Une fois l’offre et l’acceptation rencontrées, le contrat d’assurance se trouve formé selon des modalités qui reflètent les spécificités de cette matière. La perfection contractuelle obéit aux principes généraux du consensualisme tout en s’accommodant de particularités pratiques qui en modulent l’application.
1. Le principe jurisprudentiel de l’émission
La jurisprudence a traditionnellement adopté le système de l’émission pour déterminer le moment de formation du contrat d’assurance. Selon cette approche, le contrat est réputé conclu dès que l’assureur manifeste son acceptation, généralement par l’envoi de la police d’assurance signée accompagnée des conditions particulières (Cass. 1re civ., 2 juill. 1991, n° 90-12.644).
Cette solution privilégie l’émission de l’acceptation plutôt que sa réception, conférant une sécurité juridique appréciable à l’assureur qui n’a pas à s’assurer de la réception effective de son acceptation par le destinataire. Le contrat se trouve ainsi définitivement conclu dès l’envoi par l’assureur, indépendamment du moment où l’assuré en prend effectivement connaissance.
L’acceptation de l’assureur peut d’ailleurs résulter de diverses manifestations : remise d’une police conforme à la proposition du souscripteur, encaissement sans réserve de la première prime, délivrance d’une note de couverture ou d’une attestation d’assurance. Cette diversité témoigne de la souplesse avec laquelle la jurisprudence appréhende la manifestation du consentement de l’assureur, privilégiant la substance sur la forme.
Cette approche trouve sa justification pratique dans les modalités de fonctionnement du marché de l’assurance, où les délais de transmission peuvent varier considérablement selon les canaux de distribution utilisés et les moyens de communication employés. Elle évite également les difficultés probatoires liées à l’établissement de la date de réception par le destinataire, souvent délicate à démontrer en l’absence de procédés de notification avec accusé de réception.
2. La remise en cause par la réforme du droit des contrats
L’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats a créé une divergence avec la jurisprudence traditionnelle en matière d’assurance. L’article 1121 du Code civil consacre désormais le système de la réception en disposant que le contrat est “conclu dès que l’acceptation parvient à l’offrant“. Cette évolution du droit commun, qui met fin à certaines hésitations jurisprudentielles en privilégiant la théorie de la réception, entre directement en contradiction avec la jurisprudence établie du droit des assurances.
Cette opposition entre droit spécial et droit commun peut générer une insécurité juridique notable. L’assuré peut désormais contester la formation du contrat en soutenant, sur le fondement de l’article 1121 du Code civil, que l’acceptation de l’assureur ne lui est pas parvenue. Cette argumentation devient particulièrement redoutable lorsque l’assureur n’a pas pris la précaution d’utiliser des moyens de transmission permettant d’établir la réception effective, tels que la lettre recommandée avec demande d’accusé de réception.
La situation devient d’autant plus problématique que l’article 1121 du Code civil, en tant que disposition de droit commun, a vocation à s’appliquer à défaut de règles spéciales contraires. Or, le Code des assurances ne contient pas de disposition expresse sur ce point, laissant le champ libre à l’application du droit commun rénové.
3. Les solutions pratiques de conciliation
Face à cette incertitude, plusieurs voies s’offrent pour préserver la sécurité juridique des relations contractuelles en assurance.
La première consiste en l’insertion dans la proposition d’assurance d’une clause dérogatoire précisant que “par dérogation à l’article 1121 du code civil, le proposant accepte que le contrat d’assurance soit conclu dès l’envoi par l’assureur de son acceptation, matérialisée notamment par l’envoi du contrat ou d’une note de couverture“. Cette précaution contractuelle permet de maintenir la sécurité juridique traditionnelle tout en respectant la liberté contractuelle des parties, l’assuré consentant expressément à ce régime dérogatoire.
La seconde voie réside dans l’utilisation systématique de moyens de transmission permettant d’établir la réception effective de l’acceptation. Cette approche, plus contraignante sur le plan pratique, présente l’avantage de concilier les exigences du droit commun rénové avec les impératifs d’efficacité de la technique assurantielle.
4. Les aménagements conventionnels
Par ailleurs, les parties conservent la faculté de différer conventionnellement le moment de formation du contrat par l’insertion de clauses particulières. Certaines polices d’assurance comportent ainsi des stipulations subordonnant la conclusion du contrat au renvoi de documents signés par le souscripteur ou au paiement de la première prime.
La validité de telles clauses a été initialement mise en doute au motif qu’elles contreviendraient au principe du consensualisme posé par le Code des assurances. Cette critique s’appuyait notamment sur l’article L. 112-3 du Code des assurances, dont il était déduit que la police délivrée par l’assureur traduit nécessairement son engagement, ainsi que sur l’absence de mention de la signature parmi les mentions obligatoires exigées par l’article L. 112-4 du même code.
Cependant, la jurisprudence semble admettre que le contrat d’assurance puisse être transformé par la volonté des parties en contrat solennel, lorsque l’assureur assortit son acceptation de conditions suspensives précises, telles que le renvoi de la police dans un délai déterminé (Cass. 1re civ., 4 févr. 2003). Cette solution respecte la liberté contractuelle des parties tout en préservant la cohérence du système consensuel.
Cette flexibilité permet aux assureurs d’adapter leurs procédures aux spécificités de certains risques ou de certaines clientèles, tout en maintenant un contrôle sur le processus de formation du contrat. Elle illustre la capacité du droit des assurances à concilier les principes généraux avec les exigences pratiques de la technique assurantielle.