L’article 1409 du Code civil prévoit que la communauté se compose passivement :
- à titre définitif, des aliments dus par les époux et des dettes contractées par eux pour l’entretien du ménage et l’éducation des enfants, conformément à l’article 220 ;
- à titre définitif ou sauf récompense, selon les cas, des autres dettes nées pendant la communauté.
Trois catégories de dettes sont donc supportées à titre définitif par la communauté :
- Les dettes ménagères
- Les dettes d’aliment
- Les autres dettes nées pendant la communauté
I) Les dettes ménagères
L’article 1409 du Code civil prévoit que « la communauté se compose passivement […] à titre définitif […] des dettes contractées par eux pour l’entretien du ménage et l’éducation des enfants, conformément à l’article 220 ».
Cette disposition fait ainsi figurer dans le passif commun définitif les dettes que l’on qualifie couramment de ménagères.
==> Domaine
Cette catégorie de dettes regroupe toutes les dépenses qui ont pour objet « l’entretien du ménage et l’éducation des enfants ».
Elles doivent, autrement dit, présenter un caractère ménager, étant précisé que le ménage est envisagé par l’article 220 comme incluant, tant les époux, que leurs enfants.
Les dépenses susceptibles de donner lieu à la solidarité sont donc toutes celles qui intéressent la cellule familiale.
- S’agissant des dépenses ayant pour finalité l’entretien du ménage
- Il est admis qu’il s’agit ici des dépenses courantes strictement nécessaires au fonctionnement du ménage.
- Tel est le cas des dépenses en lien avec les aliments, l’habillement, l’habitation, le transport, l’énergie, le téléphone, l’internet etc.
- Pour la plupart, il s’agira de dépenses qui présentent une certaine périodicité et qui procèdent de l’accomplissement d’actes d’administration ou conservatoires.
- Classiquement on oppose les dépenses ménagères aux dépenses d’investissement, soit celles qui visent, pour le ménage, à se constituer un patrimoine (immobilier ou mobilier).
- Plus généralement sont exclues de la catégorie des dépenses ménagères toutes celles qui, soit en raison de leur nature, soit en raison de leur montant, sont exceptionnelles.
- S’agissant des dépenses ayant pour finalité l’éducation des enfants
- Les dépenses réalisées en vue de l’éducation des enfants ne soulèvent pas de difficulté de qualification.
- Ce sont essentiellement celles qui sont liées à l’alimentation, à la nourriture, à l’habillement, à la scolarité ou encore à la santé.
- Il peut encore s’agit de dépenses relatives aux loisirs des enfants, telles que les frais de licence d’une pratique sportive ou les frais relatifs à l’inscription dans une école de musique et plus généralement dans toute structure cultuelle et artistique.
- Il est indifférent que l’enfant soit mineur ou majeur : ce qui importe c’est qu’il soit à la charge de ses parents.
==> Dettes ménagères non solidaires
L’article 1409 du Code civil vise « les dettes contractées par eux pour l’entretien du ménage et l’éducation des enfants, conformément à l’article 220 » sans autres précisions.
Ce renvoi à l’article 220 du Code civil n’est pas sans avoir fait naître une vive controverse doctrinale.
La question s’est, en effet, posée de savoir si le texte vise uniquement les dettes ménagères solidaires, ou s’il vise également les dettes ménagères non solidaires.
Quid notamment du sort des dépenses manifestement excessives, des achats à tempérament ou encore des emprunts non modestes qui, s’ils peuvent consister en des dépenses ménagères, ne donnent pas lieu à la solidarité des époux, en application du second alinéa de l’article 220 du Code civil.
La doctrine est partagée sur ce point :
- Approche restrictive
- D’aucuns soutiennent que seules les dettes ménagères solidaires doivent être supportées à titre définitif par la communauté.
- La raison en est que les dettes exclues du champ de la solidarité perdraient leur caractère ménager et devraient, en conséquence, être supportées à titre définitif par l’époux qui les a engagées
- Cette thèse revient à considérer que le renvoi opéré par l’article 1409 du Code civil à l’article 220 ne viserait que le premier alinéa de cette disposition.
- Approche extensive
- D’autres auteurs estiment, au contraire, que toutes les dettes contractées pour l’entretien du ménage et l’éducation des enfants doivent être comprises dans le passif commun définitif, peu importe que la dette contractée soit ou non solidaire.
- Pour ces derniers, ni le caractère excessif d’une dépense, ni sa nature ne lui font perdre automatiquement son caractère ménager.
- Ce qu’il faut regarder c’est ça finalité.
- Dès lors qu’elle a été exposée pour l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants, elle doit être supportée à titre définitif par la communauté
- Cette thèse revient à considérer que l’article 1409 du Code civil opère un renvoi à l’article 220 pris dans sa globalité
En l’état de la jurisprudence, la question n’a toujours pas été tranchée. Néanmoins, la doctrine majoritaire est favorable à l’adoption de l’approche extensive. Il serait donc indifférent que la dette soit solidaire ou ménagère, pourvu qu’elle ait pour finalité l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants.
Certains auteurs suggèrent d’affiner cette position en soulignant que « il n’y a pas d’inconvénient à décider que les dettes ménagères parfaites (solidaires) font nécessairement partie du passif définitif. En revanche, pour les dettes ménagères imparfaites, il paraît raisonnable de présumer leur appartenance à ce passif définitif, mais sans interdire au juge de pouvoir rechercher, à l’occasion, à qui la dette a réellement profité »[1].
Cette thèse nous apparaît être incontestablement la plus équilibrée, car n’excluant pas l’éventualité qu’une dépense excessive qui présente l’apparence d’une dette ménagère soit en réalité exposée dans l’intérêt personnel d’un époux.
Dans cette hypothèse, la communauté devrait pouvoir de prévaloir d’un droit à récompense.
II) Les dettes d’aliment
L’article 1409 du Code civil prévoit que « la communauté se compose passivement […] à titre définitif […] des aliments dus par les époux ».
Il ressort de cette disposition que les dettes d’aliment sont communes au plan de la contribution et que, par voie de conséquence, elles doivent être comprises dans le passif définitif.
Une question néanmoins se pose : le texte vise-t-il les dettes d’aliments dues par les deux époux conjointement ou solidairement ou celles dues par l’un d’entre eux également ?
==> S’agissant des dettes d’aliment dues par les deux époux
Cette situation se rencontre dans deux hypothèses :
- La dette d’aliment due par les époux à un enfant commun majeur ou mineur ( 203 et 371-2 C. civ.)
- La dette d’aliment due par les époux à ses ascendants en ligne direct et par alliance ( 205 et 206 C. civ.)
Dans ces deux hypothèses, compte tenu de la solidarité de l’obligation alimentaire qui pèse sur les époux, il ne fait aucun doute que la charge de la dette pèse à titre définitif sur la communauté.
Aucune récompense ne sera due à cette dernière si la dette a été acquittée avec des deniers communs.
==> S’agissant des dettes d’aliment dues par un seul époux
À l’analyse, l’article 1409 du Code civil ne dit pas explicitement s’il y a lieu ou non d’intégrer dans le passif définitif supporté par la communauté les dettes d’aliments dues par un seul époux.
Il se limite à viser les dettes d’aliment « dus par les époux ». Cette imprécision du texte n’est pas sans avoir suscité un débat en doctrine.
Tout d’abord, il y a lieu d’exclure les prestations compensatoires dont les époux sont susceptibles d’être débiteurs au profit de leurs ex-conjoints, le fait générateur de ces dettes intervenant nécessairement à une date antérieure à la célébration de leur mariage (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 28 mars 2006, n°03-11.671).
Ensuite, s’agissant des pensions alimentaires, leur appartenance au passif commun définitif divise les auteurs.
Tandis que pour les uns elles doivent être regardées comme des dettes antérieures auquel cas leur acquittement avec des deniers communs devrait donner droit à récompense au profit la communauté, pour les autres, l’application de l’article 1409 du Code civil doit conduire à faire supporter par la communauté, à titre définitif, le paiement de cette catégorie de dettes.
La doctrine adhère majoritairement à la seconde thèse. Quant à la jurisprudence elle semble également considérer que les dettes d’aliment dues par un seul époux sont communes.
Dans un arrêt du 8 novembre 2005, la Cour de cassation a, par exemple, jugé que la pension alimentaire réglée par un époux avec ses salaires à ses deux filles nées d’une précédente union n’ouvrait pas droit à récompense au profit de la communauté, considérant que cette dette constituait « un passif définitif de la communauté » (Cass. 1ère civ. 8 nov. 2005, n°03-14.831).
Cette solution doit être approuvée. Ainsi que le soulignent les auteurs, elle se justifie pour des raisons d’ordre économique.
Qualifier de personnelle une dette d’aliment due par un seul époux reviendrait à mettre à sa charge le paiement d’une récompense dont le montant serait excessivement élevé.
En effet, ce type de d’obligations pèse sur le débiteur pendant de nombreuses années. Elles sont presque toujours réglées avec ses gains et salaires. Or il s’agit de biens communs.
Pour ces raisons, la solution entreprise par la jurisprudence nous apparaît juste et équilibrée.
Quant à la dette d’aliment due à un enfant issu d’une relation adultérine, la doctrine estime qu’elle ne saurait être supportée à titre définitif par la communauté dans la mesure où elle résulte d’un manquement à l’un des devoirs du mariage.
Or l’article 1417 du Code civil prévoit expressément que la communauté « a droit à récompense si la dette qu’elle a acquittée avait été contractée par l’un des époux au mépris des devoirs que lui imposait le mariage. »
III) Les autres dettes nées pendant la communauté
L’article 1409 du Code civil inclut dans le passif qui doit être supporté, à titre définitif, par la communauté les « autres dettes nées pendant la communauté ».
Il ressort de cette disposition que toutes les dettes nées au cours du mariage sont présumées avoir été contractées au profit de la communauté et appartiennent, à ce titre, au passif commun définitif.
Il s’agit là, en quelque sorte, d’une application de la présomption de communauté au stade de la répartition du passif.
Cette présomption est complétée par l’ouverture d’un droit à récompense au profit de l’époux qui aurait réglé une dette commune née au cours du mariage avec des deniers propres.
==> Domaine
S’agissant du domaine d’application du principe posé par l’article 1409, le seul critère énoncé par le texte tient au fait générateur de la dette : elle doit avoir été souscrite au cours du mariage.
À cet égard, pour déterminer si ce critère est satisfait, c’est à la date de naissance de la dette qu’il y a lieu de se reporter, laquelle ne doit pas être confondue avec la date d’exigibilité.
Pour mémoire, une dette présente un caractère exigible lorsque le terme de l’obligation est arrivé à l’échéance.
Aussi, une dette peut être née antérieurement au jour du mariage et ne devenir exigible qu’après la célébration de l’union.
Dans cette hypothèse, selon que l’on retient comme critère la date de naissance de la dette ou sa date d’exigibilité, l’article 1409 du Code civil trouvera ou non à s’appliquer.
Pour la Cour de cassation, il convient de se référer à la seule date du fait générateur de la dette et non à sa date d’exigibilité (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 17 juin 1986 ; Cass. 1ère civ. 27 janv. 1998, n°95-21964).
Lorsqu’il s’agit d’une dette contractuelle, c’est à la date de conclusion du contrat qu’il conviendra de se reporter pour déterminer s’il s’agit d’une dette présente au jour du mariage.
Pour les dettes délictuelles, la dette naît au jour de la réalisation du dommage et non à la date de condamnation au paiement de dommages et intérêts, encore que pour ces dernières, elles font l’objet d’un traitement spécifique puisque relèvent du passif propre lorsqu’elles ont été contractées du chef d’un époux.
==> Objet
S’agissant de l’objet de la dette, faute de précision à l’article 1409 du Code civil, il est indifférent qu’il s’agisse d’une dette contractée au titre d’un loisir (CA Riom, 10 nov. 1988) ou à des fins professionnelles (Cass. 1ère civ. 12 janv. 1994, n°91-18.104).
La Cour de cassation ne déroge pas à la règle lorsque la dette présente un caractère fiscal.
Dans un arrêt du 19 février 1991 elle a, par exemple, jugé que « l’impôt sur le revenu des personnes physiques auquel sont assujettis des époux communs en biens pour les revenus qu’ils perçoivent pendant la durée de la communauté constitue une dette définitive de celle-ci et que son paiement n’ouvre pas droit à récompense » (Cass. 1ère civ. 19 févr. 1991, n°88-19.303).
La même solution a été adoptée pour l’impôt foncier (Cass. 1ère civ. 8 févr. 1978, n°76-11.379) ou encore pour la taxe d’habitation (CA Paris, 4 déc. 2004).
Plus délicate est, en revanche, la question de l’appartenance au passif commun définitif des dettes d’emprunt et de cautionnement.
Cette catégorie de dettes jouit, en effet, d’un statut particulier s’agissant de la répartition du passif à titre provisoire.
Conformément à l’article 1415 du Code civil, elles ne peuvent être poursuivies que sur les biens propres et revenus de l’époux du chef duquel elles sont nées, sauf à ce que le conjoint ait donné son accord auquel cas les biens communs ordinaires sont réintégrés dans le gage des créanciers.
Aussi, faut-il considérer que, parce que les emprunts et cautionnement sont assujettis à un régime dérogatoire au stade de l’obligation à la dette, il en va de même au stade de la contribution ?
L’analogie est séduisante. Reste qu’aucun texte ne la prévoit, ni n’autorise à l’envisager.
Dans ces conditions, il y a lieu de traiter les emprunts et cautionnement au stade de la contribution, comme des dettes ordinaires.
Par principe, ils doivent donc être supportés, à titre définitif, par la communauté, sauf à ce qu’il soit démontré qu’ils ont été souscrits dans l’intérêt personnel d’un époux auquel cas la communauté aura droit à récompense.
Dans un arrêt du 19 septembre 2007, la Cour de cassation a jugé en ce sens que, faute pour un époux d’établir que l’emprunt dénoncé avait été souscrit dans l’intérêt personnel de son conjoint, « la cour d’appel a décidé, à bon droit, que les dettes litigieuses devaient être inscrites au passif de la communauté » (Cass. 1ère civ. 19 sept. 2007, n°05-15.940).
La première chambre civile a adopté la même solution dans un arrêt du 8 juillet 2010, s’agissant d’un découvert bancaire contracté par un époux (Cass. 1ère civ. 8 juill. 2010, n°09-14.230).
Elle a encore rappelé cette règle dans un arrêt du 17 octobre 2018 pour un crédit à la consommation en affirmant très explicitement que « la communauté se compose passivement, à titre définitif ou sauf récompense, des dettes nées pendant la communauté et que celles résultant d’un emprunt contracté par un époux sans le consentement exprès de l’autre doivent figurer au passif définitif de la communauté dès lors qu’il n’est pas établi qu’il a souscrit cet engagement dans son intérêt personnel » (Cass. 1ère civ. 17 oct. 2018, n°17-26.713)
À l’analyse, il peut être retiré de cette jurisprudence un principe général selon lequel, faute pour l’époux qui conteste le caractère commun d’une dette – quel que soit son objet – de démontrer que cette dette a été contractée dans l’intérêt personnel du conjoint, elle est présumée avoir été souscrite au profit de la communauté.
Il en résulte qu’elle doit, dès lors, par principe, être supportée à titre définitif par cette dernière.
[1] J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand Colin, 2001, n°483, p. 455.
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