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Contrat d’assurance : l’objet de la déclaration de sinistre

La survenance d’un sinistre ne suffit pas, à elle seule, à mettre en jeu la garantie de l’assureur. Encore faut-il que celui-ci en soit informé. C’est l’objet de la déclaration de sinistre, prévue par l’article L. 113-2, 4° du Code des assurances, qui impose à l’assuré d’aviser son assureur « dès qu’il en a eu connaissance et au plus tard dans le délai fixé par le contrat ».

Cette obligation poursuit une finalité simple mais essentielle : permettre à l’assureur d’intervenir rapidement, d’évaluer la réalité et l’ampleur du dommage, de prendre les mesures de sauvegarde nécessaires et, le cas échéant, d’organiser sa défense face aux réclamations de tiers. La déclaration du sinistre est ainsi le point de départ effectif du processus d’indemnisation.

Elle n’est pas un formalisme secondaire : elle traduit l’idée que le contrat d’assurance repose sur la coopération et la loyauté des parties. L’assuré doit informer, l’assureur doit instruire et régler. Sans déclaration, la garantie reste inerte.

Nous nous focaliserons ici sur l’objet de la déclaration de sinistre.

A. Principe

L’article L. 113-2, 4° C. assur. impose à l’assuré « d’aviser l’assureur, dès qu’il en a eu connaissance et au plus tard dans le délai fixé par le contrat, de tout sinistre de nature à entraîner la garantie de l’assureur ». L’objet de la déclaration n’est donc pas l’achèvement complet du dommage, mais l’événement dont les conséquences connues sont de nature à mobiliser la garantie. La Cour de cassation l’a fixé de longue date : la connaissance du sinistre s’entend à la fois de l’événement et de ses conséquences éventuellement dommageables ( Cass. 1re civ., 13 oct. 1987).

Il s’ensuit que la déclaration porte sur la réalisation d’un risque couvert tel que défini au contrat (Cass. 2e civ., 28 févr. 2013, n° 12-12.813), et qu’elle doit être intelligible pour l’assureur : une simple allusion, sans date ni lieu, ne suffit pas (Cass. 1re civ., 25 mai 1976, n°75-10.186).

Corollaire : si le risque garanti est contractuellement circonscrit, l’objet de la déclaration s’y ajuste ; mais le régime légal de la déclaration, d’ordre public, n’est pas aménageable quant à ce qui doit être déclaré (Cass. 1re civ., 20 oct. 1992, n°90-18.997 ; v. égal. art. L. 111-2 C. assur.). L’exclusion des assurances sur la vie, pour lesquelles il n’y a pas urgence, demeure (art. L. 113-2, al. fin).

B. Spécificités par branche

1. Assurance de responsabilité

En responsabilité, la loi définit le sinistre par le triptyque fait dommageable – dommage à des tiers – réclamation (art. L. 124-1-1 C. assur.). Pour la déclaration, le repère pratique est clair : au plus tard, l’obligation naît lorsque le tiers adresse une réclamation, amiable ou judiciaire (art. L. 124-1 C. assur. ; Cass. 1ère civ., 9 janv. 1973, n° 71-12.931).

Mais il ne faut pas attendre cette réclamation si des indices sérieux la rendent prévisible. Tel est le cas lorsque des conclusions d’expertise établissent la réalité du dommage (Cass. 1ère civ., 6 janv. 1993, n° 89-20.730) ou dès une assignation en référé-expertise (Cass. 1ère civ., 13 juin 1995, n° 92-13.942). Une menace crédible de mise en cause suffit également (Cass. 1ère civ., 13 oct. 1987, n° 86-10.513).

2. Assurances de choses et de personnes

Hors responsabilité, ce qui doit être déclaré, c’est la découverte fiable du dommage garanti. L’alerte est due dès que l’assuré sait, de façon suffisamment certaine, que le dommage est réalisé : en matière d’accidents corporels, la constatation médicale (radiographie, échec de la rééducation) suffit et il n’y a pas lieu d’attendre la consolidation (Cass. 1re civ., 25 mai 1976, n° 75-10.186). En pertes d’exploitation, le point de départ est le retrait de l’autorisation de mise sur le marché dès qu’il est connu de l’assuré, sans attendre la notification officielle de l’arrêté (Cass. 1re civ., 8 oct. 1996, n° 94-19.436). En un mot : on déclare quand le dommage est établi comme tel, non lorsque toutes ses suites sont fixées.

C. Degrés de « sinistralité » : avéré, éventuel, hypothétique

L’article L. 113-2, 4° C. assur. vise « tout sinistre de nature à entraîner la garantie ». Cette formule conduit, selon l’information dont dispose l’assuré, à distinguer trois situations:

  • Le sinistre avéré
    • Le dommage couvert est déjà caractérisé au regard du contrat : l’obligation d’aviser naît immédiatement, sans attendre ni la consolidation ni la liquidation du préjudice.
  • Le sinistre éventuel
    • L’événement est survenu et l’assuré en connaît des conséquences probables susceptibles de mobiliser la garantie. Dans ce cas, la déclaration est déjà due : la connaissance du sinistre s’entend de l’événement et de ses suites éventuellement dommageables.
  • Le sinistre hypothétique
    • Il ne s’agit encore que d’éventualités, dépourvues de consistance au regard de la garantie : aucune déclaration n’est exigée à ce stade par la loi.

La méthode est donc la suivante : apprécier ce que l’assuré sait réellement de l’événement et de ses conséquences au regard de la police ; déclarer dès que ces conséquences deviennent raisonnablement prévisibles ; s’abstenir lorsque l’on demeure au seul registre des conjectures. Cette distinction évite, d’un côté, la déclaration tardive qui priverait l’assureur d’agir utilement, et, de l’autre, une inflation de notifications sur des risques encore hypothétiques.

D. La « déclaration pour ordre »

La déclaration pour ordre est une clause aux termes de laquelle il est demandé à l’assuré de signaler en amont certains faits précurseurs (incident, anomalie, menace de réclamation), avant que le sinistre, au sens de la loi, ne soit constitué. Il s’agit d’une alerte préventive : l’assureur souhaite être informé tôt pour pouvoir observer, conserver des preuves, conseiller des mesures de sauvegarde. Cette alerte n’est pas la déclaration légale de sinistre ; elle s’y ajoute.

Sur le plan juridique, cette stipulation est purement conventionnelle. Elle n’a pas pour effet de modifier l’objet légal de la déclaration fixé par l’article L. 113-2, 4° C. assur., d’ordre public. Ce que la loi impose de déclarer, c’est l’événement dont l’assuré connaît déjà des conséquences de nature à mobiliser la garantie. Une clause contractuelle ne peut ni rétrécir ni déplacer ce périmètre : elle peut organiser une information plus précoce, mais elle ne transforme pas un fait encore incertain en « sinistre » au sens de la loi.

De cette distinction découle une chronologie claire.

  • Temps de l’alerte : dès l’apparition d’indices sérieux (ex. incident technique, courrier annonçant une possible mise en cause), l’assuré peut être tenu, par la clause, d’informer pour ordre.
  • Temps de la déclaration légale : dès que l’assuré connaît des conséquences de l’événement susceptibles d’entraîner la garantie, il doit déclarer le sinistre au sens de l’article L. 113-2, 4°. L’alerte pour ordre ne dispense jamais de cette déclaration dès que le seuil légal de connaissance est atteint. La pratique et la doctrine insistent sur cette nécessité de réitérer l’information lorsque l’événement franchit ce seuil.

Il en découle aussi un effet de droit : le manquement à l’alerte pour ordre n’ouvre pas la déchéance prévue par l’article L. 113-2 (qui vise la déclaration légale du sinistre). À ce stade, seules des conséquences de droit commun peuvent être discutées (éventuelle responsabilité contractuelle avec preuve d’un préjudice) ; la Cour de cassation veille à cette frontière (Cass. 1re civ., 5 oct. 1994, n° 92-17.487).

Exemple: Une entreprise reçoit des réclamations verbales de clients à la suite d’un lot défectueux : la clause peut imposer une information pour ordre. Si, ensuite, une lettre de mise en cause chiffrée parvient ou si un constat technique met en évidence des dommages probables couverts, l’entreprise doit déclarer le sinistre au sens légal. La première alerte prépare la gestion du dossier ; la seconde déclenche le régime du sinistre et ouvre la voie à l’instruction de la garantie.

E. Contenu minimal de la déclaration

Aucune forme n’est imposée par la loi ; en revanche, le contenu doit permettre d’identifier sans équivoque le fait déclaré. À tout le moins, la déclaration doit indiquer la date, le lieu et les circonstances essentielles de l’événement, ainsi que le contrat concerné. Une mention vague ou une simple allusion à un accident, dépourvue de ces indications, ne vaut pas déclaration (Cass. 1re civ., 25 mai 1976, n° 75-10.186).

Cette exigence de clarté n’implique pas que l’assuré chiffre immédiatement son préjudice ni qu’il produise toutes les pièces justificatives. Il lui appartient, en revanche, de fournir les repères factuels indispensables pour que l’assureur puisse ouvrir le dossier et diligenter les premières mesures utiles (constatations, expertise).

Enfin, une erreur de référence au numéro de police n’emporte pas, à elle seule, perte de garantie : si un autre contrat régulièrement souscrit couvre le risque, l’assureur doit instruire au bon titre (Cass. 2e civ., 20 déc. 2007, n° 07-10.060).

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