Le paiement de la prime occupe une place centrale dans l’économie du contrat d’assurance. Si la prime est généralement définie comme le prix du risque transféré à l’assureur, elle constitue surtout l’obligation essentielle de l’assuré, en contrepartie de la garantie de couverture. Alors que l’assureur n’est tenu d’exécuter sa prestation que si le risque se réalise, l’assuré doit s’acquitter d’une dette certaine et exigible, indépendamment de toute occurrence aléatoire. Cette dissymétrie confère à l’obligation de paiement une importance singulière : elle conditionne la validité et l’efficacité du contrat.
L’exigence est d’autant plus forte que la prime n’est pas une prestation purement individuelle: elle participe au financement d’un mécanisme collectif de mutualisation. Par le paiement, chaque assuré contribue à un fonds commun destiné à indemniser les sinistres de la collectivité. La régularité et la rigueur du paiement ne sont donc pas seulement une exigence contractuelle ; elles répondent également à une logique économique et sociale de solidarité.
Conscient de cet enjeu, le législateur a organisé autour du paiement de la prime un régime juridique spécifique et impératif. Les articles L. 113-2 et L. 113-3 du Code des assurances définissent respectivement l’obligation de payer et les conditions de son exigibilité, en fixant des règles de forme et de délai dont la méconnaissance est sanctionnée avec sévérité. La jurisprudence veille, quant à elle, à rappeler que l’assureur ne peut invoquer la suspension ou la résiliation qu’à la condition de respecter strictement ces prescriptions. La doctrine souligne ainsi que le paiement de la prime est le pivot de la relation contractuelle : sans prime, il n’y a pas de couverture ; sans couverture, le contrat perd son objet.
Nous nous focaliserons ici sur les parties intéressées au paiement de la prime.
A. Le débiteur de la prime
==>Principe
L’identification du débiteur de la prime appelle d’abord à rappeler que, si l’article L. 113-2, 1° du Code des assurances met à la charge de l’« assuré » l’obligation de payer la prime ou cotisation, le véritable débiteur est en réalité le souscripteur du contrat. L’assimilation opérée par le texte ne vaut que dans les hypothèses simples où assuré et souscripteur se confondent ; mais dès que le contrat bénéficie à un tiers, le droit positif distingue clairement celui qui souscrit de celui qui est assuré. La jurisprudence le souligne avec constance : c’est le souscripteur, et lui seul, qui est tenu au paiement de la prime, peu important que le contrat ait été conclu pour le compte d’autrui (Cass. 1re civ., 18 juill. 1977).
==>Assurance pour compte
Cette solution est particulièrement nette dans les assurances pour compte. Conformément à l’article L. 112-1 du Code des assurances, l’assuré pour compte n’est tenu à aucune obligation envers l’assureur, sauf stipulation expresse contraire. Le débiteur reste donc le souscripteur, lequel agit comme contractant unique à l’égard de l’assureur. La Cour de cassation n’a eu de cesse de rappeler ce principe, excluant toute possibilité pour l’assureur d’agir directement contre l’assuré bénéficiaire pour le recouvrement des primes (TI Orléans, 30 juin 1987, RGAT 1988, p. 27).
Encore faut-il relever que la qualité de débiteur peut être transférée par le jeu des stipulations contractuelles. Lorsque le contrat prévoit expressément que la prime sera supportée par un tiers, tel le locataire dans une assurance souscrite par le bailleur, c’est vers ce tiers que l’assureur peut se tourner, et la mise en demeure doit lui être directement adressée (Cass. 1re civ., 17 juin 1986). Le même raisonnement vaut dans le cadre de la vie conjugale : l’article 220 du Code civil instaure une solidarité entre époux pour les dettes contractées dans l’intérêt du ménage. La jurisprudence en a déduit que chacun des conjoints peut être recherché pour le paiement des primes d’assurance habitation, et ce même en cas de séparation de fait ou d’attribution du logement à l’un d’eux (Cass. 1re civ., 20 nov. 2001, n° 99-17.329).
==>Les mandataires
La question du débiteur se complique encore lorsque le paiement est effectué par l’intermédiaire d’un mandataire. Le courtier, souvent chargé de collecter les primes, n’est pas personnellement tenu à leur règlement : son rôle consiste à exécuter le mandat reçu, sans qu’il doive avancer les fonds en cas de carence du souscripteur (Cass. 1re civ., 15 nov. 1988, n° 87-10.069). Toutefois, l’article R. 113-1 du Code des assurances autorise que la mise en demeure soit valablement adressée à ce mandataire, ce qui montre que la loi reconnaît son rôle opérationnel sans pour autant lui attribuer la qualité de débiteur.
==>Tiers intéressé
Il importe aussi de souligner que le paiement peut être valablement exécuté par un tiers intéressé sans que celui-ci devienne débiteur. L’article 1342-1 du Code civil dispose que «l’obligation peut être acquittée par une personne qui n’y est pas tenue », sauf refus légitime du créancier. Cette faculté se rencontre fréquemment en assurance, par exemple lorsque le bénéficiaire du contrat ou le créancier hypothécaire de la chose assurée règle les primes pour éviter la suspension de la garantie. Le mécanisme est d’ailleurs consacré en assurance-vie, l’article L. 132-19 du Code des assurances précisant que « tout intéressé peut se substituer au contractant pour payer les primes ». La jurisprudence a toutefois jugé que l’assureur n’est pas tenu d’avertir ces tiers en cas de défaut de paiement, sauf clause contraire (Cass. 1re civ., 28 avr. 1993, n° 91-15.709).
==>Ayants droit
Le débiteur de la prime peut également être désigné par le jeu de la transmission légale du contrat. En vertu de l’article L. 121-10 du Code des assurances, l’assurance est transmise de plein droit aux héritiers ou à l’acquéreur de la chose assurée, qui deviennent ipso facto redevables des primes à compter de la mutation. La Cour de cassation l’a affirmé à plusieurs reprises, notamment à propos de la transmission d’un fonds de commerce : le paiement des primes constitue un effet automatique de la cession et non une condition préalable de la continuation du contrat (Cass. 2e civ., 24 oct. 2019, n° 18-15.994).
==>Assurances vie
Enfin, l’assurance-vie introduit une spécificité notable. L’article L. 132-20 du Code des assurances interdit à l’assureur d’agir en exécution forcée pour obtenir le paiement des primes : le défaut de règlement n’entraîne pas contrainte mais réduction ou résiliation du contrat. Seul un régime particulier explique cette exception, dictée par la nature même de l’assurance-vie et sa fonction d’épargne. Cependant, lorsque le contrat combine une garantie en cas de vie et une garantie de dommages, l’article L. 113-3 retrouve application et la prime redevient exigible dans les conditions de droit commun (Cass. 2e civ., 4 oct. 2012, n°11-19.431).
B. Le créancier de la prime
En principe, le créancier de la prime est exclusivement l’assureur. C’est lui seul qui, en vertu du contrat, a droit au versement de la cotisation destinée à financer la couverture du risque. Le Code des assurances ne laisse aucune ambiguïté sur ce point : la prime est due à l’entreprise d’assurance, laquelle en est seule propriétaire. Toutefois, dans la pratique, l’encaissement est assuré par des intermédiaires, ce qui impose de préciser dans quelle mesure le paiement effectué entre leurs mains libère valablement le souscripteur.
==>Paiement portable
Depuis la loi du 30 novembre 1966, et plus encore depuis l’abrogation de l’article R. 113-5 du Code des assurances par le décret du 22 décembre 1992, la prime est réputée « portable » et non plus « quérable ». Autrement dit, c’est au débiteur d’accomplir les diligences nécessaires pour porter son paiement au créancier, en se présentant au siège social de l’entreprise d’assurance, dans ses directions ou délégations, mais aussi, le cas échéant, chez ses mandataires régulièrement habilités, tels les agents généraux. Cette évolution rompt avec la règle de droit commun selon laquelle toute dette est quérable (C. civ., art. 1342, anc. art. 1247), pour tenir compte de la spécificité d’une entreprise ayant à percevoir des milliers de primes auprès d’autant de clients.
==>Situation des agents généraux
L’agent général est, par nature, mandataire de la société d’assurance qu’il représente. Le paiement effectué entre ses mains est donc pleinement libératoire, le mandat d’encaissement découlant de sa qualité même de représentant légalement reconnu de l’entreprise. Ainsi, tout versement réalisé auprès de l’agent engage directement l’assureur et décharge le souscripteur de son obligation, même si, en pratique, les fonds ne sont pas encore remontés au siège de la compagnie.
==>Situation du courtier
Le courtier se distingue fondamentalement de l’agent général : il est traditionnellement considéré comme le mandataire de l’assuré, et non de l’assureur. Par conséquent, le paiement effectué entre ses mains n’est pas, en principe, libératoire pour le souscripteur. Il ne le devient que si le courtier dispose d’un mandat exprès d’encaissement donné par l’assureur, ou si le souscripteur peut invoquer la théorie du mandat apparent.
La jurisprudence affirme avec constance que le paiement effectué entre les mains d’un intermédiaire n’est libératoire que si celui-ci a reçu un mandat exprès de l’assureur ou qu’il existe un mandat apparent. À défaut, l’assureur ne peut être contraint à restituer les fonds que le courtier aurait détournés, dès lors qu’ils n’ont jamais été effectivement perçus par lui.
C’est précisément ce qu’a jugé la première chambre civile dans un arrêt de principe (Cass. 1re civ., 9 mai 1996, n° 93-21.642). En l’espèce, une assurée avait remis un chèque de 400 000 francs à un agent général qui représentait une compagnie, mais qui avait agi, pour la souscription litigieuse, comme courtier auprès d’une autre société d’assurance, sans mandat de celle-ci. La Cour a approuvé la cour d’appel d’avoir retenu que :
- l’assuré qui se libère entre les mains d’un courtier supporte la charge de prouver le caractère libératoire de son paiement ;
- en l’occurrence, l’intermédiaire n’avait reçu aucun mandat d’encaissement de la compagnie en cause ;
- le bulletin de souscription stipulait en caractères apparents que le règlement devait être effectué « obligatoirement à l’ordre » de ladite compagnie ;
- il n’existait pas de mandat apparent susceptible de tromper légitimement l’assuré.
En conséquence, la Cour de cassation a jugé que l’assureur ne pouvait être tenu de rembourser le montant de la prime détournée par l’intermédiaire, la somme n’ayant jamais été encaissée par lui.
A cet égard, l’assuré ne peut être libéré qu’en démontrant l’existence d’un mandat apparent, c’est-à-dire en prouvant qu’il avait légitimement cru à l’existence d’un pouvoir d’encaissement, sur le fondement d’indices objectifs. La Cour de cassation admet ainsi la libération lorsqu’un avis d’échéance portait la raison sociale du courtier, donnant ainsi l’apparence d’un pouvoir d’encaissement (Cass. 1re civ., 7 juin 1995, n° 93-14.515). Mais inversement, elle exclut toute apparence lorsque le bulletin d’adhésion, signé par le souscripteur, stipulait expressément que les règlements devaient être libellés à l’ordre de la compagnie (Cass. 1re civ., 9 mai 1996, n° 93-21.642).
Enfin, lorsqu’il est effectivement chargé du paiement, le courtier doit transmettre les primes à l’assureur dans un délai déterminé. Il s’agit d’une obligation de résultat, dont la violation engage sa responsabilité civile. La deuxième chambre civile l’a rappelé à propos d’un courtier qui avait imputé par erreur un règlement sur un autre compte, laissant l’assuré sans couverture effective et l’exposant à des sanctions pour défaut d’assurance (Cass. 2e civ., 11 juin 2015, n° 14-21.412). Le manquement du courtier ne transfère pas la dette, mais ouvre droit à réparation en raison de la perte de garantie subie par l’assuré.
==>Conséquences pratiques
Cette rigueur jurisprudentielle s’explique par la volonté de protéger l’assureur contre des paiements indus, mais elle place l’assuré dans une position délicate, en l’obligeant à distinguer précisément les qualités d’intermédiaires dont il n’a pas toujours la maîtrise technique. Afin de limiter ces risques, le législateur a renforcé, depuis la loi du 15 décembre 2005, les obligations de transparence pesant sur les intermédiaires : information préalable sur leur statut, leur immatriculation et leurs liens capitalistiques avec les assureurs. Ce dispositif, désormais intégré aux articles L. 521-2 et suivants du Code des assurances, vise à éclairer le souscripteur sur l’identité réelle du destinataire légitime de son paiement.
==>Hypothèses de fraude
La Cour de cassation a eu à connaître de situations dans lesquelles d’anciens préposés de compagnies d’assurance avaient détourné des fonds versés par des particuliers pour la souscription de contrats inexistants. Dans l’affaire jugée le 12 février 2009, un ancien salarié avait encaissé des primes relatives à de « faux contrats » d’assurance vie. Les victimes entendaient agir contre l’assureur sur le fondement de la répétition de l’indu (C. civ., anc. art. 1376).
La deuxième chambre civile a rejeté cette demande. Elle a jugé qu’« encore fallait-il que la personne morale contre laquelle l’action en répétition était dirigée eût effectivement reçu les sommes litigieuses ; que tel n’était pas le cas en l’espèce puisque c’était précisément parce que M. Y… détournait à son profit les versements opérés par les souscripteurs, comme l’avait montré l’instance pénale, que les contrats d’assurance vie souscrits pouvaient être qualifiés de faux contrats » (Cass. 2e civ., 12 févr. 2009, n° 08-12.916).
Autrement dit, l’assureur ne saurait être tenu de restituer des fonds qu’il n’a jamais reçus. La compagnie n’étant pas créancière effective des primes détournées, aucune obligation de remboursement ne peut peser sur elle. La responsabilité repose alors exclusivement sur l’auteur du détournement, contre lequel les victimes doivent exercer leurs recours.