La loi prévoit que le juge peut intervenir, par la délivrance d’habilitations ou d’autorisations, dans trois situations bien distinctes, chacune répondant à des nécessités spécifiques et visant à garantir la sauvegarde des intérêts indivis.
D’une part, il peut habiliter un indivisaire à représenter un coindivisaire lorsqu’il est hors d’état de manifester sa volonté, qu’il s’agisse d’une incapacité juridique, physique ou d’une absence matérielle, entravant ainsi la prise de décisions collectives.
D’autre part, le juge peut autoriser un indivisaire à accomplir seul un acte nécessitant, en principe, l’unanimité, lorsque le refus d’un ou plusieurs coindivisaires met en péril l’intérêt commun, et compromet ainsi la gestion harmonieuse de l’indivision.
Enfin, il peut autoriser la vente d’un bien indivis, sous réserve que les conditions légales soient réunies, notamment lorsque cette cession apparaît nécessaire à la valorisation ou à la préservation du patrimoine commun.
Ces mécanismes, loin d’être anodins, permettent de surmonter les blocages potentiels et de préserver l’intégrité des biens et des droits en indivision.
Nous nous focaliserons ici sur la délivrance d’une autorisation judiciaire à accomplir un acte en cas de refus d’un indivisaire mettant en péril l’intérêt commun.
1. Indivision en pleine propriété
a. Principe
L’article 815-5, alinéa 1er, du Code civil prévoit que « un indivisaire peut être autorisé par justice à passer seul un acte pour lequel le consentement d’un coïndivisaire serait nécessaire, si le refus de celui-ci met en péril l’intérêt commun ».
Le mécanisme d’autorisation judiciaire institué par cette disposition vise à résoudre les situations de blocage dans l’indivision, lorsque l’unanimité requise par l’article 815-3, alinéa 1er, du Code civil pour certains actes ne peut être obtenue en raison de l’opposition d’un ou plusieurs indivisaires.
Contrairement à l’habilitation judiciaire prévue par l’article 815-4, qui intervient pour suppléer l’absence ou l’incapacité d’un indivisaire, l’article 815-5 repose sur une logique différente.
Ici, il ne s’agit pas de représenter l’indivisaire opposant en agissant en son nom, mais de passer outre son refus au moyen d’une autorisation judiciaire.
L’objectif est de trancher un conflit né de divergences entre les indivisaires, en permettant la réalisation d’un acte nécessaire à la préservation ou à la valorisation du patrimoine indivis.
La spécificité de l’article 815-5 réside donc dans sa finalité?: il ne confère pas un mandat permettant à un indivisaire d’agir pour le compte d’un autre, mais autorise un indivisaire à agir malgré le refus d’un coïndivisaire.
Aussi, il ne s’agit pas ici de combler une incapacité mais à prévenir les effets d’un veto susceptible de compromettre l’intérêt commun.
A l’analyse, le dispositif institué à l’article 815-5 du Code civil est directement inspiré de celui prévu à l’article 217, lequel permet à un époux d’être autorisé par le juge à accomplir seul un acte lorsque le refus de son conjoint met en péril l’intérêt familial.
Si les deux dispositifs partagent une structure commune, leurs finalités diffèrent : l’article 217 vise la protection de la cellule familiale, tandis que l’article 815-5 cible la préservation du patrimoine indivis et l’équilibre des droits des indivisaires.
En tout état de cause, pour délivrer une autorisation judiciaire une analyse approfondie des intérêts en présence devra être conduite par le juge.
Celui-ci, en tant qu’arbitre, n’intervient que lorsque le refus d’un indivisaire met en péril l’intérêt commun.
Cette mise en péril, qui constitue une condition essentielle, est appréciée au cas par cas, en fonction des circonstances. L’objectif est de prévenir les conséquences dommageables pour le patrimoine indivis tout en respectant, autant que possible, les droits du coïndivisaire opposant.
b. Conditions
==>Refus d’un ou plusieurs indivisaires
L’application de l’article 815-5 du Code civil s’étend aux actes qui, en vertu des règles de l’indivision, nécessitent soit l’unanimité des indivisaires, soit une majorité qualifiée des deux tiers des droits indivis.
Ces situations reflètent les différentes modalités de prise de décision au sein de l’indivision.
- Actes concernés
- Actes nécessitant l’unanimité des indivisaires
- L’unanimité est exigée pour les actes qui excèdent l’exploitation normale des biens indivis ou pour les actes de disposition ne relevant pas des exceptions prévues à l’article 815-3 du Code civil.
- Parmi ces actes, on peut citer?:
- La vente d’un bien indivis?;
- L’hypothèque d’un bien indivis?;
- Toute opération entraînant une modification substantielle de la nature ou de la destination des biens indivis.
- Ces actes, de par leur impact significatif sur le patrimoine indivis, requièrent l’accord de l’ensemble des indivisaires pour être valablement exécutés.
- Actes soumis à la majorité qualifiée des deux tiers
- Dans certains cas, l’article 815-3 du Code civil permet une prise de décision à la majorité des deux tiers des droits indivis, notamment pour des actes essentiels à la bonne gestion ou à la valorisation du patrimoine commun.
- Il s’agit notamment?:
- De l’aliénation d’un bien indivis, justifiée par des motifs économiques ou patrimoniaux?;
- De la réalisation d’opérations visant à préserver ou accroître la valeur globale des biens indivis.
- Lorsque cette majorité des deux tiers ne peut être atteinte en raison de l’opposition d’un ou plusieurs indivisaires, le recours à l’article 815-5 permet de surmonter ce blocage en sollicitant l’intervention judiciaire.
- Le juge, en se substituant au consentement des indivisaires opposants, autorise l’accomplissement de l’acte lorsqu’il est établi que le refus met en péril l’intérêt commun.
- Cas particulier des actes conservatoires
- Pour mémoire, les actes conservatoires, par leur nature même, visent à préserver l’intégrité ou la valeur des biens indivis.
- Conformément à l’article 815-2 du Code civil, tout indivisaire est habilité à les accomplir unilatéralement, sans nécessiter l’accord des autres.
- Ces actes, qui répondent à une urgence ou à une nécessité immédiate, échappent donc, en principe, au champ d’application de l’article 815-5.
- Cependant, des situations ambiguës peuvent survenir lorsque le caractère conservatoire d’une mesure est sujet à interprétation.
- Cette incertitude peut découler de la nature de l’acte envisagé ou des conséquences potentielles sur le patrimoine indivis.
- Dans ces cas, l’indivisaire initiateur de l’acte peut légitimement craindre une contestation ultérieure de la mesure par les coïndivisaires.
- Une telle contestation pourrait conduire à l’invalidation de l’acte et engager la responsabilité de l’indivisaire ayant agi unilatéralement.
- Aussi, afin de prévenir tout litige, l’indivisaire prudent peut choisir de solliciter au préalable l’accord des coïndivisaires sur l’acte envisagé.
- Cet accord formel sécurise l’acte en le plaçant sous le sceau du consentement unanime ou, à défaut, de la majorité qualifiée prévue par l’article 815-3 du Code civil.
- Toutefois, si les coïndivisaires opposent un refus explicite ou demeurent silencieux malgré une sollicitation formelle, la situation peut alors être qualifiée de blocage.
- Dans ce contexte, l’article 815-5 peut être invoqué pour lever l’opposition.
- L’indivisaire initiateur pourra saisir le tribunal judiciaire afin d’obtenir une autorisation judiciaire de passer l’acte.
- La démarche est justifiée par la nécessité de protéger l’intérêt commun des indivisaires, souvent menacé par une abstention ou une opposition injustifiée.
- Actes nécessitant l’unanimité des indivisaires
- Refus explicite ou implicite
- L’article 815-5 du Code civil mentionne la possibilité pour un indivisaire de saisir le juge en cas de refus d’un coïndivisaire de donner son consentement à un acte nécessaire, sans préciser si ce refus doit être explicite ou implicite.
- Cette absence de précision textuelle ouvre la voie à une interprétation large, permettant de considérer tant les refus exprimés clairement que ceux déduits du comportement de l’indivisaire.
- En effet, ce qui importe au regard de l’article 815-5, c’est d’établir de manière probante qu’un blocage existe, peu importe sa forme.
- Le refus explicite : une opposition clairement manifestée
- Le refus explicite est celui qui se manifeste de manière claire et indiscutable.
- Il peut prendre diverses formes :
- Déclarations écrites : une lettre, un e-mail ou tout autre support écrit où l’indivisaire indique de manière formelle son opposition à l’acte projeté.
- Sommation interpellative : une opposition officialisée par un commissaire de justice, qui notifie à l’indivisaire la nécessité de se prononcer et consigne sa réponse ou son refus explicite.
- Déclaration notariée : le désaccord peut être consigné dans un acte notarié, renforçant ainsi sa valeur probante.
- Ces formes explicites de refus présentent l’avantage de lever toute ambiguïté sur la position de l’indivisaire.
- Elles permettent au demandeur de se fonder sur des preuves matérielles et incontestables pour justifier la saisine du juge en vue de lever le blocage.
- Le refus implicite : l’opposition déduite du comportement
- Le refus implicite, en revanche, est déduit du comportement de l’indivisaire, notamment lorsque ce dernier observe un silence prolongé ou adopte une attitude passive face à une sollicitation formelle.
- Toutefois, ce silence ne peut être interprété comme un refus qu’à certaines conditions :
- Tout d’abord, l’indivisaire doit avoir été dûment informé de la nécessité de se prononcer sur l’acte envisagé. Cette information doit être claire et compréhensible, indiquant les enjeux de l’acte.
- Ensuite, l’indivisaire doit avoir eu un délai raisonnable pour se prononcer. Un silence dû à des circonstances extérieures, telles qu’une absence prolongée non imputable à l’indivisaire, ne saurait être considéré comme un refus.
- Enfin, en cas de silence, il appartient au juge d’apprécier souverainement si ce silence équivaut à un refus. Cette évaluation tiendra compte des circonstances particulières, telles que la nature de l’acte, l’importance des délais ou l’existence de précédents laissant supposer une opposition.
- Le refus explicite : une opposition clairement manifestée
- L’absence précision à l’article 815-5 quant à la forme du refus requis, implique que le refus implicite est admis au même titre que le refus explicite.
- La condition essentielle demeure la capacité à prouver l’existence d’un blocage.
- Ainsi, le demandeur devra démontrer que l’opposition de l’indivisaire, qu’elle soit exprimée directement ou inférée de son comportement, est à l’origine de l’impossibilité de réaliser l’acte.
- Refus collectif ou individuel
- L’article 815-5 du Code civil mentionne le refus d’un «?coindivisaire?» comme condition permettant de solliciter une autorisation judiciaire.
- Cependant, cette formulation ne saurait être interprétée de manière restrictive.
- Une lecture stricte réduirait considérablement l’efficacité de ce dispositif en excluant les situations où plusieurs indivisaires, par une opposition conjointe, font obstacle à un acte nécessaire à la préservation de l’intérêt commun.
- Bien que le texte mentionne expressément un «?coindivisaire?», la doctrine et la jurisprudence reconnaissent que cette disposition doit s’appliquer également en cas de refus collectif.
- En effet :
- D’une part, l’objectif de l’article 815-5 est de lever les blocages en indivision?: il serait contraire à cet esprit de limiter son application aux cas d’opposition isolée.
- D’autre part, certaines indivisions impliquent plusieurs indivisaires, et les désaccords peuvent résulter de coalitions formées par une partie des indivisaires contre d’autres. Refuser l’application de l’article 815-5 dans de telles situations reviendrait à pérenniser ces blocages.
- Par conséquent, l’opposition d’un ou de plusieurs indivisaires peut être prise en compte pour justifier une intervention judiciaire.
- A cet égard, lorsque plusieurs indivisaires s’unissent pour refuser un acte, leur opposition peut s’appuyer sur des motifs variés, parfois légitimes, mais souvent stratégiques.
- Le juge, saisi sur le fondement de l’article 815-5, devra donc apprécier la situation avec soin pour déterminer :
- Si le refus collectif met réellement en péril l’intérêt commun?: le juge évaluera si cette opposition compromet la gestion efficace du patrimoine indivis ou empêche un acte nécessaire.
- Si l’opposition reflète un abus de droit?: par exemple, des indivisaires minoritaires pourraient tenter d’exercer un droit de veto abusif en bloquant des décisions favorables à l’intérêt collectif.
- Preuve du refus
- Parce que l’on est en présence d’un fait juridique, la preuve du refus peut être rapportée par tout moyen, notamment :
- Correspondance : lettres recommandées, e-mails ou toute communication écrite attestant du refus.
- Sommations : actes notifiés par un commissaire de justice pour solliciter explicitement le consentement de l’indivisaire récalcitrant.
- Actes notariés : procès-verbaux établis par un notaire consignant l’opposition exprimée par un indivisaire lors d’une tentative de signature d’un acte.
- Parce que l’on est en présence d’un fait juridique, la preuve du refus peut être rapportée par tout moyen, notamment :
- Situation de blocage et intervention judiciaire
- Le refus d’un indivisaire, qu’il s’exprime de manière explicite ou implicite, peut engendrer une situation de blocage au sein de l’indivision.
- Ce blocage, en paralysant la gestion des biens indivis, est susceptible de mettre en péril l’intérêt commun des indivisaires.
- L’intervention judiciaire devient alors nécessaire, conformément aux dispositions de l’article 815-5 du Code civil, pour permettre la réalisation d’un acte dont l’opposition compromet la préservation ou la valorisation du patrimoine indivis.
==>Mise en péril de l’intérêt commun
L’article 815-5, alinéa 1er, du Code civil subordonne la délivrance d’une autorisation judiciaire à la démonstration que le refus d’un ou plusieurs indivisaires met en péril l’intérêt commun.
Cette condition essentielle appelle une réflexion approfondie, car elle impose de cerner avec précision deux notions fondamentales : d’une part, celle de « mise en péril », qui implique l’identification d’un risque concret et sérieux pour le patrimoine indivis, et, d’autre part, celle d’« intérêt commun », qui exige une approche distincte des intérêts individuels des indivisaires et de l’intérêt général.
- La notion de mise en péril
- La mise en péril, condition sine qua non de l’application de l’article 815-5, alinéa 1er, du Code civil, s’entend d’une menace sérieuse et concrète pesant sur l’intérêt commun des indivisaires.
- Elle implique l’existence d’un risque tangible pour le patrimoine indivis, qui ne peut être évité qu’en passant outre le refus d’un ou plusieurs coïndivisaires.
- Cette notion dépasse le simple désaccord entre indivisaires et requiert que le refus opposé ait des conséquences susceptibles de compromettre l’intégrité ou la valorisation du bien indivis.
- Selon le professeur Jean Patarin, la mise en péril renvoie à une « atteinte significative à l’intérêt commun, résultant de circonstances dans lesquelles le maintien du statu quo ou le refus de l’acte envisagé crée une menace grave pour la conservation ou la valorisation du patrimoine indivis ».
- De son côté, Philippe Simler précise que le péril doit être « certain et sérieux », excluant les risques hypothétiques ou purement éventuels.
- La jurisprudence s’accorde ainsi pour reconnaître que la mise en péril ne se limite pas à des situations d’urgence (Cass. 1ère civ. 12 juill. 2001, n°99-14.202), mais suppose une évaluation objective des conséquences potentielles du refus sur l’indivision.
- Pour exemple, dans un arrêt du 14 février 1984, la Cour de cassation a estimé que le refus d’un indivisaire de vendre un bien indivis pour payer les droits de succession constituait une mise en péril de l’intérêt commun, dès lors que cette situation exposait les indivisaires à des pénalités financières importantes (Cass. 1ère civ., 14 févr. 1984, n°82-16.526).
- Dans cette affaire, le péril résultait directement de l’impossibilité de satisfaire aux obligations fiscales, ce qui menaçait la pérennité du patrimoine indivis.
- De même, dans un arrêt du 3 mars 1992, la Cour de cassation a jugé que le refus de céder un bail rural à un enfant commun, dans une indivision post-communautaire, constituait une mise en péril de l’intérêt commun.
- En l’espèce, le refus privait l’indivision d’une opportunité essentielle de valoriser le bien et de préserver sa viabilité économique (Cass. 1ère civ., 3 mars 1992, n° 90-16.420).
- A l’analyse, plusieurs critères doivent être réunies pour que la mise en péril soit caractérisée :
- Un risque sérieux et concret : la mise en péril ne peut se fonder sur une menace hypothétique ou abstraite. Elle doit reposer sur des éléments factuels démontrant un danger imminent ou inévitable pour le patrimoine indivis.
- Une nécessité contraignante : la jurisprudence exclut les actes purement opportunistes ou simplement avantageux. Il a ainsi été jugé que le refus de modifier un placement financier, bien qu’il puisse être bénéfique, ne constitue pas une mise en péril dès lors que le statu quo n’entraîne pas une dévalorisation grave du capital (CA Amiens, 7 janv. 1997).
- La notion d’intérêt commun
- La doctrine s’est longuement penchée sur cette notion, qui ne se confond pas avec une simple somme des intérêts individuels des indivisaires. Jean Patarin la définit comme « l’ensemble des intérêts inhérents à l’indivision et aux biens qui la composent, pris dans une perspective patrimoniale unifiée ».
- De son côté, Philippe Simler souligne que l’intérêt commun reflète « l’équilibre nécessaire entre la préservation du bien indivis et les droits patrimoniaux des indivisaires, en évitant toute subjectivisation excessive ».
- Ainsi, l’intérêt commun vise à concilier les aspirations des indivisaires tout en assurant une gestion saine et équitable du patrimoine indivis.
- Il s’inscrit dans une perspective patrimoniale, orientée vers la conservation et la valorisation des biens indivis pour le bénéfice de l’ensemble des indivisaires.
- La jurisprudence a clarifié les contours de cette notion en insistant sur sa dimension patrimoniale et objective.
- Dans un arrêt du 6 novembre 1990, la Cour de cassation a ainsi affirmé en substance que l’intérêt commun correspond à l’intérêt patrimonial de l’indivision, pris globalement et non à travers les seuls intérêts individuels des indivisaires (Cass. 1re civ., 6 nov. 1990, n°89-13.220).
- Cette décision illustre que l’intérêt commun ne peut être réduit aux préférences personnelles des indivisaires, mais doit refléter la gestion optimale du patrimoine indivis.
- À l’inverse, la jurisprudence exclut l’application de l’article 815-5 lorsqu’un refus, bien que désavantageux, ne compromet pas gravement l’intérêt commun.
- Par exemple, un refus de modifier un placement financier, bien que jugé opportun par certains indivisaires, n’a pas été considéré comme contraire à l’intérêt commun en l’absence de preuve d’un risque concret de dévalorisation (CA Amiens, 7 janv. 1997).
- Aussi, l’intérêt commun repose sur des critères objectifs, notamment la conservation, la valorisation et l’intégrité du patrimoine indivis.
- Il ne s’agit pas d’un intérêt collectif abstrait, mais d’un standard permettant d’assurer une gestion conforme à la nature et à la vocation des biens indivis.
- A cet égard, les juges doivent s’assurer que l’acte envisagé respecte un équilibre entre les droits des indivisaires et ne privilégie pas indûment l’un d’entre eux au détriment des autres.
- La Cour de cassation a, par exemple, rappelé en ce sens que l’intérêt commun ne saurait justifier un acte contraire à l’intérêt légitime d’un indivisaire particulier (Cass. 1ère civ., 15 févr. 2012, n°10-21.457).
- Par ailleurs, l’intérêt commun implique une prise en compte des perspectives futures, notamment en termes de valorisation du patrimoine.
- Une vente ou une cession envisagée doit être jugée conforme à cet objectif, sous peine de rejet par les juridictions compétentes.
- En revanche, l’intérêt commun ne saurait être invoqué pour justifier des actes opportunistes ou simplement avantageux.
- Par exemple, un refus de réaliser des travaux d’amélioration non indispensables sur un bien indivis ne met pas en péril l’intérêt commun s’il n’est pas prouvé que ces travaux sont nécessaires pour préserver l’intégrité du bien (CA Montpellier, 4 mars 1986).
==>Appréciation du juge
Dans le cadre de l’article 815-5 du Code civil, le rôle du juge ne se limite pas à une constatation formelle de la mise en péril de l’intérêt commun. Il s’étend également à une évaluation minutieuse de la nécessité et de la proportionnalité de l’acte envisagé, afin de garantir un équilibre entre les droits des indivisaires et la préservation du patrimoine indivis.
Aussi, le juge doit-il s’assurer que l’autorisation demandée répond aux exigences posées par l’article 815-5, al. 1er du Code civil.
Cela implique deux appréciations distinctes mais complémentaires :
- Constatation de la mise en péril de l’intérêt commun : il incombe au demandeur de démontrer que le refus opposé par un ou plusieurs indivisaires entraîne un risque concret et sérieux pour le patrimoine indivis. Ce risque peut prendre diverses formes, telles qu’une dévalorisation du bien, l’impossibilité de répondre à une obligation financière ou encore la perte d’une opportunité exceptionnelle.
- Proportionnalité de l’autorisation demandée : le juge doit évaluer si l’acte envisagé est strictement nécessaire pour remédier au risque identifié, sans porter une atteinte excessive aux droits des indivisaires opposants. Cette évaluation repose sur un principe de balance des intérêts, visant à préserver l’équilibre patrimonial de l’indivision tout en respectant les droits individuels de chaque indivisaire.
La jurisprudence a rappelé à plusieurs reprises que l’autorisation judiciaire ne peut être accordée que dans les limites prévues par le législateur.
En ce sens, la Cour de cassation a censuré une décision d’appel qui avait conditionné l’application de l’article 815-5 à une exigence d’urgence non mentionnée dans le texte légal (Cass. 1re civ., 12 juill. 2001, n°99-14.202).
En outre, le juge doit se garder d’ajouter des critères non prévus par le texte, sous peine de voir sa décision annulée pour excès de pouvoir.
c. Procédure
==>Compétence
L’article 815-5 ne désigne pas expressément la juridiction compétente. Cependant, conformément aux principes généraux de répartition des compétences, la Cour de cassation a jugé que le tribunal judiciaire, en tant que juridiction de droit commun en matière civile, est seul compétent pour statuer sur les demandes formées sur le fondement de cet article (V. en ce sens Cass. 1re civ., 15 févr. 2012, n°10-21.457).
La Cour de cassation a précisé dans cette décision que dans l’hypothèse où le Président du tribunal judiciaire était saisi en référé, alors l’ordonnance rendue serait dépourvue de l’autorité de la chose jugée au fond.
==>Une procédure contradictoire
Contrairement à d’autres mécanismes d’intervention judiciaire en matière d’indivision, la procédure sur requête ou devant le juge des référés est expressément écartée.
La Cour de cassation a précisé que cette autorisation relève du droit commun et exige une procédure contradictoire permettant aux indivisaires opposants de faire valoir leurs arguments (Cass. 3e civ., 28 nov. 2012, n°11-19.585).
Le caractère contradictoire de la procédure garantit que toutes les parties concernées soient entendues.
L’indivisaire à l’initiative de la demande doit démontrer que le refus des coïndivisaires met en péril l’intérêt commun, tandis que les indivisaires opposants disposent d’un droit de réponse pour exposer leurs motifs.
==>Moment de la demande
La demande d’autorisation doit impérativement être introduite avant la réalisation de l’acte projeté.
En effet, l’article 815-5 ne prévoit pas de mécanisme de régularisation a posteriori, mais une procédure préventive destinée à pallier l’absence de consentement préalable.
La Cour de cassation a clairement affirmé cette exigence, rejetant les demandes d’autorisation visant à valider des actes déjà réalisés (Cass. 1re civ., 29 nov. 1988, n°86-14.496?).
d. Effets
L’autorisation judiciaire rend l’acte opposable à tous les indivisaires, y compris à ceux ayant refusé de consentir.
Conformément à l’article 815-5, alinéa 3, du Code civil, l’acte autorisé est considéré comme valablement réalisé, comme si tous les indivisaires avaient donné leur accord.
Bien qu’ils soient tenus de respecter les effets de l’acte autorisé, les indivisaires opposants ne sont pas personnellement engagés par celui-ci.
Par exemple, en cas de vente d’un bien indivis, ils ne pourront être tenus responsables des garanties légales à l’égard des tiers, comme la garantie des vices cachés.
Par ailleurs, l’acte autorisé met fin au droit des indivisaires opposants sur le bien cédé. Ainsi, un indivisaire ne peut plus revendiquer l’usage ou la jouissance du bien vendu.
Enfin, il a été décidé par la Cour de cassation dans un arrêt du 30 juin 1992 que le prix de cession remplace dans l’indivision le bien aliéné, sans que cela entraîne un partage (Cass. 1re civ., 30 juin 1992, n°90-19.052). Il en résulte que les règles encadrant le partage ne sont pas applicables.
2. Indivision en nue-propriété
Le démembrement de propriété, par sa nature, ne se confond pas avec l’indivision. Tandis que l’indivision implique une pluralité de titulaires partageant un même droit sur un bien (propriété indivise), le démembrement attribue des droits distincts à différentes parties : l’usufruitier détient un droit d’usage et de jouissance, tandis que le nu-propriétaire conserve la propriété dépouillée de son utilité économique.
Cette situation créée par le démembrement de la propriété rend problématique la possibilité, pour des nus-propriétaires indivis, d’imposer à un usufruitier unique ou indivis la vente forcée de la pleine propriété d’un bien grevé d’usufruit.
La question se pose alors : dans l’hypothèse d’un bien indivis grevé d’un usufruit, les nus-propriétaires peuvent-ils, par le jeu d’une autorisation judiciaire, forcer la vente de la pleine propriété contre la volonté de l’usufruitier??
Cette problématique a donné lieu à des évolutions législatives et jurisprudentielles notables que l’on peut retracer en plusieurs étapes.
a. Droit antérieur à 1976
Avant l’adoption de la loi du 31 décembre 1976, aucune disposition légale spécifique ne régissait la problématique du démembrement de propriété en cas d’indivision.
La résolution des conflits entre nus-propriétaires et usufruitiers relevait donc exclusivement de la jurisprudence, dont les solutions variaient selon que l’usufruit était indivis ou appartenait à un seul titulaire.
==>En présence d’un usufruit indivis
Lorsque l’usufruit était lui-même réparti entre plusieurs usufruitiers en indivision, la jurisprudence admettait la possibilité de procéder à la vente de la pleine propriété d’un bien grevé d’usufruit.
Cette solution reposait sur l’idée qu’une cession conjointe de l’usufruit et de la nue-propriété permettait de maximiser la valorisation économique du bien, au bénéfice de tous les titulaires de droits sur celui-ci.
Dans un arrêt de principe du 20 juillet 1932, la Cour de cassation a ainsi estimé que la vente de la pleine propriété était conforme à l’intérêt commun dès lors qu’elle permettait de dénouer des situations complexes (Cass. req., 20 juill. 1932).
Cette position, réaffirmée par la suite (Cass. civ., 20 juin 1954), traduisait une volonté de favoriser des solutions pragmatiques, notamment dans le cas de biens difficilement partageables ou de droits en concurrence susceptibles de paralyser leur utilisation ou leur cession.
==>En l’absence d’usufruit indivis
À l’inverse, lorsque l’usufruit appartenait à un seul titulaire, la jurisprudence adoptait une position protectrice, interdisant la vente forcée de la pleine propriété d’un bien grevé d’usufruit sans le consentement de l’usufruitier.
Cette règle trouvait son fondement dans la distinction des droits en présence : l’usufruitier unique n’étant pas en indivision avec les nus-propriétaires, il jouissait d’une protection renforcée contre toute atteinte à son droit d’usage et de jouissance.
Dans un ancien arrêt, la Cour de cassation avait ainsi établi que la licitation de la pleine propriété ne pouvait être ordonnée que si l’usufruitier unique y consentait (Cass. req., 27 juill. 1869).
Cette solution s’inscrivait dans une logique de préservation des droits de l’usufruitier, particulièrement lorsque celui-ci était un conjoint survivant bénéficiant d’un droit d’usufruit sur le logement familial (Cass. civ., 20 déc. 1889).
La jurisprudence visait ici à garantir la sécurité juridique et la stabilité patrimoniale des usufruitiers, tout en prenant en compte leur dépendance économique à l’égard du bien grevé d’usufruit, souvent essentiel à leur subsistance.
b. La réforme de 1976
La loi n° 76-1286 du 31 décembre 1976 a enrichi le cadre du démembrement de propriété en introduisant, au sein de l’article 815-5 du Code civil, la règle suivante :
« le juge ne peut toutefois, sinon aux fins de partage, autoriser la vente de la pleine propriété d’un bien grevé d’usufruit contre la volonté de l’usufruitier. »
Par cette intervention, le législateur entendait dissiper les incertitudes et harmoniser les divergences jurisprudentielles ayant marqué l’interprétation antérieure.
Cette règle, tout en consolidant les solutions dégagées par les tribunaux, venait préciser les contours de la licitation de la pleine propriété, réservant son autorisation à des hypothèses strictement définies.
Deux configurations distinctes étaient ainsi envisagées : celle d’un usufruitier unique, excluant toute licitation sans son consentement, et celle d’une indivision en usufruit, où la vente en pleine propriété pouvait être justifiée par l’intérêt commun poursuivi dans un cadre de partage.
==>Présence d’un usufruitier unique
Lorsque l’usufruit appartenait à un seul titulaire, la loi réaffirmait la solution jurisprudentielle antérieure : la vente forcée de la pleine propriété demeurait impossible sans le consentement de l’usufruitier unique.
Cette règle s’explique par la nature différente des droits entre usufruitier et nus-propriétaires, qui ne forment pas une indivision à proprement parler.
Le législateur entendait ainsi préserver les droits fondamentaux de l’usufruitier, particulièrement lorsqu’il s’agissait du conjoint survivant jouissant de son logement familial.
En consolidant la jurisprudence (V. notamment Cass. req., 27 juill. 1869 et Cass. civ., 20 déc. 1889), la loi garantissait la stabilité de la jouissance du bien grevé d’usufruit, évitant que celui-ci ne soit aliéné contre la volonté de son titulaire.
==>Présence de plusieurs usufruitiers indivis
En revanche, la loi ouvrait la possibilité d’ordonner une licitation de la pleine propriété dans l’hypothèse d’une double indivision : lorsque le bien était grevé à la fois d’une indivision en usufruit et en nue-propriété.
Dans ce cas particulier, le texte autorisait la vente forcée «?aux fins de partage?», dès lors qu’elle apparaissait conforme à l’intérêt commun des parties.
Cette disposition visait à faciliter le dénouement de situations complexes où l’indivision rendait l’administration et la valorisation du bien difficile, voire impossible.
En autorisant la réunion des droits d’usufruit et de nue-propriété dans le patrimoine d’un même propriétaire, la loi permettait de maximiser la valeur du bien et d’apporter une solution pragmatique à ces situations.
==>Une précision textuelle mais des limites évidentes
Si la loi de 1976 apportait une clarification bienvenue, elle restait néanmoins tributaire de la complexité des relations entre usufruitier(s) et nus-propriétaires.
La distinction entre la présence d’un usufruitier unique et celle d’une double indivision introduisait une hiérarchie des droits où les prérogatives de l’usufruitier unique étaient davantage protégées.
En revanche, dans les cas de pluralité d’usufruitiers, l’ouverture aux licitations pouvait générer des tensions, notamment si certains usufruitiers s’opposaient à la vente.
Ainsi, tout en consolidant la jurisprudence antérieure, la loi n° 76-1286 instaurait une nouvelle architecture juridique, dont l’application pratique serait sujette à interprétations et ajustements jurisprudentiels. Ces limites allaient rapidement apparaître dans la période postérieure à son entrée en vigueur.
c. La jurisprudence postérieure à 1976
Dans un arrêt controversé du 11 mai 1982, la Cour de cassation a adopté une interprétation particulièrement large de l’article 815-5, alinéa 2, dans sa version de 1976.
Elle a en effet jugé que « le partage peut toujours être ordonné et qu’à cette fin, selon l’article 815-5 du code civil qui est applicable en la cause, la vente de la pleine propriété d’un bien grevé d’usufruit peut être judiciairement ordonnée contre la volonté de l’usufruitier » (Cass. 1ère civ. 11 mai 1982, n°81-13.055).
Cette solution généralisait la possibilité de vente forcée, même en présence d’un usufruitier unique, au motif que le partage pouvait être sollicité par tout indivisaire.
Cette jurisprudence a été largement critiquée pour plusieurs raisons?:
- Sur le plan théorique : elle méconnaissait l’absence d’indivision entre usufruitier unique et nus-propriétaires.
- Sur le plan pratique? : elle portait atteinte aux droits de l’usufruitier, notamment lorsqu’il s’agissait d’un conjoint survivant.
d. La réforme de 1987
Face aux critiques doctrinales et pratiques, la loi n° 87-498 du 6 juillet 1987 est venue corriger l’interprétation jurisprudentielle de 1982 en modifiant l’article 815-5, alinéa 2.
Désormais, le texte dispose que « le juge ne peut, à la demande d’un nu-propriétaire, ordonner la vente de la pleine propriété d’un bien grevé d’usufruit contre la volonté de l’usufruitier. »
La nouvelle rédaction de l’article 815-5, alinéa 2, réintroduit ainsi la solution jurisprudentielle antérieure à 1976, en établissant des principes clairs :
- Interdiction de la vente forcée sans consentement de l’usufruitier unique
- Le juge ne peut ordonner la vente de la pleine propriété d’un bien grevé d’usufruit contre la volonté d’un usufruitier unique.
- Cette règle garantit que l’usufruitier conserve la jouissance de son droit, indépendamment des revendications des nus-propriétaires.
- Application aux situations d’indivision en nue-propriété
- La règle s’applique également lorsque plusieurs nus-propriétaires sont en indivision et cherchent à sortir de cette indivision.
- Même dans ce cas, la vente forcée de la pleine propriété reste impossible sans l’accord de l’usufruitier.
- Suppression de la notion de fins de partage
- La suppression de cette mention a pour effet de limiter les situations dans lesquelles une licitation peut être ordonnée.
- En l’absence d’un accord unanime entre les titulaires de droits, la vente forcée de la pleine propriété est exclue.
La réforme entreprise par la loi du 6 juillet 1987 visait à renforcer la sécurité juridique en clarifiant les limites du pouvoir du juge face à des intérêts divergents entre nus-propriétaires et usufruitiers.
Elle consacre la protection des droits de l’usufruitier, que ce dernier soit unique ou qu’il existe une indivision en usufruit.
De plus, elle met fin aux interprétations larges de la jurisprudence qui avaient permis des ventes forcées préjudiciables à l’équilibre des droits en présence.
S’agissant de l’application de loi dans le temps, le législateur a expressément prévu une application immédiate des nouvelles dispositions aux usufruits en cours au moment de l’entrée en vigueur de la loi, sauf en cas de décision judiciaire passée en force de chose jugée ou d’accord amiable antérieur (article 2 de la loi du 6 juillet 1987).
La Cour de cassation a confirmé cette application rétroactive dans plusieurs décisions ultérieures, consolidant ainsi la portée de la réforme (Cass. 1re civ., 2 févr. 1999, n°96-22.563).
Au total, en supprimant toute ambiguïté textuelle, la loi de 1987 a permis de restaurer une cohérence dans le régime juridique du démembrement, en préservant les droits fondamentaux de l’usufruitier tout en encadrant strictement les possibilités de sortie de l’indivision.
e. Application jurisprudentielle postérieure à 1987
Dès 1989, la première chambre civile de la Cour de cassation a réaffirmé que l’article 815-5, alinéa 2, du Code civil interdisait au juge de substituer son autorisation au consentement de l’usufruitier pour ordonner une vente en pleine propriété.
Dans un arrêt rendu le 29 mars 1989, la Cour de cassation a précisé que même la satisfaction des créanciers des nus-propriétaires ne justifiait pas une telle vente forcée (Cass. 1ère civ., 29 mars 1989, n°87-12.187). Cette position, conforme à la lettre et à l’esprit de la réforme de 1987, a mis un terme aux interprétations antérieures trop larges de la notion de partage.
Dans une décision plus récente, la Cour a confirmé cette stricte application de la règle. Elle a jugé que, même en cas de pluralité de nus-propriétaires souhaitant sortir de l’indivision, la volonté de l’usufruitier prime sur celle des nus-propriétaires indivis (Cass. 1re civ., 13 juin 2019, n° 18-17.347).
f. Portée actuelle de la règle
La règle actuelle, telle qu’elle résulte de la réforme opérée par la loi du 6 juillet 1987, vise avant tout à garantir le respect du droit de jouissance de l’usufruitier, cœur de son droit réel sur le bien grevé d’usufruit.
En empêchant les nus-propriétaires de l’impliquer dans une vente qu’il n’aurait pas approuvée, l’article 815-5, alinéa 2, préserve l’autonomie et la stabilité juridique de l’usufruit.
Cette stabilité est particulièrement nécessaire dans des situations où l’usufruitier est un conjoint survivant, souvent légataire de l’usufruit du logement familial. Une vente forcée compromettrait directement son usage du bien et le mettrait en situation de précarité.
Au-delà de la jouissance, la règle protège également l’intégrité des droits patrimoniaux de l’usufruitier. Imposer une vente en pleine propriété contre son gré aurait pour effet de priver l’usufruitier de sa participation dans le démembrement, en substituant son droit réel sur le bien à une simple créance sur le prix de vente.
Une telle substitution, non consentie, pourrait porter atteinte à l’équilibre patrimonial entre les parties, en particulier si l’usufruitier estime que ses intérêts ne seraient pas suffisamment garantis par le produit de la vente.
L’interdiction s’applique aussi bien lorsqu’il existe un usufruitier unique que dans le cas d’une indivision en usufruit.
En effet, la règle ne distingue pas selon la pluralité des usufruitiers ou des nus-propriétaires : dans tous les cas, le consentement de l’usufruitier demeure une condition incontournable pour autoriser une vente en pleine propriété.
Au fond, l’article 815-5, alinéa 2, reflète une solution équilibrée entre le principe du droit au partage – dont disposent les indivisaires – et la protection du démembrement de propriété.
En maintenant cette interdiction, le législateur a reconnu que le droit de l’usufruitier ne saurait être réduit à une position subalterne face à la volonté collective des nus-propriétaires.
Cette disposition garantit que le démembrement, par nature transitoire, ne devient pas une source d’insécurité ou de déséquilibre pour l’usufruitier.
La Cour de cassation a largement confirmé cette interprétation stricte, réitérant l’impossibilité de contraindre l’usufruitier à céder ses droits sans son accord explicite.
Ces décisions, loin de constituer des restrictions arbitraires, renforcent un cadre juridique cohérent et protecteur, assurant que le droit de propriété démembré reste un mécanisme respectueux des intérêts mutuels des parties.