La survenance d’un sinistre ne suffit pas, à elle seule, à mettre en jeu la garantie de l’assureur. Encore faut-il que celui-ci en soit informé. C’est l’objet de la déclaration de sinistre, prévue par l’article L. 113-2, 4° du Code des assurances, qui impose à l’assuré d’aviser son assureur « dès qu’il en a eu connaissance et au plus tard dans le délai fixé par le contrat ».
Cette obligation poursuit une finalité simple mais essentielle : permettre à l’assureur d’intervenir rapidement, d’évaluer la réalité et l’ampleur du dommage, de prendre les mesures de sauvegarde nécessaires et, le cas échéant, d’organiser sa défense face aux réclamations de tiers. La déclaration du sinistre est ainsi le point de départ effectif du processus d’indemnisation.
Elle n’est pas un formalisme secondaire : elle traduit l’idée que le contrat d’assurance repose sur la coopération et la loyauté des parties. L’assuré doit informer, l’assureur doit instruire et régler. Sans déclaration, la garantie reste inerte.
Nous nous focaliserons ici sur les modalités de la déclaration de sinistre.
A. Le débiteur de la déclaration
Le débiteur de l’obligation est l’assuré au sens de l’article L. 113-2, 4° du Code des assurances. Lorsque le souscripteur n’est pas l’assuré, la charge d’exécuter l’obligation pèse, en pratique, sur la partie au contrat ; la jurisprudence admet ainsi que le souscripteur déclare au nom et pour le compte des assurés (not. en assurance pour compte) (Cass. 3e civ., 6 juin 2012, n° 11-15.567).
La déclaration peut être effectuée par mandataire : courtier, agent général ou tout représentant investi de pouvoirs suffisants (ex. l’architecte signataire de la police pour la société assurée) (Cass. 1re civ., 6 janv. 1983, n° 81-11.187). Elle peut aussi être valablement réalisée par un tiers pour le compte de l’assuré, tel l’assureur de protection juridique (Cass. 2e civ., 8 mars 2012, n° 11-15.472).
En cas de procédure collective ouverte à la faveur de l’assuré, c’est le représentant de la procédure qui agit (administrateur, puis le cas échéant mandataire-liquidateur), l’obligation s’attachant à la gestion du patrimoine assuré.
Lorsque le contrat est souscrit « pour compte », la déclaration incombe au souscripteur (ex. une association pour ses adhérents) ; le défaut de déclaration commis par le souscripteur est opposable au bénéficiaire pour compte, dès lors qu’il subit les exceptions attachées au contrat (Cass. 1re civ., 10 juin 1997, n° 95-15.813).
En cas d’aliénation de la chose assurée ou de décès de l’assuré, l’assurance continue de plein droit au profit de l’acquéreur ou de l’héritier, à charge pour eux d’exécuter toutes les obligations du contrat, dont celle de déclarer le sinistre (C. assur., art. L. 121-10).
Si le débiteur légal de l’obligation de déclaration demeure l’assuré (ou, selon les cas, le souscripteur) au sens de l’article L. 113-2, 4°, cela n’empêche pas un tiers intéressé d’informer l’assureur. En responsabilité civile, la victime peut ainsi avertir l’assureur du responsable — ne serait-ce que pour accélérer l’instruction — et elle dispose, en outre, de l’action directe contre cet assureur (C. assur., art. L. 124-3).
Cette information par un tiers n’a toutefois qu’une portée pratique : elle permet d’ouvrir le dossier et de conserver la preuve ; elle ne transfère pas au tiers l’obligation de déclarer et ne dispense pas l’assuré/souscripteur d’accomplir sa déclaration, sauf mandat exprès donné à ce tiers.
Cas particulier : assurance-vie. L’article L. 113-2, 4° n’est pas applicable aux assurances sur la vie. En pratique, le bénéficiaire informe l’assureur du décès ; parallèlement, la loi impose à l’assureur des diligences propres pour identifier les contrats en déshérence (C. assur., art. L. 132-9-3).
B. Le créancier de la déclaration
Principe. Le destinataire naturel de la déclaration est l’assureur. La déclaration lui est adressée directement, ou à son mandataire régulièrement habilité à la recevoir (agent général, mandataire ad hoc) ; dans ce cas, la déclaration est valable même si l’agent tarde ensuite à la transmettre à la compagnie, ce retard n’étant pas opposable à l’assuré (Cass. 1re civ., 7 déc. 1976).
Courtiers : vigilance. Le courtier est, en principe, le mandataire de l’assuré, non celui de l’assureur ; une déclaration remise au courtier ne vaut donc pas, à elle seule, déclaration à l’assureur, surtout si elle est transmise hors délai (Cass. 1re civ., 10 mai 1984). Deux tempéraments existent :
- Si le courtier dispose d’un mandat exprès de l’assureur pour recevoir les déclarations, la notification faite au courtier équivaut à une notification à l’assureur (Cass. 1re civ., 23 juin 1993, n° 90-22.011) ;
- S’il existe un mandat apparent (ex. le courtier est désigné comme « correspondant » de l’assureur et encaisse les primes), la déclaration faite au courtier est réputée faite à l’assureur, sans sanction pour l’assuré en cas de transmission tardive (Cass. 1re civ., 4 juin 1991, n° 89-20.590).
À défaut de mandat (exprès ou apparent), la déchéance éventuellement opposée à l’assuré en raison d’une transmission tardive ouvre la responsabilité du courtier envers son mandant, si la déclaration lui avait été remise dans les délais (Cass. 1re civ., 3 mars 1993, n°91-16.423).
Transfert de portefeuille. En cas de transfert de portefeuille, une clause d’élection de domicile pour la déclaration chez « l’assureur » vise, pour l’exécution du contrat, l’assureur cédant : l’arrêté ministériel approuvant l’opération ne modifie pas, par lui-même, le contenu des contrats transférés (Cass. 1re civ., 12 oct. 2004, n° 02-17.130).
Pluralité d’assureurs. Lorsqu’un même risque est couvert par plusieurs assureurs (cumul sans fraude), l’assuré — ou la victime exerçant son action directe — peut s’adresser à l’assureur de son choix, chacun n’étant tenu que dans les limites de sa garantie ; la contribution entre assureurs s’opère ensuite entre eux (C. assur., art. L. 121-4).
C. Forme de la déclaration
L’article L. 113-2, 4° C. assur. n’impose aucune forme particulière : il exige une déclaration à l’assureur, sans en figer le support. Cette liberté est d’ordre public : une police ne peut pas, à peine de déchéance, imposer un canal déterminé (télégramme, LRAR, etc.). Les clauses de ce type sont inopérantes (Cass. 1re civ., 5 oct. 1994, n° 92-17.487).
Aussi, la déclaration peut être faite par tout moyen : écrit (lettre simple ou recommandée, remise contre récépissé), télécopie, courriel, voire appel téléphonique – ce dernier étant valable s’il est établi par des attestations ou équivalent. La question est alors celle de la preuve, qui demeure libre et dont l’initiative revient en pratique à l’assuré ; il est donc opportun d’utiliser un mode laissant trace certaine (accusé de réception, récépissé, attestation) (v. not. Cass. 1re civ., 22 déc. 1964).
Par dérogation au principe de liberté de forme, la déclaration de sinistre en assurance dommages-ouvrage doit être faite par écrit, en application de l’article A. 243-1, annexe II du Code des assurances. Un envoi par télécopie n’y satisfait pas : il ne constitue pas l’écrit requis (Cass. 3e civ., 6 juin 2012, n° 11-15.567). Dans le même sens, la Cour de cassation rappelle que l’exigence d’un écrit ne peut être suppléée par un mode de transmission dématérialisé (Cass. com., 20 oct. 2010, n° 09-69.665).
Quelle que soit la forme retenue, la déclaration doit identifier l’événement : à défaut d’indications essentielles (au moins date, lieu, circonstances), elle ne vaut pas déclaration (Cass. 1re civ., 25 mai 1976, n°75-10.186). À l’inverse, une référence erronée au numéro de police n’anéantit pas l’alerte : si un autre contrat régulièrement souscrit couvre le risque, l’assureur doit instruire au bon titre (Cass. 2e civ., 20 déc. 2007, n° 07-10.060).
D. Délai de déclaration
1. Durée minimale
Le délai est fixé par la police, mais il ne peut jamais être inférieur à cinq jours ouvrés (art. L. 113-2, 4° C. assur.). Cette règle est d’ordre public (art. L. 111-2 C. assur.) : on peut prolonger conventionnellement le délai, non le réduire (Cass. 1re civ., 20 oct. 1992, n° 90-18.997).
En conséquence, une clause prévoyant un délai inférieur au minimum légal est inopposable à l’assuré (Cass. 2e civ., 21 janv. 2021, n° 19-13.347).
Des délais spéciaux subsistent :
- Vol : 2 jours ouvrés (art. L. 113-2, 4° C. assur.).
- Mortalité du bétail : 24 heures (art. L. 113-2, 4° C. assur.).
- Grêle : 4 jours (art. L. 123-1 C. assur.).
- Catastrophes naturelles : 10 jours à compter de la publication de l’arrêté interministériel (art. A. 125-1 C. assur.).
En assurance sur la vie, aucun délai légal de déclaration n’est imposé (art. L. 113-2, al. fin ; v. aussi art. L. 132-27, al. 1er C. assur.).
2. Point de départ
Le délai ne part pas du jour de la survenance matérielle, mais du jour où l’assuré a connaissance du sinistre. La Cour de cassation fixe depuis longtemps le critère : la connaissance s’entend à la fois de l’événement et de ses conséquences éventuellement dommageables de nature à entraîner la garantie (Cass. 1re civ., 13 oct. 1987).
Applications:
- Accidents corporels : le délai commence quand l’assuré acquiert la certitude de conséquences permanentes (Cass. 1re civ., 25 mai 1976, n° 75-10.186).
- Pertes d’exploitation : en cas de retrait d’autorisation de mise sur le marché, le point de départ est la connaissance du retrait, et non la notification officielle de l’arrêté (Cass. 1re civ., 8 oct. 1996, n° 94-19.436).
- Responsabilité civile : en pratique, le repère ultime est la réclamation (amiable ou judiciaire) du tiers (art. L. 124-1 C. assur.), mais l’assuré doit déclarer dès qu’il connaît des éléments rendant prévisible la mise en jeu de la garantie (v. not. Cass. 1re civ., 6 janv. 1993, n° 89-20.730).
Précisions utiles :
- Pour les personnes physiques
- Le délai ne commence à courir que si l’assuré est effectivement en état de déclarer.
- S’il est empêché (hospitalisation lourde, incapacité temporaire, coma, etc.), on ne peut faire partir le délai qu’à compter du moment où son état physique et mental lui permet réellement d’accomplir la démarche (Cass. 1re civ., 1er déc. 1969).
- Pour les personnes morales
- La connaissance s’apprécie au niveau de l’entreprise : dès qu’un organe ou service normalement compétent (ex. exploitation, sinistres, juridique) est informé de l’événement et de ses conséquences possibles, la connaissance est acquise pour la société.
- Les parties peuvent, sans contredire l’ordre public, convenir dans la police que le point de départ sera rattaché à l’information d’un service déterminé (souvent le « service assurances »).
- Une telle stipulation ne diminue pas l’obligation légale de déclarer ; elle fixe seulement qui, en interne, fait foi pour déclencher le calcul du délai.
3. Mode de calcul
Le délai de déclaration ne part pas le jour de l’événement, mais du jour où l’assuré en a connaissance au sens juridique du terme (événement et conséquences éventuellement dommageables de nature à mobiliser la garantie). Le calcul commence le lendemain à 0 h : le dies a quo n’est pas compté (Cass. 1re civ., 21 févr. 1989, n° 87-13.223).
Il se compte en jours ouvrés lorsque la loi ou la police mentionne des « jours » au sens de l’article L. 113-2, 4° : sont exclus les samedis, dimanches et jours fériés/chômés depuis la réforme du 31 décembre 1989 (v. encore Cass. 1re civ., 21 févr. 1989, préc.). Le délai expire à minuit du dernier jour ouvré ainsi décompté. Enfin, c’est l’expédition dans le délai qui importe : la déclaration postée, télécopiée ou envoyée dans le temps utile est régulière même si l’assureur la reçoit après l’échéance (Cass. 1re civ., 21 févr. 1989, préc.).
Pour illustrer ces règles :
- Délai de droit commun (cinq jours ouvrés)
- Connaissance un lundi à 10 h.
- Le délai commence mardi 0 h.
- On compte alors mardi (1), mercredi (2), jeudi (3), vendredi (4), lundi suivant (5).
- La déclaration doit être expédiée au plus tard lundi à 24 h.
- Si un jour férié survient dans l’intervalle (par ex. le jeudi), il ne compte pas et l’échéance est repoussée d’un jour ouvré supplémentaire.
- Connaissance un vendredi à 16 h
- Le délai commence samedi 0 h, mais les samedi/dimanche sont exclus ; le premier jour ouvré est lundi (1), puis mardi (2), mercredi (3), jeudi (4), vendredi (5).
- L’échéance tombe vendredi à minuit ; si le mardi est férié, elle glisse au lundi suivant.
- Délai spécial « vol » (deux jours ouvrés, art. L. 113-2, 4°).
- Connaissance un mercredi à 18 h.
- Départ jeudi 0 h ; on compte jeudi (1) et vendredi (2).
- L’envoi doit intervenir avant vendredi minuit.
- Si le vendredi est férié, l’échéance est lundi.
- Délai spécial « mortalité du bétail » (24 heures, art. L. 113-2, 4°).
- Connaissance un lundi à 15 h.
- Le délai n’est pas en « jours ouvrés » mais en heures pleines : il expire le mardi à 15 h, sans suspension le week-end ni les jours fériés.
- Grêle (quatre jours, art. L. 123-1 C. assur.)
- Sauf indication contraire, on applique le même mécanisme que pour les jours ouvrés : on exclut les samedis, dimanches et jours fériés pour compter les quatre jours.
- Catastrophes naturelles (art. A. 125-1 C. assur.).
- Le délai est de dix jours à compter de la publication de l’arrêté interministériel; on compte à partir de cette date, selon le texte spécial.