Le devoir de conseil en assurance: régime

==>Notion

Parler de devoir de conseil plutôt que d’obligation de conseil ne relève pas d’une simple coquetterie terminologique. Ce glissement lexical signale une inflexion plus profonde dans la manière de concevoir la relation entre le distributeur d’assurance et son interlocuteur. Là où la notion d’obligation s’inscrit dans l’architecture classique du droit des contrats — créancier, débiteur, inexécution, responsabilité —, celle de devoir suggère une exigence plus vaste, moins circonscrite par les seules catégories juridiques. Le devoir renvoie à une posture professionnelle, à une attitude d’engagement éclairé qui excède le strict formalisme normatif.

En cela, le devoir se distingue de l’obligation par son enracinement dans une forme d’éthique de la relation, parfois qualifiée de déontologique, parfois pensée en termes fonctionnels. Là où l’obligation décrit un lien contraignant entre deux sujets de droit, le devoir incarne une norme d’attitude, qui traduit l’idée selon laquelle savoir implique responsabilité. Le distributeur ne se contente pas d’exécuter une prestation : il est supposé comprendre, anticiper, orienter. Il ne subit pas l’obligation, il assume un rôle.

De plus en plus présente dans la doctrine, cette terminologie s’affirme comme une manière d’exprimer que la norme juridique, ici, ne se contente pas d’ordonner un comportement mais qualifie une charge professionnelle spécifique, liée à l’asymétrie d’information, à la technicité du produit, à la vulnérabilité relative du preneur d’assurance. Le choix du mot devoir est donc porteur : il traduit une évolution du droit positif vers une exigence de comportement structurant l’identité même du professionnel, et non plus seulement les modalités de son engagement contractuel.

En somme, là où l’obligation engage juridiquement, le devoir engage ontologiquement le professionnel dans ce qu’il est et ce qu’il représente : un acteur du marché, certes, mais surtout un intermédiaire de confiance, un professionnel de l’éclairage dans un domaine complexe, opaque, parfois anxiogène. C’est dans cette perspective que doit être saisie la notion de devoir de conseil, telle qu’elle se dégage de l’article L. 521-4 du Code des assurances.

Loin de demeurer une pure construction doctrinale, cette exigence a désormais trouvé son assise dans un fondement textuel explicite. L’article L. 521-4 du Code des assurances érige le devoir de conseil en obligation précontractuelle autonome, engageant le professionnel dans une démarche active et personnalisée : il doit s’enquérir des exigences et des besoins exprimés par le client, apprécier la pertinence du contrat envisagé au regard de ces éléments, et émettre, le cas échéant, un avis motivé sur l’opportunité de souscrire. La directive du 20 janvier 2016, dont cette disposition est la transposition, conforte cette orientation en conférant au conseil une fonction structurante de l’acte de distribution.

La doctrine souligne cette spécificité. Ainsi, Hubert Groutel rappelle que le conseil « suppose une appréciation intellectuelle, une analyse comparative et une orientation active ». Il ne s’agit donc pas simplement de porter à la connaissance du souscripteur un contenu normatif ou contractuel, mais de l’accompagner, par une démarche de compréhension, vers la solution la mieux adaptée à sa situation. Le conseil se distingue de l’information par sa dimension qualitative, par l’effort d’intelligibilité et par l’intention d’orientation.

Dès lors, le devoir de conseil peut être défini comme l’exigence faite au professionnel d’accompagner le client dans son acte de souscription, par un processus d’analyse, de reformulation et de recommandation, en fonction des besoins qu’il a su exprimer ou que le professionnel a pu objectiver. Il ne s’agit pas simplement d’informer, ni même de prévenir : il s’agit d’aider à décider — ce qui suppose de faire preuve de compétence, de loyauté, et d’écoute.

==>L’évolution du devoir de conseil

Le devoir de conseil n’est pas une création législative ex nihilo. Il s’est d’abord construit dans le silence des textes, au fil d’une construction prétorienne, par laquelle la jurisprudence a progressivement imposé au professionnel de l’assurance une exigence de loyauté active à l’égard de son client. Ce mouvement, d’abord diffus, s’est nourri d’une logique d’équité et d’efficacité, à mesure que les juridictions, confrontées à des litiges mettant en cause des intermédiaires défaillants, en ont affirmé la nécessité.

Un arrêt précurseur mérite en ce sens d’être signalé. Dans un arrêt du 10 novembre 1964 (Cass. 1re civ., 10 nov. 1964, n°62-13.411), la Cour de cassation reconnaît explicitement que le courtier d’assurance, au regard de la relation de confiance nouée avec son client de longue date, ne saurait se soustraire à un rôle actif dans le suivi et l’évaluation des garanties souscrites. En l’espèce, la haute juridiction approuve les juges du fond d’avoir reproché au professionnel de ne pas avoir été, vis-à-vis de son client, « le guide sûr et le conseiller expérimenté qu’il aurait dû être ». Le manquement ainsi constaté n’était pas réductible à une simple omission, mais relevait d’une véritable défaillance dans l’exercice d’un rôle de vigilance et d’accompagnement. Par cette formule, la Haute juridiction anticipe déjà, en creux, ce que la doctrine qualifiera plus tard de devoir de conseil.

Cette position jurisprudentielle a ensuite connu un développement soutenu, notamment dans les années 1980. Ainsi, la responsabilité d’un agent général est retenue pour ne pas avoir proposé une garantie couvrant précisément les besoins exprimés par l’assuré (Cass. 1re civ., 6 mai 1981). Cette solution reposait encore sur le droit commun de la responsabilité, en particulier l’ancien article 1382 du Code civil, et n’exigeait pas nécessairement l’existence d’un contrat entre l’assuré lésé et le professionnel fautif.

C’est le droit européen qui viendra donner à cette exigence un fondement textuel spécifique. La directive du 9 décembre 2002 a amorcé la reconnaissance du conseil comme une composante autonome de la distribution d’assurance. Mais c’est la directive (UE) 2016/97 du 20 janvier 2016 (dite directive sur la distribution d’assurance, ou DDA) qui parachève cette reconnaissance. Elle définit expressément le conseil comme “la fourniture de recommandations personnalisées à un client, à sa demande ou à l’initiative du distributeur des produits d’assurance, au sujet d’un ou de plusieurs contrats d’assurance” (art. 2, § 15, DDA), et l’érige en exigence centrale du processus de distribution. La directive promeut ainsi une logique d’adéquation entre les caractéristiques du produit et les besoins propres du souscripteur, ce qui renforce la portée fonctionnelle du devoir de conseil.

Transposée à l’article L. 521-4 du Code des assurances, la définition du devoir de conseil issue de la directive (UE) 2016/97 s’impose aujourd’hui comme une règle juridique autonome, applicable à l’ensemble des professionnels de la distribution d’assurance, sans distinction de statut ou de mode d’intervention. Le texte français reprend fidèlement les exigences européennes en imposant au distributeur :

  • de s’enquérir des exigences et des besoins exprimés par le client ;
  • d’apprécier l’adéquation du contrat proposé à cette situation ;
  • et, le cas échéant, de formuler un avis motivé sur l’opportunité de souscrire.

Cette transposition ne se limite pas à formaliser une pratique déjà existante : elle transforme la nature même de l’exigence. Ce qui relevait autrefois d’un impératif de loyauté, nourri par la jurisprudence et les usages professionnels, devient désormais une obligation légale précisément définie. Le conseil n’est plus laissé à l’appréciation du professionnel : il s’impose comme une condition incontournable de la validité de l’acte de distribution. Le droit n’invite plus à bien faire : il ordonne de faire bien.

==>La fonction du devoir de conseil

Le devoir de conseil ne saurait être relégué au rang d’exigence accessoire. Il ne s’agit pas d’un correctif périphérique, mais d’une exigence centrale, qui façonne la substance même de l’engagement contractuel. Sa raison d’être réside dans le déséquilibre structurel qui affecte la relation d’assurance : celle-ci oppose, d’un côté, un professionnel aguerri, doté d’une maîtrise technique, juridique et commerciale des produits assurantiels ; de l’autre, un souscripteur profane, dont la capacité à comprendre la portée des garanties proposées est limitée par son absence de compétence spécifique. Il ne s’agit donc pas de restaurer un équilibre abstrait, mais de garantir une adéquation réelle entre le contrat proposé et les besoins de l’assuré.

Aussi, contrairement à l’achat d’un bien tangible, l’assurance repose sur la promesse d’une protection future contre un aléa incertain, formulée à travers un contrat dont les stipulations techniques, exclusions, conditions et délais sont rarement pleinement maîtrisés par le client. Dans ce contexte, le devoir de conseil vise à rééquilibrer la relation en permettant au professionnel de traduire, clarifier et adapter l’offre à la situation concrète du souscripteur.

En amont de la conclusion du contrat, ce devoir poursuit une triple finalité :

  • Identifier les besoins et contraintes spécifiques du client à travers un dialogue structuré,
  • Adapter l’offre d’assurance à ces éléments, en écartant les produits inadaptés,
  • Accompagner la décision du souscripteur, par une recommandation claire et motivée.

Il ne s’agit donc pas uniquement d’un exercice d’information descendante, mais d’un véritable travail de mise en adéquation, orienté vers la sécurité juridique et économique du preneur d’assurance. Ce rôle est d’autant plus crucial que l’inadéquation des garanties constitue l’une des principales sources de contentieux, notamment en cas de sinistre.

La jurisprudence l’a d’ailleurs expressément reconnu: le devoir de conseil ne se limite pas à la phase de souscription du contrat. Dans un arrêt du 5 juillet 2006, la Cour de cassation a affirmé que «?le devoir d’information et de conseil de l’agent d’assurance ne s’achève pas lors de la souscription du contrat?» (Cass. 2e civ., 5 juill. 2006, n° 04-10.273). Cette précision souligne la dimension évolutive du devoir de conseil, lequel ne s’épuise pas dans l’instant de la formation, mais accompagne la relation contractuelle dans la durée, en particulier lorsque survient une modification du contrat ou un changement dans la situation de l’assuré. Le conseil devient alors une exigence continue, réactivée par les événements, au service de l’adéquation permanente entre la garantie et les besoins.

Ainsi, le devoir de conseil remplit une double fonction essentielle. D’une part, une fonction réparatrice, en ce qu’il vise à corriger les déséquilibres informationnels structurels entre le professionnel et le souscripteur, notamment ceux liés à la complexité technique des produits et à l’opacité des clauses contractuelles. D’autre part, une fonction préventive, puisqu’il tend à éviter les litiges nés de garanties inadaptées, en s’assurant en amont que la solution proposée correspond effectivement aux besoins exprimés ou objectivés du client. Ce faisant, le devoir de conseil conduit à repenser la relation contractuelle au-delà du seul principe d’autonomie de la volonté. Il ne s’agit plus seulement de garantir la liberté de contracter, mais de veiller à ce que cette liberté s’exerce de manière éclairée, dans un cadre où l’asymétrie d’information est compensée par l’expertise et la diligence du professionnel. Le contrat ne procède plus d’un simple échange de consentements : il repose sur un processus d’accompagnement, destiné à assurer l’adéquation entre les besoins et exigences du candidat à l’assurance et la solution proposée.

==>Nature du devoir de conseil

Le devoir de conseil en assurance revêt une nature hybride, à l’intersection du droit des contrats, de la responsabilité, et de ce que la doctrine qualifie désormais, à juste titre, d’obligation professionnelle autonome.

Lorsque le distributeur (intermédiaire, agent général, courtier, ou encore assureur en vente directe) entretient avec le souscripteur un lien contractuel, la jurisprudence rattache classiquement le devoir de conseil au régime de la responsabilité contractuelle : l’inexécution du devoir ouvre droit à réparation en vertu des articles 1103, 1217 et 1231-1 du Code civil. À l’inverse, en l’absence de lien contractuel — notamment en présence d’un tiers souscripteur ou lorsque le professionnel agit au nom exclusif de l’assureur — le manquement au devoir de conseil engage la responsabilité délictuelle sur le fondement de l’article 1240 du Code civil.

Mais au-delà de cette dichotomie entre responsabilité contractuelle et responsabilité délictuelle, le devoir de conseil trouve son véritable fondement dans la fonction même du distributeur d’assurance. Il s’agit, en effet, d’une obligation inhérente à l’exercice professionnel, pesant sur quiconque propose ou présente un produit d’assurance, en raison de sa compétence technique et de la complexité des opérations qu’il met en œuvre au bénéfice d’un cocontractant, souvent profane ou insuffisamment informé.

Cette conception fonctionnelle du devoir de conseil a été précocement affirmée par la jurisprudence, notamment dans un arrêt de principe de la première chambre civile du 6 mai 1981 aux termes duquel la Cour de cassation a retenu la faute d’un agent général et de sa compagnie pour ne pas avoir orienté une entreprise débutante vers une assurance couvrant sa responsabilité décennale, alors même que celle-ci leur avait demandé de souscrire les garanties nécessaires à l’exercice de son activité (Cass. 1re civ., 6 mai 1981, n° 80-10.019).

Depuis, cette approche a été confirmée de manière constante, la Haute juridiction rappelant que le professionnel est tenu à une obligation de conseil non pas en vertu d’un quelconque mandat ou contrat particulier, mais « en sa qualité de professionnel de l’assurance mettant sa compétence à la disposition du public » (Cass. 1re civ., 28 oct. 1986).

À cet égard, le devoir de conseil revêt, par nature, le caractère d’une obligation de moyens : le distributeur n’est pas tenu de garantir un résultat – en l’occurrence, la souscription d’une couverture parfaitement adaptée – mais il doit déployer l’ensemble des diligences attendues d’un professionnel compétent pour proposer un contrat en adéquation avec les besoins et exigences exprimés et les caractéristiques personnelles du souscripteur.

Cependant, la mise en œuvre de cette obligation obéit à un régime probatoire dérogatoire. Contrairement au principe selon lequel la charge de la preuve incombe au demandeur, il appartient ici au distributeur – et non à l’assuré – de démontrer qu’il a bien satisfait à son devoir de conseil. Ce renversement de la charge de la preuve, consacré à l’article 1353, alinéa 2 du Code civil, a été clairement affirmé par la Cour de cassation (Cass. 1re civ., 25 févr. 1997, n° 94-19.685). Il se justifie par l’asymétrie d’information et de compétence entre un professionnel de l’assurance, rompu à la technicité des produits distribués, et un client qui, bien souvent, ne dispose ni des connaissances, ni des outils lui permettant d’apprécier seul la pertinence des garanties proposées.

En d’autres termes, il ne suffit pas d’avoir conseillé : encore faut-il être en mesure d’en rapporter la preuve, au moyen de documents écrits, de comptes rendus d’entretien ou de tout autre élément attestant des diligences accomplies pour identifier les besoins du souscripteur et lui recommander une couverture adaptée.

==>Règles applicables

Le devoir de conseil en matière d’assurance fait l’objet d’un encadrement juridique à la fois général et spécial. Il obéit, d’une part, à un ensemble de règles communes applicables à tous les produits d’assurance, qu’ils relèvent du domaine des assurances de dommages ou des assurances de personnes. Il est également soumis, d’autre part, à des dispositions spécifiques, destinées à régir plus strictement la distribution des contrats d’assurance vie et de capitalisation, en particulier lorsqu’ils comportent une valeur de rachat ou sont exprimés en unités de compte.

Les règles générales, issues des articles L. 521-1 à L. 521-4 du Code des assurances, organisent les obligations pesant sur tout distributeur : devoir d’agir au mieux des intérêts du souscripteur, recueil préalable des besoins, justification du conseil formulé. Ce socle normatif encadre la distribution de l’ensemble des produits d’assurance dans une perspective de protection du consentement et d’adéquation des garanties proposées.

Mais ce cadre commun a été complété par un régime particulier, applicable aux produits d’assurance vie comportant des valeurs de rachat, aux contrats exprimés en unités de compte, ainsi qu’aux contrats de capitalisation. Ces instruments, assimilés à des produits d’investissement fondés sur l’assurance, font l’objet de dispositions particulières aux articles L. 522-1 à L. 522-7 du Code des assurances.

L’étude du devoir de conseil impose dès lors de distinguer :

  • Les règles générales, applicables à l’ensemble des produits d’assurance ;
  • Les règles spécifiques, propres aux contrats d’assurance vie et de capitalisation.

I) Règles communes à tous les produits d’assurance

Le devoir de conseil en matière d’assurance n’est pas une obligation ponctuelle ou circonstanciée : il s’inscrit dans un temps contractuel étendu, qui excède la seule conclusion du contrat pour embrasser également son exécution. Cette articulation entre le temps de la formation et celui de l’exécution, désormais consacrée par les textes, est aussi le fruit d’une construction jurisprudentielle constante, qui a reconnu très tôt que la relation entre l’assureur — ou son intermédiaire — et le preneur d’assurance ne s’épuise pas dans l’instant de la souscription.

La définition même de l’activité de distribution d’assurance, posée par l’article L. 511-1, I du Code des assurances, en atteste. Le législateur y appréhende la distribution comme un continuum, incluant non seulement les actes préparatoires à la conclusion du contrat — la recommandation, la présentation, la proposition — mais aussi la gestion et l’exécution du contrat, « notamment en cas de sinistre ». Il en résulte une extension fonctionnelle du devoir de conseil à ces deux temps majeurs de la vie contractuelle : le temps de la formation, moment de l’engagement du souscripteur, et le temps de l’exécution, moment de la concrétisation des prestations garanties.

Ce double ancrage du devoir de conseil est au cœur des articles L. 521-1 à L. 521-4 du Code des assurances, qui en définissent les modalités et la portée. Ainsi, l’article L. 521-4, en son I, impose au distributeur, avant toute conclusion, de recueillir les besoins et les exigences du client, et de motiver par écrit le choix du contrat recommandé. Mais cette exigence de loyauté ne disparaît pas avec la formation du contrat : elle se prolonge en cours d’exécution, comme l’indique l’article L. 521-3, lequel impose une information actualisée du souscripteur chaque fois que survient une modification substantielle de la relation contractuelle.

La jurisprudence a très tôt reconnu que le devoir d’information et de conseil ne se limite pas à la seule phase de souscription du contrat d’assurance. Si la formulation classique de cette obligation s’est d’abord attachée à l’instant de la formation contractuelle, la Cour de cassation a progressivement admis qu’elle se prolonge au-delà de cette étape initiale, notamment dans le cadre de l’exécution du contrat et à l’occasion de certains événements postérieurs, tels que la survenance d’un sinistre ou la modification des besoins du souscripteur.

C’est dans ce sens que s’inscrit un arrêt de la deuxième chambre civile du 5 juillet 2006 (Cass. 2e civ., 5 juill. 2006, n°04-10.723). Il y était reproché à un agent général d’assurance d’avoir manqué à son devoir de conseil en ne signalant pas à l’assurée — une personne âgée ayant souscrit une police multirisques habitation — les conséquences d’une clause d’exclusion de garantie fondée sur une période d’inhabitation du bien. Pour écarter toute faute, la cour d’appel avait retenu que cette obligation devait s’apprécier exclusivement à la date de souscription, en 1974, et que l’agent ne disposait alors d’aucun élément permettant d’anticiper des périodes prolongées d’absence du domicile par l’assurée.

La Cour de cassation censure ce raisonnement en des termes non équivoques, en affirmant que « le devoir d’information et de conseil de l’agent d’assurance ne s’achève pas lors de la souscription du contrat ». Elle rappelle ainsi que ce devoir peut se réactiver postérieurement, notamment lorsque la situation de l’assuré évolue et que le professionnel est en mesure d’intervenir utilement pour adapter ou commenter les stipulations contractuelles susceptibles d’être sources d’incompréhensions ou d’exclusions.

Cette solution s’inscrit dans une conception dynamique et continue de la relation contractuelle en assurance. Le professionnel ne saurait se retrancher derrière la date de souscription pour s’exonérer de toute vigilance ultérieure, surtout lorsque des événements ou des comportements révélateurs (par exemple, une absence prolongée, une déclaration d’intention, une nouvelle affectation du bien) sont de nature à mettre en cause l’étendue ou l’effectivité de la couverture. La jurisprudence affirme ainsi une responsabilité durable, adaptée à la temporalité réelle du besoin d’assurance.

La doctrine a également souligné que le devoir de conseil ne saurait être enfermé dans le seul moment de la conclusion du contrat. Il s’agit d’une obligation dont la vocation est de garantir, dans la durée, l’adéquation entre la couverture contractuelle et les besoins réels de l’assuré, lesquels ne sont pas figés au jour de la souscription. À ce titre, ce devoir impose au distributeur de réagir chaque fois que des circonstances nouvelles sont de nature à remettre en cause cette adéquation.

Cette conception est désormais consacrée par le droit positif. L’article L. 511-1 du Code des assurances définit l’activité de distribution comme englobant non seulement les opérations préparatoires à la conclusion du contrat, mais aussi les actes relatifs à sa gestion et à son exécution, «?notamment en cas de sinistre?». Il en résulte que le devoir de conseil peut être mobilisé à différents moments de la relation contractuelle, dès lors que l’équilibre du contrat ou l’intérêt de l’assuré l’exigent.

Il convient dès lors de distinguer les deux moments où s’exerce le devoir de conseil:

  • Le conseil au stade de la formation du contrat, lorsque le professionnel oriente le souscripteur vers une couverture appropriée à ses besoins exprimés ;
  • Le conseil en cours d’exécution, lorsque la situation de l’assuré évolue ou lorsqu’un événement particulier appelle une mise en œuvre adaptée des garanties contractuelles.

A) Le devoir de conseil au stade de la formation du contrat

Le devoir de conseil s’exerce dès l’instant où le distributeur entre en relation avec le candidat à l’assurance. Il joue tout d’abord un rôle d’orientation, en guidant le souscripteur vers le produit le plus adapté à ses besoins. Mais ce devoir ne s’interrompt pas une fois le choix effectué : il se prolonge au moment de la souscription du contrat, étape durant laquelle le professionnel doit accompagner l’assuré dans la formulation de ses déclarations, la compréhension de l’étendue des garanties, et la transmission des éléments nécessaires à la conclusion du contrat.

L’analyse du devoir de conseil impose donc de distinguer :

  • Le devoir de conseil au stade du choix du produit d’assurance ;
  • Le devoir de conseil au stade de la souscription du contrat d’assurance.

1. Le devoir de conseil au stade du choix du produit d’assurance

1.1. Le contenu du devoir de conseil

a. Les différents niveaux de devoir de conseil

L’article L. 521-4 du Code des assurances constitue la pierre angulaire du nouveau dispositif de conseil instauré par la transposition de la directive sur la distribution d’assurances. Cette disposition dessine une architecture remarquablement équilibrée, selon l’expression de Daniel Langé, qui articule deux prestations de nature distincte : une obligation universelle de conseil minimal et un service facultatif de recommandation personnalisée.

Le premier alinéa consacre l’obligation pour tout distributeur de « conseiller un contrat qui est cohérent avec les exigences et les besoins du souscripteur éventuel ou de l’adhérent éventuel et préciser les raisons qui motivent ce conseil ». Cette obligation socle, d’application générale, procède d’une logique de protection minimale garantissant à tout souscripteur un niveau élémentaire de conseil adapté à sa situation.

Le second alinéa institue une prestation d’une tout autre nature en disposant que « lorsque le distributeur d’assurance propose au souscripteur éventuel ou à l’adhérent éventuel un service de recommandation personnalisée, ce service consiste à lui expliquer pourquoi, parmi plusieurs contrats ou plusieurs options au sein d’un contrat, un ou plusieurs contrats ou options correspondent le mieux à ses exigences et à ses besoins ». Cette modalité renforcée, relevant de l’initiative commerciale du professionnel, suppose un engagement spécifique traduisant une montée en gamme du conseil.

Cette dualité structurelle reflète la volonté du législateur de concilier la protection universelle du consommateur et la liberté d’entreprendre des distributeurs, tout en permettant la valorisation commerciale de prestations de conseil différenciées.

i. Les niveaux de conseil énoncés par les textes

==>L’obligation socle de cohérence

Le premier alinéa de l’article L. 521-4 du Code des assurances érige en principe une obligation de portée générale, applicable à tout distributeur, sans exception ni aménagement possible. Il impose de proposer un contrat « cohérent avec les exigences et les besoins » du souscripteur ou de l’adhérent éventuel. Cette exigence constitue, selon une formule doctrinale désormais consacrée, le «seuil incompressible de la protection du consommateur». Elle assure, quel que soit le mode de distribution, un niveau élémentaire de conseil garantissant que l’offre proposée ne soit pas manifestement inadaptée à la situation de l’intéressé.

La notion de « cohérence » revêt ici une signification technique : elle implique une adéquation fonctionnelle entre les caractéristiques du contrat et les besoins exprimés, sans pour autant exiger que la solution proposée soit la plus avantageuse ou la plus complète parmi toutes celles disponibles sur le marché. Ainsi que l’a souligné Luc Mayaux, il s’agit d’une « adéquation de base entre l’offre et la demande », qui se distingue nettement des prestations plus élaborées caractérisant les services de conseil renforcés.

Cette obligation de cohérence est indissociable de celle de motivation : le distributeur doit «préciser les raisons qui motivent ce conseil». Ce devoir d’explication, qui prolonge la jurisprudence antérieure relative au devoir de conseil, participe de l’objectif de transparence poursuivi par le législateur européen, tout en préservant les exigences de clarté et de loyauté traditionnellement requises en droit français.

==>Le service de recommandation personnalisée

Le second alinéa de l’article L. 521-4 institue une prestation d’une nature différente, qualifiée de « service de recommandation personnalisée ». Cette qualification, qui procède d’un choix délibéré du législateur, souligne le caractère facultatif et différencié de cette modalité de conseil. Contrairement à l’obligation socle qui s’impose ex lege à tout distributeur, ce service relève de l’initiative commerciale du professionnel et suppose un engagement spécifique de sa part.

L’objet du service est clairement défini : il s’agit « d’expliquer pourquoi, parmi plusieurs contrats ou plusieurs options au sein d’un contrat, un ou plusieurs correspondent le mieux aux exigences et aux besoins » du souscripteur. Cette définition repose sur trois éléments structurants.

En premier lieu, la pluralité des solutions envisagées : le service suppose que le distributeur soit en mesure de proposer plusieurs contrats adaptés, condition que Hubert Groutel identifie comme « essentielle à la qualification du service ».

En second lieu, l’existence d’une analyse comparative : au-delà du simple examen d’adéquation, le distributeur doit procéder à une évaluation différenciée des options disponibles, pour recommander celle ou celles qui présentent la meilleure adéquation au profil du client. Cette démarche, que Pierre-Grégoire Marly qualifie de « montée en gamme du conseil », engage le professionnel dans un processus plus exigeant, tant sur le plan méthodologique que sur celui des moyens.

Enfin, le service emporte une obligation d’explication approfondie : la recommandation formulée doit être étayée par une justification circonstanciée, intelligible et personnalisée. Le distributeur ne peut se contenter d’un raisonnement standardisé : il doit démontrer en quoi la solution préconisée se distingue favorablement, au regard des besoins spécifiques du client.

==>Le service service de recommandation fondé sur une analyse impartiale et personnalisée

L’économie du dispositif se complexifie à travers l’article L. 521-2, II, 1°, c), qui permet à certains distributeurs de revendiquer la fourniture d’un « service de recommandation fondé sur une analyse impartiale et personnalisée ». Cette disposition, transposant l’article 3 de la directive DDA, vise les professionnels non liés par une obligation contractuelle d’exclusivité, et aptes à analyser « un nombre suffisant de contrats d’assurance offerts sur le marché ».

La formulation soulève une interrogation : s’agit-il d’un niveau autonome de conseil, ou simplement d’une modalité qualifiée du service de recommandation personnalisée mentionné à l’article L. 521-4, II ?

Deux lectures s’affrontent. La première, adoptée par l’ACPR, considère qu’un troisième niveau de conseil est institué, distinct du service de recommandation « classique » par son caractère impartial et par l’exigence d’une analyse étendue du marché. Cette lecture présente une certaine cohérence fonctionnelle, mais demeure discutée au regard des textes.

La seconde, plus fidèle à l’économie générale du dispositif, y voit une modalité renforcée du conseil personnalisé : l’article L. 521-2, II, 1°, c) ne créerait pas un niveau distinct, mais définirait les conditions dans lesquelles un professionnel peut légitimement revendiquer l’impartialité de son analyse.

Cette seconde interprétation, soutenue par une partie de la doctrine, permet de préserver l’architecture duale initialement voulue par le législateur, tout en reconnaissant la spécificité des pratiques exercées dans un cadre non exclusif. Elle offre également une cohérence d’ensemble entre les exigences de transparence posées par la directive et les principes fondamentaux du droit français de la distribution.

Cette hésitation d’interprétation, révélatrice des tensions persistantes entre les normes européennes et les catégories juridiques internes, appelle à terme une clarification jurisprudentielle.

ii. La découverte par l’ACPR de trois niveaux de conseil

Dans une notice publiée en juillet 2018 et intitulée « Principes du conseil en assurance », l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) a entrepris une clarification du régime juridique issu de la directive sur la distribution d’assurances. Présentée comme une réponse aux incertitudes entourant la mise en œuvre du nouveau cadre, cette démarche exégétique s’inscrit dans le cadre de la mission de protection de la clientèle que l’article L.612-1 du Code monétaire et financier confère à l’Autorité, et dans l’exercice de son pouvoir de recommandation non contraignante.

Selon les propres termes de l’ACPR, cette initiative visait à « clarifier les obligations incombant aux distributeurs dans un contexte réglementaire renouvelé ». L’Autorité y procède à une lecture conjointe des articles L. 521-4 et L. 521-2 du Code des assurances, dont certains auteurs soulignent le caractère « systémique », en ce qu’elle tend à ordonner l’ensemble du dispositif selon une hiérarchie fonctionnelle des niveaux de conseil. Cette approche, saluée par Isabelle Monin-Lafin comme « particulièrement éclairante pour les praticiens », repose sur l’idée que la transparence à l’égard des assurés commande de distinguer formellement les différentes modalités de conseil susceptibles d’être proposées.

Trois niveaux sont ainsi identifiés:

  • Le premier niveau, de nature obligatoire, consiste à proposer un contrat « cohérent (approprié) avec les besoins et les exigences du client ». Il correspond à l’obligation de conseil général prévue par l’article L. 521-4, I, et constitue, selon l’ACPR, l’équivalent fonctionnel du « devoir de conseil » tel qu’il a été façonné de longue date par la jurisprudence française. Il représente le socle minimal de protection offert à tout preneur d’assurance, indépendamment de la complexité du contrat ou du canal de distribution utilisé.
  • Le deuxième niveau, de nature facultative, repose sur la fourniture d’un « service de recommandation personnalisée », tel que défini par l’article L. 521-4, II. Il implique que le distributeur soit en mesure de proposer plusieurs contrats ou options, tous cohérents avec les besoins exprimés, et d’expliquer les raisons pour lesquelles l’un ou plusieurs d’entre eux correspondent le mieux au profil du client. L’ACPR précise que ce service suppose une démarche comparative structurée, que ne recouvre pas le simple conseil de cohérence.
  • Le troisième niveau se singularise par l’existence d’une analyse impartiale. Fondé sur l’article L. 521-2, II, 1°, c), il impose au distributeur de démontrer qu’il a analysé un « nombre suffisant de contrats d’assurance offerts sur le marché ». Cette modalité, selon l’ACPR, s’adresse prioritairement aux courtiers indépendants, dépourvus de toute obligation contractuelle d’exclusivité, et capables, de ce fait, d’opérer une sélection objectivée et représentative des offres disponibles.

L’Autorité justifie cette construction tripartite par souci de lisibilité et de gradation des exigences, en cohérence avec l’objectif de protection proportionnée poursuivi par le droit de la distribution. Elle entend ainsi articuler les différentes strates du conseil autour de trois critères cumulatifs : la nature de l’engagement du distributeur, l’étendue de l’analyse menée, et le degré de personnalisation de la recommandation formulée.

Cette démarche, bien qu’innovante sur le plan pédagogique, soulève néanmoins des interrogations quant à sa conformité à la lettre des textes. En effet, si elle permet de traduire la complexité du dispositif dans une grille opérationnelle aisément mobilisable, elle prend le risque d’introduire une distinction conceptuelle non expressément consacrée par le législateur, ce qui justifie, comme on le verra, une mise en perspective critique du triptyque proposé.

iii. Pour une conception duale du conseil

==>L’artifice de la classification tripartite

La grille tripartite élaborée par l’ACPR, si elle présente un intérêt certain sur le plan pédagogique, peine à convaincre au regard d’une lecture rigoureuse des textes. L’analyse juridique attentive du dispositif normatif conduit plutôt à retenir une structure binaire, conforme à l’économie générale de l’article L. 521-4 du Code des assurances, qui distingue expressément une obligation de conseil de base et, de manière distincte, un service de recommandation personnalisée.

La distinction instituée par l’Autorité entre les niveaux 2 et 3 repose en réalité sur une extrapolation : l’article L. 521-2, II, 1°, c), sur lequel elle fonde le « troisième niveau », ne crée pas un régime autonome de conseil, mais détermine les conditions dans lesquelles un distributeur peut revendiquer le caractère impartial de sa recommandation. Il ne s’agit donc pas d’un niveau distinct dans la hiérarchie des obligations, mais d’un critère de qualité, attaché à la mise en œuvre du service de recommandation personnalisée déjà prévu à l’article L. 521-4, II.

Autrement dit, cette disposition relève avant tout d’une logique de transparence sur les méthodes de sélection des produits proposés, et non de la création d’un niveau supplémentaire de conseil. Comme le rappelle justement Jean Bigot, « la multiplication des niveaux risque de créer plus de confusion que de clarté ». Luc Mayaux abonde dans le même sens, estimant que « l’interprétation administrative, si elle est légitime dans son principe, ne saurait méconnaître l’économie générale voulue par le législateur ». Une telle surenchère dans la typologie des niveaux de conseil, sans véritable ancrage textuel, tend à brouiller la lecture du droit applicable et à fragiliser la sécurité juridique des acteurs de la distribution.

==>Obligation socle et service de recommandation personnalisée

Le premier niveau de conseil, expressément énoncé à l’article L. 521-4, I, consiste en l’obligation, pour tout distributeur, de proposer un contrat « cohérent avec les exigences et les besoins » du souscripteur ou de l’adhérent. Il s’agit là d’un impératif universel, qui constitue — selon une formule doctrinale désormais consacrée — le « seuil incompressible de la protection du consommateur »¹². Cette obligation trouve sa justification dans le déséquilibre structurel entre un professionnel informé et un preneur profane, déséquilibre que la jurisprudence avait déjà identifié comme fondement d’un devoir de conseil, bien avant l’intervention du législateur européen.

Le second niveau de conseil correspond au service de recommandation personnalisée, défini à l’article L. 521-4, II. Ce service, que le distributeur peut choisir de proposer, suppose une démarche d’analyse comparative entre plusieurs contrats ou options, ainsi qu’une motivation individualisée du choix retenu. Sa mise en œuvre peut naturellement varier selon les moyens, la méthode et le degré d’engagement du professionnel. Toutefois, ces différences dans les conditions d’exécution ne sauraient conduire à reconnaître l’existence d’un niveau de conseil distinct sur le plan juridique. Comme le rappelle Hubert Groutel, il s’agit d’un même service, dont l’intensité varie selon les cas, sans que cette variabilité justifie la création d’un régime autonome..

==>Les deux modalités d’exécution du service de recommandation personnalisée

L’article L. 521-4, II permet une certaine latitude dans la mise en œuvre du service de recommandation personnalisée. Deux modalités d’exécution peuvent être identifiées, selon les pratiques constatées et les capacités techniques du distributeur :

  • Première modalité : le professionnel propose une sélection de plusieurs contrats, sans prétention à l’exhaustivité du marché. Cette approche, compatible avec une recommandation personnalisée, suppose toutefois une pluralité réelle et pertinente d’options – la pratique professionnelle tend à retenir un minimum de trois alternatives comparables.
  • Deuxième modalité : le distributeur fonde sa recommandation sur une analyse impartiale, au sens de l’article L. 521-2, II, 1°, c). Il doit alors démontrer qu’il a examiné un nombre suffisant de contrats d’assurance offerts sur le marché et qu’il n’est lié par aucun accord d’exclusivité. Cette configuration, qui renforce la portée du conseil délivré, ne constitue pas pour autant un niveau autonome de conseil, mais une variante qualifiée du service de recommandation personnalisée. Elle en précise les conditions d’exercice les plus exigeantes, notamment en termes d’étendue et d’objectivité de l’analyse de marché.

Il en résulte que le système repose, non sur une tripartition rigide, mais sur une dichotomie enrichie par des modalités d’exécution à intensité variable. Cette conception duale, fondée sur une interprétation stricte des textes, respecte à la fois la lettre et l’esprit du dispositif, tout en garantissant aux professionnels une grille de lecture cohérente, et aux clients un niveau de conseil proportionné à l’engagement du distributeur.

iv. Les enjeux pratiques de la distinction

==>Les implications en matière de rémunération et d’information précontractuelle

La distinction entre l’obligation socle de cohérence et le service de recommandation personnalisée emporte des effets concrets notables, tant sur le terrain de la rémunération que sur celui de l’information due au souscripteur.

Sur le plan de la rémunération, l’article L. 521-2, II, 2°, a) du Code des assurances autorise expressément l’intermédiaire à percevoir, en complément des commissions versées par les assureurs, des honoraires versés directement par le souscripteur ou l’adhérent. Cette faculté prend toute sa légitimité lorsque le distributeur propose un service de recommandation personnalisée : en tant que prestation à valeur ajoutée, reposant sur une analyse comparative approfondie, elle justifie une rémunération spécifique, distincte des modes de rémunération classiques.

À l’inverse, l’obligation de conseil de premier niveau, imposée à tous les distributeurs en vertu de l’article L. 521-4, I, ne saurait ouvrir droit à une facturation complémentaire : elle relève du strict respect du cadre légal minimal, et sa mise en œuvre doit être réputée incluse dans la rémunération de droit commun.

Sur le plan de l’information précontractuelle, l’article L. 521-2, I, impose au distributeur d’indiquer explicitement s’il fournit un service de recommandation concernant les contrats qu’il propose. Cette exigence vise à garantir une transparence accrue à l’égard du client sur la nature exacte de la prestation dont il bénéficie. Elle permet à ce dernier d’identifier, en amont de la souscription, si le conseil dont il bénéficie s’inscrit dans une logique de simple cohérence ou relève d’une véritable démarche de sélection comparative.

==>La gradation des obligations professionnelles

Le niveau d’exigence pesant sur le distributeur varie en fonction du type de conseil fourni. Dans le cadre de l’obligation socle prévue à l’article L. 521-4, I du Code des assurances, l’ACPR admet que la motivation du conseil peut revêtir une forme synthétique et standardisée. Il suffit que les explications données permettent au souscripteur de comprendre, de manière intelligible, pourquoi le contrat proposé est considéré comme cohérent avec les besoins qu’il a exprimés.

En revanche, lorsque le distributeur propose un service de recommandation personnalisée au sens de l’article L. 521-4, II, les exigences sont significativement renforcées. Dans ce cas, la motivation doit être pleinement individualisée. Elle doit mettre en évidence, de manière claire et circonstanciée, les raisons pour lesquelles le ou les contrats recommandés présentent une adéquation optimale avec le profil, les attentes et les objectifs du client. Il ne saurait s’agir d’une justification générique, mais bien d’un raisonnement argumenté, fondé sur des éléments objectifs.

Cette gradation, analysée par Daniel Langé comme étant « parfaitement cohérente avec la logique économique du dispositif », s’accompagne d’exigences méthodologiques renforcées. Le distributeur qui propose un service de recommandation personnalisée doit en effet s’engager dans une démarche structurée, fondée sur une analyse comparative formalisée, reposant sur des critères objectifs, pertinents et vérifiables. Il lui appartient non seulement d’identifier plusieurs solutions adaptées, mais aussi de justifier, de manière explicite et circonstanciée, la sélection opérée au regard des besoins exprimés par le client.

Au final, cette différenciation répond à une logique de proportionnalité : à prestation enrichie, obligations renforcées. Le distributeur qui propose un service à plus forte valeur ajoutée assume, en contrepartie, une charge accrue d’analyse, de justification et de formalisation. Cette montée en exigence constitue la contrepartie légitime de la possibilité de valoriser commercialement ce service, notamment par le biais d’honoraires spécifiques.

Saluée par la doctrine comme une approche « économiquement rationnelle », cette gradation du devoir de conseil permet de concilier deux impératifs complémentaires : d’une part, la garantie d’une protection effective du souscripteur, fondée sur une exigence minimale de cohérence ; d’autre part, la reconnaissance de l’expertise technique et de l’autonomie professionnelle des distributeurs qui s’engagent dans une prestation de conseil renforcé. Elle établit ainsi un équilibre cohérent entre les obligations légales de base, la liberté de moduler le niveau de service, et l’exigence de transparence vis-à-vis du client.

b. Le processus d’élaboration du devoir de conseil

Le devoir de conseil en matière d’assurance ne se réduit pas à une simple obligation d’information : il constitue une véritable prestation intellectuelle à caractère personnalisé, orientée vers l’identification et la satisfaction des besoins spécifiques du souscripteur. Sa finalité première est d’assurer l’adéquation entre les caractéristiques du contrat proposé et la situation propre de l’assuré éventuel, en dépassant le cadre purement déclaratif pour engager le distributeur dans une démarche active de conseil.

Codifié à l’article L. 521-4 du Code des assurances, ce devoir repose sur une méthode structurée, articulée autour de trois étapes successives et interdépendantes. D’abord, le recueil des exigences et des besoins du client constitue le point de départ incontournable : il s’agit de dresser un diagnostic fiable à partir des éléments fournis par le souscripteur, souvent profane. Ensuite, l’analyse de ces éléments permet au distributeur d’identifier les paramètres pertinents — objectifs, situation personnelle, attentes exprimées — à la lumière des offres disponibles. Enfin, la formulation du conseil, dernière étape du processus, se matérialise par une recommandation motivée, exprimée en des termes compréhensibles, et justifiée au regard des éléments recueillis.

Ce cheminement méthodique a pour fonction de compenser l’asymétrie informationnelle qui caractérise la relation entre le professionnel et le souscripteur. Il permet de structurer l’échange contractuel en instaurant une dynamique de dialogue, visant à garantir une prise de décision éclairée, conforme à l’intérêt du client et aux principes de transparence et de loyauté.

i. Le recueil préalable des besoins et exigences

==>L’obligation légale de diagnostic

Le Code des assurances consacre, par son article L. 521-4, I, une obligation de diagnostic préalable à toute recommandation. Cette disposition contraint le distributeur à « préciser par écrit, sur la base des informations obtenues auprès du souscripteur éventuel ou de l’adhérent éventuel, les exigences et les besoins de celui-ci ». Cette exigence légale révèle une démarche structurée en deux temps distincts : d’abord une collecte minutieuse des informations pertinentes, suivie de leur formalisation écrite.

Cette première phase dépasse très largement le cadre d’une simple formalité administrative. Il s’agit véritablement d’une analyse approfondie des besoins du client, comparable à celle que l’on retrouve dans d’autres domaines spécialisés du conseil professionnel, comme l’audit patrimonial en gestion de fortune ou encore l’analyse fonctionnelle pratiquée en ingénierie. Cette analogie n’est pas anodine : dans tous ces secteurs, la qualité finale du conseil délivré dépend étroitement de la précision du diagnostic réalisé en amont.

La doctrine contemporaine souligne que cette démarche diagnostique transforme fondamentalement la nature de l’acte de distribution. Celui-ci ne se limite plus à la simple présentation d’un produit standardisé, mais s’élève au rang d’une prestation intellectuelle personnalisée[14]. Cette évolution s’inscrit dans le mouvement général de tertiarisation de l’économie, où la valeur ajoutée réside moins dans le produit lui-même que dans l’accompagnement qui l’entoure.

L’exigence d’un support écrit répond à plusieurs impératifs. D’un point de vue probatoire, elle permet d’établir la réalité et la consistance de la démarche diagnostique. La jurisprudence civile a en effet consacré le principe selon lequel c’est à celui qui est légalement tenu de fournir un conseil de prouver l’exécution de cette obligation (Cass. 2e civ., 17 nov. 2016, n° 15-14.820). Cette règle, initialement dégagée en matière bancaire, trouve une application particulièrement pertinente en assurance, secteur où les contentieux post-contractuels demeurent fréquents.

D’un point de vue pédagogique, l’écrit favorise la compréhension mutuelle entre distributeur et souscripteur. Il permet au professionnel de vérifier que son analyse correspond bien à la réalité vécue par le client, tandis qu’il offre à ce dernier une vision structurée de ses propres besoins, parfois initialement mal formalisés.

==>La délimitation des besoins exprimés

La phase de délimitation des besoins constitue le cœur de l’analyse préalable. Elle impose au distributeur une démarche active de questionnement et de reformulation, dépassant la simple réception passive des demandes du client.

Cette obligation de reformulation technique revêt une dimension particulièrement importante en assurance, secteur caractérisé par une forte asymétrie de connaissances entre professionnels et consommateurs. Le langage assurantiel, riche en concepts techniques et en références juridiques spécialisées, demeure largement inaccessible au public non initié. La mission du distributeur consiste dès lors à opérer une traduction entre l’expression spontanée des préoccupations du client et la terminologie précise des contrats d’assurance.

Cette fonction de traduction s’apparente à celle exercée par d’autres professions du conseil, notamment les architectes dans le domaine de la construction ou les notaires en matière successorale. Dans tous ces secteurs, le professionnel doit comprendre les attentes exprimées dans un langage profane pour les transposer dans un cadre technique et juridique approprié.

Le document de synthèse résultant de cette analyse acquiert une valeur contractuelle particulière. Bien que sa forme demeure libre, son contenu délimitera le périmètre dans lequel le conseil est attendu. Cette délimitation contractuelle du périmètre d’intervention protège tant le distributeur contre d’éventuelles réclamations ultérieures portant sur des aspects non couverts par sa mission, que le souscripteur contre des recommandations inadaptées à ses besoins réels.

L’ACPR a d’ailleurs souligné, dans ses recommandations sectorielles, l’importance de cette phase de cadrage préalable, qu’elle considère comme « déterminante pour la qualité de la relation commerciale ultérieure »[15]. Cette position de l’autorité de supervision confirme que l’obligation d’analyse ne relève pas de la seule technique juridique, mais s’inscrit dans une démarche plus large d’amélioration de la qualité de service dans le secteur assurantiel.

==>Les limites du devoir d’enquête

Le législateur a pris soin de délimiter précisément l’étendue des obligations pesant sur le distributeur lors de la phase de recueil d’informations. L’article L. 521-4, III du Code des assurances précise explicitement que les données relatives aux exigences et besoins du souscripteur « reposent en particulier sur les éléments d’information communiqués par le souscripteur éventuel ». Cette formulation n’est pas anodine : elle établit un équilibre entre l’exigence de conseil personnalisé et la praticabilité économique de la distribution d’assurance.

Cette limitation trouve sa justification dans la nature même de l’activité de distribution. Le distributeur n’est pas investi d’une mission d’audit ou d’investigation approfondie de la situation de son client. Son expertise porte sur la technique assurantielle et non sur l’évaluation patrimoniale ou l’analyse comptable. Comme l’a souligné la doctrine spécialisée, le professionnel de l’assurance demeure tenu de « poser les bonnes questions » mais ne saurait être contraint à « des investigations approfondies sur des données que le client ne souhaite pas révéler »[16].

La jurisprudence administrative elle-même a reconnu cette limitation en matière de marchés publics d’assurance, considérant que l’assistant à maîtrise d’ouvrage en assurance n’était pas tenu de vérifier l’exactitude des informations transmises par la collectivité publique, dès lors que ces informations paraissaient cohérentes et vraisemblables (CE, 10 févr. 2014).

Cette approche pragmatique se justifie également par des considérations d’efficacité économique. Imposer au distributeur des obligations d’investigation trop étendues conduirait inévitablement à un renchérissement du coût de la distribution, répercuté in fine sur les primes d’assurance. Le législateur a ainsi privilégié un modèle fondé sur la coopération loyale entre les parties plutôt que sur la méfiance systématique.

Néanmoins, cette limitation ne saurait être comprise comme une exonération totale de vigilance. La jurisprudence civile a progressivement affiné les contours de cette obligation, distinguant entre l’investigation active – non exigée – et la vigilance passive – requise. Ainsi, le distributeur demeure tenu de relever les incohérences manifestes dans les déclarations de son client et de solliciter les clarifications nécessaires (Cass. 1ère civ. 7 mars 1989).

Cette obligation de vigilance trouve particulièrement à s’appliquer lorsque les déclarations du souscripteur paraissent manifestement incompatibles avec sa situation apparente ou avec les exigences du marché assurantiel. Dans de telles hypothèses, l’abstention du distributeur pourrait être qualifiée de négligence professionnelle.

L’équilibre ainsi établi respecte la logique contractuelle du droit français, fondée sur la bonne foi des parties. Il reconnaît que le souscripteur demeure le mieux placé pour connaître sa propre situation, tout en maintenant une exigence de professionnalisme du distributeur dans l’exploitation des informations qui lui sont communiquées.

Cette délimitation des responsabilités s’inscrit enfin dans une conception moderne de la relation de conseil, qui privilégie l’accompagnement personnalisé à partir d’informations fiables plutôt que l’investigation systématique potentiellement intrusive et économiquement inefficiente.

ii. L’analyse de la situation du souscripteur

==>L’appréciation des compétences du souscripteur

La personnalisation du conseil impose une évaluation fine du profil du souscripteur, particulièrement de ses compétences en matière assurantielle. Cette approche différenciée s’inscrit dans une conception moderne de la protection contractuelle, qui privilégie l’adaptation aux situations concrètes plutôt que l’application uniforme de règles abstraites.

La jurisprudence a progressivement affiné cette grille d’analyse, distinguant plusieurs catégories de souscripteurs selon leur degré d’expertise. Les professionnels exerçant une activité en lien avec l’assurance bénéficient ainsi d’une présomption de compétence qui allège corrélativement les obligations du distributeur. Cette approche trouve son fondement dans la théorie générale des obligations, où l’intensité du devoir de conseil varie selon la qualité des parties au contrat[17].

À l’inverse, les consommateurs et les professionnels non spécialistes bénéficient d’une protection renforcée. La Cour de cassation a ainsi considéré qu’un entrepreneur du bâtiment, bien que professionnel dans son domaine, demeurait un profane en matière d’assurance et pouvait légitimement attendre de son distributeur une information complète sur les garanties essentielles (Cass. 2e civ. 29 mars 2018, n°17-14.975).

Cette modulation s’étend également aux personnes morales, dont la taille et l’organisation influent sur le niveau d’expertise présumé. Le régime des “grands risques”, défini à l’article L. 111-6 du Code des assurances, témoigne de cette différenciation : les entreprises dépassant certains seuils sont présumées disposer de l’expertise nécessaire pour évaluer leurs besoins d’assurance sans assistance particulière?.

L’appréciation concrète de ces compétences nécessite une analyse au cas par cas, tenant compte non seulement du statut du souscripteur, mais également de son expérience personnelle en matière d’assurance, de la complexité de son exposition aux risques, et des moyens dont il dispose pour s’informer.

==>L’évaluation de la complexité du contrat

Le législateur a expressément lié l’intensité du conseil à la complexité du produit proposé. L’article L. 521-4, III du Code des assurances dispose que les précisions fournies au souscripteur sont « adaptées à la complexité du contrat d’assurance proposé ». Cette exigence de proportionnalité évite un formalisme excessif de la distribution tout en maintenant un niveau de protection approprié.

Cette approche graduée trouve son inspiration dans la réglementation des services financiers, où la directive MiFID avait déjà consacré le principe d’une information proportionnée à la complexité des instruments proposés[18]. L’assurance, par sa technicité croissante et la diversification de ses produits, nécessitait une approche similaire.

L’ACPR a formalisé cette gradation en distinguant trois niveaux d’intervention : le conseil de base obligatoire, centré sur la cohérence entre besoins et produit proposé ; le service de recommandation personnalisée, impliquant une analyse comparative ; et enfin le conseil fondé sur une analyse de marché, supposant une expertise élargie?.

Cette classification en trois niveaux s’inspire directement des standards internationaux utilisés dans le secteur financier, où la distinction traditionnelle s’établit entre l’exécution simple d’ordres (« execution only »), le conseil en investissement (« investment advice ») et la gestion discrétionnaire (« portfolio management »)[19]. Son intégration dans le domaine assurantiel illustre la convergence croissante des cadres réglementaires applicables aux secteurs bancaire et assurantiel, témoignant ainsi d’une logique commune de structuration des offres de conseil financier.

La complexité du produit d’assurance se mesure à l’aune de plusieurs critères précis : le nombre et la diversité des garanties proposées, la présence éventuelle de mécanismes sophistiqués tels que la participation aux bénéfices, l’adossement à des supports financiers présentant une forte volatilité, ainsi que l’existence de clauses d’exclusion particulièrement techniques. L’appréciation rigoureuse de ces éléments exige une expertise à la fois actuarielle et juridique, compétence spécifique qui relève nécessairement des distributeurs professionnels.

==>La prise en compte des informations disponibles

Le périmètre du conseil est naturellement limité par l’étendue des informations effectivement disponibles. Cette limitation protège le distributeur contre des obligations d’investigation disproportionnées tout en maintenant une exigence de diligence raisonnable.

La jurisprudence a établi que l’information ne pouvant porter que sur des faits connus de l’intermédiaire, il incombe au preneur de prouver que celui-ci en avait connaissance (Cass. 1re civ., 18 mars 2003). Cette règle de preuve protège le distributeur contre des allégations invérifiables tout en incitant le souscripteur à une communication transparente.

Cette approche s’inspire de la théorie générale de l’information, développée notamment en droit des sociétés, où l’obligation d’information du dirigeant est limitée aux faits dont il a effectivement connaissance[20]. Elle trouve également écho en droit de la consommation, où l’obligation d’information du professionnel porte sur les caractéristiques essentielles du produit qu’il maîtrise naturellement[21].

Cependant, cette limitation ne dispense pas le distributeur d’une vigilance active face aux informations manifestement incohérentes ou incomplètes. La jurisprudence sanctionne ainsi le professionnel qui, face à des déclarations suspectes, s’abstiendrait de solliciter les clarifications nécessaires (Cass. 1ère civ. 7 mars 1989).

L’équilibre ainsi établi respecte la logique économique de la distribution d’assurance : le distributeur mobilise son expertise technique pour optimiser l’information fournie par le client, sans pour autant se substituer à celui-ci dans l’appréciation de sa propre situation. Cette répartition des rôles préserve l’efficacité du processus commercial tout en maintenant un niveau d’exigence professionnel approprié.

iii. La formulation du conseil : simple proposition ou recommandation motivée

==>Le conseil obligatoire : la proposition cohérente

Le premier niveau de conseil, désormais imposé à tout distributeur par l’article L. 521-4, I du Code des assurances, établit un socle minimal d’exigences professionnelles. Cette obligation fondamentale contraint le distributeur à proposer « un contrat qui est cohérent avec les exigences et les besoins du souscripteur éventuel ou de l’adhérent éventuel » tout en précisant « les raisons qui motivent ce conseil ».

Cette exigence de cohérence constitue une véritable révolution conceptuelle dans l’approche de la distribution d’assurance. Elle substitue à la logique commerciale traditionnelle – centrée sur l’écoulement de produits – une logique de service personnalisé fondée sur l’adéquation entre l’offre et la demande[22]. Cette évolution s’inscrit dans le mouvement général de protection du consommateur qui caractérise le droit européen contemporain[23].

L’obligation d’information objective qui accompagne ce conseil revêt une importance particulière. L’article L. 521-4, I impose que le distributeur fournisse « des informations objectives sur le produit d’assurance proposé sous une forme compréhensible, exacte et non trompeuse ». Cette formulation reprend la terminologie de la directive sur la distribution d’assurances, elle-même inspirée de la réglementation des services financiers[24].

Le caractère obligatoire de cette démarche marque une rupture avec l’ancien droit, où seule la jurisprudence imposait un devoir de conseil aux intermédiaires d’assurance[25]. La codification de cette obligation garantit une application uniforme sur l’ensemble du territoire et simplifie le contentieux en offrant un référentiel normatif précis.

La motivation du conseil constitue un élément central de cette obligation. Elle permet au souscripteur de comprendre les raisons qui sous-tendent la recommandation, favorisant ainsi une décision éclairée. Cette exigence s’inspire des standards développés en matière de conseil en investissement, où la justification des recommandations constitue depuis longtemps une obligation déontologique fondamentale[26].

==>Le service de recommandation personnalisée facultatif

Au-delà du conseil de base obligatoire, l’article L. 521-4, II du Code des assurances consacre un niveau supérieur d’intervention : le service de recommandation personnalisée. Cette prestation facultative « consiste à expliquer pourquoi, parmi plusieurs contrats ou plusieurs options au sein d’un contrat, un ou plusieurs contrats ou options correspondent le mieux à ses exigences et à ses besoins ».

Cette disposition s’inspire directement de l’approche développée par la directive MiFID II en matière de conseil en investissement[27]. L’analogie n’est pas fortuite : elle témoigne de la volonté du législateur européen d’harmoniser les standards de protection des consommateurs entre les différents secteurs financiers.

Le service de recommandation personnalisée suppose une analyse comparative préalable, impliquant l’examen de plusieurs solutions concurrentes. Cette exigence distingue fondamentalement ce service du conseil de base, qui peut se satisfaire de la présentation d’une solution unique dès lors qu’elle est cohérente avec les besoins identifiés.

Cette prestation s’inscrit dans une logique de différenciation concurrentielle, permettant aux distributeurs de valoriser leur expertise par une offre de service premium. L’ACPR a d’ailleurs souligné que ce service, dépassant les obligations légales minimales, pouvait justifier une rémunération spécifique[28].

La recommandation personnalisée implique également une responsabilité accrue du distributeur. Contrairement au conseil de base, qui se contente de vérifier la cohérence d’une solution, la recommandation engage le distributeur sur le caractère optimal de son choix parmi plusieurs alternatives. Cette différence d’engagement explique le caractère facultatif de cette prestation.

L’évolution vers ces services différenciés reflète la maturation du marché français de l’assurance, où la concurrence ne porte plus seulement sur les prix mais également sur la qualité du service. Cette tendance, observée dans d’autres secteurs de services financiers, transforme progressivement les distributeurs en véritables conseillers spécialisés[29].

1.2. Les modalités d’exécution du devoir de conseil

L’évolution du droit de la distribution d’assurance, marquée par la transposition de la directive du 20 janvier 2016 sur la distribution d’assurance (DDA) par l’ordonnance du 16 mai 2018, a profondément renouvelé l’approche du devoir de conseil. Cette obligation, forgée de longue date par la jurisprudence avant d’être consacrée par la loi du 15 décembre 2005, connaît désormais un encadrement précis de ses modalités d’exécution. L’analyse de ces modalités suppose d’examiner successivement le moment d’exécution de cette obligation et l’identification des parties qui y sont intéressées.

a. Le moment de la délivrance du devoir de conseil

i. La délivrance du conseil avant la conclusion du contrat

Le caractère précontractuel du devoir de conseil est consacré par l’article L. 521-4 du Code des assurances qui dispose que « avant la conclusion de tout contrat d’assurance, le distributeur […] précise par écrit […] les exigences et les besoins » du souscripteur éventuel. Cette exigence revêt une portée particulière dans la mesure où elle impose une intervention active du distributeur en amont de tout engagement contractuel.

Le principe signifie concrètement que le conseil ne peut intervenir efficacement qu’avant que le consentement du souscripteur ne soit définitivement formé. Une fois le contrat conclu, l’objectif du conseil – éclairer le choix du contractant – ne peut plus être atteint. Cette logique transparaît dans la finalité même assignée par le législateur à cette intervention : permettre au souscripteur de « prendre une décision en toute connaissance de cause ». Cette expression révèle que le conseil vise à parfaire le consentement avant qu’il ne se cristallise dans l’acte contractuel.

La lettre de l’article L. 521-4 du Code des assurances confirme cette approche. L’obligation faite au distributeur de « conseiller un contrat qui est cohérent avec les exigences et les besoins du souscripteur éventuel » utilise à dessein la référence au « souscripteur éventuel », marquant ainsi que l’intervention doit nécessairement précéder l’engagement définitif. Cette conception s’inscrit dans une vision dynamique de la formation du contrat d’assurance. Comme le relève Jean Bigot, « le conseil est dû avant la conclusion de tout contrat d’assurance » car « la conclusion du contrat d’assurance vient au terme d’un processus de formation qui commence par la « proposition d’assurance » émanant d’un candidat à l’assurance mais qui va devoir mûrir sous les informations et les conseils du distributeur jusqu’à la signature de la police ».

Hubert Groutel souligne à cet égard que « le devoir de conseil en assurance » doit s’exercer « dès lors que s’engage le processus de formation du contrat », car c’est précisément à ce moment que le futur assuré a besoin d’être éclairé sur l’adéquation entre ses besoins et l’offre qui lui est présentée. L’ordonnance du 16 mai 2018 a d’ailleurs renforcé cette logique en imposant que le distributeur « précise par écrit les exigences et les besoins » du client « sur la base des informations obtenues auprès du souscripteur éventuel », marquant ainsi l’importance de la phase précontractuelle de dialogue et d’analyse.

Cette exigence de délivrance du conseil antérieurement à la conclusion du contrat répond à une finalité préventive clairement identifiée par la doctrine. Luc Mayaux observe que « l’objectif de la directive et des textes qui l’ont transposée est de combler ce déficit de compétence en chargeant l’une des parties, le distributeur, de renseigner le consommateur d’assurance ». Cette mission ne peut s’accomplir qu’en amont de l’engagement contractuel. Daniel Langé relève également que cette obligation précontractuelle vise à « éviter que l’assuré soit privé de la garantie » par une inadéquation entre ses besoins réels et le contrat souscrit.

La jurisprudence a d’ailleurs sanctionné les manquements à cette obligation précontractuelle. Dans un arrêt du 7 mars 1989, la Cour de cassation a ainsi retenu la responsabilité d’un courtier qui avait « omis de conseiller à l’assuré de résilier la garantie des dommages immatériels » inadaptée à sa situation, soulignant que cette obligation s’exerçait « dès avant la conclusion du contrat » (Cass. 1re civ., 7 mars 1989).

L’exigence de fourniture du conseil avant la conclusion du contrat s’articule étroitement avec les autres obligations précontractuelles, notamment l’obligation d’information consacrée aux articles L. 521-2 et L. 521-3 du Code des assurances. Comme le souligne Hubert Groutel, «si tout conseil suppose une information préalable, toute information n’aboutit pas nécessairement à un conseil»[30]. Cette distinction est essentielle car elle permet de comprendre que le conseil ne se limite pas à la transmission d’informations brutes, mais implique une véritable démarche d’analyse et de recommandation. L’article L. 521-4 du Code des assurances traduit cette exigence en imposant que le distributeur « conseille un contrat qui est cohérent avec les exigences et les besoins du souscripteur éventuel » et «précise les raisons qui motivent ce conseil ».

La Cour de cassation a d’ailleurs précisé, dans un arrêt du 13 décembre 2012, que la clarté du contrat peut dispenser de l’exécution de l’obligation d’informer, mais ne dispense jamais de l’exécution de l’obligation de conseil dont l’objet est différent, confirmant ainsi la spécificité et l’autonomie de l’obligation de conseil précontractuel (Cass. 1re civ., 13 déc. 2012, n° 11-27.631).

Cette conception du conseil emporte des conséquences pratiques déterminantes. Elle impose d’abord au distributeur de structurer sa démarche commerciale de manière à ménager un temps spécifique dédié au conseil, distinct de la phase de conclusion proprement dite. Cette exigence se matérialise par l’obligation de formalisation écrite qui impose de « préciser par écrit » les exigences et besoins du client ainsi que « les raisons qui motivent ce conseil ». Cette formalisation vise précisément à matérialiser l’antériorité du conseil par rapport à la conclusion du contrat.

Le principe implique enfin que le distributeur doit disposer, avant toute conclusion, de l’ensemble des éléments nécessaires à la délivrance d’un conseil éclairé, ce qui suppose un recueil préalable et approfondi des informations relatives à la situation du souscripteur potentiel. Cette intervention précontractuelle constitue donc le socle temporel sur lequel repose l’ensemble du dispositif de protection du consommateur d’assurance, justifiant l’attention particulière que lui porte le législateur contemporain.

ii. La délivrance du conseil lors du renouvellement du contrat

Une interrogation spécifique mérite d’être examinée s’agissant de l’application du devoir de conseil lors du renouvellement du contrat d’assurance. Cette problématique révèle les tensions entre l’automatisme de la tacite reconduction et l’exigence d’un conseil actualisé.

La jurisprudence a établi de longue date que la tacite reconduction n’entraîne pas une simple prorogation du contrat existant, mais donne naissance à un nouveau contrat. Cette analyse, confirmée par la Cour de cassation notamment dans un arrêt rendu le 18 janvier 1983 pourrait théoriquement imposer la délivrance d’un nouveau conseil à chaque échéance contractuelle (Cass. 1re civ., 18 janv. 1983, n° 81-14.860).

Cette exigence trouve sa justification dans l’évolution naturelle de la situation du souscripteur. Comme le souligne Jean Bigot « les besoins du client ont pu changer, de même que les opportunités à saisir sur le marché ». Cette observation revêt une acuité particulière dans un environnement économique et réglementaire en constante mutation, où les produits d’assurance évoluent rapidement pour s’adapter aux nouveaux risques et aux attentes changeantes de la clientèle.

Jean Bigot relève à cet égard que « la finalité du conseil pourrait le justifier », dans la mesure où celui-ci vise « la recommandation d’un contrat qui serait adapté aux besoins du souscripteur » éventuel, appréciés à un moment donné. À l’instant du renouvellement, cette adéquation mérite d’être réévaluée, les circonstances ayant pu évoluer depuis la souscription initiale.

L’ordonnance du 16 mai 2018 a d’ailleurs anticipé cette problématique en précisant, à l’article L. 521-2, III du Code des assurances, que « le souscripteur ou l’adhérent est informé des changements affectant l’une des informations » relatives au distributeur « s’il effectue, au titre du contrat d’assurance après sa conclusion, des paiements autres que les primes en cours et les versements prévus ». Cette disposition témoigne de la volonté du législateur de maintenir une information actualisée tout au long de la relation contractuelle.

La doctrine civiliste a d’ailleurs souligné l’importance de cette actualisation dans le contexte plus large du droit des contrats. Philippe Malaurie observe que « l’évolution des circonstances peut remettre en cause l’équilibre contractuel initial », justifiant une vigilance particulière lors des renouvellements successifs[31].

Néanmoins, la mise en œuvre pratique de cette exigence soulève des difficultés considérables. L’automatisme de la tacite reconduction, prévu à l’article L. 113-3 du Code des assurances, vise précisément à éviter les interruptions de garantie et à simplifier la gestion contractuelle. Imposer un conseil systématique à chaque renouvellement pourrait contrarier cette logique de continuité.

La solution semble résider dans une approche nuancée, fondée sur l’évolution significative de la situation du souscripteur ou du marché de l’assurance. Luc Mayaux suggère ainsi que « l’obligation de conseil ne devrait s’imposer au renouvellement qu’en cas de modification substantielle des besoins du souscripteur ou de l’offre disponible ». Cette approche permettrait de concilier l’exigence de protection du consommateur avec les impératifs de sécurité juridique et d’efficacité commerciale.

Cette problématique illustre plus largement les défis posés par l’adaptation du droit traditionnel de l’assurance aux exigences contemporaines de protection du consommateur, révélant la nécessité d’un équilibre délicat entre formalisme juridique et pragmatisme commercial.

b. Les parties intéressées au devoir de conseil

b.1. Le débiteur du devoir de conseil

L’identification des débiteurs du devoir de conseil en assurance révèle une architecture complexe où se mêlent obligations légales et constructions prétoriennes. Comme le souligne Jean Bigot, « l’obligation de conseil des intermédiaires d’assurances [est devenue] l’une des caractéristiques de leur activité »[32]. Cette obligation, initialement d’origine jurisprudentielle, a connu une consécration légale progressive qui en a étendu le champ d’application à de nouveaux débiteurs.

i. Les personnes assujetties au devoir de conseil

==>Les entreprises d’assurance

  • Les assureurs stricto sensu
    • La directive sur la distribution d’assurance de 2016, transposée par l’ordonnance du 16 mai 2018, a marqué un tournant décisif en soumettant expressément les entreprises d’assurance pratiquant la vente directe aux mêmes obligations de conseil que les intermédiaires.
    • Comme l’observe Luc Mayaux, cette évolution répond à un impératif d’égalité de traitement : « la clientèle doit disposer des mêmes protections quel que soit le canal de distribution ».
    • L’article L. 521-4 du Code des assurances impose désormais à tout distributeur, y compris l’entreprise d’assurance en vente directe, de « préciser par écrit les exigences et les besoins du souscripteur éventuel » et de lui «fournir des informations objectives sur le produit d’assurance proposé ».
    • Cette obligation se double d’un véritable devoir de conseil consistant à conseiller « un contrat qui est cohérent avec les exigences et les besoins du souscripteur éventuel ».
    • La jurisprudence avait d’ailleurs anticipé cette évolution législative en sanctionnant régulièrement les manquements de l’assureur à son devoir de conseil[33].
    • Ainsi, dans l’affaire de l’exposition « Our Body », la Cour de cassation a retenu la responsabilité contractuelle de l’assureur qui n’avait pas « attiré l’attention de la société organisatrice de l’exposition sur le risque d’annulation de l’exposition » (Cass. 1ère civ. 29 oct. 2014, n°13-19.729).
  • Les mutuelles et institutions de prévoyance
    • L’ordonnance de 2018 a étendu le champ d’application du devoir de conseil aux organismes relevant du Code de la mutualité et du Code de la sécurité sociale.
    • L’article L. 116-6 du Code de la mutualité dispose que « les dispositions du Code des assurances relatives aux distributeurs d’assurance sont applicables aux mutuelles et unions régies par le livre III du présent code, sous réserve des règles propres à ces mutuelles ou unions ».
    • Cette extension répond à une logique de cohérence du système juridique, comme le relève Hubert Groutel : « il serait paradoxal que les assurés bénéficient d’une protection différente selon qu’ils s’adressent à une société d’assurance, une mutuelle ou une institution de prévoyance »[34].

==>Les distributeurs d’assurance

  • Les courtiers d’assurance
    • Les courtiers constituent historiquement les premiers débiteurs du devoir de conseil. La jurisprudence les a très tôt qualifiés de « guide sûr et conseiller expérimenté »[35], imposant à leur charge une obligation particulièrement étendue en raison de leur indépendance supposée vis-à-vis des assureurs.
    • Cette obligation revêt une intensité particulière pour les courtiers, comme le souligne Pierre-Grégoire Marly : « le courtier doit être en mesure de proposer à son client un contrat qui, non seulement correspondrait au mieux à ses exigences et ses besoins de garantie, mais offrirait les meilleures conditions tarifaires »[36].
  • Les agents généraux d’assurance et autres mandataires d’assurance
    • Bien que mandataires des compagnies d’assurance, les agents généraux sont également tenus du devoir de conseil envers leur clientèle. Cette situation peut créer un conflit d’intérêts potentiel, comme le note un auteur: «l’agent général se trouve dans la situation délicate de devoir servir à la fois les intérêts de son mandant assureur et ceux de sa clientèle »[37].
    • La Cour de cassation a tranché cette difficulté en affirmant que « en sa qualité de professionnel de l’assurance mettant sa compétence à la disposition du public, l’agent général est tenu d’une obligation de conseil »[38].
    • Cette solution s’impose désormais avec force compte tenu des termes de l’article L. 521-1 du Code des assurances qui impose aux distributeurs d’agir « au mieux des intérêts du souscripteur ou de l’adhérent ».

==>Les souscripteurs de contrats collectifs

  • Les employeurs
    • Dans le cadre des assurances collectives, l’employeur souscripteur endosse une double casquette.
    • Bénéficiaire du conseil en tant que souscripteur, il devient également débiteur d’une obligation de conseil envers ses salariés adhérents, comme le précise l’article L. 141-4 du Code des assurances.
    • Cette situation particulière a été analysée par Laurent Mayaux qui observe que « le souscripteur de l’assurance de groupe proposée à l’adhésion devient comme distributeur d’assurance, véritable Janus bifrons »[39].
    • L’employeur concentre aujourd’hui l’essentiel de l’obligation d’information et de conseil sur les garanties promises par les contrats de groupe proposés à l’adhésion des salariés.
  • Les établissements de crédit
    • Les banques prêteuses qui souscrivent des assurances de groupe en garantie des prêts qu’elles accordent sont soumises à un devoir de conseil particulièrement strict.
    • La Cour de cassation a solennellement affirmé que l’obligation « d’éclairer l’adhérent sur l’adéquation des risques couverts » à sa situation personnelle «incombe au seul établissement de crédit souscripteur du contrat d’assurance», ajoutant même qu’«aucun devoir de conseil ou de mise en garde n’incombait à l’assureur de groupe» (Cass. com., 18 avr. 2019, n° 18-11.108).
    • L’établissement de crédit concentre ainsi l’essentiel de l’obligation d’information et de conseil sur les garanties promises par le contrat de groupe souscrit au profit des emprunteurs.
    • Cette jurisprudence, construite avant l’inscription dans la loi de l’obligation d’information et de conseil à la charge de tout distributeur d’assurance, n’en prend que plus de force aujourd’hui.
  • Les associations et personnes morales
    • Les associations d’épargnants et autres personnes morales qui souscrivent des contrats de groupe sont également tenues d’un devoir de conseil envers leurs adhérents.
    • Cette obligation découle de leur qualité de distributeur au sens de l’article L. 511-1 du Code des assurances.
    • Il convient de noter que lorsque le distributeur à titre accessoire, souscripteur du contrat de groupe dont il propose une adhésion à ses clients, est un professionnel d’une autre spécialité, le distributeur qui a placé le contrat de groupe a obligation « de conseiller utilement le souscripteur, distributeur à titre accessoire sur l’étendue des garanties », et d’attirer plus spécialement son attention sur « les exclusions et limites » qu’elles comportent (Cass. 2? civ., 29 mars 2018, n° 17-14.975).
  • Les prestataires de services numériques
    • La révolution numérique a profondément bouleversé l’écosystème de la distribution d’assurance, faisant émerger de nouveaux acteurs dont le statut juridique soulève des interrogations inédites.
    • Les plateformes et comparateurs en ligne incarnent cette mutation technologique qui questionne les frontières traditionnelles de l’intermédiation d’assurance et, par voie de conséquence, l’application du devoir de conseil.
    • Contrairement à une idée répandue, les comparateurs d’assurance en ligne n’ont jamais bénéficié d’un statut dérogatoire en droit français.
    • La multiplication des plateformes de comparaison n’a pas donné lieu à une catégorie juridique autonome.
    • Comme l’a rappelé l’ACPR dès 2015, « le statut de comparateur n’est ni défini, ni reconnu spécifiquement par la réglementation française ».
    • Cette lacune juridique a longtemps créé une zone d’incertitude quant au régime applicable à ces nouveaux acteurs, nombreux étant ceux qui arguaient de la spécificité de leur activité pour échapper aux obligations traditionnelles de l’intermédiation d’assurance.
    • La directive (UE) 2016/97 du 20 janvier 2016 sur la distribution d’assurances (DDA) a permis de clarifier cette question en adoptant une approche fonctionnelle plutôt que statutaire.
    • Elle considère comme constitutive de distribution d’assurance : « la fourniture d’informations sur un ou plusieurs contrats d’assurance selon des critères choisis par le client sur un site internet ou par d’autres moyens de communication et l’établissement d’un classement de produits d’assurance comprenant une comparaison des prix et des produits, ou une remise de prime, lorsque le client peut conclure un contrat directement ou indirectement au moyen d’un site internet ou d’autres moyens de communication. »
    • Cette définition a été fidèlement transposée en droit français à l’article L. 511-1, I, alinéa 2 du Code des assurances, dans sa version issue de l’ordonnance n° 2018-361 du 16 mai 2018.
    • Le texte français reprend substantiellement la formulation européenne en précisant : « est également considérée comme de la distribution d’assurances la fourniture d’informations sur un ou plusieurs contrats d’assurance selon des critères choisis par le souscripteur ou l’adhérent sur un site internet ou par d’autres moyens de communication et l’établissement d’un classement de produits d’assurance comprenant une comparaison des prix et des produits, ou une remise de prime, lorsque le souscripteur ou l’adhérent peut conclure le contrat directement ou indirectement au moyen du site internet ou par d’autres moyens de communication. »
    • A l’analyse, la qualification d’activité de distribution repose sur plusieurs critères cumulatifs définis par l’article L. 511-1 :
      • La fourniture d’informations sur un ou plusieurs contrats d’assurance selon des critères choisis par l’utilisateur
      • L’établissement d’un classement de produits comprenant une comparaison des prix et des produits
      • La possibilité pour l’utilisateur de conclure un contrat directement ou indirectement par le biais de la plateforme
    • Cette approche téléologique privilégie la substance économique de l’activité sur sa forme juridique, conformément à l’esprit de la directive européenne visant à éviter les contournements réglementaires.
    • Cette qualification n’est pas neutre sur le plan juridique.
    • Elle implique que les comparateurs d’assurance relèvent intégralement du champ de la réglementation applicable aux distributeurs et sont donc soumis à l’ensemble des obligations professionnelles prévues par le Code des assurances, notamment :
      • L’obligation d’immatriculation à l’ORIAS (article L. 512-1)
      • L’obligation de capacité professionnelle (articles L. 512-7 et suivants)
      • Les règles relatives à la prévention des conflits d’intérêts (article L. 521-1)
      • Le respect des règles de conduite (articles L. 521-1 à L. 521-6)
      • Et surtout, le devoir de conseil prévu à l’article L. 521-4
    • Sur ce dernier point, la position de l’ACPR est explicite et sans ambiguïté : «dans ce contexte, le comparateur d’assurance sur Internet est avant tout un courtier d’assurance ».
    • Cette qualification entraîne l’application intégrale du régime de responsabilité prévu pour les intermédiaires d’assurance.
    • Il en résulte que, dès lors qu’un comparateur permet au souscripteur de conclure un contrat, directement ou par redirection vers un partenaire, il doit être regardé comme participant à l’acte de distribution et, à ce titre, tenu d’un devoir de conseil à l’égard de l’utilisateur.
    • Conformément à l’article L. 521-4 du Code des assurances, le comparateur doit :
      • Préciser par écrit les exigences et les besoins du souscripteur éventuel
      • Fournir des informations objectives sur le produit d’assurance proposé sous une forme compréhensible, exacte et non trompeuse
      • Conseiller un contrat cohérent avec les exigences et les besoins du souscripteur
      • Préciser les raisons qui motivent ce conseil
    • L’application de ces obligations aux comparateurs soulève des difficultés pratiques particulières :
      • La limitation du périmètre de comparaison : aucun comparateur ne peut avoir accès à l’ensemble du marché, ce qui questionne la pertinence du conseil fourni
      • L’automatisation du processus : la dimension largement automatisée de la comparaison peut entrer en tension avec l’exigence de personnalisation du conseil
      • La transparence sur les partenariats : l’obligation d’information sur les conflits d’intérêts impose de révéler les accords commerciaux avec les assureurs référencés
    • Comme le souligne l’ACPR, « les comparateurs ont développé une approche marketing qui s’appuie sur le sentiment qu’ont les internautes d’avoir accès à une base d’informations sans limite ».
    • Cette communication peut créer une confusion préjudiciable aux consommateurs qui croient bénéficier d’une vision exhaustive du marché.
    • À ce jour, l’autorité de régulation constate que « la majorité des comparaisons se fait sur le seul critère tarifaire, sans que le consommateur soit averti des limites du conseil fourni ou que la fiabilité des offres présentées soit garantie».
    • Cette approche essentiellement tarifaire entre en contradiction avec l’obligation de conseil qui impose de prendre en compte l’ensemble des besoins du souscripteur et non le seul critère économique.

ii. Les personnes non assujetties au devoir de conseil

L’identification des personnes exclues du devoir de conseil répond à une logique de proportionnalité et d’efficience économique. Comme le souligne Daniel Langé, « ces exclusions visent à éviter l’application d’obligations inadaptées à certaines situations où le déséquilibre informationnel justifiant le devoir de conseil n’existe pas »[40].

==>Les exclusions liées à la nature des risques

  • Les grands risques
    • L’article L. 521-5 du Code des assurances exclut expressément de l’obligation de conseil « la présentation d’un contrat couvrant les risques mentionnés à l’article L. 111-6 ».
    • Cette exclusion concerne deux catégories de risques distincts.
      • Les grands risques par nature
        • Certains risques relèvent de la catégorie des grands risques en raison de leur objet même.
        • Il s’agit notamment des véhicules ferroviaires, aériens, maritimes, lacustres et fluviaux ainsi que la responsabilité civile afférente à ces véhicules, les marchandises transportées, les installations d’énergies marines renouvelables définies par décret en Conseil d’État, et les assurances crédit et caution lorsque le souscripteur exerce à titre professionnel une activité industrielle, commerciale ou libérale en rapport avec le risque couvert.
      • Les grands risques par la taille
        • Dans les autres branches d’assurance de dommages, la qualification de grand risque dépend de la taille de l’entreprise souscriptrice.
        • Le risque n’est « grand » que si l’entreprise dépasse les limites d’au moins deux des trois critères chiffrés visés à l’article R. 111-1 du Code des assurances : total du bilan supérieur à 6,2 millions d’euros, chiffre d’affaires supérieur à 12,8 millions d’euros, ou plus de 250 salariés en moyenne.
    • Cette exclusion des grands risques du champ d’application du devoir de conseil se justifie par la présomption de compétence des souscripteurs de cette catégorie de risques.
    • Comme l’explique Jérôme Kullmann : « Le législateur considère que la personne qui cherche à assurer des grands risques détient les connaissances et l’expertise nécessaires pour décider, de son propre chef, de souscrire tel ou tel contrat d’assurance »[41].
    • Laurent Mayaux nuance cette approche en observant qu’« autant peut-on comprendre la dispense d’assistance du distributeur auprès de la grande entreprise, dans la mesure où elle dispose en interne des moyens de mobiliser à travers une direction des risques et assurances les compétences nécessaires »[42].Toutefois, il souligne que même ces entreprises « ne peuvent se mettre à la place de l’assureur dans l’appréciation du risque et du règlement de l’éventuel sinistre ».
    • Cette exclusion des grands risques peut donc paraître discutable s’agissant des entreprises qui, bien que dépassant les seuils quantitatifs, ne disposent pas nécessairement en interne des compétences techniques spécialisées pour apprécier tous les aspects de l’assurance, notamment les exclusions complexes ou les mécanismes de franchise sophistiqués.
  • Les traités de réassurance
    • Les traités de réassurance sont également exclus du champ du devoir de conseil.
    • Cette exclusion trouve sa justification dans la nature même de ces opérations, comme l’explique Daniel Langé : la réassurance est négociée «entre deux parties professionnelles de l’assurance entre lesquelles on postule l’égalité de compétence pour aborder la négociation du traité ».
    • Hubert Groutel précise que «cette exclusion se comprend aisément dans la mesure où la réassurance met en relation des professionnels de l’assurance disposant, par hypothèse, des mêmes compétences techniques»[43].
    • L’asymétrie informationnelle qui justifie le devoir de conseil dans les relations entre professionnels et consommateurs disparaît dans ce contexte.

==>Les exclusions liées au statut de l’intermédiaire

  • Les intermédiaires à titre accessoire
    • L’article L. 513-1 du Code des assurances prévoit un régime dérogatoire pour certains intermédiaires à titre accessoire.
    • Ces intermédiaires, « qui, comme l’indique leur dénomination, bénéficient de dérogations aux exigences s’imposant aux autres intermédiaires à raison de la simplicité des produits d’assurance qu’ils distribuent »[44], échappent partiellement aux obligations de conseil.
    • Cette dérogation concerne notamment la distribution d’assurances dites «affinitaires», caractérisées par leur simplicité et leur standardisation.
    • Comme le note Philippe Maystadt, « ces produits, souvent liés à l’achat d’un bien ou d’un service principal, présentent des caractéristiques suffisamment simples pour ne pas justifier un conseil approfondi »[45].
    • Toutefois, cette dérogation ne doit pas compromettre la protection des consommateurs.
    • L’article L. 513-2 du Code des assurances prévoit que c’est à l’entreprise ou à l’intermédiaire d’assurance qui distribuent via l’intermédiaire à titre accessoire de faire en sorte que des “dispositions appropriées et proportionnées” soient prises pour assurer le respect des dispositions relatives aux règles de conduite.
  • Les courtiers grossistes
    • Les courtiers grossistes occupent une position singulière dans l’organisation du marché de l’assurance.
    • Contrairement aux courtiers dits traditionnels ou « détaillants », ils interviennent en amont de la chaîne de distribution, en concevant des produits, en négociant les conditions de couverture avec les assureurs, ou encore en structurant l’offre assurantielle destinée à être diffusée par un réseau d’apporteurs ou de courtiers distributeurs.
    • Comme l’explique Jean Bigot, « les courtiers grossistes interviennent en amont de la chaîne de distribution, en concevant des produits ou en négociant des conditions avec les assureurs, mais sans contact avec l’assuré final »[46].
    • Leur rôle est ainsi souvent double : ils peuvent être distributeurs de produits d’assurance, tout en exerçant, dans certains cas, une fonction de délégataire de gestion pour le compte d’un assureur.
      • La fonction de distributeur auprès d’un réseau d’intermédiaires
        • Lorsqu’ils interviennent en qualité de distributeurs, les courtiers grossistes conçoivent des produits qu’ils mettent à disposition de courtiers détaillants, chargés de les proposer aux clients finaux.
        • Dans ce schéma, le courtier grossiste ne contracte pas avec le candidat à l’assurance et ne participe pas à l’acte de distribution final.
        • C’est le courtier détaillant – titulaire d’un mandat de placement de risques conféré par l’assuré – qui exerce l’intermédiation de proximité et recueille les besoins du client.
        • Il en découle que le devoir de conseil repose exclusivement sur ce dernier, seul en mesure d’évaluer les attentes du souscripteur, de l’interroger, de le mettre en garde, et de lui recommander un contrat adéquat.
        • Le courtier grossiste, en revanche, n’entretient aucun lien contractuel ni relation commerciale avec le preneur d’assurance.
        • Mieux encore, il n’est pas autorisé à en avoir, car le client appartient exclusivement au courtier distributeur.
        • Toute ingérence du courtier grossiste dans cette relation pourrait être qualifiée de détournement de clientèle, et engager sa responsabilité délictuelle.
        • Dans ces conditions, il serait juridiquement incohérent de lui imposer un devoir de conseil qu’il n’a ni les moyens ni le droit d’exercer.
      • La fonction de délégataire de gestion pour le compte de l’assureur
        • Par ailleurs, certains courtiers grossistes assument, en parallèle de leur activité de distribution, une mission de gestion administrative pour le compte de l’assureur, dans le cadre d’une délégation de gestion.
        • Ils interviennent alors en exécution du contrat d’assurance, souvent après la souscription, et accomplissent des actes tels que l’émission des pièces contractuelles, la gestion des sinistres ou le recouvrement des primes.
        • Dans ce cadre, le courtier grossiste agit au nom et pour le compte de l’assureur.
        • Il n’est plus un distributeur, mais un gestionnaire délégué, placé sous l’autorité juridique du porteur de risque.
        • Même lorsque cette mission de gestion implique un contact direct avec l’assuré (par exemple lors du traitement d’un sinistre ou de l’émission d’un certificat), aucun devoir de conseil autonome ne peut naître à sa charge, car il n’accomplit pas d’acte de distribution.
        • Le cas échéant, s’il devait exister une obligation de conseil dans le cadre de la gestion, celle-ci ne pourrait être imputée qu’à l’assureur, débiteur naturel du devoir, et non au délégataire, qui n’intervient que par représentation.
    • La question de savoir si un courtier grossiste peut être tenu au devoir de conseil à l’égard de l’assuré final a été expressément tranchée par la Cour de cassation dans un arrêt du 23 mars 2017 (Cass. 2e civ., 23 mars 2017, n° 16-15.090).
    • En l’espèce, une assurée reprochait à la société April, intervenant en qualité de courtier grossiste, un manquement à son devoir de conseil lors de l’adhésion à un contrat d’assurance de groupe emprunteur, souscrit par l’intermédiaire d’une association.
    • La société April agissait exclusivement dans le cadre d’une délégation de gestion consentie par l’assureur, la société Axeria Prévoyance.
    • Elle n’avait ni commercialisé le contrat, ni participé à son élaboration.
    • La Cour de cassation rejette le pourvoi et affirme que « la société April, intervenue dans la seule gestion administrative du contrat d’assurance sur délégation de l’assureur, n’avait ni proposé le contrat d’assurance ni participé à l’élaboration de la proposition d’assurance, de sorte qu’elle n’était débitrice à l’égard de l’assurée d’aucune obligation d’information et de conseil. »
    • Par cette décision, la Haute juridiction délimite avec précision le périmètre d’application du devoir de conseil, en opérant une distinction fonctionnelle entre deux types d’activités exercées par les courtiers grossistes : d’une part, les fonctions de distribution, qui impliquent un devoir de conseil, et d’autre part, les fonctions de gestion administrative, qui en sont exclues.
    • Elle affirme ainsi que le courtier grossiste n’engage pas sa responsabilité à ce titre lorsqu’il cumule les trois caractéristiques suivantes :
      • Absence d’intervention dans la conception ou la présentation du contrat d’assurance
        • Le devoir de conseil trouve son fondement dans l’acte de distribution au sens propre : il suppose que l’intermédiaire participe, directement ou indirectement, à la présentation, à la recommandation, ou à la mise en place d’un contrat d’assurance à destination d’un client déterminé.
        • Or, dans l’affaire jugée, la Cour de cassation relève que la société April n’a ni proposé le contrat, ni participé à l’élaboration de la proposition : le produit avait été conçu et présenté au client par un autre intermédiaire (le cabinet Michel Astre), seul en lien avec le souscripteur.
        • Ce premier critère exclut donc la qualification d’activité de distribution.
        • En l’absence d’une implication dans le processus de placement du risque, le courtier grossiste ne saurait être regardé comme débiteur d’un devoir de conseil.
      • Exercice d’une mission de gestion par délégation de l’assureur
        • La société April agissait dans le cadre d’une délégation de gestion consentie par l’assureur.
        • Elle se bornait à exécuter des tâches telles que la tenue des dossiers, la production des certificats d’adhésion ou la gestion des flux contractuels, sans initiative commerciale ou responsabilité dans la construction de l’offre.
        • Dans ce contexte, le courtier grossiste agit en représentation de l’assureur, dans un cadre strictement déterminé.
        • Il n’endosse pas le rôle de distributeur, mais celui de gestionnaire de prestations au nom du porteur de risque.
        • Toute obligation d’information ou de conseil qui pourrait être invoquée dans ce contexte relèverait de la seule responsabilité de l’assureur, le gestionnaire n’étant qu’un relais technique.
        • La Haute juridiction se fonde donc sur une analyse fonctionnelle du rôle du courtier : elle retient que l’absence d’autonomie dans la présentation du produit, jointe à la qualité de mandataire du gestionnaire, suffit à écarter toute obligation personnelle de conseil.
      • Absence de relation contractuelle directe avec le souscripteur
        • Enfin, la Cour de cassation insiste sur un troisième élément fondamental : l’inexistence de tout lien contractuel direct entre le courtier grossiste et le preneur d’assurance.
        • Elle écarte expressément l’argument fondé sur l’existence d’échanges de courriers ou la remise de documents : ces simples démarches administratives ne suffisent pas à caractériser une relation juridique autonome de nature à faire naître des obligations propres au gestionnaire.
        • Cette précision est essentielle. Elle souligne que le devoir de conseil suppose une relation d’intermédiation individualisée : il implique que l’intermédiaire soit investi d’un mandat – explicite ou implicite – par le client, qu’il soit en situation de dialogue et de recueil d’informations, et qu’il puisse formuler une recommandation adaptée.
        • En l’absence de tout lien de droit entre le courtier grossiste et le preneur d’assurance, aucune de ces conditions n’est remplie.
  • Les indicateurs
    • En droit de la distribution d’assurance, les indicateurs constituent une catégorie à part, expressément exclue du champ d’application du régime de l’intermédiation.
    • À la différence des courtiers, agents généraux ou mandataires, ces acteurs ne sont pas considérés comme des distributeurs au sens du Code des assurances, et n’assument donc aucune des obligations professionnelles attachées à cette qualité.
    • L’article R. 511-3, III du Code des assurances définit leur rôle restrictif : ils sont des « indicateurs dont le rôle se borne à mettre en relation l’assuré et l’assureur, ou l’assuré et l’un des intermédiaires mentionnés à l’article R. 511-2, ou à signaler l’un à l’autre ».
    • Autrement dit, l’indicateur se limite à une mise en relation ou à une simple recommandation de contact, sans participer à la présentation, à la proposition, ni à la conclusion d’un contrat d’assurance.
    • Il n’exerce aucun acte de distribution au sens de l’article L. 511-1, et ne réalise pas de travaux préparatoires à la souscription.
    • Cette qualification emporte des conséquences juridiques majeures : n’étant pas un distributeur, l’indicateur est exclu du champ d’application de l’article L. 521-4, et ne peut être tenu au devoir de conseil à l’égard du candidat à l’assurance.
      • Fondement de l’exclusion: la nature restrictive de l’activité d’indication
        • Le Code des assurance distingue expressément certaines activités accessoires qui, bien qu’elles puissent participer indirectement à la mise en place de contrats, échappent à la qualification d’intermédiation.
        • Tel est le cas des indicateurs d’affaires, qui bénéficient d’un statut dérogatoire précisément défini par les textes.
        • L’article L. 511-1, II du Code des assurances, dans la liste de ses exclusions, précise que « ne sont pas considérées comme de la distribution d’assurances des activités s’apparentant à de l’indication d’affaires ».
        • Cette disposition est éclairée par l’article R. 511-3, III, qui encadre strictement les contours de cette fonction : « La présente section ne fait pas obstacle à la rétrocession d’une commission d’apport aux indicateurs dont le rôle se borne à mettre en relation l’assuré et l’assureur, ou l’assuré et l’un des intermédiaires mentionnés à l’article R. 511-2, ou à signaler l’un à l’autre. »
        • Trois éléments caractérisent donc le périmètre limité de l’activité d’indication :
          • une simple mise en relation entre un assuré potentiel et un professionnel habilité (assureur ou intermédiaire),
          • un signalement passif ne s’accompagnant d’aucune présentation des garanties,
          • et, éventuellement, la perception d’une commission d’apport, à condition qu’elle ne rémunère pas une prestation assimilable à un acte de distribution.
        • L’utilisation du verbe « se borne » dans le texte réglementaire souligne le caractère strictement délimité de cette activité : l’indicateur ne participe ni à l’élaboration ni à la présentation de l’offre, et n’intervient pas dans la conclusion du contrat.
        • Il n’a, en réalité, aucune légitimité à influencer le consentement du souscripteur, ce qui justifie son exclusion du régime de la distribution d’assurance.
        • Les textes vont plus loin en énonçant négativement les actes interdits à l’indicateur. Il lui est notamment interdit :
          • de présenter les garanties d’un contrat d’assurance ;
          • de recueillir les informations nécessaires à l’établissement d’un devis ;
          • ou encore d’exposer oralement ou par écrit les conditions de garantie, telles que définies à l’article R. 511-1, alinéa 1er.
        • Dès lors que l’indicateur franchit l’une de ces limites, il cesse de bénéficier de l’exclusion et devient un intermédiaire au sens plein, devant satisfaire aux obligations afférentes: immatriculation à l’ORIAS, conditions de capacité, assurance RC professionnelle, devoir de conseil, etc.
        • La doctrine a souligné avec justesse que cette frontière est historiquement liée à l’évolution du droit de l’intermédiation.
        • Comme l’ont observé certains auteurs, « le problème vient de l’évolution de la définition de l’intermédiaire lui-même », qui, depuis la réforme de 2005, repose sur la qualité de professionnel impliqué dans le processus contractuel, et non plus uniquement sur l’acte de présentation formelle du contrat.
      • Les conséquences de l’exclusion sur le devoir de conseil
        • L’exclusion des indicateurs d’affaires du champ de l’article L. 511-1 du Code des assurances implique, par cohérence, leur exonération du devoir de conseil prévu à l’article L. 521-4.
        • Cette exemption n’est pas circonstancielle mais structurelle : l’indicateur n’est pas un distributeur, et ne peut donc être assujetti à des obligations qui ne concernent que les acteurs de la distribution.
        • Elle se justifie également par l’impossibilité matérielle pour l’indicateur d’exercer un conseil pertinent.
        • En effet, il ne peut :
          • ni présenter les garanties du contrat ;
          • ni interroger l’assuré sur ses besoins ou objectifs ;
          • ni analyser la situation assurantielle ou proposer des solutions adaptées.
        • Or, le devoir de conseil suppose précisément ces facultés : recueillir les exigences et besoins, formuler une recommandation motivée, éclairer la décision du souscripteur.
        • L’indicateur, par définition, n’en a ni la compétence ni le droit, ce qui rend toute obligation de conseil juridiquement inopérante à son égard.
        • Pour autant, la frontière entre l’indication d’affaires et la distribution peut s’avérer difficile à respecter en pratique.
        • Comme le relève pertinemment la doctrine, « pour signaler un assuré à un assureur, et pour en retirer une commission d’apport au sens de l’article R. 511-3, encore faut-il au minimum que l’indicateur d’assurance se soit renseigné préalablement sur la possibilité pour l’assureur signalé de répondre aux besoins du futur assuré ».
        • Cette observation met en lumière une tension structurelle : l’efficacité commerciale de l’indication suppose un minimum d’information sur les profils des clients et les offres disponibles, mais ce recueil d’informations, dès lors qu’il devient substantiel ou oriente une décision, peut franchir le seuil de l’intermédiation.
        • Dès que l’indicateur commence à adapter ses signalements en fonction des besoins du client ou à orienter celui-ci vers un contrat particulier, il bascule dans une activité de conseil, qui requiert un statut d’intermédiaire et l’assujettissement aux règles professionnelles de la distribution.
        • A cet égard, un défaut d’habilitation d’un intermédiaire est assorti de sanctions pénales au sens de l’article L. 514-1 (deux ans d’emprisonnement et/ou une amende de 6 000 €).
        • Sans compter les risques relatifs à la déclaration mensongère au sens de l’article L. 310-28 du Code des assurances.
        • Au civil, les conséquences sont tout aussi lourdes : si l’apporteur est requalifié en intermédiaire, il supportera pleinement le devoir de conseil dû à l’assuré, et les risques de responsabilité afférents, sans assurance pour le protéger.
        • Cette perspective explique l’importance cruciale du respect strict des limites de l’activité d’indication.
    • L’une des clés de distinction entre l’intermédiaire d’assurance et l’indicateur réside dans l’absence totale d’assistance.
    • Cette approche a été confirmée par la jurisprudence, notamment dans un arrêt de la cour d’appel de Paris du 8 mars 1996 qui considérait qu’un franchisé n’était pas un intermédiaire dès lors qu’il n’avait pas « assisté les clients dans la recherche et la prise de garantie ».
    • Le critère opérant semble donc résider dans l’abstention de toute forme d’assistance dans la conclusion du contrat, l’indicateur devant se cantonner «strictement à la seule mise en relation, sans fournir, d’une quelconque façon, une assistance à la mise en place de la police ».

==>Les exclusions liées aux circonstances

Le devoir de conseil, bien qu’étant une obligation du distributeur d’assurance, connaît certains aménagements dans ses modalités d’exécution ou peut être suspendu dans des circonstances particulières. Ces situations, loin de remettre en cause le principe même de l’obligation de conseil, témoignent de la nécessaire adaptation du droit aux réalités pratiques de la distribution d’assurance.

  • La commercialisation à distance d’urgence
    • Dans certaines situations d’urgence, notamment lors de la commercialisation à distance, les informations précontractuelles peuvent être fournies après la conclusion du contrat.
    • L’article R. 521-2, II du Code des assurances prévoit expressément que «lorsque le contrat a été conclu à la demande du souscripteur utilisant un moyen technique à distance ne permettant pas la transmission des informations sur support papier ou sur un autre support durable, le distributeur met les informations à disposition immédiatement après la conclusion du contrat ».
    • Cette dérogation ne supprime nullement l’obligation mais en aménage les modalités d’exécution pour tenir compte des contraintes techniques inhérentes aux nouveaux modes de communication.
    • Elle s’inscrit dans une logique pragmatique qui reconnaît que l’urgence d’une couverture d’assurance peut justifier une inversion de l’ordre chronologique habituel entre information et souscription.
    • Plusieurs conditions cumulatives doivent être réunies pour que cette dérogation trouve à s’appliquer :
      • La souscription doit résulter d’une demande expresse du souscripteur, excluant ainsi toute initiative du distributeur
      • L’utilisation d’un moyen technique à distance doit être établie
      • Cette technique doit ne pas permettre la transmission des informations sur support papier ou durable au moment de la souscription
      • Les informations doivent être mises à disposition immédiatement après la conclusion du contrat
    • Cette exception ne concerne que les modalités de transmission des informations et non leur contenu.
    • Le distributeur demeure tenu de fournir l’intégralité des informations précontractuelles requises, y compris le conseil adapté aux besoins du souscripteur.
    • Comme le précise le document joint, “l’intermédiaire n’est pas exonéré de ses obligations d’information, lesquelles sont simplement décalées dans le temps“.
  • Le refus du souscripteur
    • Depuis la loi relative à l’industrie verte du 23 octobre 2023, qui a instauré un devoir de conseil dans la durée, le législateur a dû prendre en compte la possibilité pour le souscripteur de refuser l’actualisation de son conseil. L’article A. 522-2, I, 3° du Code des assurances prévoit désormais que «l’intermédiaire ou l’entreprise d’assurance ou de capitalisation n’est pas tenu de procéder à l’actualisation des informations du souscripteur ou de l’adhérent comme mentionné au 2° du III de l’article L. 522-5 si le souscripteur ou l’adhérent oppose un refus ou n’a pas donné suite à la demande d’actualisation adressée sur tout support durable par l’intermédiaire ou l’entreprise d’assurance ou de capitalisation, après une relance effectuée sur tout support durable au sens de l’article L. 111-9 du présent code».
    • Cette disposition s’inscrit dans le cadre plus large de l’obligation de réactualisation du conseil prévue à l’article L. 522-5, III du Code des assurances.
    • Le distributeur doit procéder à une actualisation des informations lorsque :
      • Il est informé d’un changement dans la situation du souscripteur
      • Le contrat n’a fait l’objet d’aucune opération pendant 4 ans (ou 2 ans en cas de service de recommandation personnalisée)
      • Une opération susceptible d’affecter significativement le contrat est envisagée
    • Cependant, cette obligation cède devant la volonté expresse du souscripteur.
    • Le texte prévoit même une procédure : le distributeur doit adresser une demande d’actualisation “sur tout support durable” et, en cas de silence du souscripteur, effectuer une relance avant de pouvoir considérer que l’obligation ne s’applique plus.
    • Cette disposition reconnaît l’autonomie du souscripteur tout en préservant les intérêts légitimes du distributeur.
    • Elle évite que ce dernier ne soit indéfiniment tenu d’une obligation de conseil actualisé face à un souscripteur qui refuse de coopérer ou qui, en toute connaissance de cause, souhaite maintenir son contrat en l’état.
    • Le législateur a ainsi trouvé un équilibre délicat entre deux impératifs : d’une part, la protection du souscripteur par un conseil adapté et actualisé ; d’autre part, le respect de sa liberté contractuelle et de son droit à refuser cette protection s’il l’estime superflue.
    • Lorsque le souscripteur oppose un refus ou ne donne pas suite à la demande d’actualisation, “la durée de 4 ans ou de 2 ans mentionnée ci-avant est appliquée de nouveau à compter de ce refus ou de la relance”.
    • Cette solution assure une forme de “remise à zéro” du compteur, permettant au distributeur de reproposer ultérieurement une actualisation sans être indéfiniment lié par un refus ancien.

b.2. Le créancier du devoir de conseil

i. Règles générales

Le créancier du devoir de conseil est, par principe, le « souscripteur éventuel » ou « l’adhérent éventuel », selon la terminologie constante des articles L. 521-4 et L. 522-5 du Code des assurances. Cette formulation met l’accent sur le caractère précontractuel de l’obligation, conformément à l’économie générale de la directive du 20 janvier 2016 sur la distribution d’assurances.

L’emploi du terme « éventuel » traduit la finalité préventive du dispositif : il s’agit d’éclairer la décision contractuelle avant qu’elle ne soit définitivement arrêtée. Cette approche s’inscrit dans la logique consumériste qui sous-tend la réglementation européenne, visant à permettre au consommateur de « prendre une décision en connaissance de cause ».

La distinction opérée par le législateur entre « souscripteur » et « adhérent » reflète la diversité des schémas contractuels en assurance. Le souscripteur désigne celui qui contracte directement avec l’assureur dans le cadre d’une assurance individuelle, tandis que l’adhérent vise celui qui rejoint un contrat de groupe préalablement souscrit par une personne morale ou un chef d’entreprise, conformément à la définition de l’article L. 141-1 du Code des assurances³.

ii. Les situations particulières

==>L’assurance de groupe

  • Le souscripteur du contrat groupe
    • En matière d’assurance de groupe, l’analyse du devoir de conseil se heurte à une complexité supplémentaire, liée à la structure duale du mécanisme contractuel. En effet, ce type d’assurance repose sur deux niveaux de relation juridique distincts mais articulés :
      • d’une part, un contrat d’assurance collectif conclu entre un souscripteur (généralement une personne morale, une entreprise ou une association) et l’assureur ;
      • d’autre part, des adhésions individuelles au contrat-cadre de la part des membres du groupe concerné (salariés, adhérents, emprunteurs, etc.), qui bénéficient des garanties prévues par le contrat collectif.
    • Cette dualité contractuelle engendre une dissociation entre celui qui négocie et souscrit le contrat (le souscripteur) et ceux qui en bénéficient (les adhérents), ce qui redéfinit en profondeur le périmètre et les modalités du devoir de conseil.
    • Dans ce contexte, le souscripteur – personne morale ou employeur – est seul en relation directe avec le distributeur, et peut légitimement exiger de ce dernier les informations et recommandations nécessaires avant la conclusion du contrat collectif.
    • Il lui revient en effet d’apprécier l’adéquation du contrat-cadre aux besoins du groupe qu’il entend couvrir, ce qui suppose une analyse approfondie des risques collectifs, du profil des adhérents potentiels, ainsi que des garanties et exclusions contenues dans le contrat proposé.
    • Le souscripteur occupe ainsi une position particulière : intermédiaire entre l’assureur et les bénéficiaires potentiels, il porte la responsabilité de choisir une offre adaptée aux intérêts de la collectivité.
    • Cette responsabilité implique, en contrepartie, que le distributeur lui délivre un conseil éclairé et personnalisé, portant non pas sur des besoins individuels, mais sur les caractéristiques générales du groupe à assurer.
  • Les adhérents individuels : créanciers de second rang
    • Les adhérents au contrat collectif ne sont pas parties à la négociation initiale, mais ils deviennent bénéficiaires des garanties dès leur adhésion individuelle au dispositif.
    • À ce titre, ils peuvent également être considérés comme créanciers du devoir de conseil, mais dans une mesure différente de celle du souscripteur initial. Cette qualité de créancier de second rang découle de leur besoin légitime d’être informés et conseillés sur les conditions de leur adhésion :
      • pour en comprendre la portée,
      • pour évaluer son intérêt au regard de leur situation personnelle,
      • et pour pouvoir prendre une décision éclairée, notamment lorsque l’adhésion est facultative, comme en matière d’assurance emprunteur ou de prévoyance individuelle.
    • Contrairement à la tendance générale en matière de contrats d’assurance individuels, la reconnaissance d’un devoir de conseil au profit des adhérents d’un contrat d’assurance de groupe ne constitue pas un principe général.
    • Elle demeure strictement circonscrite à certaines hypothèses, dans lesquelles un professionnel assume expressément un rôle de distributeur vis-à-vis des adhérents individuels.
    • A cet égard, La jurisprudence de la Cour de cassation a reconnu de manière nette la qualité de créancier du conseil à certains adhérents, notamment les emprunteurs adhérant à une assurance de groupe souscrite par leur banque.
    • L’arrêt de principe rendu par la chambre commerciale le 18 avril 2019 affirme que « l‘obligation d’éclairer l’adhérent sur l’adéquation des risques couverts à sa situation personnelle d’emprunteur […] incombe au seul établissement de crédit souscripteur du contrat d’assurance »[47].
    • Cette solution ne repose pas sur une reconnaissance abstraite et générale de la qualité de créancier des adhérents, mais sur une qualification fonctionnelle du souscripteur-emprunteur comme distributeur effectif de l’assurance.
    • C’est en raison de ce rôle actif dans la commercialisation du produit que la banque est tenue d’un devoir de conseil à l’égard de l’adhérent.
    • L’article L. 141-4 du Code des assurances impose au souscripteur de remettre à chaque adhérent une notice d’information, décrivant notamment les garanties offertes et les modalités de mise en œuvre du contrat.
    • Cette obligation traduit un droit à l’information à la charge du souscripteur, mais ne fonde pas à elle seule un véritable devoir de conseil au sens de l’article L. 521-4.
    • Le devoir de conseil suppose en effet :
      • une relation directe entre un professionnel et l’adhérent ;
      • un recueil d’informations personnelles ;
      • une recommandation individualisée.
    • Or, dans la plupart des régimes collectifs, l’adhésion se fait sans contact personnalisé avec un distributeur, par simple acceptation des conditions du contrat-cadre.
    • En l’absence de ce lien personnel, l’adhérent n’est pas considéré comme créancier du conseil, sauf circonstances particulières.
    • La reconnaissance de la qualité de créancier du conseil pour l’adhérent dépend donc étroitement des modalités de son adhésion :
      • En cas d’adhésion facultative (assurance emprunteur, prévoyance complémentaire), l’adhérent dispose d’un pouvoir de choix. Il doit être en mesure de comparer les options disponibles et d’évaluer l’intérêt de son adhésion au regard de sa situation personnelle. Dans ce cas, si un professionnel agit comme distributeur à son égard, un devoir de conseil peut s’appliquer.
      • En cas d’adhésion obligatoire (ex. : assurance collective d’entreprise à caractère obligatoire), le besoin de conseil est atténué : l’adhérent n’a pas à choisir, il subit une affiliation imposée. Le droit à l’information subsiste, mais le devoir de conseil n’a pas lieu de s’exercer de la même manière.
    • Lorsque les conditions sont réunies, la situation conduit à une configuration à créanciers multiples du devoir de conseil :
      • Le souscripteur reste créancier du conseil vis-à-vis du distributeur pour ce qui concerne l’adéquation du contrat-cadre aux besoins du groupe ;
      • L’adhérent, quant à lui, peut devenir créancier d’un conseil individualisé dans la seule mesure où un professionnel assume un rôle actif de distribution à son égard.
    • C’est cette condition – l’existence d’un acte de distribution au profit de l’adhérent – qui fonde ou exclut l’application du devoir de conseil.
    • À défaut, aucun distributeur ne peut être tenu d’une obligation qu’il n’a pas eu l’occasion d’exercer.
    • La prudence de la jurisprudence et de la doctrine s’explique ainsi : la qualité de créancier du devoir de conseil n’est jamais présumée en matière d’assurance de groupe, mais doit être analysée au cas par cas, selon les circonstances concrètes de l’adhésion et l’identité du professionnel impliqué.

==>L’assurance pour compte

L’assurance pour compte constitue un mécanisme particulier où une personne souscrit une assurance non pas pour elle-même, mais pour le compte d’autrui, qu’il soit déterminé ou déterminable au moment du sinistre. Cette configuration soulève des questions spécifiques quant à l’identification des créanciers du devoir de conseil.

  • Principe
    • La jurisprudence admet désormais que le bénéficiaire de l’assurance pour compte peut se prévaloir d’un défaut de conseil, même en l’absence de lien contractuel direct avec l’assureur ou le distributeur. Cette solution s’écarte du principe traditionnel de l’effet relatif des contrats pour privilégier une approche fonctionnelle centrée sur la finalité protectrice de l’assurance.
    • Un arrêt de la première chambre civile du 18 janvier 2018 illustre cette évolution (Cass. 1re civ., 18 janv. 2018, n°16-29.062 et 17-10.189).
    • En l’espèce, une SCI, propriétaire de murs loués à un exploitant de discothèque, se trouvait dans une situation d’assurance pour compte particulièrement révélatrice.
    • La SCI, représentée par son gérant, louait des murs à un exploitant qui y exploitait une discothèque.
    • Par l’intermédiaire d’un cabinet de courtage en assurances, l’exploitant avait conclu « tant pour son propre compte que pour celui de la SCI, un contrat d’assurance », sur la base d’un questionnaire « renseigné et signé par lui ainsi que par [le gérant de la SCI] ».
    • Lors de la destruction de la discothèque par incendie, l’assureur a pu opposer à la SCI la faute intentionnelle de l’exploitant-souscripteur et refuser sa garantie.
    • La SCI et son gérant ont alors assigné l’assureur du courtier, estimant que ce dernier « avait engagé sa responsabilité pour ne pas les avoir utilement conseillés, ni correctement informés sur la nature, les spécificités et l’étendue de la police d’assurance souscrite pour le compte de la SCI ».
    • La cour d’appel avait initialement adopté une position restrictive, considérant que « le contrat d’assurance pour compte est une stipulation pour autrui et que, dès lors, seul le souscripteur, qui a contracté l’assurance par l’intermédiaire de son courtier, peut revendiquer de celui-ci le respect de son obligation de loyauté et d’information ».
    • Elle avait également retenu que « le seul fait que [le gérant de la SCI] ait pu suivre de près la négociation du contrat d’assurance en présence du préposé [du courtier] n’est pas de nature à lui conférer la qualité de futur souscripteur et de rendre le courtier débiteur d’obligations à son égard ou à l’égard de la société qu’il représentait ».
    • La Cour de cassation censure cette analyse au visa de l’article L. 520-1, II, du Code des assurances (devenu L. 521-4).
    • Elle reproche à la cour d’appel d’avoir retenu des « motifs impropres à établir» l’absence d’obligation du courtier.
    • La Haute juridiction considère qu’en l’espèce, lorsque le gérant de la SCI avait « conjointement avec [l’exploitant], consulté [le courtier], remplissant et signant avec lui le questionnaire qu’elle leur avait remis pour pouvoir évaluer le risque à assurer, et manifesté ainsi sa volonté de voir la SCI assurée en toute circonstance contre le risque incendie », la SCI avait acquis « la qualité de souscripteur éventuel ».
    • Cette qualification emporte des conséquences importantes : le courtier était dès lors « tenu d’une obligation d’information sur les conséquences, pour l’assuré pour compte, des causes de non garantie opposables au souscripteur et d’une obligation de conseil relative à l’adaptation du contrat aux risques que la SCI entendait voir garantir ».
  • Fondement
    • Cette solution s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence développée en matière d’action directe.
    • Comme l’a établi l’arrêt d’assemblée plénière du 6 octobre 2006, un tiers peut reprocher à un contractant l’inexécution de ses obligations contractuelles si cette inexécution lui cause un préjudice.
    • L’arrêt “Boot Shop” ou “Myr’ho” (Cass. Ass. plén., 6 octobre 2006, n° 05-13.255) pose le principe que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage.
    • Cette solution, initialement développée en matière de responsabilité délictuelle, trouve ici une application particulière.
    • L’assurance pour compte a précisément pour objet de protéger des personnes qui ne sont pas parties au contrat initial.
    • Il serait paradoxal que ces bénéficiaires, pour la protection desquels l’assurance a été souscrite, ne puissent invoquer les manquements du distributeur qui les privent d’une couverture adéquate.
    • Certains auteurs analysent cette situation à travers le prisme de la stipulation pour autrui.
    • Le souscripteur stipulerait le bénéfice du conseil au profit du bénéficiaire final, créant ainsi un lien juridique direct entre ce dernier et le distributeur.
  • Modalités d’application
    • Les conditions de mise en œuvre
      • Pour que le bénéficiaire puisse invoquer un défaut de conseil, plusieurs conditions doivent être réunies :
        • L’existence d’une assurance pour compte : Il faut établir que l’assurance a bien été souscrite dans l’intérêt d’autrui
        • Un préjudice direct : Le bénéficiaire doit démontrer qu’il subit personnellement un préjudice du fait du défaut de conseil
        • Un lien de causalité : Le préjudice doit résulter directement du manquement aux obligations de conseil
    • L’étendue du conseil dû
      • Le conseil dû au bénéficiaire porte principalement sur :
        • L’existence même de l’assurance et son périmètre de couverture
        • L’adéquation des garanties aux risques effectivement encourus par le bénéficiaire
        • Les modalités de mise en œuvre des garanties
        • Les exclusions susceptibles d’affecter la couverture
  • Portée
    • L’arrêt du 18 janvier 2018 introduit une notion nouvelle : celle de «souscripteur éventuel » en matière d’assurance pour compte.
    • Cette qualification ne procède pas d’un lien contractuel direct, mais de la participation effective du bénéficiaire au processus de souscription.
    • L’arrêt dégage plusieurs critères pour reconnaître cette qualité :
      • La consultation conjointe du distributeur par le souscripteur formel et le bénéficiaire
      • La participation active au processus d’évaluation du risque (remplissage et signature du questionnaire)
      • La manifestation de volonté de voir le bien assuré contre les risques identifiés
    • Une fois cette qualité reconnue, le distributeur assume deux obligations spécifiques vis-à-vis du bénéficiaire :
      • Une obligation d’information sur les conséquences des causes de non-garantie opposables au souscripteur formel
      • Une obligation de conseil sur l’adaptation du contrat aux risques que le bénéficiaire entend voir garantir
    • Aussi, la portée exacte de cette jurisprudence reste à préciser.
    • Tous les bénéficiaires d’assurance pour compte n’acquièrent pas automatiquement la qualité de « souscripteur éventuel ».
    • Cette qualification semble subordonnée à une participation effective au processus de souscription.

iii. La modulation du conseil selon les compétences du créancier

==>Le principe de proportionnalité

  • L’adaptation du devoir aux capacités du créancier
    • Le devoir de conseil n’est pas figé : il s’adapte au profil du destinataire.
    • L’un de ses traits essentiels est sa modulation en fonction des compétences du créancier, selon une logique de proportionnalité qui irrigue aussi bien le droit de la consommation que celui des relations professionnelles.
    • La jurisprudence consacre expressément ce principe.
    • Dans un arrêt du 17 janvier 2019, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation affirme que « l’étendue de l’obligation d’information et de conseil du courtier, dont la preuve du respect incombe à celui-ci, est ajustée selon les connaissances et les capacités du créancier » (Cass. 2e civ., 17 janv. 2019, n°17-31.408).
    • En l’espèce, une société exploitant un domaine viticole avait, avec l’aide d’un courtier, remplacé un contrat multirisque agricole par un contrat multirisque industriel. À la suite d’un sinistre, elle reprochait au courtier un défaut de conseil, en invoquant des lacunes de couverture par rapport à l’ancien contrat.
    • La Cour de cassation approuve les juges du fond d’avoir écarté la responsabilité du courtier. Elle relève que le dirigeant :
      • s’était personnellement chargé de définir les montants à garantir ;
      • avait souscrit le contrat en connaissance de cause ;
      • et que les clauses litigieuses étaient suffisamment claires pour qu’un professionnel averti comprenne les différences de couverture.
    • En particulier, les juges avaient noté que les limitations de garantie étaient expressément stipulées, telles que la couverture des pertes plafonnée à 150 000 € ou l’indemnisation calculée sur la base du prix de revient.
    • Cet arrêt illustre parfaitement que l’implication du client dans la définition des garanties, jointe à la clarté des stipulations contractuelles, peut exonérer le courtier de sa responsabilité pour défaut de conseil lorsque le client est un professionnel expérimenté.
    • Cette solution jurisprudentielle permet de dégager plusieurs principes structurants :
      • L’évaluation concrète des compétences : Le juge doit apprécier, au cas par cas, si le souscripteur avait les capacités techniques ou juridiques de comprendre la portée du contrat.
      • La valorisation de l’implication personnelle : Lorsque le client s’implique directement dans la définition du contrat, son autonomie réduit d’autant le devoir d’assistance du professionnel.
      • La clarté des stipulations contractuelles : Un professionnel averti ne saurait invoquer un défaut de conseil sur des clauses claires, compréhensibles et librement négociées.
    • L’obligation de conseil demeure une obligation de moyens renforcée, exigeant une démarche proactive du professionnel.
    • Toutefois, cette obligation n’implique pas un devoir de vigilance uniforme et maximal dans tous les cas.
    • Le droit impose une juste proportion entre l’intensité du devoir et le degré de compétence du cocontractant.
    • Cette modulation permet de concilier deux exigences :
      • la protection des souscripteurs profanes, en leur garantissant un accompagnement adapté à leur niveau de compréhension ;
      • et la responsabilisation des professionnels avertis, qui ne peuvent se défausser de leur autonomie décisionnelle en invoquant systématiquement un défaut de conseil.
  • Les critères d’appréciation de la compétence
    • La détermination du niveau de compétence du créancier s’effectue selon plusieurs paramètres.
    • L’expérience professionnelle constitue un critère déterminant, comme l’illustre un arrêt de la première chambre civile du 9 juillet 1991 (Cass. 1re civ., 28 oct. 1991, n° 90-15.029).
    • En l’espèce, un artisan-couvreur reprochait à son assureur et à l’agent général un manquement au devoir de conseil, soutenant qu’ils auraient dû «l’éclairer sur l’érosion de sa garantie au fil de dix années d’assurances» et lui «conseiller une révision du taux de garantie».
    • L’artisan estimait que l’agent général avait « manqué à son devoir de renseignement et de conseil » en ne l’alertant pas sur l’insuffisance progressive de sa couverture due à l’inflation.
    • La Cour de cassation approuve les juges du fond d’avoir relevé qu’« en sa qualité d’artisan [l’assuré] était à même d’apprécier l’évolution des prix consécutive à l’érosion monétaire et de veiller à faire modifier, en conséquence, ses polices d’assurance ».
    • La Haute juridiction valide la déduction selon laquelle « en l’espèce l’agent n’était pas tenu à un devoir de renseignement et de conseil particulier sur ce point ».
    • Cette solution illustre parfaitement la prise en compte de l’expérience professionnelle dans l’appréciation des compétences du créancier.
    • L’artisan, par sa pratique quotidienne et sa connaissance du marché de la construction, était présumé capable d’appréhender les effets de l’inflation sur la valeur de ses biens et activités.
    • Cette expertise professionnelle justifie l’allègement correspondant du devoir de conseil de l’intermédiaire.
    • La formation et le parcours professionnel sont également pris en considération dans l’évaluation des compétences du créancier.
    • Ainsi, une cour d’appel a pu débouter un souscripteur « diplômé de l’École normale, de l’institut d’études politiques et de l’ENA » de sa demande de dommages-intérêts pour défaut de conseil, considérant que son niveau de formation lui permettait d’appréhender les enjeux du contrat d’assurance-vie litigieux[48].
    • Cette approche différenciée témoigne de la volonté jurisprudentielle d’adapter l’intensité du devoir de conseil aux capacités réelles du créancier, évitant ainsi une infantilisation excessive des professionnels et des personnes disposant d’une formation ou d’une expérience particulière.

==>La typologie des créanciers selon leurs compétences

  • Les consommateurs profanes
    • Les particuliers dépourvus d’expérience en matière d’assurance constituent la catégorie de créanciers bénéficiant de la protection la plus étendue.
    • Cette situation s’enracine dans le déséquilibre informationnel caractérisant la relation entre le professionnel de l’assurance et le consommateur.
    • L’arrêt fondateur de la première chambre civile du 10 novembre 1964 impose au courtier d’être « un guide sûr et expérimenté », formule qui a irrigué l’ensemble de la jurisprudence ultérieure (Cass. 1re civ., 10 nov. 1964, n°62-13.411).
    • Cette exigence traduit la mission éducatrice dévolue aux professionnels de l’assurance vis-à-vis de leur clientèle non avertie.
  • Les consommateurs avertis
    • La pratique judiciaire a fait émerger une catégorie intermédiaire de consommateurs avertis, qui, sans être des professionnels de l’assurance, disposent d’une expérience ou de compétences particulières justifiant un allègement du devoir de conseil.
    • Un arrêt de la deuxième chambre civile du 22 janvier 2004 qualifie ainsi un souscripteur de contrat d’assurance-vie chef d’entreprise, par ailleurs gestionnaire avisé d’un compte d’épargne en actions (PEA) ayant choisi dans un but spéculatif d’investir ses actifs sur des unités de compte (Cass. 2e civ., 22 janv. 2004).
    • L’évaluation du caractère averti du consommateur s’effectue de manière casuistique.
    • La jurisprudence examine les circonstances concrètes révélatrices de l’expérience du souscripteur, notamment ses investissements antérieurs et sa familiarité avec les produits financiers.
  • Les professionnels avertis
    • Le devoir de conseil, s’il constitue en principe une obligation de vigilance renforcée à la charge du distributeur, n’est pas exercé avec la même intensité envers tous les souscripteurs.
    • La jurisprudence admet une modulation de son contenu en fonction des compétences professionnelles ou de l’expérience technique du créancier de l’obligation.
    • Cette modulation repose sur l’idée que certains professionnels disposent d’un niveau de connaissance suffisant pour appréhender les enjeux juridiques et économiques d’un contrat d’assurance, de sorte qu’un conseil personnalisé ou insistant serait redondant, voire inutile.
    • Deux arrêts de la deuxième chambre civile illustrent cette approche.
      • Le cas du mandataire judiciaire (Cass. 2e civ., 16 mai 2013, n° 12-19.119)
        • Dans cette affaire, la Cour de cassation rejette le pourvoi d’un professionnel qui reprochait à l’assureur de ne pas l’avoir informé de la brièveté du délai de prescription applicable à son action.
        • La Haute juridiction valide l’appréciation des juges du fond ayant retenu que le demandeur, en sa qualité de mandataire judiciaire, était présumé connaître la règle de droit invoquée.
        • Cette décision marque une ligne claire : lorsque le créancier est un professionnel du droit ou de la procédure, la jurisprudence ne fait pas peser sur l’assureur ou son intermédiaire une obligation d’alerte sur des éléments juridiques accessibles au professionnel concerné, dès lors qu’ils relèvent de sa sphère de compétence habituelle.
      • Le cas du professionnel de l’immobilier (Cass. 2e civ., 22 nov. 2018, n° 17-19.454)
        • Dans cette seconde espèce, un professionnel de l’immobilier, qui avait procédé de lui-même à une renégociation de ses garanties, reprochait à l’assureur de ne pas avoir proposé une couverture sur un bien spécifique ultérieurement sinistré.
        • La Cour de cassation rejette sa demande, en considérant qu’il avait sciemment exclu ledit bien du périmètre d’assurance et qu’en sa qualité de professionnel, il devait être en mesure d’apprécier les conséquences de ses propres choix contractuels.
        • Il en ressort que la responsabilité du professionnel averti est pleinement engagée lorsqu’il prend seul l’initiative de définir le périmètre des garanties, sans solliciter d’éclaircissements ou sans faire état d’une incertitude particulière.
    • Ces deux décisions permettent de dégager une grille d’analyse de l’intensité du devoir de conseil envers les professionnels avertis :
      • L’expérience technique ou juridique du souscripteur justifie une atténuation du devoir de conseil, en particulier lorsqu’il dispose, de par sa profession, d’une connaissance suffisante du domaine considéré.
      • L’autonomie décisionnelle du professionnel est prise en compte : lorsqu’il élabore seul le projet de couverture ou renégocie les garanties sans demande d’assistance, il est tenu pour pleinement informé.
      • La clarté des stipulations contractuelles joue un rôle déterminant : un professionnel ne peut invoquer un manquement au devoir de conseil s’il était à même de comprendre les termes du contrat, à défaut d’ambiguïté ou de complexité manifeste.
    • L’obligation de conseil n’est pas purement évincée à l’égard des professionnels avertis. Elle demeure, mais son contenu s’adapte à la qualité du souscripteur.
    • Ainsi, le distributeur n’est pas dispensé de toute vigilance, mais il n’est tenu de faire porter son conseil que sur les points objectivement ambigus ou manifestement omis, sans devoir alerter sur des évidences juridiques ou des conséquences manifestes pour un professionnel expérimenté.
    • Cette solution assure un équilibre entre protection du client et reconnaissance de sa compétence, en évitant une infantilisation du souscripteur averti tout en préservant l’exigence de rigueur à l’égard du distributeur.

1.3. La formalisation du devoir de conseil

a. L’obligation de motivation du conseil

L’article L. 521-4, I du Code des assurances impose au distributeur de « préciser les raisons qui motivent ce conseil ». Issue de la directive (UE) 2016/97 sur la distribution d’assurances, transposée en droit français par l’ordonnance du 16 mai 2018, cette obligation constitue l’un des apports majeurs du nouveau régime du devoir de conseil.

Cette exigence ne saurait être réduite à une simple formalité. Elle traduit une évolution fondamentale du rôle du distributeur, appelé non seulement à recommander un contrat adapté aux besoins exprimés, mais à justifier de manière argumentée les raisons qui fondent cette recommandation. Comme le souligne la doctrine, il ne s’agit pas d’ordonner un choix au souscripteur, mais de lui fournir les éléments lui permettant de prendre une décision en toute connaissance de cause.

L’article L. 521-4, III ajoute que ces raisons doivent être « adaptées à la complexité du contrat d’assurance proposé ». Le législateur opère ainsi une modulation bienvenue de l’intensité de l’obligation de motivation, tenant compte de la nature et de la technicité des produits concernés. L’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), dans sa note de juillet 2018 sur les « Principes du conseil en assurance », propose à cet égard une typologie en trois niveaux :

  • Niveau 1 (obligatoire pour toute distribution) : la motivation peut être synthétique et standardisée, à condition de permettre au client de vérifier de façon effective la cohérence du contrat proposé avec ses exigences et ses besoins.
  • Niveaux 2 et 3 (services de recommandation personnalisée) : la motivation doit être spécifiquement individualisée, justifiant le choix d’un produit plutôt qu’un autre sur la base d’une analyse comparative.

La motivation du conseil revêt une dimension probatoire essentielle. Depuis l’arrêt de la Cour de cassation du 25 février 1997, il appartient au distributeur de prouver l’exécution de son obligation de conseil (Cass. 1re civ., 25 févr. 1997, n°94-19.685). La motivation écrite constitue ainsi un élément de preuve déterminant.

Les précisions relatives à la rationalité du choix conseillé permettent de vérifier la qualité du conseil ou de la recommandation à partir des considérations et des circonstances dont l’intermédiaire a tenu compte pour arrêter sa position.

La motivation peut être intégrée dans plusieurs documents remis au souscripteur, parmi lesquels :

  • les fiches de conseil ou documents de recommandation,
  • les annexes de diagnostic des besoins,
  • les comptes-rendus d’entretien,
  • ou encore, en cas de recommandation personnalisée, les analyses comparatives réalisées sur le marché.

La motivation du conseil s’articule enfin avec le document d’information normalisé sur le produit d’assurance (IPID), exigé par l’article L. 112-2, al. 4 du Code des assurances. Ce document, élaboré par le concepteur du produit, présente de manière synthétique les caractéristiques essentielles du contrat. Le conseil personnalisé du distributeur doit s’appuyer sur ces données, les interpréter à la lumière des besoins du client, et compléter les informations standardisées par une justification adaptée à la situation particulière du souscripteur.

b. Le support du conseil

L’article L. 521-6 du Code des assurances érige le support écrit, et en particulier le papier, en mode de communication par défaut pour les informations fournies par le distributeur. Ce choix du législateur répond à une double finalité : garantir la réflexion préalable du souscripteur et constituer une preuve de l’exécution du devoir de conseil.

L’écrit exigé n’est pas seulement l’instrument de preuve de l’exécution du devoir d’information et de conseil, mais a pour première utilité de permettre au souscripteur éventuel une prise de connaissance détaillée des précisions sur le produit conseillé dans des conditions qui favorisent la réflexion préalable à la prise de décision.

L’article L. 521-6 admet toutefois que la communication puisse se faire sur un support durable autre que le papier, à condition de respecter deux exigences cumulatives :

  • Le support doit être « approprié aux opérations commerciales entre le distributeur et le souscripteur et adhérent »
  • Le client doit avoir « choisi ce mode de communication après s’être vu proposer par le distributeur les deux modalités »

Le Code de la consommation définit le support durable comme « tout instrument permettant au consommateur de stocker des informations qui lui sont adressées personnellement afin de pouvoir s’y reporter ultérieurement pendant un laps de temps adapté aux fins auxquelles les informations sont destinées et qui permet la reproduction à l’identique des informations stockées » (art. L. 22-4 C. conso). Il peut s’agir, par exemple, d’un fichier PDF sécurisé conservé sur un espace personnel.

L’article R. 521-2, I du Code des assurances impose que les informations soient «communiquées au souscripteur ou à l’adhérent de manière claire, exacte et non trompeuse». Cette triple exigence reprend les standards européens et s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence relative aux obligations d’information.

La Cour de cassation a eu l’occasion de sanctionner les manquements à ces exigences. Ainsi, dans un arrêt du 6 novembre 1984, elle a retenu la responsabilité d’un intermédiaire qui avait informé l’exploitant d’un restaurant que tous les risques d’exploitation étaient couverts, alors que le risque de vol des objets déposés au vestiaire ne l’était pas (Cass. 1re civ., 6 nov. 1984).

Enfin, l’article L. 111-11 du Code des assurances impose la conservation des documents précontractuels et contractuels pendant une durée « adaptée à leur finalité », au minimum cinq ans après la fin de la relation contractuelle. Cette obligation vise à garantir la disponibilité de la preuve sur le long terme, notamment en cas de contentieux tardif.

L’absence ou l’insuffisance de formalisation du conseil peut conduire à engager la responsabilité du distributeur. La jurisprudence est constante pour considérer que le défaut de preuve de l’exécution du conseil équivaut à un manquement à cette obligation (Cass. 1re civ., 13 déc. 2012, n° 11-27.766).

1.4. La sanction du devoir de conseil

a. Sanctions civiles

==>Nature de la responsabilité

Le manquement au devoir de conseil engage la responsabilité contractuelle de l’intermédiaire ou de l’assureur distributeur. Cette responsabilité trouve son fondement dans l’article 1231-1 du Code civil (ancien article 1147), qui dispose que « le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution ».

La Cour de cassation a précisé que lorsque le préposé d’une société d’assurance commet une faute dans la phase précontractuelle, la responsabilité de celle-ci ne peut être engagée sur le terrain délictuel, car une faute commise dans la phase précontractuelle n’est pas extérieure au contrat (Cass. 1re civ., 9 juill. 1996, n° 94-18.696).

==>Charge de la preuve

Comme indiqué plus avant, l’arrêt de principe de la Cour de cassation du 25 février 1997 a opéré un renversement fondamental de la charge de la preuve. Désormais, c’est à « celui qui est légalement ou contractuellement tenu de fournir une information de rapporter la preuve qu’il a exécuté cette obligation » (Cass. 1re civ., 25 févr. 1997, n°94-19.685).

Cette jurisprudence, confirmée par de nombreuses décisions ultérieures (Cass. 1re civ., 3 févr. 1998, n° 96-13.201), place le distributeur dans une position particulièrement délicate puisqu’il doit constituer par anticipation la preuve de l’exécution de son obligation.

La preuve de l’exécution du devoir de conseil peut être rapportée par tous moyens (C. civ., art. 1358). En pratique, elle résulte principalement :

  • De la production de documents écrits signés par le client
  • De la démonstration de la clarté des mentions des documents communiqués
  • De l’établissement de la parfaite information du souscripteur sur les caractéristiques du contrat

A cet égard, la jurisprudence considère que la simple remise des conditions générales ne suffit pas toujours à établir l’exécution du devoir de conseil, notamment lorsque les clauses sont complexes ou comportent des exclusions importantes (Cass. 1re civ., 19 janv. 1994).

==>Préjudice indemnisable

Le préjudice le plus fréquemment invoqué résulte du défaut de couverture consécutif au conseil inadéquat. Il peut s’agir :

  • De l’absence de garantie pour un risque spécifique qui aurait dû être couvert
  • D’une couverture insuffisante par rapport aux besoins réels du souscripteur
  • De la souscription d’un contrat inadapté générant des exclusions préjudiciables

Ainsi, la Cour de cassation a retenu la responsabilité d’un agent général qui avait fait souscrire une assurance ne prévoyant pas les risques afférents au transport des passagers, alors qu’il lui avait été expressément demandé cette garantie (Cass. 1re civ., 10 févr. 1987).

La notion de « défaut de conseil utile » recouvre les situations où l’intermédiaire a omis de délivrer un conseil qui aurait permis au souscripteur d’éviter un préjudice. La jurisprudence a ainsi sanctionné :

L’évaluation du préjudice soulève des difficultés particulières, notamment lorsqu’il s’agit d’établir le lien de causalité entre le manquement et le dommage. La Cour de cassation exige que le préjudice soit « en relation directe » avec la faute commise (Cass. 1re civ., 6 mai 1981).

En matière d’assurance-vie, la jurisprudence reconnaît la réparation de la «perte de chance» résultant d’un conseil inadéquat, notamment lorsque le souscripteur démontre qu’il aurait fait des choix différents s’il avait été correctement conseillé (CA Angers, 6 nov. 2007, n° 06/01539).

b. Sanctions administratives et disciplinaires

i. Le contrôle de l’ACPR

L’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) dispose de pouvoirs étendus de contrôle et de sanction en matière de distribution d’assurance. Ces pouvoirs trouvent leur fondement dans les articles L. 612-39 et suivants du Code monétaire et financier.

L’article L. 612-39 confère à l’ACPR le pouvoir de « contrôler le respect par les personnes soumises à son contrôle des dispositions qui leur sont applicables ». Ce contrôle s’étend naturellement aux obligations relatives au devoir de conseil.

L’ACPR peut sanctionner différents types de manquements relatifs au devoir de conseil :

  • Les manquements formels :
    • Absence de formalisation écrite du conseil
    • Défaut de conservation des documents probatoires
    • Non-respect des modalités de remise des informations précontractuelles
  • Les manquements substantiels :
    • Conseil inadapté aux besoins du client
      • Défaut d’analyse des exigences et besoins du souscripteur
      • Recommandation de produits complexes sans vérification de l’aptitude du client

L’article L. 612-39 du Code monétaire et financier prévoit une gradation des sanctions administratives :

  • L’avertissement
  • Le blâme
  • L’interdiction d’exercer certaines opérations
  • Le retrait d’agrément ou de l’immatriculation
  • Les sanctions pécuniaires

Les sanctions pécuniaires peuvent atteindre des montants substantiels. L’article L. 612-39, III fixe le plafond à 100 millions d’euros ou 10 % du chiffre d’affaires annuel pour les personnes morales.

ii. L’encadrement des pratiques commerciales déloyales

L’ACPR veille également au respect des règles relatives aux pratiques commerciales déloyales dans le secteur de l’assurance. Cette mission s’appuie sur :

  • Les dispositions du Code des assurances relatives aux règles de conduite (articles L. 521-1 et suivants)
  • Les règles du Code de la consommation relatives aux pratiques commerciales déloyales
  • Les orientations et recommandations émises par l’ACPR

L’ACPR a développé une jurisprudence fournie en matière de sanctions des pratiques commerciales non conformes. Elle sanctionne notamment :

  • Les défaillances dans l’information précontractuelle
  • Les manquements aux obligations de conseil en assurance-vie
  • Les pratiques de vente agressives ou inadaptées

L’ACPR coordonne son action avec d’autres autorités :

  • L’Autorité des marchés financiers (AMF) pour les produits d’investissement fondés sur l’assurance
  • La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) pour les pratiques commerciales déloyales
  • Les juridictions pénales pour les infractions les plus graves

Cette coordination permet une approche cohérente de la répression des manquements au devoir de conseil, garantissant une protection efficace des consommateurs d’assurance.

2. Le devoir de conseil au stade de la souscription du contrat d’assurance

Au-delà du conseil portant sur le choix du produit d’assurance, l’intermédiaire conserve un rôle d’accompagnement déterminant lors de la phase de souscription proprement dite. Cette étape, qui marque la transition entre la simple proposition et la conclusion effective du contrat, revêt une importance particulière car elle conditionne l’efficacité future de la garantie. Comme l’observe justement la Cour de cassation, « une obligation générale de vérification pèse sur l’agent général d’assurances au titre des devoirs de sa profession », obligation qui va se décliner aux différentes phases du processus de formation du contrat (Cass. 1re civ., 10 mai 2000, n° 98-10.033).

Le devoir de conseil au stade de la souscription se distingue donc du conseil préalable par son caractère opérationnel et technique. Il ne s’agit plus seulement d’orienter le souscripteur vers le produit adapté à ses besoins, mais de l’assister concrètement dans la mise en œuvre de cette décision. Cette assistance revêt trois dimensions essentielles : l’accompagnement dans la déclaration du risque, la vérification de l’adéquation des garanties retenues, et l’encadrement des formalités de conclusion.

a. L’assistance dans la déclaration du risque

i. Le contenu de l’obligation de déclaration du risque

La déclaration du risque s’impose comme l’un des fondements structurants du contrat d’assurance, dans la mesure où elle conditionne directement la formation, la validité et l’exécution équilibrée de la convention. L’article L. 113-2 du Code des assurances, profondément modifié par la loi du 31 décembre 1989, a substitué au système de déclaration spontanée un mécanisme de questions-réponses qui place l’assureur en position d’initiative. Cette évolution législative a paradoxalement renforcé le rôle de l’intermédiaire, devenu l’interface naturelle entre l’assureur qui interroge et l’assuré qui répond.

L’intermédiaire se trouve ainsi investi d’une mission d’assistance technique qui dépasse la simple transmission d’informations. Cette évolution s’inscrit dans un mouvement plus large de revalorisation du rôle de conseil des professionnels de l’assurance dans l’accompagnement de leurs clients.

ii. L’étendue de l’obligation d’assistance déclarative

L’assistance de l’intermédiaire dans la déclaration du risque obéit à un équilibre délicat entre diligence professionnelle et respect de l’autonomie du souscripteur. La jurisprudence a progressivement délimité les contours de cette obligation.

D’une part, l’intermédiaire doit transmettre fidèlement les informations dont il a connaissance. La Cour de cassation a ainsi sanctionné l’agent général qui avait omis volontairement de signaler, dans la proposition d’assurance qu’il avait fait signer au propriétaire d’une voiture, un accident dont celui-ci avait été antérieurement l’auteur[49]. Cette obligation de transmission s’étend aux circonstances portées à la connaissance de l’intermédiaire par des voies autres que les déclarations directes du souscripteur.

D’autre part, la Cour de cassation rappelle de manière constante que l’intermédiaire d’assurance n’est pas tenu de contrôler la véracité des déclarations effectuées par le preneur d’assurance concernant le risque à garantir (Cass. 1re civ., 14 nov. 2001). Cette position se justifie par la préservation de l’équilibre contractuel et le respect du principe selon lequel l’intermédiaire ne saurait se substituer intégralement au souscripteur dans l’exécution de ses obligations.

iii. Les limites de l’obligation d’investigation

L’obligation d’assistance de l’intermédiaire connaît une limite essentielle : elle ne saurait se muer en devoir d’enquête. S’il lui incombe de formuler des questions précises et pertinentes, propres à permettre une évaluation adéquate des besoins de couverture, il n’est pas tenu de rechercher activement des informations que le souscripteur ne lui aurait pas spontanément communiquées – que cette réticence soit volontaire ou involontaire.

Cette limitation s’inscrit dans le respect du dispositif instauré par l’article L. 113-2 du Code des assurances, qui repose sur une répartition claire des responsabilités : il revient à l’assuré de répondre de bonne foi aux questions posées, sans que l’intermédiaire ait à contrôler la sincérité ou l’exhaustivité des réponses.

Cela étant, dès lors que certaines données en sa possession font apparaître une discordance manifeste – incohérence entre les éléments déclarés et les pièces fournies, lacunes évidentes dans les réponses – l’intermédiaire demeure tenu d’exercer sa vigilance professionnelle. Il lui appartient alors, au titre de son devoir de conseil, de solliciter les précisions nécessaires ou de signaler les risques d’inexactitude, afin d’éviter toute fausse représentation du risque à l’assureur.

b. La vérification de l’adéquation des garanties

i. Le contrôle de cohérence entre besoins et garanties

Au stade de la souscription, l’intermédiaire doit s’assurer que le contrat finalement retenu corresponde effectivement aux besoins exprimés et aux caractéristiques du risque à couvrir. Cette vérification constitue le prolongement naturel du conseil initial et répond à l’exigence légale selon laquelle le distributeur conseille « un contrat qui est cohérent avec les exigences et les besoins du souscripteur éventuel » (C. assur., art. L. 521-4, I, al. 2.).

La jurisprudence rappelle que l’intermédiaire doit s’assurer de la cohérence entre les garanties souscrites et la situation réelle du preneur d’assurance. Cette exigence trouve une parfaite illustration dans un arrêt de la Cour de cassation du 10 mai 2000, où des époux locataires d’un immeuble à usage professionnel et d’habitation avaient souscrit, par l’intermédiaire d’agents généraux d’assurance, une police “global habitation à options” qui excluait de la garantie “incendie” les bâtiments et les risques locatifs (Cass. 1re civ., 10 mai 2000, n° 98-10.033).

Les deux polices successivement souscrites désignaient par erreur les preneurs comme “propriétaires occupants“, alors qu’ils étaient en réalité locataires. Lorsqu’un incendie prit naissance dans la partie habitation de l’immeuble, les époux se trouvèrent dépourvus de couverture pour les risques locatifs et recherchèrent subsidiairement la responsabilité des agents généraux pour leur avoir fait souscrire une garantie inadaptée à leurs besoins d’assurance.

La Cour de cassation a censuré la décision d’appel qui avait débouté les preneurs de leur action en responsabilité. Elle rappelle qu’« une obligation générale de vérification pèse sur l’agent général d’assurances au titre des devoirs de sa profession » et que, « s’il n’est pas tenu de vérifier l’exactitude des déclarations du souscripteur quant à l’étendue du risque, l’agent général répond néanmoins des conséquences de ses propres erreurs ».

En l’espèce, la Première chambre civile reproche aux juges du fond d’avoir retenu que le fait d’avoir fait souscrire à des locataires une police d’assurance en qualité de propriétaire excluant les risques locatifs n’était pas constitutif d’une faute, « sans constater que l’indication erronée sur la qualité des souscripteurs était le fait de ces derniers ». Cette solution illustre parfaitement l’obligation pour l’intermédiaire de vérifier l’adéquation entre la qualité réelle du souscripteur et les garanties proposées, faute de quoi sa responsabilité peut être engagée pour manquement à son devoir de conseil.

ii. L’attention portée aux exclusions et limitations

L’assistance lors de la souscription implique une vigilance particulière concernant les exclusions et limitations de garantie. L’intermédiaire doit vérifier que ces dispositions, souvent techniques et complexes, ne viennent pas priver le souscripteur de la protection qu’il recherche. La jurisprudence sanctionne régulièrement les manquements à cette obligation d’attention. Deux arrêts emblématiques permettent de saisir la portée de cette exigence.

La Cour de cassation a ainsi retenu la responsabilité d’un courtier qui n’avait « fait aucune allusion à une clause d’exclusion en informant [ses clients] des garanties qu’il venait d’obtenir pour eux », alors que « la clause litigieuse n’était guère explicite, pouvait être interprétée comme une simple limitation de garantie » (Cass. 1re civ., 27 nov. 1990, n°88-18.580).

En l’espèce, des bijoutiers avaient souscrit une police « tous risques bijouterie ». Le contrat excluait toute garantie lorsque la valeur des objets laissés hors coffre pendant les heures de fermeture excédait 750 000 francs. Lors d’un vol de bijoux d’une valeur de 877 494 francs, l’assureur refusa l’indemnisation en invoquant cette clause. Le tribunal de commerce avait condamné l’assureur à payer 750 000 francs, analysant la clause comme une limitation de garantie. Mais la cour d’appel infirma, considérant qu’il s’agissait d’une exclusion de garantie.

La Cour de cassation retient que l’ambiguïté de la clause créait pour le courtier une obligation renforcée d’explication. L’arrêt précise que le préjudice causé aux assurés «consistait dans la privation de la garantie que ceux-ci croyaient acquise ». Cette solution révèle que l’intermédiaire ne peut se contenter de transmettre le contrat : il doit identifier les dispositions ambiguës et en expliciter clairement la portée.

De même, dans un arrêt du 14 juin 2012 la Cour de cassation a censuré une cour d’appel qui considérait que la simple lecture des conditions contractuelles permettait aux assurés de connaître les conditions précises du contrat (Cass. 2e civ., 14 juin 2012, n°11-13.548). Elle retient au contraire qu’il incombait au préposé de l’assureur, « tenu à une obligation d’information et de conseil, d’attirer l’attention des assurés sur l’intérêt de souscrire une garantie complémentaire pour les meubles et objets devant garnir l’habitation », dès lors que « ce contrat, dont les clauses litigieuses sont disséminées dans les conditions générales et particulières, n’est ni clair ni précis sur l’étendue de la garantie ».

Dans cette affaire, des souscripteurs néerlandais avaient souscrit une assurance habitation pour une maison qu’ils venaient d’acquérir et où ils ont emménagé quelques mois plus tard. Après un incendie, l’assureur accepta de garantir la reconstruction mais refusa d’indemniser le mobilier, non couvert par le contrat. La cour d’appel avait débouté les assurés, estimant qu’il leur appartenait de modifier leur contrat après installation de leur mobilier et que la simple lecture des conditions leur permettait de connaître l’étendue de leur garantie.

La Cour de cassation casse cette décision. Elle souligne que la dispersion des clauses dans différentes parties du contrat et leur manque de clarté renforcent l’obligation d’intervention active de l’intermédiaire. Celui-ci doit anticiper l’évolution des besoins de l’assuré et l’alerter sur l’intérêt de souscrire des garanties complémentaires.

Il ressort de cette jurisprudence que l’obligation d’attention aux exclusions et limitations impose une démarche active de l’intermédiaire. Il ne suffit pas de remettre les conditions contractuelles, même claires. L’intermédiaire doit analyser le contrat, identifier les dispositions susceptibles de créer un décalage entre les attentes de l’assuré et la réalité de sa couverture, et l’en informer expressément.

Cette obligation revêt même une dimension prospective : l’intermédiaire doit anticiper l’évolution des besoins d’assurance liés à la situation particulière de l’assuré et l’alerter sur les lacunes de couverture qui pourraient apparaître.

L’exigence jurisprudentielle conduit ainsi à une conception particulièrement stricte du devoir de conseil : l’intermédiaire doit non seulement s’assurer que l’assuré comprend son contrat, mais également veiller à ce qu’aucun malentendu ne subsiste sur l’étendue effective de sa protection, notamment concernant les exclusions et limitations de garantie.

iii. La continuité de la couverture

L’intermédiaire doit également veiller à la continuité de la couverture d’assurance, particulièrement lors du remplacement d’un contrat existant. La jurisprudence impose de vérifier la continuité de la couverture des risques avant de procéder à la résiliation d’un contrat et à la souscription d’un nouveau (Cass. 1re civ., 18 déc. 1987).

Cette exigence de continuité s’accompagne d’un devoir de conseil sur les modifications de garanties lors du remplacement d’un contrat. L’obligation pour l’intermédiaire d’attirer l’attention du preneur sur les réductions de garantie trouve une illustration remarquable dans l’arrêt de la Cour de cassation du 8 mars 2006 (Cass. 2e civ., 8 mars 2006, n° 05-11.319).

En l’espèce, une assurée avait souscrit auprès d’une compagnie d’assurance un contrat multirisques comportant une garantie vol de bijoux. Son agent général lui fit souscrire une nouvelle police en remplacement de ce contrat. Lorsqu’elle fut victime d’un cambriolage au cours duquel lui furent dérobés des bijoux, l’assureur refusa de l’indemniser, « la nouvelle police ne couvrant pas le vol de bijoux ». L’assurée assigna alors la compagnie ainsi que l’agent général en responsabilité et indemnisation, « en invoquant notamment un manquement de l’agent général à son devoir de conseil et d’information ».

La cour d’appel avait considéré que l’agent général n’avait pas manqué à ses obligations, énonçant que « caractérise en droit l’accomplissement de l’obligation d’information par l’agent d’assurance le fait de signer et de recevoir un exemplaire du contrat par l’assuré » et relevant qu’il était « constant que [l’assurée] a signé un contrat dénué de toute ambiguïté » et que « les clauses relatives à l’assurance vol pour les bijoux et objets précieux sont claires et compréhensibles ».

La Cour de cassation censure cette approche restrictive du devoir de conseil. Elle reproche aux juges du fond d’avoir statué « alors qu’elle constatait que la nouvelle police souscrite par [l’assurée] remplaçait celle qu’elle avait précédemment conclue avec le même assureur, mais qu’elle ne comportait pas la garantie vol de bijoux acquise dans la précédente, et sans rechercher si [l’agent général] avait attiré l’attention de l’assurée sur cette réduction de garantie ».

Cette décision établit clairement que le devoir de conseil de l’intermédiaire ne se limite pas à la remise du contrat, même lorsque ses clauses sont parfaitement claires. Il implique une obligation active d’alerter le souscripteur sur les modifications substantielles de garanties, particulièrement lorsque le nouveau contrat offre une protection moindre que le précédent, même si cette modification résulte d’une démarche apparemment volontaire du client.

c. L’assistance à la conclusion effective du contrat

La phase de souscription ne s’achève pas avec la délivrance du conseil et la signature de la proposition d’assurance. L’intermédiaire demeure tenu d’accompagner le processus de formation du contrat jusqu’à sa conclusion effective, en s’assurant que toutes les conditions nécessaires à la prise d’effet des garanties sont réunies.

i. La transmission et le suivi de la proposition

L’intermédiaire qui reçoit une proposition d’assurance doit la transmettre à l’entreprise d’assurance dans les plus brefs délais et vérifier que l’assureur a effectivement accepté la proposition. Cette obligation trouve son fondement dans la définition légale de l’activité de distribution d’assurance, qui consiste notamment à « présenter, proposer ou aider à conclure des contrats d’assurance » au sens de l’article L. 511-1 du Code des assurances.

La jurisprudence sanctionne avec rigueur les manquements à cette obligation. Dans un arrêt du 9 décembre 2004, la Cour de cassation a ainsi retenu la responsabilité de courtiers qui, «saisis d’une demande de garantie dans les termes de la proposition qu’ils avaient transmise, ont accepté le paiement de la prime correspondante en affirmant de concert que le navire était assuré, y compris pour son annexe alors qu’aucun contrat n’était intervenu avec l’assureur » (Cass. 1re civ., 9 déc. 2004, n° 99-21.391).

En l’espèce, un acquéreur de voilier avait sollicité un premier courtier, lequel s’était adressé à un second courtier qui avait obtenu une proposition du Bureau de souscription d’assurances. Après acquisition du navire et remise du chèque correspondant au montant de la proposition, les courtiers avaient confirmé « la validité de l’assurance du navire y compris son annexe ». Lorsque le navire fut endommagé par un cyclone, l’assureur refusa la prise en charge au motif qu’« aucune garantie d’assurances n’avait été conclue ». La Cour de cassation retient que les courtiers « ont induit [l’acquéreur] en erreur, l’empêchant de souscrire une garantie valable ».

Cette décision illustre que l’acceptation du paiement de la prime et l’affirmation de l’effectivité de la couverture créent une apparence trompeuse dont les intermédiaires doivent répondre lorsqu’aucun contrat n’a été effectivement conclu avec l’assureur.

L’obligation de transmission de la proposition de d’assuarnce s’accompagne d’un devoir de suivi qui impose à l’intermédiaire de s’assurer de l’aboutissement positif de la démarche. Il doit notamment vérifier que l’assureur a donné une suite favorable à la proposition et, dans le cas contraire, en informer rapidement le client. La Cour de cassation a ainsi jugé qu’un intermédiaire manque à ses obligations s’il omet d’informer sans délai l’assuré de ce que sa proposition d’assurance n’a pas été acceptée par l’assureur (Cass. 1re civ., 3 mars 1987).

En cas de refus de l’assureur, l’intermédiaire doit non seulement informer le client de ce refus, mais également l’assister dans la recherche d’une solution alternative. Cette exigence découle du fait que l’intermédiaire, professionnel de l’assurance, dispose des compétences et des relations nécessaires pour orienter son client vers d’autres assureurs susceptibles d’accepter le risque.

ii. La vérification des conditions de prise d’effet des garanties

L’assistance lors de la souscription comprend la vérification de l’accomplissement de toutes les formalités nécessaires à la prise d’effet des garanties. Cette vérification porte notamment sur la signature de la police par le souscripteur et, le cas échéant, sur le paiement de la première prime lorsque la prise d’effet des garanties est subordonnée à ce paiement.

L’intermédiaire d’assurance engage ainsi sa responsabilité s’il délivre une attestation d’assurance sans s’être préalablement assuré de l’effectivité de la couverture. Il ne peut ainsi faire naître dans l’esprit du souscripteur une apparence de garantie non encore acquise.

A cet égard, dans un arrêt du 7 juin 1979, la Cour de cassation a jugé fautif le comportement d’un agent général qui avait remis à un client une attestation mentionnant un numéro de note de couverture ainsi qu’une période de validité, alors qu’aucune note de couverture n’avait été établie à ce stade, et que l’assureur n’avait pas été avisé (Cass. 1re civ., 7 juin 1979).

La Haute juridiction a considéré qu’en délivrant un tel document, l’intermédiaire avait induit le souscripteur en erreur sur l’existence d’une couverture immédiate, faisant ainsi naître un préjudice du fait de la confiance légitime accordée à l’attestation.

De même, un intermédiaire manque à ses obligations s’il laisse subsister une incertitude sur l’effectivité de la couverture. La première chambre civile a ainsi sanctionné un courtier qui avait informé son client de ce qu’il était régulièrement assuré pour le risque envisagé, alors que la police n’avait pas encore été signée et ne couvrait qu’une partie des risques (Cass. 1re civ., 13 oct. 1987, n°86-13.736).

Au bilan, l’obligation de vérification s’étend aux conditions techniques de mise en œuvre des garanties. L’intermédiaire doit s’assurer que le souscripteur respecte les obligations qui conditionnent l’effectivité de sa couverture. À titre d’exemple, si la garantie est subordonnée à des conditions techniques de protection du risque, il doit vérifier que ces conditions sont effectivement réunies.

iii. L’information sur les modalités d’exécution

Au moment de la souscription, l’intermédiaire doit informer le souscripteur des modalités pratiques d’exécution du contrat, notamment en ce qui concerne le paiement des primes et la déclaration des sinistres. Cette information, distincte du conseil sur le choix du produit, vise à assurer une exécution efficace du contrat.

==>L’information sur le paiement des primes

L’intermédiaire doit d’abord renseigner le souscripteur sur les échéances et modalités de paiement des primes. Cette information revêt une importance particulière car le défaut de paiement peut entraîner la suspension ou la résiliation du contrat, privant l’assuré de sa couverture au moment où il en a le plus besoin.

L’obligation d’information porte notamment sur les conséquences du non-paiement dans les délais contractuels. L’intermédiaire doit expliquer clairement que le défaut de paiement d’une prime peut conduire à la mise en demeure de l’assuré et, à défaut de régularisation, à la résiliation du contrat. Cette information préventive permet au souscripteur d’organiser ses paiements en conséquence et d’éviter une rupture de garantie.

Lorsque la prise d’effet du contrat est subordonnée au paiement de la première prime ou d’un acompte, l’intermédiaire doit alerter expressément le client sur cette condition suspensive. L’assuré doit comprendre qu’aucune garantie ne prendra effet tant que ce paiement n’aura pas été effectué, même si la police a été signée.

==>L’information sur les procédures de déclaration des sinistres

L’intermédiaire doit également informer le souscripteur des modalités de déclaration des sinistres. Cette information technique est essentielle car le non-respect des procédures contractuelles peut entraîner des déchéances de garantie préjudiciables à l’assuré.

L’information porte d’abord sur les délais de déclaration. L’intermédiaire doit expliquer que la déclaration doit intervenir dans un délai déterminé à compter de la survenance du sinistre ou du moment où l’assuré en a eu connaissance. Il doit également préciser les conséquences d’une déclaration tardive, qui peut conduire à une réduction de l’indemnité si l’assureur établit qu’il a subi un préjudice du fait de ce retard.

L’information concerne ensuite les formalités à accomplir. L’intermédiaire doit indiquer les documents à fournir, les justificatifs à rassembler et les démarches à effectuer auprès de l’assureur. Cette information pratique permet d’accélérer le traitement du dossier et d’éviter les demandes de pièces complémentaires qui retardent l’indemnisation.

Enfin, l’intermédiaire doit expliquer les obligations de l’assuré en cas de sinistre, notamment son devoir de collaboration avec l’assureur et l’obligation de prendre toutes mesures conservatoires pour limiter l’aggravation des dommages.

==>L’information sur les obligations déclaratives en cours de contrat

L’intermédiaire doit informer le souscripteur des obligations déclaratives qui pèsent sur lui pendant toute la durée du contrat. Cette information porte principalement sur l’obligation de déclaration des aggravations de risques, fondamentale pour préserver l’équilibre du contrat d’assurance.

L’assuré doit comprendre qu’il a l’obligation de déclarer à son assureur toute circonstance nouvelle de nature à aggraver les risques ou à en créer de nouveaux. L’intermédiaire doit expliquer que cette obligation s’impose même lorsque l’aggravation résulte de circonstances indépendantes de la volonté de l’assuré.

L’information doit également porter sur les conséquences du défaut de déclaration d’une aggravation de risques. Selon la gravité du manquement et son caractère intentionnel ou non, l’assureur peut soit résilier le contrat, soit maintenir la garantie moyennant une augmentation de prime, soit réduire l’indemnité en cas de sinistre.

Cette information préventive permet d’assurer la sincérité des déclarations et de maintenir la confiance mutuelle nécessaire au bon fonctionnement du contrat d’assurance. Elle contribue également à préserver l’équilibre technique du contrat en permettant à l’assureur d’adapter sa tarification à l’évolution réelle du risque.

B) Le devoir de conseil au stade de l’exécution du contrat

Le devoir de conseil ne s’épuise pas à la formation du contrat. S’il trouve son ancrage dans la phase précontractuelle, ce devoir connaît aujourd’hui une prolongation postérieure, que la jurisprudence a progressivement façonnée, puis que le législateur est venu consacrer en certaines matières. Cette extension répond à la spécificité du contrat d’assurance, qui s’inscrit, par nature, dans la durée.

Il ne s’agit pas d’une simple transposition mécanique des obligations précontractuelles à la phase d’exécution. Le devoir de conseil post-contractuel repose sur une approche renouvelée de la relation d’assurance : il ne suffit pas que le contrat soit initialement adapté aux besoins de l’assuré, encore faut-il qu’il le demeure tout au long de son exécution. Car l’assurance est un contrat vivant, destiné à accompagner un assuré dont les risques, les besoins, et les circonstances personnelles ou professionnelles évoluent.

Dans cette perspective, la jurisprudence a reconnu que le distributeur d’assurance demeure tenu, au-delà de la souscription, d’un devoir de vigilance active. Cette obligation consiste à s’assurer que la couverture reste pertinente, et à alerter l’assuré lorsqu’un ajustement apparaît nécessaire. La Cour de cassation a clairement affirmé que « le devoir d’information et de conseil de l’agent d’assurance ne s’achève pas lors de la souscription du contrat » (Cass. civ. 2e, 5 juillet 2006, n°04-10.273). Par cette formule désormais classique, la Haute juridiction consacre la dimension continue du devoir de conseil, indissociable de l’effectivité de la protection assurantielle.

Le législateur lui-même a récemment endossé cette vision évolutive. La loi du 23 octobre 2023, relative à l’industrie verte, a introduit en matière d’assurance-vie un véritable « devoir de conseil dans la durée ». Cette disposition, qui impose aux distributeurs de réévaluer périodiquement l’adéquation du contrat, traduit la maturation d’un mouvement amorcé par la jurisprudence. Elle laisse entrevoir une possible extension à d’autres branches du droit des assurances.

Ainsi consolidé, le devoir de conseil post-contractuel appelle une mise en œuvre concrète selon trois axes principaux :

  • L’adaptation du contrat aux évolutions du risque et des besoins de l’assuré ;
  • L’assistance dans la gestion quotidienne du contrat ;
  • La vigilance en cas de modification substantielle du contrat (avenants, changements de situation, ou dénonciation d’une garantie).

1. L’adaptation du contrat aux évolutions du risque et des besoins

a. L’adaptation des garanties tout au long de la vie du contrat

Le contrat d’assurance s’inscrit naturellement dans la durée et doit, par conséquent, s’adapter aux évolutions des circonstances qui l’entourent. Cette exigence d’adaptation continue trouve son fondement dans la finalité même de l’assurance : garantir l’assuré contre les aléas futurs en tenant compte de l’évolution de sa situation.

La Cour de cassation a consacré ce principe d’adaptation en précisant que l’intermédiaire d’assurance ne peut se contenter d’un conseil ponctuel au moment de la souscription. Il doit, tout au long de la relation contractuelle, veiller à ce que la couverture demeure adéquate aux besoins de l’assuré. Cette obligation trouve une application particulièrement remarquable dans l’arrêt rendu par la deuxième chambre civile le 5 juillet 2006, dans l’affaire dite « L’agent général et la vieille dame » (Cass. 2e civ., 5 juill. 2006, n° 04-10.273).

En l’espèce, une assurée, ayant souscrit par l’intermédiaire d’un agent général une police multirisques habitation comportant une clause d’exclusion en cas d’inhabitation prolongée du bien assuré, avait vu sa garantie refusée à la suite d’un vol survenu pendant son absence prolongée liée à son placement en maison de retraite. Ses ayants droit avaient alors recherché la responsabilité de l’agent, estimant qu’il aurait dû l’alerter sur les conséquences de cette clause au regard de l’évolution de sa situation personnelle.

Pour écarter toute faute, la cour d’appel avait estimé que le devoir de conseil devait s’apprécier uniquement au jour de la souscription du contrat, soit en 1974, et qu’il n’était pas établi que l’intermédiaire avait à cette époque connaissance de l’éventualité d’une inhabitation prolongée.

La Cour de cassation censure cette analyse, en énonçant que « le devoir d’information et de conseil de l’agent d’assurance ne s’achève pas lors de la souscription du contrat ». En retenant la responsabilité de l’intermédiaire, elle affirme ainsi que ce devoir s’apprécie en fonction des évolutions connues de la situation de l’assuré, notamment lorsque ces évolutions ont pour effet de rendre inadaptées les garanties souscrites au regard du risque réellement encouru.

Cet arrêt confère une portée dynamique à l’obligation de conseil, laquelle ne saurait rester figée dans le temps lorsque l’intermédiaire est informé de faits nouveaux susceptibles d’altérer la pertinence du contrat initialement conclu.

b. L’adaptation des garanties aux évolutions du risque

L’intermédiaire d’assurance ne saurait se borner à un rôle d’intermédiaire technique figé dans le temps. Lorsque le risque évolue de manière significative, en particulier quant à son ampleur ou sa nature, il lui appartient, dès lors qu’il en a connaissance, d’alerter l’assuré sur l’inadéquation potentielle des garanties contractuellement souscrites. Ce devoir d’alerte, qui s’inscrit dans le prolongement du devoir général de conseil, implique une démarche active d’adaptation du contrat au regard des nouveaux éléments portés à la connaissance du professionnel.

Cette exigence a été nettement affirmée par la Cour de cassation dans un arrêt du 21 décembre 2006 (Cass. 2e civ., 21 déc. 2006, n° 06-13.158). En l’espèce, une clinique privée, assurée pour sa responsabilité civile professionnelle à hauteur de dix millions de francs, avait vu son activité obstétricale croître substantiellement au fil du temps. À la suite d’un sinistre grave survenu lors d’un accouchement, la clinique a été condamnée in solidum avec un praticien. Elle a alors recherché la responsabilité de son assureur pour insuffisance de la couverture, estimant que l’agent général de ce dernier n’avait pas attiré son attention sur la nécessité d’ajuster les plafonds de garantie.

La cour d’appel avait rejeté la demande en estimant que la clinique, en sa qualité de professionnel de santé averti, devait elle-même mesurer l’importance de l’enjeu assurantiel. Or, la Haute juridiction casse l’arrêt, en reprochant aux juges du fond de ne pas avoir recherché si l’agent général, ayant pourtant été informé de l’augmentation notable de l’activité, avait exécuté son devoir d’alerte quant à l’inadéquation des garanties au regard de l’exposition réelle au risque.

Autrement dit, l’agent général engage sa responsabilité lorsqu’il a connaissance d’une évolution significative du risque et qu’il ne conseille pas l’assuré sur la nécessité d’adapter les garanties en conséquence. Ce que la jurisprudence impose, ce n’est pas une vigilance permanente, mais une réaction appropriée lorsque des éléments concrets révèlent une modification du risque. La connaissance effective de cette évolution constitue ainsi le point de départ d’un devoir de conseil complémentaire. À défaut d’intervention, l’intermédiaire peut être tenu responsable du préjudice subi par l’assuré du fait de garanties restées inadaptées.

Cependant, l’exigence instituée par cette jurisprudence ne signifie pas que l’intermédiaire d’assurance devrait exercer une veille permanente sur la situation de son client. Elle ne s’apparente pas à une obligation de surveillance générale et continue. La Cour de cassation l’a explicitement affirmé dans un arrêt du 8 décembre 2016 (Cass. 2e civ., 8 déc. 2016, n° 15-25.128).

Dans cette affaire, une société exploitant un fonds de commerce avait vu la valeur de ce dernier passer de 35 000 euros à 140 000 euros à la suite d’une acquisition. L’agent général, informé de cette acquisition par un créancier de son client, n’avait pourtant pas recommandé de réévaluation de la garantie « perte de fonds de commerce », maintenue à un niveau notoirement insuffisant. La cour d’appel a considéré que cette abstention constituait un manquement à l’obligation de conseil, la connaissance de la modification du risque étant avérée.

Il ressort de cette jurisprudence que le devoir d’adaptation des garanties repose non sur une obligation de surveillance continue, mais sur une exigence de réactivité dès lors que l’intermédiaire dispose d’une information pertinente. Il n’est pas investi d’une mission générale de veille sur la situation de son client. En revanche, dès qu’il est informé – directement ou par un tiers – d’un fait de nature à modifier substantiellement l’étendue du risque garanti, il lui incombe d’en tirer les conséquences et d’alerter l’assuré sur la nécessité éventuelle d’ajuster le contrat. À défaut d’une telle démarche, l’intermédiaire s’expose à voir sa responsabilité engagée pour manquement au devoir de conseil, notamment en cas de perte de chance d’avoir pu bénéficier d’une couverture mieux adaptée.

c. L’adaptation des garanties aux besoins et exigences du souscripteur

Le devoir de conseil ne s’épuise pas au moment de la souscription. Il s’inscrit dans une temporalité plus large et doit accompagner l’évolution des besoins de l’assuré tout au long de la vie du contrat.

Sur ce point, la Cour de cassation a jugé que la tacite reconduction d’un contrat d’assurance équivaut à la conclusion d’un nouveau contrat (Cass. 1re civ., 2 déc. 2003, n°00-19.561). Cette qualification emporte une conséquence pratique déterminante : elle réactive l’obligation d’information et de conseil de l’intermédiaire. Celui-ci ne saurait se contenter des éléments antérieurs. Il doit, à chaque reconduction, s’interroger sur l’adéquation des garanties aux besoins actuels du souscripteur.

Cependant, cette obligation de réévaluation ne saurait être automatique. L’article L. 520-2, II, 2° du Code des assurances précise que l’évaluation des exigences et besoins repose « en particulier sur les éléments d’information communiqués par le souscripteur ». Autrement dit, l’intermédiaire n’est tenu d’adapter son conseil que dans la mesure où il dispose d’informations pertinentes sur une évolution de la situation assurée.

La jurisprudence en donne une illustration claire : la responsabilité de l’agent général a été écartée dans un cas où l’assuré n’avait jamais déclaré l’exercice d’une activité nouvelle non couverte par la garantie initiale (Cass. 1re civ., 12 janv. 1999, n°96-18.752).

Inversement, dès lors que l’intermédiaire a connaissance d’une évolution de la situation ou d’un changement de besoin, il lui revient d’en tirer les conséquences et de proposer les ajustements nécessaires du contrat. Il ne peut se retrancher derrière une inaction de l’assuré face à une inadéquation manifeste. Son silence peut alors constituer un manquement au devoir de conseil, engageant sa responsabilité professionnelle.

2. L’assistance dans la gestion courante du contrat

L’assistance de l’intermédiaire ne se limite pas à l’adaptation des garanties mais s’étend à l’ensemble de la gestion courante du contrat. Cette assistance revêt une dimension particulièrement importante dans la mesure où elle concerne des actes et décisions qui peuvent directement affecter l’efficacité de la garantie.

a. Le conseil en matière de déclaration de sinistre

L’assistance dans la déclaration et la gestion des sinistres constitue l’une des manifestations les plus critiques du devoir de conseil post-contractuel, car elle conditionne directement l’indemnisation de l’assuré.

==>L’obligation d’examiner l’importance du sinistre

La jurisprudence impose à l’intermédiaire une obligation d’analyse qui va au-delà de la simple transmission des informations reçues. L’arrêt de la Cour de cassation du 17 décembre 1991 illustre parfaitement cette exigence en sanctionnant l’agent général qui n’avait pas suffisamment accompagné son client dans l’évaluation d’un sinistre (Cass. civ., 17 déc. 1991, n°89-11.344).

Dans cette affaire, l’agriculteur assuré contre la grêle avait avisé par téléphone son agent général d’une perte de récolte due à un orage de grêle. La déclaration écrite de sinistre n’avait été dressée que le 6 septembre suivant, soit bien au-delà du délai de quatre jours prévu par la police. Face au refus de garantie de l’assureur pour déclaration tardive, l’agriculteur avait recherché la responsabilité de l’agent général.

La cour d’appel avait initialement débouté l’assuré en considérant qu’aucune faute n’était imputable à l’agent général dès lors que l’agriculteur n’avait pas demandé dans le délai imparti à l’agent général d’adresser une déclaration à la compagnie.

La Cour de cassation a censuré cette analyse en rappelant que « même s’il est établi que l’appel téléphonique n’avait signalé que des dommages peu importants pouvant être équivalents à la franchise, il n’en demeure pas moins que l’agent général a manqué à son devoir de conseil en n’examinant pas avec son client quelle pouvait être l’importance du sinistre et les suites à lui donner dans le délai imparti ».

Cette décision révèle l’étendue du devoir de conseil de l’intermédiaire qui ne peut se contenter d’une appréciation superficielle de la situation. L’obligation d’examen impose à l’agent général de procéder à une analyse approfondie avec l’assuré, même lorsque celui-ci minimise initialement l’importance du sinistre.

Cette obligation d’examen s’explique par le fait que l’assuré, souvent profane en matière d’assurance, peut sous-estimer l’importance d’un sinistre ou méconnaître les conséquences d’une déclaration tardive. Dans l’espèce jugée, l’agriculteur avait vraisemblablement pensé que les dommages n’excédaient pas le montant de la franchise et qu’il n’était donc pas utile de procéder à une déclaration formelle. L’agent général aurait dû l’éclairer sur cette appréciation et l’accompagner dans l’évaluation précise des dégâts.

L’intermédiaire doit donc adopter une démarche proactive pour éviter que son client ne subisse un préjudice du fait de sa méconnaissance des règles assurantielles. Cette exigence témoigne de la dimension pédagogique du rôle de l’intermédiaire qui doit non seulement informer mais également éduquer l’assuré sur les enjeux liés à la bonne exécution de ses obligations contractuelles.

==>L’information sur les délais de prescription

L’assistance de l’intermédiaire doit également porter sur les délais susceptibles d’affecter les droits de l’assuré. L’arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation du 5 janvier 2017 illustre parfaitement cette exigence en sanctionnant un assureur de protection juridique qui avait manqué à son obligation d’information concernant l’expiration imminente de la garantie décennale (Cass. 3e civ., 5 janv. 2017, n° 15-25.644).

Dans cette affaire, la maître d’ouvrage avait fait diviser un bâtiment en six logements et avait confié la maîtrise d’œuvre à un architecte et le lot carrelage à une société de carrelage. Après réception des travaux le 21 décembre 1996, des fissures étaient apparues sur le carrelage au cours de l’été 2005. Informée de ces désordres, la société d’assurance de protection juridique avait désigné un expert et confié le dossier à un avocat qui avait assigné la société de carrelage le 5 décembre 2006, puis le maître d’œuvre le 23 juillet 2007, action déclarée prescrite par jugement du 10 avril 2008.

La Cour de cassation a retenu la responsabilité de l’assureur en relevant que « la société d’assurance, qui devait fournir à son assurée des informations sur les moyens de sauvegarder ses intérêts et sur ses possibilités d’action, n’avait pas conseillé à la maître d’ouvrage d’engager une action contre le maître d’œuvre et ne l’avait pas informée que la garantie décennale venait à expiration à la date du 21 décembre 2006, se bornant à l’informer de la transmission de son dossier à l’avocat ».

La Haute juridiction a considéré que ce manquement de l’assureur à son obligation de conseil et d’information à l’égard de son assurée était caractérisé. En effet, la Cour d’appel avait relevé que « la responsabilité décennale des constructeurs ayant participé aux travaux de restauration était engagée, que celle du maître d’œuvre ayant assuré la direction des travaux apparaissait prépondérante, qu’en raison de la date proche de l’échéance de la garantie des constructeurs, l’issue contentieuse du dossier apparaissait être la plus appropriée ».

Cette décision révèle l’étendue de l’obligation d’information pesant sur l’assureur de protection juridique. Il ne suffit pas de transmettre le dossier à un avocat ; l’assureur doit également éclairer l’assuré sur les enjeux temporels de l’action envisagée, notamment lorsque l’expiration prochaine d’une garantie spécifique comme la garantie décennale risque de compromettre les droits de l’assuré.

Cette exigence de vigilance s’impose avec d’autant plus de force que les délais de prescription en matière de construction constituent une spécificité technique souvent méconnue des assurés. Dans l’espèce jugée, l’assurée ne pouvait raisonnablement être censée connaître la portée exacte de l’expiration de la garantie décennale au 21 décembre 2006, soit dix ans après la réception des travaux.

L’intermédiaire doit donc non seulement informer l’assuré de l’existence de ces délais mais également l’assister dans l’appréciation de leur impact sur sa situation juridique et, le cas échéant, dans les démarches nécessaires pour préserver ses droits. Cette obligation s’inscrit dans la logique générale du devoir de conseil post-contractuel qui impose à l’intermédiaire d’adopter une démarche proactive pour éviter que son client ne subisse un préjudice du fait de sa méconnaissance des règles juridiques applicables.

La solution retenue témoigne également de l’évolution de la jurisprudence vers une conception extensive du devoir de conseil de l’assureur de protection juridique, qui ne se limite pas à la fourniture d’une assistance juridique mais s’étend à l’information et au conseil sur les stratégies contentieuses les plus appropriées compte tenu des contraintes temporelles.

b. L’information sur l’évolution de la réglementation et des garanties

Le devoir de conseil qui intervient dans le cadre de l’exécution du contrat inclut une obligation d’information sur les évolutions susceptibles d’affecter la couverture d’assurance. Toutefois, cette obligation n’est ni générale ni illimitée : elle s’apprécie au regard de la nature des changements intervenus et de leur lien direct avec le contrat.

==>Les limites de l’obligation d’information sur les garanties nouvelles

La Cour de cassation a expressément limité l’obligation d’information de l’assureur en ce qui concerne les garanties issues de l’évolution de son offre commerciale. Dans un arrêt du 1er décembre 1998, elle a jugé qu’il ne peut être reproché à un assureur de ne pas avoir informé l’ensemble de ses assurés de l’existence de nouvelles garanties désormais proposées. Une telle exigence excéderait son devoir de renseignement (Cass. 1re civ., 1er déc. 1998, n° 94-13.589).

Cette position repose sur un principe d’équilibre : l’assureur n’est pas tenu d’un devoir général de conseil portant sur toutes les options commerciales qu’il pourrait développer. L’information due ne s’étend pas à l’ensemble des évolutions de l’offre, sauf lien direct avec le contrat en cours.

==>L’obligation d’information en cas de modification du cadre juridique applicable

En revanche, dès lors qu’une évolution législative ou réglementaire modifie les droits ou obligations issus du contrat d’assurance en cours, l’intermédiaire est tenu d’en informer son client. Ce devoir d’alerte s’impose notamment lorsqu’un changement juridique affecte directement la validité, l’étendue ou l’exercice des garanties souscrites.

Cette distinction entre innovations commerciales et évolutions juridiques permet d’assurer un juste équilibre. L’intermédiaire n’est pas transformé en conseiller juridique permanent, mais il doit veiller à informer l’assuré des conséquences concrètes des évolutions normatives qui impactent l’exécution du contrat.

Ainsi se dessine une obligation d’information ciblée, fondée sur la pertinence du changement au regard de la protection effective de l’assuré.

3. Les obligations spécifiques liées aux modifications contractuelles

L’intervention de l’intermédiaire prend une importance particulière lors des modifications du contrat d’assurance. Ces périodes de transition – telles que le remplacement ou la résiliation – sont souvent propices à une dégradation de la protection de l’assuré.

Ce dernier peut, sans en avoir pleinement conscience, se retrouver temporairement ou durablement sans couverture, ou avec des garanties insuffisantes. Il appartient donc à l’intermédiaire de sécuriser ces phases sensibles, en s’assurant que les ajustements contractuels ne laissent place à aucun risque de vide ou d’inadéquation de la couverture.

a. Le devoir de conseil lors du remplacement de contrat

Le remplacement d’un contrat d’assurance par un nouveau contrat constitue une opération particulièrement délicate. L’assuré, rassuré par la continuité apparente de sa couverture, ne prête pas toujours l’attention nécessaire aux modifications de garanties qui peuvent être introduites par le nouveau contrat.

L’intermédiaire doit donc impérativement attirer l’attention de l’assuré sur les changements susceptibles d’affecter sa couverture. Cette exigence répond à un impératif de transparence: l’assuré doit pouvoir consentir en toute connaissance de cause aux modifications de ses garanties.

La jurisprudence a ainsi sanctionné l’intermédiaire qui, sollicité par l’assuré pour modifier la garantie contre le vol, avait fait signer le nouveau contrat sans attirer son attention sur les exigences de moyens de protection supplémentaires introduites dans les conditions générales (Cass. 1re civ., 20 janv. 1987). Dans cette affaire, le changement de contrat s’accompagnait de conditions de garantie plus strictes que l’assuré ignorait, ce qui risquait de compromettre l’efficacité de sa couverture en cas de sinistre.

De même, la responsabilité d’un agent général a été retenue pour avoir proposé en remplacement d’un contrat multirisques une nouvelle police dans laquelle la garantie « vol de bijoux » ne figurait plus (Cass. 2e civ., 8 mars 2006, n°05-11.319).

Dans cette affaire, l’assurée avait souscrit auprès du groupe Drouot, devenu la société Axa assurances puis Axa France IARD, un contrat d’assurance multirisques comportant une garantie vol de bijoux. L’agent général d’Axa lui avait fait souscrire une nouvelle police en remplacement de ce contrat. Ayant été victime d’un cambriolage au cours duquel lui avaient été dérobés des bijoux, l’assurée avait demandé la garantie de l’assureur, qui avait refusé de l’indemniser, la nouvelle police ne couvrant pas le vol de bijoux.

La cour d’appel avait considéré que l’agent général n’avait pas manqué à ses obligations au motif que « caractérise en droit l’accomplissement de l’obligation d’information par l’agent d’assurance le fait de signer et de recevoir un exemplaire du contrat par l’assuré » et qu’« il est constant que l’assurée a signé un contrat dénué de toute ambiguïté » dont « les clauses relatives à l’assurance vol pour les bijoux et objets précieux sont claires et compréhensibles de la part de tout le monde ».

La Cour de cassation a censuré cette analyse en relevant que la cour d’appel avait constaté « que la nouvelle police souscrite par l’assurée remplaçait celle qu’elle avait précédemment conclue avec le même assureur, mais qu’elle ne comportait pas la garantie vol de bijoux acquise dans la précédente, et sans rechercher si l’agent général avait attiré l’attention de l’assurée sur cette réduction de garantie ».

Cette décision révèle que la simple signature du contrat par l’assuré et la clarté des clauses contractuelles ne suffisent pas à exonérer l’intermédiaire de son obligation d’information lorsque le nouveau contrat ne reprend pas des garanties figurant dans le contrat précédent. Le fait que les clauses soient claires ne dispense pas l’intermédiaire d’attirer spécifiquement l’attention de l’assuré sur les modifications défavorables.

L’arrêt établit donc une distinction fondamentale entre l’information passive, qui consiste à remettre un contrat lisible, et l’information active, qui impose à l’intermédiaire de signaler expressément les réductions de garantie lors du remplacement d’un contrat. Cette obligation active se justifie par le fait que l’assuré, dans un contexte de remplacement de contrat chez le même assureur, peut légitimement s’attendre au maintien des garanties dont il bénéficiait antérieurement.

b. Le devoir de conseil lors de la résiliation du contrat

La résiliation du contrat d’assurance place l’assuré dans une situation de vulnérabilité particulière : il se trouve privé de couverture alors que son besoin d’assurance persiste généralement. Cette situation est d’autant plus critique lorsque la résiliation n’émane pas de la volonté de l’assuré mais résulte, par exemple, d’un défaut de paiement ou d’une décision de l’assureur.

L’obligation essentielle de l’intermédiaire consiste à ne jamais laisser croire à l’assuré qu’il demeure protégé lorsque son contrat a été résilié. Cette exigence répond à un impératif de sécurité juridique : l’assuré doit connaître précisément l’état de sa couverture pour pouvoir, le cas échéant, souscrire une nouvelle assurance ou adapter son comportement au risque de découvert.

La jurisprudence a sanctionné plusieurs comportements de nature à induire l’assuré en erreur sur la persistance de sa garantie.

Dans un arrêt du 7 novembre 1972, la Cour de cassation a retenu la faute de l’agent qui avait accepté de l’assuré le complément de primes correspondant à un avenant, alors qu’une lettre de résiliation avait préalablement mis fin au contrat (Cass. 1ère civ. 7 nov. 1972). En acceptant ce paiement, l’agent donnait à l’assuré l’impression légitime que le contrat était toujours en vigueur et que l’avenant prendrait effet.

Cette situation illustre le caractère trompeur que peut revêtir l’encaissement de sommes par l’intermédiaire après résiliation du contrat. L’assuré interprète naturellement cet encaissement comme la preuve que sa couverture perdure.

De même, dans un arrêt du 23 mai 2000, la Cour de cassation a considéré que manquent à leur devoir d’information et de conseil les agents qui ont encaissé la prime alors que la police était résiliée pour défaut de paiement, sans rappeler à l’assuré cette résiliation (Cass. 1ère civ. 23 mai 2000, n°98-11.768).

Dans cette affaire, la société assurée, spécialisée dans l’élevage et le conditionnement d’anguilles, était couverte auprès de l’UAP par l’intermédiaire d’agents généraux. La société ayant omis de payer la prime de l’une de ses polices garantissant les dommages à ses bâtiments d’exploitation, elle avait été mise en demeure par l’assureur de payer l’échéance par une lettre recommandée du 11 octobre 1991 qui reproduisait et expliquait le mécanisme de suspension et de résiliation automatique organisé par l’article L. 113-3 du Code des assurances.

Le 26 décembre suivant, un chèque d’un montant de 2 861 francs, correspondant à deux primes dont celle de la police entre-temps résiliée, avait été remis par le gérant de la société à un employé des agents généraux lors d’un passage de ce dernier dans les locaux de la société. À la même époque, le gérant avait demandé qu’on lui prépare un contrat pour une catégorie de matériel, contrat effectivement souscrit le 20 février 1992.

Lorsqu’un incendie était survenu le 19 février 1992 dans le bâtiment d’élevage, l’assureur avait fait valoir la résiliation du contrat et dénié sa garantie. La société avait alors assigné l’assureur ainsi que les agents généraux en réparation du préjudice causé par le manquement de ces derniers à leur devoir de conseil.

La Cour de cassation a retenu la responsabilité des agents généraux du fait de leur «manquement à leur devoir d’information et de conseil consistant dans le fait d’avoir encaissé la prime, alors que la police était résiliée, sans rappeler au gérant cette résiliation, ni lui conseiller de souscrire une nouvelle police, ni faire de différence, dans le paiement reçu, entre la prime afférente au contrat en cours et celle du contrat résilié».

Cette décision révèle plusieurs enseignements importants. D’abord, l’encaissement de la prime constitue en lui-même un acte susceptible d’induire l’assuré en erreur sur l’état de sa couverture, même lorsque la résiliation a été régulièrement notifiée. Ensuite, les agents auraient dû distinguer, dans le paiement reçu, la prime afférente au contrat en cours de celle relative au contrat résilié. Enfin, l’obligation des intermédiaires ne se limite pas à l’information sur la résiliation mais s’étend au conseil de souscrire une nouvelle police pour maintenir la couverture.

L’arrêt souligne que le comportement des agents généraux était d’autant plus fautif qu’à cette même époque, l’assuré demandait une assurance supplémentaire qui avait effectivement été établie peu après, démontrant ainsi sa volonté de maintenir sa couverture d’assurance.

L’obligation de l’intermédiaire ne va toutefois pas jusqu’à garantir le maintien effectif de la couverture d’assurance. En effet, il convient de faire la distinction entre:

  • D’une part, une obligation de transparence qui impose à l’intermédiaire d’informer clairement l’assuré sur l’état réel de sa couverture et de ne jamais le laisser croire, par ses actes ou son attitude, qu’il demeure protégé alors que son contrat a été résilié.
  • D’autre part, l’absence d’obligation de résultat quant au maintien effectif de la garantie lorsque les circonstances extérieures (retrait d’agrément, refus des assureurs, antécédents de l’assuré) rendent difficile ou impossible la souscription d’un nouveau contrat.

Cette approche permet de protéger l’assuré contre les comportements trompeurs tout en évitant d’imposer à l’intermédiaire une responsabilité excessive face à des situations échappant à son contrôle.

II) Règles spécifiques applicables aux contrats d’assurance vie

Le contrat d’assurance vie français occupe une place unique parmi les instruments d’épargne européens par son succès commercial et sa polyvalence juridique. Né de la tradition assurantielle du XIXe siècle comme mécanisme de protection contre les aléas de la vie humaine, il s’est progressivement métamorphosé en un instrument hybride à la croisée de l’assurance et de l’investissement.. Cette transformation s’est accélérée avec le développement des contrats en unités de compte dans les années 1980. En introduisant une exposition directe aux marchés financiers, ces contrats ont profondément modifié la physionomie juridique de l’assurance vie et contribué à la complexification de son régime.

La spécificité des contrats d’assurance vie tient à leur double nature:

  • D’une part, ils demeurent des contrats d’assurance au sens de l’article L. 310-1 du Code des assurances, mobilisant l’aléa de la durée de la vie humaine et organisant le transfert d’un risque vers l’assureur.
  • D’autre part, ils constituent des véhicules d’investissement exposant l’épargnant aux fluctuations des marchés financiers, particulièrement lorsque les garanties sont exprimées en unités de compte.

Cette double finalité – protection et placement – confère à l’assurance vie un statut hybride qui justifie pleinement l’application de règles juridiques spécifiques, distinctes de celles régissant les autres branches d’assurance.

Le périmètre des « produits d’investissement fondés sur l’assurance », tel que défini à l’article L. 522-1 du Code des assurances, englobe trois catégories de contrats soumis à des règles particulières. Il s’agit premièrement des contrats d’assurance vie individuels comportant des valeurs de rachat, deuxièmement des contrats de capitalisation, et troisièmement des contrats d’assurance de groupe comportant des valeurs de rachat ou de transfert lorsque l’adhésion n’est pas obligatoire. Ces contrats partagent la caractéristique commune d’exposer le souscripteur ou l’adhérent à un risque financier dépassant le seul aléa assurantiel traditionnel.

Cette spécificité économique et juridique des contrats d’assurance vie a conduit les autorités européennes à prendre conscience de la nécessité d’harmoniser les règles de protection des épargnants, quel que soit le support contractuel utilisé – assurance ou produit financier. En effet, des instruments différents peuvent répondre à des besoins d’épargne similaires, ce qui crée un risque de chevauchement et de conflits entre les différentes règles applicables. La directive 2016/97/UE du 20 janvier 2016 sur la distribution d’assurances exprime cette préoccupation de manière explicite : son considérant 56 appelle à prévenir tout « arbitrage réglementaire » entre produits concurrents.

Transposée en droit français par l’ordonnance n° 2018-361 du 16 mai 2018, cette directive a profondément modifié le régime applicable aux produits d’investissement fondés sur l’assurance.

Parmi les évolutions introduites par la réforme de 2018, le renforcement du devoir de conseil tient une place centrale. Initialement élaboré par la jurisprudence, ce devoir a été progressivement consolidé puis codifié dans le Code des assurances.

Désormais, l’article L. 522-5 du Code des assurances, dans sa version issue de l’ordonnance du 16 mai 2018, encadre rigoureusement la façon dont le distributeur doit formuler son conseil. Il définit les différentes étapes à suivre pour s’assurer que le contrat proposé correspond réellement à la situation, aux objectifs et aux connaissances du souscripteur.

Cette organisation du conseil s’inspire directement des pratiques en vigueur dans le domaine financier, notamment celles encadrant les services d’investissement. Elle témoigne d’un rapprochement assumé entre les régimes de protection des investisseurs et des assurés, dans une logique d’harmonisation des pratiques au sein du marché de l’épargne.

La loi n° 2023-973 du 23 octobre 2023, dite « loi Industrie verte », a introduit une nouveauté importante dans le droit des assurances : l’instauration d’un devoir de conseil dans la durée. Ce dispositif, entré en vigueur le 24 octobre 2024, oblige les distributeurs à ne plus se limiter à un simple conseil au moment de la souscription du contrat. Désormais, ils doivent accompagner le souscripteur tout au long de la vie du contrat.

Concrètement, cela signifie que le distributeur doit vérifier régulièrement si le contrat d’assurance vie souscrit reste adapté à la situation du client. Cette obligation s’impose notamment :

  • lorsque la situation personnelle ou financière du souscripteur évolue (ex. : changement d’emploi, divorce, retraite),
  • ou lorsqu’une opération importante est effectuée sur le contrat, comme un rachat, un versement significatif ou un arbitrage d’actifs.

Par cette réforme, le législateur a voulu renforcer la protection de l’épargnant en faisant du devoir de conseil une obligation continue, et non plus ponctuelle.

Dès lors, une question centrale se pose : comment concilier cette exigence croissante de protection des épargnants avec les contraintes pratiques et commerciales pesant sur les distributeurs ? Plus précisément, quels sont les dispositifs juridiques qui encadrent aujourd’hui le devoir de conseil en assurance vie, à chacun des temps du contrat, et en quoi se distinguent-ils du droit commun applicable aux autres assurances ?

L’analyse de ces règles spécifiques appelle à distinguer, de manière didactique, les obligations du distributeur au moment de la formation du contrat, puis celles qui s’imposent au cours de son exécution.

A) Le devoir de conseil lors de la formation du contrat d’assurance vie

Les contrats d’assurance vie exposent le souscripteur à un risque de perte en capital qui s’ajoute à l’aléa assurantiel traditionnel. Cette particularité explique que le législateur ait soumis leur distribution à des règles de conseil substantiellement renforcées, codifiées aux articles L. 522-5 et suivants du Code des assurances.

1. Le recueil des besoins

a. L’analyse des situations et objectifs du client

L’article L. 522-5, I du Code des assurances impose au distributeur de « s’enquérir auprès du souscripteur ou de l’adhérent de sa situation financière et de ses objectifs d’investissement, ainsi que de ses connaissances et de son expérience en matière financière ». Cette obligation marque une rupture avec le régime général applicable aux autres contrats d’assurance, où le distributeur se contente d’identifier les besoins de couverture du client. Ici, le législateur exige une véritable analyse patrimoniale et financière, directement inspirée des règles MiFID applicables aux prestataires de services d’investissement.

Cette exigence répond à la nature particulière des contrats d’assurance vie en unités de compte, qui exposent le souscripteur à un risque de perte en capital. Contrairement aux contrats d’assurance traditionnels où l’assureur garantit le versement d’une prestation déterminée, les contrats en unités de compte transfèrent le risque financier sur le souscripteur. Cette caractéristique justifie que le distributeur dispose d’une connaissance approfondie de la capacité financière de son client et de son aptitude à supporter de telles pertes.

La recommandation ACPR 2024-R-03 du 21 novembre 2024 systématise le contenu de ce recueil d’informations en distinguant trois volets complémentaires. S’agissant de la situation familiale, le distributeur doit s’enquérir du régime matrimonial, de l’identité et du nombre de personnes à charge, ainsi que des volontés du souscripteur en matière de désignation bénéficiaire. Cette dernière information revêt une importance particulière compte tenu des enjeux de transmission patrimoniale inhérents à l’assurance vie.

Le volet financier suppose un questionnement détaillé sur les revenus du souscripteur et, le cas échéant, de son conjoint, ses dépenses courantes et futures, sa capacité d’épargne, la composition et la liquidité de son patrimoine, ainsi que ses charges financières, notamment le remboursement d’éventuels emprunts immobiliers. L’ACPR recommande également de s’enquérir de la quote-part du patrimoine que le client envisage d’investir, information essentielle pour apprécier la cohérence de l’investissement projeté avec sa situation globale.

Enfin, le recueil d’informations professionnelles doit porter sur l’activité du souscripteur et celle de son conjoint, ainsi que sur la date prévisionnelle de départ à la retraite. Ces éléments permettent d’anticiper l’évolution de la situation financière du client et d’adapter en conséquence les caractéristiques du contrat proposé.

L’évaluation des connaissances et de l’expérience en matière financière constitue un aspect particulièrement délicat de ce recueil. L’ACPR recommande expressément de « ne pas recourir exclusivement à l’auto-évaluation » du client, consciente que ce dernier peut être tenté de surestimer ses compétences. La recommandation préconise de distinguer les connaissances théoriques de l’expérience pratique, en interrogeant le client sur sa détention présente ou passée de produits d’épargne et d’investissement, leur mode de gestion, ainsi que sur les gains réalisés et les pertes subies sur différents supports.

Cette approche objective vise à prévenir la surévaluation des compétences du client, source fréquente de contentieux. L’évaluation des connaissances du souscripteur constitue en effet un enjeu déterminant pour la responsabilité du distributeur, la jurisprudence considérant que l’intensité du devoir de conseil doit être calibrée en fonction du profil réel du client.

Cette problématique a été précisément tranchée par la Cour de cassation dans un arrêt du 16 mars 2010, rendu à propos d’un contrat d’assurance vie en unités de compte (Cass. com. 16 mars 2010, n°08-21.713 et 05-22.088). En l’espèce, les souscripteurs reprochaient à leur banque de ne pas les avoir suffisamment mis en garde contre les risques liés à un placement correspondant au « profil 9 », présenté dans la documentation comme une «gestion offensive et volatile». Se disant néophytes en matière boursière, ils soutenaient que cette seule qualification ne permettait pas à un investisseur non averti d’appréhender concrètement l’étendue des risques encourus.

La chambre commerciale de la Cour de cassation a rejeté cette argumentation. Elle a rappelé qu’un client, même profane, « ne peut ignorer que la valeur des titres mobiliers que sont les actions est tributaire des fluctuations de la bourse ». Elle s’est appuyée sur une analyse de la documentation remise, relevant notamment que les bulletins d’adhésion mentionnaient clairement les différentes options de placement, exposaient une échelle de risques, décrivaient les profils disponibles, et présentaient les quinze supports financiers accessibles, chacun étant positionné dans une graduation de risque explicite.

Sur cette base, la Haute juridiction a estimé que les souscripteurs ne pouvaient sérieusement soutenir avoir cru souscrire un produit sans risque, dès lors que le profil choisi était explicitement défini comme offensif et volatil. Elle en conclut qu’il ne pouvait y avoir méprise sur la nature du placement souscrit.

Par cette décision, la Cour de cassation pose une méthode d’appréciation construite autour de deux critères essentiels :

  • D’une part, l’existence d’un noyau de connaissances financières présumées, applicable à tout client, y compris profane ;
  • D’autre part, l’importance attachée à la qualité de la documentation contractuelle, qui peut suffire, si elle est suffisamment claire et hiérarchisée, à démontrer que les obligations d’information et de conseil ont été correctement remplies.

Cette approche offre aux distributeurs un cadre d’analyse relativement prévisible, fondé sur des éléments objectifs. Elle leur permet notamment de démontrer, à travers la documentation contractuelle, qu’ils ont informé le client de manière adéquate : la clarté de la présentation, la précision des caractéristiques des produits, et la mise en perspective des niveaux de risque constituent autant d’éléments à forte valeur probatoire.

Toutefois, cette sécurité juridique reste relative. La solution dégagée par la Cour est intimement liée aux caractéristiques du produit en cause, à savoir un profil de gestion risqué mais dont les mécanismes restent simples. Elle ne peut être transposée sans nuance à des instruments financiers plus complexes, dont les risques ne sont pas aussi facilement compréhensibles pour un investisseur non averti. Dans ce cas, les exigences en matière d’information et de conseil s’en trouvent nécessairement renforcées.

Cette jurisprudence appelle en outre une vigilance accrue dans la conception des supports d’information. Ceux-ci doivent non seulement décrire les caractéristiques techniques des produits, mais également permettre une lecture hiérarchisée des options de placement, afin que le client puisse se situer dans l’échelle globale des risques. L’exigence de graduation claire des risques, expressément mise en avant par la Cour de cassation, suppose une présentation comparative et intelligible des différents profils d’investissement.

Enfin, la qualité du recueil d’informations conditionne directement la validité du conseil délivré. L’article L. 522-6, alinéa 2 du Code des assurances souligne à cet égard que si le client refuse de communiquer les informations demandées, le distributeur doit le mettre en garde contre le risque d’inadéquation du produit proposé. Cette obligation de mise en garde, ultime filet de sécurité, permet au professionnel de limiter sa responsabilité en cas de conseil délivré sur la base d’informations incomplètes ou insuffisantes.

b. L’évaluation du profil de risque

L’article L. 522-5, I du Code des assurances exige du distributeur qu’il « détermine objectivement le profil de risque du souscripteur ou de l’adhérent éventuel au regard du niveau de risque qu’il est prêt à supporter ». Cette obligation, empruntée au droit des services d’investissement, constitue une innovation majeure en droit de l’assurance. Elle suppose que le distributeur procède à une évaluation fine de l’appétence au risque du client, distincte de l’analyse de ses connaissances financières.

La recommandation ACPR 2024-R-03 précise la méthodologie de cette évaluation en imposant une démarche pédagogique préalable. Le distributeur doit attirer l’attention du client « sur le fait qu’un support pouvant offrir un rendement élevé est généralement la contrepartie d’une prise de risque plus élevée ». Cette obligation d’explication vise à s’assurer que le client comprend la corrélation fondamentale entre performance espérée et volatilité des supports d’investissement.

L’ACPR recommande également de présenter au client « plusieurs scénarios d’évolution de l’épargne » afin de lui permettre d’appréhender concrètement les conséquences potentielles de ses choix d’investissement. Cette approche par simulation constitue un outil particulièrement efficace pour sensibiliser le souscripteur aux risques de perte en capital, notamment sur les unités de compte les plus volatiles.

La détermination du profil de risque suppose ensuite une définition « de manière compréhensible et précise des différents profils de risque et, le cas échéant, des termes techniques et/ou complexes ». Cette exigence de pédagogie répond à la nécessité de permettre au client de se positionner en connaissance de cause sur l’échelle des risques proposée. L’ACPR insiste sur l’importance de « se fonder principalement sur des questions en lien avec l’investissement » plutôt que sur des considérations générales ou théoriques.

L’approche recommandée privilégie la prudence en matière d’évaluation. Le distributeur doit « veiller à ne pas surévaluer le profil au regard des informations dont il a connaissance, notamment les exigences et besoins exprimés ». Cette recommandation vise à prévenir une dérive fréquemment observée consistant à attribuer au client un profil de risque inadéquat par rapport à sa situation réelle. À titre d’exemple, l’ACPR précise que « l’absence d’épargne de précaution pourrait être incompatible avec un profil de risque dynamique ».

La recommandation établit également une distinction importante en précisant qu’il convient de ne pas tenir « compte exclusivement des connaissances et de son expérience en matière financière pour déterminer son profil de risque ». Cette dissociation entre compétence technique et tolérance au risque répond à une logique économique évidente : un client techniquement averti peut légitimement souhaiter privilégier la sécurité de son épargne, tandis qu’un investisseur moins expérimenté peut accepter une prise de risque élevée.

Cette approche prudente s’inscrit dans le prolongement d’une jurisprudence constante, qui adapte l’intensité du devoir de conseil aux caractéristiques propres du souscripteur. Toutefois, l’évaluation du profil de risque introduit une dimension nouvelle, plus subjective : il ne s’agit plus seulement d’apprécier les compétences techniques ou l’expérience financière du client, mais aussi sa tolérance personnelle au risque, autrement dit ses préférences individuelles face à la possibilité de pertes.

Or, la qualité de cette évaluation initiale conditionne directement la pertinence des recommandations formulées par le distributeur. Un profil de risque mal cerné peut aboutir à proposer un produit inadapté, trop risqué ou, inversement, insuffisamment dynamique au regard des objectifs du client. En cas de perte, cette erreur d’aiguillage expose le professionnel à une mise en cause de sa responsabilité, sur le fondement d’un défaut de conseil.

Cette exigence est d’autant plus forte que l’évaluation du profil de risque constitue un préalable obligatoire à toute recommandation personnalisée en matière d’investissements en unités de compte. Elle ne peut donc être négligée ni traitée de manière standardisée, sous peine de priver le conseil de toute portée véritable.

c. La prise en compte des préférences de durabilité

L’article L. 522-5, I du Code des assurances, modifié par la loi n° 2023-973 du 23 octobre 2023, impose depuis le 24 octobre 2024 au distributeur de s’enquérir des « éventuelles préférences du souscripteur en matière de durabilité ». Cette obligation constitue une innovation majeure du droit français de l’assurance, résultant de la transposition du règlement délégué (UE) 2017/2359 qui étend aux produits d’investissement fondés sur l’assurance les exigences déjà applicables aux services d’investissement financier.

Cette évolution s’inscrit dans la stratégie européenne de développement de la finance durable, visant à réorienter les flux de capitaux vers des investissements respectueux des enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance. Le législateur européen a considéré que les contrats d’assurance vie, en raison de leur fonction d’épargne et de leur poids économique considérable, devaient participer à cette transition en permettant aux épargnants d’exprimer leurs préférences en matière de durabilité.

La recommandation ACPR 2024-R-03 du 21 novembre 2024 détaille précisément les modalités de mise en œuvre de cette obligation. Le distributeur doit d’abord « s’enquérir auprès de l’adhérent ou du souscripteur éventuel de son intérêt pour la prise en compte de la durabilité avant la souscription ou l’adhésion à un contrat ». Cette première étape vise à identifier les clients sensibles aux questions de durabilité avant d’approfondir leurs préférences spécifiques.

Si le client exprime un intérêt pour ces questions, le distributeur doit alors procéder à un recueil détaillé de ses préférences. L’ACPR impose une démarche pédagogique préalable: le distributeur doit « expliquer préalablement à l’adhérent ou au souscripteur éventuel ce que sont les préférences en matière de durabilité, et notamment la distinction entre celles-ci ». Cette obligation d’explication répond à la technicité de la matière et à la nécessité de permettre au client de formuler des choix éclairés.

Le recueil proprement dit doit porter sur « l’ensemble des préférences en matière de durabilité », en distinguant les trois piliers de l’analyse ESG:

  • Les critères environnementaux concernent l’impact des investissements sur le climat, la biodiversité, l’utilisation des ressources naturelles ou la pollution
  • Les critères sociaux portent sur les conditions de travail, le respect des droits humains, la diversité ou les relations avec les communautés locales
  • Les critères de gouvernance visent les pratiques de direction des entreprises, la transparence, la lutte contre la corruption ou la rémunération des dirigeants.

L’ACPR recommande aux distributeurs de « préciser les critères de préférence distinctement en matière environnementale, sociale et de gouvernance » afin de permettre au client d’exprimer des préférences nuancées selon les différentes dimensions de la durabilité. Cette approche granulaire évite une vision uniforme de la durabilité et permet d’adapter l’offre d’investissement aux sensibilités particulières de chaque épargnant.

Une attention particulière doit être portée à la qualité de l’information délivrée au client. L’ACPR exige que « les modalités de questionnement, de recueil et de formalisation des préférences de durabilité, notamment les formulations et explications fournies par le distributeur, sont claires, exactes et non trompeuses ». Cette exigence vise à « réduire le risque de mauvaise compréhension par l’adhérent ou le souscripteur éventuel sur le respect de ses préférences de durabilité par le contrat et options d’investissement proposés ».

L’intégration de ces préférences dans le processus de conseil modifie substantiellement l’analyse des besoins du client. Le distributeur doit désormais articuler les objectifs financiers traditionnels (rendement, horizon d’investissement, tolérance au risque) avec les aspirations extra-financières du souscripteur. Cette double contrainte peut conduire à recommander des supports d’investissement présentant un profil de performance différent de celui qui résulterait de la seule analyse financière.

L’obligation de recueillir les préférences de durabilité s’impose quel que soit le niveau de service fourni par le distributeur. Elle concerne tant le conseil de base (niveau 1) que les services de recommandation personnalisée (niveaux 2 et 3), marquant ainsi l’importance accordée par le législateur à l’intégration des enjeux de durabilité dans toutes les formes de conseil en assurance vie.

2. La formulation du conseil

a. L’évaluation du caractère approprié du produit proposé

L’article L. 522-5, I du Code des assurances impose au distributeur de déterminer « le caractère approprié pour le souscripteur éventuel du contrat proposé ». Cette évaluation, spécifique aux produits d’investissement fondés sur l’assurance, dépasse largement l’appréciation des besoins de couverture applicable aux autres contrats d’assurance.

Le règlement délégué (UE) 2017/2359 du 21 septembre 2017 précise le contenu de cette évaluation. Le distributeur doit déterminer « si le client possède les connaissances et l’expérience nécessaires pour comprendre les risques qu’implique le produit proposé ». Cette appréciation porte sur des éléments techniques particuliers : les types de produits d’investissement fondés sur l’assurance qui sont familiers au client, la nature et la fréquence de ses transactions sur de tels produits, ainsi que son niveau d’éducation et sa profession dans la mesure où ils éclairent sa capacité de compréhension.

Cette évaluation du caractère approprié suppose une analyse différenciée selon la complexité des supports d’investissement proposés. Pour les contrats en euros traditionnels, l’évaluation peut être relativement simple compte tenu de la garantie en capital offerte par l’assureur. En revanche, pour les contrats en unités de compte, et particulièrement ceux investis sur des supports complexes ou non cotés, l’évaluation doit être beaucoup plus approfondie.

Le distributeur doit également s’assurer que les informations recueillies ne sont pas «manifestement périmées, erronées ou incomplètes ». Cette exigence revêt une importance particulière en assurance vie compte tenu de la durée souvent longue de ces contrats et de l’évolution possible de la situation du souscripteur.

L’issue de cette évaluation détermine la suite de la relation commerciale. Si le distributeur conclut que le produit n’est pas approprié pour le client, il doit s’abstenir de le recommander. Cette obligation d’abstention, empruntée au droit des services d’investissement, constitue une innovation remarquable du droit de l’assurance qui place l’intérêt du client au-dessus des considérations commerciales.

b. L’évaluation de l’adéquation

L’article L. 522-5, I du Code des assurances impose au distributeur de s’enquérir de la «tolérance au risque» et de la « capacité à subir des pertes » du souscripteur pour tous les contrats d’assurance vie visés à l’article L. 522-1. Cette obligation, qui dépasse la simple évaluation du caractère approprié, s’applique à l’ensemble des produits d’investissement fondés sur l’assurance, indépendamment du niveau de service fourni.

Cette évaluation répond à la nature particulière des contrats d’assurance vie en unités de compte qui exposent le souscripteur à un risque de perte en capital. Contrairement aux contrats d’assurance traditionnels où l’assureur garantit le versement d’une prestation déterminée, ces contrats transfèrent le risque financier sur le souscripteur, justifiant une analyse approfondie de sa capacité à l’assumer.

La tolérance au risque, définie par l’ACPR comme « l’appétence du client pour des actifs financiers sous-jacents présentant une volatilité élevée », constitue une donnée subjective liée aux préférences personnelles du souscripteur en matière d’investissement. Cette évaluation doit tenir compte des spécificités de l’assurance vie, notamment de l’horizon d’investissement souvent long et des objectifs poursuivis (épargne, transmission, retraite).

La capacité à subir des pertes relève d’une appréciation objective de la situation financière du client. Le distributeur doit évaluer si le client peut supporter « des pertes partielles, ou totales, voire au-delà du montant du capital investi », ou s’il « ne peut supporter aucune perte ». Cette évaluation est particulièrement délicate en assurance vie car elle doit intégrer la situation patrimoniale globale du souscripteur et la place du contrat dans sa stratégie d’épargne.

Le distributeur doit également tenir compte des préférences de durabilité exprimées par le client, conformément aux modifications apportées par la loi du 23 octobre 2023. Cette dimension supplémentaire complexifie l’analyse d’adéquation en ajoutant des critères extra-financiers aux considérations traditionnelles de rendement et de risque.

c. L’évaluation de renforcée pour les services de recommandation personnalisée

Lorsque le distributeur fournit un service de recommandation personnalisée au sens de l’article L. 522-5, II du Code des assurances, l’évaluation d’adéquation se complexifie substantiellement. Le distributeur doit expliquer « en quoi, parmi différents contrats ou différentes options d’investissement au sein d’un contrat, un ou plusieurs contrats ou options sont plus adéquats » aux exigences et besoins du client, « et en particulier plus adaptés à sa tolérance aux risques et à sa capacité à subir des pertes ».

Cette prestation suppose une démarche comparative explicite que l’ACPR définit précisément dans sa note de juillet 2018. Le distributeur doit disposer d’une offre suffisamment diversifiée pour présenter au client plusieurs solutions alternatives et procéder à leur analyse comparative approfondie. L’ACPR souligne qu’« une telle promesse de service ne se conçoit que basée sur l’analyse d’une pluralité de contrats » et que « la motivation doit être nécessairement personnalisée ».

L’évaluation d’adéquation doit alors être suffisamment fine pour permettre une hiérarchisation des différentes options selon leur degré d’adaptation au profil spécifique du client. Cette analyse comparative porte non seulement sur les caractéristiques techniques des produits (nature des garanties, frais, supports d’investissement), mais également sur leur adéquation respective aux objectifs, contraintes et préférences du souscripteur.

L’article 14 du règlement délégué (UE) 2017/2359 impose l’établissement d’une «déclaration d’adéquation » qui constitue la formalisation écrite de cette analyse comparative. Cette déclaration comprend « les grandes lignes des conseils donnés » et « les informations montrant en quoi la recommandation formulée est adaptée à la situation du client ». Elle doit également présenter « un résumé de l’analyse effectuée » et expliquer « comment la recommandation fournie répond aux objectifs d’investissement du client ».

Cette déclaration, obligatoire uniquement pour les services de recommandation personnalisée, revêt une importance juridique particulière car elle constitue un engagement formel du distributeur sur la pertinence de sa recommandation. En cas de contentieux, elle servira de référence pour apprécier la qualité du conseil fourni et peut fonder la responsabilité du distributeur si la recommandation s’avère inadéquate.

La déclaration d’adéquation doit également mentionner si les produits d’investissement fondés sur l’assurance recommandés sont « susceptibles ou non d’obliger à demander un réexamen périodique de leurs accords ». Cette information permet au client d’anticiper la nécessité d’un suivi ultérieur de son investissement et constitue un élément d’appréciation de la relation commerciale future.

Pour les services de recommandation fondée sur une analyse impartiale du marché (niveau 3), la déclaration d’adéquation doit également rendre compte de la représentativité de l’analyse effectuée et des critères ayant présidé à la sélection des produits comparés. Cette exigence de transparence vise à permettre au client de vérifier que la recommandation repose effectivement sur une analyse objective du marché.

d. Les obligations spécifiques pour les supports en unités de compte complexes

L’article L. 522-5, I, alinéa 4 du Code des assurances impose des obligations particulières pour les unités de compte « mentionnées à la dernière phrase du deuxième alinéa de l’article L. 132-5-4 ». Il s’agit des organismes de placement collectif investis principalement directement ou indirectement en actifs non cotés, en titres éligibles au plan d’épargne en actions PME-ETI, ou en titres de sociétés de capital-risque.

Ces supports présentent des caractéristiques particulières qui justifient un régime d’information et de conseil renforcé. Ils peuvent notamment présenter des contraintes de liquidité, des risques de valorisation complexes, et des indemnités de sortie substantielles. Le distributeur doit communiquer « une information sur les modalités de rachat et les conséquences de l’exercice de cette faculté ».

Le décret n° 2024-551 du 18 juin 2024, entré en vigueur le 24 octobre 2024, précise le contenu de cette information. Le distributeur doit notamment indiquer « le niveau de l’indemnité prévue dans la limite du plafond prévu au 1° de l’article R. 132-5-3 », ainsi que «toutes les périodes connues où l’unité de compte peut faire l’objet de rachat sans être diminuée de ces indemnités » et « le niveau de ces indemnités si le rachat intervient en dehors de ces périodes ».

La recommandation ACPR 2016-R-04, modifiée le 6 décembre 2019, complète ce dispositif en imposant aux distributeurs de « décrire de manière compréhensible » dans le document formalisant le conseil les informations délivrées au souscripteur. Ces informations doivent permettre de comprendre « la nature du support en unités de compte proposé et des risques y afférents », « les moyens permettant de suivre l’évolution des actifs sous-jacents », « le rendement des unités de compte », ainsi que « les mécanismes contenus dans la formule de calcul permettant, à l’échéance, de déterminer la réalisation d’un gain ou d’une perte ».

Cette exigence de pédagogie renforcée répond à la complexité technique de ces produits qui peuvent échapper à la compréhension d’investisseurs non avertis. L’ACPR souligne que le distributeur doit s’assurer que le client comprend effectivement les mécanismes sous-jacents et les risques spécifiques de ces supports avant toute souscription.

La recommandation ACPR 2024-R-03 du 21 novembre 2024 renforce ces exigences en imposant d’« attirer l’attention de l’adhérent ou du souscripteur éventuel sur les risques liés à la sélection de ces unités de compte au regard du caractère variable de leur valeur ainsi que sur l’existence, le cas échéant, d’une indemnité diminuant la valeur de rachat ou de transfert et leurs conséquences sur les modalités d’exercice de la faculté de rachat ou de transfert ».

e. Les obligations de mise en garde

L’article L. 522-6, alinéa 2 du Code des assurances institue une obligation de mise en garde spécifique lorsque « le souscripteur ou l’adhérent ne fournit pas les informations » nécessaires à l’évaluation du caractère approprié ou adéquat du contrat. Cette mise en garde doit porter sur « le risque d’inadaptation du contrat d’assurance proposé » aux exigences, besoins, situation financière, objectifs d’investissement et niveau de connaissance du client.

Cette obligation revêt une importance particulière en assurance vie compte tenu des enjeux financiers et patrimoniaux de ces contrats, qui peuvent représenter une part significative du patrimoine du souscripteur. Elle constitue un mécanisme de protection poursuivant une double finalité: d’une part, alerter le client sur les risques qu’il encourt en refusant de communiquer les informations demandées ; d’autre part, permettre au distributeur de se prémunir contre les conséquences d’un conseil fondé sur des informations lacunaires.

La mise en garde doit intervenir « préalablement à la conclusion du contrat », imposant au distributeur d’interrompre le processus de souscription tant que les informations nécessaires ne sont pas obtenues. Cette exigence souligne l’importance accordée par le législateur à la qualité du recueil d’informations comme préalable indispensable à tout conseil valable en assurance vie.

L’article L. 522-3, 2° du Code des assurances impose également au distributeur de fournir «des orientations et des mises en garde appropriées sur les risques inhérents » aux contrats d’assurance vie ou aux stratégies d’investissement proposées. Cette obligation générale de mise en garde sur les risques s’ajoute à l’obligation spécifique de mise en garde en cas d’informations insuffisantes.

Cette exigence vise particulièrement les risques de fluctuation des actifs sous-jacents pour les contrats en unités de compte. Le distributeur doit alerter le client sur le fait que la valeur de son épargne peut fluctuer à la hausse comme à la baisse, et qu’il peut subir des pertes en capital, y compris totales dans certains cas extrêmes.

La recommandation ACPR 2024-R-03 précise que cette mise en garde doit être adaptée à la nature des supports proposés. Pour les unités de compte complexes, elle doit être particulièrement détaillée et porter sur les risques spécifiques de ces supports : risque de liquidité, risque de valorisation, risque de perte supérieure au capital investi pour certains produits dérivés.

Ces différentes obligations de mise en garde s’articulent pour former un dispositif cohérent de protection du souscripteur. La mise en garde générale sur les risques constitue un préalable qui doit permettre au client de comprendre la nature des risques qu’il encourt. La mise en garde en cas d’informations insuffisantes constitue quant à elle un mécanisme de protection ultime qui intervient lorsque le processus normal de conseil ne peut être mené à son terme.

L’ensemble de ces obligations traduit la préoccupation du législateur de protéger les épargnants contre les risques particuliers des produits d’investissement fondés sur l’assurance, tout en responsabilisant les distributeurs sur la qualité de leur conseil. Elles contribuent à élever le niveau général de protection des souscripteurs et à réduire les asymétries d’information entre professionnels et clients particuliers.

B) Le devoir de conseil lors de l’exécution du contrat d’assurance vie

L’innovation majeure de la loi du 23 octobre 2023 réside dans l’instauration d’un « devoir de conseil dans la durée » qui prolonge les obligations du distributeur au-delà de la formation du contrat. Cette évolution s’articule autour d’un mécanisme d’actualisation périodique du conseil et d’obligations spécifiques lors des opérations affectant le contrat.

1. L’actualisation périodique du conseil

a. Le principe de l’évaluation quadriennale

L’innovation la plus remarquable de la loi du 23 octobre 2023 réside dans l’institution d’une obligation d’actualisation périodique du conseil qui révolutionne la temporalité de l’accompagnement en assurance vie. L’article L. 522-5, III, 2° du Code des assurances consacre désormais une démarche proactive d’évaluation qui transcende la logique traditionnelle du conseil ponctuel pour instituer un véritable suivi dans la durée.

La périodicité de l’obligation d’actualisation n’est pas uniforme : elle dépend du degré d’accompagnement offert par le distributeur, un délai réduit s’appliquant lorsque celui-ci fournit un service de recommandation personnalisée. Le législateur a ainsi prévu un délai de quatre ans pour les contrats bénéficiant d’un conseil standard, tandis que ce délai est ramené à deux ans dans le cas d’un service à haute valeur ajoutée. Cette distinction repose sur une gradation des obligations professionnelles en fonction de l’intensité du conseil initialement fourni. Plus l’analyse du distributeur s’est révélée poussée lors de la souscription, plus le devoir de suivi s’impose à échéance rapprochée. L’obligation de conseil s’inscrit ainsi dans une logique évolutive, proportionnée à l’implication du professionnel et à la sophistication du service délivré au client.

Cette modulation procède d’une logique à la fois incitative et économique. En récompensant l’excellence du conseil par un engagement renforcé dans la durée, le dispositif encourage les distributeurs à développer une approche patrimoniale sophistiquée, tout en leur permettant de justifier la valeur ajoutée de leurs prestations les plus élaborées. L’articulation entre la qualité du service et l’intensité du suivi constitue ainsi un mécanisme d’émulation professionnelle particulièrement habile.

Le choix de ces périodicités s’avère remarquablement adapté aux spécificités de l’épargne assurantielle. Le délai quadriennal épouse naturellement les caractéristiques intrinsèques de l’assurance vie : horizon d’investissement structurellement long, stabilité relative des objectifs patrimoniaux, et faible fréquence des interventions sur les contrats. Cette périodicité évite l’écueil d’une surveillance excessive qui risquerait de dégénérer en harcèlement commercial, tout en prévenant l’abandon de l’épargnant à un produit potentiellement devenu inadéquat.

L’arrêté du 12 juin 2024 organise la mise en œuvre pratique de cette révolution conceptuelle avec un pragmatisme bienvenu. En fixant le point de départ de la première période d’observation au 24 octobre 2024, il ménage une transition équilibrée : les premières actualisations concrètes n’interviendront qu’en octobre 2028 pour les contrats standards et dès octobre 2026 pour les services personnalisés. Cette phase transitoire permet aux distributeurs d’adapter progressivement leur organisation et leurs systèmes d’information à cette nouvelle contrainte.

La recommandation ACPR 2024-R-03 du 21 novembre 2024 accompagne cette montée en charge en appelant les professionnels à entreprendre dès maintenant les chantiers préparatoires nécessaires. Cette anticipation témoigne de l’ampleur de la transformation organisationnelle que suppose l’effectivité de ce nouveau devoir.

L’actualisation ainsi instituée transcende la simple prise de contact pour exiger une véritable mise à jour de la connaissance client. Le distributeur doit identifier et évaluer toutes les évolutions susceptibles d’affecter la pertinence du contrat : modifications de la situation familiale, professionnelle ou patrimoniale, évolution des objectifs d’investissement, variation de la tolérance au risque et de la capacité à subir des pertes, mais aussi nouvelles préférences de durabilité. Cette exigence d’exhaustivité traduit l’ambition d’une adaptation continue du produit aux besoins évolutifs de l’épargnant.

Lorsque cette évaluation révèle une inadéquation, naît une obligation de conseil correctif qui constitue l’une des innovations les plus significatives du dispositif. Le distributeur doit alors informer son client des écarts constatés et lui recommander les adaptations nécessaires sur support durable. Cette démarche proactive consacre un nouveau paradigme professionnel : le distributeur ne peut plus se contenter du seul acte de vente mais devient comptable d’un accompagnement patrimonial continu.

Toutefois, ce devoir d’actualisation respecte scrupuleusement l’autonomie du souscripteur. Si celui-ci refuse de répondre aux sollicitations ou maintient un silence prolongé malgré relance, le distributeur se trouve libéré de son obligation. Ce mécanisme de sauvegarde prévient toute dérive vers le démarchage commercial abusif tout en préservant la liberté individuelle.

Cette mutation du devoir de conseil, d’acte ponctuel en processus continu, marque une transformation paradigmatique de la relation contractuelle en assurance vie. Elle impose aux distributeurs un changement à la fois culturel et opérationnel, les plaçant désormais au cœur d’un accompagnement patrimonial dynamique et responsable.

b. L’actualisation en cas d’évolution de la situation du client

L’article L. 522-5, III, 1° impose au distributeur d’actualiser son devoir de conseil « lorsqu’il est informé d’un changement dans la situation personnelle et financière du souscripteur ou dans ses objectifs d’investissement ». Cette obligation marque l’avènement d’un conseil véritablement dynamique qui rompt avec la conception traditionnelle limitant les obligations du distributeur à la phase précontractuelle. Elle institue un devoir de veille permanent qui transforme la relation contractuelle d’une logique de vente unique vers un modèle d’accompagnement continu.

L’aspect révolutionnaire de cette disposition réside dans sa dimension transversale. Cette obligation s’applique que l’information soit recueillie dans le cadre du contrat d’assurance vie lui-même ou « dans le cadre de la gestion d’un autre contrat d’assurance ou de produits et services bancaires ». Cette approche globale bouleverse l’organisation traditionnelle en silos pour imposer une vision client intégrée.

Concrètement, un changement de situation professionnelle signalé lors d’une demande de crédit immobilier doit déclencher un réexamen des contrats d’assurance vie. Une évolution familiale (mariage, divorce, naissance, décès) mentionnée pour un contrat d’assurance automobile doit entraîner une vérification de la clause bénéficiaire en assurance vie. Un départ en retraite dans le cadre d’un plan d’épargne entreprise doit questionner l’ensemble de la stratégie d’épargne du client.

Cette transversalité de l’information marque une évolution significative vers une approche globale de la relation client. Elle suppose une coordination entre les différents services du distributeur et une circulation fluide de l’information pertinente. Cette exigence impose une refonte organisationnelle majeure : coordination entre tous les services client, formation des collaborateurs à l’identification des informations pertinentes quel que soit leur contexte de recueil, adaptation des systèmes d’information pour centraliser et partager les données dans le respect du RGPD.

La recommandation ACPR 2024-R-03 du 21 novembre 2024 illustre cette obligation : «lorsqu’un distributeur est informé de la perte d’emploi de l’adhérent ou du souscripteur dans le cadre d’un contrat d’assurance-emprunteur, ou du départ en retraite à l’occasion de la liquidation d’un contrat de retraite supplémentaire». Ces événements, captés dans un contexte spécifique, peuvent bouleverser l’ensemble de la stratégie patrimoniale et justifier une révision complète des contrats d’assurance vie.

L’actualisation doit être proportionnée à l’ampleur du changement. Une modification mineure des revenus peut justifier une simple vérification de la capacité d’épargne, tandis qu’un bouleversement majeur (divorce, héritage, départ en retraite) nécessite une réévaluation globale incluant objectifs de transmission, préférences fiscales, et allocation d’actifs. Le distributeur doit adopter une approche patrimoniale globale tenant compte de l’impact sur l’ensemble de la situation du client.

Lorsque l’actualisation révèle une inadéquation, le distributeur doit informer le client de manière circonstanciée et lui conseiller les adaptations nécessaires : arbitrages, modification des versements, révision de la clause bénéficiaire, voire rachat ou souscription d’un nouveau contrat. Cette obligation de conseil correctif constitue la finalité du mécanisme et garantit une adaptation continue de la stratégie d’épargne aux évolutions de la vie du client.

2. Le conseil lors des opérations affectant le contrat

Au-delà de l’actualisation périodique, la loi du 23 octobre 2023 complète le dispositif en instaurant une obligation de conseil déclenchée par certaines opérations. L’article L. 522-5, III, 3° du Code des assurances soumet désormais le distributeur à un devoir de conseil « à l’occasion de toute opération susceptible d’affecter le contrat de façon significative ».

Cette disposition révèle une logique nouvelle : elle fait de chaque intervention importante sur le contrat l’occasion d’une réévaluation de son adéquation. Contrairement au conseil périodique qui intervient selon un calendrier prédéterminé, ce conseil « à la demande » se déclenche au gré des initiatives de l’épargnant, transformant chaque versement, arbitrage ou rachat substantiel en moment de vérification de la pertinence du contrat.

Cette innovation marque une rupture conceptuelle majeure. Là où l’épargnant pouvait jusqu’alors modifier librement son contrat, toute opération d’ampleur devient désormais prétexte à un nouvel examen de ses besoins et de la cohérence de sa stratégie patrimoniale.

a. La définition des opérations déclenchant l’obligation de conseil

Il faut définir quelles opérations justifient ce nouveau conseil. L’arrêté du 12 juin 2024 établit des seuils chiffrés pour éviter qu’un distributeur soit tenu de conseiller à chaque micro-opération.

Le système retenu distingue selon l’importance du contrat. Pour les contrats de moins de 100 000 euros, toute opération de 2 500 euros minimum et représentant au moins 20 % de l’encours déclenche l’obligation. Pour les contrats plus importants (100 000 euros et plus), les seuils montent à 30 000 euros et 25 % de l’encours.

Cette graduation s’explique aisément : une opération de 5 000 euros sur un contrat de 25 000 euros (soit 20 %) peut bouleverser significativement la stratégie d’épargne, tandis que la même somme sur un contrat de 500 000 euros demeure marginale.

Le dispositif prévoit une exception notable : tout investissement dans les actifs non cotés visés à l’article L. 132-5-4 déclenche automatiquement le conseil, quel que soit le montant. Cette règle absolue traduit la méfiance du législateur envers ces supports complexes et souvent illiquides, dont les risques justifient un accompagnement systématique.

b. La différenciation du conseil selon la nature de l’opération

Le contenu du conseil varie selon le type d’opération envisagée.

==>Pour les versements et arbitrages

Le distributeur doit justifier ses préconisations. La recommandation ACPR 2024-R-03 du 21 novembre 2024 l’oblige à « exposer les raisons qui ont motivé la préconisation des supports et de l’allocation proposés au regard du profil de risque de l’adhérent ». En pratique, cela signifie qu’il ne peut plus se contenter de proposer un placement : il doit expliquer pourquoi ce placement convient à ce client précis.

Cette exigence atteint son intensité maximale pour les unités de compte non cotées. Ces supports, par leur complexité et leur illiquidité potentielle, appellent un devoir d’alerte renforcé. Le distributeur doit alors exposer clairement les risques spécifiques de ces placements : absence de cotation quotidienne, difficultés de sortie, volatilité accrue, ou encore opacité des actifs sous-jacents. Cette vigilance particulière s’inscrit dans une jurisprudence constante qui impose une information adaptée à la sophistication du produit proposé.

==>Pour les rachats

Les rachats appellent une attention particulière car leurs conséquences sont souvent irréversibles. L’ACPR impose trois obligations principales:

  • D’abord, lorsque le rachat intervient avant huit ans, le distributeur doit informer de ses conséquences fiscales. Cette obligation répond à une logique patrimoniale évidente : l’assurance vie constituant souvent un instrument d’optimisation fiscale, un rachat prématuré peut anéantir l’avantage recherché et compromettre la stratégie globale de l’épargnant.
  • Ensuite, duand le rachat concerne une unité de compte bénéficiant d’une garantie en capital, le distributeur doit avertir de la perte irréversible de cette protection. Cette vigilance se justifie pleinement : la garantie perdue ne peut être reconstituée, et sa disparition peut contrarier fondamentalement les objectifs de sécurisation poursuivis par l’épargnant.
  • Enfin, pour les unités de compte non cotées, le distributeur doit révéler l’existence d’éventuelles pénalités de rachat. Ces indemnités, parfois substantielles, peuvent considérablement réduire le produit de l’opération et doivent être intégrées dans l’évaluation de son opportunité.

==>Pour les changements d’orientation de gestion

Toute modification de la stratégie d’investissement exige une justification circonstanciée qui transcende la simple recommandation commerciale. Le distributeur doit expliquer les raisons qui motivent le conseil de cette nouvelle orientation au regard de la capacité à subir des pertes de l’adhérent et de son profil de risque.

Cette obligation suppose une démarche méthodique en plusieurs étapes. Le distributeur doit d’abord actualiser le profil du client, en vérifiant que ses caractéristiques patrimoniales, ses objectifs et sa tolérance au risque n’ont pas évolué. Il doit ensuite analyser l’adéquation de la nouvelle stratégie avec cette situation actualisée, en démontrant que le changement préconisé améliore effectivement la correspondance entre le contrat et les besoins de l’épargnant.

Cette approche révèle l’ambition du législateur de transformer chaque intervention sur le contrat en occasion de vérification de sa pertinence globale. Le distributeur ne peut plus concevoir les modifications de manière isolée mais doit les inscrire dans une vision patrimoniale cohérente et évolutive.

c. Les exigences organisationnelles

L’effectivité du conseil dans la durée impose aux distributeurs une profonde transformation de leur organisation. Cette mutation dépasse la simple adaptation réglementaire pour questionner l’ensemble des processus commerciaux et des outils de gestion de la relation client.

Le défi principal réside dans la conciliation de deux exigences apparemment contradictoires: fournir un conseil approfondi tout en préservant la fluidité des opérations. La recommandation ACPR 2024-R-03 du 21 novembre 2024 impose au distributeur de « mettre en place des moyens suffisants et proportionnés pour permettre la fourniture d’un conseil dans un délai permettant de ne pas retarder l’opération ou entraîner la réalisation de l’opération dans des conditions moins favorables ».

Cette contrainte s’avère particulièrement critique pour les opérations de marché. Un versement différé ou un arbitrage retardé peut faire perdre à l’épargnant le bénéfice d’une conjoncture favorable ou l’exposer à une évolution défavorable des cours. Le conseil, conçu pour protéger l’épargnant, ne doit pas se retourner contre lui par excès de formalisme.

Face à cette équation complexe, la digitalisation s’impose comme une solution incontournable. L’ACPR préconise le développement d’« outils en ligne qui permettent d’automatiser l’actualisation des informations » et la mise en place de « formulaires permettant de collecter les informations nécessaires ».

Cette transformation technologique suppose la mise en place de questionnaires en ligne adaptatifs, capables de cibler les informations pertinentes selon le type d’opération envisagée. Elle exige également le développement d’algorithmes de scoring permettant d’évaluer rapidement l’adéquation de l’opération avec le profil client actualisé.

L’enjeu dépasse la simple efficacité opérationnelle pour toucher à la qualité même du conseil. Les outils numériques doivent permettre une personnalisation fine des recommandations, en intégrant l’ensemble des paramètres patrimoniaux et familiaux de l’épargnant. Cette ambition suppose des investissements technologiques substantiels et une refonte complète des systèmes d’information.

Toutefois, cette logique d’efficacité connaît une limite absolue que pose l’ACPR : « la formalisation du conseil ne peut jamais conduire au non-respect des exigences contractuelles et réglementaires en matière de délais de règlement et de valorisation ». Cette priorité accordée aux délais traduit un équilibre délicat entre protection renforcée et fluidité opérationnelle.

En pratique, cette contrainte impose aux distributeurs de concevoir des processus de conseil suffisamment agiles pour s’adapter aux urgences opérationnelles. Elle suppose également la mise en place de procédures dégradées permettant de traiter les demandes lorsque le conseil complet ne peut être délivré dans les délais impartis.

Cette évolution dessine les contours d’une nouvelle organisation de la distribution d’assurance vie. Le distributeur traditionnel, organisé autour de la vente ponctuelle, doit se transformer en conseiller patrimonial permanent, capable d’accompagner l’évolution des besoins de ses clients sur la durée.

Cette mutation suppose une révision complète des modèles économiques, des compétences requises et des outils de travail. Elle exige également une adaptation des systèmes de rémunération, pour valoriser l’accompagnement dans la durée autant que l’acte de vente initial.

L’enjeu final demeure la capacité des distributeurs à concilier excellence du service client et efficacité commerciale, dans un environnement réglementaire de plus en plus exigeant et complexe.

3. La responsabilité du distributeur en cas de manquement

La mise en œuvre du conseil dans la durée transforme profondément le régime de responsabilité applicable aux distributeurs de contrats d’assurance vie. Cette évolution s’inscrit dans un mouvement jurisprudentiel désormais bien établi, qui précise tant la nature de l’obligation de conseil que ses modalités d’appréciation.

a. Une obligation de moyens

La jurisprudence constante considère que l’obligation de conseil pesant sur les distributeurs est une obligation de moyens, et non de résultat. Cette qualification protège le professionnel contre les aléas propres aux marchés financiers, tout en lui imposant une réelle rigueur dans l’élaboration de son conseil.

Un jugement du tribunal de grande instance de Strasbourg du 18 janvier 2005 illustre cette position : le juge a précisé que l’obligation de conseil « ne peut aboutir à faire endosser à ces professionnels les conséquences d’une dégradation des valeurs de référence ». Il ne s’agit donc pas de garantir la performance du produit recommandé, mais bien de s’assurer que le conseil donné était adapté, au moment où il a été formulé, à la situation du client.

Cette qualification n’affaiblit cependant en rien l’intensité de l’obligation. La Cour de cassation a, au contraire, renforcé son exigence lorsque le produit recommandé se révèle inadapté au profil de l’épargnant. Ainsi, dans un arrêt du 13 juillet 2006, elle a condamné un assureur pour avoir commercialisé un contrat dont les charges étaient « manifestement disproportionnées par rapport aux revenus du souscripteur ».

Plus récemment, dans un arrêt du 15 septembre 2022, la Cour a affirmé que l’assureur qui omet de recommander une garantie mieux adaptée cause nécessairement un préjudice à son assuré (Cass. 2e civ., 15 sept. 2022, n° 20-22.363).

b. Une obligation dont l’intensité diffère selon le profil du souscripteur

L’intensité du devoir de conseil dépend du niveau de compétence et d’expérience du souscripteur. Ce principe, désormais bien établi en jurisprudence, conduit à adapter le contenu du conseil aux capacités réelles de compréhension du client.

Dans un arrêt du 16 mars 2010 , la Cour de cassation a jugé qu’« un client même profane ne peut ignorer que la valeur des titres mobiliers est tributaire des fluctuations de la bourse» (Cass. com., 16 mars 2010, n° 08-21.713). Cet arrêt instaure une présomption de connaissance élémentaire des mécanismes financiers, du moins pour les produits les plus courants. Il en découle que le distributeur n’est pas tenu d’expliciter les risques les plus manifestes lorsque ceux-ci relèvent du bon sens ou d’un savoir de base largement partagé.

À l’inverse, lorsque le client dispose d’une expérience ou d’une expertise particulière, les juridictions exigent de lui une vigilance accrue. Dans un arrêt du 11 juin 2009, la deuxième chambre civile a jugé qu’un gérant professionnel spécialisé « ne pouvait ignorer le sens de la limite de tonnage prévue dans la police d’assurance » (Cass. 2e civ., 11 juin 2009, n° 08-17.586). Ce raisonnement revient à réduire l’obligation d’information pesant sur l’assureur, dès lors que le client est en mesure de comprendre seul les implications du contrat, compte tenu de sa profession ou de son expérience avérée.

Cette modulation du devoir de conseil trouve une traduction concrète dans les exigences relatives au recueil d’informations imposées au distributeur. La recommandation ACPR 2024-R-03 du 21 novembre 2024 interdit expressément de se fonder exclusivement sur les déclarations subjectives du client concernant ses connaissances en matière financière. Elle impose au contraire une démarche d’évaluation rigoureuse, fondée sur des éléments objectivables et vérifiables.

Le distributeur doit notamment distinguer les connaissances théoriques du client — telles qu’elles peuvent apparaître dans un questionnaire ou être déclarées oralement — de son expérience effective, appréciée à travers la détention passée ou actuelle de produits similaires, la nature des investissements réalisés, ou encore la fréquence et la complexité des opérations antérieures. Cette double analyse vise à ajuster la teneur du conseil au degré réel de compréhension du souscripteur.

En pratique, cela signifie que le distributeur ne peut se contenter d’un simple formulaire d’auto-évaluation. Il lui revient de croiser les déclarations du client avec des éléments objectifs, comme les caractéristiques de son portefeuille, ses précédents arbitrages, ou son historique d’investissement. Cette précaution est destinée à prévenir les erreurs d’appréciation susceptibles de conduire à une recommandation inadaptée : soit parce qu’elle serait trop complexe pour un client mal préparé, soit parce qu’elle sous-exploiterait les capacités d’un client expérimenté.

c. Une responsabilité étendue dans le temps

L’instauration d’un devoir de conseil dans la durée transforme en profondeur le régime de responsabilité applicable aux distributeurs. Ceux-ci ne sont plus uniquement tenus de délivrer un conseil adapté au moment de la souscription ; leur responsabilité peut désormais être engagée en cas de défaut de suivi, d’absence d’actualisation, ou d’inadéquation persistante du contrat avec les besoins évolutifs du client.

Deux obligations codifiées illustrent cette évolution:

  • La première est l’obligation d’actualisation périodique prévue à l’article L. 522-5, III, 2° du Code des assurances. Elle impose au distributeur, tous les quatre ans (ou deux ans en cas de service de recommandation personnalisée), de vérifier que le contrat demeure adapté à la situation du souscripteur. Si cette actualisation est omise, ou réalisée de manière superficielle, le distributeur peut se voir reprocher une carence fautive, notamment en cas de préjudice lié à une inadaptation non détectée ou non signalée.
  • La seconde est l’obligation de conseil déclenchée à l’occasion de toute opération susceptible d’affecter significativement le contrat, en vertu de l’article L. 522-5, III, 3°. À ce titre, le distributeur doit analyser l’impact d’un rachat partiel, d’un versement complémentaire, d’un arbitrage ou de toute autre opération substantielle, et alerter le client sur les éventuelles conséquences de cette modification. Une recommandation absente, imprécise ou inappropriée peut, là encore, constituer une faute génératrice de responsabilité.

Face à cette extension du risque contentieux, le régulateur a précisé les attentes en matière de preuve. La recommandation ACPR 2024-R-03 du 21 novembre 2024 impose aux distributeurs de conserver l’ensemble des éléments relatifs aux informations recueillies, aux conseils fournis et aux décisions prises. Ces données doivent non seulement être archivées de manière sécurisée, mais également rester accessibles pour être produites, en tant que de besoin, devant un juge ou dans le cadre d’un contrôle de l’Autorité.

Cette exigence de traçabilité constitue une garantie essentielle de sécurité juridique pour le distributeur. Elle permet, en cas de litige, de démontrer la réalité du conseil prodigué, son adéquation aux circonstances connues, et l’absence de manquement aux obligations légales et réglementaires.

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  2. J. Bigot, « L’obligation de conseil des intermédiaires », RGDA 2018, p. 445 ?
  3. L. Mayaux, « Les assurances de personnes », Traité, t. IV, n° 435 ?
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  9. J. Bigot, « Les niveaux de conseil : clarification ou complexification ? », RGDA 2018, p. 445 ?
  10. L. Mayaux, « Les assurances de personnes », Traité, t. IV, n° 435 ?
  11. H. Groutel, Traité du contrat d’assurance terrestre, Litec, 2008, n° 298 ?
  12. D. Langé, « La gradation des obligations de conseil », RGDA 2019, p. 156 ?
  13. P. Mayaux, « L’économie du conseil en assurance », Rev. dr. bancaire et fin. 2019, p. 23 ?
  14. H. Groutel, “Le devoir de conseil en assurance”, Risques 1990, n° 2, p. 89 ?
  15. ACPR, Principes du conseil en assurance, juillet 2018 ?
  16. D. Lange, “Le devoir de conseil de l’intermédiaire en assurance après la loi du 15 décembre 2005”, Mélanges Bigot, p. 259. ?
  17. Y. Lequette, “L’obligation de renseignement et le droit commun du contrat”, in L’information en droit privé, LGDJ, 1978, p. 305 ?
  18. Directive 2004/39/CE du 21 avril 2004 concernant les marchés d’instruments financiers. ?
  19. Voir notamment A. Couret, H. Le Nabasque, “Valeurs mobilières”, Dalloz Action, 2020, n° 12.45 ?
  20. M. Cozian, A. Viandier, F. Deboissy, “Droit des sociétés”, Litec, 31e éd., 2018, n° 452 ?
  21. Art. L. 111-1 du Code de la consommation ?
  22. H. Groutel, “L’évolution du devoir de conseil en assurance”, RCA 2019, étude 4 ?
  23. N. Reich, “Protection of Consumers’ Economic Interests by the EC”, Sydney Law Review, 1992, vol. 14, p. 23 ?
  24. Directive (UE) 2016/97 du 20 janvier 2016 sur la distribution d’assurances, considérant 31 ?
  25. Cass. 1re civ., 10 nov. 1964, RGAT 1965, p. 175, note A. Besson ?
  26. J. Lasserre Capdeville, “Le conseil en investissement”, Rev. dr. bancaire et fin. 2018, dossier 15 ?
  27. Directive 2014/65/UE du 15 mai 2014 concernant les marchés d’instruments financiers ?
  28. ACPR, Principes du conseil en assurance, juillet 2018, p. 12 ?
  29. Ph. Storck, “La transformation de l’intermédiation financière”, Rev. économie financière 2017, n° 127, p. 45 ?
  30. H. Groutel, Traité du contrat d’assurance terrestre, Litec, 2008 ?
  31. Malaurie Ph., Aynès L., Stoffel-Munck Ph., Droit des obligations, LGDJ ?
  32. J. Bigot, « Missions non traditionnelles : la responsabilité professionnelle du producteur d’assurances », L’Assureur Conseil, oct. 1987, p. 3 ?
  33. Cass. 1?? civ., 6 nov. 1984, RGAT 1985, p. 313 ?
  34. H. Groutel, « Le devoir de conseil en assurance », Risques 1990, n° 2, p. 89. ?
  35. Cass. 1?? civ., 10 nov. 1964, JCP G 1965, II, 13981, note PP ?
  36. P.-G. Marly, « Le mythe du devoir de conseil », Mél. Daigre, Lextenso, 2017, p. 561 ?
  37. J.-C. Heydel, « L’agent général d’assurance », LGDJ, 2019, n° 156 ?
  38. Cass. 1?? civ., 28 oct. 1986, RGAT 1986, p. 610 ?
  39. L. Mayaux, Les assurances de personnes, Traité, t. IV, n° 835 ?
  40. D. Lange, « Les limites du devoir de conseil », RGDA 2019, p. 456 ?
  41. J. Kullmann, Le contrat d’assurance, Traité, t. 3, n° 1262 ?
  42. L. Mayaux, « Les grands risques et la protection du consommateur », RGDA 2018, p. 234 ?
  43. H. Groutel, « L’exclusion des grands risques », RCA 2019, comm. 156 ?
  44. J. Bigot, D. Langé, J. Moreau et J.-L. Respaud, La distribution d’assurance, éd. LGDJ, 2020, n°1257. ?
  45. P. Maystadt, « Les assurances affinitaires », Argus, 2020, p. 45 ?
  46. J. Bigot, « Les courtiers grossistes », in Traité de droit des assurances, t. 6, n° 234 ?
  47. Cass. com., 18 avr. 2019, n° 18-11108 ?
  48. CA Lyon, 18 févr. 2003, RGDA 2003, p. 371, obs. J. Kullmann ?
  49. Cass. 1re civ., 31 mars 1981, Bull. civ. I, n° 108 ; D. 1982, IR, p. 97, note Berr et Groutel. ?

Contrat d’assurance: la fausse déclaration non intentionnelle

La fausse déclaration non intentionnelle du risque, lorsqu’elle résulte de la simple négligence ou de l’ignorance excusable de l’assuré, ne relève pas du régime sévère de la nullité prévu à l’article L. 113-8 du Code des assurances. C’est un régime autonome, plus clément, que consacre l’article L. 113-9 du même code. Loin d’ignorer les conséquences d’une déclaration inexacte, ce texte organise un dispositif correctif proportionné, articulé autour de deux situations distinctes : selon que l’inexactitude est révélée avant ou après la survenance du sinistre. Dans la première hypothèse, l’assureur dispose d’un droit d’option entre la résiliation du contrat ou sa continuation moyennant une augmentation de la prime. Dans la seconde, il peut obtenir une réduction de l’indemnité due, selon une règle proportionnelle fondée sur l’écart entre la prime perçue et celle qui aurait été exigée si le risque avait été correctement déclaré.

I. Hypothèse d’une découverte antérieure au sinistre : résiliation ou maintien du contrat

Lorsque l’erreur dans les déclarations de l’assuré est révélée avant la réalisation du sinistre, l’assureur dispose, en vertu de l’article L. 113-9, alinéa 2 du Code des assurances, d’un droit d’option dont la mise en œuvre est strictement encadrée. Ce texte prévoit que «?si elle est constatée avant tout sinistre, l’assureur a le droit soit de maintenir le contrat, moyennant une augmentation de prime acceptée par l’assuré, soit de résilier le contrat dix jours après notification adressée à l’assuré par lettre recommandée, en restituant la portion de la prime payée pour le temps où l’assurance ne court plus. »

Ainsi, deux options s’offrent à l’assureur : conclure un avenant modifiant la prime, sous réserve de l’accord de l’assuré, ou bien résilier le contrat de manière unilatérale, dans les formes prévues. Cette résiliation ne peut produire effet qu’à l’expiration d’un délai de dix jours suivant la notification par lettre recommandée. Elle emporte, par ailleurs, l’obligation de restituer à l’assuré la part de prime afférente à la période non couverte. L’assuré, pour sa part, ne bénéficie d’aucun droit symétrique de résiliation sur ce fondement, comme l’a rappelé la Cour de cassation (Cass., ch. réunies, 8 juill. 1953).

Toutefois, une difficulté particulière surgit dans les situations dites intermédiaires, dans lesquelles le sinistre survient après la découverte de l’irrégularité par l’assureur, mais avant que celui-ci n’ait exercé son droit d’option. Ce décalage dans le temps, qui tient à l’inertie ou à la lenteur de réaction de l’assureur, soulève une interrogation : peut-il encore, après réalisation du risque, résilier le contrat ou imposer une surprime avec effet rétroactif ?

La réponse de la jurisprudence est négative. Dans un tel cas, l’assureur est considéré comme ayant perdu le bénéfice des facultés offertes par l’article L. 113-9, alinéa 2. Il ne peut plus ni résilier, ni renégocier rétroactivement les conditions contractuelles. La Cour de cassation assimile en effet cette situation à celle d’une découverte postérieure au sinistre, neutralisant les prérogatives correctrices réservées à la phase antérieure. Seul reste alors ouvert le mécanisme de la réduction proportionnelle de l’indemnité, prévu pour les déclarations inexactes découvertes après sinistre (v. Cass. 2e civ., 2 mars 2017, n°15-27.831).

Cette solution s’explique par une exigence de cohérence procédurale et de protection de l’assuré : dès lors que le risque s’est réalisé, il ne saurait être légitime que l’assureur modifie les termes du contrat de façon rétroactive pour échapper à ses obligations indemnitaires.

II. Hypothèse d’une découverte postérieure au sinistre : réduction proportionnelle de l’indemnité

==>Principe de la réduction proportionnelle du taux de prime

Lorsque l’assureur ne découvre l’erreur ou l’omission affectant la déclaration du risque qu’à l’occasion d’un sinistre, il ne peut ni invoquer la nullité du contrat – faute d’intention dolosive – ni résilier rétroactivement la police. La sanction applicable est alors de nature économique: l’article L. 113-9, alinéa 3 du Code des assurances institue en effet une réduction proportionnelle de l’indemnité, fondée sur le déséquilibre contractuel résultant de la sous-évaluation du risque.

Le texte dispose que « dans le cas où la constatation n’a lieu qu’après un sinistre, l’indemnité est réduite en proportion du taux des primes payées par rapport au taux des primes qui auraient été dues, si les risques avaient été complètement et exactement déclarés. »

Ce mécanisme correcteur, communément désigné sous l’appellation de règle proportionnelle du taux de prime, vise à restaurer l’équilibre économique du contrat en cas de déclaration imparfaite du risque. Son application repose sur une opération arithmétique limpide : l’indemnité versée par l’assureur est ajustée à due concurrence de la cotisation réellement perçue, rapportée à celle qui aurait été légitimement exigée si l’appréciation du risque avait reposé sur des données exactes.

Indemnité versée = Préjudice subi × (Prime payée ÷ Prime exigible)

Il s’agit ici de reconstituer fictivement l’économie du contrat que l’assureur aurait conclu s’il avait été correctement informé. Il ne s’agit donc pas de sanctionner la mauvaise foi de l’assuré – absente en l’espèce – mais d’assurer un réajustement ex post de la contrepartie financière.

L’application de la réduction proportionnelle est indépendante de toute incidence causale entre l’erreur déclarative et la réalisation du dommage : même si l’irrégularité a été sans influence sur le sinistre, la réduction s’applique (Cass. 2e civ., 17 avr. 2008, n° 07-13.053). Cette solution découle de l’économie technique du contrat d’assurance : ce n’est pas l’événement dommageable qui fonde la garantie, mais la sincérité de l’évaluation du risque.

Dès lors, l’assuré ne peut utilement opposer que le risque litigieux aurait été couvert aux mêmes conditions même si la déclaration avait été exacte : le seul critère est celui de la prime qui aurait été exigée en connaissance de cause.

==>Mise en oeuvre de la réduction proportionnelle du taux de prime

Encore faut-il que l’assureur soit en mesure de démontrer le bien-fondé de sa prétention. Il lui incombe d’établir, par des éléments objectifs (grille tarifaire, simulation de tarification, clauses types…), le montant de la prime qu’il aurait appliquée en cas de déclaration conforme (Cass. 2e civ., 12 sept. 2013, n° 12-26.245). À défaut, la réduction proportionnelle ne peut être légalement prononcée (v. Cass. 1re civ., 6 juin 2000, n° 97-19.241).

Les juges du fond conservent ici un pouvoir souverain pour déterminer le taux de prime “normal”, en l’absence d’accord entre les parties. Il ne peut toutefois retenir une réduction forfaitaire en substitution de la règle mathématique prévue par la loi, sous peine de censure (Cass. 1re civ., 16 déc. 1998).

==>Opposabilité de la réduction proportionnelle du taux de prime

Sauf disposition contraire, la réduction proportionnelle de l’indemnité est opposable à toute personne invoquant le contrat d’assurance, y compris les bénéficiaires et les victimes dans les assurances de responsabilité (Cass. 1re civ., 15 févr. 1977, n°75-14.244). Cette solution repose sur le principe selon lequel les droits du tiers s’adossent à ceux de l’assuré, et ne sauraient excéder ce que l’assureur aurait dû s’engager à couvrir.

Des exceptions textuelles existent cependant, en particulier en matière d’assurance automobile obligatoire, où l’article R. 211-13, 3° du Code des assurances interdit expressément l’opposabilité de la réduction proportionnelle à la victime, tout en préservant un recours subrogatoire de l’assureur contre son assuré.

==>Régime procédural de la demande en réduction proportionnelle

La demande en réduction proportionnelle ne peut être soulevée d’office par le juge : elle doit être expressément formulée par l’assureur (Cass. 1re civ., 16 oct. 1990, n°88-20.481). L’office du juge est en effet limité par l’article 4 du Code de procédure civile aux prétentions des parties. En revanche, elle est recevable en cause d’appel sur le fondement de l’article 564, dès lors qu’elle tend seulement à limiter le montant de l’indemnité réclamée (Cass. 2e civ., 9 févr. 2012, n°11-13.245).

Enfin, le régime dérogatoire applicable en Alsace-Moselle en matière de réduction proportionnelle d’indemnité a été censuré par le Conseil constitutionnel, rétablissant ainsi l’unité du droit des assurances sur le territoire national. Jusqu’en 2014, l’article L. 191-4 du Code des assurances prévoyait que, dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, la réduction proportionnelle ne pouvait être appliquée si le risque omis ou dénaturé était sans incidence sur la réalisation du sinistre ou n’en modifiait pas la couverture contractuelle. Ce régime dérogatoire interdisait l’application de toute sanction, même en présence d’une déclaration erronée ayant altéré l’évaluation du risque par l’assureur, dès lors que cette inexactitude était restée sans incidence sur le sinistre ou sur l’étendue de la garantie.

À l’occasion d’un litige opposant un assureur à des héritiers d’un souscripteur décédé, relatif à la déclaration erronée de la superficie d’un bien immobilier, la Cour de cassation a été saisie d’une question prioritaire de constitutionnalité (Cass. 1re civ., 26 juin 2014, n° 13-27.943). Il était demandé si l’article L. 191-4, dans la mesure où il interdisait la réduction proportionnelle dans certains départements sans considération de l’équilibre économique du contrat, ne portait pas atteinte au principe d’égalité devant la loi tel que garanti par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Le Conseil constitutionnel, par décision du 26 septembre 2014, a fait droit à cette analyse (Cons. const. 26 sept. 2014, n°2014-414) Il a jugé que la disposition contestée, issue de la loi du 6 mai 1991, aggravait une différence de traitement injustifiée entre assurés selon leur lieu de résidence. La règle spéciale n’était ni fondée sur une différence de situation pertinente, ni justifiée par un motif d’intérêt général en rapport direct avec l’objet de la loi. Elle a donc été déclarée contraire à la Constitution, au visa du principe d’égalité.

L’abrogation de l’article L. 191-4, prononcée avec effet immédiat pour toutes les affaires non jugées définitivement, a ainsi mis un terme à un régime local dérogatoire en matière de déclaration du risque, en réaffirmant la pleine applicabilité de l’article L. 113-9 du Code des assurances, y compris en Alsace-Moselle. Cette censure marque un retour à l’unité du droit des assurances, fondée sur une conception objective et économique du contrat, indépendante de toute considération géographique ou territoriale.

Contrat d’assurance: la fausse déclaration intentionnelle

La déclaration du risque conditionne l’équilibre du contrat d’assurance, en ce qu’elle détermine l’étendue de l’engagement de l’assureur. Elle permet, en effet, à l’assureur d’apprécier la nature et l’étendue du risque qu’il accepte de garantir, et de fixer en conséquence le montant de la prime. L’assuré, de son côté, est tenu à une obligation de sincérité dans les réponses qu’il apporte au questionnaire proposé par l’assureur. Ce devoir de loyauté est d’autant plus déterminant que l’évaluation du risque repose presque exclusivement sur les informations ainsi recueillies.

Lorsqu’une irrégularité affecte cette déclaration — qu’il s’agisse d’une réponse inexacte, d’une omission ou d’un silence gardé sur une circonstance particulière —, l’équilibre du contrat s’en trouve compromis. L’assureur, privé d’une information essentielle, n’a pu apprécier le risque en pleine connaissance de cause. Le droit positif organise, pour rétablir cette rupture, un régime de sanctions articulé autour de l’état d’esprit de l’assuré au moment de la déclaration.

Deux hypothèses doivent alors être distinguées. Si l’irrégularité procède d’une volonté délibérée de tromper l’assureur, elle constitue une fausse déclaration intentionnelle et emporte la nullité du contrat dans les conditions fixées à l’article L. 113-8 du Code des assurances. En revanche, si l’inexactitude ou l’omission résulte d’une simple négligence, la déclaration est qualifiée de non intentionnelle : le contrat subsiste, mais ses effets sont aménagés conformément à l’article L. 113-9.

Nous nous focaliserons ici sur la fausse déclaration intentionnelle.

1. La fausse déclaration intentionnelle

a. Les éléments constitutifs de la fausse déclaration intentionnelle

i. L’exigence de mauvaise foi de l’assuré

La nullité prévue à l’article L. 113-8 du Code des assurances repose sur la constatation d’une réticence ou d’une fausse déclaration intentionnelle imputable à l’assuré, c’est-à-dire sur la démonstration d’un comportement empreint de mauvaise foi. Cette notion, à la frontière entre l’intention de nuire et le simple fait volontaire, implique une volonté délibérée de fausser l’appréciation du risque par l’assureur lors de la souscription.

L’élément déterminant est ici la volonté de tromper l’assureur, ou tout au moins de l’induire en erreur sur l’existence, la nature ou l’ampleur du risque à garantir, afin d’obtenir l’émission du contrat à des conditions plus favorables, voire l’acceptation pure et simple d’un risque qu’il aurait refusé s’il avait été informé loyalement. Il s’agit ainsi d’un véritable dol technique, visant à vicier le consentement de l’assureur, indépendamment de toute volonté de causer un dommage à ce dernier (Cass. 2e civ., 16 juin 2022, n°20-20.745).

La dissimulation volontaire d’une information connue par l’assuré, et dont il sait le caractère déterminant pour l’assureur, suffit à caractériser la mauvaise foi. Ainsi, la jurisprudence retient la fausse déclaration intentionnelle même en l’absence de volonté de nuire, dès lors que l’assuré a, en conscience, fait prévaloir ses intérêts propres au détriment de la mutualité assurantielle. Tel est le cas d’un assuré qui, pour bénéficier d’une prime plus avantageuse, se déclare seul conducteur alors que son fils – jeune permis – utilise en réalité le véhicule de manière habituelle (Cass. 1re civ., 11 déc. 1990, n° 88-13.044).

La fausse déclaration peut revêtir diverses formes : affirmation mensongère, omission volontaire, altération consciente d’une réponse au questionnaire. Elle ne se réduit pas à une dissimulation formelle : elle peut résulter d’un comportement silencieux, qualifié alors de réticence, dès lors qu’il est motivé par l’intention de soustraire un élément significatif à l’appréciation de l’assureur.

La mauvaise foi suppose ainsi deux éléments cumulatifs :

  • une connaissance par l’assuré de l’exacte réalité du risque, qu’il se garde de révéler ;
  • et une intention de dissimulation visant à influencer la décision de l’assureur, qu’il s’agisse de la souscription, du montant de la prime, ou de l’acceptation du risque.

Le caractère déterminant de l’information tue ou faussée constitue une exigence complémentaire : la déclaration mensongère n’est sanctionnée que si elle a modifié « l’objet du risque ou diminué l’opinion de l’assureur » (C. assur., art. L. 113-8 ; Cass. 2e civ., 12 mai 2011, n° 10-11.832). L’existence d’une telle altération peut résulter de l’importance du risque non déclaré (ex. : séropositivité, activité nocturne dangereuse, inscription au fichier du grand banditisme – Cass. 2e civ., 25 juin 2020, n° 19-14.278).

En revanche, la fausse déclaration ne saurait être retenue si l’assuré a agi de bonne foi, par ignorance, oubli excusable ou en raison d’une interprétation raisonnable d’un questionnaire ambigu ou mal formulé. La jurisprudence reconnaît ainsi que l’intention dolosive peut être exclue en présence d’un état dépressif, d’un niveau d’instruction limité, ou de difficultés de compréhension liées à une barrière linguistique (Cass. 1re civ., 25 févr. 1986, n°84-16.882).

ii. L’appréciation de la mauvaise foi

La nullité du contrat d’assurance fondée sur l’article L. 113-8 du Code des assurances ne peut être prononcée que si la mauvaise foi de l’assuré est rigoureusement caractérisée. Conformément au principe de présomption de bonne foi posé à l’article 2268 du Code civil, il appartient à l’assureur de démontrer que la déclaration inexacte procède d’une intention dolosive de l’assuré, c’est-à-dire de la volonté de tromper l’assureur sur l’étendue ou la nature du risque à garantir. Cette exigence est constante en jurisprudence (v. notamment Cass. 2e civ., 10 déc. 2009, n° 09-10.053).

L’appréciation de cette mauvaise foi relève du pouvoir souverain des juges du fond, qui en apprécient les éléments constitutifs in concreto, à la lumière des circonstances propres à chaque espèce (Cass. 1re civ., 4 oct. 2000, n° 97-20.867). La Cour de cassation se borne à vérifier que les juges ont recherché l’existence de cette volonté frauduleuse et qu’ils ont motivé leur décision en ce sens (v. notamment Cass. 2e civ., 2 févr. 2017, n° 16-14.815).

Plusieurs indices convergents sont susceptibles de révéler l’intention de dissimuler, sans pour autant former des présomptions irréfragables :

  • La gravité objective de l’élément omis, notamment lorsqu’il s’agit d’une pathologie sérieuse, d’antécédents judiciaires lourds, de condamnations pénales, ou d’activités dangereuses, susceptibles d’altérer substantiellement l’opinion du risque (v. Cass. 2e civ., 11 sept. 2014, n° 13-22.429).
  • La proximité temporelle entre l’événement dissimulé et la déclaration, qui permet de déduire que l’assuré n’a pu l’ignorer au moment de remplir le questionnaire (Cass. 1re civ., 7 oct. 1998, n°96-17.315).
  • Le degré d’intelligibilité du questionnaire, qui conditionne la portée des réponses et la possibilité d’apprécier leur fausseté. Lorsque le document remis est précis, détaillé, et dénué d’ambiguïté, toute discordance entre les réponses et la réalité du risque est plus difficilement excusable (Cass. 2e civ., 30 juin 2016, n° 15-22.842). À l’inverse, une ambiguïté de l’assureur ou un défaut de clarté dans la formulation du questionnaire peut écarter la mauvaise foi (Cass. crim., 9 déc. 1992, n° 90-83.149).
  • Le profil de l’assuré, pris en compte par la jurisprudence, qui peut retenir une absence de mauvaise foi lorsque l’assuré présente une faible capacité de compréhension, un faible niveau d’instruction, un état psychique altéré, ou une maîtrise imparfaite de la langue française (v. Cass. 1re civ., 20 oct. 1993, n° 91-17.112). Inversement, la mauvaise foi sera retenue plus aisément chez un professionnel averti ou un souscripteur ayant une compétence particulière dans le domaine concerné (Cass. 2e civ., 29 mars 2012, n° 11-14.305).
  • Le contenu des déclarations : l’accumulation d’inexactitudes, de contradictions ou de silences révélateurs peut conduire les juridictions à retenir l’intention dolosive, notamment lorsque les erreurs ne peuvent raisonnablement être imputées à un oubli bénin. Ainsi en est-il d’un assuré ayant minoré de 20 kg son poids tout en majorant sa taille de 6 cm, tout en dissimulant des antécédents médicaux lourds (CA Colmar, 9 janv. 2017, n° 15/05647).
  • Les déclarations spontanées ou les aveux peuvent également fonder la constatation de la mauvaise foi, y compris lorsqu’aucun questionnaire n’a été formellement rédigé, dès lors que la déclaration erronée procède clairement de l’assuré lui-même (Cass. 2e civ., 4 févr. 2016, n° 15-13.850).

La jurisprudence rappelle enfin que le caractère intentionnel de la fausse déclaration doit être distingué de l’existence d’un lien de causalité avec le sinistre. En vertu de l’article L. 113-8, alinéa 1er, la sanction est encourue « alors même que le risque omis ou dénaturé a été sans influence sur le sinistre » (v. Cass. 2e civ., 23 mai 2013, n° 12-19.952). Cette dissociation entre fausse déclaration et réalisation du risque renforce le rôle central de l’appréciation de la mauvaise foi, laquelle demeure le pivot de la nullité.

Enfin, la jurisprudence constante de la Cour de cassation souligne que la sanction prévue par l’article L. 113-8 du Code des assurances s’applique indépendamment de toute influence de la fausse déclaration sur la réalisation du sinistre. Le texte est explicite : « le contrat d’assurance est nul en cas de réticence ou de fausse déclaration intentionnelle […] alors même que le risque omis ou dénaturé par l’assuré a été sans influence sur le sinistre ».

Il ressort de cette dissociation entre la déclaration dolosive et l’événement assuré un renversement de perspective : il ne s’agit pas de protéger l’assureur uniquement contre des sinistres non désirés, mais plus fondamentalement de préserver l’équilibre initial du contrat, compromis dès la formation par une information volontairement tronquée. Le dol, ainsi caractérisé, vicie le consentement de l’assureur non quant aux effets du contrat, mais quant à l’objet même de son engagement (v. en ce sens, Cass. 2e civ., 23 mai 2013, n° 12-19.952).

En ce sens, la jurisprudence a admis que la nullité puisse être prononcée, même si le sinistre ne présente aucun lien de causalité avec la déclaration erronée. Tel est le cas, par exemple, lorsqu’un assuré dissimule sciemment deux vols antérieurs dans une déclaration d’assurance multirisque commerçant : cette omission justifie la nullité du contrat, bien que le sinistre survenu soit un incendie sans rapport avec les vols (Cass. 1re civ., 22 janv. 2002, n°99-12.044). De même, la non-déclaration d’une hospitalisation pour sciatique entraîne la nullité du contrat, bien que la perte d’emploi litigieuse résulte d’une pathologie distincte (Cass. 2e civ., 8 juill. 2004, n°03-13.114).

La doctrine souligne ainsi que la fausse déclaration intentionnelle rompt l’équilibre actuariel du contrat en faussant l’évaluation du risque par l’assureur. Ce dernier n’a pas pu se former une opinion exacte de l’étendue du risque garanti, ce qui compromet la validité de son engagement.

Cette lecture s’impose avec d’autant plus de rigueur dans les assurances multirisques, où un seul élément mensonger suffit à contaminer l’économie globale du contrat, sauf à apprécier distinctement chaque garantie si les risques sont juridiquement divisibles (v. Cass. 2e civ., 6 juill. 2023, n° 22-11.045).

La sanction repose donc moins sur l’adéquation entre la déclaration mensongère et la réalisation du dommage que sur la gravité de la rupture de confiance qu’elle révèle. La mauvaise foi de l’assuré se trouve ainsi érigée en critère exclusif d’appréciation de la nullité, selon une logique résolument objective : c’est la loyauté dans la formation du contrat – et non la pertinence ex post des informations – qui fonde la sanction.

iii. La preuve de la mauvaise foi

L’article L. 113-8 du Code des assurances, qui prévoit la nullité du contrat pour fausse déclaration intentionnelle de l’assuré, impose à l’assureur l’établissement d’une double preuve : démontrer, d’une part, l’inexactitude ou la réticence dans la déclaration, et, d’autre part, le caractère intentionnel de cette dissimulation. Conformément au principe de droit commun énoncé à l’article 1353 du Code civil, et à la présomption de bonne foi consacrée par l’article 2274, il appartient à celui qui invoque la mauvaise foi – en l’occurrence, l’assureur – d’en rapporter la preuve.

La jurisprudence est constante : la preuve de la fausse déclaration intentionnelle incombe intégralement à l’assureur qui entend se prévaloir de la nullité du contrat (Cass. 1re civ., 21 janv. 1957 ; Cass. crim., 13 nov. 1986). Cette charge de la preuve se révèle souvent délicate, en raison de la subjectivité inhérente à la notion d’intention dolosive. Il ne suffit pas, en effet, de constater l’inexactitude d’une réponse pour en déduire la volonté de tromper. Encore faut-il établir que l’assuré avait pleine conscience de l’importance de l’information omise ou altérée, et qu’il a volontairement cherché à fausser l’appréciation du risque par l’assureur.

Compte tenu de ce que la mauvaise foi est un fait juridique, elle peut être établie par tous moyens, dès lors que les droits de la défense sont respectés (Cass. 1re civ., 26 avr. 2000, n°97-22.560 ). Parmi les principaux éléments probatoires admis, on compte :

  • Le questionnaire écrit et signé : Il constitue l’instrument probatoire privilégié. Lorsque l’assuré a répondu par écrit à un formulaire clair, précis et intelligible, une réponse erronée, surtout à une question déterminante, pourra suffire à fonder la présomption de mauvaise foi (Cass. 2e civ., 14 avr. 2016, n° 15-18.226). La jurisprudence exige néanmoins que ce document ait bien été communiqué au souscripteur, en vertu du principe du contradictoire (Cass. 2e civ., 12 mai 2011, n° 10-19.649).
  • Les déclarations spontanées de l’assuré : En l’absence de questionnaire formalisé, la jurisprudence admet que des réponses volontairement inexactes, apportées spontanément par l’assuré, puissent suffire à établir la mauvaise foi, notamment lorsqu’elles sont consignées dans les conditions particulières signées (Cass. 2e civ., 4 févr. 2016, n° 15-13.850).
  • Les pièces médicales et administratives : En matière d’assurance de personnes, les certificats médicaux, les dossiers hospitaliers ou les antécédents judiciaires peuvent révéler que l’assuré avait nécessairement connaissance du fait omis ou dissimulé. Ces pièces doivent cependant être obtenues dans le respect du secret médical et du contradictoire. Ainsi, la désignation d’un expert judiciaire peut être sollicitée pour accéder, de manière indirecte, aux données médicales pertinentes (Cass. 1re civ., 7 déc. 2004, n° 02-12.539).
  • Les indices extérieurs et concordants : La jurisprudence admet que des indices circonstanciels puissent établir la volonté de dissimulation : correspondances privées mentionnant la vétusté d’un immeuble (Cass. 1re civ., 18 déc. 1990, n° 89-19.097), dissimulation d’un conducteur habituel non titulaire du permis (Cass. 1re civ., 17 mars 1993, n°91-14.605), ou encore déclarations incompatibles avec les fonctions exercées (Cass. 2e civ., 25 févr. 2010, n°09-13.225). De manière exceptionnelle, le recours à un enquêteur privé a pu être jugé admissible, sous réserve du respect de la vie privée et de la proportionnalité des investigations (Cass. 1re civ., 31 oct. 2012, n°11-17.476).
  • L’aveu ou la reconnaissance postérieure : L’aveu de l’assuré, même implicite, est un élément probatoire de poids. S’il reconnaît avoir volontairement minoré un élément déterminant, comme le poids réel dans une déclaration santé ou la présence de sinistres antérieurs (Cass. 2e civ., 14 juin 2012, n° 11-11.344), la preuve de sa mauvaise foi sera réputée établie.

Enfin, la jurisprudence rappelle avec constance que la seule inexactitude dans la déclaration ne suffit pas à emporter la nullité. En l’absence d’un faisceau d’éléments convergents établissant l’intention de tromper l’assureur sur l’appréciation du risque, la mauvaise foi ne peut être présumée (Cass. 2e civ., 10 déc. 2009, n° 09-10053). Cette rigueur protectrice vise à éviter que l’assureur ne transforme un simple oubli ou une négligence en dol contractuel.

Il en résulte que la preuve doit être à la fois objective (portant sur la fausseté manifeste de la déclaration) et subjective (portant sur la conscience qu’avait l’assuré de l’importance de l’élément dissimulé). L’un sans l’autre ne saurait suffire à faire prospérer l’action en nullité.

b. Les conséquences de la fausse déclaration intentionnelle

L’article L. 113-8 du Code des assurances consacre un régime autonome de nullité, dont les fondements et les effets s’écartent sensiblement de ceux qui gouvernent le droit commun des obligations contractuelles. Ce mécanisme spécifique vise à réprimer la réticence ou la fausse déclaration intentionnelle de l’assuré, dès lors que celle-ci a altéré l’appréciation que l’assureur pouvait raisonnablement se faire du risque à garantir. Il importe de souligner que cette nullité est encourue même en l’absence de tout lien de causalité entre l’élément dissimulé et la réalisation du sinistre.

Cette rigueur se justifie par l’économie particulière du contrat d’assurance, dont l’équilibre repose de manière décisive sur la transparence et la loyauté de l’information fournie par le souscripteur. En effet, le risque, objet même du contrat, n’existe aux yeux de l’assureur qu’à travers les déclarations de son cocontractant. Dès lors, toute dissimulation volontaire est de nature à vicier le fondement du consentement donné par l’assureur et à compromettre la sincérité de l’engagement qu’il a souscrit.

i. Le principe de la nullité

Le régime de nullité instauré par l’article L. 113-8 du Code des assurances présente une physionomie singulière, à la fois par son champ d’application et par sa finalité. Il trouve à s’appliquer dès lors qu’une omission ou une fausse déclaration intentionnelle, imputable à l’assuré, a eu pour effet de modifier l’objet du risque ou d’en altérer l’appréciation que l’assureur était en droit de s’en faire lors de la souscription. L’influence s’apprécie ex ante, c’est-à-dire au regard des critères qui président à la décision d’assurer — qu’il s’agisse de l’acceptation du risque, de la fixation de la prime, ou encore de l’étendue de la garantie — et ce, abstraction faite de toute considération sur la survenance effective d’un sinistre en lien avec le fait dissimulé (C. assur., art. L. 113-8, al. 1er ; v. aussi Cass. 2e civ., 23 mai 2013, n°12-19.952).

Ce régime s’applique aussi bien lors de la formation du contrat qu’au cours de son exécution, notamment à l’occasion d’une aggravation du risque que l’assuré omet volontairement de porter à la connaissance de l’assureur. Si l’article L. 113-4 du Code des assurances encadre les effets de cette omission lorsqu’elle procède de la seule négligence ou de la bonne foi, c’est à l’article L. 113-8 qu’il revient de sanctionner l’intention frauduleuse, dans une continuité jurisprudentielle affirmée dès l’arrêt fondateur du 29 septembre 1941 (Cass. civ., 29 sept. 1941 : DC 1943, p. 10, note Besson) et maintenue jusqu’à des décisions récentes (Cass. crim., 2 déc. 2014, n° 14-80.933).

L’originalité de cette nullité tient à son détachement des règles générales du droit commun. En prévoyant que la nullité peut être prononcée « indépendamment des causes ordinaires de nullité », l’article L. 113-8 du Code des assurances exclut l’exigence de démontrer un vice du consentement au sens des articles 1130 et suivants du Code civil. Il ne s’agit ni d’une erreur ni d’un dol au sens traditionnel, mais d’un mécanisme propre au droit des assurances, spécifiquement élaboré pour garantir à l’assureur une information loyale et complète sur les éléments essentiels du risque, condition sine qua non de la formation équilibrée du contrat.

Ce régime dérogatoire relève de l’ordre public de protection: il est institué au seul profit de l’assureur, qui demeure l’unique titulaire de l’action en nullité. L’assuré ne saurait s’en prévaloir, ni opposer à l’assureur une quelconque renonciation anticipée à invoquer cette nullité. Ce monopole de l’action en nullité s’explique par la finalité du texte, qui vise moins à rétablir l’équilibre contractuel qu’à sanctionner un comportement objectivement blâmable : la volonté délibérée de tromper le cocontractant sur les éléments fondamentaux de son engagement.

S’agissant enfin de l’objet même de la déclaration, il n’est pas nécessaire que l’omission ait porté sur un fait expressément visé par une question précise de l’assureur, dès lors que la formulation de celle-ci, même générale, permettait raisonnablement d’inclure le renseignement dissimulé. En ce sens, la Cour de cassation a jugé que l’assuré ne peut se prévaloir du caractère général de la question pour se soustraire à son devoir de sincérité (Cass. 1re civ., 22 mai 2002, n° 00-12.419). En revanche, la jurisprudence exclut toute obligation de révélation spontanée sur des points non couverts par le questionnaire, sous peine de réintroduire, en violation de la réforme de 1989, une logique de déclaration spontanée incompatible avec le modèle du questionnaire fermé (v. Cass. 2e civ., 3 juin 2010, n° 09-14.876 ; sur les textes, L. 113-2, 3°, et L. 112-3, al. 4, C. assur.).

Ainsi conçu, le mécanisme de nullité instauré par l’article L. 113-8 répond à une logique avant tout prophylactique. Il vise à dissuader les comportements déloyaux en érigeant la véracité des déclarations en condition substantielle de validité du contrat d’assurance. Le régime privilégie donc une logique de sanction fondée sur la loyauté contractuelle, plutôt qu’une réparation fondée sur le seul déséquilibre économique de la prestation.

ii. Les effets de la nullité

==>À l’égard des parties

La nullité du contrat prononcée sur le fondement de l’article L. 113-8 du Code des assurances entraîne la disparition rétroactive du lien contractuel. Le contrat est réputé n’avoir jamais existé à compter de la date à laquelle la fausse déclaration intentionnelle a été commise. Cette date correspond, selon les cas, soit à celle de la formation du contrat, soit à celle de l’événement postérieur ayant constitué une aggravation dolosive du risque (Cass. crim., 2 déc. 2014, n°14-80.933).

Cette rétroactivité produit des conséquences particulièrement sévères : l’assureur retrouve le droit de réclamer le remboursement de toutes les sommes versées à compter de la fausse déclaration. Ces versements sont considérés comme dépourvus de cause juridique, puisque la garantie n’aurait jamais dû être accordée (Cass. 2e civ., 16 juin 2022, n° 20-20.745).

Cependant, la restitution ne peut être exigée que de la personne ayant effectivement perçu les fonds. Ainsi, lorsqu’une société est bénéficiaire des prestations versées, son dirigeant ne peut être tenu personnellement à restitution, sauf à démontrer sa participation effective à la manœuvre dolosive.

À la différence du régime général de la nullité des contrats, l’article L. 113-8, alinéa 2, interdit à l’assuré de revendiquer la restitution des primes versées, même si l’assureur n’a en réalité jamais assumé le moindre risque. Les primes demeurent acquises à l’assureur et celles qui n’ont pas encore été payées sont dues à titre de dommages et intérêts.

La règle est sévère. Elle traduit une volonté du législateur de ne pas traiter la nullité comme une simple correction d’un déséquilibre contractuel, mais comme une véritable sanction, destinée à punir l’assuré de mauvaise foi. Cette règle est perçue en doctrine comme l’expression d’une “peine privée”.

Par exception, en matière d’assurance sur la vie, la sanction est atténuée. L’article L. 113-8, alinéa 3, combiné à l’article L. 132-18 du Code des assurances, impose à l’assureur de restituer la provision mathématique constituée au jour de la nullité, même en cas de fausse déclaration intentionnelle. Cette règle s’explique par la nature particulière du contrat d’assurance vie, qui repose avant tout sur une logique d’épargne : l’assureur capitalise des fonds pour le compte de l’assuré. Lui refuser toute restitution reviendrait à permettre un enrichissement injustifié du professionnel.

Par ailleurs, lorsqu’un contrat couvre plusieurs risques, la jurisprudence opère une appréciation in concreto de la portée de la fausse déclaration. Si cette dernière ne concerne qu’un seul risque, la nullité pourra être partielle (Cass. 2e civ., 2 avr. 2009, n° 08-12.942). En revanche, si les garanties sont indivisibles, notamment du fait d’une prime globale assise sur un critère unique, la nullité affectera l’intégralité du contrat (Cass. 1re civ., 22 janv. 2002, n°99-12.044). Ce principe d’indivisibilité joue ici à plein, fondée sur une approche fonctionnelle du contrat.

Enfin, la nullité fondée sur l’article L. 113-8 peut être invoquée à tout moment par l’assureur, y compris après l’expiration du délai de prescription biennale prévu à l’article L. 114-1 du Code des assurances. En effet, lorsqu’elle est soulevée par voie d’exception pour faire obstacle à une demande de garantie ou de règlement, la nullité échappe aux règles de prescription applicables aux actions en justice (Cass. 2e civ., 12 mars 2009, n°08-11.444). Cette faculté renforce la portée dissuasive du dispositif.

==>À l’égard des tiers

Conformément à l’article L. 112-6 du Code des assurances, la nullité est opposable à tout tiers au contrat qui en revendique les effets. Cela inclut notamment les bénéficiaires désignés, les assurés pour compte et les victimes agissant par la voie de l’action directe.

Ainsi, la jurisprudence constante considère que la victime ne peut invoquer l’inopposabilité de la nullité prononcée sur le fondement de l’article L. 113-8, même si celle-ci est révélée à l’occasion du sinistre (Cass. crim., 12 juin 2012, n° 11-87.395). Cette rigueur a cependant été tempérée en matière d’assurance automobile.

Sous l’effet de la directive européenne n° 2009/103/CE et de son interprétation par la CJUE (CJUE, 20 juill. 2017, aff. C-287/16), le législateur français a inséré un article L. 211-7-1 dans le Code des assurances, interdisant à l’assureur d’opposer la nullité du contrat à la victime d’un accident de la circulation ou à ses ayants droit. Cette nullité reste toutefois opposable à l’assuré, même s’il est également victime de l’accident, sauf dans les hypothèses d’abus de droit (CJUE, 19 sept. 2024, aff. C-236/23, Matmut).

Enfin, l’assureur conserve la possibilité d’exercer un recours subrogatoire contre l’assuré responsable après indemnisation de la victime, afin de récupérer les sommes versées, dès lors que ce dernier a contribué par sa fraude à la production du sinistre (Cass. 2e civ., 8 févr. 2006, n° 05-16.031).

iii. Les tempérament aux effets de la nullité

Si la nullité fondée sur l’article L. 113-8 du Code des assurances frappe l’assuré de mauvaise foi avec une sévérité toute particulière, elle n’en constitue pas pour autant un pouvoir discrétionnaire et sans limite entre les mains de l’assureur. Divers mécanismes, d’origine légale, jurisprudentielle ou contractuelle, concourent à en atténuer, voire à en neutraliser les effets. Ces tempéraments, inspirés tant de l’équité que de la protection de l’ordre public économique, assurent un équilibre entre la nécessaire répression de la fraude et les exigences de sécurité juridique.

==>La renonciation, expresse ou tacite, de l’assureur

L’assureur qui, en pleine connaissance de la fausse déclaration, poursuit l’exécution du contrat sans réserve, peut être présumé avoir renoncé à se prévaloir de la nullité. Cette renonciation peut être explicite, par exemple par une déclaration formelle d’intention, ou tacite, lorsqu’elle résulte d’un comportement non équivoque tel que le versement d’une indemnité ou la perception de primes postérieurement à la découverte de l’irrégularité (Cass. 1re civ., 12 juin 2012, n° 11-12.443). À l’inverse, un simple acte d’exécution du contrat, accompli sans pleine conscience du manquement, ne saurait emporter renonciation implicite.

Deux présomptions légales encadrent ce mécanisme : l’article L. 113-4 du Code des assurances en matière d’aggravation du risque, et l’article L. 113-17 en matière de direction du procès. Dans les deux cas, la renonciation se déduit de la continuité d’un comportement actif et volontaire. Toutefois, la jurisprudence demeure exigeante : la preuve d’une volonté dépourvue d’ambiguïté reste nécessaire.

==>La complicité ou la connaissance du mandataire de l’assureur

Un autre frein à l’action en nullité réside dans l’attitude des représentants de l’assureur. Lorsqu’il est établi que le mandataire – courtier, agent général ou préposé – avait connaissance de la fausse déclaration, ou y a contribué, l’assureur se voit privé de la faculté d’invoquer la nullité, en vertu de l’article L. 511-1 du Code des assurances, qui rend l’entreprise d’assurance civilement responsable des actes de ses mandataires (Cass. 1re civ., 4 avr. 1995, n° 92-20.112).

Cette jurisprudence s’inscrit dans une logique de loyauté : l’assureur ne saurait se prévaloir d’une irrégularité qu’il a contribué à faire naître, directement ou par l’entremise de son représentant. La charge de la preuve pèse ici sur l’assuré, qui devra établir, avec un degré suffisant de certitude, la connaissance ou la participation du mandataire à l’anomalie déclarative.

==>Dispositions dérogatoires

Le régime de nullité prévu par l’article L. 113-8 cède également devant des dispositifs spéciaux ou conventionnels, tels que l’article L. 113-10 du Code des assurances relatif aux assurances à primes et risques variables. Ce dernier texte instaure une sanction alternative – le versement d’une indemnité plafonnée – qui, lorsqu’il a été contractuellement stipulé, évince le recours à la nullité (Cass. 1re civ., 31 mars 1998, n° 96-12.526). Il en va de même lorsque le contrat prévoit un régime spécifique de sanction en cas de déclaration erronée, à condition que ce régime ait été clairement exprimé.

De manière générale, l’assureur ne peut cumuler les sanctions issues du droit spécial et celles issues du droit commun ou du droit spécial d’ordre public : la nullité ne peut être actionnée que si elle n’est pas exclue par une disposition spéciale ou par l’application d’un texte dérogatoire.

==>Les clauses d’incontestabilité

Dans certaines branches, notamment en matière d’assurance de personnes ou de contrats collectifs, il est d’usage de stipuler une clause dite d’incontestabilité, aux termes de laquelle l’assureur renonce, après un certain délai, à invoquer la nullité pour fausse déclaration.

Si ces clauses sont valables en principe, elles ne peuvent avoir pour effet de couvrir une manœuvre frauduleuse manifeste. Ainsi, la jurisprudence considère qu’elles ne sauraient faire obstacle à l’application de l’article L. 113-8 dans les cas de réticence ou de déclaration mensongère caractérisée (Cass. 1re civ., 20 juin 2000, n° 98-10.655). La clause d’incontestabilité doit donc être interprétée avec rigueur, et ne saurait priver l’assureur de la faculté d’agir contre l’assuré de mauvaise foi.

==>Les correctifs tenant à l’ordre public de protection

Enfin, certaines hypothèses spécifiques appellent une modulation des effets de la nullité, au nom de l’ordre public de protection, en particulier lorsque sont en cause des victimes d’accidents de la circulation. En vertu des articles L. 211-1 et L. 211-7-1 du Code des assurances, introduits à la suite de la jurisprudence Fidelidade (CJUE, 20 juill. 2017, aff. C-287/16), la nullité n’est pas opposable aux tiers victimes d’un accident impliquant un véhicule terrestre à moteur, même si elle repose sur une fausse déclaration intentionnelle du souscripteur (Cass. 2e civ., 16 janv. 2020, n° 18-23.381).

Contrat d’assurance: les déclarations tardives

L’obligation d’information qui pèse sur l’assuré pendant l’exécution du contrat implique, en cas de survenance de circonstances nouvelles susceptibles d’aggraver sensiblement le risque garanti ou d’en créer de nouveaux, une déclaration dans un délai de quinze jours à compter du moment où il en a connaissance (C. assur., art. L. 113-2, 3°). Le manquement à cette obligation, lorsqu’il ne relève ni de la mauvaise foi ni d’une volonté frauduleuse, ne tombe pas sous le coup des articles L. 113-8 ou L. 113-9 du Code des assurances. Il relève d’un régime autonome, institué par la loi du 31 décembre 1989, et organisé par l’article L. 113-2, alinéa 9.

1. Principe

Le retard dans la déclaration par l’assuré d’une circonstance nouvelle aggravant le risque assuré est encadré par un régime juridique spécifique, introduit par la loi du 31 décembre 1989. Il est régi par l’article L. 113-2, alinéa 9 du Code des assurances, qui énonce que «?lorsqu’elle est prévue par une clause du contrat, la déchéance pour déclaration tardive ne peut être opposée à l’assuré que si l’assureur établit que le retard dans la déclaration lui a causé un préjudice.?»

Ce dispositif, qui rompt avec la logique antérieure de sanction automatique, repose sur trois conditions strictement cumulatives.

a. La stipulation d’une clause contractuelle

En premier lieu, la déchéance ne peut produire d’effet que si elle est expressément stipulée dans le contrat d’assurance. Cette exigence est constante en jurisprudence : une clause générale ou implicite ne suffit pas. La Cour de cassation a ainsi jugé inopposable à l’assuré une sanction de déchéance qui n’était pas spécifiquement prévue à ce titre dans la police (Cass. 1re civ., 24 févr. 1965).

À cette exigence de fond s’ajoute une exigence de forme, issue de l’article L. 112-4, alinéa 2 du Code des assurances : la clause doit être rédigée en caractères très apparents afin que l’assuré en ait eu une connaissance effective. Cette prescription vise à garantir l’efficacité de l’information précontractuelle. La jurisprudence en a fait une condition d’opposabilité : la clause ne peut produire d’effet que si sa présentation matérielle attire suffisamment l’attention de l’assuré (Cass. 1re civ., 9 mai 1994, n° 92-12.990).

b. La démonstration d’un préjudice imputable au retard

En second lieu, l’assureur ne peut invoquer la déchéance qu’à la condition de prouver que le retard dans la déclaration lui a causé un préjudice. Cette exigence, introduite par la loi du 31 décembre 1989, marque une rupture avec le régime antérieur, qui admettait la déchéance sans exigence de justification.

Le préjudice peut résider, par exemple, dans l’impossibilité de réévaluer le montant de la prime à due concurrence du risque nouvellement aggravé, dans une perte de chance de résilier le contrat à temps, ou encore dans l’exposition à un risque qu’il n’aurait pas accepté de garantir. Il appartient à l’assureur d’en apporter la preuve concrète, et non de se contenter d’alléguer abstraitement une atteinte à l’équilibre du contrat (Cass. 1re civ., 7 janv. 1997, n° 94-21.869). Cette appréciation relève du pouvoir souverain des juges du fond, qui peuvent refuser la déchéance en l’absence de démonstration suffisante du lien entre le retard et le préjudice invoqué.

c. L’absence de cause légitime justifiant le retard

La troisième condition requise pour que la déchéance soit valablement opposée à l’assuré tient à l’absence de toute cause légitime faisant obstacle à la déclaration dans le délai requis. En effet, l’article L. 113-2, alinéa 9 prévoit expressément que « […] elle [la déchéance] ne peut également être opposée dans tous les cas où le retard est dû à un cas fortuit ou de force majeure. »

Ce correctif vise à exclure toute sanction lorsque l’assuré s’est trouvé, de manière objectivement insurmontable, dans l’impossibilité de déclarer l’aggravation du risque dans le délai de quinze jours prévu à l’article L. 113-2, 2°.

Si la jurisprudence ne s’est pas encore prononcée explicitement sur les contours de cette exception, il convient de l’apprécier à la lumière des critères généraux issus du droit commun : le cas fortuit ou la force majeure se caractérisent par un événement imprévisible, irrésistible et extérieur à la volonté du débiteur, ici l’assuré. La preuve de cette impossibilité objective pèse sur ce dernier.

Ainsi, l’assureur ne saurait se prévaloir de la clause de déchéance si l’assuré démontre que le manquement allégué procède d’une situation sur laquelle il n’avait aucune prise, telle qu’une hospitalisation d’urgence, une incapacité cognitive temporaire, ou encore une impossibilité de communication matériellement vérifiable.

2. Limites

Le régime juridique instauré à l’article L. 113-2, alinéa 9 du Code des assurances soulève de sérieuses interrogations quant à la nature exacte de la sanction encourue par l’assuré en cas de déclaration tardive d’une aggravation du risque. Si le législateur qualifie expressément cette sanction de « déchéance », cette terminologie apparaît, à l’analyse, inadaptée.

Traditionnellement, la déchéance de garantie vise à sanctionner le non-respect, par l’assuré, de ses obligations postérieures à la réalisation du sinistre – telles que le manquement aux délais de déclaration du sinistre ou l’inobservation de mesures de sauvegarde (v. notamment : Cass. 1re civ., 15 juin 1931). Or, en matière de déclaration des circonstances aggravantes, le manquement reproché est antérieur au sinistre, puisque le retard concerne une obligation de mise à jour du risque en cours de contrat. Il s’agit donc d’un manquement pré-sinistre, ce qui rend impropre la qualification traditionnelle de « déchéance ».

Plusieurs auteurs ont relevé que le régime institué à l’article L. 113-2, alinéa 9, repose sur une logique indemnitaire, dans la mesure où l’assureur ne peut opposer la déchéance que s’il établit l’existence d’un préjudice subi du fait du retard. Cette condition essentielle – posée par le texte – rapproche davantage cette sanction du régime de la responsabilité contractuelle que de celui d’une déchéance stricto sensu (v. not. Cass. 1re civ., 7 janv. 1997, n° 94-21.869). De fait, l’obligation d’identifier et de démontrer un dommage – qu’il soit économique (non-révision de la prime), actuariel (exposition à un risque non tarifé), ou encore informationnel – en fait un outil correctif plus qu’un mécanisme répressif.

Surtout, la conséquence juridique de ce manquement – à savoir la perte totale du droit à garantie – interroge au regard du principe de proportionnalité qui irrigue par ailleurs le droit des assurances. En cas d’inexactitude – non intentionnelle – des déclarations contestées le Code prévoit une simple réduction proportionnelle de l’indemnité (art. L. 113-9 C. assur.), ce qui ménage la position de l’assuré de bonne foi. À l’inverse, la déchéance pour déclaration tardive s’applique indifféremment, sans égard à la bonne ou à la mauvaise foi de l’assuré, frappant avec la même sévérité le simple retard non intentionnel et l’omission délibérée. Une telle rigueur contraste singulièrement avec les principes de modulation des sanctions qui prévalent ailleurs en droit des assurances.

On pourrait objecter qu’un recours à une clause d’exclusion de garantie, plus cohérent conceptuellement pour sanctionner un défaut de déclaration affectant le champ du risque couvert, serait juridiquement préférable. Cependant, cette solution serait moins protectrice des tiers lésés : en matière de responsabilité, la clause d’exclusion produit des effets erga omnes et peut donc être opposée aux victimes (sous réserve des exceptions légales, v. C. assur., art. L. 124-3), contrairement à la déchéance conventionnelle, qui est inopposable aux tiers (Cass. 1re civ., 15 juin 1931, préc.). C’est sans doute pour cette raison que le législateur a maintenu ce mécanisme hybride – malgré ses faiblesses conceptuelles – dans une perspective de conciliation entre les intérêts de l’assureur et la nécessaire protection des tiers en matière d’assurance de responsabilité.

Contrat d’assurance: les déclarations inexactes

La déclaration du risque conditionne l’équilibre du contrat d’assurance, en ce qu’elle détermine l’étendue de l’engagement de l’assureur. Elle permet, en effet, à l’assureur d’apprécier la nature et l’étendue du risque qu’il accepte de garantir, et de fixer en conséquence le montant de la prime. L’assuré, de son côté, est tenu à une obligation de sincérité dans les réponses qu’il apporte au questionnaire proposé par l’assureur. Ce devoir de loyauté est d’autant plus déterminant que l’évaluation du risque repose presque exclusivement sur les informations ainsi recueillies.

Lorsqu’une irrégularité affecte cette déclaration — qu’il s’agisse d’une réponse inexacte, d’une omission ou d’un silence gardé sur une circonstance particulière —, l’équilibre du contrat s’en trouve compromis. L’assureur, privé d’une information essentielle, n’a pu apprécier le risque en pleine connaissance de cause. Le droit positif organise, pour rétablir cette rupture, un régime de sanctions articulé autour de l’état d’esprit de l’assuré au moment de la déclaration.

Deux hypothèses doivent alors être distinguées. Si l’irrégularité procède d’une volonté délibérée de tromper l’assureur, elle constitue une fausse déclaration intentionnelle et emporte la nullité du contrat dans les conditions fixées à l’article L. 113-8 du Code des assurances. En revanche, si l’inexactitude ou l’omission résulte d’une simple négligence, la déclaration est qualifiée de non intentionnelle : le contrat subsiste, mais ses effets sont aménagés conformément à l’article L. 113-9.

1. La fausse déclaration intentionnelle

a. Les éléments constitutifs de la fausse déclaration intentionnelle

i. L’exigence de mauvaise foi de l’assuré

La nullité prévue à l’article L. 113-8 du Code des assurances repose sur la constatation d’une réticence ou d’une fausse déclaration intentionnelle imputable à l’assuré, c’est-à-dire sur la démonstration d’un comportement empreint de mauvaise foi. Cette notion, à la frontière entre l’intention de nuire et le simple fait volontaire, implique une volonté délibérée de fausser l’appréciation du risque par l’assureur lors de la souscription.

L’élément déterminant est ici la volonté de tromper l’assureur, ou tout au moins de l’induire en erreur sur l’existence, la nature ou l’ampleur du risque à garantir, afin d’obtenir l’émission du contrat à des conditions plus favorables, voire l’acceptation pure et simple d’un risque qu’il aurait refusé s’il avait été informé loyalement. Il s’agit ainsi d’un véritable dol technique, visant à vicier le consentement de l’assureur, indépendamment de toute volonté de causer un dommage à ce dernier (Cass. 2e civ., 16 juin 2022, n°20-20.745).

La dissimulation volontaire d’une information connue par l’assuré, et dont il sait le caractère déterminant pour l’assureur, suffit à caractériser la mauvaise foi. Ainsi, la jurisprudence retient la fausse déclaration intentionnelle même en l’absence de volonté de nuire, dès lors que l’assuré a, en conscience, fait prévaloir ses intérêts propres au détriment de la mutualité assurantielle. Tel est le cas d’un assuré qui, pour bénéficier d’une prime plus avantageuse, se déclare seul conducteur alors que son fils – jeune permis – utilise en réalité le véhicule de manière habituelle (Cass. 1re civ., 11 déc. 1990, n° 88-13.044).

La fausse déclaration peut revêtir diverses formes : affirmation mensongère, omission volontaire, altération consciente d’une réponse au questionnaire. Elle ne se réduit pas à une dissimulation formelle : elle peut résulter d’un comportement silencieux, qualifié alors de réticence, dès lors qu’il est motivé par l’intention de soustraire un élément significatif à l’appréciation de l’assureur.

La mauvaise foi suppose ainsi deux éléments cumulatifs :

  • une connaissance par l’assuré de l’exacte réalité du risque, qu’il se garde de révéler ;
  • et une intention de dissimulation visant à influencer la décision de l’assureur, qu’il s’agisse de la souscription, du montant de la prime, ou de l’acceptation du risque.

Le caractère déterminant de l’information tue ou faussée constitue une exigence complémentaire : la déclaration mensongère n’est sanctionnée que si elle a modifié « l’objet du risque ou diminué l’opinion de l’assureur » (C. assur., art. L. 113-8 ; Cass. 2e civ., 12 mai 2011, n° 10-11.832). L’existence d’une telle altération peut résulter de l’importance du risque non déclaré (ex. : séropositivité, activité nocturne dangereuse, inscription au fichier du grand banditisme – Cass. 2e civ., 25 juin 2020, n° 19-14.278).

En revanche, la fausse déclaration ne saurait être retenue si l’assuré a agi de bonne foi, par ignorance, oubli excusable ou en raison d’une interprétation raisonnable d’un questionnaire ambigu ou mal formulé. La jurisprudence reconnaît ainsi que l’intention dolosive peut être exclue en présence d’un état dépressif, d’un niveau d’instruction limité, ou de difficultés de compréhension liées à une barrière linguistique (Cass. 1re civ., 25 févr. 1986, n°84-16.882).

ii. L’appréciation de la mauvaise foi

La nullité du contrat d’assurance fondée sur l’article L. 113-8 du Code des assurances ne peut être prononcée que si la mauvaise foi de l’assuré est rigoureusement caractérisée. Conformément au principe de présomption de bonne foi posé à l’article 2268 du Code civil, il appartient à l’assureur de démontrer que la déclaration inexacte procède d’une intention dolosive de l’assuré, c’est-à-dire de la volonté de tromper l’assureur sur l’étendue ou la nature du risque à garantir. Cette exigence est constante en jurisprudence (v. notamment Cass. 2e civ., 10 déc. 2009, n° 09-10.053).

L’appréciation de cette mauvaise foi relève du pouvoir souverain des juges du fond, qui en apprécient les éléments constitutifs in concreto, à la lumière des circonstances propres à chaque espèce (Cass. 1re civ., 4 oct. 2000, n° 97-20.867). La Cour de cassation se borne à vérifier que les juges ont recherché l’existence de cette volonté frauduleuse et qu’ils ont motivé leur décision en ce sens (v. notamment Cass. 2e civ., 2 févr. 2017, n° 16-14.815).

Plusieurs indices convergents sont susceptibles de révéler l’intention de dissimuler, sans pour autant former des présomptions irréfragables :

  • La gravité objective de l’élément omis, notamment lorsqu’il s’agit d’une pathologie sérieuse, d’antécédents judiciaires lourds, de condamnations pénales, ou d’activités dangereuses, susceptibles d’altérer substantiellement l’opinion du risque (v. Cass. 2e civ., 11 sept. 2014, n° 13-22.429).
  • La proximité temporelle entre l’événement dissimulé et la déclaration, qui permet de déduire que l’assuré n’a pu l’ignorer au moment de remplir le questionnaire (Cass. 1re civ., 7 oct. 1998, n°96-17.315).
  • Le degré d’intelligibilité du questionnaire, qui conditionne la portée des réponses et la possibilité d’apprécier leur fausseté. Lorsque le document remis est précis, détaillé, et dénué d’ambiguïté, toute discordance entre les réponses et la réalité du risque est plus difficilement excusable (Cass. 2e civ., 30 juin 2016, n° 15-22.842). À l’inverse, une ambiguïté de l’assureur ou un défaut de clarté dans la formulation du questionnaire peut écarter la mauvaise foi (Cass. crim., 9 déc. 1992, n° 90-83.149).
  • Le profil de l’assuré, pris en compte par la jurisprudence, qui peut retenir une absence de mauvaise foi lorsque l’assuré présente une faible capacité de compréhension, un faible niveau d’instruction, un état psychique altéré, ou une maîtrise imparfaite de la langue française (v. Cass. 1re civ., 20 oct. 1993, n° 91-17.112). Inversement, la mauvaise foi sera retenue plus aisément chez un professionnel averti ou un souscripteur ayant une compétence particulière dans le domaine concerné (Cass. 2e civ., 29 mars 2012, n° 11-14.305).
  • Le contenu des déclarations : l’accumulation d’inexactitudes, de contradictions ou de silences révélateurs peut conduire les juridictions à retenir l’intention dolosive, notamment lorsque les erreurs ne peuvent raisonnablement être imputées à un oubli bénin. Ainsi en est-il d’un assuré ayant minoré de 20 kg son poids tout en majorant sa taille de 6 cm, tout en dissimulant des antécédents médicaux lourds (CA Colmar, 9 janv. 2017, n° 15/05647).
  • Les déclarations spontanées ou les aveux peuvent également fonder la constatation de la mauvaise foi, y compris lorsqu’aucun questionnaire n’a été formellement rédigé, dès lors que la déclaration erronée procède clairement de l’assuré lui-même (Cass. 2e civ., 4 févr. 2016, n° 15-13.850).

La jurisprudence rappelle enfin que le caractère intentionnel de la fausse déclaration doit être distingué de l’existence d’un lien de causalité avec le sinistre. En vertu de l’article L. 113-8, alinéa 1er, la sanction est encourue « alors même que le risque omis ou dénaturé a été sans influence sur le sinistre » (v. Cass. 2e civ., 23 mai 2013, n° 12-19.952). Cette dissociation entre fausse déclaration et réalisation du risque renforce le rôle central de l’appréciation de la mauvaise foi, laquelle demeure le pivot de la nullité.

Enfin, la jurisprudence constante de la Cour de cassation souligne que la sanction prévue par l’article L. 113-8 du Code des assurances s’applique indépendamment de toute influence de la fausse déclaration sur la réalisation du sinistre. Le texte est explicite : « le contrat d’assurance est nul en cas de réticence ou de fausse déclaration intentionnelle […] alors même que le risque omis ou dénaturé par l’assuré a été sans influence sur le sinistre ».

Il ressort de cette dissociation entre la déclaration dolosive et l’événement assuré un renversement de perspective : il ne s’agit pas de protéger l’assureur uniquement contre des sinistres non désirés, mais plus fondamentalement de préserver l’équilibre initial du contrat, compromis dès la formation par une information volontairement tronquée. Le dol, ainsi caractérisé, vicie le consentement de l’assureur non quant aux effets du contrat, mais quant à l’objet même de son engagement (v. en ce sens, Cass. 2e civ., 23 mai 2013, n° 12-19.952).

En ce sens, la jurisprudence a admis que la nullité puisse être prononcée, même si le sinistre ne présente aucun lien de causalité avec la déclaration erronée. Tel est le cas, par exemple, lorsqu’un assuré dissimule sciemment deux vols antérieurs dans une déclaration d’assurance multirisque commerçant : cette omission justifie la nullité du contrat, bien que le sinistre survenu soit un incendie sans rapport avec les vols (Cass. 1re civ., 22 janv. 2002, n°99-12.044). De même, la non-déclaration d’une hospitalisation pour sciatique entraîne la nullité du contrat, bien que la perte d’emploi litigieuse résulte d’une pathologie distincte (Cass. 2e civ., 8 juill. 2004, n°03-13.114).

La doctrine souligne ainsi que la fausse déclaration intentionnelle rompt l’équilibre actuariel du contrat en faussant l’évaluation du risque par l’assureur. Ce dernier n’a pas pu se former une opinion exacte de l’étendue du risque garanti, ce qui compromet la validité de son engagement.

Cette lecture s’impose avec d’autant plus de rigueur dans les assurances multirisques, où un seul élément mensonger suffit à contaminer l’économie globale du contrat, sauf à apprécier distinctement chaque garantie si les risques sont juridiquement divisibles (v. Cass. 2e civ., 6 juill. 2023, n° 22-11.045).

La sanction repose donc moins sur l’adéquation entre la déclaration mensongère et la réalisation du dommage que sur la gravité de la rupture de confiance qu’elle révèle. La mauvaise foi de l’assuré se trouve ainsi érigée en critère exclusif d’appréciation de la nullité, selon une logique résolument objective : c’est la loyauté dans la formation du contrat – et non la pertinence ex post des informations – qui fonde la sanction.

iii. La preuve de la mauvaise foi

L’article L. 113-8 du Code des assurances, qui prévoit la nullité du contrat pour fausse déclaration intentionnelle de l’assuré, impose à l’assureur l’établissement d’une double preuve : démontrer, d’une part, l’inexactitude ou la réticence dans la déclaration, et, d’autre part, le caractère intentionnel de cette dissimulation. Conformément au principe de droit commun énoncé à l’article 1353 du Code civil, et à la présomption de bonne foi consacrée par l’article 2274, il appartient à celui qui invoque la mauvaise foi – en l’occurrence, l’assureur – d’en rapporter la preuve.

La jurisprudence est constante : la preuve de la fausse déclaration intentionnelle incombe intégralement à l’assureur qui entend se prévaloir de la nullité du contrat (Cass. 1re civ., 21 janv. 1957 ; Cass. crim., 13 nov. 1986). Cette charge de la preuve se révèle souvent délicate, en raison de la subjectivité inhérente à la notion d’intention dolosive. Il ne suffit pas, en effet, de constater l’inexactitude d’une réponse pour en déduire la volonté de tromper. Encore faut-il établir que l’assuré avait pleine conscience de l’importance de l’information omise ou altérée, et qu’il a volontairement cherché à fausser l’appréciation du risque par l’assureur.

Compte tenu de ce que la mauvaise foi est un fait juridique, elle peut être établie par tous moyens, dès lors que les droits de la défense sont respectés (Cass. 1re civ., 26 avr. 2000, n°97-22.560 ). Parmi les principaux éléments probatoires admis, on compte :

  • Le questionnaire écrit et signé : Il constitue l’instrument probatoire privilégié. Lorsque l’assuré a répondu par écrit à un formulaire clair, précis et intelligible, une réponse erronée, surtout à une question déterminante, pourra suffire à fonder la présomption de mauvaise foi (Cass. 2e civ., 14 avr. 2016, n° 15-18.226). La jurisprudence exige néanmoins que ce document ait bien été communiqué au souscripteur, en vertu du principe du contradictoire (Cass. 2e civ., 12 mai 2011, n° 10-19.649).
  • Les déclarations spontanées de l’assuré : En l’absence de questionnaire formalisé, la jurisprudence admet que des réponses volontairement inexactes, apportées spontanément par l’assuré, puissent suffire à établir la mauvaise foi, notamment lorsqu’elles sont consignées dans les conditions particulières signées (Cass. 2e civ., 4 févr. 2016, n° 15-13.850).
  • Les pièces médicales et administratives : En matière d’assurance de personnes, les certificats médicaux, les dossiers hospitaliers ou les antécédents judiciaires peuvent révéler que l’assuré avait nécessairement connaissance du fait omis ou dissimulé. Ces pièces doivent cependant être obtenues dans le respect du secret médical et du contradictoire. Ainsi, la désignation d’un expert judiciaire peut être sollicitée pour accéder, de manière indirecte, aux données médicales pertinentes (Cass. 1re civ., 7 déc. 2004, n° 02-12.539).
  • Les indices extérieurs et concordants : La jurisprudence admet que des indices circonstanciels puissent établir la volonté de dissimulation : correspondances privées mentionnant la vétusté d’un immeuble (Cass. 1re civ., 18 déc. 1990, n° 89-19.097), dissimulation d’un conducteur habituel non titulaire du permis (Cass. 1re civ., 17 mars 1993, n°91-14.605), ou encore déclarations incompatibles avec les fonctions exercées (Cass. 2e civ., 25 févr. 2010, n°09-13.225). De manière exceptionnelle, le recours à un enquêteur privé a pu être jugé admissible, sous réserve du respect de la vie privée et de la proportionnalité des investigations (Cass. 1re civ., 31 oct. 2012, n°11-17.476).
  • L’aveu ou la reconnaissance postérieure : L’aveu de l’assuré, même implicite, est un élément probatoire de poids. S’il reconnaît avoir volontairement minoré un élément déterminant, comme le poids réel dans une déclaration santé ou la présence de sinistres antérieurs (Cass. 2e civ., 14 juin 2012, n° 11-11.344), la preuve de sa mauvaise foi sera réputée établie.

Enfin, la jurisprudence rappelle avec constance que la seule inexactitude dans la déclaration ne suffit pas à emporter la nullité. En l’absence d’un faisceau d’éléments convergents établissant l’intention de tromper l’assureur sur l’appréciation du risque, la mauvaise foi ne peut être présumée (Cass. 2e civ., 10 déc. 2009, n° 09-10053). Cette rigueur protectrice vise à éviter que l’assureur ne transforme un simple oubli ou une négligence en dol contractuel.

Il en résulte que la preuve doit être à la fois objective (portant sur la fausseté manifeste de la déclaration) et subjective (portant sur la conscience qu’avait l’assuré de l’importance de l’élément dissimulé). L’un sans l’autre ne saurait suffire à faire prospérer l’action en nullité.

b. Les conséquences de la fausse déclaration intentionnelle

L’article L. 113-8 du Code des assurances consacre un régime autonome de nullité, dont les fondements et les effets s’écartent sensiblement de ceux qui gouvernent le droit commun des obligations contractuelles. Ce mécanisme spécifique vise à réprimer la réticence ou la fausse déclaration intentionnelle de l’assuré, dès lors que celle-ci a altéré l’appréciation que l’assureur pouvait raisonnablement se faire du risque à garantir. Il importe de souligner que cette nullité est encourue même en l’absence de tout lien de causalité entre l’élément dissimulé et la réalisation du sinistre.

Cette rigueur se justifie par l’économie particulière du contrat d’assurance, dont l’équilibre repose de manière décisive sur la transparence et la loyauté de l’information fournie par le souscripteur. En effet, le risque, objet même du contrat, n’existe aux yeux de l’assureur qu’à travers les déclarations de son cocontractant. Dès lors, toute dissimulation volontaire est de nature à vicier le fondement du consentement donné par l’assureur et à compromettre la sincérité de l’engagement qu’il a souscrit.

i. Le principe de la nullité

Le régime de nullité instauré par l’article L. 113-8 du Code des assurances présente une physionomie singulière, à la fois par son champ d’application et par sa finalité. Il trouve à s’appliquer dès lors qu’une omission ou une fausse déclaration intentionnelle, imputable à l’assuré, a eu pour effet de modifier l’objet du risque ou d’en altérer l’appréciation que l’assureur était en droit de s’en faire lors de la souscription. L’influence s’apprécie ex ante, c’est-à-dire au regard des critères qui président à la décision d’assurer — qu’il s’agisse de l’acceptation du risque, de la fixation de la prime, ou encore de l’étendue de la garantie — et ce, abstraction faite de toute considération sur la survenance effective d’un sinistre en lien avec le fait dissimulé (C. assur., art. L. 113-8, al. 1er ; v. aussi Cass. 2e civ., 23 mai 2013, n°12-19.952).

Ce régime s’applique aussi bien lors de la formation du contrat qu’au cours de son exécution, notamment à l’occasion d’une aggravation du risque que l’assuré omet volontairement de porter à la connaissance de l’assureur. Si l’article L. 113-4 du Code des assurances encadre les effets de cette omission lorsqu’elle procède de la seule négligence ou de la bonne foi, c’est à l’article L. 113-8 qu’il revient de sanctionner l’intention frauduleuse, dans une continuité jurisprudentielle affirmée dès l’arrêt fondateur du 29 septembre 1941 (Cass. civ., 29 sept. 1941 : DC 1943, p. 10, note Besson) et maintenue jusqu’à des décisions récentes (Cass. crim., 2 déc. 2014, n° 14-80.933).

L’originalité de cette nullité tient à son détachement des règles générales du droit commun. En prévoyant que la nullité peut être prononcée « indépendamment des causes ordinaires de nullité », l’article L. 113-8 du Code des assurances exclut l’exigence de démontrer un vice du consentement au sens des articles 1130 et suivants du Code civil. Il ne s’agit ni d’une erreur ni d’un dol au sens traditionnel, mais d’un mécanisme propre au droit des assurances, spécifiquement élaboré pour garantir à l’assureur une information loyale et complète sur les éléments essentiels du risque, condition sine qua non de la formation équilibrée du contrat.

Ce régime dérogatoire relève de l’ordre public de protection: il est institué au seul profit de l’assureur, qui demeure l’unique titulaire de l’action en nullité. L’assuré ne saurait s’en prévaloir, ni opposer à l’assureur une quelconque renonciation anticipée à invoquer cette nullité. Ce monopole de l’action en nullité s’explique par la finalité du texte, qui vise moins à rétablir l’équilibre contractuel qu’à sanctionner un comportement objectivement blâmable : la volonté délibérée de tromper le cocontractant sur les éléments fondamentaux de son engagement.

S’agissant enfin de l’objet même de la déclaration, il n’est pas nécessaire que l’omission ait porté sur un fait expressément visé par une question précise de l’assureur, dès lors que la formulation de celle-ci, même générale, permettait raisonnablement d’inclure le renseignement dissimulé. En ce sens, la Cour de cassation a jugé que l’assuré ne peut se prévaloir du caractère général de la question pour se soustraire à son devoir de sincérité (Cass. 1re civ., 22 mai 2002, n° 00-12.419). En revanche, la jurisprudence exclut toute obligation de révélation spontanée sur des points non couverts par le questionnaire, sous peine de réintroduire, en violation de la réforme de 1989, une logique de déclaration spontanée incompatible avec le modèle du questionnaire fermé (v. Cass. 2e civ., 3 juin 2010, n° 09-14.876 ; sur les textes, L. 113-2, 3°, et L. 112-3, al. 4, C. assur.).

Ainsi conçu, le mécanisme de nullité instauré par l’article L. 113-8 répond à une logique avant tout prophylactique. Il vise à dissuader les comportements déloyaux en érigeant la véracité des déclarations en condition substantielle de validité du contrat d’assurance. Le régime privilégie donc une logique de sanction fondée sur la loyauté contractuelle, plutôt qu’une réparation fondée sur le seul déséquilibre économique de la prestation.

ii. Les effets de la nullité

==>À l’égard des parties

La nullité du contrat prononcée sur le fondement de l’article L. 113-8 du Code des assurances entraîne la disparition rétroactive du lien contractuel. Le contrat est réputé n’avoir jamais existé à compter de la date à laquelle la fausse déclaration intentionnelle a été commise. Cette date correspond, selon les cas, soit à celle de la formation du contrat, soit à celle de l’événement postérieur ayant constitué une aggravation dolosive du risque (Cass. crim., 2 déc. 2014, n°14-80.933).

Cette rétroactivité produit des conséquences particulièrement sévères : l’assureur retrouve le droit de réclamer le remboursement de toutes les sommes versées à compter de la fausse déclaration. Ces versements sont considérés comme dépourvus de cause juridique, puisque la garantie n’aurait jamais dû être accordée (Cass. 2e civ., 16 juin 2022, n° 20-20.745).

Cependant, la restitution ne peut être exigée que de la personne ayant effectivement perçu les fonds. Ainsi, lorsqu’une société est bénéficiaire des prestations versées, son dirigeant ne peut être tenu personnellement à restitution, sauf à démontrer sa participation effective à la manœuvre dolosive.

À la différence du régime général de la nullité des contrats, l’article L. 113-8, alinéa 2, interdit à l’assuré de revendiquer la restitution des primes versées, même si l’assureur n’a en réalité jamais assumé le moindre risque. Les primes demeurent acquises à l’assureur et celles qui n’ont pas encore été payées sont dues à titre de dommages et intérêts.

La règle est sévère. Elle traduit une volonté du législateur de ne pas traiter la nullité comme une simple correction d’un déséquilibre contractuel, mais comme une véritable sanction, destinée à punir l’assuré de mauvaise foi. Cette règle est perçue en doctrine comme l’expression d’une “peine privée”.

Par exception, en matière d’assurance sur la vie, la sanction est atténuée. L’article L. 113-8, alinéa 3, combiné à l’article L. 132-18 du Code des assurances, impose à l’assureur de restituer la provision mathématique constituée au jour de la nullité, même en cas de fausse déclaration intentionnelle. Cette règle s’explique par la nature particulière du contrat d’assurance vie, qui repose avant tout sur une logique d’épargne : l’assureur capitalise des fonds pour le compte de l’assuré. Lui refuser toute restitution reviendrait à permettre un enrichissement injustifié du professionnel.

Par ailleurs, lorsqu’un contrat couvre plusieurs risques, la jurisprudence opère une appréciation in concreto de la portée de la fausse déclaration. Si cette dernière ne concerne qu’un seul risque, la nullité pourra être partielle (Cass. 2e civ., 2 avr. 2009, n° 08-12.942). En revanche, si les garanties sont indivisibles, notamment du fait d’une prime globale assise sur un critère unique, la nullité affectera l’intégralité du contrat (Cass. 1re civ., 22 janv. 2002, n°99-12.044). Ce principe d’indivisibilité joue ici à plein, fondée sur une approche fonctionnelle du contrat.

Enfin, la nullité fondée sur l’article L. 113-8 peut être invoquée à tout moment par l’assureur, y compris après l’expiration du délai de prescription biennale prévu à l’article L. 114-1 du Code des assurances. En effet, lorsqu’elle est soulevée par voie d’exception pour faire obstacle à une demande de garantie ou de règlement, la nullité échappe aux règles de prescription applicables aux actions en justice (Cass. 2e civ., 12 mars 2009, n°08-11.444). Cette faculté renforce la portée dissuasive du dispositif.

==>À l’égard des tiers

Conformément à l’article L. 112-6 du Code des assurances, la nullité est opposable à tout tiers au contrat qui en revendique les effets. Cela inclut notamment les bénéficiaires désignés, les assurés pour compte et les victimes agissant par la voie de l’action directe.

Ainsi, la jurisprudence constante considère que la victime ne peut invoquer l’inopposabilité de la nullité prononcée sur le fondement de l’article L. 113-8, même si celle-ci est révélée à l’occasion du sinistre (Cass. crim., 12 juin 2012, n° 11-87.395). Cette rigueur a cependant été tempérée en matière d’assurance automobile.

Sous l’effet de la directive européenne n° 2009/103/CE et de son interprétation par la CJUE (CJUE, 20 juill. 2017, aff. C-287/16), le législateur français a inséré un article L. 211-7-1 dans le Code des assurances, interdisant à l’assureur d’opposer la nullité du contrat à la victime d’un accident de la circulation ou à ses ayants droit. Cette nullité reste toutefois opposable à l’assuré, même s’il est également victime de l’accident, sauf dans les hypothèses d’abus de droit (CJUE, 19 sept. 2024, aff. C-236/23, Matmut).

Enfin, l’assureur conserve la possibilité d’exercer un recours subrogatoire contre l’assuré responsable après indemnisation de la victime, afin de récupérer les sommes versées, dès lors que ce dernier a contribué par sa fraude à la production du sinistre (Cass. 2e civ., 8 févr. 2006, n° 05-16.031).

iii. Les tempérament aux effets de la nullité

Si la nullité fondée sur l’article L. 113-8 du Code des assurances frappe l’assuré de mauvaise foi avec une sévérité toute particulière, elle n’en constitue pas pour autant un pouvoir discrétionnaire et sans limite entre les mains de l’assureur. Divers mécanismes, d’origine légale, jurisprudentielle ou contractuelle, concourent à en atténuer, voire à en neutraliser les effets. Ces tempéraments, inspirés tant de l’équité que de la protection de l’ordre public économique, assurent un équilibre entre la nécessaire répression de la fraude et les exigences de sécurité juridique.

==>La renonciation, expresse ou tacite, de l’assureur

L’assureur qui, en pleine connaissance de la fausse déclaration, poursuit l’exécution du contrat sans réserve, peut être présumé avoir renoncé à se prévaloir de la nullité. Cette renonciation peut être explicite, par exemple par une déclaration formelle d’intention, ou tacite, lorsqu’elle résulte d’un comportement non équivoque tel que le versement d’une indemnité ou la perception de primes postérieurement à la découverte de l’irrégularité (Cass. 1re civ., 12 juin 2012, n° 11-12.443). À l’inverse, un simple acte d’exécution du contrat, accompli sans pleine conscience du manquement, ne saurait emporter renonciation implicite.

Deux présomptions légales encadrent ce mécanisme : l’article L. 113-4 du Code des assurances en matière d’aggravation du risque, et l’article L. 113-17 en matière de direction du procès. Dans les deux cas, la renonciation se déduit de la continuité d’un comportement actif et volontaire. Toutefois, la jurisprudence demeure exigeante : la preuve d’une volonté dépourvue d’ambiguïté reste nécessaire.

==>La complicité ou la connaissance du mandataire de l’assureur

Un autre frein à l’action en nullité réside dans l’attitude des représentants de l’assureur. Lorsqu’il est établi que le mandataire – courtier, agent général ou préposé – avait connaissance de la fausse déclaration, ou y a contribué, l’assureur se voit privé de la faculté d’invoquer la nullité, en vertu de l’article L. 511-1 du Code des assurances, qui rend l’entreprise d’assurance civilement responsable des actes de ses mandataires (Cass. 1re civ., 4 avr. 1995, n° 92-20.112).

Cette jurisprudence s’inscrit dans une logique de loyauté : l’assureur ne saurait se prévaloir d’une irrégularité qu’il a contribué à faire naître, directement ou par l’entremise de son représentant. La charge de la preuve pèse ici sur l’assuré, qui devra établir, avec un degré suffisant de certitude, la connaissance ou la participation du mandataire à l’anomalie déclarative.

==>Dispositions dérogatoires

Le régime de nullité prévu par l’article L. 113-8 cède également devant des dispositifs spéciaux ou conventionnels, tels que l’article L. 113-10 du Code des assurances relatif aux assurances à primes et risques variables. Ce dernier texte instaure une sanction alternative – le versement d’une indemnité plafonnée – qui, lorsqu’il a été contractuellement stipulé, évince le recours à la nullité (Cass. 1re civ., 31 mars 1998, n° 96-12.526). Il en va de même lorsque le contrat prévoit un régime spécifique de sanction en cas de déclaration erronée, à condition que ce régime ait été clairement exprimé.

De manière générale, l’assureur ne peut cumuler les sanctions issues du droit spécial et celles issues du droit commun ou du droit spécial d’ordre public : la nullité ne peut être actionnée que si elle n’est pas exclue par une disposition spéciale ou par l’application d’un texte dérogatoire.

==>Les clauses d’incontestabilité

Dans certaines branches, notamment en matière d’assurance de personnes ou de contrats collectifs, il est d’usage de stipuler une clause dite d’incontestabilité, aux termes de laquelle l’assureur renonce, après un certain délai, à invoquer la nullité pour fausse déclaration.

Si ces clauses sont valables en principe, elles ne peuvent avoir pour effet de couvrir une manœuvre frauduleuse manifeste. Ainsi, la jurisprudence considère qu’elles ne sauraient faire obstacle à l’application de l’article L. 113-8 dans les cas de réticence ou de déclaration mensongère caractérisée (Cass. 1re civ., 20 juin 2000, n° 98-10.655). La clause d’incontestabilité doit donc être interprétée avec rigueur, et ne saurait priver l’assureur de la faculté d’agir contre l’assuré de mauvaise foi.

==>Les correctifs tenant à l’ordre public de protection

Enfin, certaines hypothèses spécifiques appellent une modulation des effets de la nullité, au nom de l’ordre public de protection, en particulier lorsque sont en cause des victimes d’accidents de la circulation. En vertu des articles L. 211-1 et L. 211-7-1 du Code des assurances, introduits à la suite de la jurisprudence Fidelidade (CJUE, 20 juill. 2017, aff. C-287/16), la nullité n’est pas opposable aux tiers victimes d’un accident impliquant un véhicule terrestre à moteur, même si elle repose sur une fausse déclaration intentionnelle du souscripteur (Cass. 2e civ., 16 janv. 2020, n° 18-23.381).

2. La fausse déclaration non intentionnelle

La fausse déclaration non intentionnelle du risque, lorsqu’elle résulte de la simple négligence ou de l’ignorance excusable de l’assuré, ne relève pas du régime sévère de la nullité prévu à l’article L. 113-8 du Code des assurances. C’est un régime autonome, plus clément, que consacre l’article L. 113-9 du même code. Loin d’ignorer les conséquences d’une déclaration inexacte, ce texte organise un dispositif correctif proportionné, articulé autour de deux situations distinctes : selon que l’inexactitude est révélée avant ou après la survenance du sinistre. Dans la première hypothèse, l’assureur dispose d’un droit d’option entre la résiliation du contrat ou sa continuation moyennant une augmentation de la prime. Dans la seconde, il peut obtenir une réduction de l’indemnité due, selon une règle proportionnelle fondée sur l’écart entre la prime perçue et celle qui aurait été exigée si le risque avait été correctement déclaré.

i. Hypothèse d’une découverte antérieure au sinistre : résiliation ou maintien du contrat

Lorsque l’erreur dans les déclarations de l’assuré est révélée avant la réalisation du sinistre, l’assureur dispose, en vertu de l’article L. 113-9, alinéa 2 du Code des assurances, d’un droit d’option dont la mise en œuvre est strictement encadrée. Ce texte prévoit que «?si elle est constatée avant tout sinistre, l’assureur a le droit soit de maintenir le contrat, moyennant une augmentation de prime acceptée par l’assuré, soit de résilier le contrat dix jours après notification adressée à l’assuré par lettre recommandée, en restituant la portion de la prime payée pour le temps où l’assurance ne court plus. »

Ainsi, deux options s’offrent à l’assureur : conclure un avenant modifiant la prime, sous réserve de l’accord de l’assuré, ou bien résilier le contrat de manière unilatérale, dans les formes prévues. Cette résiliation ne peut produire effet qu’à l’expiration d’un délai de dix jours suivant la notification par lettre recommandée. Elle emporte, par ailleurs, l’obligation de restituer à l’assuré la part de prime afférente à la période non couverte. L’assuré, pour sa part, ne bénéficie d’aucun droit symétrique de résiliation sur ce fondement, comme l’a rappelé la Cour de cassation (Cass., ch. réunies, 8 juill. 1953).

Toutefois, une difficulté particulière surgit dans les situations dites intermédiaires, dans lesquelles le sinistre survient après la découverte de l’irrégularité par l’assureur, mais avant que celui-ci n’ait exercé son droit d’option. Ce décalage dans le temps, qui tient à l’inertie ou à la lenteur de réaction de l’assureur, soulève une interrogation : peut-il encore, après réalisation du risque, résilier le contrat ou imposer une surprime avec effet rétroactif ?

La réponse de la jurisprudence est négative. Dans un tel cas, l’assureur est considéré comme ayant perdu le bénéfice des facultés offertes par l’article L. 113-9, alinéa 2. Il ne peut plus ni résilier, ni renégocier rétroactivement les conditions contractuelles. La Cour de cassation assimile en effet cette situation à celle d’une découverte postérieure au sinistre, neutralisant les prérogatives correctrices réservées à la phase antérieure. Seul reste alors ouvert le mécanisme de la réduction proportionnelle de l’indemnité, prévu pour les déclarations inexactes découvertes après sinistre (v. Cass. 2e civ., 2 mars 2017, n°15-27.831).

Cette solution s’explique par une exigence de cohérence procédurale et de protection de l’assuré : dès lors que le risque s’est réalisé, il ne saurait être légitime que l’assureur modifie les termes du contrat de façon rétroactive pour échapper à ses obligations indemnitaires.

ii. Hypothèse d’une découverte postérieure au sinistre : réduction proportionnelle de l’indemnité

==>Principe de la réduction proportionnelle du taux de prime

Lorsque l’assureur ne découvre l’erreur ou l’omission affectant la déclaration du risque qu’à l’occasion d’un sinistre, il ne peut ni invoquer la nullité du contrat – faute d’intention dolosive – ni résilier rétroactivement la police. La sanction applicable est alors de nature économique: l’article L. 113-9, alinéa 3 du Code des assurances institue en effet une réduction proportionnelle de l’indemnité, fondée sur le déséquilibre contractuel résultant de la sous-évaluation du risque.

Le texte dispose que « dans le cas où la constatation n’a lieu qu’après un sinistre, l’indemnité est réduite en proportion du taux des primes payées par rapport au taux des primes qui auraient été dues, si les risques avaient été complètement et exactement déclarés. »

Ce mécanisme correcteur, communément désigné sous l’appellation de règle proportionnelle du taux de prime, vise à restaurer l’équilibre économique du contrat en cas de déclaration imparfaite du risque. Son application repose sur une opération arithmétique limpide : l’indemnité versée par l’assureur est ajustée à due concurrence de la cotisation réellement perçue, rapportée à celle qui aurait été légitimement exigée si l’appréciation du risque avait reposé sur des données exactes.

Indemnité versée = Préjudice subi × (Prime payée ÷ Prime exigible)

Il s’agit ici de reconstituer fictivement l’économie du contrat que l’assureur aurait conclu s’il avait été correctement informé. Il ne s’agit donc pas de sanctionner la mauvaise foi de l’assuré – absente en l’espèce – mais d’assurer un réajustement ex post de la contrepartie financière.

L’application de la réduction proportionnelle est indépendante de toute incidence causale entre l’erreur déclarative et la réalisation du dommage : même si l’irrégularité a été sans influence sur le sinistre, la réduction s’applique (Cass. 2e civ., 17 avr. 2008, n° 07-13.053). Cette solution découle de l’économie technique du contrat d’assurance : ce n’est pas l’événement dommageable qui fonde la garantie, mais la sincérité de l’évaluation du risque.

Dès lors, l’assuré ne peut utilement opposer que le risque litigieux aurait été couvert aux mêmes conditions même si la déclaration avait été exacte : le seul critère est celui de la prime qui aurait été exigée en connaissance de cause.

==>Mise en oeuvre de la réduction proportionnelle du taux de prime

Encore faut-il que l’assureur soit en mesure de démontrer le bien-fondé de sa prétention. Il lui incombe d’établir, par des éléments objectifs (grille tarifaire, simulation de tarification, clauses types…), le montant de la prime qu’il aurait appliquée en cas de déclaration conforme (Cass. 2e civ., 12 sept. 2013, n° 12-26.245). À défaut, la réduction proportionnelle ne peut être légalement prononcée (v. Cass. 1re civ., 6 juin 2000, n° 97-19.241).

Les juges du fond conservent ici un pouvoir souverain pour déterminer le taux de prime “normal”, en l’absence d’accord entre les parties. Il ne peut toutefois retenir une réduction forfaitaire en substitution de la règle mathématique prévue par la loi, sous peine de censure (Cass. 1re civ., 16 déc. 1998).

==>Opposabilité de la réduction proportionnelle du taux de prime

Sauf disposition contraire, la réduction proportionnelle de l’indemnité est opposable à toute personne invoquant le contrat d’assurance, y compris les bénéficiaires et les victimes dans les assurances de responsabilité (Cass. 1re civ., 15 févr. 1977, n°75-14.244). Cette solution repose sur le principe selon lequel les droits du tiers s’adossent à ceux de l’assuré, et ne sauraient excéder ce que l’assureur aurait dû s’engager à couvrir.

Des exceptions textuelles existent cependant, en particulier en matière d’assurance automobile obligatoire, où l’article R. 211-13, 3° du Code des assurances interdit expressément l’opposabilité de la réduction proportionnelle à la victime, tout en préservant un recours subrogatoire de l’assureur contre son assuré.

==>Régime procédural de la demande en réduction proportionnelle

La demande en réduction proportionnelle ne peut être soulevée d’office par le juge : elle doit être expressément formulée par l’assureur (Cass. 1re civ., 16 oct. 1990, n°88-20.481). L’office du juge est en effet limité par l’article 4 du Code de procédure civile aux prétentions des parties. En revanche, elle est recevable en cause d’appel sur le fondement de l’article 564, dès lors qu’elle tend seulement à limiter le montant de l’indemnité réclamée (Cass. 2e civ., 9 févr. 2012, n°11-13.245).

Enfin, le régime dérogatoire applicable en Alsace-Moselle en matière de réduction proportionnelle d’indemnité a été censuré par le Conseil constitutionnel, rétablissant ainsi l’unité du droit des assurances sur le territoire national. Jusqu’en 2014, l’article L. 191-4 du Code des assurances prévoyait que, dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, la réduction proportionnelle ne pouvait être appliquée si le risque omis ou dénaturé était sans incidence sur la réalisation du sinistre ou n’en modifiait pas la couverture contractuelle. Ce régime dérogatoire interdisait l’application de toute sanction, même en présence d’une déclaration erronée ayant altéré l’évaluation du risque par l’assureur, dès lors que cette inexactitude était restée sans incidence sur le sinistre ou sur l’étendue de la garantie.

À l’occasion d’un litige opposant un assureur à des héritiers d’un souscripteur décédé, relatif à la déclaration erronée de la superficie d’un bien immobilier, la Cour de cassation a été saisie d’une question prioritaire de constitutionnalité (Cass. 1re civ., 26 juin 2014, n° 13-27.943). Il était demandé si l’article L. 191-4, dans la mesure où il interdisait la réduction proportionnelle dans certains départements sans considération de l’équilibre économique du contrat, ne portait pas atteinte au principe d’égalité devant la loi tel que garanti par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Le Conseil constitutionnel, par décision du 26 septembre 2014, a fait droit à cette analyse (Cons. const. 26 sept. 2014, n°2014-414) Il a jugé que la disposition contestée, issue de la loi du 6 mai 1991, aggravait une différence de traitement injustifiée entre assurés selon leur lieu de résidence. La règle spéciale n’était ni fondée sur une différence de situation pertinente, ni justifiée par un motif d’intérêt général en rapport direct avec l’objet de la loi. Elle a donc été déclarée contraire à la Constitution, au visa du principe d’égalité.

L’abrogation de l’article L. 191-4, prononcée avec effet immédiat pour toutes les affaires non jugées définitivement, a ainsi mis un terme à un régime local dérogatoire en matière de déclaration du risque, en réaffirmant la pleine applicabilité de l’article L. 113-9 du Code des assurances, y compris en Alsace-Moselle. Cette censure marque un retour à l’unité du droit des assurances, fondée sur une conception objective et économique du contrat, indépendante de toute considération géographique ou territoriale.

Déclaration des risques: les limites du dispositif déclaratif

Si le modèle du questionnaire fermé a profondément renouvelé les équilibres de la phase précontractuelle, il n’échappe pas à de sérieuses limites pratiques, tant dans sa conception que dans sa mise en œuvre. Ces limites tiennent, d’une part, aux failles intrinsèques du support déclaratif lui-même et, d’autre part, aux contraintes juridiques, économiques et éthiques qui pèsent sur la collecte de certaines informations. Loin d’être marginales, ces tensions structurent une zone grise du droit des assurances, dans laquelle s’opèrent, à travers des arbitrages implicites, de délicats compromis entre la protection du consentement, la transparence du risque, et l’efficacité commerciale de l’opération d’assurance.

1. Les limites inhérentes au système du questionnaire

La première limite est d’ordre structurel : en dépit de ses vertus de clarté, le questionnaire demeure un outil imparfait, dont l’apparente exhaustivité masque mal les lacunes.

Conçu pour rationaliser la collecte d’informations, le questionnaire ne saurait prétendre à une couverture intégrale du champ du risque. Par définition fermé, il ne permet pas à l’assureur de sonder toutes les facettes de la situation à couvrir, ni à l’assuré de signaler spontanément les éléments que le questionnaire omet. Cette insuffisance fonctionnelle, souvent soulignée par la jurisprudence se manifeste particulièrement en matière d’assurances de personnes, où les questionnaires passent fréquemment sous silence l’existence de contrats antérieurs ou d’antécédents médicaux non directement interrogés.

La volonté d’exhaustivité se heurte à une autre exigence : celle de l’accessibilité du document pour un public de souscripteurs profanes. Une inflation des questions nuit à la lisibilité de l’offre, brouille la perception du risque, et expose l’assureur à des griefs sur le terrain du devoir de clarté contractuelle. Cet équilibre fragile est d’autant plus délicat à maintenir que les impératifs de conformité réglementaire (compliance) imposent des niveaux croissants de transparence et de traçabilité.

L’accompagnement du candidat à l’assurance dans le remplissage du questionnaire est un moment stratégique de la relation d’assurance, où se jouent à la fois l’exactitude de la déclaration et le respect du devoir de conseil. La jurisprudence souligne régulièrement la responsabilité de l’intermédiaire lorsqu’il contribue à une fausse déclaration, voire lorsqu’il ferme volontairement les yeux sur des omissions manifestes (Cass. 3e civ., 8 juill. 2015, n°13-25.223). La frontière est parfois ténue entre simple assistance et complicité passive, posant la question d’un éventuel devoir de vérification du courtier ou de l’agent.

2. Les limites tenant à la collecte de certaines informations

Si l’exigence d’exactitude de la déclaration du risque constitue l’un des piliers de la relation d’assurance, cette exigence se heurte à des bornes que le droit positif oppose à la collecte de certaines données personnelles. Ces limites, d’ordre juridique, déontologique ou constitutionnel, sont particulièrement sensibles en matière d’assurances de personnes, où l’appréhension du risque implique une connaissance fine de l’état de santé de l’assuré. Mais l’économie du contrat d’assurance ne saurait justifier la levée systématique de droits fondamentaux. À cet égard, le secret médical constitue le point de friction le plus emblématique entre l’impératif de sélection du risque et le respect du droit des personnes.

==>La limite du secret médical

Le secret médical est appréhendé en droit français comme une règle d’ordre public, d’une rigueur particulière. L’article L. 1110-4 du Code de la santé publique érige le secret en un principe général applicable à toute information relative à la santé, tandis que l’article L. 1141-1 interdit expressément aux organismes d’assurance de tenir compte, même avec l’accord de la personne concernée, des résultats d’examens génétiques. De surcroît, le secret s’impose au médecin à un double titre : en vertu du serment d’Hippocrate, mais également au regard du Code de déontologie médicale (art. R. 4127-4 CSP), qui prohibe toute communication non expressément autorisée.

La Cour de cassation rappelle avec constance que le médecin traitant ne saurait être tenu de transmettre à un assureur, même indirectement via son médecin-conseil, les données couvertes par le secret, sauf accord exprès, spécifique, et circonstancié de l’assuré ou de ses ayants droit (Cass. 1re civ., 6 janv. 1998, n°95-19.902 et 96-16.721). A cet égard, la clause par laquelle le souscripteur autorise cette transmission n’est licite qu’à la condition qu’elle respecte trois exigences cumulatives : elle doit écarter les données génétiques, être mise en œuvre par l’assuré lui-même, et ne pas contraindre le médecin à révéler ce que son statut de tiers au contrat l’empêche légalement de transmettre (Cass. 1re civ., 29 oct. 2002, n°99-17.187).

==>L’émergence prétorienne du critère d’intérêt légitime

Conscient des obstacles probatoires que peut représenter le secret médical en cas de fausse déclaration dolosive, le juge civil a introduit un tempérament : celui tenant à l’intérêt légitime. L’opposition à la levée du secret n’est recevable que si elle tend à préserver un intérêt moral digne de protection, et non si elle constitue une manœuvre pour faire échec à l’exécution de bonne foi du contrat.

L’arrêt de principe rendu par la première chambre civile le 15 juin 2004 est éclairant : il reconnaît au juge le pouvoir d’écarter l’exception de secret médical lorsque celle-ci a pour seul objet d’empêcher l’assureur d’établir une réticence intentionnelle (Cass. 1re civ., 15 juin 2004, n°01-02.338). De manière convergente, la cour d’appel de Douai a souligné, dans un arrêt du 12 avril 2007, que « le secret médical et l’obligation de sincérité sont deux intérêts également protégés par la loi » et qu’il n’est pas possible de faire systématiquement prévaloir le premier au détriment du second, sauf à priver d’effet l’article L. 113-8 du Code des assurances (CA Douai, 12 avr. 2007).

Cette position est reprise par les juridictions du fond et confortée par la doctrine selon laquelle le secret ne saurait être invoqué dans un dessein illégitime, tel que couvrir une fraude à l’assurance.

==>Le rôle du médecin-conseil

L’assureur ne peut, en aucun cas, recevoir directement les données de santé du souscripteur. Il doit obligatoirement passer par son médecin-conseil, dont la mission est strictement encadrée. Ce dernier ne peut recevoir des données médicales qu’à condition qu’elles lui soient adressées sous pli confidentiel, que son identité soit expressément mentionnée dans la demande, et que le consentement éclairé de l’assuré soit préalablement recueilli.

Dans sa recommandation n°MSP 2013-209 du 26 novembre 2013, le Défenseur des droits a rappelé avec force que « la loi n’a pas prévu de secret partagé entre les professionnels de santé et les sociétés d’assurances ou leurs médecins-conseils ». Dès lors, toute communication médicale à l’assureur ne peut intervenir que dans des conditions rigoureusement circonscrites, à l’exclusion de tout questionnaire préétabli transmis par l’assureur au médecin traitant. La communication doit être minimale, proportionnée et cantonnée aux informations strictement nécessaires à l’exécution du contrat (v. CE, 26 sept. 2005, n°270234).

Le médecin-conseil ne peut, en outre, se prévaloir de sa fonction pour transmettre à l’assureur des données confidentielles obtenues auprès du médecin traitant. Ce dernier, tenu par le secret, engage sa responsabilité civile, pénale et disciplinaire en cas de divulgation (Cass. 1re civ., 12 janv. 1999, n°96-20.580 ; CSP, art. R. 4127-4). Le secret médical, même dans l’assurance, demeure un verrou éthique et juridique majeur, dont le contournement ne saurait être admis sous prétexte de sélection du risque.

3. Les limites tenant aux aspects économiques et commerciaux

Au-delà des limites techniques et juridiques pesant sur la collecte des informations relatives au risque, le système déclaratif se trouve contraint, dans sa mise en œuvre concrète, par des logiques exogènes à la rationalité assurantielle. La quête de performance commerciale et la standardisation des parcours clients altèrent la qualité et la rigueur du recueil des déclarations. Il en résulte une tension structurelle entre l’exactitude souhaitée du dispositif et la simplicité revendiquée de l’offre.

Dans un marché libéralisé, où la rapidité de souscription, la simplicité perçue des démarches et la transparence tarifaire constituent des atouts décisifs pour capter la clientèle, les assureurs sont incités à alléger les questionnaires de déclaration du risque. Le souci de fluidifier l’expérience utilisateur l’emporte souvent sur l’exigence d’exhaustivité. Les questions sont alors simplifiées, voire volontairement édulcorées, afin de ne pas rebuter le prospect par un formalisme jugé excessif. Cette démarche, dictée par des considérations purement commerciales, affaiblit mécaniquement la rigueur du recueil déclaratif.

La dématérialisation croissante des parcours de souscription — via plateformes numériques, applications mobiles ou interfaces web — accentue ce phénomène. Le recours à des questionnaires dynamiques ou à des interfaces conversationnelles (chatbots) introduit une forme d’intermédiation algorithmique qui peut masquer la complexité du risque, voire escamoter certaines zones d’ombre. Le risque d’une déclaration lacunaire sans intention dolosive s’en trouve mécaniquement accru, comme l’a souligné la deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans son arrêt du 23 mai 2019, dans lequel l’assuré avait répondu de bonne foi à une question ambiguë, sans que cela suffise à caractériser sa mauvaise foi (Cass. 2e civ., 23 mai 2019, n°18-13.493).

Ce déséquilibre entre transparence attendue et lisibilité promise se traduit par un affaiblissement des garanties probatoires de la déclaration. Trop de questions nuisent à l’ergonomie du parcours de souscription?; trop peu conduisent à un défaut d’information substantielle. L’assureur, pris en étau entre l’obligation d’évaluer le risque et la nécessité de ne pas perdre son client, consent souvent à des compromis rédactionnels aux confins de l’insuffisance.

En cela, le questionnaire se révèle extensible à l’excès ou, inversement, résolument lacunaire. Il devient un instrument imparfait, écartelé entre fonction probatoire et exigence de fluidité. Comme le relève la doctrine, le questionnaire, s’il est utile, présente naturellement ses faiblesses. Il ne permet pas de tout renseigner. Il est le plus souvent muet quant à l’existence d’autres contrats. L’assureur ne pose pas toutes les questions ». À cette liste, il faut désormais ajouter l’effet délétère des arbitrages commerciaux, qui tendent à sacrifier la rigueur au nom de la conversion client.

Ce contexte rend d’autant plus crucial le rôle de l’intermédiaire d’assurance, tenu d’un devoir de conseil renforcé. À mesure que le processus déclaratif s’automatise, le professionnel de l’assurance devient, par contraste, le dernier garant de l’effectivité du recueil d’informations. Il lui revient non seulement de veiller à la bonne compréhension des questions posées, mais encore de solliciter toute précision utile de la part du souscripteur, même en l’absence d’ambiguïté apparente. Cette exigence de vigilance trouve à s’appliquer avec une particulière acuité dans les assurances de personnes ou les assurances de responsabilité, où les enjeux de sincérité déclarative sont majeurs.

Dans cette perspective, la jurisprudence invite à reconnaître un devoir de curiosité de l’intermédiaire — non au sens d’une obligation générale d’investigation, mais comme un corollaire du devoir de conseil. Ce devoir n’implique pas une obligation générale d’investigation, ni a fortiori un contrôle systématique de la sincérité des déclarations du souscripteur — sauf à disposer d’éléments objectifs de suspicion (Cass. 1re civ., 22 mai 2002, n°99-10.715). Il requiert néanmoins que l’intermédiaire veille à la bonne compréhension, par le souscripteur, de la portée et de la finalité des questions posées, et qu’il alerte ce dernier en cas d’ambiguïté manifeste ou d’erreur flagrante (Cass. 1re civ., 10 mai 2000, n° 98-10.033).

À défaut, l’intermédiaire peut engager sa responsabilité propre, non seulement en cas de manquement à son devoir de conseil, mais également lorsque son comportement contribue à une perception erronée du risque par l’assureur. Ainsi, la Cour de cassation a reconnu la responsabilité d’un établissement ayant souscrit une assurance de groupe en omettant de signaler une discordance manifeste entre deux documents remis simultanément par l’adhérent (Cass. 1re civ., 14 oct. 1997, n° 95-14.336).

Plus grave encore est l’hypothèse dans laquelle l’intermédiaire, qu’il soit agent général ou courtier, a eu connaissance, voire a contribué, à une fausse déclaration. La jurisprudence considère que l’assureur ne saurait, dans ce cas, invoquer l’article L. 113-8 du Code des assurances pour se prévaloir d’une nullité du contrat. La connaissance de la réticence par le représentant — agent ou mandataire — est réputée être celle de l’assureur lui-même, en vertu d’une application rigoureuse du mécanisme de représentation (Cass. 1re civ., 7 oct. 1992, n° 90-16.111 et n° 90-16.589). Cette position, aujourd’hui bien établie (Cass. 1re civ., 23 nov. 1999, n° 97-15.319), repose sur la double idée que nul ne peut ignorer ce que sait son mandataire, et que l’assureur ne peut tirer parti d’une fraude à laquelle a participé son propre représentant.

Certes, cette solution n’est pas exempte de critiques. Elle revient à garantir à l’assuré — pourtant coauteur d’une fraude — le maintien du contrat et l’indemnisation du sinistre, sur la base de la seule turpitude du mandataire. Elle repose, en outre, sur une conception discutable du mandat, en confondant la connaissance personnelle du risque par l’assureur et la connaissance de ce risque par son représentant, ce qui revient à méconnaître les limites du lien de représentation.

Dans les cas les plus extrêmes, la jurisprudence évoque même la turpitude du mandataire pour écarter l’exception de nullité fondée sur la fausse déclaration (Cass. 2e civ., 4 févr. 2010, n° 09-11.464). Toutefois, là encore, la solution est discutable : ce n’est pas la propre turpitude de l’assureur qui lui est opposée, mais celle d’un tiers. Et si la maxime nemo auditur propriam turpitudinem allegans peut, dans certaines hypothèses, bloquer les restitutions, elle ne fait pas obstacle par principe à l’action en nullité.

Ainsi, le rôle de l’intermédiaire dans le recueil déclaratif est à double tranchant : auxiliaire du devoir de conseil lorsqu’il accompagne loyalement le souscripteur, il devient facteur de déstabilisation du contrat lorsqu’il outrepasse sa fonction ou ferme les yeux sur une fraude. À cette aune, l’exigence de loyauté contractuelle impose une vigilance renforcée à tous les stades de la formation du contrat.

Déclaration des risques: conditions d’opposabilité et efficacité du questionnaire

Le fondement de l’opposabilité du questionnaire réside dans sa fonction même : permettre à l’assureur de se forger une opinion éclairée sur le risque qu’il accepte de garantir. C’est en ce sens que l’article L. 113-2, 2° du Code des assurances impose à l’assuré de répondre exactement aux questions posées par l’assureur, « notamment dans le formulaire de déclaration du risque », dès lors qu’elles portent sur des « circonstances de nature à faire apprécier par l’assureur les risques qu’il prend en charge ». La jurisprudence y rattache fermement le sort du contrat, en ce qu’une réponse inexacte portant sur un élément pertinent altérant l’appréciation du risque est susceptible d’entraîner sa nullité (Cass. 1re civ., 22 mai 2002, n° 00-12.419).

À cet égard, la jurisprudence admet expressément que le questionnaire puisse porter sur des circonstances relatives à un risque exclu de la garantie, dès lors que l’information sollicitée est susceptible d’influer l’opinion de l’assureur sur les risques effectivement pris en charge. Ce lien fonctionnel est particulièrement saillant en assurance de personnes, où une affection médicalement exclue peut révéler une vulnérabilité favorisant la réalisation d’un autre sinistre couvert.

L’efficacité du questionnaire suppose, corrélativement, que les réponses apportées par l’assuré soient exactes, c’est-à-dire complètes, sincères et intelligibles. Il s’agit d’un prolongement naturel du principe de bonne foi consacré aux articles 1104 et 1112 du Code civil, et qui irrigue l’ensemble du processus précontractuel.

La réponse ne peut être tenue pour fautive si l’assuré ignorait la circonstance à déclarer — par exemple, une pathologie asymptomatique non diagnostiquée (Cass. 1re civ., 1er févr. 2000, n°97-11.539). De même, l’absence de conscience de devoir déclarer la circonstance, telle qu’une myopie ancienne ou des antécédents médicaux que l’assuré croyait sans incidence, exclut toute mauvaise foi (Cass. 1re civ., 6 janv. 1994, n°91-20.095).

Cette approche fondée sur la subjectivisation de l’obligation déclarative, désormais bien ancrée dans la jurisprudence, impose à l’assureur d’établir non seulement la connaissance de la circonstance, mais aussi la conscience de sa pertinence pour l’évaluation du risque.

L’efficacité du dispositif repose enfin sur la qualité du questionnaire lui-même. L’assureur ne peut se prévaloir d’une déclaration inexacte que si elle a été fournie en réponse à une question claire, précise et individualisée, formulée avant la conclusion du contrat. Tel est l’enseignement constant de la jurisprudence depuis l’arrêt de principe de la chambre mixte du 7 février 2014 (Cass., ch. mixte, 7 févr. 2014, n° 12-85.107), réaffirmé depuis lors par de nombreuses décisions, tant civiles que pénales (v. par ex. : Cass. 2e civ., 13 déc. 2018, n°17-28.093 ; Cass. crim., 18 mars 2014, n° 12-87.195).

L’article L. 112-3, alinéa 4 du Code des assurances en précise les contours : « Lorsque, avant la conclusion du contrat, l’assureur a posé des questions par écrit […], il ne peut se prévaloir du fait qu’une question exprimée en termes généraux n’a reçu qu’une réponse imprécise. » Autrement dit, l’imprécision de la question interdit toute sanction à l’encontre de l’assuré, fût-il de mauvaise foi (Cass. 1re civ., 16 févr. 1994).

Les clauses de déclaration pré-rédigée ne peuvent suppléer à cette exigence, sauf à démontrer l’existence de réponses effectivement données à des questions précises et antérieures à la conclusion du contrat. En l’absence de telles garanties procédurales, elles sont réputées non écrites et inopposables (Cass. 2e civ., 4 avr. 2024, n°22-18.176).

Aussi, il appartient à l’assureur d’établir, cumulativement :

  • que des questions précises ont été posées,
  • que l’assuré y a répondu de façon erronée ou incomplète,
  • que cette déclaration inexacte a exercé une influence sur son opinion du risque.

Cette triple démonstration est d’autant plus rigoureuse que la jurisprudence admet, avec nuance, la prise en compte de déclarations spontanées (Cass. 2e civ., 17 janv. 2019, n°15-18.514), voire d’aveux, pour fonder la nullité du contrat (Cass. 2e civ., 3 mars 2016, n°15-13.500). Toutefois, de telles hypothèses restent dérogatoires et strictement encadrées.

Enfin, la signature du questionnaire (ou de ses transpositions dans les conditions particulières) constitue un élément probatoire fondamental, à condition qu’elle atteste d’un réel échange déclaratif et non d’un simple acquiescement à une formulation unilatérale.

Contrat d’assurance: déclaration provoquée et effets résiduels de la déclaration spontanée

L’instauration, par la loi du 31 décembre 1989, d’un système déclaratif fondé sur le questionnaire fermé n’a pas totalement exclu la prise en compte de déclarations spontanées. Si le législateur a entendu substituer à l’ancien régime — fondé sur une obligation générale de révélation des circonstances connues de l’assuré — un mécanisme plus encadré, il n’a pas pour autant banni les initiatives déclaratives émanant de l’assuré ou de son mandataire.

En principe, l’assureur ne peut se prévaloir d’une réticence ou d’une fausse déclaration que si elle résulte des réponses apportées par l’assuré aux questions qu’il lui a posées lors de la phase précontractuelle (C. assur., art. L. 113-2, 2° et L. 112-3, al. 4). Ce principe a été confirmé de manière constante par la Cour de cassation (Cass. 2e civ., 15 févr. 2007, n° 05-20.865).

Toutefois, certaines juridictions du fond ont, sur le fondement de la bonne foi contractuelle, admis que des déclarations faites à l’initiative de l’assuré, même en l’absence de questionnaire, puissent engager ce dernier si elles s’avéraient mensongères (Cass. 3e civ., 8 juill. 2015, n° 13-25.223). Dans ce cadre, la déclaration spontanée retrouve une certaine portée, à condition qu’elle ait été volontaire et qu’elle ait induit l’assureur en erreur.

Cette analyse est partiellement validée par la jurisprudence de la Cour de cassation, qui reconnaît que des déclarations spontanées peuvent fonder une nullité pour fausse déclaration intentionnelle, dès lors qu’elles sont inexactes et de nature à modifier l’appréciation du risque (Cass. 2e civ., 3 mars 2016, n° 15-13.500).

La jurisprudence admet ainsi qu’un assuré puisse, de sa propre initiative, formuler des révélations sur le risque, en complément ou en l’absence de questionnaire. Mais cette déclaration spontanée, pour produire des effets juridiques, doit émaner exclusivement de la volonté de l’assuré, sans y avoir été contraint. À défaut, l’assureur demeure tenu de poser les questions utiles à son appréciation du risque.

Ce faisant, le juge opère une distinction nette entre l’initiative de l’assureur et celle de l’assuré?: seul ce dernier peut choisir de révéler des circonstances sans y avoir été invité. En revanche, l’assureur ne peut s’exonérer de ses obligations en prétendant que l’assuré aurait dû déclarer spontanément une circonstance déterminée, si cette dernière n’a pas fait l’objet d’un questionnement formel.

L’acceptation résiduelle de la déclaration spontanée n’est pas sans limites. Elle ne saurait se substituer au dispositif du questionnaire dans les branches d’assurance soumises à ce régime impératif. Il en va différemment pour certaines catégories d’assurances, notamment les assurances maritimes et de transport, où l’article L. 172-2 du Code des assurances maintient le modèle déclaratif antérieur, en raison de la qualité d’« assuré averti » généralement reconnue aux souscripteurs.

Enfin, cette coexistence de la déclaration provoquée et de la déclaration spontanée appelle une vigilance accrue du juge. Celui-ci doit s’assurer que la déclaration non sollicitée, si elle est invoquée, ait été libre, intelligible et dénuée d’ambiguïté. Dans le cas contraire, l’assureur ne peut utilement s’en prévaloir pour invoquer une réticence ou une fausse déclaration.

L’information due par le preneur d’assurance à l’assureur: la déclaration des risques

L’obligation d’information dans le contrat d’assurance est trop souvent envisagée à sens unique, comme s’il revenait exclusivement à l’assureur — ou à l’intermédiaire — d’éclairer le candidat à l’assurance sur la teneur des garanties, les exclusions, ou encore les modalités de souscription. Cette vision, largement influencée par les exigences de protection du consommateur et confortée par les textes récents issus de la directive sur la distribution d’assurances (notamment les articles L. 521-2 et L. 521-4 du Code des assurances), tend à reléguer au second plan un pan pourtant fondamental du droit des assurances : l’exigence d’un dialogue contractuel, dans lequel l’information circule dans les deux sens.

Car l’équilibre du contrat d’assurance ne repose pas uniquement sur l’obligation d’information et le devoir de conseil du professionnel. Il implique tout autant la participation active du preneur d’assurance, seul à même de révéler les éléments concrets de sa situation personnelle, professionnelle ou patrimoniale, sur lesquels l’assureur doit s’appuyer pour évaluer le risque proposé à la couverture. À défaut d’un tel apport d’informations, la formation du contrat ne saurait se faire dans des conditions de transparence et de confiance suffisantes pour justifier l’engagement de garantie. Le consentement de l’assureur, loin d’être abstrait, se construit sur la base de données spécifiques, parfois complexes, que lui seul ne peut recueillir sans le concours de son cocontractant.

C’est en ce sens que la doctrine contemporaine souligne l’originalité du droit des assurances: dans une matière dominée par l’incertitude et la probabilité, le contrat repose moins sur une stricte égalité d’information que sur une exigence de coopération loyale. Cette coopération impose au preneur d’assurance de contribuer activement à la constitution du contrat, en fournissant à l’assureur les éléments nécessaires à l’appréciation du risque. L’obligation d’information à sa charge s’enracine ainsi dans le principe de bonne foi et dans la logique propre au mécanisme assurantiel.

I. L’obligation de déclaration des risques

A. Nécessité de la déclaration des risques

La formation du contrat d’assurance repose sur un échange d’informations destiné à garantir l’équilibre des engagements souscrits par les parties. Cet échange n’est pas unilatéral : il implique une participation active de chacun, afin de permettre une rencontre véritable des volontés autour d’un objet aussi évolutif que le risque. Si les textes récents ont souligné, à juste titre, l’importance des obligations d’information pesant sur l’assureur, il ne faut pas perdre de vue que l’efficacité même du contrat repose d’abord sur les déclarations du preneur d’assurance, seul véritable dépositaire des éléments constitutifs du risque qu’il entend faire garantir.

À cet égard, le droit positif consacre une obligation de déclaration à la charge de l’assuré, prévue à l’article L. 113-2, 2° du Code des assurances. Cette obligation ne se réduit ni à une formalité, ni à une simple étape procédurale dans la souscription du contrat : elle constitue la contrepartie directe de l’engagement de couverture pris par l’assureur. Ce dernier ne peut apprécier l’opportunité de garantir un risque, ni fixer le montant de la prime et les modalités de la garantie, sans disposer d’informations précises, loyales et complètes sur la situation qu’on lui demande de couvrir. Loin d’être secondaire, l’obligation de déclaration constitue ainsi une condition essentielle de validité et d’équilibre du contrat.

Cette exigence trouve son fondement dans le principe de bonne foi, qui irrigue l’ensemble du droit des assurances. Contrairement au droit commun, où le silence peut, dans certaines circonstances, être tenu pour stratégique et légitime, le droit des assurances repose sur une logique inverse?: l’omission volontaire ou même négligente de certains éléments peut vicier le consentement de l’assureur et compromettre la loyauté du lien contractuel. L’assuré n’est pas seulement invité à répondre aux questions qu’on lui pose?; il est tenu d’informer spontanément l’assureur de tout fait de nature à influencer l’évaluation du risque. Le silence, en assurance, peut être fautif.

C’est pour favoriser cette transparence que la pratique a généralisé l’usage du questionnaire de déclaration des risques, par lequel l’assureur encadre les informations attendues. Ce dispositif, certes utile pour sécuriser les échanges, ne délimite cependant pas à lui seul l’étendue de l’obligation déclarative. La jurisprudence rappelle régulièrement que l’assuré reste tenu, indépendamment des questions posées, de révéler tout élément pertinent. Le formulaire n’en constitue que le support : c’est le principe de sincérité qui en définit la portée.

Surtout, cette obligation ne s’épuise pas à la formation du contrat. Parce que l’assurance est un contrat à exécution successive, les données initiales peuvent évoluer, et avec elles, la nature du risque garanti. D’où l’existence d’une obligation complémentaire, celle d’informer l’assureur en cas de circonstances nouvelles ou d’aggravation du risque. Le législateur a expressément encadré cette dimension temporelle, en étendant l’obligation de déclaration au-delà de la conclusion du contrat, et en prévoyant des sanctions en cas de manquement.

Il en résulte une asymétrie assumée?: le preneur d’assurance, précisément parce qu’il sollicite la protection d’un risque qu’il connaît mieux que son assureur, est tenu à un devoir actif de coopération. Ce devoir n’est pas accessoire. Il est au cœur du mécanisme assurantiel. Loin d’être un simple droit à l’information, comme en droit de la consommation, l’obligation de renseignement devient pour l’assuré une obligation déterminante, à la fois fondement du consentement de l’assureur, gage de loyauté contractuelle, et condition de stabilité du régime de garantie. Toute omission ou inexactitude altère l’équilibre du contrat et compromet le fonctionnement même de la mutualisation des risques.

B. Modalités de la déclaration des risques

1. Droit antérieur

Avant d’être réformé par la loi n°89-1014 du 31 décembre 1989, le droit des assurances imposait à l’assuré une obligation particulièrement rigoureuse : celle de déclarer, de sa propre initiative, toutes les circonstances dont il avait connaissance et qui étaient de nature à influencer l’appréciation du risque par l’assureur. Ce devoir, énoncé à l’ancien article L. 113-2, 2° du Code des assurances issu de la loi du 13 juillet 1930, s’inscrivait dans un régime que l’on qualifie classiquement de « déclaration spontanée ». Il commandait à l’assuré de se projeter dans la position de son cocontractant, pour deviner ce qui pourrait l’intéresser dans l’évaluation du risque, sans que celui-ci ait à lui poser la moindre question.

L’exigence pouvait sembler théoriquement cohérente dans un modèle fondé sur la bonne foi contractuelle, mais elle se révélait en pratique d’une redoutable sévérité. L’assuré, souvent profane, était contraint d’apprécier seul le périmètre de son obligation de déclaration, sous peine de s’exposer aux sanctions les plus lourdes, et notamment à la nullité du contrat en cas de réticence ou de fausse déclaration même intentionnelle (C. assur., art. L. 113-8). La jurisprudence elle-même soulignait que l’assuré devait révéler tout élément de nature à influencer l’opinion de l’assureur sur les risques qu’il prenait à sa charge (Cass. 1re civ., 2 nov. 1954). Ce dispositif traduisait une conception déséquilibrée du contrat d’assurance, en faisant peser sur l’assuré seul la double charge de l’initiative déclarative et de l’appréciation des éléments pertinents à révéler.

Certes, la pratique avait progressivement vu émerger l’usage de questionnaires de risques, mais ceux-ci n’avaient, aux yeux de la jurisprudence, qu’une valeur indicative. Ils ne réduisaient en rien la portée de l’obligation spontanée. Ainsi, la Cour de cassation considérait que les questions de l’assureur n’avaient d’autre fonction que d’attirer l’attention de l’assuré sur certaines circonstances, sans limiter pour autant l’étendue de son obligation de déclaration (Cass. 1re civ., 3 déc. 1974, n° 73-12.610). Le questionnaire ne servait donc pas à borner le champ de l’obligation, mais seulement à en rappeler la gravité.

Ce régime, par trop exigeant, était à bien des égards critiqué. La doctrine dénonçait la logique implicite d’un système dans lequel l’assuré, à défaut de disposer des compétences techniques de l’assureur, pouvait omettre des éléments essentiels sans mauvaise foi, simplement faute d’en avoir perçu la pertinence. Cette situation mettait en péril l’équité de la relation contractuelle, mais aussi le bon fonctionnement du mécanisme assurantiel fondé sur la mutualisation du risque. Comme l’écrivait Pierre Catala, la justice commutative au sein de la mutualité exigeait que l’assuré, même de bonne foi, puisse être sanctionné lorsqu’il avait involontairement minoré le risque déclaré, au détriment de l’équilibre économique de l’ensemble des contrats.

La rigueur du régime antérieur se doublait d’une incertitude jurisprudentielle quant aux conditions d’engagement de la responsabilité de l’assuré en cas d’omission. Bien que la charge de la preuve incombât en principe à l’assureur, notamment s’agissant de l’inexactitude ou du caractère déterminant de l’élément non déclaré, cette exigence probatoire demeurait insuffisante pour compenser l’asymétrie structurelle entre les parties. À l’assureur, professionnel aguerri, répondait un assuré le plus souvent profane, contraint d’anticiper, sans assistance, les attentes implicites de son cocontractant. Ce déséquilibre, à la fois technique et économique, expliquait l’instabilité d’un contentieux abondant et l’appel croissant à une réforme du dispositif légal.

C’est dans ce contexte que la loi n° 89-1014 du 31 décembre 1989 est venue refonder les modalités de déclaration du risque. En substituant au modèle de la déclaration spontanée un mécanisme fondé sur l’interrogation explicite de l’assuré — via un questionnaire formalisé — le législateur a opéré un renversement du système mis en place depuis 1930. La logique déclarative, jusque-là spontanée et extensive, a cédé la place à une logique de réponse provoquée, délimitée par les seules questions posées. Cette réforme a profondément modifié les équilibres de la phase précontractuelle, en recentrant la responsabilité de l’information sur celui qui, seul, est en mesure d’identifier les éléments déterminants pour l’appréciation du risque.

2. Droit positif

a. Le principe du questionnaire : vers une déclaration provoquée

La loi n° 89-1014 du 31 décembre 1989 a profondément modifié le régime de la déclaration des risques en assurance, en substituant au système de la déclaration spontanée un modèle fondé sur l’interrogation explicite de l’assuré. Cette réforme, introduite à l’article L. 113-2, 2° du Code des assurances, impose désormais à l’assuré de « répondre exactement aux questions posées par l’assureur, notamment dans le formulaire de déclaration du risque par lequel l’assureur l’interroge lors de la conclusion du contrat, sur les circonstances qui sont de nature à faire apprécier par l’assureur les risques qu’il prend en charge ». Cette substitution d’une logique de réponse à une logique de déclaration inaugure ce que la doctrine a qualifié de « déclaration provoquée », fondée sur un principe de questionnaire préalablement établi par le professionnel.

Ce renversement s’inscrit dans la reconnaissance d’un déséquilibre économique et technique : seul l’assureur, en sa qualité de professionnel du risque, est en mesure d’identifier les données nécessaires à l’évaluation du risque, tandis que l’assuré, généralement profane, ne dispose pas des moyens de discerner ce qui mérite d’être révélé. En effet, comme le soulignait déjà la Commission des clauses abusives dès 1985, l’assuré ne peut raisonnablement savoir quelles circonstances sont de nature à influencer l’appréciation du risque par l’assureur. Il revient donc à ce dernier de poser les questions pertinentes. Le rôle de l’assuré se limite dès lors à y répondre loyalement, avec exactitude et sincérité. Ce renversement de la charge de l’initiative est au cœur de la philosophie de la réforme.

Ainsi conçu, le questionnaire constitue la modalité centrale, sinon exclusive, de la déclaration initiale du risque. Il appartient à l’assureur d’élaborer un formulaire limitatif et précis, adapté aux spécificités du risque en cause. L’assuré, quant à lui, n’est tenu de déclarer que les circonstances expressément visées par ce questionnaire. Il en résulte qu’à défaut d’interrogation sur un point déterminé, même important, l’assuré ne saurait être sanctionné d’un défaut de révélation (Cass. 1re civ., 16 févr. 1994, n°90-19.022).

Cette répartition des obligations n’exclut toutefois pas la recevabilité de déclarations effectuées spontanément par l’assuré, en dehors de tout questionnaire. La jurisprudence admet qu’un mensonge sur une circonstance révélée à l’initiative de l’assuré puisse engager sa responsabilité au titre de l’article L. 113-8 du Code des assurances (Cass. 2e civ., 4 févr. 2016, n°15-13.850). Cette solution, confirmée à plusieurs reprises, conduit à considérer que le principe du questionnaire n’exclut pas toute prise en compte des déclarations spontanées, notamment lorsqu’elles s’avèrent mensongères. Néanmoins, en l’absence d’une telle mauvaise foi, aucune obligation autonome de déclaration spontanée ne saurait être invoquée à l’encontre de l’assuré.

Il importe également de souligner la portée exacte de l’obligation de réponse mise à la charge de l’assuré. Ce dernier n’est tenu de répondre qu’aux questions relatives aux circonstances de nature à faire apprécier par l’assureur les risques qu’il prend en charge, selon les termes mêmes de l’article L. 113-2. Autrement dit, une omission ou une inexactitude ne peut être reprochée à l’assuré qu’à la condition que la circonstance en cause ait eu une incidence sur l’évaluation du risque garanti, et non d’un risque exclu ou étranger au contrat. La Cour de cassation a d’ailleurs évolué sur ce point, en jugeant qu’un mensonge portant sur un risque exclu peut néanmoins influencer l’opinion de l’assureur sur le risque couvert, et donc fonder une sanction (Cass. 1re civ., 22 mai 2002, n°00-12.419).

Enfin, la déclaration de l’assuré est conditionnée à la connaissance effective de la circonstance à révéler. La jurisprudence précise que l’assuré n’est pas tenu de répondre exactement à des questions sur des faits qu’il ignore (Cass. 1re civ., 1er févr. 2000, n°97-11.539). Elle reconnaît également que l’absence de conscience de devoir déclarer une circonstance, en raison par exemple de la confiance accordée aux affirmations médicales reçues, exclut la mauvaise foi (Cass. 1re civ., 26 mars 1996, n°93-21.727) et peut justifier l’absence de sanction même sur le fondement de l’article L. 113-9 du Code des assurances.

b. La technique du questionnaire fermé

La réforme de 1989 n’a pas seulement substitué à l’ancienne déclaration spontanée une déclaration provoquée?; elle a également consacré une technique spécifique : celle du questionnaire dit «?fermé?». Ce procédé, aujourd’hui au cœur de la phase précontractuelle en assurance, vise à structurer et à canaliser l’expression du risque à travers un support établi par l’assureur. Il en résulte un modèle de questions standardisé, reposant sur des questions fermées, précises et adaptées à la nature du contrat.

i. La contenu du questionnaire

Le questionnaire est aujourd’hui l’instrument central de la déclaration du risque. Son contenu, loin de relever d’un simple choix rédactionnel, obéit à un encadrement précis par les textes et la jurisprudence. C’est à l’assureur qu’il revient de formuler des questions claires, ciblées et adaptées, seules aptes à fonder l’obligation de réponse de l’assuré et, le cas échéant, à justifier les sanctions prévues en cas de fausse déclaration.

==>L’exigence de clarté et de précision

L’article L. 112-3, alinéa 4, du Code des assurances énonce un principe cardinal : l’assureur ne peut se prévaloir d’une réponse imprécise que s’il a lui-même posé une question claire. Ainsi, « lorsque, avant la conclusion du contrat, l’assureur a posé des questions par écrit à l’assuré, notamment par un formulaire de déclaration du risque ou par tout autre moyen, il ne peut se prévaloir du fait qu’une question exprimée en termes généraux n’a reçu qu’une réponse imprécise ». La jurisprudence a tiré toutes les conséquences de ce texte en exigeant des questions exemptes d’ambiguïté, dont la formulation permette à un assuré normalement avisé de comprendre l’étendue de son devoir déclaratif (Cass. 2e civ., 29 juin 2017, n° 16-18.975).

Cette exigence formelle a valeur probatoire, en ce qu’elle conditionne l’opposabilité des réponses données. L’assureur ne saurait invoquer une déclaration inexacte ou incomplète sans démontrer qu’elle répondait à une question suffisamment déterminée, au risque de voir sa prétention rejetée. Il lui appartient donc, dans un souci de loyauté contractuelle, de rédiger ses questions de manière intelligible et spécifique, en tenant compte du niveau d’information du souscripteur.

==>La formulation de questions fermées

Le questionnaire de déclaration repose sur une logique fermée : il ne s’agit pas de provoquer une narration libre des circonstances entourant le risque, mais de solliciter des réponses factuelles à des interrogations ciblées. Cette méthode suppose des formulations structurées, à visée binaire (oui/non), ou à tout le moins réductibles à des réponses objectives et vérifiables. L’objectif est de guider le souscripteur, d’orienter ses réponses, et ainsi de canaliser l’information utile à l’appréciation du risque par l’assureur.

La Cour de cassation admet qu’une question générale puisse être réputée précise lorsqu’elle ne laisse place à aucune incertitude, notamment si elle est accompagnée de compléments explicites (v. par ex., « êtes-vous atteint d’une affection quelconque ? laquelle?» : Cass. 1re civ., 27 janv. 2004, n° 00-19.402). En revanche, une formulation vague ou équivoque ne saurait fonder, en cas de réponse erronée, la mise en œuvre des sanctions prévues aux articles L. 113-8 et L. 113-9 du Code des assurances (Cass. 2e civ., 13 déc. 2018, n° 17-28.093).

==>La diversité des questions posées

Le contenu du questionnaire peut porter tant sur des éléments objectifs relatifs au risque (nature du bien, conditions d’usage, antécédents de sinistre, situation géographique, etc.) que sur des données subjectives relatives au souscripteur (état de santé, situation familiale, profession, autres assurances souscrites). La Cour de cassation a d’ailleurs reconnu à l’assureur le droit de poser des questions relatives à des risques non garantis, dès lors que ces informations sont de nature à influencer son opinion sur le risque couvert (Cass. 1re civ., 22 mai 2002, n° 00-12.419).

Même en matière d’assurances de personnes, où le principe indemnitaire est inapplicable et où la possibilité de cumul contractuel est reconnue, l’assureur est en droit de solliciter la communication d’éventuels contrats antérieurs ou concomitants, dans la mesure où cette donnée peut éclairer l’acceptabilité du risque.

==>La personnalisation des questions

L’assureur, en sa qualité de professionnel, assume la responsabilité de formuler un questionnaire adapté à la nature du contrat et au profil du souscripteur. Cette exigence, bien que contraignante, s’explique par l’objectif poursuivi : fournir à l’assureur les informations pertinentes tout en ménageant un cadre protecteur pour l’assuré. En cas de contentieux, les juridictions n’hésitent pas à sanctionner l’imprécision ou l’absence de personnalisation, qu’il s’agisse d’une clause de style ou d’une formulation trop générale.

En définitive, la rigueur attendue dans la rédaction des questions n’est pas une simple exigence de forme : elle est le corollaire de la répartition équilibrée des charges déclaratives entre les parties. Dans le modèle issu de la réforme de 1989, l’assureur ne peut revendiquer une information qu’il n’a pas pris soin de solliciter avec suffisamment de précision.

ii. La forme du questionnaire

==>Questions orales

L’article L. 113-2, 2° du Code des assurances, dans sa rédaction issue de la loi n° 89-1014 du 31 décembre 1989, oblige l’assuré à répondre exactement aux questions posées par l’assureur, « notamment dans le formulaire de déclaration du risque ». L’usage de l’adverbe notamment traduit une volonté claire du législateur : celle de ne pas enfermer l’obligation déclarative dans la seule formalisation écrite. Autrement dit, le droit positif n’exige pas que les questions posées à l’assuré soient nécessairement couchées sur un support écrit, ni même qu’elles prennent la forme d’un questionnaire formel et standardisé.

Cette souplesse permet d’admettre, sous réserve de garanties suffisantes, la validité des interrogations verbales, y compris par téléphone ou en face-à-face. La Cour de cassation l’a expressément reconnu dans un arrêt du 4 février 2016, en affirmant que l’article L. 113-2 n’imposait nullement la remise d’un questionnaire écrit préalable (Cass. 2e civ., 4 févr. 2016, n° 15-13.850). L’obligation de l’assureur ne porte donc pas sur la forme du questionnement, mais sur sa substance : les questions doivent être précises, loyales et de nature à permettre à l’assuré d’y répondre utilement. C’est ce que rappelle également l’article L. 112-3, alinéa 4, qui vise les questions « par écrit », sans exclure d’autres procédés équivalents, pourvu que la preuve de leur existence soit rapportée.

Ainsi, la déclaration de risque peut valablement découler d’un échange oral, à condition que le souscripteur ait ensuite été mis en mesure de vérifier, de confirmer ou de corriger ses réponses. Tel fut le cas dans une affaire concernant une souscription téléphonique, où la haute juridiction a validé la procédure suivie dès lors que l’assuré avait signé, ultérieurement, les conditions particulières récapitulant les réponses fournies verbalement (Cass. 2e civ., 16 déc. 2010, n° 10-10.859). Cette possibilité est également transposable à d’autres supports, tels que les parcours numériques, où le questionnaire est rempli avant toute interaction directe avec l’assureur.

La reconnaissance de la validité des questions orales n’implique pas pour autant une absence de contrôle. Il appartient aux juges du fond de s’assurer que ces questions ont bien été posées, que leur contenu était compréhensible, et que l’assuré a pu y répondre de manière éclairée. À défaut, la nullité du contrat ne saurait être prononcée sur le fondement des articles L. 113-8 et L. 113-9 du Code des assurances. La jurisprudence constante exige que la fausse déclaration ou la réticence reprochée procède de la réponse apportée à une question loyale, précise et intelligible, quelle que soit sa forme initiale.

==>Déclarations pré-rédigées

L’essor des pratiques de souscription standardisée a vu se généraliser l’usage de «déclarations pré-rédigées», insérées directement dans les conditions particulières des polices d’assurance. Ces clauses, par lesquelles l’assuré est réputé avoir fourni certaines informations déterminantes, posent la question de leur opposabilité en l’absence d’un véritable dialogue interrogatif. Le droit positif, éclairé par une abondante jurisprudence, en a progressivement précisé le régime.

Par un arrêt de principe du 7 février 2014, la Cour de cassation, siégeant en chambre mixte, a solennellement consacré les limites juridiques opposables aux déclarations pré-rédigées, lorsqu’elles sont invoquées par l’assureur à l’appui d’une demande de nullité du contrat pour fausse déclaration intentionnelle (Cass. ch. mixte, 7 févr. 2014, n° 12-85.107). Saisi d’un litige opposant un assureur à un souscripteur auquel il reprochait une fausse déclaration intentionnelle quant à l’existence d’antécédents de retrait de permis, la Cour de cassation rappelle que la validité d’une telle sanction suppose, à peine de nullité, que les déclarations incriminées procèdent de réponses apportées à des questions précises posées lors de la phase précontractuelle, conformément aux articles L. 113-2, 2°, L. 112-3, alinéa 4 et L. 113-8 du Code des assurances.

Dans cette affaire, le contrat d’assurance automobile conclu par le souscripteur avait été établi sur la base de conditions particulières mentionnant notamment, sous une rubrique intitulée « Déclaration », que celui-ci n’avait pas fait l’objet, dans un certain délai, d’une suspension ou d’une annulation de permis. Ces mentions, pré-imprimées dans le corps du contrat, avaient été signées par le souscripteur avec la formule usuelle « lu et approuvé ». L’assureur, confronté à la révélation d’une annulation de permis antérieure à la souscription, avait opposé la nullité du contrat pour fausse déclaration intentionnelle.

La Cour d’appel, accueillant cette argumentation, avait prononcé la nullité du contrat d’assurance, estimant que la déclaration inexacte, formalisée dans les conditions particulières, révélait l’intention frauduleuse du souscripteur. La Cour de cassation censure cette décision. Elle énonce que la réticence ou la fausse déclaration intentionnelle de l’assuré ne peut être sanctionnée que si elle résulte des réponses qu’il a effectivement apportées à des questions précises posées par l’assureur, notamment dans le formulaire de déclaration du risque utilisé lors de la conclusion du contrat.

Autrement dit, la seule présence d’une clause pré-rédigée dans les documents contractuels, fût-elle signée, ne saurait tenir lieu de réponse au sens des dispositions légales. Elle ne permet pas à l’assureur de justifier d’un manquement à l’obligation de déclaration de l’assuré, dès lors qu’elle ne s’inscrit pas dans le cadre d’un dialogue formalisé, structuré autour d’interrogations explicites.

Ce principe, désormais fermement établi, tranche une divergence ancienne entre la chambre criminelle — traditionnellement stricte sur l’exigence de questions préalables posées par écrit — et la deuxième chambre civile, plus encline à admettre la force probatoire des déclarations pré-imprimées. Il en résulte que l’assureur ne peut se prévaloir d’une fausse déclaration intentionnelle fondée sur une clause pré-rédigée si elle ne repose pas sur une interrogation individualisée et circonstanciée. La jurisprudence récente le confirme avec constance, tant en matière d’assurance automobile (Cass. 2e civ., 3 juill. 2014, n° 13-18.760) que d’assurance habitation (Cass. 2e civ., 26 mars 2015, n° 14-15.204) ou de prévoyance (Cass. 2e civ., 11 juin 2015, n° 14-14.336).

Pour être opposable, la déclaration pré-rédigée doit ainsi répondre à une double exigence : d’une part, elle doit découler d’un questionnaire effectivement soumis à l’assuré, d’autre part, celui-ci doit avoir été mis en mesure de lire, comprendre et éventuellement contester le contenu des affirmations portées à sa signature. Cette rigueur protectrice découle directement du principe de personnalisation de la déclaration du risque, qui fonde l’équilibre économique du contrat d’assurance.

L’exemple emblématique en la matière est celui de la « déclaration de bonne santé », fréquemment exigée en assurance emprunteur ou en prévoyance. L’assuré y atteste ne pas souffrir d’affection connue susceptible de modifier l’appréciation du risque. Toutefois, cette clause ne produit d’effet qu’à condition d’être rédigée en des termes compréhensibles, exempts d’ambiguïté, et accompagnée d’une information suffisante sur les conséquences d’une inexactitude. À défaut, l’assureur encourt la déchéance de son droit à se prévaloir de l’article L. 113-8 du Code des assurances.

Il appartient donc au juge du fond de vérifier, concrètement, si l’assuré a été placé en situation de consentir librement et en connaissance de cause aux déclarations mentionnées dans le contrat. Ce contrôle, empreint de pragmatisme, peut conduire à rejeter l’argument d’une déclaration mensongère lorsque l’assuré n’a pas eu l’opportunité réelle de répondre à une question individualisée, ou lorsque la clause se borne à reproduire des formules impersonnelles et générales.

Ce faisant, la jurisprudence renforce l’obligation de loyauté dans l’élaboration de l’instrumentum contractuel. Elle rappelle à l’assureur que la mise en œuvre du mécanisme déclaratif suppose non seulement la transparence du processus de souscription, mais également l’effectivité de la participation de l’assuré à la construction du contenu du contrat. Le procédé des déclarations pré-imprimées, s’il n’est pas interdit per se, demeure ainsi placé sous haute surveillance.

C. Déclaration provoquée et effets résiduels de la déclaration spontanée

L’instauration, par la loi du 31 décembre 1989, d’un système déclaratif fondé sur le questionnaire fermé n’a pas totalement exclu la prise en compte de déclarations spontanées. Si le législateur a entendu substituer à l’ancien régime — fondé sur une obligation générale de révélation des circonstances connues de l’assuré — un mécanisme plus encadré, il n’a pas pour autant banni les initiatives déclaratives émanant de l’assuré ou de son mandataire.

En principe, l’assureur ne peut se prévaloir d’une réticence ou d’une fausse déclaration que si elle résulte des réponses apportées par l’assuré aux questions qu’il lui a posées lors de la phase précontractuelle (C. assur., art. L. 113-2, 2° et L. 112-3, al. 4). Ce principe a été confirmé de manière constante par la Cour de cassation (Cass. 2e civ., 15 févr. 2007, n° 05-20.865).

Toutefois, certaines juridictions du fond ont, sur le fondement de la bonne foi contractuelle, admis que des déclarations faites à l’initiative de l’assuré, même en l’absence de questionnaire, puissent engager ce dernier si elles s’avéraient mensongères (Cass. 3e civ., 8 juill. 2015, n° 13-25.223). Dans ce cadre, la déclaration spontanée retrouve une certaine portée, à condition qu’elle ait été volontaire et qu’elle ait induit l’assureur en erreur.

Cette analyse est partiellement validée par la jurisprudence de la Cour de cassation, qui reconnaît que des déclarations spontanées peuvent fonder une nullité pour fausse déclaration intentionnelle, dès lors qu’elles sont inexactes et de nature à modifier l’appréciation du risque (Cass. 2e civ., 3 mars 2016, n° 15-13.500).

La jurisprudence admet ainsi qu’un assuré puisse, de sa propre initiative, formuler des révélations sur le risque, en complément ou en l’absence de questionnaire. Mais cette déclaration spontanée, pour produire des effets juridiques, doit émaner exclusivement de la volonté de l’assuré, sans y avoir été contraint. À défaut, l’assureur demeure tenu de poser les questions utiles à son appréciation du risque.

Ce faisant, le juge opère une distinction nette entre l’initiative de l’assureur et celle de l’assuré?: seul ce dernier peut choisir de révéler des circonstances sans y avoir été invité. En revanche, l’assureur ne peut s’exonérer de ses obligations en prétendant que l’assuré aurait dû déclarer spontanément une circonstance déterminée, si cette dernière n’a pas fait l’objet d’un questionnement formel.

L’acceptation résiduelle de la déclaration spontanée n’est pas sans limites. Elle ne saurait se substituer au dispositif du questionnaire dans les branches d’assurance soumises à ce régime impératif. Il en va différemment pour certaines catégories d’assurances, notamment les assurances maritimes et de transport, où l’article L. 172-2 du Code des assurances maintient le modèle déclaratif antérieur, en raison de la qualité d’« assuré averti » généralement reconnue aux souscripteurs.

Enfin, cette coexistence de la déclaration provoquée et de la déclaration spontanée appelle une vigilance accrue du juge. Celui-ci doit s’assurer que la déclaration non sollicitée, si elle est invoquée, ait été libre, intelligible et dénuée d’ambiguïté. Dans le cas contraire, l’assureur ne peut utilement s’en prévaloir pour invoquer une réticence ou une fausse déclaration.

D. Conditions d’opposabilité et efficacité du questionnaire

Le fondement de l’opposabilité du questionnaire réside dans sa fonction même : permettre à l’assureur de se forger une opinion éclairée sur le risque qu’il accepte de garantir. C’est en ce sens que l’article L. 113-2, 2° du Code des assurances impose à l’assuré de répondre exactement aux questions posées par l’assureur, « notamment dans le formulaire de déclaration du risque », dès lors qu’elles portent sur des « circonstances de nature à faire apprécier par l’assureur les risques qu’il prend en charge ». La jurisprudence y rattache fermement le sort du contrat, en ce qu’une réponse inexacte portant sur un élément pertinent altérant l’appréciation du risque est susceptible d’entraîner sa nullité (Cass. 1re civ., 22 mai 2002, n° 00-12.419).

À cet égard, la jurisprudence admet expressément que le questionnaire puisse porter sur des circonstances relatives à un risque exclu de la garantie, dès lors que l’information sollicitée est susceptible d’influer l’opinion de l’assureur sur les risques effectivement pris en charge. Ce lien fonctionnel est particulièrement saillant en assurance de personnes, où une affection médicalement exclue peut révéler une vulnérabilité favorisant la réalisation d’un autre sinistre couvert.

L’efficacité du questionnaire suppose, corrélativement, que les réponses apportées par l’assuré soient exactes, c’est-à-dire complètes, sincères et intelligibles. Il s’agit d’un prolongement naturel du principe de bonne foi consacré aux articles 1104 et 1112 du Code civil, et qui irrigue l’ensemble du processus précontractuel.

La réponse ne peut être tenue pour fautive si l’assuré ignorait la circonstance à déclarer — par exemple, une pathologie asymptomatique non diagnostiquée (Cass. 1re civ., 1er févr. 2000, n°97-11.539). De même, l’absence de conscience de devoir déclarer la circonstance, telle qu’une myopie ancienne ou des antécédents médicaux que l’assuré croyait sans incidence, exclut toute mauvaise foi (Cass. 1re civ., 6 janv. 1994, n°91-20.095).

Cette approche fondée sur la subjectivisation de l’obligation déclarative, désormais bien ancrée dans la jurisprudence, impose à l’assureur d’établir non seulement la connaissance de la circonstance, mais aussi la conscience de sa pertinence pour l’évaluation du risque.

L’efficacité du dispositif repose enfin sur la qualité du questionnaire lui-même. L’assureur ne peut se prévaloir d’une déclaration inexacte que si elle a été fournie en réponse à une question claire, précise et individualisée, formulée avant la conclusion du contrat. Tel est l’enseignement constant de la jurisprudence depuis l’arrêt de principe de la chambre mixte du 7 février 2014 (Cass., ch. mixte, 7 févr. 2014, n° 12-85.107), réaffirmé depuis lors par de nombreuses décisions, tant civiles que pénales (v. par ex. : Cass. 2e civ., 13 déc. 2018, n°17-28.093 ; Cass. crim., 18 mars 2014, n° 12-87.195).

L’article L. 112-3, alinéa 4 du Code des assurances en précise les contours : « Lorsque, avant la conclusion du contrat, l’assureur a posé des questions par écrit […], il ne peut se prévaloir du fait qu’une question exprimée en termes généraux n’a reçu qu’une réponse imprécise. » Autrement dit, l’imprécision de la question interdit toute sanction à l’encontre de l’assuré, fût-il de mauvaise foi (Cass. 1re civ., 16 févr. 1994).

Les clauses de déclaration pré-rédigée ne peuvent suppléer à cette exigence, sauf à démontrer l’existence de réponses effectivement données à des questions précises et antérieures à la conclusion du contrat. En l’absence de telles garanties procédurales, elles sont réputées non écrites et inopposables (Cass. 2e civ., 4 avr. 2024, n°22-18.176).

Aussi, il appartient à l’assureur d’établir, cumulativement :

  • que des questions précises ont été posées,
  • que l’assuré y a répondu de façon erronée ou incomplète,
  • que cette déclaration inexacte a exercé une influence sur son opinion du risque.

Cette triple démonstration est d’autant plus rigoureuse que la jurisprudence admet, avec nuance, la prise en compte de déclarations spontanées (Cass. 2e civ., 17 janv. 2019, n°15-18.514), voire d’aveux, pour fonder la nullité du contrat (Cass. 2e civ., 3 mars 2016, n°15-13.500). Toutefois, de telles hypothèses restent dérogatoires et strictement encadrées.

Enfin, la signature du questionnaire (ou de ses transpositions dans les conditions particulières) constitue un élément probatoire fondamental, à condition qu’elle atteste d’un réel échange déclaratif et non d’un simple acquiescement à une formulation unilatérale.

E. Les limites du dispositif déclaratif

Si le modèle du questionnaire fermé a profondément renouvelé les équilibres de la phase précontractuelle, il n’échappe pas à de sérieuses limites pratiques, tant dans sa conception que dans sa mise en œuvre. Ces limites tiennent, d’une part, aux failles intrinsèques du support déclaratif lui-même et, d’autre part, aux contraintes juridiques, économiques et éthiques qui pèsent sur la collecte de certaines informations. Loin d’être marginales, ces tensions structurent une zone grise du droit des assurances, dans laquelle s’opèrent, à travers des arbitrages implicites, de délicats compromis entre la protection du consentement, la transparence du risque, et l’efficacité commerciale de l’opération d’assurance.

1. Les limites inhérentes au système du questionnaire

La première limite est d’ordre structurel : en dépit de ses vertus de clarté, le questionnaire demeure un outil imparfait, dont l’apparente exhaustivité masque mal les lacunes.

Conçu pour rationaliser la collecte d’informations, le questionnaire ne saurait prétendre à une couverture intégrale du champ du risque. Par définition fermé, il ne permet pas à l’assureur de sonder toutes les facettes de la situation à couvrir, ni à l’assuré de signaler spontanément les éléments que le questionnaire omet. Cette insuffisance fonctionnelle, souvent soulignée par la jurisprudence se manifeste particulièrement en matière d’assurances de personnes, où les questionnaires passent fréquemment sous silence l’existence de contrats antérieurs ou d’antécédents médicaux non directement interrogés.

La volonté d’exhaustivité se heurte à une autre exigence : celle de l’accessibilité du document pour un public de souscripteurs profanes. Une inflation des questions nuit à la lisibilité de l’offre, brouille la perception du risque, et expose l’assureur à des griefs sur le terrain du devoir de clarté contractuelle. Cet équilibre fragile est d’autant plus délicat à maintenir que les impératifs de conformité réglementaire (compliance) imposent des niveaux croissants de transparence et de traçabilité.

L’accompagnement du candidat à l’assurance dans le remplissage du questionnaire est un moment stratégique de la relation d’assurance, où se jouent à la fois l’exactitude de la déclaration et le respect du devoir de conseil. La jurisprudence souligne régulièrement la responsabilité de l’intermédiaire lorsqu’il contribue à une fausse déclaration, voire lorsqu’il ferme volontairement les yeux sur des omissions manifestes (Cass. 3e civ., 8 juill. 2015, n°13-25.223). La frontière est parfois ténue entre simple assistance et complicité passive, posant la question d’un éventuel devoir de vérification du courtier ou de l’agent.

2. Les limites tenant à la collecte de certaines informations

Si l’exigence d’exactitude de la déclaration du risque constitue l’un des piliers de la relation d’assurance, cette exigence se heurte à des bornes que le droit positif oppose à la collecte de certaines données personnelles. Ces limites, d’ordre juridique, déontologique ou constitutionnel, sont particulièrement sensibles en matière d’assurances de personnes, où l’appréhension du risque implique une connaissance fine de l’état de santé de l’assuré. Mais l’économie du contrat d’assurance ne saurait justifier la levée systématique de droits fondamentaux. À cet égard, le secret médical constitue le point de friction le plus emblématique entre l’impératif de sélection du risque et le respect du droit des personnes.

==>La limite du secret médical

Le secret médical est appréhendé en droit français comme une règle d’ordre public, d’une rigueur particulière. L’article L. 1110-4 du Code de la santé publique érige le secret en un principe général applicable à toute information relative à la santé, tandis que l’article L. 1141-1 interdit expressément aux organismes d’assurance de tenir compte, même avec l’accord de la personne concernée, des résultats d’examens génétiques. De surcroît, le secret s’impose au médecin à un double titre : en vertu du serment d’Hippocrate, mais également au regard du Code de déontologie médicale (art. R. 4127-4 CSP), qui prohibe toute communication non expressément autorisée.

La Cour de cassation rappelle avec constance que le médecin traitant ne saurait être tenu de transmettre à un assureur, même indirectement via son médecin-conseil, les données couvertes par le secret, sauf accord exprès, spécifique, et circonstancié de l’assuré ou de ses ayants droit (Cass. 1re civ., 6 janv. 1998, n°95-19.902 et 96-16.721). A cet égard, la clause par laquelle le souscripteur autorise cette transmission n’est licite qu’à la condition qu’elle respecte trois exigences cumulatives : elle doit écarter les données génétiques, être mise en œuvre par l’assuré lui-même, et ne pas contraindre le médecin à révéler ce que son statut de tiers au contrat l’empêche légalement de transmettre (Cass. 1re civ., 29 oct. 2002, n°99-17.187).

==>L’émergence prétorienne du critère d’intérêt légitime

Conscient des obstacles probatoires que peut représenter le secret médical en cas de fausse déclaration dolosive, le juge civil a introduit un tempérament : celui tenant à l’intérêt légitime. L’opposition à la levée du secret n’est recevable que si elle tend à préserver un intérêt moral digne de protection, et non si elle constitue une manœuvre pour faire échec à l’exécution de bonne foi du contrat.

L’arrêt de principe rendu par la première chambre civile le 15 juin 2004 est éclairant : il reconnaît au juge le pouvoir d’écarter l’exception de secret médical lorsque celle-ci a pour seul objet d’empêcher l’assureur d’établir une réticence intentionnelle (Cass. 1re civ., 15 juin 2004, n°01-02.338). De manière convergente, la cour d’appel de Douai a souligné, dans un arrêt du 12 avril 2007, que « le secret médical et l’obligation de sincérité sont deux intérêts également protégés par la loi » et qu’il n’est pas possible de faire systématiquement prévaloir le premier au détriment du second, sauf à priver d’effet l’article L. 113-8 du Code des assurances (CA Douai, 12 avr. 2007).

Cette position est reprise par les juridictions du fond et confortée par la doctrine selon laquelle le secret ne saurait être invoqué dans un dessein illégitime, tel que couvrir une fraude à l’assurance.

==>Le rôle du médecin-conseil

L’assureur ne peut, en aucun cas, recevoir directement les données de santé du souscripteur. Il doit obligatoirement passer par son médecin-conseil, dont la mission est strictement encadrée. Ce dernier ne peut recevoir des données médicales qu’à condition qu’elles lui soient adressées sous pli confidentiel, que son identité soit expressément mentionnée dans la demande, et que le consentement éclairé de l’assuré soit préalablement recueilli.

Dans sa recommandation n°MSP 2013-209 du 26 novembre 2013, le Défenseur des droits a rappelé avec force que « la loi n’a pas prévu de secret partagé entre les professionnels de santé et les sociétés d’assurances ou leurs médecins-conseils ». Dès lors, toute communication médicale à l’assureur ne peut intervenir que dans des conditions rigoureusement circonscrites, à l’exclusion de tout questionnaire préétabli transmis par l’assureur au médecin traitant. La communication doit être minimale, proportionnée et cantonnée aux informations strictement nécessaires à l’exécution du contrat (v. CE, 26 sept. 2005, n°270234).

Le médecin-conseil ne peut, en outre, se prévaloir de sa fonction pour transmettre à l’assureur des données confidentielles obtenues auprès du médecin traitant. Ce dernier, tenu par le secret, engage sa responsabilité civile, pénale et disciplinaire en cas de divulgation (Cass. 1re civ., 12 janv. 1999, n°96-20.580 ; CSP, art. R. 4127-4). Le secret médical, même dans l’assurance, demeure un verrou éthique et juridique majeur, dont le contournement ne saurait être admis sous prétexte de sélection du risque.

3. Les limites tenant aux aspects économiques et commerciaux

Au-delà des limites techniques et juridiques pesant sur la collecte des informations relatives au risque, le système déclaratif se trouve contraint, dans sa mise en œuvre concrète, par des logiques exogènes à la rationalité assurantielle. La quête de performance commerciale et la standardisation des parcours clients altèrent la qualité et la rigueur du recueil des déclarations. Il en résulte une tension structurelle entre l’exactitude souhaitée du dispositif et la simplicité revendiquée de l’offre.

Dans un marché libéralisé, où la rapidité de souscription, la simplicité perçue des démarches et la transparence tarifaire constituent des atouts décisifs pour capter la clientèle, les assureurs sont incités à alléger les questionnaires de déclaration du risque. Le souci de fluidifier l’expérience utilisateur l’emporte souvent sur l’exigence d’exhaustivité. Les questions sont alors simplifiées, voire volontairement édulcorées, afin de ne pas rebuter le prospect par un formalisme jugé excessif. Cette démarche, dictée par des considérations purement commerciales, affaiblit mécaniquement la rigueur du recueil déclaratif.

La dématérialisation croissante des parcours de souscription — via plateformes numériques, applications mobiles ou interfaces web — accentue ce phénomène. Le recours à des questionnaires dynamiques ou à des interfaces conversationnelles (chatbots) introduit une forme d’intermédiation algorithmique qui peut masquer la complexité du risque, voire escamoter certaines zones d’ombre. Le risque d’une déclaration lacunaire sans intention dolosive s’en trouve mécaniquement accru, comme l’a souligné la deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans son arrêt du 23 mai 2019, dans lequel l’assuré avait répondu de bonne foi à une question ambiguë, sans que cela suffise à caractériser sa mauvaise foi (Cass. 2e civ., 23 mai 2019, n°18-13.493).

Ce déséquilibre entre transparence attendue et lisibilité promise se traduit par un affaiblissement des garanties probatoires de la déclaration. Trop de questions nuisent à l’ergonomie du parcours de souscription?; trop peu conduisent à un défaut d’information substantielle. L’assureur, pris en étau entre l’obligation d’évaluer le risque et la nécessité de ne pas perdre son client, consent souvent à des compromis rédactionnels aux confins de l’insuffisance.

En cela, le questionnaire se révèle extensible à l’excès ou, inversement, résolument lacunaire. Il devient un instrument imparfait, écartelé entre fonction probatoire et exigence de fluidité. Comme le relève la doctrine, le questionnaire, s’il est utile, présente naturellement ses faiblesses. Il ne permet pas de tout renseigner. Il est le plus souvent muet quant à l’existence d’autres contrats. L’assureur ne pose pas toutes les questions ». À cette liste, il faut désormais ajouter l’effet délétère des arbitrages commerciaux, qui tendent à sacrifier la rigueur au nom de la conversion client.

Ce contexte rend d’autant plus crucial le rôle de l’intermédiaire d’assurance, tenu d’un devoir de conseil renforcé. À mesure que le processus déclaratif s’automatise, le professionnel de l’assurance devient, par contraste, le dernier garant de l’effectivité du recueil d’informations. Il lui revient non seulement de veiller à la bonne compréhension des questions posées, mais encore de solliciter toute précision utile de la part du souscripteur, même en l’absence d’ambiguïté apparente. Cette exigence de vigilance trouve à s’appliquer avec une particulière acuité dans les assurances de personnes ou les assurances de responsabilité, où les enjeux de sincérité déclarative sont majeurs.

Dans cette perspective, la jurisprudence invite à reconnaître un devoir de curiosité de l’intermédiaire — non au sens d’une obligation générale d’investigation, mais comme un corollaire du devoir de conseil. Ce devoir n’implique pas une obligation générale d’investigation, ni a fortiori un contrôle systématique de la sincérité des déclarations du souscripteur — sauf à disposer d’éléments objectifs de suspicion (Cass. 1re civ., 22 mai 2002, n°99-10.715). Il requiert néanmoins que l’intermédiaire veille à la bonne compréhension, par le souscripteur, de la portée et de la finalité des questions posées, et qu’il alerte ce dernier en cas d’ambiguïté manifeste ou d’erreur flagrante (Cass. 1re civ., 10 mai 2000, n° 98-10.033).

À défaut, l’intermédiaire peut engager sa responsabilité propre, non seulement en cas de manquement à son devoir de conseil, mais également lorsque son comportement contribue à une perception erronée du risque par l’assureur. Ainsi, la Cour de cassation a reconnu la responsabilité d’un établissement ayant souscrit une assurance de groupe en omettant de signaler une discordance manifeste entre deux documents remis simultanément par l’adhérent (Cass. 1re civ., 14 oct. 1997, n° 95-14.336).

Plus grave encore est l’hypothèse dans laquelle l’intermédiaire, qu’il soit agent général ou courtier, a eu connaissance, voire a contribué, à une fausse déclaration. La jurisprudence considère que l’assureur ne saurait, dans ce cas, invoquer l’article L. 113-8 du Code des assurances pour se prévaloir d’une nullité du contrat. La connaissance de la réticence par le représentant — agent ou mandataire — est réputée être celle de l’assureur lui-même, en vertu d’une application rigoureuse du mécanisme de représentation (Cass. 1re civ., 7 oct. 1992, n° 90-16.111 et n° 90-16.589). Cette position, aujourd’hui bien établie (Cass. 1re civ., 23 nov. 1999, n° 97-15.319), repose sur la double idée que nul ne peut ignorer ce que sait son mandataire, et que l’assureur ne peut tirer parti d’une fraude à laquelle a participé son propre représentant.

Certes, cette solution n’est pas exempte de critiques. Elle revient à garantir à l’assuré — pourtant coauteur d’une fraude — le maintien du contrat et l’indemnisation du sinistre, sur la base de la seule turpitude du mandataire. Elle repose, en outre, sur une conception discutable du mandat, en confondant la connaissance personnelle du risque par l’assureur et la connaissance de ce risque par son représentant, ce qui revient à méconnaître les limites du lien de représentation.

Dans les cas les plus extrêmes, la jurisprudence évoque même la turpitude du mandataire pour écarter l’exception de nullité fondée sur la fausse déclaration (Cass. 2e civ., 4 févr. 2010, n° 09-11.464). Toutefois, là encore, la solution est discutable : ce n’est pas la propre turpitude de l’assureur qui lui est opposée, mais celle d’un tiers. Et si la maxime nemo auditur propriam turpitudinem allegans peut, dans certaines hypothèses, bloquer les restitutions, elle ne fait pas obstacle par principe à l’action en nullité.

Ainsi, le rôle de l’intermédiaire dans le recueil déclaratif est à double tranchant : auxiliaire du devoir de conseil lorsqu’il accompagne loyalement le souscripteur, il devient facteur de déstabilisation du contrat lorsqu’il outrepasse sa fonction ou ferme les yeux sur une fraude. À cette aune, l’exigence de loyauté contractuelle impose une vigilance renforcée à tous les stades de la formation du contrat.

II. La sanction des déclarations irrégulières

A. Les déclarations inexactes

La déclaration du risque conditionne l’équilibre du contrat d’assurance, en ce qu’elle détermine l’étendue de l’engagement de l’assureur. Elle permet, en effet, à l’assureur d’apprécier la nature et l’étendue du risque qu’il accepte de garantir, et de fixer en conséquence le montant de la prime. L’assuré, de son côté, est tenu à une obligation de sincérité dans les réponses qu’il apporte au questionnaire proposé par l’assureur. Ce devoir de loyauté est d’autant plus déterminant que l’évaluation du risque repose presque exclusivement sur les informations ainsi recueillies.

Lorsqu’une irrégularité affecte cette déclaration — qu’il s’agisse d’une réponse inexacte, d’une omission ou d’un silence gardé sur une circonstance particulière —, l’équilibre du contrat s’en trouve compromis. L’assureur, privé d’une information essentielle, n’a pu apprécier le risque en pleine connaissance de cause. Le droit positif organise, pour rétablir cette rupture, un régime de sanctions articulé autour de l’état d’esprit de l’assuré au moment de la déclaration.

Deux hypothèses doivent alors être distinguées. Si l’irrégularité procède d’une volonté délibérée de tromper l’assureur, elle constitue une fausse déclaration intentionnelle et emporte la nullité du contrat dans les conditions fixées à l’article L. 113-8 du Code des assurances. En revanche, si l’inexactitude ou l’omission résulte d’une simple négligence, la déclaration est qualifiée de non intentionnelle : le contrat subsiste, mais ses effets sont aménagés conformément à l’article L. 113-9.

1. La fausse déclaration intentionnelle

a. Les éléments constitutifs de la fausse déclaration intentionnelle

i. L’exigence de mauvaise foi de l’assuré

La nullité prévue à l’article L. 113-8 du Code des assurances repose sur la constatation d’une réticence ou d’une fausse déclaration intentionnelle imputable à l’assuré, c’est-à-dire sur la démonstration d’un comportement empreint de mauvaise foi. Cette notion, à la frontière entre l’intention de nuire et le simple fait volontaire, implique une volonté délibérée de fausser l’appréciation du risque par l’assureur lors de la souscription.

L’élément déterminant est ici la volonté de tromper l’assureur, ou tout au moins de l’induire en erreur sur l’existence, la nature ou l’ampleur du risque à garantir, afin d’obtenir l’émission du contrat à des conditions plus favorables, voire l’acceptation pure et simple d’un risque qu’il aurait refusé s’il avait été informé loyalement. Il s’agit ainsi d’un véritable dol technique, visant à vicier le consentement de l’assureur, indépendamment de toute volonté de causer un dommage à ce dernier (Cass. 2e civ., 16 juin 2022, n°20-20.745).

La dissimulation volontaire d’une information connue par l’assuré, et dont il sait le caractère déterminant pour l’assureur, suffit à caractériser la mauvaise foi. Ainsi, la jurisprudence retient la fausse déclaration intentionnelle même en l’absence de volonté de nuire, dès lors que l’assuré a, en conscience, fait prévaloir ses intérêts propres au détriment de la mutualité assurantielle. Tel est le cas d’un assuré qui, pour bénéficier d’une prime plus avantageuse, se déclare seul conducteur alors que son fils – jeune permis – utilise en réalité le véhicule de manière habituelle (Cass. 1re civ., 11 déc. 1990, n° 88-13.044).

La fausse déclaration peut revêtir diverses formes : affirmation mensongère, omission volontaire, altération consciente d’une réponse au questionnaire. Elle ne se réduit pas à une dissimulation formelle : elle peut résulter d’un comportement silencieux, qualifié alors de réticence, dès lors qu’il est motivé par l’intention de soustraire un élément significatif à l’appréciation de l’assureur.

La mauvaise foi suppose ainsi deux éléments cumulatifs :

  • une connaissance par l’assuré de l’exacte réalité du risque, qu’il se garde de révéler ;
  • et une intention de dissimulation visant à influencer la décision de l’assureur, qu’il s’agisse de la souscription, du montant de la prime, ou de l’acceptation du risque.

Le caractère déterminant de l’information tue ou faussée constitue une exigence complémentaire : la déclaration mensongère n’est sanctionnée que si elle a modifié « l’objet du risque ou diminué l’opinion de l’assureur » (C. assur., art. L. 113-8 ; Cass. 2e civ., 12 mai 2011, n° 10-11.832). L’existence d’une telle altération peut résulter de l’importance du risque non déclaré (ex. : séropositivité, activité nocturne dangereuse, inscription au fichier du grand banditisme – Cass. 2e civ., 25 juin 2020, n° 19-14.278).

En revanche, la fausse déclaration ne saurait être retenue si l’assuré a agi de bonne foi, par ignorance, oubli excusable ou en raison d’une interprétation raisonnable d’un questionnaire ambigu ou mal formulé. La jurisprudence reconnaît ainsi que l’intention dolosive peut être exclue en présence d’un état dépressif, d’un niveau d’instruction limité, ou de difficultés de compréhension liées à une barrière linguistique (Cass. 1re civ., 25 févr. 1986, n°84-16.882).

ii. L’appréciation de la mauvaise foi

La nullité du contrat d’assurance fondée sur l’article L. 113-8 du Code des assurances ne peut être prononcée que si la mauvaise foi de l’assuré est rigoureusement caractérisée. Conformément au principe de présomption de bonne foi posé à l’article 2268 du Code civil, il appartient à l’assureur de démontrer que la déclaration inexacte procède d’une intention dolosive de l’assuré, c’est-à-dire de la volonté de tromper l’assureur sur l’étendue ou la nature du risque à garantir. Cette exigence est constante en jurisprudence (v. notamment Cass. 2e civ., 10 déc. 2009, n° 09-10.053).

L’appréciation de cette mauvaise foi relève du pouvoir souverain des juges du fond, qui en apprécient les éléments constitutifs in concreto, à la lumière des circonstances propres à chaque espèce (Cass. 1re civ., 4 oct. 2000, n° 97-20.867). La Cour de cassation se borne à vérifier que les juges ont recherché l’existence de cette volonté frauduleuse et qu’ils ont motivé leur décision en ce sens (v. notamment Cass. 2e civ., 2 févr. 2017, n° 16-14.815).

Plusieurs indices convergents sont susceptibles de révéler l’intention de dissimuler, sans pour autant former des présomptions irréfragables :

  • La gravité objective de l’élément omis, notamment lorsqu’il s’agit d’une pathologie sérieuse, d’antécédents judiciaires lourds, de condamnations pénales, ou d’activités dangereuses, susceptibles d’altérer substantiellement l’opinion du risque (v. Cass. 2e civ., 11 sept. 2014, n° 13-22.429).
  • La proximité temporelle entre l’événement dissimulé et la déclaration, qui permet de déduire que l’assuré n’a pu l’ignorer au moment de remplir le questionnaire (Cass. 1re civ., 7 oct. 1998, n°96-17.315).
  • Le degré d’intelligibilité du questionnaire, qui conditionne la portée des réponses et la possibilité d’apprécier leur fausseté. Lorsque le document remis est précis, détaillé, et dénué d’ambiguïté, toute discordance entre les réponses et la réalité du risque est plus difficilement excusable (Cass. 2e civ., 30 juin 2016, n° 15-22.842). À l’inverse, une ambiguïté de l’assureur ou un défaut de clarté dans la formulation du questionnaire peut écarter la mauvaise foi (Cass. crim., 9 déc. 1992, n° 90-83.149).
  • Le profil de l’assuré, pris en compte par la jurisprudence, qui peut retenir une absence de mauvaise foi lorsque l’assuré présente une faible capacité de compréhension, un faible niveau d’instruction, un état psychique altéré, ou une maîtrise imparfaite de la langue française (v. Cass. 1re civ., 20 oct. 1993, n° 91-17.112). Inversement, la mauvaise foi sera retenue plus aisément chez un professionnel averti ou un souscripteur ayant une compétence particulière dans le domaine concerné (Cass. 2e civ., 29 mars 2012, n° 11-14.305).
  • Le contenu des déclarations : l’accumulation d’inexactitudes, de contradictions ou de silences révélateurs peut conduire les juridictions à retenir l’intention dolosive, notamment lorsque les erreurs ne peuvent raisonnablement être imputées à un oubli bénin. Ainsi en est-il d’un assuré ayant minoré de 20 kg son poids tout en majorant sa taille de 6 cm, tout en dissimulant des antécédents médicaux lourds (CA Colmar, 9 janv. 2017, n° 15/05647).
  • Les déclarations spontanées ou les aveux peuvent également fonder la constatation de la mauvaise foi, y compris lorsqu’aucun questionnaire n’a été formellement rédigé, dès lors que la déclaration erronée procède clairement de l’assuré lui-même (Cass. 2e civ., 4 févr. 2016, n° 15-13.850).

La jurisprudence rappelle enfin que le caractère intentionnel de la fausse déclaration doit être distingué de l’existence d’un lien de causalité avec le sinistre. En vertu de l’article L. 113-8, alinéa 1er, la sanction est encourue « alors même que le risque omis ou dénaturé a été sans influence sur le sinistre » (v. Cass. 2e civ., 23 mai 2013, n° 12-19.952). Cette dissociation entre fausse déclaration et réalisation du risque renforce le rôle central de l’appréciation de la mauvaise foi, laquelle demeure le pivot de la nullité.

Enfin, la jurisprudence constante de la Cour de cassation souligne que la sanction prévue par l’article L. 113-8 du Code des assurances s’applique indépendamment de toute influence de la fausse déclaration sur la réalisation du sinistre. Le texte est explicite : « le contrat d’assurance est nul en cas de réticence ou de fausse déclaration intentionnelle […] alors même que le risque omis ou dénaturé par l’assuré a été sans influence sur le sinistre ».

Il ressort de cette dissociation entre la déclaration dolosive et l’événement assuré un renversement de perspective : il ne s’agit pas de protéger l’assureur uniquement contre des sinistres non désirés, mais plus fondamentalement de préserver l’équilibre initial du contrat, compromis dès la formation par une information volontairement tronquée. Le dol, ainsi caractérisé, vicie le consentement de l’assureur non quant aux effets du contrat, mais quant à l’objet même de son engagement (v. en ce sens, Cass. 2e civ., 23 mai 2013, n° 12-19.952).

En ce sens, la jurisprudence a admis que la nullité puisse être prononcée, même si le sinistre ne présente aucun lien de causalité avec la déclaration erronée. Tel est le cas, par exemple, lorsqu’un assuré dissimule sciemment deux vols antérieurs dans une déclaration d’assurance multirisque commerçant : cette omission justifie la nullité du contrat, bien que le sinistre survenu soit un incendie sans rapport avec les vols (Cass. 1re civ., 22 janv. 2002, n°99-12.044). De même, la non-déclaration d’une hospitalisation pour sciatique entraîne la nullité du contrat, bien que la perte d’emploi litigieuse résulte d’une pathologie distincte (Cass. 2e civ., 8 juill. 2004, n°03-13.114).

La doctrine souligne ainsi que la fausse déclaration intentionnelle rompt l’équilibre actuariel du contrat en faussant l’évaluation du risque par l’assureur. Ce dernier n’a pas pu se former une opinion exacte de l’étendue du risque garanti, ce qui compromet la validité de son engagement.

Cette lecture s’impose avec d’autant plus de rigueur dans les assurances multirisques, où un seul élément mensonger suffit à contaminer l’économie globale du contrat, sauf à apprécier distinctement chaque garantie si les risques sont juridiquement divisibles (v. Cass. 2e civ., 6 juill. 2023, n° 22-11.045).

La sanction repose donc moins sur l’adéquation entre la déclaration mensongère et la réalisation du dommage que sur la gravité de la rupture de confiance qu’elle révèle. La mauvaise foi de l’assuré se trouve ainsi érigée en critère exclusif d’appréciation de la nullité, selon une logique résolument objective : c’est la loyauté dans la formation du contrat – et non la pertinence ex post des informations – qui fonde la sanction.

iii. La preuve de la mauvaise foi

L’article L. 113-8 du Code des assurances, qui prévoit la nullité du contrat pour fausse déclaration intentionnelle de l’assuré, impose à l’assureur l’établissement d’une double preuve : démontrer, d’une part, l’inexactitude ou la réticence dans la déclaration, et, d’autre part, le caractère intentionnel de cette dissimulation. Conformément au principe de droit commun énoncé à l’article 1353 du Code civil, et à la présomption de bonne foi consacrée par l’article 2274, il appartient à celui qui invoque la mauvaise foi – en l’occurrence, l’assureur – d’en rapporter la preuve.

La jurisprudence est constante : la preuve de la fausse déclaration intentionnelle incombe intégralement à l’assureur qui entend se prévaloir de la nullité du contrat (Cass. 1re civ., 21 janv. 1957 ; Cass. crim., 13 nov. 1986). Cette charge de la preuve se révèle souvent délicate, en raison de la subjectivité inhérente à la notion d’intention dolosive. Il ne suffit pas, en effet, de constater l’inexactitude d’une réponse pour en déduire la volonté de tromper. Encore faut-il établir que l’assuré avait pleine conscience de l’importance de l’information omise ou altérée, et qu’il a volontairement cherché à fausser l’appréciation du risque par l’assureur.

Compte tenu de ce que la mauvaise foi est un fait juridique, elle peut être établie par tous moyens, dès lors que les droits de la défense sont respectés (Cass. 1re civ., 26 avr. 2000, n°97-22.560 ). Parmi les principaux éléments probatoires admis, on compte :

  • Le questionnaire écrit et signé : Il constitue l’instrument probatoire privilégié. Lorsque l’assuré a répondu par écrit à un formulaire clair, précis et intelligible, une réponse erronée, surtout à une question déterminante, pourra suffire à fonder la présomption de mauvaise foi (Cass. 2e civ., 14 avr. 2016, n° 15-18.226). La jurisprudence exige néanmoins que ce document ait bien été communiqué au souscripteur, en vertu du principe du contradictoire (Cass. 2e civ., 12 mai 2011, n° 10-19.649).
  • Les déclarations spontanées de l’assuré : En l’absence de questionnaire formalisé, la jurisprudence admet que des réponses volontairement inexactes, apportées spontanément par l’assuré, puissent suffire à établir la mauvaise foi, notamment lorsqu’elles sont consignées dans les conditions particulières signées (Cass. 2e civ., 4 févr. 2016, n° 15-13.850).
  • Les pièces médicales et administratives : En matière d’assurance de personnes, les certificats médicaux, les dossiers hospitaliers ou les antécédents judiciaires peuvent révéler que l’assuré avait nécessairement connaissance du fait omis ou dissimulé. Ces pièces doivent cependant être obtenues dans le respect du secret médical et du contradictoire. Ainsi, la désignation d’un expert judiciaire peut être sollicitée pour accéder, de manière indirecte, aux données médicales pertinentes (Cass. 1re civ., 7 déc. 2004, n° 02-12.539).
  • Les indices extérieurs et concordants : La jurisprudence admet que des indices circonstanciels puissent établir la volonté de dissimulation : correspondances privées mentionnant la vétusté d’un immeuble (Cass. 1re civ., 18 déc. 1990, n° 89-19.097), dissimulation d’un conducteur habituel non titulaire du permis (Cass. 1re civ., 17 mars 1993, n°91-14.605), ou encore déclarations incompatibles avec les fonctions exercées (Cass. 2e civ., 25 févr. 2010, n°09-13.225). De manière exceptionnelle, le recours à un enquêteur privé a pu être jugé admissible, sous réserve du respect de la vie privée et de la proportionnalité des investigations (Cass. 1re civ., 31 oct. 2012, n°11-17.476).
  • L’aveu ou la reconnaissance postérieure : L’aveu de l’assuré, même implicite, est un élément probatoire de poids. S’il reconnaît avoir volontairement minoré un élément déterminant, comme le poids réel dans une déclaration santé ou la présence de sinistres antérieurs (Cass. 2e civ., 14 juin 2012, n° 11-11.344), la preuve de sa mauvaise foi sera réputée établie.

Enfin, la jurisprudence rappelle avec constance que la seule inexactitude dans la déclaration ne suffit pas à emporter la nullité. En l’absence d’un faisceau d’éléments convergents établissant l’intention de tromper l’assureur sur l’appréciation du risque, la mauvaise foi ne peut être présumée (Cass. 2e civ., 10 déc. 2009, n° 09-10053). Cette rigueur protectrice vise à éviter que l’assureur ne transforme un simple oubli ou une négligence en dol contractuel.

Il en résulte que la preuve doit être à la fois objective (portant sur la fausseté manifeste de la déclaration) et subjective (portant sur la conscience qu’avait l’assuré de l’importance de l’élément dissimulé). L’un sans l’autre ne saurait suffire à faire prospérer l’action en nullité.

b. Les conséquences de la fausse déclaration intentionnelle

L’article L. 113-8 du Code des assurances consacre un régime autonome de nullité, dont les fondements et les effets s’écartent sensiblement de ceux qui gouvernent le droit commun des obligations contractuelles. Ce mécanisme spécifique vise à réprimer la réticence ou la fausse déclaration intentionnelle de l’assuré, dès lors que celle-ci a altéré l’appréciation que l’assureur pouvait raisonnablement se faire du risque à garantir. Il importe de souligner que cette nullité est encourue même en l’absence de tout lien de causalité entre l’élément dissimulé et la réalisation du sinistre.

Cette rigueur se justifie par l’économie particulière du contrat d’assurance, dont l’équilibre repose de manière décisive sur la transparence et la loyauté de l’information fournie par le souscripteur. En effet, le risque, objet même du contrat, n’existe aux yeux de l’assureur qu’à travers les déclarations de son cocontractant. Dès lors, toute dissimulation volontaire est de nature à vicier le fondement du consentement donné par l’assureur et à compromettre la sincérité de l’engagement qu’il a souscrit.

i. Le principe de la nullité

Le régime de nullité instauré par l’article L. 113-8 du Code des assurances présente une physionomie singulière, à la fois par son champ d’application et par sa finalité. Il trouve à s’appliquer dès lors qu’une omission ou une fausse déclaration intentionnelle, imputable à l’assuré, a eu pour effet de modifier l’objet du risque ou d’en altérer l’appréciation que l’assureur était en droit de s’en faire lors de la souscription. L’influence s’apprécie ex ante, c’est-à-dire au regard des critères qui président à la décision d’assurer — qu’il s’agisse de l’acceptation du risque, de la fixation de la prime, ou encore de l’étendue de la garantie — et ce, abstraction faite de toute considération sur la survenance effective d’un sinistre en lien avec le fait dissimulé (C. assur., art. L. 113-8, al. 1er ; v. aussi Cass. 2e civ., 23 mai 2013, n°12-19.952).

Ce régime s’applique aussi bien lors de la formation du contrat qu’au cours de son exécution, notamment à l’occasion d’une aggravation du risque que l’assuré omet volontairement de porter à la connaissance de l’assureur. Si l’article L. 113-4 du Code des assurances encadre les effets de cette omission lorsqu’elle procède de la seule négligence ou de la bonne foi, c’est à l’article L. 113-8 qu’il revient de sanctionner l’intention frauduleuse, dans une continuité jurisprudentielle affirmée dès l’arrêt fondateur du 29 septembre 1941 (Cass. civ., 29 sept. 1941 : DC 1943, p. 10, note Besson) et maintenue jusqu’à des décisions récentes (Cass. crim., 2 déc. 2014, n° 14-80.933).

L’originalité de cette nullité tient à son détachement des règles générales du droit commun. En prévoyant que la nullité peut être prononcée « indépendamment des causes ordinaires de nullité », l’article L. 113-8 du Code des assurances exclut l’exigence de démontrer un vice du consentement au sens des articles 1130 et suivants du Code civil. Il ne s’agit ni d’une erreur ni d’un dol au sens traditionnel, mais d’un mécanisme propre au droit des assurances, spécifiquement élaboré pour garantir à l’assureur une information loyale et complète sur les éléments essentiels du risque, condition sine qua non de la formation équilibrée du contrat.

Ce régime dérogatoire relève de l’ordre public de protection: il est institué au seul profit de l’assureur, qui demeure l’unique titulaire de l’action en nullité. L’assuré ne saurait s’en prévaloir, ni opposer à l’assureur une quelconque renonciation anticipée à invoquer cette nullité. Ce monopole de l’action en nullité s’explique par la finalité du texte, qui vise moins à rétablir l’équilibre contractuel qu’à sanctionner un comportement objectivement blâmable : la volonté délibérée de tromper le cocontractant sur les éléments fondamentaux de son engagement.

S’agissant enfin de l’objet même de la déclaration, il n’est pas nécessaire que l’omission ait porté sur un fait expressément visé par une question précise de l’assureur, dès lors que la formulation de celle-ci, même générale, permettait raisonnablement d’inclure le renseignement dissimulé. En ce sens, la Cour de cassation a jugé que l’assuré ne peut se prévaloir du caractère général de la question pour se soustraire à son devoir de sincérité (Cass. 1re civ., 22 mai 2002, n° 00-12.419). En revanche, la jurisprudence exclut toute obligation de révélation spontanée sur des points non couverts par le questionnaire, sous peine de réintroduire, en violation de la réforme de 1989, une logique de déclaration spontanée incompatible avec le modèle du questionnaire fermé (v. Cass. 2e civ., 3 juin 2010, n° 09-14.876 ; sur les textes, L. 113-2, 3°, et L. 112-3, al. 4, C. assur.).

Ainsi conçu, le mécanisme de nullité instauré par l’article L. 113-8 répond à une logique avant tout prophylactique. Il vise à dissuader les comportements déloyaux en érigeant la véracité des déclarations en condition substantielle de validité du contrat d’assurance. Le régime privilégie donc une logique de sanction fondée sur la loyauté contractuelle, plutôt qu’une réparation fondée sur le seul déséquilibre économique de la prestation.

ii. Les effets de la nullité

==>À l’égard des parties

La nullité du contrat prononcée sur le fondement de l’article L. 113-8 du Code des assurances entraîne la disparition rétroactive du lien contractuel. Le contrat est réputé n’avoir jamais existé à compter de la date à laquelle la fausse déclaration intentionnelle a été commise. Cette date correspond, selon les cas, soit à celle de la formation du contrat, soit à celle de l’événement postérieur ayant constitué une aggravation dolosive du risque (Cass. crim., 2 déc. 2014, n°14-80.933).

Cette rétroactivité produit des conséquences particulièrement sévères : l’assureur retrouve le droit de réclamer le remboursement de toutes les sommes versées à compter de la fausse déclaration. Ces versements sont considérés comme dépourvus de cause juridique, puisque la garantie n’aurait jamais dû être accordée (Cass. 2e civ., 16 juin 2022, n° 20-20.745).

Cependant, la restitution ne peut être exigée que de la personne ayant effectivement perçu les fonds. Ainsi, lorsqu’une société est bénéficiaire des prestations versées, son dirigeant ne peut être tenu personnellement à restitution, sauf à démontrer sa participation effective à la manœuvre dolosive.

À la différence du régime général de la nullité des contrats, l’article L. 113-8, alinéa 2, interdit à l’assuré de revendiquer la restitution des primes versées, même si l’assureur n’a en réalité jamais assumé le moindre risque. Les primes demeurent acquises à l’assureur et celles qui n’ont pas encore été payées sont dues à titre de dommages et intérêts.

La règle est sévère. Elle traduit une volonté du législateur de ne pas traiter la nullité comme une simple correction d’un déséquilibre contractuel, mais comme une véritable sanction, destinée à punir l’assuré de mauvaise foi. Cette règle est perçue en doctrine comme l’expression d’une “peine privée”.

Par exception, en matière d’assurance sur la vie, la sanction est atténuée. L’article L. 113-8, alinéa 3, combiné à l’article L. 132-18 du Code des assurances, impose à l’assureur de restituer la provision mathématique constituée au jour de la nullité, même en cas de fausse déclaration intentionnelle. Cette règle s’explique par la nature particulière du contrat d’assurance vie, qui repose avant tout sur une logique d’épargne : l’assureur capitalise des fonds pour le compte de l’assuré. Lui refuser toute restitution reviendrait à permettre un enrichissement injustifié du professionnel.

Par ailleurs, lorsqu’un contrat couvre plusieurs risques, la jurisprudence opère une appréciation in concreto de la portée de la fausse déclaration. Si cette dernière ne concerne qu’un seul risque, la nullité pourra être partielle (Cass. 2e civ., 2 avr. 2009, n° 08-12.942). En revanche, si les garanties sont indivisibles, notamment du fait d’une prime globale assise sur un critère unique, la nullité affectera l’intégralité du contrat (Cass. 1re civ., 22 janv. 2002, n°99-12.044). Ce principe d’indivisibilité joue ici à plein, fondée sur une approche fonctionnelle du contrat.

Enfin, la nullité fondée sur l’article L. 113-8 peut être invoquée à tout moment par l’assureur, y compris après l’expiration du délai de prescription biennale prévu à l’article L. 114-1 du Code des assurances. En effet, lorsqu’elle est soulevée par voie d’exception pour faire obstacle à une demande de garantie ou de règlement, la nullité échappe aux règles de prescription applicables aux actions en justice (Cass. 2e civ., 12 mars 2009, n°08-11.444). Cette faculté renforce la portée dissuasive du dispositif.

==>À l’égard des tiers

Conformément à l’article L. 112-6 du Code des assurances, la nullité est opposable à tout tiers au contrat qui en revendique les effets. Cela inclut notamment les bénéficiaires désignés, les assurés pour compte et les victimes agissant par la voie de l’action directe.

Ainsi, la jurisprudence constante considère que la victime ne peut invoquer l’inopposabilité de la nullité prononcée sur le fondement de l’article L. 113-8, même si celle-ci est révélée à l’occasion du sinistre (Cass. crim., 12 juin 2012, n° 11-87.395). Cette rigueur a cependant été tempérée en matière d’assurance automobile.

Sous l’effet de la directive européenne n° 2009/103/CE et de son interprétation par la CJUE (CJUE, 20 juill. 2017, aff. C-287/16), le législateur français a inséré un article L. 211-7-1 dans le Code des assurances, interdisant à l’assureur d’opposer la nullité du contrat à la victime d’un accident de la circulation ou à ses ayants droit. Cette nullité reste toutefois opposable à l’assuré, même s’il est également victime de l’accident, sauf dans les hypothèses d’abus de droit (CJUE, 19 sept. 2024, aff. C-236/23, Matmut).

Enfin, l’assureur conserve la possibilité d’exercer un recours subrogatoire contre l’assuré responsable après indemnisation de la victime, afin de récupérer les sommes versées, dès lors que ce dernier a contribué par sa fraude à la production du sinistre (Cass. 2e civ., 8 févr. 2006, n° 05-16.031).

iii. Les tempérament aux effets de la nullité

Si la nullité fondée sur l’article L. 113-8 du Code des assurances frappe l’assuré de mauvaise foi avec une sévérité toute particulière, elle n’en constitue pas pour autant un pouvoir discrétionnaire et sans limite entre les mains de l’assureur. Divers mécanismes, d’origine légale, jurisprudentielle ou contractuelle, concourent à en atténuer, voire à en neutraliser les effets. Ces tempéraments, inspirés tant de l’équité que de la protection de l’ordre public économique, assurent un équilibre entre la nécessaire répression de la fraude et les exigences de sécurité juridique.

==>La renonciation, expresse ou tacite, de l’assureur

L’assureur qui, en pleine connaissance de la fausse déclaration, poursuit l’exécution du contrat sans réserve, peut être présumé avoir renoncé à se prévaloir de la nullité. Cette renonciation peut être explicite, par exemple par une déclaration formelle d’intention, ou tacite, lorsqu’elle résulte d’un comportement non équivoque tel que le versement d’une indemnité ou la perception de primes postérieurement à la découverte de l’irrégularité (Cass. 1re civ., 12 juin 2012, n° 11-12.443). À l’inverse, un simple acte d’exécution du contrat, accompli sans pleine conscience du manquement, ne saurait emporter renonciation implicite.

Deux présomptions légales encadrent ce mécanisme : l’article L. 113-4 du Code des assurances en matière d’aggravation du risque, et l’article L. 113-17 en matière de direction du procès. Dans les deux cas, la renonciation se déduit de la continuité d’un comportement actif et volontaire. Toutefois, la jurisprudence demeure exigeante : la preuve d’une volonté dépourvue d’ambiguïté reste nécessaire.

==>La complicité ou la connaissance du mandataire de l’assureur

Un autre frein à l’action en nullité réside dans l’attitude des représentants de l’assureur. Lorsqu’il est établi que le mandataire – courtier, agent général ou préposé – avait connaissance de la fausse déclaration, ou y a contribué, l’assureur se voit privé de la faculté d’invoquer la nullité, en vertu de l’article L. 511-1 du Code des assurances, qui rend l’entreprise d’assurance civilement responsable des actes de ses mandataires (Cass. 1re civ., 4 avr. 1995, n° 92-20.112).

Cette jurisprudence s’inscrit dans une logique de loyauté : l’assureur ne saurait se prévaloir d’une irrégularité qu’il a contribué à faire naître, directement ou par l’entremise de son représentant. La charge de la preuve pèse ici sur l’assuré, qui devra établir, avec un degré suffisant de certitude, la connaissance ou la participation du mandataire à l’anomalie déclarative.

==>Dispositions dérogatoires

Le régime de nullité prévu par l’article L. 113-8 cède également devant des dispositifs spéciaux ou conventionnels, tels que l’article L. 113-10 du Code des assurances relatif aux assurances à primes et risques variables. Ce dernier texte instaure une sanction alternative – le versement d’une indemnité plafonnée – qui, lorsqu’il a été contractuellement stipulé, évince le recours à la nullité (Cass. 1re civ., 31 mars 1998, n° 96-12.526). Il en va de même lorsque le contrat prévoit un régime spécifique de sanction en cas de déclaration erronée, à condition que ce régime ait été clairement exprimé.

De manière générale, l’assureur ne peut cumuler les sanctions issues du droit spécial et celles issues du droit commun ou du droit spécial d’ordre public : la nullité ne peut être actionnée que si elle n’est pas exclue par une disposition spéciale ou par l’application d’un texte dérogatoire.

==>Les clauses d’incontestabilité

Dans certaines branches, notamment en matière d’assurance de personnes ou de contrats collectifs, il est d’usage de stipuler une clause dite d’incontestabilité, aux termes de laquelle l’assureur renonce, après un certain délai, à invoquer la nullité pour fausse déclaration.

Si ces clauses sont valables en principe, elles ne peuvent avoir pour effet de couvrir une manœuvre frauduleuse manifeste. Ainsi, la jurisprudence considère qu’elles ne sauraient faire obstacle à l’application de l’article L. 113-8 dans les cas de réticence ou de déclaration mensongère caractérisée (Cass. 1re civ., 20 juin 2000, n° 98-10.655). La clause d’incontestabilité doit donc être interprétée avec rigueur, et ne saurait priver l’assureur de la faculté d’agir contre l’assuré de mauvaise foi.

==>Les correctifs tenant à l’ordre public de protection

Enfin, certaines hypothèses spécifiques appellent une modulation des effets de la nullité, au nom de l’ordre public de protection, en particulier lorsque sont en cause des victimes d’accidents de la circulation. En vertu des articles L. 211-1 et L. 211-7-1 du Code des assurances, introduits à la suite de la jurisprudence Fidelidade (CJUE, 20 juill. 2017, aff. C-287/16), la nullité n’est pas opposable aux tiers victimes d’un accident impliquant un véhicule terrestre à moteur, même si elle repose sur une fausse déclaration intentionnelle du souscripteur (Cass. 2e civ., 16 janv. 2020, n° 18-23.381).

2. La fausse déclaration non intentionnelle

La fausse déclaration non intentionnelle du risque, lorsqu’elle résulte de la simple négligence ou de l’ignorance excusable de l’assuré, ne relève pas du régime sévère de la nullité prévu à l’article L. 113-8 du Code des assurances. C’est un régime autonome, plus clément, que consacre l’article L. 113-9 du même code. Loin d’ignorer les conséquences d’une déclaration inexacte, ce texte organise un dispositif correctif proportionné, articulé autour de deux situations distinctes : selon que l’inexactitude est révélée avant ou après la survenance du sinistre. Dans la première hypothèse, l’assureur dispose d’un droit d’option entre la résiliation du contrat ou sa continuation moyennant une augmentation de la prime. Dans la seconde, il peut obtenir une réduction de l’indemnité due, selon une règle proportionnelle fondée sur l’écart entre la prime perçue et celle qui aurait été exigée si le risque avait été correctement déclaré.

a. Hypothèse d’une découverte antérieure au sinistre : résiliation ou maintien du contrat

Lorsque l’erreur dans les déclarations de l’assuré est révélée avant la réalisation du sinistre, l’assureur dispose, en vertu de l’article L. 113-9, alinéa 2 du Code des assurances, d’un droit d’option dont la mise en œuvre est strictement encadrée. Ce texte prévoit que «?si elle est constatée avant tout sinistre, l’assureur a le droit soit de maintenir le contrat, moyennant une augmentation de prime acceptée par l’assuré, soit de résilier le contrat dix jours après notification adressée à l’assuré par lettre recommandée, en restituant la portion de la prime payée pour le temps où l’assurance ne court plus. »

Ainsi, deux options s’offrent à l’assureur : conclure un avenant modifiant la prime, sous réserve de l’accord de l’assuré, ou bien résilier le contrat de manière unilatérale, dans les formes prévues. Cette résiliation ne peut produire effet qu’à l’expiration d’un délai de dix jours suivant la notification par lettre recommandée. Elle emporte, par ailleurs, l’obligation de restituer à l’assuré la part de prime afférente à la période non couverte. L’assuré, pour sa part, ne bénéficie d’aucun droit symétrique de résiliation sur ce fondement, comme l’a rappelé la Cour de cassation (Cass., ch. réunies, 8 juill. 1953).

Toutefois, une difficulté particulière surgit dans les situations dites intermédiaires, dans lesquelles le sinistre survient après la découverte de l’irrégularité par l’assureur, mais avant que celui-ci n’ait exercé son droit d’option. Ce décalage dans le temps, qui tient à l’inertie ou à la lenteur de réaction de l’assureur, soulève une interrogation : peut-il encore, après réalisation du risque, résilier le contrat ou imposer une surprime avec effet rétroactif ?

La réponse de la jurisprudence est négative. Dans un tel cas, l’assureur est considéré comme ayant perdu le bénéfice des facultés offertes par l’article L. 113-9, alinéa 2. Il ne peut plus ni résilier, ni renégocier rétroactivement les conditions contractuelles. La Cour de cassation assimile en effet cette situation à celle d’une découverte postérieure au sinistre, neutralisant les prérogatives correctrices réservées à la phase antérieure. Seul reste alors ouvert le mécanisme de la réduction proportionnelle de l’indemnité, prévu pour les déclarations inexactes découvertes après sinistre (v. Cass. 2e civ., 2 mars 2017, n°15-27.831).

Cette solution s’explique par une exigence de cohérence procédurale et de protection de l’assuré : dès lors que le risque s’est réalisé, il ne saurait être légitime que l’assureur modifie les termes du contrat de façon rétroactive pour échapper à ses obligations indemnitaires.

b. Hypothèse d’une découverte postérieure au sinistre : réduction proportionnelle de l’indemnité

==>Principe de la réduction proportionnelle du taux de prime

Lorsque l’assureur ne découvre l’erreur ou l’omission affectant la déclaration du risque qu’à l’occasion d’un sinistre, il ne peut ni invoquer la nullité du contrat – faute d’intention dolosive – ni résilier rétroactivement la police. La sanction applicable est alors de nature économique: l’article L. 113-9, alinéa 3 du Code des assurances institue en effet une réduction proportionnelle de l’indemnité, fondée sur le déséquilibre contractuel résultant de la sous-évaluation du risque.

Le texte dispose que « dans le cas où la constatation n’a lieu qu’après un sinistre, l’indemnité est réduite en proportion du taux des primes payées par rapport au taux des primes qui auraient été dues, si les risques avaient été complètement et exactement déclarés. »

Ce mécanisme correcteur, communément désigné sous l’appellation de règle proportionnelle du taux de prime, vise à restaurer l’équilibre économique du contrat en cas de déclaration imparfaite du risque. Son application repose sur une opération arithmétique limpide : l’indemnité versée par l’assureur est ajustée à due concurrence de la cotisation réellement perçue, rapportée à celle qui aurait été légitimement exigée si l’appréciation du risque avait reposé sur des données exactes.

Indemnité versée = Préjudice subi × (Prime payée ÷ Prime exigible)

Il s’agit ici de reconstituer fictivement l’économie du contrat que l’assureur aurait conclu s’il avait été correctement informé. Il ne s’agit donc pas de sanctionner la mauvaise foi de l’assuré – absente en l’espèce – mais d’assurer un réajustement ex post de la contrepartie financière.

L’application de la réduction proportionnelle est indépendante de toute incidence causale entre l’erreur déclarative et la réalisation du dommage : même si l’irrégularité a été sans influence sur le sinistre, la réduction s’applique (Cass. 2e civ., 17 avr. 2008, n° 07-13.053). Cette solution découle de l’économie technique du contrat d’assurance : ce n’est pas l’événement dommageable qui fonde la garantie, mais la sincérité de l’évaluation du risque.

Dès lors, l’assuré ne peut utilement opposer que le risque litigieux aurait été couvert aux mêmes conditions même si la déclaration avait été exacte : le seul critère est celui de la prime qui aurait été exigée en connaissance de cause.

==>Mise en oeuvre de la réduction proportionnelle du taux de prime

Encore faut-il que l’assureur soit en mesure de démontrer le bien-fondé de sa prétention. Il lui incombe d’établir, par des éléments objectifs (grille tarifaire, simulation de tarification, clauses types…), le montant de la prime qu’il aurait appliquée en cas de déclaration conforme (Cass. 2e civ., 12 sept. 2013, n° 12-26.245). À défaut, la réduction proportionnelle ne peut être légalement prononcée (v. Cass. 1re civ., 6 juin 2000, n° 97-19.241).

Les juges du fond conservent ici un pouvoir souverain pour déterminer le taux de prime “normal”, en l’absence d’accord entre les parties. Il ne peut toutefois retenir une réduction forfaitaire en substitution de la règle mathématique prévue par la loi, sous peine de censure (Cass. 1re civ., 16 déc. 1998).

==>Opposabilité de la réduction proportionnelle du taux de prime

Sauf disposition contraire, la réduction proportionnelle de l’indemnité est opposable à toute personne invoquant le contrat d’assurance, y compris les bénéficiaires et les victimes dans les assurances de responsabilité (Cass. 1re civ., 15 févr. 1977, n°75-14.244). Cette solution repose sur le principe selon lequel les droits du tiers s’adossent à ceux de l’assuré, et ne sauraient excéder ce que l’assureur aurait dû s’engager à couvrir.

Des exceptions textuelles existent cependant, en particulier en matière d’assurance automobile obligatoire, où l’article R. 211-13, 3° du Code des assurances interdit expressément l’opposabilité de la réduction proportionnelle à la victime, tout en préservant un recours subrogatoire de l’assureur contre son assuré.

==>Régime procédural de la demande en réduction proportionnelle

La demande en réduction proportionnelle ne peut être soulevée d’office par le juge : elle doit être expressément formulée par l’assureur (Cass. 1re civ., 16 oct. 1990, n°88-20.481). L’office du juge est en effet limité par l’article 4 du Code de procédure civile aux prétentions des parties. En revanche, elle est recevable en cause d’appel sur le fondement de l’article 564, dès lors qu’elle tend seulement à limiter le montant de l’indemnité réclamée (Cass. 2e civ., 9 févr. 2012, n°11-13.245).

Enfin, le régime dérogatoire applicable en Alsace-Moselle en matière de réduction proportionnelle d’indemnité a été censuré par le Conseil constitutionnel, rétablissant ainsi l’unité du droit des assurances sur le territoire national. Jusqu’en 2014, l’article L. 191-4 du Code des assurances prévoyait que, dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, la réduction proportionnelle ne pouvait être appliquée si le risque omis ou dénaturé était sans incidence sur la réalisation du sinistre ou n’en modifiait pas la couverture contractuelle. Ce régime dérogatoire interdisait l’application de toute sanction, même en présence d’une déclaration erronée ayant altéré l’évaluation du risque par l’assureur, dès lors que cette inexactitude était restée sans incidence sur le sinistre ou sur l’étendue de la garantie.

À l’occasion d’un litige opposant un assureur à des héritiers d’un souscripteur décédé, relatif à la déclaration erronée de la superficie d’un bien immobilier, la Cour de cassation a été saisie d’une question prioritaire de constitutionnalité (Cass. 1re civ., 26 juin 2014, n° 13-27.943). Il était demandé si l’article L. 191-4, dans la mesure où il interdisait la réduction proportionnelle dans certains départements sans considération de l’équilibre économique du contrat, ne portait pas atteinte au principe d’égalité devant la loi tel que garanti par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Le Conseil constitutionnel, par décision du 26 septembre 2014, a fait droit à cette analyse (Cons. const. 26 sept. 2014, n°2014-414) Il a jugé que la disposition contestée, issue de la loi du 6 mai 1991, aggravait une différence de traitement injustifiée entre assurés selon leur lieu de résidence. La règle spéciale n’était ni fondée sur une différence de situation pertinente, ni justifiée par un motif d’intérêt général en rapport direct avec l’objet de la loi. Elle a donc été déclarée contraire à la Constitution, au visa du principe d’égalité.

L’abrogation de l’article L. 191-4, prononcée avec effet immédiat pour toutes les affaires non jugées définitivement, a ainsi mis un terme à un régime local dérogatoire en matière de déclaration du risque, en réaffirmant la pleine applicabilité de l’article L. 113-9 du Code des assurances, y compris en Alsace-Moselle. Cette censure marque un retour à l’unité du droit des assurances, fondée sur une conception objective et économique du contrat, indépendante de toute considération géographique ou territoriale.

B. Les déclarations tardives

L’obligation d’information qui pèse sur l’assuré pendant l’exécution du contrat implique, en cas de survenance de circonstances nouvelles susceptibles d’aggraver sensiblement le risque garanti ou d’en créer de nouveaux, une déclaration dans un délai de quinze jours à compter du moment où il en a connaissance (C. assur., art. L. 113-2, 3°). Le manquement à cette obligation, lorsqu’il ne relève ni de la mauvaise foi ni d’une volonté frauduleuse, ne tombe pas sous le coup des articles L. 113-8 ou L. 113-9 du Code des assurances. Il relève d’un régime autonome, institué par la loi du 31 décembre 1989, et organisé par l’article L. 113-2, alinéa 9.

1. Principe

Le retard dans la déclaration par l’assuré d’une circonstance nouvelle aggravant le risque assuré est encadré par un régime juridique spécifique, introduit par la loi du 31 décembre 1989. Il est régi par l’article L. 113-2, alinéa 9 du Code des assurances, qui énonce que «?lorsqu’elle est prévue par une clause du contrat, la déchéance pour déclaration tardive ne peut être opposée à l’assuré que si l’assureur établit que le retard dans la déclaration lui a causé un préjudice.?»

Ce dispositif, qui rompt avec la logique antérieure de sanction automatique, repose sur trois conditions strictement cumulatives.

a. La stipulation d’une clause contractuelle

En premier lieu, la déchéance ne peut produire d’effet que si elle est expressément stipulée dans le contrat d’assurance. Cette exigence est constante en jurisprudence : une clause générale ou implicite ne suffit pas. La Cour de cassation a ainsi jugé inopposable à l’assuré une sanction de déchéance qui n’était pas spécifiquement prévue à ce titre dans la police (Cass. 1re civ., 24 févr. 1965).

À cette exigence de fond s’ajoute une exigence de forme, issue de l’article L. 112-4, alinéa 2 du Code des assurances : la clause doit être rédigée en caractères très apparents afin que l’assuré en ait eu une connaissance effective. Cette prescription vise à garantir l’efficacité de l’information précontractuelle. La jurisprudence en a fait une condition d’opposabilité : la clause ne peut produire d’effet que si sa présentation matérielle attire suffisamment l’attention de l’assuré (Cass. 1re civ., 9 mai 1994, n° 92-12.990).

b. La démonstration d’un préjudice imputable au retard

En second lieu, l’assureur ne peut invoquer la déchéance qu’à la condition de prouver que le retard dans la déclaration lui a causé un préjudice. Cette exigence, introduite par la loi du 31 décembre 1989, marque une rupture avec le régime antérieur, qui admettait la déchéance sans exigence de justification.

Le préjudice peut résider, par exemple, dans l’impossibilité de réévaluer le montant de la prime à due concurrence du risque nouvellement aggravé, dans une perte de chance de résilier le contrat à temps, ou encore dans l’exposition à un risque qu’il n’aurait pas accepté de garantir. Il appartient à l’assureur d’en apporter la preuve concrète, et non de se contenter d’alléguer abstraitement une atteinte à l’équilibre du contrat (Cass. 1re civ., 7 janv. 1997, n° 94-21.869). Cette appréciation relève du pouvoir souverain des juges du fond, qui peuvent refuser la déchéance en l’absence de démonstration suffisante du lien entre le retard et le préjudice invoqué.

c. L’absence de cause légitime justifiant le retard

La troisième condition requise pour que la déchéance soit valablement opposée à l’assuré tient à l’absence de toute cause légitime faisant obstacle à la déclaration dans le délai requis. En effet, l’article L. 113-2, alinéa 9 prévoit expressément que « […] elle [la déchéance] ne peut également être opposée dans tous les cas où le retard est dû à un cas fortuit ou de force majeure. »

Ce correctif vise à exclure toute sanction lorsque l’assuré s’est trouvé, de manière objectivement insurmontable, dans l’impossibilité de déclarer l’aggravation du risque dans le délai de quinze jours prévu à l’article L. 113-2, 2°.

Si la jurisprudence ne s’est pas encore prononcée explicitement sur les contours de cette exception, il convient de l’apprécier à la lumière des critères généraux issus du droit commun : le cas fortuit ou la force majeure se caractérisent par un événement imprévisible, irrésistible et extérieur à la volonté du débiteur, ici l’assuré. La preuve de cette impossibilité objective pèse sur ce dernier.

Ainsi, l’assureur ne saurait se prévaloir de la clause de déchéance si l’assuré démontre que le manquement allégué procède d’une situation sur laquelle il n’avait aucune prise, telle qu’une hospitalisation d’urgence, une incapacité cognitive temporaire, ou encore une impossibilité de communication matériellement vérifiable.

2. Limites

Le régime juridique instauré à l’article L. 113-2, alinéa 9 du Code des assurances soulève de sérieuses interrogations quant à la nature exacte de la sanction encourue par l’assuré en cas de déclaration tardive d’une aggravation du risque. Si le législateur qualifie expressément cette sanction de « déchéance », cette terminologie apparaît, à l’analyse, inadaptée.

Traditionnellement, la déchéance de garantie vise à sanctionner le non-respect, par l’assuré, de ses obligations postérieures à la réalisation du sinistre – telles que le manquement aux délais de déclaration du sinistre ou l’inobservation de mesures de sauvegarde (v. notamment : Cass. 1re civ., 15 juin 1931). Or, en matière de déclaration des circonstances aggravantes, le manquement reproché est antérieur au sinistre, puisque le retard concerne une obligation de mise à jour du risque en cours de contrat. Il s’agit donc d’un manquement pré-sinistre, ce qui rend impropre la qualification traditionnelle de « déchéance ».

Plusieurs auteurs ont relevé que le régime institué à l’article L. 113-2, alinéa 9, repose sur une logique indemnitaire, dans la mesure où l’assureur ne peut opposer la déchéance que s’il établit l’existence d’un préjudice subi du fait du retard. Cette condition essentielle – posée par le texte – rapproche davantage cette sanction du régime de la responsabilité contractuelle que de celui d’une déchéance stricto sensu (v. not. Cass. 1re civ., 7 janv. 1997, n° 94-21.869). De fait, l’obligation d’identifier et de démontrer un dommage – qu’il soit économique (non-révision de la prime), actuariel (exposition à un risque non tarifé), ou encore informationnel – en fait un outil correctif plus qu’un mécanisme répressif.

Surtout, la conséquence juridique de ce manquement – à savoir la perte totale du droit à garantie – interroge au regard du principe de proportionnalité qui irrigue par ailleurs le droit des assurances. En cas d’inexactitude – non intentionnelle – des déclarations contestées le Code prévoit une simple réduction proportionnelle de l’indemnité (art. L. 113-9 C. assur.), ce qui ménage la position de l’assuré de bonne foi. À l’inverse, la déchéance pour déclaration tardive s’applique indifféremment, sans égard à la bonne ou à la mauvaise foi de l’assuré, frappant avec la même sévérité le simple retard non intentionnel et l’omission délibérée. Une telle rigueur contraste singulièrement avec les principes de modulation des sanctions qui prévalent ailleurs en droit des assurances.

On pourrait objecter qu’un recours à une clause d’exclusion de garantie, plus cohérent conceptuellement pour sanctionner un défaut de déclaration affectant le champ du risque couvert, serait juridiquement préférable. Cependant, cette solution serait moins protectrice des tiers lésés : en matière de responsabilité, la clause d’exclusion produit des effets erga omnes et peut donc être opposée aux victimes (sous réserve des exceptions légales, v. C. assur., art. L. 124-3), contrairement à la déchéance conventionnelle, qui est inopposable aux tiers (Cass. 1re civ., 15 juin 1931, préc.). C’est sans doute pour cette raison que le législateur a maintenu ce mécanisme hybride – malgré ses faiblesses conceptuelles – dans une perspective de conciliation entre les intérêts de l’assureur et la nécessaire protection des tiers en matière d’assurance de responsabilité.

Formation du contrat d’assurance: l’obligation précontractuelle d’information dans le cadre de la vente à distance

À l’heure où les parcours de souscription se digitalisent à grande vitesse, la commercialisation à distance des produits d’assurance tend à devenir la norme plutôt que l’exception. Portée par la généralisation des technologies numériques — qu’il s’agisse de la souscription en ligne, via une application mobile, ou encore par téléphone —, cette modalité de distribution marque une rupture avec le modèle traditionnel fondé sur la relation en face-à-face entre le professionnel et le souscripteur.

Si cette évolution présente des atouts indéniables en termes de réactivité, d’accessibilité et d’optimisation des coûts, elle emporte en contrepartie une dilution du lien contractuel, au sein duquel l’assuré, désormais isolé, se trouve confronté à un produit complexe sans bénéficier du cadre d’échange protecteur qu’offrait la présence physique du distributeur.

Dans ce contexte de dématérialisation croissante, le rôle de l’information précontractuelle prend une ampleur toute particulière. Elle ne constitue plus seulement un préalable formel à la conclusion du contrat : elle devient la condition essentielle, sinon indispensable d’un consentement éclairé. En permettant au souscripteur de connaître avec précision la nature, l’étendue et les implications de l’engagement qu’il s’apprête à souscrire, l’obligation d’information s’érige en véritable pilier de la formation du contrat à distance, et en instrument central de protection de la partie faible.

I. Les textes applicables

La commercialisation à distance de produits d’assurance est régie par l’article L. 112-2-1 du Code des assurances lequel, par un mécanisme de renvoi, doit être combiné aux dispositions du Code de la consommation régissant la vente à distance. Ce renvoi permet d’assurer une cohérence d’ensemble entre les règles propres au droit des assurances et les règles de protection du souscripteur prévues pour l’ensemble des opérations financières conclues à distance.

Plus précisément, l’article L. 112-2-1 renvoie aux articles L. 222-1 à L. 222-3, L. 222-6, L. 222-13 à L. 222-18, L. 232-4 et L. 242-15 du Code de la consommation, dont les principales dispositions concernent notamment les modalités d’information précontractuelle, les supports de communication utilisés, et les obligations spécifiques de transparence à l’égard du consommateur.

Pour l’application de ce dispositif, le texte opère une adaptation terminologique : le «?consommateur?» au sens du Code de la consommation doit être entendu comme le souscripteur personne physique agissant à des fins non professionnelles (C. assur., art. L. 112-2-1, I, 2° a)), tandis que le «?fournisseur?» désigne l’assureur ou l’intermédiaire d’assurance (art. L. 112-2-1, I, 2° b)).

Ce régime s’applique à l’ensemble des opérateurs du secteur assurantiel autorisés à proposer des contrats au public, soit:

  • les entreprises d’assurance, régies par le Code des assurances ;
  • les mutuelles et unions de mutuelles, relevant du Code de la mutualité ;
  • les institutions de prévoyance et leurs unions, soumises au Code de la sécurité sociale.

II. La notion de vente à distance

La commercialisation à distance de produits d’assurance s’inscrit dans le cadre consumériste plus général des “contrats conclus à distance”, tel qu’il est défini à l’article L. 221-1, 1° du Code de la consommation. Selon ce texte, il s’agit de :

« tout contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, dans le cadre d’un système organisé de vente ou de prestation de services à distance, sans la présence physique simultanée du professionnel et du consommateur, par le recours exclusif à une ou plusieurs techniques de communication à distance jusqu’à la conclusion du contrat ».

Cette définition est expressément reprise par l’article L. 112-2-1 du Code des assurances, qui l’applique spécifiquement à la fourniture à distance d’opérations d’assurance.

Il ressort de ces deux texte que deux conditions cumulatives doivent être réunies pour que le régime de la vente à distance trouve à s’appliquer à la commercialisation de produits d’assurance à distance:

  • D’une part, l’absence de toute rencontre physique entre le professionnel et le souscripteur, non seulement lors de la conclusion du contrat, mais pendant l’ensemble du processus de souscription ;
  • D’autre part, l’utilisation exclusive d’une ou plusieurs techniques de communication à distance, telles qu’un site internet, une application mobile ou encore un échange de courriels.

Autrement dit, ce n’est pas la seule utilisation d’un outil numérique qui suffit à caractériser une vente à distance, mais la dématérialisation complète et continue du processus contractuel, depuis la présentation de l’offre jusqu’à l’expression du consentement du souscripteur.

En matière d’assurance, cette définition vise notamment les contrats souscrits en ligne sur les plateformes des assureurs ou des courtiers, les adhésions réalisées via des applications mobiles, ainsi que les souscriptions conclues par téléphone, dès lors qu’aucun contact physique n’est intervenu entre les parties.

La doctrine souligne que ce type de distribution, bien qu’efficace et accessible, affaiblit le cadre traditionnel du face-à-face contractuel, et justifie en conséquence un renforcement du devoir d’information. Comme le relève à juste titre Jean Bigot, la vente à distance repose sur une logique de dissociation physique qui fragilise la transparence de la relation contractuelle, et appelle en retour un renforcement du cadre informationnel.

Il convient également de distinguer la vente à distance du contrat conclu « hors établissement », au sens de l’article L. 221-1, 2° du Code de la consommation, qui suppose quant à lui une rencontre physique, même si celle-ci a lieu dans un lieu non habituel ou après démarchage.

III. Le contenu de l’information à délivrer

L’article L. 112-2-1, III du Code des assurances énumère de manière détaillée les éléments d’information que le professionnel est tenu de porter à la connaissance du souscripteur avant la conclusion d’un contrat d’assurance à distance. Ces informations ont vocation à garantir que l’engagement du souscripteur repose sur une compréhension claire et complète des termes et conditions contractuels. Leur communication constitue ainsi une condition de validité du processus de souscription à distance.

Aussi, les informations à fournir avant tout engagement du souscripteur sont les suivantes :

  • La dénomination de l’entreprise d’assurance contractante, l’adresse de son siège social, lorsque l’entreprise d’assurance est inscrite au registre du commerce et des sociétés, son numéro d’immatriculation, les coordonnées de l’autorité chargée de son contrôle ainsi que, le cas échéant, l’adresse de la succursale qui propose la couverture ou l’identité, l’adresse de l’intermédiaire d’assurance et son numéro d’immatriculation au registre mentionné au I de l’article L. 512-1 ;
  • Le montant total de la prime ou cotisation ou, lorsque ce montant ne peut être indiqué, la base de calcul de cette prime ou cotisation permettant au souscripteur de vérifier celle-ci ;
  • La durée minimale du contrat ainsi que les garanties et exclusions prévues par celui-ci ;
  • La durée pendant laquelle les informations fournies sont valables, les modalités de conclusion du contrat et de paiement de la prime ou cotisation ainsi que l’indication, le cas échéant, du coût supplémentaire spécifique à l’utilisation d’une technique de commercialisation à distance ;
  • L’existence ou l’absence d’un droit à renonciation et, si ce droit existe, sa durée, les modalités pratiques de son exercice notamment l’adresse à laquelle la notification de la renonciation doit être envoyée. Le souscripteur doit également être informé du montant de prime ou de cotisation que l’assureur peut lui réclamer en contrepartie de la prise d’effet de la garantie, à sa demande expresse, avant l’expiration du délai de renonciation ;
  • La loi sur laquelle l’assureur se fonde pour établir les relations précontractuelles avec le consommateur ainsi que la loi applicable au contrat et la langue que l’assureur s’engage à utiliser, avec l’accord du souscripteur, pendant la durée du contrat ;
  • Les modalités d’examen des réclamations que le souscripteur peut formuler au sujet du contrat et de recours à un processus de médiation dans les conditions prévues au titre V du livre Ier du code de la consommation, sans préjudice pour lui d’intenter une action en justice ainsi que, le cas échéant, l’existence de fonds de garantie ou d’autres mécanismes d’indemnisation.
  • Le document d’information normalisé prévu par l’article L. 112-2 pour les assurances portant sur un risque non-vie.

En complément, l’article L. 112-2-1, IV impose, pour les contrats d’assurance sur la vie, la communication d’informations supplémentaires :

  • le montant maximal des frais prélevés par l’assureur ;
  • en cas de garanties exprimées en unités de compte, les caractéristiques principales de ces unités (risques, valorisation, etc.) ;
  • la précision selon laquelle l’assureur ne s’engage que sur le nombre d’unités de compte, et non sur leur valeur, laquelle est susceptible de variations à la hausse comme à la baisse ;
  • les informations prévues à l’article L. 522-3, relatives notamment aux rémunérations des intermédiaires.

Enfin, en application de l’article R. 112-4 du Code des assurances, ces informations doivent:

  • être présentées de manière claire, compréhensible et non équivoque ;
  • être communiquées par tout moyen adapté à la technique de commercialisation à distance utilisée (support papier, électronique, ou tout autre support durable accessible au souscripteur).

Elles doivent en outre être conformes à la loi applicable au contrat, et refléter avec exactitude les obligations contractuelles futures.

IV. Les modalités de délivrance de l’information

La qualité de l’information précontractuelle ne dépend pas uniquement de son contenu: encore faut-il qu’elle soit transmise dans des conditions matérielles permettant au souscripteur d’en prendre réellement connaissance. Le Code des assurances précise donc les modalités pratiques selon lesquelles cette information doit être communiquée, en tenant compte du canal de commercialisation utilisé.

Conformément à l’article R. 112-4 du Code des assurances, l’information doit être transmise par tout moyen adapté à la technique de commercialisation à distance utilisée. Autrement dit, le mode de transmission doit être cohérent avec le support employé (site internet, application mobile, appel téléphonique, etc.), et permettre une lecture claire et intelligible par le souscripteur.

En tout état de cause, les informations précontractuelles doivent être mises à disposition du souscripteur sur un support durable, conformément à l’article L. 111-9 du Code des assurances. Ce texte définit le support durable comme :

«?tout instrument offrant la possibilité à l’assuré, à l’assureur, à l’intermédiaire ou au souscripteur d’un contrat d’assurance de groupe de stocker des informations qui lui sont adressées personnellement, afin de pouvoir s’y reporter ultérieurement pendant un laps de temps adapté aux fins auxquelles les informations sont destinées, et qui permet la reproduction à l’identique des informations conservées.?»

Cette exigence vise à garantir que le souscripteur puisse accéder, consulter et conserver durablement les informations essentielles, dans des conditions de pérennité et de sécurité suffisantes. Sont ainsi généralement considérés comme supports durables :

  • un document papier ;
  • un fichier PDF horodaté ;
  • un e-mail non modifiable ;
  • ou un espace personnel sécurisé sur le site de l’assureur.

L’objectif est de permettre au souscripteur de disposer, à tout moment et sans altération, des données qui fondent son engagement contractuel, dans un format qu’il peut archiver, reproduire et consulter librement.

Des règles spécifiques s’appliquent en cas de communication par téléphone. L’article R. 112-4 du Code des assurance impose que :

  • En premier lieu, le nom de l’assureur et le caractère commercial de l’appel soient annoncés clairement dès le début de la conversation ;
  • En deuxième lieu, l’interlocuteur précise son identité et son lien avec l’assureur ;
  • En troisième lieu, seules certaines informations essentielles (celles mentionnées aux 2°, 3° et 5° de l’article L. 112-2-1, III) puissent être communiquées oralement, et à la condition que le souscripteur y consente expressément ;
  • En dernier lieu, il soit indiqué au souscripteur que les autres informations peuvent lui être communiquées sur simple demande, dans des conditions lui garantissant une consultation réelle et durable.

En dehors de ce cas particulier, l’ensemble des informations requises par l’article L. 112-2-1 doit être transmis avant tout engagement du souscripteur, sur un support durable, quelle que soit la technique de communication utilisée.

En somme, la validité de l’information précontractuelle ne dépend pas seulement de ce qui est dit, mais aussi de la façon dont cela est transmis. L’assureur doit veiller à ce que l’information soit effectivement accessible, lisible et conservable, faute de quoi il s’expose à des sanctions pour manquement à son obligation d’information.

V. Le moment de la délivrance de l’information

Le principe, posé à l’article L. 112-2-1, III du Code des assurances, est clair : l’information précontractuelle doit être communiquée au souscripteur en temps utile, avant la conclusion du contrat. Ce critère d’antériorité vise à garantir que le consentement du souscripteur repose sur une connaissance complète des éléments essentiels du contrat, et non sur une adhésion précipitée ou insuffisamment éclairée.

Cette exigence de remise préalable de l’information s’impose de manière générale, quelle que soit la technique de communication à distance utilisée. Toutefois, une exception est prévue à l’article R. 112-4, alinéa 2, pour les hypothèses où le contrat est conclu à l’initiative du souscripteur, notamment dans le cadre d’un appel « entrant », ou lorsqu’une technique de commercialisation à distance ne permet pas la remise immédiate de l’information sur un support durable (par exemple, un échange téléphonique suivi d’une souscription verbale).

Dans ce cas particulier, il est admis que l’information puisse être transmise immédiatement après la conclusion du contrat, à condition toutefois que cette transmission intervienne dans les plus brefs délais et dans les conditions prévues par le Code de la consommation (v. not. art. L. 221-13).

Cette tolérance ne remet cependant nullement en cause le caractère impératif de l’obligation d’information. En toutes hypothèses, le professionnel est tenu de fournir l’intégralité des informations exigées par les articles L. 112-2-1 et R. 112-4, sur un support durable, et de manière claire, lisible et compréhensible. Une communication orale, même détaillée, ne saurait suffire, pas plus qu’une transmission partielle ou tardive.

La jurisprudence et l’ACPR ont d’ailleurs rappelé que le non-respect de cette exigence constitue une défaillance grave du professionnel, susceptible de justifier des sanctions disciplinaires et pécuniaires. Tel fut notamment le cas dans la décision de la Commission des sanctions de l’ACPR n° 2017-09 du 26 février 2018, rendue à l’encontre d’un intermédiaire en assurances ayant commercialisé des contrats de prévoyance par téléphone. Il lui était reproché de conclure les contrats à l’issue de simples conversations téléphoniques, à son initiative exclusive, sans remise préalable au souscripteur d’une information complète sur support durable, en violation manifeste des articles L. 112-2-1 et R. 112-4 du Code des assurances, ainsi que des dispositions du Code de la consommation.

La Commission des sanctions a relevé que les conditions permettant de déroger à l’obligation de remise anticipée sur support durable – notamment l’initiative du consommateur – n’étaient pas réunies. De surcroît, les informations communiquées oralement au cours des appels étaient jugées incomplètes, imprécises, parfois inexactes, notamment en ce qui concerne l’identité de l’intermédiaire, la nature contractuelle de l’adhésion, les exclusions de garantie, ou encore les modalités de réclamation.

Considérant la gravité des manquements, en particulier le non-respect du devoir d’information dans un contexte de vente à distance à une clientèle fragile, la Commission a prononcé une sanction pécuniaire de 150 000 euros ainsi qu’un blâme à l’encontre du professionnel concerné. Elle a rappelé que l’absence de transmission préalable des informations essentielles sur un support durable porte directement atteinte à la faculté du consommateur de contracter en connaissance de cause

VI. Les sanctions applicables

Le régime de la commercialisation à distance repose sur une exigence d’information renforcée, à laquelle l’assureur ou son intermédiaire ne peut se soustraire sans s’exposer à des conséquences juridiques. Le législateur a mis en place un dispositif de sanctions destiné à garantir l’effectivité de cette obligation dans un environnement de souscription où la dématérialisation rend le souscripteur plus vulnérable.

Sur le plan administratif, l’article L. 112-2-1, VI du Code des assurances prévoit que les manquements aux obligations d’information sont constatés et sanctionnés par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), dans les conditions définies au titre III du livre III du code. L’ACPR peut ainsi prononcer, selon la gravité des faits, un avertissement, un blâme, une interdiction d’exercice, ou une sanction pécuniaire, assortie éventuellement d’une publication de la décision.

En complément, l’article R. 112-5 du même code réprime plus spécifiquement l’absence matérielle des informations prévues au III de l’article L. 112-2-1, en la qualifiant de contravention de cinquième classe, passible d’une amende pouvant atteindre 1 500 euros, montant porté à 3 000 euros en cas de récidive. Ce volet pénal, bien que secondaire par rapport aux pouvoirs disciplinaires de l’ACPR, souligne le caractère impératif de ces obligations.

Le droit de la consommation vient en renfort de ce dispositif. L’article L. 221-7 du Code de la consommation prévoit que la charge de la preuve du respect des obligations d’information incombe exclusivement au professionnel. En cas de litige, il revient donc à l’assureur ou à son intermédiaire de démontrer qu’il a bien fourni, en temps utile et sur un support durable, l’ensemble des informations prescrites.

Enfin, les juridictions civiles peuvent, en cas de manquement constaté, prononcer des sanctions civiles telles que l’annulation du contrat pour vice du consentement, ou ordonner le remboursement des primes perçues, notamment si le droit de renonciation n’a pu être exercé en raison d’un défaut d’information. La jurisprudence en a donné plusieurs illustrations, en particulier en matière d’assurance vie ou de prévoyance à adhésion téléphonique.