En matière d’assurance, la preuve est une question décisive : lorsqu’un sinistre survient, il faut déterminer qui doit prouver quoi. Le Code des assurances ne fixe pas de règles générales à ce sujet ; c’est donc le droit commun de la preuve (C. civ., art. 1353) qui s’applique.
La règle de base est simple :
-
à l’assuré, de prouver la réalité du sinistre et qu’il entre bien dans le champ de la garantie souscrite ;
-
à l’assureur, de prouver les causes qui lui permettent de refuser sa garantie (clause d’exclusion, condition non remplie, faute intentionnelle, etc.).
Ce partage du fardeau de la preuve assure l’équilibre du contrat : l’assuré ne peut pas réclamer une indemnisation sans démontrer le sinistre, mais l’assureur ne peut pas non plus se contenter d’affirmer une exclusion — il doit en apporter la preuve.
Dans certaines hypothèses, le législateur a prévu des règles particulières, par exemple pour les sinistres liés à la guerre ou aux émeutes (C. assur., art. L. 121-8), où la charge de la preuve est expressément partagée entre assuré et assureur. De même, la jurisprudence veille à ce que les clauses contractuelles ne renversent pas abusivement cette répartition et garantissent la liberté des moyens de preuve.
L’étude de la charge de la preuve en droit des assurances montre ainsi une articulation claire : droit commun comme socle, règles spéciales pour certaines situations, et contrôle du juge pour préserver l’équilibre entre les parties.
I. La charge de la preuve
A. Principes généraux
En l’absence de dispositions spécifiques sur la preuve du sinistre dans le Code des assurances, le régime probatoire se déduit du droit commun : actori incumbit probatio. Celui qui réclame l’exécution de l’obligation d’indemniser doit établir les faits générateurs de cette obligation (C. civ., art. 1353). Concrètement, il appartient à l’assuré de démontrer la matérialité du sinistre et son rattachement au risque contractuellement garanti — la Cour de cassation l’énonce de façon constante : « il appartient à l’assuré qui réclame l’exécution du contrat d’assurance d’établir l’existence du sinistre » (Cass. 1re civ., 11 oct. 1989,). Dans certaines espèces, elle ajoute qu’il revient à l’assuré de produire la police et la preuve de la réalisation de l’événement pour prétendre à garantie (Cass. 2e civ., 22 janv. 2009, n° 07-19.532).
Une fois le sinistre établi par l’assuré (C. civ., art. 1353), il revient à l’assureur qui conteste la garantie d’en rapporter les causes d’exclusion ou d’exonération : clause d’exclusion, condition de garantie non remplie, inexistence du sinistre, faute intentionnelle ou dolosive (Cass. 1re civ., 15 oct. 1980, n° 79-17.075). Ce fardeau ne peut pas être inversé par la police : « nonobstant toute convention contraire », la preuve de l’exclusion demeure à la charge de l’assureur (Cass. 2e civ., 2 avr. 1997).
Deux textes éclairent cette solution :
- L’article L.112-4 C. assur., qui conditionne l’opposabilité des clauses (et notamment des exclusions) à des exigences de forme ;
- L’article L.113-1 C. assur., qui admet la délimitation de la garantie par des exclusions “formelles et limitées” et prohibe la couverture de la faute intentionnelle ou dolosive.
Il en résulte logiquement que celui qui invoque l’exclusion — l’assureur — doit en établir les conditions de fait et la pertinence au cas concret ; l’assuré n’a pas à « prouver qu’il n’entre pas » dans le champ d’une clause dérogatoire (v. déjà Cass. 2e civ., 2 avr. 1997).
La seule hypothèse où le législateur répartit expressément la charge de la preuve concerne les sinistres liés à la guerre et aux troubles collectifs. L’article L.121-8 du Code des assurances pose, d’une part, une délimitation négative : « l’assureur ne répond pas, sauf convention contraire, des pertes et dommages occasionnés soit par la guerre étrangère, soit par la guerre civile, soit par des émeutes ou par des mouvements populaires » (C. assur., art. L.121-8). D’autre part, il organise un partage du fardeau probatoire:
- à l’assuré, d’établir que la perte ne résulte pas d’un fait de guerre étrangère ;
- à l’assureur, lorsqu’il décline sa garantie, de prouver que le sinistre résulte d’une guerre civile, d’émeutes ou de mouvements populaires (C. assur., art. L.121-8).
Deux conséquences pratiques en découlent. Premièrement, l’assuré peut se contenter de démontrer, par tous moyens, l’absence de lien avec la guerre étrangère (il n’a pas à identifier positivement une autre cause déterminée). Deuxièmement, l’assureur doit caractériser positivement le rattachement du dommage à l’une des causes légales d’exclusion (guerre civile/émeutes/mouvements populaires), faute de quoi la garantie demeure due. Ce dispositif, d’ordre public, fixe ainsi clairement l’économie des preuves dans ces situations particulières (C. assur., art. L.121-8).
B. Mise en oeuvre
1. Assurance de personnes
En assurance-vie, la preuve du suicide obéit désormais au droit commun de la charge de la preuve. Le législateur a mis fin au régime dérogatoire antérieur :
- La loi du 13 juillet 1930 partageait artificiellement la charge entre assureur et bénéficiaire ;
- Les réformes de 1981, 1998 (réduction du délai à un an) et 2001 (suppression de l’exigence de « conscience ») ont rétabli la règle de droit commun.
Conséquence : en application de l’article 1353 C. civ., l’assureur qui invoque l’exclusion pour suicide doit en prouver tous les éléments, à savoir le suicide et sa survenance dans l’année suivant la souscription (C. assur., art. L.132-7). Le bénéficiaire se borne à établir le décès et la mise en jeu du contrat ; l’assureur, s’il refuse de payer, doit établir positivement l’exclusion.
La preuve du suicide est libre et peut résulter d’un faisceau d’indices convergents : préparatifs, circonstances matérielles du décès, lettres d’adieu, comportement antérieur, trajectoire volontaire, etc.. Cette méthode permet d’établir la réalité d’un suicide volontaire dans le délai d’un an, conformément à l’article L.132-7.
2. Construction – dommages-ouvrage / RC
En assurance construction, les clauses types annexées à l’article A.243-1 organisent un véritable pouvoir d’investigation : l’assuré doit laisser pratiquer toutes investigations utiles et l’expert remet un rapport exclusivement consacré aux causes, proportions et estimations du sinistre (Ann. II, A.243-1 C. assur.). Ce dispositif facilite l’instruction du dossier, mais n’emporte aucun déplacement du fardeau : la preuve d’une exclusion demeure à la charge de l’assureur (C. civ., art. 1353 ; C. assur., art. L.112-4 et L.113-1).
Ces investigations ne valent que si conduites dans le respect du contradictoire : convocation des parties, communication des pièces, libre discussion du rapport ; à défaut, le rapport n’est en principe pas opposable à la partie non appelée (CPC, art. 16). Le juge ne peut pas se fonder exclusivement sur une expertise unilatérale réalisée à la demande d’une partie (Ch. mixte, 26 sept. 2012, n°11-18.710). À l’inverse, sauf fraude, un rapport établi hors la présence de l’assureur peut lui être opposable s’il a pu en débattre contradictoirement devant le juge (Cass. 1re civ., 22 mai 2008).
Dans le même esprit, la Commission des clauses abusives a jugé abusive la clause écartant l’assuré du « procès » des recours exercés par l’assureur (CCA, avis n° 90-02, 10 nov. 1989, DO) : la recherche de la preuve ne peut se faire au prix du contradictoire.
3. Preuve de la déclaration du sinistre (à distinguer de la preuve du sinistre)
La question est autonome : il s’agit non de prouver le sinistre, mais l’exécution par l’assuré de son obligation déclarative.
- Absence de déclaration alléguée
- Si l’assureur soutient qu’aucune déclaration n’a été faite, il revient à l’assuré d’en établir l’envoi et le respect du délai (C. civ., art. 1353, al. 2 ; Cass. 1re civ., 31 mars 1993, n°91-11.866).
- La preuve se rapporte par tous moyens : accusé de réception, cachet postal, horodatage courriel/fax, registre interne, témoignages.
- Tardiveté seule alléguée
- Si l’existence de la déclaration est admise mais que l’assureur en conteste la réalisation dans le délai légal, la charge de la preuve pèse sur l’assureur, qui invoque une déchéance : à lui de démontrer le retard (Cass. 1re civ., 17 mars 1993, n°90-21.795).
- La solution repose sur un constat pratique : prouver la non-réception d’une déclaration, c’est exiger la preuve d’un fait négatif, presque irréalisable ; prouver un retard, en revanche, se fait objectivement au vu des dates figurant sur la déclaration et ses justificatifs (accusé de réception, cachet postal, horodatage).
- Il est donc logique que la tardiveté de la déclaration incombe à celui qui invoque la déchéance (C. civ., art. 1353 ; Cass. 1re civ.; 27 avr. 1994, n°92-10.484).
C. Aménagements de la charge de la preuve
Certaines polices cherchent à aménager la charge et les modes de preuve du sinistre. Mais l’aménagement ne peut ni renverser la charge légale (C. civ., art. 1353) ni restreindre les moyens de preuve de l’assuré sous couvert de technique contractuelle (C. assur., art. L.112-4 et L.113-1). C’est tout le sens de l’arrêt de principe rendu le 10 mars 2004 : saisie d’une police « vol » subordonnant la garantie à la présence d’indices matériels prédéfinis (effraction, forcement de la direction, modification des branchements), la Cour de cassation censure la décision qui exigeait ces seuls indices et rappelle que « la preuve du sinistre, qui est libre, ne pouvait être limitée par le contrat » (Cass. 2e civ., 10 mars 2004, n°03-10.154, au visa de l’ancien art. 1315 C. civ. et de l’art. 6 § 1 CEDH). Autrement dit, l’assureur peut définir l’objet de la garantie ; il ne peut ni déplacer la charge probatoire, ni imposer un mode de preuve exclusif ou manifestement impraticable, ni réduire la liberté des moyens de preuve au point d’en vider la substance (C. assur., art. L. 112-4 et L. 113-1).
La jurisprudence ultérieure a précisé sans infléchir la règle : des clauses peuvent décrire les circonstances matérielles déclenchant la garantie (effraction, précautions minimales) à la condition, d’une part, de ne pas renverser la charge et, d’autre part, de laisser à l’assuré la possibilité d’établir par tout moyen la réalisation du sinistre dans le cadre convenu ; corrélativement, elle écarte les lectures purement littérales et indifférenciées des stipulations lorsqu’elles aboutissent à nier l’évidence factuelle—ainsi en cas de vol avec violences, la présence de clés laissées dans le véhicule ne suffit pas à faire tomber la garantie (Cass. 2e civ., 24 mai 2006).
Lorsque l’assuré est consommateur, l’exigence se renforce : sont abusives les clauses qui renversent la charge de la preuve ou limitent les moyens de preuve (C. cons., art. L. 212-1 et R. 212-1), contrôle que le juge exerce d’office ; est ainsi critiquable la stipulation excluant la garantie « si le conducteur était en état alcoolique, sauf à l’assuré de prouver l’absence de lien causal », alors qu’en droit commun il appartient à l’assureur d’établir ce lien pour décliner sa garantie (Cass. 1re civ., 12 mai 2016, n° 14-24.698). L’orientation de la Commission des clauses abusives converge, déconseillant depuis longtemps les clauses imposant des procédés probatoires restrictifs (inventaire ou facture préalable conservée à part, effraction érigée en indice unique), analysées comme une voie détournée de refus de garantie (CCA, reco n° 85-04, 20 sept. 1985 ; reco synthèse n° 91-02, 23 mars 1990).
Enfin, s’agissant des exclusions, la Cour de cassation rappelle « nonobstant toute convention contraire » que leur preuve incombe à l’assureur, de sorte qu’aucune clause ne peut déplacer ce fardeau (Cass. 2e civ., 2 avr. 1997; C. assur., art. L. 112-4 et L. 113-1). En définitive, le contrat peut seulement définir l’étendue de la garantie ; il ne peut ni inverser la charge de la preuve ni restreindre les moyens de preuve de l’assuré. Est réputée non écrite toute clause qui impose un mode de preuve unique ou fait peser sur l’assuré la preuve d’un fait que la loi met à la charge de l’assureur (C. civ., art. 1353 ; C. assur., art. L. 112-4 et L. 113-1).
II. Les modes de preuve
A. Principe : la liberté de la preuve
Parce que le sinistre est un fait juridique, sa preuve est libre : l’assuré peut en établir la matérialité et le rattachement au risque garanti par tous moyens — présomptions et indices convergents, témoignages, courriels et écrits divers, pièces contractuelles, dossiers administratifs, certificats médicaux, etc. (C. civ., art. 1353). La pratique montre une graduation de la force probante : ainsi, la plainte pénale ou un procès-verbal peuvent suffire lorsque les circonstances l’autorisent (véhicule déclaré volé puis retrouvé incendié : CA Nancy, 1er oct. 2002), mais ils demeurent des éléments à corroborer lorsque la matérialité est contestée (Cass. 2e civ., 13 janv. 2012, n° 10-28.353). À l’inverse, des pièces simples, comme de simples copies de factures, ont déjà été admises pour caractériser un vol en hôtellerie (Cass. 2e civ., 8 oct. 2020). On retrouve, en filigrane, l’idée classique selon laquelle nul ne se constitue preuve à soi-même : un document unilatéral vaut, mais à la condition d’être replacé dans un faisceau d’indices et soumis au débat.
Cette liberté s’exerce sous deux garde-fous. D’abord, la loyauté : la preuve ne peut résulter de procédés déloyaux (v. Cass. 2e civ., 10 nov. 2010). Ensuite, le contradictoire (CPC, art. 16) : toute pièce décisive — rapports, constats, documents techniques — doit être communiquée et discutée, le juge ne pouvant fonder sa décision sur un élément non débattu (Cass. 1re civ., 11 mars 2003, n°01-01.430). Sous ces réserves, la liberté des preuves joue pleinement et permet au juge d’apprécier souverainement la convergence des éléments vers la réalité du sinistre.
B. L’expertise : pivot probatoire
1. Fonctions et cadres
Charnière entre la déclaration de sinistre (charge de l’assuré) et le règlement (obligation de l’assureur), l’expertise poursuit trois finalités : constater les dommages, rechercher causes et circonstances, évaluer le quantum. En assurance-construction, les clauses types annexées à l’article A.243-1 du Code des assurances bornent la mission à un rapport « exclusivement consacré à la description des caractéristiques techniques du sinistre et à l’établissement de [sa] cause, proportions et estimations », afin d’orienter la réparation intégrale (Annexe II, art. A.243-1). Dans ce régime, la procédure est très encadrée ; il peut être renoncé à l’expertise si le dommage est inférieur à 1 800 € ou si la garantie est manifestement injustifiée, décision notifiée à l’assuré, lequel peut la contester (Annexe II, art. A.243-1).
2. Typologie et valeur probatoire
On distingue classiquement trois formes d’expertise, dont l’autorité probatoire croît avec le degré de contradictoire qui les gouverne.
- Expertise privée, non contradictoire (à la demande de l’assuré ou de l’assureur) : recevable au débat, mais le juge ne peut fonder sa décision exclusivement sur elle (Cass., ch. mixte, 26 sept. 2012, n°11-18.710).
- Expertise amiable contradictoire : soit « à deux experts » (un pour chaque partie, avec éventuel tiers-expert), soit « unique » mais conduite contradictoirement (convocation, observations, envoi du rapport pour commentaires).
- Expertise judiciaire : mesure d’instruction (listes d’experts, mission technique), où le contradictoire est strict.
3. Contradictoire, opposabilité, délais
Le contradictoire conditionne l’opposabilité : une expertise menée sans convocation ni échanges n’est pas opposable à la partie non appelée (Cass. 1re civ., 30 mars 1994). À l’inverse, lorsque le rapport est versé aux débats et librement discuté, le contradictoire est réputé respecté (Cass. 3e civ., 5 déc. 2019, n°18-23.852). Le principe procédural est rappelé de façon générale : le juge ne peut se fonder sur un rapport établi en violation du contradictoire (CPC, art. 16 ; Cass. 1re civ., 11 mars 2003, n°01-01.430).
En assurance incendie, si l’expertise excède trois mois à compter de la remise de l’état des pertes, l’assuré peut exiger une avance égale à la moitié de l’indemnité minimale : règle d’ordre public (C. assur., art. L.122-2 ; Cass. 1re civ., 13 févr. 1996).
4. Impartialité, indépendance, responsabilité
L’expert doit conduire sa mission « avec conscience, objectivité et impartialité » (CPC, art. 236). À ces exigences générales s’ajoutent, dans certains secteurs, des incompatibilités légales – ainsi en matière automobile (C. route, art. L.326-6).
La Cour de cassation adopte un pragmatisme mesuré : ni la répétition d’interventions au bénéfice d’assureurs, ni l’existence de liens économiques ne suffisent, à elles seules, à affecter l’impartialité. Il faut des éléments précis révélant une dépendance ou un parti pris (v. notamment Cass. 3e civ., 15 févr. 2007).
Si l’expert peut, en vertu de l’article 278 CPC, solliciter l’avis d’un sapiteur, il ne peut se décharger sur celui-ci : il lui appartient de vérifier, s’approprier et assumer les constatations techniques retenues. À défaut, sa responsabilité peut être engagée et le rapport affaibli (Cass. 3e civ., 16 nov. 2017, n° 16-24.718).
Un rapport non-contradictoire (obtenu par l’assuré ou l’assureur) peut être produit et discuté, mais le juge ne peut jamais fonder sa décision exclusivement sur ce document. C’est l’enseignement de l’arrêt de chambre mixte du 26 septembre 2012 : un assureur subrogé, poursuivant le fabricant et son assureur RC après l’incendie d’un véhicule, n’invoquait qu’un rapport d’expertise établi à sa seule demande concluant à un défaut de câblage. La Cour d’appel a rejeté l’action, et la Cour de cassation a approuvé en posant la règle de principe : si le juge ne peut refuser d’examiner une pièce régulièrement communiquée et débattue, il ne peut se fonder exclusivement sur une expertise réalisée à la demande d’une seule partie (Cass., ch. mixte, 26 sept. 2012, n°11-18.710). À l’inverse, la conduite contradictoire des opérations et la libre discussion du rapport en accroissent l’opposabilité et la force probatoire.
C. Constat d’huissier et autres constatations
Le constat d’huissier, même dressé in futurum et hors la présence de l’adversaire, est recevable dès lors qu’il est régulièrement communiqué et soumis à la libre discussion : il n’est pas frappé d’irrecevabilité du seul fait de son caractère non contradictoire (Cass. 1re civ., 12 avr. 2005, n°02-15.507). Sa force probante tient alors à la qualité des constatations matérielles et à son insertion dans un débat véritablement contradictoire (CPC, art. 16).
À l’inverse, l’assuré qui fait disparaître les choses endommagées ou détruit spontanément l’objet du litige compromet la manifestation de la vérité et s’expose, faute de pouvoir établir la réalité et l’étendue des dommages, à un refus d’indemnisation. Cette exigence rejoint l’obligation générale de coopération qui pèse sur l’assuré dans l’instruction du sinistre.
Plus largement, les constatations unilatérales — plainte pénale, attestations internes, relevés établis par l’assuré — ne suffisent pas toujours : « nul ne peut se constituer de preuve à soi-même ». Ainsi, la seule plainte pour vol, non corroborée, a été jugée insuffisante pour établir la matérialité du sinistre (Cass. 2e civ., 13 janv. 2012), quand bien même, dans d’autres circonstances (véhicule déclaré volé puis retrouvé incendié), des juges du fond ont pu y voir, avec les éléments de contexte, un indice décisif (CA Nancy, 1er oct. 2002). À l’inverse, des pièces simples mais objectives peuvent emporter la conviction (par ex. copies de factures pour un vol en chambre d’hôtel : Cass. 2e civ., 8 oct. 2020).
Le juge ne peut pas réécrire la police pour exiger de l’assuré plus qu’elle ne prévoit. Ainsi, est censuré pour dénaturation l’arrêt qui impose à l’assuré d’apporter un document établissant la cause du dommage, alors que la clause ne lui demandait que de justifier la nature et l’importance des atteintes au moment du sinistre (Cass. 2e civ., 2 mars 2017, n° 16-15.864).
La règle est simple : la liberté des modes de preuve ne permet ni d’échapper au contradictoire, ni d’altérer l’économie contractuelle de la preuve. Autrement dit, on discute librement des pièces, mais on ne déplace pas—par décision de justice—le contenu de ce que l’assuré doit prouver lorsque la police l’a clairement circonscrit.
Enfin, au stade de l’appréciation des constats et rapports, le juge ne peut dénaturer les termes de la police, ni alourdir la charge qu’elle fait peser sur l’assuré. L’arrêt rendu par la Cour de cassation le 2 mars 2017 en est une illustration : à propos d’un sinistre «dommages électriques » (deux téléphones détériorés en charge), la juridiction de proximité avait refusé l’indemnisation au motif que l’assuré n’apportait pas le document justifiant la nature et la cause du dommage. Or la clause invoquée par l’assureur n’exigeait que de « justifier, au moment du sinistre, la nature et l’importance du dommage », sans mentionner la cause. La Cour de cassation censure pour dénaturation – « Vu l’obligation pour le juge de ne pas dénaturer l’écrit qui lui est soumis » – en relevant que le premier juge avait ajouté à la police une obligation qu’elle ne comportait pas (Cass. 2e civ., 2 mars 2017, n°16-15.864).
D. Enquêtes privées et filatures : droit à la preuve vs vie privée
Le recours à un huissier ou à un enquêteur privé peut être légitime pour vérifier des déclarations ou déceler une fraude, mais n’est recevable que s’il satisfait à un contrôle de proportionnalité : la recherche de la preuve ne doit pas porter une atteinte excessive à la vie privée. La Cour de cassation admet ainsi des surveillances ciblées, brèves, conduites en lieux ouverts au public et limitées à l’observation d’actes de mobilité ou d’autonomie, lorsqu’un besoin probatoire sérieux est établi. Ont ainsi été jugées admissibles des filatures constatant, en voie publique, la capacité d’un assuré à conduire et à accomplir seul des actes courants (Cass. 2e civ., 31 oct. 2012), ou une enquête privée révélant que le conducteur habituel du véhicule n’était pas l’assuré déclaré, sans intrusion dans la sphère intime (Cass. 1re civ., 5 févr. 2014).
À l’inverse, lorsque les investigations dépassent ce qui est strictement nécessaire à l’établissement du fait litigieux, elles sont écartées ou sanctionnées. Deux décisions récentes en fixent clairement les bornes. D’abord, dans l’affaire du 22 septembre 2016, un assuré mineur, blessé dans un accident, avait fait l’objet d’une filature privée mandatée par l’assureur après que l’expertise judiciaire eut relevé des discordances. Le rapport relatait non seulement des observations en lieux publics, mais aussi l’intérieur du domicile (description des personnes présentes, tentative d’identification des visiteurs) et le traçage précis des déplacements de la mère. La Cour de cassation juge que de telles opérations, «par elles-mêmes, […] sont de nature à porter atteinte à la vie privée » et qu’il faut en apprécier la proportion « au regard des intérêts en présence » ; constatant une immixtion excédant les nécessités de l’enquête, elle approuve la cour d’appel d’avoir retenu une atteinte disproportionnée et d’avoir alloué des dommages-intérêts (Cass. 1re civ., 22 sept. 2016, n° 15-24.015).
Ensuite, par un attendu de principe, la Cour de cassation rappelle que « le droit à la preuve ne peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie privée qu’à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi » (Cass. 1re civ., 25 févr. 2016, n° 15-12.403). Dans cette seconde affaire, quatre enquêtes privées avaient été menées « sur plusieurs années », combinant vérifications administratives, recueil d’informations auprès de nombreux tiers et filatures près du domicile et lors des déplacements. La cour d’appel avait minimisé chacune des séquences prise isolément ; la Cour de cassation casse, reprochant de n’avoir pas tiré les conséquences de ses propres constatations : considérées dans leur ensemble, ces investigations portaient une atteinte disproportionnée à la vie privée et devaient, partant, être écartées des débats.