L’assurance repose sur un objet précis : le risque garanti. Définir l’objet du contrat revient donc à identifier ce que l’assureur accepte de couvrir et, inversement, ce qui reste en dehors de la garantie. C’est un élément central, car il conditionne la validité du contrat, l’étendue de la protection accordée à l’assuré et le calcul de la prime.
Le risque, qui préexiste au contrat, doit répondre à certaines conditions : il doit être incertain (aléa), extérieur à la volonté de l’assuré, déclaré à l’assureur et présenter un intérêt d’assurance. Ces exigences garantissent que l’assurance conserve sa fonction véritable : protéger contre les conséquences d’un événement redouté, et non servir de pari sur la réalisation d’un dommage.
Mais la détermination de l’objet du contrat ne dépend pas seulement de ces conditions générales. Elle est aussi façonnée par la configuration juridique et contractuelle du risque : définition précise de la garantie, rédaction des exclusions, conditions de mise en jeu de la couverture. À cela s’ajoute l’intervention du législateur qui, dans certaines assurances obligatoires (automobile, construction, professions réglementées), fixe un contenu minimal impératif afin d’assurer la protection des victimes et la solvabilité du risque.
L’étude de l’objet du contrat d’assurance conduit donc à analyser, d’une part, la définition du risque garanti et les conditions de sa validité, et, d’autre part, la délimitation de la garantie par la loi et par le contrat.
Nous nous focaliserons ici sur la définition du risque garanti.
A. Règles générales
1. L’objet de la garantie
En droit des assurances, l’objet du contrat se confond avec le risque garanti, entendu dans une acception concrète, c’est-à-dire tel qu’il est intégré dans le champ de la mutualité par l’effet du contrat. Le risque, en ce sens, constitue le support matériel et économique de la garantie : il préexiste au contrat, conditionne la décision de l’assureur de couvrir et délimite l’étendue de l’obligation assumée.
a. La notion de risque
Le risque constitue l’axe central autour duquel s’articule tout le droit des assurances. Avec l’aléa, il forme le socle intellectuel de l’opération d’assurance : l’aléa conditionne juridiquement la validité du contrat, tandis que le risque en délimite matériellement l’objet.
À la différence de l’aléa, notion purement juridique, le risque relève avant tout du registre technique et économique : il désigne ce qui est exposé à un sinistre, ce qui est redouté et ce qui, le cas échéant, donnera lieu à indemnisation. Il s’agit d’une donnée extérieure au contrat, préexistant à sa formation, et que celui-ci se borne à prendre en charge. C’est cette extériorité qui rend possible sa mutualisation, condition technique et financière de l’activité assurantielle.
==>Les trois dimensions du risque
La doctrine contemporaine a mis en évidence le caractère polysémique du risque, en distinguant trois acceptions principales, qui correspondent à trois niveaux d’analyse du contrat d’assurance :
- Le risque-objet : il désigne la chose, la personne ou l’activité assurée, autrement dit l’assiette de la garantie.
- En assurance de choses, il peut s’agir d’un bâtiment, d’un véhicule ou d’une œuvre d’art.
- En assurance de responsabilité, il vise plus souvent l’activité professionnelle ou domestique susceptible d’engager la responsabilité de l’assuré envers des tiers.
- Cette acception statique conditionne l’évaluation patrimoniale du risque et le montant de la prime.
- Le risque-événement : il s’agit du fait générateur du sinistre, dont la survenance déclenche l’obligation de l’assureur. Incendie, vol, décès, inondation, mise en cause judiciaire sont autant d’événements susceptibles de constituer des risques assurés. Cette acception, plus dynamique, domine la rédaction des polices d’assurance, qui énumèrent les événements couverts, leurs conditions de prise en charge et les exclusions applicables.
- Le risque-conséquence ou risque-dommage : cette acception extensive assimile le risque aux effets économiques ou corporels résultant du sinistre. Dans le langage contractuel, on parle par exemple d’« exclusion du risque de perte d’exploitation », alors que le terme « risque » désigne ici le dommage subi et non l’événement qui l’a causé.
Ces trois niveaux – objet, événement, conséquence – permettent d’articuler la technique contractuelle autour de la détermination de l’assiette, de la définition du péril et de la quantification des pertes.
==>Portée juridique de la distinction
Cette stratification n’est pas qu’un artifice théorique :
- Elle sert à calibrer les garanties et à déterminer leur prix, la prime étant fonction de la nature et de l’ampleur du risque garanti.
- Elle guide l’appréciation judiciaire du champ de la garantie : c’est en identifiant si le litige porte sur l’objet, l’événement ou la conséquence que le juge peut trancher.
- Elle permet de maîtriser les exclusions et d’éviter les ambiguïtés rédactionnelles : une imprécision sur l’un de ces trois volets peut ouvrir la voie à une interprétation in favorem à l’assuré.
==>Conditions d’existence du risque garanti
Pour être intégré dans l’objet du contrat, le risque doit remplir plusieurs conditions :
- Existence et incertitude : un risque inexistant ou déjà réalisé au jour de la conclusion rend la garantie inopérante et peut entraîner la nullité du contrat (C. assur., art. L. 121-15). L’incertitude est ici indissociable de l’aléa.
- Extériorité : le risque doit exister indépendamment du contrat, lequel ne crée pas le péril mais se contente de le prendre en charge.
- Déclaration : conformément à l’article L. 113-2, 2° du Code des assurances, le souscripteur doit déclarer le risque à l’assureur. À défaut, il n’y a pas de risque assuré et donc pas de garantie (Cass. 3e civ., 4 nov. 2004, n° 03-13.821).
- Point de départ de la garantie : lorsque la garantie est subordonnée à une condition suspensive, il n’existe pas de risque assuré avant que cette condition ne soit remplie (Cass. 2e civ., 21 déc. 2006, n°05-11.367).
==> Conséquences pratiques
L’identification précise du risque a des incidences sur :
- La rédaction contractuelle : elle détermine l’énoncé de l’« objet de la garantie » et la formulation des exclusions.
- La mutualisation : un risque objectivable et récurrent est une condition de viabilité économique de la mutualité.
- La gestion du contrat : le suivi et l’actualisation du risque déclaré sont essentiels pour éviter des contestations lors de la survenance d’un sinistre.
- La prévention : certaines polices imposent à l’assuré des mesures de prévention ou de sécurité pour limiter la probabilité ou l’ampleur du sinistre.
b. Les caractères du risque garanti
Le risque n’accède à la qualification de risque assuré qu’à la condition de satisfaire un faisceau d’exigences cumulatives, à la fois juridiques (validité du contrat), techniques (mutualisation) et contractuelles (délimitation opératoire de la garantie). Trois caractères dominent : incertitude (aléa), extériorité, déclaration. À ces trois piliers, la pratique et le droit positif ajoutent utilement des exigences de licéité, intérêt d’assurance et déterminabilité, qui renforcent la sécurité juridique de la couverture.
i. L’incertitude (aléa) au jour de la conclusion
L’assurance suppose un événement incertain : si le sinistre est certain ou déjà survenu lors de la souscription, le contrat est privé d’aléa, ce qui vicie sa validité (C. assur., art. L. 121-15). La sanction est classiquement analysée en nullité relative au bénéfice de l’assureur, l’appréciation des juges du fond étant souveraine (v. Cass. 2e civ., 21 déc. 2006, n° 05-11.367).
Cette exigence d’incertitude se double d’une neutralisation des sinistres provoqués intentionnellement par l’assuré : la faute intentionnelle ou dolosive est hors-champ de la garantie (C. assur., art. L. 113-1), ce qui traduit, en creux, l’incompatibilité d’un « risque » entièrement créé par la volonté de l’assuré avec la logique assurantielle.
L’aléa n’est pas qu’un filtre de validité : c’est la condition statistique de la mutualisation. Sans incertitude quant à la survenance, l’entreprise d’assurance ne peut ni tarifer, ni étaler le coût dans le temps. Vos sources insistent sur ce couplage juridique/économique : l’aléa est la condition de validité ; l’objectivation du risque, sa condition de financement.
ii. L’extériorité et l’objectivation du risque
Le risque préexiste au contrat ; il est un donné factuel et économique que le contrat se borne à prendre en charge (v. vos sources doctrinales). Cette extériorité explique :
- la possibilité d’une mutualité (le risque est récurrent, observable, mesurable) ;
- la nécessité de le configurer juridiquement dans la police (rubrique « objet de l’assurance »), en sélectionnant les circonstances et conséquences déclenchantes (C. assur., art. L. 113-1 : présomption que toutes les conséquences de l’événement défini sont couvertes, sauf exclusions).
Conséquence : il faut distinguer risque assurable (abstraitement compatible avec l’assurance) et risque assuré (effectivement intégré dans l’objet du contrat). Tant que la garantie n’a pas pris effet ou que la condition suspensive n’est pas remplie, il n’y a pas de risque assuré (v. Cass. 2e civ., 21 déc. 2006, préc.).
iii. La déclaration du risque par le souscripteur
La déclaration initiale du risque (C. assur., art. L. 113-2, 2°) est une obligation essentielle : elle permet à l’assureur d’évaluer la nature, l’étendue et l’intensité du risque et, partant, de tarifer et délimiter la garantie. À défaut, le risque n’est pas intégré à l’objet du contrat : absence d’assurance (v. Cass. 3e civ., 4 nov. 2004, n° 03-13.821 : omission de déclarer un chantier = défaut d’assurance).
Cette exigence vise à rétablir l’équilibre d’information entre l’assuré, qui connaît la réalité du risque, et l’assureur, qui doit l’évaluer pour fixer ses conditions d’engagement. Une déclaration exacte et complète permet d’éviter les biais classiques de la technique assurantielle : la sélection adverse (acceptation, à un tarif inadapté, de risques plus dangereux que prévu) et l’aléa moral (modification du comportement de l’assuré du fait de la couverture). Elle conditionne ainsi la pertinence de la définition contractuelle de la garantie, qu’il s’agisse des conditions de prise en charge, des exclusions ou des plafonds d’indemnisation.
iv. La licéité de l’objet et du but
Le risque garanti doit s’inscrire dans un contenu licite et certain (C. civ., art. 1128 et 1162). Sont hors-champ les couvertures heurtant l’ordre public (ex. nullité pour cause illicite d’un contrat d’assurance garantissant une activité contraire à la dignité : Cass. 1re civ., 29 oct. 2014, n°13-19.729, confirmant l’analyse de fond).
Cette licéité se retrouve aussi par la négative en matière d’interdictions de garantir ou d’exclusions imposées par la loi (ex. régimes obligatoires où certaines exclusions sont prohibées), mais ces points seront traités plus loin dans votre plan.
v. L’intérêt d’assurance
En matière d’assurance de dommages, l’assureur n’est tenu à prestation qu’à la condition que le bénéficiaire du contrat justifie d’un intérêt à la non-réalisation du risque garanti. L’article L. 121-6 du Code des assurances dispose en ce sens :
« Toute personne ayant intérêt à la conservation d’une chose peut la faire assurer. Tout intérêt direct ou indirect à la non-réalisation d’un risque peut faire l’objet d’une assurance. »
L’intérêt constitue ainsi un élément essentiel de l’assurance de dommages.
La jurisprudence est constante : « en l’absence d’intérêt, l’assurance est un pari et encourt la nullité » (Cass. req., 3 janv. 1876, S. 1876, 1, 105). Cette exigence, très ancienne, puise ses racines dans l’assurance maritime médiévale. Dès le XVe siècle, les ordonnances de Barcelone (1435, 1484) ou de Bilbao (1560) prohibaient les paris sur les risques d’autrui en exigeant du souscripteur qu’il jure son titre de propriété sur le navire assuré. L’Ordonnance de la Marine de 1681 (Colbert) a repris cette logique, imposant l’existence d’un risque réel menaçant le souscripteur ou l’assuré pour compte.
En droit français, cette condition ne concerne que les assurances de dommages. Elle est étrangère aux assurances de personnes, où l’article L. 132-1 C. assur. autorise l’assurance de la vie d’autrui, sous réserve, pour l’assurance décès souscrite par un tiers, du consentement écrit de l’assuré (art. L. 132-2).
==>Notion d’intérêt d’assurance
L’intérêt désigne, au sens commun, « ce qui importe, est utile ou avantageux ». En droit des assurances, il correspond à l’utilité patrimoniale que le contrat procure à son bénéficiaire : se protéger contre un appauvrissement causé par la réalisation du risque.
Il ne s’agit donc pas d’un intérêt quelconque, mais d’un intérêt à la conservation de la chose ou, plus largement, à la non-réalisation du risque. Cette utilité est indissociable de la nature indemnitaire de l’assurance de dommages (art. L. 121-1 C. assur.).
La doctrine souligne que l’intérêt est à la fois la raison de l’assurance (être exposé à un risque réel) et son but (obtenir une protection contre ce risque).
À défaut d’intérêt, le contrat n’a plus de cause légitime : il bascule dans la catégorie du pari, prohibé par le droit des assurances. Le défaut d’intérêt peut résulter de l’absence de risque préexistant ou de l’inadaptation de la garantie au risque encouru.
==>Fonction de l’intérêt d’assurance
L’intérêt joue un rôle à la formation comme à l’exécution du contrat :
- À la formation, il est une condition de validité (art. L. 121-6 C. assur.), dont le défaut entraîne la nullité.
- En cours d’exécution, il permet de détecter une surassurance, un cumul d’assurances, ou d’identifier le bénéficiaire d’une assurance pour compte. Il sert également de référence pour le calcul du plafond d’indemnité.
Historiquement, cette exigence vise à distinguer l’assurance du jeu ou du pari. L’assurance et le pari sont tous deux des contrats aléatoires, mais ils se situent aux antipodes : l’un organise la protection contre les effets redoutés du hasard, l’autre la recherche d’un gain issu de ses effets espérés.
L’assurance-pari présente des risques de fraude (provocation volontaire de sinistres) et de perturbation des lois statistiques, ce qui la rend économiquement insoutenable.
==>Sanction et limites pratiques
La sanction du défaut d’intérêt est la nullité du contrat. L’assureur doit restituer les primes perçues (retour au statu quo ante), ce qui limite l’effet dissuasif. En pratique, un parieur peut donc être tenté :
- soit l’assureur ne soulève pas l’absence d’intérêt au moment du sinistre et verse une indemnité indue,
- soit il l’invoque et restitue les primes, rendant l’opération « blanche » pour le souscripteur.
La théorie générale du contrat (erreur sur la cause, art. 1169 nouv. C. civ.) et le principe nemo auditur propriam turpitudinem allegans pourraient, en théorie, faire obstacle à la restitution, mais leur application reste délicate.
Enfin, il n’est pas rare qu’une assurance soit conclue sans intérêt réel, par erreur de croyance (ex. : penser à tort être propriétaire de la chose assurée). Dans ces cas, la bonne foi demeure présumée.
c. La configuration contractuelle du risque
Le risque, avant toute souscription, existe à l’état brut : il se présente comme un faisceau de circonstances aléatoires et de conséquences possibles, appréhendées dans leur diversité technique, économique ou humaine. Cette matière première, informe juridiquement, est façonnée par l’opération d’assurance. Par la conclusion du contrat, le risque est sélectionné, circonscrit et juridiquement qualifié : certaines circonstances et conséquences sont retenues comme génératrices de garantie, d’autres sont expressément ou implicitement laissées hors du champ couvert.
Cette transformation s’opère dans la police d’assurance, généralement sous la rubrique «objet de l’assurance », qui énonce la garantie de principe. En assurance de dommages, l’article L. 113-1 du Code des assurances institue une présomption légale d’étendue de garantie : dès lors que l’événement assuré est défini, toutes ses conséquences dommageables sont réputées couvertes, sauf exclusions expresses et formelles. Cette règle est d’ordre public dans son principe, mais souffre certaines exceptions — notamment en présence d’une faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré, laquelle met fin à la garantie en vertu du même texte.
Deux grandes techniques contractuelles permettent de configurer la garantie :
- La garantie « à risques ou garanties dénommés » (named perils coverage)
- Ici, la police énumère de façon limitative les événements, activités ou dommages assurés.
- Tout ce qui n’est pas mentionné est réputé exclu, sans qu’il soit besoin d’une clause d’exclusion.
- Cette approche offre une grande sécurité juridique sur le périmètre de couverture, mais peut laisser hors champ des sinistres atypiques que l’assuré croyait couverts.
- La garantie « tous risques sauf » (all risks coverage)
- Cette technique adopte une définition générale et englobante de l’objet de la garantie : tout événement entrant dans ce champ est couvert, sauf exclusions expresses prévues au contrat.
- La Cour de cassation, dans son arrêt du 9 novembre 2023 (Cass. 2e civ., 9 nov. 2023, n° 21-23.268), apporte une précision importante sur la portée des polices « tous risques sauf ».
- Elle rappelle d’abord que, selon l’article 7 des conditions particulières du contrat en cause, étaient garantis « les dommages, les recours, les responsabilités, les frais et pertes, consécutifs ou non, subis par l’ensemble et la généralité des biens ayant pour origine un événement non exclu ».
- Constatant que les clauses relatives aux pertes d’exploitation présentaient une ambiguïté quant à l’exigence d’un dommage matériel préalable, la Haute juridiction valide l’interprétation de la cour d’appel d’Angers, laquelle avait jugé que la garantie couvrait également les pertes d’exploitation non consécutives à des dommages subis par les biens assurés, dans la limite du plafond contractuel prévu.
- Cette décision illustre la logique protectrice qui imprègne l’article L. 113-1 du Code des assurances : dans une police à définition générale (« tous risques sauf »), il appartient à l’assureur qui entend exclure un événement de démontrer que celui-ci relève d’une exclusion formelle et limitée.
- À défaut, et en présence d’une ambiguïté rédactionnelle, l’interprétation se fait en faveur de l’assuré (in dubio contra stipulatorem).
- L’arrêt du 9 novembre 2023 confirme ainsi que la configuration contractuelle du risque, lorsqu’elle repose sur une clause générale, doit être lue à la lumière de cette présomption légale d’étendue de la garantie, ce qui impose à l’assureur une rédaction précise et dépourvue d’ambiguïté s’il souhaite limiter sa couverture.
Dans tous les cas, la configuration contractuelle du risque détermine concrètement ce que couvre l’assurance. Elle précise, d’une part, la nature exacte des événements déclenchant la garantie et, d’autre part, les conditions dans lesquelles cette garantie s’applique, ainsi que l’étendue des pertes ou dommages indemnisables. Autrement dit, elle transforme un aléa — incertain et abstrait avant la souscription — en un engagement contractuel délimité, ce qui conditionne à la fois la portée réelle de la protection offerte à l’assuré et la prévisibilité des obligations de l’assureur.
d. Une coconstruction entre assuré et assureur
La détermination de l’objet de la garantie résulte d’un processus interactif dans lequel l’assuré et l’assureur contribuent, chacun à leur manière, à la définition du risque couvert.
En premier lieu, l’assuré est tenu, lors de la souscription, de déclarer avec précision la nature et les caractéristiques du risque (C. assur., art. L. 113-2, 2°). Cette déclaration constitue le socle de l’appréciation de l’assureur : elle permet d’évaluer la probabilité de réalisation de l’événement redouté, d’en estimer les conséquences financières potentielles, et de fixer corrélativement le montant de la prime ou cotisation. La jurisprudence rappelle avec constance que l’omission ou l’inexactitude dans la déclaration initiale du risque peut affecter l’existence même de la garantie, soit par l’application des sanctions prévues aux articles L. 113-8 et L. 113-9, soit, dans les cas extrêmes, en équivalant à une absence d’assurance (v. notamment Cass. 3e civ., 4 nov. 2004, n° 03-13.821).
En second lieu, l’assureur, sur la base des éléments communiqués, formule contractuellement la garantie. Il en fixe les contours en précisant :
- la définition de l’événement garanti (garantie de principe) ;
- les conditions de mise en jeu de la garantie (conditions suspensives, franchises, seuils, délais de carence) ;
- les éventuelles limitations ou exclusions de garantie, qui doivent être formelles et limitées pour être opposables (C. assur., art. L. 113-1 ; v. par ex. Cass. 2e civ., 9 nov. 2023, n° 21-23.268).
Ce dialogue entre la déclaration du risque et la rédaction contractuelle opère une transformation : le risque, qui préexistait à l’état brut dans la réalité économique ou technique, devient un risque juridiquement qualifié, délimité par la volonté des parties et encadré par les prescriptions légales.
La doctrine souligne que ce mécanisme relève d’une coconstruction contrôlée :
- contrôlée par la loi, qui impose certaines mentions ou interdit certaines clauses (ex. exclusions prohibées) ;
- contrôlée par le juge, qui interprète les stipulations litigieuses, tranche les ambiguïtés au profit de l’assuré (in dubio contra stipulatorem) et vérifie la conformité des exclusions à l’exigence de formalisme.
En définitive, c’est ce travail conjoint — déclaration par l’assuré, rédaction par l’assureur — qui confère au risque sa qualité d’objet du contrat et à la garantie sa portée opérationnelle. La sécurité juridique de la relation d’assurance dépend directement de la précision et de la cohérence de cette configuration initiale.
2. Les conditions de la garanties
Si l’objet de la garantie définit le périmètre matériel du risque couvert, les conditions de la garantie en déterminent le déclenchement effectif. Elles constituent l’ensemble des exigences, légales ou contractuelles, que l’assuré doit remplir pour que la couverture s’active en cas de sinistre.
Elles jouent un double rôle :
- préventif, en incitant l’assuré à adopter un comportement conforme à la finalité de l’assurance et à limiter la réalisation du risque ;
- opérationnel, en fixant les critères objectifs et subjectifs permettant à l’assureur de constater si la garantie est due.
La jurisprudence et la doctrine insistent sur la nécessité d’une définition précise ou, à tout le moins, d’une détermination sans ambiguïté des conditions de garantie. Cette précision est la clé de la sécurité juridique des parties : elle circonscrit l’engagement de l’assureur, facilite la preuve en cas de litige et limite les interprétations divergentes.
En pratique, ces conditions peuvent porter :
- soit sur la situation du risque ou ses modalités de réalisation (conditions objectives) ;
- soit sur la situation ou le comportement de l’assuré (conditions subjectives).
Encore faut-il distinguer clairement ces conditions de garantie des clauses d’exclusion. La Cour de cassation rappelle qu’une stipulation qui ne fixe pas un élément constitutif du déclenchement de la garantie, mais qui retire sa couverture en raison de certaines circonstances dans lesquelles le risque se réalise, doit être analysée comme une exclusion et répondre aux exigences de l’article L. 113-1 du Code des assurances (Cass. 2e civ., 27 avr. 2017, n° 16-14.397).
a. Les conditions aux caractéristiques du risque
Les conditions de garantie peuvent d’abord résulter de la définition contractuelle du risque assuré et des modalités de sa réalisation. Elles visent à encadrer l’événement générateur de la garantie, de manière à éviter toute ambiguïté sur l’étendue de la couverture.
==>La nécessité d’un risque déterminé ou déterminable
Pour que la garantie d’assurance puisse produire pleinement ses effets, le risque couvert doit être défini avec précision ou, à tout le moins, pouvoir être déterminé sans ambiguïté.
Cette exigence commande que la police :
- identifie clairement l’événement assuré (ex. : incendie, inondation, vol, panne) ;
- précise les conditions de mise en œuvre de la garantie, c’est-à-dire les circonstances dans lesquelles la réalisation du risque ouvre droit à indemnisation.
Cette délimitation est essentielle : elle fixe la portée de l’engagement de l’assureur et évite les contentieux liés à l’incertitude sur le déclenchement de la garantie.
==>Les deux techniques principales de définition du risque
La pratique offre deux grands modèles :
- Les garanties dénommées : la police énumère de manière exhaustive les événements, activités ou dommages couverts. Tout ce qui n’est pas mentionné est exclu. Cette technique assure une grande sécurité juridique mais peut se révéler rigide face à des sinistres atypiques.
- Les clauses « tous risques sauf » : la couverture est générale, tous les événements étant garantis sauf exclusions expresses. Cette formule offre une protection étendue mais requiert une rédaction particulièrement soignée : toute ambiguïté profite à l’assuré, conformément au principe in dubio contra stipulatorem. Ainsi, dans un arrêt du 9 novembre 2023 (Cass. 2e civ., 9 nov. 2023, n° 21-23.268), la Cour de cassation a validé l’interprétation souveraine d’une cour d’appel qui, face à une clause « tous risques sauf » ambiguë, a retenu que la police couvrait des pertes d’exploitation non consécutives à des dommages matériels, dans la limite du plafond contractuel, malgré l’argument de l’assureur qui exigeait un dommage préalable aux biens assurés.
==>Conditions de garantie vs clauses d’exclusion
La qualification d’une stipulation comme condition de garantie ou clause d’exclusion est déterminante :
- Une condition de garantie précise un élément constitutif du risque couvert (ex. : la survenance de l’événement dans un lieu désigné au contrat) ;
- Une clause d’exclusion prive l’assuré de la garantie en raison de circonstances particulières dans lesquelles le risque se réalise.
La Cour de cassation veille à cette distinction : dans l’arrêt du 27 avril 2017 (Cass. 2e civ., 27 avr. 2017, n° 16-14.397), elle a jugé qu’une stipulation imposant, « sous peine de non-assurance », le respect des normes légales lors d’une manifestation constituait en réalité une exclusion de garantie — et non une condition — car elle visait certaines circonstances de réalisation du risque. Cette exclusion, trop générale, a été déclarée non valable faute de satisfaire aux critères de l’article L. 113-1 du Code des assurances (clause formelle et limitée).
b. Les conditions tenant à la situation de l’assuré
Les conditions de garantie peuvent également dépendre de la situation de l’assuré ou des comportements attendus de celui-ci, avant ou pendant la période de couverture. Elles visent à encadrer l’accès à la garantie en fonction d’éléments personnels ou matériels propres à l’assuré, afin de maîtriser le risque assumé par l’assureur.
i. Les conditions relatives aux caractéristiques personnelles ou professionnelles
Certaines polices subordonnent la garantie à la qualité de l’assuré ou à l’exercice d’une activité déterminée (ex. : assurance réservée à un professionnel de santé inscrit à un ordre, à un conducteur disposant d’un permis en cours de validité, à un adhérent d’un groupement professionnel).
Ces conditions, qui se rattachent à l’identité ou au statut de l’assuré, doivent être clairement définies dans le contrat pour être opposables. À défaut, elles sont inopposables au sens de l’article L. 112-2 du Code des assurances.
ii. Les conditions relatives aux obligations de prévention ou d’équipement
Certaines garanties ne jouent qu’à la condition que l’assuré ait respecté des exigences matérielles ou de sécurité, telles que :
- installation d’un système d’alarme ou d’un dispositif antivol homologué ;
- conformité des installations électriques ou de gaz aux normes ;
- formation préalable ou autorisations administratives requises.
Ces conditions, lorsqu’elles sont prévues, doivent être expresses, précises et portées à la connaissance de l’assuré. La jurisprudence sanctionne les stipulations imprécises ou insuffisamment visibles.
Ainsi, dans l’arrêt du 23 mars 2017 (Cass. 2e civ., 23 mars 2017, n° 16-15.364), une police vol subordonnait la garantie à l’installation d’une alarme certifiée. Les juges du fond avaient qualifié l’absence d’alarme de « défaut d’assurance ». La Cour de cassation a censuré cette analyse, au motif que les juges n’avaient pas caractérisé que cette exigence constituait une véritable condition de garantie clairement stipulée et apparente, condition nécessaire pour qu’elle soit opposable à l’assuré.
iii. Distinction avec les clauses d’exclusion
Comme pour les conditions tenant au risque, il faut distinguer les véritables conditions de garantie, qui déterminent les contours de l’engagement initial de l’assureur, des clauses d’exclusion qui retirent la garantie dans certaines circonstances. Cette distinction emporte des conséquences procédurales et substantielles :
- une condition de garantie non remplie signifie que le risque ne rentre pas dans le champ couvert, sans application des règles propres aux exclusions ;
- une exclusion doit répondre aux critères de l’article L. 113-1 du Code des assurances (clause formelle et limitée), faute de quoi elle est réputée non écrite.
iv. L’exigence de licéité et d’absence de discrimination
La liberté dont dispose l’assureur pour apprécier un risque et en déterminer les conditions de garantie trouve ses limites dans des exigences d’ordre public, au premier rang desquelles figurent la licéité et l’absence de discrimination. Ces exigences, qui découlent tant du droit pénal que du droit civil et des normes européennes, encadrent la sélection des risques et la tarification.
Il est tout d’abord interdit à l’assureur de fonder son appréciation sur des critères prohibés par le droit commun de la discrimination. L’article 225-1 du Code pénal érige en infraction toute distinction opérée, dans l’accès à un bien ou à un service, en raison notamment du sexe, de l’état de santé, de la situation de handicap, des origines ou de l’orientation sexuelle. Cette règle trouve à s’appliquer pleinement au domaine assurantiel. La jurisprudence européenne a, en outre, renforcé cette exigence. Par un arrêt du 1er mars 2011 (CJUE, 1er mars 2011, Association belge des Consommateurs Test-Achats ASBL e.a., aff. C-236/09), la Cour de justice de l’Union européenne a interdit toute différenciation de primes ou de prestations fondée sur le sexe, au nom du principe d’égalité de traitement entre hommes et femmes. Depuis le 21 décembre 2012, les contrats doivent ainsi être tarifés et indemnisés selon des règles unisexes, excluant toute modulation directement liée au sexe de l’assuré.
Les données de santé font également l’objet d’un encadrement spécifique. Le dispositif AERAS (s’Assurer et Emprunter avec un Risque Aggravé de Santé), prévu aux articles L. 1141-2 et suivants du Code de la santé publique, impose un droit à l’oubli au bénéfice de certaines pathologies, notamment les cancers et l’hépatite C, dont la déclaration ne peut plus être exigée par l’assureur lorsque cinq années se sont écoulées depuis la fin du protocole thérapeutique, en l’absence de rechute. Ce dispositif, renforcé par la loi n°2022-270 du 28 février 2022 dite « loi Lemoine », est complété par une grille de référence fixant les délais et conditions applicables à d’autres pathologies. L’assureur ne peut, par ailleurs, ni solliciter ni exploiter les résultats d’examens génétiques, interdiction posée à l’article L. 1131-1-3 du Code de la santé publique. À cela s’ajoute la protection des données personnelles issue du Règlement général sur la protection des données, qui prohibe en principe le traitement des données de santé, sauf exceptions strictement encadrées et assorties de garanties appropriées, telles que définies par la loi « Informatique et Libertés » et les référentiels sectoriels adoptés par la CNIL.
L’âge et l’état de santé peuvent encore, sous certaines conditions, être retenus comme critères d’évaluation du risque, à la différence du sexe. Leur utilisation n’est toutefois licite que si elle répond à un but légitime, repose sur des bases actuarielles objectives et demeure proportionnée à l’objectif poursuivi. L’assureur doit être en mesure de justifier la pertinence statistique de la modulation appliquée, en veillant à ce qu’aucune règle spéciale, telle que celles issues du dispositif AERAS ou du droit à l’oubli, ne soit méconnue. À défaut, la pratique pourrait être sanctionnée au titre de la discrimination ou écartée par le juge civil.
La licéité et la non-discrimination ne constituent donc pas des contraintes accessoires, mais des paramètres centraux dans la conception et la mise en œuvre des conditions d’assurance. Elles imposent à l’assureur de formuler des clauses objectives et neutres, de vérifier leur compatibilité avec les régimes protecteurs spécifiques, et de pouvoir démontrer, en cas de contestation, la proportionnalité et la justification des critères retenus. L’exigence ne se limite pas à une vigilance formelle : elle traduit un principe directeur qui irrigue l’ensemble de la relation contractuelle d’assurance.
B. Règles particulières
En matière d’assurances de dommages, l’article L. 113-1, alinéa 1er du Code des assurances institue un régime de principe particulièrement favorable à l’assuré : « Les pertes et les dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l’assuré sont à la charge de l’assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police ».
Ce texte opère un renversement important par rapport au droit commun de la responsabilité: l’assureur prend en charge, en principe, non seulement les conséquences d’un événement imprévisible ou inévitable (cas fortuit), mais également celles résultant de la faute de l’assuré, y compris lorsqu’elle est lourde, sous réserve des exceptions prévues par la loi (faute intentionnelle ou dolosive : C. assur., art. L. 113-1, al. 2).
Une fois l’événement garanti défini dans la police, la loi attache à cette définition une présomption d’ampleur : toutes les conséquences dommageables de l’événement sont présumées couvertes. Cette présomption joue de façon cumulative :
- Sur le plan causal, elle s’étend à l’ensemble des suites directes ou indirectes du sinistre, y compris celles qui ne sont pas immédiatement perceptibles au moment de sa survenance.
- Sur le plan quantitatif, elle ne connaît pas de plafond légal : sauf stipulation contractuelle contraire, les dommages sont présumés garantis pour un montant illimité, la limitation relevant de la seule liberté contractuelle des parties (plafonds, franchises, sous-limites).
Ce régime légal repose ainsi sur une double logique protectrice :
- D’une part, neutraliser le débat sur la prévisibilité ou la gravité de la faute de l’assuré
- D’autre part, éviter que l’assureur ne puisse restreindre a posteriori l’étendue de la couverture en contestant le lien entre l’événement déclaré et ses conséquences.
Toutefois, cette présomption n’est pas irréfragable. Le législateur permet aux parties d’en restreindre la portée par le biais de clauses d’exclusion. Encore faut-il que ces clauses répondent aux conditions strictement définies par l’article L. 113-1, alinéa 1er, à savoir être formelles (rédigées en termes clairs et précis, excluant toute ambiguïté) et limitées (circonscrivant avec exactitude les hypothèses dans lesquelles la garantie ne joue pas).