Le Droit dans tous ses états

LE DROIT DANS TOUS SES ETATS

Droits successoraux du conjoint survivant: la liquidation du droit au quart de la succession en pleine propriété

Lorsque le conjoint survivant est en concours avec des descendants, il peut opter:

  • Soit pour l’usufruit portant sur la totalité des biens
  • Soit pour le quart de la succession en pleine propriété

a. La liquidation du droit au quart de la succession en pleine propriété

Lorsqu’il a été arrêté que le conjoint survivant recevrait le quart de la succession en pleine propriété, l’opération de transmission est loin d’être achevée.

Pour que cette transmission puisse se faire, encore faut-il procéder à ce que l’on appelle la liquidation du droit du conjoint survivant.

Par liquidation, il faut entendre l’ensemble des opérations visant à valoriser la quote-part qui lui revient et plus précisément à

En première intention, on pourrait être porté à penser qu’il suffirait d’évaluer l’ensemble des biens présents au jour de la succession et de retrancher le quart de la valeur obtenue pour liquider les droits du conjoint survivant.

Si toutefois l’on retenait cette méthode, elle pourrait se révéler fort désavantageuse pour le conjoint survivant. Dans l’hypothèse, en effet, où le défunt aurait consenti de nombreuses libéralités à ses enfants et qu’il laisserait derrière lui un patrimoine des plus modeste, il ne reviendrait qu’une faible portion des biens au conjoint survivant rapportée à l’ensemble des biens transmis.

Une autre méthode pourrait consister à tenir compte dans le calcul de la quote-part revenant au conjoint survivant de l’ensemble des libéralités consenties par le défunt à ses enfants.

Cela serait toutefois susceptible de produire l’effet inverse de celui obtenu par la première méthode : une atteinte trop grande aux intérêts des enfants du défunt, lesquels pourraient se retrouver à devoir de restituer au conjoint survivant le quart de la valeur de l’ensemble des libéralités qu’ils ont reçues. Une telle situation serait, de toute évidence, de nature à remettre en cause le caractère intangible des libéralités que le défunt a entendu consentir à ses enfants de son vivant.

Conscient des incidences de chacune de ces méthodes de calcul, le législateur a opté, en 2001, pour une solution intermédiaire.

La méthode de calcul retenue est énoncée aux articles 758-5 et 758-6 du Code civil. Elle se décompose en trois étapes :

  • Première étape
    • Elle consiste à déterminer la consistante de l’assiette sur laquelle sera prélevée la quote-part revenant au conjoint survivant.
    • Il s’agit ce que l’on appelle la masse de calcul
  • Deuxième étape
    • Elle consiste à déterminer les biens relevant de la masse de calcul qui supporteront le prélèvement de la quote-part attribuée au conjoint survivant.
    • Car en effet, il est certains biens qui composent la masse de calcul qui n’ont pas vocation à revenir au conjoint survivant.
    • On parle ici de la masse d’exercice.
  • Troisième étape
    • Elle consiste à retrancher de la valeur obtenue les libéralités que défunt a consenties au conjoint survivant

a.1. La détermination de la masse de calcul

Afin de pouvoir attribuer au conjoint survivant la quote-part de la succession en pleine propriété qui lui revient, la première étape consiste à déterminer les biens qui formeront l’assiette sur laquelle sera prélevée cette quote-part. C’est donc ce que l’on appelle la masse de calcul.

La méthode de détermination de cette masse de calcul est énoncée à l’article 758-5, al. 1er du Code civil qui prévoit que « le calcul du droit en toute propriété du conjoint prévu aux articles 757 et 757-1 sera opéré sur une masse faite de tous les biens existant au décès de son époux auxquels seront réunis fictivement ceux dont il aurait disposé, soit par acte entre vifs, soit par acte testamentaire, au profit de successibles, sans dispense de rapport. »

Il ressort de cette disposition que la masse de calcul des droits en pleine propriété du conjoint survivant comprend deux catégories de biens :

  • Les biens existants
  • Les libéralités rapportables

La méthode de détermination de la masse de calcul énoncée à l’article 758-5 du Code civil vise à assurer une équité entre tous les héritiers en tenant compte des transmissions effectuées par le défunt de son vivant. Cependant, l’application de cette méthode n’est pas sans soulever des difficultés pour certains biens, notamment lorsque le Code civil ne précise pas explicitement les règles relatives à leur intégration dans la masse de calcul.

i. Les biens existants

Les biens existants ne sont autres que les biens présents au jour du décès du de cujus et dont il n’a pas disposé à cause de mort par voie de testament ou d’institution contractuelle.

Cette masse de biens peut se décomposer en plusieurs éléments, selon le régime matrimonial sous lequel le couple vivait et la nature même des biens.

Au nombre de ces éléments on est susceptible de compter :

  • Les biens propres du défunt sont ceux qu’il possédait avant le mariage ou qu’il a acquis durant le mariage par donation ou succession.
  • La quote-part de biens communs revenant au défunt, si les époux étaient mariés sous un régime de communauté, laquelle comprend les biens acquis par les époux pendant le mariage, à l’exception de ceux qui sont explicitement considérés comme propres au regard du régime matrimonial ou de la loi. La détermination de cette part peut nécessiter des ajustements, notamment les récompenses dues à la communauté ou à l’un des époux en raison des mouvements de valeurs entre les biens propres et les biens communs.

En tout état de cause, l’évaluation des biens existants doit se faire en valeur nette, c’est-à-dire après déduction des dettes du défunt et des charges de la succession.

Cela inclut les frais funéraires, les dettes fiscales, les prêts en cours, et autres obligations financières que le défunt aurait laissées.

Une attention particulière doit être portée sur les droits temporaires d’habitation et d’usage attribués au conjoint survivant, tels que décrits à l’article 763 du Code civil.

Ces droits, lorsqu’ils sont exercés sur un bien de la succession, doivent être évalués et considérés comme une charge de la succession, soit par la jouissance gratuite du logement pendant un an, soit par le remboursement des loyers que la succession doit au conjoint survivant.

ii. Les libéralités rapportables

Autres biens devant être intégrés dans la masse de calcul : les libéralités dites rapportables.

Une libéralité rapportable est un bien ou un ensemble de biens qu’un défunt a transmis à un héritier durant sa vie, sous forme de donation ou de legs, avec la stipulation ou la présomption que ce bien doit être réintégré fictivement dans la masse de calcul de la succession pour déterminer les parts des héritiers.

En réintégrant les libéralités rapportables, on assure que tous les héritiers reçoivent une part juste et proportionnelle de la succession, ajustée en fonction des avantages déjà reçus par certains d’entre eux de leur vivant. Cela permet de maintenir l’équilibre entre les héritiers et de respecter autant que possible l’équité.

En application de l’article 843 du Code civil, toutes les donations sont réputées avoir été consenties aux descendants comme des avancements d’hoirie, c’est-à-dire des avances sur leur part d’héritage. Cette présomption signifie que, à moins d’indications contraires, ces donations doivent être rapportées à la succession.

Les donations peuvent toutefois être exemptées du rapport si le donateur l’a explicitement déclaré dans l’acte de donation.

Pour effectuer le rapport, la valeur des biens donnés est réévaluée au jour du décès du donateur. Cela signifie que si un bien a pris de la valeur depuis qu’il a été donné, cette plus-value est aussi prise en compte dans la masse successorale. L’objectif est de refléter fidèlement la valeur réelle du patrimoine du défunt au moment de son décès.

S’agissant des legs, la présomption est inversée : ils sont réputés préciputaires, soit « faits hors part successorale » (art. 843, al. 2e C. civ.).

Il en résulte que, par principe, les legs n’ont pas vocation à être intégrés dans la masse de calcul pour déterminer la quote-part du conjoint survivant. Ils en sont exclus, ce qui, mécaniquement, est de nature à amoindrir la quote-part revenant à ce dernier.

Le testateur dispose toutefois de la faculté de stipuler que le legs consenti est rapportable à la succession. Dans cette hypothèse, il devra alors être réintégré à la masse de calcul.

Lorsque le rapport est requis, l’évaluation du bien légué s’effectue à la date du décès du testateur. Il s’agit de déterminer la valeur réelle du bien au moment du décès pour l’intégrer correctement dans le calcul de la répartition de la succession.

L’intégration de ce bien légué dans la masse successorale permet d’assurer une équité entre tous les héritiers, particulièrement dans les situations où certains bénéficient de legs alors que d’autres ne reçoivent que leur part d’héritage traditionnelle.

Au bilan, la masse de calcul comprend :

  • D’une part, les donations qui ne sont assorties d’aucune dispense de rapport
  • D’autre part, les legs qui sont assortis d’une stipulation de rapport

iii. Les biens sur lesquels le Code civil est silencieux

Au nombre des biens qui interrogent quant à leur intégration dans la masse de calcul en raison du silence du Code civil figurent :

  • Les donations consenties au conjoint survivant
  • Les legs faits au profit du conjoint survivant
  • Les donations-partages que le défunt a pu faire à la faveur de ses enfants

==>S’agissant des donations consenties au profit du conjoint survivant

  • Principe
    • Il est admis que toutes les donations reçues par le conjoint survivant doivent être intégrées à la masse de calcul.
    • Pour justifier ce principe, les auteurs se fondent sur l’article 758-6 du Code civil qui énonce que « les libéralités reçues du défunt par le conjoint survivant s’imputent sur les droits de celui-ci dans la succession ».
    • Cette disposition prévoit donc ici un mécanisme d’imputation des libéralités reçues par le conjoint survivant sur ses droits successoraux.
    • Si elle ne se confond pas avec le rapport successoral, l’imputation fonctionne de manière similaire, car elle est déduite de la part du conjoint dans la succession.
    • Techniquement, bien que l’imputation ne soit pas un rapport au sens traditionnel, elle ajuste la part du bénéficiaire en conséquence des valeurs reçues sous forme de libéralités, affectant ainsi indirectement la répartition de la succession parmi les héritiers.
    • Il peut être observé que l’article 758-6 ne distingue pas selon que la libéralité est ou non rapportable.
    • Il en résulte qu’une donation consentie au profit du conjoint survivant qui serait assortie d’une dispense de rapport doit être intégrée dans la masse de calcul par le jeu du mécanisme de l’imputation.
    • Elle en sera en revanche exclue si le défunt a stipulé une dispense d’imputation, soit en précisant que la donation est faite hors par successorale.
    • La Cour de cassation a admis la validité d’une telle stipulation dans un arrêt du 17 décembre 2014 (Cass. 1ère civ. 17 déc. 2014, n°13-25.610).
  • Tempéraments
    • Cadeaux et présents d’usage
      • Conformément à l’article 852 du Code civil, les cadeaux et présents d’usage ne sont normalement pas soumis au rapport, sauf volonté contraire exprimée par le donateur.
      • Cette disposition légale établit, en effet, une distinction entre les libéralités ordinaires, qui doivent être rapportées à la succession, et les présents d’usage, qui sont généralement exemptés de ce rapport.
      • À cet égard, les présents d’usage sont définis comme des cadeaux faits à des occasions spéciales telles que les anniversaires, les fêtes religieuses, les mariages, ou autres célébrations similaires.
      • Ces cadeaux sont caractérisés par leur nature appropriée et leur valeur modérée, relative à la situation financière du donateur.
      • Ce qui les distingue des autres types de donations, c’est qu’ils sont faits selon les usages sociaux et ne représentent pas une diminution significative du patrimoine du donateur.
      • Les présents d’usage ne sont pas soumis au rapport pour plusieurs raisons :
        • Tout d’abord, les cadeaux sont faits dans le contexte d’événements spécifiques où il est coutumier d’offrir des présents (Noël, anniversaires, etc.).
        • Ensuite, leur valeur est généralement proportionnelle aux moyens du donateur, ce qui signifie qu’ils ne constituent pas une avance sur l’héritage ou une libéralité impactant significativement la succession.
        • Enfin, il existe une attente sociale que ces cadeaux ne soient pas considérés comme des avancements d’héritage mais plutôt comme des gestes de bonne volonté liés à l’événement célébré.
      • Toutefois, l’exemption de rapport n’est pas absolue.
      • Le donateur peut explicitement déclarer que même un présent d’usage doit être rapporté à la succession.
      • Cette intention doit être clairement exprimée, soit au moment de la donation, soit par des indications ultérieures.
      • Cette liberté laissée au donateur permet de maintenir une équité entre les héritiers si cela est jugé nécessaire, en fonction des circonstances particulières de la famille ou de l’état du patrimoine.
    • Donations rémunératoires entre époux
      • Une donation rémunératoire est celle qui est faite en reconnaissance de contributions exceptionnelles faites par un conjoint, qui vont au-delà des obligations normales du mariage.
      • À la différence d’une donation ordinaire, qui est motivée par l’intention de gratifier une personne sans attendre de contrepartie, la donation rémunératoire est essentiellement compensatoire.
      • Elle est destinée à compenser le bénéficiaire pour des services spécifiques ou pour des sacrifices personnels qui ont bénéficié à l’autre partie.
      • Elle est souvent liée à des contributions qui dépassent les attentes normales des devoirs conjugaux, comme le soutien à la carrière de l’autre conjoint au détriment de la propre carrière professionnelle du bénéficiaire, ou des années consacrées exclusivement à l’éducation des enfants ou à l’entretien du foyer sans poursuivre une activité rémunérée.
      • Un exemple classique pourrait être celui d’un conjoint qui a financé l’achat d’un bien immobilier en son nom mais en reconnaissant une part au conjoint non-travailleur en compensation pour son soutien et ses sacrifices.
      • La jurisprudence a souvent interprété ces donations non pas comme des libéralités, mais comme des actes de reconnaissance de dettes morales ou matérielles au sein du couple.
      • En ce sens, elles ne sont pas considérées comme des donations devant être rapportées à la succession, car elles ne reflètent pas une intention libérale mais plutôt une obligation morale ou éthique de compenser le conjoint pour ses sacrifices ou ses contributions.
      • En conséquence, ces donations ne sont généralement pas incluses dans la masse de calcul.
      • Cela est dû au fait que leur finalité n’est pas de diminuer la part de la succession revenant aux autres héritiers, mais de compenser équitablement le conjoint pour des contributions spécifiques qui ont bénéficié au couple.

==>S’agissant des legs faits au profit du conjoint survivant

Historiquement, les legs et autres libéralités faites au profit du conjoint survivant étaient souvent considérés comme hors part successorale, sauf indication contraire du disposant.

Cela signifiait que, sauf si le testateur stipulait expressément que le legs devait être rapporté, ces biens ne faisaient pas partie de la masse de calcul utilisée pour déterminer les parts des autres héritiers. Cette approche permettait au conjoint survivant de recevoir des biens par legs sans que cela affecte sa part dans la répartition de la succession résiduelle.

L’article 758-6 du Code civil, introduit par la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, a modifié cet état du droit en prévoyant l’imputation de toutes les libéralités, y compris les legs, sans distinction, sur les droits successoraux du conjoint gratifié.

Cette disposition implique que toute libéralité, y compris les legs, doit désormais être prise en compte dans la détermination de la masse de calcul.

Pour mémoire, l’imputation fonctionne de manière similaire au rapport, car elle est déduite de la part du conjoint dans la succession. Techniquement, bien que l’imputation ne soit pas un rapport au sens traditionnel, elle ajuste la part du bénéficiaire en conséquence des valeurs reçues sous forme de libéralités, affectant ainsi indirectement la répartition de la succession parmi les héritiers.

La logique qui a présidé à la réforme opérée par la loi du 23 juin 2006 est que les biens reçus par le conjoint sous forme de legs doivent être considérés dans la détermination de la masse de calcul pour assurer une équité entre tous les héritiers.

Aussi, cela garantit que le conjoint survivant ne reçoive pas une double portion – une première fois sous forme de legs et une seconde fois sous forme de quote-part de la succession – au détriment des autres héritiers.

Cette approche a été renforcée par la jurisprudence, notamment par un avis de la Cour de cassation rendu le 25 septembre 2006.

Aux termes de cet avis, elle a décidé que « s’agissant des successions ouvertes à compter du 1er janvier 2007, la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 ayant réintroduit la règle de l’imputation en insérant un article 758-6 dans le code civil, le conjoint survivant ne peut plus bénéficier d’un tel cumul » (Cass. avis du 25 sept. 2006, 06-000.09).

Autrement dit, les libéralités reçues par le conjoint ne sont pas cumulables avec sa part successorale normale. Il est donc dorénavant admis que toutes les libéralités faites au conjoint, y compris les legs, doivent être prises en compte dans la masse de calcul.

==>S’agissant des donations-partages

La donation-partage est une forme spécifique de donation qui permet à une personne de procéder, entre ses héritiers présomptifs, à la distribution et au partage de ses biens et de ses droits (art. 1075 C. civ.).

Ce dispositif confère, autrement dit, à tout personne la faculté de diviser, de son vivant, son patrimoine de manière définitive et irrévocable aux fins de le répartir entre ses successibles.

La donation-partage a été conçue pour favoriser une transmission harmonieuse des biens familiaux et pour éviter les litiges entre héritiers après le décès du donateur.

Elle se révélera particulièrement utile pour les familles possédant des biens importants ou complexes, tels que des entreprises familiales, des terres agricoles ou des biens immobiliers, où un partage équitable et précoce peut prévenir les conflits futurs et assurer une gestion stable des biens.

À la question de savoir si la donation-partage doit être intégrée dans la masse de calcul sur laquelle sera prélevée la quote-part du conjoint survivant, le Code civil n’apporte aucune réponse. De son côté, la doctrine est partagée.

Certains auteurs rappellent que les donations-partages sont regardées comme des avancements d’hoirie, ce qui signifie qu’elles sont présumées faites en avance sur la part d’héritage que les bénéficiaires auraient autrement reçu.

À cet égard, contrairement aux donations ordinaires qui, par principe, sont rapportables, sauf dispense, les donations-partages ne sont généralement pas sujettes au rapport.

Cela est dû à leur nature même de partage anticipé, où l’ascendant répartit de son vivant les biens entre ses descendants.

Dans un arrêt du 16 juillet 1997, la Cour de cassation a jugé en ce sens que les biens qui ont fait l’objet d’une donation-partage ne sont pas soumis au rapport, car le rapport est une opération préliminaire visant à constituer la masse partageable, alors que dans le cas d’une donation-partage, cette masse a déjà été attribuée (Cass. 1ère civ. 16 juill. 1997, n°95-13.316).

Compte tenu de leur caractère non rapportable, la doctrine majoritaire plaide pour que les donations-partages ne soient pas intégrées dans la masse de calcul.

Certains auteurs font toutefois valoir que l’article 758-5 du Code civil semble prévoir que seules les libéralités expressément dispensées de rapport sont exclues de la masse de calcul.

On pourrait alors en déduire que, en l’absence d’une dispense explicite de rapport, une libéralité, y compris sous la forme une donation-partage, pourrait théoriquement être incluse dans cette masse.

Si dès lors une donation-partage n’est assortie d’aucune clause expressément libératoire de rapport, elle devrait être intégrée dans la masse de calcul.

En l’état, cette question n’a toujours pas été tranchée par la Cour de cassation. Pour cette raison, il pourrait apparaître avisé pour un donateur de prévoir une clause stipulant s’il entend ou non que la donation-partage qu’il fait à la faveur de ses successibles soit intégrée dans la masse de calcul.

En synthèse :

MASSE DE CALCUL

=

  • Biens existants – Passif

+

  • Donations consenties au profit de descendants non assorties d’une dispense de rapport

+

  • Legs consentis au profit de descendants assortis d’une stipulation de rapport

+

  • Libéralités consenties au conjoint survivant non assorties d’une dispense d’imputation – (présents d’usage + donations rémunératoires)

+

  • Les donations-partages non assorties d’une stipulation de rapport

a.2. La détermination de la masse d’exercice

Une fois la masse de calcul fixée, l’opération de liquidation des droits du conjoint survivant n’est pas achevée. Il reste notamment à déterminer parmi les biens qui composent cette masse, quels sont ceux qui sont réellement disponibles afin de procéder à l’attribution effective de la quote-part de la succession revenant au conjoint survivant.

Car en effet, il est certains biens qui sont compris dans la masse de calcul, mais qui ne seront pas transmis à ce dernier. Ces biens vont avoir pour seule finalité de permettre le calcul de l’assiette sur laquelle sera prélevée la part dévolue au conjoint survivant.

Les biens que celui-ci a effectivement vocation à recueillir forment ce que l’on appelle la masse d’exercice. Il s’agit, en d’autres termes, de la masse de biens sur laquelle le conjoint survivant pourra exercer ces biens.

i. Consistance de la masse d’exercice

L’article 758-5, al. 2e du Code civil prévoit que « le conjoint ne pourra exercer son droit que sur les biens dont le prédécédé n’aura disposé ni par acte entre vifs, ni par acte testamentaire, et sans préjudicier aux droits de réserve ni aux droits de retour. »

Il ressort de cette disposition que le conjoint survivant ne peut exercer ses droits :

  • Ni sur les biens donnés et légués
  • Ni sur la réserve des descendants
  • Ni sur les biens faisant l’objet d’un droit de retour

==>S’agissant des biens donnés et légués

Si, au stade de la détermination de la masse de calcul, sont intégrées toutes libéralités rapportables consenties au profit de successibles ou de tiers, il n’en va pas de même au stade de la détermination de la masse d’exercice.

En application de l’article 758-5, al. 2e du Code civil, tous les biens donnés et légués à des personnes autres que le conjoint survivant sont exclus de la masse d’exercice.

À cet égard, le texte ne distingue :

  • Ni selon qu’il s’agit de libéralités stipulées entre vifs ou à cause de mort
  • Ni selon qu’il s’agit de libéralités rapportables ou faites hors part successorale

Cela signifie donc que le conjoint survivant ne peut prétendre exercer ses droits en pleine propriété que sur les biens dont le de cujus n’a pas disposé à titre gratuit.

Au fond, l’idée qui sous-tend la règle d’exclusion des libéralités de la masse d’exercice est d’empêcher qu’elles puissent être révoquées par l’effet du seul exercice des droits du conjoint survivant.

En effet, comme souligné par un auteur « le rapport est dû au de cujus, en ce qu’il est de nature à augmenter ses droits (conséquence de l’inclusion des libéralités rapportables dans la masse de calcul) ; mais il ne lui est pas dû, en ce qu’il ne peut obliger les enfants à lui restituer ce qu’ils ont reçu (conséquence de l’exclusion des libéralités rapportables dans la masse d’exercice) »[3].

Concrètement, si l’intégration des libéralités rapportables dans la masse de calcul est susceptible de permettre au conjoint survivant de capter l’ensemble des biens existants de la succession, cette intégration ne doit jamais conduire les personnes gratifiées à restituer tout ou partie des libéralités qui leur ont été consenties par le défunt ; raison pour laquelle elles sont exclues de la masse d’exercice.

Au total, il apparaît que le conjoint survivant n’est pas un successible ab intestat comme les autres. S’il bénéficie du rapport des libéralités pour le calcul théorique de ses droits, il en perd le bénéfice au stade de leur exercice effectif.

==>S’agissant de la réserve de descendants

L’article 758-5, al. 2e du Code civil prévoit que l’exercice par le conjoint survivant de ses droits ne peut jamais « préjudicier aux droits de réserve ».

La question qui immédiatement est se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par « droits de réserve » lesquelles forment ce que l’on appelle la « réserve héréditaire ».

Aux termes de l’article 912 du Code civil, la réserve héréditaire est définie comme « la part des biens et droits successoraux dont la loi assure la dévolution libre de charges à certains héritiers dits réservataires, s’ils sont appelés à la succession et s’ils l’acceptent. »

Il s’agit, autrement dit, de la portion de biens dont le défunt ne peut pas disposer à sa guise, la réserve héréditaire présentant un caractère d’ordre public (Cass. req., 26 juin 1882).

Ainsi, la réserve s’impose-t-elle impérativement au testateur qui ne pourra déroger aux règles de dévolution légale qu’en ce qui concerne ce que l’on appelle la quotité disponible.

L’alinéa 2 de l’article 912 définit la quotité disponible comme « la part des biens et droits successoraux qui n’est pas réservée par la loi et dont le défunt a pu disposer librement par des libéralités. »

Selon le nombre d’enfants que le défunt laisse derrière lui la quotité disponible sera plus ou moins étendue.

L’article 913 distingue 3 situations :

  • En présence d’un enfant, la quotité disponible s’élève à la moitié des biens du disposant
  • En présence de deux enfants, la quotité disponible s’élève au tiers des biens du disposant
  • En présence de trois enfants et plus, la quotité disponible s’élève au quart des biens du disposant

A contrario, cela signifie que :

  • En présence d’un enfant, la réserve héréditaire comprend la moitié des biens du disposant
  • En présence de deux enfants, la réserve héréditaire comprend le tiers des biens du disposant
  • En présence de trois enfants et plus, la réserve héréditaire comprend le quart des biens du disposant

Il peut être observé que, afin de calculer la réserve, en application de l’article 922 du Code civil il y a lieu de former une basse qui comporte :

  • D’une part, tous les biens existants au jour de l’ouverture de la succession
  • D’autre part, tous les biens donnés et légués, étant précisé qu’il est indifférent que ces biens soient ou non rapportables.

Aussi, l’assiette de calcul de la réserve héréditaire est-elle plus large que celle permettant de calculer les droits théoriques du conjoint survivant.

À cet égard, si l’on en revient à la situation de ce dernier, l’article 758-5, al. 2e prévoit que les droits qui lui sont reconnus ne doivent pas préjudicier aux droits de réserve.

Cela signifie que, en présence de descendants, les droits du conjoint survivant ne peuvent s’exercer que sur la seule quotité disponible.

À supposer que le défunt ait consenti des libéralités qui épuisent la quotité disponible, ou même entament la réserve (dans le cas où les libéralités dépassent la quotité disponible), le conjoint survivant peut se retrouver avec peu ou pas de droits effectifs à exercer.

Cela est dû au fait que la loi protège avant tout les parts de la succession revenant aux réservataires :

  • Si toutes les libéralités respectent la réserve : le conjoint peut prétendre à sa part sur la quotité disponible
  • Si les libéralités épuisent la quotité disponible : le conjoint ne reçoit rien, car il n’y a plus de biens disponibles à attribuer au-delà de la réserve
  • Si les libéralités empiètent sur la réserve : les libéralités peuvent être réduites pour restaurer la réserve, mais cela peut aussi signifier qu’il ne reste rien pour le conjoint

==>S’agissant des biens faisant l’objet d’un droit de retour

L’article 758-5, al. 2e du Code civil prévoit que l’exercice par le conjoint survivant de ses droits ne peut jamais « préjudicier […] aux droits de retour ».

Cela signifie que les biens spécifiquement destinés à revenir à certaines personnes ou à certains groupes par l’effet d’un droit de retour ne peuvent être intégrés dans la masse d’exercice.

Pour mémoire, si les dernières réformes ont supprimé un certain nombre de droits de retour, il en subsiste encore quelques-uns.

Par exemple, l’article 368-1 du Code civil reconnaît un droit de retour pour les biens donnés à un adopté simple par l’adoptant ou recueillis dans sa succession. Si ces biens se retrouvent en nature dans la succession de l’adopté, ils doivent retourner à l’adoptant ou à ses descendants, sous réserve des droits acquis par les tiers.

La raison de l’exclusion de la masse d’exercice des biens faisant l’objet d’un droit de retour réside dans leurs modalités particulières de transmission. En effet, ces biens échappent au jeu de la succession ordinaire ; ils relèvent de ce que l’on appelle la succession anomale.

En synthèse :

MASSE D’EXERCICE

=

MASSE DE CALCUL

  • Les droits attachés à la réserve héréditaire (compris entre ½ et ¾ des biens du défunt)

  • Libéralités consenties à des personnes autres que le conjoint survivant (rapportables et hors succession et dans la mesure où elles s’imputent sur la quotité disponible)

  • Les biens faisant l’objet d’un droit de retour

ii. Évaluation de la masse d’exercice

Le calcul des droits du conjoint survivant s’exerçant sur la masse de calcul obéit à deux principes directeurs :

==>Premier principe directeur

  • Énoncé du principe
    • Les droits du conjoint survivant ne peuvent jamais excéder :
      • D’une part, la valeur résultant du produit entre la masse de calcul et la quotité légale allouée en pleine propriété au conjoint survivant (1/4)
      • D’autre part, la valeur de la masse d’exercice
    • Ainsi, les droits du conjoint survivant sont-ils enfermés dans un double plafond.
    • Il ne peut prétendre qu’à la valeur la plus basse entre les deux plafonds obtenus en calculant la masse de calcul et la masse d’exercice.
    • Aussi, deux configurations sont possibles
      • Première configuration
        • La masse de calcul est supérieure à la masse d’exercice
        • Dans cette hypothèse, le conjoint survivant pourra réclamer l’attribution de l’intégralité de ses droits théoriques, dans la limite d’un quart de la masse de calcul.
        • Ce cas se rencontre notamment lorsque le montant des libéralités rapportables consenties par le de cujus est modeste
      • Seconde configuration
        • La masse de calcul est inférieure à la masse d’exercice
        • Dans cette hypothèse, le conjoint survivant percevra moins que ce que lui promettaient ses droits théoriques.
        • Ce cas se présentera notamment en présence de libéralités rapportables pour un montant supérieur à la valeur des biens existants ou lorsque, en présence d’une réserve héréditaire, les biens donnés viennent s’imputer sur la quotité disponible.
    • En tout état de cause, il y a lieu d’avoir toujours à l’esprit que les droits du conjoint survivant ne peuvent jamais être supérieurs à la masse de calcul et inférieurs à la d’exercice.
  • Application
    • Supposons une succession d’une valeur de 600 000 euros composée d’un bien immobilier (350 000 euros) et d’avoirs bancaires (250 000 euros).
    • Le défunt laisse derrière lui deux enfants et un conjoint survivant, de sorte que la réserve héréditaire est portée au 2/3 de la succession, soit 2/3 x 600 000 = 400 000 euros.
    • Afin de déterminer les droits du conjoint survivant, il convient de calculer, dans un premier temps, la masse de calcul puis, dans un second temps, la masse d’exercice.
      • Masse de calcul
        • Évaluation de la masse de calcul

= biens existants + libéralités rapportables

= (350 000 + 250 000) + 0

= 600 000 euros

        • Droits théoriques du conjoint survivant

= ¼ x masse de calcul

= ¼ x 600 000

= 150 000 euros

      • Masse d’exercice
        • Évaluation de la masse d’exercice

= masse de calcul – (réserve héréditaire + quote-part des libéralités rapportables imputable sur la quotité disponible)

= 600 000 – (400 000 + 0)

= 200 000 euros

        • Droits effectifs du conjoint survivant

= Valeur la plus faible entre la masse de calcul et la masse d’exercice

= 150 000 euros

    • Au cas particulier, le conjoint sera fondé à réclamer le prélèvement sur la succession de la somme de 150 000 euros.

==>Second principe directeur

  • Énoncé du principe
    • Les libéralités consenties à un héritier réservataire s’imputent toujours prioritairement sur sa part de réserve, puis subsidiairement sur la quotité disponible pour la portion excédant la réserve.
    • Il n’est donc pas question, pour déterminer la masse d’exercice, de retrancher de la masse de calcul, la réserve, puis les libéralités rapportables consenties à l’héritier réservataire, ce qui reviendrait à soustraire deux fois les mêmes valeurs.
    • En effet, l’évaluation de la réserve comprend déjà la prise en compte des libéralités rapportables consenties aux héritiers réservataires.
    • Aussi, pour la formation de la masse d’exercice, ce n’est que pour le surplus, soit la portion non prise en compte dans la réserve, que les libéralités rapportables sont retranchées à la masse de calcul.
  • Application
    • Si l’on reprend l’exemple précédent, supposons que le de cujus avait donné de son vivant à ses enfants la somme de 300 000 euros à chacun.
    • S’agissant de la réserve héréditaire, elle est déterminée sur la base d’une masse de calcul comprenant les biens existants et les libéralités, soit (600 000 + 300 000 + 300 000) x 2/3 = 800 000 euros
    • Afin de déterminer la part revenant au conjoint survivant il convient de procéder à l’évaluation de la masse de calcul, puis de la masse d’exercice :
      • Masse de calcul
        • Évaluation de la masse de calcul

= biens existants + libéralités rapportables

= (350 000 + 250 000) + (300 000 + 300 000)

= 1 200 000 euros

        • Droits théoriques du conjoint survivant

= ¼ x masse de calcul

= ¼ x 1 200 000

= 300 000 euros

      • Masse d’exercice
        • Évaluation de la masse d’exercice

= masse de calcul – réserve héréditaire – libéralités rapportables imputable sur la quotité disponible)

= 1 200 000 – 800 000 – 0

= 400 000 euros

        • Droits effectifs du conjoint survivant

= Valeur la plus faible entre la masse de calcul et la masse d’exercice

= 300 000 euros

    • Dans cet exemple, il apparaît que les libéralités consenties aux héritiers réservataires sont totalement absorbées par la réserve puisque 800 000 > (300 000 + 300 000)
    • La solution eut été différente, si les libéralités consenties à chacun des enfants s’étaient élevées à 500 000 euros.
    • Dans cette hypothèse, l’évaluation de la masse d’exercice aurait donné lieu au calcul suivant :
      • Évaluation de la masse d’exercice

= masse de calcul – réserve héréditaire – libéralités rapportables imputable sur la quotité disponible)

= 1 200 000 – 800 000 – 200 000

= 200 000 euros

      • Droits effectifs du conjoint survivant

= Valeur la plus faible entre la masse de calcul et la masse d’exercice

= 200 000 euros

    • Dans cette configuration, les droits effectifs du conjoint survivants (200 000 euros) sont inférieurs à ses droits théoriques (300 000 euros) en raison du montant élevé des libéralités consenties aux héritiers réservataires.

iii. Date d’évaluation de la masse d’exercice

Aucune disposition dans le Code civil ne précise la date à laquelle doit être évaluée la masse d’exercice pour le calcul des droits du conjoint survivant.

Les articles 732 et suivants traitent des droits du conjoint survivant mais sans mentionner de date spécifique pour l’évaluation de l’actif successoral.

S’agissant de la doctrine, elle est partagée : certains auteurs soutiennent qu’il y a lieu de retenir la date du décès, d’autres avancent que l’évaluation des biens doit être réalisée à la date du partage, étant précisé que, entre les deux dates, il peut s’écouler de nombreuses années ; d’où l’importance de la question.

  • Arguments pour l’évaluation des biens à la date du décès
    • Parce que les successeurs acquièrent leurs droits au jour du décès du défunt, il s’en déduit que l’évaluation des biens à partager doit se faire à cette date.
    • À cet égard, évaluer la masse successorale à la date du décès offre une certitude quant à la valeur des biens, ce qui évite les difficultés liées aux fluctuations possibles dues aux conditions de marché ou aux changements de l’état des biens.
    • Par ailleurs, l’évaluation à la date du décès permet de respecter les dernières volontés du défunt exprimées en considération de la valeur des biens existants à sa mort.
  • Arguments pour l’évaluation des biens à la date du partage
    • Évaluer la masse successorale à la date du partage est plus équitable car cela prend en compte les évolutions de la valeur des biens jusqu’au moment où ils sont effectivement partagés entre les héritiers.
    • L’évaluation à la date du partage reflète mieux la réalité économique des biens, évitant ainsi des injustices liées à des variations importantes de leur valeur.
    • Dans les cas où le partage prend beaucoup de temps, évaluer à la date du partage permet d’ajuster les droits de chaque héritier en fonction de la situation actuelle, surtout en présence de biens susceptibles de variation significative de valeur (immobilier, entreprises).

Entre ces deux approches, certains auteurs plaident pour une solution intermédiaire. Cette solution consisterait à procéder à une évaluation en deux temps :

  • Premier temps : évaluation au jour du décès
    • Il s’agit ici de calculer les droits du conjoint survivant tels qu’ils résultent de la dévolution légale.
    • Il y a donc lieu, d’abord d’évaluer la masse de calcul et la masse d’exercice, puis de rapporter le résultat de cette double opération, soit la quotité dévolue au conjoint survivant, à la valeur des biens existants au jour du décès.
  • Second temps : évaluation au jour du partage
    • Cette étape intervient après que les droits du conjoint survivant résultant de la dévolution légale ont été établis.
    • Il s’agit ici d’attribuer les biens aux héritiers et notamment le lot revenant au conjoint survivant : c’est l’opération de partage.
    • Pour déterminer la valeur du lot à attribuer au conjoint survivant, il y a lieu de rapporter la quotité évaluée au jour du décès aux biens existants dont la valeur est estimée, quant à elle, au jour du partage.

a.3. L’imputation des libéralités reçues par le conjoint survivant

Les biens attribués au conjoint survivant dans le cadre du règlement de la succession ne se limitent pas à ceux résultant de la dévolution légale.

Le conjoint survivant est, en effet, susceptible de recevoir des biens au titre des libéralités qui lui auraient été consenties par le défunt. Il peut s’agir, tant de donations, que de legs.

Aussi, le conjoint survivant est-il susceptible de recevoir plus que la part qui lui est dévolue par l’effet de la loi.

Si en soi, il n’y a rien d’illicite à gratifier son conjoint au-delà de la quotité légale, se pose toutefois la question de la conciliation des libéralités faites entre époux avec les droits des autres héritiers ab intestat et notamment les héritiers réservataires.

Parce qu’elles empruntent une voie parallèle à la transmission des biens par voie légale, les libéralités sont susceptibles de capter tout ou partie de la quotité disponible et donc de concurrencer directement les droits des autres successeurs.

Cette captation de la quotité disponible sera toutefois plus ou moins étendue selon la méthode d’imputation que l’on retient. Deux approches sont possibles :

  • Première approche
    • Elle consiste à imputer les libéralités consenties au conjoint survivant sur la quotité disponible.
    • Il en résulte une captation de cette quotité, dès le premier euro et, par voie de conséquence une extension des droits du conjoint survivant.
    • Les droits des héritiers réservataires s’en trouvent toutefois diminués d’autant.
  • Seconde approche
    • Elle consiste à imputer les libéralités consenties au conjoint survivant sur la quotité légale qui lui revient.
    • En procédant de la sorte, aucun prélèvement n’est effectué sur la quotité disponible qui demeure intacte et qui dès lors peut être dévolue aux héritiers réservataires, sauf legs faits à des tiers.
    • À supposer que le de cujus ait gratifié le conjoint survivant au-delà de sa vocation légale, cela signifie qu’il ne recevra rien au titre de sa qualité d’héritier ab intestat.
    • Quant au surplus, il ne pourra être prélevé sur la quotité disponible que dans la limite de ce qui est prévu par la loi.

Entre ces deux approches, le législateur a finalement opté pour la seconde après une période d’incertitude jurisprudentielle.

==>Évolution

À l’origine, l’ancien article 767, al. 6e du Code civil, issu d’une loi du 9 mars 1891, prévoyait une règle spécifique d’imputation des libéralités entre époux.

Il prévoyait, en effet, que le conjoint survivant devait cesser d’exercer ses droits « dans le cas où il aurait reçu du défunt des libéralités, même faites par préciput et hors part, dont le montant atteindrait celui des droits que la présente loi lui attribue ».

En application de cette disposition, il était donc admis que toutes les libéralités consenties au conjoint survivant devaient s’imputer sur son usufruit légal (souvent limité au quart des biens).

Cela signifiait, autrement dit, que toutes libéralités (legs et donations) entre époux venaient automatiquement en déduction des droits dont le conjoint survivant était titulaire au titre de sa vocation successorale.

Et dans l’hypothèse où le montant des libéralités reçues était inférieur à la valeur des droits légaux reconnus au conjoint survivant, celui-ci n’était admis à « réclamer que le complément de son usufruit ».

La loi instituait ainsi un principe de non-cumul entre le droit légal d’usufruit et les libéralités entre époux.

Lorsque, en 2001, le législateur a réformé les règles régissant la vocation successorale du conjoint survivant, celui-ci a, sans doute par inadvertance, omis de prévoir un texte reconduisant le dispositif d’imputation des libéralités entre époux alors en vigueur.

Cette omission a été à l’origine d’une grande controverse doctrinale, les auteurs s’interrogeant sur l’approche qu’il y avait désormais lieu de retenir s’agissant de la liquidation des droits du conjoint survivant en présence de libéralités faites entre époux.

Tandis que certains soutenaient que le système mis en place en 1891 devait être maintenu au motif notamment que l’égalité entre successeurs le commandait, d’autres avançaient au contraire que, compte tenu du silence de la loi, il devait être dorénavant admis que le conjoint survivant puisse cumuler ses droits ab intestat avec les libéralités qui lui auraient été éventuellement consenties par le prémourant dans la limite de la quotité disponible.

Dans un avis rendu le 26 septembre 2006, la Cour de cassation a décidé que « s’agissant des successions ouvertes depuis le 1er juillet 2002, la loi n° 2001-1135 du 3 décembre 2001 ayant abrogé la règle de l’imputation prescrite par l’article 767, alinéa 6, ancien du code civil, le conjoint survivant peut cumuler les droits successoraux prévus aux articles 757, 757-1 et 757-2 du code civil avec une ou des libéralités consenties en application de l’article 1094 ou de l’article 1094-1 du même code, sans toutefois porter atteinte à la nue-propriété de la réserve héréditaire ni dépasser l’une des quotités disponibles spéciales permises entre époux ».

Ainsi, pour la Haute juridiction, le silence des textes en vigueur sous l’empire de la loi du 3 décembre 2001 ne saurait s’interpréter comme une reconduction de l’ancien système d’imputation des libéralités entre époux (Cass. avis du 25 sept. 2006, n°06-000.09)

Il en résulte que, en cas de libéralités consenties au conjoint survivant, celles-ci doivent dorénavant s’imputer, non pas sur les droits légaux de ce dernier, mais sur la quotité disponible.

La Cour de cassation a, par suite, confirmé cette approche dans un arrêt du 4 juin 2009. Aux termes de cette décision, elle a jugé que les droits légaux reconnus au conjoint survivant pouvaient se cumuler avec les libéralités reçues à la condition que ce cumul ait été voulu par le disposant (Cass. 1ère civ. 4 juin 2009, n°08-15.799).

La position adoptée par la Première chambre civile a été particulièrement critiquée par la doctrine.

La raison en est que, en reconnaissant la possibilité pour le conjoint de cumuler ses droits ab intestat avec les libéralités consenties à son profit, cela est susceptible de conduire à une situation d’empiètement sur la réserve héréditaire en présence d’un enfant commun.

Supposons, en effet, que le conjoint survivant soit gratifié à hauteur de la totalité de la quotité disponible et que celui-ci opte, au titre de ses droits légaux, pour l’usufruit.

Dans cette hypothèse, il recevrait alors la moitié des biens de la succession en propriété et la moitié en usufruit, de sorte qu’il ne resterait à l’héritier réservataire plus que la moitié de la succession en nue-propriété. Les droits de ce dernier s’en trouveraient ainsi réduits à la portion congrue.

Lors de l’intervention du législateur en 2006 aux fins de parachever la réforme du droit des successions entreprise en 2001, il ressort des travaux parlementaires que la reconnaissance par la Cour de cassation de la possibilité pour le conjoint survivant de cumuler ses droits ab intestat avec des libéralités entre époux ne correspondrait pas à l’intention originelle du législateur de l’époque.

Aussi, afin de mettre un terme à une position jurisprudentielle qui était de nature à permettre une atteinte excessive à la réserve héréditaire des descendants, a-t-il été décidé par le législateur en 2006 d’introduire une disposition dans le code civil visant à réintroduire expressément l’ancien système d’imputation des libéralités entre époux.

==>Énoncé du principe d’imputation des libéralités entre époux

L’article 756-8 du Code civil, issu de la loi n°2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités, prévoit que « les libéralités reçues du défunt par le conjoint survivant s’imputent sur les droits de celui-ci dans la succession ».

Il ressort de cette disposition que les libéralités consenties par le prémourant au conjoint survivant ne se cumulent pas aux droits dont il est titulaire en sa qualité d’héritier ab intestat, elles viennent, au contraire, en déduction de ces mêmes droits.

Aussi, la vocation successorale du conjoint survivant se borne-t-elle à ses seuls droits légaux, déduction faite des libéralités qu’il a reçues.

Dit autrement, toutes les libéralités que le prémourant a faites au profit du conjoint survivant épuisent d’autant l’assiette de ses droits légaux.

Il peut être observé que, au regard des dernières décisions rendues, la Cour de cassation n’est pas des plus à l’aise avec le mécanisme d’imputation énoncé par l’article 758-6 du Code civil.

Dans un arrêt du 25 octobre 2017, elle a, en effet, affirmé que le conjoint survivant « bénéficiait de sa vocation légale, augmentée de la portion de la libéralité excédant cette vocation, dans la limite de la quotité disponible spéciale entre époux » (Cass. 1ère civ. 25 oct. 2017, n°17-10.644).

Cette affirmation est pourtant contraire à la lettre de l’article 758-6 qui écarte tout cumul entre la vocation légale du conjoint survivant et les libéralités qui lui sont consenties.

Les libéralités reçues ne s’ajoutent pas à la vocation légale, elles s’imputent sur celle-ci. Tout au plus, en cas d’excédent, il est admis qu’elles puissent déborder dans la limite de la quotité disponible spéciale.

Plus surprenant encore, dans un arrêt du 12 janvier 2022, la Première chambre civile a jugé que « le conjoint survivant est tenu à un rapport spécial en moins prenant des libéralités reçues par lui du défunt dans les conditions définies à l’article 758-6 » (Cass. 1ère civ. 12 janv. 2022, n°20-12.232).

L’assertion formulée ici par la Haute juridiction est, au mieux maladroite, au pire totalement erronée.

L’opération visée par l’article 758-6 du Code civil s’analyse, non pas en un rapport successoral, mais comme une imputation.

La différence existant entre les deux mécanismes n’est pas neutre :

  • S’agissant du rapport successoral, il oblige le bénéficiaire de la libéralité de restituer à la masse partageable l’intégralité de ce qu’il a reçu, y compris ce qui excède la quotité légale qui lui dévolue. Si donc il a reçu 100 et que sa part s’établit à 80, il devra restituer à la succession 20.
  • S’agissant de l’imputation, elle oblige seulement le bénéficiaire de la libéralité à restituer ce qu’il a reçu dans la limite de ses droits légaux, de sorte que, en cas d’excédent, celui-ci n’a pas vocation à être restitué à la masse partageable. Cela signifie que si le bénéficiaire a reçu 100 et que sa part s’établit à 80, il n’aura rien à restituer et pourra donc conserver le bénéfice des 20, quand bien même, au bilan, il aura reçu plus que sa part.

==>Le domaine de l’imputation des libéralités entre époux

Il s’infère de l’article 758-6 du Code civil que l’imputation qui s’opère sur les droits légaux du conjoint survivant concerne « les libéralités reçues du défunt ».

Positivement, cela signifie qu’il n’y a pas lieu de distinguer selon la nature de la libéralité consentie au conjoint survivant. Toutes les libéralités sont admises à l’opération d’imputation.

Aussi, est-il indifférent que l’on soit en présence de libéralités stipulées entre vifs ou à cause de mort. Autrement dit, il peut s’agir, tant d’une donation, que d’un legs ou d’une institution contractuelle.

Négativement, en visant les seules « libéralités reçues du défunt par le conjoint survivant », l’article 758-6 suggère que n’est pas concerné par le dispositif d’imputation tout ce qui ne s’analyse pas en une libéralité.

Tel est notamment le cas notamment d’une pension de réversion ou d’une assurance vie à tout le moins dès lors que le montant des primes versées n’est pas excessif au regard de la capacité financière du défunt.

Surtout, ne constituent pas des libéralités, les avantages matrimoniaux. Pour mémoire, l’avantage matrimonial consiste en une disposition prise dans le cadre d’un contrat de mariage qui permet à l’un des époux de bénéficier d’un enrichissement ou d’un bénéfice sans contrepartie lors de la dissolution du régime matrimonial, soit par divorce, soit par décès.

À cet égard, l’article 1527 du Code civil dispose expressément que « les avantages que l’un ou l’autre des époux peut retirer des clauses d’une communauté conventionnelle, ainsi que ceux qui peuvent résulter de la confusion du mobilier ou des dettes, ne sont point regardés comme des donations. »

La conséquence en est qu’ils ne sont ni rapportables, ni réductibles en cas d’atteinte à la réserve héréditaire des autres héritiers.

Il est en outre admis qu’ils ne sauraient être imputés sur les droits résultant de la vocation successorale du conjoint survivant.

Il peut être observé que l’article 1527, al. 2 du code civil semble admettre une exception à l’exclusion des avantages matrimoniaux du domaine de l’imputation.

Cette disposition prévoit, en effet, que, en présence d’enfants qui ne seraient pas issus du mariage avec le de cujus, les avantages matrimoniaux doivent être regardés comme des libéralités de sorte qu’ils doivent pouvoir faire l’objet d’une réduction en cas d’atteinte à la réserve.

Est-ce à dire que, dans cette configuration, l’avantage matrimonial s’impute sur les droits légaux du conjoint survivant ? La question se pose.

Pour la doctrine majoritaire ; il n’en est rien. L’alinéa 2 de l’article 1527 du Code civil viserait seulement à protéger les intérêts des enfants non-communs. Cette disposition ne vise nullement à requalifier l’avantage matrimonial en libéralité.

Pour cette raison, il est soutenu – et nous partageons cet avis – que, même en présence d’enfants non issus des deux époux, il n’y a pas lieu d’imputer l’avantage matrimonial stipulé au profit du conjoint survivant sur sa quotité légale.

==>Le caractère supplétif du principe d’imputation des libéralités entre époux

Bien que l’article 758-6 du Code civil ne précise pas si le mécanisme d’imputation des libéralités entre époux peut être écarté par l’effet d’une volonté contraire, il est admis qu’il s’agit là d’une règle supplétive.

Dans un arrêt du 17 décembre 2014, la Cour de cassation a jugé en ce sens que le prémourant est libre de stipuler une dispense d’imputation. Un cumul est donc permis entre les droits légaux reconnus au conjoint survivant et les libéralités qui lui sont consenties (Cass. 1ère civ. 17 déc. 2014, n°13-25.610).

En cas de dispense, soit dans l’hypothèse où il est stipulé que la donation ou le legs est consenti hors part successorale, cela signifie que la libéralité ne s’impute pas sur les droits légaux du conjoint survivant ; elle s’ajoute à ces derniers.

==>La mise en œuvre du principe d’imputation des libéralités entre époux

L’article 758-6 du Code civil prévoit donc que « les libéralités reçues du défunt par le conjoint survivant s’imputent sur les droits de celui-ci dans la succession. »

Si, en première intention, le principe d’imputation se comprend bien, sa mise en œuvre n’est toutefois pas sans soulever quelques difficultés pratiques.

Ces difficultés tiennent notamment à l’énoncé du principe qui est formulé en des termes pour le moins généraux.

L’article 758-6 ne distingue pas, en effet, selon l’option successorale qui aurait été exercée par le conjoint survivant.

Le texte vise l’article 757 dans son intégralité, lequel prévoit que le conjoint survivant « recueille, à son choix, l’usufruit de la totalité des biens existants ou la propriété du quart des biens ».

Ce renvoi laisse à penser qu’il est indifférent que ce dernier ait opté pour l’attribution du quart de la succession en pleine propriété ou pour l’usufruit sur la totalité des biens du défunt. Dans les deux cas, le mécanisme d’imputation aurait vocation à jouer.

Il faut en déduire que les libéralités reçues par le conjoint survivant ont vocation à s’imputer, tout autant sur ses droits légaux en pleine propriété, que sur ses droits légaux en usufruit.

Si, l’opération d’imputation ne soulève pas de difficultés particulières lorsque les libéralités reçues et les droits légaux sont de même nature (imputer une libéralité en usufruit sur des droits en usufruit), il n’en va pas de même dans le cas contraire.

Lorsque, en effet, il y a lieu d’imputer des libéralités en pleine propriété sur des droits légaux en usufruit (ou inversement), l’opération requiert de trouver un dénominateur commun, soit de procéder à une conversion.

Cette conversation repose sur la méthode de capitalisation de l’usufruit en valeur selon le barème fiscal prévu par l’article 699 du Code général des impôts.

Concrètement, la valeur de l’usufruit est calculée comme un pourcentage de la valeur totale du bien en pleine propriété, ce pourcentage étant déterminé par l’âge de l’usufruitier au moment du décès du défunt.

Ce calcul repose sur l’idée que plus l’usufruitier est âgé, moins longtemps il bénéficiera de l’usufruit, réduisant ainsi sa valeur.

À cet égard :

  • Pour un usufruitier de moins de 21 ans, la valeur de l’usufruit est évaluée à 90% de la valeur totale de la propriété
  • Pour un usufruitier de plus de 91 ans, cette valeur est réduite à 20%.

Prenons l’exemple d’un bien évalué à 300,000 euros. L’usufruitier est âgé de 75 ans au moment du décès du de cujus.

Selon le barème fiscal, à 75 ans, le pourcentage de la valeur de l’usufruit pourrait être estimé autour de 30% (la valeur exacte peut varier légèrement selon les ajustements annuels du barème).

Il en résulte que :

Valeur de l’usufruit = 300,000 euros (valeur de la propriété) × 30% (pourcentage pour un usufruitier de 75 ans) = 90,000 euros

La valeur de l’usufruit pour un individu de 75 ans, dans cet exemple, serait donc de 90,000 euros.

C’est sur la base de cette valeur ainsi obtenue que l’on pourra, par exemple, imputer la libéralité en usufruit (dont la valeur est estimée à 90 000 euros) reçue par le conjoint survivant, sur des droits en pleine propriété.

==>Les effets du principe d’imputation des libéralités entre époux

Parce que, les libéralités reçues par le conjoint survivant ont vocation à s’imputer sur ses droits légaux, les effets vont être différents selon que ces libéralités sont supérieures ou inférieures à la quotité légale.

  • Le montant des libéralités reçues par le conjoint survivant est supérieur à ses droits légaux
    • Dans cette hypothèse, le conjoint survivant ne recevra rien au titre de sa vocation successoral ab intestat.
    • Quant aux libéralités qu’il a reçues en dépassement de la quotité légale, parce qu’elles font l’objet d’une imputation – et non d’un rapport –, elles n’ont pas vocation à faire l’objet d’une restitution au profit de la masse partageable.
    • Le conjoint survivant ne pourra toutefois conserver ce qu’il a reçu que dans la limite de la quotité disponible spéciale prévue par l’article 1094-1 du Code civil.
    • Cette disposition énonce que « pour le cas où l’époux laisserait des enfants ou descendants, issus ou non du mariage, il pourra disposer en faveur de l’autre époux, soit de la propriété de ce dont il pourrait disposer en faveur d’un étranger, soit d’un quart de ses biens en propriété et des trois autres quarts en usufruit, soit encore de la totalité de ses biens en usufruit seulement. »
    • Pour mémoire, la quotité disponible, telle que définie à l’article 912 du Code civil, représente part de la succession dont le défunt peut disposer librement par donation ou testament, sans porter atteinte à la réserve héréditaire des héritiers réservataires.
    • Tandis que l’article 913 du Code civil établit la quotité disponible ordinaire, laquelle varie selon le nombre d’enfants, l’article 1094-1 fixe ce que l’on appelle la quotité disponible spéciale qui bénéficie au seul conjoint survivant.
    • Cette quotité disponible est dite spéciale, car elle est plus étendue que celle susceptible de revenir à un tiers.
    • Par ailleurs, elle présente la particularité de s’articuler autour de trois options laissées à la discrétion du conjoint survivant.
    • Celui-ci dispose, en effet – sauf volonté contraire du prémourant – de la faculté d’opter :
      • Soit pour la quotité disponible ordinaire prévue à l’article 913
      • Soit pour la totalité des biens en usufruit,
      • Soit pour le quart en pleine propriété et trois quarts en usufruit
    • Il peut être observé que la quotité disponible spéciale reconnue au profit du conjoint survivant n’est pas sans limite : elle ne doit pas porter atteinte à la réserve héréditaire des héritiers réservataires.
    • Dans l’hypothèse où la quotité disponible spéciale empiéterait sur la réserve, les descendants du de cujus disposeraient alors d’une action en réduction des libéralités consenties au conjoint survivant.
    • Au total, il apparaît que, pour le cas où le montant des libéralités consenties au conjoint survivant serait supérieur à ses droits légaux, ce dernier n’est pas tenu de restituer l’excédent à tout le moins dans la double limite :
      • D’une part, de la quotité disponible spéciale prévue par l’article 1094-1 du Code civil
      • D’autre part, de la quotité délimitée par la réserve revenant aux héritiers réservataires
  • Le montant des libéralités reçues par le conjoint survivant est inférieur à ses droits légaux
    • Dans cette hypothèse, l’article 758-6 du Code civil prévoit que « le conjoint survivant peut en réclamer le complément ».
    • Autrement dit, le conjoint survivant peut réclamer le reste de sa part légale pour atteindre le montant total de la quotité auquel il a droit.
    • Le texte précise que le complément de part demandé ne peut jamais conduire le conjoint survivant à « recevoir une portion des biens supérieure à la quotité définie à l’article 1094-1 ».
    • Cette précision apportée par le législateur n’est pas sans interpeller.
    • Faut-il comprendre que le complément qui peut être sollicité par le conjoint survivant peut excéder ses droits légaux pour atteindre la quotité disponible spéciale ?
    • Cela reviendrait toutefois à réintroduire le cumul des libéralités reçues avec les droits légaux.
    • Or c’est précisément ce qui a été écarté par le législateur en 2006.
    • Par ailleurs, il peut être observé que la quotité disponible spéciale visée à l’article 1094-1 du Code civil ne joue qu’en présence de descendants et non de père et mère, ces derniers n’étant plus réservataires.
    • L’article 758-6 indique pourtant s’appliquer dans les deux cas.
    • Comment, dans ces conditions, faire application de la règle ?
    • Plus précisément, en présence de père et mère quel complément de part octroyer au conjoint survivant ?
    • Pour les auteurs, compte tenu du flou qui entoure le texte « en son état actuel, le dernier membre de la phrase de l’article 758-6 paraît dénué de toute portée normative ».
    • Aussi, il y aurait lieu de considérer qu’il ne peut être dévolu au conjoint survivant un complément de part que dans la seule limite de ses droits légaux.

Exemples:

Supposons une succession d’une valeur de 200 000 euros. Le défunt laisse derrière lui deux enfants et un conjoint survivant auquel il a consenti une donation de son vivant d’une valeur de 50 000 euros.

Afin de déterminer les droits du conjoint survivant, il convient, pour mémoire, de calculer, dans un premier temps, la masse de calcul puis, dans un second temps, la masse d’exercice.

  • Masse de calcul
    • Évaluation de la masse de calcul

= biens existants + libéralités rapportables + libéralités consenties au conjoint survivant

= 300 000 + 0 + 60 000

= 360 000 euros

    • Droits théoriques du conjoint survivant

= ¼ x masse de calcul

= ¼ x 360 000

= 90 000 euros

  • Masse d’exercice
    • Évaluation de la masse d’exercice

= masse de calcul – réserve héréditaire – quote-part des libéralités rapportables imputable sur la quotité disponible

= 360 000 – (2/3 x 360 000) – 0

= 120 000 euros

    • Imputation des libéralités entre époux

= Droits avant imputation – quote-part des libéralités entre époux imputable sur la quotité disponible

= 120 000 – 60 000

= 60 000 euros

    • Droits effectifs du conjoint survivant

= Valeur la plus faible entre la masse de calcul et la masse d’exercice

= 60 000 euros

Au cas particulier, il apparaît que les libéralités consenties au conjoint survivant par le défunt n’ont pas totalement épuisé l’assiette de ses droits légaux.

Reste qu’il percevra moins d’un quart de ses droits théoriques, soit 60 000 euros au lieu de 90 000 euros.

Supposons désormais que la libéralité consentie par le défunt au conjoint survivant se soit élevée à 300 000 euros. Le résultat ne sera alors pas le même.

  • Masse de calcul
    • Évaluation de la masse de calcul

= biens existants + libéralités rapportables + libéralités consenties au conjoint survivant

= 300 000 + 0 + 300 000

= 600 000 euros

    • Droits théoriques du conjoint survivant

= ¼ x masse de calcul

= ¼ x 600 000

= 150 000 euros

  • Masse d’exercice
    • Évaluation de la masse d’exercice

= masse de calcul – réserve héréditaire – quote-part des libéralités rapportables imputable sur la quotité disponible

= 600 000 – (2/3 x 600 000) – 0

= 200 000 euros

    • Imputation des libéralités entre époux

= Droits avant imputation – quote-part des libéralités entre époux imputable sur la quotité disponible

= 200 000 – 300 000

= – 100 000 euros

    • Droits effectifs du conjoint survivant

= Valeur la plus faible entre la masse de calcul et la masse d’exercice

= – 100 000 euros

Dans cette hypothèse, il apparaît que les droits du conjoint survivant sont négatifs. Cela signifie qu’il ne pourra rien percevoir au titre de sa qualité d’héritier ab intestat.

La raison en est l’épuisement de l’assiette de ses droits légaux par la libéralité de 300 000 euros qui lui a été consenti par le défunt.

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