce en fonction de la position traduisant le mieux les intentions exprimées ou présumées du défunt (CA Paris, 6 déc. 1997).

L’urne funéraire, en raison de sa charge mémorielle et symbolique, échappe au régime de l’indivision classique. Les cendres ne peuvent faire l’objet d’un partage matériel, mais une décision judiciaire peut exceptionnellement conduire à une répartition équitable entre les parties, si cela reflète la volonté du défunt.

Par exemple, lorsque le défunt avait exprimé le souhait d’être inhumé dans plusieurs lieux distincts, le juge peut ordonner une division symbolique des cendres (CA Paris, 27 mars 1998).

La jurisprudence met également en lumière des cas où les relations personnelles et affectives influent sur l’attribution de l’urne. Ainsi, une concubine ayant entretenu une relation stable et solide avec le défunt peut se voir accorder le droit de conserver l’urne à son domicile, malgré les oppositions familiales (CA Agen, 20 janv. 1999).

La demande de partage des cendres est généralement déclarée irrecevable, car une telle démarche contredirait la vocation mémorielle de l’urne. La jurisprudence considère que, bien qu’un partage en nature soit envisageable dans des cas spécifiques, les cendres doivent rester inséparables pour préserver leur symbolique collective et individuelle (CA Bordeaux, 14 janv. 2003).

Le décret n° 2007-328 du 12 mars 2007, relatif à la protection des cendres funéraires, consacre ce principe en disposant que l’urne est remise à une personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles (CGCT, art. R. 2213-39). Cette disposition vient renforcer la jurisprudence en excluant toute forme d’appropriation exclusive et en affirmant la nécessité de respecter les volontés du défunt.

c. Les titres communs à toute l’hérédité

Les titres communs à toute l’hérédité, tels que les documents d’état civil, les titres de noblesse ou encore les rapports d’expertise relatifs à la succession, occupent une place singulière au sein du patrimoine successoral. Leur nature spécifique et leur affectation justifient leur exclusion du partage, en dépit de l’absence de dispositions explicites dans le Code civil. Cette singularité découle de leur rôle dans la préservation de la mémoire familiale et de leur vocation à bénéficier à l’ensemble des héritiers.

Historiquement, l’article 842, alinéa 3, du Code civil, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, disposait que ces titres devaient être « remis à celui que tous les héritiers ont choisi pour en être le dépositaire, à la charge d’en aider les copartageants, à toute réquisition ». À défaut d’accord unanime, le juge intervenait pour désigner le dépositaire, dans un souci d’équité et de respect de l’intérêt commun (CA Paris, 11 juin 1956). Bien que cette disposition ait été abrogée, les principes qu’elle consacrait continuent d’être appliqués par les juridictions.

Les documents visés par ce dispositif sont :

  • Les titres de noblesse, qui attestent de la qualité nobiliaire d’une lignée et sont souvent perçus comme des symboles identitaires.
  • Les documents d’état civil, tels que les passeports ou actes relatifs aux ancêtres du défunt, qui contribuent à la transmission de l’histoire familiale.
  • Les rapports d’expertise relatifs à la succession, établissant la consistance des biens et leur répartition éventuelle en lots.

Ces biens, par leur nature ou leur destination, sont assimilés à des éléments hors commerce, ne pouvant être appropriés de manière exclusive par l’un des héritiers (CA Paris, 11 juin 1956).

La désignation d’un dépositaire vise à préserver l’intégrité et la disponibilité des titres communs pour l’ensemble des cohéritiers. Ce dépositaire peut être un héritier ou un tiers, choisi par accord entre les parties ou, à défaut, désigné par le juge. Une fois confiés, les titres doivent rester accessibles à tous les héritiers, qui conservent le droit d’en obtenir des reproductions par tout procédé (CA Bourges, 12 mai 1942).

Bien que le législateur ait omis de réintroduire explicitement ce régime dans la réforme de 2006, la doctrine et la jurisprudence s’accordent sur le maintien de cette exclusion. La nature particulière de ces titres, au même titre que celle des souvenirs de famille, justifie leur imperméabilité au droit commun du partage. Ils incarnent des valeurs familiales et patrimoniales qui transcendent la simple indivision matérielle.

d. Les souvenirs de famille

Les souvenirs de famille regroupent des objets variés tels que des décorations, armes d’honneur, brevets, portraits de famille, archives ou correspondances, qui témoignent de l’histoire et des traditions familiales (Cass. 2e civ., 29 mars 1995, n°95-18.769). Ces objets, bien qu’ils puissent parfois avoir une valeur marchande notable, se distinguent par leur affectation morale, considérée comme prépondérante.

La qualification de « souvenir de famille » relève de l’appréciation souveraine des juges du fond, qui évaluent leur caractère affectif et mémoriel au regard des circonstances et des usages familiaux (Cass. 1re civ., 12 nov. 1998, n°96-20.236).

Par nature, les souvenirs de famille échappent aux règles ordinaires de dévolution successorale et de partage prévues par le Code civil (Cass. 1re civ., 21 févr. 1978, n°76-10.561). Ils ne sont pas intégrés à la masse successorale et ne peuvent faire l’objet d’une licitation ou d’une division matérielle sans risquer de compromettre leur vocation mémorielle.

Ces biens sont attribués à un héritier ou à un membre de la famille jugé le plus apte à en assurer la garde et la préservation. Cette désignation, qui relève de l’appréciation des juges, repose sur des critères tels que la capacité de l’attributaire à maintenir la mémoire familiale ou son lien particulier avec les objets concernés (Cass. 1re civ., 29 nov. 1994, n°92-21.993). En pratique, il peut s’agir de l’aîné des descendants, d’un membre renonçant à la succession ou même d’un tiers séquestre en cas de contestation (CA Paris, 11 juin 1956).

L’attributaire ne reçoit pas ces biens en pleine propriété mais à titre de dépôt, avec l’obligation morale de les conserver et de les tenir à disposition des autres membres de la famille (CA Paris, 25 nov. 1975). Ce régime protège leur affectation tout en limitant leur aliénabilité, notamment envers des tiers étrangers à la famille (Cass. 2e civ., 29 mars 1995).

Les souvenirs de famille sont marqués par une indisponibilité particulière, qui leur confère une forme de propriété collective propre à la famille, parfois assimilée à une variété de copropriété de mainmorte. Cette indisponibilité, qui exclut tout transfert hors du cercle familial, garantit leur transmission aux générations futures et leur pérennité en tant que symboles identitaires.

Ainsi, au décès de l’attributaire, les souvenirs doivent rester au sein de la famille et ne peuvent être transmis par libéralité ou succession à des tiers non apparentés (Cass. 1re civ., 29 nov. 1994, n°92-21.993). Toute tentative de sortie du patrimoine familial est susceptible d’être contestée par les autres membres de la famille.

Le caractère exceptionnel des souvenirs de famille implique une interprétation stricte de leur définition. Les juges excluent de cette qualification les objets de nature purement utilitaire ou les œuvres d’art de grande valeur (exception faites des portraits de famille), qui restent soumis au droit commun du partage. De même, des manuscrits ou meubles portant des armoiries familiales ne sont pas systématiquement considérés comme des souvenirs de famille s’ils ne remplissent pas les critères de symbolisme et de mémoire collective.

e. Les copropriétés forcées

Certaines copropriétés dites “forcées” sont exclues du partage en raison de leur fonction particulière et de leur nécessité pour l’usage ou la jouissance des propriétés qu’elles desservent. Ces situations, qui relèvent d’une indivision perpétuelle, se rencontrent notamment dans les contextes suivants :

==>La mitoyenneté

Les murs, fossés, haies et autres clôtures mitoyennes, bien que juridiquement classés parmi les servitudes, constituent des exemples typiques de copropriétés forcées. Ces biens appartiennent en commun aux propriétaires des fonds contigus qu’ils séparent et ne peuvent faire l’objet d’un partage que dans deux hypothèses : la cession intégrale de la propriété ou l’abandon des droits de mitoyenneté par l’un des copropriétaires (art. 653 s. C. civ.).

La jurisprudence confirme que le caractère attaché à la mitoyenneté empêche toute tentative de partage sans porter atteinte à sa fonction essentielle : la séparation et la protection des propriétés voisines.

==>Les indivisions forcées d’usage commun

En l’absence de texte spécifique, il a été admis que certains biens, affectés à l’usage commun de plusieurs fonds, peuvent faire l’objet d’une indivision forcée.

Cela s’applique par exemple à des cours, dépendances ou installations techniques nécessaires à l’exploitation de propriétés voisines (Cass. 1ère civ. 1er 3 juill. 1973). Tant que ces biens restent indispensables à l’usage commun, ils demeurent indivis, et le partage n’est pas envisageable.

Cette indivision, bien que perpétuelle par nature, peut être remise en cause si le caractère nécessaire du bien disparaît avec le temps. Toutefois, une telle décision requiert l’accord unanime des copropriétaires ou des indivisaires concernés (Cass. 3e civ., 12 mars 1969).

==>Les copropriétés immobilières bâties

Les parties communes des immeubles soumis à la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 relèvent également d’une indivision forcée. Ces parties comprennent notamment les escaliers, couloirs, toitures, et parkings affectés à l’usage collectif des copropriétaires ou de certains d’entre eux. Conformément à l’article 3 de ce texte, ces biens ne peuvent être partagés séparément des parties privatives auxquelles ils sont attachés, formant ainsi une copropriété perpétuelle liée à la structure de l’immeuble.

Dans tous ces cas, le partage est exclu tant que les biens en question remplissent leur fonction d’utilité commune ou sont indispensables à la jouissance des fonds qu’ils desservent. Ce régime, bien qu’il déroge au principe posé par l’article 815 du Code civil, vise à garantir la pérennité de l’usage collectif tout en évitant les litiges qui pourraient découler d’une division matérielle inappropriée.

f. Autres catégories de biens exclus

==>Œuvres littéraires et artistiques

Les œuvres littéraires et artistiques créés conjointement par plusieurs auteurs relèvent d’une copropriété particulière, assimilée à une indivision forcée. Cette spécificité découle de l’exigence de préserver l’intégrité artistique et économique de l’œuvre.

Ainsi, le partage de ces biens est exclu, toute division matérielle ou juridique risquant de compromettre l’unité de l’œuvre et les droits des copropriétaires (art. L. 113-3 CPI).

Chaque copropriétaire conserve toutefois un droit moral inaliénable sur l’œuvre, un principe destiné à garantir son respect et sa valorisation. En pratique, cette indivision artistique vise à protéger les intérêts de l’ensemble des auteurs, favorisant une gestion collective cohérente.

==>Fonds communs de placement

Les fonds communs de placement (FCP), en tant que copropriétés de valeurs mobilières, sont régis par le Code monétaire et financier, qui exclut explicitement leur partage (art. L. 214-8 CMF). Cette exclusion repose sur une logique économique : assurer la liquidité et la stabilité de l’investissement collectif en permettant aux porteurs de parts de racheter ou céder leurs parts à tout moment, sans nécessiter de partage global des actifs du fonds.

Ce mécanisme préserve la finalité d’épargne collective des FCP, tout en garantissant la flexibilité et la simplicité de gestion. Cette solution, fondée sur la liquidité plutôt que sur la divisibilité, évite tout blocage ou conflit entre copropriétaires, en assurant une continuité économique fluide.

==>Biens affectés à un usage religieux

Historiquement, les juridictions ont parfois exclu du partage certains biens indivis affectés à une destination religieuse par convention.

Cette tendance a toutefois été remise en question par la Cour de cassation. Dans un arrêt du 25 septembre 2002, la Troisième chambre civile a rappelé qu’aucun texte ne soustrayait les biens religieux à la règle selon laquelle nul ne peut être contraint de rester en indivision (Cass. 3e civ. 25 sept. 2002, n° 99-20.765).

Dans cette affaire, des associations cultuelles avaient revendiqué la propriété d’immeubles inscrits aux noms de paroisses locales. Ces biens, acquis à l’origine par des pasteurs pour le compte des paroissiens, avaient été utilisés exclusivement à des fins cultuelles depuis leur acquisition. Le Conseil d’administration des biens de l’Église évangélique de Polynésie française (CABEEPF) a alors formé une demande reconventionnelle visant à immatriculer ces biens en son nom.

Les juges du fond ont estimé que ces biens relevaient d’une indivision forcée et perpétuelle, incompatible avec un partage, tant qu’ils restaient affectés à leur destination cultuelle.

La Cour de cassation a censuré cette analyse en rappelant un principe fondamental : nul ne peut être contraint de demeurer en indivision, sauf disposition législative expresse ou accord des parties.

Plus précisément, elle a jugé que :

  • D’une part, aucune disposition législative spécifique ne soustrait les biens d’utilité religieuse au droit commun de l’indivision ;
  • D’autre part, les juges du fond ne pouvaient, par une interprétation prétorienne, créer une exception au principe de droit au partage des biens indivis, même si ces derniers étaient affectés à une destination particulière.

La Cour de cassation a reconnu que les biens en question avaient été acquis pour des fins cultuelles et utilisés comme tels de manière continue. Elle a même admis l’existence d’une stipulation tacite des paroissiens permettant l’exercice continu du culte protestant dans ces lieux. Cependant, elle a jugé que cette affectation ne pouvait justifier une indivision perpétuelle.

La raison en est que :

  • La destination religieuse des biens ne confère pas une autonomie juridique à ceux-ci ;
  • Leur affectation particulière peut être prise en compte dans le cadre du partage, mais ne saurait empêcher ce dernier.

Cet arrêt met un terme à une certaine tendance des juridictions du fond à reconnaître des indivisions perpétuelles sur des biens à vocation spécifique, tels que les biens religieux. Il réaffirme que toute dérogation au principe de droit au partage doit être expressément prévue par le législateur.

Par ailleurs, il invite les parties concernées par des biens à affectation spéciale à envisager des solutions contractuelles, telles que des conventions d’indivision ou la constitution de structures juridiques adaptées (associations ou fondations), afin de sécuriser leur usage à long terme.

==>Logement familial

Le droit au bail du logement familial, réputé indivis entre époux en application de l’article 1751 du Code civil, constitue une forme d’indivision légale.

Cette indivision, conçue pour préserver l’affectation conjugale du logement, empêche tout partage tant que la communauté de vie perdure. Ce régime s’étend également aux partenaires liés par un pacte civil de solidarité, sous réserve qu’ils en aient conjointement formulé la demande.

==>Copropriété des navires

La copropriété des navires, régie par le Code des transports, constitue une typologie d’indivision spécifiquement conçu pour répondre à des finalités économiques (art. L. 5114-30 s. C. transp.).

Cette indivision peut être dissoute par une licitation volontaire, sous condition d’approbation par une majorité en valeur des copropriétaires (art. L. 5114-48 et L. 5114-49 C. transp.).

En revanche, lorsque la copropriété résulte d’une circonstance imposée, telle qu’une succession, le droit commun de l’indivision redevient applicable, autorisant le partage en l’absence de consensus collectif.

C) Absence de prescription acquisitive

si le droit au partage est imprescriptible, la prescription acquisitive constitue une exception à ce principe.

En effet, bien que la prescription extinctive ne puisse éteindre le droit de demander le partage, il est possible, sous certaines conditions, qu’un indivisaire ou un tiers acquière la propriété d’un bien indivis par possession prolongée.

L’article 816 du Code civil dispose en ce sens que « le partage ne peut être demandé s’il y a eu possession suffisante pour acquérir la prescription ».

Cela signifie que si un bien indivis a été possédé de manière continue, paisible, publique et non équivoque pendant un délai de trente ans, l’usucapion permet à l’indivisaire ou au tiers possesseur de faire sortir ce bien de l’indivision, le privant ainsi de son caractère indivis.

L’usucapion, qui repose sur des conditions rigoureuses de possession, s’applique donc uniquement à des biens spécifiques au sein de l’indivision, et non à l’ensemble d’une succession ou d’un patrimoine indivis dans son intégralité.

Cela se justifie par la nature même de l’indivision, qui repose sur une co-titularité de droits de propriété, chacun des indivisaires jouissant de l’ensemble des biens indivis sans en détenir la propriété exclusive.

Certains auteurs soutiennent qu’une succession, en tant qu’universalité juridique, ne peut faire l’objet d’une possession prolongée dans son ensemble, car il serait difficile, voire impossible, de posséder une telle universalité de manière non équivoque et exclusive.

En raison de la diversité des biens qui la composent et de la nature collective des droits indivisaires, ils estiment que la possession, pour être effective et produire des effets juridiques, doit porter sur des biens déterminés, spécifiquement identifiés, plutôt que sur l’ensemble des biens formant l’indivision.

Les tenants de cette thèse considèrent que « l’usucapion ne peut jouer que relativement à des biens envisagés ut singuli », c’est-à-dire individuellement, et non sur l’intégralité d’une succession ou d’une indivision, laquelle est perçue comme une universalité juridique insusceptible de possession exclusive[11].

Cependant, d’autres auteurs adoptent une approche plus large et nuancée de l’usucapion.

Ils soutiennent qu’il serait possible, sous certaines conditions, d’acquérir par prescription acquisitive non seulement des biens spécifiques, mais également un ensemble de biens constituant l’actif successoral, dès lors que ces biens sont suffisamment identifiés au sein de l’universalité juridique de la succession.

Selon cette approche, l’usucapion ne porterait pas sur l’universalité en tant que telle, mais sur les éléments patrimoniaux qui la composent, ce qui permettrait à un indivisaire de prescrire l’intégralité de l’actif successoral ou de l’indivision.

Cette position a trouvé un certain écho dans la jurisprudence. En effet, la Cour de cassation a admis, dans un arrêt du 4 juillet 1853, que la prescription acquisitive pouvait, dans certaines circonstances, s’appliquer à l’ensemble des biens dépendant d’une succession.

Cet arrêt confirme l’interprétation selon laquelle l’usucapion, bien qu’habituellement limitée à des biens déterminés, peut dans des cas particuliers s’étendre à un ensemble de biens indivis, lorsque les conditions de la possession sont réunies.

L’article 816 du Code civil, qui dispose que « le partage ne peut être demandé s’il y a eu possession suffisante pour acquérir la prescription », consacre ce mécanisme, en permettant qu’un bien indivis puisse être usucapé et sortir ainsi de l’indivision, rendant le partage inapplicable à ce bien.

Quoi qu’il en doit, l’application de l’usucapion, même sur des biens indivis, repose sur le respect strict des conditions de la prescription acquisitive, telles qu’énoncées dans l’article 2261 du Code civil.

Pour que la possession puisse conduire à l’acquisition d’un bien par usucapion, elle doit être paisible, continue, publique et non équivoque, et ce, pendant un délai de trente ans, si aucun titre translatif de propriété n’est invoqué.

La jurisprudence et la doctrine insistent sur le caractère exclusif de la possession, particulièrement en matière d’indivision, où les actes accomplis par un indivisaire tendent souvent à être interprétés comme des actes de gestion collective plutôt que comme des manifestations d’une volonté d’exclusivité.

A cet égard, la possession en situation d’indivision présente une difficulté particulière : les actes de gestion ou d’usage par un coïndivisaire sont généralement équivoques, car ils peuvent être perçus comme l’exercice normal des droits indivis, et non comme une appropriation exclusive.

Selon Planiol et Ripert, la possession d’un bien indivis par un coïndivisaire est souvent indéterminée, car elle reflète une jouissance commune plutôt qu’une propriété individuelle. Les actes de possession ne peuvent donc permettre l’usucapion que s’ils traduisent une intention manifeste de se comporter en propriétaire exclusif, incompatible avec la qualité d’indivisaire.

La jurisprudence est venue confirmer cette exigence. Ainsi, dans plusieurs arrêts, la Cour de cassation a rappelé que les juges du fond doivent rechercher si le possesseur indivis s’est comporté en propriétaire exclusif, c’est-à-dire s’il a accompli des actes montrant son intention de s’approprier le bien pour lui seul (V. en ce sens Cass. 1ère civ., 27 oct. 1993, n° 91-13.286). En l’absence d’actes exclusifs et non équivoques, la prescription acquisitive ne peut prospérer, et le bien demeure dans l’indivision.

Il peut être observé que le vice d’équivoque est l’un des principaux obstacles à la mise en œuvre de l’usucapion dans le cadre de l’indivision.

Ce vice se manifeste lorsque la possession invoquée par l’indivisaire n’est pas clairement distincte de celle que pourrait exercer un autre indivisaire.

Par exemple, un indivisaire qui se contente d’occuper un bien indivis ou d’en tirer des revenus comme le ferait tout autre coïndivisaire ne pourra prétendre à l’usucapion, car ces actes ne montrent pas une volonté d’exclusivité (Cass. 3e civ., 27 nov. 1985, n°84-15.259). À l’inverse, des actes significatifs, tels que l’accomplissement de travaux importants sans en informer les autres indivisaires ou la perception exclusive des fruits du bien, peuvent constituer des indices d’une volonté d’exclusivité, susceptibles de permettre l’usucapion (Cass. 3e civ., 25 févr. 1998, n° 96-15.045).

Pour que la prescription acquisitive puisse être opposée avec succès aux autres indivisaires, il est nécessaire que l’indivisaire prétendant à l’usucapion se soit comporté en véritable propriétaire exclusif. Cette exclusivité doit être démontrée par des actes incompatibles avec la qualité d’indivisaire, c’est-à-dire des actes qui ne relèvent pas simplement de la gestion ordinaire de l’indivision, mais qui traduisent une appropriation personnelle du bien.

Le délai de prescription requis pour l’usucapion en matière d’indivision est de trente ans. La prescription abrégée de dix ans, applicable dans certains cas lorsque le possesseur dispose d’un juste titre, ne trouve pas à s’appliquer dans ce contexte, en raison de l’absence de titre translatif au profit de l’indivisaire.

Ce principe a été établi par la jurisprudence, qui exclut la possibilité pour un indivisaire de prescrire en moins de trente ans en invoquant un partage irrégulier ou un acte de gestion comme titre translatif (V. en ce sens Cass. req., 4 août 1870).

Cependant, dans le cadre de la copropriété, il est possible pour l’ensemble des copropriétaires d’acquérir des parties communes par prescription abrégée, comme rappelé par la Cour de cassation dans un arrêt du 30 avril 2003 .

Aux termes de cet arrêt, elle a, en effet, jugé que « les actes de vente de biens immobiliers, constitués par des lots de copropriété qui sont nécessairement composés de parties privatives et de quotes-parts de parties communes, peuvent être le juste titre qui permet à l’ensemble des copropriétaires de prescrire, selon les modalités de l’article 2265 du Code civil, sur les parties communes de la copropriété, les droits indivis de propriété qu’ils ont acquis accessoirement aux droits exclusifs qu’ils détiennent sur les parties privatives de leurs lots » (Cass. 3e civ., 30 avr. 2003, n° 01-15.078).

Au total, l’usucapion, bien que potentiellement applicable à des biens indivis, reste un mécanisme d’exception nécessitant des conditions strictes. La possession doit être exclusive, continue, paisible, publique et non équivoque, et ce, pendant une période de trente ans.

Si ces conditions ne sont pas réunies, le bien demeurera dans l’indivision et restera éligible au partage, étant précisé que la jurisprudence exclut toute possibilité d’usucapion lorsque la possession invoquée par l’indivisaire se confond avec l’usage ordinaire d’un bien indivis, ce qui nécessité alors une véritable appropriation exclusive pour que la prescription acquisitive puisse produire ses effets.

D) Conditions spécifiques tenant à un bien indivis démembré

Le démembrement de propriété, qui consiste en la division du droit de propriété entre l’usufruit et la nue-propriété, soulève des questions spécifiques quant à la possibilité de partage des biens concernés.

1. Principe général

Le principe posé par l’article 815 du Code civil est clair : nul ne peut être contraint de demeurer en indivision. Cette règle, qui traduit la volonté de limiter les situations de blocage, s’applique de manière générale à tous les indivisaires, y compris lorsque les biens concernés font l’objet d’un démembrement de propriété.

En effet, le démembrement, qui scinde le droit de propriété en usufruit et nue-propriété, ne supprime pas le droit au partage mais impose certaines adaptations. Contrairement à une indivision ordinaire où les droits des coindivisaires sont identiques, le démembrement instaure des droits distincts. L’usufruitier jouit du bien et perçoit les fruits, tandis que le nu-propriétaire conserve le droit de disposer du bien. Cette dualité de droits, bien que spécifique, ne remet pas en cause le droit fondamental au partage, sauf lorsqu’il s’agit de droits de nature différente qui, par leur configuration, ne permettent pas une fusion immédiate en pleine propriété.

Ainsi, si le démembrement de propriété peut parfois compliquer les modalités du partage, il n’en constitue pas un obstacle absolu. Les règles spécifiques prévues par les articles 817 à 819 du Code civil traduisent cette souplesse en adaptant les mécanismes de sortie de l’indivision aux particularités des biens démembrés. Ces règles permettent de garantir que chaque titulaire de droit puisse, dans des conditions adaptées, provoquer le partage de l’indivision sans que la nature démembrée du bien ne serve de prétexte à perpétuer une situation de blocage.

Cependant, le respect de cette garantie trouve sa limite dans des situations où le droit exercé par les indivisaires n’est pas de même nature. Dans ces hypothèses, la coexistence d’un usufruit et d’une nue-propriété rend parfois impossible un partage immédiat, nécessitant une distinction plus approfondie entre les configurations où un partage est réalisable et celles où il est exclu en raison de l’absence d’indivision juridique entre les droits exercés.

2. Mise en œuvre

Le droit au partage, pierre angulaire du régime de l’indivision, trouve également à s’appliquer dans le cadre des biens démembrés. Toutefois, la coexistence de droits distincts, tels que l’usufruit et la nue-propriété, impose une adaptation des mécanismes classiques de partage pour tenir compte de la nature particulière de ces droits. Les articles 817 à 819 du Code civil offrent ainsi un cadre juridique spécifique, permettant de concilier la liberté des indivisaires de sortir de l’indivision avec les contraintes inhérentes au démembrement.

Dans ce contexte, il convient de distinguer deux catégories de configurations : celles où la mise en œuvre d’un partage est juridiquement et matériellement possible, et celles où, au contraire, les spécificités du démembrement excluent tout partage.

a. Les configurations admettant un partage

Certaines situations impliquant des biens démembrés permettent la mise en œuvre d’un partage, conformément aux articles 817 à 819 du Code civil.

i. Indivision en jouissance

Lorsqu’un droit de jouissance est partagé entre plusieurs personnes, une situation d’indivision en jouissance peut se former, notamment en présence d’un usufruit détenu indivisément.

Chaque usufruitier dispose alors, en vertu de l’article 815 du Code civil, d’un droit absolu de demander le partage à tout moment. Ce principe, reconnu de manière constante par la jurisprudence (Cass. 1re civ., 25 juin 1974, 72-12.451), trouve un ancrage dans les dispositions de l’article 817 du Code civil, introduit par la réforme des successions de 2006.

L’article 817 du Code civil prévoit alors deux modalités principales permettant aux usufruitiers de sortir de l’indivision en jouissance :

  • Le cantonnement sur un bien déterminé
    • Cette option consiste à attribuer à chaque usufruitier un droit exclusif sur un bien particulier, évitant ainsi le maintien de l’indivision.
    • Cette méthode, lorsqu’elle est praticable, offre une solution simple et respectueuse des prérogatives de chaque usufruitier.
  • La licitation de l’usufruit
    • En cas d’impossibilité de cantonnement, la licitation constitue une alternative permettant la vente du droit indivis et la répartition du produit entre les usufruitiers.
    • Ce mécanisme peut toutefois s’avérer complexe, car l’acquéreur de l’usufruit doit composer avec la coexistence du droit du nu-propriétaire.
    • Cette difficulté explique le faible recours à cette option dans la pratique.

Dans des circonstances exceptionnelles, lorsque l’intérêt commun des parties le justifie, la licitation peut porter sur la pleine propriété du bien grevé d’usufruit.

Ce mécanisme, expressément prévu par l’article 817 du Code civil, vise à faciliter la sortie de l’indivision en cas de blocage insurmontable. La vente de la pleine propriété, plus attractive pour un acquéreur potentiel, permet ainsi de surmonter les obstacles pratiques liés au démembrement.

Bien que codifiée par la loi du 23 juin 2006, cette faculté demeure sous-exploitée, en partie en raison de la méconnaissance de ces dispositifs par les praticiens et de la complexité des situations qu’ils impliquent.

La jurisprudence continue néanmoins de rappeler l’importance et l’intérêt des mécanismes de partage, notamment dans des situations où les relations conflictuelles entre usufruitiers rendent toute autre solution impraticable. Un arrêt de la Cour de cassation en date du 11 mai 2016 illustre particulièrement cette problématique en posant des principes destinés à préserver l’unité et la stabilité des droits démembrés, tout en limitant les contentieux potentiels (Cass. 1re civ., 11 mai 2016, n°14-28.321).

Dans cette affaire, des époux avaient procédé à une donation-partage au profit de leurs enfants, assortie d’une réserve d’usufruit sur des parts sociales. Ce droit d’usufruit était prévu pour s’éteindre progressivement : à concurrence d’une moitié au décès du premier des époux, puis pour l’autre moitié au décès du conjoint survivant. Cependant, à la suite du décès de l’un des donateurs, des tensions sont nées entre les usufruitiers et les nus-propriétaires, aggravées par une interprétation divergente des stipulations de la donation.

La Cour de cassation, dans une décision particulièrement rigoureuse, a confirmé que l’usufruit ainsi constitué restait un droit indivisible entre les deux époux tant qu’ils en étaient tous deux titulaires. Elle a jugé que le décès de l’un des usufruitiers n’avait pas pour effet de diviser l’usufruit, mais seulement de l’éteindre pour la part attachée au défunt, laissant subsister le droit du survivant sur l’intégralité des biens grevés. La Haute juridiction a également précisé que cette indivision devait être maintenue afin de préserver l’harmonie des relations juridiques entre les parties, notamment en évitant de multiplier les conflits liés à des droits démembrés.

Cette solution, bien que rigoureuse dans son application, vise à garantir une certaine sécurité juridique dans la gestion des biens en usufruit indivis. Elle rappelle également que, lorsque les relations entre usufruitiers ou entre usufruitiers et nus-propriétaires deviennent source de blocages, le recours à des mécanismes tels que le cantonnement ou la licitation de l’usufruit peut constituer une issue pragmatique, mais doit s’inscrire dans le strict respect des règles applicables aux démembrements de propriété. Cet arrêt illustre ainsi l’équilibre recherché par la jurisprudence entre le droit au partage et la préservation des intérêts économiques et patrimoniaux des parties, dans un cadre légal marqué par la complexité des droits démembrés.

ii. Indivision en nue-propriété

De manière similaire, les nus-propriétaires d’un bien indivis peuvent provoquer le partage en application de l’article 818 du Code civil. Ce texte consacre le droit pour les indivisaires en nue-propriété de sortir de l’indivision, tout en renvoyant aux modalités prévues par l’article 817 pour en organiser la mise en œuvre. Ainsi, lorsque le partage en nature est possible, il demeure la solution privilégiée, permettant une répartition des biens entre les nus-propriétaires en fonction de leurs droits respectifs.

Cependant, le partage en nature se révèle souvent impraticable en raison des caractéristiques des biens concernés, notamment lorsqu’ils ne peuvent être divisés matériellement sans porter atteinte à leur valeur ou à leur utilité. Dans ces situations, le recours à la licitation s’impose. Par ce mécanisme, le bien est vendu, et le produit de la vente est réparti entre les nus-propriétaires au prorata de leurs droits. Ce dispositif offre une solution pragmatique pour mettre fin à l’indivision tout en préservant les intérêts économiques des indivisaires.

L’article 818 ouvre également la possibilité de procéder à une licitation portant sur la pleine propriété du bien, et non seulement sur la nue-propriété, lorsque cela apparaît comme la seule solution protectrice des intérêts des parties. Cette option se justifie particulièrement lorsque la vente exclusive de la nue-propriété risque de réduire considérablement la valeur du bien ou de ne pas trouver preneur sur le marché.

Néanmoins, cette licitation en pleine propriété est soumise à des limites strictes. Conformément à l’article 815-5 du Code civil, le juge ne peut ordonner une telle vente contre la volonté de l’usufruitier lorsque celui-ci détient un usufruit universel, comme cela peut être le cas pour un conjoint survivant. Cette protection vise à garantir la jouissance patrimoniale et économique de l’usufruitier, à moins qu’il ne consente expressément à la vente.

La jurisprudence n’a cessé de souligner la pertinence et la nécessité de ces mécanismes dans la gestion des situations d’indivision en nue-propriété, en mettant en lumière leur rôle fondamental dans la résolution des conflits et la préservation des intérêts des parties concernées.

Dans un arrêt du 12 janvier 2011, la Cour de cassation a rappelé que l’indivision en nue-propriété pouvait donner lieu à un partage, y compris par la voie d’une licitation en pleine propriété, lorsque cela s’avère nécessaire dans l’intérêt des parties.

En l’espèce, après avoir constaté que les droits des héritiers sur les biens de la succession étaient répartis entre une pleine propriété et une nue-propriété grevée d’usufruit, la Première chambre civile a jugé qu’une indivision existait bien sur certains biens, en dépit de la différence de nature juridique des droits exercés.

Aussi, elle a cassé la décision d’appel qui avait refusé d’ordonner l’ouverture des opérations de partage, soulignant que le nu-propriétaire était en droit de provoquer le partage afin de faire déterminer les biens composant la part de la pleine propriété, conformément aux articles 815 et 815-17 du Code civil (Cass. 1ère civ. 12 janv. 2011, n° 09-17.298).

iii. Indivision entre pleins propriétaires, usufruitiers et nus-propriétaires

L’article 819 du Code civil aborde les configurations complexes dans lesquelles coexistent des pleins propriétaires, des usufruitiers et des nus-propriétaires, situation où la pluralité de droits exercés sur un même bien génère une indivision particulière. Cette disposition reconnaît le droit pour l’un des titulaires de provoquer le partage, qu’il soit réalisé par voie de cantonnement ou, si cette option s’avère impossible, par une licitation.

Le cantonnement permet de circonscrire les droits de l’usufruitier ou du nu-propriétaire sur un bien déterminé, évitant ainsi le maintien d’une indivision générale. Cependant, lorsque le cantonnement ne peut être mis en œuvre ou qu’il s’avère inadapté aux circonstances, le législateur autorise le recours à une licitation, c’est-à-dire la vente aux enchères du bien concerné. Cette licitation peut, dans certaines situations, porter sur la pleine propriété du bien si cela constitue la seule solution viable pour préserver les intérêts de toutes les parties impliquées. Dans un tel cas, le prix de vente est réparti entre les différents indivisaires, conformément aux dispositions de l’article 621 du Code civil, qui impose une ventilation des montants en fonction de la valeur respective de l’usufruit, de la nue-propriété et de la pleine propriété.

La doctrine souligne le caractère subtil de cette indivision. Comme l’a exprimé Josserand, la pleine propriété d’un bien contient en latence un usufruit et une nue-propriété. Ces éléments, bien que souvent inaperçus, émergent et deviennent juridiquement opérants lorsqu’ils se trouvent en interaction avec un usufruit effectif ou une nue-propriété active, justifiant ainsi le recours à un partage.

Il est important de préciser que, lorsque la licitation porte sur la pleine propriété, le consentement de l’usufruitier n’est pas toujours requis. Contrairement aux situations relevant du deuxième alinéa de l’article 815-5 du Code civil, qui protège spécifiquement l’usufruitier universel, l’article 819 offre une souplesse supplémentaire, notamment dans les cas où l’usufruit n’a pas une portée universelle. Cela permet de surmonter les éventuelles oppositions et d’éviter les blocages dans l’administration ou l’exploitation des biens.

En revanche, la logique inverse n’est pas vraie. Un plein propriétaire ne peut être contraint de subir un cantonnement ou une licitation de ses droits en usufruit ou en nue-propriété, car cela reviendrait à démembrer de force sa pleine propriété. Cette limite préserve l’intégrité du droit de propriété tel qu’il est garanti par le Code civil.

Ainsi, l’article 819 établit un équilibre subtil entre la nécessaire protection des droits de chaque indivisaire et la recherche d’une solution pragmatique pour sortir des situations d’indivision complexes.

b. Les configurations excluant tout partage

L’impossibilité de demander un partage entre l’usufruitier et le nu-propriétaire découle directement de la nature fondamentalement différente de leurs droits. L’usufruit confère à son titulaire un droit de jouissance et de perception des fruits, tandis que la nue-propriété préserve la substance du bien. Ces droits, bien que complémentaires, ne sont ni identiques ni concurrents et s’exercent de manière autonome. Cette séparation des prérogatives exclut toute indivision juridique entre eux, rendant impossible l’application du droit au partage tel qu’il est prévu pour des indivisaires classiques.

La jurisprudence a affirmé cette analyse de manière constante, notamment dans un arrêt de principe du 27 juillet 1869, selon lequel « il n’y a indivision qu’autant que les intéressés ont sur la chose des droits de même nature » (Cass. req., 27 juill. 1869, DP 1971, 1, p. 170). De même, dans un arrêt du 25 novembre 1986, la Cour de cassation a réitéré qu’aucune indivision ne pouvait exister entre usufruitier et nu-propriétaire, ces derniers étant titulaires de droits incompatibles avec le fonctionnement unitaire d’une indivision (Cass. 1re civ., 25 nov. 1986, n°85-10.548). Plus récemment, cette position a été confirmée dans un arrêt du 12 février 2020, qui rappelle que « qu’il n’existe pas d’indivision entre l’usufruitier et le nu-propriétaire dont les droits sont de nature différente » (Cass. 1re civ., 12 févr. 2020, n° 18-22.537).

Cette incompatibilité a pour conséquence directe l’impossibilité pour l’usufruitier et le nu-propriétaire de solliciter un partage visant à réunir leurs droits en une pleine propriété. La fin du démembrement ne peut intervenir que par l’extinction naturelle de l’usufruit, généralement au décès de l’usufruitier. Toute tentative de contourner cette règle en invoquant le droit au partage, réservé aux situations d’indivision, est donc juridiquement vouée à l’échec.

Cependant, avant l’entrée en vigueur de la loi du 31 décembre 1976, la jurisprudence avait introduit un tempérament à cette règle dans des cas spécifiques où le partage en nature se révélait matériellement impossible. Lorsque des immeubles incommodément partageables en nature étaient compris dans l’assiette de la nue-propriété ou de l’usufruit, la vente séparée de ces droits était jugée difficile et désavantageuse. Dans de telles situations, les juridictions ont admis que la licitation de la pleine propriété pouvait être imposée par l’une des parties, à condition qu’elle soit nécessaire pour protéger les intérêts des titulaires. Cette solution, qualifiée de « vente par autorité de justice », a ainsi permis de surmonter les blocages pratiques liés à l’absence d’indivision (Cass. Req. 9 avr. 1877).

Dans ces situations, la vente séparée des droits de nue-propriété et d’usufruit était jugée économiquement désavantageuse et peu réaliste. Ainsi, les juges considéraient que la licitation de la pleine propriété devenait nécessaire pour garantir l’assiette des droits en présence et préserver l’équilibre patrimonial des titulaires. Par exemple, un nu-propriétaire pouvait imposer une telle licitation dès lors qu’elle apparaissait comme la seule solution pour valoriser ses droits, tout comme un usufruitier pouvait également solliciter une licitation dans des circonstances similaires (Cass. req. 20 juill. 1932).

Ce mécanisme était particulièrement utile lorsque les biens concernés, tels que des immeubles, étaient incommodément partageables en nature. Ces situations de blocage trouvaient ainsi une issue grâce à une vente ordonnée par le juge, permettant de répartir équitablement le produit de la vente entre les titulaires des droits démembrés. Ces solutions jurisprudentielles, bien qu’exceptionnelles, illustraient une approche pragmatique pour résoudre les litiges complexes liés au démembrement.

La loi du 31 décembre 1976 est toutefois venue remettre en cause la souplesse antérieure de la jurisprudence en encadrant plus strictement les possibilités de licitation dans le cadre de biens grevés d’usufruit. L’article 815-5 du Code civil, tel qu’introduit par cette réforme, dispose que « le juge ne peut, sinon aux fins de partage, autoriser la vente de la pleine propriété d’un bien grevé d’usufruit, contre la volonté de l’usufruitier ». En établissant ce principe, le législateur entendait consolider la protection de l’usufruitier, considéré comme la partie économiquement et juridiquement la plus vulnérable dans le cadre du démembrement de propriété. L’objectif était de garantir une stabilité accrue des relations patrimoniales et de prévenir les abus susceptibles de découler des demandes de licitation.

Toutefois, ce texte, bien qu’introduit aux fins de clarification, a suscité des interprétations divergentes en doctrine et en jurisprudence. Certains commentateurs ont estimé qu’il affranchissait le juge des conditions posées auparavant par la jurisprudence pour ordonner la licitation de la pleine propriété. D’autres ont vu dans cette disposition une simple continuité des solutions antérieures, avec un renforcement des garanties procédurales pour l’usufruitier. Cette ambivalence a conduit à des décisions contrastées, dont l’arrêt de la Cour de cassation du 11 mai 1982 constitue une illustration majeure. Dans cette affaire, la Haute juridiction a jugé que « le partage peut toujours être ordonné et qu’à cette fin, selon l’article 815-5 du Code civil, la vente de la pleine propriété d’un bien grevé d’usufruit peut être judiciairement ordonnée contre la volonté de l’usufruitier » (Cass. 1ère civ., 11 mai 1982, n° 81-13.055).

Cette décision a néanmoins suscité de vives critiques, notamment en raison de ses répercussions sur la situation des usufruitiers universels, et en particulier des conjoints survivants gratifiés de l’usufruit de toute la succession. Ces critiques, alimentées par des considérations doctrinales, ont conduit le législateur à intervenir à nouveau avec la loi du 6 juillet 1987. Ce texte a modifié l’article 815-5 du Code civil, en précisant explicitement que « le juge ne peut, à la demande d’un nu-propriétaire, ordonner la vente de la pleine propriété d’un bien grevé d’usufruit contre la volonté de l’usufruitier ». Désormais, le consentement explicite de l’usufruitier est requis, renforçant ainsi la protection de ce dernier dans les situations de licitation.

Cette évolution législative a marqué un tournant dans la régulation des conflits entre nus-propriétaires et usufruitiers, en restreignant davantage les possibilités d’imposer une licitation judiciaire. Si l’objectif de sortir de l’indivision demeure légitime, il ne peut plus se faire au détriment des droits fondamentaux de l’usufruitier. La réforme a également confirmé que l’usufruitier pouvait imposer aux nus-propriétaires une licitation dans des hypothèses spécifiques, notamment lorsque cette solution apparaissait comme la seule protectrice des intérêts des parties.

Avant l’entrée en vigueur de la loi du 6 juillet 1987, la jurisprudence avait déjà admis de telles possibilités dans des situations où l’assiette de l’usufruit ne pouvait être déterminée autrement. L’arrêt rendu par la Cour de cassation le 19 novembre 1996 illustre parfaitement ce principe (Cass. 1ère civ. 19 nov. 1996, n° 94-22.052).

Dans cette affaire, il était question d’un immeuble hypothéqué dont un indivisaire détenait les deux tiers en pleine propriété et un tiers en nue-propriété, tandis qu’un autre indivisaire en possédait l’usufruit. La société créancière avait sollicité la liquidation-partage de l’indivision et la licitation de la pleine propriété de l’immeuble, invoquant l’insolvabilité du débiteur principal et l’insuffisance de la garantie hypothécaire en raison des fluctuations du marché immobilier. La Cour d’appel avait accueilli cette demande, considérant que la licitation était nécessaire à la protection des intérêts de toutes les parties.

La Cour de cassation a confirmé cette décision, en soulignant que la licitation préalable de l’immeuble était justifiée par l’impossibilité matérielle de mettre en œuvre le tiers en usufruit détenu par l’un des indivisaires sur cet immeuble. Elle a également précisé que cette solution était indispensable pour permettre la détermination de l’assiette de l’usufruit et pour préserver les intérêts patrimoniaux des parties. En statuant ainsi, la Haute juridiction a consolidé le principe selon lequel la licitation de la pleine propriété peut être imposée dans des situations où le partage en nature est matériellement impossible et où la licitation constitue la seule solution viable pour garantir les droits de chacun.

Cette solution s’inscrit dans la continuité des principes établis par la jurisprudence antérieure, qui admettait la possibilité d’une vente par autorité de justice dans des configurations exceptionnelles. Elle illustre également l’équilibre délicat que la loi et la jurisprudence cherchent à maintenir entre les droits des usufruitiers et ceux des nus-propriétaires, en prenant en compte les réalités économiques et patrimoniales tout en respectant les principes fondamentaux du démembrement de propriété.

 

 

  1. F. Zenati-Castaing, Les biens, éd. PUF, 2008, p. 347. ?
  2. Ph. Malaurie, L. Aynès et M. Julienne, Les biens, éd. Lextenso, p. 819. ?
  3. M. Planiol et G. Ripert, Traité pratique de droit civil français, t. IV, par J. Maury et H. Vialleton, éd. LGDJ, 1956, n° 495, p. 693. ?
  4. F. Terré, Y. Lequette et S. Gaudemet, Droit civil, Les successions, les libéralités,éd. Dalloz, 2014, n° 1013, p. 893. ?
  5. J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand Colin, 2001, n°743, p. 696 ?
  6. J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand Colin, 2001, n°743, p. 696 ?
  7. Cet exemple nous est donné par Michel Hoguet, rapporteur de la Commission des Lois de l’Assemblée Nationale, dans le cadre des travaux parlementaires qui ont précédé l’adoption de la loi du 28 décembre 1967 ?
  8. V. en ce sens l’article 953 du Code civil ?
  9. F. terré et Ph. Simler, Droit civil – Les régimes matrimoniaux, éd. Dalloz, 2011, n°800, p. 647. ?
  10. P. Simler et P. Hilt, « Le nouveau visage du Pacs : un quasi -mariage », JCP G, 2006, 1, p. 161. ?
  11. F. Terré, Y. Lequette et S. Gaudemet, Droit civil, Les successions, les libéralités,éd. Dalloz, 2014, n° 1013, p. 893. ?

La classification des servitudes

Les servitudes peuvent être classées selon plusieurs critères qui tiennent :

  • À leur mode de constitution
  • À leur mode d’exercice
  • À leur finalité

I) Les servitudes selon leur mode de constitution

L’article 639 du Code civil distingue trois modes de constitution des servitudes :

==> Les servitudes qui dérivent de la situation naturelle des lieux

Ces servitudes se justifient par la configuration des fonds qui les rend nécessairement. Elles intéressent l’écoulement des eaux ainsi que le bornage et la clôture des fonds.

  • L’écoulement des eaux
    • L’article 640 du Code civil dispose en ce sens que « les fonds inférieurs sont assujettis envers ceux qui sont plus élevés à recevoir les eaux qui en découlent naturellement sans que la main de l’homme y ait contribué. »
    • Cette servitude d’écoulement des eaux emporte deux conséquences :
      • D’une part, le propriétaire inférieur ne peut point élever de digue qui empêche cet écoulement.
      • D’autre part, le propriétaire supérieur ne peut rien faire qui aggrave la servitude du fonds inférieur
    • Autre servitude relative à l’écoulement des eaux, l’article 644 prévoit que « celui dont la propriété borde une eau courante, autre que celle qui est déclarée dépendance du domaine public par l’article 538 au titre ” De la distinction des biens “, peut s’en servir à son passage pour l’irrigation de ses propriétés. »
    • Le texte précise alors que « celui dont cette eau traverse l’héritage peut même en user dans l’intervalle qu’elle y parcourt, mais à la charge de la rendre, à la sortie de ses fonds, à son cours ordinaire.»
  • Le bornage et la clôture des fonds
    • Au nombre des servitudes naturelles, figurent celles relatives au bornage et à la clôture
      • Sur le bornage
        • L’article 647 du Code civil prévoit que « tout propriétaire peut obliger son voisin au bornage de leurs propriétés contiguës. Le bornage se fait à frais communs. »
      • Sur la clôture
        • L’article 647 prévoit que tout propriétaire peut clore son héritage, sauf à ce que l’installation de cette clôture empêche le propriétaire d’un fonds enclavé à y accéder dans les conditions fixées à l’article 682.

==> Les servitudes établies par la loi

Les servitudes établies par la loi sont envisagées aux articles 649 et suivant du Code civil.

L’article 649 les introduit en disposant que « les servitudes établies par la loi ont pour objet l’utilité publique ou communale, ou l’utilité des particuliers. »

Surtout, ainsi que l’indique l’article 651, la singularité des servitudes légales est que « la loi assujettit les propriétaires à différentes obligations l’un à l’égard de l’autre, indépendamment de toute convention. »

Au nombre de ces servitudes légales figurent celles qui intéressent :

  • La mitoyenneté
  • La distance et des ouvrages intermédiaires requis pour certaines constructions
  • Les vues sur la propriété de son voisin
  • L’égout des toits

Les servitudes légales sont ainsi diverses et variées.

==> Les servitudes établies par le fait de l’homme

L’article 686 du Code civil dispose que « il est permis aux propriétaires d’établir sur leurs propriétés, ou en faveur de leurs propriétés, telles servitudes que bon leur semble, pourvu néanmoins que les services établis ne soient imposés ni à la personne, ni en faveur de la personne, mais seulement à un fonds et pour un fonds, et pourvu que ces services n’aient d’ailleurs rien de contraire à l’ordre public. »

Il ressort de cette disposition que la constitution d’une servitude ne procède pas nécessairement de la loi ; elle peut résulter de la volonté des propriétaires de fonds, pourvu que la servitude soit imposée, non pas à une personne, mais à un fonds par un autre fonds.

À l’examen, les servitudes du fait de l’homme peuvent être établies de trois manières différentes :

  • Soit par convention
  • Soit par testament
  • Soit par le jeu de la prescription acquisitive
  • Soit par « destination du père de famille»

==> Les servitudes établies par le juge

Ces servitudes sont issues du décret du 4 décembre 1958 relatif à la création de « servitudes de cours communes ».

Les règles qui encadrent la création de ces servitudes ont été codifiées aux articles 471-1 et suivants du Code de l’urbanisme.

À cet égard, l’article 471-1 prévoit que « lorsqu’en application des dispositions d’urbanisme la délivrance du permis de construire est subordonnée, en ce qui concerne les distances qui doivent séparer les constructions, à la création, sur un terrain voisin, de servitudes de ne pas bâtir ou de ne pas dépasser une certaine hauteur en construisant, ces servitudes, dites “de cours communes”, peuvent, à défaut d’accord amiable entre les propriétaires intéressés, être imposées par la voie judiciaire dans des conditions définies par décret. »

Les servitudes de cour commune ont donc pour finalité de maintenir une certaine distance entre les constructions.

Plus précisément, il s’agit d’interdire aux propriétaires de fonds voisins de construire au-delà d’une certaine hauteur

Si, dès lors, le propriétaire du fonds grevé venait à édifier un bâtiment, ou une construction d’une hauteur au-delà de celle imposée, cette construction serait irrégulière et sa démolition pourrait être exigée.

II) Les servitudes selon leur mode d’exercice

A) Servitudes continues et servitudes discontinues

==> Présentation de la distinction

L’article 688 du Code civil distingue selon que les servitudes sont continues ou discontinues.

  • Les servitudes continues
    • Ce sont celles dont l’usage est ou peut être continuel sans avoir besoin du fait actuel de l’homme : tels sont les conduites d’eau, les égouts, les vues et autres de cette espèce.
    • Il s’agit, autrement dit, des servitudes dont l’exercice ne suppose pas une action du propriétaire du fonds dominant
    • Il n’est pas nécessaire que l’utilité de cette servitude soit permanente ; elle peut seulement être intermittente, tel que l’écoulement des eaux.
  • Les servitudes discontinues
    • Notion
      • Ce sont celles qui ont besoin du fait actuel de l’homme pour être exercées : tels sont les droits de passage, puisage, pacage et autres semblables.
      • Leur usage n’est continuel ni en actes, ni en puissance et le caractère d’apparence qu’elles pourraient avoir n’en changerait point la nature, pas plus que l’existence d’un ouvrage permanent, dès lors que l’exercice de la servitude ne se conçoit pas sans l’action de l’homme.
      • Il s’agit donc des servitudes dont l’exercice requiert nécessairement l’action humaine
      • Ce critère a priori très simple n’est pas sans avoir soulever des difficultés de mise en œuvre.
    • Incidence de la mécanisation
      • Certaines servitudes qui, depuis le développement de la mécanisation, ne requièrent plus d’action humaine, à tout le moins pour leur exercice.
      • Est-ce à dire que parce que cet exercice peut désormais être assuré mécaniquement elles ne constituent plus des servitudes discontinues ?
      • Dans un arrêt du 19 mai 2004, la Cour de cassation a refusé que l’évolution des techniques puisse avoir une incidence sur la nature de la servitude ( 3e civ. 19 mai 2004, n°03-12451).
      • Dans cet arrêt la Cour de cassation a jugé « qu’une servitude est discontinue lorsqu’elle ne peut s’exercer qu’avec une intervention renouvelée de l’homme et qu’elle reste telle quand bien même elle serait rendue artificiellement permanente au moyen d’un outillage approprié dès lors que cet outillage ne peut fonctionner que sous le contrôle de l’homme».
      • Pour la troisième chambre civile, il est donc indifférent que la servitude soit exercée mécaniquement, ce qui importe c’est que la mise en place du dispositif technique suppose une intervention humaine.

Cass. 3e civ. 19 mai 2004
Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Lyon, 9 janvier 2003), que Mlle X..., a assigné les époux Y... en revendication d'une servitude de puisage et d'un droit de passage pour l'exercer ;

Attendu que Mlle X... fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes, alors, selon le moyen :

1 / qu'une servitude n'est discontinue que lorsque c'est dans le fait même de l'homme que réside son exercice ; que, lorsqu'elle s'exerce au moyen d'ouvrages permanents aménagés à cet effet, encore que l'usage n'en soit qu'intermittent et comporte pour sa suspension ou sa reprise l'intervention de l'homme, elle est continue ; que les juges du fond, qui ont constaté l'existence d'un ouvrage permanent aménagé pour cet exercice et constitué par une crépine et une canalisation partant du puits et aboutissant dans la maison de Mlle X... à une installation de pompage, ont violé les articles 688 et 691 du Code civil, par leur décision qui déboute Mlle X... de sa demande aux fins de voir juger qu'elle bénéficiait d'un droit de puisage sur la propriété des époux Y... ;

2 / que l'existence d'ouvrages permanents pour l'exercice d'une servitude de passage confère à celle-ci le caractère d'une servitude continue et, partant, d'une possession utile à titre de propriétaire pour l'acquisition de l'ouvrage par prescription trentenaire ; qu'ainsi, l'arrêt a violé l'article 2229 du Code civil ;

Mais attendu qu'une servitude est discontinue lorsqu'elle ne peut s'exercer qu'avec une intervention renouvelée de l'homme et qu'elle reste telle quand bien même elle serait rendue artificiellement permanente au moyen d'un outillage approprié dès lors que cet outillage ne peut fonctionner que sous le contrôle de l'homme ; que la cour d'appel, qui a constaté que la servitude de puisage revendiquée ne reposait sur aucun titre afférent au fonds servant, en a justement déduit que Mlle X... devait être déboutée de sa demande ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

  • Les servitudes polyformes
    • Il est des servitudes qui sont susceptibles d’endosser les deux qualifications selon les circonstances.
    • Il en va ainsi de la servitude d’égout qui, alors même qu’elle est envisagée par l’article 688, al. 1er du Code civil comme une servitude continue a été qualifiée par la Cour de cassation de servitude discontinue dans un arrêt du 8 décembre 2004.
    • Dans cette décision, la troisième chambre civile a considéré « qu’une servitude d’égout d’eaux usées, dont l’exercice exige le fait de l’homme et ne peut se perpétuer sans son intervention renouvelée, a un caractère discontinu ne permettant pas son acquisition par prescription» ( 3e civ. 8 déc. 2004, n°03-17225).
    • Bien que la solution retenue ici puisse surprendre, elle se justifie pourtant pleinement.
    • Alors que la servitude d’écoulement des eaux pluviales est continue, la servitude d’écoulement des eaux usées est discontinue, parce que son exercice ne se conçoit pas sans l’intervention renouvelée de l’homme.
    • En effet, s’agissant des eaux pluviales, soit celles qui proviennent du toit de l’immeuble voisin, leur origine est purement naturelle puisque l’homme n’y est pour rien.
    • Leur écoulement ne peut donc donner lieu qu’à l’établissement d’une servitude continue.
    • S’agissant, en revanche des eaux usées, elles sont collectées au moyen de canalisations qui ont été construites par la main de l’homme.
    • Aussi, l’aménagement de leur écoulement relève bien des servitudes discontinues, la Cour de cassation refusant de faire dépendre leur qualification de la technique. D’où la solution retenue par la Cour de cassation dans l’arrêt du 8 décembre 2004.

Cass. 3e civ. 8 déc. 2004
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Lyon, 12 décembre 2002), que les époux X..., propriétaires d'une parcelle n° 28 en bordure de laquelle M. Y... revendique, pour sa parcelle n° 26, une servitude de passage "à talons" et, sur la même assiette, une servitude de tout-à-l'égout, l'ont assigné pour qu'il soit dit que ces servitudes exercées sur leur fonds étaient éteintes par prescription ;

Sur le moyen, relevé d'office, après avis donné aux parties :

Vu les articles 688 et 691 du Code civil ;

Attendu que les servitudes discontinues sont celles qui ont besoin du fait actuel de l'homme pour être exercées et que les servitudes discontinues ne peuvent s'établir que par titres ;

Attendu que, pour dire que la parcelle de M. Y... bénéficie d'une servitude d'égout sur la parcelle des époux X..., l'arrêt retient, par motifs adoptés, que les servitudes apparentes sont celles qui s'annoncent par des ouvrages extérieurs, tels qu'une porte, une fenêtre, un aqueduc ; qu'une installation d'égout d'eaux usées sur un fonds étranger correspond donc en fait à une servitude continue et apparente, et que les servitudes continues apparentes s'acquièrent par titre ou par possession trentenaire ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'une servitude d'égout d'eaux usées, dont l'exercice exige le fait de l'homme et ne peut se perpétuer sans son intervention renouvelée, a un caractère discontinu ne permettant pas son acquisition par prescription, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer sur le premier moyen qui ne serait pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a dit que la parcelle n° 26, propriété de M. Y..., bénéficie d'une servitude d'égout sur la parcelle n° 28, propriété des époux X..., l'arrêt rendu le 12 décembre 2002, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Dijon ;

==> Intérêt de la distinction

Le principal intérêt de la distinction entre les servitudes continues et discontinues résident dans leur établissement et dans leur extinction.

  • D’une part, seules les servitudes continues peuvent s’acquérir par le jeu de la prescription acquisitive, soit par la possession
  • D’autre part, seules les servitudes continues ne s’éteignent pas par le non-usage
  • Enfin, la destination du père de famille vaut titre pour les servitudes continues

B) Servitudes apparentes et servitudes non apparentes

==> Présentation de la distinction

L’article 689 distingue selon que les servitudes sont apparentes ou non apparentes.

  • Les servitudes apparentes
    • Ce sont celles qui s’annoncent par des ouvrages extérieurs, tels qu’une porte, une fenêtre, un aqueduc.
    • Autrement dit, pour être qualifiée d’apparente une servitude doit exprimer des signes extérieurs leur permettant d’être vues.
    • Elle doit, autrement dit, être suffisamment visible pour être connues du propriétaire du fonds servant.
    • Au vrai, l’apparence d’une servitude dépend des circonstances que le juge devra analyser en cas de contentieux.
    • Une voie d’accès conduisant à un fonds enclavé peut tout aussi bien être balisée, tout autant qu’elle peut ne faire l’objet d’aucun aménagement
  • Les servitudes non apparentes
    • Ce sont celles qui n’ont pas de signe extérieur de leur existence, comme, par exemple, la prohibition de bâtir sur un fonds, ou de ne bâtir qu’à une hauteur déterminée.
    • La servitude non apparente est ainsi celle qui est tellement discrète ou cachée qu’elle ne se révèle pas ostensiblement au propriétaire du fonds servant.
    • Il peut s’agir, par exemple, de canalisations enfouies sous un fonds

===> Intérêt de la distinction

À l’instar des servitudes continues et discontinues, le principal intérêt de la distinction entre les servitudes continues et discontinues résident dans leur établissement et dans leur extinction.

  • D’une part, seules les servitudes apparentes peuvent s’acquérir par le jeu de la prescription acquisitive, soit par la possession
  • D’autre part, seules les servitudes apparentes ne s’éteignent pas par le non-usage
  • Enfin, la destination du père de famille vaut titre pour les servitudes apparentes

C) Servitudes positives et servitudes négatives

  • Les servitudes positives
    • Ce sont elles qui autorisent le propriétaire du fonds dominant d’accomplir un acte sur le fonds servant (passage, puisage etc.)
    • Si cet acte n’était pas couvert par la servitude il serait constitutif d’un empiétement sur le terrain d’autrui
  • Les Servitudes négatives
    • Ce sont elles qui exigent du propriétaire du fonds servant une abstention, telle que l’interdiction de ne pas bâtir, à tout le moins dans la limite d’une certaine hauteur (servitude de cour commune)
    • Ces servitudes présentent la particularité d’être toujours continues et non apparentes

III) Les servitudes selon leur finalité

L’article 649 du Code civil dispose que « les servitudes établies par la loi ont pour objet l’utilité publique ou communale, ou l’utilité des particuliers. »

Il ressort de cette disposition qu’il y a lieu de distinguer selon que les servitudes répondent à une utilité publique ou selon qu’elles satisfont à un intérêt privé.

  • Les servitudes d’utilité publique
    • Les servitudes d’utilité publique sont envisagées à l’article 650, al. 1er du Code civil comme celles qui « ont pour objet le marchepied le long des cours d’eau domaniaux, la construction ou réparation des chemins et autres ouvrages publics ou communaux. »
    • Il s’agit là moins d’une définition que d’une liste qui est loin d’être exhaustive.
    • Aussi, la doctrine définit les servitudes d’utilité publique comme « des charges d’origine légale pesant sur des fonds privés et caractérisées par leur but d’intérêt général. Ce sont des servitudes administratives imposées à des immeubles en raison de leur position géographique et comportant des interdictions ou des limitations à l’exercice du droit d’occuper ou d’utiliser le sol, des obligations de supporter l’exécution de travaux ou l’installation d’ouvrages, voire des obligations de faire».[1].
    • La particularité de ces servitudes est qu’elles sont soumises au droit administratif
    • À cet égard, le développement des techniques (électricité, eau courante, écoulement des eaux etc.) combiné à la multiplication des normes en droit de l’urbanisme a conduit à un développement considérable des servitudes d’utilité publique (déploiement des réseaux de télécommunication, protection de l’environnement etc.)
  • Les servitudes d’utilité privée
    • Les servitudes d’intérêt privé sont, par hypothèse, toutes celles qui sont établies à la faveur d’un fonds privé et non du domaine public.
    • Elles relèvent du droit privé et, à l’examen, n’ont pas beaucoup changé depuis 1804.
    • À cet égard, elles se distinguent des servitudes d’utilité publique en ce que leur établissement ne procède pas nécessairement de la loi ou du règlement (V. en ce sens l’article 650, al. 2e du Code civil).
    • Les servitudes d’utilité privées peuvent également être établies par le fait de l’homme (convention, testament, prescription, destination du père de famille)

 

 

[1] J.-L. Bergel, M. Bruschi, S. Cimamonti, Les biens, LGDJ, 2e éd. 2010., n° 389, p. 442.

De la distinction entre les servitudes apparentes et les servitudes non-apparentes

==> Présentation de la distinction

L’article 689 distingue selon que les servitudes sont apparentes ou non apparentes.

  • Les servitudes apparentes
    • Ce sont celles qui s’annoncent par des ouvrages extérieurs, tels qu’une porte, une fenêtre, un aqueduc.
    • Autrement dit, pour être qualifiée d’apparente une servitude doit exprimer des signes extérieurs leur permettant d’être vues.
    • Elle doit, autrement dit, être suffisamment visible pour être connues du propriétaire du fonds servant.
    • Au vrai, l’apparence d’une servitude dépend des circonstances que le juge devra analyser en cas de contentieux.
    • Une voie d’accès conduisant à un fonds enclavé peut tout aussi bien être balisée, tout autant qu’elle peut ne faire l’objet d’aucun aménagement
  • Les servitudes non apparentes
    • Ce sont celles qui n’ont pas de signe extérieur de leur existence, comme, par exemple, la prohibition de bâtir sur un fonds, ou de ne bâtir qu’à une hauteur déterminée.
    • La servitude non apparente est ainsi celle qui est tellement discrète ou cachée qu’elle ne se révèle pas ostensiblement au propriétaire du fonds servant.
    • Il peut s’agir, par exemple, de canalisations enfouies sous un fonds

==> Intérêt de la distinction

À l’instar des servitudes continues et discontinues, le principal intérêt de la distinction entre les servitudes continues et discontinues résident dans leur établissement et dans leur extinction.

  • D’une part, seules les servitudes apparentes peuvent s’acquérir par le jeu de la prescription acquisitive, soit par la possession
  • D’autre part, seules les servitudes apparentes ne s’éteignent pas par le non-usage
  • Enfin, la destination du père de famille vaut titre pour les servitudes apparentes

De la distinction entre les servitudes continues et les servitudes discontinues

==> Présentation de la distinction

L’article 688 du Code civil distingue selon que les servitudes sont continues ou discontinues.

  • Les servitudes continues
    • Ce sont celles dont l’usage est ou peut être continuel sans avoir besoin du fait actuel de l’homme : tels sont les conduites d’eau, les égouts, les vues et autres de cette espèce.
    • Il s’agit, autrement dit, des servitudes dont l’exercice ne suppose pas une action du propriétaire du fonds dominant
    • Il n’est pas nécessaire que l’utilité de cette servitude soit permanente ; elle peut seulement être intermittente, tel que l’écoulement des eaux.
  • Les servitudes discontinues
    • Notion
      • Ce sont celles qui ont besoin du fait actuel de l’homme pour être exercées: tels sont les droits de passage, puisage, pacage et autres semblables.
      • Leur usage n’est continuel ni en actes, ni en puissance et le caractère d’apparence qu’elles pourraient avoir n’en changerait point la nature, pas plus que l’existence d’un ouvrage permanent, dès lors que l’exercice de la servitude ne se conçoit pas sans l’action de l’homme.
      • Il s’agit donc des servitudes dont l’exercice requiert nécessairement l’action humaine
      • Ce critère a priori très simple n’est pas sans avoir soulever des difficultés de mise en œuvre.
    • Incidence de la mécanisation
      • Certaines servitudes qui, depuis le développement de la mécanisation, ne requièrent plus d’action humaine, à tout le moins pour leur exercice.
      • Est-ce à dire que parce que cet exercice peut désormais être assuré mécaniquement elles ne constituent plus des servitudes discontinues ?
      • Dans un arrêt du 19 mai 2004, la Cour de cassation a refusé que l’évolution des techniques puisse avoir une incidence sur la nature de la servitude ( 3e civ. 19 mai 2004, n°03-12451).
      • Dans cet arrêt la Cour de cassation a jugé « qu’une servitude est discontinue lorsqu’elle ne peut s’exercer qu’avec une intervention renouvelée de l’homme et qu’elle reste telle quand bien même elle serait rendue artificiellement permanente au moyen d’un outillage approprié dès lors que cet outillage ne peut fonctionner que sous le contrôle de l’homme».
      • Pour la troisième chambre civile, il est donc indifférent que la servitude soit exercée mécaniquement, ce qui importe c’est que la mise en place du dispositif technique suppose une intervention humaine.

Cass. 3e civ. 19 mai 2004
Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Lyon, 9 janvier 2003), que Mlle X..., a assigné les époux Y... en revendication d'une servitude de puisage et d'un droit de passage pour l'exercer ;

Attendu que Mlle X... fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes, alors, selon le moyen :

1 / qu'une servitude n'est discontinue que lorsque c'est dans le fait même de l'homme que réside son exercice ; que, lorsqu'elle s'exerce au moyen d'ouvrages permanents aménagés à cet effet, encore que l'usage n'en soit qu'intermittent et comporte pour sa suspension ou sa reprise l'intervention de l'homme, elle est continue ; que les juges du fond, qui ont constaté l'existence d'un ouvrage permanent aménagé pour cet exercice et constitué par une crépine et une canalisation partant du puits et aboutissant dans la maison de Mlle X... à une installation de pompage, ont violé les articles 688 et 691 du Code civil, par leur décision qui déboute Mlle X... de sa demande aux fins de voir juger qu'elle bénéficiait d'un droit de puisage sur la propriété des époux Y... ;

2 / que l'existence d'ouvrages permanents pour l'exercice d'une servitude de passage confère à celle-ci le caractère d'une servitude continue et, partant, d'une possession utile à titre de propriétaire pour l'acquisition de l'ouvrage par prescription trentenaire ; qu'ainsi, l'arrêt a violé l'article 2229 du Code civil ;

Mais attendu qu'une servitude est discontinue lorsqu'elle ne peut s'exercer qu'avec une intervention renouvelée de l'homme et qu'elle reste telle quand bien même elle serait rendue artificiellement permanente au moyen d'un outillage approprié dès lors que cet outillage ne peut fonctionner que sous le contrôle de l'homme ; que la cour d'appel, qui a constaté que la servitude de puisage revendiquée ne reposait sur aucun titre afférent au fonds servant, en a justement déduit que Mlle X... devait être déboutée de sa demande ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

  • Les servitudes polyformes
    • Il est des servitudes qui sont susceptibles d’endosser les deux qualifications selon les circonstances.
    • Il en va ainsi de la servitude d’égout qui, alors même qu’elle est envisagée par l’article 688, al. 1er du Code civil comme une servitude continue a été qualifiée par la Cour de cassation de servitude discontinue dans un arrêt du 8 décembre 2004.
    • Dans cette décision, la troisième chambre civile a considéré « qu’une servitude d’égout d’eaux usées, dont l’exercice exige le fait de l’homme et ne peut se perpétuer sans son intervention renouvelée, a un caractère discontinu ne permettant pas son acquisition par prescription» ( 3e civ. 8 déc. 2004, n°03-17225).
    • Bien que la solution retenue ici puisse surprendre, elle se justifie pourtant pleinement.
    • Alors que la servitude d’écoulement des eaux pluviales est continue, la servitude d’écoulement des eaux usées est discontinue, parce que son exercice ne se conçoit pas sans l’intervention renouvelée de l’homme.
    • En effet, s’agissant des eaux pluviales, soit celles qui proviennent du toit de l’immeuble voisin, leur origine est purement naturelle puisque l’homme n’y est pour rien.
    • Leur écoulement ne peut donc donner lieu qu’à l’établissement d’une servitude continue.
    • S’agissant, en revanche des eaux usées, elles sont collectées au moyen de canalisations qui ont été construites par la main de l’homme.
    • Aussi, l’aménagement de leur écoulement relève bien des servitudes discontinues, la Cour de cassation refusant de faire dépendre leur qualification de la technique. D’où la solution retenue par la Cour de cassation dans l’arrêt du 8 décembre 2004.

Cass. 3e civ. 8 déc. 2004
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Lyon, 12 décembre 2002), que les époux X..., propriétaires d'une parcelle n° 28 en bordure de laquelle M. Y... revendique, pour sa parcelle n° 26, une servitude de passage "à talons" et, sur la même assiette, une servitude de tout-à-l'égout, l'ont assigné pour qu'il soit dit que ces servitudes exercées sur leur fonds étaient éteintes par prescription ;

Sur le moyen, relevé d'office, après avis donné aux parties :

Vu les articles 688 et 691 du Code civil ;

Attendu que les servitudes discontinues sont celles qui ont besoin du fait actuel de l'homme pour être exercées et que les servitudes discontinues ne peuvent s'établir que par titres ;

Attendu que, pour dire que la parcelle de M. Y... bénéficie d'une servitude d'égout sur la parcelle des époux X..., l'arrêt retient, par motifs adoptés, que les servitudes apparentes sont celles qui s'annoncent par des ouvrages extérieurs, tels qu'une porte, une fenêtre, un aqueduc ; qu'une installation d'égout d'eaux usées sur un fonds étranger correspond donc en fait à une servitude continue et apparente, et que les servitudes continues apparentes s'acquièrent par titre ou par possession trentenaire ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'une servitude d'égout d'eaux usées, dont l'exercice exige le fait de l'homme et ne peut se perpétuer sans son intervention renouvelée, a un caractère discontinu ne permettant pas son acquisition par prescription, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer sur le premier moyen qui ne serait pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a dit que la parcelle n° 26, propriété de M. Y..., bénéficie d'une servitude d'égout sur la parcelle n° 28, propriété des époux X..., l'arrêt rendu le 12 décembre 2002, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Dijon ;

==> Intérêt de la distinction

Le principal intérêt de la distinction entre les servitudes continues et discontinues résident dans leur établissement et dans leur extinction.

  • D’une part, seules les servitudes continues peuvent s’acquérir par le jeu de la prescription acquisitive, soit par la possession
  • D’autre part, seules les servitudes continues ne s’éteignent pas par le non-usage
  • Enfin, la destination du père de famille vaut titre pour les servitudes continues

Les servitudes: notion, éléments constitutifs et caractères

I) Notion

Classiquement on définit les servitudes comme des droits réels en vertu desquels une personne est autorisée à tirer de la chose d’autrui une certaine utilité.

Autrefois, on opposait les servitudes personnelles aux servitudes réelles :

  • Les servitudes personnelles
    • Elles étaient celles qui étaient établies pour l’avantage individuel d’une personne déterminée et constituaient un droit temporaire ou viager.
    • Elles pouvaient être de deux ordres :
      • Les servitudes mixtes désignaient les démembrements du droit de propriété, tel que le droit de jouissance conféré à l’usufruitier ou le droit d’usage et d’habitation
      • Les servitudes purement personnelles désignaient le pouvoir conféré à une personne d’assujettir une autre personne en la mettant dans une situation de dépendance servile (l’esclavage, la taille, la corvée etc…
    • Tandis que les servitudes purement personnelles ont été abolies, d’abord partiellement à la Révolution, puis totalement lorsqu’il a été mis fin à l’esclavage, les servitudes mixtes perdurent toujours, mais plus sous le même nom.
    • La raison en est que l’usufruit, le droit d’usage, de jouissance ou encore d’habitation sont envisagés par le Code civil comme des droits réels spécifiques et non comme des servitudes.
    • À cet égard, à la différence des servitudes qui sont perpétuelles, ces droits réels spécifiques présentent un caractère nécessairement temporaire.
    • Il y a donc désormais une différence de nature entre les servitudes et les différentes variantes du droit – réel – de jouissance
  • Les servitudes réelles
    • Anciennement désignées sous le nom de servitudes prédiales (du latin praedium mot qui signifie « héritage »), elles sont définies comme celles qui assujettissent un héritage à certaines choses envers un autre héritage.
    • Par héritage, il faut comprendre un immeuble, un fonds.
    • La servitude est donc une charge instituée entre biens immeubles exclusivement.
    • C’est parce que la servitude s’exerce sur une chose et non sur une personne qu’elle est qualifiée de réelle (réel vient du latin res, la chose)
    • L’héritage auquel la servitude est due s’appelle fonds dominant, celui qui la doit fonds servant.

Désormais, la notion de servitude que l’on retrouve dans le Code civil ne désigne plus que les servitudes réelles et plus précisément celles qui portent sur des immeubles par nature (fonds).

Sans doute animé par souci de chasser toute ambiguïté quant à la nature du droit conféré au bénéficiaire d’une servitude et pour prévenir d’éventuelles dérives qui tendraient à exhumer des pratiques de la féodalité, le législateur a précisé à l’article 686 du Code civil que « il est permis aux propriétaires d’établir sur leurs propriétés, ou en faveur de leurs propriétés, telles servitudes que bon leur semble, pourvu néanmoins que les services établis ne soient imposés ni à la personne, ni en faveur de la personne, mais seulement à un fonds et pour un fonds, et pourvu que ces services n’aient d’ailleurs rien de contraire à l’ordre public. »

Il est donc absolument exclu, même par convention contraire, qu’une servitude puisse consister à créer une charge sur la personne d’autrui.

Aussi, les servitudes présentent-elles nécessairement un caractère réel et foncier, ce qui n’est pas sans conséquence sur le régime juridique auquel elles sont assujetties.

II) Éléments constitutifs

L’article 637 du Code civil dispose que « une servitude est une charge imposée sur un héritage pour l’usage et l’utilité d’un héritage appartenant à un autre propriétaire. »

Il ressort de cette disposition que la constitution d’une servitude suppose la réunion de trois éléments constitutifs :

  • Un fonds
  • Des propriétés distinctes
  • Un fonds affecté au service d’un autre fonds

A) Un fonds

==> Domaine

Une servitude est une charge imposée sur un « héritage ». Par héritage il faut entendre un immeuble par nature.

La question qui alors se pose est alors de savoir ce que recouvre la notion d’immeuble par nature. Pour le déterminer, il convient de se reporter à l’article 518 du Code civil.

Cette disposition prévoit que « les fonds de terre et les bâtiments sont immeubles par leur nature. »

La catégorie des immeubles par nature, qui repose sur le critère physique, comprend donc le sol et tout ce qui est fixé au sol :

  • Le sol: par sol il faut entendre le fonds de terre, ce qui comprend, tant la surface du sol, que le sous-sol
  • Tout ce qui est fixé au sol: il s’agit de :
    • D’une part, toutes les constructions qui sont édifiées sur le sol ou dans le sous-sol (bâtiments, canalisations, les piliers ou poteaux fixés par du béton, ponts, barrage etc.)
    • D’autre part, tous les végétaux (arbres, plantes, fleurs etc), avec cette précision que s’ils sont détachés du sol ils deviennent des meubles (art 520 C. civ.)

La jurisprudence a eu l’occasion de préciser qu’il est indifférent que la chose soit fixée au sol à titre provisoire ou définitif. En tout état de cause, dès lors qu’elle adhère au sol elle est constitutive d’un immeuble par nature.

Au bilan, une servitude peut ainsi tout aussi bien grever le sol que ce qui est fixé au sol, pourvu qu’il s’agisse d’un immeuble par nature.

==> Exclusion

Les servitudes ne pouvant porter que sur des immeubles par nature, il faut en déduire que sont exclus de leur champ d’application :

  • Les biens meubles
    • Classiquement on définit les meubles comme toutes les choses qui sont mobiles et qui, donc ne sont ni fixées, ni incorporées au sol.
    • Tout ce qui donc n’est pas attaché au sol, est un bien meuble. Le code civil inclut notamment dans cette catégorie qui embrasse une grande variété de choses :
      • Les bateaux, bacs, navires, moulins et bains sur bateaux, et généralement toutes usines non fixées par des piliers, et ne faisant point partie de la maison ( 531 C. civ.)
      • Les matériaux provenant de la démolition d’un édifice, ceux assemblés pour en construire un nouveau jusqu’à ce qu’ils soient employés par l’ouvrier dans une construction ( 532 C. civ.)
      • Les meubles meublants qui comprennent :
        • Les biens destinés à l’usage et à l’ornement des appartements, comme tapisseries, lits, sièges, glaces, pendules, tables, porcelaines et autres objets de cette nature.
        • Les tableaux et les statues qui font partie du meuble d’un appartement y sont aussi compris, mais non les collections de tableaux qui peuvent être dans les galeries ou pièces particulières.
        • Il en est de même des porcelaines : celles seulement qui font partie de la décoration d’un appartement sont comprises sous la dénomination de “meubles meublants”.
      • Les meubles immatriculés, tels que les aéronefs ou les navires. L’immatriculation de ces biens leur confère un statut particulier qui les rapproche des immeubles, notamment s’agissant des actes de disposition dont ils sont susceptibles de faire l’objet.
    • Ne peuvent pas non plus faire l’objet de servitudes :
      • Les meubles par anticipation, soit les biens qui sont des immeubles par nature, mais qui, dans un futur proche, ont vocation à être détachés du sol
      • Les meubles par détermination de la loi, soit les choses incorporelles qui peuvent faire l’objet d’un droit de propriété (les valeurs mobilières, les droits personnels, les droits réels mobiliers, les œuvres de l’esprit, les brevets, les marques etc.)
  • Les immeubles par destination
    • À la différence des immeubles par nature qui sont déterminés par un critère physique, les immeubles par destination reposent sur la volonté du propriétaire.
    • Il s’agit, plus précisément, de biens qui, par nature, sont des meubles, mais qui sont qualifiés fictivement d’immeubles en raison du lien étroit qui les unit à un immeuble par nature dont ils constituent l’accessoire.
    • Tel est le cas, par exemple, du bétail affecté à un fonds agricole et qui donc, par le jeu d’une fiction juridique, est qualifié d’immeuble par destination.
    • L’objectif recherché ici est de lier le sort juridique de deux biens dont les utilités qu’ils procurent sont interdépendantes.
    • Par la création de ce lien, il sera, dès lors, beaucoup plus difficile de les séparer ce qui pourrait être fortement préjudiciable pour leur propriétaire.
    • Ainsi, des biens affectés au service d’un fonds, devenus immeubles, ne pourront pas faire l’objet d’une saisie par un tiers indépendamment du fonds lui-même.

Au total, il apparaît que le domaine des servitudes est quelque peu restreint puisqu’il se limite aux seuls immeubles par nature.

B) Des propriétés distinctes

==> Principe

La constitution d’une servitude suppose l’existence de deux fonds appartenant à des propriétaires différents.

Cette règle s’infère de l’article 705 du Code civil qui prévoit que « toute servitude est éteinte lorsque le fonds à qui elle est due, et celui qui la doit, sont réunis dans la même main. »

Cette disposition n’est autre que la traduction de l’adage nemini res sua servit qui signifie : « nul n’a de servitude sur sa propre chose ».

Aussi, une servitude confère un droit qui ne peut être exercée que sur un fonds appartenant à autrui. Selon l’expression du Doyen Cornu, « l’autoservitude » n’existe pas.

À supposer qu’une même personne soit propriétaire de deux fonds distincts, tous les aménagements qu’elle est susceptible de réaliser, notamment ceux tenant à l’écoulement des eaux ou encore au passage, ne peuvent être regardés que comme des expressions de l’exercice du droit de propriété et non comme la création de servitudes du fait de l’homme.

Par ailleurs, il peut être observé que l’établissement d’une servitude ne suppose pas que les deux fonds soient contigus (qui se touchent). Il est néanmoins nécessaire qu’ils soient voisins, car les services qui peuvent être imposés à un fonds n’ont de sens qu’entre propriétés voisines.

Enfin, comme relevé par des auteurs « si la notion de servitude implique la dualité de fonds et de propriétaires, cette dualité, constitutive d’un minimum, n’exclut pas la pluralité. Un même fonds peut être servant au bénéfice de plusieurs fonds dominants ou réciproquement »[1].

Cette situation se rencontrera notamment dans les lotissements ou les ensembles d’immeubles formant une copropriété.

==> Cas particulier de la copropriété

La question s’est posée en jurisprudence de savoir si la règle exigeant la présence de deux propriétés distinctes avait vocation à s’appliquer lorsque les deux fonds concernés relèvent d’une copropriété.

Autrement dit, un lot privatif peut-il être grevé par une servitude à la faveur d’un autre lot privatif, alors même qu’ils sont les composantes d’un même bien ?

Dans un premier temps, la Cour de cassation a refusé d’admettre la possibilité de constituer une servitude entre des parties privatives d’un lot de copropriété.

Dans un arrêt du 6 mars 1991 elle a jugé en ce sens « qu’il existe une incompatibilité entre la division d’un immeuble en lots de copropriété et la création, au profit de la partie privative d’un lot, d’une servitude sur la partie privative d’un autre lot » (Cass. 3e civ. 6 mars 1991, n°89-14374).

Elle a précisé sa position un an plus tard en affirmant « qu’une servitude n’existe que si le fonds servant et le fonds dominant constituent des propriétés indépendantes appartenant à des propriétaires différents et que tel n’est pas le cas d’un immeuble en copropriété » (Cass. 3e civ. 30 juin 1992, n°91-10116 91)

La Cour de cassation a, par la suite, réaffirmé cette position toujours au visa de l’article 637 du Code civil (V. en ce sens Cass. 3e civ. 21 mars 2001, n°98-21668).

Elle justifiait cette solution en soutenant qu’un immeuble soumis au régime de la copropriété constituait un héritage unique, alors que l’établissement d’une servitude suppose l’existence de deux fonds distincts.

Dans un second temps, alors que la doctrine faisait feu de tout bois contre cette position à laquelle s’accrochait la Cour de cassation, cette dernière a fini par céder.

Dans un arrêt du 30 juin 2004, elle a opéré un revirement de jurisprudence magistral en affirmant que « le titulaire d’un lot de copropriété disposant d’une propriété exclusive sur la partie privative de son lot et d’une propriété indivise sur la quote-part de partie commune attachée à ce lot, la division d’un immeuble en lots de copropriété n’est pas incompatible avec l’établissement de servitudes entre les parties privatives de deux lots, ces héritages appartenant à des propriétaires distincts » (Cass. 3e civ. 30 juin 2004, n°03-11562).

La troisième chambre civile est venue préciser 10 ans plus tard, dans un arrêt du 11 mars 2014 que « dans un immeuble en copropriété, des servitudes ne sont susceptibles de s’établir qu’entre des parties privatives » (Cass. 3e civ. 11 mars 2014, n°12-29734).

En revanche, lorsqu’il s’agit non pas de parties privatives relevant d’une copropriété, mais de parties d’une indivision, la Cour de cassation refuse l’établissement de servitudes (Cass. 3e civ. 27 mai 2009, n°08-14376).

C) Un fonds affecté au service d’un autre fonds

L’établissement d’une servitude ne se conçoit que s’il existe un rapport entre deux fonds, un rapport asymétrique puisqu’il institue une charge pour l’un et une utilité pour l’autre.

  1. L’établissement d’une utilité au profit du fonds dominant

==> Une utilité

Pour être qualifiée de servitude, celle-ci doit conférer une utilité au fonds dominant. L’article 637 prévoit en ce sens que la charge imposée au fonds servant doit être établie « pour l’usage et l’utilité d’un héritage appartenant à un autre propriétaire ».

Que faut-il entendre par utilité ? La jurisprudence a adopté une interprétation plutôt extensive cette notion. Aussi, admet-elle qu’un simple avantage, une commodité procurée au fonds dominant suffit à la justifier la constitution d’une servitude.

Entre d’autres termes, il n’est pas exigé que l’utilité procurée soit indispensable et nécessaire ; elle doit seulement être de nature à augmenter la valeur du fonds qui en bénéficie (V. en ce sens Cass. 3e civ., 9 juill. 1980, n° 79-12867)

Tel est le cas, lorsque l’utilité permet d’accéder à un fond en passant par un autre fonds. Il en va de même pour la servitude de puisage qui autorise à prélever de l’eau sur le terrain d’autrui ou la servitude d’égout qui permet de verser les eaux pluviales de son toit sur le fonds voisin.

En revanche, lorsque l’utilité procure seulement un agrément au fonds dominant, la jurisprudence refuse de la qualifier de servitude.

Pour illustration, dans le cadre d’une affaire pendante devant la Cour d’appel de Metz un requérant réclamait un droit de passage sur le fond voisin pour gagner sa place de parking située le long du mur délimitant la propriété de ce dernier et éviter ainsi d’avoir à effectuer le tour du pâté de maison pour rejoindre son véhicule.

Les juges le déboutent de sa demande au motif qu’il est constant qu’un simple souci de commodité ou de convenance ne permet pas de caractériser l’absence ou l’insuffisance d’issue sur la voie publique et alors que cette notion de convenance personnelle est évoquée par l’un des témoignages produits par le requérant au soutien de ses prétentions (CA Metz, 13 oc. 2016, n° 16/00366, RG 15/00398).

Pour déterminer si l’établissement d’une servitude est justifié, la Cour de cassation a, dans un arrêt du 16 mai 1952, affirmé qu’il convenait de se demander si le droit envisagé procure une plus-value au fonds, à tout le moins une commodité réelle.

==> Une utilité au profit d’un fonds

Il ne suffit pas que le service procure une utilité pour être qualifiée de servitude, il faut encore qu’il soit utile au fonds dominant et non au propriétaire du fonds.

C’est là une exigence qui résulte de l’article 637 du Code civil et qui constitue une limite importante aux objets possibles des servitudes.

Les droits de promenade, de chasse, de pêche, de cueillette ou encore d’utilisation d’un four sont octroyés en considération, non pas des besoins du fonds dominant, mais de la personne de son propriétaire (V. en ce sens Cass. 3e civ., 22 juin 1976, n° 74-14148).

2. La création d’une charge qui pèse sur le fonds servant

L’établissement d’une servitude suppose, corrélativement à l’octroi d’une utilité au fonds dominant, la création d’une charge imposée au fonds servant.

Toutefois, ainsi que le prévoit l’article 638 du Code civil « la servitude n’établit aucune prééminence d’un héritage sur l’autre ». Le rapport créé entre les deux fonds n’est donc pas d’ordre hiérarchique, en ce sens qu’il n’existe aucun lien de vassalité entre eux.

Il s’agit seulement d’un rapport d’utilité. La servitude grève, elle assujettit un fonds dont elle attend un service : elle lui imprime la fonction de fonds servant.

La création de cette charge sur le fonds servant emporte trois conséquences principales :

  • Première conséquence
    • La charge imposée sur le fonds servant consiste à restreindre les prérogatives du propriétaire sur le fonds grevé.
    • Par nature, la servitude a pour effet de porter atteinte au droit de propriété.
    • Ces atteintes peuvent être tantôt positives, tantôt négatives.
      • La servitude sera qualifiée de positive lorsqu’elle consistera à entamer certains attributs du droit de propriété qui seront accordés au bénéfice du fonds dominant : le propriétaire perd l’exclusivité de la chose en devant souffrir la présence d’un autre, qui passe sur son fonds, qui prélève de l’eau
      • La servitude sera qualifiée de négative lorsqu’elle consistera à neutraliser le caractère absolu du droit de propriété en l’empêchant de faire quelque chose que son droit de propriété l’autorise normalement à faire, tel que, édifier un ouvrage sur son fonds, cultiver des plantations, créer une ouverture etc.
  • Deuxième conséquence
    • La charge créée par la servitude est strictement attachée au fonds servant, de sorte qu’elle se transmet avec la propriété
    • Parce qu’elle est l’accessoire du fonds qu’elle grève, elle est perpétuelle et ne peut être cédée indépendamment de ce fonds
    • Seule solution pour le propriétaire du fonds grevé de s’affranchir de la servitude en dehors de sa cession, l’abandon de la partie qui sert d’assiette à cette servitude
  • Troisième conséquence
    • Dans la mesure où la servitude est attachée à un fonds, elle n’oblige pas personnellement le propriétaire du fonds servant.
    • Aussi n’est-elle pas constitutive d’une dette qui grèverait son patrimoine
    • La conséquence en est qu’elle ne peut jamais obliger le propriétaire à accomplir une action positive.
    • Selon l’adage servitus in faciendo non potest, une servitude ne peut pas consister en une obligation de faire: il ne peut y avoir de servitude qu’in patiendo (à supporter quelque chose).
    • Autrement dit, la servitude ne peut avoir pour effet que d’imposer une abstention : le propriétaire doit souffrir sur son fonds les actes d’usage accomplis par le propriétaire du fonds dominant.

III) Caractères

Il est classiquement admis que les servitudes présentent quatre traits de caractère qui permettent de les distinguer des autres droits réels et notamment des droits de jouissance tels que l’usufruit ou le droit d’usage et d’habitation.

A) Caractère réel immobilier

==> Un droit réel

Les servitudes consistent, tout d’abord, en des droits réels. Il en résulte qu’elles confèrent au propriétaire du fonds dominant un pouvoir direct et immédiat sur le fond grevé.

 Structurellement, le droit réel suppose un sujet, le titulaire du droit et un objet, la chose sur laquelle s’exerce le droit réel. Le droit réel établit, en d’autres termes, une relation entre une personne et une chose

Le droit réel s’exerce ainsi sans qu’il soit besoin d’actionner une personne. Il s’exerce sans l’entremise d’un tiers.

C’est pour cette raison que les servitudes sont toujours attachées, non pas à une personne, mais directement au fonds qu’elles grèvent.

C’est également parce qu’elles sont constitutives de droits réels que l’exercice des servitudes n’est subordonné au paiement d’aucune redevance.

Tout au plus, une indemnité peut être octroyée au propriétaire du fonds servant lors de la constitution de la servitude.

Cette indemnité n’a toutefois pas pour cause la stipulation d’une quelconque obligation de ne pas faire qui s’imposerait à ce dernier. Elle seulement la contrepartie de la diminution de son droit de propriété.

À cet égard, en cas de non-respect de la servitude par le propriétaire du fonds servant, celui-ci engage sa responsabilité délictuelle et non contractuelle.

==> Un droit réel immobilier

Il ressort de l’article 637 du Code civil qu’une servitude ne peut être imposée que sur un héritage pour l’usage et l’utilité d’un autre héritage.

Une servitude a donc nécessairement pour objet un immeuble par nature, ce qui leur confère un caractère immobilier. Elles ont ainsi pour assiette, soit le sol, soit ce qui est fixé au sol, telles que des constructions.

Parce que les servitudes consistent en des droits réels immobiliers, lorsqu’elles sont constituées au moyen d’un titre elles ne sont opposables aux tiers que si elles font l’objet de formalités de publicité foncières (V. en ce sens Cass. 3e civ., 27 oct. 1993, n° 91-19.874)

B) Caractère accessoire

La servitude présente un caractère accessoire en ce qu’elle est indissociable du fonds dominant qu’elle grève. Il en résulte qu’elle ne peut pas être « cédée, saisie ou hypothéquée » indépendamment de ce fonds[2].

Plus précisément, la servitude a vocation à suivre le sort du fonds auquel elle est attachée. Elle est transmise de plein droit aux acquéreurs du fonds dominant.

Corrélativement, dès lors qu’elle a valablement été publiée, la servitude s’imposera aux propriétaires successifs du fonds servant.

Enfin, si la servitude profite à l’usufruitier du fonds dominant, elle ne bénéficie pas au locataire dans la mesure où celui-ci n’exerce aucun droit réel sur le fonds, il est seulement investi d’un droit personnel contre le propriétaire.

C) Caractère perpétuel

Parce que les servitudes sont l’accessoire du fonds qu’elles grèvent, elles durent aussi longtemps qu’il est un droit de propriété qui s’exerce sur lui.

Or la propriété présente un caractère perpétuel. Cette perpétuité s’insuffle donc aux servitudes qui ne peuvent donc pas s’éteindre sous l’effet du temps.

Seules les causes d’extinction énoncées aux articles 703 et suivants du Code civil sont susceptibles de mettre fin aux servitudes soit :

  • Lorsque la chose se trouve en tel état qu’on ne peut plus en user
  • Lorsque le fonds à qui elle est due, et celui qui la doit, sont réunis dans la même main.
  • Par le non-usage pendant trente ans.
  • Par la volonté des propriétaires du fonds dominant et du fonds servant

Il peut encore être observé qu’il est admis que la constitution de servitudes puisse être temporaire. Il peut notamment être convenu que la servitude s’éteindra au décès du propriétaire du fonds dominant.

Dans un arrêt du 22 mars 1989 la Cour de cassation a jugé en ce sens que « la stipulation d’une servitude temporaire est licite » (Cass. 3e civ. 22 mars 1989, n°87-17454).

Cass. 3e civ. 22 mars 1989
Sur le moyen unique :

Attendu que les consorts X... font grief à l'arrêt attaqué (Douai, 17 juin 1987) d'avoir décidé que leur fonds ne disposaient pas d'une servitude par destination du père de famille sur une partie du fonds acquis par les époux Z... en 1981, alors, selon le moyen, " que la clause susceptible de tenir en échec la servitude par destination du père de famille qui résulte de la division du fonds ne peut être la clause de style de l'acte de division aux termes de laquelle les parties déclarent qu'elles n'ont conféré aucune servitude et qu'à leur connaissance, il n'en existe pas ; qu'ainsi la cour d'appel, en statuant comme elle l'a fait, a violé les articles 694 et 1134 du Code civil et alors que, seule une clause de l'acte opérant division du fonds peut tenir en échec la servitude par destination du père de famille résultant de cette division ; qu'ainsi en se fondant pour déclarer éteinte la servitude de passage sur la clause d'une promesse sous seing privé non reproduite dans l'acte d'échange notarié mais incluse dans un acte de vente ultérieur du fonds servant auquel n'étaient pas partie les propriétaires du fonds dominant, la cour d'appel a violé l'article 694 du Code civil " ;

Mais attendu que la stipulation d'une servitude temporaire est licite ; qu'après avoir relevé que lors de la vente du fonds servant aux auteurs des époux Z..., les parties avaient inséré dans l'acte la clause selon laquelle tant que Mme Y... restera propriétaire du fonds dominant et à condition qu'il soit occupé par elle-même ou son mari ou l'un de ses enfants, l'exploitant aura le droit de passage sur la parcelle A 1541, la cour d'appel a exactement retenu que Mme Y... étant décédée le 9 juin 1980, l'une des deux conditions nécessaires et cumulatives prévues dans la clause avait disparu et que les consorts X... ne pouvaient plus se prévaloir du bénéfice de la servitude de passage ;

Que par ce seul motif, l'arrêt est légalement justifié ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

D) Caractère indivisible

Une servitude est indivisible en ce qu’elle grève nécessairement le fonds servant pour le tout et profite au fonds dominant dans son entier.

Tout d’abord, lorsque le fonds servant ou dominant fait l’objet d’une indivision ou est soumis à une copropriété, l’indivisibilité de la servitude emporte plusieurs conséquences :

  • Elle profite à tous les propriétaires du fonds dominant qui ont un droit entier sur elle, tout autant qu’elle s’impose à tous les propriétaires du fonds servant qui doivent la respecter
  • Elle ne peut être constituée sur un fonds ou établie à son profit qu’à la condition que tous les propriétaires y consentent, cette unanimité étant également exigée pour qu’il y soit mis fin

Ensuite, l’article 700, al. 1er du Code civil prévoit que « si l’héritage pour lequel la servitude a été établie vient à être divisé, la servitude reste due pour chaque portion, sans néanmoins que la condition du fonds assujetti soit aggravée. »

L’alinéa 2 ajoute que « s’il s’agit d’un droit de passage, tous les copropriétaires seront obligés de l’exercer par le même endroit. »

Ainsi, en cas de division d’un fonds en plusieurs parcelles, chacune d’elles continuant à supporter la charge de la servitude dans son entier

Dans un arrêt du 23 mars 2001, la Cour de cassation réunie en assemblée plénière a néanmoins précisé que la règle énoncée à l’article 700 du Code civil « postule que la servitude préexiste à la division de l’héritage » (Cass. ass. plen. 23 mars 2001, 98-19018).

Cass. ass. plen. 23 mars 2001
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 2 juillet 1998), rendu sur renvoi après cassation (3e Civ., 11 décembre 1996, Bull. 1996, III, n° 238, p. 155), que par acte du 21 février 1900, M. Y... a vendu la partie centrale d'un terrain lui appartenant et l'a grevé de deux zones non aedificandi sur une distance de deux mètres à partir des lignes divisoires intérieures Est et Ouest ; que M. Z..., devenu propriétaire de ce lot, a édifié une construction de la ligne divisoire Est à la ligne divisoire Ouest ; que M. A..., propriétaire du lot contigu, situé à l'est de celui de M. Z..., a, par acte du 11 mars 1991, assigné M. Z... en démolition des ouvrages édifiés sur les zones non aedificandi Est et Ouest, sous peine d'astreinte ; que M. Z... a invoqué l'extinction de la servitude du fait d'un acte contraire, consistant dans l'édification d'un garage sur la zone non aedificandi Ouest, avant 1960 ; que M. A... étant décédé en cours d'instance, celle-ci a été reprise par Mme A..., MM. Pierre-Marie et Yves-Marie A... (les consorts A...) ; que le Tribunal a accueilli la demande des consorts A... ; que M. Z... a fait appel du jugement ; que par arrêt du 13 décembre 1994, la cour d'appel d'Aix-en-Provence a confirmé le jugement ; qu'après cassation de cet arrêt, devant la cour d'appel de renvoi, les consorts A... ont seulement demandé la démolition des ouvrages édifiés sur la zone non aedificandi Est ; que M. Z... a demandé la condamnation des consorts A... à lui restituer la somme qu'il leur avait réglée en exécution de l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Sur le premier moyen, pris en ses deux branches :

Attendu que M. Z... reproche à l'arrêt de lui avoir ordonné de démolir les ouvrages édifiés sur la zone non aedificandi, en limite divisoire Est, sous peine d'une astreinte de 1 000 francs par jour de retard à compter de la signification de cette décision, alors, selon le moyen :

1° que, si l'héritage pour lequel la servitude a été établie vient à être divisé, la servitude reste due pour chaque portion, sans néanmoins que la condition du fonds assujetti soit aggravée ; que dès lors, l'existence d'une construction, pendant trente ans, sur la zone non aedificandi entraînait l'extinction de la servitude dans son ensemble ; qu'en refusant néanmoins de constater l'extinction de la servitude, motif pris de ce que la construction invoquée par M. Z... avait été édifiée à l'Ouest, et que la propriété des consorts A... était située à l'est, les juges du fond ont violé les articles 700, 706 et 707 du Code civil ;

2° que, dès lors que l'absence d'aggravation postule que la servitude puisse s'éteindre à raison de l'édification d'une construction sur un point de la zone non aedificandi, il importe peu qu'un autre point de cette zone soit matériellement distinct de l'assiette de la construction ; qu'en se fondant sur un motif inopérant, les juges du fond ont de nouveau violé les articles 700, 706 et 707 du Code civil ;

Mais attendu que l'arrêt constate que M. Y... avait divisé son fonds en trois parcelles antérieurement à la création de l'interdiction de construire le long des lignes divisoires entre la parcelle centrale et les parcelles voisines ; que, dès lors, le moyen pris de la violation des articles 700 et suivants du Code civil qui postule que la servitude préexiste à la division de l'héritage, n'est fondé en aucune de ses branches ;

Enfin, dans un arrêt du 29 mai 1963 a posé une limite à l’indivisibilité de la servitude en posant que lorsque l’héritage à la charge duquel la servitude a été établie vient à être divisé, elle reste due par chaque portion, cette indivisibilité ne saurait avoir pour conséquence de faire supporter la servitude, par voie d’extension, a des fonds que le propriétaire de l’héritage assujetti y aurait ultérieurement réunis (Cass. 1ère civ. 29 mai 1963).

Enfin, lorsque l’exercice de la servitude est circonscrit à une partie seulement du fonds servant, tel que cela peut être le cas pour un droit de passage, en cas de division du fonds, la servitude ne sera maintenue que sur la partie qui constitue l’assiette de la servitude.

[1] F. Terré et Ph. Simler, Droit civil – Les biens, éd. Dalloz, 2004, n°870, p. 753.

[2] F. Terré et Ph. Simler, op. cit., n°873, p. 754.

Usufruit: le sort des dépenses d’amélioration

==> Les grosses réparations sont à la charge du nu-propriétaire

Parce que les grosses réparations se rattachent à la substance même de la chose, l’article 605 prévoit qu’elles sont à la charge du seul nu-propriétaire.

Il devra s’acquitter de son obligation au plus tard à l’expiration de l’usufruit.

La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par “grosses réparations“?

La Cour de cassation a défini les grosses réparations comme celles qui « intéressent l’immeuble dans sa structure et sa solidité générale » tandis que les réparations d’entretien « sont celles qui sont utiles au maintien permanent en bon état de l’immeuble » (Cass. 3e civ. 13 juill. 2005, n°04-13764).

Il a par exemple été jugé que :

  • La réfection de zingueries affectant une partie exceptionnelle de l’immeuble était une grosse réparation car engageant une dépense exceptionnelle ( 1ère civ. 2 févr. 1955)
  • Le recrépissement ou le ravalement d’un immeuble est, en revanche, une réparation d’entretien ( 1ère civ. 21 mars 196)

Les grosses réparations correspondent donc aux travaux de restauration d’une structure essentielle de l’immeuble, tels que la réfection d’un mur pignon ou le rétablissement de poutres ou de couvertures entières.

Dans un arrêt du 27 novembre 2002, la troisième chambre civile a précisé que « l’article 606 du Code civil énumère limitativement les grosses réparations » (Cass. 3e civ. 27 nov. 2002, n°01-12816).

Il en résulte que les juridictions ne peuvent pas ajouter des travaux à la liste énoncée par l’article 606. Les grosses réparations doivent se limiter à celles qui touchent à la solidité et à la structure du bien.

Quid lorsque les grosses réparations s’apparentent à des travaux d’améliorations et non de réfection? Relèvent-elles du champ d’application de l’article 606?

==> Les travaux d’amélioration demeurent à la charge de l’usufruitier

Il est constant en jurisprudence que lorsque l’usufruitier a entrepris des travaux d’amélioration les dépenses engagées demeurent à la charge de l’usufruitier.

Par amélioration, il faut entendre tous les travaux qui ne se justifient pas par la conservation du bien et qui visent, au contraire, à lui apporter une plus-value.

L’article 599, al. 2e du Code civil prévoit en ce sens que « l’usufruitier ne peut, à la cessation de l’usufruit, réclamer aucune indemnité pour les améliorations qu’il prétendrait avoir faites, encore que la valeur de la chose en fût augmentée. »

Dans un arrêt du 12 juin 2012 la Cour de cassation elle a fait une application de la règle ainsi énoncée en jugeant que « l’usufruitier n’est tenu qu’aux réparations d’entretien et que les grosses réparations demeurent à la charge du propriétaire, à moins qu’elles n’aient été occasionnées par le défaut de réparations d’entretien, depuis l’ouverture de l’usufruit, auquel cas l’usufruitier en est aussi tenu ; que ce dernier ne peut, à la cessation de l’usufruit, réclamer aucune indemnité pour les améliorations qu’il prétendrait avoir faites, encore que la valeur de la chose en fût augmentée » (Cass. com. 12 juin 2012, n°n° 11-11424).

L’objectif recherché ici est d’éviter tout contentieux sur l’estimation de la plus-value réalisée et de protéger le nu-propriétaire de dépenses dispendieuses qui pourraient être engagées par l’usufruitier, celui-ci pouvant être encouragé par la perspective d’être intégralement indemnisé à l’expiration de son droit. Ce sera là une charge très lourde qui pourrait être imposée au nu-propriétaire, alors même qu’il n’a rien demandé, ni n’a été en mesure d’y consentir.

Pour c’est raison, il est constant en jurisprudence que les dépenses d’amélioration demeurent à la charge du seul usufruitier.

Cette position n’est pas sans faire l’objet de critiques dans la mesure où cela revient :

  • D’une part, à admettre un cas d’enrichissement sans cause, ce en contravention avec l’article 1303 du Code civil
  • D’autre part, à placer l’usufruitier dans une situation bien moins avantageuse que le possesseur de mauvaise foi qui, en application de l’article 555, al. 3 du Code civil, est fondé à obtenir une indemnité lorsqu’il a édifié une construction sur le fonds qu’il occupe et que le propriétaire décide d’exercer son droit à la conserver

Malgré ces critiques, la jurisprudence est demeurée intransigeante. Elle a notamment refusé de distinguer, ainsi que cela avait été suggéré, de distinguer selon que la défense engagée vise à améliorer le bien soumis à usufruit ou à en acquérir un nouveau.

La Cour de cassation considère que cette règle s’applique en tout état de cause, y compris lorsque l’amélioration du bien consiste en l’édification d’une construction/

Dans un arrêt du 4 novembre 1885, elle a par exemple jugé que « suivant l’esprit de [l’article 599], on ne doit considérer comme améliorations soit les constructions ayant pour effet d’achever un bâtiment commencé, ou bien d’agrandir un édifice préexistant » (Cass. req. 4 nov. 1885).

Dans un arrêt du 19 septembre 2012 la troisième chambre civile a précisé « qu’il n’existait aucun enrichissement pour la nue-propriétaire qui n’entrera en possession des constructions qu’à l’extinction de l’usufruit, l’accession n’a pas opéré immédiatement au profit du nu-propriétaire du sol » (Cass. 3e civ. 19 sept. 2012, n°11-15460).

Seule limite à la règle ainsi posée : l’alinéa 3 de l’article 599 du Code civil autorise l’usufruitier à « enlever les glaces, tableaux et autres ornements qu’il aurait fait placer, mais à la charge de rétablir les lieux dans leur premier état. »

Les effets attachés à l’extinction de l’usufruit: la restitution de la chose et le règlement des comptes

L’extinction de l’usufruit emporte deux conséquences :

  • La restitution de la chose
  • Le règlement des comptes

A) La restitution de la chose

  1. Principe

==> Droit commun

La première obligation qui échoit à l’usufruitier à l’expiration de son droit consiste à restituer la chose soumise à l’usufruit au nu-propriétaire

Cette restitution doit, en principe, intervenir en nature. Elle doit alors être restituée dans l’état où elle se trouvait au moment de la délivrance, et plus précisément tel que décrit dans l’inventaire qui a été dressé en application de l’article 600 du Code civil.

À défaut d’inventaire, notamment dans le cas d’une dispense, il appartiendra au nu-propriétaire de prouver que l’état dans lequel le bien lui est restitué ne correspond pas à celui dans lequel il se trouvait au jour de sa délivrance.

==> Cas particulier de l’universalité de biens

Lorsque l’usufruit porte sur une universalité de biens, il convient de distinguer selon que cette universalité est de droit ou de fait

  • L’usufruit d’une universalité de fait
    • Dans cette hypothèse, l’usufruit porte sur un ensemble de biens unis par une même finalité économique.
    • Tel est le cas notamment du fonds de commerce qui regroupe l’ensemble des biens nécessaires à l’exploitation d’une activité commerciale déterminée.
    • Lorsque l’usufruit porte sur une universalité de fait, le droit dont est investi l’usufruitier a pour assiette, non pas les biens qui la composent, mais l’ensemble constitué par ces biens, soit le tout.
    • Il en résulte que l’usufruitier est seulement tenu de conserver l’universalité, prise dans sa globalité : il ne peut pas en disposer, ni la détruire.
    • Il ne s’agit donc pas d’un quasi-usufruit, mais bien d’un usufruit ordinaire.
    • Appliqué au fonds de commerce, cela signifie que, à l’expiration de l’usufruit, l’usufruitier devra restituer un fonds de commerce de valeur équivalente.
    • Pendant toute la durée de l’usufruit, il est, en revanche, libre de disposer de chacun des éléments qui composent le fonds de commerce (machines, outils, marchandises, matières premières etc.)
    • L’usufruitier est ainsi autorisé à accomplir tous les actes de nécessaires à l’exploitation de l’activité commerciale (achat et vente de marchandises etc.)
    • À cet égard, c’est lui qui percevra les bénéfices tirés de l’exploitation du fonds, tout autant que c’est lui qui endossera la qualité de commerçant et qui, à ce titre, sera soumis à l’obligation d’immatriculation.
  • L’usufruit d’une universalité de droit
    • Dans cette hypothèse, l’usufruit porte sur une masse de biens qui, de nature et d’origine diverses, et matériellement séparés, ne sont réunis par la pensée qu’en considération du fait qu’ils appartiennent à une même personne
    • Autrement dit, l’usufruit a ici pour objet un patrimoine ou une fraction de patrimoine.
    • Selon le cas, il sera qualifié d’usufruit à titre universel ou d’usufruit à titre particulier.
    • Cette forme d’usufruit se rencontre le plus souvent consécutivement à une dévolution successorale ou testamentaire.
    • Lorsqu’il porte sur un patrimoine, la portée de l’usufruit est radicalement différente de la situation où il a pour objet une universalité de fait.
    • En effet, l’assiette du droit de l’usufruitier est constituée par l’ensemble des biens qui composent le patrimoine et non par le patrimoine pris dans sa globalité.
    • La conséquence en est que, si l’usufruitier peut jouir des biens qui relèvent de l’assiette de son droit, il lui est fait interdiction d’en disposer, sauf à ce que, au nombre de ces biens, figurent des choses consomptibles auquel cas il sera autorisé à les restituer en valeur.
    • Pour les autres biens, non-consomptibles, il devra les restituer au nu-propriétaire dans le même état que celui dans lequel ils se trouvaient au jour de la délivrance

2. Exceptions

==> La restitution de la chose par équivalent

Il est des cas où la restitution de la chose ne pourra pas intervenir en nature. Il en va ainsi lorsque soit la chose est consomptible, soit elle a été perdue.

  • La chose est consomptible
    • Les choses consomptibles sont celles qui se consomment par le premier usage, en ce sens qu’elles disparaissent à mesure de l’utilisation que l’on en fait.
      • Exemple: l’argent, des aliments, une cartouche d’encre etc.
    • À l’évidence, lorsque l’usufruit porte sur une chose consomptible, cette situation soulève une difficulté qui tient à la fonction même de l’usufruit.
    • Il est, en effet, de principe que l’usufruit ne confère à l’usufruitier qu’un droit d’usage sur la chose, de sorte qu’il ne peut pas en disposer.
    • Si l’in appliquait cette règle strictement aux choses consomptibles, cela reviendrait à priver l’usufruitier d’en jouir et donc de vider le droit réel dont il est titulaire de sa substance.
    • C’est la raison pour laquelle, par exception, l’usufruitier est autorisé à disposer de la chose, telle le véritable propriétaire (on parle alors de quasi-usufruit).
    • L’article 587 du Code civil prévoit en ce sens que « si l’usufruit comprend des choses dont on ne peut faire usage sans les consommer, comme l’argent, les grains, les liqueurs, l’usufruitier a le droit de s’en servir, mais à la charge de rendre, à la fin de l’usufruit, soit des choses de même quantité et qualité soit leur valeur estimée à la date de la restitution».
    • En contrepartie du droit de jouir d’une chose consomptible, l’usufruitier a donc l’obligation de restituer, à l’expiration de l’usufruit, soit une chose de même qualité et de même quotité, soit son équivalent en argent.
  • La chose a été perdue
    • Lorsque cette situation se présente, par hypothèse, la chose ne peut pas être restituée au nu-propriétaire.
    • Il est donc fondé à réclamer une restitution par équivalent, laquelle prendra la forme de dommages et intérêts
    • Une indemnisation sera également due en cas de détérioration de la chose imputable à l’usufruitier ou à la personne dont il répond
    • Afin d’évaluer la valeur de la chose, il conviendra de se reporter à l’inventaire qui devrait comporter une estimation de sa valeur

==> La restitution de la chose en l’état

L’article 589 du Code civil dispose que « si l’usufruit comprend des choses qui, sans se consommer de suite, se détériorent peu à peu par l’usage, comme du linge, des meubles meublants, l’usufruitier a le droit de s’en servir pour l’usage auquel elles sont destinées, et n’est obligé de les rendre à la fin de l’usufruit que dans l’état où elles se trouvent, non détériorées par son dol ou par sa faute. »

Ainsi, lorsque la détérioration procède d’un usage normal de la chose, il n’y a pas lieu pour l’usufruitier à indemniser le nu-propriétaire.

On considère ici qu’elle se serait autant détériorée si elle avait été entre ses mains. Si toutefois cette détérioration résulte d’un manquement imputable à l’usufruitier qui n’aurait pas joui de la chose comme un bon père de famille, il sera redevable de dommages et intérêts à l’égard du nu-propriétaire.

==> L’absence de restitution de la chose

L’article 607 du Code civil prévoit que « ni le propriétaire, ni l’usufruitier, ne sont tenus de rebâtir ce qui est tombé de vétusté, ou ce qui a été détruit par cas fortuit. »

Lorsqu’ainsi la détérioration de la chose est due à un événement indépendant de la volonté de l’usufruitier (phénomène naturel, guerre, grève etc.) il ne doit aucune indemnité au nu-propriétaire et inversement.

B) Le règlement des comptes

À l’expiration de l’usufruit, il conviendra de procéder à un règlement des comptes afin de déterminer ce que doit l’usufruitier au nu-propriétaire et ce qui lui est dû

1. S’agissant des dettes de l’usufruitier

À l’expiration de l’usufruit, le nu-propriétaire est en droit de réclamer à l’usufruitier :

  • Les indemnités dues en réparation de la détérioration fautive de la chose ( 618 C. civ.)
  • Les intérêts charges extraordinaires au nombre desquelles figurent les frais de bornage, de clôture ( 609 C. civ.)
  • Restitution des fruits civils perçus postérieurement à l’expiration de l’usufruit ( 586 C. civ.)

2. S’agissant des créances de l’usufruitier

==> Principe général

À l’expiration de son droit, l’usufruitier est susceptible de solliciter auprès du nu-propriétaire le remboursement :

  • Du montant réglé au titre des grosses réparations, dans la limite de la plus-value apportée à l’immeuble
  • Des avances effectuées au titre des charges extraordinaires

==> Sort des dépenses d’amélioration

Il peut être précisé que lorsque l’usufruitier a entrepris des travaux d’amélioration, les dépenses engagées demeurent à la charge de l’usufruitier.

Par amélioration, il faut entendre tous les travaux qui ne se justifient pas par la conservation du bien et qui visent, au contraire, à lui apporter une plus-value.

L’article 599, al. 2e du Code civil prévoit en ce sens que « l’usufruitier ne peut, à la cessation de l’usufruit, réclamer aucune indemnité pour les améliorations qu’il prétendrait avoir faites, encore que la valeur de la chose en fût augmentée. »

Dans un arrêt du 12 juin 2012 la Cour de cassation elle a fait une application de la règle ainsi énoncée en jugeant que « l’usufruitier n’est tenu qu’aux réparations d’entretien et que les grosses réparations demeurent à la charge du propriétaire, à moins qu’elles n’aient été occasionnées par le défaut de réparations d’entretien, depuis l’ouverture de l’usufruit, auquel cas l’usufruitier en est aussi tenu ; que ce dernier ne peut, à la cessation de l’usufruit, réclamer aucune indemnité pour les améliorations qu’il prétendrait avoir faites, encore que la valeur de la chose en fût augmentée » (Cass. com. 12 juin 2012, n°n° 11-11424).

L’objectif recherché ici est d’éviter tout contentieux sur l’estimation de la plus-value réalisée et de protéger le nu-propriétaire de dépenses dispendieuses qui pourraient être engagées par l’usufruitier, celui-ci pouvant être encouragé par la perspective d’être intégralement indemnisé à l’expiration de son droit. Ce sera là une charge très lourde qui pourrait être imposée au nu-propriétaire, alors même qu’il n’a rien demandé, ni n’a été en mesure d’y consentir.

Pour c’est raison, il est constant en jurisprudence que les dépenses d’amélioration demeurent à la charge du seul usufruitier.

Cette position n’est pas sans faire l’objet de critiques dans la mesure où cela revient :

  • D’une part, à admettre un cas d’enrichissement sans cause, ce en contravention avec l’article 1303 du Code civil
  • D’autre part, à placer l’usufruitier dans une situation bien moins avantageuse que le possesseur de mauvaise foi qui, en application de l’article 555, al. 3 du Code civil, est fondé à obtenir une indemnité lorsqu’il a édifié une construction sur le fonds qu’il occupe et que le propriétaire décide d’exercer son droit à la conserver

Malgré ces critiques, la jurisprudence est demeurée intransigeante. Elle a notamment refusé de distinguer, ainsi que cela avait été suggéré, de distinguer selon que la défense engagée vise à améliorer le bien soumis à usufruit ou à en acquérir un nouveau.

La Cour de cassation considère que cette règle s’applique en tout état de cause, y compris lorsque l’amélioration du bien consiste en l’édification d’une construction/

Dans un arrêt du 4 novembre 1885, elle a par exemple jugé que « suivant l’esprit de [l’article 599], on ne doit considérer comme améliorations soit les constructions ayant pour effet d’achever un bâtiment commencé, ou bien d’agrandir un édifice préexistant » (Cass. req. 4 nov. 1885).

Dans un arrêt du 19 septembre 2012 la troisième chambre civile a précisé « qu’il n’existait aucun enrichissement pour la nue-propriétaire qui n’entrera en possession des constructions qu’à l’extinction de l’usufruit, l’accession n’a pas opéré immédiatement au profit du nu-propriétaire du sol » (Cass. 3e civ. 19 sept. 2012, n°11-15460).

Seule limite à la règle ainsi posée : l’alinéa 3 de l’article 599 du Code civil autorise l’usufruitier à « enlever les glaces, tableaux et autres ornements qu’il aurait fait placer, mais à la charge de rétablir les lieux dans leur premier état. »

La déchéance du droit d’usufruit pour abus de jouissance

L’article 618 du Code civil dispose que « l’usufruit peut aussi cesser par l’abus que l’usufruitier fait de sa jouissance, soit en commettant des dégradations sur le fonds, soit en le laissant dépérir faute d’entretien. »

Il ressort de cette disposition que l’usufruitier peut être déchu de son droit lorsqu’il commet un abus de jouissance.

Par abus de jouissance, il faut entendre une faute dont la gravité est de nature à altérer la substance du bien grevé par l’usufruit ou à en menacer la restitution.

Aussi, doit-il s’agit d’une faute commise, soit par l’usufruitier, soit par la personne dont il répond.

Au nombre des fautes constitutives d’un abus de jouissance, l’article 618 vise expressément :

  • Les dégradations sur le fonds
  • Le dépérissement du fonds par manque d’entretien

Dans un arrêt du 12 mars 1970, la Cour de cassation a de la sorte validé la décision d’une Cour d’appel qui avait jugé que « Dame veuve X était responsable de la ruine des immeubles soumis à son usufruit “même si x… Michel avait la charge de faire procéder en même temps qu’elle a des travaux confortatifs “, a constaté qu’un défaut d’entretien, remontant à dix-neuf années et imputable à l’usufruitière, avait entraîné la détérioration du gros œuvre des immeubles » (Cass. 3e civ. 12 mars 1970).

De son côté, la jurisprudence a admis qu’une le changement de destination du bien soumis à l’usufruit était susceptible de constituer un abus de jouissance.

Bien que le Code civil soit silencieux sur ce point, il est, en effet, fait obligation à l’usufruitier d’utiliser la chose conformément à la destination prévue dans l’acte de constitution de l’usufruit.

Cela signifie, autrement dit, que l’usufruitier doit se conformer aux habitudes du propriétaire qui a usé de la chose avant lui, sauf à commettre un abus de jouissance.

C’est ainsi que dans un arrêt du 4 juin 1975 la Cour de cassation a jugé que « la conclusion d’un bail commercial sur des lieux destines à un autre usage constitue en elle-même une altération de la substance de la chose soumise à usufruit et peut caractériser un abus de jouissance de nature à entraîner la déchéance de l’usufruit » (Cass. 3e civ. 4 juin 1975, n°74-10777).

La vente simultanée de l’usufruit et de la nue-propriété

==> Principe

L’article 621 du Code civil dispose que « en cas de vente simultanée de l’usufruit et de la nue-propriété d’un bien, le prix se répartit entre l’usufruit et la nue-propriété selon la valeur respective de chacun de ces droits, sauf accord des parties pour reporter l’usufruit sur le prix. »

Cette disposition est directement issue de la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités qui a tenté de régler une difficulté à laquelle étaient confrontés les praticiens du droit.

En effet, dans le cas de la cession d’un bien démembré, la question se pose fréquemment de savoir comment répartir le prix de cession entre l’usufruitier et le nu-propriétaire.

Cette question ne concerne pas spécifiquement les partages successoraux, mais vise à préciser de manière générale le règlement de la vente globale d’un bien démembré, quel qu’en soit le contexte ou la raison.

La jurisprudence s’est abondamment prononcée en faveur de la répartition du prix de vente au prorata entre l’usufruit et la nue-propriété, considérant que tant l’usufruitier que le nu-propriétaire avaient droit à une portion du prix total correspondant à la valeur comparative de l’usufruit avec la nue-propriété (V. en ce sens Cass. 1ère civ., 20 oct. 1987 ; Cass. 2e civ. 18 oct. 1989).

Il a, par suite, été jugé que les intérêts dus sur le prix de vente devaient également être partagés dans les mêmes proportions, sans que l’usufruitier puisse prétendre à leur totalité (Cass. 3e civ., 3 juillet 1991).

Mais, inversement, certains auteurs de la doctrine ont pu estimer qu’il convenait de reporter le démembrement de propriété sur le prix[4]. Cette thèse était toutefois minoritaire.

À l’examen, l’article 621, al. 1er du Code civil est venu consacrer la jurisprudence l’objectif recherché étant d’atteindre l’équité

Ainsi, cette disposition prévoit-elle que le prix de cession est réparti entre l’usufruitier et le nu-propriétaire – ou, ainsi que le dit le texte, entre l’usufruit et la nue-propriété – selon la valeur « respective » de chacun de ces droits.

Les parties conservent néanmoins la faculté de décider que l’usufruit se reportera sur le prix, ce qui revient à constituer un quasi-usufruit à la faveur de l’usufruitier, lequel pourra alors librement disposer de l’intégralité du prix de cession.

La contrepartie pour le nu-propriétaire résidera dans la restitution, à l’extinction de l’usufruit, du prix de cession lequel viendra s’imputer sur la masse successorale, puisque constituant une dette inscrite au passif. Cette dette viendra d’autant réduire l’assiette des droits de succession ; d’où l’intérêt de l’opération.

==> Valorisation

Quid de la valorisation de l’usufruit et de la nue-propriété ?

Comme dans le cas de la conversion de l’usufruit total du conjoint survivant en rente viagère, les modalités de calcul de la valorisation respective des droits démembrés ne sont pas précisées par l’article 621.

Cette imprécision renvoie alors à la totale liberté des parties, dont le contentieux éventuel devra être tranché par le juge.

À cet égard, la jurisprudence a déjà eu à se prononcer sur le mode de calcul de la valeur de l’usufruit, en acceptant de ne pas l’asseoir nécessairement sur le barème de l’article 762 du Code général des impôts, dont l’application ne s’impose qu’en matière fiscale,

BARÈME DE L’USUFRUIT EN PROPORTION DE LA VALEUR EN PLEINE PROPRIÉTÉ

Âge de l'usufruitierValeur de l'usufruitValeur de la nue-propriété
Jusqu'à 20 ans90%10%
De 21 à 30 ans80%20%
De 31 à 40 ans70%30%
De 41 à 50 ans60%40%
De 51 à 60 ans50%50%
De 61 à 70 ans40%60%
De 71 à 80 ans30%70%
De 81 à 90 ans20%80%
À partir de 91 ans10%90%

Dans un arrêt du 25 février 1997, la Cour de cassation a ainsi jugé que « la répartition du prix entre les venderesses, usufruitière et nue-propriétaire des actions, devait être proportionnelle à la valeur comparative de l’usufruit et de la nue-propriété et en retenant souverainement que l’évaluation de l’usufruit devait se faire en tenant compte de l’âge de l’usufruitière et du revenu net qu’elle pouvait espérer obtenir des actions vendues » (Cass. 3e civ. 25 févr. 1997).

Une autre solution consiste à s’appuyer sur le dispositif fiscal, au moins par défaut.

Toutefois, cette méthode présente le double inconvénient d’être moins respectueuse de la liberté des parties, et de s’éloigner de la valeur économique réelle.

En pratique, il existe globalement assez peu de contentieux, et donc de jurisprudence, en matière de répartition du prix entre usufruitier et nu-propriétaire. Cette situation traduit le caractère souvent consensuel des ventes de biens dont la propriété est démembrée.

Les parties se mettent en effet d’accord sur la valeur respective des droits, soit en se basant sur la valeur fiscale prévue par le code général des impôts, soit au regard des tables actuarielles dites « de Xénard » – du nom du notaire qui les a élaborées – permettant de déterminer la valeur économique de l’usufruit et auxquelles les praticiens se réfèrent souvent.

Une nouvelle évaluation de l’usufruit contraindrait à une élaboration mathématique nécessairement complexe, susceptible d’entraîner débats et contestations au plan réglementaire.

Il a donc logiquement semblé préférable de laisser aux parties, en cas de contestation devant le juge, le soin de faire fixer la valeur des droits d’usufruit et de nue-propriété par voie d’expert[5].

En tout état de cause, l’appréciation de cette valeur respective variera naturellement selon qu’il s’agit d’un usufruit à durée limitée, ou viager.

S’agissant d’un usufruit à durée limitée, la valeur fiscale de l’usufruit est fixée par le même article 669 du CGI à 23 % de la valeur de la propriété entière pour chaque période de 10 ans, dans la limite de la valeur de l’usufruit viager.

Les causes d’extinction de l’usufruit

Parce que l’usufruit est un droit qui, à la différence de la nue-propriété, est un droit réel qui présente un caractère temporaire, il a vocation à s’éteindre.

La raison en est que la loi n’est pas favorable au maintien d’une dissociation entre le pouvoir de disposer de la chose et le pouvoir de l’exploiter.

Aussi, l’objectif recherché est de permettre au nu-propriétaire de récupérer, à terme, les utilités de la chose, faute de quoi son droit de propriété serait vidé de sa substance et la circulation économique du bien paralysé.

Les causes d’extinction de l’usufruit sont énoncées aux articles 617 et 618 du Code civil.

A) Le décès

==> Principe

L’article 617, al. 1 prévoit que « l’usufruit s’éteint […] par la mort de l’usufruitier ». Le principe, c’est donc que l’usufruit est viager, ce qui implique qu’il prend fin au décès de l’usufruitier.

À cet égard, l’usufruit est attaché à la personne. Il en résulte qu’il n’est pas transmissible à cause de mort.

==> Tempéraments

Bien que l’interdiction qui est faite à l’usufruitier de transmettre son droit après sa mort soit une règle d’ordre public, elle comporte deux tempéraments

  • Premier tempérament : l’usufruit simultané
    • L’usufruit peut être constitué à la faveur de plusieurs personnes simultanément, ce qui revient à créer une indivision en usufruit.
    • Cette constitution d’usufruit est subordonnée à l’existence de tous les bénéficiaires au jour de l’établissement de l’acte.
    • Dans cette hypothèse, l’usufruit s’éteint progressivement à mesure que les usufruitiers décèdent, tandis que le nu-propriétaire recouvre corrélativement la pleine propriété de son bien sur les quotes-parts ainsi libérées
    • Afin d’éviter que l’assiette de l’usufruit ne se réduise au gré des décès qui frappent les usufruitiers, il est possible de stipuler une clause dite de réversibilité.
    • Dans cette hypothèse, la quote-part de celui des usufruitiers qui est prédécédé accroît celle des autres, qui en bénéficient pour la totalité, jusqu’au décès du dernier d’entre eux.
    • Le dernier survivant a ainsi vocation à exercer un monopole sur l’usufruit du bien.
  • Second tempérament : l’usufruit successif
    • L’usufruit peut également être constitué sur plusieurs têtes, non pas simultanément, mais successivement.
    • Il s’agira autrement dit de stipuler une clause de réversibilité aux termes de laquelle au décès de l’usufruitier de « premier rang », une autre personne deviendra usufruitière en second rang.
    • Dans cette hypothèse, les usufruitiers n’exerceront pas de pouvoirs concurrents sur la chose : ils se succéderont, le décès de l’un, ouvrant le droit d’usufruit de l’autre.
    • Chacun jouira ainsi, tout à tour, de l’intégralité de l’usufruit constitué.
    • Selon M. Grimaldi nous ne sommes pas en présence « d’un unique usufruit qui passerait mortis causa d’un gratifié à l’autre» mais d’« usufruits successifs, distincts qui s’ouvriront tour à tour, chacun à l’extinction du précédent par la mort de son titulaire ».
    • La Cour de cassation a précisé que la clause de réversibilité de l’usufruit « s’analysait en une donation à terme de bien présent, le droit d’usufruit du bénéficiaire lui étant définitivement acquis dès le jour de l’acte» ( 1ère civ. 21 oct. 1997, n°95-19759).
    • Il en résulte que seul l’exercice du droit d’usufruit est différé, non sa constitution, ce qui évite de tomber sous le coup de la prohibition des pactes sur succession future.

B) Le terme

L’article 617, al. 3 dispose que « l’usufruit s’éteint […] par l’expiration du temps pour lequel il a été accordé »

À l’analyse, il est deux situations où l’usufruit n’est pas viager : lorsque, d’une part, il est assorti d’un terme stipulé par le constituant et lorsque, d’autre part, il est constitué à la faveur d’une personne morale

==> L’usufruit est assorti d’un terme stipulé par le constituant

Il est admis que le constituant assortisse l’usufruit d’un terme déterminé. Dans cette hypothèse, l’usufruit s’éteindra :

  • Soit à l’expiration du terme fixé par l’acte constitutif
  • Soit au décès de l’usufruitier qui peut potentiellement intervenir avant le terme fixé

La seule limite à la liberté des parties quant à la fixation du terme de l’usufruit, c’est l’impossibilité de transmettre l’usufruit à cause de mort.

==> L’usufruit est constitué au profit d’une personne morale

Dans l’hypothèse où l’usufruitier est une personne morale, il est susceptible d’être perpétuel. En effet, une personne morale vit aussi longtemps que ses associés réalisent son objet social. Or ces derniers sont susceptibles de se succéder éternellement, par le jeu, soit des transmissions à cause de mort, soit des cessions de droits sociaux.

Aussi, afin que la règle impérative qui assortit l’usufruit d’un caractère temporaire s’applique également aux personnes morales, l’article 619 du Code civil que « l’usufruit qui n’est pas accordé à des particuliers ne dure que trente ans. »

Cette règle est d’ordre public, de sorte que la durée ainsi posée ne saurait être allongée. Dans un arrêt du 7 mars 2007, la Cour de cassation n’a pas manqué de le rappeler, en jugeant que « l’usufruit accordé à une personne morale ne peut excéder trente ans » (Cass. 7 mars 2007, n°06-12568).

C) La consolidation

==> Principe général

L’article 617, al 4 prévoit que « l’usufruit s’éteint […] par la consolidation ou la réunion sur la même tête, des deux qualités d’usufruitier et de propriétaire »

Cette cause d’extinction de l’usufruit correspond à l’hypothèse d’acquisition :

  • Soit de la nue-propriété par l’usufruitier
  • Soit de l’usufruit par le nu-propriétaire
  • Soit de l’usufruit et de la nue-propriété par un tiers

Lorsque cette acquisition procède de l’accomplissement d’un acte juridique, la consolidation est subordonnée à la validité de cet acte. En cas d’irrégularité, le démembrement produira à nouveau tous ses effets.

L’acte opérant cette consolidation peut consister en une cession, une donation, un legs, un échange et plus généralement en toute opération translative de propriété.

==> Cas particulier de la vente simultanée de l’usufruit et de la nue-propriété

L’article 621 du Code civil dispose que « en cas de vente simultanée de l’usufruit et de la nue-propriété d’un bien, le prix se répartit entre l’usufruit et la nue-propriété selon la valeur respective de chacun de ces droits, sauf accord des parties pour reporter l’usufruit sur le prix. »

Cette disposition est directement issue de la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités qui a tenté de régler une difficulté à laquelle étaient confrontés les praticiens du droit.

En effet, dans le cas de la cession d’un bien démembré, la question se pose fréquemment de savoir comment répartir le prix de cession entre l’usufruitier et le nu-propriétaire.

Cette question ne concerne pas spécifiquement les partages successoraux, mais vise à préciser de manière générale le règlement de la vente globale d’un bien démembré, quel qu’en soit le contexte ou la raison.

La jurisprudence s’est abondamment prononcée en faveur de la répartition du prix de vente au prorata entre l’usufruit et la nue-propriété, considérant que tant l’usufruitier que le nu-propriétaire avaient droit à une portion du prix total correspondant à la valeur comparative de l’usufruit avec la nue-propriété (V. en ce sens Cass. 1ère civ., 20 oct. 1987 ; Cass. 2e civ. 18 oct. 1989).

Il a, par suite, été jugé que les intérêts dus sur le prix de vente devaient également être partagés dans les mêmes proportions, sans que l’usufruitier puisse prétendre à leur totalité (Cass. 3e civ., 3 juillet 1991).

Mais, inversement, certains auteurs de la doctrine ont pu estimer qu’il convenait de reporter le démembrement de propriété sur le prix[4]. Cette thèse était toutefois minoritaire.

À l’examen, l’article 621, al. 1er du Code civil est venu consacrer la jurisprudence l’objectif recherché étant d’atteindre l’équité

Ainsi, cette disposition prévoit-elle que le prix de cession est réparti entre l’usufruitier et le nu-propriétaire – ou, ainsi que le dit le texte, entre l’usufruit et la nue-propriété – selon la valeur « respective » de chacun de ces droits.

Les parties conservent néanmoins la faculté de décider que l’usufruit se reportera sur le prix, ce qui revient à constituer un quasi-usufruit à la faveur de l’usufruitier, lequel pourra alors librement disposer de l’intégralité du prix de cession.

La contrepartie pour le nu-propriétaire résidera dans la restitution, à l’extinction de l’usufruit, du prix de cession lequel viendra s’imputer sur la masse successorale, puisque constituant une dette inscrite au passif. Cette dette viendra d’autant réduire l’assiette des droits de succession ; d’où l’intérêt de l’opération.

Quid de la valorisation de l’usufruit et de la nue-propriété ?

Comme dans le cas de la conversion de l’usufruit total du conjoint survivant en rente viagère, les modalités de calcul de la valorisation respective des droits démembrés ne sont pas précisées par l’article 621.

Cette imprécision renvoie alors à la totale liberté des parties, dont le contentieux éventuel devra être tranché par le juge.

À cet égard, la jurisprudence a déjà eu à se prononcer sur le mode de calcul de la valeur de l’usufruit, en acceptant de ne pas l’asseoir nécessairement sur le barème de l’article 762 du Code général des impôts, dont l’application ne s’impose qu’en matière fiscale,

BARÈME DE L’USUFRUIT EN PROPORTION DE LA VALEUR EN PLEINE PROPRIÉTÉ

Âge de l'usufruitierValeur de l'usufruitValeur de la nue-propriété
Jusqu'à 20 ans90%10%
De 21 à 30 ans80%20%
De 31 à 40 ans70%30%
De 41 à 50 ans60%40%
De 51 à 60 ans50%50%
De 61 à 70 ans40%60%
De 71 à 80 ans30%70%
De 81 à 90 ans20%80%
À partir de 91 ans10%90%

Dans un arrêt du 25 février 1997, la Cour de cassation a ainsi jugé que « la répartition du prix entre les venderesses, usufruitière et nue-propriétaire des actions, devait être proportionnelle à la valeur comparative de l’usufruit et de la nue-propriété et en retenant souverainement que l’évaluation de l’usufruit devait se faire en tenant compte de l’âge de l’usufruitière et du revenu net qu’elle pouvait espérer obtenir des actions vendues » (Cass. 3e civ. 25 févr. 1997).

Une autre solution consiste à s’appuyer sur le dispositif fiscal, au moins par défaut.

Toutefois, cette méthode présente le double inconvénient d’être moins respectueuse de la liberté des parties, et de s’éloigner de la valeur économique réelle.

En pratique, il existe globalement assez peu de contentieux, et donc de jurisprudence, en matière de répartition du prix entre usufruitier et nu-propriétaire. Cette situation traduit le caractère souvent consensuel des ventes de biens dont la propriété est démembrée.

Les parties se mettent en effet d’accord sur la valeur respective des droits, soit en se basant sur la valeur fiscale prévue par le code général des impôts, soit au regard des tables actuarielles dites « de Xénard » – du nom du notaire qui les a élaborées – permettant de déterminer la valeur économique de l’usufruit et auxquelles les praticiens se réfèrent souvent.

Une nouvelle évaluation de l’usufruit contraindrait à une élaboration mathématique nécessairement complexe, susceptible d’entraîner débats et contestations au plan réglementaire.

Il a donc logiquement semblé préférable de laisser aux parties, en cas de contestation devant le juge, le soin de faire fixer la valeur des droits d’usufruit et de nue-propriété par voie d’expert[5].

En tout état de cause, l’appréciation de cette valeur respective variera naturellement selon qu’il s’agit d’un usufruit à durée limitée, ou viager.

S’agissant d’un usufruit à durée limitée, la valeur fiscale de l’usufruit est fixée par le même article 669 du CGI à 23 % de la valeur de la propriété entière pour chaque période de 10 ans, dans la limite de la valeur de l’usufruit viager.

D) La renonciation

Proche du mécanisme de la consolidation, la renonciation de l’usufruitier à son droit est une cause d’extinction de l’usufruit. Elle peut prendre plusieurs formes.

En effet, la renonciation peut être :

  • Conventionnelle ou unilatérale
  • Onéreuse ou libérale

En tout état de cause, il est admis que la renonciation emporte mutation d’un droit réel. La raison en est que la réunion de l’usufruit à la nue-propriété ne donne ouverture à aucun impôt ou taxe que lorsque cette réunion a lieu par l’expiration du temps fixé pour l’usufruit ou par le décès de l’usufruitier (art. 1133 CGI).

Aussi, lorsque la réunion a lieu avant l’expiration du terme convenu pour la durée de l’usufruit ou avant l’expiration normale de celui-ci par le décès de l’usufruitier, par l’effet d’une renonciation de l’usufruitier ou d’une convention quelconque, l’impôt de mutation est dû sur la convention intervenue.

En outre, lorsque l’usufruit porte sur un immeuble, obligation est faite au renonçant d’accomplir toutes les formalités de publicité foncière en application de l’article 28 du décret du 4 janvier 1955, faute de quoi l’acte de renonciation sera inopposable aux tiers.

Enfin, l’article 622 du Code civil prévoit que « les créanciers de l’usufruitier peuvent faire annuler la renonciation qu’il aurait faite à leur préjudice. ».

Autrement dit, si l’usufruitier agit en fraude de leurs droits, ils pourront demander la réintégration de l’usufruit dans son patrimoine pour mieux pouvoir l’appréhender en cas de mise en œuvre de procédures d’exécution forcée.

E) Le non-usage

L’article 617, al. 4 du Code civil prévoit que « l’usufruit s’éteint […] par le non-usage du droit pendant trente ans ».

Il ressort de cette disposition que, à la différence du droit de propriété qui est imprescriptible, le droit d’usufruit succombe sous l’effet de la prescription extinctive dont le délai est fixé à trente ans. Ce délai court à compter du dernier acte accompli par l’usufruitier.

Il est indifférent que l’usufruit s’exerce sur un meuble ou un immeuble : la prescription extinctive produit ses effets dès lors qu’est constaté le non-usage de la chose.

A contrario, cela signifie que dès lors que l’usufruitier exerce son droit d’user et de jouir de la chose, même très rarement, le jeu de la prescription extinctive est neutralisé.

Plus précisément, cela suffit à l’interrompre et donc à effacer le délai de prescription acquis et faire courir un nouveau délai de même durée que l’ancien.

À cet égard, il importe peu que l’acte interruptif soit accompli par l’usufruitier lui-même ou qu’il soit accompli par un tiers en son nom (locataire, mandataire, etc.)

F) L’usucapion

Bien que prévu par aucun texte, il est admis que l’usufruit puisse être acquis par le jeu de la prescription acquisitive attachée à la possession, ce qui a pour conséquence de faire perdre à l’usufruitier initial son droit de jouissance sur la chose.

L’article 2258 du Code civil définit cette prescription comme « un moyen d’acquérir un bien ou un droit par l’effet de la possession sans que celui qui l’allègue soit obligé d’en rapporter un titre ou qu’on puisse lui opposer l’exception déduite de la mauvaise foi. »

La prescription acquisitive aura vocation à jouer lorsque celui qui tire profit de la jouissance de la chose se comportera comme le véritable usufruitier.

Tel sera notamment le cas, lorsqu’il aura acquis l’usufruit, en vertu d’un titre, auprès d’une personne qui n’était pas le véritable propriétaire du bien. Le possesseur aura ainsi été institué usufruitier a non domino.

S’agissant de la durée de la prescription acquisitive, elle dépend de la nature du bien objet de la possession.

  • S’il s’agit d’un immeuble, la prescription pourra être de 10 ans en cas de bonne foi du possesseur et de justification d’un juste titre. À défaut, la durée de la prescription acquisitive est portée à trente ans.
  • S’il s’agit d’un meuble, l’effet acquisitif de la possession est immédiat, sauf à ce que le possesseur soit de mauvaise foi auquel cas la durée de la prescription sera de trente ans.

G) La perte de la chose

==> Principe

L’article 617, al. 4 du Code civil prévoit que « l’usufruit s’éteint […] par la perte totale de la chose sur laquelle l’usufruit est établi. »

La perte de la chose a donc pour conséquence de mettre fin à l’usufruit, car le privant d’objet.

Cette perte peut consister :

  • Soit en une disparition de la chose lorsqu’elle est corporelle
  • Soit en la perte d’un droit lorsque la chose est incorporelle

À cet égard, les auteurs assimilent à la perte de la chose, le cas où elle ferait l’objet d’une modification qui l’altérerait dans ses caractères essentiels et qui la rendrait impropre à l’usage auquel elle était destinée (V. en ce sens Aubry et Rau).

En outre, l’article 624 du Code civil envisage le cas particulier de l’usufruit portant sur un immeuble.

Cette disposition distingue, selon qu’est ou non inclus dans son assiette le sol.

  • L’usufruit porte sur le sol et le bâtiment
    • Dans cette hypothèse, en cas de destruction du bâtiment, l’usufruit pourra continuer à jouir du sol et des matériaux
  • L’usufruit porte sur le seul bâtiment
    • Dans cette hypothèse, en cas de destruction du bâtiment soit par incendie ou par un autre accident, ou qu’il s’écroule de vétusté, l’usufruitier n’aura le droit de jouir ni du sol ni des matériaux.

Enfin, le texte précise que seule la perte totale de la chose a pour effet d’éteindre l’usufruit. Lorsque, par conséquent, cette perte n’est que partielle, les droits de l’usufruitier subsistent, l’assiette de l’usufruit s’en trouvant seulement réduite.

L’article 623 du Code civil prévoit en ce sens que « si une partie seulement de la chose soumise à l’usufruit est détruite, l’usufruit se conserve sur ce qui reste. »

==> Exception

Par exception, il est admis que lorsque la perte de la chose donne lieu au paiement d’une indemnité, l’usufruit se reporte sur cette indemnité par le jeu d’une subrogation réelle.

Pour rappel, cette forme de subrogation réalise la substitution, dans un patrimoine, d’une chose par une autre.

Il en va ainsi lorsqu’un bien mobilier ou immobilier dont est propriétaire une personne est remplacé par une somme d’argent correspondant à la valeur du bien remplacé.

La subrogation réelle est susceptible d’intervenir dans trois situations distinctes :

  • La perte de la chose donne lieu à l’octroi d’une indemnité d’assurance
  • La perte de la chose a pour cause une expropriation pour cause d’utilité publique dont la contrepartie est le paiement d’une juste et préalable indemnité.
    • L’article L. 13-7 du Code de l’expropriation prévoit en ce sens que « dans le cas d’usufruit, une seule indemnité est fixée, le nu-propriétaire et l’usufruitier exercent leurs droits sur le montant de l’indemnité au lieu de les exercer sur la chose. »
  • La perte de la chose donne lieu au paiement de dommages et intérêts

H) La déchéance pour abus de jouissance

L’article 618 du Code civil dispose que « l’usufruit peut aussi cesser par l’abus que l’usufruitier fait de sa jouissance, soit en commettant des dégradations sur le fonds, soit en le laissant dépérir faute d’entretien. »

Il ressort de cette disposition que l’usufruitier peut être déchu de son droit lorsqu’il commet un abus de jouissance.

Par abus de jouissance, il faut entendre une faute dont la gravité est de nature à altérer la substance du bien grevé par l’usufruit ou à en menacer la restitution.

Aussi, doit-il s’agit d’une faute commise, soit par l’usufruitier, soit par la personne dont il répond.

Au nombre des fautes constitutives d’un abus de jouissance, l’article 618 vise expressément :

  • Les dégradations sur le fonds
  • Le dépérissement du fonds par manque d’entretien

Dans un arrêt du 12 mars 1970, la Cour de cassation a de la sorte validé la décision d’une Cour d’appel qui avait jugé que « Dame veuve X était responsable de la ruine des immeubles soumis à son usufruit “même si x… Michel avait la charge de faire procéder en même temps qu’elle a des travaux confortatifs “, a constaté qu’un défaut d’entretien, remontant à dix-neuf années et imputable à l’usufruitière, avait entraîné la détérioration du gros œuvre des immeubles » (Cass. 3e civ. 12 mars 1970).

De son côté, la jurisprudence a admis qu’une le changement de destination du bien soumis à l’usufruit était susceptible de constituer un abus de jouissance.

Bien que le Code civil soit silencieux sur ce point, il est, en effet, fait obligation à l’usufruitier d’utiliser la chose conformément à la destination prévue dans l’acte de constitution de l’usufruit.

Cela signifie, autrement dit, que l’usufruitier doit se conformer aux habitudes du propriétaire qui a usé de la chose avant lui, sauf à commettre un abus de jouissance.

C’est ainsi que dans un arrêt du 4 juin 1975 la Cour de cassation a jugé que « la conclusion d’un bail commercial sur des lieux destines à un autre usage constitue en elle-même une altération de la substance de la chose soumise à usufruit et peut caractériser un abus de jouissance de nature à entraîner la déchéance de l’usufruit » (Cass. 3e civ. 4 juin 1975, n°74-10777).618