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Prime d’assurance : les modes de paiement

Le paiement de la prime est au cœur du contrat d’assurance : sans lui, il n’y a pas de garantie. En principe, la dette doit être acquittée en argent, conformément au droit commun, mais la pratique a progressivement diversifié les moyens de règlement. L’article L. 113-3, alinéa 1er, du Code des assurances fixe le cadre en disposant que la prime est payable en numéraire au domicile de l’assureur ou de son mandataire. Autour de ce principe se sont greffées diverses modalités pratiques — chèque, virement, prélèvement automatique ou encore paiement dématérialisé — dont la validité et les effets ont été précisés par la jurisprudence.

1. Paiement en numéraire et instruments assimilés

Le paiement en espèces demeure possible, mais dans les limites posées par le Code monétaire et financier (C. mon. fin., art. L. 112-3 et L. 112-6). À côté des espèces, la pratique a admis les virements bancaires, prélèvements automatiques, paiements par carte ou par monnaie électronique. La jurisprudence est même allée jusqu’à reconnaître la validité d’un paiement par apport de titres en assurance-vie (Cass. 1re civ., 9 juill. 2015, n°14-22.117).

2. Le paiement par chèque

Le chèque est l’instrument de paiement qui a suscité le plus grand nombre de discussions en droit des assurances.

En vertu de l’article 62 du décret-loi du 30 octobre 1935, toujours en vigueur, « la remise d’un chèque ne vaut pas paiement » tant qu’il n’a pas été effectivement encaissé. Le paiement n’est donc parfait qu’au moment du crédit du compte du bénéficiaire.

La Cour de cassation a d’abord admis, à titre exceptionnel, que la remise d’un chèque puisse valoir paiement immédiat lorsqu’elle traduit sans équivoque la volonté de l’assuré de s’exécuter (Cass. 1re civ., 2 déc. 1968, n° 66-12.727). Cette solution, protectrice de l’assuré, a cependant été abandonnée. La position actuelle est claire : la remise d’un chèque « ne vaut paiement que sous la condition de son encaissement » (Cass. 1re civ., 4 avr. 2001, n° 99-14.927).

Cette règle connaît encore des tempéraments. Lorsque le chèque revient impayé faute de provision, l’assureur peut se prévaloir de l’absence de paiement. Toutefois, s’il a délivré une attestation de garantie en connaissance de cause, il demeure tenu d’indemniser l’assuré : il ne peut se prévaloir de la nullité du paiement (Cass. 1re civ., 25 oct. 1994, n° 92-15.857).

Inversement, si la police d’assurance stipule expressément que la garantie n’est acquise qu’après encaissement effectif de la prime, la Cour de cassation considère qu’il s’agit d’une véritable condition suspensive : tant que le chèque n’est pas encaissé, la garantie n’est pas déclenchée (Cass. crim., 17 janv. 1996, n°95-80.847).

La détermination de la date du paiement a également fait débat. Selon la Cour de cassation, la date du paiement est présumée être celle portée sur le chèque, sauf preuve contraire (Cass. 1re civ., 11 déc. 1990, n° 88-12.716). Cette solution, favorable à l’assuré, a toutefois été critiquée car elle peut encourager la pratique des chèques antidatés.

Enfin, comme tout instrument de paiement, le chèque doit respecter les conditions légales de forme prévues à l’article L. 131-2 du Code monétaire et financier. Ainsi, un chèque non daté est nul et ne saurait libérer l’assuré de son obligation (Rép. min., JO Sénat, 11 sept. 2008, p. 1826).

3. Le paiement par compensation

Le droit des assurances admet que la prime puisse être réglée par le jeu de la compensation légale, régie par les articles 1347 et suivants du Code civil (anciens art. 1289 et s.).

==>Principe et conditions

La compensation, en matière d’assurance, ne peut jouer que si les conditions de droit commun posées par les articles 1347 et suivants du Code civil (ancien art. 1289 et s.) sont réunies : dettes réciproques, certaines, liquides et exigibles.

Tel était précisément l’enjeu de l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 13 février 1979. Le souscripteur, qui avait contracté une police d’assurance incendie, avait refusé de régler la prime échue en soutenant que son montant devait être imputé sur une créance d’indemnité qu’il prétendait détenir au titre d’un autre contrat « responsabilité civile ». Mis en demeure par l’assureur, celui-ci refusa sa garantie en raison du non-paiement de la prime, ce qui donna lieu à contentieux. Devant la Cour d’appel, le souscripteur opposait l’exception de compensation, soutenant que la prime pouvait être éteinte par imputation sur une indemnité de 880 francs, correspondant à la perte d’une selle de cheval, qu’il estimait devoir recevoir de l’assureur.

La Haute juridiction rejette cependant son pourvoi : elle relève que la créance invoquée par le souscripteur — indemnisation de la perte d’une selle de cheval — n’était ni certaine, ni liquide, ni exigible, dès lors que l’assureur l’avait expressément contestée. Faute de remplir les conditions légales, aucune compensation ne pouvait s’opérer avec la dette de prime.

L’enseignement de cet arrêt est double :

  • En principe, lorsque le bénéficiaire de l’indemnité est le souscripteur lui-même, tenu au paiement des primes, la compensation peut jouer dès lors que l’indemnité due présente les caractères requis de certitude, liquidité et exigibilité. Elle éteint alors de plein droit les obligations à due concurrence.
  • En pratique, la compensation sera fréquemment écartée lorsque la créance d’indemnité est encore contestée ou incertaine, comme en l’espèce. L’assureur ne peut être contraint d’accepter une compensation fondée sur une créance hypothétique.

Ainsi, l’arrêt Valette illustre à la fois la possibilité théorique de compenser dette de prime et indemnité d’assurance dans le rapport bilatéral assureur/souscripteur, et la vigilance du juge dans la vérification des conditions strictes posées par le Code civil.

==>Évolutions jurisprudentielles

Pendant longtemps, la jurisprudence a admis que l’assureur puisse retenir le montant des primes impayées sur l’indemnité due, même si le bénéficiaire n’était pas le souscripteur. Les assureurs se fondaient sur l’article L. 112-6 du Code des assurances, qui les autorise à opposer au porteur de police ou au tiers invoquant le bénéfice du contrat les exceptions opposables au souscripteur originaire.

Sur ce fondement, ils déduisaient les primes impayées de l’indemnité due au bénéficiaire, qu’il s’agisse d’un créancier nanti, d’un bénéficiaire d’assurance pour compte ou même d’une victime en assurance de responsabilité. La Cour de cassation avait validé cette pratique (Cass. 1re civ., 4 oct. 1989, n° 87-13.846).

Toutefois, un revirement majeur est intervenu avec un arrêt rendu par la première chambre civile le 31 mars 1993 (Cass. 1re civ., 31 mars 1993, n° 91-13.637). Les faits étaient les suivants : à la suite d’un accident de la circulation dont avait été victime une passagère, ses ayants droit ont exercé l’action directe contre l’assureur de responsabilité du conducteur et de son employeur, afin d’obtenir l’indemnisation de leur préjudice.

Devant la juridiction du fond, l’assureur avait invoqué le non-paiement par l’assuré d’une prime trimestrielle et prétendait opérer la compensation entre cette créance et l’indemnité due à la victime. La cour d’appel avait accueilli cette prétention, au motif que, selon l’article L. 112-6 du Code des assurances, l’assureur peut opposer au porteur de la police ou au tiers qui en invoque le bénéfice les exceptions opposables au souscripteur originaire, et que l’exception de compensation ne figurait pas dans la liste limitative de l’article R. 211-13 du même code des exceptions inopposables à la victime.

La Cour de cassation censure ce raisonnement. Après avoir rappelé, d’une part, qu’aux termes de l’article 1289 du Code civil, la compensation ne s’opère qu’entre deux personnes réciproquement débitrices, et, d’autre part, qu’en vertu de l’article L. 112-6 du Code des assurances, l’assureur ne peut opposer au tiers que les exceptions recevables contre le souscripteur, elle affirme clairement que « cette disposition n’autorise pas l’assureur de responsabilité à déduire de l’indemnité due à la victime le montant des primes échues à la date du sinistre et non réglées ».

En conséquence, la Haute juridiction casse l’arrêt attaqué, en jugeant que les victimes, exerçant l’action directe contre l’assureur, n’étaient pas débitrices de ce dernier et ne pouvaient donc se voir opposer la créance de primes détenue contre l’assuré. La compensation est ainsi refusée.

L’enseignement est déterminant : si, dans les rapports internes entre l’assureur et le souscripteur, la compensation peut valablement jouer sous réserve des conditions de certitude, liquidité et exigibilité de la créance, elle demeure inopposable aux tiers victimes. Ces dernières bénéficient d’une créance autonome, issue de l’action directe, qui ne saurait être réduite par les manquements contractuels de l’assuré.

==>Limites et inopposabilité aux tiers

Ce revirement, motivé par la finalité protectrice de l’action directe (C. assur., art. L. 124-3), a une portée au-delà de la seule victime. La doctrine estime qu’il s’applique également :

  • aux créanciers privilégiés ou hypothécaires, bénéficiaires d’une assurance de choses;
  • au tiers bénéficiaire d’une assurance pour compte, qui ne saurait être pénalisé par le défaut de paiement des primes par le souscripteur.

En pratique, la compensation est donc limitée au rapport bilatéral entre assureur et assuré, et devient inopposable aux bénéficiaires tiers, quels que soient leurs droits sur l’indemnité.

==>Applications particulières en cas d’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire

Une application spécifique du mécanisme de compensation se rencontre en cas de liquidation judiciaire d’un assureur, notamment lorsqu’elle résulte d’un retrait d’agrément. En principe, l’article L. 622-7 du Code de commerce autorise la compensation des dettes connexes, même si l’une est née avant l’ouverture de la procédure collective et l’autre après. Cependant, la Cour de cassation a précisé que ce principe connaît une limite particulière en matière d’assurance, en raison du régime instauré par l’article L. 326-12 du Code des assurances (Cass. 1re civ., 29 mai 2013, n° 11-28.819).

Dans l’affaire jugée le 29 mai 2013, un assuré avait souscrit un contrat d’assurance automobile auprès d’une mutuelle qui avait ensuite fait l’objet d’un retrait d’agrément et d’une liquidation judiciaire. L’assuré contestait le paiement de la prime annuelle échue, en invoquant la compensation avec la fraction de prime correspondant à la période de non-garantie postérieure au retrait d’agrément.

La première chambre civile rejette cet argument. Elle rappelle d’abord que, selon l’article L. 326-12 du Code des assurances, en cas de retrait d’agrément :

  • les contrats cessent de plein droit d’avoir effet le quarantième jour à midi suivant la publication de la décision au Journal officiel ;
  • les primes échues et non payées avant la décision de retrait demeurent dues en totalité, mais ne sont définitivement acquises à l’assureur que proportionnellement à la période garantie jusqu’au jour de la résiliation ;
  • les primes échues entre la décision de retrait et la résiliation ne sont dues que proportionnellement à la période garantie.

De ce rapprochement, la Haute juridiction déduit une règle restrictive : l’exception de compensation entre dettes connexes prévue par l’article L. 622-7 du Code de commerce n’est opposable, en cas de retrait d’agrément, que pour les cotisations échues pendant le délai de quarante jours séparant ce retrait de la résiliation automatique du contrat.

En l’espèce, la prime annuelle était déjà échue au jour du retrait d’agrément de l’assureur. L’assuré ne pouvait donc invoquer la compensation avec la créance de restitution d’une fraction de prime non consommée. Celle-ci, comme le souligne la Cour, « n’est remboursable que dans la limite de l’actif disponible après liquidation ».

Ainsi, l’arrêt de 2013 confirme que la compensation est strictement encadrée en matière de liquidation d’assureur :

  • les primes échues avant le retrait d’agrément sont intégralement exigibles,
  • les primes échues pendant le délai de quarante jours peuvent donner lieu à compensation,
  • et la restitution des fractions de primes non courues est subordonnée à la disponibilité de l’actif liquidatif, sans possibilité de compenser avec les dettes antérieures de l’assuré.

En définitive, la compensation demeure un mode de paiement efficace mais circonscrit :

  • elle fonctionne pleinement lorsque l’assuré est lui-même bénéficiaire de l’indemnité ;
  • elle est exclue à l’égard des bénéficiaires tiers, protégés par l’autonomie de leurs droits ;
  • elle connaît des règles particulières en cas de liquidation judiciaire de l’assureur.

Ce régime témoigne d’une volonté d’équilibrer les intérêts : d’un côté, l’assureur peut se prémunir contre l’insolvabilité de son assuré en retenant l’indemnité ; de l’autre, les bénéficiaires tiers voient leurs droits sauvegardés, à l’abri des défaillances contractuelles de l’assuré.

4. Le paiement par l’intermédiaire

Le règlement de la prime peut être effectué non pas directement entre les mains de l’assureur, mais par l’intermédiaire d’un professionnel de la distribution. La validité de ce paiement dépend alors de la qualité de l’intermédiaire et du mandat dont il dispose.

==>L’agent général : mandataire de l’assureur

L’agent général d’assurance est investi, en vertu de son statut, d’un mandat permanent et légalement reconnu de représentation de l’assureur. En conséquence, le paiement effectué entre ses mains est réputé valablement libératoire pour l’assuré, même en l’absence de stipulation expresse. Ce mandat légal d’encaissement justifie la sécurité juridique accordée au souscripteur qui s’acquitte de sa dette auprès de l’agent.

==>Le courtier : mandataire du souscripteur

À l’inverse, le courtier est traditionnellement qualifié de mandataire de l’assuré. Dès lors, le versement d’une prime entre ses mains ne libère pas le souscripteur vis-à-vis de l’assureur, sauf hypothèse particulière.

La jurisprudence admet en effet que le paiement au courtier puisse néanmoins produire un effet libératoire dans deux cas :

  • lorsqu’il est muni d’un mandat exprès d’encaissement conféré par l’assureur ;
  • lorsqu’un mandat apparent peut être retenu, c’est-à-dire lorsque le comportement de l’assureur a pu légitimement faire croire à l’assuré que le courtier disposait du pouvoir d’encaisser la prime (Cass. 1re civ., 9 mai 1996, n° 93-21.642).

==>Conséquences en cas d’absence de pouvoir

En dehors de ces hypothèses, l’assuré demeure débiteur de la prime envers l’assureur, même s’il a déjà remis les fonds au courtier. Ce dernier engage alors sa responsabilité propre vis-à-vis de son client, mais l’assureur conserve son droit d’exiger le paiement. La protection de l’assuré se trouve donc conditionnée à la qualification du mandat et à la vigilance des juridictions dans la mise en œuvre de la théorie du mandat apparent.

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