==> Généralités
Le régime primaire impératif se compose de l’ensemble des règles formant le statut patrimonial de base irréductible du couple marié.
Par irréductible, il faut comprendre qu’il s’agit d’une base normative commune qui constitue le minimum d’association que doit faire naître l’union matrimoniale.
Ainsi que le relèvent des auteurs « on peut estimer qu’au même titre que les dispositions relatives aux effets personnels du mariage, les dispositions du régime primaire impératif constituent l’essence du mariage tant d’un point de vue symbolique et théorique (c’est le plus petit dénominateur commun de tous les mariages), que d’un point de vue pratique – dès lors que, le plus souvent, les effets patrimoniaux du mariage se résumeront à l’application des règles du régime primaire au quotidien bien d’avantage que celles des régimes matrimoniaux »[2].
Ce régime primaire impératif est donc envisagé aux articles 212 à 226 du Code civil dans un Chapitre VI consacré aux devoirs et aux droits respectifs des époux. Ce chapitre relève d’un Titre V, intitulé « Du mariage » qui appartient au Livre 1er du Code civil dont l’objet est l’appréhension « Des personnes ».
==> Notion
La terminologie « régime primaire » est empruntée aux motifs de la loi n°65-570 du 13 juillet 1965 portant réforme des régimes matrimoniaux.
Certains auteurs dénoncent cette terminologie, car empreinte d’ambiguïté en ce sens qu’elle suggérerait que le « régime primaire » serait autonome et donc appliqué uniquement à certains ménages, tandis que les autres seraient soumis à des régimes « secondaires »[3].
Tel n’est pourtant pas la réalité. Le régime primaire s’applique à tous les couples mariés, sans exceptions, les époux devant opter, pour compléter le statut patrimonial qui leur applicable, pour l’un des régimes matrimoniaux prévus par la loi.
Aussi, d’aucuns préfèrent à la terminologie régime primaire, la qualification de « statut patrimonial de base » ou encore plus sobrement de « statut fondamental ».
Ces formules sont, en tout état de cause, équivalentes et désignent le même corpus normatif, soit celui qui comprend l’« ensemble des règles primordiales à incidence pécuniaire, en principe impératives, applicables à tous les époux quel que soit leur régime matrimonial proprement dit (lequel, qu’il soit légal ou conventionnel, vient nécessairement se superposer à ce régime de base) et destinées à sauvegarder les fins du mariage, tout en assurant un pouvoir d’action autonome à chacun des époux, soit que ces règles puissent jouer d’elles-mêmes, soit qu’elles permettent l’intervention du juge »[4].
Pour les développements qui suivent, nous nous en tiendrons à la formule régime primaire, celle-ci demeurant, nonobstant les critiques dont elle fait l’objet, la plus communément employée.
==> Champ d’application
Par hypothèse, l’application du régime primaire est subordonnée à la satisfaction d’une condition : le mariage.
Bien que l’on puisse relever quelques décisions audacieuses, dans lesquelles les juges ont cherché à faire application, dans le cadre d’une relation de concubinage qu’ils avaient à connaître, de certaines dispositions du régime matrimonial primaire, la jurisprudence de la Cour de cassation a toujours été constante sur ce point : les concubins ne sauraient bénéficier des effets du mariage et plus particulièrement de l’application du régime primaire.
Régulièrement, la Cour de cassation refuse de faire application de l’article 214 du Code civil qui régit la contribution aux charges du mariage pour régler la répartition des frais de fonctionnement de couples de concubins.
Dans un arrêt du 19 mars 1991, elle a, par exemple, jugé « qu’aucune disposition légale ne réglant la contribution des concubins aux charges de la vie commune, chacun d’eux doit, en l’absence de volonté expresse à cet égard, supporter les dépenses de la vie courante qu’il a exposées » (Cass. 1ère civ. 19 mars 1991, n°88-19400).
Dans le droit fil de cette jurisprudence, la Cour de cassation a encore estimé que l’article 220 du Code civil « qui institue une solidarité de plein droit des époux en matière de dettes contractées pour l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants, n’est pas applicable en matière de concubinage » (Cass. 1ère civ. 2 mai 2001, n°98-22836).
Le refus de faire bénéficier les concubins du régime primaire vient de ce que la famille a toujours été appréhendée par le législateur comme ne pouvant se réaliser que dans un seul cadre : le mariage.
Celui-ci est envisagé par le droit comme ce qui « confère à la famille sa légitimité »[5] et plus encore, comme son « acte fondateur »[6].
Aussi, en se détournant du mariage, les concubins sont-ils traités par le droit comme formant un couple ne remplissant pas les conditions lui permettant de quitter la situation de fait dans laquelle il se trouve pour s’élever au rang de situation juridique. D’où la célèbre formule prêtée à Napoléon qui aurait dit que « puisque les concubins se désintéressent du droit, le droit se désintéressera d’eux ».
Il y a bien un texte les concernant s’ils viennent à rompre ; mais, celui-ci est tourné vers le mariage, puisque réglant la question de la restitution de la bague de fiançailles[7].
En outre, la loi du 15 novembre 1999 relative au pacte civile de solidarité (pacs) a, certes, inséré à l’article 515-8 du Code civil une définition du concubinage[8]. Toutefois, cette définition n’est que symbolique : elle n’est assortie d’aucun droit, ni d’aucune obligation qui échoirait aux concubins[9].
Manifestement, où que l’on tourne son regard, il apparaît qu’aucun texte ne règle les rapports patrimoniaux entre concubins. Quant à la jurisprudence elle s’est toujours refusé à transposer au concubinage le régime primaire impératif qui demeure l’apanage des couples mariés.
Tout au plus, certaines règles de ce régime primaire s’appliquent aux partenaires, non pas par le jeu d’une transposition jurisprudentielle, mais par le biais d’une déclinaison à laquelle s’est livré le législateur lors de l’adoption des lois sur le Pacte civil de solidarité (pacs).
En effet, la rédaction d’un certain nombre de dispositions légales spécifiques au pacs est directement inspirée du régime primaire impératif à telle enseigne que d’aucuns parlent d’un « quasi-mariage »[10].
Tel est le cas notamment de l’article 515-4 du Code civil qui transpose, sensiblement dans les mêmes termes, les articles 214 et 220 qui relèvent du régime primaire, au pacs.
==> Caractères
La singularité du régime primaire tient à ses caractères qui font donc de lui le « statut fondamental des gens mariés »[11], soit un statut qui non seulement s’applique à tous les couples mariés, mais encore qui ne profite qu’à eux seuls, à l’exclusion donc des concubins et des partenaires.
Traditionnellement le régime primaire est présenté comme revêtant trois caractères qui le distinguent des régimes matrimoniaux qui se superposent à lui :
- Des règles d’origine légale
- Les règles qui composent le régime primaire sont toutes d’origine légale
- Parce qu’il s’agit d’un régime qui s’applique à tous les couples mariés, les époux ne disposent pas de la faculté de l’aménager conventionnellement, tel qu’ils peuvent le faire s’agissant du régime matrimonial pour lequel ils ont opté.
- Des règles d’ordre public
- Le régime primaire présente cette particularité d’être exclusivement composé de règles d’ordre public, soit de dispositions auxquelles les époux ne peuvent pas déroger.
- L’article 226 du Code civil prévoit en ce sens que « les dispositions du présent chapitre, en tous les points où elles ne réservent pas l’application des conventions matrimoniales, sont applicables, par le seul effet du mariage, quel que soit le régime matrimonial des époux. »
- Ainsi, le régime primaire impératif prime sur les règles du régime matrimonial choisi par les époux.
- Il s’agit là, en quelque sorte, d’un renversement du principe aux termes duquel les lois spéciales sont censées déroger aux lois générales (specialia generalibus derogant).
- Cette inversion du principe se justifie par la nature même du mariage qui implique « un minimum d’association et d’interdépendance entre les époux»[12].
- Autre conséquence de la primauté du régime primaire sur les régimes matrimoniaux, le principe de liberté des conventions matrimoniales est, par hypothèse, relatif.
- Cette relativité du principe tient à l’impossibilité pour les époux d’aménager conventionnellement le régime matrimonial pour lequel ils ont opté en stipulant des clauses qui seraient contraires aux règles impératives du régime primaire.
- Toute stipulation qui, par exemple, prévoirait que l’accomplissement d’un acte de disposition portant sur le logement de famille ne serait pas subordonné à l’accord des deux époux, serait réputée non écrite.
- Des règles générales
- Les règles qui composent le régime primaire présentent un caractère général, en ce qu’elles ont vocation à s’appliquer à tous les couples mariés, quel que soit le régime matrimonial auquel ils sont soumis.
- Il est indifférent que les époux aient opté pour le régime de la séparation de biens, de la communauté légale ou encore de la communauté réduite aux acquêts : dans tous les cas ils sont soumis aux règles du régime primaire.
- Bien que générale, la portée du régime primaire ne doit toutefois pas être surestimée, celui-ci ne posant que les principes élémentaires du fonctionnement du ménage.
- Dans son quotidien, le fonctionnement du couple marié engendre, en effet, la création d’obligations entre les époux mais également envers les tiers.
- C’est essentiellement sur l’appréhension de ces obligations que se focalise le régime primaire impératif.
==> Genèse
L’étude des différentes réformes qui ont façonné le droit des régimes matrimoniaux tel qu’il est devenu aujourd’hui révèle que, lors de l’adoption du Code civil, ses rédacteurs n’avaient pas véritablement instauré de régime primaire.
Tout au plus, avait été instituée l’obligation de contribution aux charges du mariage. En dehors de cette obligation, le statut de base qui s’appliquait à l’ensemble des couples mariés se focalisait surtout sur les effets personnels du mariage.
À l’examen, c’est avec la reconnaissance progressive de l’égalité entre la femme mariée et son époux que le régime primaire impératif qui régi les conséquences pécuniaires de l’union matrimoniale a émergé.
À cet égard, plusieurs lois ont participé à cette émergence d’un statut patrimonial de base commun à tous les couples mariés :
- La loi du 13 juillet 1907 a reconnu à la femme mariée le droit de percevoir ses salaires et ses gains professionnels et de les administrer avec cette possibilité de les affecter à l’acquisition de biens dits réservés.
- La loi du 18 février 1938 a aboli l’incapacité civile de la femme mariée, celle-ci étant dorénavant investie de la capacité d’exercer tous les pouvoirs que lui conférerait le régime matrimonial auquel elle était assujettie
- La loi du 22 septembre 1942 a notamment institué le mécanisme de la représentation conjugale, permettant ainsi à la femme mariée d’engager les biens du ménage auprès des tiers, ce qui revenait donc à reconnaître le mandat entre époux
- La loi du 13 juillet 1965 est, de toute évidence, celle qui a engagé de façon significative la recherche d’une véritable égalité entre la femme mariée et son époux, ce en instaurant un régime primaire égalitaire applicable à l’ensemble des couples mariés.
- La loi du 23 décembre 1985 est venue parachever la réforme engagée par le législateur en 1965 qui avait cherché à instaurer une égalité dans les rapports conjugaux. Plusieurs corrections ont notamment été apportées au régime primaire aux fins de gommer les dernières marques d’inégalité qui existaient encore entre la femme mariée et son époux
==> Principes directeurs
Les principes directeurs qui gouvernent le régime primaire impératif s’articulent autour de deux axes constitués de règles qui visent, d’une part, à assurer une interdépendance entre les époux tout en leur octroyant une certaine autonomie et, d’autre part, à traiter les situations de crise que le couple marié est susceptible de traverser.
- L’interdépendance et l’autonomie des époux
- L’élaboration du régime primaire impératif a donc été guidée par la volonté du législateur d’instituer une véritable égalité entre la femme mariée et son mari.
- Cette recherche d’égalité conjugale s’est traduite par l’instauration d’un savant équilibre entre, d’un côté l’édiction de règles visant à assurer une interdépendance entre les époux et, d’un autre côté, la reconnaissance de droits leur conférant une certaine autonomie.
- S’agissant des règles qui assurent l’interdépendance des époux
- L’édiction de règles qui visent à assurer une certaine interdépendance entre les époux procède de la finalité du mariage qui opère, outre l’union des personnes, une union des biens.
- Cette union des personnes et des biens implique que les époux collaborent entre eux faute de quoi leur engagement formulé lors de la célébration du mariage de faire vie commune ne demeurerait qu’un vœu pieux.
- La communauté de vie, telle qu’envisagée par le Code civil requiert un minimum d’association entre les époux qui, quel que soit le régime matrimonial auquel ils sont soumis, se sont obligés à mettre un commun des ressources matérielles aux fins de subvenir aux besoins du ménage.
- Aussi, a-t-il été décidé par le législateur que ce minimum d’association patrimoniale devait reposer sur deux piliers que sont :
- D’une part, la contribution des époux aux charges du mariage, l’objectif recherché étant d’assurer le fonctionnement du ménage en créant une communauté patrimoniale irréductible
- D’autre part, la protection du logement familial qui, parce qu’il est envisagé comme le sanctuaire de la famille, ne peut être aliéné, ni donné en garantie sans l’accord des deux époux.
- S’agissant des règles qui assurent l’autonomie des époux
- L’adoption de règles visant à conférer aux époux une certaine autonomie procède essentiellement de la volonté du législateur d’instaurer une véritable égalité entre la femme mariée et son époux.
- Pour atteindre cet objectif d’égalité dans les rapports conjugaux, il était, en effet, nécessaire que la femme puisse s’émanciper de la tutelle de son mari, ce qui donc impliquait qu’elle dispose d’une sphère de liberté lui permettant d’agir seule.
- La reconnaissance de l’autonomie des époux a été engagée par la loi du 13 juillet 1907, puis s’est poursuivie, par strates législatives successives, tout au long du XXe siècle, avec en point d’orgue les lois des 13 juillet 1965 et 23 décembre 1985 lesquelles ont définitivement aboli l’inégalité qui perdurait entre la femme et son mari.
- Désormais, l’autonomie dont jouissent les époux se retrouve à tous les niveaux de la vie quotidienne du ménage.
- Cette autonomie est professionnelle, bancaire, ménagère et, pour certains actes, mobilière et patrimoniale.
- Outre l’abolition de l’asservissement de la femme mariée à son mari, l’instauration d’une indépendance des époux pour l’accomplissement d’un certain nombre d’actes a permis de faciliter le fonctionnement du ménage.
- Il est, en effet, bien plus commode pour les époux de pouvoir agir seuls pour l’accomplissement des actes du quotidien, que de devoir systématiquement recueillir le consentement de l’autre.
- S’agissant des règles qui assurent l’interdépendance des époux
- Les situations de crise
- Au-delà de la recherche d’un équilibre entre l’instauration d’une interdépendance entre les époux et la reconnaissance de droits leur conférant une certaine autonomie, le législateur a souhaité compléter le régime primaire par l’édiction de règles visant à appréhender les situations de crise auxquelles est susceptible d’être confronté le couple marié.
- Il est, en effet, des situations où, soit parce qu’un époux se trouve dans l’incapacité de manifester sa volonté, soit parce qu’il est susceptible d’accomplir un acte mettant en péril l’intérêt de la famille, il est nécessaire que des mesures – judiciaires – soient prises.
- Pratiquement, ces mesures peuvent consister à accroître ou restreindre les pouvoirs des époux.
- Cet aménagement des pouvoirs dont sont investis les époux est susceptible d’intervenir dans trois cadres bien distincts que sont :
- L’autorisation judiciaire
- La représentation judiciaire
- La sauvegarde judiciaire
- Dans les trois cas, les mesures qui devront être adoptées pour régler la situation de crise traversée par le couple marié supposeront l’intervention du juge.
[1] F. Terré et Ph. Simler, Droit civil – Les régimes matrimoniaux, éd. Dalloz, 2011, coll. « précis », n°46, p.41.
[2] M. Lamarche et J.-J. Lemouland, Mariages : effets, Rép. Dalloz, n°101 et s.
[3] V. en ce sens J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand colin, 2001, n°53, p. 44.
[4] Association H. Capitant, Vocabulaire juridique, ss dir. G. Cornu : PUF, 8e éd. 2000, V° Primaire [régime ou régime matrimonial primaire], p. 670
[5] F. Terré, op. préc., n°325, p. 299.
[6] Ph. Malaurie et H. Fulchiron, op. préc., n°106, p. 53.
[7] En vertu de l’article 1088 du Code civil « toute donation faite en faveur du mariage sera caduque si le mariage ne s’ensuit pas ».
[8] L’article 515-8 du Code civil dispose que « le concubinage est une union de fait, caractérisée par une vie commune présentant un caractère de stabilité et de continuité, entre deux personnes, de sexe différent ou de même sexe, qui vivent en couple ».
[9] Si, le législateur a inséré une définition du concubinage dans le Code civil c’est surtout pour mettre fin à la position de la Cour de cassation qui, de façon constante, refusait de qualifier l’union de deux personnes de même sexe de concubinage (Cass. soc., 11 juill. 1989, deux arrêts : Gaz. Pal. 1990, 1, p. 217, concl. Dorwling-Carter ; JCP G 1990, II, 21553, note Meunier ; Cass. Civ. 3e, 17 décembre 1997 : D. 1998, jurispr. p. 111, concl. J.-F. Weber et note J.-L. Aubert ; JCP G 1998, II, 10093, note A. Djigo).
[10] P. Simler et P. Hilt, « Le nouveau visage du Pacs : un quasi -mariage », JCP G, 2006, 1, p. 161.
[11] F. Terré et Ph. Simler, Droit civil – Les régimes matrimoniaux, éd. Dalloz, 2011, coll. « précis », n°46, p.41.
[12] J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand colin, 2001, n°58, p. 48.
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