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La faculté des coïndivisaires de mettre un terme à l’action en partage exercée par un créancier

L’article 815-17, alinéa 3, du Code civil confère aux créanciers personnels d’un indivisaire une faculté d’une portée exceptionnelle : celle de provoquer le partage au nom de leur débiteur ou d’intervenir dans le partage initié par ce dernier.

Ce mécanisme, qui participe de l’application de l’action oblique, repose sur la nécessité de préserver les droits des créanciers face à l’inertie de leur débiteur ou aux risques de fraude liés aux opérations de partage.

D’une part, les créanciers peuvent exercer une action en partage, par laquelle ils agissent directement pour mettre fin à l’indivision et obtenir ainsi le paiement de leur créance. Cette action permet de mobiliser les droits indivis pour transformer les actifs en valeurs liquidatives, souvent nécessaires pour désintéresser les créanciers. Ce droit, soumis à des conditions de fond et de forme, exige notamment une créance certaine, liquide et exigible, ainsi qu’une carence avérée du débiteur à agir.

D’autre part, de manière complémentaire, l’article 815-17, alinéa 3, prévoit que les coïndivisaires du débiteur disposent d’un moyen d’opposition : ils peuvent arrêter le cours de l’action en partage en acquittant eux-mêmes l’obligation au nom et en l’acquit du débiteur.

Cette faculté, qui relève d’une logique de solidarité entre indivisaires, leur permet de préserver l’indivision en désintéressant directement le créancier.

Toutefois, cette opposition suppose que les coïndivisaires acquittent intégralement la dette, faute de quoi le créancier conserve son droit à agir.

Les coïndivisaires qui exercent cette faculté se remboursent ensuite par prélèvement sur les biens indivis, conformément au texte. Ce mécanisme garantit un équilibre entre les droits des créanciers et la volonté des coïndivisaires de maintenir l’unité de l’indivision.

Ces deux prérogatives – l’action en partage et la faculté d’arrêt du cours de l’action – traduisent un subtil équilibre entre les droits des créanciers, la sauvegarde de l’indivision et la protection des coïndivisaires. Ce dispositif assure ainsi une conciliation efficace entre les impératifs de recouvrement et les principes fondamentaux de l’indivision.

Nous nous focaliserons ici sur la prérogative dévolue aux coïndivisaires.

L’article 815-17, alinéa 3, du Code civil confère aux coïndivisaires la faculté de mettre fin à une action en partage introduite par un créancier personnel d’un indivisaire.

Ce mécanisme repose sur un équilibre entre la préservation de l’indivision et la satisfaction des créanciers, en permettant aux coïndivisaires de désintéresser le créancier au nom et pour le compte du débiteur.

1. Principe

L’article 815-17, alinéa 3 du Code civil confère une faculté aux coïndivisaires : celle de mettre fin à l’action en partage introduite par un créancier personnel d’un indivisaire.

Ce texte prévoit en ce sens que les coïndivisaires du débiteur « peuvent arrêter le cours de l’action en partage en acquittant l’obligation au nom et en l’acquit du débiteur ».

Cette disposition vise à préserver l’intégrité de l’indivision, considérée comme un outil de gestion collective des biens indivis.

La faculté d’arrêter le cours de l’action en partage protège les indivisaires contre la dislocation forcée des biens indivis, qui pourrait compromettre des intérêts communs, tels que la conservation d’un patrimoine indivisible ou l’exploitation d’une entreprise familiale.

Cette faculté n’entrave pas les droits du créancier poursuivant, mais impose que sa créance soit intégralement réglée. Ainsi, l’équilibre est maintenu entre la protection de l’indivision et le droit au recouvrement du créancier.

2. Conditions

L’exercice de la faculté, prévue par l’article 815-17, alinéa 3, du Code civil, permettant aux coïndivisaires d’arrêter le cours de l’action en partage intentée par un créancier, est soumis à plusieurs conditions strictes, destinées à garantir à la fois la protection des droits du créancier et la préservation des intérêts des indivisaires.

a. Paiement intégral de la dette

Pour que les coïndivisaires puissent valablement exercer leur faculté d’arrêter le cours de l’action en partage, il leur est impératif de s’acquitter de l’intégralité de la créance due au créancier poursuivant.

Cette exigence repose sur une logique juridique implacable : tant que la créance n’est pas totalement éteinte, le créancier conserve son droit d’action sur le fondement de l’article 815-17, alinéa 3, du Code civil. Un paiement partiel, en ne supprimant qu’une fraction de la dette, laisse intact le statut de créancier, lequel demeure en droit de poursuivre l’action en partage pour le solde.

La nécessité d’un paiement intégral s’impose également pour prévenir toute forme de litige ultérieur. Si les coïndivisaires n’éteignent pas complètement la créance, des contestations pourraient surgir sur la part encore due, compliquant inutilement la procédure et menaçant l’équilibre de l’indivision.

Par ailleurs, un règlement partiel introduirait une instabilité en maintenant une créance résiduelle, laquelle continuerait de peser sur les droits des indivisaires et, in fine, sur l’ensemble de la masse indivise. En revanche, en réglant intégralement la dette, les coïndivisaires garantissent l’extinction totale de l’obligation et éteignent corrélativement le droit d’action du créancier en partage.

Toutefois, une controverse doctrinale est née sur la question de l’étendue exacte de cette obligation de paiement. Certains auteurs soutiennent que les coïndivisaires devraient pouvoir se limiter à verser une somme correspondant aux seuls droits de l’indivisaire débiteur dans l’indivision. Une telle approche, disent-ils, reflèterait mieux le lien entre la créance du créancier et la part indivise du débiteur.

D’autres, à l’inverse, considèrent que le paiement doit porter sur l’intégralité de la dette, quelle que soit sa proportion par rapport aux droits indivis de l’indivisaire débiteur. Cette position s’appuie sur le caractère indivisible de la créance, qui ne saurait être fragmentée selon les parts respectives des indivisaires.

La jurisprudence a tranché en faveur de la seconde thèse, imposant un paiement intégral (V. en ce sens CA Versailles 21 mars 1983). Cette solution se justifie par plusieurs considérations qui traduisent l’équilibre délicat entre les droits des créanciers et la préservation de l’indivision.

D’abord, en raison du principe d’unité de la créance, celle-ci ne saurait être morcelée au gré des parts indivises.

Ensuite, un règlement de l’intégralité de la créance fait obstacle à toute résurgence du droit d’action du créancier et préserve ainsi la stabilité de l’indivision.

Enfin, il s’agit là de renforcer la solidarité entre les coïndivisaires. En unissant leurs efforts pour désintéresser le créancier, les indivisaires contribuent à maintenir l’intégrité de l’indivision et à éviter sa rupture forcée.

b. Connaissance précise du montant de la dette

L’exercice de la faculté d’arrêter le cours d’une action en partage par le paiement de la créance est subordonné à la satisfaction d’une condition essentielle : la connaissance précise du montant de la dette.

Ce principe découle directement de l’article 815-17, alinéa 3, du Code civil, qui impose que le paiement effectué par les coïndivisaires soit suffisant pour éteindre totalement la créance. À défaut, leur droit d’arrêter l’action en partage ne peut être valablement exercé, et le partage lui-même ne peut être ordonné.

Dans un arrêt fondateur du 20 décembre 1993, la Cour de cassation a affirmé que les coïndivisaires ne peuvent mettre en œuvre leur faculté sans disposer d’une connaissance exacte du montant de la dette à acquitter (Cass. 1ère civ., 20 déc. 1993, n° 92-11.189).

En l’espèce, l’indivisaire débiteur était en liquidation judiciaire, et le créancier avait initié une action en partage. Les coïndivisaires, invoquant leur droit de maintenir l’indivision, avaient manifesté leur intention de s’acquitter de la dette au nom du débiteur.

Toutefois, en l’absence d’une décision définitive d’admission de la créance au passif de la liquidation, ils n’étaient pas en mesure de déterminer avec précision le montant de la dette à payer.

La Haute juridiction a censuré la décision de la cour d’appel, qui avait ordonné le partage malgré cette incertitude, en rappelant que le partage ne peut être prononcé tant que le montant de la créance demeure incertain. Cette position a été réaffirmée dans des décisions ultérieures (V. notamment Cass. 1re civ., 22 juin 1999, n°96-22.454)).

Bien que la connaissance du montant exact de la créance soit une condition sine qua non pour arrêter l’action en partage, les coïndivisaires ne peuvent, en revanche, contester la validité ou le montant de la créance pour laquelle le créancier agit.

Cette règle a été énoncée dans un arrêt de la cour d’appel de Paris du 27 mai 1987, selon lequel les dispositions de l’article 815-17, alinéa 3, ne permettent pas aux coïndivisaires d’exercer un contrôle sur la créance invoquée par le créancier poursuivant, mais uniquement de l’acquitter telle qu’elle résulte des titres produits (CA Paris, 27 mai 1987).

L’absence de possibilité de contestation de la créance invoquée signifie que le paiement effectué par les coïndivisaires s’inscrit dans une logique purement libératoire : ils ne se substituent pas au débiteur en qualité de créanciers du créancier initial, mais mettent fin à l’obligation par un règlement effectif.

c. Exercice de la faculté avant la fin du partage

L’exercice de la faculté permettant aux coïndivisaires de mettre un terme à l’action en partage intentée par un créancier personnel, bien qu’importante pour préserver l’unité de l’indivision, doit être exercée avant que le partage ne soit définitivement consommé.

Une fois celui-ci arrêté ou validé, les coïndivisaires perdent irrévocablement leur droit d’intervenir pour suspendre le cours de l’action engagée.

Cette exigence découle de la nature même du partage, qui, une fois définitivement acté, produit des effets irrévocables, notamment l’individualisation des droits des anciens indivisaires.

3. Effets

Le paiement réalisé par l’indivisaire solvens aux fins d’arrêter le cours de l’action en partage produit plusieurs effets.

a. Extinction de l’action en partage

Le premier effet notable de l’exercice de cette faculté est l’extinction immédiate du droit du créancier de poursuivre l’action en partage.

Une fois désintéressé par le paiement intégral de sa créance, le créancier perd toute possibilité de demander le partage de l’indivision.

Ce mécanisme offre aux coïndivisaires une voie efficace pour préserver l’unité de l’indivision face aux revendications d’un créancier personnel.

b. Exclusion de la subrogation

Une autre conséquence importante de l’exercice de la faculté d’empêcher le partage réside dans l’absence de subrogation du solvens dans les droits du créancier désintéressé.

Contrairement à ce qui pourrait être attendu du paiement de la dette d’autrui, le règlement effectué par le solvens ne le place pas dans la position du créancier initial.

Il est, en effet, de principe que lorsqu’une personne paie la dette d’un tiers, elle est subrogée dans les droits du créancier initial, lui permettant de bénéficier des garanties et privilèges attachés à la créance originelle.

Toutefois, dans le cadre particulier de l’indivision, ce mécanisme de subrogation est exclu. Le paiement effectué par le solvens éteint la créance du créancier initial et donne naissance à une créance nouvelle, dirigée non contre l’indivisaire débiteur, mais contre l’indivision elle-même.

Ainsi, le solvens, bien qu’ayant désintéressé le créancier, ne peut revendiquer ni les privilèges attachés à la créance originelle ni les garanties qui l’accompagnaient. Par exemple, s’il s’agissait d’une créance assortie d’une hypothèque ou d’un nantissement, ces sûretés ne sont pas transférées au solvens. Ce dernier est uniquement habilité à exercer un droit de prélèvement sur les biens indivis lors du partage, conformément aux dispositions légales.

Cette exclusion de la subrogation s’inscrit dans une logique de préservation de l’équilibre au sein de l’indivision. En empêchant le solvens de revendiquer des droits supérieurs à ceux conférés par le prélèvement, le législateur garantit que l’intervention du solvens ne bouleverse pas la répartition des droits entre coïndivisaires.

Enfin, cette règle protège également les autres indivisaires contre d’éventuels abus. Si le solvens était subrogé dans les droits du créancier initial, il pourrait exercer une pression disproportionnée sur l’indivisaire débiteur ou revendiquer des garanties exorbitantes au détriment de l’équilibre général de l’indivision. L’exclusion de la subrogation empêche de telles dérives, tout en assurant que le droit de prélèvement reste ancré dans les principes de solidarité et de justice collective propres au régime de l’indivision.

c. Octroi d’un droit de prélèvement

==>Principe du droit de prélèvement

Le droit de prélèvement est une conséquence essentielle de l’exercice, par les coïndivisaires, de leur faculté de désintéresser un créancier personnel d’un indivisaire.

Prévu à l’article 815-17, alinéa 3, du Code civil, ce droit reflète l’esprit solidaire du régime de l’indivision, en affirmant que le remboursement du solvens s’effectue non pas contre le débiteur qu’il a désintéressé, mais contre l’indivision elle-même.

==>Objet du droit de prélèvement

Le droit de prélèvement confère au solvens, c’est-à-dire l’indivisaire ayant désintéressé un créancier personnel, la faculté de recouvrer les sommes qu’il a avancées en prélevant sur les biens indivis.

Ce mécanisme, expressément prévu à l’article 815-17, alinéa 3, du Code civil, illustre la spécificité du régime de l’indivision, où les droits et obligations des indivisaires s’ancrent dans une solidarité patrimoniale collective, transcendant les relations individuelles.

Contrairement à la logique sous-tendant un droit de créance qui serait dirigé contre la quote-part de l’indivisaire débiteur, le prélèvement opéré par le solvens s’étend à l’ensemble des biens indivis. Cette caractéristique garantit au solvens une assise patrimoniale large, lui permettant de recouvrer sa créance sans être limité à la part théorique du débiteur dans l’indivision.

Aussi, en théorie, le droit de prélèvement peut s’exercer sur tout bien indivis, qu’il s’agisse de fonds ou de biens en nature. Cependant, en pratique, cette faculté peut soulever des difficultés. Si le solvens choisit un bien dont la valeur excède celle de sa créance, cela pourrait déséquilibrer l’indivision au détriment des autres indivisaires. Une telle situation nécessiterait alors le versement d’une soulte par le solvens afin de compenser l’écart et rétablir l’équilibre patrimonial entre les coïndivisaires.

Cette exigence de compensation trouve sa justification dans la volonté de prévenir tout abus de droit. Autoriser un solvens à prélever un bien indivis d’une valeur disproportionnée reviendrait à lui accorder un privilège excessif, notamment en matière de choix des biens. Cela pourrait également engendrer des conflits si plusieurs indivisaires ayant désintéressé des créanciers prétendaient exercer leur droit sur le même bien.

Afin d’éviter de tels déséquilibres, il est généralement admis que le prélèvement doit être limité aux biens indivis dont la valeur correspond précisément à la somme avancée par le solvens. Cette restriction, bien qu’évidente en droit, impose une rigueur dans l’exécution du prélèvement pour garantir une répartition équitable des biens lors de la liquidation de l’indivision.

==>Moment de l’exercice du droit de prélèvement

Le droit de prélèvement s’exerce exclusivement lors du partage, c’est-à-dire au moment de la liquidation définitive de l’indivision.

Contrairement aux créanciers de l’indivision mentionnés à l’article 815-17, alinéa 1, qui bénéficient d’un privilège d’antériorité pour être désintéressés sur l’actif avant le partage, le solvens ne peut réclamer un remboursement anticipé.

Cette règle garantit que les créanciers prioritaires soient désintéressés avant que le solvens ne puisse exercer son droit de prélèvement.

En cantonnant le prélèvement au moment du partage, la loi évite tout déséquilibre entre les droits des créanciers et ceux des coïndivisaires.

Elle protège également la stabilité de la masse indivise en préservant l’intégrité des biens indivis jusqu’à leur liquidation.

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