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Formation du contrat d’assurance : l’efficacité du contrat

La formation du contrat d’assurance ne suffit pas, à elle seule, à régler la question de l’opposabilité de ses stipulations. Si l’accord des volontés sur les éléments essentiels consacre la naissance du contrat, encore faut-il que l’ensemble des conditions contractuelles puisse être valablement invoqué par l’assureur. C’est dans cette zone de tension – entre formation et opposabilité – que se déploie une jurisprudence et une doctrine particulièrement riches.

La Cour de cassation, par un arrêt du 20 avril 2017, a rappelé avec force que la communication et l’acceptation des conditions générales et particulières conditionnent leur opposabilité à l’assuré, sans remettre en cause la validité du contrat. Cette dissociation, désormais consacrée par l’article 1119 du Code civil, illustre une ligne directrice : protéger le consentement effectif du souscripteur sans fragiliser la sécurité de la formation contractuelle.

Dans ce cadre, deux techniques spécifiques cristallisent l’attention. Les clauses de renvoi, d’abord, répondent au défi pratique d’une architecture documentaire éclatée : elles étendent le consentement exprimé à des documents non signés, mais expressément visés. Leur efficacité, admise de principe, demeure conditionnée à la connaissance effective de l’assuré. Les clauses de signature, ensuite, traduisent la volonté de certains assureurs de déroger au consensualisme en subordonnant la perfection du contrat à la signature de la police. Leur validité, reconnue par la jurisprudence, révèle un usage maîtrisé de la liberté contractuelle dans un domaine où le principe est, pourtant, le consensualisme.

L’étude de ces mécanismes met ainsi en lumière la dialectique fondamentale du droit des assurances : concilier efficacité contractuelle et protection du consentement, tout en maintenant l’équilibre entre les exigences de la technique assurantielle et les impératifs du droit commun des obligations.

a. L’opposabilité des conditions contractuelles

La formation du contrat n’épuise pas la question de l’opposabilité de l’ensemble des conditions contractuelles. Cette distinction fondamentale a été clairement établie par la Cour de cassation dans un arrêt du 20 avril 2017 qui illustre parfaitement cette problématique (Cass. 3e civ., 20 avr. 2017, n° 16-10.696).

En l’espèce, une société avait accepté des offres d’assurance émises par un assureur et avait adressé trois chèques en règlement des primes provisionnelles. Elle avait reçu les notes de couverture mais n’avait jamais reçu les conditions générales et particulières des contrats. La cour d’appel avait considéré que les contrats n’étaient pas valablement formés au motif que les conditions générales et particulières n’avaient pas été adressées à la société et acceptées par elle.

La Cour de cassation a censuré cette analyse en rappelant un principe désormais cardinal : “la connaissance et l’acceptation des conditions générales et particulières conditionnent leur opposabilité à l’assuré et non la formation du contrat“. En l’occurrence, elle reproche à la cour d’appel d’avoir confondu ces deux questions distinctes, alors qu’elle avait pourtant relevé que la société avait accepté les offres de l’assureur et lui avait adressé des chèques en règlement des primes.

Cette jurisprudence opère une dissociation claire entre deux moments juridiques distincts : d’une part, la formation du contrat qui résulte de la rencontre des volontés sur les éléments essentiels, d’autre part, l’opposabilité des conditions contractuelles détaillées qui suppose leur communication préalable et leur acceptation par l’assuré.

Cette distinction, désormais consacrée par l’article 1119 du Code civil issu de l’ordonnance du 10 février 2016, impose que les conditions générales invoquées par une partie n’aient effet à l’égard de l’autre que si elles ont été portées à la connaissance de celle-ci et si elle les a acceptées. Cette exigence transforme profondément les pratiques assurantielles en obligeant les assureurs à s’assurer de la communication et de l’acceptation effective des conditions générales, non plus seulement pour la formation du contrat, mais pour pouvoir s’en prévaloir ultérieurement à l’encontre de l’assuré.

Cette évolution protège l’assuré contre l’opposabilité de clauses qu’il n’aurait pas connues tout en préservant la sécurité de la formation contractuelle, évitant ainsi que des contrats valablement conclus puissent être remis en cause pour des considérations purement formelles relatives à la communication des conditions détaillées.

b. Les clauses de renvoi

i. La structure composite du contrat d’assurance

Le contrat d’assurance se caractérise par une architecture documentaire particulière. Il se compose généralement de plusieurs pièces distinctes : conditions générales, conditions particulières, intercalaires, avenants, qui forment ensemble l’ensemble contractuel. Cette multiplicité de documents soulève une difficulté pratique majeure : le souscripteur ne signe pas nécessairement tous ces éléments, ce qui pose la question de leur valeur contractuelle et de leur opposabilité.

Cette situation crée un défi juridique : comment établir que le souscripteur a consenti à des documents qu’il n’a pas signés ? La réponse réside dans le mécanisme des clauses de renvoi, technique juridique permettant d’étendre le consentement manifesté par la signature d’un document à d’autres pièces contractuelles.

ii. Le mécanisme des clauses de renvoi

La clause de renvoi constitue une stipulation par laquelle le souscripteur, en signant un document, étend son consentement à d’autres pièces contractuelles qu’il n’a pas formellement acceptées. Ce mécanisme établit une liaison juridique entre les différents éléments du contrat d’assurance, palliant ainsi l’éclatement documentaire inhérent à cette matière.

Cet artifice technique révèle une tension fondamentale du droit des assurances. D’un côté, l’impératif d’efficacité économique commande une certaine fluidité dans l’organisation contractuelle, les assureurs ne pouvant matériellement faire signer chaque intercalaire ou avenant par leurs assurés. De l’autre, l’exigence de protection du consentement milite pour une adhésion explicite et consciente à chaque obligation contractuelle.

Cette problématique transcende les considérations purement techniques pour interroger la nature même du consentement en matière contractuelle. Peut-on valablement présumer qu’un souscripteur accepte des dispositions dont il n’a peut-être jamais eu connaissance, au seul motif qu’un document signé par lui y fait référence ? Cette question engage l’équilibre des rapports contractuels et la sincérité de l’échange des consentements.

La réponse juridique à cette interrogation a oscillé entre deux pôles : la condamnation de principe, au nom de la protection du consentement, et la validation pragmatique, au nom de l’efficacité contractuelle. Cette hésitation témoigne de la difficulté à concilier les exigences parfois contradictoires de la sécurité juridique et de l’efficacité économique dans un domaine où la complexité technique impose des adaptations aux règles générales du droit des contrats.

iii. L’évolution de la validité des clauses de renvoi

La validité des clauses de renvoi a connu une histoire mouvementée, révélatrice des tensions entre efficacité contractuelle et protection du consommateur.

Dans un premier temps, l’article 1er du décret du 24 mars 1978 avait déclaré ces clauses abusives de manière générale. Cependant, cette condamnation de principe fut censurée par le Conseil d’État qui annula le décret comme étant contraire à l’article 35 de la loi du 10 janvier 1978 (CE 3 déc. 1980, Assurances du groupe de Paris, risques divers). Cette annulation ouvrait la voie à une appréciation plus nuancée de ces clauses.

La Commission des clauses abusives avait néanmoins maintenu sa position critique dans sa recommandation du 20 septembre 1985 sur l’assurance multirisques-habitation, se prononçant pour leur condamnation.

Le décret du 18 mars 2009 a apporté une solution d’équilibre en rangeant les clauses de renvoi parmi les clauses irréfragablement présumées abusives, mais seulement dans des conditions restrictives : lorsque lors de la conclusion du contrat, il n’est pas fait expressément référence au document auquel le consommateur est renvoyé et que celui-ci n’en a pas eu connaissance avant la conclusion (C. consom., art. R. 212-1, 1°). Cette approche préserve l’efficacité des clauses de renvoi tout en protégeant le consommateur contre les pratiques abusives.

iv. La consécration jurisprudentielle

La jurisprudence a consacré la validité de principe des clauses de renvoi par un arrêt de la première chambre civile du 10 avril 1996 (Cass. 1re civ., 10 avr. 1996, n°94-14.918). Cette décision pose le principe selon lequel ces clauses sont licites dès lors qu’elles respectent les exigences de transparence et de bonne information du souscripteur.

Cette consécration jurisprudentielle a trouvé une application concrète dans la reconnaissance de l’opposabilité de stipulations figurant dans des documents non signés mais expressément visés par des documents signés. La Cour de cassation a ainsi jugé qu’une déchéance inscrite dans les conditions générales pouvait être opposée à l’assuré dès lors que les conditions particulières, signées par ce dernier, y renvoyaient expressément (Cass. 2e civ., 22 janv. 2009, n° 07-19.234).

Cette jurisprudence constante démontre l’efficacité pratique du mécanisme des clauses de renvoi lorsque les conditions juridiques de leur mise en œuvre sont scrupuleusement respectées. Elle témoigne de l’acceptation par les tribunaux d’une technique contractuelle indispensable au bon fonctionnement de l’assurance moderne.

v. Les conditions d’efficacité

L’efficacité des clauses de renvoi demeure subordonnée au respect de conditions strictes, tant formelles que substantielles, que la jurisprudence a progressivement précisées.

==>Les conditions de forme

Sur le plan formel, la jurisprudence exige que la clause de renvoi figure dans un document effectivement signé par le souscripteur. Cette signature suffit alors à témoigner de son acceptation des documents auxquels il est renvoyé (Cass. 2e civ., 29 juin 2017, n°16-22.422). Cette solution pragmatique évite de paralyser le fonctionnement du contrat d’assurance par un formalisme excessif.

Cependant, la jurisprudence se montre intransigeante sur la localisation de la clause. Lorsque celle-ci figure dans un document non signé par le souscripteur et se borne à stipuler que ce document est annexé à un autre document signé par lui, elle ne produit aucun effet juridique et ne vaut pas clause de renvoi (Cass. 1re civ., 5 mars 2002, n°99-21.486). Cette exigence préserve la cohérence du système en imposant que l’extension du consentement résulte d’un acte positif du souscripteur.

La jurisprudence refuse par ailleurs de s’embarrasser d’un formalisme excessif concernant la présentation de ces clauses. Ainsi, la clause de renvoi à une exclusion n’a pas à être mentionnée en caractères très apparents (Cass. 2e civ., 26 nov. 2020, n° 19-16.797), solution qui privilégie l’efficacité contractuelle sur les considérations purement formelles.

==>Les conditions de fond

L’efficacité substantielle des clauses de renvoi repose sur une condition fondamentale : la connaissance effective par l’assuré des documents auxquels il est renvoyé. Cette exigence impose que, à la date du sinistre, le document visé ait été effectivement porté à la connaissance du souscripteur. Cette condition temporelle protège l’assuré contre l’opposabilité de clauses qu’il n’aurait jamais eu l’occasion de connaître.

La jurisprudence facilite cependant l’établissement de cette preuve en admettant diverses présomptions. La connaissance est ainsi présumée lorsque l’assuré reconnaît dans les conditions particulières avoir reçu les conditions générales auxquelles elles renvoient (Cass. 2e civ., 5 juill. 2006, n° 05-19.144). Il lui appartient alors de prendre effectivement connaissance de ces documents, l’ignorance volontaire ne pouvant lui être opposée.

Cette connaissance peut également être établie par l’intermédiaire du mandataire de l’assuré. Ainsi, lorsqu’un courtier a eu connaissance des documents en cause, cette connaissance est réputée acquise à l’assuré (Cass. 1re civ., 9 mai 1996, n°94-10.302). Cette solution étend le bénéfice de la représentation au domaine de l’information contractuelle.

Au bilan, le régime des clauses de renvoi révèle un équilibre subtil entre protection du consentement et efficacité contractuelle. D’une part, la jurisprudence veille à ce que l’extension du consentement ne soit pas purement fictive en exigeant une connaissance effective des documents visés. D’autre part, elle facilite la mise en œuvre pratique de ces clauses en admettant des présomptions de connaissance et en refusant un formalisme excessif.

c. Les clauses de signature

i. Le mécanisme des clauses de signature

Les clauses de signature constituent un procédé par lequel l’assureur subordonne la perfection du contrat à la signature de la police par le souscripteur. Ce mécanisme porte dérogation au principe du consensualisme qui gouverne traditionnellement la formation du contrat d’assurance, transformant celui-ci en contrat solennel pour lequel l’écrit signé devient une condition de validité.

Cette technique répond à des préoccupations pratiques légitimes de l’assureur : maîtriser le moment précis de formation du contrat, s’assurer de l’adhésion formelle de l’assuré aux conditions contractuelles, et éviter les contestations ultérieures sur l’existence ou la portée de l’engagement. Elle soulève cependant une interrogation juridique majeure : dans quelle mesure les parties peuvent-elles déroger au principe du consensualisme expressément posé par le Code des assurances ?

Cette problématique met en tension deux conceptions du consensualisme. La première, rigide, considère que le caractère consensuel du contrat d’assurance constitue un principe d’ordre public auquel les parties ne sauraient déroger. La seconde, plus souple, y voit une règle supplétive que la liberté contractuelle permet d’écarter par des stipulations expresses.

ii. La consécration jurisprudentielle

La jurisprudence a tranché en faveur de la validité de principe des clauses de signature dans un arrêt de la première chambre civile du 28 février 1989 (Cass. 1ère civ. 28 févr. 1989, n°87-12.005). Par cette décision, la Haute juridiction reconnaît expressément que “si la proposition d’assurance n’engage ni l’assuré, ni l’assureur, le contrat est parfait, sauf convention contraire, dès la rencontre des volontés de l’assureur et de l’assuré“.

L’expression “sauf convention contraire” éclaire la position adoptée par la Cour de cassation. Le consensualisme demeure le principe directeur de la formation du contrat d’assurance, mais il n’épouse pas un caractère d’ordre public absolu. Les parties conservent la prérogative d’y déroger par une stipulation expresse, expression de leur liberté contractuelle.

Cette solution équilibrée préserve l’économie générale du droit des assurances tout en ménageant aux assureurs la souplesse nécessaire à l’adaptation de leurs pratiques contractuelles. Elle autorise une modulation des procédures selon la nature des risques traités ou les caractéristiques de la clientèle concernée, témoignant de la capacité du droit à épouser les réalités économiques sans renier ses principes fondamentaux.

iii. Les conditions d’efficacité

L’efficacité des clauses de signature demeure subordonnée au respect de conditions strictes que la jurisprudence a progressivement précisées.

A cet égard, cette dernière exige une cohérence entre les différents actes accomplis par l’assureur. Ainsi, l’efficacité d’une clause de signature peut être remise en cause en cas de communication tardive de la police au souscripteur. La Cour de cassation a déclaré inopérante une clause de signature lorsque la police n’avait été transmise à l’assuré que deux mois après la délivrance de l’attestation d’assurance et le versement d’une partie de la prime (Cass. 1re civ., 9 mars 1999, n° 96-20.190). Cette solution préserve ainsi l’équité contractuelle en évitant que l’assureur ne tire avantage de sa propre négligence dans la transmission des documents.

La jurisprudence ultérieure a confirmé cette approche en précisant les conditions d’efficacité des clauses de signature. Un arrêt rendu par la Première chambre civile du 4 février 2003 illustre parfaitement cette exigence de rigueur dans l’application de ces stipulations (Cass. 1ère civ. 4 févr. 2003, n°99-17.993).

En l’espèce, un souscripteur avait adhéré à un contrat d’assurance-vie le 23 décembre 1994. L’assureur avait accepté la proposition par lettre du 23 janvier 1995, précisant que l’admission aux garanties demeurait subordonnée au respect d’une “clause délai de régularisation” selon laquelle “il est de convention expresse que si le présent contrat n’était pas retourné régularisé dans un délai maximum de deux mois à compter de sa date d’émission, il serait considéré comme n’ayant jamais existé“. Le contrat n’étant parvenu au domicile du souscripteur que le 5 février 1995, jour de son décès, il n’avait pu être régularisé dans le délai imparti.

Les héritiers soutenaient que le contrat était parfait dès l’acceptation de l’assureur le 23 janvier 1995, conformément au principe consensuel, et que la réalisation du risque avant l’expiration du délai de régularisation ne pouvait remettre en cause cette formation.

La Cour de cassation a rejeté cette argumentation en considérant que les juges du fond avaient “souverainement interprété le contrat établi à la suite de la proposition d’adhésion” et ne fait que l’appliquer. Cette solution valide l’efficacité des clauses de signature lorsque leurs termes sont précis et leurs conditions scrupuleusement respectées, même dans des circonstances particulièrement dramatiques.

Cette jurisprudence témoigne de la rigueur avec laquelle les tribunaux appliquent les stipulations dérogatoires au principe du consensualisme. Elle confirme que la liberté contractuelle, une fois exercée, produit ses pleins effets juridiques, y compris lorsque les conséquences peuvent paraître sévères.

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