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Indivision: l’indemnité due au titre de la détérioration du bien indivis

Dans le cadre de la gestion d’un bien indivis, si les indivisaires jouissent de droits, ils n’en demeurent pas moins soumis à des obligations dont le respect assure la pérennité de l’indivision et l’équité entre coindivisaires.

Parmi celles-ci, l’établissement d’un compte de gestion annuel s’impose comme une démarche essentielle pour garantir la transparence des droits et devoirs de chaque indivisaire.

Dans cette perspective, deux types d’indemnités peuvent être réclamées, destinées à maintenir l’équilibre entre les droits d’occupation et d’usage, d’une part, et la préservation de la valeur du bien indivis, d’autre part : l’indemnité d’occupation et l’indemnité pour détérioration.

Ces obligations, énoncées à l’article 815-11 du Code civil, visent à corriger les éventuels déséquilibres engendrés par une utilisation exclusive ou abusive du bien par l’un des coindivisaires, garantissant ainsi une gestion juste et concertée de l’indivision.

Nous nous focaliserons ici sur l’indemnité due au titre de la détérioration du bien indivis.

1. Principe

L’article 815-13, alinéa 2, du Code civil prévoit que « l’indivisaire répond des dégradations et détériorations qui ont diminué la valeur des biens indivis par son fait ou par sa faute ».

Il ressort de cette disposition que chaque indivisaire est tenu de préserver l’intégrité des biens indivis et doit répondre des dommages qu’il leur cause.

La règle ainsi énoncée impose à l’indivisaire responsable une obligation d’indemniser l’indivision pour toute perte de valeur due à son comportement, assurant ainsi la protection des intérêts des coïndivisaires.

Cette obligation vise à maintenir une équité dans le partage final, en indemnisant l’indivision pour les détériorations imputables aux actes ou omissions de l’indivisaire.

En ce sens, la règle se rapproche de la logique de la responsabilité civile délictuelle, exigeant réparation pour tout préjudice causé aux biens communs, afin que chaque coïndivisaire retrouve au moment du partage une valeur intacte ou indemnisée des biens indivis.

2. Domaine

L’indemnité prévue par l’article 815-13, alinéa 2 du Code civil s’applique, en premier lieu, aux dégradations matérielles manifestes, c’est-à-dire celles qui affectent physiquement l’état du bien indivis.

Cela inclut, par exemple, l’enlèvement d’éléments essentiels tels qu’un portail, une toiture ou un dispositif de fermeture, entraînant ainsi une diminution de la valeur du bien.

La jurisprudence s’est abondamment prononcée sur ce point ; ainsi, la Cour d’appel de Grenoble a jugé que la suppression d’équipements de base, comme un portail automatique ou une cuve de mazout, constitue une dégradation imputable à l’indivisaire responsable (CA Grenoble, 27 mai 1997, JurisData n° 1997-056832).

L’indemnité couvre également les fautes de gestion ayant causé une perte de valeur économique pour le bien indivis.

Par exemple, lorsque la gestion imprudente ou négligente d’un indivisaire entraîne un préjudice financier pour l’indivision, une indemnisation peut être exigée. Cela a été notamment reconnu dans des situations où un indivisaire avait effectué des placements risqués ou engage des dépenses importantes sans consultation préalable des coïndivisaires, affectant ainsi la valeur économique globale du bien indivis (Cass. 1ère civ. 4 oct. 2005, n° 03-11.986).

De même, l’absence de travaux de conservation nécessaires peut constituer une faute si elle résulte d’une négligence, comme cela a été jugé dans un cas où un indivisaire n’a pas entrepris de réparations après un sinistre dû à une sécheresse, réduisant ainsi la valeur de vente du bien (Cass. 1ère civ., 19 déc. 2012, n°11-26.054).

La jurisprudence souligne toutefois que seules les dégradations imputables à l’indivisaire sont concernées par cette indemnité.

En ce sens, les pertes de valeur dues à des facteurs extérieurs ou économiques échappent à la responsabilité de l’indivisaire. Par exemple, une dévaluation causée par des fluctuations économiques, ou des sinistres exceptionnels tels que la sécheresse, n’engage pas la responsabilité de l’indivisaire gérant en l’absence de faute directe (Cass. 1ère civ., 19 déc. 2012, n°11-26.054).

3. Evaluation de l’indemnité

L’évaluation de l’indemnité due pour détérioration ou dégradation d’un bien indivis repose sur une règle fixée par l’article 815-13, alinéa 2 du Code civil, qui impose à l’indivisaire fautif de répondre des pertes de valeur qu’il a causées.

En matière d’indivision, cette indemnité doit permettre une réparation intégrale du préjudice subi, et pour ce faire, elle est calculée non pas au moment où le dommage s’est produit, mais à la date du partage effectif.

La Cour de cassation a adopté ce principe, estimant que l’évaluation devait s’opérer lors du partage pour assurer une compensation adéquate des pertes financières supportées par l’indivision.

Cette approche permet d’apprécier l’indemnité à la valeur actuelle, tenant ainsi compte des fluctuations économiques, telles que l’inflation, ainsi que des variations de valeur du bien entre la date de la détérioration et celle du partage (Cass. 1ère civ., 19 déc. 2012, n° 11-26.054).

Cette règle s’inspire des principes de responsabilité civile, qui imposent que le montant de l’indemnisation corresponde à la perte effective au moment de la réparation, et non à la simple valeur antérieure du bien.

En matière successorale, l’évaluation des biens indivis suit le même principe et se fait, selon l’article 898 du Code civil, au moment du partage ou au plus proche de celui-ci, notamment dans les cas de rescision pour lésion.

Cette approche garantit que le préjudice soit compensé par une indemnité reflétant la réalité économique au jour de la liquidation et non au moment du dommage initial, évitant ainsi une « double peine » pour les coïndivisaires qui subiraient autrement une perte financière encore aggravée par la dévaluation des biens.

Cependant, bien que l’évaluation finale soit faite lors du partage, la consistance du bien, c’est-à-dire son état et sa composition au moment du dommage, est essentielle pour mesurer précisément l’étendue de la dégradation.

Le calcul de l’indemnité repose donc sur une double approche : d’une part, la valeur actuelle de la perte est fixée au moment du partage, et d’autre part, la consistance initiale du bien est appréciée au moment où la détérioration a été causée.

Cette combinaison permet de garantir que les coïndivisaires reçoivent une compensation équitable, adaptée à l’état du bien tel qu’il était au moment du fait dommageable.

La jurisprudence souligne par ailleurs que, contrairement à l’évaluation des impenses d’amélioration pour lesquelles le juge peut moduler l’indemnisation selon l’équité (article 815-13, alinéa 1er), l’indemnité due pour dégradations causées par un indivisaire est fixée de manière stricte et sans modulation possible.

La Cour de cassation rappelle ainsi que l’indemnisation doit être intégrale et ne permet pas d’atténuation, même si elle semble sévère pour l’indivisaire responsable (Cass. 1ère civ., 7 déc. 2016, n°14-25.106).

En somme, le choix d’une évaluation à la date du partage pour les dégradations répond à une logique de justice en matière d’indivision : l’indemnité vise à replacer l’indivision dans une situation comparable à celle qui aurait existé sans la détérioration, en compensant intégralement la perte actuelle, tout en tenant compte de la consistance du bien au moment du dommage.

4. Règlement de l’indemnité

Le règlement de l’indemnité pour dégradation ou détérioration due par un indivisaire fautif ne peut être différé jusqu’au partage final ; il est dû immédiatement afin de prévenir la persistance d’une situation injuste au détriment de l’indivision.

Ce principe, bien établi en jurisprudence, s’aligne sur les règles applicables aux impenses d’amélioration et de conservation, dont le paiement est également exigible sans attendre le partage (Cass. 1ère civ., 15 avr. 1980, n°78-15.245).

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