Le principe de précarité de l’indivision s’exprime principalement par le droit au partage, un droit qui présente trois caractéristiques fondamentales : il est impératif, discrétionnaire et imprescriptible. Ces trois éléments se rejoignent et se complètent pour faire du droit au partage un droit absolu, garantissant à chaque indivisaire la possibilité de mettre fin à l’indivision à tout moment.
Premièrement, le caractère impératif du droit au partage découle directement de l’article 815 du Code civil, qui énonce que « nul ne peut être contraint à demeurer dans l’indivision ». Ce droit est d’ordre public, ce qui signifie que même des conventions conclues entre les indivisaires ne peuvent priver l’un d’entre eux de cette faculté. L’indivision étant perçue en droit français comme un état transitoire et précaire, chaque indivisaire doit pouvoir retrouver, quand il le souhaite, la situation normale de la propriété individuelle.
Deuxièmement, le droit au partage est discrétionnaire, ce qui signifie que l’indivisaire peut l’exercer sans avoir à justifier de motifs particuliers. La méfiance traditionnelle à l’égard de l’indivision en droit français a conduit à consacrer ce droit comme un levier permettant à chacun de sortir de l’indivision sans contrainte. Le juge ne peut contrôler les raisons d’une demande de partage, renforçant ainsi la liberté des indivisaires de ne pas rester dans une situation collective indéfinie.
Troisièmement, le droit au partage est imprescriptible : il ne s’éteint jamais, quel que soit le temps qui s’est écoulé depuis la formation de l’indivision. Chaque indivisaire conserve en permanence la faculté de demander le partage, même après une longue période. Cela reflète l’idée que l’indivision n’est qu’une parenthèse dans la jouissance des droits de propriété, et que le partage tend toujours à restaurer la propriété privative.
Ces trois caractères s’articulent pour faire du partage un droit fondamental et absolu, garantissant la possibilité de sortir de l’indivision à tout moment, ce qui illustre la précarité inhérente à cette situation juridique.
Nous nous focaliserons ici sur le caractère discrétionnaire du droit au partage.
Le caractère discrétionnaire du droit au partage permet à tout co-indivisaire de demander le partage sans avoir à fournir de justification ou de motif légitime.
Autrement dit, l’indivisaire n’a aucune obligation de démontrer que la poursuite de l’indivision lui est préjudiciable, ni d’attendre une circonstance particulière pour demander à en sortir.
L’absence d’exigence de justification permet de garantir que l’indivision ne soit jamais subie par un co-indivisaire.
François Zenati-Castaing explique en ce sens que « la liberté d’exercer ce droit, sans condition ni justification, est une manifestation directe du droit de propriété et de la volonté du législateur d’éviter la perpétuation d’une indivision subie »[1].
Ce caractère discrétionnaire assure ainsi que l’indivisaire, qu’il s’agisse d’une indivision successorale ou de tout autre forme d’indivision, conserve à tout moment la faculté de récupérer sa part de propriété exclusive. Il s’agit d’un droit absolu, qui s’impose aux co-indivisaires sans restriction.
La jurisprudence réaffirme régulièrement cette règle en insistant sur la liberté absolue de chaque indivisaire de provoquer le partage, et ce, sans motif particulier.
Un arrêt fondateur de la Cour de cassation du 26 décembre 1866 a précisé que la demande en partage n’a pas à être fondée sur des motifs légitimes et ne peut être considérée comme un abus de droit, même si elle est désavantageuse pour les autres indivisaires.
Cela signifie qu’un indivisaire peut provoquer le partage même lorsque cette décision s’avère préjudiciable pour les autres co-indivisaires.
Ce caractère discrétionnaire est essentiel pour préserver la précarité intrinsèque du régime de l’indivision, permettant à chaque indivisaire de mettre un terme à cette situation selon sa propre volonté, et ce, sans subir d’opposition.
De manière corrélative, les autres indivisaires ne peuvent empêcher l’un d’eux de sortir de l’indivision, peu importe les circonstances.
Le caractère absolu du droit au partage s’impose également aux juridictions saisies.
En effet, à l’exception des cas prévus par la loi permettant de maintenir temporairement la situation d’indivision, comme le sursis judiciaire (article 815-5 du Code civil), toute juridiction doit accéder à une demande de partage formulée par un indivisaire. La Cour de cassation a confirmé, dès le 19e siècle, que le juge ne dispose pas de la faculté de refuser le partage, quelles que soient les circonstances.
Dans l’arrêt du 26 décembre 1866, elle affirma en ce sens que le partage peut être provoqué à tout moment, peu importe l’absence de motif sérieux ou légitime lors de la demande.
De même, la faible valeur des biens indivis ne constitue pas un obstacle à l’exercice de ce droit, comme rappelé dans un arrêt du 30 mai 1877 (Cass. civ. 30 mai 1877).
Cette liberté s’étend même aux indivisaires en situation particulière, comme ceux placés en liquidation judiciaire.
Dans un arrêt du 29 juin 2011, la Cour de cassation a, par exemple, affirmé qu’un indivisaire faisant l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire pouvait demander le partage sans que les autres indivisaires ne puissent s’y opposer (Cass. 1ère civ. 29 juin 2011, n°10-25.098).
Par ailleurs, le droit de tout indivisaire à demander le partage, absolu et discrétionnaire, prime sur toute disposition testamentaire qui tenterait d’y porter atteinte.
Ainsi, un testateur ne saurait contraindre ses héritiers à rester en indivision, qu’il s’agisse d’une durée illimitée ou même temporaire, sans enfreindre ce droit fondamental.
La jurisprudence est constante à ce sujet : toute clause testamentaire qui restreindrait l’exercice le droit au partage, en imposant par exemple une indivision perpétuelle ou en dissuadant un héritier de demander le partage, est réputée non écrite.
C’est ce que la Cour de cassation a réaffirmé dans un arrêt du 13 avril 2016 (Cass. 1re civ., 13 avr. 2016, n° 15-13.312), en invalidant une stipulation testamentaire visant à maintenir indéfiniment l’indivision.
Dans cette affaire, la Cour de cassation a été saisie d’un litige concernant une stipulation testamentaire imposant une indivision aux héritiers. Le disposant avait inséré une clause pénale dans son testament, stipulant qu’un héritier qui exercerait son droit de demander le partage se verrait infliger une réduction de sa part dans la succession.
Cette disposition avait pour objectif d’empêcher, à tout le moins de dissuader, les héritiers de rompre l’indivision établie par le défunt, même si elle n’était pas à durée déterminée.
La question soulevée devant la Cour de cassation était donc de savoir si une telle clause était valide et si elle pouvait être opposée aux héritiers indivisaires.
Le testateur, en insérant cette clause, tentait manifestement de restreindre l’exercice du droit absolu et discrétionnaire de chaque indivisaire de demander le partage.
Cependant, la Cour de cassation a rappelé que ce droit est protégé par la loi, et qu’il ne peut être entravé, même par des volontés testamentaires explicites.
Plus précisément, elle a jugé que la stipulation testamentaire en question devait être réputée non écrite, car elle portait une atteinte excessive au droit des héritiers de demander le partage.
La Haute juridiction a souligné que ce droit est absolu et ne peut souffrir aucune limitation, qu’elle soit directe ou indirecte, notamment par le biais d’une clause pénale dissuasive.
Cette décision s’inscrit dans le droit fil d’une jurisprudence constante visant à protéger l’autonomie des héritiers indivisaires et à préserver leur faculté de sortir de l’indivision à tout moment.
En statuant ainsi, la Cour de cassation a non seulement invalidé la clause pénale insérée dans le testament, mais elle a également réaffirmé le caractère absolu et discrétionnaire du droit au partage : le testateur ne peut imposer à ses héritiers des contraintes qui porteraient atteinte à l’essence même de leur droit au partage. Ce droit prime sur toute volonté testamentaire visant à prolonger l’indivision, et toute clause contraire doit être écartée.
De même, même lorsque le testateur impose une indivision pour une durée limitée, comparable à ce qui est prévu pour l’indivision conventionnelle (limitée à cinq ans), cette contrainte ne saurait s’imposer aux héritiers.
La jurisprudence l’a confirmé à plusieurs reprises (V. notamment Cass. 1ère civ. 5 janv. 1977, n°75-15.199), et cette position n’a pas été remise en cause par la réforme de 1976.
Ainsi, qu’il s’agisse d’une indivision perpétuelle ou temporaire, toute tentative du testateur d’imposer sa durée, même assortie de sanctions, contrevient au droit inaliénable de tout indivisaire de demander le partage. Toute clause allant dans ce sens se voit automatiquement privée d’effet, étant réputée non écrite.