Il ressort des articles 1142 et 1143 du Code civil que la violence, en tant que vice du consentement, est sanctionnée quel que soit son auteur.
Contrairement au dol, elle peut émaner :
- Soit d’un tiers
- Soit de circonstances particulières
Nous nous focaliserons ici sur la seconde situation.
==>Exposé de la problématique
S’il ne fait aucun doute que la violence peut émaner d’une personne, qu’il s’agisse du contractant lui-même ou d’un tiers, la question s’est rapidement posée de savoir si elle ne pouvait pas dériver de circonstances extérieures au contrat.
Plus précisément, les auteurs se sont interrogés sur l’assimilation de ce que l’on appelle l’état de nécessité à la violence.
En matière contractuelle, l’état de nécessité se définit comme la situation dans laquelle se trouve une personne qui, en raison de circonstances économiques, naturelles ou politiques est contrainte, par la force des choses, de contracter à des conditions qu’elle n’aurait jamais acceptées si les circonstances qui la placent dans cette situation ne s’étaient pas produites.
L’exemple classique est celui du navire perdu en mer et d’un remorqueur qui profiterait de la situation pour lui imposer un prix bien plus élevé que celui habituellement pratiqué.
Doit-on considérer qu’il s’agit là d’un cas de violence, alors même qu’elle n’émane pas, à proprement parler, d’une personne ?
==>Hésitations
Les opinions divergent et la jurisprudence n’est guère abondante sur le sujet.
Certaines décisions, toutefois, paraissent ne pas exclure l’idée qu’il puisse y avoir là un cas de violence.
- Arguments contre l’assimilation de l’état de nécessité à a violence
- Le premier argument consistait à dire que lorsqu’un contrat est conclu alors qu’une partie se trouvait dans un état de nécessité, cela relève moins du vice de violence que de la lésion. Or la lésion n’est pas sanctionnée en droit français
- Quant au second argument avancé par les auteurs, il trouvait sa source dans une interprétation stricte des anciennes dispositions du Code civil qui n’envisageait pas que la violence puisse émaner de circonstances.
- Arguments pour l’assimilation de l’état de nécessité à la violence
- L’existence d’une lésion ne constitue nullement un obstacle à l’annulation d’un contrat, dès lors qu’il est établi que le consentement de la victime a été vicié.
- En outre, lorsque la violence résulte de circonstances, elle n’en a pas moins toujours pour origine, in fine, une personne qui a abusé des circonstances en vue de priver la victime de sa liberté de contracter.
==>Assimilation de l’état de nécessité à la violence en matière de contrat d’assistance maritime
Convaincue par ces derniers arguments, dans un arrêt célèbre du 28 avril 1887, la Cour de cassation a admis que les circonstances, qui avaient conduit le capitaine d’un bateau à accepter des conditions qu’il n’aurait jamais acceptées si son navire n’était pas en péril, étaient constitutives du vice de violence (Cass. req., 27 avr. 1887)
Plus tard, le législateur consacrera cette jurisprudence dans une loi du 29 avril 1916, relative au sauvetage en mer.
Désormais, elle figure à l’article L. 5132-6 du Code des transports qui prévoit qu’un contrat ou certaines de ses clauses peuvent être annulés ou modifiés, si :
- Soit le contrat a été conclu sous une pression abusive ou sous l’influence du danger et que ses clauses ne sont pas équitables
- Soit le paiement convenu en vertu du contrat est beaucoup trop élevé ou beaucoup trop faible pour les services effectivement rendus
Le domaine d’application de cette disposition est cependant circonscrit aux seuls contrats d’assistance maritime.
La question s’est alors posée de savoir s’il ne convenait pas de lui donner une portée générale
==>La reconnaissance de la violence économique
Dans un arrêt du 30 mai 2000, la première chambre civile a admis l’assimilation de l’état de nécessité à la violence en dehors du cadre d’un contrat d’assistance maritime.
Elle a affirmé à cette occasion que « la contrainte économique se rattache à la violence et non à la lésion » (Cass. 1er civ. 30 mai 2000, n°98-15.242).
*****
Cass. 1ère civ. 30 mai 2000
Attendu que M. X…, assuré par les Assurances mutuelles de France ” Groupe azur ” (le Groupe Azur) a été victime d’un incendie survenu le 15 janvier 1991 dans le garage qu’il exploitait ; que, le 10 septembre 1991, il a signé un accord sur la proposition de l’expert pour fixer les dommages à la somme de 667 382 francs, dont, en premier règlement 513 233 francs, et en règlement différé 154 149 francs ;
Sur le premier moyen : (Publication sans intérêt) ;
Mais sur le deuxième moyen :
Vu les articles 2052 et 2053 du Code civil, ensemble l’article 12 du nouveau Code de procédure civile ;
Attendu que, pour rejeter la demande d’annulation de l’acte du 10 septembre 1991, l’arrêt attaqué retient que, la transaction ne pouvant être attaquée pour cause de lésion, la contrainte économique dont fait état M. X… ne saurait entraîner la nullité de l’accord ;
Attendu qu’en se déterminant ainsi, alors que la transaction peut être attaquée dans tous les cas où il y a violence, et que la contrainte économique se rattache à la violence et non à la lésion, la cour d’appel a violé les textes susvisés.
*****
- Faits
- Un particulier a été victime d’un incendie survenu le 15 janvier 1991 dans le garage qu’il exploitait
- Le 10 septembre 1991, il a signé un accord sur la proposition de l’expert pour fixer les dommages à la somme de 667 382 francs, dont, en premier règlement 513 233 francs, et en règlement différé 154 149 francs
- Demande
- L’assuré engage une action en nullité du protocole d’accord, en invoquant la violence dont il aurait fait l’objet
- Procédure
- Dans un arrêt du 18 mars 1998, la Cour d’appel de Paris rejette la demande formulée par l’assuré
- Elle estime que la convention ne pouvait pas être attaquée pour cause de lésion, celle-ci ne constituant pas une cause de nullité en droit français
- Solution
- Dans son arrêt du 30 mai 2000, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel estimant que la transaction en l’espèce pouvait parfaitement faire l’objet d’une action en nullité, dans la mesure où la contrainte économique à laquelle était soumis l’assuré lors de la conclusion de l’acte litigieux était constitutive du vice de violence et non d’une lésion.
- Analysé
- Ainsi, pour la première fois, la Cour de cassation admet-elle que la contrainte économique puisse constituer un cas de violence en dehors du contexte maritime.
==>La délimitation de la violence économique : l’arrêt Bordas
Dans un célèbre arrêt Bordas du 3 avril 2002, la Cour de cassation a estimé que « seule l’exploitation abusive d’une situation de dépendance économique, faite pour tirer profit de la crainte d’un mal menaçant directement les intérêts légitimes de la personne, peut vicier de violence son consentement » (Cass. 1ère civ. 3 avr. 2002, n°00-12.932).
*****
Arrêt Bordas
(Cass. 1ère civ. 3 avr. 2002)
Sur le premier moyen, pris en sa première branche :
Vu l’article 1112 du Code civil ;
Attendu que Mme X… était collaboratrice puis rédactrice salariée de la société Larousse-Bordas depuis 1972 ; que selon une convention à titre onéreux en date du 21 juin 1984, elle a reconnu la propriété de son employeur sur tous les droits d’exploitation d’un dictionnaire intitulé ” Mini débutants ” à la mise au point duquel elle avait fourni dans le cadre de son contrat de travail une activité supplémentaire ; que, devenue ” directeur éditorial langue française ” au terme de sa carrière poursuivie dans l’entreprise, elle en a été licenciée en 1996 ; que, en 1997, elle a assigné la société Larousse-Bordas en nullité de la cession sus-évoquée pour violence ayant alors vicié son consentement, interdiction de poursuite de l’exploitation de l’ouvrage et recherche par expert des rémunérations dont elle avait été privée ;
Attendu que, pour accueillir ces demandes, l’arrêt retient qu’en 1984, son statut salarial plaçait Mme X… en situation de dépendance économique par rapport à la société Editions Larousse, la contraignant d’accepter la convention sans pouvoir en réfuter ceux des termes qu’elle estimait contraires tant à ses intérêts personnels qu’aux dispositions protectrices des droits d’auteur ; que leur refus par elle aurait nécessairement fragilisé sa situation, eu égard au risque réel et sérieux de licenciement inhérent à l’époque au contexte social de l’entreprise, une coupure de presse d’août 1984 révélant d’ailleurs la perspective d’une compression de personnel en son sein, même si son employeur ne lui avait jamais adressé de menaces précises à cet égard ; que de plus l’obligation de loyauté envers celui-ci ne lui permettait pas, sans risque pour son emploi, de proposer son manuscrit à un éditeur concurrent ; que cette crainte de perdre son travail, influençant son consentement, ne l’avait pas laissée discuter les conditions de cession de ses droits d’auteur comme elle aurait pu le faire si elle n’avait pas été en rapport de subordination avec son cocontractant, ce lien n’ayant cessé qu’avec son licenciement ultérieur ;
Attendu, cependant, que seule l’exploitation abusive d’une situation de dépendance économique, faite pour tirer profit de la crainte d’un mal menaçant directement les intérêts légitimes de la personne, peut vicier de violence son consentement ; qu’en se déterminant comme elle l’a fait, sans constater, que lors de la cession, Mme X… était elle-même menacée par le plan de licenciement et que l’employeur avait exploité auprès d’elle cette circonstance pour la convaincre, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ;
Par ces motifs, et sans qu’il soit besoin de statuer sur la seconde branche du premier moyen, ni sur le second moyen :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 12 janvier 2000, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Versailles.
******
- Faits
- Une rédactrice salariée de la société Larousse-Bordas a, par convention à titre onéreux en date du 21 juin 1984, reconnu la propriété de son employeur sur tous les droits d’exploitation d’un dictionnaire intitulé ” Mini débutants ” à la mise au point duquel elle avait fourni dans le cadre de son contrat de travail une activité supplémentaire
- Devenue ” directrice éditoriale langue française ” au terme de sa carrière poursuivie dans l’entreprise, elle en a été licenciée en 1996.
- Demande
- La salariée licenciée assigne son employeur en nullité de la cession sus-évoquée pour violence ayant alors vicié son consentement.
- Procédure
- Par un arrêt du 12 janvier 2000, la Cour d’appel de paris, accède à la demande de nullité de la salariée licenciée la requérante.
- Les juges du fond estiment que :
- d’une part, le statut salarial plaçait la requérante en situation de dépendance économique par rapport à la société Editions Larousse, la contraignant d’accepter la convention sans pouvoir en réfuter ceux des termes qu’elle estimait contraires tant à ses intérêts personnels qu’aux dispositions protectrices des droits d’auteur
- d’autre part, la Cour d’appel relève que l’obligation de loyauté due envers son employeur ne permettait pas à la salariée licenciée, sans risque pour son emploi, de proposer son manuscrit à un éditeur concurrent
- Les juges du fond en déduisent que cette crainte de perdre son travail, influençant son consentement, ne l’avait pas laissée discuter les conditions de cession de ses droits d’auteur comme elle aurait pu le faire si elle n’avait pas été en rapport de subordination avec son cocontractant.
- Solution
- Par un arrêt du 3 avril 2002, au visa de l’article 1112 du Code civil, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris
- La première chambre civil avance, au soutien de sa décision, que la seule situation de dépendance économique ne suffit pas à caractériser la violence cause de nullité contractuelle.
- Pour la Cour de cassation, le vice de violence ne pouvait être caractérisé en l’espèce que si la situation de dépendance économique dans laquelle se trouvait la salariée était exploitée abusivement par son employeur.
- Or aucun des éléments sur lesquels les juges du fond se sont appuyés ne permettait d’établir l’existence d’un tel abus.
- D’où la cassation de l’arrêt pour défaut de base légale.
- L’affaire est renvoyée devant une autre Cour d’appel, à qui il est revenu la tâche de déterminer si l’employeur avait ou non abusé de la situation de dépendance économique dans laquelle se trouvait la salariée.
- Portée
- La solution dégagée dans l’arrêt Bordas a été confirmée par la suite dans plusieurs autres décisions (V. en ce sens Cass. com. 3 oct. 2006, n°04-13.987 ; Cass. 3e civ. 22 mai 2012, n°11-16.826)
==>Consécration légale de l’abus de l’état de dépendance
L’ordonnance du 10 février 2016 est, manifestement, venue consacrer la jurisprudence Bordas en insérant dans le Code civil un article 1143 qui prévoit que « il y a également violence lorsqu’une partie, abusant de l’état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant, obtient de lui un engagement qu’il n’aurait pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif. »
Il ressort de cette disposition que trois conditions cumulatives doivent être réunies pour que l’abus de l’état de dépendance soit caractérisé :
- Une situation de dépendance
- Le texte ne précisant pas de quel type de dépendance il doit s’agir, on peut en déduire qu’il ne vise pas seulement l’état de dépendance économique.
- Est-ce à dire que l’état de dépendance affective serait également visé ?
- Rien ne permet d’exclure, en l’état du droit positif, cette éventualité.
- Un abus de la situation de dépendance
- Il ne suffit pas de démontrer qu’une partie au contrat se trouve dans un état de dépendance par rapport à une autre pour établir le vice de violence.
- Encore faut-il que la partie en position de supériorité ait abusé de la situation.
- Aussi, l’existence d’une situation de dépendance n’est pas propre à faire peser une présomption de violence.
- L’octroi d’un avantage manifestement excessif
- Pour que l’abus de dépendance soit caractérisé, cela suppose que l’auteur de la violence ait obtenu un avantage manifestement excessif que son cocontractant ne lui aurait jamais consenti s’il ne s’était pas retrouvé en situation de dépendance
- Cette condition a, manifestement, été reprise de la jurisprudence de la Cour de cassation qui, dès l’arrêt Bordas, faisait de cette exigence un élément constitutif de la violence économique (V. notamment Cass. 3e civ. 22 mai 2012, n°11-16.826).