Le paiement de la prime occupe une place centrale dans l’économie du contrat d’assurance. Si la prime est généralement définie comme le prix du risque transféré à l’assureur, elle constitue surtout l’obligation essentielle de l’assuré, en contrepartie de la garantie de couverture. Alors que l’assureur n’est tenu d’exécuter sa prestation que si le risque se réalise, l’assuré doit s’acquitter d’une dette certaine et exigible, indépendamment de toute occurrence aléatoire. Cette dissymétrie confère à l’obligation de paiement une importance singulière : elle conditionne la validité et l’efficacité du contrat.
L’exigence est d’autant plus forte que la prime n’est pas une prestation purement individuelle: elle participe au financement d’un mécanisme collectif de mutualisation. Par le paiement, chaque assuré contribue à un fonds commun destiné à indemniser les sinistres de la collectivité. La régularité et la rigueur du paiement ne sont donc pas seulement une exigence contractuelle ; elles répondent également à une logique économique et sociale de solidarité.
Conscient de cet enjeu, le législateur a organisé autour du paiement de la prime un régime juridique spécifique et impératif. Les articles L. 113-2 et L. 113-3 du Code des assurances définissent respectivement l’obligation de payer et les conditions de son exigibilité, en fixant des règles de forme et de délai dont la méconnaissance est sanctionnée avec sévérité. La jurisprudence veille, quant à elle, à rappeler que l’assureur ne peut invoquer la suspension ou la résiliation qu’à la condition de respecter strictement ces prescriptions. La doctrine souligne ainsi que le paiement de la prime est le pivot de la relation contractuelle : sans prime, il n’y a pas de couverture ; sans couverture, le contrat perd son objet.
Nous nous focaliserons ici sur la preuve du paiement.
La question de la preuve du paiement de la prime d’assurance est particulièrement sensible, car elle conditionne directement la validité de la mise en demeure et, par voie de conséquence, la régularité d’une suspension ou d’une résiliation de garantie. À cet égard, le droit positif articule les règles générales du Code civil avec des solutions spécifiques dégagées par la jurisprudence en matière d’assurance.
1. La charge de la preuve
En application de l’article 1353, alinéa 2 du Code civil, « celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation ». La charge de la preuve du paiement pèse donc, en principe, sur l’assuré débiteur de la prime (Cass. 1re civ., 14 oct. 1997, n° 95-17.696). C’est à lui qu’il incombe de démontrer qu’il s’est acquitté, s’il entend paralyser les effets de la mise en demeure adressée par l’assureur.
Toutefois, la Cour de cassation a admis une exception dans une affaire où un assuré, titulaire d’un contrat « capital épargne » souscrit auprès de la société Generali Vie par l’intermédiaire d’un courtier, produisait des bordereaux de versement pour justifier de paiements prétendument effectués. L’assureur contestait leur valeur probante au motif que les fonds n’avaient jamais été encaissés, l’intermédiaire les ayant détournés.
La cour d’appel de Chambéry avait jugé que les copies des bordereaux étaient irrégulières (certaines comportant des dates rajoutées a posteriori) et en avait conclu que l’assuré ne rapportait pas la preuve du paiement.
La Cour de cassation a censuré cette décision. Dans des termes très clairs, elle a posé que « Il incombait à la société Generali Vie, qui contestait la véracité des bordereaux délivrés à M. X… par M. Y…, d’établir par écrit leur inexactitude, sauf fraude, laquelle peut être prouvée par tous moyens » (Cass. 1re civ., 19 mars 2009, n° 08-15.251).
Autrement dit, dès lors que l’assuré dispose de bordereaux de remise établis par un intermédiaire, la charge de la preuve se renverse : c’est à l’assureur, et non plus à l’assuré, de démontrer que ces pièces sont inexactes, sauf à établir la fraude par tout moyen.
Cette solution se comprend aisément : l’assuré, qui a légitimement remis les fonds à un intermédiaire habilité à agir pour le compte de l’assureur, ne doit pas supporter les conséquences du détournement de ce dernier. Il appartient donc à l’entreprise d’assurance, en raison de son choix et de son contrôle sur l’intermédiaire, d’assumer le risque de cette fraude et de rapporter la preuve contraire.
Ainsi, l’arrêt du 19 mars 2009 illustre un mécanisme correctif du droit de la preuve en matière d’assurance, destiné à préserver la protection de l’assuré face à des comportements frauduleux imputables à l’intermédiaire. La règle de droit commun (charge de la preuve sur le débiteur) cède devant une exigence d’équité et de sécurité juridique.
2. Les modes de preuve
Le paiement, analysé comme un acte juridique, obéit aux règles de preuve posées par le Code civil.
- Lorsque la prime est inférieure ou égale à 1 500 euros, le paiement peut être démontré par tous moyens (témoignages, présomptions, correspondances).
- Lorsque la prime est supérieure à 1 500 euros, l’article 1359 du Code civil exige la production d’un écrit, tel qu’une quittance émise par l’assureur. Une telle quittance constitue une preuve recevable et décisive (Cass. civ., 24 févr. 1943, DC 1943, p. 122, note P. L.).
En revanche, la simple détention d’une attestation d’assurance ne suffit pas : elle ne fait naître qu’une présomption simple de garantie et non la preuve du paiement effectif de la prime (Cass. 1re civ., 29 oct. 1979, n° 78-13.756). La jurisprudence a également jugé qu’un relevé bancaire au nom du courtier ou une lettre de ce dernier ne constituent pas davantage des preuves suffisantes du versement effectif à l’assureur (Cass. 1re civ., 24 févr. 2004, n°02-12.850).
3. Le cas particulier du paiement par chèque
La question de la date de remise du chèque a donné lieu à une abondante jurisprudence. Selon une présomption dégagée par la Cour de cassation, la date de remise est présumée être celle figurant sur le chèque, à charge pour l’assureur qui conteste cette date de rapporter la preuve contraire (Cass. 2e civ., 22 janv. 2009, n° 08-10.682).
Ainsi, si l’assureur accepte et encaisse un chèque daté d’avant le sinistre, il lui incombe de démontrer que ce chèque lui a été remis postérieurement à l’événement dommageable ; à défaut, il ne peut se prévaloir de la suspension ou de la résiliation du contrat (Cass. 1re civ., 22 janv. 2002, n° 99-10.078). La jurisprudence a toutefois nuancé cette solution en considérant que la date portée sur le chèque ou sur la souche du chéquier ne suffit pas, en elle seule, à établir la date de remise au courtier (Cass. 2e civ., 17 janv. 2013, n° 12-12.052).
4. Le paiement en espèces
Le règlement en espèces constitue une hypothèse particulièrement délicate sur le terrain de la preuve. En l’absence de trace bancaire, l’assuré doit démontrer matériellement la réalité du versement, ce qui s’avère souvent difficile. La Cour de cassation rappelle avec constance l’exigence de preuve rigoureuse. Dans un arrêt du 8 novembre 2007, elle a censuré une cour d’appel qui avait dénaturé les conclusions d’un débiteur en retenant qu’il reconnaissait implicitement l’existence d’une créance au seul motif qu’il avait offert une garantie conventionnelle (Cass. 2e civ., 15 nov. 2007, n° 06-18.193). Par cette décision, la Haute juridiction souligne que les juges du fond ne peuvent suppléer la preuve du paiement ou de l’existence de la dette par de simples présomptions ou interprétations approximatives des actes ou déclarations des parties.
Appliquée au paiement de la prime en numéraire, cette exigence implique que l’assuré produise une preuve précise et concordante du versement. Ainsi, la seule remise d’une lettre signée par l’agent général reconnaissant avoir reçu les fonds, même corroborée par une attestation d’assurance, n’est pas jugée suffisante. L’attestation d’assurance ne vaut en effet que présomption simple de couverture, et une reconnaissance isolée de l’intermédiaire ne saurait constituer une preuve irréfragable du paiement. Autrement dit, le juge ne peut tenir pour établi le règlement de la prime qu’au vu d’éléments probatoires certains et concordants, faute de quoi le risque de fraude ou de détournement subsiste au détriment de l’assureur.
5. Le jeu des présomptions
En dehors des écrits formels, certaines présomptions peuvent contribuer à établir la réalité du paiement de la prime : possession d’une quittance, mention du règlement sur le registre tenu par l’agent général, ou encore débit correspondant sur le relevé bancaire de l’assuré. Mais la jurisprudence s’avère ici particulièrement stricte.
Dans un arrêt du 23 octobre 1984, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi d’un assuré qui invoquait la détention d’une attestation d’assurance délivrée pour la période considérée afin de prouver qu’il avait bien réglé la prime correspondante (Cass. 1re civ., 23 oct. 1984, n° 83-12.856). La Haute juridiction rappelle avec fermeté que l’attestation d’assurance, même si elle emporte présomption de garantie, « n’établit pas le paiement de la prime ». Autrement dit, la simple existence de ce document ne saurait suffire à renverser la charge de la preuve posée par l’article 1353 du Code civil (ancien art. 1315).
Il en résulte que les éléments matériels ou circonstanciés invoqués par l’assuré ne valent tout au plus que commencements de preuve, qu’il lui appartient de corroborer par d’autres moyens extérieurs et convergents. Faute de tels éléments complémentaires, les juridictions retiennent l’absence de preuve du règlement et déclarent l’assuré toujours redevable de la prime litigieuse.