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Indemnisation du sinistre: l’exécution de la prestation

L’assurance ne prend tout son sens qu’au stade de son exécution. La promesse de garantie donnée lors de la conclusion du contrat doit, au moment du sinistre, se traduire par le versement effectif de la prestation due. C’est à ce stade que se mesure l’utilité économique du mécanisme assurantiel : assurer la réparation rapide et certaine des conséquences du risque garanti.

Le Code des assurances fixe un cadre général. L’article L.113-5 impose à l’assureur d’exécuter son obligation « dans le délai convenu ». À défaut de précision contractuelle, la jurisprudence et certaines dispositions spéciales (incendie, catastrophes naturelles, dommages-ouvrage, etc.) viennent encadrer la date d’exigibilité.

L’exécution soulève plusieurs questions pratiques : qui est débiteur et qui est créancier de la prestation ? À quel moment l’indemnité devient-elle exigible ? Peut-on en obtenir une partie par provision, avant la liquidation définitive du sinistre ? Quelles sont les conséquences d’un retard de paiement, en termes d’intérêts moratoires ou de dommages-intérêts ? Enfin, quels événements peuvent retarder ou empêcher le règlement ?

C’est autour de ces interrogations que s’organise l’analyse de l’exécution de la prestation d’assurance.

1. Les parties intéressées au paiement de l’indemnité

a. Le débiteur de la prestation

Le débiteur naturel de l’indemnité d’assurance est l’assureur. La loi lui impose d’exécuter sa prestation « dans le délai convenu » (C. assur., art. L.113-5), délai qui doit être expressément prévu par la police (art. R.*112-1). Cette obligation se déclenche lors de la réalisation du risque ou à l’échéance prévue du contrat. Elle est toutefois strictement bornée: l’assureur n’est jamais tenu au-delà des limites fixées par la convention, notamment les plafonds de garantie stipulés.

La situation se complexifie lorsque plusieurs assureurs sont engagés sur un même risque. En cas de coassurance, chacun d’eux n’est tenu que pour la part qu’il a acceptée, sans solidarité entre eux (Cass. 2e civ., 12 mai 2011, n° 10-18.399). L’assureur dit « apériteur » cumule deux fonctions : il reste engagé comme assureur pour sa propre ligne et agit, en outre, comme mandataire des coassureurs afin de centraliser et répartir les règlements. Il ne peut en principe être condamné à payer au-delà de sa quote-part (Cass. com., 4 juill. 1995, n° 93-11.963). Une limite importante existe néanmoins : si l’assureur ne démontre pas que l’assuré a été informé, lors de la souscription, de la répartition des engagements entre coassureurs, il peut être tenu d’indemniser le sinistre dans son intégralité (Cass. 2e civ., 8 févr. 2006, n° 04-20.420).

La preuve du paiement est traditionnellement apportée par la signature d’une quittance. Celle-ci fait présumer que l’indemnité a bien été réglée, mais la présomption n’est pas irréfragable : elle peut être renversée par tout moyen, en particulier lorsque l’assureur a la qualité de commerçant. Pour éviter les confusions nées des « quittances » signées par anticipation, la pratique conseille de recourir à un document intitulé « accord de règlement » (Cass. 1re civ., 21 févr. 1984).

b. Le créancier de la prestation

Le créancier naturel de l’indemnité est celui qui, au terme du contrat ou de la loi, justifie d’un droit à percevoir la prestation d’assurance. Mais cette qualité, apparemment simple, se révèle multiple et parfois conflictuelle : elle peut concerner l’assuré lui-même, ses ayants-cause, la victime d’un dommage, ou encore les créanciers privilégiés du bien sinistré.

i. Le bénéficiaire désigné ou ses ayants-cause

En principe, l’indemnité est versée directement au bénéficiaire de la garantie, à charge pour lui d’établir ses droits. Pour un immeuble, la production d’un titre de propriété suffit, le droit commun de la preuve immobilière étant applicable (Cass. 3e civ., 20 juill. 1988, n°87-10.998). Pour un meuble, c’est la règle « en fait de meubles, possession vaut titre » qui s’applique : l’assureur peut se libérer entre les mains du propriétaire apparent. En cas de vente d’un immeuble assuré, l’acquéreur recueille l’intégralité des droits nés du contrat et peut obtenir l’indemnité même pour un sinistre survenu avant le transfert (Cass. 3e civ., 7 mars 2019, n° 18-10.973). Dans l’hypothèse d’un risque locatif, l’indemnité doit revenir au propriétaire, sauf convention permettant un paiement direct au locataire pour exécuter les réparations ; mais si ce dernier ne procède pas aux travaux, l’assureur est fondé à exiger la restitution des sommes versées (Cass. 1re civ., 11 oct. 1994, n° 92-13.043).

L’assuré peut aussi céder sa créance d’indemnité à un tiers, par exemple au garagiste chargé de réparer le véhicule sinistré. Cette cession n’est toutefois opposable à l’assureur qu’à condition de respecter les formalités requises : à défaut, le paiement opéré à l’assuré reste valable, et le cessionnaire ne peut rien exiger de l’assureur (Cass. 1re civ., 19 févr. 2013, n° 11-24.373).

Il existe encore des contrats souscrits « pour compte de qui il appartiendra » (C. assur., art. L.112-1). Une telle clause permet au souscripteur d’assurer non seulement son propre intérêt, mais aussi celui d’autrui, le contrat valant alors stipulation pour autrui. La jurisprudence a même admis que, selon l’intention commune des parties, une assurance de choses souscrite pour compte pouvait se transformer en assurance de responsabilité (Cass. 1re civ., 5 févr. 1974, n° 72-12.980). Mais ce mécanisme ne joue jamais de plein droit : il suppose une volonté claire, faute de quoi le bénéficiaire ne peut se prévaloir d’un droit propre (Cass. 2e civ., 5 mars 2020, n° 19-10.201).

À travers toutes ces hypothèses, un principe demeure : avant de régler son assuré, l’assureur doit vérifier, autant que possible, que les véritables lésés ont été indemnisés. Ainsi, une juridiction ne peut condamner un assureur à payer un locataire responsable d’un incendie sans s’assurer que le propriétaire avait été désintéressé (Cass. 1re civ., 7 janv. 1982, n° 80-14.793).

Enfin, la réception de l’indemnité par le bénéficiaire peut passer par un intermédiaire. Lorsque l’assureur verse les fonds à un courtier, le paiement n’est libératoire que si ce dernier dispose d’un mandat d’encaissement régulier ; à défaut, l’assuré ou le bénéficiaire reste en droit d’exiger un second paiement (Cass. 1re civ., 13 oct. 1999, n° 97-17.684). À l’inverse, si le courtier mandaté a reçu un chèque et l’a expédié par courrier simple, la perte du titre de paiement engage sa responsabilité personnelle, et non celle de l’assureur, qui demeure réputé libéré (Cass. 1re civ., 9 mai 1994, n° 91-21.876).

L’hypothèse du paiement indu doit également être évoquée. Lorsqu’il verse une indemnité qui n’était pas due, l’assureur peut en demander la restitution sur le fondement du droit commun (C. civ., art. 1302 et 1302-1). Cette action échappe au délai biennal de l’article L.114-1 du Code des assurances, car elle ne dérive pas du contrat (Cass. 1re civ., 27 févr. 1996, n° 94-12.645). Elle demeure ouverte même si le paiement indu procède d’une fraude, comme dans le cas d’un incendie volontaire. Les négligences éventuelles de l’assureur ne font que fonder une demande de dommages-intérêts venant s’imputer sur la créance de restitution (Cass. 2e civ., 20 mai 2020, n° 19-12.239).

ii. Le bénéficiaire titulaire d’un droit propre

En matière de responsabilité civile, la victime dispose d’un droit propre et exclusif à l’encontre de l’assureur du responsable (C. assur., art. L.124-3). Tant qu’elle n’a pas été désintéressée, l’assureur ne peut valablement régler une autre personne. Cette action directe peut être exercée indépendamment de toute mise en cause de l’assuré (Cass. 3e civ., 1er déc. 2004, n°03-14.309), et la victime peut même rechercher la responsabilité délictuelle de l’assureur en cas de manœuvres dilatoires lui causant un préjudice (Cass. 2e civ., 10 mai 2007, n°06-13.269).

Les créanciers privilégiés et hypothécaires bénéficient eux aussi d’un droit propre. L’article L.121-13 du Code des assurances attribue de plein droit l’indemnité d’assurance au profit de ces créanciers, dans la limite de leur créance certaine, liquide et exigible (Cass. 1re civ., 7 avr. 1992, n° 89-12.247). Ce droit est opposable dès la demande de paiement adressée à l’assureur (Cass. 1re civ., 29 févr. 2000, n° 97-21.099). L’assureur n’a certes pas à rechercher spontanément l’existence d’hypothèques, mais il engage sa responsabilité s’il règle son assuré malgré une opposition formée ou en connaissance de cause (Cass. 2e civ., 22 nov. 2018, n° 17-20.926). L’attribution légale investit ces créanciers d’un droit propre et d’une action directe. Ainsi, un créancier gagiste est recevable à agir contre l’assureur (Cass. 1re civ., 30 mars 1978, n° 76-14.784), et l’assureur qui règle son assuré malgré opposition du gagiste peut voir sa responsabilité engagée (Cass. 1re civ., 10 juin 1997, n° 94-20.773). Le créancier dont l’indemnité n’entre pas dans le patrimoine du débiteur peut même former tierce opposition contre un jugement (Cass. 1re civ., 21 janv. 1997, n° 94-16.157). Enfin, en cas de procédure collective, la victime n’est pas soumise à la vérification des créances pour agir contre l’assureur du responsable (Cass. com., 25 mars 1997, n° 95-10.062).

Le droit local d’Alsace-Moselle renforce encore la position des créanciers hypothécaires et privilégiés (C. assur., art. L.192-3 à L.192-7). Leur protection se manifeste par le maintien de la garantie malgré certaines causes d’extinction, l’information obligatoire de l’assureur, la faculté de payer la prime à la place de l’assuré, ou encore le droit de s’opposer au paiement de l’indemnité lorsque le contrat impose la reconstruction. À cela s’ajoute un avantage financier : l’indemnité porte intérêt de plein droit au taux légal un mois après la déclaration du sinistre, et une provision peut être demandée si le dommage n’est pas intégralement chiffré, sauf retard imputable à l’assuré (art. L.191-7).

Dans tous les cas, l’assureur doit se montrer attentif aux droits concurrents. Il ne peut régler son assuré sans avoir vérifié la situation des victimes ou des créanciers privilégiés. De même, il ne peut opposer à la victime l’exception de compensation entre l’indemnité due et la prime impayée par l’assuré : cette compensation est inopposable aux tiers titulaires d’un droit propre (C. civ., art. 1347 ; C. assur., art. L.112-6 ; Cass. 1re civ., 31 mars 1993, n° 91-13.637).

2. La date d’exigibilité de la prestation

L’exigibilité de la prestation d’assurance revient à déterminer le moment précis où l’assureur est tenu de verser les sommes dues. Cette question, essentielle pour l’assuré comme pour ses créanciers, est gouvernée par un principe simple mais dont l’application appelle plusieurs nuances.

En droit commun, l’article L.113-5 du Code des assurances prévoit que l’assureur doit s’exécuter « dans le délai convenu ». Le texte renvoie donc au contrat le soin de fixer le calendrier du règlement, et l’article R.*112-1 impose que cette stipulation figure expressément dans la police. En pratique, les conditions générales prévoient que l’indemnité est payable après déclaration du sinistre et, souvent, après remise des justificatifs requis ou achèvement de l’expertise. La liberté contractuelle joue donc à plein, sous réserve que l’assureur n’abuse pas de cette marge en multipliant les exigences dilatoires.

La loi encadre toutefois cette liberté dans certaines branches où l’urgence commande une protection particulière. Ainsi, en matière d’assurance incendie, l’article L.122-2 organise un calendrier impératif : si l’expertise n’est pas terminée dans les trois mois de l’état des pertes, l’assuré peut mettre en demeure son assureur et faire courir les intérêts ; passé six mois, chacune des parties peut saisir le juge. D’autres régimes spéciaux fixent des délais identiques ou analogues : dix jours pour l’assurance catastrophes naturelles (art. L.125-2), trois mois pour les catastrophes technologiques (art. L.128-2), soixante jours pour les assurances de dommages-ouvrage (art. L.242-1). Dans ces hypothèses, la date d’exigibilité est déterminée par la loi elle-même, de manière impérative, afin d’assurer la célérité du règlement.

La jurisprudence, enfin, joue un rôle correcteur. Elle rappelle que l’assureur doit collaborer loyalement aux opérations d’expertise et que celles-ci ne peuvent être instrumentalisées pour différer indéfiniment le paiement. Lorsqu’un délai légal ou contractuel est dépassé sans justification valable, l’assureur s’expose à devoir des intérêts moratoires, voire des dommages-intérêts en cas de résistance abusive.

3. Le paiement par provision

Le temps de l’expertise ou des discussions sur la garantie ne doit pas condamner l’assuré ou la victime à l’attente. Pour éviter qu’un différé de règlement ne les prive des ressources indispensables, le droit a organisé un mécanisme d’anticipation : la provision. Elle permet le versement partiel d’une indemnité, lorsque le principe de l’obligation de l’assureur ne prête pas sérieusement à discussion.

a. Les conditions d’octroi de la provision

La possibilité d’obtenir une provision repose sur l’article 835, alinéa 2 du Code de procédure civile (ancien art. 809, al. 2), qui autorise le juge des référés à accorder une somme à valoir « lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable ».

Le juge de la mise en état dispose d’une compétence parallèle (ancien art. 771, al. 2 CPC). La jurisprudence a toujours rappelé que cette notion est centrale : si le litige soulève une réelle difficulté, la provision doit être refusée. Ainsi, la Cour de cassation a jugé que la question d’une suspension de garantie en cas de vente de véhicule constituait une contestation sérieuse, excluant toute provision (Cass. 1re civ., 13 nov. 2002, n° 00-11.722). À l’inverse, elle a considéré que le refus de garantie fondé sur une exclusion figurant dans un document séparé et non signé ne pouvait être retenu comme contestation sérieuse (Cass. 1re civ., 15 juin 1982).

b. Régimes spéciaux

En matière d’assurance de choses, la provision est particulièrement utile lorsque le dommage est certain mais que le montant n’est pas encore arrêté. Le législateur a d’ailleurs renforcé cette exigence en assurance incendie : si l’expertise n’est pas achevée dans les trois mois de la déclaration des pertes, l’assuré peut faire courir les intérêts par simple sommation, et passé six mois, il est libre de saisir le juge (C. assur., art. L.122-2). La Cour de cassation a précisé que l’assureur est tenu de se prêter loyalement aux opérations d’expertise, et qu’à défaut, le juge peut ordonner lui-même les mesures nécessaires (Cass. 1re civ., 10 mai 1984, n° 83-10.259). Le caractère d’ordre public de ce régime interdit toute clause dérogatoire (Cass. civ., 24 oct. 1951).

L’assurance dommages-ouvrage va plus loin encore. L’assureur doit notifier sa position sur la garantie dans les soixante jours suivant la déclaration, puis présenter une offre dans les quatre-vingt-dix jours, laquelle peut être provisionnelle (C. assur., art. L.242-1). Le paiement doit intervenir dans les quinze jours de l’acceptation. S’il manque à ces délais, l’assuré peut engager les travaux et l’indemnité est majorée de plein droit d’intérêts au double du taux légal. La Cour de cassation a jugé que ce régime spécial est exclusif et limitatif : un assuré ne peut obtenir une réparation complémentaire, par exemple au titre d’une perte de loyers, en dehors du mécanisme prévu par la loi (Cass. 3e civ., 7 mars 2007, n° 05-20.485).

En responsabilité civile, la provision peut profiter non seulement à l’assuré mais aussi à la victime, grâce à l’action directe prévue à l’article L.124-3 du Code des assurances. La jurisprudence a admis que le juge des référés condamne l’assureur du responsable à verser une provision à la victime, sans que l’assuré ne soit nécessairement mis en cause, lorsque la responsabilité n’est pas sérieusement contestée (Cass. com., 30 janv. 1990, n°88-12.447). Déjà, un arrêt ancien avait reconnu que l’assuré pouvait être écarté si l’assureur reconnaissait la responsabilité ou si une condamnation était intervenue (Cass. civ., 13 déc. 1938).

Il appartient toutefois au juge des référés d’apprécier le sérieux des moyens d’exonération soulevés par l’assureur ; leur invocation peut suffire à bloquer l’allocation d’une provision (Cass. 2e civ., 4 juin 2015, n° 14-13.405). Lorsque la responsabilité dépend de la juridiction administrative, le juge judiciaire doit surseoir tant que celle-ci ne s’est pas prononcée, sauf reconnaissance expresse par l’assureur (Cass. 1re civ., 7 mars 1995, n° 92-21.988).

En assurance automobile, la loi a institué un véritable système de provision légale au profit des victimes de dommages corporels. L’assureur est tenu de présenter une offre dans les huit mois de l’accident, laquelle peut être provisionnelle si l’état de la victime n’est pas consolidé (C. assur., art. L.211-9). En cas de manquement, la sanction est automatique : l’indemnité allouée produit intérêts de plein droit au double du taux légal (C. assur., art. L.211-13 ; Cass. 2e civ., 20 avr. 2000, n° 98-11.540).

c. Effets procéduraux

La demande de provision produit des effets procéduraux importants. Elle interrompt la prescription biennale applicable aux actions dérivant du contrat d’assurance (C. civ., art. 2241). Si la décision de référé est ensuite infirmée au fond, l’assureur peut réclamer restitution des sommes versées. Mais les intérêts attachés à cette restitution ne courent qu’à compter de la notification de la décision ouvrant droit au remboursement, et non rétroactivement.

4. Le retard de paiement

Lorsque l’assureur tarde à s’exécuter, l’équilibre contractuel est rompu. La garantie promise au moment de la souscription n’a de valeur que si elle se concrétise rapidement en espèces. Le retard dans le règlement n’est donc pas neutre : il entraîne l’obligation de payer des intérêts, et, dans certaines circonstances, peut justifier l’allocation de dommages-intérêts complémentaires.

a. Les intérêts moratoires

En matière d’obligation pécuniaire, le droit commun est clair : « les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d’une somme d’argent consistent dans l’intérêt au taux légal » (C. civ., art. 1231-6, anc. art. 1153). L’assureur qui ne règle pas dans le délai convenu se trouve donc redevable d’intérêts moratoires, indépendamment de toute démonstration de préjudice. Ceux-ci ne sont pas une indemnité nouvelle, mais la sanction du temps perdu.

La question la plus délicate concerne leur point de départ.

  • En assurance de choses, la jurisprudence considère que, l’indemnité étant fixée en fonction de la valeur du bien au jour du sinistre, les intérêts courent en principe à compter de la mise en demeure adressée à l’assureur (Cass. 1re civ., 10 févr. 2004, n° 99-20.716). L’assignation, même imprécise dans son chiffrage, vaut mise en demeure et fait courir les intérêts (Cass. 2e civ., 20 oct. 2016, n° 15-25.324).
  • En assurance de responsabilité, la solution a longtemps été incertaine : certains arrêts faisaient courir les intérêts à compter de la décision judiciaire fixant l’indemnité, d’autres à compter de la réclamation de la victime. L’hésitation a pris fin avec la jurisprudence des années 1990 : l’Assemblée plénière a jugé, en 1992, que le juge peut fixer le point de départ à une date antérieure à sa décision (Ass. plén., 3 juill. 1992, n° 90-83.430), et en 1998 la première chambre civile a qualifié de «moratoires» les intérêts dus dès la demande (Cass. 1re civ., 28 avr. 1998, n° 96-14.762). La solution est désormais bien assise : l’assureur de responsabilité doit intérêts à compter de la mise en demeure, même s’il ne doit verser que le plafond de garantie (Cass. 1re civ., 14 nov. 2001, n° 98-19.205).

Ces intérêts moratoires échappent à la logique contractuelle de la garantie. Ils constituent une dette autonome : la Cour de cassation l’a clairement affirmé en jugeant que ni le principe indemnitaire, ni le plafond de garantie stipulé au contrat ne peuvent limiter leur cours (Cass. 1re civ., 14 nov. 2001, préc.). En d’autres termes, le retard se paie en plus de l’indemnité, sans restriction.

Certaines particularités doivent être relevées. Lorsque la somme est consignée sur décision judiciaire en raison d’un doute sur l’identité du bénéficiaire, le cours des intérêts est suspendu jusqu’à ce que la somme consignée soit remise au véritable créancier (Cass. 1re civ., 25 nov. 2003, n° 98-12.734). La capitalisation des intérêts n’est possible qu’à compter d’une demande formelle (C. civ., art. 1343-2 ; Cass. 2e civ., 10 nov. 2009, n° 08-12.954). Enfin, il faut distinguer les intérêts moratoires, dus pour le retard, de l’actualisation contractuelle du montant de l’indemnité, qui répare un autre aspect du préjudice : les deux peuvent donc se cumuler (Cass. 1re civ., 16 mai 1995, n° 92-15.376).

b. Les dommages-intérêts compensatoires

Les intérêts moratoires sont automatiques, mais ils n’épuisent pas la réparation possible. L’article 1231-6, alinéa 3 du Code civil prévoit que le créancier peut obtenir des dommages-intérêts complémentaires lorsqu’il démontre un préjudice distinct du simple retard et une mauvaise foi de son débiteur.

En assurance, cela vise l’hypothèse où l’assureur adopte une attitude dilatoire, refuse de coopérer aux opérations d’expertise ou conteste abusivement sa garantie. Les préjudices réparés sont variés : frais supplémentaires de relogement, pertes d’exploitation aggravées par l’absence de trésorerie, coûts de déplacement ou de location pour poursuivre l’activité. La jurisprudence en fournit des illustrations : elle a retenu la responsabilité de l’assureur qui, par sa résistance abusive, a causé un dommage autonome à son assuré (Cass. 1re civ., 7 janv. 1997).

La victime d’un dommage peut elle-même se prévaloir de ce mécanisme lorsqu’elle agit par voie d’action directe. La Cour de cassation a admis qu’elle pouvait rechercher la responsabilité délictuelle de l’assureur pour avoir, par ses manœuvres, aggravé sa situation (Cass. 2e civ., 10 mai 2007, n° 06-13.269).

À l’inverse, aucun manquement n’est retenu lorsque l’assureur a formulé rapidement une offre sérieuse, mais que c’est l’assuré qui a choisi d’engager un contentieux long et coûteux (Cass. 2e civ., 5 mars 2020, n° 19-14.061).

c. Les régimes spéciaux

Plusieurs branches d’assurance connaissent des sanctions légales spécifiques, plus sévères que le droit commun.

En assurance dommages-ouvrage, le dépassement des délais légaux ou la présentation d’une offre manifestement insuffisante entraîne, de plein droit, le paiement d’intérêts au double du taux légal (C. assur., art. L.242-1). La Cour de cassation a précisé que ce régime est exclusif : l’assuré ne peut obtenir d’indemnité complémentaire, par exemple pour perte de loyers, en dehors du mécanisme légal (Cass. 3e civ., 7 mars 2007, n° 05-20.485).

En assurance automobile, l’article L.211-13 prévoit que le défaut d’offre dans le délai entraîne la même sanction : les intérêts au double du taux légal courent sur la totalité de l’indemnité, y compris sur les provisions déjà versées (Cass. 2e civ., 20 avr. 2000, n° 98-11.540).

En assurance incendie, le régime d’ordre public de l’article L.122-2 permet de faire courir les intérêts par sommation trois mois après l’état des pertes, et ouvre l’action judiciaire au bout de six mois.

5. Les empêchements au paiement

Le paiement de l’indemnité n’est jamais inconditionnel. Même lorsque la garantie paraît acquise, l’assureur conserve la possibilité d’opposer certaines limites ou exceptions, issues tant du contrat que de la loi. Ces empêchements, qui visent à préserver l’équilibre du rapport d’assurance, obéissent à un régime complexe : ils traduisent la règle selon laquelle le droit de l’assuré, ou celui du tiers qui invoque le bénéfice de la police, ne peut excéder ce qui a été effectivement promis.

a. L’opposabilité des exceptions contractuelles et légales

L’article L.112-6 du Code des assurances pose le principe : l’assureur peut opposer au souscripteur, comme au tiers qui se prévaut du contrat, les exceptions qu’il aurait pu invoquer contre l’assuré originaire. Ce texte, combiné à l’article L.124-3, consacre l’idée que la victime n’a pas un droit absolu, mais un droit mesuré par l’étendue de la garantie souscrite (Cass. 1re civ., 28 juin 1989, n° 85-16.790).

Encore faut-il distinguer selon le moment où l’exception est invoquée. Seules celles qui sont antérieures au sinistre sont opposables à la victime : les déchéances ou exclusions fondées sur un comportement postérieur à l’accident ne sauraient limiter son action directe (Cass. 1re civ., 28 janv. 1975, n° 73-13.284). En revanche, peuvent lui être opposées notamment:

  • la réduction proportionnelle des capitaux prévue par l’article L.121-5 ou par l’article L.113-9 en cas de déclaration inexacte ;
  • la suspension pour non-paiement de prime (C. assur., art. L.113-3) ou la nullité pour fausse déclaration intentionnelle (C. assur., art. L.113-8).
  • la résiliation régulièrement intervenue avant le sinistre (Cass. 2e civ., 4 juill. 2007, n° 06-14.610) ;
  • les exclusions et limitations de garantie, même si elles ne figurent pas sur l’attestation délivrée;
  • la franchise;
  • le plafond contractuel de garantie;

Toutefois, c’est à l’assureur de prouver le bien-fondé de l’exception en produisant le contrat. Faute de communiquer les conditions particulières de la police, il ne peut opposer aucune limitation à la victime (Cass. 1re civ., 7 juill. 1998, n° 96-16.360). Inversement, la victime ne saurait contester la validité intrinsèque d’une clause d’exclusion : seul l’assuré est recevable à le faire (Cass. 3e civ., 28 oct. 2003, n° 01-13.490).

b. La renonciation par la direction du procès

L’article L.113-17 introduit une limite majeure au droit de l’assureur : celui qui prend la direction d’un procès intenté à son assuré est réputé avoir renoncé aux exceptions dont il avait connaissance à ce moment. Ainsi, l’assureur qui assure la défense de son assuré sans réserve ne peut ultérieurement invoquer une nullité ou une exclusion dont il savait l’existence (Cass. 1re civ., 18 mai 2004, n° 01-14.964).

Cette renonciation est toutefois strictement limitée : elle ne porte pas sur la nature du risque garanti ni sur le montant de la garantie. L’assureur conserve donc la faculté d’opposer un plafond contractuel ou une franchise, même après avoir pris en charge la défense (Cass. 2e civ., 20 janv. 2022, n° 20-17.649). De même, il peut toujours refuser sa garantie lorsque la personne mise en cause n’a pas la qualité d’assuré (Cass. 2e civ., 22 févr. 2007, n°05-18.162).

La jurisprudence veille cependant à vérifier que l’assureur a effectivement dirigé le procès. Lorsque l’assuré conserve une autonomie réelle dans sa défense, l’article L.113-17 ne joue pas (Cass. 1re civ., 23 mars 1999, n° 97-13.194).

c. L’action en restitution des paiements indus

Un autre empêchement tient au cas où l’assureur a déjà versé une indemnité qu’il n’aurait pas dû. Le droit commun lui reconnaît la possibilité d’en obtenir la restitution (C. civ., art. 1302 et 1302-1). La jurisprudence a clairement affirmé que cette action échappe à la prescription biennale de l’article L.114-1 du Code des assurances, car elle ne dérive pas du contrat d’assurance (Cass. 1re civ., 27 févr. 1996, n° 94-12.645).

La répétition est admise même lorsque le paiement procède d’une fraude de l’assuré, par exemple un incendie volontaire : dans ce cas, l’absence d’assurance est opposable à tous, et les fautes commises par l’assureur n’y font pas obstacle, sauf à justifier des dommages-intérêts imputables sur la restitution (Cass. 2e civ., 20 mai 2020, n° 19-12.239). Elle est également ouverte lorsque l’assureur a payé en vertu d’une décision de justice ultérieurement réformée (Cass. 1re civ., 20 janv. 1998, n° 96-11.176).

La limite réside dans le cas des provisions judiciaires : lorsqu’elles sont allouées par un juge des référés, leur restitution relève de la prescription biennale, car elles dérivent directement du contrat d’assurance (Cass. 2e civ., 28 juin 2007, n° 06-14.428). Enfin, la répétition ne peut être exercée que contre le véritable bénéficiaire de l’indemnité indue : si l’assureur a indemnisé une victime au-delà de la garantie, il ne peut agir en restitution contre elle, mais seulement contre son assuré, bénéficiaire réel de la couverture (Cass. 1re civ., 22 sept. 2011, n° 10-14.871).

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