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Rapport des dettes dans le cadre des opérations de partage: conditions

Le rapport des dettes, en tant qu’opération de partage, repose sur un ensemble de conditions précises qui en définissent le domaine d’application. Deux éléments fondamentaux doivent être réunis : l’existence d’un copartageant débiteur et la présence d’une créance inscrite à l’actif de la masse partageable.

A) Conditions relatives au débiteur

==>Qualités de copartageant et débiteur

En premier lieu, seuls les indivisaires appelés à concourir au partage peuvent être assujettis au rapport des dettes. Cette exigence, qui puise sa source dans l’article 864 du Code civil, implique que l’intéressé soit doté d’une vocation à se voir attribuer une fraction d’une masse indivise. Aussi, dès lors qu’un indivisaire prend part au partage, ses droits sur la masse doivent être ajustés à due concurrence des obligations qu’il a contractées envers celle-ci.

L’application du rapport des dettes ne se limite pas aux seules successions. Elle s’étend aux partages de communauté, notamment lorsque la dissolution du régime matrimonial impose un règlement des créances entre les époux (Cass. 1?? civ., 2 oct. 2001, n°99-11.375). Elle concerne également les indivisions conventionnelles, lorsque plusieurs indivisaires mettent fin à leur indivision et procèdent au partage des biens. De même, elle intervient dans le cadre du partage consécutif à la dissolution d’une société, lorsque les associés doivent se répartir les actifs indivis subsistants (Cass. civ., 8 févr. 1882). Dans chacune de ces hypothèses, la qualité de copartageant implique l’intégration au mécanisme d’allotissement des dettes, indépendamment de l’origine de la masse à partager.

En matière successorale, cette règle signifie que le titre en vertu duquel un successeur vient au partage est indifférent. Qu’il soit héritier ab intestat, légataire universel ou institué contractuel, il est soumis au rapport des dettes, dès lors qu’il participe à la répartition de la succession. En revanche, le légataire à titre particulier échappe à cette obligation, puisqu’il n’a pas vocation à prendre part à l’indivision successorale (Cass. 1?? civ., 6 déc. 2005, n°01-12.038). Cette règle illustre la distinction fondamentale entre le rapport des dettes et le rapport des libéralités. Contrairement à ce dernier, qui ne concerne que les héritiers présomptifs gratifiés, le rapport des dettes vise l’ensemble des copartageants dès lors qu’ils remplissent les conditions requises.

En second lieu, au-delà de la condition de copartageant, le rapport des dettes suppose également que l’indivisaire concerné soit débiteur d’une créance comprise dans la masse partageable. Cette dette peut avoir une origine diverse. Elle peut résulter d’une obligation contractée à l’égard du de cujus de son vivant, auquel cas elle est transmise à la succession et doit être réglée lors du partage. Elle peut également être née postérieurement à l’ouverture de la succession, lorsque l’indivisaire est tenu envers l’indivision en raison d’une obligation née durant la gestion des biens indivis.

L’indivisaire peut ainsi être débiteur de la masse successorale lorsqu’il a bénéficié d’un prêt consenti par le de cujus et demeuré impayé au jour du décès. Il peut aussi avoir perçu des fonds en vertu d’une procuration sur les comptes du défunt, dont il reste comptable envers la succession. De même, il peut être tenu au paiement d’une indemnité d’occupation lorsqu’il a joui privativement d’un bien indivis sans indemniser ses cohéritiers. Enfin, il peut être redevable envers la masse indivise s’il a perçu des revenus générés par un bien indivis sans les reverser à l’indivision ou si, en sa qualité d’administrateur des biens indivis, il a commis des fautes de gestion ayant causé un préjudice au patrimoine partagé.

Le rapport des dettes impose donc une stricte corrélation entre la qualité d’indivisaire appelé au partage et l’existence d’une dette à l’égard de la masse. Il vise à garantir que les créances détenues par la masse sur un copartageant ne puissent être éludées au moment de la répartition des biens. Dès lors que l’indivisaire concerné remplit ces deux conditions, il ne peut se soustraire à cette obligation et voit ses dettes imputées sur sa part.

==>L’exclusion des héritiers renonçants et indignes

L’héritier qui renonce à la succession est réputé n’avoir jamais été héritier (art. 805 C. civ.). Cette fiction juridique le soustrait de plein droit aux opérations de partage et, par voie de conséquence, au mécanisme du rapport des dettes. Néanmoins, cette exclusion ne saurait anéantir l’obligation qui lui incombe : sa dette demeure et doit être exécutée selon les principes du droit commun (Cass. civ., 8 août 1895).

Il en va de même pour l’héritier déclaré indigne, dont la déchéance des droits successoraux entraîne l’éviction pure et simple du partage. Dès lors qu’il ne revêt pas la qualité de copartageant, il échappe au rapport des dettes. Toutefois, l’indignité ne purge en rien l’obligation préexistante : la créance qui pèse sur lui conserve son plein effet et demeure exigible selon les voies de droit ordinaires.

Ces exclusions s’inscrivent dans la logique inhérente au rapport des dettes, lequel est intrinsèquement lié à la participation au partage. Le renonçant et l’indigne, étrangers à l’indivision successorale, ne sauraient être astreints aux ajustements opérés lors de la répartition. Ils demeurent tenus de s’acquitter de leurs obligations, mais hors du cadre liquidatif, selon les règles de droit commun.

==>La représentation successorale

La représentation successorale soulève une interrogation quant à l’application du rapport des dettes. Ce mécanisme, en vertu des articles 752 et 753 du Code civil, permet à un héritier de venir au partage en représentation d’un prédécédé, d’un indigne ou d’un renonçant. Dès lors, une question se pose : le représentant doit-il être tenu d’alloter, dans le partage, les dettes contractées par celui qu’il remplace ?

Deux positions doctrinales s’affrontent :

D’un côté, une lecture rigoureuse du principe du partage par souche pourrait conduire à imposer au représentant les obligations du représenté, en ce compris celles relevant du rapport des dettes. Cette approche repose sur l’idée que la représentation est une fiction juridique assurant la continuité des souches successorales. En venant au partage à la place de son auteur, le représentant se substituerait à lui non seulement dans ses droits, mais également dans ses charges, de sorte qu’il devrait se voir alloti des créances existant contre le représenté.

D’un autre côté, une analyse plus nuancée conduit à rejeter cette automaticité. Le représentant n’est pas personnellement débiteur des créances contractées par le représenté ; il ne s’est jamais directement engagé à leur paiement et ne saurait en répondre à titre propre. Or, le rapport des dettes trouve son fondement dans le principe de la confusion des qualités de créancier et de débiteur, laquelle suppose que ces deux qualités soient réunies en une seule et même personne. Cette condition fait défaut dans l’hypothèse du représentant, qui n’a jamais contracté la dette initiale. Dès lors, celle-ci ne saurait s’éteindre par l’effet du rapport et devrait être traitée selon les mécanismes de droit commun.

L’adoption de cette seconde solution a pour corollaire de concentrer le risque d’insolvabilité sur la souche successorale du représenté. Le représentant, bien que juridiquement étranger à la dette initiale, pourrait se voir grevé d’une obligation dont il n’est pas l’auteur, ce qui poserait un problème d’équité entre les copartageants. Une telle situation pourrait s’avérer particulièrement délicate dans l’hypothèse où la dette du représenté serait significative et excéderait les droits successoraux du représentant.

En l’état du droit positif, aucune disposition ne tranche expressément cette question. Contrairement au rapport des libéralités, où l’article 843 du Code civil impose au représentant d’alloter, dans le partage, les donations reçues par le représenté, aucune règle équivalente n’a été consacrée pour le rapport des dettes.

Dès lors, par prudence, il semble opportun de considérer que le successeur venant par représentation ne saurait, en principe, être tenu au rapport des dettes contractées par le représenté, sauf à ce qu’il en devienne lui-même débiteur par transmission du passif. Une clarification législative s’avérerait bienvenue afin de garantir une application homogène de ce mécanisme et d’écarter toute divergence d’interprétation susceptible d’engendrer des iniquités successorales.

B) Conditions relatives aux dettes

Le mécanisme du rapport des dettes, consacré par l’article 864 du Code civil, vise à assurer l’équité entre les copartageants en imposant à celui d’entre eux qui est débiteur d’une créance comprise dans la masse partageable d’en être alloti à due concurrence de ses droits. Cette règle, qui relève de la technique liquidative des successions et des indivisions, repose sur l’idée que les dettes d’un indivisaire à l’égard de la masse successorale doivent être régularisées au moment du partage, afin d’éviter que certains copartageants ne soient avantagés ou que l’actif partageable ne se trouve minoré au détriment des autres.

Toutefois, pour que le rapport des dettes puisse être mis en œuvre, certaines conditions doivent être réunies, tant en ce qui concerne l’origine de la dette que ses caractéristiques intrinsèques. Si le Code civil ne dresse pas une liste exhaustive des dettes concernées, la jurisprudence et la doctrine ont progressivement dégagé les principes directeurs qui en gouvernent l’application.

1. L’origine des dettes rapportables

L’article 864 du Code civil ne distingue pas selon l’origine ou la nature de la dette. Ainsi, le rapport des dettes peut indifféremment concerner des obligations d’origine contractuelle, légale, quasi-contractuelle, délictuelle ou quasi-délictuelle (Cass. 1ère civ., 11 juin 1981, n°80-11.177). La jurisprudence a admis que cette règle s’applique aux dettes résultant de l’annulation d’un acte juridique consacrant ainsi l’idée que le rapport des dettes constitue un mécanisme de régularisation des obligations entre copartageants, indépendamment du fait générateur de la créance.

L’essentiel est que la dette trouve sa source dans les relations entre le débiteur et la masse partageable. Ainsi, toute obligation née entre le de cujus et un héritier peut être rapportée, de même que celles contractées entre un indivisaire et l’indivision successorale.

Les dettes les plus fréquemment concernées par le rapport sont celles que l’héritier a contractées envers le défunt de son vivant. Il en va ainsi des prêts consentis par le de cujus et non remboursés à son décès, des avances sur héritage, ou encore des créances résultant d’une convention conclue avec le défunt. Ces créances figurent à l’actif de la succession et, en raison de l’absence d’effet extinctif du décès du créancier, elles doivent être réglées par le débiteur avant la répartition du patrimoine.

Un exemple marquant est celui des retraits effectués par un héritier grâce à une procuration sur les comptes du défunt. Si ces fonds ont été utilisés à titre personnel, l’héritier devra les rapporter à la succession (Cass. 1ère civ., 2 févr. 1999, n°96-21.460). Toutefois, si les sommes prélevées l’ont été dans l’intérêt du de cujus, la dette ne sera pas soumise au rapport, la charge de la preuve incombant alors au mandataire (Cass. 1ère civ., 21 nov. 1995, n°93-21.162).

Le rapport des dettes s’applique également aux obligations nées après l’ouverture de la succession, dès lors qu’elles résultent des relations entre l’indivisaire et la masse successorale. Ainsi, les sommes ou fruits encaissés par un indivisaire pour le compte de l’indivision doivent être restitués lors du partage (Cass. req. 23 avr. 1898). Il en va de même des indemnités d’occupation dues par l’indivisaire jouissant privativement d’un bien indivis (CA Angers, 2 sept. 1991) ou des sommes correspondant à des détériorations du bien indivis causées par un cohéritier (Cass. req. 17 nov. 1885).

Dans le même sens, il a été jugé par la Cour de cassation dans un arrêt du 19 octobre 1983 que l’indivisaire qui administre un bien dépendant de la succession sans en rendre compte peut être contraint de rétablir dans la masse partageable la valeur du bien ainsi appréhendé (Cass. 1?? civ., 19 oct. 1983, n°82-13.329).

En l’espèce, un héritier avait été désigné pour assurer l’administration provisoire d’un cabinet de conseil juridique et d’administrateur de biens dépendant de la succession. Or, il est apparu que cet indivisaire, exerçant lui-même une activité similaire, avait confondu ses propres opérations avec celles du cabinet hérité, sans tenir de comptabilité distincte ni produire de comptes de gestion. Cette confusion a conduit les juges du fond à constater l’impossibilité d’établir la consistance exacte des éléments du cabinet subsistant au jour du partage.

Se fondant sur les conclusions d’un expert, la cour d’appel a estimé que la seule manière de préserver l’égalité du partage était de retenir la valeur du cabinet au jour du décès, soit 120 000 francs, et de mettre cette somme à la charge de l’indivisaire en cause, avec intérêts au taux légal courant depuis l’ouverture de la succession.

La Cour de cassation a validé cette décision en considérant que l’héritier avait appréhendé cet élément d’actif dans sa consistance au jour du décès et que, faute de justification sur son usage et son état au moment du partage, il devait en restituer la valeur à l’indivision. Elle a ainsi confirmé la condamnation de l’intéressé à rétablir dans la masse successorale l’équivalent de la valeur du cabinet litigieux.

Cet arrêt illustre de manière particulièrement rigoureuse l’exigence de transparence et de reddition de comptes incombant à tout indivisaire ayant assumé la gestion d’un bien commun. Il consacre la règle selon laquelle l’indivisaire qui fait sien, sans autorisation ni justification, un élément du patrimoine successoral doit en restituer la valeur à la masse, afin de garantir le principe d’égalité entre copartageants.

Enfin, le rapport des dettes trouve également à s’appliquer lorsque la succession a payé à un tiers une dette incombant normalement à un cohéritier. Tel est l’enseignement qui peut être retiré d’un arrêt rendu par la Cour de cassation le 26 mars 1974 (Cass. 1ère civ. 26 mars 1974, n°72-13.132).

En l’espèce, un professionnel libéral était décédé en laissant pour héritiers sa veuve et ses trois enfants. L’un d’eux, ultérieurement placé en règlement judiciaire, était débiteur envers un tiers d’une somme correspondant à des détournements de fonds. Afin d’éviter des poursuites, le défunt s’était porté caution de cette dette. Après le décès, le créancier avait exercé un recours contre les héritiers, ce qui avait conduit la succession à s’acquitter de la dette et à se subroger dans les droits du créancier initial.

Les juges du fond avaient estimé que cette créance devait être rapportée à la masse successorale, dans la mesure où la succession s’était substituée au créancier initial. Confirmant cette solution, la Cour de cassation a jugé que, dès lors qu’une dette contractée par un héritier envers un tiers avait été acquittée par l’indivision, elle constituait une créance de cette dernière contre le débiteur initial et devait être réglée selon le mécanisme du rapport des dettes. L’arrêt relevait également que l’héritier débiteur avait bénéficié des éléments essentiels de la succession, ce qui justifiait encore davantage l’imputation de cette dette sur ses droits dans le partage.

Toutefois, la Cour de cassation a opéré une distinction essentielle en censurant partiellement la décision d’appel. Elle a rappelé que, conformément aux articles 829 et 830 du Code civil, seules les dettes ayant un lien direct avec l’indivision successorale peuvent être rapportées à la masse. Dès lors, elle a annulé l’arrêt en ce qu’il avait également inclus dans le rapport des dettes une somme avancée à l’héritier débiteur par son frère, ainsi que d’autres paiements effectués en sa faveur. Selon la Haute juridiction, ces créances résultaient de relations purement personnelles entre copartageants et ne pouvaient dès lors être soumises au mécanisme du rapport des dettes.

Cet arrêt illustre ainsi une double exigence : d’une part, le rapport des dettes s’applique lorsque l’indivision s’est substituée au créancier initial en s’acquittant d’une dette due par un cohéritier ; d’autre part, seules les dettes directement liées à l’indivision successorale peuvent être prises en compte, à l’exclusion de celles nées de rapports strictement personnels entre copartageants et dépourvues de tout lien avec l’indivision successorale.

2. Les caractères des dettes rapportables

Le rapport des dettes répond à une logique de justice distributive qui impose que les obligations pesant sur un copartageant soient traitées dans le cadre du partage, indépendamment de leur échéance. C’est en ce sens que l’article 864 du Code civil prévoit expressément que la dette n’a pas besoin d’être exigible au jour de l’ouverture de la succession pour être soumise au rapport. Ce principe, consacré de longue date par la jurisprudence (V. par ex. Cass. civ. 28 févr. 1866), vise à neutraliser l’effet des délais de paiement et à empêcher qu’un indivisaire ne bénéficie d’un avantage indu du seul fait d’un report d’exigibilité. Dès lors qu’une dette est juridiquement constituée, sa prise en compte dans le partage s’impose afin d’éviter que la répartition du patrimoine successoral ne soit faussée par des échéances différées.

Cette règle repose sur l’idée que le rapport des dettes ne saurait être conditionné par des facteurs contingents tenant à la structure de l’obligation. Une créance à terme, dès lors qu’elle est certaine et que son montant est déterminé, peut ainsi être allotie au copartageant débiteur sans qu’il soit nécessaire d’attendre son exigibilité. À défaut, on introduirait une iniquité entre les indivisaires, certains étant artificiellement exonérés de leur obligation simplement en raison d’un décalage temporel. Cette approche trouve une confirmation dans la jurisprudence, qui s’attache davantage à la certitude et à la liquidité de la dette qu’à son exigibilité immédiate.

Toutefois, pour être rapportable, la dette doit nécessairement présenter un caractère certain et liquide. À défaut, son allotissement au copartageant débiteur compromettrait l’égalité du partage et introduirait une source d’insécurité juridique. La Cour de cassation l’a rappelé dès 1885 (Cass. req. 17 nov. 1885), en posant comme condition que l’obligation soit clairement établie, tant dans son principe que dans son montant. Une dette dont l’existence serait litigieuse, ou dont l’évaluation resterait à faire, ne saurait faire l’objet d’un rapport, sous peine de grever un indivisaire d’une charge indéterminée, ce qui heurterait frontalement l’exigence de prévisibilité inhérente au partage successoral.

Néanmoins, cette exigence n’est pas absolue et connaît certains tempéraments. Ainsi, les dettes affectées d’une condition suspensive peuvent être rapportées dès lors que la créance existe en germe et que l’éventualité de son exigibilité future est suffisamment caractérisée. La cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 18 mars 2003, a admis cette possibilité, reconnaissant que la prise en compte anticipée d’une dette conditionnelle pouvait se justifier lorsque les circonstances permettaient d’en prévoir raisonnablement l’issue. Une telle solution s’inscrit dans la logique du rapport des dettes, qui tend à assurer une répartition équilibrée des charges entre les copartageants et à éviter qu’un indivisaire ne soit favorisé en raison d’une contingence juridique.

3. Compensation des dettes rapportables avec les créances contre la masse partageable

Le mécanisme du rapport des dettes, consacré par l’article 864 du Code civil, s’inscrit dans une logique d’équité en imposant à tout copartageant débiteur d’une obligation envers la masse partageable d’en supporter l’imputation lors du partage. Toutefois, ce principe ne saurait aboutir à ce qu’un copartageant débiteur soit contraint d’allotir l’intégralité de sa dette sans prise en compte des créances qu’il détient sur l’indivision. L’article 867 du Code civil prévoit ainsi que, dans une telle hypothèse, la dette ne sera rapportée qu’à concurrence du solde restant dû après compensation. Dès lors, seules les dettes excédant les créances réciproques du copartageant sur la masse partageable donnent lieu à un allotissement, évitant ainsi qu’un indivisaire se voie artificiellement grevé d’une obligation sans prise en compte des flux financiers inverses.

Ce mécanisme repose sur le principe de la compensation légale, défini aux articles 1347 et suivants du Code civil, qui permet l’extinction réciproque de dettes connexes entre deux parties lorsque plusieurs conditions sont réunies. L’application de ce dispositif dans le cadre du rapport des dettes implique ainsi de s’assurer de l’existence de créances réciproques entre le copartageant et la masse indivise.

D’abord, les obligations en présence doivent être certaines, liquides et exigibles. La compensation ne saurait se concevoir sur la base d’une créance incertaine, contestée ou encore en cours de liquidation, sous peine de rompre l’équilibre du partage et d’introduire un facteur d’instabilité dans la détermination des droits des copartageants. Seules les créances dont la consistance est juridiquement établie et dont l’échéance est acquise peuvent ainsi donner lieu à une imputation compensatoire.

Ensuite, l’identité des parties doit être caractérisée. La dette dont le copartageant est tenu envers l’indivision doit trouver son pendant dans une créance qu’il détient à l’encontre de cette même masse. Il ne saurait être question d’opérer une compensation entre des obligations relevant de rapports strictement personnels entre indivisaires, sans lien direct avec la masse partageable.

Enfin, la compensation doit s’exercer exclusivement sur des créances et dettes attachées à l’indivision, et non sur des obligations étrangères au partage. La jurisprudence veille à préserver cette stricte imputation, excluant notamment les créances personnelles des indivisaires de l’assiette du mécanisme compensatoire (Cass. 1?? civ., 28 mars 2018, n° 17-14.104).

Lorsque ces conditions sont réunies, la compensation s’opère automatiquement et préalablement à l’allotissement du copartageant. Dès lors, seul le solde restant dû après imputation réciproque est pris en compte dans le partage, assurant ainsi une répartition plus juste des charges successorales.

L’article 867 du Code civil trouve à s’appliquer dans diverses situations où un copartageant, tout en étant débiteur envers l’indivision, dispose également d’une créance sur cette dernière.

  • Le règlement des charges indivises : lorsqu’un indivisaire a avancé des fonds pour acquitter des dépenses grevant l’indivision, telles que la taxe foncière, les charges de copropriété ou encore les frais d’entretien du bien indivis, il bénéficie d’une créance en retour. Si, parallèlement, il est tenu de rapporter une dette à l’indivision, la compensation s’opérera entre ces flux financiers, et seul l’éventuel solde restant dû après imputation donnera lieu à allotissement.
  • Les améliorations apportées au bien indivis : l’indivisaire qui a financé des travaux d’amélioration d’un bien indivis peut prétendre à une créance compensatoire en raison de la plus-value générée. Si, en parallèle, il est redevable d’une indemnité d’occupation en raison d’un usage privatif du bien, la compensation interviendra avant toute répartition, prévenant ainsi un double prélèvement qui altérerait l’équilibre du partage.
  • Les avances consenties entre copartageants : lorsque l’un des indivisaires a avancé des sommes aux autres copartageants afin de faciliter la gestion de l’indivision, ces créances croisées peuvent également faire l’objet d’une compensation, dès lors qu’elles relèvent directement du compte d’indivision.

En pratique, les notaires procèdent souvent à l’établissement de comptes d’indivision permettant d’enregistrer ces créances et dettes et d’aboutir à un solde net avant le partage. Toutefois, contrairement au compte de récompenses en matière de régimes matrimoniaux (art. 1468 et 1470 C. civ.), ce compte demeure une simple faculté et ne constitue pas une exigence impérative.

Si le mécanisme de la compensation permet un partage de la masse indivise plus équitable, elle ne saurait s’appliquer sans restriction.

D’une part, les règles de prescription propres à chaque créance ou dette demeurent indépendantes du processus compensatoire. Contrairement à ce qu’avait jugé à tort une cour d’appel, la prescription d’une créance du copartageant ne peut être suspendue jusqu’au partage, ainsi que l’a rappelé la Cour de cassation dans son arrêt du 28 mars 2018 (Cass. 1?? civ., 28 mars 2018, n° 17-14.104). L’application de l’article 2224 du Code civil impose ainsi de veiller à ce que les droits des indivisaires ne se trouvent pas indûment prorogés par l’effet de la compensation.

D’autre part, la compensation ne s’impose que si ses conditions sont réunies, et ne peut être invoquée sur des créances incertaines ou encore soumises à des conditions suspensives non réalisées. Ainsi, la seule perspective d’une créance future ne saurait justifier une imputation immédiate, la jurisprudence ayant exclu une telle anticipation en matière de partage successoral.

Enfin, la compensation ne modifie pas l’ordre des allotissements et ne confère aucun droit préférentiel à l’indivisaire qui l’invoque. Elle permet seulement de garantir que son obligation nette, après imputation réciproque, soit équitablement répartie dans l’opération de partage.

4. Preuve des dettes rapportables

Le rapport des dettes, en ce qu’il constitue une modalité d’allotissement spécifique lors du partage, suppose que la dette invoquée contre un copartageant soit préalablement établie dans son principe et dans son montant. Cette exigence découle de la nécessité d’assurer une parfaite égalité entre les indivisaires et de prévenir toute imputation arbitraire d’une obligation sur l’un d’entre eux. Dès lors, la charge de la preuve repose naturellement sur celui qui sollicite le rapport de la dette.

La jurisprudence a admis que cette preuve peut être apportée par tous moyens (Cass. civ. 24 juill. 1918). Ce principe se justifie par la diversité des origines des dettes rapportables, qui peuvent découler d’actes contractuels, de quasi-contrats, d’obligations légales ou encore d’engagements informels entre le défunt et l’héritier concerné. Ainsi, la preuve d’une dette susceptible d’être alloti dans le partage peut résulter de documents écrits, d’attestations, d’éléments comptables ou encore d’un faisceau d’indices suffisamment précis et concordants permettant d’établir l’existence de l’obligation.

Toutefois, lorsque la dette provient de mouvements financiers opérés sur les comptes du défunt, la charge de la preuve connaît un aménagement. En présence de retraits effectués par un héritier mandataire disposant d’une procuration bancaire, il incombe à ce dernier de justifier l’usage des fonds prélevés. La Cour de cassation a fermement consacré cette règle dans un arrêt du 2 février 1999, précisant que le mandataire, tenu de rendre compte de sa gestion, doit démontrer que les sommes perçues ont été employées conformément aux intérêts du défunt et qu’elles ne constituent pas une dette susceptible d’être rapportée (Cass. 1ère civ., 2 févr. 1999, n°96-21.460). Ce renversement de la charge de la preuve s’explique par le devoir de transparence qui pèse sur le mandataire, lequel ne peut se contenter d’un simple silence ou d’un défaut de justification de la part des autres héritiers pour éluder ses responsabilités.

En outre, les juges du fond exercent un contrôle strict sur ces prélèvements, notamment lorsque leur montant excède les besoins habituels du défunt ou qu’ils ont été effectués dans des circonstances suspectes, en particulier à l’approche du décès. À défaut d’explication convaincante du mandataire, ces retraits peuvent être assimilés à des dettes rapportables, et leur imputation s’effectue alors sur sa part successorale.

5. Prescription des dettes rapportables

Le jeu du rapport des dettes trouve une limite dans l’effet de la prescription extinctive. Une dette qui s’est éteinte par l’effet de la prescription au jour du décès du défunt ne peut plus être imputée sur la part successorale de l’héritier débiteur, faute d’existence juridique. La Cour de cassation a réaffirmé ce principe dans un arrêt du 12 février 2020, précisant que le rapport ne peut porter que sur des obligations encore valides au moment du partage (Cass. 1?? civ. 12 févr. 2020, n°18-23.573).

L’extinction de la dette par prescription obéit aux règles de droit commun et s’apprécie selon la nature de l’obligation concernée. Depuis la réforme opérée par la loi du 17 juin 2008, le délai de prescription de droit commun est fixé à cinq ans (art. 2224 C. civ.), ce qui peut conduire à une extinction rapide des créances lorsque celles-ci n’ont pas fait l’objet de réclamations régulières. Dans la pratique successorale, cette brièveté du délai peut entraîner la perte du recours contre un copartageant débiteur si aucune reconnaissance de dette ou interruption de la prescription n’est intervenue avant le décès du créancier.

Toutefois, la prescription n’opère pas toujours une extinction pure et simple de la dette. Lorsque le créancier successoral – en l’occurrence, le défunt – s’est abstenu de réclamer le paiement, cette inaction peut être interprétée comme une volonté implicite de renoncer à son droit. En pareille hypothèse, la remise de dette constitue une libéralité indirecte, soumise aux règles du rapport des libéralités. L’article 843 du Code civil impose en effet aux héritiers gratifiés de rapporter à la succession les avantages qu’ils ont reçus du défunt pour assurer l’égalité entre les copartageants. Ainsi, si la remise de dette est jugée intentionnelle et gratuite, elle ne relève plus du rapport des dettes, mais de celui des libéralités, modifiant en conséquence le mode de règlement de l’indivision.

Enfin, la charge de la preuve de la prescription repose sur le copartageant débiteur. Celui qui entend se prévaloir de l’extinction de sa dette doit démontrer que le délai applicable était écoulé à la date du décès du défunt. En cas de contestation, la prescription ne sera opposable que si l’héritier débiteur parvient à établir qu’aucun acte interruptif ou suspensif n’a été accompli dans l’intervalle. À défaut, la dette reste due et peut faire l’objet d’un allotissement dans le partage.

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