Gestion de l’indivision: l’autorisation d’effectuer des travaux d’amélioration, de réhabilitation et de restauration des immeubles d’habitation situés dans les départements d’outre-mer

L’article 815-6 du Code civil investit le juge de larges prérogatives pour intervenir dans les situations d’indivision, en vue de préserver l’intérêt commun des indivisaires.

L’emploi de l’adverbe « notamment » dans le texte de loi illustre le caractère non limitatif des mesures que le juge peut prescrire. Cependant, ces mesures doivent impérativement répondre à deux exigences fondamentales : l’urgence et l’intérêt commun.

Ces deux critères conditionnent l’intervention judiciaire et encadrent l’étendue des pouvoirs conférés au magistrat.

A cet égard, l’article 815-6 énumère certaines mesures spécifiques que le juge peut prendre, sans toutefois épuiser les possibilités d’intervention judiciaire.

Ces mesures s’avèrent particulièrement adaptées à des situations fréquentes dans le cadre des indivisions successorales ou familiales.

Nous nous focaliserons ici sur l’autorisation d’effectuer des travaux d’amélioration, de réhabilitation et de restauration des immeubles d’habitation situés dans les départements d’outre-mer.

L’article 815-7-1 du Code civil, introduit par la loi n° 2009-594 du 27 mai 2009, constitue un dispositif spécifique destiné à faciliter la remise sur le marché locatif des immeubles indivis vacants situés dans les départements d’outre-mer (Guadeloupe, Guyane, Martinique, La Réunion) et dans la collectivité de Saint-Martin.

Ce texte permet à un indivisaire, sous certaines conditions, de réaliser des travaux et actes administratifs sans l’accord des autres indivisaires.

==>Finalité du dispositif

La mesure vise à répondre à un enjeu spécifique : lutter contre la vacance prolongée des immeubles indivis dans ces territoires, souvent caractérisée par des mésententes entre coïndivisaires ou une gestion déficiente.

L’objectif est de permettre à un indivisaire d’engager des travaux d’amélioration, de réhabilitation ou de restauration, afin de rendre le bien éligible à la location à usage d’habitation principale.

La règle énoncée à l’article 815-7-1 du Code civil reflète une volonté législative de revitaliser le parc immobilier locatif dans les départements d’outre-mer.

Comme indiqué dans les travaux parlementaires, cette mesure permet à un indivisaire de passer outre l’absence d’accord des coïndivisaires, facilitant ainsi les démarches nécessaires à la mise en location de biens vacants.

==>Conditions d’application

La mise en œuvre de l’article 815-7-1 est soumise à la réunion de plusieurs conditions :

  • Conditions relatives à l’immeuble
    • L’immeuble doit être situé en Guadeloupe, Guyane, Martinique, La Réunion ou Saint-Martin.
    • Il doit être à usage d’habitation ou à usage mixte (habitation et professionnel).
    • L’immeuble doit être vacant ou inoccupé depuis plus de deux années civiles.
  • Conditions relatives aux travaux et actes autorisés
    • Les travaux doivent être de nature à améliorer, réhabiliter ou restaurer l’immeuble.
    • Les actes juridiques, tels que les formalités d’administration et de publicité, doivent viser exclusivement à permettre la location du bien à titre d’habitation principale.

==>Régime

L’article 815-7-1 prévoit que l’autorisation judiciaire est donnée «?dans les conditions prévues aux articles 813-1 à 813-9 du Code civil?», qui régissent la désignation d’un mandataire successoral.

Ce renvoi emporte plusieurs conséquences :

  • Compétence juridictionnelle : le tribunal judiciaire est compétent pour statuer sur la demande.
  • Mandat judiciaire : l’indivisaire autorisé agit comme un mandataire judiciaire, disposant des pouvoirs nécessaires pour accomplir les actes requis.
  • Harmonisation avec les règles successorales : bien que le texte ne limite pas son champ d’application aux seules indivisions successorales, le renvoi aux règles du mandat successoral suscite certaines interrogations, notamment quant à l’applicabilité de ces dispositions dans d’autres contextes d’indivision.

Gestion de l’indivision: l’interdiction délivrée par le juge de déplacer des meubles corporels

L’article 815-6 du Code civil investit le juge de larges prérogatives pour intervenir dans les situations d’indivision, en vue de préserver l’intérêt commun des indivisaires.

L’emploi de l’adverbe « notamment » dans le texte de loi illustre le caractère non limitatif des mesures que le juge peut prescrire. Cependant, ces mesures doivent impérativement répondre à deux exigences fondamentales : l’urgence et l’intérêt commun.

Ces deux critères conditionnent l’intervention judiciaire et encadrent l’étendue des pouvoirs conférés au magistrat.

A cet égard, l’article 815-6 énumère certaines mesures spécifiques que le juge peut prendre, sans toutefois épuiser les possibilités d’intervention judiciaire.

Ces mesures s’avèrent particulièrement adaptées à des situations fréquentes dans le cadre des indivisions successorales ou familiales.

Nous nous focaliserons ici sur la faculté pour le juge d’interdire le déplacement de meubles corporels.

L’article 815-7 du Code civil prévoit une mesure particulière qui permet au Président du tribunal judiciaire d’interdire le déplacement des meubles corporels indivis.

Cette disposition, bien que distincte de l’article 815-6, alinéa 1er , en constitue une application concrète, s’inscrivant dans le cadre des mesures urgentes destinées à préserver l’intérêt commun des indivisaires.

==>Fondement et finalité

L’article 815-7 dispose?que « le président du tribunal peut aussi interdire le déplacement des meubles corporels sauf à spécifier ceux dont il attribue l’usage personnel à l’un ou à l’autre des ayants droit, à charge pour ceux-ci de donner caution s’il l’estime nécessaire. »

Ce texte, directement inspiré de l’article 220-1, alinéa 2 du Code civil, relatif aux régimes matrimoniaux, a pour objectif de préserver les biens corporels indivis en cas de risques de dissipation, de détournement ou de mésentente entre indivisaires.

Toutefois, il s’en distingue par plusieurs particularités propres au régime de l’indivision?:

  • D’une part, le juge peut imposer une caution à l’indivisaire auquel l’usage personnel d’un bien est attribué, afin de protéger les intérêts des coïndivisaires.
  • D’autre part, aucune limitation de durée n’est prévue pour la mesure, contrairement à ce qui est prévu dans le cadre des régimes matrimoniaux.

==>Conditions

La mise en œuvre de cette interdiction est subordonnée aux conditions générales prévues par l’article 815-6 :

  • Urgence : la mesure doit être justifiée par la nécessité de préserver les biens indivis contre un risque imminent.
  • Intérêt commun : l’interdiction doit viser à protéger l’ensemble des indivisaires, et non à privilégier les intérêts d’un seul.

L’interdiction de déplacer les meubles corporels est généralement appliquée dans des contextes où les conflits entre indivisaires entraînent une menace pour la conservation des biens indivis.

Elle peut concerner divers types de biens?: mobilier, bijoux, titres au porteur ou véhicules.

==>Etendue de l’interdiction

Le juge dispose d’une large latitude dans la mise en œuvre de l’interdiction :

  • Interdiction générale : la mesure peut s’appliquer à l’ensemble des meubles corporels indivis, comme des meubles meublants ou des objets de valeur.
  • Interdiction partielle : le juge peut limiter l’interdiction à certains biens spécifiques, en fonction des besoins et des circonstances.
  • Attribution d’un bien à un indivisaire en particulier : dans certains cas, le juge peut attribuer l’usage exclusif de certains biens à un indivisaire, sous réserve de la constitution d’une caution ou de toute autre garantie destinée à préserver les droits des autres indivisaires.

==>Sanctions

Bien que l’article 815-7 ne prévoie pas de mesures de publicité ou de sanctions pénales spécifiques, plusieurs mécanismes peuvent renforcer son efficacité?:

En cas de non-respect de l’interdiction, l’indivisaire fautif peut être condamné à des dommages et intérêts, notamment en cas de détournement ou de vente des biens protégés.

Si l’indivisaire enfreint l’interdiction, une saisie conservatoire ou une mesure équivalente peut être mise en œuvre pour garantir la conservation des biens.

La doctrine recommande parfois d’associer cette interdiction à une mesure de séquestre, ce qui permettrait d’engager la responsabilité pénale de l’indivisaire en cas de détournement (art. 314-5 C. pen.).

Gestion de l’indivision: l’autorisation donnée par le juge à un indivisaire de percevoir des fonds indivis

L’article 815-6 du Code civil investit le juge de larges prérogatives pour intervenir dans les situations d’indivision, en vue de préserver l’intérêt commun des indivisaires.

L’emploi de l’adverbe « notamment » dans le texte de loi illustre le caractère non limitatif des mesures que le juge peut prescrire. Cependant, ces mesures doivent impérativement répondre à deux exigences fondamentales : l’urgence et l’intérêt commun.

Ces deux critères conditionnent l’intervention judiciaire et encadrent l’étendue des pouvoirs conférés au magistrat.

A cet égard, l’article 815-6 énumère certaines mesures spécifiques que le juge peut prendre, sans toutefois épuiser les possibilités d’intervention judiciaire.

Ces mesures s’avèrent particulièrement adaptées à des situations fréquentes dans le cadre des indivisions successorales ou familiales.

Nous nous focaliserons ici sur l’autorisation donnée par le juge à un indivisaire de percevoir des fonds indivis.

==>Principe

L’article 815-6, alinéa 2 du Code civil confère au juge la faculté d’« autoriser un indivisaire à percevoir des débiteurs de l’indivision ou des dépositaires de fonds indivis une provision destinée à faire face aux besoins urgents, en prescrivant, au besoin, les conditions de l’emploi. »

Ce dispositif vise à prévenir les préjudices pouvant résulter de l’absence de consensus entre indivisaires ou de l’inertie collective dans la gestion des biens indivis.

==>Conditions

Pour que le juge puisse accorder une telle autorisation, deux conditions doivent être remplies :

  • L’urgence des besoins
    • Le caractère urgent des besoins à satisfaire constitue la condition essentielle de l’intervention judiciaire.
    • L’urgence se définit comme la nécessité d’agir sans délai pour prévenir un dommage imminent ou irrémédiable, tel que le paiement de frais d’obsèques, de dettes fiscales, ou d’autres dépenses immédiates indispensables à la préservation des intérêts de l’indivision.
    • Pour exemple, dans un arrêt du 16 février 1988, la Cour de cassation a validé la perception de fonds indivis pour régler des droits de succession lorsque les délais fiscaux imposent une solution rapide (Cass. 1ère civ. 16 févr. 1988, n°86-16.489).
  • La pertinence de la provision
    • Le montant de la provision doit être strictement limité à ce qui est nécessaire pour couvrir les besoins identifiés.
    • Le juge peut, à cet égard, prescrire des conditions d’emploi précises pour encadrer l’utilisation des fonds perçus.

==>Modalités pratiques de mise en œuvre

Lorsqu’il va rendre sa décision, le juge peut :

  • Identifier les débiteurs ou dépositaires concernés : les fonds indivis peuvent être détenus par des institutions financières, des locataires ou tout autre débiteur de l’indivision. Le juge doit alors clairement désigner les personnes tenues de remettre les sommes à l’indivisaire autorisé.
  • Préciser les conditions d’emploi : pour garantir la bonne utilisation de la provision, le juge peut imposer des modalités spécifiques, telles que l’affectation des fonds à des dépenses déterminées ou la nécessité d’en rendre compte ultérieurement.
  • Protéger les droits des autres indivisaires : la décision judiciaire ne modifie pas les droits de chacun sur les fonds indivis et n’affecte pas la qualité d’indivisaire, notamment pour le conjoint survivant ou les héritiers.

==>Portée de l’autorisation

L’article 815-6, alinéa 2 du Code civil, tout en conférant au juge le pouvoir d’autoriser un indivisaire à percevoir des fonds pour répondre à des besoins urgents, prévoit explicitement une limitation importante quant à la portée de cette autorisation :

Le texte précise, en effet, que « cette autorisation n’entraîne pas prise de qualité pour le conjoint survivant ou pour l’héritier. »

Cette précision vise à encadrer rigoureusement les effets de l’autorisation délivrée par le juge, afin de préserver l’équilibre entre les droits des indivisaires et d’éviter toute dérive.

La règle s’applique notamment dans situations distinctes :

  • Première situation
    • Lorsqu’un conjoint survivant est autorisé à percevoir des fonds indivis pour faire face à des dépenses urgentes, cette faculté n’implique pas reconnaissance implicite de droits préférentiels dans l’indivision, en particulier dans les successions complexes où les droits entre héritiers et conjoint doivent être strictement délimités.
  • Seconde situation
    • L’héritier autorisé à percevoir des fonds agit au titre d’une mission temporaire et encadrée, et ne peut en tirer aucun avantage dans la répartition future des biens.
    • Cela garantit l’impartialité et l’équité dans l’administration et le partage de l’indivision.

Ainsi, la règle énoncée à l’article 815-6, al. 2 in fine vise à éviter toute confusion entre l’exercice d’une mission ponctuelle et les droits patrimoniaux ou personnels des indivisaires, ces derniers restant strictement définis par les dispositions légales applicables (articles 815 et suivants du Code civil).

Gestion de l’indivision: la désignation d’un administrateur provisoire ou d’un séquestre

L’article 815-6 du Code civil investit le juge de larges prérogatives pour intervenir dans les situations d’indivision, en vue de préserver l’intérêt commun des indivisaires.

L’emploi de l’adverbe « notamment » dans le texte de loi illustre le caractère non limitatif des mesures que le juge peut prescrire. Cependant, ces mesures doivent impérativement répondre à deux exigences fondamentales : l’urgence et l’intérêt commun.

Ces deux critères conditionnent l’intervention judiciaire et encadrent l’étendue des pouvoirs conférés au magistrat.

A cet égard, l’article 815-6 énumère certaines mesures spécifiques que le juge peut prendre, sans toutefois épuiser les possibilités d’intervention judiciaire.

Ces mesures s’avèrent particulièrement adaptées à des situations fréquentes dans le cadre des indivisions successorales ou familiales.

Nous nous focaliserons ici sur la désignation d’un administrateur provisoire ou d’un séquestre.

==>Exposé du principe

L’article 815-6, alinéa 3 du Code civil confère au président du tribunal judiciaire le pouvoir de désigner un administrateur provisoire ou un séquestre pour assurer la gestion des biens indivis dans l’intérêt commun.

Le texte prévoit en ce sen que le juge « peut également soit désigner un indivisaire comme administrateur en l’obligeant, s’il y a lieu, à donner caution, soit nommer un séquestre. Les articles 1873-5 à 1873-9 du présent code s’appliquent en tant que de raison aux pouvoirs et aux obligations de l’administrateur, s’ils ne sont autrement définis par le juge.?»

La désignation d’un administrateur provisoire ou d’un séquestre vise à répondre à des situations de crise, dans lesquelles l’unanimité ou la gestion collégiale des indivisaires devient impossible ou inefficace.

Ces situations peuvent procéder :

  • De conflits internes: désaccords persistants empêchant la prise d’actes nécessaires à la gestion des biens indivis.
  • D’une urgence : nécessité d’accomplir rapidement des actes pour protéger les biens, comme la réalisation de travaux, la perception de revenus ou la vente de biens.

La finalité de la règle énoncée à l’article 815-6, al. 3e du Code civil est parfaitement bien illustrée dans un arrêt rendu par la Cour de cassation le 13 octobre 1993.

Dans cette affaire, la Première chambre civile a confirmé la désignation d’un indivisaire en qualité d’administrateur des biens indivis dans une situation marquée par un désaccord entre les coïndivisaires, l’absence de convention relative à la gestion de l’indivision, et des désordres de gestion nécessitant une intervention urgente.

En l’espèce, à la suite du décès d’un coïndivisaire, une seconde indivision successorale avait vu le jour entre le père survivant et ses deux enfants, légataires universels.

L’un des indivisaires, invoquant l’inertie dans la gestion des biens indivis et les difficultés qui en découlaient, avait obtenu du juge des référés sa désignation en qualité d’administrateur provisoire.

La Cour de cassation a approuvé cette décision en retenant que :

  • D’une part, l’urgence et l’intérêt commun justifiaient l’intervention du juge, en raison de l’absence d’accord entre les indivisaires sur les modalités de gestion ;
  • D’autre part, les dispositions de l’article 815-6 du Code civil s’appliquent à toutes les indivisions, qu’elles soient successorales ou d’une autre nature, permettant ainsi de remédier aux situations de blocage.

Cette décision met en lumière la vocation de l’administrateur provisoire à répondre efficacement aux crises de gestion dans l’indivision, en particulier lorsqu’aucune organisation conventionnelle n’a été prévue et que les dissensions entre indivisaires compromettent la préservation de leurs intérêts communs.

==>Les personnes pouvant être désignées comme administrateur

L’article 815-6, alinéa 3 du Code civil prévoit expressément que le juge peut désigner un indivisaire comme administrateur, tout en lui imposant, si nécessaire, de fournir une caution.

Toutefois, bien que cette disposition semble limiter la désignation à un indivisaire, la doctrine et la jurisprudence ont progressivement élargi cette faculté pour inclure également la possibilité de désigner un tiers lorsque les circonstances l’exigent.

  • La désignation d’un indivisaire
    • La désignation d’un indivisaire comme administrateur est généralement privilégiée, car elle présente plusieurs avantages pratiques :
      • Connaissance des biens indivis : en tant que copropriétaire, l’indivisaire connaît généralement la nature et les caractéristiques des biens indivis, ce qui facilite leur gestion.
      • Alignement d’intérêts : l’indivisaire désigné agit dans l’intérêt commun, ce qui réduit le risque de conflit entre les parties.
    • Cependant, cette désignation peut être problématique lorsque les indivisaires sont en désaccord profond ou si l’indivisaire pressenti manque des compétences nécessaires pour gérer efficacement les biens indivis.
  • La désignation d’un tiers
    • Dans certains cas, la désignation d’un tiers comme administrateur est admise par la jurisprudence et peut s’avérer plus appropriée.
    • Cette solution se justifie notamment dans les situations suivantes :
      • Lorsque les relations entre les indivisaires sont marquées par une méfiance ou un conflit exacerbé, un tiers impartial est souvent préférable pour éviter que la gestion des biens ne devienne un enjeu de discorde supplémentaire.
      • Si aucun indivisaire ne possède les compétences ou les qualités nécessaires pour assumer la fonction d’administrateur, le juge peut se tourner vers une personne extérieure qualifiée.
    • La Cour de cassation a admis cette possibilité de désigner un tiers comme administrateur de l’indivision dans un arrêt du 6 février 2001 (Cass. 1ère civ., 6 févr. 2001, n°98-19.060).
    • Dans cette affaire, il s’agissait de la désignation d’un indivisaire en usufruit comme administrateur dans le cadre d’une indivision portant sur des droits en usufruit et en nue-propriété.
    • La Haute juridiction a jugé que l’administrateur doit appartenir à l’indivision concernée et que, en cas de superposition de plusieurs indivisions, une désignation parmi les indivisaires pourrait ne pas convenir si les intérêts divergent fortement.
    • Cette solution ouvre implicitement la possibilité de désigner un tiers en tant qu’administrateur, à condition que le juge motive cette décision, notamment en mettant en avant :
      • Soit l’inaptitude des indivisaires à gérer les biens dans l’intérêt commun ;
      • Soit l’urgence et la nécessité d’une intervention extérieure pour préserver les biens indivis.
    • La désignation d’un tiers n’étant pas expressément prévue par l’article 815-6, alinéa 3, elle repose sur une interprétation extensive du texte, guidée par l’objectif de préserver l’intérêt commun des indivisaires.
    • Ainsi, le juge doit motiver sa décision en démontrant que :
      • La désignation d’un indivisaire est impossible ou inopportune ;
      • L’intervention d’un tiers est indispensable pour garantir une gestion neutre et efficace des biens indivis.

==>Missions et pouvoirs de l’administrateur

L’article 815-6, alinéa 3 du Code civil confère à l’administrateur des pouvoirs définis par le juge, ou, à défaut, par les articles 1873-5 à 1873-9, applicables par analogie aux indivisions conventionnelles.

Ces dispositions permettent une gestion adaptée à chaque situation, garantissant l’administration efficace des biens indivis dans l’intérêt commun des indivisaires.

  • Les missions générales de l’administrateur
    • L’administrateur exerce un rôle pivot dans la gestion des biens indivis.
    • Ses missions principales comprennent :
      • La gestion courante
        • L’administrateur veille à l’administration ordinaire des biens indivis, ce qui comprend notamment :
          • L’entretien et la préservation des biens ;
          • La perception des revenus générés, comme les loyers ou les dividendes ;
          • La gestion locative, incluant la conclusion et le renouvellement de baux nécessaires à l’exploitation des biens indivis.
      • La réalisation d’actes urgents
        • L’administrateur est habilité à accomplir les actes indispensables pour éviter la dégradation des biens indivis ou répondre à des besoins pressants.
        • Ces actes, souvent conservatoires, permettent de prévenir un préjudice imminent pour l’indivision.
      • La représentation en justice
        • L’administrateur représente les indivisaires dans les procédures judiciaires nécessaires à la défense ou à la préservation des intérêts de l’indivision.
          • Aux termes de l’article 1873-6, alinéa 1er, il peut agir en justice tant en demande qu’en défense, dans la limite de ses pouvoirs.
          • Il ne peut cependant intenter des actions personnelles propres aux indivisaires, comme les actions liées à la filiation ou au mariage (Cass. 1re civ., 11 mars 1980, n°78-13.927).
  • Les pouvoirs spécifiques conférés par le juge
    • L’article 815-6, alinéa 3 du Code civil prévoit que, en l’absence de définition expresse des pouvoirs conférés à l’administrateur par le juge, les dispositions des articles 1873-5 à 1873-9, relatives aux indivisions conventionnelles, s’appliquent « en tant que de raison ».
    • Toutefois, ce renvoi à ces articles ne lie pas le juge, qui peut, selon les besoins de l’affaire et les circonstances particulières, accorder des pouvoirs allant bien au-delà de ceux prévus dans ces dispositions.
    • En effet, bien que les articles 1873-5 à 1873-9 constituent un cadre supplétif de référence pour l’administration des biens indivis, ils ne limitent pas l’étendue des pouvoirs que le juge peut attribuer.
    • La Cour de cassation a affirmé en ce sens dans un arrêt du 10 juin 2015 que ces dispositions devaient être appliquées uniquement dans la mesure où le juge n’a pas spécifiquement précisé les missions et prérogatives de l’administrateur dans son ordonnance de désignation (Cass. 1re civ., 10 juin 2015, n°14-18.944).
    • Ainsi, le juge conserve une grande latitude pour adapter les pouvoirs de l’administrateur aux besoins propres à chaque indivision.
    • A cet égard, le juge peut, lorsqu’il l’estime nécessaire pour protéger l’intérêt commun ou répondre à des situations d’urgence, conférer des pouvoirs qui dépassent les actes de gestion courante.
    • Ces pouvoirs exceptionnels doivent être strictement justifiés par les circonstances, notamment lorsque les biens indivis nécessitent une administration active ou des décisions rapides pour éviter un préjudice.
    • Aussi, par exemple, la Cour de cassation a admis que le juge pouvait autoriser un administrateur à procéder à la vente de biens indivis, même lorsqu’il s’agit d’un acte de disposition normalement soumis à l’unanimité des indivisaires (Cass. 1re civ., 10 juin 2015, n°14-18.944).
    • Une telle mesure, bien que exceptionnelle, répondant à une situation d’urgence et était conforme à l’intérêt commun de l’indivision.
    • De manière similaire, le juge pourrait autoriser un administrateur à conclure des baux nécessitant normalement le consentement unanime des indivisaires, dès lors que ces actes sont jugés nécessaires à la préservation ou à la valorisation des biens indivis.
  • Limites aux pouvoirs de l’administrateur
    • L’administrateur désigné en vertu de l’article 815-6, alinéa 3 du Code civil exerce des pouvoirs définis par le juge, mais ceux-ci ne sont pas illimités.
    • Deux principales limites encadrent ses actions : l’interdiction d’intenter des actions personnelles attachées aux indivisaires et l’obligation de respecter leur volonté unanime.
      • Interdiction d’exercer des actions personnelles
        • L’administrateur provisoire ne peut agir sur des droits strictement attachés à la personne des indivisaires, même si ces droits ont des conséquences patrimoniales.
        • Cette restriction repose sur le principe selon lequel les actions personnelles relèvent exclusivement de l’initiative des individus concernés.
        • Aussi, par exemple, les actions portant sur l’état civil ou familial des indivisaires échappent au champ d’intervention de l’administrateur.
        • Dans un arrêt du 11 mars 1980, la Cour de cassation a ainsi jugé qu’un administrateur d’indivision successorale ne pouvait se substituer aux indivisaires pour exercer une action en nullité de mariage, celle-ci étant éminemment personnelle malgré ses implications patrimoniales (Cass. 1ère civ., 11 mars 1980, n° 78-13.927).
        • Même lorsque ces actions personnelles ont un impact direct sur les biens indivis, comme dans le cas de l’annulation d’un mariage pouvant affecter les droits successoraux, elles restent hors du périmètre d’intervention de l’administrateur. Cette interdiction vise à préserver le caractère personnel et privé de telles démarches.
      • Respect de la volonté unanime des indivisaires
        • L’administrateur provisoire ne peut agir contre l’unanimité des indivisaires, cette unanimité constituant une expression de leur accord collectif, essentielle dans le cadre de l’indivision.
        • En effet, lorsque les indivisaires s’entendent pour accomplir un acte particulier, l’administrateur n’a plus vocation à intervenir.
        • Par exemple si tous les indivisaires conviennent de vendre un bien indivis, l’administrateur ne peut contester cette décision ni agir en leur nom pour imposer un autre choix.
        • De même, si une décision commune met fin à un litige, l’administrateur ne peut engager d’action judiciaire allant à l’encontre de cette volonté.
        • La jurisprudence a précisé que la mission de l’administrateur devient caduque dès lors qu’une unanimité des indivisaires est constatée, l’article 815-3 du Code civil leur conférant le pouvoir de gérer et disposer des biens par un consentement unanime.
        • A cet égard, la fonction de l’administrateur est avant tout de pallier les désaccords ou l’inertie des indivisaires.
        • En cas d’accord unanime, son intervention devient superflue et sa mission limitée à d’autres actes non couverts par cet accord.
        • Cela garantit que l’administrateur ne se substitue pas à la volonté collective des indivisaires lorsqu’elle peut s’exprimer.

==>Cessation des fonctions de l’administrateur

La cessation des fonctions de l’administrateur désigné pour gérer une indivision peut intervenir de plein droit, par décision judiciaire, ou à l’initiative des indivisaires.

  • Cessation de plein droit
    • La mission de l’administrateur prend fin automatiquement lorsque l’échéance fixée par le juge dans l’ordonnance de désignation est atteinte.
    • Conformément à l’article 815-6, alinéa 3 du Code civil, cette échéance est déterminée en fonction des besoins spécifiques de l’indivision.
    • L’objectif est d’encadrer temporellement la gestion pour éviter toute prolongation indue de la mission, sauf si une reconduction est expressément décidée par le juge à la demande des parties.
  • Cessation par décision judiciaire
    • Le juge peut mettre un terme à la mission de l’administrateur avant l’échéance prévue dans deux situations principales :
      • Fin de nécessité de la mission
        • Lorsque les circonstances ayant justifié la désignation de l’administrateur disparaissent, notamment en cas de résolution des conflits entre indivisaires ou de disparition de l’urgence ayant motivé l’intervention, le juge peut révoquer l’administrateur.
        • Par exemple, si un accord est trouvé pour gérer collectivement les biens indivis, la mission de l’administrateur devient superflue.
      • Faute de gestion ou manquements
        • En cas de carence, de mauvaise gestion, ou d’actes contraires à l’intérêt commun des indivisaires, le juge peut prononcer la révocation de l’administrateur.
        • Cette décision doit reposer sur une analyse des faits, tels que des malversations, un conflit d’intérêts manifeste, ou l’inaptitude à exécuter les actes nécessaires à la préservation ou à la mise en valeur des biens indivis.
  • Cessation par accord des indivisaires
    • L’unanimité des indivisaires constitue une limite essentielle aux pouvoirs de l’administrateur.
    • Si tous les indivisaires s’accordent pour demander la cessation de la mission de l’administrateur, cette demande doit être soumise au juge pour validation.
    • Bien que l’accord unanime des indivisaires témoigne d’une volonté collective, le juge demeure compétent pour apprécier si cette cessation ne porte pas préjudice à l’intérêt commun, notamment dans les cas où des dettes restent à régler ou des actes urgents à accomplir.

==>Désignation d’un séquestre

La désignation d’un séquestre, prévue à l’article 815-6, alinéa 3 du Code civil, constitue une mesure exceptionnelle destinée à garantir la préservation des biens indivis dans les situations où l’intérêt commun des indivisaires est menacé.

À la différence de l’administrateur provisoire, le séquestre est souvent envisagé lorsque des fonds ou des biens nécessitent une gestion neutre et impartiale pour prévenir des conflits ou des abus.

  • Fondement et finalité de la mesure
    • L’article 815-6, alinéa 3 du Code civil permet au Président du tribunal judiciaire de nommer un séquestre dans les cas où la préservation de l’intérêt commun des indivisaires l’exige.
    • Cette mesure s’applique principalement lorsque l’urgence ou l’existence de différends entre indivisaires empêche une gestion efficace des biens ou des fonds indivis.
    • La désignation d’un séquestre vise plusieurs objectifs :
      • Prévenir les risques de dissipation des biens ou des fonds indivis?: lorsqu’un indivisaire est soupçonné de détourner ou de dilapider des biens communs, le séquestre assure leur conservation dans des conditions sécurisées.
      • Gérer temporairement les biens indivis?: le séquestre peut percevoir les revenus générés par les biens ou assurer leur entretien, en attendant une résolution amiable ou judiciaire des différends entre les indivisaires.
      • Garantir la neutralité de la gestion?: contrairement à l’administrateur provisoire, souvent désigné parmi les indivisaires, le séquestre est généralement un tiers impartial, ce qui réduit les risques de conflit d’intérêts.
  • Conditions de désignation
    • Pour qu’un séquestre puisse être désigné, deux conditions essentielles doivent être réunies :
      • Existence d’un risque pour les biens indivis
        • La mesure est ordonnée lorsque l’absence de gestion efficace ou des conflits entre indivisaires mettent en péril les biens indivis ou leur valeur.
        • Cela peut concerner, par exemple, des revenus issus de la location d’un immeuble indivis ou des fonds résultant de la vente d’un bien.
      • Intérêt commun des indivisaires
        • La désignation d’un séquestre est justifiée lorsque l’intérêt collectif des indivisaires ne peut être préservé autrement.
        • Le séquestre agit au nom de tous les indivisaires, indépendamment de leurs intérêts individuels divergents.
  • Personnes pouvant être désignées comme séquestre
    • Contrairement à l’administrateur provisoire, qui est souvent un indivisaire, le séquestre est généralement choisi parmi des tiers, en raison de la neutralité requise pour remplir cette fonction.
    • Il peut s’agir :
      • D’un notaire, souvent désigné pour gérer des fonds ou superviser des opérations complexes, telles que le partage successoral?;
      • D’un avocat ou d’un administrateur judiciaire, dans les cas nécessitant des compétences spécifiques?;
      • De toute personne qualifiée, dont l’impartialité et les compétences sont reconnues par le juge.
    • La doctrine admet cependant la possibilité de désigner un indivisaire comme séquestre, sous réserve que cette désignation ne soulève pas de conflits d’intérêts.
  • Pouvoirs du séquestre
    • Les pouvoirs du séquestre ne sont pas expressément définis par l’article 815-6 du Code civil. Ils sont donc librement fixés par le juge en fonction des besoins de l’indivision.
    • Ils peuvent comprendre :
      • La conservation et la gestion des fonds indivis, comme leur placement en attente d’un partage?;
      • La perception des revenus générés par les biens, tels que les loyers?;
      • L’exécution d’actes urgents nécessaires à la préservation des biens ou de leur valeur.
    • Le séquestre doit rendre compte de sa gestion aux indivisaires et au juge, selon les modalités définies par ce dernier.

==>Cessation de la mission

La mission du séquestre prend fin :

  • De plein droit : à l’échéance fixée par le juge lors de sa désignation?;
  • Par décision judiciaire : le juge peut révoquer le séquestre en cas de faute ou lorsque la mission devient inutile?;

À l’issue de l’objectif fixé?: Lorsque les biens ou fonds placés sous séquestre peuvent être répartis ou gérés directement par les indivisaires.

Gestion de l’indivision: la délivrance d’une autorisation judiciaire à vendre un bien indivis

La loi prévoit que le juge peut intervenir, par la délivrance d’habilitations ou d’autorisations, dans trois situations bien distinctes, chacune répondant à des nécessités spécifiques et visant à garantir la sauvegarde des intérêts indivis.

D’une part, il peut habiliter un indivisaire à représenter un coindivisaire lorsqu’il est hors d’état de manifester sa volonté, qu’il s’agisse d’une incapacité juridique, physique ou d’une absence matérielle, entravant ainsi la prise de décisions collectives.

D’autre part, le juge peut autoriser un indivisaire à accomplir seul un acte nécessitant, en principe, l’unanimité, lorsque le refus d’un ou plusieurs coindivisaires met en péril l’intérêt commun, et compromet ainsi la gestion harmonieuse de l’indivision.

Enfin, il peut autoriser la vente d’un bien indivis, sous réserve que les conditions légales soient réunies, notamment lorsque cette cession apparaît nécessaire à la valorisation ou à la préservation du patrimoine commun.

Ces mécanismes, loin d’être anodins, permettent de surmonter les blocages potentiels et de préserver l’intégrité des biens et des droits en indivision.

Nous nous focaliserons ici sur la délivrance d’une autorisation judiciaire à vendre un bien indivis.

L’article 815-5-1 établit une faculté nouvelle pour les indivisaires détenant au moins deux tiers des droits indivis.

Ces derniers peuvent, en cas de blocage, solliciter une autorisation judiciaire pour aliéner un bien indivis, sans qu’il soit nécessaire de démontrer un péril menaçant l’intérêt commun, comme l’exige l’article 815-5.

L’objectif affiché de cette disposition est double : lever les blocages tout en respectant les droits des indivisaires minoritaires par l’intermédiaire d’un contrôle judiciaire rigoureux.

Ainsi, l’intervention du tribunal judiciaire n’a pas pour vocation de préserver l’intégrité du bien indivis dans l’intérêt de tous, mais de donner effet à la volonté de la majorité qualifiée, en permettant une gestion plus souple et rationnelle des situations conflictuelles.

1. Les conditions d’application

==>Conditions négatives

L’autorisation judiciaire prévue à l’article 815-5-1 du Code civil est strictement encadrée par deux conditions négatives, qui visent à protéger des situations spécifiques où les droits ou intérêts de certains indivisaires pourraient être compromis.

Ces restrictions traduisent une volonté d’équilibre entre l’efficacité de la gestion des biens indivis et la sauvegarde des droits des parties les plus vulnérables.

  • L’exclusion en cas de démembrement de propriété
    • Le texte exclut toute application de l’article 815-5-1 lorsqu’un bien indivis est grevé d’un démembrement de propriété, tel que l’usufruit ou la nue-propriété.
    • Cette interdiction repose sur une préoccupation fondamentale : préserver les droits de l’usufruitier, dont la jouissance effective du bien pourrait être mise en péril par une vente imposée.
    • En effet, dans le cadre d’un démembrement, la propriété se scinde en droits distincts et complémentaires — l’usufruit et la nue-propriété —, dont les titulaires ne partagent pas les mêmes intérêts ni obligations.
    • L’aliénation forcée de la pleine propriété, bien qu’initiée par les nus-propriétaires majoritaires, risquerait d’emporter des conséquences disproportionnées pour l’usufruitier.
    • Celui-ci, souvent désigné en raison de sa situation personnelle (par exemple, un conjoint survivant jouissant du logement familial), se verrait contraint de renoncer à un droit essentiel, sa jouissance, sans possibilité de s’y opposer pleinement.
    • Ainsi, cette restriction constitue un garde-fou pour éviter que les équilibres inhérents au démembrement ne soient rompus au détriment des parties les plus exposées.
  • L’exclusion en présence d’un indivisaire protégé ou éloigné
    • La seconde limitation, tout aussi significative, interdit le recours à l’article 815-5-1 lorsque l’un des indivisaires se trouve dans l’une des situations énoncées à l’article 836 du Code civil :
      • Présomption d’absence,
      • Impossibilité de manifester sa volonté en raison d’un éloignement,
      • Placement sous un régime de protection juridique.
    • Cette disposition vise à garantir que les indivisaires les plus vulnérables, incapables d’exprimer leur consentement ou de défendre leurs intérêts, ne soient pas lésés par une décision prise en leur absence.
    • Le législateur a ainsi voulu prévenir le risque d’abus ou d’iniquité, notamment dans des contextes où les autres indivisaires pourraient exploiter une telle situation pour imposer une aliénation.
    • Cependant, cette condition négative, si elle protège les droits des indivisaires concernés, peut également engendrer des blocages prolongés.
    • Par exemple, la vente d’un bien indivis pourrait être retardée pendant plusieurs années en cas de présomption d’absence, au détriment de l’intérêt collectif.
    • De même, un indivisaire sous protection juridique pourrait, malgré la présence d’un curateur ou d’un tuteur, faire obstacle à une aliénation pourtant bénéfique à tous.

==>Conditions positives

Pour que l’autorisation judiciaire prévue à l’article 815-5-1 du Code civil puisse être délivrée, deux conditions positives doivent être simultanément réunies. Ces critères, à la fois pragmatiques et protecteurs, visent à concilier la volonté des indivisaires majoritaires avec le respect des droits des minoritaires.

  • Majorité des deux tiers des droits indivis : la prééminence de la majorité économique
    • La première condition impose que la demande d’autorisation émane d’un ou plusieurs indivisaires détenant au moins deux tiers des droits indivis.
    • Ce seuil, établi sur la proportion des droits et non sur le nombre d’indivisaires, consacre la prédominance de la majorité économique.
    • Ainsi, un indivisaire unique possédant plus des deux tiers des droits peut, à lui seul, initier la procédure, même si les autres indivisaires sont numériquement supérieurs.
    • Cette règle, inspirée des mécanismes propres aux entités dotées de personnalité morale, introduit une forme de gouvernance majoritaire dans le cadre de l’indivision.
    • Elle vise à limiter les blocages, en permettant aux indivisaires majoritaires de surmonter l’opposition d’une minorité.
    • Toutefois, cette prééminence de la majorité économique interroge sur son adéquation avec les principes fondamentaux du droit de propriété.
    • En effet, l’article 815-5-1 confère aux indivisaires majoritaires le pouvoir d’imposer une aliénation, potentiellement contraire à la volonté des minoritaires, ce qui peut apparaître comme une forme d’expropriation privée.
    • Si cette disposition a été jugée conforme aux exigences constitutionnelles, elle n’en demeure pas moins sujette à débat, notamment en ce qu’elle remet en question l’unanimité comme garantie traditionnelle des droits de chacun.
  • Absence d’atteinte excessive aux droits des indivisaires minoritaires : une protection nuancée
    • La seconde condition impose que l’aliénation envisagée ne porte pas une atteinte excessive aux droits des indivisaires minoritaires.
    • Ce critère, d’apparence simple, recèle une complexité d’interprétation qui en limite la portée pratique.
      • Une approche subjective : le préjudice moral ou affectif
        • Une lecture subjective de l’atteinte excessive pourrait conduire le juge à examiner l’impact moral ou affectif de l’aliénation sur les indivisaires minoritaires.
        • Cette approche pourrait, par exemple, tenir compte de l’attachement personnel à un bien familial ou des conséquences psychologiques d’une vente forcée.
        • Toutefois, une telle interprétation risque de priver d’effectivité le mécanisme de l’article 815-5-1, dans la mesure où toute opposition des minoritaires repose, par hypothèse, sur des raisons personnelles.
      • Une approche objective : le respect des garanties procédurales
        • À l’inverse, une lecture objective de la notion d’atteinte excessive pourrait limiter l’examen du juge aux seules garanties procédurales, telles que la régularité de la procédure ou l’équité dans la répartition des fruits de la vente.
        • Si cette approche permet de préserver l’efficacité du dispositif, elle réduit toutefois considérablement la protection offerte aux indivisaires minoritaires, en négligeant les dimensions émotionnelles et sociales de leur opposition.
    • En définitive, le juge doit trouver un équilibre délicat entre ces deux approches, afin de garantir une application à la fois efficace et équitable de l’article 815-5-1.
    • Ce critère, bien que fondamental pour préserver les droits des minoritaires, reflète les tensions inhérentes à toute tentative de concilier les intérêts divergents au sein d’une indivision.

2. La procédure d’autorisation

L’article 815-5-1 du Code civil, issu de la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009, instaure une procédure dérogatoire à la règle de l’unanimité en matière d’indivision.

Ce texte permet à un ou plusieurs indivisaires titulaires d’au moins deux tiers des droits indivis de demander l’autorisation judiciaire de vendre un bien indivis, même en cas d’opposition des indivisaires minoritaires.

Cette procédure se déploie en deux phases distinctes, chacune encadrée par des règles spécifiques.

==>La phase devant notaire

La procédure débute obligatoirement devant notaire, dont le rôle est central dans la mise en œuvre du mécanisme d’aliénation.

  • Déclaration d’intention d’aliéner par les indivisaires majoritaires
    • Selon l’alinéa 2 de l’article 815-5-1, les indivisaires majoritaires doivent exprimer devant notaire leur intention de procéder à l’aliénation du bien indivis.
    • Cette déclaration, formalisée dans un acte notarié, constitue le point de départ de la procédure et marque la volonté des majoritaires de passer outre l’opposition des minoritaires.
  • Notification aux indivisaires minoritaires
    • L’alinéa 3 de l’article 815-5-1 impose au notaire de notifier cette déclaration aux indivisaires minoritaires dans un délai d’un mois.
    • La notification, effectuée par ministère d’huissier, informe les minoritaires de l’intention d’aliéner et leur ouvre un délai pour réagir.
  • Réponse des indivisaires minoritaires
    • À compter de la notification, les indivisaires minoritaires disposent d’un délai de trois mois pour manifester leur opposition ou donner leur consentement à l’aliénation, conformément à l’alinéa 4 de l’article 815-5-1. Le silence des minoritaires vaut opposition implicite, renforçant ainsi leur droit de ne pas se prononcer activement.
  • Procès-verbal de difficultés
    • Si une opposition est exprimée ou si les indivisaires minoritaires demeurent silencieux, le notaire dresse un procès-verbal de difficultés.
    • Ce document consigne les désaccords ou l’absence de réponse, formalisant ainsi l’échec de la phase notariale.
    • Ce procès-verbal est indispensable pour initier la phase judiciaire.

==>La phase devant le juge

Lorsque l’opposition persiste, la procédure se poursuit devant le tribunal judiciaire, conformément à l’alinéa 5 de l’article 815-5-1.

  • Saisine du tribunal
    • Les indivisaires majoritaires, disposant du procès-verbal de difficultés, saisissent le tribunal judiciaire pour obtenir une autorisation d’aliéner le bien indivis.
    • Cette saisine déclenche l’examen juridictionnel des conditions posées par la loi.
  • Examen des conditions par le juge
    • Aux termes de l’alinéa 5 de l’article 815-5-1, le tribunal doit s’assurer que :
      • Les demandeurs détiennent au moins deux tiers des droits indivis.
      • L’aliénation ne porte pas une atteinte excessive aux droits des indivisaires minoritaires.
    • Le tribunal peut également tenir compte des circonstances particulières de l’affaire, telles que les motifs d’opposition des minoritaires ou l’intérêt collectif à l’aliénation.
  • Autorisation et licitation
    • Si les conditions légales sont remplies, le tribunal autorise la vente, qui doit s’effectuer par voie de licitation, conformément à l’alinéa 6 de l’article 815-5-1.
    • Ce mode de vente garantit la transparence et l’égalité de traitement entre les indivisaires, en attribuant le bien au plus offrant lors d’une vente aux enchères.
  • Opposabilité de la décision
    • Une fois l’autorisation délivrée, l’aliénation devient opposable à tous les indivisaires, y compris à ceux ayant exprimé leur opposition.
    • L’alinéa 7 de l’article 815-5-1 précise que cette opposabilité s’étend également aux indivisaires qui n’auraient pas été formellement notifiés, sous réserve du respect des conditions procédurales.

3. Les effets de l’autorisation judiciaire

==>À l’égard des indivisaires

L’autorisation délivrée par le tribunal s’impose à tous les indivisaires, qu’ils aient donné leur consentement ou exprimé leur opposition à la vente. En vertu de l’alinéa 7 de l’article 815-5-1, cette décision rend l’aliénation opposable à chacun d’eux, ce qui signifie que le transfert de propriété s’opère comme si tous avaient consenti à l’acte.

Cependant, cette opposabilité ne crée pas d’obligation personnelle pour les indivisaires minoritaires.

En d’autres termes, ces derniers ne sont pas considérés comme parties à l’acte de vente et ne peuvent être tenus responsables, par exemple, des garanties attachées à la chose vendue (telle que la garantie des vices cachés).

Ils demeurent juridiquement tiers à l’acte, même s’ils doivent en supporter les conséquences pratiques, notamment la perte de leurs droits sur le bien vendu.

==>À l’égard des tiers

Pour les tiers acquéreurs, l’autorisation judiciaire constitue une garantie essentielle de sécurité juridique.

Elle certifie que la vente est opposable à tous les indivisaires, qu’ils aient consenti ou non à l’aliénation. Cette opposabilité protège les tiers contre toute contestation ultérieure pouvant émaner des indivisaires minoritaires.

En pratique, cela signifie que le tiers acquéreur peut être certain de la validité de son titre de propriété et de l’impossibilité pour les indivisaires minoritaires de remettre en cause la vente.

Cette sécurité renforce l’attractivité économique du bien, en favorisant des ventes rapides et à des conditions avantageuses, tout en évitant les litiges postérieurs à l’aliénation.

==>Sur le produit de la vente

L’autorisation judiciaire ne met pas un terme à l’indivision, mais transforme le bien vendu en une somme d’argent répartie entre les indivisaires selon leurs droits respectifs, conformément à l’alinéa 6 de l’article 815-5-1.

Ce mécanisme de subrogation permet de maintenir l’équilibre des droits de chaque indivisaire, tout en facilitant la gestion du produit de la vente.

  • Répartition entre les indivisaires
    • Le prix obtenu est réparti proportionnellement aux droits indivis de chacun.
    • Cette répartition reflète les parts initiales détenues dans l’indivision et garantit une juste compensation pour chaque indivisaire, qu’il ait consenti ou non à la vente.
  • Interdiction du remploi pour une nouvelle indivision
    • Afin d’éviter la reconstitution des blocages qui avaient motivé l’aliénation, l’article 815-5-1 prohibe le remploi des fonds pour l’acquisition d’un nouveau bien indivis.
    • Cette interdiction vise à encourager les indivisaires à sortir définitivement de l’indivision et à privilégier des solutions individuelles.
  • Paiement des dettes et charges
    • Une exception à l’interdiction de remploi est toutefois prévue pour le règlement des dettes et charges liées à l’indivision.
    • Cette obligation qui pèse sur les indivisaires permet de solder les dettes communes avant la distribution du reliquat entre les indivisaires, renforçant ainsi la sécurité juridique et financière de l’opération.

Gestion de l’indivision: la délivrance d’une autorisation judiciaire à accomplir un acte en cas de refus d’un indivisaire mettant en péril l’intérêt commun

La loi prévoit que le juge peut intervenir, par la délivrance d’habilitations ou d’autorisations, dans trois situations bien distinctes, chacune répondant à des nécessités spécifiques et visant à garantir la sauvegarde des intérêts indivis.

D’une part, il peut habiliter un indivisaire à représenter un coindivisaire lorsqu’il est hors d’état de manifester sa volonté, qu’il s’agisse d’une incapacité juridique, physique ou d’une absence matérielle, entravant ainsi la prise de décisions collectives.

D’autre part, le juge peut autoriser un indivisaire à accomplir seul un acte nécessitant, en principe, l’unanimité, lorsque le refus d’un ou plusieurs coindivisaires met en péril l’intérêt commun, et compromet ainsi la gestion harmonieuse de l’indivision.

Enfin, il peut autoriser la vente d’un bien indivis, sous réserve que les conditions légales soient réunies, notamment lorsque cette cession apparaît nécessaire à la valorisation ou à la préservation du patrimoine commun.

Ces mécanismes, loin d’être anodins, permettent de surmonter les blocages potentiels et de préserver l’intégrité des biens et des droits en indivision.

Nous nous focaliserons ici sur la délivrance d’une autorisation judiciaire à accomplir un acte en cas de refus d’un indivisaire mettant en péril l’intérêt commun.

1. Indivision en pleine propriété

a. Principe

L’article 815-5, alinéa 1er, du Code civil prévoit que « un indivisaire peut être autorisé par justice à passer seul un acte pour lequel le consentement d’un coïndivisaire serait nécessaire, si le refus de celui-ci met en péril l’intérêt commun ».

Le mécanisme d’autorisation judiciaire institué par cette disposition vise à résoudre les situations de blocage dans l’indivision, lorsque l’unanimité requise par l’article 815-3, alinéa 1er, du Code civil pour certains actes ne peut être obtenue en raison de l’opposition d’un ou plusieurs indivisaires.

Contrairement à l’habilitation judiciaire prévue par l’article 815-4, qui intervient pour suppléer l’absence ou l’incapacité d’un indivisaire, l’article 815-5 repose sur une logique différente.

Ici, il ne s’agit pas de représenter l’indivisaire opposant en agissant en son nom, mais de passer outre son refus au moyen d’une autorisation judiciaire.

L’objectif est de trancher un conflit né de divergences entre les indivisaires, en permettant la réalisation d’un acte nécessaire à la préservation ou à la valorisation du patrimoine indivis.

La spécificité de l’article 815-5 réside donc dans sa finalité?: il ne confère pas un mandat permettant à un indivisaire d’agir pour le compte d’un autre, mais autorise un indivisaire à agir malgré le refus d’un coïndivisaire.

Aussi, il ne s’agit pas ici de combler une incapacité mais à prévenir les effets d’un veto susceptible de compromettre l’intérêt commun.

A l’analyse, le dispositif institué à l’article 815-5 du Code civil est directement inspiré de celui prévu à l’article 217, lequel permet à un époux d’être autorisé par le juge à accomplir seul un acte lorsque le refus de son conjoint met en péril l’intérêt familial.

Si les deux dispositifs partagent une structure commune, leurs finalités diffèrent : l’article 217 vise la protection de la cellule familiale, tandis que l’article 815-5 cible la préservation du patrimoine indivis et l’équilibre des droits des indivisaires.

En tout état de cause, pour délivrer une autorisation judiciaire une analyse approfondie des intérêts en présence devra être conduite par le juge.

Celui-ci, en tant qu’arbitre, n’intervient que lorsque le refus d’un indivisaire met en péril l’intérêt commun.

Cette mise en péril, qui constitue une condition essentielle, est appréciée au cas par cas, en fonction des circonstances. L’objectif est de prévenir les conséquences dommageables pour le patrimoine indivis tout en respectant, autant que possible, les droits du coïndivisaire opposant.

b. Conditions

==>Refus d’un ou plusieurs indivisaires

L’application de l’article 815-5 du Code civil s’étend aux actes qui, en vertu des règles de l’indivision, nécessitent soit l’unanimité des indivisaires, soit une majorité qualifiée des deux tiers des droits indivis.

Ces situations reflètent les différentes modalités de prise de décision au sein de l’indivision.

  • Actes concernés
    • Actes nécessitant l’unanimité des indivisaires
      • L’unanimité est exigée pour les actes qui excèdent l’exploitation normale des biens indivis ou pour les actes de disposition ne relevant pas des exceptions prévues à l’article 815-3 du Code civil.
      • Parmi ces actes, on peut citer?:
        • La vente d’un bien indivis?;
        • L’hypothèque d’un bien indivis?;
        • Toute opération entraînant une modification substantielle de la nature ou de la destination des biens indivis.
      • Ces actes, de par leur impact significatif sur le patrimoine indivis, requièrent l’accord de l’ensemble des indivisaires pour être valablement exécutés.
    • Actes soumis à la majorité qualifiée des deux tiers
      • Dans certains cas, l’article 815-3 du Code civil permet une prise de décision à la majorité des deux tiers des droits indivis, notamment pour des actes essentiels à la bonne gestion ou à la valorisation du patrimoine commun.
      • Il s’agit notamment?:
        • De l’aliénation d’un bien indivis, justifiée par des motifs économiques ou patrimoniaux?;
        • De la réalisation d’opérations visant à préserver ou accroître la valeur globale des biens indivis.
      • Lorsque cette majorité des deux tiers ne peut être atteinte en raison de l’opposition d’un ou plusieurs indivisaires, le recours à l’article 815-5 permet de surmonter ce blocage en sollicitant l’intervention judiciaire.
      • Le juge, en se substituant au consentement des indivisaires opposants, autorise l’accomplissement de l’acte lorsqu’il est établi que le refus met en péril l’intérêt commun.
    • Cas particulier des actes conservatoires
      • Pour mémoire, les actes conservatoires, par leur nature même, visent à préserver l’intégrité ou la valeur des biens indivis.
      • Conformément à l’article 815-2 du Code civil, tout indivisaire est habilité à les accomplir unilatéralement, sans nécessiter l’accord des autres.
      • Ces actes, qui répondent à une urgence ou à une nécessité immédiate, échappent donc, en principe, au champ d’application de l’article 815-5.
      • Cependant, des situations ambiguës peuvent survenir lorsque le caractère conservatoire d’une mesure est sujet à interprétation.
      • Cette incertitude peut découler de la nature de l’acte envisagé ou des conséquences potentielles sur le patrimoine indivis.
      • Dans ces cas, l’indivisaire initiateur de l’acte peut légitimement craindre une contestation ultérieure de la mesure par les coïndivisaires.
      • Une telle contestation pourrait conduire à l’invalidation de l’acte et engager la responsabilité de l’indivisaire ayant agi unilatéralement.
      • Aussi, afin de prévenir tout litige, l’indivisaire prudent peut choisir de solliciter au préalable l’accord des coïndivisaires sur l’acte envisagé.
      • Cet accord formel sécurise l’acte en le plaçant sous le sceau du consentement unanime ou, à défaut, de la majorité qualifiée prévue par l’article 815-3 du Code civil.
      • Toutefois, si les coïndivisaires opposent un refus explicite ou demeurent silencieux malgré une sollicitation formelle, la situation peut alors être qualifiée de blocage.
      • Dans ce contexte, l’article 815-5 peut être invoqué pour lever l’opposition.
      • L’indivisaire initiateur pourra saisir le tribunal judiciaire afin d’obtenir une autorisation judiciaire de passer l’acte.
      • La démarche est justifiée par la nécessité de protéger l’intérêt commun des indivisaires, souvent menacé par une abstention ou une opposition injustifiée.
  • Refus explicite ou implicite
    • L’article 815-5 du Code civil mentionne la possibilité pour un indivisaire de saisir le juge en cas de refus d’un coïndivisaire de donner son consentement à un acte nécessaire, sans préciser si ce refus doit être explicite ou implicite.
    • Cette absence de précision textuelle ouvre la voie à une interprétation large, permettant de considérer tant les refus exprimés clairement que ceux déduits du comportement de l’indivisaire.
    • En effet, ce qui importe au regard de l’article 815-5, c’est d’établir de manière probante qu’un blocage existe, peu importe sa forme.
      • Le refus explicite : une opposition clairement manifestée
        • Le refus explicite est celui qui se manifeste de manière claire et indiscutable.
        • Il peut prendre diverses formes :
          • Déclarations écrites : une lettre, un e-mail ou tout autre support écrit où l’indivisaire indique de manière formelle son opposition à l’acte projeté.
          • Sommation interpellative : une opposition officialisée par un commissaire de justice, qui notifie à l’indivisaire la nécessité de se prononcer et consigne sa réponse ou son refus explicite.
          • Déclaration notariée : le désaccord peut être consigné dans un acte notarié, renforçant ainsi sa valeur probante.
        • Ces formes explicites de refus présentent l’avantage de lever toute ambiguïté sur la position de l’indivisaire.
        • Elles permettent au demandeur de se fonder sur des preuves matérielles et incontestables pour justifier la saisine du juge en vue de lever le blocage.
      • Le refus implicite : l’opposition déduite du comportement
        • Le refus implicite, en revanche, est déduit du comportement de l’indivisaire, notamment lorsque ce dernier observe un silence prolongé ou adopte une attitude passive face à une sollicitation formelle.
        • Toutefois, ce silence ne peut être interprété comme un refus qu’à certaines conditions :
          • Tout d’abord, l’indivisaire doit avoir été dûment informé de la nécessité de se prononcer sur l’acte envisagé. Cette information doit être claire et compréhensible, indiquant les enjeux de l’acte.
          • Ensuite, l’indivisaire doit avoir eu un délai raisonnable pour se prononcer. Un silence dû à des circonstances extérieures, telles qu’une absence prolongée non imputable à l’indivisaire, ne saurait être considéré comme un refus.
          • Enfin, en cas de silence, il appartient au juge d’apprécier souverainement si ce silence équivaut à un refus. Cette évaluation tiendra compte des circonstances particulières, telles que la nature de l’acte, l’importance des délais ou l’existence de précédents laissant supposer une opposition.
    • L’absence précision à l’article 815-5 quant à la forme du refus requis, implique que le refus implicite est admis au même titre que le refus explicite.
    • La condition essentielle demeure la capacité à prouver l’existence d’un blocage.
    • Ainsi, le demandeur devra démontrer que l’opposition de l’indivisaire, qu’elle soit exprimée directement ou inférée de son comportement, est à l’origine de l’impossibilité de réaliser l’acte.
  • Refus collectif ou individuel
    • L’article 815-5 du Code civil mentionne le refus d’un «?coindivisaire?» comme condition permettant de solliciter une autorisation judiciaire.
    • Cependant, cette formulation ne saurait être interprétée de manière restrictive.
    • Une lecture stricte réduirait considérablement l’efficacité de ce dispositif en excluant les situations où plusieurs indivisaires, par une opposition conjointe, font obstacle à un acte nécessaire à la préservation de l’intérêt commun.
    • Bien que le texte mentionne expressément un «?coindivisaire?», la doctrine et la jurisprudence reconnaissent que cette disposition doit s’appliquer également en cas de refus collectif.
    • En effet :
      • D’une part, l’objectif de l’article 815-5 est de lever les blocages en indivision?: il serait contraire à cet esprit de limiter son application aux cas d’opposition isolée.
      • D’autre part, certaines indivisions impliquent plusieurs indivisaires, et les désaccords peuvent résulter de coalitions formées par une partie des indivisaires contre d’autres. Refuser l’application de l’article 815-5 dans de telles situations reviendrait à pérenniser ces blocages.
    • Par conséquent, l’opposition d’un ou de plusieurs indivisaires peut être prise en compte pour justifier une intervention judiciaire.
    • A cet égard, lorsque plusieurs indivisaires s’unissent pour refuser un acte, leur opposition peut s’appuyer sur des motifs variés, parfois légitimes, mais souvent stratégiques.
    • Le juge, saisi sur le fondement de l’article 815-5, devra donc apprécier la situation avec soin pour déterminer :
    • Si le refus collectif met réellement en péril l’intérêt commun?: le juge évaluera si cette opposition compromet la gestion efficace du patrimoine indivis ou empêche un acte nécessaire.
    • Si l’opposition reflète un abus de droit?: par exemple, des indivisaires minoritaires pourraient tenter d’exercer un droit de veto abusif en bloquant des décisions favorables à l’intérêt collectif.
  • Preuve du refus
    • Parce que l’on est en présence d’un fait juridique, la preuve du refus peut être rapportée par tout moyen, notamment :
      • Correspondance : lettres recommandées, e-mails ou toute communication écrite attestant du refus.
      • Sommations : actes notifiés par un commissaire de justice pour solliciter explicitement le consentement de l’indivisaire récalcitrant.
      • Actes notariés : procès-verbaux établis par un notaire consignant l’opposition exprimée par un indivisaire lors d’une tentative de signature d’un acte.
  • Situation de blocage et intervention judiciaire
    • Le refus d’un indivisaire, qu’il s’exprime de manière explicite ou implicite, peut engendrer une situation de blocage au sein de l’indivision.
    • Ce blocage, en paralysant la gestion des biens indivis, est susceptible de mettre en péril l’intérêt commun des indivisaires.
    • L’intervention judiciaire devient alors nécessaire, conformément aux dispositions de l’article 815-5 du Code civil, pour permettre la réalisation d’un acte dont l’opposition compromet la préservation ou la valorisation du patrimoine indivis.

==>Mise en péril de l’intérêt commun

L’article 815-5, alinéa 1er, du Code civil subordonne la délivrance d’une autorisation judiciaire à la démonstration que le refus d’un ou plusieurs indivisaires met en péril l’intérêt commun.

Cette condition essentielle appelle une réflexion approfondie, car elle impose de cerner avec précision deux notions fondamentales : d’une part, celle de « mise en péril », qui implique l’identification d’un risque concret et sérieux pour le patrimoine indivis, et, d’autre part, celle d’« intérêt commun », qui exige une approche distincte des intérêts individuels des indivisaires et de l’intérêt général.

  • La notion de mise en péril
    • La mise en péril, condition sine qua non de l’application de l’article 815-5, alinéa 1er, du Code civil, s’entend d’une menace sérieuse et concrète pesant sur l’intérêt commun des indivisaires.
    • Elle implique l’existence d’un risque tangible pour le patrimoine indivis, qui ne peut être évité qu’en passant outre le refus d’un ou plusieurs coïndivisaires.
    • Cette notion dépasse le simple désaccord entre indivisaires et requiert que le refus opposé ait des conséquences susceptibles de compromettre l’intégrité ou la valorisation du bien indivis.
    • Selon le professeur Jean Patarin, la mise en péril renvoie à une « atteinte significative à l’intérêt commun, résultant de circonstances dans lesquelles le maintien du statu quo ou le refus de l’acte envisagé crée une menace grave pour la conservation ou la valorisation du patrimoine indivis ».
    • De son côté, Philippe Simler précise que le péril doit être « certain et sérieux », excluant les risques hypothétiques ou purement éventuels.
    • La jurisprudence s’accorde ainsi pour reconnaître que la mise en péril ne se limite pas à des situations d’urgence (Cass. 1ère civ. 12 juill. 2001, n°99-14.202), mais suppose une évaluation objective des conséquences potentielles du refus sur l’indivision.
    • Pour exemple, dans un arrêt du 14 février 1984, la Cour de cassation a estimé que le refus d’un indivisaire de vendre un bien indivis pour payer les droits de succession constituait une mise en péril de l’intérêt commun, dès lors que cette situation exposait les indivisaires à des pénalités financières importantes (Cass. 1ère civ., 14 févr. 1984, n°82-16.526).
    • Dans cette affaire, le péril résultait directement de l’impossibilité de satisfaire aux obligations fiscales, ce qui menaçait la pérennité du patrimoine indivis.
    • De même, dans un arrêt du 3 mars 1992, la Cour de cassation a jugé que le refus de céder un bail rural à un enfant commun, dans une indivision post-communautaire, constituait une mise en péril de l’intérêt commun.
    • En l’espèce, le refus privait l’indivision d’une opportunité essentielle de valoriser le bien et de préserver sa viabilité économique (Cass. 1ère civ., 3 mars 1992, n° 90-16.420).
    • A l’analyse, plusieurs critères doivent être réunies pour que la mise en péril soit caractérisée :
      • Un risque sérieux et concret : la mise en péril ne peut se fonder sur une menace hypothétique ou abstraite. Elle doit reposer sur des éléments factuels démontrant un danger imminent ou inévitable pour le patrimoine indivis.
      • Une nécessité contraignante : la jurisprudence exclut les actes purement opportunistes ou simplement avantageux. Il a ainsi été jugé que le refus de modifier un placement financier, bien qu’il puisse être bénéfique, ne constitue pas une mise en péril dès lors que le statu quo n’entraîne pas une dévalorisation grave du capital (CA Amiens, 7 janv. 1997).
  • La notion d’intérêt commun
    • La doctrine s’est longuement penchée sur cette notion, qui ne se confond pas avec une simple somme des intérêts individuels des indivisaires. Jean Patarin la définit comme « l’ensemble des intérêts inhérents à l’indivision et aux biens qui la composent, pris dans une perspective patrimoniale unifiée ».
    • De son côté, Philippe Simler souligne que l’intérêt commun reflète « l’équilibre nécessaire entre la préservation du bien indivis et les droits patrimoniaux des indivisaires, en évitant toute subjectivisation excessive ».
    • Ainsi, l’intérêt commun vise à concilier les aspirations des indivisaires tout en assurant une gestion saine et équitable du patrimoine indivis.
    • Il s’inscrit dans une perspective patrimoniale, orientée vers la conservation et la valorisation des biens indivis pour le bénéfice de l’ensemble des indivisaires.
    • La jurisprudence a clarifié les contours de cette notion en insistant sur sa dimension patrimoniale et objective.
    • Dans un arrêt du 6 novembre 1990, la Cour de cassation a ainsi affirmé en substance que l’intérêt commun correspond à l’intérêt patrimonial de l’indivision, pris globalement et non à travers les seuls intérêts individuels des indivisaires (Cass. 1re civ., 6 nov. 1990, n°89-13.220).
    • Cette décision illustre que l’intérêt commun ne peut être réduit aux préférences personnelles des indivisaires, mais doit refléter la gestion optimale du patrimoine indivis.
    • À l’inverse, la jurisprudence exclut l’application de l’article 815-5 lorsqu’un refus, bien que désavantageux, ne compromet pas gravement l’intérêt commun.
    • Par exemple, un refus de modifier un placement financier, bien que jugé opportun par certains indivisaires, n’a pas été considéré comme contraire à l’intérêt commun en l’absence de preuve d’un risque concret de dévalorisation (CA Amiens, 7 janv. 1997).
    • Aussi, l’intérêt commun repose sur des critères objectifs, notamment la conservation, la valorisation et l’intégrité du patrimoine indivis.
    • Il ne s’agit pas d’un intérêt collectif abstrait, mais d’un standard permettant d’assurer une gestion conforme à la nature et à la vocation des biens indivis.
    • A cet égard, les juges doivent s’assurer que l’acte envisagé respecte un équilibre entre les droits des indivisaires et ne privilégie pas indûment l’un d’entre eux au détriment des autres.
    • La Cour de cassation a, par exemple, rappelé en ce sens que l’intérêt commun ne saurait justifier un acte contraire à l’intérêt légitime d’un indivisaire particulier (Cass. 1ère civ., 15 févr. 2012, n°10-21.457).
    • Par ailleurs, l’intérêt commun implique une prise en compte des perspectives futures, notamment en termes de valorisation du patrimoine.
    • Une vente ou une cession envisagée doit être jugée conforme à cet objectif, sous peine de rejet par les juridictions compétentes.
    • En revanche, l’intérêt commun ne saurait être invoqué pour justifier des actes opportunistes ou simplement avantageux.
    • Par exemple, un refus de réaliser des travaux d’amélioration non indispensables sur un bien indivis ne met pas en péril l’intérêt commun s’il n’est pas prouvé que ces travaux sont nécessaires pour préserver l’intégrité du bien (CA Montpellier, 4 mars 1986).

==>Appréciation du juge

Dans le cadre de l’article 815-5 du Code civil, le rôle du juge ne se limite pas à une constatation formelle de la mise en péril de l’intérêt commun. Il s’étend également à une évaluation minutieuse de la nécessité et de la proportionnalité de l’acte envisagé, afin de garantir un équilibre entre les droits des indivisaires et la préservation du patrimoine indivis.

Aussi, le juge doit-il s’assurer que l’autorisation demandée répond aux exigences posées par l’article 815-5, al. 1er du Code civil.

Cela implique deux appréciations distinctes mais complémentaires :

  • Constatation de la mise en péril de l’intérêt commun : il incombe au demandeur de démontrer que le refus opposé par un ou plusieurs indivisaires entraîne un risque concret et sérieux pour le patrimoine indivis. Ce risque peut prendre diverses formes, telles qu’une dévalorisation du bien, l’impossibilité de répondre à une obligation financière ou encore la perte d’une opportunité exceptionnelle.
  • Proportionnalité de l’autorisation demandée : le juge doit évaluer si l’acte envisagé est strictement nécessaire pour remédier au risque identifié, sans porter une atteinte excessive aux droits des indivisaires opposants. Cette évaluation repose sur un principe de balance des intérêts, visant à préserver l’équilibre patrimonial de l’indivision tout en respectant les droits individuels de chaque indivisaire.

La jurisprudence a rappelé à plusieurs reprises que l’autorisation judiciaire ne peut être accordée que dans les limites prévues par le législateur.

En ce sens, la Cour de cassation a censuré une décision d’appel qui avait conditionné l’application de l’article 815-5 à une exigence d’urgence non mentionnée dans le texte légal (Cass. 1re civ., 12 juill. 2001, n°99-14.202).

En outre, le juge doit se garder d’ajouter des critères non prévus par le texte, sous peine de voir sa décision annulée pour excès de pouvoir.

c. Procédure

==>Compétence

L’article 815-5 ne désigne pas expressément la juridiction compétente. Cependant, conformément aux principes généraux de répartition des compétences, la Cour de cassation a jugé que le tribunal judiciaire, en tant que juridiction de droit commun en matière civile, est seul compétent pour statuer sur les demandes formées sur le fondement de cet article (V. en ce sens Cass. 1re civ., 15 févr. 2012, n°10-21.457).

La Cour de cassation a précisé dans cette décision que dans l’hypothèse où le Président du tribunal judiciaire était saisi en référé, alors l’ordonnance rendue serait dépourvue de l’autorité de la chose jugée au fond.

==>Une procédure contradictoire

Contrairement à d’autres mécanismes d’intervention judiciaire en matière d’indivision, la procédure sur requête ou devant le juge des référés est expressément écartée.

La Cour de cassation a précisé que cette autorisation relève du droit commun et exige une procédure contradictoire permettant aux indivisaires opposants de faire valoir leurs arguments (Cass. 3e civ., 28 nov. 2012, n°11-19.585).

Le caractère contradictoire de la procédure garantit que toutes les parties concernées soient entendues.

L’indivisaire à l’initiative de la demande doit démontrer que le refus des coïndivisaires met en péril l’intérêt commun, tandis que les indivisaires opposants disposent d’un droit de réponse pour exposer leurs motifs.

==>Moment de la demande

La demande d’autorisation doit impérativement être introduite avant la réalisation de l’acte projeté.

En effet, l’article 815-5 ne prévoit pas de mécanisme de régularisation a posteriori, mais une procédure préventive destinée à pallier l’absence de consentement préalable.

La Cour de cassation a clairement affirmé cette exigence, rejetant les demandes d’autorisation visant à valider des actes déjà réalisés (Cass. 1re civ., 29 nov. 1988, n°86-14.496?).

d. Effets

L’autorisation judiciaire rend l’acte opposable à tous les indivisaires, y compris à ceux ayant refusé de consentir.

Conformément à l’article 815-5, alinéa 3, du Code civil, l’acte autorisé est considéré comme valablement réalisé, comme si tous les indivisaires avaient donné leur accord.

Bien qu’ils soient tenus de respecter les effets de l’acte autorisé, les indivisaires opposants ne sont pas personnellement engagés par celui-ci.

Par exemple, en cas de vente d’un bien indivis, ils ne pourront être tenus responsables des garanties légales à l’égard des tiers, comme la garantie des vices cachés.

Par ailleurs, l’acte autorisé met fin au droit des indivisaires opposants sur le bien cédé. Ainsi, un indivisaire ne peut plus revendiquer l’usage ou la jouissance du bien vendu.

Enfin, il a été décidé par la Cour de cassation dans un arrêt du 30 juin 1992 que le prix de cession remplace dans l’indivision le bien aliéné, sans que cela entraîne un partage (Cass. 1re civ., 30 juin 1992, n°90-19.052). Il en résulte que les règles encadrant le partage ne sont pas applicables.

2. Indivision en nue-propriété

Le démembrement de propriété, par sa nature, ne se confond pas avec l’indivision. Tandis que l’indivision implique une pluralité de titulaires partageant un même droit sur un bien (propriété indivise), le démembrement attribue des droits distincts à différentes parties : l’usufruitier détient un droit d’usage et de jouissance, tandis que le nu-propriétaire conserve la propriété dépouillée de son utilité économique.

Cette situation créée par le démembrement de la propriété rend problématique la possibilité, pour des nus-propriétaires indivis, d’imposer à un usufruitier unique ou indivis la vente forcée de la pleine propriété d’un bien grevé d’usufruit.

La question se pose alors : dans l’hypothèse d’un bien indivis grevé d’un usufruit, les nus-propriétaires peuvent-ils, par le jeu d’une autorisation judiciaire, forcer la vente de la pleine propriété contre la volonté de l’usufruitier??

Cette problématique a donné lieu à des évolutions législatives et jurisprudentielles notables que l’on peut retracer en plusieurs étapes.

a. Droit antérieur à 1976

Avant l’adoption de la loi du 31 décembre 1976, aucune disposition légale spécifique ne régissait la problématique du démembrement de propriété en cas d’indivision.

La résolution des conflits entre nus-propriétaires et usufruitiers relevait donc exclusivement de la jurisprudence, dont les solutions variaient selon que l’usufruit était indivis ou appartenait à un seul titulaire.

==>En présence d’un usufruit indivis

Lorsque l’usufruit était lui-même réparti entre plusieurs usufruitiers en indivision, la jurisprudence admettait la possibilité de procéder à la vente de la pleine propriété d’un bien grevé d’usufruit.

Cette solution reposait sur l’idée qu’une cession conjointe de l’usufruit et de la nue-propriété permettait de maximiser la valorisation économique du bien, au bénéfice de tous les titulaires de droits sur celui-ci.

Dans un arrêt de principe du 20 juillet 1932, la Cour de cassation a ainsi estimé que la vente de la pleine propriété était conforme à l’intérêt commun dès lors qu’elle permettait de dénouer des situations complexes (Cass. req., 20 juill. 1932).

Cette position, réaffirmée par la suite (Cass. civ., 20 juin 1954), traduisait une volonté de favoriser des solutions pragmatiques, notamment dans le cas de biens difficilement partageables ou de droits en concurrence susceptibles de paralyser leur utilisation ou leur cession.

==>En l’absence d’usufruit indivis

À l’inverse, lorsque l’usufruit appartenait à un seul titulaire, la jurisprudence adoptait une position protectrice, interdisant la vente forcée de la pleine propriété d’un bien grevé d’usufruit sans le consentement de l’usufruitier.

Cette règle trouvait son fondement dans la distinction des droits en présence : l’usufruitier unique n’étant pas en indivision avec les nus-propriétaires, il jouissait d’une protection renforcée contre toute atteinte à son droit d’usage et de jouissance.

Dans un ancien arrêt, la Cour de cassation avait ainsi établi que la licitation de la pleine propriété ne pouvait être ordonnée que si l’usufruitier unique y consentait (Cass. req., 27 juill. 1869).

Cette solution s’inscrivait dans une logique de préservation des droits de l’usufruitier, particulièrement lorsque celui-ci était un conjoint survivant bénéficiant d’un droit d’usufruit sur le logement familial (Cass. civ., 20 déc. 1889).

La jurisprudence visait ici à garantir la sécurité juridique et la stabilité patrimoniale des usufruitiers, tout en prenant en compte leur dépendance économique à l’égard du bien grevé d’usufruit, souvent essentiel à leur subsistance.

b. La réforme de 1976

La loi n° 76-1286 du 31 décembre 1976 a enrichi le cadre du démembrement de propriété en introduisant, au sein de l’article 815-5 du Code civil, la règle suivante :

« le juge ne peut toutefois, sinon aux fins de partage, autoriser la vente de la pleine propriété d’un bien grevé d’usufruit contre la volonté de l’usufruitier. »

Par cette intervention, le législateur entendait dissiper les incertitudes et harmoniser les divergences jurisprudentielles ayant marqué l’interprétation antérieure.

Cette règle, tout en consolidant les solutions dégagées par les tribunaux, venait préciser les contours de la licitation de la pleine propriété, réservant son autorisation à des hypothèses strictement définies.

Deux configurations distinctes étaient ainsi envisagées : celle d’un usufruitier unique, excluant toute licitation sans son consentement, et celle d’une indivision en usufruit, où la vente en pleine propriété pouvait être justifiée par l’intérêt commun poursuivi dans un cadre de partage.

==>Présence d’un usufruitier unique

Lorsque l’usufruit appartenait à un seul titulaire, la loi réaffirmait la solution jurisprudentielle antérieure : la vente forcée de la pleine propriété demeurait impossible sans le consentement de l’usufruitier unique.

Cette règle s’explique par la nature différente des droits entre usufruitier et nus-propriétaires, qui ne forment pas une indivision à proprement parler.

Le législateur entendait ainsi préserver les droits fondamentaux de l’usufruitier, particulièrement lorsqu’il s’agissait du conjoint survivant jouissant de son logement familial.

En consolidant la jurisprudence (V. notamment Cass. req., 27 juill. 1869 et Cass. civ., 20 déc. 1889), la loi garantissait la stabilité de la jouissance du bien grevé d’usufruit, évitant que celui-ci ne soit aliéné contre la volonté de son titulaire.

==>Présence de plusieurs usufruitiers indivis

En revanche, la loi ouvrait la possibilité d’ordonner une licitation de la pleine propriété dans l’hypothèse d’une double indivision : lorsque le bien était grevé à la fois d’une indivision en usufruit et en nue-propriété.

Dans ce cas particulier, le texte autorisait la vente forcée «?aux fins de partage?», dès lors qu’elle apparaissait conforme à l’intérêt commun des parties.

Cette disposition visait à faciliter le dénouement de situations complexes où l’indivision rendait l’administration et la valorisation du bien difficile, voire impossible.

En autorisant la réunion des droits d’usufruit et de nue-propriété dans le patrimoine d’un même propriétaire, la loi permettait de maximiser la valeur du bien et d’apporter une solution pragmatique à ces situations.

==>Une précision textuelle mais des limites évidentes

Si la loi de 1976 apportait une clarification bienvenue, elle restait néanmoins tributaire de la complexité des relations entre usufruitier(s) et nus-propriétaires.

La distinction entre la présence d’un usufruitier unique et celle d’une double indivision introduisait une hiérarchie des droits où les prérogatives de l’usufruitier unique étaient davantage protégées.

En revanche, dans les cas de pluralité d’usufruitiers, l’ouverture aux licitations pouvait générer des tensions, notamment si certains usufruitiers s’opposaient à la vente.

Ainsi, tout en consolidant la jurisprudence antérieure, la loi n° 76-1286 instaurait une nouvelle architecture juridique, dont l’application pratique serait sujette à interprétations et ajustements jurisprudentiels. Ces limites allaient rapidement apparaître dans la période postérieure à son entrée en vigueur.

c. La jurisprudence postérieure à 1976

Dans un arrêt controversé du 11 mai 1982, la Cour de cassation a adopté une interprétation particulièrement large de l’article 815-5, alinéa 2, dans sa version de 1976.

Elle a en effet jugé que « le partage peut toujours être ordonné et qu’à cette fin, selon l’article 815-5 du code civil qui est applicable en la cause, la vente de la pleine propriété d’un bien grevé d’usufruit peut être judiciairement ordonnée contre la volonté de l’usufruitier » (Cass. 1ère civ. 11 mai 1982, n°81-13.055).

Cette solution généralisait la possibilité de vente forcée, même en présence d’un usufruitier unique, au motif que le partage pouvait être sollicité par tout indivisaire.

Cette jurisprudence a été largement critiquée pour plusieurs raisons?:

  • Sur le plan théorique : elle méconnaissait l’absence d’indivision entre usufruitier unique et nus-propriétaires.
  • Sur le plan pratique? : elle portait atteinte aux droits de l’usufruitier, notamment lorsqu’il s’agissait d’un conjoint survivant.

d. La réforme de 1987

Face aux critiques doctrinales et pratiques, la loi n° 87-498 du 6 juillet 1987 est venue corriger l’interprétation jurisprudentielle de 1982 en modifiant l’article 815-5, alinéa 2.

Désormais, le texte dispose que « le juge ne peut, à la demande d’un nu-propriétaire, ordonner la vente de la pleine propriété d’un bien grevé d’usufruit contre la volonté de l’usufruitier. »

La nouvelle rédaction de l’article 815-5, alinéa 2, réintroduit ainsi la solution jurisprudentielle antérieure à 1976, en établissant des principes clairs :

  • Interdiction de la vente forcée sans consentement de l’usufruitier unique
    • Le juge ne peut ordonner la vente de la pleine propriété d’un bien grevé d’usufruit contre la volonté d’un usufruitier unique.
    • Cette règle garantit que l’usufruitier conserve la jouissance de son droit, indépendamment des revendications des nus-propriétaires.
  • Application aux situations d’indivision en nue-propriété
    • La règle s’applique également lorsque plusieurs nus-propriétaires sont en indivision et cherchent à sortir de cette indivision.
    • Même dans ce cas, la vente forcée de la pleine propriété reste impossible sans l’accord de l’usufruitier.
  • Suppression de la notion de fins de partage
    • La suppression de cette mention a pour effet de limiter les situations dans lesquelles une licitation peut être ordonnée.
    • En l’absence d’un accord unanime entre les titulaires de droits, la vente forcée de la pleine propriété est exclue.

La réforme entreprise par la loi du 6 juillet 1987 visait à renforcer la sécurité juridique en clarifiant les limites du pouvoir du juge face à des intérêts divergents entre nus-propriétaires et usufruitiers.

Elle consacre la protection des droits de l’usufruitier, que ce dernier soit unique ou qu’il existe une indivision en usufruit.

De plus, elle met fin aux interprétations larges de la jurisprudence qui avaient permis des ventes forcées préjudiciables à l’équilibre des droits en présence.

S’agissant de l’application de loi dans le temps, le législateur a expressément prévu une application immédiate des nouvelles dispositions aux usufruits en cours au moment de l’entrée en vigueur de la loi, sauf en cas de décision judiciaire passée en force de chose jugée ou d’accord amiable antérieur (article 2 de la loi du 6 juillet 1987).

La Cour de cassation a confirmé cette application rétroactive dans plusieurs décisions ultérieures, consolidant ainsi la portée de la réforme (Cass. 1re civ., 2 févr. 1999, n°96-22.563).

Au total, en supprimant toute ambiguïté textuelle, la loi de 1987 a permis de restaurer une cohérence dans le régime juridique du démembrement, en préservant les droits fondamentaux de l’usufruitier tout en encadrant strictement les possibilités de sortie de l’indivision.

e. Application jurisprudentielle postérieure à 1987

Dès 1989, la première chambre civile de la Cour de cassation a réaffirmé que l’article 815-5, alinéa 2, du Code civil interdisait au juge de substituer son autorisation au consentement de l’usufruitier pour ordonner une vente en pleine propriété.

Dans un arrêt rendu le 29 mars 1989, la Cour de cassation a précisé que même la satisfaction des créanciers des nus-propriétaires ne justifiait pas une telle vente forcée (Cass. 1ère civ., 29 mars 1989, n°87-12.187). Cette position, conforme à la lettre et à l’esprit de la réforme de 1987, a mis un terme aux interprétations antérieures trop larges de la notion de partage.

Dans une décision plus récente, la Cour a confirmé cette stricte application de la règle. Elle a jugé que, même en cas de pluralité de nus-propriétaires souhaitant sortir de l’indivision, la volonté de l’usufruitier prime sur celle des nus-propriétaires indivis (Cass. 1re civ., 13 juin 2019, n° 18-17.347).

f. Portée actuelle de la règle

La règle actuelle, telle qu’elle résulte de la réforme opérée par la loi du 6 juillet 1987, vise avant tout à garantir le respect du droit de jouissance de l’usufruitier, cœur de son droit réel sur le bien grevé d’usufruit.

En empêchant les nus-propriétaires de l’impliquer dans une vente qu’il n’aurait pas approuvée, l’article 815-5, alinéa 2, préserve l’autonomie et la stabilité juridique de l’usufruit.

Cette stabilité est particulièrement nécessaire dans des situations où l’usufruitier est un conjoint survivant, souvent légataire de l’usufruit du logement familial. Une vente forcée compromettrait directement son usage du bien et le mettrait en situation de précarité.

Au-delà de la jouissance, la règle protège également l’intégrité des droits patrimoniaux de l’usufruitier. Imposer une vente en pleine propriété contre son gré aurait pour effet de priver l’usufruitier de sa participation dans le démembrement, en substituant son droit réel sur le bien à une simple créance sur le prix de vente.

Une telle substitution, non consentie, pourrait porter atteinte à l’équilibre patrimonial entre les parties, en particulier si l’usufruitier estime que ses intérêts ne seraient pas suffisamment garantis par le produit de la vente.

L’interdiction s’applique aussi bien lorsqu’il existe un usufruitier unique que dans le cas d’une indivision en usufruit.

En effet, la règle ne distingue pas selon la pluralité des usufruitiers ou des nus-propriétaires : dans tous les cas, le consentement de l’usufruitier demeure une condition incontournable pour autoriser une vente en pleine propriété.

Au fond, l’article 815-5, alinéa 2, reflète une solution équilibrée entre le principe du droit au partage – dont disposent les indivisaires – et la protection du démembrement de propriété.

En maintenant cette interdiction, le législateur a reconnu que le droit de l’usufruitier ne saurait être réduit à une position subalterne face à la volonté collective des nus-propriétaires.

Cette disposition garantit que le démembrement, par nature transitoire, ne devient pas une source d’insécurité ou de déséquilibre pour l’usufruitier.

La Cour de cassation a largement confirmé cette interprétation stricte, réitérant l’impossibilité de contraindre l’usufruitier à céder ses droits sans son accord explicite.

Ces décisions, loin de constituer des restrictions arbitraires, renforcent un cadre juridique cohérent et protecteur, assurant que le droit de propriété démembré reste un mécanisme respectueux des intérêts mutuels des parties.

Gestion de l’indivision: la délivrance d’une habilitation judiciaire en présence d’un indivisaire se trouvant hors d’état de manifester sa volonté

La loi prévoit que le juge peut intervenir, par la délivrance d’habilitations ou d’autorisations, dans trois situations bien distinctes, chacune répondant à des nécessités spécifiques et visant à garantir la sauvegarde des intérêts indivis.

D’une part, il peut habiliter un indivisaire à représenter un coindivisaire lorsqu’il est hors d’état de manifester sa volonté, qu’il s’agisse d’une incapacité juridique, physique ou d’une absence matérielle, entravant ainsi la prise de décisions collectives.

D’autre part, le juge peut autoriser un indivisaire à accomplir seul un acte nécessitant, en principe, l’unanimité, lorsque le refus d’un ou plusieurs coindivisaires met en péril l’intérêt commun, et compromet ainsi la gestion harmonieuse de l’indivision.

Enfin, il peut autoriser la vente d’un bien indivis, sous réserve que les conditions légales soient réunies, notamment lorsque cette cession apparaît nécessaire à la valorisation ou à la préservation du patrimoine commun.

Ces mécanismes, loin d’être anodins, permettent de surmonter les blocages potentiels et de préserver l’intégrité des biens et des droits en indivision.

Nous nous focaliserons ici sur la la délivrance d’une habilitation judiciaire en présence d’un indivisaire se trouvant hors d’état de manifester sa volonté.

L’article 815-4 du Code civil confère donc au juge la prérogative d’habiliter un indivisaire à représenter un coindivisaire lorsque ce dernier est dans l’impossibilité de manifester sa volonté.

Ce dispositif, issu d’une transposition des mécanismes prévus aux articles 217 et 219 du Code civil, vise à surmonter les blocages liés à l’incapacité, à l’éloignement ou à l’absence d’un indivisaire, tout en respectant les intérêts de l’indivision et des coindivisaires. Il s’agit d’une mesure d’exception, conçue pour garantir la continuité de la gestion des biens indivis tout en encadrant strictement les conditions et effets de l’habilitation.

1. Le principe

L’article 815-4 du Code civil dispose que « si l’un des indivisaires se trouve hors d’état de manifester sa volonté, un autre peut se faire habiliter par justice à le représenter, d’une manière générale ou pour certains actes particuliers, les conditions et l’étendue de cette représentation étant fixées par le juge ».

Ce texte offre une solution pragmatique pour faire face aux situations d’incapacité affectant un indivisaire, en habilitant un coindivisaire à le représenter. Ce dispositif s’inscrit dans une logique de sauvegarde des intérêts collectifs et individuels, tout en préservant l’équilibre entre les droits de chacun.

L’habilitation judiciaire vise avant tout à garantir la continuité dans la gestion des biens indivis. En effet, l’incapacité d’un indivisaire, qu’elle résulte d’une situation matérielle (éloignement, inaccessibilité) ou juridique (incapacité légale, altération des facultés), pourrait provoquer une paralysie décisionnelle.

Or, une gestion efficace et rationnelle des biens indivis exige de surmonter de telles impasses pour préserver les intérêts de l’ensemble des indivisaires. En conférant au juge le pouvoir de désigner un représentant, ce dispositif assure une gestion fluide tout en respectant les principes fondamentaux qui régissent l’indivision.

Parallèlement, ce mécanisme garantit la protection des droits de l’indivisaire empêché. L’intervention du juge perme de garantir que les décisions prises dans le cadre de l’indivision respectent l’intérêt de la personne empêchée, tout en limitant la portée de l’habilitation à ce qui est strictement nécessaire pour préserver l’intégrité du patrimoine indivis. Loin d’altérer les prérogatives de l’indivisaire hors d’état de manifester sa volonté, cette mesure vise à sauvegarder son patrimoine dans une logique d’équité et de justice.

Il peut être observé que ce dispositif emprunte directement aux mécanismes déjà éprouvés en matière matrimoniale, tels que ceux prévus par les articles 217 et 219 du Code civil. Ces dispositifs, conçus pour résoudre les crises de gestion patrimoniale au sein des couples mariés, partagent avec l’habilitation judiciaire en matière d’indivision un objectif commun : permettre à un tiers d’agir pour une personne empêchée, dans un cadre strictement encadré par le juge.

Cependant, l’habilitation prévue à l’article 815-4 présente une particularité notable : elle repose sur un mandat judiciaire de représentation, et non sur une autorisation d’agir en son propre nom.

Ainsi, l’indivisaire habilité agit exclusivement au nom et pour le compte de l’indivisaire incapable, engageant ce dernier comme s’il avait personnellement accompli l’acte.

Cette spécificité confère à l’habilitation un caractère temporaire et supplétif, destiné à pallier l’absence de volonté exprimée par l’indivisaire empêché.

A cet égard, l’article 815-4 confère au juge un rôle central dans la mise en œuvre de cette mesure. C’est lui qui définit, au cas par cas, les conditions et l’étendue de l’habilitation, qu’elle soit générale ou limitée à certains actes spécifiques.

Ce pouvoir discrétionnaire conféré au juge vise à prévenir tout abus et à garantir que les intérêts de l’indivision et de l’indivisaire empêché restent protégés.

2. Les conditions

La délivrance d’une habilitation judiciaire repose sur des conditions strictes, tant quant aux circonstances justifiant la représentation que quant aux actes pouvant être accomplis.

==>Conditions relatives aux circonstances

L’article 815-4 du Code civil prévoit que l’habilitation judiciaire peut être accordée lorsqu’un indivisaire est « hors d’état de manifester sa volonté ».

Cette notion recouvre des hypothèses variées, allant de l’incapacité juridique à l’impossibilité matérielle, en passant par l’absence au sens juridique du terme.

  • L’incapacité juridique
    • L’incapacité juridique constitue l’un des motifs les plus évidents justifiant le recours à l’habilitation judiciaire prévue à l’article 815-4 du Code civil.
    • Cette situation vise les indivisaires placés sous un régime de protection tel que la tutelle, la curatelle ou la sauvegarde de justice (articles 425 et suivants du Code civil), qui se trouvent privés de la capacité de manifester une volonté libre et éclairée.
    • La question s’est toutefois posée en doctrine de savoir si le dispositif de l’article 815-4 du Code civil conservait une utilité lorsque l’indivisaire empêché fait l’objet d’une mesure de protection.
    • En effet, dans un tel cas, le droit commun prévoit déjà que c’est le représentant légal — tuteur ou curateur — qui agit au nom et pour le compte de la personne protégée.
    • Certains auteurs ont ainsi considéré que l’habilitation judiciaire prévue par l’article 815-4 apparaîtrait comme superfétatoire, voire redondante avec les mécanismes institués par les articles 457 et suivants du Code civil.
    • Cependant, d’autres auteurs ont défendu l’utilité résiduelle de ce dispositif, soulignant qu’il peut exister des circonstances où le représentant légal est empêché, absent ou défaillant.
    • Dans ces hypothèses, l’habilitation judiciaire permettrait de pallier les insuffisances des dispositifs classiques, en confiant temporairement la représentation à un autre indivisaire.
    • La Cour de cassation a mis fin au débat en admettant que l’habilitation judiciaire prévue à l’article 815-4 puisse jouer même en présence d’un représentant légal, sous certaines conditions.
    • Dans un arrêt du 24 février 2016, la Haute juridiction a considéré que l’habilitation judiciaire pouvait être envisagée lorsqu’il était démontré que le représentant légal d’un indivisaire empêché était lui-même inapte ou incapable de remplir ses fonctions (Cass. 1ère civ., 24 févr. 2016, n° 15-14.887).
    • Ainsi, le mécanisme de l’article 815-4 s’affirme comme une mesure supplétive, venant compléter les dispositifs existants pour garantir la gestion optimale des biens indivis.
    • Ce faisant, la jurisprudence reconnaît au juge un pouvoir d’appréciation souverain pour déterminer si les circonstances justifient l’application de l’article 815-4, même en présence d’un régime de protection légale.
  • L’impossibilité matérielle
    • L’impossibilité matérielle constitue l’un des motifs légitimes permettant de recourir au mécanisme d’habilitation judiciaire prévu par l’article 815-4 du Code civil.
    • Ce motif couvre les situations où un indivisaire, bien qu’ayant pleine capacité juridique, est temporairement empêché, pour des raisons objectives, de manifester sa volonté.
    • Cette impossibilité peut notamment découler d’un éloignement géographique, d’une maladie grave ou de toute circonstance rendant sa participation active à la gestion des biens indivis impraticable.
    • Dans un arrêt rendu le 18 février 1981, la Cour de cassation a admis qu’un indivisaire se trouvant temporairement éloigné et, de ce fait, dans l’impossibilité matérielle de donner son consentement, pouvait être valablement représenté par un autre indivisaire habilité par le juge (Cass. 1ère civ., 18 févr. 1981, n° 80-10.403).
    • Dans cette affaire, l’indivisaire empêché résidait dans une localité éloignée, rendant impossible sa participation directe à une décision essentielle pour la gestion des biens indivis.
    • La Haute juridiction a souligné que l’article 815-4 du Code civil était précisément conçu pour pallier ce type de difficultés pratiques, en permettant une représentation judiciaire pour surmonter les obstacles temporaires et garantir la continuité de la gestion.
    • Cet arrêt met en lumière le rôle essentiel du juge dans l’appréciation des circonstances justifiant une habilitation judiciaire. Le juge doit, en effet, s’assurer que l’empêchement invoqué est réel, sérieux et suffisamment caractérisé.
    • À cet égard, l’éloignement géographique doit être tel qu’il empêche toute communication ou participation efficace à la gestion des biens indivis dans un délai raisonnable.
    • De même, une maladie grave, qu’elle soit physique ou mentale, peut justifier une demande d’habilitation judiciaire, à condition que son impact sur la capacité de l’indivisaire à exprimer une volonté soit établi par des preuves concrètes, telles qu’un certificat médical ou d’autres éléments probants.
    • Le juge dispose ainsi d’un pouvoir d’appréciation souverain pour évaluer, au cas par cas, si la situation justifie le recours à l’article 815-4 du Code civil, tout en veillant à préserver l’intérêt commun des indivisaires et l’équilibre patrimonial de l’indivision.
    • Dans ce contexte, le juge dispose d’un pouvoir d’appréciation souverain pour évaluer si l’impossibilité matérielle alléguée justifie l’intervention judiciaire.
    • Il appartient donc au demandeur de démontrer, de manière convaincante, que l’empêchement invoqué entrave effectivement la gestion de l’indivision.
    • La jurisprudence exige par ailleurs que cette mesure reste proportionnée à la situation, et que l’habilitation soit circonscrite aux besoins strictement nécessaires à la sauvegarde des intérêts indivis.
  • L’absence
    • Lorsqu’un indivisaire est présumé absent, au sens des articles 112 et suivants du Code civil, l’habilitation judiciaire prévue par l’article 815-4 permet de pallier les conséquences de cette absence sur la gestion des biens indivis.
    • L’absence, lorsqu’elle est légalement constatée, peut rapidement créer une situation de paralysie dans la prise de décisions qui requièrent l’accord de tous les indivisaires, notamment pour des actes importants tels que les actes de disposition.
    • Pour mémoire, la présomption d’absence est établie lorsque, conformément à l’article 112 du Code civil, une personne a cessé de paraître à son domicile ou lieu de résidence sans que l’on ait de nouvelles de sa part.
    • Cette situation doit être constatée par le juge des tutelles, à la demande des parties intéressées ou du ministère public.
    • Une fois la présomption d’absence déclarée, le gestionnaire désigné pour représenter la personne présumée absente est habilité à agir pour son compte.
    • Toutefois, lorsque ce gestionnaire n’est pas désigné ou lorsque des mesures spécifiques doivent être prises dans le cadre d’une indivision, l’habilitation judiciaire en vertu de l’article 815-4 peut être sollicitée.

==>Conditions relatives aux actes

Lorsqu’une habilitation judiciaire est accordée en vertu de l’article 815-4 du Code civil, elle peut porter soit sur des actes d’administration, nécessaires à la gestion courante des biens indivis, soit sur des actes de disposition, qui touchent plus profondément à l’intégrité du patrimoine commun.

Ces deux catégories d’actes répondent à des besoins distincts mais complémentaires, chacun étant soumis à un encadrement rigoureux pour préserver l’équilibre des droits des indivisaires.

  • Les actes d’administration
    • Les actes d’administration concernent les décisions nécessaires à la gestion ordinaire des biens indivis, ayant pour objectif principal leur conservation et leur exploitation.
    • Ces actes, bien que généralement moins controversés, peuvent requérir une habilitation judiciaire lorsque l’accord de tous les indivisaires est indispensable et qu’un blocage survient en raison de l’incapacité de l’un d’eux.
    • Parmi les actes d’administration les plus courants, on retrouve :
      • L’entretien et la conservation des biens : cela inclut les réparations nécessaires pour préserver la valeur des biens indivis, telles que la réfection d’une toiture ou la maintenance d’installations dégradées.
      • La location des biens indivis : la conclusion ou le renouvellement d’un bail, qu’il soit à usage d’habitation ou commercial, constitue un autre exemple fréquent d’acte d’administration. Ces démarches permettent d’assurer une exploitation économique du bien indivis, générant des revenus pour l’ensemble des indivisaires.
    • La jurisprudence rappelle que ces actes doivent avant tout servir l’intérêt commun de l’indivision, c’est-à-dire concilier la préservation du patrimoine avec les attentes légitimes des indivisaires.
    • Par conséquent, le juge veille à ce que les décisions prises dans le cadre de l’habilitation restent proportionnées aux besoins de l’indivision et respectent les droits de chacun.
  • Les actes de disposition
    • Les actes de disposition, en raison de leur impact significatif sur le patrimoine indivis, font l’objet d’un encadrement encore plus strict.
    • Ces actes, qui modifient de manière durable la consistance ou la propriété des biens, requièrent une justification spécifique et une attention particulière de la part du juge.
    • Exemples d’actes de disposition nécessitant une habilitation judiciaire :
      • La vente d’un bien indivis : elle peut être autorisée lorsque la nécessité est clairement démontrée, par exemple pour apurer les dettes de l’indivision, pour prévenir une saisie ou encore pour financer des dépenses urgentes.
      • L’hypothèque d’un bien indivis : cette mesure, bien que rare, peut être envisagée lorsqu’elle permet de garantir un prêt destiné à financer des travaux essentiels ou à répondre à une situation financière critique.
    • En raison des enjeux qu’ils représentent, les actes de disposition exigent du juge une analyse approfondie des circonstances.
    • L’autorisation ne sera accordée que si l’acte est justifié par l’intérêt commun de l’indivision, c’est-à-dire qu’il ne doit ni favoriser un indivisaire au détriment des autres, ni compromettre les droits patrimoniaux de l’ensemble des coindivisaires.

3. Etendue de l’habilitation

L’habilitation judiciaire délivrée en application de l’article 815-4 du Code civil peut revêtir deux formes distinctes, selon son étendue et les besoins spécifiques de l’indivision : l’habilitation générale, qui confère des pouvoirs étendus, et l’habilitation spéciale, strictement limitée à un ou plusieurs actes déterminés.

Cette distinction reflète la volonté du législateur de concilier souplesse et contrôle, en adaptant l’intervention judiciaire aux circonstances particulières de chaque affaire.

  • L’habilitation générale : une délégation étendue mais encadrée
    • L’habilitation générale permet à l’indivisaire habilité de représenter l’indivisaire empêché pour l’ensemble des actes nécessaires à la gestion des biens indivis, qu’ils relèvent de l’administration ou, dans certains cas, de la disposition.
    • Cette forme d’habilitation, bien qu’exceptionnelle, s’avère indispensable lorsque l’indivisaire empêché est durablement hors d’état de manifester sa volonté, comme dans le cas d’une incapacité prolongée ou d’une absence prolongée.
    • En raison des pouvoirs étendus qu’elle confère, l’habilitation générale est strictement encadrée.
    • Le juge doit s’assurer que cette délégation est justifiée par les besoins de l’indivision et qu’elle ne risque pas de porter atteinte aux droits des autres indivisaires.
    • Reste que même en cas d’habilitation générale, le représentant ne peut agir que dans l’intérêt commun des indivisaires.
    • Tout acte contraire à cet intérêt pourrait être contesté et annulé.
  • L’habilitation spéciale : une intervention ciblée et précise
    • L’habilitation spéciale constitue la forme la plus courante de représentation judiciaire.
    • Contrairement à l’habilitation générale, elle est strictement limitée à un ou plusieurs actes déterminés, définis par le juge en fonction des besoins spécifiques de l’indivision et des circonstances du blocage.
    • L’habilitation spéciale permet de répondre à une situation d’urgence ou à un besoin spécifique, sans conférer au représentant des pouvoirs excédant l’acte pour lequel l’habilitation a été accordée.
    • Le juge délimite précisément les contours de l’habilitation, en précisant l’acte autorisé, ses modalités d’exécution et, le cas échéant, les conditions à respecter.
    • Par exemple, il peut autoriser la vente d’un bien indivis à un prix minimum, ou imposer l’affectation des fonds à un objectif précis, tel que le règlement des dettes de l’indivision.
    • Cette forme d’habilitation réduit le risque d’abus en limitant le champ d’intervention du représentant, qui ne peut agir au-delà des pouvoirs conférés.
    • Exemples fréquents d’habilitation spéciale :
      • La vente d’un bien indivis pour éviter une saisie ou financer des travaux urgents.
      • La conclusion d’un bail commercial pour valoriser un immeuble indivis.
      • L’accomplissement d’un acte administratif, tel que le renouvellement d’une assurance ou la régularisation d’une taxe foncière impayée.

La distinction entre habilitation générale et habilitation spéciale repose avant tout sur une analyse de l’intérêt de l’indivision.

Tandis que l’habilitation générale est privilégiée lorsque l’indivisaire empêché est durablement indisponible, l’habilitation spéciale répond à des besoins ponctuels et spécifiques.

Dans les deux cas, le juge exerce un contrôle pour s’assurer que les actes réalisés dans le cadre de l’habilitation respectent les droits et intérêts de l’ensemble des indivisaires.

4. La procédure

L’article 815-4 du Code civil est silencieux quant à la procédure applicable pour obtenir une habilitation judiciaire.

Ce silence législatif a conduit la doctrine à suggérer un raisonnement par analogie avec le dispositif prévu à l’article 219 du Code civil, lequel régit la représentation judiciaire dans le cadre des régimes matrimoniaux.

==>La saisine du juge des tutelles

En l’absence de dispositions spécifiques prévues à l’article 815-4, les demandes d’habilitation judiciaire doivent être présentées devant le juge des tutelles près le Tribunal judiciaire compétent.

La procédure, de nature gracieuse, est introduite par une requête écrite, que le requérant doit appuyer par des éléments probants démontrant l’incapacité de l’indivisaire concerné et la nécessité de l’habilitation pour le bon fonctionnement de l’indivision.

==>Les éléments à fournir au soutien de la requête

  • Preuve de l’empêchement
    • Un certificat médical en cas d’incapacité physique ou mentale?;
    • Une décision de justice constatant une présomption d’absence, conformément aux articles 112 et suivants du Code civil?;
    • Tout autre document établissant une impossibilité matérielle, comme une attestation d’éloignement géographique ou une déclaration circonstanciée sous serment.
  • Justification de la nécessité de l’habilitation
    • Une description des actes envisagés (administration ou disposition)?;
    • La démonstration que ces actes sont nécessaires pour préserver l’intérêt commun des indivisaires.

==>L’instruction de la demande

Une fois la requête déposée, le juge des tutelles engage une instruction destinée à vérifier la légitimité et l’opportunité de l’habilitation demandée.

Cette phase de la procédure obéit aux principes d’équité et de respect des droits de toutes les parties concernées.

  • Étapes de l’instruction
    • Le juge peut convoquer les indivisaires pour recueillir leurs observations. Cette étape est essentielle pour garantir le respect du contradictoire, bien qu’elle puisse être omise si les pièces fournies permettent de statuer sans audience.
    • En cas de doute, le juge peut :
      • Ordonner la production de pièces supplémentaires?;
      • Solliciter l’avis d’experts, par exemple pour évaluer l’incapacité de l’indivisaire ou l’opportunité des actes envisagés.
  • Analyse des intérêts en présence
    • Le juge évalue les motifs avancés, s’assure que l’habilitation répond à un besoin réel et vérifie que les actes envisagés respectent les droits de l’indivisaire empêché.

==>La décision du juge

Au terme de l’instruction, le juge rend une décision sous forme d’ordonnance, laquelle précise les contours de l’habilitation accordée.

Contenu de l’ordonnance :

  • Durée de l’habilitation
    • Elle peut être temporaire, limitée à un ou plusieurs actes, ou accordée pour une durée indéterminée en cas d’empêchement prolongé.
  • Étendue des pouvoirs conférés
    • Les actes autorisés doivent être clairement définis : actes d’administration (entretien, location) ou actes de disposition (vente, hypothèque).
    • Le juge peut imposer des conditions, telles que l’affectation des fonds à un objectif précis ou la fixation d’un prix minimum en cas de vente.
  • Garanties
    • Le juge peut exiger du représentant habilité qu’il rende compte de sa gestion, notamment pour des actes d’importance, afin d’éviter tout abus.

5. Les effets

L’habilitation judiciaire prévue par l’article 815-4 du Code civil produit des effets, tant à l’égard de l’indivisaire représenté qu’à l’égard de l’ensemble des indivisaires.

L’acte accompli par le représentant habilité engage directement le patrimoine de l’indivisaire empêché, comme si ce dernier l’avait personnellement réalisé.

Toutefois, ce mécanisme reste encadré par des limites strictes, fixées par le juge, garantissant l’équilibre entre l’intérêt collectif de l’indivision et la protection des droits individuels.

==>Effets à l’égard de l’indivisaire représenté

L’indivisaire empêché, bien qu’incapable de manifester sa volonté, est pleinement engagé par les actes accomplis en son nom par le représentant habilité.

Ce mécanisme repose sur le principe selon lequel le représentant agit pour le compte et au nom de la personne représentée, conférant ainsi aux actes réalisés une opposabilité directe à cette dernière.

  • Effet principal : l’opposabilité des actes
    • L’acte accompli par le représentant habilité engage juridiquement l’indivisaire représenté.
    • Celui-ci est réputé avoir consenti à l’acte, qui lui est opposable comme s’il l’avait personnellement exécuté.
    • Cette opposabilité garantit la continuité de la gestion de l’indivision, en évitant tout blocage lié à l’empêchement d’un indivisaire.
  • Limitation des effets : respect des conditions fixées par le juge
    • Le mandat conféré au représentant est strictement limité aux conditions fixées par l’ordonnance du juge.
    • Toute action entreprise en dehors de ces limites serait nulle et sans effet à l’égard de l’indivisaire représenté.
    • Cette restriction vise à éviter tout abus et à préserver les droits patrimoniaux de la personne empêchée.

==>Effets à l’égard des autres indivisaires

L’acte accompli par le représentant habilité engage non seulement l’indivisaire empêché, mais également l’ensemble des indivisaires.

Ce mécanisme assure la cohérence et la stabilité juridique des décisions prises dans l’intérêt collectif de l’indivision.

  • Engagement collectif
    • L’acte réalisé dans les conditions de l’habilitation s’impose à tous les indivisaires, dans la mesure où il vise à préserver ou à valoriser le patrimoine indivis.
    • Par exemple, une vente autorisée par le juge pour rembourser une dette de l’indivision liera tous les indivisaires, y compris celui qui a été représenté.
  • Possibilité de contestation
    • Les autres indivisaires conservent toutefois le droit de contester les actes réalisés si ceux-ci excèdent les pouvoirs conférés par l’habilitation ou s’ils portent atteinte à leurs droits.
    • Cette garantie renforce la protection des indivisaires contre les abus éventuels.

==>Effets à l’égard des tiers

L’habilitation judiciaire prévue par l’article 815-4 du Code civil produit des effets qui s’étendent au-delà de la sphère des indivisaires et engagent également les tiers qui entrent en relation avec le représentant habilité.

  • Opposabilité des actes aux tiers
    • Les actes accomplis par le représentant habilité en vertu de l’article 815-4 sont opposables aux tiers.
    • Cela signifie que ces derniers ne peuvent remettre en cause la validité des actes, à condition que ceux-ci aient été réalisés dans les limites du mandat conféré par le juge.
  • Opposabilité directe
    • Le représentant agit au nom et pour le compte de l’indivisaire empêché.
    • Par conséquent, les actes qu’il accomplit dans ce cadre lient l’indivisaire représenté, et cette obligation s’étend aux tiers avec lesquels ces actes sont conclus.
  • Sécurité des transactions
    • Pour garantir la sécurité des transactions, les tiers peuvent se prévaloir de l’ordonnance judiciaire d’habilitation, qui précise les contours du mandat du représentant.
    • Cette ordonnance, souvent annexée aux actes de disposition (tels qu’une vente ou une hypothèque), permet aux tiers de vérifier que l’acte accompli respecte les limites fixées par le juge.

Il peut être observé que les tiers qui contractent avec le représentant habilité sont présumés de bonne foi, sauf preuve contraire.

Par conséquent, un acte accompli par un représentant en dehors des limites fixées par le juge peut être opposable à l’indivisaire représenté si le tiers n’avait pas connaissance de l’excès de pouvoir.

En revanche, un tiers qui contracte en connaissance d’une fraude ou d’un excès de pouvoir s’expose à la nullité de l’acte.

  • Fraude avérée
    • Si un tiers agit de connivence avec le représentant habilité pour réaliser un acte contraire aux intérêts de l’indivisaire représenté ou de l’indivision, cet acte pourra être annulé sur demande des indivisaires.
    • Cette règle vise à décourager toute tentative d’abus de la part du représentant habilité en collaboration avec un tiers.
  • Preuve de la fraude
    • Il incombe aux indivisaires lésés de démontrer que le tiers avait connaissance de l’excès de pouvoir ou qu’il a participé à une fraude.
    • Cette preuve, souvent difficile à établir, constitue une barrière protectrice pour les tiers de bonne foi.

Les tiers, bien que protégés, doivent s’assurer que l’acte qu’ils concluent est conforme aux dispositions de l’habilitation judiciaire.

Avant de conclure un acte de disposition, les tiers doivent vérifier les termes de l’ordonnance judiciaire d’habilitation. Cette diligence leur permet de s’assurer que le représentant agit dans les limites de ses pouvoirs et que l’acte est juridiquement valable.

Pour certains actes, notamment ceux portant sur des biens immobiliers, la publicité foncière permet de sécuriser les droits des tiers. L’inscription de l’ordonnance d’habilitation au fichier immobilier garantit la validité des actes de disposition à l’égard des tiers.

Gestion de l’indivision: l’adoption de mesures judiciaires aux fins de sauvegarder les biens indivis

L’indivision, régie par les articles 815 et suivants du Code civil, repose sur un principe fondamental : l’unanimité des indivisaires. Cependant, cette règle, garante de l’équilibre entre les droits de chacun, peut devenir source d’inertie, voire d’impasse, en présence de désaccords, d’incapacités ou de comportements dilatoires.

Pour prévenir de tels blocages et préserver l’intérêt commun, le législateur a prévu des mécanismes d’intervention judiciaire qui se déploient sous deux formes distinctes.

D’une part, le juge peut lever les obstacles liés à l’unanimité en délivrant des habilitations ou autorisations judiciaires. Ces dernières, encadrées par les articles 815-4 et 815-5 du Code civil, permettent de suppléer l’absence ou l’incapacité d’un indivisaire ou de surmonter un refus compromettant l’intérêt collectif des indivisaires.

D’autre part, le juge peut intervenir directement dans la gestion des biens indivis en adoptant des mesures de sauvegarde, prévues aux articles 815-6 et 815-7. Ces mesures, empreintes d’un caractère impératif, visent à préserver l’intégrité du patrimoine indivis face à des situations d’urgence ou à des menaces pesant sur sa pérennité.

Nous nous focaliserons ici sur la délivrance d’habilitations ou d’autorisations judiciaires aux fins d’accomplissement d’un acte.

L’article 815-6 du Code civil constitue une pierre angulaire du régime de l’indivision en instaurant un mécanisme permettant au Président du tribunal judiciaire, saisi en référé, de prescrire ou d’autoriser des mesures d’urgence nécessaires à la sauvegarde de l’intérêt commun.

Ce texte répond à la difficulté de réunir l’unanimité des indivisaires lorsque des circonstances impérieuses exigent une intervention rapide pour éviter une atteinte aux biens indivis ou pour préserver leur valeur.

Par cette disposition, le législateur a entendu pallier les risques inhérents à la paralysie décisionnelle qui peut découler des désaccords entre indivisaires, tout en conférant au juge un rôle subsidiaire et exceptionnel.

Toutefois, cette faculté suscite plusieurs interrogations quant à son champ d’application. En effet, les mesures d’urgence, bien que dictées par une nécessité objective, doivent respecter l’équilibre délicat entre la préservation de l’intérêt commun et les droits individuels des coïndivisaires.

La portée des mesures susceptibles d’être autorisées par le juge reste à interpréter à la lumière de la jurisprudence.

Ces mesures, qui peuvent inclure des actes conservatoires ou des décisions de gestion, doivent s’inscrire dans la stricte nécessité, sans excéder ce qui est indispensable pour préserver l’intégrité ou la valeur du patrimoine indivis.

Une lecture stricte de cette disposition est ainsi indispensable pour éviter qu’elle ne se transforme en une voie détournée permettant de contourner les règles de majorité requises pour les actes de gestion ou de disposition prévues aux articles 815-3 et suivants du Code civil.

Cette intervention juridictionnelle d’exception, bien que prévue par la loi, appelle donc une mise en œuvre prudente afin de respecter l’esprit même du régime de l’indivision, qui repose sur un équilibre entre le principe d’unanimité et les mécanismes correcteurs nécessaires pour garantir l’efficacité et la protection des biens indivis.

A) Les conditions de l’intervention du juge

Il ressort de l’article 815-6 du Code civil que deux conditions doivent être réunies pour que le juge puisse être saisi aux fins d’adoption de mesures de sauvegarde : l’urgence de la mesure sollicitée et l’intérêt commun.

1. L’urgence

La notion d’urgence, au cœur de l’application de l’article 815-6 du Code civil, désigne une situation caractérisée par une nécessité d’agir sans délai afin de prévenir un dommage imminent ou irréversible, mettant en péril les intérêts de l’indivision.

L’urgence constitue donc une condition sine qua non de l’intervention du juge en matière d’indivision, et son appréciation relève d’une analyse circonstancielle et souveraine par les juridictions compétentes.

==>Définition

L’urgence s’entend d’une situation où l’inaction pourrait entraîner des conséquences dommageables pour les biens indivis ou pour les indivisaires eux-mêmes.

Il peut s’agir, par exemple :

  • D’une dégradation physique ou matérielle d’un bien indivis (ex. : immeuble menaçant ruine)?;
  • D’une échéance imminente menaçant l’équilibre économique de l’indivision (ex. : créances échues, pénalités financières)?;
  • D’une obligation légale ou administrative dont le non-respect entraînerait des sanctions ou des pertes irrémédiables (ex. : paiement de droits fiscaux).

Cette urgence doit être objectivement démontrée et ne saurait résulter de la seule volonté d’un indivisaire d’accélérer une prise de décision.

==>Appréciation de l’urgence

La jurisprudence a joué un rôle prépondérant dans la délimitation de la notion d’urgence, les juges évaluant au cas par cas la réalité et l’intensité du danger invoqué.

À titre d’illustration, dans un arrêt du 16 février 1988, la Cour de cassation a validé l’autorisation donnée par un juge à un indivisaire de vendre des titres indivis pour régler des droits de succession.

Dans cette affaire, les délais fiscaux impartis pour le paiement de ces droits rendaient toute autre solution impraticable, constituant ainsi une situation d’urgence justifiant une intervention judiciaire (Cass. 1ère civ., 16 févr. 1988, n°86-16.489)

De manière générale, la jurisprudence met l’accent sur deux éléments fondamentaux :

  • L’imminence du préjudice? : il doit exister une menace actuelle et sérieuse, sans laquelle l’intérêt commun de l’indivision serait compromis.
  • L’absence d’alternative viable : l’intervention judiciaire n’est justifiée que si aucun autre mécanisme ou accord entre indivisaires ne permet de surmonter la difficulté.

Toutefois, l’appréciation de l’urgence ne doit pas conduire à une instrumentalisation de cette notion pour contourner les règles normales de gestion de l’indivision, notamment celles requérant l’unanimité ou la majorité qualifiée selon la nature des actes.

Les mesures autorisées par le juge en urgence doivent ainsi rester proportionnées et strictement nécessaires pour prévenir le dommage imminent.

De plus, les décisions prises dans le cadre de l’urgence sont généralement à caractère provisoire?: elles n’ont pas vocation à régir durablement la gestion de l’indivision, qui doit revenir dans le cadre normal des délibérations entre indivisaires dès que les conditions le permettent.

2. L’intérêt commun

L’intérêt commun se distingue des intérêts individuels des indivisaires : il vise la protection et la pérennité de l’indivision elle-même en tant que cadre juridique et économique.

Il peut inclure, à titre d’exemples :

  • La préservation de la valeur des biens indivis (ex. : entretien, réparations nécessaires, prévention de leur dégradation)?;
  • La sauvegarde des droits collectifs des indivisaires (ex. : protection contre des actes ou des omissions susceptibles de nuire à l’indivision)?;
  • La gestion efficace des obligations liées à l’indivision (ex. : règlement des dettes ou des charges communes).

L’intérêt commun ne suppose pas nécessairement l’unanimité ou l’accord des indivisaires. Il peut exister même en cas de désaccord, dès lors que l’action envisagée bénéficie à l’indivision dans son ensemble.

Ainsi, dans un arrêt du 13 novembre 1984, la Cour de cassation a affirmé « que l’existence, en la personne de certains indivisaires, d’intérêts divergents nés d’une circonstance étrangère a l’indivision n’implique pas l’absence d’intérêt commun » (Cass. 1re civ., 13 nov. 1984, n°83-13.999).

Cette décision souligne que l’intérêt commun transcende les conflits individuels et justifie l’intervention judiciaire pour prévenir des actions ou des abstentions préjudiciables à l’indivision.

Ainsi, même lorsque certains indivisaires expriment des oppositions ou refusent de participer à des décisions collectives, l’intérêt commun peut prévaloir pour protéger les biens indivis.

Le juge est alors habilité à prescrire des mesures nécessaires, dès lors qu’elles répondent à une logique de préservation ou de valorisation de l’ensemble des actifs indivis.

L’invocation de l’intérêt commun doit toutefois être justifiée par des éléments objectifs, démontrant que l’action ou la mesure envisagée est indispensable pour éviter un préjudice à l’indivision.

Le juge exerce un contrôle rigoureux sur la réalité de cet intérêt commun, notamment pour éviter que cette notion ne soit utilisée abusivement pour favoriser des intérêts individuels ou masquer des conflits personnels.

De plus, les mesures prises au nom de l’intérêt commun doivent respecter le principe de proportionnalité : elles ne doivent pas aller au-delà de ce qui est strictement nécessaire pour atteindre leur objectif. Ainsi, l’intervention judiciaire, bien que légitime, doit rester mesurée et encadrée par le respect des droits des indivisaires.

B) Les mesures susceptibles d’être prises par le juge

L’article 815-6 du Code civil investit le juge de larges prérogatives pour intervenir dans les situations d’indivision, en vue de préserver l’intérêt commun des indivisaires.

L’emploi de l’adverbe « notamment » dans le texte de loi illustre le caractère non limitatif des mesures que le juge peut prescrire. Cependant, ces mesures doivent impérativement répondre à deux exigences fondamentales : l’urgence et l’intérêt commun.

Ces deux critères conditionnent l’intervention judiciaire et encadrent l’étendue des pouvoirs conférés au magistrat.

A cet égard, l’article 815-6 énumère certaines mesures spécifiques que le juge peut prendre, sans toutefois épuiser les possibilités d’intervention judiciaire.

Ces mesures s’avèrent particulièrement adaptées à des situations fréquentes dans le cadre des indivisions successorales ou familiales.

1. Perception de fonds indivis

==>Principe

L’article 815-6, alinéa 2 du Code civil confère au juge la faculté d’« autoriser un indivisaire à percevoir des débiteurs de l’indivision ou des dépositaires de fonds indivis une provision destinée à faire face aux besoins urgents, en prescrivant, au besoin, les conditions de l’emploi. »

Ce dispositif vise à prévenir les préjudices pouvant résulter de l’absence de consensus entre indivisaires ou de l’inertie collective dans la gestion des biens indivis.

==>Conditions

Pour que le juge puisse accorder une telle autorisation, deux conditions doivent être remplies :

  • L’urgence des besoins
    • Le caractère urgent des besoins à satisfaire constitue la condition essentielle de l’intervention judiciaire.
    • L’urgence se définit comme la nécessité d’agir sans délai pour prévenir un dommage imminent ou irrémédiable, tel que le paiement de frais d’obsèques, de dettes fiscales, ou d’autres dépenses immédiates indispensables à la préservation des intérêts de l’indivision.
    • Pour exemple, dans un arrêt du 16 février 1988, la Cour de cassation a validé la perception de fonds indivis pour régler des droits de succession lorsque les délais fiscaux imposent une solution rapide (Cass. 1ère civ. 16 févr. 1988, n°86-16.489).
  • La pertinence de la provision
    • Le montant de la provision doit être strictement limité à ce qui est nécessaire pour couvrir les besoins identifiés.
    • Le juge peut, à cet égard, prescrire des conditions d’emploi précises pour encadrer l’utilisation des fonds perçus.

==>Modalités pratiques de mise en œuvre

Lorsqu’il va rendre sa décision, le juge peut :

  • Identifier les débiteurs ou dépositaires concernés : les fonds indivis peuvent être détenus par des institutions financières, des locataires ou tout autre débiteur de l’indivision. Le juge doit alors clairement désigner les personnes tenues de remettre les sommes à l’indivisaire autorisé.
  • Préciser les conditions d’emploi : pour garantir la bonne utilisation de la provision, le juge peut imposer des modalités spécifiques, telles que l’affectation des fonds à des dépenses déterminées ou la nécessité d’en rendre compte ultérieurement.
  • Protéger les droits des autres indivisaires : la décision judiciaire ne modifie pas les droits de chacun sur les fonds indivis et n’affecte pas la qualité d’indivisaire, notamment pour le conjoint survivant ou les héritiers.

==>Portée de l’autorisation

L’article 815-6, alinéa 2 du Code civil, tout en conférant au juge le pouvoir d’autoriser un indivisaire à percevoir des fonds pour répondre à des besoins urgents, prévoit explicitement une limitation importante quant à la portée de cette autorisation :

Le texte précise, en effet, que « cette autorisation n’entraîne pas prise de qualité pour le conjoint survivant ou pour l’héritier. »

Cette précision vise à encadrer rigoureusement les effets de l’autorisation délivrée par le juge, afin de préserver l’équilibre entre les droits des indivisaires et d’éviter toute dérive.

La règle s’applique notamment dans situations?distinctes :

  • Première situation
    • Lorsqu’un conjoint survivant est autorisé à percevoir des fonds indivis pour faire face à des dépenses urgentes, cette faculté n’implique pas reconnaissance implicite de droits préférentiels dans l’indivision, en particulier dans les successions complexes où les droits entre héritiers et conjoint doivent être strictement délimités.
  • Seconde situation
    • L’héritier autorisé à percevoir des fonds agit au titre d’une mission temporaire et encadrée, et ne peut en tirer aucun avantage dans la répartition future des biens.
    • Cela garantit l’impartialité et l’équité dans l’administration et le partage de l’indivision.

Ainsi, la règle énoncée à l’article 815-6, al. 2 in fine vise à éviter toute confusion entre l’exercice d’une mission ponctuelle et les droits patrimoniaux ou personnels des indivisaires, ces derniers restant strictement définis par les dispositions légales applicables (articles 815 et suivants du Code civil).

2. Désignation d’un administrateur provisoire

==>Exposé du principe

L’article 815-6, alinéa 3 du Code civil confère au président du tribunal judiciaire le pouvoir de désigner un administrateur provisoire ou un séquestre pour assurer la gestion des biens indivis dans l’intérêt commun.

Le texte prévoit en ce sen que le juge « peut également soit désigner un indivisaire comme administrateur en l’obligeant, s’il y a lieu, à donner caution, soit nommer un séquestre. Les articles 1873-5 à 1873-9 du présent code s’appliquent en tant que de raison aux pouvoirs et aux obligations de l’administrateur, s’ils ne sont autrement définis par le juge.?»

La désignation d’un administrateur provisoire ou d’un séquestre vise à répondre à des situations de crise, dans lesquelles l’unanimité ou la gestion collégiale des indivisaires devient impossible ou inefficace.

Ces situations peuvent procéder :

  • De conflits internes?: désaccords persistants empêchant la prise d’actes nécessaires à la gestion des biens indivis.
  • D’une urgence : nécessité d’accomplir rapidement des actes pour protéger les biens, comme la réalisation de travaux, la perception de revenus ou la vente de biens.

La finalité de la règle énoncée à l’article 815-6, al. 3e du Code civil est parfaitement bien illustrée dans un arrêt rendu par la Cour de cassation le 13 octobre 1993.

Dans cette affaire, la Première chambre civile a confirmé la désignation d’un indivisaire en qualité d’administrateur des biens indivis dans une situation marquée par un désaccord entre les coïndivisaires, l’absence de convention relative à la gestion de l’indivision, et des désordres de gestion nécessitant une intervention urgente.

En l’espèce, à la suite du décès d’un coïndivisaire, une seconde indivision successorale avait vu le jour entre le père survivant et ses deux enfants, légataires universels.

L’un des indivisaires, invoquant l’inertie dans la gestion des biens indivis et les difficultés qui en découlaient, avait obtenu du juge des référés sa désignation en qualité d’administrateur provisoire.

La Cour de cassation a approuvé cette décision en retenant que :

  • D’une part, l’urgence et l’intérêt commun justifiaient l’intervention du juge, en raison de l’absence d’accord entre les indivisaires sur les modalités de gestion ;
  • D’autre part, les dispositions de l’article 815-6 du Code civil s’appliquent à toutes les indivisions, qu’elles soient successorales ou d’une autre nature, permettant ainsi de remédier aux situations de blocage.

Cette décision met en lumière la vocation de l’administrateur provisoire à répondre efficacement aux crises de gestion dans l’indivision, en particulier lorsqu’aucune organisation conventionnelle n’a été prévue et que les dissensions entre indivisaires compromettent la préservation de leurs intérêts communs.

==>Les personnes pouvant être désignées comme administrateur

L’article 815-6, alinéa 3 du Code civil prévoit expressément que le juge peut désigner un indivisaire comme administrateur, tout en lui imposant, si nécessaire, de fournir une caution.

Toutefois, bien que cette disposition semble limiter la désignation à un indivisaire, la doctrine et la jurisprudence ont progressivement élargi cette faculté pour inclure également la possibilité de désigner un tiers lorsque les circonstances l’exigent.

  • La désignation d’un indivisaire
    • La désignation d’un indivisaire comme administrateur est généralement privilégiée, car elle présente plusieurs avantages pratiques :
      • Connaissance des biens indivis : en tant que copropriétaire, l’indivisaire connaît généralement la nature et les caractéristiques des biens indivis, ce qui facilite leur gestion.
      • Alignement d’intérêts : l’indivisaire désigné agit dans l’intérêt commun, ce qui réduit le risque de conflit entre les parties.
    • Cependant, cette désignation peut être problématique lorsque les indivisaires sont en désaccord profond ou si l’indivisaire pressenti manque des compétences nécessaires pour gérer efficacement les biens indivis.
  • La désignation d’un tiers
    • Dans certains cas, la désignation d’un tiers comme administrateur est admise par la jurisprudence et peut s’avérer plus appropriée.
    • Cette solution se justifie notamment dans les situations suivantes :
      • Lorsque les relations entre les indivisaires sont marquées par une méfiance ou un conflit exacerbé, un tiers impartial est souvent préférable pour éviter que la gestion des biens ne devienne un enjeu de discorde supplémentaire.
      • Si aucun indivisaire ne possède les compétences ou les qualités nécessaires pour assumer la fonction d’administrateur, le juge peut se tourner vers une personne extérieure qualifiée.
    • La Cour de cassation a admis cette possibilité de désigner un tiers comme administrateur de l’indivision dans un arrêt du 6 février 2001 (Cass. 1ère civ., 6 févr. 2001, n°98-19.060).
    • Dans cette affaire, il s’agissait de la désignation d’un indivisaire en usufruit comme administrateur dans le cadre d’une indivision portant sur des droits en usufruit et en nue-propriété.
    • La Haute juridiction a jugé que l’administrateur doit appartenir à l’indivision concernée et que, en cas de superposition de plusieurs indivisions, une désignation parmi les indivisaires pourrait ne pas convenir si les intérêts divergent fortement.
    • Cette solution ouvre implicitement la possibilité de désigner un tiers en tant qu’administrateur, à condition que le juge motive cette décision, notamment en mettant en avant :
      • Soit l’inaptitude des indivisaires à gérer les biens dans l’intérêt commun ;
      • Soit l’urgence et la nécessité d’une intervention extérieure pour préserver les biens indivis.
    • La désignation d’un tiers n’étant pas expressément prévue par l’article 815-6, alinéa 3, elle repose sur une interprétation extensive du texte, guidée par l’objectif de préserver l’intérêt commun des indivisaires.
    • Ainsi, le juge doit motiver sa décision en démontrant que :
      • La désignation d’un indivisaire est impossible ou inopportune ;
      • L’intervention d’un tiers est indispensable pour garantir une gestion neutre et efficace des biens indivis.

==>Missions et pouvoirs de l’administrateur

L’article 815-6, alinéa 3 du Code civil confère à l’administrateur des pouvoirs définis par le juge, ou, à défaut, par les articles 1873-5 à 1873-9, applicables par analogie aux indivisions conventionnelles.

Ces dispositions permettent une gestion adaptée à chaque situation, garantissant l’administration efficace des biens indivis dans l’intérêt commun des indivisaires.

  • Les missions générales de l’administrateur
    • L’administrateur exerce un rôle pivot dans la gestion des biens indivis.
    • Ses missions principales comprennent :
      • La gestion courante
        • L’administrateur veille à l’administration ordinaire des biens indivis, ce qui comprend notamment :
          • L’entretien et la préservation des biens ;
          • La perception des revenus générés, comme les loyers ou les dividendes ;
          • La gestion locative, incluant la conclusion et le renouvellement de baux nécessaires à l’exploitation des biens indivis.
      • La réalisation d’actes urgents
        • L’administrateur est habilité à accomplir les actes indispensables pour éviter la dégradation des biens indivis ou répondre à des besoins pressants.
        • Ces actes, souvent conservatoires, permettent de prévenir un préjudice imminent pour l’indivision.
      • La représentation en justice
        • L’administrateur représente les indivisaires dans les procédures judiciaires nécessaires à la défense ou à la préservation des intérêts de l’indivision.
          • Aux termes de l’article 1873-6, alinéa 1er, il peut agir en justice tant en demande qu’en défense, dans la limite de ses pouvoirs.
          • Il ne peut cependant intenter des actions personnelles propres aux indivisaires, comme les actions liées à la filiation ou au mariage (Cass. 1re civ., 11 mars 1980, n°78-13.927).
  • Les pouvoirs spécifiques conférés par le juge
    • L’article 815-6, alinéa 3 du Code civil prévoit que, en l’absence de définition expresse des pouvoirs conférés à l’administrateur par le juge, les dispositions des articles 1873-5 à 1873-9, relatives aux indivisions conventionnelles, s’appliquent « en tant que de raison ».
    • Toutefois, ce renvoi à ces articles ne lie pas le juge, qui peut, selon les besoins de l’affaire et les circonstances particulières, accorder des pouvoirs allant bien au-delà de ceux prévus dans ces dispositions.
    • En effet, bien que les articles 1873-5 à 1873-9 constituent un cadre supplétif de référence pour l’administration des biens indivis, ils ne limitent pas l’étendue des pouvoirs que le juge peut attribuer.
    • La Cour de cassation a affirmé en ce sens dans un arrêt du 10 juin 2015 que ces dispositions devaient être appliquées uniquement dans la mesure où le juge n’a pas spécifiquement précisé les missions et prérogatives de l’administrateur dans son ordonnance de désignation (Cass. 1re civ., 10 juin 2015, n°14-18.944).
    • Ainsi, le juge conserve une grande latitude pour adapter les pouvoirs de l’administrateur aux besoins propres à chaque indivision.
    • A cet égard, le juge peut, lorsqu’il l’estime nécessaire pour protéger l’intérêt commun ou répondre à des situations d’urgence, conférer des pouvoirs qui dépassent les actes de gestion courante.
    • Ces pouvoirs exceptionnels doivent être strictement justifiés par les circonstances, notamment lorsque les biens indivis nécessitent une administration active ou des décisions rapides pour éviter un préjudice.
    • Aussi, par exemple, la Cour de cassation a admis que le juge pouvait autoriser un administrateur à procéder à la vente de biens indivis, même lorsqu’il s’agit d’un acte de disposition normalement soumis à l’unanimité des indivisaires (Cass. 1re civ., 10 juin 2015, n°14-18.944).
    • Une telle mesure, bien que exceptionnelle, répondant à une situation d’urgence et était conforme à l’intérêt commun de l’indivision.
    • De manière similaire, le juge pourrait autoriser un administrateur à conclure des baux nécessitant normalement le consentement unanime des indivisaires, dès lors que ces actes sont jugés nécessaires à la préservation ou à la valorisation des biens indivis.
  • Limites aux pouvoirs de l’administrateur
    • L’administrateur désigné en vertu de l’article 815-6, alinéa 3 du Code civil exerce des pouvoirs définis par le juge, mais ceux-ci ne sont pas illimités.
    • Deux principales limites encadrent ses actions : l’interdiction d’intenter des actions personnelles attachées aux indivisaires et l’obligation de respecter leur volonté unanime.
      • Interdiction d’exercer des actions personnelles
        • L’administrateur provisoire ne peut agir sur des droits strictement attachés à la personne des indivisaires, même si ces droits ont des conséquences patrimoniales.
        • Cette restriction repose sur le principe selon lequel les actions personnelles relèvent exclusivement de l’initiative des individus concernés.
        • Aussi, par exemple, les actions portant sur l’état civil ou familial des indivisaires échappent au champ d’intervention de l’administrateur.
        • Dans un arrêt du 11 mars 1980, la Cour de cassation a ainsi jugé qu’un administrateur d’indivision successorale ne pouvait se substituer aux indivisaires pour exercer une action en nullité de mariage, celle-ci étant éminemment personnelle malgré ses implications patrimoniales (Cass. 1ère civ., 11 mars 1980, n° 78-13.927).
        • Même lorsque ces actions personnelles ont un impact direct sur les biens indivis, comme dans le cas de l’annulation d’un mariage pouvant affecter les droits successoraux, elles restent hors du périmètre d’intervention de l’administrateur. Cette interdiction vise à préserver le caractère personnel et privé de telles démarches.
      • Respect de la volonté unanime des indivisaires
        • L’administrateur provisoire ne peut agir contre l’unanimité des indivisaires, cette unanimité constituant une expression de leur accord collectif, essentielle dans le cadre de l’indivision.
        • En effet, lorsque les indivisaires s’entendent pour accomplir un acte particulier, l’administrateur n’a plus vocation à intervenir.
        • Par exemple si tous les indivisaires conviennent de vendre un bien indivis, l’administrateur ne peut contester cette décision ni agir en leur nom pour imposer un autre choix.
        • De même, si une décision commune met fin à un litige, l’administrateur ne peut engager d’action judiciaire allant à l’encontre de cette volonté.
        • La jurisprudence a précisé que la mission de l’administrateur devient caduque dès lors qu’une unanimité des indivisaires est constatée, l’article 815-3 du Code civil leur conférant le pouvoir de gérer et disposer des biens par un consentement unanime.
        • A cet égard, la fonction de l’administrateur est avant tout de pallier les désaccords ou l’inertie des indivisaires.
        • En cas d’accord unanime, son intervention devient superflue et sa mission limitée à d’autres actes non couverts par cet accord.
        • Cela garantit que l’administrateur ne se substitue pas à la volonté collective des indivisaires lorsqu’elle peut s’exprimer.

==>Cessation des fonctions de l’administrateur

La cessation des fonctions de l’administrateur désigné pour gérer une indivision peut intervenir de plein droit, par décision judiciaire, ou à l’initiative des indivisaires.

  • Cessation de plein droit
    • La mission de l’administrateur prend fin automatiquement lorsque l’échéance fixée par le juge dans l’ordonnance de désignation est atteinte.
    • Conformément à l’article 815-6, alinéa 3 du Code civil, cette échéance est déterminée en fonction des besoins spécifiques de l’indivision.
    • L’objectif est d’encadrer temporellement la gestion pour éviter toute prolongation indue de la mission, sauf si une reconduction est expressément décidée par le juge à la demande des parties.
  • Cessation par décision judiciaire
    • Le juge peut mettre un terme à la mission de l’administrateur avant l’échéance prévue dans deux situations principales :
      • Fin de nécessité de la mission
        • Lorsque les circonstances ayant justifié la désignation de l’administrateur disparaissent, notamment en cas de résolution des conflits entre indivisaires ou de disparition de l’urgence ayant motivé l’intervention, le juge peut révoquer l’administrateur.
        • Par exemple, si un accord est trouvé pour gérer collectivement les biens indivis, la mission de l’administrateur devient superflue.
      • Faute de gestion ou manquements
        • En cas de carence, de mauvaise gestion, ou d’actes contraires à l’intérêt commun des indivisaires, le juge peut prononcer la révocation de l’administrateur.
        • Cette décision doit reposer sur une analyse des faits, tels que des malversations, un conflit d’intérêts manifeste, ou l’inaptitude à exécuter les actes nécessaires à la préservation ou à la mise en valeur des biens indivis.
  • Cessation par accord des indivisaires
    • L’unanimité des indivisaires constitue une limite essentielle aux pouvoirs de l’administrateur.
    • Si tous les indivisaires s’accordent pour demander la cessation de la mission de l’administrateur, cette demande doit être soumise au juge pour validation.
    • Bien que l’accord unanime des indivisaires témoigne d’une volonté collective, le juge demeure compétent pour apprécier si cette cessation ne porte pas préjudice à l’intérêt commun, notamment dans les cas où des dettes restent à régler ou des actes urgents à accomplir.

==>Désignation d’un séquestre

La désignation d’un séquestre, prévue à l’article 815-6, alinéa 3 du Code civil, constitue une mesure exceptionnelle destinée à garantir la préservation des biens indivis dans les situations où l’intérêt commun des indivisaires est menacé.

À la différence de l’administrateur provisoire, le séquestre est souvent envisagé lorsque des fonds ou des biens nécessitent une gestion neutre et impartiale pour prévenir des conflits ou des abus.

  • Fondement et finalité de la mesure
    • L’article 815-6, alinéa 3 du Code civil permet au Président du tribunal judiciaire de nommer un séquestre dans les cas où la préservation de l’intérêt commun des indivisaires l’exige.
    • Cette mesure s’applique principalement lorsque l’urgence ou l’existence de différends entre indivisaires empêche une gestion efficace des biens ou des fonds indivis.
    • La désignation d’un séquestre vise plusieurs objectifs :
      • Prévenir les risques de dissipation des biens ou des fonds indivis?: lorsqu’un indivisaire est soupçonné de détourner ou de dilapider des biens communs, le séquestre assure leur conservation dans des conditions sécurisées.
      • Gérer temporairement les biens indivis?: le séquestre peut percevoir les revenus générés par les biens ou assurer leur entretien, en attendant une résolution amiable ou judiciaire des différends entre les indivisaires.
      • Garantir la neutralité de la gestion?: contrairement à l’administrateur provisoire, souvent désigné parmi les indivisaires, le séquestre est généralement un tiers impartial, ce qui réduit les risques de conflit d’intérêts.
  • Conditions de désignation
    • Pour qu’un séquestre puisse être désigné, deux conditions essentielles doivent être réunies :
      • Existence d’un risque pour les biens indivis
        • La mesure est ordonnée lorsque l’absence de gestion efficace ou des conflits entre indivisaires mettent en péril les biens indivis ou leur valeur.
        • Cela peut concerner, par exemple, des revenus issus de la location d’un immeuble indivis ou des fonds résultant de la vente d’un bien.
      • Intérêt commun des indivisaires
        • La désignation d’un séquestre est justifiée lorsque l’intérêt collectif des indivisaires ne peut être préservé autrement.
        • Le séquestre agit au nom de tous les indivisaires, indépendamment de leurs intérêts individuels divergents.
  • Personnes pouvant être désignées comme séquestre
    • Contrairement à l’administrateur provisoire, qui est souvent un indivisaire, le séquestre est généralement choisi parmi des tiers, en raison de la neutralité requise pour remplir cette fonction.
    • Il peut s’agir :
      • D’un notaire, souvent désigné pour gérer des fonds ou superviser des opérations complexes, telles que le partage successoral?;
      • D’un avocat ou d’un administrateur judiciaire, dans les cas nécessitant des compétences spécifiques?;
      • De toute personne qualifiée, dont l’impartialité et les compétences sont reconnues par le juge.
    • La doctrine admet cependant la possibilité de désigner un indivisaire comme séquestre, sous réserve que cette désignation ne soulève pas de conflits d’intérêts.
  • Pouvoirs du séquestre
    • Les pouvoirs du séquestre ne sont pas expressément définis par l’article 815-6 du Code civil. Ils sont donc librement fixés par le juge en fonction des besoins de l’indivision.
    • Ils peuvent comprendre :
      • La conservation et la gestion des fonds indivis, comme leur placement en attente d’un partage?;
      • La perception des revenus générés par les biens, tels que les loyers?;
      • L’exécution d’actes urgents nécessaires à la préservation des biens ou de leur valeur.
    • Le séquestre doit rendre compte de sa gestion aux indivisaires et au juge, selon les modalités définies par ce dernier.

==>Cessation de la mission

La mission du séquestre prend fin :

  • De plein droit : à l’échéance fixée par le juge lors de sa désignation?;
  • Par décision judiciaire : le juge peut révoquer le séquestre en cas de faute ou lorsque la mission devient inutile?;

À l’issue de l’objectif fixé?: Lorsque les biens ou fonds placés sous séquestre peuvent être répartis ou gérés directement par les indivisaires.

3. Interdiction de déplacer des meubles corporels

L’article 815-7 du Code civil prévoit une mesure particulière qui permet au Président du tribunal judiciaire d’interdire le déplacement des meubles corporels indivis.

Cette disposition, bien que distincte de l’article 815-6, alinéa 1er , en constitue une application concrète, s’inscrivant dans le cadre des mesures urgentes destinées à préserver l’intérêt commun des indivisaires.

==>Fondement et finalité

L’article 815-7 dispose?que « le président du tribunal peut aussi interdire le déplacement des meubles corporels sauf à spécifier ceux dont il attribue l’usage personnel à l’un ou à l’autre des ayants droit, à charge pour ceux-ci de donner caution s’il l’estime nécessaire. »

Ce texte, directement inspiré de l’article 220-1, alinéa 2 du Code civil, relatif aux régimes matrimoniaux, a pour objectif de préserver les biens corporels indivis en cas de risques de dissipation, de détournement ou de mésentente entre indivisaires.

Toutefois, il s’en distingue par plusieurs particularités propres au régime de l’indivision?:

  • D’une part, le juge peut imposer une caution à l’indivisaire auquel l’usage personnel d’un bien est attribué, afin de protéger les intérêts des coïndivisaires.
  • D’autre part, aucune limitation de durée n’est prévue pour la mesure, contrairement à ce qui est prévu dans le cadre des régimes matrimoniaux.

==>Conditions

La mise en œuvre de cette interdiction est subordonnée aux conditions générales prévues par l’article 815-6 :

  • Urgence : la mesure doit être justifiée par la nécessité de préserver les biens indivis contre un risque imminent.
  • Intérêt commun : l’interdiction doit viser à protéger l’ensemble des indivisaires, et non à privilégier les intérêts d’un seul.

L’interdiction de déplacer les meubles corporels est généralement appliquée dans des contextes où les conflits entre indivisaires entraînent une menace pour la conservation des biens indivis.

Elle peut concerner divers types de biens?: mobilier, bijoux, titres au porteur ou véhicules.

==>Etendue de l’interdiction

Le juge dispose d’une large latitude dans la mise en œuvre de l’interdiction :

  • Interdiction générale : la mesure peut s’appliquer à l’ensemble des meubles corporels indivis, comme des meubles meublants ou des objets de valeur.
  • Interdiction partielle : le juge peut limiter l’interdiction à certains biens spécifiques, en fonction des besoins et des circonstances.
  • Attribution d’un bien à un indivisaire en particulier : dans certains cas, le juge peut attribuer l’usage exclusif de certains biens à un indivisaire, sous réserve de la constitution d’une caution ou de toute autre garantie destinée à préserver les droits des autres indivisaires.

==>Sanctions

Bien que l’article 815-7 ne prévoie pas de mesures de publicité ou de sanctions pénales spécifiques, plusieurs mécanismes peuvent renforcer son efficacité?:

En cas de non-respect de l’interdiction, l’indivisaire fautif peut être condamné à des dommages et intérêts, notamment en cas de détournement ou de vente des biens protégés.

Si l’indivisaire enfreint l’interdiction, une saisie conservatoire ou une mesure équivalente peut être mise en œuvre pour garantir la conservation des biens.

La doctrine recommande parfois d’associer cette interdiction à une mesure de séquestre, ce qui permettrait d’engager la responsabilité pénale de l’indivisaire en cas de détournement (art. 314-5 C. pen.).

4. Autorisation d’effectuer des travaux d’amélioration, de réhabilitation et de restauration des immeubles d’habitation situés dans les départements d’outre-mer

L’article 815-7-1 du Code civil, introduit par la loi n° 2009-594 du 27 mai 2009, constitue un dispositif spécifique destiné à faciliter la remise sur le marché locatif des immeubles indivis vacants situés dans les départements d’outre-mer (Guadeloupe, Guyane, Martinique, La Réunion) et dans la collectivité de Saint-Martin.

Ce texte permet à un indivisaire, sous certaines conditions, de réaliser des travaux et actes administratifs sans l’accord des autres indivisaires.

==>Finalité du dispositif

La mesure vise à répondre à un enjeu spécifique : lutter contre la vacance prolongée des immeubles indivis dans ces territoires, souvent caractérisée par des mésententes entre coïndivisaires ou une gestion déficiente.

L’objectif est de permettre à un indivisaire d’engager des travaux d’amélioration, de réhabilitation ou de restauration, afin de rendre le bien éligible à la location à usage d’habitation principale.

La règle énoncée à l’article 815-7-1 du Code civil reflète une volonté législative de revitaliser le parc immobilier locatif dans les départements d’outre-mer.

Comme indiqué dans les travaux parlementaires, cette mesure permet à un indivisaire de passer outre l’absence d’accord des coïndivisaires, facilitant ainsi les démarches nécessaires à la mise en location de biens vacants.

==>Conditions d’application

La mise en œuvre de l’article 815-7-1 est soumise à la réunion de plusieurs conditions :

  • Conditions relatives à l’immeuble
    • L’immeuble doit être situé en Guadeloupe, Guyane, Martinique, La Réunion ou Saint-Martin.
    • Il doit être à usage d’habitation ou à usage mixte (habitation et professionnel).
    • L’immeuble doit être vacant ou inoccupé depuis plus de deux années civiles.
  • Conditions relatives aux travaux et actes autorisés
    • Les travaux doivent être de nature à améliorer, réhabiliter ou restaurer l’immeuble.
    • Les actes juridiques, tels que les formalités d’administration et de publicité, doivent viser exclusivement à permettre la location du bien à titre d’habitation principale.

==>Régime

L’article 815-7-1 prévoit que l’autorisation judiciaire est donnée «?dans les conditions prévues aux articles 813-1 à 813-9 du Code civil?», qui régissent la désignation d’un mandataire successoral.

Ce renvoi emporte plusieurs conséquences :

  • Compétence juridictionnelle : le tribunal judiciaire est compétent pour statuer sur la demande.
  • Mandat judiciaire : l’indivisaire autorisé agit comme un mandataire judiciaire, disposant des pouvoirs nécessaires pour accomplir les actes requis.
  • Harmonisation avec les règles successorales : bien que le texte ne limite pas son champ d’application aux seules indivisions successorales, le renvoi aux règles du mandat successoral suscite certaines interrogations, notamment quant à l’applicabilité de ces dispositions dans d’autres contextes d’indivision.

C) La procédure

1. Compétence juridictionnelle

==>Compétence du Président du Tribunal judiciaire

L’article 815-6 du Code civil confie expressément la compétence au président du Tribunal judiciaire pour prescrire ou autoriser des mesures urgentes nécessaires à la préservation de l’intérêt commun des indivisaires.

Ce dernier a pour mission de trancher les situations de blocage dans la gestion des biens indivis, en répondant aux exigences de rapidité et d’efficacité.

La compétence est exclusivement civile. Ainsi, même si l’indivision porte sur des parts de société, il revient au tribunal judiciaire de statuer, et non au tribunal de commerce (CA Versailles, 11 mars 1987).

De même, le juge aux affaires familiales n’intervient pas, même lorsque l’indivision est issue d’une séparation ou d’un divorce (circulaire du 16 juin 2010).

==>Nature des pouvoirs du Président du Tribunal judiciaire

La question de la nature exacte des pouvoirs conférés au président du tribunal judiciaire en application de l’article 815-6 du Code civil a longtemps été débattue.

Deux approches peuvent être adoptées :

  • Le Président du Tribunal judiciaire statue-t-il en référé??
    • Certains auteurs et juridictions ont initialement considéré que le Président du Tribunal judiciaire, saisi sur le fondement de l’article 815-6, exerçait des pouvoirs de référé (articles 834 et 835 du Code de procédure civile).
    • Cette position s’appuyait sur le critère d’urgence inhérent à cette procédure.
    • Cependant, cette interprétation limite les prérogatives du juge, qui, en référé, ne peut toucher au fond du litige ni autoriser des actes de disposition comme la vente de biens indivis.
    • Cette restriction rendait la procédure inadéquate pour répondre aux besoins complexes de l’indivision.
  • Le Président du Tribunal judiciaire statue-t-il au fond??
    • Une approche concurrente soutenait que le président, dans le cadre de l’article 815-6, statue “en la forme des référés” (ancienne procédure avant 2019 devenue la procédure accélérée au fond), lui permettant d’intervenir directement sur le fond des litiges liés à l’indivision.
    • Cette interprétation élargit considérablement les pouvoirs du président, qui peut ainsi autoriser des actes dépassant la simple administration courante, comme la vente d’un bien indivis.

La Cour de cassation a tranché ce débat en faveur de la seconde interprétation. Dans plusieurs décisions, elle a affirmé que le Président du Tribunal judiciaire, lorsqu’il est saisi en application de l’article 815-6, le fait dans un cadre procédural lui permettant de statuer au fond (V. notamment en ce sens Cass. 1re civ., 16 févr. 1988, n°86-16.489)

Cette position a été confirmée avec l’introduction de la procédure accélérée au fond par le décret n° 2019-1419 du 20 décembre 2019, désormais régie par l’article 481-1 du Code de procédure civile.

Cette procédure remplace l’ancienne “forme des référés” et autorise le président à trancher directement le fond des litiges. Elle est particulièrement adaptée aux situations où l’intérêt commun des indivisaires exige une intervention immédiate et décisive.

Statuer au fond permet au président d’autoriser des actes de disposition, comme la vente de biens indivis pour régler des dettes ou effectuer des travaux urgents, dans des délais rapides et sans nécessiter un recours ultérieur au tribunal.

Toutefois, les pouvoirs du président restent limités aux mesures urgentes nécessaires à la sauvegarde de l’intérêt commun des indivisaires.

Il ne saurait intervenir dans des domaines étrangers à cette finalité, tels que, par exemple, le droit viager au logement du conjoint survivant, qui relève de la compétence exclusive du tribunal judiciaire (Cass. 1ère civ., 24 oct. 2012, n° 11-17.094).

==>Saisine et instruction

La saisine du président du tribunal judiciaire ne peut être initiée que par un indivisaire ayant intérêt à agir, excluant toute intervention d’office du juge.

La demande peut également être formée par un créancier agissant par voie d’action oblique, lorsque les mesures requises visent à protéger indirectement ses intérêts (ex.?: vente d’un bien indivis pour régler des dettes).

A cet égard, la saisine se fait par assignation, et non par voie de requête, conformément à l’article 493 du Code de procédure civile.

Cette disposition prévoit, en effet, qu’il ne peut être opté pour la procédure sur requête que « dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse », ce qui ici n’est pas le cas.

En tout état de cause, le demandeur doit démontrer l’urgence de la mesure et son caractère nécessaire pour préserver l’intérêt commun. Ces deux conditions sont cumulatives et appréciées souverainement par le juge.

Enfin, une fois saisi, le Président du Tribunal examine si les mesures sollicitées sont conformes aux exigences légales. Les pièces justificatives doivent établir non seulement la réalité des biens indivis, mais aussi l’urgence et les risques encourus en cas d’inaction.

  1. Cl. Brenner, L’acte conservatoire, LGDJ, préf. P. Catala, 1999 ?
  2. F. Chabas, Leçons de droit civil – Introduction à l’étude du droit, 11e éd., Montchrestien, 1996, p. 377. ?

Gestion de l’indivision: la délivrance d’habilitations ou d’autorisations judiciaires aux fins d’accomplissement d’un acte

L’indivision, régie par les articles 815 et suivants du Code civil, repose sur un principe fondamental : l’unanimité des indivisaires. Cependant, cette règle, garante de l’équilibre entre les droits de chacun, peut devenir source d’inertie, voire d’impasse, en présence de désaccords, d’incapacités ou de comportements dilatoires.

Pour prévenir de tels blocages et préserver l’intérêt commun, le législateur a prévu des mécanismes d’intervention judiciaire qui se déploient sous deux formes distinctes.

D’une part, le juge peut lever les obstacles liés à l’unanimité en délivrant des habilitations ou autorisations judiciaires. Ces dernières, encadrées par les articles 815-4 et 815-5 du Code civil, permettent de suppléer l’absence ou l’incapacité d’un indivisaire ou de surmonter un refus compromettant l’intérêt collectif des indivisaires.

D’autre part, le juge peut intervenir directement dans la gestion des biens indivis en adoptant des mesures de sauvegarde, prévues aux articles 815-6 et 815-7. Ces mesures, empreintes d’un caractère impératif, visent à préserver l’intégrité du patrimoine indivis face à des situations d’urgence ou à des menaces pesant sur sa pérennité.

Nous nous focaliserons ici sur la délivrance d’habilitations ou d’autorisations judiciaires aux fins d’accomplissement d’un acte.

La loi prévoit que le juge peut intervenir, par la délivrance d’habilitations ou d’autorisations, dans trois situations bien distinctes, chacune répondant à des nécessités spécifiques et visant à garantir la sauvegarde des intérêts indivis.

D’une part, il peut habiliter un indivisaire à représenter un coindivisaire lorsqu’il est hors d’état de manifester sa volonté, qu’il s’agisse d’une incapacité juridique, physique ou d’une absence matérielle, entravant ainsi la prise de décisions collectives.

D’autre part, le juge peut autoriser un indivisaire à accomplir seul un acte nécessitant, en principe, l’unanimité, lorsque le refus d’un ou plusieurs coindivisaires met en péril l’intérêt commun, et compromet ainsi la gestion harmonieuse de l’indivision.

Enfin, il peut autoriser la vente d’un bien indivis, sous réserve que les conditions légales soient réunies, notamment lorsque cette cession apparaît nécessaire à la valorisation ou à la préservation du patrimoine commun.

Ces mécanismes, loin d’être anodins, permettent de surmonter les blocages potentiels et de préserver l’intégrité des biens et des droits en indivision.

A) La délivrance d’une habilitation judiciaire en présence d’un indivisaire se trouvant hors d’état de manifester sa volonté

L’article 815-4 du Code civil confère au juge la prérogative d’habiliter un indivisaire à représenter un coindivisaire lorsque ce dernier est dans l’impossibilité de manifester sa volonté.

Ce dispositif, issu d’une transposition des mécanismes prévus aux articles 217 et 219 du Code civil, vise à surmonter les blocages liés à l’incapacité, à l’éloignement ou à l’absence d’un indivisaire, tout en respectant les intérêts de l’indivision et des coindivisaires. Il s’agit d’une mesure d’exception, conçue pour garantir la continuité de la gestion des biens indivis tout en encadrant strictement les conditions et effets de l’habilitation.

1. Le principe

L’article 815-4 du Code civil dispose que « si l’un des indivisaires se trouve hors d’état de manifester sa volonté, un autre peut se faire habiliter par justice à le représenter, d’une manière générale ou pour certains actes particuliers, les conditions et l’étendue de cette représentation étant fixées par le juge ».

Ce texte offre une solution pragmatique pour faire face aux situations d’incapacité affectant un indivisaire, en habilitant un coindivisaire à le représenter. Ce dispositif s’inscrit dans une logique de sauvegarde des intérêts collectifs et individuels, tout en préservant l’équilibre entre les droits de chacun.

L’habilitation judiciaire vise avant tout à garantir la continuité dans la gestion des biens indivis. En effet, l’incapacité d’un indivisaire, qu’elle résulte d’une situation matérielle (éloignement, inaccessibilité) ou juridique (incapacité légale, altération des facultés), pourrait provoquer une paralysie décisionnelle.

Or, une gestion efficace et rationnelle des biens indivis exige de surmonter de telles impasses pour préserver les intérêts de l’ensemble des indivisaires. En conférant au juge le pouvoir de désigner un représentant, ce dispositif assure une gestion fluide tout en respectant les principes fondamentaux qui régissent l’indivision.

Parallèlement, ce mécanisme garantit la protection des droits de l’indivisaire empêché. L’intervention du juge perme de garantir que les décisions prises dans le cadre de l’indivision respectent l’intérêt de la personne empêchée, tout en limitant la portée de l’habilitation à ce qui est strictement nécessaire pour préserver l’intégrité du patrimoine indivis. Loin d’altérer les prérogatives de l’indivisaire hors d’état de manifester sa volonté, cette mesure vise à sauvegarder son patrimoine dans une logique d’équité et de justice.

Il peut être observé que ce dispositif emprunte directement aux mécanismes déjà éprouvés en matière matrimoniale, tels que ceux prévus par les articles 217 et 219 du Code civil. Ces dispositifs, conçus pour résoudre les crises de gestion patrimoniale au sein des couples mariés, partagent avec l’habilitation judiciaire en matière d’indivision un objectif commun : permettre à un tiers d’agir pour une personne empêchée, dans un cadre strictement encadré par le juge.

Cependant, l’habilitation prévue à l’article 815-4 présente une particularité notable : elle repose sur un mandat judiciaire de représentation, et non sur une autorisation d’agir en son propre nom.

Ainsi, l’indivisaire habilité agit exclusivement au nom et pour le compte de l’indivisaire incapable, engageant ce dernier comme s’il avait personnellement accompli l’acte.

Cette spécificité confère à l’habilitation un caractère temporaire et supplétif, destiné à pallier l’absence de volonté exprimée par l’indivisaire empêché.

A cet égard, l’article 815-4 confère au juge un rôle central dans la mise en œuvre de cette mesure. C’est lui qui définit, au cas par cas, les conditions et l’étendue de l’habilitation, qu’elle soit générale ou limitée à certains actes spécifiques.

Ce pouvoir discrétionnaire conféré au juge vise à prévenir tout abus et à garantir que les intérêts de l’indivision et de l’indivisaire empêché restent protégés.

2. Les conditions

La délivrance d’une habilitation judiciaire repose sur des conditions strictes, tant quant aux circonstances justifiant la représentation que quant aux actes pouvant être accomplis.

==>Conditions relatives aux circonstances

L’article 815-4 du Code civil prévoit que l’habilitation judiciaire peut être accordée lorsqu’un indivisaire est « hors d’état de manifester sa volonté ».

Cette notion recouvre des hypothèses variées, allant de l’incapacité juridique à l’impossibilité matérielle, en passant par l’absence au sens juridique du terme.

  • L’incapacité juridique
    • L’incapacité juridique constitue l’un des motifs les plus évidents justifiant le recours à l’habilitation judiciaire prévue à l’article 815-4 du Code civil.
    • Cette situation vise les indivisaires placés sous un régime de protection tel que la tutelle, la curatelle ou la sauvegarde de justice (articles 425 et suivants du Code civil), qui se trouvent privés de la capacité de manifester une volonté libre et éclairée.
    • La question s’est toutefois posée en doctrine de savoir si le dispositif de l’article 815-4 du Code civil conservait une utilité lorsque l’indivisaire empêché fait l’objet d’une mesure de protection.
    • En effet, dans un tel cas, le droit commun prévoit déjà que c’est le représentant légal — tuteur ou curateur — qui agit au nom et pour le compte de la personne protégée.
    • Certains auteurs ont ainsi considéré que l’habilitation judiciaire prévue par l’article 815-4 apparaîtrait comme superfétatoire, voire redondante avec les mécanismes institués par les articles 457 et suivants du Code civil.
    • Cependant, d’autres auteurs ont défendu l’utilité résiduelle de ce dispositif, soulignant qu’il peut exister des circonstances où le représentant légal est empêché, absent ou défaillant.
    • Dans ces hypothèses, l’habilitation judiciaire permettrait de pallier les insuffisances des dispositifs classiques, en confiant temporairement la représentation à un autre indivisaire.
    • La Cour de cassation a mis fin au débat en admettant que l’habilitation judiciaire prévue à l’article 815-4 puisse jouer même en présence d’un représentant légal, sous certaines conditions.
    • Dans un arrêt du 24 février 2016, la Haute juridiction a considéré que l’habilitation judiciaire pouvait être envisagée lorsqu’il était démontré que le représentant légal d’un indivisaire empêché était lui-même inapte ou incapable de remplir ses fonctions (Cass. 1ère civ., 24 févr. 2016, n° 15-14.887).
    • Ainsi, le mécanisme de l’article 815-4 s’affirme comme une mesure supplétive, venant compléter les dispositifs existants pour garantir la gestion optimale des biens indivis.
    • Ce faisant, la jurisprudence reconnaît au juge un pouvoir d’appréciation souverain pour déterminer si les circonstances justifient l’application de l’article 815-4, même en présence d’un régime de protection légale.
  • L’impossibilité matérielle
    • L’impossibilité matérielle constitue l’un des motifs légitimes permettant de recourir au mécanisme d’habilitation judiciaire prévu par l’article 815-4 du Code civil.
    • Ce motif couvre les situations où un indivisaire, bien qu’ayant pleine capacité juridique, est temporairement empêché, pour des raisons objectives, de manifester sa volonté.
    • Cette impossibilité peut notamment découler d’un éloignement géographique, d’une maladie grave ou de toute circonstance rendant sa participation active à la gestion des biens indivis impraticable.
    • Dans un arrêt rendu le 18 février 1981, la Cour de cassation a admis qu’un indivisaire se trouvant temporairement éloigné et, de ce fait, dans l’impossibilité matérielle de donner son consentement, pouvait être valablement représenté par un autre indivisaire habilité par le juge (Cass. 1ère civ., 18 févr. 1981, n° 80-10.403).
    • Dans cette affaire, l’indivisaire empêché résidait dans une localité éloignée, rendant impossible sa participation directe à une décision essentielle pour la gestion des biens indivis.
    • La Haute juridiction a souligné que l’article 815-4 du Code civil était précisément conçu pour pallier ce type de difficultés pratiques, en permettant une représentation judiciaire pour surmonter les obstacles temporaires et garantir la continuité de la gestion.
    • Cet arrêt met en lumière le rôle essentiel du juge dans l’appréciation des circonstances justifiant une habilitation judiciaire. Le juge doit, en effet, s’assurer que l’empêchement invoqué est réel, sérieux et suffisamment caractérisé.
    • À cet égard, l’éloignement géographique doit être tel qu’il empêche toute communication ou participation efficace à la gestion des biens indivis dans un délai raisonnable.
    • De même, une maladie grave, qu’elle soit physique ou mentale, peut justifier une demande d’habilitation judiciaire, à condition que son impact sur la capacité de l’indivisaire à exprimer une volonté soit établi par des preuves concrètes, telles qu’un certificat médical ou d’autres éléments probants.
    • Le juge dispose ainsi d’un pouvoir d’appréciation souverain pour évaluer, au cas par cas, si la situation justifie le recours à l’article 815-4 du Code civil, tout en veillant à préserver l’intérêt commun des indivisaires et l’équilibre patrimonial de l’indivision.
    • Dans ce contexte, le juge dispose d’un pouvoir d’appréciation souverain pour évaluer si l’impossibilité matérielle alléguée justifie l’intervention judiciaire.
    • Il appartient donc au demandeur de démontrer, de manière convaincante, que l’empêchement invoqué entrave effectivement la gestion de l’indivision.
    • La jurisprudence exige par ailleurs que cette mesure reste proportionnée à la situation, et que l’habilitation soit circonscrite aux besoins strictement nécessaires à la sauvegarde des intérêts indivis.
  • L’absence
    • Lorsqu’un indivisaire est présumé absent, au sens des articles 112 et suivants du Code civil, l’habilitation judiciaire prévue par l’article 815-4 permet de pallier les conséquences de cette absence sur la gestion des biens indivis.
    • L’absence, lorsqu’elle est légalement constatée, peut rapidement créer une situation de paralysie dans la prise de décisions qui requièrent l’accord de tous les indivisaires, notamment pour des actes importants tels que les actes de disposition.
    • Pour mémoire, la présomption d’absence est établie lorsque, conformément à l’article 112 du Code civil, une personne a cessé de paraître à son domicile ou lieu de résidence sans que l’on ait de nouvelles de sa part.
    • Cette situation doit être constatée par le juge des tutelles, à la demande des parties intéressées ou du ministère public.
    • Une fois la présomption d’absence déclarée, le gestionnaire désigné pour représenter la personne présumée absente est habilité à agir pour son compte.
    • Toutefois, lorsque ce gestionnaire n’est pas désigné ou lorsque des mesures spécifiques doivent être prises dans le cadre d’une indivision, l’habilitation judiciaire en vertu de l’article 815-4 peut être sollicitée.

==>Conditions relatives aux actes

Lorsqu’une habilitation judiciaire est accordée en vertu de l’article 815-4 du Code civil, elle peut porter soit sur des actes d’administration, nécessaires à la gestion courante des biens indivis, soit sur des actes de disposition, qui touchent plus profondément à l’intégrité du patrimoine commun.

Ces deux catégories d’actes répondent à des besoins distincts mais complémentaires, chacun étant soumis à un encadrement rigoureux pour préserver l’équilibre des droits des indivisaires.

  • Les actes d’administration
    • Les actes d’administration concernent les décisions nécessaires à la gestion ordinaire des biens indivis, ayant pour objectif principal leur conservation et leur exploitation.
    • Ces actes, bien que généralement moins controversés, peuvent requérir une habilitation judiciaire lorsque l’accord de tous les indivisaires est indispensable et qu’un blocage survient en raison de l’incapacité de l’un d’eux.
    • Parmi les actes d’administration les plus courants, on retrouve :
      • L’entretien et la conservation des biens : cela inclut les réparations nécessaires pour préserver la valeur des biens indivis, telles que la réfection d’une toiture ou la maintenance d’installations dégradées.
      • La location des biens indivis : la conclusion ou le renouvellement d’un bail, qu’il soit à usage d’habitation ou commercial, constitue un autre exemple fréquent d’acte d’administration. Ces démarches permettent d’assurer une exploitation économique du bien indivis, générant des revenus pour l’ensemble des indivisaires.
    • La jurisprudence rappelle que ces actes doivent avant tout servir l’intérêt commun de l’indivision, c’est-à-dire concilier la préservation du patrimoine avec les attentes légitimes des indivisaires.
    • Par conséquent, le juge veille à ce que les décisions prises dans le cadre de l’habilitation restent proportionnées aux besoins de l’indivision et respectent les droits de chacun.
  • Les actes de disposition
    • Les actes de disposition, en raison de leur impact significatif sur le patrimoine indivis, font l’objet d’un encadrement encore plus strict.
    • Ces actes, qui modifient de manière durable la consistance ou la propriété des biens, requièrent une justification spécifique et une attention particulière de la part du juge.
    • Exemples d’actes de disposition nécessitant une habilitation judiciaire :
      • La vente d’un bien indivis : elle peut être autorisée lorsque la nécessité est clairement démontrée, par exemple pour apurer les dettes de l’indivision, pour prévenir une saisie ou encore pour financer des dépenses urgentes.
      • L’hypothèque d’un bien indivis : cette mesure, bien que rare, peut être envisagée lorsqu’elle permet de garantir un prêt destiné à financer des travaux essentiels ou à répondre à une situation financière critique.
    • En raison des enjeux qu’ils représentent, les actes de disposition exigent du juge une analyse approfondie des circonstances.
    • L’autorisation ne sera accordée que si l’acte est justifié par l’intérêt commun de l’indivision, c’est-à-dire qu’il ne doit ni favoriser un indivisaire au détriment des autres, ni compromettre les droits patrimoniaux de l’ensemble des coindivisaires.

3. Etendue de l’habilitation

L’habilitation judiciaire délivrée en application de l’article 815-4 du Code civil peut revêtir deux formes distinctes, selon son étendue et les besoins spécifiques de l’indivision : l’habilitation générale, qui confère des pouvoirs étendus, et l’habilitation spéciale, strictement limitée à un ou plusieurs actes déterminés.

Cette distinction reflète la volonté du législateur de concilier souplesse et contrôle, en adaptant l’intervention judiciaire aux circonstances particulières de chaque affaire.

  • L’habilitation générale : une délégation étendue mais encadrée
    • L’habilitation générale permet à l’indivisaire habilité de représenter l’indivisaire empêché pour l’ensemble des actes nécessaires à la gestion des biens indivis, qu’ils relèvent de l’administration ou, dans certains cas, de la disposition.
    • Cette forme d’habilitation, bien qu’exceptionnelle, s’avère indispensable lorsque l’indivisaire empêché est durablement hors d’état de manifester sa volonté, comme dans le cas d’une incapacité prolongée ou d’une absence prolongée.
    • En raison des pouvoirs étendus qu’elle confère, l’habilitation générale est strictement encadrée.
    • Le juge doit s’assurer que cette délégation est justifiée par les besoins de l’indivision et qu’elle ne risque pas de porter atteinte aux droits des autres indivisaires.
    • Reste que même en cas d’habilitation générale, le représentant ne peut agir que dans l’intérêt commun des indivisaires.
    • Tout acte contraire à cet intérêt pourrait être contesté et annulé.
  • L’habilitation spéciale : une intervention ciblée et précise
    • L’habilitation spéciale constitue la forme la plus courante de représentation judiciaire.
    • Contrairement à l’habilitation générale, elle est strictement limitée à un ou plusieurs actes déterminés, définis par le juge en fonction des besoins spécifiques de l’indivision et des circonstances du blocage.
    • L’habilitation spéciale permet de répondre à une situation d’urgence ou à un besoin spécifique, sans conférer au représentant des pouvoirs excédant l’acte pour lequel l’habilitation a été accordée.
    • Le juge délimite précisément les contours de l’habilitation, en précisant l’acte autorisé, ses modalités d’exécution et, le cas échéant, les conditions à respecter.
    • Par exemple, il peut autoriser la vente d’un bien indivis à un prix minimum, ou imposer l’affectation des fonds à un objectif précis, tel que le règlement des dettes de l’indivision.
    • Cette forme d’habilitation réduit le risque d’abus en limitant le champ d’intervention du représentant, qui ne peut agir au-delà des pouvoirs conférés.
    • Exemples fréquents d’habilitation spéciale :
      • La vente d’un bien indivis pour éviter une saisie ou financer des travaux urgents.
      • La conclusion d’un bail commercial pour valoriser un immeuble indivis.
      • L’accomplissement d’un acte administratif, tel que le renouvellement d’une assurance ou la régularisation d’une taxe foncière impayée.

La distinction entre habilitation générale et habilitation spéciale repose avant tout sur une analyse de l’intérêt de l’indivision.

Tandis que l’habilitation générale est privilégiée lorsque l’indivisaire empêché est durablement indisponible, l’habilitation spéciale répond à des besoins ponctuels et spécifiques.

Dans les deux cas, le juge exerce un contrôle pour s’assurer que les actes réalisés dans le cadre de l’habilitation respectent les droits et intérêts de l’ensemble des indivisaires.

4. La procédure

L’article 815-4 du Code civil est silencieux quant à la procédure applicable pour obtenir une habilitation judiciaire.

Ce silence législatif a conduit la doctrine à suggérer un raisonnement par analogie avec le dispositif prévu à l’article 219 du Code civil, lequel régit la représentation judiciaire dans le cadre des régimes matrimoniaux.

==>La saisine du juge des tutelles

En l’absence de dispositions spécifiques prévues à l’article 815-4, les demandes d’habilitation judiciaire doivent être présentées devant le juge des tutelles près le Tribunal judiciaire compétent.

La procédure, de nature gracieuse, est introduite par une requête écrite, que le requérant doit appuyer par des éléments probants démontrant l’incapacité de l’indivisaire concerné et la nécessité de l’habilitation pour le bon fonctionnement de l’indivision.

==>Les éléments à fournir au soutien de la requête

  • Preuve de l’empêchement
    • Un certificat médical en cas d’incapacité physique ou mentale?;
    • Une décision de justice constatant une présomption d’absence, conformément aux articles 112 et suivants du Code civil?;
    • Tout autre document établissant une impossibilité matérielle, comme une attestation d’éloignement géographique ou une déclaration circonstanciée sous serment.
  • Justification de la nécessité de l’habilitation
    • Une description des actes envisagés (administration ou disposition)?;
    • La démonstration que ces actes sont nécessaires pour préserver l’intérêt commun des indivisaires.

==>L’instruction de la demande

Une fois la requête déposée, le juge des tutelles engage une instruction destinée à vérifier la légitimité et l’opportunité de l’habilitation demandée.

Cette phase de la procédure obéit aux principes d’équité et de respect des droits de toutes les parties concernées.

  • Étapes de l’instruction
    • Le juge peut convoquer les indivisaires pour recueillir leurs observations. Cette étape est essentielle pour garantir le respect du contradictoire, bien qu’elle puisse être omise si les pièces fournies permettent de statuer sans audience.
    • En cas de doute, le juge peut :
      • Ordonner la production de pièces supplémentaires?;
      • Solliciter l’avis d’experts, par exemple pour évaluer l’incapacité de l’indivisaire ou l’opportunité des actes envisagés.
  • Analyse des intérêts en présence
    • Le juge évalue les motifs avancés, s’assure que l’habilitation répond à un besoin réel et vérifie que les actes envisagés respectent les droits de l’indivisaire empêché.

==>La décision du juge

Au terme de l’instruction, le juge rend une décision sous forme d’ordonnance, laquelle précise les contours de l’habilitation accordée.

Contenu de l’ordonnance :

  • Durée de l’habilitation
    • Elle peut être temporaire, limitée à un ou plusieurs actes, ou accordée pour une durée indéterminée en cas d’empêchement prolongé.
  • Étendue des pouvoirs conférés
    • Les actes autorisés doivent être clairement définis : actes d’administration (entretien, location) ou actes de disposition (vente, hypothèque).
    • Le juge peut imposer des conditions, telles que l’affectation des fonds à un objectif précis ou la fixation d’un prix minimum en cas de vente.
  • Garanties
    • Le juge peut exiger du représentant habilité qu’il rende compte de sa gestion, notamment pour des actes d’importance, afin d’éviter tout abus.

5. Les effets

L’habilitation judiciaire prévue par l’article 815-4 du Code civil produit des effets, tant à l’égard de l’indivisaire représenté qu’à l’égard de l’ensemble des indivisaires.

L’acte accompli par le représentant habilité engage directement le patrimoine de l’indivisaire empêché, comme si ce dernier l’avait personnellement réalisé.

Toutefois, ce mécanisme reste encadré par des limites strictes, fixées par le juge, garantissant l’équilibre entre l’intérêt collectif de l’indivision et la protection des droits individuels.

==>Effets à l’égard de l’indivisaire représenté

L’indivisaire empêché, bien qu’incapable de manifester sa volonté, est pleinement engagé par les actes accomplis en son nom par le représentant habilité.

Ce mécanisme repose sur le principe selon lequel le représentant agit pour le compte et au nom de la personne représentée, conférant ainsi aux actes réalisés une opposabilité directe à cette dernière.

  • Effet principal : l’opposabilité des actes
    • L’acte accompli par le représentant habilité engage juridiquement l’indivisaire représenté.
    • Celui-ci est réputé avoir consenti à l’acte, qui lui est opposable comme s’il l’avait personnellement exécuté.
    • Cette opposabilité garantit la continuité de la gestion de l’indivision, en évitant tout blocage lié à l’empêchement d’un indivisaire.
  • Limitation des effets : respect des conditions fixées par le juge
    • Le mandat conféré au représentant est strictement limité aux conditions fixées par l’ordonnance du juge.
    • Toute action entreprise en dehors de ces limites serait nulle et sans effet à l’égard de l’indivisaire représenté.
    • Cette restriction vise à éviter tout abus et à préserver les droits patrimoniaux de la personne empêchée.

==>Effets à l’égard des autres indivisaires

L’acte accompli par le représentant habilité engage non seulement l’indivisaire empêché, mais également l’ensemble des indivisaires.

Ce mécanisme assure la cohérence et la stabilité juridique des décisions prises dans l’intérêt collectif de l’indivision.

  • Engagement collectif
    • L’acte réalisé dans les conditions de l’habilitation s’impose à tous les indivisaires, dans la mesure où il vise à préserver ou à valoriser le patrimoine indivis.
    • Par exemple, une vente autorisée par le juge pour rembourser une dette de l’indivision liera tous les indivisaires, y compris celui qui a été représenté.
  • Possibilité de contestation
    • Les autres indivisaires conservent toutefois le droit de contester les actes réalisés si ceux-ci excèdent les pouvoirs conférés par l’habilitation ou s’ils portent atteinte à leurs droits.
    • Cette garantie renforce la protection des indivisaires contre les abus éventuels.

==>Effets à l’égard des tiers

L’habilitation judiciaire prévue par l’article 815-4 du Code civil produit des effets qui s’étendent au-delà de la sphère des indivisaires et engagent également les tiers qui entrent en relation avec le représentant habilité.

  • Opposabilité des actes aux tiers
    • Les actes accomplis par le représentant habilité en vertu de l’article 815-4 sont opposables aux tiers.
    • Cela signifie que ces derniers ne peuvent remettre en cause la validité des actes, à condition que ceux-ci aient été réalisés dans les limites du mandat conféré par le juge.
  • Opposabilité directe
    • Le représentant agit au nom et pour le compte de l’indivisaire empêché.
    • Par conséquent, les actes qu’il accomplit dans ce cadre lient l’indivisaire représenté, et cette obligation s’étend aux tiers avec lesquels ces actes sont conclus.
  • Sécurité des transactions
    • Pour garantir la sécurité des transactions, les tiers peuvent se prévaloir de l’ordonnance judiciaire d’habilitation, qui précise les contours du mandat du représentant.
    • Cette ordonnance, souvent annexée aux actes de disposition (tels qu’une vente ou une hypothèque), permet aux tiers de vérifier que l’acte accompli respecte les limites fixées par le juge.

Il peut être observé que les tiers qui contractent avec le représentant habilité sont présumés de bonne foi, sauf preuve contraire.

Par conséquent, un acte accompli par un représentant en dehors des limites fixées par le juge peut être opposable à l’indivisaire représenté si le tiers n’avait pas connaissance de l’excès de pouvoir.

En revanche, un tiers qui contracte en connaissance d’une fraude ou d’un excès de pouvoir s’expose à la nullité de l’acte.

  • Fraude avérée
    • Si un tiers agit de connivence avec le représentant habilité pour réaliser un acte contraire aux intérêts de l’indivisaire représenté ou de l’indivision, cet acte pourra être annulé sur demande des indivisaires.
    • Cette règle vise à décourager toute tentative d’abus de la part du représentant habilité en collaboration avec un tiers.
  • Preuve de la fraude
    • Il incombe aux indivisaires lésés de démontrer que le tiers avait connaissance de l’excès de pouvoir ou qu’il a participé à une fraude.
    • Cette preuve, souvent difficile à établir, constitue une barrière protectrice pour les tiers de bonne foi.

Les tiers, bien que protégés, doivent s’assurer que l’acte qu’ils concluent est conforme aux dispositions de l’habilitation judiciaire.

Avant de conclure un acte de disposition, les tiers doivent vérifier les termes de l’ordonnance judiciaire d’habilitation. Cette diligence leur permet de s’assurer que le représentant agit dans les limites de ses pouvoirs et que l’acte est juridiquement valable.

Pour certains actes, notamment ceux portant sur des biens immobiliers, la publicité foncière permet de sécuriser les droits des tiers. L’inscription de l’ordonnance d’habilitation au fichier immobilier garantit la validité des actes de disposition à l’égard des tiers.

B) La délivrance d’une autorisation judiciaire à accomplir un acte en cas de refus d’un indivisaire mettant en péril l’intérêt commun

1. Indivision en pleine propriété

a. Principe

L’article 815-5, alinéa 1er, du Code civil prévoit que « un indivisaire peut être autorisé par justice à passer seul un acte pour lequel le consentement d’un coïndivisaire serait nécessaire, si le refus de celui-ci met en péril l’intérêt commun ».

Le mécanisme d’autorisation judiciaire institué par cette disposition vise à résoudre les situations de blocage dans l’indivision, lorsque l’unanimité requise par l’article 815-3, alinéa 1er, du Code civil pour certains actes ne peut être obtenue en raison de l’opposition d’un ou plusieurs indivisaires.

Contrairement à l’habilitation judiciaire prévue par l’article 815-4, qui intervient pour suppléer l’absence ou l’incapacité d’un indivisaire, l’article 815-5 repose sur une logique différente.

Ici, il ne s’agit pas de représenter l’indivisaire opposant en agissant en son nom, mais de passer outre son refus au moyen d’une autorisation judiciaire.

L’objectif est de trancher un conflit né de divergences entre les indivisaires, en permettant la réalisation d’un acte nécessaire à la préservation ou à la valorisation du patrimoine indivis.

La spécificité de l’article 815-5 réside donc dans sa finalité?: il ne confère pas un mandat permettant à un indivisaire d’agir pour le compte d’un autre, mais autorise un indivisaire à agir malgré le refus d’un coïndivisaire.

Aussi, il ne s’agit pas ici de combler une incapacité mais à prévenir les effets d’un veto susceptible de compromettre l’intérêt commun.

A l’analyse, le dispositif institué à l’article 815-5 du Code civil est directement inspiré de celui prévu à l’article 217, lequel permet à un époux d’être autorisé par le juge à accomplir seul un acte lorsque le refus de son conjoint met en péril l’intérêt familial.

Si les deux dispositifs partagent une structure commune, leurs finalités diffèrent : l’article 217 vise la protection de la cellule familiale, tandis que l’article 815-5 cible la préservation du patrimoine indivis et l’équilibre des droits des indivisaires.

En tout état de cause, pour délivrer une autorisation judiciaire une analyse approfondie des intérêts en présence devra être conduite par le juge.

Celui-ci, en tant qu’arbitre, n’intervient que lorsque le refus d’un indivisaire met en péril l’intérêt commun.

Cette mise en péril, qui constitue une condition essentielle, est appréciée au cas par cas, en fonction des circonstances. L’objectif est de prévenir les conséquences dommageables pour le patrimoine indivis tout en respectant, autant que possible, les droits du coïndivisaire opposant.

b. Conditions

==>Refus d’un ou plusieurs indivisaires

L’application de l’article 815-5 du Code civil s’étend aux actes qui, en vertu des règles de l’indivision, nécessitent soit l’unanimité des indivisaires, soit une majorité qualifiée des deux tiers des droits indivis.

Ces situations reflètent les différentes modalités de prise de décision au sein de l’indivision.

  • Actes concernés
    • Actes nécessitant l’unanimité des indivisaires
      • L’unanimité est exigée pour les actes qui excèdent l’exploitation normale des biens indivis ou pour les actes de disposition ne relevant pas des exceptions prévues à l’article 815-3 du Code civil.
      • Parmi ces actes, on peut citer?:
        • La vente d’un bien indivis?;
        • L’hypothèque d’un bien indivis?;
        • Toute opération entraînant une modification substantielle de la nature ou de la destination des biens indivis.
      • Ces actes, de par leur impact significatif sur le patrimoine indivis, requièrent l’accord de l’ensemble des indivisaires pour être valablement exécutés.
    • Actes soumis à la majorité qualifiée des deux tiers
      • Dans certains cas, l’article 815-3 du Code civil permet une prise de décision à la majorité des deux tiers des droits indivis, notamment pour des actes essentiels à la bonne gestion ou à la valorisation du patrimoine commun.
      • Il s’agit notamment?:
        • De l’aliénation d’un bien indivis, justifiée par des motifs économiques ou patrimoniaux?;
        • De la réalisation d’opérations visant à préserver ou accroître la valeur globale des biens indivis.
      • Lorsque cette majorité des deux tiers ne peut être atteinte en raison de l’opposition d’un ou plusieurs indivisaires, le recours à l’article 815-5 permet de surmonter ce blocage en sollicitant l’intervention judiciaire.
      • Le juge, en se substituant au consentement des indivisaires opposants, autorise l’accomplissement de l’acte lorsqu’il est établi que le refus met en péril l’intérêt commun.
    • Cas particulier des actes conservatoires
      • Pour mémoire, les actes conservatoires, par leur nature même, visent à préserver l’intégrité ou la valeur des biens indivis.
      • Conformément à l’article 815-2 du Code civil, tout indivisaire est habilité à les accomplir unilatéralement, sans nécessiter l’accord des autres.
      • Ces actes, qui répondent à une urgence ou à une nécessité immédiate, échappent donc, en principe, au champ d’application de l’article 815-5.
      • Cependant, des situations ambiguës peuvent survenir lorsque le caractère conservatoire d’une mesure est sujet à interprétation.
      • Cette incertitude peut découler de la nature de l’acte envisagé ou des conséquences potentielles sur le patrimoine indivis.
      • Dans ces cas, l’indivisaire initiateur de l’acte peut légitimement craindre une contestation ultérieure de la mesure par les coïndivisaires.
      • Une telle contestation pourrait conduire à l’invalidation de l’acte et engager la responsabilité de l’indivisaire ayant agi unilatéralement.
      • Aussi, afin de prévenir tout litige, l’indivisaire prudent peut choisir de solliciter au préalable l’accord des coïndivisaires sur l’acte envisagé.
      • Cet accord formel sécurise l’acte en le plaçant sous le sceau du consentement unanime ou, à défaut, de la majorité qualifiée prévue par l’article 815-3 du Code civil.
      • Toutefois, si les coïndivisaires opposent un refus explicite ou demeurent silencieux malgré une sollicitation formelle, la situation peut alors être qualifiée de blocage.
      • Dans ce contexte, l’article 815-5 peut être invoqué pour lever l’opposition.
      • L’indivisaire initiateur pourra saisir le tribunal judiciaire afin d’obtenir une autorisation judiciaire de passer l’acte.
      • La démarche est justifiée par la nécessité de protéger l’intérêt commun des indivisaires, souvent menacé par une abstention ou une opposition injustifiée.
  • Refus explicite ou implicite
    • L’article 815-5 du Code civil mentionne la possibilité pour un indivisaire de saisir le juge en cas de refus d’un coïndivisaire de donner son consentement à un acte nécessaire, sans préciser si ce refus doit être explicite ou implicite.
    • Cette absence de précision textuelle ouvre la voie à une interprétation large, permettant de considérer tant les refus exprimés clairement que ceux déduits du comportement de l’indivisaire.
    • En effet, ce qui importe au regard de l’article 815-5, c’est d’établir de manière probante qu’un blocage existe, peu importe sa forme.
      • Le refus explicite : une opposition clairement manifestée
        • Le refus explicite est celui qui se manifeste de manière claire et indiscutable.
        • Il peut prendre diverses formes :
          • Déclarations écrites : une lettre, un e-mail ou tout autre support écrit où l’indivisaire indique de manière formelle son opposition à l’acte projeté.
          • Sommation interpellative : une opposition officialisée par un commissaire de justice, qui notifie à l’indivisaire la nécessité de se prononcer et consigne sa réponse ou son refus explicite.
          • Déclaration notariée : le désaccord peut être consigné dans un acte notarié, renforçant ainsi sa valeur probante.
        • Ces formes explicites de refus présentent l’avantage de lever toute ambiguïté sur la position de l’indivisaire.
        • Elles permettent au demandeur de se fonder sur des preuves matérielles et incontestables pour justifier la saisine du juge en vue de lever le blocage.
      • Le refus implicite : l’opposition déduite du comportement
        • Le refus implicite, en revanche, est déduit du comportement de l’indivisaire, notamment lorsque ce dernier observe un silence prolongé ou adopte une attitude passive face à une sollicitation formelle.
        • Toutefois, ce silence ne peut être interprété comme un refus qu’à certaines conditions :
          • Tout d’abord, l’indivisaire doit avoir été dûment informé de la nécessité de se prononcer sur l’acte envisagé. Cette information doit être claire et compréhensible, indiquant les enjeux de l’acte.
          • Ensuite, l’indivisaire doit avoir eu un délai raisonnable pour se prononcer. Un silence dû à des circonstances extérieures, telles qu’une absence prolongée non imputable à l’indivisaire, ne saurait être considéré comme un refus.
          • Enfin, en cas de silence, il appartient au juge d’apprécier souverainement si ce silence équivaut à un refus. Cette évaluation tiendra compte des circonstances particulières, telles que la nature de l’acte, l’importance des délais ou l’existence de précédents laissant supposer une opposition.
    • L’absence précision à l’article 815-5 quant à la forme du refus requis, implique que le refus implicite est admis au même titre que le refus explicite.
    • La condition essentielle demeure la capacité à prouver l’existence d’un blocage.
    • Ainsi, le demandeur devra démontrer que l’opposition de l’indivisaire, qu’elle soit exprimée directement ou inférée de son comportement, est à l’origine de l’impossibilité de réaliser l’acte.
  • Refus collectif ou individuel
    • L’article 815-5 du Code civil mentionne le refus d’un «?coindivisaire?» comme condition permettant de solliciter une autorisation judiciaire.
    • Cependant, cette formulation ne saurait être interprétée de manière restrictive.
    • Une lecture stricte réduirait considérablement l’efficacité de ce dispositif en excluant les situations où plusieurs indivisaires, par une opposition conjointe, font obstacle à un acte nécessaire à la préservation de l’intérêt commun.
    • Bien que le texte mentionne expressément un «?coindivisaire?», la doctrine et la jurisprudence reconnaissent que cette disposition doit s’appliquer également en cas de refus collectif.
    • En effet :
      • D’une part, l’objectif de l’article 815-5 est de lever les blocages en indivision?: il serait contraire à cet esprit de limiter son application aux cas d’opposition isolée.
      • D’autre part, certaines indivisions impliquent plusieurs indivisaires, et les désaccords peuvent résulter de coalitions formées par une partie des indivisaires contre d’autres. Refuser l’application de l’article 815-5 dans de telles situations reviendrait à pérenniser ces blocages.
    • Par conséquent, l’opposition d’un ou de plusieurs indivisaires peut être prise en compte pour justifier une intervention judiciaire.
    • A cet égard, lorsque plusieurs indivisaires s’unissent pour refuser un acte, leur opposition peut s’appuyer sur des motifs variés, parfois légitimes, mais souvent stratégiques.
    • Le juge, saisi sur le fondement de l’article 815-5, devra donc apprécier la situation avec soin pour déterminer :
    • Si le refus collectif met réellement en péril l’intérêt commun?: le juge évaluera si cette opposition compromet la gestion efficace du patrimoine indivis ou empêche un acte nécessaire.
    • Si l’opposition reflète un abus de droit?: par exemple, des indivisaires minoritaires pourraient tenter d’exercer un droit de veto abusif en bloquant des décisions favorables à l’intérêt collectif.
  • Preuve du refus
    • Parce que l’on est en présence d’un fait juridique, la preuve du refus peut être rapportée par tout moyen, notamment :
      • Correspondance : lettres recommandées, e-mails ou toute communication écrite attestant du refus.
      • Sommations : actes notifiés par un commissaire de justice pour solliciter explicitement le consentement de l’indivisaire récalcitrant.
      • Actes notariés : procès-verbaux établis par un notaire consignant l’opposition exprimée par un indivisaire lors d’une tentative de signature d’un acte.
  • Situation de blocage et intervention judiciaire
    • Le refus d’un indivisaire, qu’il s’exprime de manière explicite ou implicite, peut engendrer une situation de blocage au sein de l’indivision.
    • Ce blocage, en paralysant la gestion des biens indivis, est susceptible de mettre en péril l’intérêt commun des indivisaires.
    • L’intervention judiciaire devient alors nécessaire, conformément aux dispositions de l’article 815-5 du Code civil, pour permettre la réalisation d’un acte dont l’opposition compromet la préservation ou la valorisation du patrimoine indivis.

==>Mise en péril de l’intérêt commun

L’article 815-5, alinéa 1er, du Code civil subordonne la délivrance d’une autorisation judiciaire à la démonstration que le refus d’un ou plusieurs indivisaires met en péril l’intérêt commun.

Cette condition essentielle appelle une réflexion approfondie, car elle impose de cerner avec précision deux notions fondamentales : d’une part, celle de « mise en péril », qui implique l’identification d’un risque concret et sérieux pour le patrimoine indivis, et, d’autre part, celle d’« intérêt commun », qui exige une approche distincte des intérêts individuels des indivisaires et de l’intérêt général.

  • La notion de mise en péril
    • La mise en péril, condition sine qua non de l’application de l’article 815-5, alinéa 1er, du Code civil, s’entend d’une menace sérieuse et concrète pesant sur l’intérêt commun des indivisaires.
    • Elle implique l’existence d’un risque tangible pour le patrimoine indivis, qui ne peut être évité qu’en passant outre le refus d’un ou plusieurs coïndivisaires.
    • Cette notion dépasse le simple désaccord entre indivisaires et requiert que le refus opposé ait des conséquences susceptibles de compromettre l’intégrité ou la valorisation du bien indivis.
    • Selon le professeur Jean Patarin, la mise en péril renvoie à une « atteinte significative à l’intérêt commun, résultant de circonstances dans lesquelles le maintien du statu quo ou le refus de l’acte envisagé crée une menace grave pour la conservation ou la valorisation du patrimoine indivis ».
    • De son côté, Philippe Simler précise que le péril doit être « certain et sérieux », excluant les risques hypothétiques ou purement éventuels.
    • La jurisprudence s’accorde ainsi pour reconnaître que la mise en péril ne se limite pas à des situations d’urgence (Cass. 1ère civ. 12 juill. 2001, n°99-14.202), mais suppose une évaluation objective des conséquences potentielles du refus sur l’indivision.
    • Pour exemple, dans un arrêt du 14 février 1984, la Cour de cassation a estimé que le refus d’un indivisaire de vendre un bien indivis pour payer les droits de succession constituait une mise en péril de l’intérêt commun, dès lors que cette situation exposait les indivisaires à des pénalités financières importantes (Cass. 1ère civ., 14 févr. 1984, n°82-16.526).
    • Dans cette affaire, le péril résultait directement de l’impossibilité de satisfaire aux obligations fiscales, ce qui menaçait la pérennité du patrimoine indivis.
    • De même, dans un arrêt du 3 mars 1992, la Cour de cassation a jugé que le refus de céder un bail rural à un enfant commun, dans une indivision post-communautaire, constituait une mise en péril de l’intérêt commun.
    • En l’espèce, le refus privait l’indivision d’une opportunité essentielle de valoriser le bien et de préserver sa viabilité économique (Cass. 1ère civ., 3 mars 1992, n° 90-16.420).
    • A l’analyse, plusieurs critères doivent être réunies pour que la mise en péril soit caractérisée :
      • Un risque sérieux et concret : la mise en péril ne peut se fonder sur une menace hypothétique ou abstraite. Elle doit reposer sur des éléments factuels démontrant un danger imminent ou inévitable pour le patrimoine indivis.
      • Une nécessité contraignante : la jurisprudence exclut les actes purement opportunistes ou simplement avantageux. Il a ainsi été jugé que le refus de modifier un placement financier, bien qu’il puisse être bénéfique, ne constitue pas une mise en péril dès lors que le statu quo n’entraîne pas une dévalorisation grave du capital (CA Amiens, 7 janv. 1997).
  • La notion d’intérêt commun
    • La doctrine s’est longuement penchée sur cette notion, qui ne se confond pas avec une simple somme des intérêts individuels des indivisaires. Jean Patarin la définit comme « l’ensemble des intérêts inhérents à l’indivision et aux biens qui la composent, pris dans une perspective patrimoniale unifiée ».
    • De son côté, Philippe Simler souligne que l’intérêt commun reflète « l’équilibre nécessaire entre la préservation du bien indivis et les droits patrimoniaux des indivisaires, en évitant toute subjectivisation excessive ».
    • Ainsi, l’intérêt commun vise à concilier les aspirations des indivisaires tout en assurant une gestion saine et équitable du patrimoine indivis.
    • Il s’inscrit dans une perspective patrimoniale, orientée vers la conservation et la valorisation des biens indivis pour le bénéfice de l’ensemble des indivisaires.
    • La jurisprudence a clarifié les contours de cette notion en insistant sur sa dimension patrimoniale et objective.
    • Dans un arrêt du 6 novembre 1990, la Cour de cassation a ainsi affirmé en substance que l’intérêt commun correspond à l’intérêt patrimonial de l’indivision, pris globalement et non à travers les seuls intérêts individuels des indivisaires (Cass. 1re civ., 6 nov. 1990, n°89-13.220).
    • Cette décision illustre que l’intérêt commun ne peut être réduit aux préférences personnelles des indivisaires, mais doit refléter la gestion optimale du patrimoine indivis.
    • À l’inverse, la jurisprudence exclut l’application de l’article 815-5 lorsqu’un refus, bien que désavantageux, ne compromet pas gravement l’intérêt commun.
    • Par exemple, un refus de modifier un placement financier, bien que jugé opportun par certains indivisaires, n’a pas été considéré comme contraire à l’intérêt commun en l’absence de preuve d’un risque concret de dévalorisation (CA Amiens, 7 janv. 1997).
    • Aussi, l’intérêt commun repose sur des critères objectifs, notamment la conservation, la valorisation et l’intégrité du patrimoine indivis.
    • Il ne s’agit pas d’un intérêt collectif abstrait, mais d’un standard permettant d’assurer une gestion conforme à la nature et à la vocation des biens indivis.
    • A cet égard, les juges doivent s’assurer que l’acte envisagé respecte un équilibre entre les droits des indivisaires et ne privilégie pas indûment l’un d’entre eux au détriment des autres.
    • La Cour de cassation a, par exemple, rappelé en ce sens que l’intérêt commun ne saurait justifier un acte contraire à l’intérêt légitime d’un indivisaire particulier (Cass. 1ère civ., 15 févr. 2012, n°10-21.457).
    • Par ailleurs, l’intérêt commun implique une prise en compte des perspectives futures, notamment en termes de valorisation du patrimoine.
    • Une vente ou une cession envisagée doit être jugée conforme à cet objectif, sous peine de rejet par les juridictions compétentes.
    • En revanche, l’intérêt commun ne saurait être invoqué pour justifier des actes opportunistes ou simplement avantageux.
    • Par exemple, un refus de réaliser des travaux d’amélioration non indispensables sur un bien indivis ne met pas en péril l’intérêt commun s’il n’est pas prouvé que ces travaux sont nécessaires pour préserver l’intégrité du bien (CA Montpellier, 4 mars 1986).

==>Appréciation du juge

Dans le cadre de l’article 815-5 du Code civil, le rôle du juge ne se limite pas à une constatation formelle de la mise en péril de l’intérêt commun. Il s’étend également à une évaluation minutieuse de la nécessité et de la proportionnalité de l’acte envisagé, afin de garantir un équilibre entre les droits des indivisaires et la préservation du patrimoine indivis.

Aussi, le juge doit-il s’assurer que l’autorisation demandée répond aux exigences posées par l’article 815-5, al. 1er du Code civil.

Cela implique deux appréciations distinctes mais complémentaires :

  • Constatation de la mise en péril de l’intérêt commun : il incombe au demandeur de démontrer que le refus opposé par un ou plusieurs indivisaires entraîne un risque concret et sérieux pour le patrimoine indivis. Ce risque peut prendre diverses formes, telles qu’une dévalorisation du bien, l’impossibilité de répondre à une obligation financière ou encore la perte d’une opportunité exceptionnelle.
  • Proportionnalité de l’autorisation demandée : le juge doit évaluer si l’acte envisagé est strictement nécessaire pour remédier au risque identifié, sans porter une atteinte excessive aux droits des indivisaires opposants. Cette évaluation repose sur un principe de balance des intérêts, visant à préserver l’équilibre patrimonial de l’indivision tout en respectant les droits individuels de chaque indivisaire.

La jurisprudence a rappelé à plusieurs reprises que l’autorisation judiciaire ne peut être accordée que dans les limites prévues par le législateur.

En ce sens, la Cour de cassation a censuré une décision d’appel qui avait conditionné l’application de l’article 815-5 à une exigence d’urgence non mentionnée dans le texte légal (Cass. 1re civ., 12 juill. 2001, n°99-14.202).

En outre, le juge doit se garder d’ajouter des critères non prévus par le texte, sous peine de voir sa décision annulée pour excès de pouvoir.

c. Procédure

==>Compétence

L’article 815-5 ne désigne pas expressément la juridiction compétente. Cependant, conformément aux principes généraux de répartition des compétences, la Cour de cassation a jugé que le tribunal judiciaire, en tant que juridiction de droit commun en matière civile, est seul compétent pour statuer sur les demandes formées sur le fondement de cet article (V. en ce sens Cass. 1re civ., 15 févr. 2012, n°10-21.457).

La Cour de cassation a précisé dans cette décision que dans l’hypothèse où le Président du tribunal judiciaire était saisi en référé, alors l’ordonnance rendue serait dépourvue de l’autorité de la chose jugée au fond.

==>Une procédure contradictoire

Contrairement à d’autres mécanismes d’intervention judiciaire en matière d’indivision, la procédure sur requête ou devant le juge des référés est expressément écartée.

La Cour de cassation a précisé que cette autorisation relève du droit commun et exige une procédure contradictoire permettant aux indivisaires opposants de faire valoir leurs arguments (Cass. 3e civ., 28 nov. 2012, n°11-19.585).

Le caractère contradictoire de la procédure garantit que toutes les parties concernées soient entendues.

L’indivisaire à l’initiative de la demande doit démontrer que le refus des coïndivisaires met en péril l’intérêt commun, tandis que les indivisaires opposants disposent d’un droit de réponse pour exposer leurs motifs.

==>Moment de la demande

La demande d’autorisation doit impérativement être introduite avant la réalisation de l’acte projeté.

En effet, l’article 815-5 ne prévoit pas de mécanisme de régularisation a posteriori, mais une procédure préventive destinée à pallier l’absence de consentement préalable.

La Cour de cassation a clairement affirmé cette exigence, rejetant les demandes d’autorisation visant à valider des actes déjà réalisés (Cass. 1re civ., 29 nov. 1988, n°86-14.496?).

d. Effets

L’autorisation judiciaire rend l’acte opposable à tous les indivisaires, y compris à ceux ayant refusé de consentir.

Conformément à l’article 815-5, alinéa 3, du Code civil, l’acte autorisé est considéré comme valablement réalisé, comme si tous les indivisaires avaient donné leur accord.

Bien qu’ils soient tenus de respecter les effets de l’acte autorisé, les indivisaires opposants ne sont pas personnellement engagés par celui-ci.

Par exemple, en cas de vente d’un bien indivis, ils ne pourront être tenus responsables des garanties légales à l’égard des tiers, comme la garantie des vices cachés.

Par ailleurs, l’acte autorisé met fin au droit des indivisaires opposants sur le bien cédé. Ainsi, un indivisaire ne peut plus revendiquer l’usage ou la jouissance du bien vendu.

Enfin, il a été décidé par la Cour de cassation dans un arrêt du 30 juin 1992 que le prix de cession remplace dans l’indivision le bien aliéné, sans que cela entraîne un partage (Cass. 1re civ., 30 juin 1992, n°90-19.052). Il en résulte que les règles encadrant le partage ne sont pas applicables.

2. Indivision en nue-propriété

Le démembrement de propriété, par sa nature, ne se confond pas avec l’indivision. Tandis que l’indivision implique une pluralité de titulaires partageant un même droit sur un bien (propriété indivise), le démembrement attribue des droits distincts à différentes parties : l’usufruitier détient un droit d’usage et de jouissance, tandis que le nu-propriétaire conserve la propriété dépouillée de son utilité économique.

Cette situation créée par le démembrement de la propriété rend problématique la possibilité, pour des nus-propriétaires indivis, d’imposer à un usufruitier unique ou indivis la vente forcée de la pleine propriété d’un bien grevé d’usufruit.

La question se pose alors : dans l’hypothèse d’un bien indivis grevé d’un usufruit, les nus-propriétaires peuvent-ils, par le jeu d’une autorisation judiciaire, forcer la vente de la pleine propriété contre la volonté de l’usufruitier??

Cette problématique a donné lieu à des évolutions législatives et jurisprudentielles notables que l’on peut retracer en plusieurs étapes.

a. Droit antérieur à 1976

Avant l’adoption de la loi du 31 décembre 1976, aucune disposition légale spécifique ne régissait la problématique du démembrement de propriété en cas d’indivision.

La résolution des conflits entre nus-propriétaires et usufruitiers relevait donc exclusivement de la jurisprudence, dont les solutions variaient selon que l’usufruit était indivis ou appartenait à un seul titulaire.

==>En présence d’un usufruit indivis

Lorsque l’usufruit était lui-même réparti entre plusieurs usufruitiers en indivision, la jurisprudence admettait la possibilité de procéder à la vente de la pleine propriété d’un bien grevé d’usufruit.

Cette solution reposait sur l’idée qu’une cession conjointe de l’usufruit et de la nue-propriété permettait de maximiser la valorisation économique du bien, au bénéfice de tous les titulaires de droits sur celui-ci.

Dans un arrêt de principe du 20 juillet 1932, la Cour de cassation a ainsi estimé que la vente de la pleine propriété était conforme à l’intérêt commun dès lors qu’elle permettait de dénouer des situations complexes (Cass. req., 20 juill. 1932).

Cette position, réaffirmée par la suite (Cass. civ., 20 juin 1954), traduisait une volonté de favoriser des solutions pragmatiques, notamment dans le cas de biens difficilement partageables ou de droits en concurrence susceptibles de paralyser leur utilisation ou leur cession.

==>En l’absence d’usufruit indivis

À l’inverse, lorsque l’usufruit appartenait à un seul titulaire, la jurisprudence adoptait une position protectrice, interdisant la vente forcée de la pleine propriété d’un bien grevé d’usufruit sans le consentement de l’usufruitier.

Cette règle trouvait son fondement dans la distinction des droits en présence : l’usufruitier unique n’étant pas en indivision avec les nus-propriétaires, il jouissait d’une protection renforcée contre toute atteinte à son droit d’usage et de jouissance.

Dans un ancien arrêt, la Cour de cassation avait ainsi établi que la licitation de la pleine propriété ne pouvait être ordonnée que si l’usufruitier unique y consentait (Cass. req., 27 juill. 1869).

Cette solution s’inscrivait dans une logique de préservation des droits de l’usufruitier, particulièrement lorsque celui-ci était un conjoint survivant bénéficiant d’un droit d’usufruit sur le logement familial (Cass. civ., 20 déc. 1889).

La jurisprudence visait ici à garantir la sécurité juridique et la stabilité patrimoniale des usufruitiers, tout en prenant en compte leur dépendance économique à l’égard du bien grevé d’usufruit, souvent essentiel à leur subsistance.

b. La réforme de 1976

La loi n° 76-1286 du 31 décembre 1976 a enrichi le cadre du démembrement de propriété en introduisant, au sein de l’article 815-5 du Code civil, la règle suivante :

« le juge ne peut toutefois, sinon aux fins de partage, autoriser la vente de la pleine propriété d’un bien grevé d’usufruit contre la volonté de l’usufruitier. »

Par cette intervention, le législateur entendait dissiper les incertitudes et harmoniser les divergences jurisprudentielles ayant marqué l’interprétation antérieure.

Cette règle, tout en consolidant les solutions dégagées par les tribunaux, venait préciser les contours de la licitation de la pleine propriété, réservant son autorisation à des hypothèses strictement définies.

Deux configurations distinctes étaient ainsi envisagées : celle d’un usufruitier unique, excluant toute licitation sans son consentement, et celle d’une indivision en usufruit, où la vente en pleine propriété pouvait être justifiée par l’intérêt commun poursuivi dans un cadre de partage.

==>Présence d’un usufruitier unique

Lorsque l’usufruit appartenait à un seul titulaire, la loi réaffirmait la solution jurisprudentielle antérieure : la vente forcée de la pleine propriété demeurait impossible sans le consentement de l’usufruitier unique.

Cette règle s’explique par la nature différente des droits entre usufruitier et nus-propriétaires, qui ne forment pas une indivision à proprement parler.

Le législateur entendait ainsi préserver les droits fondamentaux de l’usufruitier, particulièrement lorsqu’il s’agissait du conjoint survivant jouissant de son logement familial.

En consolidant la jurisprudence (V. notamment Cass. req., 27 juill. 1869 et Cass. civ., 20 déc. 1889), la loi garantissait la stabilité de la jouissance du bien grevé d’usufruit, évitant que celui-ci ne soit aliéné contre la volonté de son titulaire.

==>Présence de plusieurs usufruitiers indivis

En revanche, la loi ouvrait la possibilité d’ordonner une licitation de la pleine propriété dans l’hypothèse d’une double indivision : lorsque le bien était grevé à la fois d’une indivision en usufruit et en nue-propriété.

Dans ce cas particulier, le texte autorisait la vente forcée «?aux fins de partage?», dès lors qu’elle apparaissait conforme à l’intérêt commun des parties.

Cette disposition visait à faciliter le dénouement de situations complexes où l’indivision rendait l’administration et la valorisation du bien difficile, voire impossible.

En autorisant la réunion des droits d’usufruit et de nue-propriété dans le patrimoine d’un même propriétaire, la loi permettait de maximiser la valeur du bien et d’apporter une solution pragmatique à ces situations.

==>Une précision textuelle mais des limites évidentes

Si la loi de 1976 apportait une clarification bienvenue, elle restait néanmoins tributaire de la complexité des relations entre usufruitier(s) et nus-propriétaires.

La distinction entre la présence d’un usufruitier unique et celle d’une double indivision introduisait une hiérarchie des droits où les prérogatives de l’usufruitier unique étaient davantage protégées.

En revanche, dans les cas de pluralité d’usufruitiers, l’ouverture aux licitations pouvait générer des tensions, notamment si certains usufruitiers s’opposaient à la vente.

Ainsi, tout en consolidant la jurisprudence antérieure, la loi n° 76-1286 instaurait une nouvelle architecture juridique, dont l’application pratique serait sujette à interprétations et ajustements jurisprudentiels. Ces limites allaient rapidement apparaître dans la période postérieure à son entrée en vigueur.

c. La jurisprudence postérieure à 1976

Dans un arrêt controversé du 11 mai 1982, la Cour de cassation a adopté une interprétation particulièrement large de l’article 815-5, alinéa 2, dans sa version de 1976.

Elle a en effet jugé que « le partage peut toujours être ordonné et qu’à cette fin, selon l’article 815-5 du code civil qui est applicable en la cause, la vente de la pleine propriété d’un bien grevé d’usufruit peut être judiciairement ordonnée contre la volonté de l’usufruitier » (Cass. 1ère civ. 11 mai 1982, n°81-13.055).

Cette solution généralisait la possibilité de vente forcée, même en présence d’un usufruitier unique, au motif que le partage pouvait être sollicité par tout indivisaire.

Cette jurisprudence a été largement critiquée pour plusieurs raisons?:

  • Sur le plan théorique : elle méconnaissait l’absence d’indivision entre usufruitier unique et nus-propriétaires.
  • Sur le plan pratique? : elle portait atteinte aux droits de l’usufruitier, notamment lorsqu’il s’agissait d’un conjoint survivant.

d. La réforme de 1987

Face aux critiques doctrinales et pratiques, la loi n° 87-498 du 6 juillet 1987 est venue corriger l’interprétation jurisprudentielle de 1982 en modifiant l’article 815-5, alinéa 2.

Désormais, le texte dispose que « le juge ne peut, à la demande d’un nu-propriétaire, ordonner la vente de la pleine propriété d’un bien grevé d’usufruit contre la volonté de l’usufruitier. »

La nouvelle rédaction de l’article 815-5, alinéa 2, réintroduit ainsi la solution jurisprudentielle antérieure à 1976, en établissant des principes clairs :

  • Interdiction de la vente forcée sans consentement de l’usufruitier unique
    • Le juge ne peut ordonner la vente de la pleine propriété d’un bien grevé d’usufruit contre la volonté d’un usufruitier unique.
    • Cette règle garantit que l’usufruitier conserve la jouissance de son droit, indépendamment des revendications des nus-propriétaires.
  • Application aux situations d’indivision en nue-propriété
    • La règle s’applique également lorsque plusieurs nus-propriétaires sont en indivision et cherchent à sortir de cette indivision.
    • Même dans ce cas, la vente forcée de la pleine propriété reste impossible sans l’accord de l’usufruitier.
  • Suppression de la notion de fins de partage
    • La suppression de cette mention a pour effet de limiter les situations dans lesquelles une licitation peut être ordonnée.
    • En l’absence d’un accord unanime entre les titulaires de droits, la vente forcée de la pleine propriété est exclue.

La réforme entreprise par la loi du 6 juillet 1987 visait à renforcer la sécurité juridique en clarifiant les limites du pouvoir du juge face à des intérêts divergents entre nus-propriétaires et usufruitiers.

Elle consacre la protection des droits de l’usufruitier, que ce dernier soit unique ou qu’il existe une indivision en usufruit.

De plus, elle met fin aux interprétations larges de la jurisprudence qui avaient permis des ventes forcées préjudiciables à l’équilibre des droits en présence.

S’agissant de l’application de loi dans le temps, le législateur a expressément prévu une application immédiate des nouvelles dispositions aux usufruits en cours au moment de l’entrée en vigueur de la loi, sauf en cas de décision judiciaire passée en force de chose jugée ou d’accord amiable antérieur (article 2 de la loi du 6 juillet 1987).

La Cour de cassation a confirmé cette application rétroactive dans plusieurs décisions ultérieures, consolidant ainsi la portée de la réforme (Cass. 1re civ., 2 févr. 1999, n°96-22.563).

Au total, en supprimant toute ambiguïté textuelle, la loi de 1987 a permis de restaurer une cohérence dans le régime juridique du démembrement, en préservant les droits fondamentaux de l’usufruitier tout en encadrant strictement les possibilités de sortie de l’indivision.

e. Application jurisprudentielle postérieure à 1987

Dès 1989, la première chambre civile de la Cour de cassation a réaffirmé que l’article 815-5, alinéa 2, du Code civil interdisait au juge de substituer son autorisation au consentement de l’usufruitier pour ordonner une vente en pleine propriété.

Dans un arrêt rendu le 29 mars 1989, la Cour de cassation a précisé que même la satisfaction des créanciers des nus-propriétaires ne justifiait pas une telle vente forcée (Cass. 1ère civ., 29 mars 1989, n°87-12.187). Cette position, conforme à la lettre et à l’esprit de la réforme de 1987, a mis un terme aux interprétations antérieures trop larges de la notion de partage.

Dans une décision plus récente, la Cour a confirmé cette stricte application de la règle. Elle a jugé que, même en cas de pluralité de nus-propriétaires souhaitant sortir de l’indivision, la volonté de l’usufruitier prime sur celle des nus-propriétaires indivis (Cass. 1re civ., 13 juin 2019, n° 18-17.347).

f. Portée actuelle de la règle

La règle actuelle, telle qu’elle résulte de la réforme opérée par la loi du 6 juillet 1987, vise avant tout à garantir le respect du droit de jouissance de l’usufruitier, cœur de son droit réel sur le bien grevé d’usufruit.

En empêchant les nus-propriétaires de l’impliquer dans une vente qu’il n’aurait pas approuvée, l’article 815-5, alinéa 2, préserve l’autonomie et la stabilité juridique de l’usufruit.

Cette stabilité est particulièrement nécessaire dans des situations où l’usufruitier est un conjoint survivant, souvent légataire de l’usufruit du logement familial. Une vente forcée compromettrait directement son usage du bien et le mettrait en situation de précarité.

Au-delà de la jouissance, la règle protège également l’intégrité des droits patrimoniaux de l’usufruitier. Imposer une vente en pleine propriété contre son gré aurait pour effet de priver l’usufruitier de sa participation dans le démembrement, en substituant son droit réel sur le bien à une simple créance sur le prix de vente.

Une telle substitution, non consentie, pourrait porter atteinte à l’équilibre patrimonial entre les parties, en particulier si l’usufruitier estime que ses intérêts ne seraient pas suffisamment garantis par le produit de la vente.

L’interdiction s’applique aussi bien lorsqu’il existe un usufruitier unique que dans le cas d’une indivision en usufruit.

En effet, la règle ne distingue pas selon la pluralité des usufruitiers ou des nus-propriétaires : dans tous les cas, le consentement de l’usufruitier demeure une condition incontournable pour autoriser une vente en pleine propriété.

Au fond, l’article 815-5, alinéa 2, reflète une solution équilibrée entre le principe du droit au partage – dont disposent les indivisaires – et la protection du démembrement de propriété.

En maintenant cette interdiction, le législateur a reconnu que le droit de l’usufruitier ne saurait être réduit à une position subalterne face à la volonté collective des nus-propriétaires.

Cette disposition garantit que le démembrement, par nature transitoire, ne devient pas une source d’insécurité ou de déséquilibre pour l’usufruitier.

La Cour de cassation a largement confirmé cette interprétation stricte, réitérant l’impossibilité de contraindre l’usufruitier à céder ses droits sans son accord explicite.

Ces décisions, loin de constituer des restrictions arbitraires, renforcent un cadre juridique cohérent et protecteur, assurant que le droit de propriété démembré reste un mécanisme respectueux des intérêts mutuels des parties.

C) La délivrance d’une autorisation judiciaire à vendre un bien indivis

L’article 815-5-1 établit une faculté nouvelle pour les indivisaires détenant au moins deux tiers des droits indivis.

Ces derniers peuvent, en cas de blocage, solliciter une autorisation judiciaire pour aliéner un bien indivis, sans qu’il soit nécessaire de démontrer un péril menaçant l’intérêt commun, comme l’exige l’article 815-5.

L’objectif affiché de cette disposition est double : lever les blocages tout en respectant les droits des indivisaires minoritaires par l’intermédiaire d’un contrôle judiciaire rigoureux.

Ainsi, l’intervention du tribunal judiciaire n’a pas pour vocation de préserver l’intégrité du bien indivis dans l’intérêt de tous, mais de donner effet à la volonté de la majorité qualifiée, en permettant une gestion plus souple et rationnelle des situations conflictuelles.

1. Les conditions d’application

==>Conditions négatives

L’autorisation judiciaire prévue à l’article 815-5-1 du Code civil est strictement encadrée par deux conditions négatives, qui visent à protéger des situations spécifiques où les droits ou intérêts de certains indivisaires pourraient être compromis.

Ces restrictions traduisent une volonté d’équilibre entre l’efficacité de la gestion des biens indivis et la sauvegarde des droits des parties les plus vulnérables.

  • L’exclusion en cas de démembrement de propriété
    • Le texte exclut toute application de l’article 815-5-1 lorsqu’un bien indivis est grevé d’un démembrement de propriété, tel que l’usufruit ou la nue-propriété.
    • Cette interdiction repose sur une préoccupation fondamentale : préserver les droits de l’usufruitier, dont la jouissance effective du bien pourrait être mise en péril par une vente imposée.
    • En effet, dans le cadre d’un démembrement, la propriété se scinde en droits distincts et complémentaires — l’usufruit et la nue-propriété —, dont les titulaires ne partagent pas les mêmes intérêts ni obligations.
    • L’aliénation forcée de la pleine propriété, bien qu’initiée par les nus-propriétaires majoritaires, risquerait d’emporter des conséquences disproportionnées pour l’usufruitier.
    • Celui-ci, souvent désigné en raison de sa situation personnelle (par exemple, un conjoint survivant jouissant du logement familial), se verrait contraint de renoncer à un droit essentiel, sa jouissance, sans possibilité de s’y opposer pleinement.
    • Ainsi, cette restriction constitue un garde-fou pour éviter que les équilibres inhérents au démembrement ne soient rompus au détriment des parties les plus exposées.
  • L’exclusion en présence d’un indivisaire protégé ou éloigné
    • La seconde limitation, tout aussi significative, interdit le recours à l’article 815-5-1 lorsque l’un des indivisaires se trouve dans l’une des situations énoncées à l’article 836 du Code civil :
      • Présomption d’absence,
      • Impossibilité de manifester sa volonté en raison d’un éloignement,
      • Placement sous un régime de protection juridique.
    • Cette disposition vise à garantir que les indivisaires les plus vulnérables, incapables d’exprimer leur consentement ou de défendre leurs intérêts, ne soient pas lésés par une décision prise en leur absence.
    • Le législateur a ainsi voulu prévenir le risque d’abus ou d’iniquité, notamment dans des contextes où les autres indivisaires pourraient exploiter une telle situation pour imposer une aliénation.
    • Cependant, cette condition négative, si elle protège les droits des indivisaires concernés, peut également engendrer des blocages prolongés.
    • Par exemple, la vente d’un bien indivis pourrait être retardée pendant plusieurs années en cas de présomption d’absence, au détriment de l’intérêt collectif.
    • De même, un indivisaire sous protection juridique pourrait, malgré la présence d’un curateur ou d’un tuteur, faire obstacle à une aliénation pourtant bénéfique à tous.

==>Conditions positives

Pour que l’autorisation judiciaire prévue à l’article 815-5-1 du Code civil puisse être délivrée, deux conditions positives doivent être simultanément réunies. Ces critères, à la fois pragmatiques et protecteurs, visent à concilier la volonté des indivisaires majoritaires avec le respect des droits des minoritaires.

  • Majorité des deux tiers des droits indivis : la prééminence de la majorité économique
    • La première condition impose que la demande d’autorisation émane d’un ou plusieurs indivisaires détenant au moins deux tiers des droits indivis.
    • Ce seuil, établi sur la proportion des droits et non sur le nombre d’indivisaires, consacre la prédominance de la majorité économique.
    • Ainsi, un indivisaire unique possédant plus des deux tiers des droits peut, à lui seul, initier la procédure, même si les autres indivisaires sont numériquement supérieurs.
    • Cette règle, inspirée des mécanismes propres aux entités dotées de personnalité morale, introduit une forme de gouvernance majoritaire dans le cadre de l’indivision.
    • Elle vise à limiter les blocages, en permettant aux indivisaires majoritaires de surmonter l’opposition d’une minorité.
    • Toutefois, cette prééminence de la majorité économique interroge sur son adéquation avec les principes fondamentaux du droit de propriété.
    • En effet, l’article 815-5-1 confère aux indivisaires majoritaires le pouvoir d’imposer une aliénation, potentiellement contraire à la volonté des minoritaires, ce qui peut apparaître comme une forme d’expropriation privée.
    • Si cette disposition a été jugée conforme aux exigences constitutionnelles, elle n’en demeure pas moins sujette à débat, notamment en ce qu’elle remet en question l’unanimité comme garantie traditionnelle des droits de chacun.
  • Absence d’atteinte excessive aux droits des indivisaires minoritaires : une protection nuancée
    • La seconde condition impose que l’aliénation envisagée ne porte pas une atteinte excessive aux droits des indivisaires minoritaires.
    • Ce critère, d’apparence simple, recèle une complexité d’interprétation qui en limite la portée pratique.
      • Une approche subjective : le préjudice moral ou affectif
        • Une lecture subjective de l’atteinte excessive pourrait conduire le juge à examiner l’impact moral ou affectif de l’aliénation sur les indivisaires minoritaires.
        • Cette approche pourrait, par exemple, tenir compte de l’attachement personnel à un bien familial ou des conséquences psychologiques d’une vente forcée.
        • Toutefois, une telle interprétation risque de priver d’effectivité le mécanisme de l’article 815-5-1, dans la mesure où toute opposition des minoritaires repose, par hypothèse, sur des raisons personnelles.
      • Une approche objective : le respect des garanties procédurales
        • À l’inverse, une lecture objective de la notion d’atteinte excessive pourrait limiter l’examen du juge aux seules garanties procédurales, telles que la régularité de la procédure ou l’équité dans la répartition des fruits de la vente.
        • Si cette approche permet de préserver l’efficacité du dispositif, elle réduit toutefois considérablement la protection offerte aux indivisaires minoritaires, en négligeant les dimensions émotionnelles et sociales de leur opposition.
    • En définitive, le juge doit trouver un équilibre délicat entre ces deux approches, afin de garantir une application à la fois efficace et équitable de l’article 815-5-1.
    • Ce critère, bien que fondamental pour préserver les droits des minoritaires, reflète les tensions inhérentes à toute tentative de concilier les intérêts divergents au sein d’une indivision.

2. La procédure d’autorisation

L’article 815-5-1 du Code civil, issu de la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009, instaure une procédure dérogatoire à la règle de l’unanimité en matière d’indivision.

Ce texte permet à un ou plusieurs indivisaires titulaires d’au moins deux tiers des droits indivis de demander l’autorisation judiciaire de vendre un bien indivis, même en cas d’opposition des indivisaires minoritaires.

Cette procédure se déploie en deux phases distinctes, chacune encadrée par des règles spécifiques.

==>La phase devant notaire

La procédure débute obligatoirement devant notaire, dont le rôle est central dans la mise en œuvre du mécanisme d’aliénation.

  • Déclaration d’intention d’aliéner par les indivisaires majoritaires
    • Selon l’alinéa 2 de l’article 815-5-1, les indivisaires majoritaires doivent exprimer devant notaire leur intention de procéder à l’aliénation du bien indivis.
    • Cette déclaration, formalisée dans un acte notarié, constitue le point de départ de la procédure et marque la volonté des majoritaires de passer outre l’opposition des minoritaires.
  • Notification aux indivisaires minoritaires
    • L’alinéa 3 de l’article 815-5-1 impose au notaire de notifier cette déclaration aux indivisaires minoritaires dans un délai d’un mois.
    • La notification, effectuée par ministère d’huissier, informe les minoritaires de l’intention d’aliéner et leur ouvre un délai pour réagir.
  • Réponse des indivisaires minoritaires
    • À compter de la notification, les indivisaires minoritaires disposent d’un délai de trois mois pour manifester leur opposition ou donner leur consentement à l’aliénation, conformément à l’alinéa 4 de l’article 815-5-1. Le silence des minoritaires vaut opposition implicite, renforçant ainsi leur droit de ne pas se prononcer activement.
  • Procès-verbal de difficultés
    • Si une opposition est exprimée ou si les indivisaires minoritaires demeurent silencieux, le notaire dresse un procès-verbal de difficultés.
    • Ce document consigne les désaccords ou l’absence de réponse, formalisant ainsi l’échec de la phase notariale.
    • Ce procès-verbal est indispensable pour initier la phase judiciaire.

==>La phase devant le juge

Lorsque l’opposition persiste, la procédure se poursuit devant le tribunal judiciaire, conformément à l’alinéa 5 de l’article 815-5-1.

  • Saisine du tribunal
    • Les indivisaires majoritaires, disposant du procès-verbal de difficultés, saisissent le tribunal judiciaire pour obtenir une autorisation d’aliéner le bien indivis.
    • Cette saisine déclenche l’examen juridictionnel des conditions posées par la loi.
  • Examen des conditions par le juge
    • Aux termes de l’alinéa 5 de l’article 815-5-1, le tribunal doit s’assurer que :
      • Les demandeurs détiennent au moins deux tiers des droits indivis.
      • L’aliénation ne porte pas une atteinte excessive aux droits des indivisaires minoritaires.
    • Le tribunal peut également tenir compte des circonstances particulières de l’affaire, telles que les motifs d’opposition des minoritaires ou l’intérêt collectif à l’aliénation.
  • Autorisation et licitation
    • Si les conditions légales sont remplies, le tribunal autorise la vente, qui doit s’effectuer par voie de licitation, conformément à l’alinéa 6 de l’article 815-5-1.
    • Ce mode de vente garantit la transparence et l’égalité de traitement entre les indivisaires, en attribuant le bien au plus offrant lors d’une vente aux enchères.
  • Opposabilité de la décision
    • Une fois l’autorisation délivrée, l’aliénation devient opposable à tous les indivisaires, y compris à ceux ayant exprimé leur opposition.
    • L’alinéa 7 de l’article 815-5-1 précise que cette opposabilité s’étend également aux indivisaires qui n’auraient pas été formellement notifiés, sous réserve du respect des conditions procédurales.

3. Les effets de l’autorisation judiciaire

==>À l’égard des indivisaires

L’autorisation délivrée par le tribunal s’impose à tous les indivisaires, qu’ils aient donné leur consentement ou exprimé leur opposition à la vente. En vertu de l’alinéa 7 de l’article 815-5-1, cette décision rend l’aliénation opposable à chacun d’eux, ce qui signifie que le transfert de propriété s’opère comme si tous avaient consenti à l’acte.

Cependant, cette opposabilité ne crée pas d’obligation personnelle pour les indivisaires minoritaires.

En d’autres termes, ces derniers ne sont pas considérés comme parties à l’acte de vente et ne peuvent être tenus responsables, par exemple, des garanties attachées à la chose vendue (telle que la garantie des vices cachés).

Ils demeurent juridiquement tiers à l’acte, même s’ils doivent en supporter les conséquences pratiques, notamment la perte de leurs droits sur le bien vendu.

==>À l’égard des tiers

Pour les tiers acquéreurs, l’autorisation judiciaire constitue une garantie essentielle de sécurité juridique.

Elle certifie que la vente est opposable à tous les indivisaires, qu’ils aient consenti ou non à l’aliénation. Cette opposabilité protège les tiers contre toute contestation ultérieure pouvant émaner des indivisaires minoritaires.

En pratique, cela signifie que le tiers acquéreur peut être certain de la validité de son titre de propriété et de l’impossibilité pour les indivisaires minoritaires de remettre en cause la vente.

Cette sécurité renforce l’attractivité économique du bien, en favorisant des ventes rapides et à des conditions avantageuses, tout en évitant les litiges postérieurs à l’aliénation.

==>Sur le produit de la vente

L’autorisation judiciaire ne met pas un terme à l’indivision, mais transforme le bien vendu en une somme d’argent répartie entre les indivisaires selon leurs droits respectifs, conformément à l’alinéa 6 de l’article 815-5-1.

Ce mécanisme de subrogation permet de maintenir l’équilibre des droits de chaque indivisaire, tout en facilitant la gestion du produit de la vente.

  • Répartition entre les indivisaires
    • Le prix obtenu est réparti proportionnellement aux droits indivis de chacun.
    • Cette répartition reflète les parts initiales détenues dans l’indivision et garantit une juste compensation pour chaque indivisaire, qu’il ait consenti ou non à la vente.
  • Interdiction du remploi pour une nouvelle indivision
    • Afin d’éviter la reconstitution des blocages qui avaient motivé l’aliénation, l’article 815-5-1 prohibe le remploi des fonds pour l’acquisition d’un nouveau bien indivis.
    • Cette interdiction vise à encourager les indivisaires à sortir définitivement de l’indivision et à privilégier des solutions individuelles.
  • Paiement des dettes et charges
    • Une exception à l’interdiction de remploi est toutefois prévue pour le règlement des dettes et charges liées à l’indivision.
    • Cette obligation qui pèse sur les indivisaires permet de solder les dettes communes avant la distribution du reliquat entre les indivisaires, renforçant ainsi la sécurité juridique et financière de l’opération.

Gestion de l’indivision: régimes dérogatoires pour les indivisions en Corse et en outre-mer

La gestion des indivisions en Corse et dans les territoires d’outre-mer bénéficie de régimes dérogatoires spécifiques, instaurés respectivement par la loi n° 2017-285 du 6 mars 2017 et la loi n° 2018-1244 du 27 décembre 2018.

Ces dispositifs visent à répondre à des contextes particuliers, tout en garantissant la protection des droits des indivisaires minoritaires.

==>Le régime applicable en Corse

La loi n° 2017-285 du 6 mars 2017 a été adoptée pour remédier aux difficultés spécifiques liées à l’absence de titres de propriété réguliers en Corse.

Ce texte introduit un mécanisme facilitant l’assainissement cadastral et la régularisation des situations de propriété par la reconnaissance de la prescription acquisitive.

Ainsi, lorsqu’un acte notarié de notoriété établit une possession conforme aux conditions de l’usucapion, il fait foi, sauf preuve contraire, et ne peut être contesté que dans un délai de cinq ans après sa publication. Ce régime s’applique aux actes dressés avant le 31 décembre 2027.

Dans les indivisions constatées par un acte de notoriété notarié, les indivisaires titulaires de plus de la moitié des droits indivis peuvent accomplir les actes prévus aux 1° à 4° de l’article 815-3 du Code civil (actes d’administration courante).

Pour les actes dépassant l’exploitation normale des biens indivis ou relevant de la disposition, l’accord des indivisaires détenant au moins deux tiers des droits indivis est requis.

Comme dans le régime de droit commun, les indivisaires majoritaires sont tenus d’informer les indivisaires minoritaires des décisions prises.

Cette obligation, essentielle dans un contexte où de nombreux indivisaires peuvent être absents ou introuvables, garantit la transparence et offre aux minoritaires une opportunité de contester les actes non conformes.

==>Le régime applicable en outre-mer

La loi n°2018-1244 du 27 décembre 2018 vise à faciliter la sortie de l’indivision successorale dans les départements et régions d’outre-mer, ainsi que dans certaines collectivités d’outre-mer (Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon).

Ce dispositif s’applique aux successions ouvertes depuis plus de dix ans et permet, dans un cadre simplifié, de procéder à la vente ou au partage des biens immobiliers indivis.

Le texte permet aux indivisaires détenant plus de la moitié des droits indivis de passer les actes prévus aux 1° à 4° de l’article 815-3 du Code civil, sans nécessiter l’accord des deux tiers. Cependant, cette faculté est encadrée par des restrictions notables, notamment :

  • L’exclusion des locaux d’habitation où réside le conjoint survivant ;
  • La protection des indivisaires mineurs, majeurs protégés ou présumés absents, nécessitant une autorisation judiciaire.

Le notaire chargé de l’acte doit notifier le projet aux indivisaires concernés et le publier par divers moyens (journal d’annonces légales, affichage, site internet). Les indivisaires disposent d’un délai de trois à quatre mois pour faire opposition ou exercer un droit de préemption en cas de vente à un tiers.

En cas d’opposition, le tribunal judiciaire peut autoriser l’acte si l’aliénation ou le partage ne porte pas une atteinte excessive aux droits des indivisaires opposants. Ce contrôle juridictionnel garantit un équilibre entre la nécessité de fluidifier les partages et la protection des minoritaires.