L’assurance repose sur un principe cardinal : elle ne peut couvrir que des événements incertains. C’est pourquoi l’article L. 113-1, alinéa 2 du Code des assurances interdit à l’assureur de répondre des pertes ou dommages causés par une faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré. Cette règle répond à une double exigence :
- préserver l’aléa, dont la disparition ferait perdre à l’assurance sa raison d’être ;
- éviter la fraude, en empêchant l’assuré de provoquer lui-même le sinistre pour en tirer profit.
Au-delà, l’interdit s’inscrit dans l’ordre public : certaines garanties ne peuvent, par leur nature, être validées par la liberté contractuelle car elles heurteraient l’éthique de la sanction (C. civ., art. 6). Comme le souligne la doctrine, il ne s’agit pas d’une exclusion de garantie parmi d’autres, mais de la constatation d’une inassurabilité qui touche à l’objet même du contrat.
Deux conséquences en découlent immédiatement :
- L’interdit s’applique de plein droit : l’assureur est libéré de toute garantie sans qu’une clause particulière soit nécessaire (C. assur., art. L. 113-1, al. 2).
- Toute stipulation qui prétendrait couvrir un risque légalement inassurable est nulle ou réputée non écrite car contraire à l’ordre public (C. civ., art. 6). Ainsi, une assurance visant à garantir l’exercice illégal d’une profession a été jugée illicite (Cass. 1re civ., 5 mai 1993, n° 91-15.401).
A l’analyse, le droit des assurances distingue deux niveaux de limitation de la garantie.
- D’un côté, les exclusions conventionnelles : l’assureur et l’assuré peuvent, par leur volonté, écarter certains risques qui demeurent par nature assurables (imprudence, faute lourde, faute inexcusable, etc.). Mais cette liberté est étroitement encadrée : une exclusion n’est valable que si elle est « formelle et limitée » (C. assur., art. L. 113-1, al. 1) et portée à la connaissance de l’assuré en « caractères très apparents » (C. assur., art. L. 112-4). À défaut, elle est réputée non écrite. La jurisprudence en donne une lecture rigoureuse : une clause ambiguë ne peut être considérée comme « formelle et limitée » ; de même, les clauses reposant sur des listes ouvertes (« notamment », « par exemple ») sont écartées, car elles ne permettent pas à l’assuré d’identifier précisément l’étendue de la restriction.
- De l’autre côté, les interdictions légales, qui ne relèvent pas de l’autonomie de la volonté : elles ne sont pas le produit d’un choix contractuel, mais la conséquence de l’ordre public d’assurance. Elles définissent négativement l’objet assurable en écartant certains risques de toute couverture possible : faute intentionnelle ou dolosive (C. assur., art. L. 113-1, al. 2), sanctions pénales ou administratives (C. civ., art. 6), ou encore certaines hypothèses prévues par des textes spéciaux.
Ces interdits valent pour toutes les branches, sous réserve de régimes particuliers :
- en assurance maritime, l’assureur ne répond pas des fautes intentionnelles ou inexcusables du capitaine ou de l’armateur (C. assur., art. L. 172-13 et L. 175-3) ;
- en assurance-vie, le suicide de l’assuré est inassurable s’il survient au cours de la première année du contrat (C. assur., art. L. 132-7) ;
- en assurance de choses, le législateur a également prévu des exclusions automatiques, comme en cas de guerre ou d’émeutes (C. assur., art. L. 121-8).
Ces exemples montrent que le législateur trace la frontière de l’assurabilité chaque fois que l’aléa disparaît ou que l’ordre public commande de soustraire certains comportements ou sanctions à toute forme de mutualisation.
Deux fondements principaux structurent le régime des interdictions légales.
- La préservation de l’aléa
- L’assurance suppose l’existence d’un risque incertain.
- Or, la faute intentionnelle – définie comme la volonté de causer le dommage tel qu’il est survenu (Cass. 2e civ., 28 mars 2019, n° 18-15.829) – fait disparaître l’aléa et rend la couverture impossible.
- La jurisprudence distingue aujourd’hui cette figure de la faute dolosive, qui consiste dans un comportement délibéré rendant le dommage inévitable, même si le résultat précis n’était pas recherché (Cass. 2e civ., 20 mai 2020, n° 19-11.538).
- Dans les deux cas, l’effet est le même : la garantie est exclue de plein droit en application de l’article L. 113-1, al. 2 du Code des assurances.
- L’inassurabilité des peines
- Un second principe tient à la fonction même de la répression.
- Les peines pénales, administratives ou fiscales ne peuvent être transférées à un assureur, car cela viderait la sanction de son rôle préventif et dissuasif (C. civ., art. 6).
- En revanche, les conséquences civiles d’une infraction (dommages-intérêts dus à la victime) demeurent assurable, sous réserve du respect de l’interdit de la faute intentionnelle.
Ces deux interdits irriguent des situations variées. Ainsi, lorsque le contrat est conclu par une personne morale, l’intention s’apprécie en la personne de ses dirigeants de droit ou de fait. De même, dans l’assurance pour compte, la faute intentionnelle du souscripteur peut faire obstacle à la garantie du bénéficiaire (articulation des articles L. 113-1 et L. 112-1 du Code des assurances). Ces exemples montrent que l’interdit légal ne se réduit pas à une règle technique : il exprime une définition de l’assurabilité qui s’impose à tous les contrats, quelles qu’en soient les formes.
L’inassurabilité légale ne dépend pas de la volonté des parties : c’est la loi qui fixe les risques que l’assurance ne peut jamais couvrir.
- Sur le plan contractuel, elle opère erga omnes : aucune volonté des parties ne peut y déroger. Toute clause qui prétendrait couvrir un risque prohibé est nulle ou réputée non écrite. Cette contrainte irrigue directement la rédaction des polices : l’assureur doit veiller à éviter les « clauses-panier » ou exclusions trop larges, qui reviendraient à priver la garantie de sa substance. Elle commande aussi le parcours de distribution: l’intermédiaire a le devoir d’expliquer clairement à l’assuré ce qui, par principe, ne peut être garanti.
- Sur le plan contentieux, l’interdit légal ne joue pas comme une exception personnelle que l’assureur pourrait ou non opposer : il définit l’objet même de la garantie. Il est donc, par nature, opposable à tous, y compris aux tiers bénéficiaires d’un droit propre. En matière de responsabilité civile notamment, cette logique rejoint celle de l’action directe : l’assureur peut opposer à la victime les limites légales de la garantie, précisément parce qu’elles ne relèvent pas du comportement de l’assuré mais du cadre objectif de l’assurabilité.