Lorsque le conjoint d’un commerçant ou d’un artisan a opté pour le statut de conjoint collaborateur au sens de l’article L. 121-4 du Code de commerce, la loi lui confère un pouvoir de représentation du chef de l’entreprise.
L’article L. 121-6 du Code de commerce prévoit en ce sens que « le conjoint collaborateur, lorsqu’il est mentionné au registre du commerce et des sociétés, au répertoire des métiers ou au registre des entreprises tenu par les chambres de métiers d’Alsace et de Moselle est réputé avoir reçu du chef d’entreprise le mandat d’accomplir au nom de ce dernier les actes d’administration concernant les besoins de l’entreprise. »
Le pouvoir de représentation conféré au conjoint collaborateur s’ajoute à ceux dont il est investi au titre de son régime matrimonial.
L’intérêt d’autoriser le conjoint du commerçant ou de l’artisan à accomplir des actes de gestion de l’entreprise est double :
- D’une part, cela permet de protéger le patrimoine du conjoint qui n’est pas engagé par les actes qu’il accomplit dans le cadre de la gestion de l’entreprise, dans les mesures où ces actes sont réputés avoir été passés par l’exploitant lui-même
- D’autre part, cela permet de protéger les tiers qui, lorsqu’ils traitent avec le conjoint du chef d’entreprise ont la garantie que les actes conclus avec ce dernier ne pourront pas être remis en cause
Ce sont ces deux raisons qui ont conduit le législateur à instituer, lors de l’adoption de la loi n° 82-596 du 10 juillet 1982, une présomption de mandat au profit du conjoint collaborateur.
Cette présomption, qui a pour effet d’étendre les pouvoirs qui lui sont conférés par son régime matrimonial, est strictement encadrée, tant s’agissant de son domaine, que s’agissant de ses conditions de mise en œuvre.
Le législateur a, par ailleurs, entendu régler son extinction qui, pour opérer, répond à des exigences posées à l’article L. 121-6 du Code de commerce.
I) Domaine de la présomption de mandat
==> Le domaine de la présomption quant aux personnes
En application de l’article L. 121-6 du Code de commerce, la présomption de pouvoir instituée par ce texte ne joue que pour le conjoint collaborateur.
Pour rappel, l’article R. 121-1 du Code de commerce prévoit que « est considéré comme conjoint collaborateur le conjoint du chef d’une entreprise commerciale, artisanale ou libérale qui exerce une activité professionnelle régulière dans l’entreprise sans percevoir de rémunération et sans avoir la qualité d’associé au sens de l’article 1832 du code civil. ».
Aussi, la présomption posée par l’article L. 121-6 du Code de commerce n’a vocation à jouer, ni pour le conjoint salarié, ni pour le conjoint associé.
À cet égard, il ne suffit pas que le conjoint se prévale du statut de conjoint collaborateur pour que la présomption produise ses effets, encore faut-il, comme le prévoient les textes, que ce statut pour lequel il a opté soit « mentionné au registre du commerce et des sociétés, au répertoire des métiers ou au registre des entreprises tenu par les chambres de métiers d’Alsace et de Moselle »
Dès lors, cela implique que le chef d’entreprise ait régulièrement déclaré la situation de son conjoint auprès des organismes compétents, ainsi que la loi l’y oblige (Art. L. 121-4, IV C. com.)
À défaut de déclaration du statut choisi, le chef d’entreprise est réputé avoir déclaré que ce statut est celui de conjoint salarié.
La présomption instituée à l’article L. 121-6 du Code de commerce n’est, dans ces conditions, plus en mesure de jouer.
==> Le domaine de la présomption quant aux actes
L’article L. 121-6 du Code de commerce prévoit que le conjoint collaborateur « est réputé avoir reçu du chef d’entreprise le mandat d’accomplir au nom de ce dernier les actes d’administration concernant les besoins de l’entreprise. »
Il ressort de cette disposition que la présomption instituée par le texte ne joue que pour un certain nombre d’actes qui doivent répondre à deux conditions cumulatives :
- Première condition : des actes d’administration
- Seuls les actes d’administration sont couverts par la présomption posée à l’article L. 121-6 du Code de commerce.
- Que doit-on entendre par actes d’administration ?
- Pour les auteurs, il s’agit de tous les actes de gestion courante de l’entreprise, par opposition aux actes dont l’accomplissement est susceptible d’avoir des incidences significatives pour l’exploitation.
- Une limite semble être tracée par l’article L. 121-5 du Code de commerce qui prévoit que « une personne immatriculée au répertoire des métiers ou un commerçant ne peut, sans le consentement exprès de son conjoint, lorsque celui-ci participe à son activité professionnelle en qualité de conjoint travaillant dans l’entreprise, aliéner ou grever de droits réels les éléments du fonds de commerce ou de l’entreprise artisanale dépendant de la communauté, qui, par leur importance ou par leur nature, sont nécessaires à l’exploitation de l’entreprise, ni donner à bail ce fonds de commerce ou cette entreprise artisanale. Il ne peut, sans ce consentement exprès, percevoir les capitaux provenant de telles opérations. »
- Ainsi, tous les actes soumis à cogestion, soit qui requièrent le consentement des deux époux, sont exclus du domaine de la présomption édictée à l’article L. 121-6.
- Pratiquement, le mandat donné au conjoint couvre tous les actes qui consistent à acheter ou vendre, dès lors qu’ils relèvent d’une gestion normale de l’entreprise.
- Tel ne serait pas le cas de la constitution d’un nantissement sur le fonds de commerce ou d’un élément constitutif de celui-ci (clientèle, marque, brevet etc.).
- En revanche, le renouvellement de stock, le règlement d’une facture, l’acquisition de matières premières relèvent du domaine de la présomption.
- Seconde condition : des actes qui concernent les besoins de l’entreprise
- Il ne suffit pas que l’acte accompli par le conjoint soit un acte d’administration pour que la présomption instituée par l’article L. 121-6 du Code de commerce puisse jouer, il faut encore que l’opération soit réalisée pour « les besoins de l’entreprise».
- Le texte institue ainsi un critère de finalité, que l’on doit comprendre comme exigeant que l’acte passé par le conjoint soit accompli, non seulement conformément à l’objet de l’entreprise, mais également dans son intérêt.
- L’acte doit, autrement dit, ne pas avoir un objet étranger à l’activité de l’exploitation.
- Il ne doit pas non plus être accompli si l’exploitation n’en retire aucun avantage.
II) Effets de la présomption de mandat
L’article L. 121-6 du Code de commerce prévoit que le conjoint collaborateur « est réputé avoir reçu du chef d’entreprise le mandat d’accomplir au nom de ce dernier les actes d’administration concernant les besoins de l’entreprise. »
Deux enseignements peuvent être retirés de cette disposition quant aux effets produits par la présomption qu’elle institue :
- Premier enseignement
- Le conjoint du chef d’une entreprise artisanale, commerciale ou libérale est autorisé à accomplir des actes de gestion de l’entreprise pour le compte de l’exploitant.
- Autrement dit, il ne lui est pas nécessaire, et c’est là une dérogation au droit commun, de justifier d’un mandat exprès ou tacite, pour représenter le chef d’entreprise dont il est le conjoint dans les rapports avec les tiers.
- À l’instar du mandataire social de l’entreprise, le pouvoir de représentation dont le conjoint collaborateur est titulaire lui est directement conféré par la loi
- Second enseignement
- Les actes de gestion régulièrement accomplis par le conjoint collaborateur sont réputés avoir été accomplis par le chef d’entreprise lui-même.
- Il en résulte qu’il n’est pas obligé personnellement par les engagements pris envers des tiers.
- L’article L. 121-7 du Code de commerce renforce cet effet de la présomption en énonçant que « dans les rapports avec les tiers, les actes de gestion et d’administration accomplis pour les besoins de l’entreprise par le conjoint collaborateur sont réputés l’être pour le compte du chef d’entreprise et n’entraînent à la charge du conjoint collaborateur aucune obligation personnelle. »
- Les obligations contractées par le conjoint sont donc exécutoires sur les biens du chef d’entreprise, celui-ci étant réputé être seule partie à l’acte.
III) Force de la présomption
Lorsque toutes les conditions de mise en œuvre de la présomption instituée à l’article L. 121-6 du Code de commerce sont réunies, se pose la question de sa force probante : s’agit-il d’une présomption simple ou d’une présomption irréfragable ?
- S’il s’agit d’une présomption simple, cela signifie que les tiers seraient autorisés à établir que le conjoint a agi à titre personnel et non pour le compte du chef d’entreprise, de sorte que l’obligation souscrite serait exécutoire sur ses seuls biens propres.
- S’il s’agit d’une présomption irréfragable, cela signifie qu’il est interdit au tiers de chercher à prouver que le conjoint serait personnellement engagé par l’obligation souscrite
Pour les auteurs, il y a lieu de retenir la seconde hypothèse, nonobstant la formule du texte qui énonce que le conjoint collaborateur « est réputé » avoir reçu du chef d’entreprise un mandat, ce qui est de nature à induire en erreur.
Selon eux, la présomption de pouvoir n’est susceptible d’être écartée que dans deux cas :
- Soit, il est démontré la survenance d’une cause d’extinction de la présomption
- Soit, le conjoint a agi en dépassement du pouvoir conféré par la présomption
En dehors de ces deux cas, la présomption instituée à l’article L. 121-6 du Code de commerce ne souffrirait pas la preuve contraire.
IV) Extinction de la présomption de mandat
Il ressort de l’article L. 121-6 du Code de commerce que la présomption de mandat instituée à la faveur du conjoint collaborateur peut cesser de produire ses effets :
- Soit à l’initiative de l’un des époux qui aurait exprimé la volonté d’y mettre fin
- Soit de plein droit en cas de survenance de l’une des situations prévues par la loi
==> L’extinction volontaire de la présomption de mandat
- Une déclaration unilatérale
- En application de l’article L. 121-6 du Code de commerce « chaque époux a la faculté de mettre fin à la présomption de mandat, son conjoint».
- Il s’agit là d’une prérogative discrétionnaire conférée aux époux qui n’ont pas à justifier leur décision de mettre un terme au mandat.
- Cette prérogative sera le plus souvent exercée en cas de rupture du lien de confiance entre les deux époux.
- La cessation volontaire de la présomption de mandat doit néanmoins, pour opérer, répondre à un certain nombre de conditions de formes prévues par la loi.
- Une déclaration notariée
- L’article L. 121-6 prévoit que la déclaration de volonté doit prendre la forme d’un acte notarié, faute de quoi elle encourt la nullité.
- La solennité instituée par le législateur vise à éclairer les époux sur les conséquences de la décision prise.
- À cet égard, seul le notaire est habilité à instrumenter l’acte qui ne pourra donc pas déléguer cette tâche à un clerc.
- Une déclaration formalisée en présence des deux époux
- L’article L. 121-6 exige que le conjoint qui subit la cessation des effets du mandat soit « présent ou dûment appelé».
- Autrement dit, au moment de l’établissement de l’acte constatant la volonté d’un époux de mettre en terme au mandat, son conjoint doit :
- Soit se présenter devant le notaire
- Soit avoir été dûment appelé
- Dans ce dernier cas, cela implique que le conjoint ait été informé du lieu, de la date et de l’heure du rendez-vous pris chez le notaire.
- Cette information pourra lui être faite par voie de lettre recommandée ou par voie d’exploit d’huissier.
- Opposabilité de la déclaration
- Pour être opposable aux tiers, la déclaration notariée doit faire l’objet d’une mention au registre du commerce et des sociétés, au répertoire des métiers ou au registre des entreprises tenu par les chambres de métiers d’Alsace et de Moselle.
- Elle produira alors ses effets, trois mois après que l’apposition de cette mention sur le registre.
- À défaut, la déclaration n’est opposable aux tiers que s’il est établi que ceux-ci en ont eu connaissance.
- Afin de réduire le délai de trois mois, il est possible pour l’auteur de la déclaration d’aviser individuellement les tiers de l’extinction de la présomption de mandat en se préconstituant une preuve de la communication de cette information.
==> L’extinction de plein droit de la présomption de mandat
L’article L. 121-6, al. 3e du Code de commerce prévoit que la présomption de mandat cesse de plein droit :
- Soit en cas d’absence présumée de l’un des époux
- Soit en cas de séparation de corps
- Soit en cas de séparation de biens judiciaire
- Soit lorsque les conditions les conditions d’application de la présomption ne sont plus réunies
À la différence de l’extinction volontaire de la présomption de mandat, l’extinction de plein droit a pour effet, a priori, de dispenser les époux d’accomplir quelque démarche particulière que ce soit, et notamment de faire mention de cet événement au registre du commerce et des sociétés, au répertoire des métiers ou au registre des entreprises tenu par les chambres de métiers d’Alsace et de Moselle.
Reste que, en l’absence de modification de cette mention, les époux donneront l’apparence à l’égard des tiers de poursuivre leur collaboration.
Aussi, par souci de parallélisme des formes, dans la mesure où la déclaration du statut de conjoint collaborateur doit faire l’objet d’une mention au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers, sa cessation doit donner lieu à la démarche inverse, soit à la suppression de la mention.
Pour être opposable aux tiers, l’extinction, de plein droit, de la présomption de mandat devra, en tout état de cause être portée à leur connaissance, faute de quoi ils seraient, a minima, fondés à engager la responsabilité des époux.
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