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Objet du contrat d’assurance : les empêchements de garantir

Garantir n’est pas effacer le futur ; c’est consentir à porter, avec d’autres, une part d’incertitude. L’assurance repose sur une idée simple et exigeante : la mutualisation de l’aléa. Elle présuppose que le sinistre, s’il advient, ne résulte ni d’un dessein ni d’une certitude, mais d’un monde où l’événement demeure ouvert. Dès que le hasard s’efface, la promesse d’assurance se corrompt : elle cesse d’être prévoyance pour devenir financement d’un acte voulu, voire prime à la transgression. C’est tout le sens des empêchements de garantir : tracer des frontières pour que la protection reste protection, et non instrument de détournement.

Ces frontières répondent à une double rationalité. Technique, d’abord : l’aléa est la condition d’existence du contrat d’assurance, parce que lui seul autorise le calcul, donc la prime et la solidarité entre assurés. D’où l’exclusion, par la loi, des dommages provenant d’une faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré ; couvrir l’acte voulu, c’est abolir l’aléa qui fait tenir l’édifice (C. assur., art. L. 113-1, al. 2). La Cour de cassation l’a dit avec netteté : la faute dolosive, autonome, suppose un acte délibéré accompli avec la conscience du caractère inéluctable du dommage, ce qui fait perdre à l’opération son caractère aléatoire (Cass. 2e civ. 14 mars 2024, n°22-18.426). La même exigence irrigue d’autres exclusions légales (suicide en assurance-vie, vice propre, guerre : C. assur., art. L. 132-7, L. 132-24, L. 121-7, L. 121-8). Éthique, ensuite : nul ne peut s’assurer de sa peine ni faire de l’assurance l’écran d’une illégalité ; l’ordre public et la personnalité des peines s’y opposent, comme l’illustre l’inassurabilité des amendes et des activités prohibées (v. p. ex. Cass. 1re civ. 5 mai 1993, n°91-15.401).

Entre ces deux pôles se déploie la liberté contractuelle, mais sous conditions. Les parties peuvent délimiter la promesse par des exclusions conventionnelles ; encore faut-il qu’elles soient formelles et limitées (C. assur., art. L. 113-1, al. 1) et très apparentes (art. L. 112-4). Le juge veille à ce que l’exclusion dise précisément ce qu’elle retranche — ni formules balais, ni renvois vagues — et qu’elle ne vide pas la garantie de sa substance. Ainsi, est écartée l’exclusion rendue ambiguë par sa rédaction (Cass. 2e civ. 25 janv. 2024, n°22-14.739), tandis qu’est admise la clause claire qui, bien que restrictive, laisse subsister une couverture substantielle — y compris, s’agissant des pertes d’exploitation liées à la Covid-19, lorsque la police maintenait d’autres hypothèses garanties (Cass. 2e civ. 1er déc. 2022, n°21-15.392).

Au total, les empêchements de garantir ne sont pas des obstacles arbitraires : ils sont la grammaire d’un contrat dont la finalité est sociale. Admettre certaines exclusions, c’est calibrer la promesse au juste risque, pour protéger la mutualité ; interdire d’autres garanties, c’est préserver l’éthique du lien assurantiel — ni prime au calcul certain, ni subvention de l’illicite. C’est à partir de cette tension fondatrice que l’étude distinguera, d’une part, les exclusions de garantie (légales et conventionnelles) et, d’autre part, les interdictions de garantir, ces lignes rouges où l’assurance renonce pour mieux demeurer elle-même.

1. Les exclusions de garantie

Assurer, c’est promettre dans l’incertain. Mais une promesse d’assurance n’a jamais vocation à tout embrasser : elle se définit autant par son périmètre positif — le risque couvert — que par ses lignes de retrait. Les exclusions de garantie constituent cette grammaire négative de la protection. Elles évitent que l’assurance devienne le financement de la certitude ou l’abonnement à l’imprévoyance. Leur raison d’être est double. Elle est d’abord technique : préserver l’aléa, condition même de l’existence du contrat, sans lequel ni mutualisation ni calcul de prime ne peuvent se maintenir. Elle est ensuite éthique : empêcher que l’assurance se retourne contre sa finalité, en réparant non pas le hasard, mais ce qui a été voulu ou ce qui relève de l’illicite.

==>Définition de l’exclusion de garantie

En droit positif, l’exclusion de garantie est classiquement définie comme la stipulation contractuelle qui prive l’assuré de toute indemnisation en considération de circonstances particulières de réalisation du risque, c’est-à-dire de la manière dont le sinistre survient (Cass. 1re civ., 26 nov. 1996, n° 94-16.058).

Cette définition permet de la distinguer des clauses de délimitation du risque couvert, qui déterminent par avance l’aire contractuelle — par exemple, lorsqu’une police contre le vol ne couvre que le vol commis avec effraction, ou lorsqu’un contrat de responsabilité ne couvre que les dommages accidentels —, ainsi que des conditions de garantie, qui imposent le respect, par l’assuré, de certaines exigences permanentes préalables à la survenance du sinistre. La méthode de qualification élaborée par la jurisprudence et la doctrine conduit ainsi à considérer que la clause qui vise un événement ou un état structurel antérieur au sinistre relève d’une condition de garantie, tandis que celle qui se réfère à des circonstances concomitantes à la réalisation du dommage, en particulier ses causes ou modalités, s’analyse en une exclusion.

==>Conséquences de la distinction avec la condition de garantie

Cette distinction produit des effets concrets notables. La charge de la preuve incombe, pour l’exclusion, à l’assureur qui l’invoque, tandis que c’est à l’assuré qu’il revient de démontrer qu’il a satisfait une condition de garantie.

En outre, seules les exclusions sont soumises aux exigences cumulatives posées par l’article L. 113-1, alinéa 1er du Code des assurances, qui impose qu’elles soient formelles et limitées, et par l’article L. 112-4, qui exige qu’elles soient rédigées en caractères très apparents. Dans la pratique, on distingue également les exclusions internes, qui constituent autant de « trous » dans la couverture initialement définie, des exclusions indirectes, qui résultent de la délimitation positive du risque couvert et qui écartent implicitement certains périls.

À cela s’ajoute la distinction, fréquente sur le marché, entre exclusions relatives, susceptibles de rachat moyennant surprime, et exclusions absolues, insusceptibles d’aménagement.

==>Exclusions légales et exclusions conventionnelles

Les exclusions de garantie se déclinent en deux grandes catégories. Les exclusions légales sont imposées par le législateur en raison de considérations d’ordre public, le plus souvent pour préserver l’aléa. Figure au premier rang l’article L. 113-1, alinéa 2, qui prohibe la prise en charge des pertes ou dommages provenant d’une faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré. La Cour de cassation précise que la faute dolosive, autonome par rapport à la faute intentionnelle, suppose un acte délibéré accompli avec la conscience du caractère inéluctable du dommage (Cass. 2e civ., 20 mai 2020, n° 19-11.538). À cette exclusion cardinale s’ajoutent d’autres hypothèses prévues par la loi, comme le suicide dans certaines conditions en assurance-vie (art. L. 132-7 et L. 132-24), le vice propre de la chose (art. L. 121-7) ou encore les dommages causés par la guerre (art. L. 121-8).

Les exclusions conventionnelles, quant à elles, relèvent de la liberté contractuelle, mais une liberté étroitement encadrée. Les articles L. 113-1, alinéa 1er, et L. 112-4 imposent qu’elles soient rédigées en termes formels et limités, et qu’elles soient très apparentes. Le juge veille à ce que ces clauses ne soient ni ambiguës ni de nature à vider la garantie de sa substance, comme l’illustre la jurisprudence récente qui a écarté une exclusion obscure (Cass. 2e civ., 25 janv. 2024, n° 22-14.739) et validé une exclusion claire laissant subsister une couverture effective (Cass. 2e civ., 1er déc. 2022, n° 21-15.392).

C’est à l’analyse successive de ces deux catégories, les exclusions légales puis les exclusions conventionnelles, que ce premier axe sera consacré, en recherchant à chaque étape non seulement leur régime juridique, mais aussi leur raison d’être, afin de comprendre comment l’assurance se définit autant par ce qu’elle promet que par ce qu’elle refuse.

1.1. Les exclusions légales

1.1.1 Fondements et finalités des exclusions légales

==>Préservation de l’aléa et de la mutualité

Le contrat d’assurance n’existe que par et pour l’aléa : l’événement redouté doit demeurer incertain, sous peine de dissoudre la mutualisation et de fausser le calcul de la prime. Les exclusions légales s’inscrivent d’abord dans cette logique technique. La plus structurante est celle de la faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré, posée par l’article L. 113-1, alinéa 2 du Code des assurances. L’idée est simple et décisive : lorsque l’assuré veut le dommage ou agit délibérément avec la conscience du caractère inéluctable de ses conséquences, l’aléa disparaît, et avec lui la justification économique de la garantie.

La Cour de cassation a consolidé ce critère en précisant que la faute dolosive est autonome et suppose un acte volontaire accompli avec la conscience que le dommage surviendra inéluctablement, ce qui fait « perdre à l’opération d’assurance son caractère aléatoire » (Cass. 2e civ., 20 mai 2020, n° 19-11.538). La prohibition ne se confond pas avec une peine privée : elle protège la technique assurantielle elle-même, en empêchant que l’assurance finance la certitude au lieu de couvrir le risque (v. déjà l’analyse de la doctrine sur la distinction entre hasard et certitude, et sur la nécessité d’une « dose de hasard » pour que la probabilisation soit possible).

Cette exigence irrigue également d’autres exclusions prévues par la loi en assurances de dommages : le vice propre de la chose (C. assur., art. L. 121-7) et la guerre (art. L. 121-8) traduisent, sous un autre angle, le soupçon qui pèse sur des situations où l’aléa est insuffisant ou radicalement perturbé. La loi tolère d’ailleurs que ces deux exclusions fassent l’objet d’aménagements contractuels lorsque l’assureur accepte, en connaissance de cause, de reprendre du risque (les textes ont un caractère supplétif en dommages : possibilité d’écarter l’exclusion par stipulation contraire, comme le rappelle la doctrine). En assurances de personnes, le traitement du suicide et du meurtre de l’assuré par le bénéficiaire (C. assur., art. L. 132-7 et L. 132-24) procède de la même logique de tri de l’assurable : on écarte l’événement voulu qui ruinerait l’aléa au profit d’un gain assuré.

À travers ces exclusions légales, se dessine aussi la fonction régulatrice de l’obligation de couverture : délimitée par la loi et par la police, elle justifie, en miroir, les mécanismes d’équilibre économique du contrat (adéquation prime/risque, divisibilité de la prime, suspension de garantie en cas d’impayé), et distingue nettement la couverture du risque de l’obligation de règlement après sinistre (C. assur., art. L. 113-5), distinction mise en lumière par la doctrine et la jurisprudence contemporaines.

==>Protection de l’ordre public et prévention des abus

Les exclusions légales ont, ensuite, une portée éthique et institutionnelle. Elles marquent les limites au-delà desquelles l’assurance ne doit pas devenir un paravent des transgressions. La prohibition de la faute intentionnelle ou dolosive exprime ce souci de non-instrumentalisation de l’assurance : nul n’est fondé à s’enrichir de son propre forfait ni à organiser, aux frais de la mutualité, les effets d’un acte voulu. La Cour de cassation l’a rappelé lorsqu’elle rattache la faute dolosive à la disparition de l’aléa et, corrélativement, à l’incompatibilité avec la finalité du contrat (Cass. 2e civ., 14 mars 2024, n° 22-18.426).

La même logique de sauvegarde de l’ordre public se retrouve lorsqu’il s’agit de risques illicites ou activités prohibées : si la matière des peines relève plus directement des interdictions de garantir au sens strict, la jurisprudence rappelle, de manière convergente, l’impossibilité de faire prospérer par l’assurance des comportements contraires à l’ordre public, par exemple l’exercice illégal de la médecine, dont l’assurance en responsabilité a été tenue pour nulle (Cass. 1re civ., 5 mai 1993, n° 91-15.401).

Cette dimension d’ordre public éclaire aussi les périmètres indérogeables de la solidarité assurantielle : ainsi, en assurances de dommages, l’article L. 121-2 impose que l’assureur reste garant des pertes et dommages causés par les personnes dont l’assuré est civilement responsable, « quelles que soient la nature et la gravité des fautes de ces personnes ». La règle, d’ordre public, interdit que l’on creuse conventionnellement la garantie au détriment des victimes par le jeu d’exclusions visant les préposés ; elle participe de la prévention des abus en assurant le maintien d’un socle de protection.

Au total, les exclusions légales remplissent une double finalité. Elles préservent l’aléa et, ce faisant, la mutualité qui fonde économiquement le contrat ; elles protègent l’ordre public en empêchant que l’assurance serve d’écran à la volonté de nuire ou à l’illicite. Loin d’appauvrir la promesse assurantielle, elles en dessinent la forme légitime : couvrir le risque et non la certitude, réparer le hasard et non subventionner l’abus. Cette architecture légale offrira, dans les développements qui suivent, le cadre d’analyse de chaque exclusion posée par les textes, en articulation avec la jurisprudence récente et la doctrine qui en éclairent la raison d’être.

1.1.2. Principales exclusions légales

1.1.2.1. La faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré

a. Notions

a.1. La faute en droit commun : le manquement à une norme de conduite

==>Une notion sans définition légale… mais fondamentalement juridique

Le Code civil ne définit pas la faute, alors même qu’elle fut pensée, en 1804, comme le cœur de la responsabilité. La notion est juridique au sens strict : les juges du fond constatent souverainement les faits, mais la qualification de ces faits en « faute » relève du contrôle de la Cour de cassation, qui veille à ce que la faute soit caractérisée pour elle-même, distinctement du dommage et du lien causal (Cass. 2e civ., 7 mars 1973, n°71-14.769).

La doctrine a fourni l’armature conceptuelle. Planiol y voit un « manquement à une obligation préexistante » : l’auteur a fait ce qu’il n’aurait pas dû faire, ou n’a pas fait ce qu’il devait faire.

Dans la doctrine moderne, la faute est analysée comme un comportement objectivement non conforme au modèle du comportement attendu : violation d’une règle de conduite (texte législatif ou réglementaire), méconnaissance d’un devoir général de prudence et de diligence, ou contrariété à des standards/jurisprudences et usages professionnels.

Autrement dit, c’est un écart normatif de conduite — par action ou par abstention — apprécié in concreto par référence au « bon père de famille »/personne raisonnable, sans qu’il soit nécessaire d’établir une intention de nuire.

==>Les éléments de la faute : matériel, légal, moral

  • L’élément matériel : l’écart de conduite, par action ou par abstention
    • Depuis l’arrêt Branly (Cass. civ., 27 févr. 1951), la faute « peut consister aussi bien dans une abstention que dans un acte positif ».
    • On distingue utilement :
      • L’abstention dans l’action (défaut de précaution dans une activité : le journaliste qui ne vérifie pas, le notaire qui n’informe pas) ;
      • L’abstention pure et simple, qui n’est fautive que si un devoir d’agir est établi : la Cour casse ainsi un arrêt qui imposait à un riverain de sabler un trottoir verglacé sans identifier de disposition légale ou réglementaire créant une telle obligation (Cass. 1re civ., 18 avr. 2000, n°98-15.770).
    • On ne déduit jamais la faute de la seule survenance du dommage.
    • Les juges doivent caractériser un écart de conduite autonome : identifier la règle de conduite (texte, devoir général de prudence/diligence, usages/standards), décrire les faits pertinents, puis articuler en quoi ces faits contredisent la règle.
    • La Cour de cassation contrôle cette qualification juridique : elle censure les décisions qui se bornent à constater un dommage ou une causalité sans dire en quoi le comportement est fautif.
  • L’élément légal : l’illicéité (violation d’une norme ou abus d’un droit)
    • La faute civile n’obéit pas au principe de légalité pénale : l’illicite peut naître de la violation d’un texte (loi, règlement), mais aussi de coutumes, usages, bonnes mœurs ou d’un standard (prudence/diligence).
    • Elle peut encore résulter de l’abus de droit.
    • Classiquement :
      • certains droits sont dits discrétionnaires (leur exercice, en lui-même, n’est pas fautif) ;
      • d’autres sont relatifs et connaissent deux limites : l’intention de nuire (arrêt Clément-Bayard, Cass. req., 3 août 1915) et l’exercice excessif (abus d’ester, abus de majorité, rupture déloyale des pourparlers).
    • La faute peut donc consister autant en une violation d’interdit qu’en un usage dévoyé d’un droit.
  • L’élément moral : objectivation du reproche civil
    • La faute civile n’exige pas l’intention de causer le dommage (art. 1240 et 1241).
    • Plus encore, l’exigence traditionnelle d’imputabilité (discernement) a été objectivée :
    • Cette objectivation s’explique par la fonction réparatrice de la responsabilité (et, dirait Bigot, sa fonction normative).
    • Elle emporte aussi une conséquence importante : en droit commun, la gravité de la faute (légère, lourde, intentionnelle) n’aggrave pas en tant que telle le quantum de l’indemnisation, gouverné par le seul principe de réparation intégrale.

a.2. Les fautes en droit des assurance

En droit commun de la responsabilité, la faute est un écart de conduite mesuré à l’aune d’une norme de comportement (texte, usage, standard de prudence) ; elle s’apprécie pour elle-même, indépendamment du dommage et du lien de causalité, sous le contrôle de la Cour de cassation (Cass. 2e civ., 7 mars 1973, n° 71-14.769). L’assurance, elle, ne « juge » pas la conduite : elle sélectionne ce que la mutualisation peut absorber sans se nier elle-même. Depuis la loi de 1930, le Code des assurances opère ainsi un déplacement assurantiel au sein de la catégorie « faute » : par principe, les pertes causées par la faute de l’assuré sont garanties (art. L. 113-1, al. 1), sauf clauses formelles et limitées ; mais les pertes « provenant d’une faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré » sont, d’ordre public, inassurables (art. L. 113-1, al. 2). La justification est double : technique (préserver l’aléa, essence du contrat) et éthique (éviter l’effet d’aubaine) ; la Cour de cassation et la doctrine classique l’ont régulièrement rappelé (Cass. 1re civ., 15 janv. 1985, n° 83-14.742).

Sur cette base, la jurisprudence a stabilisé deux qualifications qui structurent tout le contentieux. D’une part, la faute intentionnelle, de conception « subjective » : l’exclusion ne joue que si l’assuré a voulu non seulement l’acte, mais le dommage tel qu’il est survenu (Cass. 1re civ., 12 juin 1974, n°73-12.882 ; Cass. 2e civ., 28 mars 2019, n° 18-15.829). D’autre part, la faute dolosive, désormais autonome : un acte délibéré accompli avec la conscience de l’inéluctabilité de ses conséquences, conscience qui ne se confond pas avec la simple perception d’un risque (Cass. 2e civ., 20 janv. 2022, n° 20-13.245). La «cartographie» est alors claire : lourde et inexcusable demeurent assurables par principe en droit commun (sauf clause valable) ; seules l’intention et le dol, ainsi définis, franchissent le seuil de l’inassurabilité légale (avec des droits spéciaux qui tracent leurs propres lignes, par ex. art. L. 172-13 en maritime).

Cet édifice n’a de sens que si la preuve et l’office du juge sont rigoureusement tenus. La charge de la preuve de l’exclusion légale incombe à l’assureur (Cass. 2e civ., 29 juin 2017, n°16-12.154). L’autorité de la chose jugée au pénal ne dispense pas d’établir, au sens assurantiel, l’intention du résultat ou la conscience de l’inéluctable (autonomie des qualifications : Cass. 1re civ., 6 avr. 2004, n° 01-03.494 ; Cass. 2e civ., 16 janv. 2020, n°18-18.909). Et, sur le terrain conventionnel, seules les exclusions formelles et limitées sont opposables ; les formulations vagues, qui appellent interprétation, sont écartées (Cass. 2e civ., 12 juin 2014, n°13-15.836). Enfin, même en cas d’intention établie, l’exclusion ne vaut qu’à hauteur du dommage recherché : les conséquences non voulues demeurent couvertes (Cass. 2e civ., 8 mars 2018, n° 17-15.143).

La suite examine d’abord les raisons d’être de l’inassurabilité légale — ce « tri » assurantiel qui préserve l’aléa et évite l’effet d’aubaine —, puis précise les qualifications matérielles (intentionnel et dolosif) ainsi que la place des fautes lourde et inexcusable dans l’économie du contrat, avant d’exposer la méthode contentieuse (charge de la preuve, contrôle de qualification, portée exacte des exclusions). L’ensemble, éclairé par la doctrine (Kullmann, Mayaux, Groutel, Pélissier) et par les lignes désormais fermes de la Cour de cassation, vise à rappeler l’équilibre propre à l’assurance : indemniser la négligence ordinaire pour protéger les victimes, mais refuser les comportements qui font disparaître l’aléa.

a.2.1. Du risque fautif mutualisable au sinistre voulu : fondements et ligne de partage

Depuis la loi de 1930, le Code des assurances opère un véritable déplacement à l’intérieur de la notion de faute. Il ne s’agit pas de juger moralement les conduites, mais de borner ce que la mutualisation peut absorber sans se nier. Deux étages se répondent — l’un d’ouverture, l’autre de fermeture — portés par une double justification, technique (préserver l’aléa) et éthique (éviter l’effet d’aubaine), que la Cour de cassation et la doctrine rappellent avec constance (v. notamment Cass. 1re civ., 15 janv. 1985, n° 83-14.742).

==>Le premier étage : une large assurabilité de la faute (art. L. 113-1, al. 1)

Par principe, « les pertes et dommages […] causés par la faute de l’assuré » sont couverts, sauf exclusion formelle et limitée stipulée au contrat. L’assurance n’exige donc pas l’irréprochabilité : les négligences, imprudences, voire les fautes lourdes entrent dans l’économie normale de la mutualisation, sauf clause valable prévoyant l’inverse.

Le principe posé par l’alinéa 1er de l’article L. 113-1 — l’assurabilité des fautes non intentionnelles, sous réserve d’exclusions formelles et limitées — poursuit une finalité sociale claire : assurer l’indemnisation des victimes face aux négligences et imprudences ordinaires de l’assuré, plutôt que de faire de l’assurance un instrument de sanction morale.

En d’autres termes, la mutualisation couvre l’aléa fautif dès lors qu’il n’est ni voulu ni rendu inévitable par l’assuré.

Deux précisions de droit positif nuancent ce principe général :

  • Régimes spéciaux
    • En assurance maritime, le législateur a expressément visé la faute inexcusable : l’assureur ne répond ni de la faute intentionnelle ni de la faute inexcusable de l’assuré (C. assur., art. L. 172-13).
    • À l’inverse, en accidents du travail, la faute inexcusable de l’employeur est devenue assurable depuis la loi n° 87-39 du 27 janv. 1987.
  • Liberté contractuelle encadrée
    • L’assureur peut exclure certaines fautes non intentionnelles (faute lourde, inexcusable hors cas d’ordre public) à la condition que l’exclusion soit formelle et limitée (art. L. 113-1, al. 1).
    • À défaut, la clause encourt la censure.
    • Ainsi, par un arrêt du 12 juin 2014, la Deuxième chambre civile a refusé d’appliquer une stipulation générale selon laquelle « sont toujours exclus […] les dommages de toute nature causés ou provoqués intentionnellement par l’assuré ou avec sa complicité », au motif que, faute de renvoyer à des circonstances définies avec précision et parce qu’elle appelait interprétation, la clause n’était ni “formelle” ni “limitée” au sens de l’article L. 113-1, al. 1, et devait donc être tenue pour inopposable (Cass. 2e civ, 12 juin 2014, n° 13-15.836).
    • La même décision rappelle, sur le terrain de l’alinéa 2, que la condamnation pénale pour incendie volontaire n’établit pas à elle seule que l’assuré ait recherché le dommage tel qu’il est survenu ; l’exclusion légale ne vise que le dommage voulu, de sorte que la garantie demeure due pour les conséquences non recherchées.

==>Le second étage : la zone rouge de l’inassurabilité légale (art. L. 113-1, al. 2)

Après avoir affirmé, à l’alinéa 1er de l’article L. 113-1, que les pertes et dommages causés par la faute de l’assuré sont en principe garantis (sauf exclusion formelle et limitée), le même article opère, à l’alinéa 2, un basculement : l’assureur n’est pas tenu lorsque le sinistre provient d’une faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré.

Cette exception est d’ordre public et vaut de façon transversale pour les assurances de dommages comme pour les assurances de personnes (avec les tempéraments propres à ces dernières, tel le régime du suicide : art. L. 132-7). Les sources convergent sur ce caractère impératif et sur sa vocation générale.

Deux fondements se combinent.

  • Technique (préservation de l’aléa)
    • L’assurance n’a de sens que si le sinistre demeure incertain : elle repose sur un calcul de probabilités et sur la mutualisation d’événements qui ne dépendent pas de la volonté d’un assuré.
    • Dès lors, un sinistre recherché par l’assuré (faute intentionnelle) ou inévitable à sa propre conscience au moment d’agir (faute dolosive au sens assurantiel) supprime l’aléa, qui est l’essence du contrat.
    • La Cour de cassation l’affirme de longue date : l’assureur ne peut couvrir ce qui procède de la volonté de l’assuré, faute de « hasard assuré » (Cass. 1ere civ., 15 janv. 1985, n°83-14.742).
    • La doctrine avait d’ailleurs anticipé ce raisonnement : lorsque la réalisation du sinistre est soumise au bon vouloir du débiteur, l’opération d’assurance est vidée de sa cause (CA Paris, 15 févr. 1957).
  • Morale (prévention de l’« effet d’aubaine »)
    • Couvrir un sinistre délibérément provoqué ferait de l’assurance un instrument de fraude ou de vengeance, pervertissant la mutualisation.
    • C’est la vieille justification « d’ordre public et de haute moralité » mise en avant par la doctrine classique et régulièrement rappelée par la jurisprudence: il ne s’agit pas de « punir » l’assuré — le droit pénal y pourvoit —, mais d’empêcher qu’il tire un bénéfice d’une atteinte volontaire aux personnes ou aux biens et, partant, de préserver la finalité sociale de l’assurance.

De cette articulation découle une ligne de partage décisive : ce n’est pas « la faute » en soi qui est inassurable, mais la faute qualifiée par l’adjectif — intentionnelle ou dolosive. D’où deux conséquences pratiques majeures :

  • Les fautes graves non intentionnelles (faute lourde, faute inexcusable hors cas d’ordre public particuliers) demeurent, en droit commun, assurables, sauf exclusion conventionnelle valable au sens de l’alinéa 1er (clause formelle et limitée). A cet égard, si l’assureur invoque l’étiquette « intentionnelle », il doit en rapporter la preuve dans le cadre de l’alinéa 2 : on ne peut élargir par simple rédaction contractuelle le noyau d’inassurabilité légale. Ainsi, la Cour de cassation exige que l’assuré ait voulu le dommage tel qu’il est survenu pour l’intentionnel (v. Cass. 2e civ. 16 sept. 2021, n°19-25.678, sur l’exigence probatoire attachée à une clause visant « les dommages causés ou provoqués intentionnellement »).
  • Charge probatoire et contrôle de qualification : la vigilance de la Cour de cassation est constante pour éviter que « intentionnel/dolosif » ne devienne un réflexe d’exclusion asséchant la garantie.
  • Elle casse les décisions confondant conscience d’un risque et volonté du dommage (v. Cass. 2e civ., 28 mars 2019, n°18-15.829), et encadre de plus en plus précisément la figure autonome de la faute dolosive (acte délibéré accompli avec conscience du caractère inéluctable des conséquences : Cass. 2e civ., 10 nov. 2021, n° 19-12.659), comme l’a reprise la Troisième chambre civile (Cass. 3e civ., 30 mars 2023, n° 21-21.084).

Enfin, rappel indispensable à la préservation de la mutualisation : même si l’assuré est condamné pénalement pour une infraction volontaire, l’exclusion légale n’éteint que la part de dommage effectivement recherchée ; les conséquences non voulues restent couvertes (Cass. 2e civ., 8 mars 2018, n°17-15.143).

La preuve incombe à l’assureur (Cass. 2e civ., 29 juin 2017, n°16-12.154). Cet équilibre – interdire l’assurance du sinistre voulu, mais ne pas priver la victime (ou l’assuré) des conséquences non recherchées – exprime la logique profonde de l’alinéa 2.

a.2.2. Qualifications de la faute en droit des assurance

En pratique, tout se joue dans les mots-clefs de l’alinéa 2 de l’article L. 113-1 et dans leur portée exacte.

La Cour de cassation a fixé deux pôles nettement distincts :

  • La faute intentionnelle, qui suppose la volonté du dommage tel qu’il est survenu (formule classique depuis Autard : Cass. 1re civ., 12 juin 1974, n° 73-12.882) ;
  • La faute dolosive, aujourd’hui autonome, définie par l’acte délibéré accompli avec la conscience du caractère inéluctable des conséquences dommageables — ce qui n’est pas la simple conscience d’un risque (Cass. 2e civ., 20 mai 2020, n° 19-11.538).

Autour de ce cœur d’inassurabilité légale, il faut cartographier les fautes non intentionnelles (faute lourde, faute inexcusable) : elles demeurent assurables par principe (L. 113-1, al. 1), mais peuvent être exclues par clause à la condition d’être formelle et limitée (vigilance constante : Cass. 2e civ., 12 juin 2014, n° 13-15.836). L’enjeu de la section qui suit est donc double : délimiter l’intention et le dol, et situer les autres fautes dans l’architecture de la garantie, afin de préserver l’équilibre du contrat entre couverture de la négligence et refus du sinistre voulu.

i. La faute intentionnelle : une notion « subjective » centrée sur le résultat voulu

==>Définition

En droit des assurances, la faute intentionnelle n’est pas la simple volonté d’agir dangereusement : elle suppose la volonté du résultat dommageable dans sa configuration concrète.

L’arrêt fondateur du 12 juin 1974 (affaire Autard), rendu en matière de responsabilité professionnelle d’un notaire, fixe la formule de principe. Le notaire avait délivré des attestations d’absence d’inscriptions hypothécaires sans vérification préalable et n’avait pas informé des associés et des clients de nouveaux prêts et inscriptions ; il avait été sanctionné disciplinairement. Son assureur (La Paix) opposait l’exclusion légale en soutenant qu’il s’agissait d’une « faute intentionnelle » dès lors que le notaire avait agi en connaissance du préjudice susceptible d’en résulter.

La Cour de cassation approuve la cour d’appel de Montpellier d’avoir écarté l’exclusion en posant clairement le standard : l’exonération « est limitée au cas où l’assuré a voulu, non seulement l’action ou l’omission génératrice de dommages, mais encore ces dommages eux-mêmes » ; il ne suffit pas que l’assuré ait voulu commettre une faute lourde ou « qu’il ait eu conscience d’en commettre une s’il a ainsi seulement augmenté la probabilité de réalisation du dommage sans le rendre certain par une volonté de le provoquer ».

Constatant que les poursuites disciplinaires n’avaient pas retenu chez le notaire la volonté de commettre les fautes ni celle de provoquer le dommage, la Cour rejette le pourvoi de l’assureur et confirme la garantie (Cass. 1re civ., 12 juin 1974, n°73-12.882).

Cet arrêt, souvent cité, cristallise l’exigence subjective : la faute intentionnelle au sens assurantiel vise la volonté du résultat dommageable tel qu’il est survenu, non la seule lucidité d’un risque ni la simple témérité de la conduite.

Cette exigence subjective a été constamment reprise et précisée. En effet, la Cour de cassation a très nettement balisé la frontière entre “vouloir le risque” et “vouloir le dommage”.

Dans l’arrêt du 23 septembre 2004, la Deuxième chambre civile censure une cour d’appel qui avait qualifié de « faute dolosive » le comportement d’un assuré décédé sur un chantier alors qu’il se trouvait en arrêt de travail.

Les juges du fond avaient déduit la déchéance de la garantie du seul fait que l’intéressé, indemnisé pour arrêt, s’était « exposé […] à un accident pouvant entraîner son décès ». La Cour de cassation rappelle le bon critère et reproche à l’arrêt de s’être déterminé « sans préciser en quoi la faute […] supposait la volonté de commettre le dommage tel qu’il s’est réalisé » (Cass. 2e civ., 23 sept. 2004, n° 03-14.389). Autrement dit, le non-respect d’une obligation (ici, la « bonne foi » contractuelle) ou la conscience d’un danger ne suffisent pas : il faut la volonté du résultat dommageable.

Même exigence, réaffirmée avec force le 28 mars 2019. Les faits étaient parlants : l’assuré avait allumé un poêle dans une caravane close, laissé à proximité un bidon de 20 litres de pétrole et s’était absenté plusieurs heures ; l’incendie avait détruit la caravane. Pour écarter la garantie, la cour d’appel avait relevé que l’intéressé savait que le pétrole était inflammable, que l’aération était nécessaire et qu’« ainsi, ne manquerait pas de se produire l’inflammation spontanée ». La Deuxième chambre civile casse : « la faute intentionnelle implique la volonté de son auteur de créer le dommage tel qu’il est survenu » ; on ne peut « dédui[re] la faute intentionnelle […] de sa conscience de ce que le risque assuré se produirait tel qu’il est survenu » (Cass. 2e civ., 28 mars 2019, n° 18-15.829).

Ces deux décisions, complémentaires, posent une ligne claire : la connaissance, même aiguë, d’un risque — fût-il hautement probable — ne vaut pas volonté du dommage. Pour que l’exclusion légale joue, l’assureur doit établir que l’assuré a poursuivi le résultat concret qui s’est effectivement produit.

==>Ligne de crête jurisprudentielle

La Cour de cassation maintient une frontière nette entre la témérité et l’intention du résultat ; en positif et en négatif, les illustrations abondent :

==>Portée matérielle de l’exclusion

Même lorsque l’intention est établie, l’exonération ne joue qu’à hauteur du dommage recherché. Un assuré condamné pénalement ne perd la garantie que pour le chef de dommage qu’il a voulu : les atteintes non recherchées demeurent couvertes (Cass. 2e civ., 8 mars 2018, n° 17-15.143).

La Cour de cassation l’a encore rappelé en matière d’incendie volontaire : la condamnation pénale ne suffit pas à démontrer que l’assuré a voulu l’ampleur exacte des destructions survenues ; la faute intentionnelle, au sens de l’article L. 113-1, exige la preuve d’une volonté du dommage tel qu’il est survenu (Cass. 2e civ., 16 janv. 2020, n° 18-18.909).

L’arrêt du 16 janvier 2020 illustre avec netteté l’autonomie de la « faute intentionnelle » au sens assurantiel par rapport à l’infraction pénale d’incendie volontaire (Cass. 2e civ., 16 janv. 2020, n° 18-18.909).

Les faits. Un jeune majeur met le feu, de nuit, à des chaises en plastique disposées sur la terrasse d’un salon de thé. L’incendie se propage à l’intérieur et cause d’importants dégâts. L’exploitant, indemnisé par son assureur dommages, agit ensuite contre l’auteur et contre l’assureur de responsabilité civile couvrant le foyer de la mère de l’auteur. Entre-temps, l’auteur a été condamné pénalement du chef de dégradation volontaire d’un bien immobilier par incendie.

La solution d’appel. Pour refuser sa garantie, l’assureur de responsabilité du foyer invoque l’article L. 113-1, al. 2, au motif que l’auteur a commis une faute intentionnelle, en se prévalant de la chose jugée au pénal. La cour d’appel lui donne raison : la condamnation pour incendie volontaire suffirait, selon elle, à caractériser la faute intentionnelle exclusive de garantie.

La censure. La Cour de cassation casse partiellement. Elle rappelle le standard assurantiel: « la faute intentionnelle […] implique la volonté de créer le dommage tel qu’il est survenu » et n’exclut de la garantie « que le dommage que l’assuré a recherché en commettant l’infraction ». En d’autres termes, la seule condamnation pour incendie volontaire n’implique pas, par elle-même, que l’assuré ait voulu l’ampleur exacte des destructions constatées. Il faut démontrer positivement que le résultat concret (ici, la propagation et les dégâts intérieurs majeurs) a été voulu. À défaut, l’exclusion légale ne joue pas.

Portée. L’arrêt réaffirme deux idées structurantes :

  • Autonomie des qualifications
    • L’arrêt réaffirme que l’« intention » pénale (vouloir mettre le feu) ne se confond pas, par automatisme, avec l’« intention du dommage tel qu’il est survenu » exigée par l’article L. 113-1, al. 2.
    • Autrement dit, la condamnation pour incendie volontaire n’emporte pas ipso facto faute intentionnelle au sens assurantiel : il faut encore établir que l’assuré a recherché l’ampleur précise des destructions réalisées.
    • La Cour de cassation souligne de longue date cette autonomie des qualifications pénale et assurantielle (v. déjà Cass. 1re civ., 6 avr. 2004, n° 01-03.494).
  • Exclusion strictement cantonnée au dommage recherché
    • Lorsque la volonté du résultat est démontrée, l’exclusion légale ne joue qu’à hauteur du dommage effectivement voulu, et non au-delà.
    • La garantie subsiste donc pour les conséquences non recherchées du fait dommageable.
    • Cette logique d’une exclusion circonscrite au résultat voulu est constante (v. Cass. 2e civ., 8 mars 2018, n° 17-15.143).
    • Elle s’accompagne d’une vigilance probatoire : il ne suffit pas d’invoquer l’«intention » en général, ni de s’abriter derrière une clause vague ; il faut rapporter la preuve précise exigée par L. 113-1 et, à défaut, les clauses trop générales sont écartées car ni « formelles » ni « limitées » (Cass. 2e civ., 12 juin 2014, n° 13-15.836).

En pratique. Dans des scénarii d’incendies volontaires, l’assureur ne peut se retrancher derrière la seule décision pénale : il doit établir, au cas par cas, que l’assuré a recherché non seulement l’embrasement initial (ex. des chaises extérieures), mais encore la propagation et les destructions telles qu’elles se sont effectivement produites (intérieur du commerce, pertes d’exploitation, etc.).

À défaut d’une telle preuve, la garantie de responsabilité demeure due, et si intention il y a, elle ne peut conduire qu’à une exclusion partielle, limitée au dommage expressément visé par l’assuré.

==>Illustrations

En assurance, la faute intentionnelle n’est donc pas la simple volonté d’agir dangereusement : elle suppose la volonté du dommage tel qu’il est survenu. Ni la gravité de la faute, ni la conscience aiguë d’un risque, même élevé, n’y suffisent (Cass. 2e civ., 28 mars 2019, n° 18-15.829).

  • Intention caractérisée : la volonté du résultat ressort des circonstances
    • Quand la volonté du résultat ressort des circonstances de fait (et pas seulement la témérité de l’acte), l’exclusion légale s’impose : la Cour de cassation en a donné des illustrations nettes dans les situations suivantes:
      • Violence hors de toute action de jeu. Un coup porté volontairement, sans lien avec l’action sportive, révèle la volonté d’atteindre l’intégrité physique : exclusion légale de garantie (Cass. 1re civ., 10 juin 1997, n° 95-18.611).
      • Collision routière délibérée. Un automobiliste projette volontairement son véhicule contre celui d’un tiers à la suite d’un différend : la collision et ses atteintes étaient recherchées ; l’assureur n’est pas tenu (Cass. 2e civ., 18 mars 2004, n° 03-11.573).
      • Professionnel trompant sciemment son client. L’avocat ne se borne pas à négliger un acte ; il induit délibérément son client en erreur pour en tirer avantage : volonté du dommage tel qu’il est survenu, donc exclusion (Cass. 2e civ., 1er juill. 2010, n° 09-14.884).
      • Fausse déclaration frauduleuse du syndic. Un syndic manipule l’information pour faire supporter par son propre assureur les conséquences de ses actes : la manœuvre vise le résultat dommageable ; l’intention est retenue (Cass. 2e civ., 30 juin 2011, n° 10-23.004).
    • On retrouve, dans ces dossiers, un animus dirigé vers le résultat concret (atteinte corporelle, choc matériel, préjudice patrimonial du client ou de la copropriété). La volonté ne vise pas seulement l’acte générateur ; elle vise ces dommages-là.
  • Intention écartée : gravité, imprudence ou lucidité du risque ne suffisent pas
    • À l’inverse, lorsque seule la prise de risque—même grave—est établie, sans volonté du dommage dans sa configuration concrète, l’intention assurantielle fait défaut : en témoignent les décisions ci-après.
      • Erreur sur la personne. L’auteur voulait atteindre son épouse et agresse, par erreur, un passant : faute pénale, certes, mais pas volonté du dommage survenu à cette victime-là ; la garantie n’est pas exclue au titre de L. 113-1, al. 2 (Cass. 1re civ., 10 déc. 1991, n° 90-14.218).
      • Suicide par collision routière. L’assuré cherche à se donner la mort ; les dégâts causés à des tiers (par exemple à l’exploitant ferroviaire ou à un véhicule) n’étaient pas recherchés : pas d’intention au sens assurantiel (Cass. 1re civ., 14 oct. 1997, n° 95-18.361).
      • Service d’alcool à une personne ivre. Faute grave d’un débitant ayant continué de servir une personne manifestement ivre, décédée ensuite : pas de volonté de provoquer le décès — l’intention est écartée (Cass. 2e civ., 20 juin 2002, n° 99-19.782).
      • Livraison en connaissance de cause d’une chose non conforme. La négligence est lourde, mais le dommage n’était pas voulu dans sa configuration concrète : pas de faute intentionnelle (Cass. 2e civ., 20 mars 2008, n° 07-10.499).
      • Altercation et “poussée”. Lors d’une bousculade, l’auteur n’a pas recherché l’atteinte corporelle subie par la victime : la volonté du résultat fait défaut (Cass. 2e civ., 18 févr. 2010, n° 08-19.044 ; dans le même sens, Cass. 2e civ., 6 févr. 2014, n° 13-10.160).
      • Constructions : manquements techniques, même graves. Des choix techniques fautifs (ou leur accumulation) ne suffisent pas à eux seuls : faute oui, intention non, faute de volonté du dommage précis (Cass. 3e civ., 13 juill. 2016, n° 15-20.512).
      • Conscience d’un risque élevé ? volonté du dommage. Allumer un poêle dans une caravane close, laisser un bidon de combustible à proximité et s’absenter longtemps : l’assuré savait le risque d’incendie élevé ; pourtant, faute d’éléments établissant qu’il voulait la destruction survenue, la Cour casse la qualification d’intentionnel (Cass. 2e civ., 28 mars 2019, n° 18-15.829).
      • Incendie volontaire et ampleur des dégâts. La condamnation pénale pour incendie volontaire ne suffit pas à démontrer que l’assuré a voulu l’ampleur exacte des destructions ; l’exclusion ne joue qu’à hauteur du dommage recherché (Cass. 2e civ., 16 janv. 2020, n° 18-18.909).
    • Deux garde-fous méthodologiques se dégagent : (i) ne pas confondre conscience du risque et volonté du dommage (2004, 2019) ; (ii) circonscrire l’exclusion au seul dommage effectivement recherché (2018, 2020).
    • Cette rigueur protège la mutualisation sans transformer l’exception d’ordre public en « clause attrape-tout ».

==>Exigence probatoire et rigueur de qualification

Parce que l’exclusion est d’ordre public et radicale, sa mise en œuvre est strictement encadrée. Il incombe à l’assureur d’établir l’intention portant sur le résultat ; la charge de la preuve ne se renverse pas au détriment de l’assuré (Cass. 2e civ., 29 juin 2017, n°16-12.154).

La Cour de cassation casse ainsi les décisions qui convertissent, par facilité, conscience du risque en volonté du dommage (Cass. 2e civ., 28 mars 2019, préc.). De même, on ne peut «contractualiser » une définition plus large de l’intention : une clause qui viserait, de manière floue, des dommages « causés ou provoqués intentionnellement » sans délimitation précise est inopposable (Cass. 2e civ., 12 juin 2014, n° 13-15.836).

==>Un contrôle juridictionnel à double détente

Les juges du fond apprécient souverainement les faits révélant – ou non – la volonté du résultat, mais la Cour de cassation exerce un contrôle serré sur la définition et sur la suffisance de la motivation.

Après avoir, un temps, rappelé la souveraineté d’appréciation (Cass. 1re civ., 4 juil. 2000, n°98-10.744), elle veille à ce que la décision caractérise bien l’élément intentionnel dirigé vers le dommage survenu (v. notamment Cass. 2e civ., 23 sept. 2004, préc.). Les Troisième chambre civile et Chambre commerciale s’y conforment, n’hésitant pas à censurer des arrêts qui, derrière des formules sur « l’absence d’aléa », ne démontrent pas la volonté du résultat.

ii. La faute dolosive : autonomie et critère d’inéluctabilité du dommage

Longtemps accolée, dans les formules jurisprudentielles, à la faute intentionnelle, la faute dolosive a désormais sa propre consistance au sens de l’article L. 113-1, al. 2, du code des assurances.

La Cour de cassation l’a formulé sans détour dans un arrêt désormais majeur : faute intentionnelle et faute dolosive sont deux figures autonomes, et chacune suffit à faire perdre à l’assurance son caractère aléatoire, entraînant l’exclusion légale de garantie (Cass. 2e civ., 20 mai 2020, n° 19-11.538).

L’affaire était révélatrice. À la suite d’un incendie mortel, l’assureur de l’immeuble, subrogé après indemnisation, recherchait l’assureur du logement de l’incendiaire. La cour d’appel avait retenu une faute dolosive : l’intéressé, qui voulait se suicider, avait installé une cuisinière à gaz et deux bouteilles dans le séjour, des « moyens [qui] dépassaient très largement ce qui était nécessaire pour uniquement se suicider » et « témoign[aient] de la volonté de provoquer une forte explosion ».

Même si la destruction de l’immeuble n’était pas son mobile premier, celle-ci était « inévitable et ne pouvait pas être ignorée » de l’auteur. La deuxième chambre civile approuve la méthode et la solution : après avoir rappelé « qu’au sens de l’article L. 113-1 du code des assurances, la faute intentionnelle et la faute dolosive sont autonomes, chacune justifiant l’exclusion de garantie dès lors qu’elle fait perdre à l’opération d’assurance son caractère aléatoire », elle valide la qualification de faute dolosive au regard de l’inéluctabilité du dommage ainsi provoqué.

Autrement dit, le dol assurantiel n’exige pas que l’assuré ait visé ce résultat précis ; il suffit qu’en accomplissant délibérément son acte, il n’ait pas pu ignorer que la réalisation du dommage était nécessaire.

==>Définition consolidée : l’acte délibéré avec conscience de l’inéluctable

La définition est aujourd’hui stabilisée par une série d’arrêts de principe : la faute dolosive suppose un acte délibéré de l’assuré accompli avec la conscience du caractère inéluctable de ses conséquences dommageables ; cette conscience ne se confond pas avec la simple perception d’un risque (Cass. 2e civ., 20 janv. 2022, n° 20-13.245 ). La Cour de cassation a encore réaffirmé, dans des termes didactiques, que la faute dolosive « ne se confond pas avec la conscience du risque d’occasionner le dommage » (Cass. 2e civ., 14 mars 2024, n°22-18.426). La troisième chambre civile s’est alignée : « acte délibéré […] avec la conscience du caractère inéluctable » (Cass. 3e civ., 30 mars 2023, n° 21-21.084).

L’idée directrice est simple et nette : à la différence de l’intention—qui suppose la volonté du résultat précis—la faute dolosive se contente d’un choix délibéré de comportement alors même que l’assuré sait que le dommage en résultera nécessairement. Son critère est donc l’« inéluctabilité connue » : ce qui compte n’est pas une volonté psychologique de nuire, mais la conscience, au moment d’agir, que le dommage suivra inévitablement.

C’est exactement la ligne tenue par la Cour de cassation, qui distingue la connaissance d’un risque (insuffisante) de la conscience du caractère inéluctable des conséquences (suffisante) pour exclure la garantie (Cass. 2e civ., 4 avr. 2024, n° 22-20.267).

==>Un itinéraire jurisprudentiel en trois temps

  • Le temps unitaire (années 1970-1990)
    • Durant près de deux décennies, la jurisprudence a raisonné sous l’empire d’un seul et même étalon : la faute intentionnelle n’est caractérisée que si l’assuré a voulu le dommage tel qu’il est survenu.
    • La formule, posée de manière nette à propos d’un notaire par l’arrêt du 12 juin 1974 (« l’exonération… est limitée au cas où l’assuré a voulu non seulement l’action génératrice, mais encore ces dommages eux-mêmes » : Cass. 1re civ., 12 juin 1974, n° 73-12.882), a longtemps structuré tout le contentieux.
    • Concrètement, les juridictions ont resserré la preuve autour de la volonté du résultat, et non autour de la seule conscience d’un risque ou de la gravité de la conduite.
    • Quelques jalons illustrent cette ligne :
      • Propagation non voulue : l’assuré qui n’a embrasé que la porte et non la cage d’escalier n’a pas voulu l’ampleur du sinistre ; la faute intentionnelle est écartée (Cass. 1re civ., 29 oct. 1985).
      • Erreur sur la personne : l’agresseur qui visait son épouse mais blesse un passant n’a pas recherché le dommage tel qu’il est survenu à l’égard de cette victime-là (Cass. 1re civ., 10 déc. 1991, n° 90-14.218).
      • Imprudences caractérisées mais non intentionnelles : la négligence du commerçant qui n’a pas remplacé des serrures après vol de clés ne suffit pas (Cass. 1re civ., 24 mars 1987) ; laisser un bateau amarré plusieurs semaines hors d’un port abrité n’est pas davantage une intention de causer le dommage (Cass. 1re civ., 13 nov. 1990, n° 88-13.486) ; le fabricant ignorant le défaut de son produit ne commet pas une faute intentionnelle (Cass. 1re civ., 25 janv. 1989).
      • Suicide et tiers : l’automobiliste qui se jette sous un train pour se donner la mort n’a pas voulu porter préjudice à l’exploitant ferroviaire ; l’intention, au sens de l’assurance, fait défaut (Cass. 1re civ., 14 oct. 1997, n° 95-18.361).
    • Dans ce paysage unitaire, le terme « dolosif » apparaissait souvent comme un simple doublon de l’« intentionnel » en assurance de dommages, sauf à part, en responsabilité contractuelle, où la « faute dolosive » visait plutôt l’inexécution délibérée d’une obligation.
    • Mais pour l’assurance, jusqu’au tournant des années 2000, l’axe demeurait subjectif : pas d’exclusion légale sans preuve que l’assuré voulait le résultat, dans sa configuration concrète.
  • Les tensions des années 2000
    • Au milieu des années 2000, la jurisprudence a cherché à sortir du tout-intention (au sens strict de « vouloir le dommage tel qu’il est survenu ») pour mieux saisir des comportements délibérés où le résultat dommageable, sans être recherché, était inévitable au regard de ce que savait l’assuré.
      • 2005 : l’« intention objective » (premier déplacement)
        • Par un arrêt de principe, la deuxième chambre civile admet qu’il peut y avoir exclusion quand l’assuré sait que son geste rend inévitable la réalisation du dommage : la connaissance de l’inéluctabilité est alors élevée au rang d’intention (Cass. 2e civ., 22 sept. 2005, n° 04-17.232).
        • La Cour de cassation ne déplace pas encore la frontière vers une catégorie autonome, mais elle desserre le lien traditionnel entre intention et volonté psychologique du résultat.
      • 2008 : vers une figure distincte – le « dol assurantiel »
        • La même chambre retient ensuite, à propos d’un administrateur judiciaire qui avait délibérément manqué à sa mission légale de sauvegarde, que ce manquement, par sa nature et ses effets, justifiait l’exclusion au titre d’une faute dolosive (Cass. 2e civ., 16 oct. 2008, n°07-14.373).
        • L’idée se précise : il ne s’agit pas de prouver un animus nocendi, mais un choix volontaire qui condamne le résultat dommageable à survenir.
      • 2013 : une extension discutée en assurance de choses
        • Dans une affaire d’assurance de choses, la deuxième chambre a validé l’exclusion pour faute dolosive après que l’assuré eut tenté de franchir sciemment un cours d’eau avec un véhicule inadapté, endommageant le moteur (Cass. 2e civ., 12 sept. 2013, n° 12-24.650).
        • L’arrêt a été très commenté, car on y voyait une assimilation parfois trop rapide entre prise de risque consciente et inéluctabilité du dommage : la ligne allait être resserrée par la suite.
      • 2017 : recentrage sur la disparition de l’aléa
        • La Cour de cassation rappelle explicitement que la faute dolosive suppose un acte délibéré rendant inéluctable la réalisation du dommage et faisant disparaître l’aléa qui fonde l’assurance (Cass. 2e civ., 12 janv. 2017, n° 16-10.042).
        • Ce rappel prépare la stabilisation ultérieure du critère.
    • Cette séquence « années 2000 » opère un double mouvement :
      • D’abord, élever la connaissance de l’inéluctabilité au niveau requis pour exclure la garantie (2005) ;
      • Ensuite, donner chair à une faute dolosive distincte de l’intention stricto sensu (2008), tout en corrigeant les emballements possibles (2013) par un recentrage sur l’exigence d’inéluctabilité (2017).
    • Elle annonce la formule désormais classique : la faute intentionnelle demeure liée à la volonté du résultat ; la faute dolosive vise le comportement délibéré adopté en sachant que le dommage surviendra nécessairement – ce qui supprime l’aléa et justifie l’exclusion légale.
  • La consécration contemporaine (2020-2024)
    • Cap sur l’autonomie et l’inéluctabilité
      • Le tournant est acté en 2020.
      • Par un arrêt publié au Bulletin, la Deuxième chambre civile affirme, noir sur blanc, que faute intentionnelle et faute dolosive sont deux figures autonomes, chacune excluant la garantie dès lors qu’elle fait perdre à l’opération d’assurance son caractère aléatoire.
      • Elle valide, dans l’espèce, la qualification de faute dolosive à propos d’un suicide réalisé au moyen d’une installation de gaz volontairement configurée pour provoquer une forte explosion : même si la motivation première était de se donner la mort, la destruction de l’immeuble était inévitable et ne pouvait être ignorée de l’assuré (Cass. 2e civ., 20 mai 2020, n° 19-11.538).
      • Le même jour, dans une affaire distincte, la deuxième chambre civile refuse la faute dolosive : se jeter sous un train pour se suicider n’établit pas, à lui seul, que l’assuré ait eu conscience du caractère inéluctable des dommages pour l’exploitant ferroviaire ; pas de dol en l’absence de cette conscience (Cass. 2e civ., 20 mai 2020, n° 19-14.306).
    • De 2021 à 2024, une ligne devenue ferme
      • La Cour de cassation verrouille ensuite la définition : la faute dolosive « suppose un acte délibéré de l’assuré qui ne pouvait ignorer qu’il conduirait à la réalisation inéluctable du sinistre » et fait disparaître l’aléa.
      • À l’inverse, la seule conscience d’un risque, fût-il très élevé, ne suffit pas (Cass. 2e civ., 10 nov. 2021, n°19-12.659).
      • La solution est reprise, en miroir, à propos du suicide par jet sous un train : l’assuré voulait mourir, mais il n’était pas établi qu’il savait que des dommages à des tiers en résulteraient nécessairement ; il n’y a donc pas dol (Cass. 2e civ., 20 janv. 2022, n° 20-13.245).
    • Applications négatives : le filtre de l’inéluctabilité.
      • Dans plusieurs contentieux de commercialisation de produits de défiscalisation, la Cour de cassation casse des décisions ayant retenu la faute dolosive sans constater la conscience du caractère inéluctable des conséquences dommageables : savoir qu’un montage fiscal n’est plus conforme ou que des clients risquent un redressement ne suffit pas à caractériser l’inéluctabilité (Cass. 2e civ., 6 juill. 2023, n° 21-24.833 et n° 21-24.835).
      • La même idée inspire une série de neuf cassations du 4 avril 2024 : pas de dol assurantiel sans démonstration d’un acte délibéré accompli avec la conscience d’un résultat inévitable (Cass. 2e civ., 4 avr. 2024, n° 22-20.267 à 22-20.276).
    • Applications positives : le choix délibéré à issue inévitable
      • À l’inverse, lorsque les faits révèlent un choix prémédité dont l’issue dommageable ne pouvait être évitée, la Cour de cassation admet la faute dolosive.
      • Ainsi, a été approuvée l’exclusion de garantie à l’encontre d’un dirigeant ayant, en connaissance de cause, allégé les contrôles sanitaires sur de la viande hachée, choix ayant conduit au retrait du produit : l’atteinte aux intérêts des tiers s’analysait en conséquence inéluctable du comportement arrêté (Cass. 2e civ., 19 sept. 2024, n° 22-19.698).
      • En construction, le refus délibéré par un promoteur d’exécuter les travaux correctifs préconisés par l’expert pendant le chantier, alors qu’il connaissait l’issue dommageable pour l’ouvrage, caractérise pareillement la faute dolosive et exclut la garantie (Cass. 3e civ., 21 nov. 2024, n° 23-15.803).
      • On retrouve déjà, en amont, l’alignement de la troisième chambre civile sur la définition « acte délibéré + conscience de l’inéluctable » (Cass. 3e civ., 30 mars 2023, n° 21-21.084).
    • Au bilan, depuis 2020, la carte est lisible :
      • Intention : volonté du résultat précis.
      • Dolosif : choix volontaire d’un comportement dont l’assuré sait qu’il entraînera nécessairement un dommage ; pas besoin de prouver une volonté de nuire, mais il faut plus que la conscience d’un risque.
    • Ce doublet, désormais stabilisé, préserve la mutualisation (en évitant de couvrir les comportements qui suppriment l’aléa) sans transformer l’exclusion en clause attrape-tout : la preuve d’une inéluctabilité connue de l’assuré reste exigeante et tranche les dossiers à la marge.

==>Illustrations

  • Sont qualifiés dolosifs :
    • Le suicide par explosion au moyen d’installations de gaz, révélant l’usage de moyens importants et la conscience de l’issue destructrice inévitable pour l’immeuble ; la Cour y voit une faute dolosive excluant la garantie (Cass. 2e civ., 20 mai 2020, n° 19-11.538) ;
    • La mise sur le marché de viande hachée avec allègement délibéré des contrôles sanitaires par le dirigeant, la retraite du produit étant ensuite inévitable : faute dolosive (Cass. 2e civ., 19 sept. 2024, n° 22-19.698) ;
    • Le refus conscient et persistant d’un promoteur de faire réaliser des travaux correctifs préconisés en cours de chantier, avec la conscience du caractère inéluctable des désordres à venir (Cass. 3e civ., 21 nov. 2024, n° 23-15.803) ;
    • Plus généralement, le manquement délibéré à une mission légale ou contractuelle dont l’assuré sait qu’il entraînera nécessairement le dommage (Cass. 2e civ., 25 oct. 2018, n° 16-23.103).

Ces décisions tracent une ligne de crête : connaître un risque, même élevé, même probable, ne suffit pas ; il faut la conscience de l’issue nécessaire.

iii. Cartographie des fautes : la place des fautes lourde et inexcusable

Hors l’hypothèse intentionnelle ou dolosive visée par l’article L. 113-1, al. 2, les autres degrés de la faute ne franchissent pas, en droit commun, le seuil de l’inassurabilité légale.

Elles peuvent donc être coupées de garantie par la voie contractuelle, à la condition que la clause respecte l’exigence de formalisme et de limitation posée par l’alinéa 1er du même texte.

==>Faute lourde et faute inexcusable : assurables par principe, excluables par clause valable

En droit commun des assurances, la faute lourde (négligence d’une gravité particulière) et, hors textes spéciaux, la faute inexcusable demeurent assurables tant qu’aucune exclusion n’a été stipulée et qu’elle ne vise pas une faute relevant de l’alinéa 2.

Les assureurs peuvent donc prévoir des exclusions ciblées, mais la rédaction doit être précise : la Cour de cassation censure les formules vagues qui ne permettent pas à l’assuré de mesurer l’étendue de la garantie. Ainsi, une clause énonçant que sont exclus « les dommages de toute nature causés ou provoqués intentionnellement » a été écartée, car non “formelle et limitée” et, partant, inopposable (Cass. 2e civ., 12 juin 2014, n° 13-15.836, n° 13-16.397).

À l’inverse, la Cour de cassation a déjà admis des exclusions spécialement circonscrites visant des manquements déterminés, dès lors que la clause délimite clairement l’hypothèse visée (v. par ex. Cass. 2e civ., 30 avr. 2014, n° 13-16.901).

La chambre commerciale s’est toutefois montrée plus réticente face à certaines rédactions (Cass. com., 20 nov. 2012, n° 11-27.033), ce qui illustre la vigilance constante sur le caractère limitatif de la clause. Dans cette affaire, la Cour d’appel avait écarté la garantie en se bornant à constater, par le jeu d’une clause, que « le contrat avait perdu son caractère aléatoire ». La Cour de cassation casse : pour appliquer l’exclusion légale, il ne suffit pas d’invoquer l’atteinte à l’aléa ; il faut rechercher si l’assuré « a eu la volonté de causer le dommage tel qu’il est survenu » au sens de l’article L. 113-1, al. 2. Autrement dit, une clause ne peut pas, par simple référence à la disparition de l’aléa, se substituer à la définition stricte de la faute intentionnelle exigée par la loi ; le juge doit caractériser cette volonté du résultat pour priver l’assuré de couverture.

En droit social, la faute inexcusable de l’employeur — aujourd’hui caractérisée par la conscience du danger et l’absence de mesures (jurisprudence « amiante ») — a longtemps été discutée sur le terrain de l’assurabilité. Le législateur a tranché : depuis la loi n° 87-39 du 27 janv. 1987, elle est assurable en matière d’accidents du travail, ce qui confirme que l’inassurabilité légale reste réservée à l’alinéa 2 (faute intentionnelle/dolosive).

==>Régimes spéciaux : des lignes propres, sans bouleverser l’architecture générale

Certains droits spéciaux fixent leurs propres bornes. En assurance maritime, l’article L. 172-13 du code des assurances prohibe la garantie des fautes intentionnelles et des fautes inexcusables de l’assuré ; et l’article L. 175-3 écarte la garantie pour la faute intentionnelle du capitaine. Ici, la faute inexcusable (classiquement appréhendée comme une faute délibérée, avec conscience de la probabilité du dommage et acceptation téméraire sans raison valable) est, par option législative, inassurable, à la différence du droit commun.

D’autres branches connaissent des limitations analogues, sans remettre en cause le schéma de principe : tout ce qui n’est ni intentionnel ni dolosif demeure assurable sauf exclusion contractuelle dûment formelle et limitée.

a.2.3. Preuve et office du juge

i. La preuve

==>Qui ?

La charge pèse sur l’assureur : c’est à lui d’établir que le sinistre « provient » d’une faute intentionnelle (volonté du dommage tel qu’il est survenu) ou d’une faute dolosive (acte délibéré avec conscience de l’inéluctabilité du dommage). Cette règle est constante (Cass. 1ère civ., 15 janv. 1991, n° 89-12.918 ; Cass.. 2e civ., 29 juin 2017, n° 16-12.154).

==>Quoi ?

Intentionnel : l’assureur doit prouver la volonté du résultat dans sa configuration concrète ; la seule conscience d’un risque — même très élevé — ne suffit pas (Cass. 2e civ., 23 sept. 2004, n° 03-14.389).

Dolosif : il doit démontrer un acte délibéré accompli avec la conscience du caractère inéluctable des conséquences ; la simple perception d’un risque demeure insuffisante (Cass. 2e civ., 10 nov. 2021, n° 19-12.659 ).

==>Comment ?

La preuve est libre et peut résulter d’un faisceau d’indices graves, précis et concordants (moyens employés, enchaînement des faits, contexte matériel) recueillis au besoin dans un dossier pénal, sans effet automatique des qualifications pénales (Cass. 2e civ., 8 sept. 2016, n°15-23.563 ; v. l’autonomie, infra). Dans cette affaire, un café, assuré depuis dix jours seulement auprès d’un nouvel assureur, est détruit par un incendie dont l’enquête établit l’origine criminelle ; aucune effraction n’est constatée, seuls trois détenteurs disposent des clés, et la version avancée par l’un d’eux — l’intrusion hypothétique d’auteurs munis de deux barres de fer d’1,60 m dans un passage d’environ un mètre — est jugée fantaisiste.

Malgré un non-lieu pour ce sinistre et une relaxe pour un précédent incendie, la cour d’appel déduit de cet ensemble d’indices la relation du sinistre avec une faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré.

La Cour de cassation approuve : elle relève que les juges du fond ont souverainement apprécié la valeur probante des présomptions retenues, sans inverser la charge de la preuve ni se déterminer par des motifs hypothétiques, et valide ainsi l’exclusion de garantie.

La portée est double : d’une part, le juge civil peut s’appuyer sur les éléments du dossier pénal sans être lié par son issue ; d’autre part, le standard probatoire reste exigeant — à défaut d’indices suffisamment convergents établissant la volonté du résultat (intentionnel) ou l’inéluctabilité connue (dolosif), le doute profite à la garantie.

==>Quel résultat ?

Même lorsque la faute intentionnelle ou dolosive est établie, l’assureur n’est déchargé que pour la part de dommage effectivement recherchée (intentionnel) ou inéluctable au regard de la conscience de l’assuré (dolosif). Le reste demeure garanti. C’est le sens de l’arrêt du 8 mars 2018 : la Cour de cassation rappelle que l’exclusion ne s’étend pas au-delà du dommage voulu, de sorte que les conséquences non recherchées restent à la charge de l’assureur (Cass. 2e civ., 8 mars 2018, n° 17-15.143).

Conséquence probatoire : l’assureur doit mener une preuve « en deux temps » : (i) établir l’intention (ou l’inéluctabilité connue) au moment d’agir ; (ii) délimiter précisément quels chefs de préjudice correspondent à ce résultat voulu/nécessaire. À défaut de cette circonscription, la garantie subsiste pour tout ce qui n’entre pas dans le périmètre prouvé.

Lorsqu’il invoque une exclusion conventionnelle (faute lourde, inexcusable hors textes d’ordre public), l’assureur doit prouver deux choses :

  • D’une part, la validité intrinsèque de la clause, au regard de l’article L. 113-1, al. 1 : elle doit être formelle et limitée, c’est-à-dire rédigée en termes clairs, précis et non équivoques, ne nécessitant aucune interprétation.
  • D’autre part, l’adéquation des faits à l’hypothèse exactement visée par la clause.

À défaut, la clause est inopposable. Ainsi, la Deuxième chambre civile a écarté une stipulation générale du type « sont toujours exclus les dommages de toute nature causés ou provoqués intentionnellement », car elle ne renvoyait pas à des circonstances définies avec précision et appelait interprétation : elle n’était donc ni « formelle » ni « limitée » au sens de L. 113-1, al. 1 (Cass. 2e civ., 12 juin 2014, n° 13-15.836 et n° 13-16.397).

Conséquence pratique : même en présence d’une clause valable, l’assureur doit encore rattacher factuellement le comportement reproché à l’hypothèse exactement décrite par la clause ; sinon, la garantie demeure due.

ii. L’office du juge

Les juges du fond apprécient souverainement les faits révélant — ou non — la volonté du résultat (intentionnel) ou la conscience de l’inéluctabilité (dolosif). La Cour de cassation, elle, contrôle la qualification juridique et la suffisance de la motivation : elle censure les décisions qui confondent témérité et volonté du dommage, ou qui se bornent à invoquer la «disparition de l’aléa» sans caractériser le critère légal de l’article L. 113-1, al. 2 (Cass. 1re civ., 4 juill. 2000, n° 98-10.744).

==>Autonomie vis-à-vis du pénal

L’autorité de la chose jugée au pénal sur les faits ne dispense jamais de la qualification assurantielle : une condamnation pour infraction intentionnelle n’emporte pas automatiquement faute intentionnelle au sens de l’article L. 113-1, al. 2 ; le juge civil doit vérifier la volonté du dommage tel qu’il est survenu (Cass. 2e civ., 16 janv. 2020, n° 18-18.909). À l’inverse, de simples mesures de procédure pénale (mise en examen, contrôle judiciaire) sont indifférentes prises isolément pour caractériser l’exclusion légale (Cass. 2e civ., 22 oct. 2015, n° 14-25.494).

==>Délimitation judiciaire de l’exclusion

Le juge doit borner l’exclusion à la seule part de dommage recherchée (intentionnel) ou inévitable à la conscience (dolosif), et maintenir la garantie pour le surplus (Cass. 2e civ., 8 mars 2018, n° 17-15.143). Il veille aussi à ce que les clauses contractuelles n’élargissent pas, par des formules générales sur l’« aléa », le noyau légal d’inassurabilité : l’invocation abstraite de la perte d’aléa ne se substitue jamais aux critères de l’alinéa 2 (Cass. com., 20 nov. 2012, n° 11-27.033).

Au bilan, preuve exigeante (à la charge de l’assureur) et qualification juridictionnelle stricte marchent de pair : c’est ce couple qui préserve l’équilibre du droit des assurances — couvrir l’aléa fautif ordinaire, mais refuser les comportements qui suppriment l’aléa soit par la volonté du résultat, soit par la conscience de son caractère inéluctable.

b. Domaine

L’articulation de l’article L. 113-1, al. 2, autour de la « faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré », ne produit pleinement ses effets qu’à une double condition : savoir dans quelles branches d’assurance la prohibition joue, et identifier avec précision sur qui pèse l’étiquette d’« assuré ». C’est tout l’enjeu du « domaine ». Mal borné, il transforme une règle d’ordre public étroite (réservée aux sinistres voulus ou inéluctables à la conscience de l’assuré) en un aspirateur d’exclusions ; bien compris, il maintient l’équilibre entre mutualisation du risque et éviction des comportements qui suppriment l’aléa.

Sur le plan des branches (domaine matériel), la question est simple en principe et délicate en pratique. La prohibition légale vaut transversalement, en assurances de dommages comme en assurances de personnes, sous les tempéraments propres à ces dernières (par ex., le régime spécial du suicide en assurance-vie : C. assur., art. L. 132-7). En responsabilité civile, elle se combine avec l’article L. 121-2, qui oblige l’assureur à garantir les dommages causés par les personnes dont l’assuré répond « quelles que soient la nature et la gravité des fautes » : règle cardinale, mais cantonnée à la RC — elle ne s’étend pas aux assurances de choses, la Cour de cassation l’ayant clairement réservé à ce seul terrain (Cass. 1re civ., 5 déc. 2000, n° 98-13.052). C’est ce balisage qui explique, par exemple, qu’une faute intentionnelle d’un préposé n’anéantit pas la garantie RC (L. 121-2), alors qu’une faute intentionnelle de l’assuré lui-même fait tomber la garantie (L. 113-1, al. 2).

Sur le plan des personnes (domaine personnel), tout tient à l’identification du titulaire de l’intérêt assuré. L’alinéa 2 vise « l’assuré » au sens technique : pas nécessairement le souscripteur, pas davantage tout occupant ou proche. En résultent des solutions contrastées mais cohérentes : la faute intentionnelle d’un conjoint non assuré ne peut priver l’assuré de sa garantie (Cass. 2eciv. , 13 juil. 2005, n° 04-14.154) ; à l’inverse, lorsque chacun a la qualité d’assuré, la faute de l’un est opposable à l’autre (Cass. 1re civ., 11 oct. 1994, n° 93-11.295). Pour les personnes morales, l’intention ou le dol s’apprécie dans la tête de leurs dirigeants, de droit ou de fait (Cass. 1ère civ., 6 avr. 2004, n° 01-03.494). Enfin, dans les assurances « pour compte », les exceptions (dont l’exclusion légale) sont opposables au bénéficiaire lorsque l’économie du contrat le commande : la faute intentionnelle du souscripteur-assuré peut alors assécher la garantie due au bénéficiaire (Cass. 1re civ., 20 juil. 1994, n° 90-21.054).

Concrètement, le développement qui suit répondra donc à deux questions opérationnelles : (i) « où » la prohibition s’applique-t-elle (RC / choses / personnes, et avec quels correctifs) ? ; (ii) « à qui » imputer l’intention ou le dol pour déclencher l’inassurabilité ? Ces réponses conditionnent l’issue des litiges : un même fait peut rester assurable en RC (effet de L. 121-2) tout en excluant la garantie en assurance de choses, et une même scène de sinistre peut ou non emporter l’exclusion suivant que l’auteur matériel a — ou non — la qualité d’assuré au regard de la police.

i. Domaine quant aux branches d’assurance

La prohibition des pertes et dommages « provenant d’une faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré » (C. assur., art. L. 113-1, al. 2) irrigue toutes les assurances — de dommages comme de personnes — sous réserve des tempéraments propres à ces dernières (ainsi, le régime spécial du suicide : art. L. 132-7, traité à part).

La spécificité majeure se rencontre en assurance de responsabilité : l’article L. 121-2 impose la garantie des dommages causés par les personnes dont l’assuré est civilement responsable, « quelles que soient la nature et la gravité des fautes de ces personnes ». La règle, d’ordre public, interdit de priver la victime de la couverture au motif que le préposé ou l’enfant a commis une faute grave, voire intentionnelle (v. Cass. 1re civ., 3 oct. 1973, n° 72-12.646 ; confirmation nette : Cass. 1re civ., 12 mars 1991, n° 88-12.441). En d’autres termes, la faute intentionnelle du préposé reste assurable au titre de la RC de son commettant, par l’effet du texte, et toute clause réintroduisant, directement ou indirectement, une distinction selon la gravité de la faute de ces personnes est réputée non écrite.

Limite importante : par un revirement, la Cour de cassation, dans un arrêt du 5 décembre 2000, a réservé L. 121-2 à la seule RC; il est inapplicable aux assurances de choses (incendie, vol, etc.) : Cass. 1re civ., 5 déc. 2000, n° 98-13.052. Ainsi, en assurance de choses, la faute intentionnelle d’un tiers (préposé, enfant) demeure la faute d’un tiers : la garantie de la chose assurée reste due (sauf stipulation contraire valable), et l’exclusion légale de l’alinéa 2 ne joue que si l’auteur de la faute est l’assuré lui-même.

ii. Domaine quant aux personnes : qui est « l’assuré » auteur de la faute ?

==>L’assuré, pas nécessairement le souscripteur

L’alinéa 2 de l’article 113-1 du Code des assurances vise l’assuré au sens technique — le titulaire de l’intérêt d’assurance —, et non le seul souscripteur. La jurisprudence y veille : ainsi, la faute intentionnelle du conjoint non assuré n’exclut pas la garantie due à l’assuré (abandon de l’ancienne théorie de la « communauté d’intérêts » : Cass. 2e civ., 13 juill. 2005, n°04-14.154). À l’inverse, lorsque les deux époux/concubins ont la qualité d’assurés, la faute intentionnelle de l’un est opposable à l’autre (Cass. 1re civ., 11 oct. 1994, n° 93-11.295).

Dans les montages pour compte, la solution est subtile : l’auteur de la faute intentionnelle peut être le souscripteur (p. ex., un locataire) tandis que le bénéficiaire de la garantie (p. ex., le propriétaire) est assuré pour compte ; la Cour de cassation a pu admettre que la faute du souscripteur soit opposable au bénéficiaire lorsque l’économie du contrat le commande (v. Cass. 1re civ., 20 juill. 1994, n° 90-21.054), tout en rappelant que l’analyse se fait au regard des qualités assurantielles effectives attachées aux différentes garanties (dommages/RC).

Dans cette affaire, un propriétaire avait imposé, dans le bail, que le locataire souscrive une assurance « pour le compte » du bailleur contre le risque d’incendie. Un sinistre survient : l’immeuble est endommagé par un incendie volontaire commis par un salarié, avec la complicité du gérant de la société locataire. Le propriétaire, bénéficiaire de l’assurance pour compte, réclame l’indemnité à l’assureur du locataire (un syndicat de souscripteurs du Lloyd’s). L’assureur refuse, en invoquant l’exclusion légale pour faute intentionnelle.

La première chambre civile approuve ce refus. Elle constate que l’incendie a été volontaire, avec la complicité du gérant de la société locataire (donc dirigeant de droit). Or cette société était souscripteur du contrat d’assurance conclu « pour le compte » du propriétaire. Dans ces conditions, la faute intentionnelle du représentant de ce souscripteur fait obstacle à la garantie en vertu de l’article L. 113-1, al. 2, et cette exclusion est opposable au bénéficiaire pour compte en application de l’article L. 112-1, al. 3 (opposabilité au bénéficiaire des exceptions nées du contrat conclu pour son compte). La Cour rejette donc le pourvoi du propriétaire (Cass. 1re civ., 20 juill. 1994, n° 90-21.054).

Ce que décide la Cour de cassation:

  • Qui porte la faute intentionnelle ? La faute est appréciée en la personne de l’assuré au sens technique. Ici, l’assuré sur la tête duquel pèse le risque « incendie des locaux exploités » est la société locataire souscriptrice ; son dirigeant (de droit) ayant participé à l’incendie, la faute intentionnelle est retenue au niveau de l’assuré (et non d’un simple tiers).
  • Opposabilité au bénéficiaire pour compte. Parce que le contrat est souscrit pour compte du propriétaire, l’assureur peut lui opposer toutes les exceptions tirées du contrat qu’il aurait pu opposer au souscripteur (art. L. 112-1, al. 3). La faute intentionnelle du souscripteur/assuré prive donc le bénéficiaire du droit à indemnité.
  • Arguments écartés. Le propriétaire invoquait notamment la règle de l’article L. 121-2 (garantie des pertes causées par les personnes dont l’assuré est civilement responsable « quelles que soient la nature et la gravité des fautes »). L’argument ne prend pas en l’espèce : d’une part parce que la faute vise le dirigeant de la société (dont l’intentionnel s’apprécie au regard de la personne morale), d’autre part parce que l’opposabilité au bénéficiaire pour compte découle directement de L. 112-1, al. 3. Plus largement, la Cour de cassation a depuis rappelé que L. 121-2 est la clé de voûte des assurances de responsabilité, et ne s’étend pas aux assurances de choses (Cass. 1re civ., 5 déc. 2000, n° 98-13.052).

Sur le terrain pratique, l’assurance « pour compte » appelle une vigilance particulière. Lorsque le locataire souscrit, pour le compte du propriétaire, une assurance de choses couvrant l’immeuble, la faute intentionnelle imputable à la « tête assurée » – ici, le locataire-société – peut priver le bénéficiaire (le propriétaire) de toute indemnité. La raison en est double : d’une part, en assurance pour compte, l’assureur peut opposer au bénéficiaire toutes les exceptions nées du contrat (art. L. 112-1, al. 3) ; d’autre part, la faute intentionnelle de l’assuré exclut la garantie par l’effet de l’article L. 113-1, al. 2. C’est exactement ce que retient l’arrêt du 20 juillet 1994 : l’incendie volontaire commis avec la complicité du gérant de la société locataire – donc au niveau de la personne morale assurée – fait tomber la garantie, exclusion qui s’impose au propriétaire bénéficiaire du contrat souscrit pour son compte (Cass. 1re civ., 20 juill. 1994, n° 90-21.054).

La solution est parfaitement cohérente avec deux lignes directrices constantes. D’abord, lorsque l’assuré est une personne morale, l’intention (ou le dol) s’apprécie dans la tête de ses dirigeants, de droit ou de fait (Cass. 1re civ., 6 avr. 2004, n° 01-03.494). Ensuite, en matière d’assurance pour compte, le jeu de l’article L. 112-1, al. 3 rend opposables au bénéficiaire les exceptions que l’assureur tiendrait du contrat vis-à-vis du souscripteur-assuré. En bref, dans les assurances de choses souscrites pour compte, la faute intentionnelle du souscripteur-assuré – appréciée via son dirigeant – assèche la garantie y compris à l’égard du bénéficiaire, par l’effet combiné des articles L. 113-1, al. 2 et L. 112-1, al. 3.

==>Personne morale assurée

Lorsque l’assuré est une personne morale, l’intention ou le dol s’apprécient chez ses dirigeants, de droit ou de fait. La Cour de cassation l’a explicitement jugé, y compris en soulignant l’autonomie de la qualification assurantielle par rapport au pénal (Cass. 1re civ., 6 avr. 2004, n° 01-03.494).

Corrélativement, la faute intentionnelle d’un préposé n’est pas la faute de la personne morale assurée : en RC, L. 121-2 impose la garantie « quelles que soient la nature et la gravité des fautes » de ces personnes ; en assurance de choses, la faute du préposé demeure celle d’un tiers, la garantie de la chose n’étant écartée qu’en cas de faute intentionnelle de l’assuré lui-même.

==>Vigilance : qui est (vraiment) assuré ?

La Cour de cassation rappelle avec force que l’exclusion légale de l’article L. 113-1, al. 2 ne joue qu’à l’égard de « la faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré » — encore faut-il identifier qui est l’assuré au sens du contrat.

Dans l’affaire du 5 mars 2015, des bailleurs avaient assigné leur locataire et l’assureur «risques locatifs » de celle-ci, après de lourdes dégradations commises dans l’appartement par le fils majeur de la locataire. L’assureur avait refusé sa garantie en opposant la faute intentionnelle, la cour d’appel ayant retenu que le fils devait être « considéré comme assuré» parce qu’hébergé au foyer et rattaché fiscalement à sa mère. La deuxième chambre civile casse : les bailleurs soutenaient, pièces à l’appui, que le fils n’était pas assuré au sens des conditions générales (il était majeur et déposait des déclarations fiscales distinctes) ; la Cour d’appel devait répondre à ce moyen déterminant, ce qu’elle n’a pas fait (violation des art. 4 et 5 CPC). Autrement dit, avant d’écarter la garantie sur le terrain de L. 113-1, al. 2, le juge doit vérifier, à la lumière de la police, que l’auteur de l’acte intentionnel a bien la qualité d’« assuré ». À défaut, l’exclusion légale ne peut être opposée à l’assuré (Cass. 2e civ., 5 mars 2015, n° 14-13.740.

La portée est nette : seule la faute intentionnelle de l’assuré, au sens technique retenu par la police (titulaire de l’intérêt et/ou personnes désignées comme « assurés »), déclenche l’inassurabilité légale ; la faute d’un tiers — fût-il un proche occupant les lieux — ne suffit pas, à elle seule, à priver l’assuré de la garantie, sauf texte spécial ou stipulation contractuelle valable. La ligne est constante : ainsi, la faute intentionnelle du conjoint non assuré ne peut exclure la garantie due à l’assuré (abandon de l’ancienne « communauté d’intérêts » : Cass. 2e civ., 13 juill. 2005, n° 04-14.154), tandis que, lorsque deux personnes ont toutes deux la qualité d’assurés au contrat, la faute intentionnelle de l’une est opposable à l’autre (Cass. 1re civ., 11 oct. 1994, n° 93-11.295). Enfin, quand l’assuré est une personne morale, l’intention/dol s’apprécie dans la tête de ses dirigeants de droit ou de fait (Cass. 1re civ., 6 avr. 2004, n° 01-03.494).

c. Mise en œuvre par branches

La qualification « faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré » n’a de sens qu’inscrite dans les branches où elle se déploie. Or ces branches n’obéissent pas aux mêmes logiques. En assurance de responsabilité, l’exigence d’indemnisation des victimes conduit le législateur à neutraliser la gravité des fautes des personnes dont l’assuré répond (art. L. 121-2), règle d’ordre public consacrée de longue date (Cass. 1re civ., 12 mars 1991, n° 88-12.441).

À l’inverse, en assurance de choses, cette neutralisation ne joue pas : la Cour de cassation en a réservé le bénéfice à la seule RC (revirement : Cass. 1re civ., 5 déc. 2000, n° 98-13.052). En assurances de personnes, le législateur aménage des régimes spéciaux (suicide : art. L. 132-7 ; indignité du bénéficiaire meurtrier : art. L. 132-24). S’y ajoutent des exclusions légales propres à certains risques collectifs (guerre, émeutes : art. L. 121-8 ; terrorisme : art. L. 126-1 s.).

Dans toutes ces configurations, deux garde-fous demeurent : la charge probatoire pèse sur l’assureur et l’exclusion ne peut viser que le dommage recherché (ou inévitable à la conscience), la garantie subsistant pour le surplus (Cass. 2e civ., 8 mars 2018, n°17-15.143).

c.1. Assurances de dommages

i. Faute de l’assuré lui-même

Lorsque l’auteur du fait générateur est l’assuré lui-même, l’exclusion légale ne peut jouer qu’aux conditions strictes de l’article L. 113-1, al. 2. Aussi, pour se prévaloir de l’exclusion légale, l’assureur doit prouver l’une des deux qualifications, à titre alternatif :

Sur la preuve, la Cour de cassation admet un faisceau de présomptions graves, précises et concordantes (indices matériels, temporalité, contrôle des accès, incohérences des explications), y compris tirées d’un dossier pénal – sans effet automatique des qualifications répressives (Cass. 2e civ., 8 sept. 2016, n° 15-23.563). À l’inverse, la seule conscience d’un risque élevé ne suffit pas : il faut la volonté du résultat (intentionnel) ou la conscience de son caractère inévitable (dolosif) ; c’est précisément ce que la Cour rappelle lorsqu’elle casse une décision ayant déduit l’intention de la simple témérité (Cass. 2e civ., 28 mars 2019, n° 18-15.829).

Même établie, la qualification ne purge pas toute couverture : l’exclusion légale est circonscrite au dommage recherché (ou rendu inévitable). Les conséquences non voulues demeurent garanties. La Deuxième chambre civile l’a dit expressément : l’exclusion « ne joue que pour la part du dommage effectivement recherchée », la garantie subsistant pour le surplus (Cass. 2e civ., 8 mars 2018, n° 17-15.143). Il en résulte, en pratique, une preuve segmentée : l’assureur doit non seulement établir la qualification (intention/dol), mais encore délimiter la part du préjudice effectivement voulue (intentionnel) ou inévitable à la conscience (dolosif).

Deux précisions sur le périmètre des personnes visées.

  • Personne morale assurée. L’élément intentionnel ou dolosif s’apprécie au niveau de ses dirigeants (de droit ou de fait) ; la faute d’un simple préposé ne suffit pas à caractériser la « faute de l’assuré » au sens de l’article L. 113-1, al. 2 (Cass. 1re civ., 6 avr. 2004, n° 01-03.494).
  • Action directe de la victime. La victime qui agit contre l’assureur (art. L. 124-3) n’a pas plus de droits que l’assuré : l’assureur peut lui opposer l’inassurabilité légale résultant de la faute intentionnelle/dolosive de l’assuré. Mais cette inopposabilité est strictement cantonnée au seul dommage recherché ; le reste demeure garanti (Cass. 2e civ., 8 mars 2018, n° 17-15.143).

Une police ne peut pas créer d’autres cas d’inassurabilité que ceux de l’article L. 113-1, al. 2: pas de refus de garantie sans preuve de la volonté du dommage ou de son inéluctabilité connue.

En pratique, les clauses qui remplacent ces critères légaux par des formules générales (« disparition de l’aléa », « dommages causés ou provoqués intentionnellement » sans autre précision) sont inopposables : elles ne dispensent ni de caractériser l’intention du résultat (ou l’inéluctabilité connue), ni de rapporter la preuve correspondante. Le juge doit donc écarter ces stipulations trop vagues et appliquer strictement l’alinéa 2, en exigeant la démonstration du dommage voulu (intentionnel) ou nécessaire à la conscience de l’assuré (dolosif). (Cass. com., 20 nov. 2012, n° 11-27.033)

ii. Faute des personnes dont l’assuré répond (préposés, enfants, etc.)

En responsabilité civile, la règle cardinale est posée par l’article L. 121-2 : l’assureur doit sa garantie « quelles que soient la nature et la gravité des fautes » des personnes dont l’assuré répond. Il en résulte que la faute, fût-elle intentionnelle, d’un préposé ou d’un enfant n’autorise pas l’assureur à refuser la garantie due au commettant (ou au responsable légal). La Cour de cassation l’affirme de longue date et sans ambiguïté (solution de principe : Cass. 1re civ., 12 mars 1991, n° 88-12.441 ).

Cette protection est d’ordre public : sont réputées non écrites les clauses qui, directement ou indirectement, réintroduisent une distinction selon la gravité de la faute des personnes dont l’assuré répond (par ex. en visant la « faute intentionnelle du préposé »). Tel est l’enseignement de principe (Cass. 1re civ., 27 mai 1986, n° 84-16.420).

À l’inverse, demeurent licites de vraies délimitations d’objet du risque — celles qui tracent le périmètre matériel de la garantie (activité assurée, catégories de biens ou de dommages couverts, retrait des risques relevant d’une assurance obligatoire distincte, tel le risque automobile), sans moduler la couverture selon la gravité d’une faute. Cette approche, qui distingue nettement la délimitation du risque (permise) des exclusions fondées sur la gravité d’une faute (interdites en RC par l’art. L. 121-2), s’inscrit dans la ligne qui réserve ce texte à la seule responsabilité civile et non aux assurances de choses (Cass. 1re civ., 5 déc. 2000, n° 98-13.052).

L’« immunité » assurantielle que l’article L. 121-2 confère au commettant n’est pas un blanc-seing : elle s’adosse à une architecture subtile où la lettre du texte, sa finalité protectrice des victimes et l’économie générale du droit des assurances se répondent.

La première borne est désormais classique : par un revirement clair, la première chambre civile a réservé L. 121-2 au seul terrain de la responsabilité civile. En dehors de ce champ — assurance de choses notamment — la faute du préposé, du conjoint ou de l’enfant n’est que celle d’un tiers, et la garantie du bien n’est écartée qu’en cas de faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré lui-même au sens de L. 113-1, al. 2, ou si une clause formelle et limitée l’a valablement prévue.

C’est le sens direct de l’arrêt de principe qui circonscrit L. 121-2 à la RC et refuse son extension aux assurances de biens (Cass. 1re civ., 5 déc. 2000, n° 98-13.052). La cohérence d’ensemble est évidente : la règle d’ordre public protège les victimes en RC sans dissoudre l’aléa en biens, lequel demeure gouverné par L. 113-1 et par la délimitation contractuelle licite du risque (v. déjà, pour les délimitations matérielles admises en RC, Cass. 1re civ., 1er juill. 1986, n° 84-17.750).

La seconde borne se rencontre lorsque le préposé est lui-même co-assuré au contrat. Dans cette hypothèse, l’assureur peut refuser sa garantie à l’égard du préposé-assuré sur le fondement de l’article L. 113-1, al. 2, à la condition stricte d’établir soit la volonté de créer le dommage tel qu’il est survenu (faute intentionnelle), soit un acte délibéré accompli avec la conscience du caractère inéluctable de ses conséquences dommageables (faute dolosive, reconnue comme autonome) ; en revanche, ce refus n’affecte pas la garantie due au commettant au titre de L. 121-2, pour la dette de responsabilité civile encourue du fait du préposé (v. pour l’illustration en matière de clause « rixe », Cass. 2e civ., 5 oct. 2006, n° 05-11.823).

La clé est probatoire : la charge de démontrer l’intention du résultat — et non une simple prise de risque — ou, sur le terrain du dolosif, la conscience de l’inéluctabilité du dommage, pèse sur l’assureur (v. Cass. 3e civ., 11 juill. 2012, n° 11-16.414). À défaut de preuve, la couverture personnelle du préposé co-assuré demeure acquise ; a fortiori, la garantie due au commettant sur le fondement de L. 121-2 ne peut être écartée.

Sur le terrain procédural, la victime dispose de l’action directe (L. 124-3) et bénéficie pleinement du caractère impératif de L. 121-2 : l’assureur de RC du commettant ne peut lui opposer la gravité — fût-elle intentionnelle — de la faute du préposé pour décliner sa garantie. La Cour de cassation affirme de longue date ce verrou d’ordre public et répute non écrites les stipulations qui, directement ou par détour, réintroduisent une graduation selon la faute de la personne dont l’assuré répond (Cass. 1re civ., 12 mars 1991, n° 88-12.441). À l’inverse, demeurent licites les vraies délimitations d’objet — celles qui tracent le périmètre matériel de la garantie sans jouer sur la gravité de la faute (activité assurée, catégories de dommages ou de biens, retrait de risques relevant d’une assurance obligatoire distincte), ce que rappelle la jurisprudence qui, par cohérence, cantonne L. 121-2 à la seule RC (Cass. 1re civ., 5 déc. 2000, n° 98-13.052).

Après avoir indemnisé la victime, l’assureur de responsabilité du commettant n’exerce un recours contre le préposé qu’à la place du commettant et dans les mêmes limites que lui (subrogation). Or, par principe, le salarié n’engage pas sa responsabilité personnelle envers les tiers lorsqu’il a agi dans les limites de sa mission et sans faute pénale intentionnelle : c’est la solution de l’Assemblée plénière dans l’arrêt Costedoat (Ass. plén., 25 févr. 2000, n° 97-17.378). Concrètement, si le fait dommageable s’inscrit dans la mission confiée, le commettant n’a pas d’action récursoire contre son préposé ; l’assureur, subrogé, ne peut donc pas davantage agir contre lui.

Ce principe connaît toutefois l’exception consacrée par l’arrêt Cousin : lorsque le préposé a commis une faute pénale intentionnelle, ou encore a délibérément violé une obligation de prudence ou de sécurité lui imposée, il engage sa responsabilité personnelle ; dans ce cas, le recours du commettant — et, par subrogation, celui de son assureur — redevient recevable (Ass. plén., 14 déc. 2001, n° 00-82.066). L’articulation est alors simple : L. 121-2 garantit l’indemnisation de la victime par l’assureur du commettant, mais n’efface pas la responsabilité personnelle du préposé lorsque ses agissements franchissent le seuil de la faute intentionnelle pénale ou de la violation délibérée d’une règle de sécurité ; dans ces seules hypothèses, l’assureur peut répercuter le coût de l’indemnisation sur l’auteur.

Reste l’articulation, parfois délicate, avec les exclusions légales spéciales. L’article L. 121-8 — guerres, émeutes, mouvements populaires — relève d’une logique propre de délimitation légale de la garantie. La deuxième chambre civile a rappelé que ces textes prévalent lorsqu’ils sont applicables et ne se heurtent donc pas à L. 121-2 : une clause se bornant à reprendre l’exclusion légale des émeutes est opposable, y compris lorsque l’auteur du dommage est un mineur dont l’assuré répond (Cass. 2e civ., 22 nov. 2012, n° 11-19.524). On retrouve ici, transposée, la distinction cardinale de la théorie générale du contrat d’assurance entre délimitation du risque — permise et même dictée par la loi — et exclusions fondées sur la gravité d’une faute — prohibées en RC par L. 121-2. La jurisprudence de guerre et d’émeute, exigeant la preuve d’un lien de causalité étroit et déterminant avec le fait de trouble (et non de simples considérations de contexte), vient d’ailleurs discipliner ce jeu de frontières (v. par ex. Cass. 1re civ., 24 mars 1992, n° 89-14.880).

Au total, la ligne est ferme et lisible. En responsabilité civile, la gravité de la faute du tiers dont l’assuré répond n’est jamais un motif d’exclusion : la garantie du commettant s’impose, l’action directe de la victime est préservée, et les tentatives contractuelles de réintroduire l’intentionnel du préposé sont neutralisées (Cass. 1re civ., 12 mars 1991, n° 88-12.441). En assurances de biens, l’assurabilité demeure gouvernée par l’article L. 113-1 — faute de l’assuré — et par les clauses valablement formelles et limitées, L. 121-2 étant sans application (Cass. 1re civ., 5 déc. 2000, n° 98-13.052). Dans l’hypothèse mixte d’un préposé co-assuré, l’exclusion légale peut viser l’auteur si ses conditions sont rigoureusement rapportées, mais elle ne défait pas la garantie due au commettant en RC (Cass. 2e civ., 5 oct. 2006, n° 05-11.823). Enfin, les exclusions légales spéciales — tel L. 121-8 — opèrent à part, comme de véritables bornes légales du risque, dès lors que leurs conditions sont précisément réunies (Cass. 2e civ., 22 nov. 2012, n° 11-19.524). L’ensemble assure ce que la doctrine a depuis longtemps posé comme exigence : protéger les victimes sans transformer l’assurance en mécanisme d’indemnisation des atteintes voulues, et sans dissoudre l’aléa constitutif du contrat.

c.2. Assurances de personnes

En assurance de personnes, deux hypothèses où la volonté humaine interfère avec le sinistre font l’objet d’un traitement légal spécifique : le suicide de l’assuré et le meurtre de l’assuré par le bénéficiaire. Le législateur n’a pas renvoyé ces cas à l’exclusion générale des fautes intentionnelles (art. L. 113-1), mais a posé deux régimes autonomes de délimitation du risque.

D’une part, l’article L. 132-7 instaure un délai de carence : le suicide n’est pas couvert la première année, puis il doit l’être à compter de la deuxième ; en cas d’augmentation des garanties, un nouveau délai court pour la part augmentée. Des ajustements existent pour les contrats de groupe et, surtout, pour l’assurance emprunteur finançant la résidence principale, où la couverture du suicide est immédiate dans la limite d’un plafond réglementaire (au moins 120 000 € : art. R. 132-5). Pendant la période d’exclusion, la preuve du caractère volontaire de la mort incombe à l’assureur ; la Cour de cassation l’a rappelé avec constance, la qualification factuelle relevant du pouvoir souverain des juges du fond (Cass. 1re civ., 22 oct. 1996, n° 94-14.399).

D’autre part, l’article L. 132-24 ne touche pas à la définition du risque : il écarte personnellement du bénéfice de l’assurance le bénéficiaire condamné pour avoir volontairement donné la mort à l’assuré. La sanction vise le bénéficiaire auteur (ou complice) du crime, non le contrat. Le contrat subsiste : l’assureur verse alors la valeur due (valeur de rachat ou, à défaut, la provision mathématique) au contractant ou à ses ayants droit, ou encore aux autres bénéficiaires selon la stipulation prévue. La seule tentative d’homicide ne déclenche pas l’exclusion automatique ; elle ouvre au contraire au souscripteur un droit de révocation du bénéficiaire, même après acceptation (C. assur., art. L. 132-4, al. 3). La logique est celle de l’indignité transposée à l’assurance-vie : nul ne peut se prévaloir de son crime, tandis que la fonction protectrice du contrat est préservée en faveur des personnes restées étrangères au fait homicide (C. assur., art. L. 132-24).

Les développements qui suivent traiteront, d’une part, du suicide (régime légal, variantes en assurance de groupe et assurance emprunteur, charge et modes de preuve) et, d’autre part, du meurtre par le bénéficiaire (conditions, effets et articulation avec la stipulation pour autrui).

i. Le suicide de l’assuré

Le régime du suicide a été soustrait à la logique générale de l’article L. 113-1 pour faire l’objet d’une délimitation légale propre aux assurances de personnes.

Le principe est simple et tient en deux temps :

  • (i) pendant la première année suivant la souscription, « l’assurance en cas de décès est de nul effet si l’assuré se donne volontairement la mort » ;
  • (ii) à compter de la deuxième année, la garantie du suicide est impérative et aucune clause ne peut la neutraliser.

En cas d’augmentation des garanties en cours de contrat, un nouveau délai d’un an ne vise que la part augmentée (C. assur., art. L. 132-7, al. 1 et 2). Sous l’ancien droit, la Cour avait admis qu’une date de départ conventionnelle du délai puisse être retenue (v. Cass. 1re civ., 23 juin 1998, n° 96-10839). Désormais, la formule légale “au cours de la première année du contrat” renvoie normalement à la souscription ; et seule l’augmentation de garanties rouvre un nouveau délai d’un an, strictement limité à la part majorée (L. 132-7, al. 2), toute remise à zéro globale étant exclue. Cette technique n’est pas une «exclusion pour faute intentionnelle » au sens de L. 113-1 : c’est une règle spéciale qui fixe une période de carence destinée à prévenir les souscriptions opportunistes ; au-delà, la garantie est due de plein droit, et l’assureur ne peut pas invoquer L. 113-1 pour la refuser.

Deux régimes particuliers complètent le dispositif.

  • En assurance de groupe, le premier alinéa de L. 132-7 ne s’applique pas : les parties peuvent convenir, dès l’origine, de couvrir ou d’exclure le suicide ; mais à partir de la deuxième année, la garantie devient obligatoire (C. assur., art. L. 132-7, al. 3).
  • En assurance emprunteur garantissant un prêt destiné à l’acquisition du logement principal, la couverture est due dès la souscription, dans la limite d’un plafond réglementaire (plancher : 120 000 €, C. assur., art. R. 132-5), afin d’éviter qu’un décès précoce ne provoque la déchéance du prêt et ne fragilise le ménage (v. Beignier, Dr. famille 2002, chron. 13).

Historiquement, le délai de carence a été réduit de deux ans à un an par la loi du 2 juillet 1998 ; puis la loi du 3 décembre 2001 a supprimé la référence au « suicide conscient » et a consacré l’obligation de garantie à partir de la deuxième année, toute stipulation contraire étant réputée non écrite. L’ensemble confirme le caractère spécial et autonome de l’article L. 132-7 (al. 1 et 2) et implique qu’au-delà de la carence l’assureur ne peut se prévaloir de l’article L. 113-1 pour refuser sa prestation.

La question probatoire appelle une mise en perspective. Sous les textes antérieurs, l’article L. 132-7 visait le suicide « volontaire et conscient » : pendant la période d’exclusion, il incombait à l’assureur d’établir la volonté de se donner la mort et le caractère conscient du geste ; la Cour de cassation l’a expressément rappelé (Cass. 1re civ., 22 oct. 1996, n° 94-14.399). La preuve pouvait être rapportée par indices convergents (lettre d’adieu, préparation matérielle, choix d’un mode opératoire intrinsèquement létal) ; à l’inverse, des éléments médicaux ou contextuels pouvaient exclure un acte pleinement voulu et lucide. Deux illustrations demeurent classiques : preuve admise lorsque l’assuré laisse un écrit sans ambiguïté et met en place un dispositif d’asphyxie (enfermement, moteur allumé, tuyau relié au pot d’échappement : Cass. 1re civ., 14 mars 2000, n° 97-21.581) ; qualification écartée en cas d’asphyxie auto-érotique, faute de finalité létale démontrée, l’appréciation souveraine des juges du fond n’appelant pas de censure (Cass. 1re civ., 2 juil. 1996, n° 94-12.955).

Depuis la loi du 3 décembre 2001, la référence au « suicide conscient » a disparu du texte : durant la carence, l’assureur ne peut se délier que s’il prouve que l’assuré « s’est volontairement donné la mort » ; au-delà, la garantie est légalement due, et toute clause contraire est inopérante. La charge de la preuve n’a pas changé : tant que l’assureur invoque l’exclusion, c’est à lui d’établir la volonté de mourir (la solution de 1996 demeure pertinente : Cass. 1re civ., 2 juil. 1996, n° 94-12.955). Dans la pratique, les juridictions continuent d’examiner les circonstances (écrits, préparation, modus operandi, contexte psychique) pour caractériser ou exclure cette volonté : lorsqu’il ressort du dossier que le défunt était privé de toute capacité de réflexion (dépression majeure, obnubilation), l’intention de se donner la mort n’est pas tenue pour établie (CA Aix-en-Provence, 8 janv. 2003, n° 98/01785) ; inversement, l’accumulation d’indices concordants suffit à convaincre (Cass. 1re civ., 14 mars 2000, n° 97-21.581.). La Cour de cassation, fidèle à son office, régule la règle de droit et la répartition de la charge de la preuve, mais laisse aux juges du fond l’appréciation des faits (Cass. 1re civ., 2 juil. 1996, n° 94-12.955).

La frontière avec l’accident doit, enfin, être tracée avec rigueur. Lorsque la police prévoit un capital « accident » additionnel, la preuve de l’accident — pour ce seul complément — pèse sur les bénéficiaires ; mais l’échec de cette preuve n’autorise pas, par simple déduction, à requalifier le décès en suicide : pendant la carence, l’assureur doit positivement établir la volonté de mourir s’il entend opposer l’article L. 132-7 du Code des assurance (Cass. 1re civ., 24 mai 2000). Et lorsque la carence est expirée, la discussion probatoire sur l’intention cesse d’être opérante pour la garantie de base : la prestation décès est due, sans qu’il soit possible d’opposer l’article L. 113-1. À cela s’ajoute, en cas d’augmentation des garanties, que le nouveau délai d’un an est strictement cantonné à la fraction majorée, excluant toute «remise à zéro » globale de la couverture (C. assur., art. L. 132-7, al. 2).

ii Meurtre de l’assuré par le bénéficiaire

Le dispositif est d’une grande netteté : lorsque le bénéficiaire est condamné pour avoir volontairement donné la mort à l’assuré – ou au contractant –, il perd le bénéfice du contrat. L’article L. 132-24 ne discute pas l’assurabilité du risque ; il attache à la condamnation pénale une sanction civile ciblée, limitée à la personne du bénéficiaire reconnu coupable. La finalité est double et classique : empêcher tout profit tiré d’un crime et préserver la fonction protectrice de l’assurance-vie au profit des titulaires légitimes, dans un esprit voisin de l’indignité successorale.

La condition déterminante tient à l’intention homicide juridiquement constatée et à l’imputabilité pénale du décès. Sont visés les crimes intentionnels contre la vie (meurtre, assassinat, empoisonnement), que le bénéficiaire soit auteur, coauteur ou complice dès lors qu’il est condamné en cette qualité. À l’inverse, l’homicide involontaire ou des violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner ne déclenchent pas le mécanisme légal : faute d’intention homicide, L. 132-24 ne s’applique pas. La lettre même du texte – « a été condamné pour avoir donné volontairement la mort » – impose une reconnaissance pénale de culpabilité ; une simple suspicion, une instruction en cours ou une hypothèse d’enquête ne suffisent pas. En pratique, tant qu’aucune condamnation n’est intervenue, le bénéficiaire ne peut être écarté sur ce fondement (la doctrine et la jurisprudence rappellent que la culpabilité « non élucidée » ne fonde pas la privation de droits).

Lorsque la condamnation fait défaut parce qu’il n’y a qu’une tentative, la loi adopte une solution intermédiaire : le souscripteur peut révoquer la stipulation au profit du bénéficiaire même si celui-ci l’a déjà acceptée (C. assur., art. L. 132-24, al. 3). Il s’agit d’une exception expresse au régime d’irrévocabilité de l’acceptation (C. assur., art. L. 132-4) justifiée par la gravité du comportement : un projet criminel, resté au stade de la tentative, ne doit pas figer irréversiblement la clause bénéficiaire.

La portée de la sanction est strictement personnelle. Le contrat ne s’éteint pas : il « cesse d’avoir effet à l’égard du bénéficiaire » condamné. La garantie demeure et se réattribue selon la clause bénéficiaire au profit des autres bénéficiaires désignés ; à défaut, l’assureur verse au souscripteur ou à ses ayants droit le montant de la provision mathématique (formule du texte), sauf stipulation désignant un bénéficiaire subséquent (C. assur., art. L. 132-24, al. 2). En cas de pluralité de bénéficiaires, seule la quote-part du condamné est retranchée ; les co-bénéficiaires non impliqués conservent leur droit dans la proportion prévue, et la fraction retranchée suit la cascade prévue par la police (bénéficiaires de rang suivant, puis, à défaut, versement de la provision mathématique au souscripteur/ayants droit). La même mécanique joue lorsque la condamnation vise le meurtre du contractant (et non de l’assuré) : le bénéficiaire meurtrier est écarté, mais la valeur accumulée reste affectée aux titulaires légitimes.

Sur le terrain probatoire, l’assureur ne peut se contenter d’indices : l’exclusion légale suppose la production d’une condamnation pénale du bénéficiaire pour homicide volontaire ou participation intentionnelle à celui-ci. À l’inverse, une relaxe ou un acquittement pour absence d’intention homicide font obstacle à l’application de L. 132-24 (sans priver l’assureur d’autres moyens éventuels, étrangers à ce texte). La répartition des rôles est claire : le juge pénal constate l’infraction et la culpabilité ; le juge civil en tire les effets assurantiels strictement prévus par la loi, sans étendre ni restreindre son champ (v. la présentation constante en doctrine : Kullmann ; Groutel ; Beignier).

L’ensemble dessine une politique cohérente : là où, pour le suicide, le législateur module la garantie dans le temps afin de préserver l’équilibre assurantiel, il écarte purement et simplement le bénéficiaire criminel afin d’éviter tout aléa moral insoutenable et de garantir que l’assurance-vie protège les proches, non qu’elle rémunère un crime.

1.1.2.2. Les risques de guerre, émeutes, mouvements populaires et actes de terrorisme et attentats

En assurances de dommages, le droit positif repose sur une architecture assumée : il distingue les violences collectives « systémiques » — guerre étrangère ou civile, émeutes et mouvements populaires — des actes de terrorisme. Pour les premières, le Code retient par défaut une mise hors garantie (C. assur., art. L. 121-8), ouverte à la stipulation contraire. Le choix est d’ingénierie assurantielle autant que juridique : des sinistres massifs, corrélés et simultanés excèdent la logique de mutualisation ordinaire et appellent, s’ils doivent être couverts, une négociation contractuelle explicite des conditions et des prix. À l’inverse, face au terrorisme, le législateur a fixé un socle impératif : garantie légale des dommages matériels dans les polices de biens et, pour les atteintes aux personnes, indemnisation par la solidarité nationale (C. assur., art. L. 126-2 et L. 126-1).

Cette ligne n’oppose pas seulement deux textes ; elle articule deux politiques juridiques: délimiter en amont ce que l’assurance peut absorber sans se défaire (guerre, émeutes), et garantir en toutes circonstances une réparation effective des atteintes terroristes — par l’assureur pour les choses, par le Fonds de garantie pour les personnes. Les développements qui suivent déclinent ce diptyque (champ, preuve, effets) et montrent comment la jurisprudence en ajuste les frontières sans en altérer la logique d’ensemble.

a. Guerre, émeutes, mouvements populaires (art. L. 121-8)

==>Domaine et caractère supplétif

L’article L. 121-8 figure parmi les « règles relatives aux assurances de dommages » : il s’applique donc aussi bien aux assurances de choses qu’aux assurances de responsabilité. Par principe, les pertes et dommages « occasionnés » par la guerre (étrangère ou civile), les émeutes ou les mouvements populaires sont exclus de la garantie, sauf convention contraire. Autrement dit, l’assureur peut décider de couvrir tout ou partie de ces risques (plafonds, franchises, conditions particulières), mais le régime probatoire du deuxième alinéa est d’ordre impératif dès lors que le contrat ne les couvre pas. À noter enfin que les anciennes exclusions légales prévues en assurances de personnes ont été abrogées par la loi du 31 décembre 1989 : la matière est désormais cantonnée aux assurances de dommages.

==>Répartition de la charge de la preuve

Le texte distingue nettement deux situations. En cas de guerre étrangère, la loi fait peser sur l’assuré la preuve que le sinistre résulte d’un fait autre qu’un fait de guerre ; la Cour de cassation l’a posé très tôt et de manière constante (Cass. civ., 18 mars 1946 ). À l’inverse, si le sinistre est imputé à une guerre civile, une émeute ou un mouvement populaire, c’est à l’assureur d’établir le rattachement causal au fait visé par l’article L. 121-8, al. 2. Précision utile : cette répartition, attachée au caractère non couvert du risque par le contrat, cède si les parties ont stipulé une garantie « guerre/émeutes » ; dans ce cas, on revient au droit commun de la preuve, conformément au caractère supplétif de l’alinéa 1er.

==>Lien de causalité requis

La jurisprudence exige un lien étroit entre le dommage et une opération de guerre ou un fait de troubles, sans exiger que ce soit la cause unique : il suffit que ce fait ait exercé sur la création ou l’aggravation du sinistre une influence déterminante (Cass. civ., 24 juill. 1945).

Ainsi, entre dans le champ de l’exclusion la destruction ou l’empêchement des moyens de secours due à la guerre, qui a permis la propagation d’un incendie ; l’influence des opérations militaires est alors décisive. De même, des accidents survenus au cours de l’exode de juin 1940, dans le désarroi d’une invasion, ont pu justifier l’exclusion au vu des circonstances (Cass. civ., 16 juill. 1947).

À l’inverse, un simple état de troubles ne suffit pas : un vol commis en Algérie durant la guerre civile ne peut être exclu sans fait particulier révélant l’emprise des événements sur la réalisation du sinistre (Cass. 1re civ., 23 févr. 1966). C’est cette même exigence de faits concrets qui a conduit la Cour à censurer un arrêt se bornant à constater la guerre civile au Liban pour justifier des avaries subies par des marchandises : il appartenait aux juges de relever des circonstances précises (blocage du port, impossibilité d’acheminer, etc.) ayant aggravé les dommages (Cass. 1re civ., 24 mars 1992).

Cette exigence de causalité joue aussi a contrario lorsque les dommages ne procèdent plus d’opérations de guerre à proprement parler : les sinistres provoqués après la fin des hostilités par l’explosion d’engins non désamorcés ne relèvent pas, en principe, de l’exclusion légale, sauf extension contractuelle (CA Bordeaux, 16 mai 1956, confirmé par Cass. civ., 29 juin 1967). La ligne directrice demeure la même : prouver qu’un fait de guerre, ou un fait étroitement lié aux troubles, a joué un rôle déterminant dans la survenance ou l’extension du sinistre.

==>Émeute et mouvement populaire : contours

À défaut de définition légale, la pratique et la doctrine retiennent l’idée d’une manifestation violente de la foule entraînant des désordres et des actes illégaux. La spontanéité n’est pas une condition : la qualification n’est pas exclue parce que le mouvement est organisé (Cass. 2e civ., 17 nov. 2016, n° 15-24.116). Des piquets de grève bloquant l’accès des salariés, mis en place à l’instigation d’un meneur, peuvent ainsi constituer un « mouvement populaire » (Cass. civ., 11 déc. 1942).

En revanche, la Cour de cassation refuse que de simples considérations générales sur l’insécurité ambiante suffisent (Cass. 1re civ., 30 janv. 1967). À l’autre bout du spectre, la qualification a été admise lorsqu’une série d’agressions concertées contre des établissements bancaires procédait manifestement d’un plan d’ensemble subversif (Cass. 1re civ., 27 janv. 1969). Enfin, on relève des décisions plus discutées d’assimilation conventionnelle à la « guerre civile » d’actes commis par des groupuscules violents (Cass. 1re civ., 6 juin 1990) : elles illustrent que, si la police le prévoit, la qualification peut se jouer aussi sur le terrain contractuel, à charge pour les juges d’en contrôler la pertinence au regard des faits.

==>Effets pratiques en responsabilité civile

L’article L. 121-8 opère une délimitation par la cause du sinistre (guerre/émeutes/mouvements populaires) ; il ne module pas la garantie en fonction de la gravité d’une faute. C’est pourquoi son empire n’est pas contrarié par l’ordre public de l’article L. 121-2, qui, en responsabilité civile, interdit les clauses d’exclusion fondées sur la nature ou la gravité des fautes des personnes dont l’assuré répond. La Cour de cassation l’a expressément jugé : la règle spéciale de L. 121-8 prime et peut écarter la garantie, y compris en RC, sans heurter L. 121-2 (Cass. 2e civ., 22 nov. 2012). Autrement dit, l’article L. 121-8 prévoit — par défaut et sauf clause contraire — une exclusion liée à la cause du sinistre (guerre, émeutes, mouvements populaires). Ce n’est pas une exclusion fondée sur la faute ou sa gravité, celles-ci étant prohibées en responsabilité civile par l’article L. 121-2.

==>Justification économique et cohérence d’ensemble

La raison d’être de ce régime tient à l’assurabilité technique : guerres et grands troubles produisent des sinistres massifs et corrélés, incompatibles avec la mutualisation ordinaire. Le législateur laisse donc aux parties la liberté d’assurer ces risques (au besoin par des aménagements contractuels), et fixe la répartition de la preuve quand ces risques ne sont pas garantis : en cas de guerre étrangère, à l’assuré de démontrer que le sinistre a une cause différente ; en cas de guerre civile, d’émeute ou de mouvement populaire, à l’assureur d’établir que le sinistre en résulte. La construction demeure cohérente avec le régime spécifique des attentats/actes de terrorisme : ceux-ci font l’objet d’une garantie légale obligatoire en assurance de biens (C. assur., art. L. 126-2), tandis que les dommages corporels sont pris en charge par la solidarité nationale via le Fonds de garantie (C. assur., art. L. 126-1) — ce qui souligne, par contraste, que L. 121-8 organise une exclusion supplétive pour des événements d’une autre nature et d’une autre échelle.

b. Actes de terrorisme et attentats

==>Définition pénale de référence

Les articles L. 126-1 et L. 126-2 renvoient aux articles 421-1 et 421-2 du Code pénal : actes commis intentionnellement en relation avec une entreprise ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur. La Cour de cassation a exigé un «minimum d’organisation» : une action isolée, non revendiquée et sans professionnalisme caractérisé ne relève pas du terrorisme (Cass. 1re civ., 17 oct. 1995). A contrario, des éléments graves, précis et concordants (revendication, mode opératoire concerté) emportent la qualification (v. CA Paris, 14 oct. 1987). Il ne faut pas confondre attentat et vandalisme (Cass. 2e civ., 3 juin 2010).

==>Dommages aux biens : garantie légale obligatoire

Les contrats garantissant l’incendie de biens situés en France et les contrats couvrant les dommages aux « corps de véhicule terrestre à moteur » ouvrent droit, de plein droit, à la garantie des « dommages matériels directs » causés par un attentat ou un acte de terrorisme sur le territoire national (C. assur., art. L. 126-2). La garantie s’étend aux «dommages immatériels consécutifs» et, si le contrat comprend une garantie pertes d’exploitation, celle-ci joue également lorsque les pertes procèdent de dommages matériels dus au terrorisme ; toute clause contraire est réputée non écrite (même article). À la suite du 11 septembre 2001, les conditions de couverture des « grands risques » ont été assouplies par voie réglementaire (v. modif. de l’art. R. 126-2). À noter : l’irréfragabilité de cette garantie légale vaut pour les assurances de biens ; elle n’a pas été transposée aux assurances de personnes (Cass. 1re civ., 13 nov. 2002).

==>Dommages corporels : solidarité nationale via le FGTI

L’indemnisation des atteintes à la personne relève du Fonds de garantie des victimes d’actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI), sur le fondement de l’article L. 126-1, qui renvoie aux articles L. 422-1 à L. 422-3. Le fonds répare de manière intégrale, peut réduire ou refuser l’indemnisation en cas de faute de la victime, verse des provisions rapides et formule une offre dans des délais contraints ; il est subrogé dans les droits de la victime. Le financement est assuré par une contribution affectée prélevée sur les contrats d’assurance de biens.

Le champ personnel et territorial est strict : toute victime (quelle que soit sa nationalité) d’un acte commis sur le territoire national est indemnisée ; pour un acte commis à l’étranger, seules les victimes françaises (directes ou par ricochet) sont admises (Cass. 2e civ., 30 juin 2005). La Cour de cassation a confirmé que le « lieu de commission » s’entend du lieu où l’atteinte à la personne survient et a refusé d’élargir la compétence du Fonds en présence de complicités en France lorsque les blessures ont été causées à l’étranger (Cass. 2e civ., 24 mars 2016). La différence de traitement liée à la nationalité, en cas d’acte commis hors de France, a été jugée conforme : elle se rattache au devoir de protection de l’État envers ses nationaux (Cass. 2e civ., 5 sept. 2013). La liste des victimes établie par le parquet fait présumer la qualité de victime ; cette présomption reste simple (Cass. 2e civ., 8 févr. 2018).

Au total, le droit positif trace deux lignes nettes. Pour la guerre, les émeutes et les mouvements populaires, l’exclusion légale par défaut vise des risques structurellement non mutualisables ; elle est tempérée par la possibilité de garantie conventionnelle et par une répartition impérative de la preuve, exigeant un lien de causalité concret avec l’événement collectif (v. not. Cass. 1re civ., 24 mars 1992). Pour le terrorisme, la loi a pris l’option inverse: garantir obligatoirement les dommages matériels via l’assurance de biens (art. L. 126-2) et assurer les dommages corporels par la solidarité nationale (art. L. 126-1), sous contrôle de la Cour de cassation (Cass. 1re civ., 17 oct. 1995). Ce balancement — exclusion supplétive pour les risques de guerre et d’émeutes, garantie de droit et fonds pour le terrorisme — fixe un cadre lisible, articulant technique assurantielle et protection des victimes.

1.2. Les exclusions conventionnelles

Dans l’économie du contrat d’assurance, l’exclusion n’est pas une marge : c’est l’un des lieux où se joue la traduction juridique de l’incertitude. Assurer, c’est promettre une prise en charge d’un aléa — mais c’est aussi encadrer l’aléa par la délimitation et par l’exclusion. À la périphérie, les exclusions légales (guerre et émeutes : C. assur., art. L.121-8 ; terrorisme : art. L.126-1 et L.126-2 ; suicide en période probatoire : art. L.132-7 ; meurtre du bénéficiaire : art. L.132-24) sont l’expression d’une politique du risque, d’ordre public, qui soustrait certaines hypothèses à la liberté des parties. Au cœur du contrat, les exclusions conventionnelles relèvent, elles, de la liberté contractuelle : l’assureur propose, l’assuré adhère. Mais cette liberté n’est pas un pouvoir discrétionnaire ; elle est civilisée par la forme et par la mesure.

Deux bornes cardinales en fixent la morale et la technique. La première, textuelle, commande que l’exclusion soit “formelle et limitée” (C. assur., art. L.113-1, al. 1) : elle doit être intelligible, précise, non équivoque, de sorte que l’assuré sache exactement dans quels cas il n’est pas garanti. La seconde, matérielle, exige qu’elle soit “mentionnée en caractères très apparents” (art. L.112-4) : la visibilité typographique devient ici un instrument de loyauté contractuelle. Cette double exigence, la Cour de cassation l’a élevée au rang de loi de police applicable même à des polices régies par une loi étrangère produisant effet en France (Cass. 2e civ., 15 juin 2023, n° 21-20.538). L’exclusion n’est donc valide qu’autant qu’elle dit clairement ce qu’elle retranche et qu’elle le montre.

À ce titre, la jurisprudence n’oppose pas liberté et contrôle : elle les articule. Elle admet, au nom de la cohérence économique du contrat, des clauses qui laissent une garantie non dérisoire, telles celles validées dans le contentieux des pertes d’exploitation COVID-19 (AXA) — exclusions jugées “formelles et limitées” parce qu’elles n’éviscéraient pas la garantie de fermeture administrative (Cass. 2e civ., 1er déc. 2022, n° 21-15.392, et s). Mais elle refuse les exclusions ambiguës qui exigeraient une réécriture judiciaire : ainsi, une clause rendue incertaine par un mésusage de la conjonction “lorsque” a été tenue pour non formelle, donc inopposable (Cass. 2e civ., 25 janv. 2024, n° 22-14.739). Et, sur le terrain de l’apparence, elle rappelle fermement que le “gras” ne suffit pas si la présentation n’attire pas spécialement l’attention de l’assuré (v. Cass. 2e civ., 14 oct. 2021, n° 20-11.980).

Cette grammaire du contrôle s’enracine dans une philosophie contractuelle de la protection: parce que le contrat d’assurance est un contrat d’adhésion, l’outil d’exclusion ne peut devenir un instrument d’éviction. La règle “formel et limité” n’est donc pas un simple canon de rédaction ; c’est une technique de domestication du pouvoir d’exclure, qui reconduit l’assureur à sa promesse centrale — convertir le risque en prix — sans lui permettre de défaire l’attente légitime de couverture.

À l’inverse, là où le texte délimite l’objet (polices “à périls dénommés”, périmètres d’activité, de lieux ou de personnes), la non-garantie est implicite par non-assurance : question de périmètre, non d’exception. La doctrine a depuis longtemps mis des mots sur ce cheminement intellectuel: préciser l’objet n’est pas encore restreindre ce qui a été couvert, et la ligne de partage commande le régime (notamment quant à la charge de la preuve).

Car la rationalité probatoire renforce la rationalité matérielle : à l’assuré, la preuve des conditions de garantie ; à l’assureur, la preuve des conditions de fait de l’exclusion qu’il oppose — solution constante depuis 1980 (v. Cass. 1re civ., 15 oct. 1980, n° 79-17.075). Et en responsabilité civile, l’exclusion ne saurait moduler la couverture selon la gravité des fautes des personnes dont l’assuré répond (C. assur., art. L.121-2) : ici, la liberté recule devant une exigence de socialisation du risque.

1.2.1. Définition et distinction

a. Délimitation du risque couvert vs exclusion de garantie

Le domaine des exclusions conventionnelles ne peut être compris sans distinguer, en amont, deux mécanismes par lesquels le contrat circonscrit l’étendue de la couverture qu’il accorde.

  • D’un côté, la délimitation du risque couvert consiste à définir l’objet même de la garantie, en précisant les contours positifs de la protection consentie.
  • D’un autre côté, l’exclusion de garantie opère un retranchement: elle retire du champ d’application de l’assurance des situations qui, sans cette clause, auraient vocation à être indemnisées.

La délimitation joue ainsi sur la définition initiale du risque. Elle peut se fonder sur des critères objectifs tenant à la nature des biens, aux activités déclarées, aux personnes couvertes, aux lieux, aux périodes ou encore aux types de dommages. Dans les polices dites « à périls dénommés », la délimitation s’opère aussi de manière négative : seuls les événements expressément listés ouvrent droit à garantie, les autres étant implicitement exclus. La doctrine décrit ce mécanisme comme une non-assurance implicite.

À l’inverse, l’exclusion conventionnelle est une non-garantie explicite. Elle prend la forme d’une clause qui vise directement une cause, une circonstance ou un type de dommage afin de le soustraire à l’indemnisation. C’est pourquoi elle relève du régime spécifique de l’article L. 113-1, alinéa 1er du Code des assurances (« clauses formelles et limitées »), combiné avec l’article L. 112-4 (caractère « très apparent »).

La jurisprudence a eu maintes occasions de tracer la frontière. Elle admet que certaines clauses, bien que rédigées comme des délimitations, comportent des exclusions indirectes, dès lors que la définition du risque laisse hors champ, de manière intelligible et non équivoque, des situations précises. Ainsi, la garantie limitée aux travaux réalisés directement par l’assuré exclut, par corrélation, les travaux exécutés par un sous-traitant (Cass. 1re civ., 19 mai 1992, n° 90-18.199). De même, la couverture des fuites provenant de conduites non enterrées implique nécessairement l’absence de garantie pour celles issues de conduites enterrées (Cass. 3e civ., 26 mars 2008, n° 07-14.406). La Cour de cassation a encore jugé que la clause circonscrivant la garantie à la responsabilité délictuelle laisse logiquement hors champ la responsabilité contractuelle (Cass. com., 24 nov. 1987, n°85-18.570). À l’inverse, elle a refusé d’admettre une exclusion indirecte lorsque la clause de garantie des dommages matériels n’excluait pas clairement la prise en charge d’ouvrages non exécutés (Cass. 1re civ., 21 mai 1990, n° 88-19.017). L’élément déterminant est toujours l’intelligibilité immédiate de ce qui est garanti et de ce qui ne l’est pas.

Cette dialectique se retrouve dans les assurances de responsabilité. Certaines limitations tiennent non pas au comportement fautif mais à la nature du dommage couvert : par exemple, en assurance produits livrés, la garantie des atteintes causées aux tiers par le produit n’inclut pas, par construction, le coût de réfection du produit lui-même (Cass. 2e civ., 19 nov. 2009, n° 08-14.300). Il s’agit bien d’une délimitation, et non d’une exclusion amputant la substance de la garantie.

Au total, la distinction entre délimitation et exclusion n’est pas qu’un jeu théorique : elle commande le régime de validité des clauses et détermine la charge de la preuve. L’assuré doit démontrer que le sinistre relève du risque tel qu’il a été défini par la police. L’assureur, en revanche, supporte la preuve des faits permettant de mettre en œuvre une exclusion qu’il invoque. Comme le souligne la doctrine, on ne sait véritablement si l’on « restreint » la couverture qu’en identifiant d’abord le périmètre positif de la garantie, avant d’examiner ce qui en est expressément retranché.

b. Conditions/obligations de prévention vs exclusions

Une seconde frontière essentielle traverse le droit des assurances : celle qui sépare les conditions de garantie des exclusions conventionnelles. Cette distinction est déterminante, car elle commande à la fois le régime de validité applicable et la charge de la preuve.

Les conditions de garantie imposent à l’assuré l’accomplissement d’un fait positif ou la réunion d’un état préalable à la survenance du sinistre : installation d’un dispositif de sécurité, respect d’une qualification technique, obtention d’un agrément, ou encore conformité à une obligation permanente de prévention. Ces stipulations, en ce qu’elles définissent les modalités d’accès à la garantie, relèvent du mécanisme de l’article L.113-2 du Code des assurances et échappent, par principe, au double carcan du formalisme « formel et limité » (art. L.113-1, al. 1er) et de la présentation « très apparente » (art. L.112-4).

À l’inverse, les exclusions conventionnelles privent la garantie en considération de circonstances particulières de réalisation du risque. Elles opèrent un retrait ciblé, qui ne peut valoir qu’à la condition d’obéir à ces deux exigences cumulatives : être rédigées en termes formels et limités, et figurer de manière très apparente dans la police.

La Cour de cassation a depuis longtemps tracé la ligne de partage. Est une exclusion la clause qui fait dépendre la garantie de circonstances entourant le sinistre. Ainsi, la Haute juridiction a jugé qu’une stipulation privant la couverture en fonction des conditions du vol constitue une véritable exclusion (Cass. 1re civ., 26 nov. 1996, n°94-16.058) ; de même pour la célèbre « clause syndicale vol » (Cass. 1re civ., 2 avr. 1996, n°95-13.928).

Inversement, relèvent de la catégorie des conditions de garantie les stipulations imposant des mesures permanentes de prévention ou de qualification. Ont ainsi été qualifiées de conditions la clause imposant l’installation d’un système antivol agréé (Cass. 1re civ., 29 oct. 2002, n°99-10.650) ou l’exigence, en assurance aérienne, de la détention d’un brevet de pilotage valide (Cass. 1re civ., 4 juin 2002, n°99-15.159 et n°99-16.373). Dans le même arrêt, la Cour de cassation a jugé que la clause dite de « groupe » en assurance emprunteur, définissant le périmètre de la garantie, relevait de la délimitation et non de l’exclusion. Plus récemment, la Cour de cassation a confirmé que constitue une condition, et non une exclusion, la clause qui formule des exigences générales et précises, même sans mention expresse « à peine de non-garantie » (Cass. 2e civ., 15 déc. 2022, n°20-22.356). La troisième Chambre civile, dans le même esprit, a rappelé qu’il convient d’examiner en premier lieu l’étendue même de la garantie avant d’apprécier le caractère éventuellement abusif ou excessif d’une clause d’exclusion (Cass. 3e civ., 4 juill. 2024, n°23-13.695).

La pratique judiciaire témoigne toutefois d’hésitations. Ainsi, la clause d’inhabitation – qui suspend la garantie si un immeuble demeure inoccupé au-delà d’un certain délai – a été analysée comme une exclusion par la Cour de cassation (Cass. 2e civ., 5 juill. 2006, n°04-10.273), alors qu’une partie de la doctrine y voit plutôt une condition permanente de couverture, liée à l’aggravation du risque. À rebours, des clauses parfois intitulées «exclusions » ont été requalifiées en simples conditions de garantie, car elles ne faisaient que définir l’objet assuré (Cass. 2e civ., 18 mars 2004, n°03-10.062).

La clé de voûte demeure le critère fonctionnel largement admis par la doctrine: relèvent des conditions les stipulations qui exigent la réunion d’un état ou l’accomplissement d’un acte préalable et permanent (« si condition préalable ») ; relèvent des exclusions celles qui privent la couverture en fonction des circonstances concrètes du sinistre (« alors que circonstance du sinistre »).

Cette distinction conceptuelle a trouvé une illustration significative dans le contentieux des pertes d’exploitation liées à la pandémie de Covid-19. Des hôteliers avaient invoqué la garantie « pertes d’exploitation » stipulée en cas d’« arrêt d’activité totale ou partielle du fait de mesures administratives résultant d’une décision des autorités sanitaires de mise en quarantaine ». Ils soutenaient que le confinement généralisé décidé par les pouvoirs publics constituait une « quarantaine » au sens du contrat, en se référant à la définition large donnée par le Règlement sanitaire international de 2005.

La Cour de cassation a rejeté cette interprétation. Reprenant les textes applicables, elle rappelle que la quarantaine se définit comme la mise à l’écart de « personnes suspectes spécifiquement identifiées » en raison du risque de propagation qu’elles présentent, et se distingue de l’interdiction générale de déplacement imposée à l’ensemble de la population. La Haute juridiction en déduit que les mesures de confinement général ne peuvent être assimilées à une mesure de quarantaine au sens du contrat. Dès lors, les conditions de mise en jeu de la garantie n’étaient pas réunies (Cass. 2e civ., 30 mai 2024, n°22-21.574).

L’enseignement de cet arrêt est double : d’une part, le débat portait non sur une exclusion de garantie mais sur la délimitation du risque assuré, la clause étant qualifiée de définition limitative de l’objet de la couverture ; d’autre part, la Cour de cassation consacre une interprétation stricte de la notion de « quarantaine », réduite à une mesure individuelle ciblée et non à un confinement collectif. Le contentieux illustre donc que la question de l’objet de la garantie doit être tranchée en amont de tout contrôle des exclusions, sur le terrain de la qualification contractuelle.

Ainsi, derrière les subtilités techniques, la distinction entre conditions et exclusions n’est pas seulement de vocabulaire : elle commande un régime de validité distinct, une charge probatoire différente, et engage, plus fondamentalement, une conception claire de la répartition des risques entre l’assureur et l’assuré.

c. Spécificité en responsabilité civile : articulation avec L.121-2

Le domaine de la responsabilité civile occupe une place particulière dans le droit des exclusions de garantie. Cette singularité tient à l’articulation entre, d’une part, le régime légal impératif de l’article L.121-2 du Code des assurances – qui impose à l’assureur de prendre en charge les conséquences des dommages causés par les personnes dont l’assuré répond, « quelles que soient la nature et la gravité des fautes » – et, d’autre part, la prohibition générale des clauses qui viendraient, directement ou indirectement, réintroduire une distinction selon la gravité des fautes.

La jurisprudence a, dès longtemps, affirmé que sont réputées non écrites les clauses qui visent à exclure certains comportements fautifs en fonction de leur intensité. La Cour de cassation a ainsi censuré les stipulations excluant la faute intentionnelle d’un préposé, en jugeant qu’elles contreviennent au principe d’ordre public posé par l’article L.113-1, al. 2 du Code des assurances (Cass. 1re civ., 27 mai 1986, n°84-16.420). À l’inverse, demeurent valables les délimitations d’objet du risque qui ne portent pas sur la gravité de la faute, mais sur le périmètre matériel ou fonctionnel de la garantie. C’est le cas, par exemple, de la clause excluant les dommages causés ou subis par un véhicule terrestre à moteur appartenant à l’assuré « chef de famille ».

La Cour de cassation a également admis la validité d’exclusions qui, tout en affectant la responsabilité civile, visent des situations objectivement déterminées. Ainsi, la limitation de la garantie à la responsabilité délictuelle laisse légitimement hors champ la responsabilité contractuelle (Cass. com., 24 nov. 1987, n°85-18.570). De même, la garantie des fuites provenant de conduites non enterrées écarte corrélativement celles issues de conduites enterrées (Cass. 3e civ., 26 mars 2008, n°07-14.406). Ces hypothèses relèvent bien de la délimitation de l’objet assuré, et non d’une atteinte au principe d’indifférence à la gravité des fautes.

La distinction n’en demeure pas moins délicate. En matière de responsabilité civile, la tentation est grande, pour l’assureur, de soustraire certains comportements fautifs de la couverture, notamment lorsque l’assuré commet une faute lourde ou dolosive. Mais la Cour de cassation veille avec constance : une telle exclusion reviendrait à contourner le régime légal impératif. En effet, la faute intentionnelle de l’assuré constitue le seul terrain d’exclusion possible, expressément prévu par l’article L.113-1, al. 2, tandis que les fautes lourdes, dolosives ou inexcusables restent couvertes, dès lors qu’elles ne se confondent pas avec l’intention de causer le dommage.

Cette rigueur trouve sa justification dans la finalité sociale de l’assurance de responsabilité civile. En garantissant l’indemnisation des victimes, le législateur a entendu placer la réparation au cœur du mécanisme assurantiel, quitte à ce que l’assureur supporte des comportements particulièrement répréhensibles. Dans cette perspective, les exclusions conventionnelles doivent être interprétées strictement, et leur validité appréciée à l’aune d’une finalité protectrice.

L’assurance de responsabilité civile illustre ainsi l’équilibre singulier entre liberté contractuelle et ordre public : la liberté de l’assureur de délimiter sa garantie rencontre une limite absolue dès lors qu’est en cause la protection des victimes, considérées comme tiers bénéficiaires nécessaires de la couverture. Comme le rappelle la doctrine, cette spécificité confère aux exclusions en responsabilité civile une fonction particulière : elles ne peuvent servir à restreindre l’accès à l’indemnisation, mais seulement à préciser objectivement le périmètre du risque assuré.

1.2.2. Conditions de validité

Le droit positif encadre les exclusions par un triptyque désormais classique : (i) elles doivent être formelles et limitées (C. assur., art. L. 113-1, al. 1), (ii) elles doivent être mentionnées en caractères très apparents (art. L. 112-4, in fine).

a. Le caractère « formel et limité » (art. L. 113-1, al. 1)

L’article L. 113-1, alinéa 1er, du Code des assurances conditionne la validité des exclusions de garantie à leur caractère « formel et limité ». Cette formule, issue de la loi du 13 juillet 1930, constitue un instrument central de protection de l’assuré : elle empêche que la liberté contractuelle des parties ne conduise à la mise en place de clauses trop vagues, imprécises ou vidant la couverture de toute substance.

i. Formel

Le terme « formel » renvoie d’abord à l’exigence d’une clause écrite et exprimée en termes clairs, précis et non équivoques. L’assuré doit être en mesure, à la lecture du contrat, de savoir exactement dans quels cas il n’est pas garanti. Dès lors, toute stipulation dont la portée ne peut être connue qu’au prix d’une interprétation incertaine est réputée non écrite. La Cour de cassation le rappelle régulièrement : une exclusion « ne peut être formelle et limitée dès lors qu’elle doit être interprétée » (Cass. 1re civ., 22 mai 2001, n° 99-10.849).

Cette exigence exclut les renvois généraux à des normes indéterminées (« règles de l’art », « lois, règlements et normes en vigueur », DTU non identifiés : Cass. 3e civ., 26 nov. 2003, n° 01-16.126), ainsi que les formulations trop floues comme « défaut d’entretien » ou «réparations indispensables », dépourvues de critères objectifs (Cass. 2e civ., 13 déc. 2012, n° 11-22.412). Le même raisonnement vaut pour certaines notions médicales indéterminées (« troubles psychiques » : Cass. 2e civ., 2 avr. 2009, n° 08-12.587 ; « et autre mal de dos » : Cass. 2e civ., 17 juin 2021, n° 19-24.467).

L’exigence de précision impose aussi que les clauses médicales ou biologiques soient accompagnées de critères mesurables. Ainsi, la Cour de cassation distingue entre l’exclusion d’un état d’imprégnation alcoolique assorti d’un seuil légalement caractérisé (valide : Cass. 2e civ., 25 oct. 2018, n° 17-31.296) et la simple référence à une «imprégnation alcoolique » non chiffrée (invalide : Cass. 1re civ., 9 déc. 1997, n° 96-10.592).

La haute juridiction a parfois admis qu’une exclusion visant une pathologie précise pouvait être jugée claire, même si la liste des affections n’était communiquée que dans un document confidentiel remis à l’assuré (Cass. 2e civ., 4 avr. 2024, n° 22-18.186). La clause litigieuse visait les « suites et conséquences éventuelles des pathologies disco-vertébrales du rachis lombo-sacré », sans que cette pathologie soit reproduite dans le certificat d’adhésion lui-même. Elle était mentionnée dans une lettre confidentielle remise à l’assuré lors de la souscription, en raison du secret médical, l’assuré reconnaissant par sa signature en avoir pris connaissance.

La Cour de cassation approuve la Cour d’appel d’avoir jugé que cette clause demeurait claire et limitée, même si l’intitulé figurant au contrat ne précisait pas lui-même la pathologie concernée. Pour la Deuxième chambre civile, la clarté n’est pas ici appréciée de manière abstraite et intrinsèque à la clause : elle est combinée avec l’exigence d’accessibilité effective de l’information pour l’assuré. Dès lors que ce dernier a reçu un document explicite et compréhensible, dont il a reconnu la remise, la condition de formalisme posée par l’article L. 113-1 du Code des assurances est regardée comme remplie.

Cette solution interroge. La jurisprudence classique définissait une exclusion « formelle » comme celle qui se réfère à des critères précis, sans nécessité d’interprétation (v. not. Cass. 2e civ., 8 oct. 2009, n° 08-19.646). Ici, la Haute juridiction accepte qu’une clause soit validée alors même que son intelligibilité ne résulte pas uniquement du corps du contrat, mais d’un document extérieur, tenu confidentiel, destiné à l’assuré seul. En ce sens, l’arrêt semble déplacer le curseur du contrôle : au lieu d’exiger une transparence intrinsèque et immédiate de la clause, il admet que le critère de clarté puisse être satisfait par un mécanisme d’information contextualisé, reposant sur la preuve de la remise effective d’un écrit distinct.

Sur le plan conceptuel, cela marque une tension. L’exigence de « formalisme » tend traditionnellement à protéger l’assuré contre toute ambiguïté par la force du texte contractuel lui-même. Or, l’arrêt du 4 avril 2024 substitue à cette logique une conception plus souple, fondée sur la réception personnelle d’un document annexe, conciliant transparence contractuelle et contraintes propres au secret médical. L’exclusion demeure néanmoins «limitée » au sens de l’article L. 113-1, puisqu’elle ne vise qu’une pathologie spécifique et n’anéantit pas l’objet du contrat, lequel conserve sa substance en garantissant l’assuré contre les autres affections.

Il reste que cette jurisprudence appelle la prudence. Elle pourrait ouvrir la voie à une fragmentation de l’information contractuelle, rendant la vérification de la condition de formalisme dépendante non plus seulement de la lettre du contrat, mais de la traçabilité de documents annexes. Ce faisant, le critère protecteur d’intelligibilité immédiate de la clause d’assurance se trouve relativisé, au risque de complexifier le contrôle de validité des exclusions par les juridictions du fond.

ii. Limitée

Dire qu’une exclusion doit être « limitée » revient à exiger qu’elle retranche quelques hypothèses précisément visées sans transformer la police en couverture illusoire. La Cour de cassation sanctionne ainsi les stipulations qui, par leur ampleur, vident la garantie de sa substance ou « suppriment pratiquement toutes les garanties prévues » (Cass. 1re civ., 14 janv. 1992, n° 88-19.313). Le contrôle n’est pas seulement sémantique : il est fonctionnel. Le juge vérifie in concreto l’incidence concrète de la clause sur l’économie du contrat et précise ce qui demeure garanti après son application (Cass. 2e civ., 9 févr. 2012, n° 10-31.057).

On peut tirer deux enseignements de la jurisprudence:

  • L’exclusion est « limitée » si elle laisse subsister un noyau substantiel de couverture
    • C’est l’archétype des polices de responsabilité “produits livrés” : la clause écartant le coût de réfection du produit défectueux demeure licite dès lors que la garantie reste ouverte pour les dommages causés aux tiers par ce produit après livraison (Cass. 1re civ., 6 janv. 1993, n° 89-20.730).
    • Même logique pour les polices RC “travaux” qui excluent les frais de reprise de la prestation fautive tout en maintenant la réparation des atteintes subies par les tiers : la clause est tenue pour admissible parce qu’elle n’anéantit pas la fonction de transfert du risque (v. par ex. Cass. 2e civ., 19 nov. 2009, n° 08-14.300).
    • L’exigence selon laquelle une exclusion doit être « limitée » s’apprécie par rapport à la garantie particulière qu’elle affecte, et non pas par rapport à l’ensemble du contrat.
    • En d’autres termes, il ne s’agit pas de vérifier si l’assuré conserve d’autres garanties dans le contrat (par exemple une garantie incendie ou vol), mais de voir si, dans le champ de la garantie visée (par exemple les pertes d’exploitation), la clause laisse encore subsister une protection effective (Cass. 2e civ., 9 févr. 2023, n° 21-18.067).
  • À l’inverse, l’exclusion n’est pas « limitée » si elle confine à l’éviction générale du risque
    • Sont ainsi écartées les clauses à portée tentaculaire (par ex. renvoi global aux « lois, règlements et normes » dont toute violation supprimerait la garantie), car leur jeu aboutit à neutraliser la couverture (Cass. 2e civ., 2 oct. 2008, n° 07-15.810).
    • Dans la même veine, l’exclusion qui, par sa généralité, ramène à peu de chose l’étendue assurée est frappée de nullité (Cass. 1re civ., 14 janv. 1992, n° 88-19.313).
    • La crise sanitaire a fourni un terrain d’application emblématique de ce critère de subsistance.
    • En matière de pertes d’exploitation, la Cour a validé les clauses AXA excluant la fermeture administrative pour cause d’épidémie/pandémie, au motif qu’elles ne vidaient pas la garantie : demeuraient couvertes d’autres fermetures administratives (maladie contagieuse isolée, meurtre, intoxication, etc.) (Cass. 2e civ., 1er déc. 2022, n° 21-15.392).
    • À l’inverse, lorsqu’une rédaction équivoque brouille la portée de la clause — ici, un mésusage de la conjonction « lorsque » — l’exclusion est écartée, non parce qu’elle viderait la garantie, mais faute d’être formelle : elle ne peut dès lors recevoir application (Cass. 2e civ., 25 janv. 2024, n° 22-14.739).

Au total, l’adjectif « limité » impose une double contrainte : circonscrire l’éviction à des hypothèses déterminées et préserver un champ résiduel réel de couverture. La clause est licite lorsqu’elle retrace une frontière, non lorsqu’elle efface la carte. Cette logique, propre au droit des assurances, se suffit à elle-même : la Cour de cassation l’a d’ailleurs rappelé en refusant de substituer au contrôle de l’article L. 113-1 le régime général des clauses abusives de l’article 1171 du code civil dans ce contentieux (Cass. 2e civ., 21 sept. 2023, n° 22-13.759).

b. La mention « en caractères très apparents » (art. L. 112-4, in fine)

La validité d’une exclusion de garantie ne dépend pas seulement de sa clarté (formelle) et de sa portée (limitée). Elle suppose encore qu’elle soit portée à la connaissance de l’assuré dans des conditions de visibilité renforcée. Le législateur impose en effet que toute clause d’exclusion soit rédigée « en caractères très apparents » (C. assur., art. L. 112-4, al. 2), afin d’assurer une véritable vigilance de l’assuré au moment de la conclusion du contrat. Cette exigence, de nature préventive, traduit une logique protectrice : le consentement de l’assuré ne saurait être éclairé si les clauses qui réduisent la portée de la garantie lui sont dissimulées dans la masse des conditions générales.

La jurisprudence a toujours adopté une approche concrète. Le simple fait que la clause soit rédigée en caractères gras ne suffit pas si, replacée dans son contexte, elle ne ressort pas véritablement de l’ensemble du document contractuel. Ainsi, la Cour de cassation a censuré une cour d’appel qui s’était bornée à relever que la clause litigieuse était rédigée en «caractères lisibles et gras », sans vérifier si, dans la typographie et la mise en page globale, elle apparaissait effectivement de manière saillante (Cass. 2e civ., 14 oct. 2021, n° 20-11.980). De même, une clause imprimée en gras mais noyée parmi d’autres stipulations présentées en rouge a été jugée non conforme, faute d’attirer suffisamment l’attention de l’assuré (Cass. 1re civ., 1er déc. 1998, n° 96-18.993).

Inversement, la Haute juridiction fait preuve de souplesse lorsque la présentation globale assure effectivement la visibilité de la clause. Elle admet, par exemple, que le renvoi opéré par une convention spéciale vers des conditions générales soit valable, dès lors que ces dernières contiennent l’exclusion en caractères très apparents (Cass. 2e civ., 26 nov. 2020, n° 19-16.797). Le critère n’est donc pas purement formel : il s’agit d’un contrôle pragmatique de la lisibilité réelle de l’exclusion par l’assuré.

Ce contrôle dépasse d’ailleurs le seul support contractuel. La Cour de cassation a étendu l’exigence de présentation claire et saillante aux documents accessoires qui concourent à l’information précontractuelle ou à l’adhésion : notice d’information en assurance de groupe, note de couverture, voire documents publicitaires lorsque leur présentation est susceptible d’induire l’assuré en erreur (Cass. 1re civ., 20 juin 2000, n° 98-11.212). La finalité est ici de garantir que l’assuré n’est pas trompé, même indirectement, sur l’étendue réelle de la couverture.

Enfin, il convient de rappeler une limite essentielle : l’exigence de l’article L. 112-4, al. 2, ne concerne que les clauses d’exclusion de garantie. Elle ne s’étend pas aux stipulations qui définissent l’objet même de l’assurance, c’est-à-dire la délimitation initiale du risque couvert. La Cour de cassation a ainsi jugé que la définition du risque assuré échappait à l’article L. 112-4 (Cass. 1re civ., 27 nov. 1990, n° 88-12.964). Cette distinction est capitale, car elle conditionne la frontière entre la liberté de l’assureur de fixer l’objet de la garantie et l’encadrement strict des exclusions qui en réduisent la portée.

1.2.3. Typologie des exclusions conventionnelles

La validité d’une clause d’exclusion ne dépend pas de sa nature (cause du sinistre, circonstances de survenance, comportement de l’assuré), mais de son respect des exigences de forme (art. L. 112-4 C. assur.) et de fond (art. L. 113-1 C. assur.) : formelle, limitée, très apparente. Aussi, trois grandes catégories peuvent être distinguées selon le fondement de l’exclusion : la cause du sinistre, les circonstances ou le lieu de sa réalisation, et le comportement de l’assuré.

==>Les exclusions fondées sur la cause du sinistre

L’article L. 113-1 du Code des assurances pose que « les exclusions conventionnelles de garantie doivent être formelles et limitées ». Cette exigence implique que la clause soit rédigée en des termes suffisamment précis pour ne pas prêter à interprétation, et qu’elle ne prive pas la garantie de son objet essentiel.

C’est dans ce cadre que la Cour de cassation exerce un contrôle de légalité strict. L’arrêt du 8 octobre 2009 en fournit une illustration marquante (Cass. 2e civ., 8 oct. 2009, n° 08-19.646).

Dans cette affaire, l’assureur avait opposé à l’assuré une exclusion rédigée de la manière suivante : « sont toujours exclus les dommages qui résultent, sauf cas de force majeure (…) de l’insuffisance, soit d’une réparation soit d’une modification indispensable, notamment à la suite d’une précédente manifestation d’un dommage, des locaux ou installations dont l’assuré est propriétaire ou occupant, plus généralement des biens assurés».

La cour d’appel, pour écarter la garantie, avait cru devoir interpréter cette stipulation au regard du comportement de l’assuré, considérant qu’il avait manqué de diligence après deux tentatives d’incendie, en ne mettant pas en œuvre les mesures de protection préconisées par les autorités.

La Cour de cassation censure ce raisonnement : en ce qu’elle nécessitait une interprétation pour déterminer sa portée, la clause litigieuse n’était pas formelle ; et en raison de son caractère trop général, elle ne pouvait pas non plus être considérée comme limitée. La Haute juridiction en conclut que l’arrêt d’appel a violé l’article L. 113-1.

Deux enseignements peuvent être tirés de cet arrêt:

  • D’une part, une exclusion qui renvoie à des notions vagues ou extensibles («insuffisance d’une réparation ou d’une modification indispensable », « plus généralement des biens assurés ») échoue au contrôle de formalisme, car elle impose au juge une interprétation pour en délimiter le champ ;
  • D’autre part, une clause trop générale échoue également au critère de limitation, car elle est susceptible de vider la garantie de sa substance en couvrant une pluralité indéterminée de situations.

En creux, la Cour de cassation suggère ainsi ce qui fonde la validité des exclusions relatives à la cause du sinistre : elles doivent viser des hypothèses précises et objectivement identifiables. À titre d’exemple, la jurisprudence admet des clauses excluant les dommages consécutifs à une cause particulière, telle qu’une explosion d’explosifs (v. Cass. 1re civ., 6 janv. 1993, n° 89-20.730), dès lors que l’assuré peut identifier sans ambiguïté le risque écarté et que la garantie conserve son efficacité pour les autres événements.

À l’inverse des exclusions qui visent une cause déterminée et objectivement identifiable, sont réputées non écrites celles qui renvoient à des catégories trop générales, indéterminées ou dépourvues de bornes claires.

La Cour de cassation, sur le fondement de l’article L. 113-1 du Code des assurances, rappelle que les exclusions doivent être « formelles et limitées de façon à permettre à l’assuré de connaître exactement l’étendue de la garantie convenue ». L’exigence de formalisme proscrit les renvois à des notions vagues ou équivoques, tandis que l’exigence de limitation interdit les clauses susceptibles de vider la garantie de sa substance en raison de leur généralité excessive.

L’arrêt du 13 décembre 2012 illustre avec netteté cette exigence (Cass. 2e civ., 13 déc. 2012, n° 11-22.412). La Cour de cassation y censure une clause visant les « trombes, cyclones, inondations, tremblements de terre et autres phénomènes à caractère catastrophique », considérant qu’elle n’était ni formelle ni limitée : en se référant à une catégorie générale et indéterminée (« autres phénomènes à caractère catastrophique »), la clause ne permettait pas à l’assuré de connaître exactement l’étendue de la garantie.

Cet arrêt s’inscrit dans la ligne de celui du 8 octobre 2009 (Cass. 2e civ., 8 oct. 2009, n° 08-19.646), où la Haute juridiction avait déjà censuré une exclusion rédigée en termes trop vagues (« réparations ou modifications indispensables »), faute de précision suffisante. Dans les deux hypothèses, la Cour de cassation sanctionne la même dérive : l’emploi de formules générales qui confèrent à l’assureur une marge d’interprétation excessive et privent l’assuré d’une lecture claire et prévisible de sa couverture.

Cette jurisprudence met ainsi en lumière la fonction protectrice de l’article L. 113-1 du Code des assurances. En imposant que les exclusions soient formelles et limitées, le législateur confère à la Cour de cassation un rôle de gardien de l’intelligibilité contractuelle. La règle ne se borne pas à une exigence de style ou de technique rédactionnelle : elle traduit une exigence matérielle de prévisibilité de la couverture, corollaire de la sécurité juridique et de l’équilibre contractuel entre assureur et assuré.

Il ne s’agit pas seulement d’écarter les clauses rédigées en termes volontairement obscurs ou ambigus, mais plus largement d’empêcher toute rédaction qui, par son indétermination, autoriserait l’assureur à moduler a posteriori l’étendue de la garantie. La prohibition vise donc à éviter que l’assuré, confronté à des formules telles que « réparations ou modifications indispensables » (Cass. 2e civ., 8 oct. 2009, n° 08-19.646) ou « autres phénomènes à caractère catastrophique » (Cass. 2e civ., 13 déc. 2012, n° 11-22.412), se retrouve dans une situation de dépendance interprétative vis-à-vis de l’assureur.

La doctrine a justement souligné que cette ligne jurisprudentielle exprime un souci constant de préserver l’efficacité économique et sociale du contrat d’assurance. Un contrat dont les exclusions seraient rédigées en termes trop généraux manquerait à sa finalité première: offrir une protection effective contre des risques déterminés. À cet égard, la Cour de cassation impose un véritable contrôle de proportionnalité entre la liberté contractuelle de l’assureur et la nécessité de maintenir une couverture identifiable et exploitable par l’assuré.

Enfin, cette exigence contribue à distinguer les délimitations de l’objet du contrat – qui fixent positivement le périmètre de la garantie – des clauses d’exclusion – qui en retranchent certains événements. Les premières échappent à l’exigence de formalisme et de limitation, car elles définissent le risque assuré ; les secondes, en revanche, doivent se soumettre à ce double contrôle, faute de quoi elles sont réputées non écrites. La sanction est donc particulièrement rigoureuse : loin d’une simple nullité relative, c’est une véritable disparition de la clause du contrat, sans possibilité de régularisation, ce qui renforce son caractère d’ordre public de protection.

==>Les exclusions fondées sur les circonstances ou le lieu du sinistre

Lorsqu’elles sont précises, ces exclusions sont admises. Par exemple, une clause excluant « les dommages survenus hors des locaux déclarés situés à […] » opère une simple délimitation de la couverture, sans vider la garantie de sa substance (Cass. 1re civ., 6 janv. 1993, n° 89-20.730).

En revanche, une exclusion visant les dommages résultant d’un « défaut d’entretien » sans préciser de critères objectifs ou sans lister les hypothèses concernées est écartée comme imprécise et contraire à l’exigence de formalisme et de limitation (Cass. 2e civ., 12 déc. 2013, n° 12-29.862).

==>Les exclusions fondées sur le comportement de l’assuré

La Cour de cassation valide les exclusions qui se réfèrent à des critères légaux ou médicaux objectifs. Ainsi, une clause excluant « les conséquences d’un acte effectué dans un état d’imprégnation alcoolique caractérisé par un taux supérieur à la limite fixée par le code de la route » est jugée régulière, car elle s’appuie sur un seuil chiffré prévu par la loi (Cass. 2e civ., 25 oct. 2018, n° 17-31.296).

À l’inverse, une clause excluant « les dommages causés par l’inobservation des règles de l’art » est inopérante lorsque lesdites règles ne sont pas définies ni identifiées, l’assuré n’étant pas en mesure de connaître avec précision l’étendue de la garantie (Cass. 3e civ., 26 nov. 2003, n° 01-16.126).

Un garde-fou demeure en matière de responsabilité civile (art. L. 121-2 C. assur.). Même rédigée de manière précise, une clause qui aurait pour effet de moduler la couverture en fonction de la gravité d’une faute imputée à l’assuré ou à ses préposés est prohibée, car elle contreviendrait au principe légal selon lequel l’assureur est garant des dommages causés par les personnes dont l’assuré répond, quelles que soient la nature et la gravité de leurs fautes (Cass. 1re civ., 27 mai 1986, n° 84-16.420).

En revanche, une simple délimitation de l’objet du risque est admise, comme dans l’hypothèse d’une police de responsabilité civile excluant les dommages aux biens confiés : la couverture demeure effective pour les autres dommages et ne se trouve pas anéantie.

1.2.4. Contrôle judiciaire des exclusions

Le contrôle des exclusions de garantie s’articule autour de la double exigence de l’article L. 113-1 du Code des assurances : elles doivent être formelles (claires, précises, non équivoques) et limitées (ne pas vider la garantie de sa substance). Dans cette perspective, la Cour de cassation impose une interprétation stricte des exclusions : une clause dont la portée ne peut être déterminée sans interprétation n’est pas « formelle » et ne peut recevoir application (Cass. 3e civ., 27 oct. 2016, n° 15-23.841).

Le juge ne s’arrête pas à la seule clarté du libellé : il apprécie in concreto si la stipulation laisse subsister une couverture réelle au regard de la nature du contrat, de l’objet de la garantie et des circonstances du sinistre. Sont ainsi censurées les exclusions qui, par leur généralité, anéantissent la garantie (Cass. 2e civ., 2 oct. 2008, n° 07-15.810). À l’inverse, demeurent valables les clauses précises qui bornent la couverture sans l’abolir : par exemple, l’exclusion du coût de réfection du produit en assurance RC « produits livrés », la garantie restant ouverte pour les dommages causés aux tiers (Cass. 2e civ., 19 nov. 2015, n° 14-18.009).

Cette méthode a été réaffirmée dans le contentieux des pertes d’exploitation liées au Covid-19 : validation des clauses AXA excluant l’épidémie/pandémie, la garantie demeurant pour d’autres fermetures administratives (Cass. 2e civ., 1er déc. 2022, n° 21-15.392) ; censure, en revanche, d’une clause rendue ambiguë par l’usage de « lorsque », jugée non formelle (Cass. 2e civ., 25 janv. 2024, n° 22-14.739). Dans le dossier des hôteliers, la Cour de cassation a encore précisé que la référence à la « mise en quarantaine » relevait de la définition du risque garanti et non d’une exclusion : faute de quarantaine individuelle, la garantie ne se déclenchait pas (Cass. 2e civ., 30 mai 2024, n° 22-21.574).

Au-delà du contentieux du Covid-19, la jurisprudence demeure constante : sont écartées les clauses qui renvoient globalement aux « lois, règlements et normes » ou aux DTU non identifiés (Cass. 2e civ., 2 oct. 2008, n° 07-15.810), celles formulées en termes flous tels que « réparations » ou « modifications indispensables » (Cass. 2e civ., 13 déc. 2012, n°11-22.412), ou encore le « défaut d’entretien » non défini par des critères objectifs (Cass. 2e civ., 15 janv. 2015, n° 13-19.405). À l’inverse, une clause ciblant « le défaut de réparation ou d’entretien indispensable… sauf cas de force majeure » a été tenue formelle et limitée, car suffisamment bornée et non dénaturante de la garantie (Cass. 2e civ., 3 oct. 2013, n° 12-23.684).

Se dessine ainsi une ligne jurisprudentielle claire : interprétation stricte pour écarter les clauses équivoques, et contrôle de proportionnalité pour prévenir toute atteinte à la substance de la garantie. C’est dans cette dialectique que s’exprime le pouvoir du juge, garant de la cohérence du régime légal et de l’équilibre du contrat d’assurance.

1.2.5. Renonciation et inopposabilité

a. Renonciation de l’assureur

La question de la renonciation par l’assureur à une exclusion de garantie – ou, plus largement, à une déchéance – se situe à l’intersection du droit des assurances et du droit commun des obligations. Elle met en jeu une difficulté bien connue : celle de la cohérence entre les droits que l’assureur revendique et la conduite qu’il adopte dans l’exécution du contrat. Peut-il, après avoir eu un comportement de nature à laisser croire à l’assuré que la garantie sera mobilisée, revenir en arrière pour opposer une exclusion ? Autrement dit, jusqu’où s’étend la faculté pour l’assureur d’invoquer ses clauses, et à partir de quel moment ses propres actes l’en empêchent-ils ?

L’enjeu est double. Sur le plan pratique, il tient à la sécurité juridique de l’assuré, qui doit pouvoir s’appuyer sur la position prise par son cocontractant. Sur le plan théorique, il concerne la liberté contractuelle de l’assureur, que l’on ne saurait priver, sans justification suffisante, du bénéfice des stipulations qu’il a insérées dans la police.

En droit positif, la renonciation est définie comme l’acte par lequel une partie renonce à un droit qu’elle tient du contrat. Appliquée aux assurances, elle se traduit par l’abandon de la faculté pour l’assureur d’invoquer une clause d’exclusion ou de déchéance. Cette renonciation peut être expresse ou tacite. Elle est expresse lorsque l’assureur déclare sans ambiguïté qu’il n’entend pas se prévaloir de la clause litigieuse, par exemple dans une lettre de garantie adressée à l’assuré. Elle est tacite lorsqu’elle résulte d’actes positifs incompatibles avec la volonté d’opposer ultérieurement l’exclusion.

La jurisprudence se montre toutefois exigeante. Elle affirme de manière constante que la renonciation ne se présume pas et doit résulter d’actes clairs et non équivoques. Ainsi, la simple désignation d’un avocat ou d’un expert, même en connaissance des circonstances du sinistre, ne suffit pas à établir une renonciation, dès lors que ces diligences s’inscrivent dans le cadre normal de l’instruction du dossier. De même, le fait pour l’assureur de prendre position sous réserve expresse de ses droits ne peut être assimilé à une renonciation : les «réserves » claires et explicites ne sont pas considérées comme de simples clauses de style. À l’inverse, une gestion du sinistre sans réserve, le paiement volontaire d’une indemnité ou encore des actes de défense en justice qui reconnaissent la garantie de manière non équivoque sont de nature à caractériser une renonciation tacite.

La ligne directrice est claire : la renonciation exige un comportement positif et incompatible avec la volonté de se prévaloir de l’exclusion. Elle repose sur l’idée qu’un assureur ne peut adopter un comportement contradictoire, en donnant à l’assuré la conviction que la garantie est acquise, pour ensuite invoquer une exclusion. Cette exigence traduit l’influence croissante du principe de bonne foi contractuelle, désormais consacré à l’article 1104 du Code civil, sur le droit des assurances.

b. Inopposabilité des exclusions de garantie

La question de l’inopposabilité des exclusions de garantie renvoie à une problématique centrale : dans quelle mesure des tiers, bénéficiaires de droits propres contre l’assureur, peuvent-ils se voir opposer les stipulations du contrat souscrit entre l’assureur et l’assuré ? Autrement dit, faut-il protéger la victime – tiers au contrat – contre les manquements de l’assuré ou contre l’effet de clauses restrictives de la garantie ? La réponse du droit positif repose sur un équilibre délicat entre deux impératifs : la protection des victimes, qui justifie d’écarter certaines exceptions, et le respect de l’économie contractuelle, qui commande de maintenir l’effet des clauses objectives délimitant la garantie.

==>L’action directe de la victime (art. L. 124-3 C. assur.)

L’article L. 124-3 du Code des assurances reconnaît à la victime d’un dommage un droit autonome contre l’assureur du responsable. Cette action directe ne procède pas d’une cession de créance : elle confère à la victime un titre propre, indépendant des droits de l’assuré. C’est précisément dans ce cadre que la Cour de cassation a tracé une frontière nette entre, d’une part, les défenses que l’assureur peut légitimement opposer à la victime et, d’autre part, celles qui lui sont interdites.

Ainsi, les clauses qui relèvent de la définition même de la garantie – exclusions valablement stipulées au sens de l’article L. 113-1 du Code des assurances, plafonds ou franchises – demeurent opposables au tiers, car elles déterminent l’objet du risque couvert (v. notamment Cass. 1re civ., 28 mars 1995, n° 93-15.226).

À l’inverse, les exceptions purement personnelles à l’assuré, telles que les déchéances fondées sur un manquement postérieur au sinistre, ne sauraient priver la victime de son indemnisation : elles ne touchent pas à l’objet du contrat mais sanctionnent un comportement contractuel de l’assuré. Le principe est ainsi clair : la victime ne doit pas supporter les conséquences des négligences procédurales ou fautes contractuelles de l’assuré, dès lors qu’elles sont extérieures à la délimitation objective de la couverture.

==>L’assurance automobile obligatoire (art. L. 211-6 C. assur.)

Parallèlement, cette logique protectrice connaît en assurance automobile un régime d’inopposabilité renforcée. L’article L. 211-6 du Code des assurances fait obstacle à ce que les déchéances et certaines exclusions soient opposées aux victimes d’accidents de la circulation : l’assureur doit les indemniser, la discussion sur les manquements contractuels éventuels relevant des rapports internes avec son assuré.

Mais la Cour de cassation en cantonne strictement la portée : l’inopposabilité profite aux seules victimes tierces et ne permet pas à l’assuré d’éluder, pour ses propres dommages relevant d’une garantie facultative, les limites convenues du contrat. Le droit positif l’énonce clairement : plusieurs exclusions légalement prévues demeurent opposables à l’assuré tout en étant inopposables aux victimes — ainsi, par exemple, celles tenant au défaut de permis (C. assur., art. R. 211-10 et R. 211-13) — et toute extension contractuelle du champ des exclusions au-delà de ce que la loi autorise est censurée (Cass. 2e civ., 5 juil. 2018, n°16-21.776). Hors de ce périmètre d’ordre public, les clauses objectives délimitant la garantie conservent leur plein effet, y compris à l’égard des tiers (v. déjà, pour principe, Cass. 1re civ., 28 mars 1995, n° 93-15.226 ; et en RC pro, l’opposabilité d’une exclusion au tiers malgré son absence sur l’attestation : Cass. 3e civ., 13 févr. 2020, n° 19-11.272).

1.2.6. Preuve

L’exclusion de garantie n’est jamais qu’un outil de délimitation de l’engagement de l’assureur. Mais sa force juridique ne tient pas qu’à sa rédaction : elle dépend tout autant de la preuve. Trois enjeux s’entrecroisent alors : (i) l’équilibre contractuel — ne pas libérer trop aisément l’assureur d’une obligation promise ; (ii) la prévisibilité pour l’assuré — savoir, ex ante, ce qui est couvert ; (iii) la protection des tiers victimes — en action directe, ne pas faire peser sur elles des fautes contractuelles étrangères à la définition objective de la garantie (C. civ., art. 1353 ; C. assur., art. L. 113-1 et L. 112-4 ; sur l’action directe, art. L. 124-3). Dans cette perspective, la charge et l’objet de la preuve, comme son intensité, deviennent décisifs.

a. Qui doit prouver ?

Le droit commun trace la ligne : à celui qui réclame l’exécution de prouver l’obligation ; à celui qui s’en prétend libéré de justifier le fait extinctif (C. civ., art. 1353). Transposé à l’assurance, cela signifie :

  • À l’assuré — et, en cas d’action directe, à la victime (C. assur., art. L. 124-3) — d’établir l’existence du sinistre et son rattachement positif au périmètre de la garantie ; à ce titre, l’impossibilité de produire la police opposable ou un écrit probant sur l’étendue de la couverture fait obstacle à la demande (Cass. 2e civ., 13 mai 2004, n°03-10.964). Il en va de même pour les conditions de garantie : c’est à l’assuré d’en démontrer la réalisation (par ex. exigence technique préalable, attestation requise, etc.) (Cass. 3e civ., 7 sept. 2011, n° 09-70.993 ; v. aussi, en matière de garantie « conducteur », la preuve du caractère accidentel : Cass. 2e civ., 7 mars 2019, n° 18-13.347).
  • À l’assureur, lorsqu’il entend écarter sa garantie, de rapporter la preuve stricte des conditions de fait de l’exclusion : la Cour de cassation l’énonce de longue date et «nonobstant toute convention contraire » (Cass. 1re civ., 2 avr. 1997, n° 95-13.928). L’exigence vaut jusqu’aux segments terminaux d’une clause — y compris la partie introduite par « sauf » — que l’assureur doit pareillement établir (Cass. 2e civ., 2 juill. 2015, n° 14-15.517).

Cette répartition n’est pas neutre : elle arme la protection de l’assuré (et, par ricochet, de la victime) en empêchant qu’une exclusion « flottante » ou invérifiable ne détruise, par simple allégation, l’équilibre contractuel.

b. Quoi prouver ?

==>Les conditions de l’exclusion

La preuve doit coller à la lettre de la clause : c’est à l’assureur de démontrer que les circonstances du sinistre entrent exactement dans l’hypothèse envisagée. Lorsque l’exclusion requiert un lien causal qualifié, celui-ci doit être établi et non présumé.

Ainsi, s’agissant d’une clause « alcoolémie », l’assureur doit prouver non seulement l’imprégnation alcoolique mais encore que celle-ci est cause exclusive de l’accident lorsque le texte le commande (Cass. 2e civ., 4 déc. 2008, n° 08-11.158). De même, lorsque l’exclusion vise une circonstance de sécurité (ex. non-port de la ceinture) comme condition d’écartement ou de réduction de garantie, la causalité exigée par la clause doit être établie (Cass. 2e civ., 2 juill. 2015, n° 14-15.517).

À l’inverse, des présomptions générales ou indices vagues ne suffisent pas : la Cour rappelle régulièrement l’exigence d’éléments objectifs (procès-verbaux, analyses, expertises) et censure les motifs imprécis (Cass. 2e civ., 8 janv. 2009, n° 08-10.016).

==>L’opposabilité de la clause d’exclusion

Preuve des faits, certes ; mais aussi preuve du droit applicable entre les parties. L’assureur doit établir que la clause qu’il invoque figure bien dans la police applicable et qu’elle a été portée à la connaissance de l’assuré en temps utile, dans le respect du formalisme propre aux exclusions : caractère formel et limité (C. assur., art. L. 113-1) et présentation en caractères très apparents (C. assur., art. L. 112-4).

À défaut de production de la police opposable (ou si ne circule qu’un extrait incertain), l’exclusion est écartée (Cass. 2e civ., 25 oct. 2012, n° 11-25.490). Il lui incombe pareillement de démontrer que la clause a été effectivement communiquée à l’assuré au moment de la souscription, ou à tout le moins avant le sinistre (Cass. 1re civ., 7 nov. 2000, n° 98-10.706).

Pour mémoire, s’agissant de la présentation, les juridictions exigent un véritable « signal visuel » : une typographie ou une mise en page qui attire spécialement l’attention (Cass. 1re civ., 11 déc. 1990, n° 89-15.248).

c. Comment prouver ?

Deux idées gouvernent les modalités de la preuve.

i. La rigueur de l’exigence de preuve à l’égard de l’assureur

Parce qu’une exclusion réduit la promesse d’assurance, la preuve exigée est resserrée : elle ne supporte ni approximations rédactionnelles ni « raccourcis » sémantiques. Une clause ambiguë ou générale, qui appelle interprétation pour recevoir application, est réputée non écrite au regard de l’article L. 113-1 (ex. notions médicales ou techniques floues ; listes non limitatives ; renvoi global à des « règles en vigueur ») — la Cour de cassation censure alors les validations de clause trop indulgentes (Cass. 2e civ., 8 oct. 2009, n° 08-19.646).

Corrélativement, lorsque la clause est claire et précise, le juge n’a pas à l’« améliorer » par interprétation extensive : il doit s’en tenir à ses termes, ni plus ni moins (v. par ex. Cass. 2e civ., 2 févr. 2017, n° 16-12.266). Dans tous les cas, la preuve de la réunion de l’ensemble des conditions d’exclusion reste à la charge de l’assureur (Cass. 2e civ., 9 nov. 2023, n°22-11.570).

ii. Le pouvoir souverain d’appréciation du juge du fond

Les juges du fond apprécient la valeur des éléments produits ; la Cour de cassation veille à la bonne répartition des charges probatoires, au respect des exigences de forme (L. 112-4) et à la qualité juridique de la clause (exclusion « formelle et limitée » au sens de L. 113-1).

Elle censure ainsi : tantôt l’insuffisance d’apparence typographique (Cass. 1re civ., 11 déc. 1990, n° 89-15.248), tantôt l’application d’une exclusion sujette à interprétation (Cass. 2e civ., 16 juill. 2020, n° 19-15.676).

2. Les interdictions de garantir

L’assurance ne se réduit pas à un mécanisme contractuel d’indemnisation : elle constitue une technique sociale de répartition des risques, qui n’a de sens que si elle repose sur l’aléa. Ce constat interdit de transformer le contrat d’assurance en instrument de couverture de comportements délibérés ou de sanctions étatiques. Le droit positif trace ainsi des frontières impératives de l’assurabilité : certaines situations, parce qu’elles font disparaître l’incertitude ou heurtent l’ordre public, échappent par nature à toute mutualisation.

Ces interdictions ne se bornent pas à encadrer la liberté contractuelle ; elles traduisent une définition négative de l’objet assurable, en distinguant les risques qui peuvent être socialisés de ceux qui relèvent de la responsabilité intransférable de l’individu ou de la puissance publique. C’est pourquoi la faute intentionnelle, la faute dolosive ou encore les peines pénales et administratives ne figurent pas parmi les exclusions « négociées » mais parmi les interdits légaux, qui s’imposent de plein droit à l’ensemble des contrats, toutes branches confondues.

2.1. Fondements et portée des interdictions

L’assurance repose sur un principe cardinal : elle ne peut couvrir que des événements incertains. C’est pourquoi l’article L. 113-1, alinéa 2 du Code des assurances interdit à l’assureur de répondre des pertes ou dommages causés par une faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré. Cette règle répond à une double exigence :

  • préserver l’aléa, dont la disparition ferait perdre à l’assurance sa raison d’être ;
  • éviter la fraude, en empêchant l’assuré de provoquer lui-même le sinistre pour en tirer profit.

Au-delà, l’interdit s’inscrit dans l’ordre public : certaines garanties ne peuvent, par leur nature, être validées par la liberté contractuelle car elles heurteraient l’éthique de la sanction (C. civ., art. 6). Comme le souligne la doctrine, il ne s’agit pas d’une exclusion de garantie parmi d’autres, mais de la constatation d’une inassurabilité qui touche à l’objet même du contrat.

Deux conséquences en découlent immédiatement :

  • L’interdit s’applique de plein droit : l’assureur est libéré de toute garantie sans qu’une clause particulière soit nécessaire (C. assur., art. L. 113-1, al. 2).
  • Toute stipulation qui prétendrait couvrir un risque légalement inassurable est nulle ou réputée non écrite car contraire à l’ordre public (C. civ., art. 6). Ainsi, une assurance visant à garantir l’exercice illégal d’une profession a été jugée illicite (Cass. 1re civ., 5 mai 1993, n° 91-15.401).

A l’analyse, le droit des assurances distingue deux niveaux de limitation de la garantie.

  • D’un côté, les exclusions conventionnelles : l’assureur et l’assuré peuvent, par leur volonté, écarter certains risques qui demeurent par nature assurables (imprudence, faute lourde, faute inexcusable, etc.). Mais cette liberté est étroitement encadrée : une exclusion n’est valable que si elle est « formelle et limitée » (C. assur., art. L. 113-1, al. 1) et portée à la connaissance de l’assuré en « caractères très apparents » (C. assur., art. L. 112-4). À défaut, elle est réputée non écrite. La jurisprudence en donne une lecture rigoureuse : une clause ambiguë ne peut être considérée comme « formelle et limitée » ; de même, les clauses reposant sur des listes ouvertes (« notamment », « par exemple ») sont écartées, car elles ne permettent pas à l’assuré d’identifier précisément l’étendue de la restriction.
  • De l’autre côté, les interdictions légales, qui ne relèvent pas de l’autonomie de la volonté : elles ne sont pas le produit d’un choix contractuel, mais la conséquence de l’ordre public d’assurance. Elles définissent négativement l’objet assurable en écartant certains risques de toute couverture possible : faute intentionnelle ou dolosive (C. assur., art. L. 113-1, al. 2), sanctions pénales ou administratives (C. civ., art. 6), ou encore certaines hypothèses prévues par des textes spéciaux.

Ces interdits valent pour toutes les branches, sous réserve de régimes particuliers :

  • en assurance maritime, l’assureur ne répond pas des fautes intentionnelles ou inexcusables du capitaine ou de l’armateur (C. assur., art. L. 172-13 et L. 175-3) ;
  • en assurance-vie, le suicide de l’assuré est inassurable s’il survient au cours de la première année du contrat (C. assur., art. L. 132-7) ;
  • en assurance de choses, le législateur a également prévu des exclusions automatiques, comme en cas de guerre ou d’émeutes (C. assur., art. L. 121-8).

Ces exemples montrent que le législateur trace la frontière de l’assurabilité chaque fois que l’aléa disparaît ou que l’ordre public commande de soustraire certains comportements ou sanctions à toute forme de mutualisation.

Deux fondements principaux structurent le régime des interdictions légales.

  • La préservation de l’aléa
    • L’assurance suppose l’existence d’un risque incertain.
    • Or, la faute intentionnelle – définie comme la volonté de causer le dommage tel qu’il est survenu (Cass. 2e civ., 28 mars 2019, n° 18-15.829) – fait disparaître l’aléa et rend la couverture impossible.
    • La jurisprudence distingue aujourd’hui cette figure de la faute dolosive, qui consiste dans un comportement délibéré rendant le dommage inévitable, même si le résultat précis n’était pas recherché (Cass. 2e civ., 20 mai 2020, n° 19-11.538).
    • Dans les deux cas, l’effet est le même : la garantie est exclue de plein droit en application de l’article L. 113-1, al. 2 du Code des assurances.
  • L’inassurabilité des peines
    • Un second principe tient à la fonction même de la répression.
    • Les peines pénales, administratives ou fiscales ne peuvent être transférées à un assureur, car cela viderait la sanction de son rôle préventif et dissuasif (C. civ., art. 6).
    • En revanche, les conséquences civiles d’une infraction (dommages-intérêts dus à la victime) demeurent assurable, sous réserve du respect de l’interdit de la faute intentionnelle.

Ces deux interdits irriguent des situations variées. Ainsi, lorsque le contrat est conclu par une personne morale, l’intention s’apprécie en la personne de ses dirigeants de droit ou de fait. De même, dans l’assurance pour compte, la faute intentionnelle du souscripteur peut faire obstacle à la garantie du bénéficiaire (articulation des articles L. 113-1 et L. 112-1 du Code des assurances). Ces exemples montrent que l’interdit légal ne se réduit pas à une règle technique : il exprime une définition de l’assurabilité qui s’impose à tous les contrats, quelles qu’en soient les formes.

L’inassurabilité légale ne dépend pas de la volonté des parties : c’est la loi qui fixe les risques que l’assurance ne peut jamais couvrir.

  • Sur le plan contractuel, elle opère erga omnes : aucune volonté des parties ne peut y déroger. Toute clause qui prétendrait couvrir un risque prohibé est nulle ou réputée non écrite. Cette contrainte irrigue directement la rédaction des polices : l’assureur doit veiller à éviter les « clauses-panier » ou exclusions trop larges, qui reviendraient à priver la garantie de sa substance. Elle commande aussi le parcours de distribution: l’intermédiaire a le devoir d’expliquer clairement à l’assuré ce qui, par principe, ne peut être garanti.
  • Sur le plan contentieux, l’interdit légal ne joue pas comme une exception personnelle que l’assureur pourrait ou non opposer : il définit l’objet même de la garantie. Il est donc, par nature, opposable à tous, y compris aux tiers bénéficiaires d’un droit propre. En matière de responsabilité civile notamment, cette logique rejoint celle de l’action directe : l’assureur peut opposer à la victime les limites légales de la garantie, précisément parce qu’elles ne relèvent pas du comportement de l’assuré mais du cadre objectif de l’assurabilité.

2.2. Les interdictions de principe

a. La faute intentionnelle ou dolosive

==>Principe

L’article L. 113-1, alinéa 2 du Code des assurances interdit à l’assureur de prendre en charge les dommages « provenant d’une faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré ». La justification est simple : l’assurance n’a de sens que face à un événement incertain. Dès lors que l’assuré veut le dommage ou se place volontairement dans une situation où sa survenance est inévitable, l’aléa disparaît et la garantie devient impossible.

La Cour de cassation définit ainsi la faute intentionnelle comme celle qui « implique la volonté de son auteur de créer le dommage tel qu’il est survenu » (Cass. 2e civ., 28 mars 2019, n° 18-15.829). Depuis peu, elle distingue clairement cette hypothèse de la faute dolosive : celle-ci ne suppose pas que l’assuré ait recherché le dommage précis, mais qu’il ait commis un acte délibéré en ayant conscience qu’il rendait le sinistre inévitable (Cass. 2e civ., 20 mai 2020, n° 19-11.538 ).

Lorsque l’assurance est souscrite au nom d’une personne morale, l’intention ou la faute dolosive s’apprécie au regard du comportement de son dirigeant de droit ou de fait, et non des simples préposés.

==>Preuve, qualification et limites

La charge de la preuve de la faute intentionnelle ou dolosive repose sur l’assureur (Cass. 1re civ., 15 janv. 1991, n° 89-12.918). Cette preuve est exigeante : une condamnation pénale, même pour une infraction intentionnelle, n’entraîne pas automatiquement l’exclusion de garantie. Elle ne suffit pas à établir que l’assuré a voulu le dommage tel qu’il s’est produit (Cass. 2e civ., 16 janv. 2020, n° 18-18.909).

À l’inverse, les juridictions reconnaissent la faute dolosive lorsqu’un assuré adopte un comportement délibéré qui rend le sinistre inévitable. Ainsi :

À l’inverse, la simple imprudence, la négligence, voire la faute lourde ou inexcusable ne suffisent pas à faire jouer l’interdit légal de l’article L. 113-1, al. 2 (Cass. 1re civ., 13 nov. 1990, n° 88-13.486). Ces fautes peuvent toutefois être écartées de la garantie par une exclusion conventionnelle, à condition d’être « formelles et limitées » (C. assur., art. L. 113-1, al. 1).

==>Spécificité en assurance de responsabilité

En assurance de responsabilité, l’interdit légal prend un relief particulier : l’intention doit viser la victime elle-même. Ainsi, un automobiliste qui se suicide en immobilisant son véhicule sur une voie ferrée n’a pas voulu porter préjudice à la SNCF : la garantie responsabilité civile reste due (Cass. 1re civ., 14 oct. 1997, n° 95-18.361). De même, un assuré qui met volontairement le feu à une porte n’a pas voulu incendier toute la cage d’escalier : la garantie subsiste pour les dommages non recherchés (Cass. 1re civ., 29 oct. 1985).

b. Inassurabilité de la responsabilité pénale et des peines

Un second interdit de principe découle de l’ordre public répressif : les peines pénales, fiscales ou administratives (amendes, interdictions d’exercer, retrait de permis, etc.) sont inassurables. Permettre leur couverture reviendrait à neutraliser leur fonction préventive et dissuasive (C. civ., art. 6). C’est pourquoi une assurance qui proposait de prendre en charge les conséquences d’un retrait de permis de conduire a été jugée illicite.

En revanche, la distinction est nette avec les conséquences civiles d’une infraction : les dommages-intérêts dus aux victimes peuvent être garantis par l’assurance de responsabilité civile, sous réserve de l’interdiction légale de la faute intentionnelle (C. assur., art. L. 113-1, al. 2).

La Cour de cassation a eu l’occasion de préciser que l’assurance ne peut pas avoir pour objet la couverture d’une activité illicite. Dans l’affaire dite du chiropracteur, un masseur-kinésithérapeute, condamné pour exercice illégal de la médecine et blessures involontaires à la suite de manipulations vertébrales, avait appelé en garantie son assureur. Celui-ci avait pourtant délivré un avenant mentionnant expressément l’activité de « chiropracteur ».

La Haute juridiction a rejeté son pourvoi : elle a jugé qu’« une assurance garantissant l’exercice illégal d’activités professionnelles est nulle comme contraire à l’ordre public ». Autrement dit, même si l’assureur avait contractuellement accepté de couvrir l’activité en cause, la nullité de la garantie était encourue dès lors que le contrat tendait à neutraliser les effets d’une condamnation pénale pour exercice illégal de la médecine (Cass. 1re civ., 5 mai 1993, n° 91-15.401).

2.3. Autres interdictions spécifiques

Outre les principes généraux tenant à la faute intentionnelle et aux sanctions pénales, certains textes spéciaux organisent des interdits ciblés qui limitent encore le champ de l’assurabilité.

En assurance maritime, l’article L. 172-13 du Code des assurances prévoit que l’assureur n’est jamais tenu des dommages résultant des fautes intentionnelles ou inexcusables de l’assuré. De même, l’article L. 175-3 précise que la faute intentionnelle du capitaine ne peut donner lieu à garantie. La logique est ici directement inspirée de celle de l’article L. 113-1, mais adaptée aux spécificités de la navigation maritime, où l’autorité et les choix du capitaine jouent un rôle déterminant dans la survenance du sinistre.

Les assurances aériennes et aéronautiques reprennent la même philosophie. Elles prohibent la couverture des dommages provoqués intentionnellement, en raison des impératifs de sécurité publique propres à ce type de transport. A cet égard, la jurisprudence et les textes applicables en ce domaine alignent ces contrats sur le régime commun de l’inassurabilité de la faute intentionnelle.

2.4. Conséquences des interdictions

Les interdictions légales de garantie emportent des effets directs tant sur le contrat que sur les litiges auxquels il peut donner lieu.

==>Nullité ou réputé non écrit

Lorsqu’un contrat d’assurance prétend couvrir un risque prohibé, la stipulation est privée d’effet. Ainsi, une clause qui garantirait une peine pénale, fiscale ou administrative est nulle car contraire à l’ordre public (C. civ., art. 6). De même, l’interdiction de garantir la faute intentionnelle ou dolosive s’applique de plein droit, sans qu’une clause contractuelle soit nécessaire : l’assureur est automatiquement dispensé de garantie (C. assur., art. L. 113-1, al. 2).

==>Opposabilité et action directe

En matière de responsabilité civile, la victime bénéficie d’un droit propre à l’encontre de l’assureur (C. assur., art. L. 124-3). Ce droit n’est toutefois pas illimité : l’assureur peut opposer à la victime les limites légales de la garantie, telles que l’inassurabilité de la faute intentionnelle ou des peines. En revanche, il ne peut pas lui opposer des exceptions personnelles tenant au comportement de l’assuré, comme une déchéance pour déclaration tardive. La frontière se situe entre la définition objective de la couverture (opposable à tous) et les stipulations qui ne sanctionnent que l’assuré (inopposables à la victime).

==>Charge de la preuve et enjeux contentieux

Il revient à l’assureur d’établir la faute intentionnelle ou dolosive pour être déchargé de sa garantie. Cette preuve est difficile, car elle implique de démontrer la volonté de provoquer le dommage ou la conscience de son inéluctabilité. À défaut, la garantie demeure acquise. À l’inverse, la simple imprudence ou la faute lourde, même manifeste, ne suffit pas à exclure la garantie.

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