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Les exclusions de garantie conventionnelles dans le contrat d’assurance : renonciation et inopposabilité

La question des limites à l’invocation par l’assureur de ses clauses d’exclusion ou de déchéance met en lumière deux problématiques complémentaires mais distinctes. La première est interne au rapport contractuel : elle concerne la possibilité pour l’assureur de renoncer à se prévaloir d’une stipulation qui lui est favorable, volontairement ou par son comportement. La seconde est externe : elle porte sur l’opposabilité de ces stipulations aux tiers, en particulier aux victimes disposant d’une action directe. Dans les deux cas, l’enjeu est de concilier la liberté contractuelle de l’assureur avec les impératifs de sécurité juridique et de protection des bénéficiaires de la garantie.

Cette dialectique révèle la place croissante du principe de bonne foi (C. civ., art. 1104) et de la logique de protection des tiers dans le droit des assurances. Elle conduit à interroger, d’une part, les conditions dans lesquelles les actes ou les déclarations de l’assureur peuvent valoir renonciation effective à ses droits, et, d’autre part, les hypothèses où les exclusions et déchéances, pourtant valables entre parties, ne peuvent être opposées à des victimes investies d’un droit autonome contre l’assureur.

a. Renonciation de l’assureur

La question de la renonciation par l’assureur à une exclusion de garantie – ou, plus largement, à une déchéance – se situe à l’intersection du droit des assurances et du droit commun des obligations. Elle met en jeu une difficulté bien connue : celle de la cohérence entre les droits que l’assureur revendique et la conduite qu’il adopte dans l’exécution du contrat. Peut-il, après avoir eu un comportement de nature à laisser croire à l’assuré que la garantie sera mobilisée, revenir en arrière pour opposer une exclusion ? Autrement dit, jusqu’où s’étend la faculté pour l’assureur d’invoquer ses clauses, et à partir de quel moment ses propres actes l’en empêchent-ils ?

L’enjeu est double. Sur le plan pratique, il tient à la sécurité juridique de l’assuré, qui doit pouvoir s’appuyer sur la position prise par son cocontractant. Sur le plan théorique, il concerne la liberté contractuelle de l’assureur, que l’on ne saurait priver, sans justification suffisante, du bénéfice des stipulations qu’il a insérées dans la police.

En droit positif, la renonciation est définie comme l’acte par lequel une partie renonce à un droit qu’elle tient du contrat. Appliquée aux assurances, elle se traduit par l’abandon de la faculté pour l’assureur d’invoquer une clause d’exclusion ou de déchéance. Cette renonciation peut être expresse ou tacite. Elle est expresse lorsque l’assureur déclare sans ambiguïté qu’il n’entend pas se prévaloir de la clause litigieuse, par exemple dans une lettre de garantie adressée à l’assuré. Elle est tacite lorsqu’elle résulte d’actes positifs incompatibles avec la volonté d’opposer ultérieurement l’exclusion.

La jurisprudence se montre toutefois exigeante. Elle affirme de manière constante que la renonciation ne se présume pas et doit résulter d’actes clairs et non équivoques. Ainsi, la simple désignation d’un avocat ou d’un expert, même en connaissance des circonstances du sinistre, ne suffit pas à établir une renonciation, dès lors que ces diligences s’inscrivent dans le cadre normal de l’instruction du dossier. De même, le fait pour l’assureur de prendre position sous réserve expresse de ses droits ne peut être assimilé à une renonciation : les «réserves » claires et explicites ne sont pas considérées comme de simples clauses de style. À l’inverse, une gestion du sinistre sans réserve, le paiement volontaire d’une indemnité ou encore des actes de défense en justice qui reconnaissent la garantie de manière non équivoque sont de nature à caractériser une renonciation tacite.

La ligne directrice est claire : la renonciation exige un comportement positif et incompatible avec la volonté de se prévaloir de l’exclusion. Elle repose sur l’idée qu’un assureur ne peut adopter un comportement contradictoire, en donnant à l’assuré la conviction que la garantie est acquise, pour ensuite invoquer une exclusion. Cette exigence traduit l’influence croissante du principe de bonne foi contractuelle, désormais consacré à l’article 1104 du Code civil, sur le droit des assurances.

b. Inopposabilité des exclusions de garantie

La question de l’inopposabilité des exclusions de garantie renvoie à une problématique centrale : dans quelle mesure des tiers, bénéficiaires de droits propres contre l’assureur, peuvent-ils se voir opposer les stipulations du contrat souscrit entre l’assureur et l’assuré ? Autrement dit, faut-il protéger la victime – tiers au contrat – contre les manquements de l’assuré ou contre l’effet de clauses restrictives de la garantie ? La réponse du droit positif repose sur un équilibre délicat entre deux impératifs : la protection des victimes, qui justifie d’écarter certaines exceptions, et le respect de l’économie contractuelle, qui commande de maintenir l’effet des clauses objectives délimitant la garantie.

==>L’action directe de la victime (art. L. 124-3 C. assur.)

L’article L. 124-3 du Code des assurances reconnaît à la victime d’un dommage un droit autonome contre l’assureur du responsable. Cette action directe ne procède pas d’une cession de créance : elle confère à la victime un titre propre, indépendant des droits de l’assuré. C’est précisément dans ce cadre que la Cour de cassation a tracé une frontière nette entre, d’une part, les défenses que l’assureur peut légitimement opposer à la victime et, d’autre part, celles qui lui sont interdites.

Ainsi, les clauses qui relèvent de la définition même de la garantie – exclusions valablement stipulées au sens de l’article L. 113-1 du Code des assurances, plafonds ou franchises – demeurent opposables au tiers, car elles déterminent l’objet du risque couvert (v. notamment Cass. 1re civ., 28 mars 1995, n° 93-15.226).

À l’inverse, les exceptions purement personnelles à l’assuré, telles que les déchéances fondées sur un manquement postérieur au sinistre, ne sauraient priver la victime de son indemnisation : elles ne touchent pas à l’objet du contrat mais sanctionnent un comportement contractuel de l’assuré. Le principe est ainsi clair : la victime ne doit pas supporter les conséquences des négligences procédurales ou fautes contractuelles de l’assuré, dès lors qu’elles sont extérieures à la délimitation objective de la couverture.

==>L’assurance automobile obligatoire (art. L. 211-6 C. assur.)

Parallèlement, cette logique protectrice connaît en assurance automobile un régime d’inopposabilité renforcée. L’article L. 211-6 du Code des assurances fait obstacle à ce que les déchéances et certaines exclusions soient opposées aux victimes d’accidents de la circulation : l’assureur doit les indemniser, la discussion sur les manquements contractuels éventuels relevant des rapports internes avec son assuré.

Mais la Cour de cassation en cantonne strictement la portée : l’inopposabilité profite aux seules victimes tierces et ne permet pas à l’assuré d’éluder, pour ses propres dommages relevant d’une garantie facultative, les limites convenues du contrat. Le droit positif l’énonce clairement : plusieurs exclusions légalement prévues demeurent opposables à l’assuré tout en étant inopposables aux victimes — ainsi, par exemple, celles tenant au défaut de permis (C. assur., art. R. 211-10 et R. 211-13) — et toute extension contractuelle du champ des exclusions au-delà de ce que la loi autorise est censurée (Cass. 2e civ., 5 juil. 2018, n°16-21.776). Hors de ce périmètre d’ordre public, les clauses objectives délimitant la garantie conservent leur plein effet, y compris à l’égard des tiers (v. déjà, pour principe, Cass. 1re civ., 28 mars 1995, n° 93-15.226 ; et en RC pro, l’opposabilité d’une exclusion au tiers malgré son absence sur l’attestation : Cass. 3e civ., 13 févr. 2020, n° 19-11.272).

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